MASTER NEGA TIVE NO. 91-80183-10 MICROFILMED 1991 COLUMBIA mSflVERSITY LIBRARIES/NEW YORK ii as part of the Foundations of Western Civilization Preservation Project Funded by the NATIONAL ENDOWMENT FOR THE HUMANITffiS Reproductions may not be made without permission from Columbia University Library COPYRIGHT STATEMENT The copyright law of the United States - Title 17, United States Code ~ concerns the making of photocopies or other reproductions of copyrighted material... Columbia University Library reserves the right to refuse to accept a copy order if, in its judgement, fulfillment of the order would involve violation of the copyright law. AUTHOR: ADDERLEY, JAMES GRANVILLE TITLE: FRANCIS, THE LITTLE POOR MAN OF ASSISI PLACE: NEW YORK DA TE : 1901 Master Negative # COLUMBIA UNIVERSITY LIBRARIES PRESERVATION DEPARTMENT —3Lim&3-JS. BIBLIOGRAPHIC MICROFORM TARHFT Original Material as Filmed - Existing Bibliographic Record 9S2.SF BA RNC Restrictions on Use: Adderlej, James r Granville, 1861- Francis, the ilttle poor man of laslal . > SSo'i "Ss t ?*? '°^r °^*^^ ^^«- reujor, with an introduction by paul Sahat4A^ Je? ' ^'^«»8, Owen, igaiT *^**^®'* parts"of*'i?'°STl**K®?f*°r °^ *he principal FILM SIZE:__35_^_'::2 IMAGE PLACEMENT: I DATE FILMED: TECHNICAL MICROFORM DATA REDUCTION RATIO:__JJjC:^^ IB IIB INITIALS.B^ HLMEDBY: RESEARCH PUBLICATIONS. INC WOQDBRIDGE: CT r Association for Information and image Management 1100 Wayne Avenue. Suite 1100 Silver Spring. Maryland 20910 301/587-8202 Centimeter 12 3 4 5 6 7 llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllilllllllllll ill! m¥w m 8 9 10 11 12 13 14 15 mm iiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiiliiiil Inches TTT TTT 1 T TTT 1.0 If" M 1.25 2.8 III 25 32 163 I7J US 14.0 2.2 2.0 1.4 1.8 1.6 T 1 I I MfiNUFflCTURED TO flllM STfiNDflRDS BY APPLIED IMRGEp INC. ^I«i«* Hi^^'" ■■#.-'^'^^«^. ^mm- m _i- 3^' '^\^^,, , *A \ ^' z>^%'^ LIBRARY Gift of President Nicholas Murray Butler :2^i^fl>: ■;., . .'^'*/.'%' r H' k ^> i n i -M ^^^ : M^^' y > ^. ) * / SIECLE DE LOUIS XV TTPOGRAPUIE FIRMIN-DIDOT. — MESNIL (EURE). SIECLE DE LOUIS XV • • • « • • • • • • • • I I • J I • t . • » • • • • ' . • • • • • • « , • • > • HISTOIH? nt P4RLEMENT DE PARIS, PAR VOLTAIRE. tmSB>®QSiSBsm PARIS, LIBRAIRIE DE FIRMIN-DIDOT ET C", IMPRIMEURS DE L^INSTITUT, RUE JACOB, 56. 4884. Jr I a • , • • • • • •- • AVIS EXTRAIT DE LA PREFACE DE M. BEUCHOT. • • • • • •• « • • • • • • • • • • » • • • • • • • ** • m • • • • ' < • • • ■ f • m . • • • ^ ^ ! '" »■"> 't^*- ""•- V w V Voltaire ayant ete nomme, en 1746, historiographe de France , entreprit d'ecrire VHisfoire de la guerre de mil sept cent quarante el un, etexecuta son projet. Plusieurs chapitres furent redig^ h Versailles chez le comte d'Argenson, ministre de la guerre. II en existaittrois copies. Voltaire avait conduit son travail jusqu'a la paix de 1748, lorsque les cahiers en fu- rent derobes par le marquis de Ximenes, qui tira parti de ce larcin. Voltaire fit saisir Tedition qui parut a Rouen, chez Prieur. Les cahiers soustraits s'arr^taienta la bataille de Fontenoy, et Voltaire avait conduit son travail jusqu'a la paix d'Aix-la- Chapelle, lorsqu'une g^n^reuse indignation le lui fit abandon- ner. Unc des clauses du traits de paix de 1748 portait que la cour de France ne permettrait pas au jeune pretendant de s^ joumer dans le royaume. Charles-^douard , que cette clause revoltait , refusa de s'y soumettre , et continua de rester a Paris. Un jourqu'il 6tait all^ a TOpera , en 1749 , la police fit arrfiter le prince, qui, comme Louis XV, ^tait descendant de Henri IV , et a un plus proche degre. Un nomme Desforges fit alors circuler ce distique : Peuple jadif 8i fier, aujourd'hui si servile, Des princes malheureux vous n'Stes plus Pasile. Ces deux vers coiiterent cher a leur auteur, qui fut envoys au mont Saint-Michel , ou il resta trois ans dans un cachot. Voltaire fut moins imprudent, mais il ne ressentit pas moins vivement la lAchet^ du roi de France. II ^taita Luni§- tltCLE Dl LOUIS XT. / ^•MMiMHii u f ville lorsqu'il apprit comment avait ^t6 traits le prince Edouard , et de depit il renonca a continuer I'histoire do Louis XV. Cette particularity injurieuse pour le monarque, mais honorable pour I'toivain , est rest^e longtemps incon- nue, et n'a ^t^ r^velee qu'en 1826 par la publication des Memoires de Longchamp \ • Voyei la note de M. Beuchot a la fin du chapltre XXV. |v> PRECIS DD SIECLE DE LOUIS XV. CHAPITRE I. Tableau de lEurope aprts la raort de Louis XIV. Nous avons donne avee quelque elendue une idee du siecle de Louis XIV s.ecle des grands homines, des beaux-arls et de la pohlesse : il ful marque , il est vrai , comme tous les aulres , par des calamites publiques et particulieres. inseparables de la nature humaine; mais tout ce qui pent consoler les hommes dans la misere de leur condition faible et perissable semble avoir «e pro- digue dans ce siecle. II faut voir maintenant ce qui suivit ce re^ne orageux dans son commencement, b:illant du plus grand dclat pendant cinquante annees, mele ensuite de grandes adversites et de quelque bonheur, et flnissant dans une tristesse assez sombre apres avoir commence dans des factions turbnientes. Louis XV «ait un enfant orphelin ( septembre (7t5 ). II eflt Hi Irop long, trop difficile, et trop dangereux, d'assembler lesetats g^neraui pour r^er les pretentions a la regence. Le parlement de Pans I avait deja donnee a deux reines ■ : il la donna au duo de Louis XIV. Philippe , due d'Orleans . petit-fils de France, fut declare mailre absolu par ce m«me parlement qu'il envoya bientot apres en exil *. •' 1 ""'e de UMida en 16)0, et Anne d'Aulriclie. Ed. le. mS^^JZH^'^r "*?»"«'* ""■""• ' "^ '««* ''« «"ever dans iTto^™.?!^ »«moire. ie madame de Maintenon, el dans les notes de W iT .* ' '"""^ *•"• "0" *"«<"> d" «'«'< rf< Loui, XlT » Franc «a" A «a^ „""? 1 ^''"''='*" ""*• •0'" '«"» h'W"- Cela n'^t pas lovim 1. h' !l ^ " ', "f ^"«>«1' P'"* de gens de robe et de simples ct- U.W. u eoi ete de la plus wande folic dintroduire des gent apost II y avait en effet un pr^ident de Lubert, mais qui n'^tait que pru- dent aux enquStes , et qui ne se melait de rien. II n'y a jamais eu de pre- mier pr^ident de Maisons. C'^tait alors Claude de Mesmes, du nom d'A- vaux, qui avait cette place; H. de Maisons. beau-fr^re du mar^chal de Villars, dtait president k mortier, et tr^s-attache au due d'Orl&ms. C'^tait Chez lui que le marquis de Canillac avait arrange le plan de la r^gence avec quelques autres confidents du prince. II avait parole d'etre garde de» Bceaux, et mourut quelque temps apr^s. Ce sont des faits publics dont j'ai ^t^ t^moin, et qui se trouvent dans les Memoires manuscrits du mareckal de nilars. Le fiompilateur des Memoires de Maintenon ajoute k cette occasion que dans le traits de Rastadt, fait par le marshal de Villars et le prince Eu- gene, « il y a des articles secrets qui excluent le due d'Orl^ans du tr6ne. » Cela est faux et absurde : il n'y eut aucun article secret dans le traits de Rastadt ; cYtait un traitei de paix authentique. On n'ins^re des articles se- crets qu'entre des conf^der^ qui veulent cacher leurs conventions au pu- blic. Exclure le due d'Orldans en cas de malheur, c'efll ^te donner la France k Philippe V, rol d'Espagne, comp^iiteur de Tempereur Charles VI aveclequel on traitait; c'efttet^ ddtruire T^ifice de la paiidUtrechl' aoquel on donnait la demiere main , outrager I'empereur, renverser r<- qoilibre de r Europe. On n'a jamais rien terit de plus absurde. t CHAPITRE I. J i>ar ses aventures singulieres. Un comte de Bonneval , qui avai» quitte le service de France sur quelques mecontentements du mi- nislere, major general alors sous le prince Eugene, se trouvadans cette bataille entoure d'un corps nombreux de janissaires ; il n'avait aupres de lui que deux cents soldats de son regiment; il resista une heure enliere ; et ayant ete abaltu d'un coup de lance Anne-Victoire, n^ en 1718. Eo. CHAPITRE IL • dinalat. 11 fit enregfstrer la bulle purementet siniplement, corame on la deja dit , par le grand conseil, ou plutot maigre le grand conseil, paries princes du sang, les dues et pairs, les marechaux de France, les conseillers d'Etat et les maitres des requetes, et surtout par le chancelier d'Aguesseau lui-meme, qui avait cte si longtemps contraire a cette acceptation. D'Aguesseau, par cette faiblesse, se deshonorait aux yeux des citoyens, mais non pas des politiques. L'abbe Dubois oblint meme une retractation du cardmal de Noailles. Le regent de France, dans cetle intrigue, se trouva lie quelque temps par les memes interets avec le jesuite Daubenton. Philippe V commencait a elre attaque d'une melancoUe qui , jointe a sa devotion, le portait a renoncer aux embarras du trone, et a Ic resigner a son tils aine don Louis ; projet qu'en effet il executa depuis en 1724. II confia ce secret a Daubenton. Ce jesuite trembia de perdre tout son credit quand son penitent ne serait plus le maitre, et d'etre reduit a le suivre dans une solitude. II revela au due d'Orleans la confession de Philippe V, ne dou- tant pas que ce prince ne fit tout son possible pour empecher le roi d'Espagne d'abdiquer. Le regent avait des vues eontraires : il eiit ete content que son gendre fiit roi, et qu'un jesuite qui avait tant gene son gout dans I'affaire de la constitution ne fut plus en etat de lui prescrire des conditions. II envoya la lettre de Daubenton au roi d'Espagne. Ce monarque montra froidement la ieltre a son confesseur, qui tomba evanoui , et mourut peu de temps apres *. CHAPITRE II. Suite du tableau de rEurope. R^gence du due d'Orleans. Syst^mc de Law ou Lass. Ce qui etonna le plus loutes les cours de TEurope, ce fut de voir quelque temps aprc?, en 1724 et 1725, Philippe V et Char- • Ce fait se trouve attests dans YHistoire civile d'Espagne , ^crite par Bellando, imprim^e avec la permission du roi d'Espagne lui-meme ; elle doit i'lre dans la bibliotlieque des cordeliers a Paris. On peut la lire a la page 306 de la iv* partie. J'en ai la copie enlre les mains. Cette perfidie de Daubenton, plus commune qu*on ne croil, est connue de plus d'un grand d'Espagne qui Tatteste. 1. 10 SIECLE DE LOUIS XV. les VI, autrefois si acharnes I'un conire I'autre, maintenant elroi- lemenl unis, el les affaires sorties de leur route naturelle au point que le ministerc de Madrid gouveina une annee entiere la eour de Vienne. Cette cour, qui n'avait jamais eu d'autre intention que de fermer a la maison franqaise d'Espagne tout acces dans I'ltalie, sc laissd enlrainer loin de ses propres sentiments, jusqu'a recevoir un fils de Philippe V et d'fil Isabel h de Parme, sa seconde femme, dans celte meme Italie , dont on voulait cxclure tout Franqais et lout Espagnol. L'empereur donna a ce fils puine de son concurrent I'invesliture de Parme el de Plaisance, et du grand-duche de Toscane : quoique la succession de ces £tats ne flit point ouverte, don Carlos y fut inlroduit avec six millc Es- pagnols ; et il n'en couta a I'Espagne que deux cent mille pistole* donnees a Vienne, Cctte faute du conseil de l'empereur ne fut pas au rang des faules heureuses ; elle lui couta plus cher dans la suite. Tout etait etrange dans eel accord ; c'etaient deux maisons cnnemies qui s'unissaient sans se fier Tune a Tautre ; c*elaient les Anglais qui, ayant lout fait pour detroner Philippe V, el lui ayant arra- che Minorque et Gibraltar, etaient les mediateurs de ce traite ; c'etail un Hollandais, Ripperda, devenu due, el lout-puissant en Espagne, qui le signail, qui fut disgracie apres I'avoir signe, et qui alia mourir ensuile dans le royaume de Maroc, ou il tenia d'e- lablir une religion nouvelle. Cependanl en France la regence du due d'Orleans , que ses ennemis secrets et le bouleversement general des finances devaient rendre la plus orageuse des regences, avail ele la plus paisible et la plus fortunee. L'habitude que les Fran9ais avaienl prise d'obeir sous Louis XIV fit la surete du regent et la tranquillite publique. La conspiration, dirigee de loin par le cardinal Al- beroni , et mal Iramee en France, fut dissipee aussilol que for- mee. Le parlement, qui, dans la minorile de Louis XIV, avail fait la guerre civile pour douze charges de mailres des requetes, et qui avail casse les testaments de Louis XIII et de Louis XIV avec moins de formalites que celui d'un parliculier, eul a peine la li- berie de faire des remonlrances lorsqu'on eul augmenle la valeur numeraire des especes Irois fois au dela du prix ordinaire. Sa marche a pied de la grand' chambre au Louvre ne lui allira que les railleries du peuple. L'edit le plus injuste qu'on ail iaraais CHAPITRE II. II rendu, celui de defendre a tous les habitants d'un royaume d'a- voir chez soi plus de cinq cents francs d'argent complant, n'excita pas le raoindre mouvemenl. La diselle entiere des especes dans te public ; lout un peuple en foule se pressanl pour aller rece- voir a un bureau quelque monnaie necessaire a la vie, en echange d'un papier decrie dont la France etait inondee ; plusieurs ci- toyens ecrases dans celte foule , el leurs cadavres portes par le peuple au Palais-Royal, ne produisirenl pas une apparence de se- dition. Enfin ce fameux sysleme de Lass, qui semblail devoir miner la regence et I'filal, soulint en effel I'un et I'autre par des consequences que personne n'avait prevues. La cupidite qu'il reveilla dans loules les conditions, depuis le plus has peuple jusqu*aux magistrals, aux eveques et aux prin- ces, detourna tous les esprits de loule attention au bien public, et de loule vue politique et ambilieuse, en les remplissant de la crainle de perdre el de I'avidite de gagner. C'etail un jeu nou- veau el prodigieux, oix tous les citoyens pariaienl les uns conire les autres. Des joueurs acharn6s ne quiltenl point leurs cartes pour Iroubler le gouvernement. II arriva, par un prestige dont les ressorts ne purenl elre visibles qu'aux yeux les plus exerces el les plus fins, qu'un sysleme lout chimerique enfanla un com- merce reel, el fit renailre la compagnie des Indes, elablie au- trefois par le celebre Colbert, et ruinee par les guerres. Enfin, s'il y eul beaucoup de fortunes particulieres delruites, la nation devint bientot plus commercanle et plus riche. Ce systeme eclaira les esprits, comme les guerres civiles aiguisent les courages. . Ce fut une maladie cpidemique qui se repandil de France en Hollande el en Anglelerre ; elle merile I'atlention de la posterile; car ce n'elail point I'interel politique de deux ou Irois princes qui bouleversait des nations. Les peuples se precipiterent d'eux- memes dans cette folie, qui enrichit quelques families, et qui en reduisit tant d'autres a la mendicite. Voici quelle fut I'origine de celte demence, precedee et suivie de tant d'autres folies. Un ficossais, nomme Jean Law, que nous nommons Jean Lass*, qui n'avait d'autre metier que d'etre grand joueur el grand cal. * Dans les M^moires infid^Ies de la regence, on le dit fils d'un orf^vre. On appellecn anglais orf^vre, goldsmith, un depositaire d'argent, ea- pece d'agent de change. \ Ij SifeCLE DE LOUIS XV. culaleur, oblige de fuir de la Grande-Bretagne pour un meurlrc, avail des longtemps redige le plan d'une compagnie qui payerait en billets les dettes d'un fital, et qui se rembourserait par les profits. Ge systeme elait tres-complique ; mais, reduil a ses jusles homes, il pouvait elre Ires-ulile. C'etait une imitation dc la banque tfAnglelerre et de sa compagnie des Indes. 11 proposa cet etablissement au due de Savoie, depuis premier roi de Sar- daigne, Victor- Amedee, qui repondit qu'il n'elait pas assez puis- sant pour se miner. II le vint proposer au controleur general Desmarets; mais c'etait dans le temps d'une guerre malheureuse, ou toute confiance etait perdue, et la base de ce systeme elait la confiance. Enfin, il trouva tout favorable sous la regence du due d*Or- leans : deux milliards de dettes a eteindre, une paix qui laissait du loisir au gouvernement, un prince et un peuple amoureux des nouveautes. II elablit d'abord une banque en son propre nom, en 1716. Elle devint bientot un bureau general des recettes du royaumc. On y joignit une compagnie du Mississipi , compagnie dont on faisait esperer de grands avantages. Le public, seduit par I'appat du gain , s'empressa d'acheter avec fureur les actions de cette compagnie et de celte banque reunies. Les richesses, auparavanl resserrees par la defiance , circulereni avec profusion. Les billets doublaient, quadruplaienl ces richesses. La France fut tres-riche, en effet, par le credit. Toutes les professions connurent le luxe, et il passa chez les voisins de la France, qui eurent part a ce com- merce. La banque fut declaree banque du roi en 1718. Elle se chargea du commerce du Senegal. Elle acquit le privilege de I'ancienne compagnie des Indes, fondee par le celebre Colbert, tombee de- puis en decadence, et qui avait abandonne son commerce aux negociants de Saint-Malo. Enfin, elle se chargea des fermes ge- nerales du royaume. Tout fut done entre les mains de I'ficossais Lass, et toutes les finances du royaume dependirent d'une com- pagnie de commerce. Cette compagnie paraissant etablie surde si vastes fondements, ses actions augmenterent vingt fois au dela de leur premiere va- leur. Le due d'Orleans fit sans doule une grande faute d'aban- donner le public a lui-meme. II etait aise au gouvernement de CHAPITRE n. 13 mellre un frein a celte frenesie ; mais I'avidite des courtisans el Tcjpcrance de profiler de ce desordre empecherent de I'arreler. Les variations frequentes dans le prix de ces effets produisirent a des hommes inconnus des biens immenses : plusieurs, en moins de six mois , devinrenl beaucoup plus riches que beaucoup de princes. Lass, seduit lui-meme par son systeme, el ivre de I'l- ▼resse publique et de la sienne, avait fabrique tant de billets, que U valeur chimerique des actions valait, en 1719, quatre-vmgts fois lout I'argent qui pouvait circuler dans le royaume. Le gou- vernement remboursa en papiers lous les rentiers de Tfilat. Le regent ne pouvait plus gouverner une machine si immense, si compliquee, et dont le mouvement rapide I'entrainait malgre lui. Les anciens financiers et les gros banquiers reunis epuiserent la banque royale , en tirant sur elle des sommes considerables. Chacun chercha a converlir ses billets en especes ; mais la dis- proporlion eUit enorme. Le credit tomba tout d'un coup : le re- gent voulut le ranimer par des arrets qui I'aneantirent. On ne vit plus que du papier ; une misere reelle commencait a succeder a tant de richesses fictives. Ge fut alors qu'on donna la place de conlroleur general des finances a Lass, precisement dans le temps qu'il etait impossible qu'il la remplit; c'etait en 1720, epoque de U subversion de toutes les fortunes des particuliers et des finances du royaume. On le vit, en peu de temps, d'Ecossais devenir Franqais, par la naturalisation'; de proteslant, catholique; dV ▼enturier, seigneur des plus belles lerres; et de banquier, minis- Ire d-fitat. Je I'ai vu arriver dans les salles du Palais-Royal, suivi de dues et pairs, de marechaux de France, et d'eveques. Le de- sordre elait au corable. Le parlemcnt de Paris s'opposa, aulant qu'il le put, a oes innovations, et il fut exile a Pontoise. Enfin, dans la meme annee. Lass, charge de I'execration publique, fut oblige de fuir du pays qu'il avait voulu enrichir, et qu'il avail bouleverse. II partit dans une chaise de poste que lui prela le due de Bourbon-G(»ndc, n'emportant avec lui que deux mille louis, presque le scul resle de son opulence passagere. Les libelles de ce temps-la accusent le regent de s'etre eropare • Les letlres de naturalisation ne furent pas enregistr^. L'Acad(hnie des sciences Tavait choisi , en 1719, pour un de ses honoraires; mais son flection fut d^clar^ nulle en 1721, a cause de ce d^faut d'enregKlremeni, et le cardina\ de Fleury 6\u a sa place. K. ■^' 14 S1£CL£ DE LOUIS XV. de tout Targeut du royaume pour les vues de son ambition , et il est certain qu'il est noort endette de sept millions exigibles. Od accusait Lass d'avoir fait passer pour son profit les especes de la France dans les pays etrangers. II a vecu quelque temps a Lon- dres des libcralites du marquis de Lassev , et est mort a Venise, en 1729, dans un elat a peine au-dessus de I'indigence. J'ai vu sa veuve a Bruxelies, aussi humiliee qu'elle avait ele fiere el Iriom- phante a Paris. De telles revolutions ne sont pas ies objets les moins utiles de Thistoire. Pendant ce temps la peste desolait la Provence. On avait la guerre avec I'Espagne. La Bretagne elait prete a se soulever. II s'etait forme des conspirations centre le regent ; et cependant il vint a bout presque sans peine de tout ce qu'il voulut au dehors et au dedans. Le royaume etait dans une confusion qui faisait tout craindre , et cependant ce f ut le regne des plaisirs et du luxe. II fallut , apres la ruine du systeme de Lass, reformer r£)tat ; on fit un recensement de loutes les fortunes des citoyens , ce qui etait une eotreprise non moins extraordinaire que le systeme : ce fut Toperation de finance et de justice la plus grande et la plus difficile qu'on ait jamais faite chez aucun peuple. On la commenca vers la fin de 1721. Elle fut imaginee, redigee et conduite par quatre freres *, qui jusque-la n'avaient point eu de part principale aux affaires publiques, et qui, par leur genie et par leurs travaux, meriterent qu'on leur confiat la fortune de T^tat. lis etablirent assez de bureaux de maitres des requetes et d*autres juges; ils formerent un ordre assez sur et assez net pour que le chaos filt debrouille ; cinq cent onze mille et neuf citoyens, la plupart peres de famille, porterent leur fortune en papier a ce tribunal. Toutes ces dettes innombrables furent liquidees a pres de seize cent trente etun millions numeraires effectifs en argent, dont r£)tat fut charge. C'est ainsi que finit ce jcu prodigieux de la fortune, qu'un etranger inconnu avait fait jouer a toute une nation **, • Les fr6res Pdris. " L'historien de la r^gence et celui du due d*Orl£ans parlent de cette grande affaire avec aussi peu de connaissance que de toutes lesautres: its disent que le conlrAleur gin^ral , RL de la Iloussaie , dtalt chamhellan du due d*Orl6aus : ilsprennent un dcrivaiii obscur, nomna^ la Joncht>re, pour la Joncbere le tr^ricr des guerres. Ce sont des Uvres de HoUande. Vous Irouverez dans une continuation de VHistoire universelle de M- oigne Bossuet, imprim^en 1738. chez rHonord, ^ Amsterdam, que le CHAPITRE III. 15 Apres la destruction de ce vaslc edifice de Lass , si hardiment eonqu , et qui ecrasa son architecte , il resta pourlant de ses de- bris une compagnie des hides, qu'on crut quelque temps a Pari? la rivale de celles de Londres et d'Amsterdam. La fureur du jeu des actions, qui avait saisi les Francais, anima aussi les Hollandais et les Anglais. Ceux qui avaient observe en France les ressorts par lesquels tant de parliculiers avaient eleve des fortunes si rapides et si immenses sur la credulilc et sur la misere publiques, porterent dans Amsterdam, dans Rotterdam, dans Londres, le meme artifice et la meme folic. On parle encore avec etonnement de ces temps de demence et de ce fleau politi- que ; mais qu'il est peu considerable, en comparaison des guerres civiles et de celles de religion qui ont si longtemps ensanglante TEurope, el des guerres de peuple a peuple, ou plutol de prince a prince, qui devaslent lanl de contrees ! Il se Irouva dans Londres et dans Rotterdam des charlatans qui firent des dupes. On crea des compagnies et des commerces imaginaires. Amsterdam fut bienlot desabuse ; RoUerdam fut ruine pour quelque temps ; Lon- dres fut bouleverse pendant I'annee 1720. 11 resulla de cette ma- nic , en France el en Angleterre , un nombre prodigieux de ban- queroutes, de fraudes, de vols publics el parliculiers, et toute la depravation de moeurs que produit une cupidite effrenee. CHAPITRE III. De Tabb^ Dubois , archeveque de Cambrai , cardinal , premier minislre. Mort du due d'0rl<5ans , regent de France. II ne faut pas passer sous silence le minislere du cardinal Dubois. C'elait le fils dun apolhicaire de Brive-la-Gaillarde , dans le fond du Limousin. II avait commence par elre instiluteur du due d'Orleans, et ensuite, en servant son eleve dans ses plaisirs, il en acquit la confiance : un peu d'esprit, beaucoup de debauche, de la souplesse, et surtoul le gout de son maitre pour la singula- rite, firenl sa prodigieuse fortune : si ce cardinal premier minislre due de Bourbon-Conde , premier minislre aprfes le due d'Orleans , « fit • b;\tir le chateau de Cliantilly de fond en comble du produil des actions : » vous y verrez que Lass avait vingt n)illions sur la banque d'Angleterrc ' wtant de lignes, auUnt de mensongea ( 4763 ). 1< SifeCLE DE LOUIS XV. avail ele an homme grave, cetle forluoe aurait eicite rindipw. lion ; mais elle ne fut qu'un ridicule. Le due d'Orleans se jouail de son premier ministre. et ressemblait a ce pape' qui ft son porte-singe cardinal. Tout se tournai. en gaiete el en plaisanlert Umpsde la Fron e. a la guerre civile pres ; ce carac.e"e de'la na- Uon le regen, TavaU fail renailre apres la severe Irislesse des dernieres annees de Louis XIV. U cardinal Dubois, archeveque de Cambrai. mourut d'un ul- c«re dans I ure.re. sui.e de ses debauches. II irouva un expedienl pour n etre pas faligue dans ses derniers momenls par les , a- tiques de la religion calholique. donl jamais minislre'^e fll mo^, ctemVnial ITc" ■''"'""' "" " ' "'"' ^"^ '^ -^'«-- " ceremonial par ticulier. et qu'un cardinal ne recevait pas I'exlre- ^e-onc .on et le vialique comme un aulre homme. Le cure de Vesailesalla aux informations, et pendant ce temps Duboi ^OTuMe 10 auguste 1723. Nous rimes de sa mort comme de son mimstere : lei elail le gout des Francais. accoulumes a rir. Le duo d'Orleans pritalors le litre de premier minislre. parce que le roi elant majeur. il n'y avail plus de regence; mai il sui vu bienlol son cardinal. C'etail un prince a qui on ne pouvail re- prochjr que son gout ardent pour les plaisirs el pour les nou- De loute la race de Henri IV. Philippe d'Orleans fut celui oui lui ressembia le plus ; il en avail la valeur. la bonte, rindut nee ra gaiele. la facdi.e. la franchise, avec un esprit piLs cultivls; S:TZI ;"T-r *'"'*"' P'- 8-ieu'se. 'elail ce Indat II avail iriors un singulier projet, donl sa morl subite sauva I.1 ' Jules III. Ed. avail ditde lui : . U ne ."attache nn^^^^^ T *^*^ ^"^«'*' *'«" «»>«^"' - ne s-enivre pas ; et s- niue .C^^^^ ^«™^ ^ »'" boit . il laiwn. pour donner un wXV Peut^on S^ ' ""■''' ^' "'"^""^"^ te monarque jetait-il la vue^nr i-Iw?]'^ . '^ P"'^' ='"*' '^o"'* ^IV? el IH.lK«n'LtCueur%7buveu^^^^^^^^ ^'^'"eurs labk. CHAPITRE HI. 17 France. C'etail de rappeler Lass, refugie et oublic dans Venise, et de fairc revivre son sysleme, dont il complait rectifier les abus et augmenter les avantages. Rien ne put jamais le detacher de ridee d'une banque generale, chargee de payer toules les detles de rfitat.L'exemple de Venise, de la Hollande, de I'Angleterre, lui faisail illusion. Son secreUire Melon, esprit systeinatique , tres- eclaire, mais chimerique, Jui avait inspire re dessein, et I'y con- firmait de jour en jour. II oubliait la difference etablie par la na- ture enlre le genie des Franijais et des pcuples qu'on youlait imiter ; combien de temps il faut pour faire reussir de tels etablis- sements; que la nation etait alors plus revoltee contre le systeme de Lass qu'elle n'en avait ete d'abord enivree; et que Lass, reve- nant une seconde fois bouleverser la France avec des billets , trouverait des ennemis plus en garde, plus acharnes et plus puissants , qu'U n'en avait eu a combatlre dans ses premiers prestiges. . . U contemplation conlinuelle de cetle grande entreprise qui se- duisait le due d'Orleans, et celle des orages qu'il allait exciter, allumerent son sang. Les plaisirs de la table et de I'amour deran- gerent sa same davanUge. II fut averti par une legere atlaque tfapoplexie qu'il negligea, et qui lui en atlira une seconde, le 2 decembre 1723, a Versailles. II mourut au moment qu'd en fut frappe. Son fils, le due de Chartres, d'un caractere faible et bizarre, plus fait pour une cellule a Sainte-Genevieve, ou il a fini ses jours, que pour gouverner un fitat , ne demanda pas la place de son pere. Le due de Bourbon, arriere-petit-fils du grand Conde, la demanda sur-le-champ au jeune roi majeur. Le roi eUit avec Fleury, ancien eveque de Frejus, son precepteur. II consuUa par an regard ce vieillard ambitieux et circonspecl, qui n'osa pas 8'opposer par un signe de tele a la demande du prince. La palenle de premier minislre eUil deja dressee par le secre- taire d'filat la Vrilliere, et le due de Bourbon fut le mailre du royaume en deux minutes. Le sort des princes de Conde a loujours ele d'etre opprimes par des pretres. Le premier prince de Conde, Louis, oncle de Henri IV, fut loute sa vie persecute par les pretres de Rome el de la France, et assassine sur le champ de bataille immediatement apres la perle de la journee de Jarnac. IS SlfeCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE Hi. 19 Le second, Henri, cousin germain de Henri IV, plus poursuivi encore par les prelres de la Ligue, empoisonne dans Saint-Jean- d Angely. Le troisieme, Henri II. mi, en prison sous le gouvernement du Florenlin Concini, el depuis toujours tourmente par le cardinal de Richelieu, quoiqu'il eut marie sou tils a la niece de ce cardinal Le quatneme, qui est le grand Conde, enferme a Vincennes et au Havre, poursuivi hors du royaume par le cardinal Mazarin. Enhn, celui dont nous parlcns, et que nous appelons Monsieur le Due. supplante, chasse de la cour, et exile par Fleury, eveque de Frejus, qui fut cardinal blenlot apres. aJt'lT'^'"^ '" "' '"" '*^'"""°" 1"' ^'°"'«' '" F^nce, et qui n etail apres lout quun changemenl de minislre, ordinaire dans toutes lescours. "■""Mire Monsieur le Due abandonna d'abord (out le deparlemenl de 1 tgl.se, el le soin de poursuivre les calviuistes el les jansenlstes a 1 eveque de Frejus. se reservant radministration de tout le uTl !^*. P""'S« r''"'*" qxelques difnculles entre eui. Le prince eU.t gouverne par un des freres P4ris. nomme Duvemey qui avail eu la princi^e part a louvrage inoui de la liquidaUoi^ res de Lass. Une autre personne gouvernait plus galement le oiinc^ m.n.s.re;c-e.aillaOlledulraiU„t Pleneu?. ofarirauX" de Prie , jeune femme brillanle, legere. d'un esprit vif et aX Nc. Pour Fleury, Age alors de soixanle et treize ans. il n' eUiUou verne par personne, et il avail sur le roi, son eleve un as~X' d?iS jif '' '--'""^ ^'^ ^'^-p- -r d- rpt:; P4ris.Duverney, etroitement He avec cette marquise de Prie du nr "'?'i' 'r """ '* "" *"««™«'«"' "*"» ?a dependance t^^Tn 1 * "''"'" '* ^'^'P'""'- Nous avons deja vu que e due d Orleans, regent de France, pour finir sa guerre co„tr2 le roi dEspagne Philippe V, avail marie Hnfante, fille de c^ mo narque et de la prince.se de Parme. 4gee alors de cinqtns . vZ' 7 "" "'"='• ""' *" "'''' ••"'"^«- " fo'laitottendre en- viron dixansau moms la naissance incerlaine d'un dauphin I infante a son pere. et pour faire un veritable mariage dii roi de France avec une sceurduducde Bourbon, tres-belle et Ires-ca- 1 i v si fif '■1 i pable de donncr des enfants, elevee a Fonlevrault sous le noni de princesse de Vermandois. On commenca par renvoyer la femme de cinq ans avant de s'assurer d'uneplus mure. On la fit parlir pour TEspagne, sans pressenlir son pere et sa mere, sans adoucir la durete d'une telle demarche par la plus legere excuse. On chargea seulement I'abbe de Livry-Sanguin, fils d'un premier raaitre d'holel du roi, minislre alors en Portugal, de passer en Espagne pour en instruire le roi et la reine, pendant que leur enfant etait en chemin, reconduite a petites journees. Get oubli de toute bienseance n'etait Teffet d'aucune querelle entre les cours de France et d'Espagne. II semblait qu'une telle demarche ne pouvait etre imputee qu'au caraclere de Duvemey, qui, ayant cle garcon cabarelier dans son enfance, chez sa mere en Dauphine, soldat aux gardes dans sa jeunesse, et plonge depuis dans la finance, retint toule sa vie un peu de la durete de ces trois professions. La marquise de Prie ne songea jamais aux consequences, et Monsieur le Due n'etait pas politique. L'infante, qui fut ainsi reconduite, fut depuis reine en Portugal. Elle donna a Joseph I" les enfants qu'on ne voulut pas qu elle donnat a Louis XV, et n'en fut pas plus heureuse. Quelques mois apres son renvoi, madame de Prie courut en posle a Fontevrault essayer si la princesse de Vermandois lui convenait, et si on pouvait s'assurer de gouverner le roi de France par elle. La princesse, encore plus fiere que la marquise n'etait le- gere et inconsideree, la recutavec une hauteur dedaigneuse, el lui fit sentir qu'elle etait indignee que son frere lui depechat une telle ambassadrice. Cette seule enlrevue la priva de la couronne. On la laissa faire la fiere dans son convent ; elle mourut abbesse de BeaumontlezTours trois ans apres. if y avait dans Paris une madame Texier, maitresse d'un ancien mililaire, nomme Vauchon, veuve d'un caissier qui avait appartenu a Pleneuf, pere de madame de Prie. Elle etait retenue pour tou- jours dans son lit par une maladie affreuse qui lui avait ronge la moilic du visage. Vauchon lui parla de Stanislas Leczinski, fait roi de Pologne par Charles XII, depossede par Pierre le Grand, et refugie a Veissembourg, frontiere de I' Alsace, y vivant d'une pension modique que le ministere de France lui payait trcs-mal. 11 avait une fiUe elevee des son berceau dans Ic malheur,dans la 10 SliCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE III. 21 tuodestie, et dans les vertus qui rendaient ses infortunes plus in- leressanles. La dameTexier pria la marquise de la venir voir; «lle lui parla de cetle princesse, pour laquelle on avail propose des parlis un peu au-dessous d'un roi de France. Madame de Prie partil deux jours apres pour Veissembourg, vit celle inforlunee princesse polonaise, Irouva qu'on ne lui en avail pas assez dit, «l la 111 reine. Dans le conseil prive qu'on assembia pour decider de celle al- liance, I'eveque de Frejus dil simplemenl qu'il ne s'etail jamais tnele de mariage. II laissa conclure Taffaire sans la recommander, el sans s'y opposer. La nouvelle reinc fut aussi reconnaissante €nvers Monsieur le Due, que le roi el la reine d'Espagne furenl indignes du renvoi ou plulol de Texpuision de I'infanle. Quelque lemps apres, les murmures de Versailles el de Paris ayant eclate, la defiance enlre Monsieur le Duo el le precepteur elanl augmenlee, la cour ayanl forme deux partis, les esprits commen^anl a s'aigrir, I'eveque declare enlin au prince ministre que le seul moyen d'en prevenir les suites elail de renvoyer de la cour madame de Prie, qui etail dame du palais de la reinc. La marquise, de son cole, resolut, selon les regies de la guerre de cour, de faire partir le precepteur. Une des mortifications du premier ministre etait que lorsqu'il travaillait avec le roi aux affaires d'Elat, Fleury y assislail lou- jours, el que lorsque Fleury faisait signer au roi des ordres pour rfiglise, le prince n'y etait point admis. On engagea un jour le roi a venir tenir son petit conseil sur des objets de peu d'impor- tancc dans la chambre de la reine, et quand Teveque de Frejus voulut entrer, la porte lui ful fermee. Fleury, incertain si le roi fi'elail pas du complot, pril incontinent le parti de se retirer au village d'Issy, enlre Paris et Versailles, dans une petite maison de campagne appartenante a un seminaire : c'elail la son refuge quand il etait mecontenl ou qu'il feignail de I'etre. Le parti du premier ministre parail Iriompber pendant quel- ques heures; mais ce fut une seconde journcc des dupes, sembla- blc a cetle journee si connue, dans laquelle le cardinal de Riche- lieu, chasse par Marie de Medicis el par ses autres ennemis, les cbassa tous a son tour. Le jeune Louis XV, accoutume a son precepteur, aimait en lui UD vieillard qui, n'ayanl rien demande j usque-la pour sa famille ^ inconnue a la cour, n*avail d'autre interet que celui de son pu- pille. Fleury lui plaisail par la douceur de son caractere, par les agrements deson esprit naturel el facile. II n'y avail pas jusqu'a sa physionomie douce et imposanle, et jusqu'au son de sa voix,. qui n'eul subjugue Ic roi. Monsieur le Due ayant recu de la na- ture des qualil6s contraires, inspirait au roi une secrete repu- gnance. Le monarque, qui n'avait jamais marque de volonle ; qui avail vu avec indifference son gouverneur, le marechal de Villeroi, exile parle due d'Orleans, regent; qui, ayant recu pourfemme un enfant de six ans sans en etre surpris, I'avait vue partir comme un oiseau qu'on change de cage ; qui avail epouse la fiUe de Stanislas Lecziuski, sans faire attention a elle ni a son pere;. ce prince enfin a qui tout paraissait egal, fut reellemenl aftlige de la relraite de i'eveque de Frejus. II le redemanda vivement, non pas comme un enfant qui se depite quand on change sa nourrice, mais comme un souverain qui commence a sentir qu'il est le maitre. II fit des reproches a la reine, qui ne repondit qu'avec des larmes. Monsieur le Due fut oblige d'ecrire lui-meme a I'eveque, et de le prier au nom du roi de revenir. Ce petit demele domeslique fut mconlinent le sujet de tous les discours chez tous les courtisans, chez tout ce qui habitait Ver- sailles. Je remarquai qu'il fit plus d'impression sur les esprits que n'en firent depuis loules les nouvelles d'une guerre f uneste a la. France et a I'Europe. On s'agilait, on s'interrogeait, on parlait avec egarement et avec defiance. Les uns desiraienl une granda revolution, les autres la craignaient; tout etait en alarmes. II y avail ce jour-la spectacle a la cour : on jouail Britannicus, Le roi et la reine arriverent une heure plus lard qu'a Tordinaire. Tout le monde s'apercut que la reine avail pleure ; et je me sou- viens que lorsque Narcisse prononca ce vers, Que tardez-vous , seigneur, k la r^udier ? presque loute la salle tourna les yeux sur la reine pour I'observer avec une curiosite plus indiscrete que maligne. Le lendemain, Fleury revint. II affecla de ne se point plaindre ;. et, sans parailre demander ni satisfaction ni vengeance , il ser conlenta d'abord d'etre en secret le maitre des affaires. Enfin, le 11 juin 1726, le roi ayant invite Monsieur le Due a venir cott- 't ■ "-' ^^'^- -*Ai' T^T^J 23 SIECLE DE LOUIS XV. Cher a la maison de plaisance de Rambouillet, et elanl parti, di- sait-il, pour Taltendre, le due de Charost, capilaine des gardes, Vint arreter ce prince dans son apparlemenl; il le mil enlre les mains d'un exempt, qui le conduisit a Chanlilly, sejour de ses peres, et son exil. La dissimulation de I'eveque dans celte execution n*elait pas extraordinaire; celle du roi parutl'etre : noais le precepteur avail inspire a son eleve une partie de son caractere; et d'ailleurs on avait dit depuis si longtemps, Qui ne sait dissimuler ne salt pas regner', que ce proverbe royal, invenlc pour les grandes occa- sions, etait toujours applique aux pelites. Piris-Duverney, des ce moment, ne fut plus le maitre de I'fi- tat. Le roi declara dans un conseil extraordinaire que c'elait lui qui devait I'etre, et que tous les ministres iraient travailler chez leveque de Frejus, c'est-a-dire que Fleury allait regner ; les freres Paris furent exiles, et bientot Duverney fut mis a la Bastille. C'esl ce meme Duverney que nous avons vu depuis jouir d'uneassezgrande fortune, etde beaucoup de consideration. II fut I'inventeur et le vrai fondateur de I'ficole militaire. Pour ma- dame de Prie, elle fut envoyee au fond de la Normandie, ou elle mourut bientdt dans les convulsions du desespoir. II manquait a Fleury d'etre cardinal. C'est une qualile etrangere a rfiglise et a I'Elat, que tout ecclesiastique romain, a portee de I'oblenir, poursuit avcc fureur, que les papes font longtemps es- perer pour avoir des creatures, et que les rois honorenl chez eux par une ancienne coutume qui tient lieu de raison et meme de politique. Monsieur le Due avait secrelemenl empeche par le cardinal de Polignac, ambassadeur a Rome, et par I'abbe de Rothelin, qu'on n'envoy4t cette barretle tant desiree : elle arriva bientdt; Fleury la rcQut avec la meme simplicite apparente qu'il avait re■* « J'ai regretle plus d'une foisla solitude de Frejus. En arrivant, « j'ai appris que le roi etait a rexlremile, et qu'il m'avail fail « I'honneur de me nommer precepteur de son petiUils. S'il avail « ete en elat de m'entendre, je I'aurais supplie de me decharger • d'un fardeau qui me fail trembler ; mais apres sa mort, on n*a « pas voulu m*ecouter : j'en ai ete malade, et je ne me console « point de la perte de ma liberte. » 11 s'en consola en jctant sourdement les fondements de sa gran- deur, ne cherchant point a se faire valoir, nc se plaignaiit de personne, ne s*attirant jamais de refus, n'entrant dans aucune in- trigue ; mais ii s'instruisait en secret de Tadministration interieure du royaume, et de la politique etrangere. II fit desirer a la France, par la circonspection de sa conduite, par la seduction aimable de son esprit, qu'on le vit a la tele des affaires. Ge fut le second pre- cepteur qui gouverna la France : il ne prit point le litre dc pre- mier ministre, el se contenta d'etre absolu. Son administratioD fut moins contestes et moins cnviee que celle de Richelieu et de Mazarin, dans les temps les plus heureux de leur ministere. Sa place ne changea rien dans ses mceurs. On fut etonne que le pre- mier ministre fiit le plus aimable et le plus desinteresse des cour- tisans. Le bien de TElat s'accorda longlemps avec sa moderation. On avail bcsoin de celle paix qu'il aimait ; el tons les ministres etrangers crurenl qu'elle ne serait jamais rompue pendant sa vie. II haissait tout systeme parce que son esprit etail heureusement borne, ne comprenant absolument rien a une affaire de finances, exigeanl seulement des sous-ministres la plus severe economic; incapable d'etre commis d'un bureau , et capable de gouvcrner TElat*. II laissa Iranquillement la France reparer ses pertes, el s'enri- chir par un commerce immense, sans faire aucune innovation, traitant TCltat comme un corps puissant el robustc qui se retablit de lui-merae. Les affaires politiques rentrerenl insensiblement dans leur ordre nalurel. Heureusement pour I'Europe, le premier ministre * Dans quelques livres strangers, on a confondu le cardinal de Flenry avec I'abW Fleury, auteur de VHistoirc de VEglise , ct des excellents di»- cours qui sont si au-dessus de son histoire. Get abb^ Fleury fut confesseur de Louis XV : mais il v^cut a la cour inconnu ; il avail une modestie vraie, et I'autre Fleury avait la modestie d'un ambitieux habile. 3 d' A ngleterre, Robert Walpole, etaild'un caraclere aussi pacifique;, et ces deux hommes continuerenla maintenir presque loule I'Europe dans ce repos qu'elle goiita depuis la paix d'Utrecht jusqu'en 1733 ; repos qui n'avait etctrouble qu'une fois par lesguerres pas- sageres de 1718 et de 1726. Ce fut un temps heureux pour toutes les nations, qui, cullivant a I'envi le commerce et les arts, oublierent toutes leurs calamites passees. En ces temps-la se formaienl deux puissances donl VEurope n'avait point entendu parler avant ce siecle. La premiere etait la. Russie, que le czar Pierre le Grand avait tiree de la barbaric. Cette puissance ne consistait avant lui que dans des deserts im- menses el dans un peuple sans lois , sans discipline, sans con- naissances, tel que de tout temps ont ete les Tarlares. II etait si. elranger k la France el si peu connu, que, lorsqu'en 1 668 Louis XIV avait re<2u une ambassade moscovite, on celebra par une medaille eel evenement, comme I'ambassade des Siamois. Get empire nouveau commenca a influer sur toutes les affaires, et a donner des lois au Nord, apres avoir abaltu la Suede. La se- conde puissance, etablie a force d'art, el sur des fondements moins vastes, etait la Prusse. Ses forces sepreparaient etne se deployaienl pas encore. La maison d'Autriche 6tait restce a peu pres dans I'elat ou la paix d'Utrecht I'avait mise. L'Angleterre conservail sa puissance sur mer, et la Hollande perdait insensiblement la sienne. Ge petit £tat, puissant par le peu d'industrie des aulres nations, tombail en decadence, parce que ses voisins faisaienl eux-memes le com- merce donl il avait ete le maitre. La Suede languissail; le Dane- mark etait florissant ; I'Espagne el le Portugal subsistaient par I'Amerique ; Tllalie, toujours faible, etait divisee en autanl d'fitals qu'au commencement du siecle, si on excepte Mantoue, devenue patrimoine autrichien. La Savoie donna alors un grand spectacle au raonde et une grande le^on aux souverains. Le roi de Sardaigne , due de Sa- voie, ce Viclor-Amedee, lanlot allie, tantol ennemi de la France et de TAutriche, el donl Tincertitude avait passe pour politique, lasse des affaires et de lui-meme, abdiqua par un caprice, en 1730, a r^ge de soixante-qualre ans, la couronne qu'il avait portce le premier de sa famille, el se repentit par un autre caprice un an apres. La sociele de sa maitresse, devenue sa femme, la devotioa. WL, »\ ] 16 SitCLE DE LOUIS XV. et le repos, uo pureni satisfaire une ime occupee pendant cin- quante ans des affaires de TEurope. 11 fit voir quelle est la fai- blesse humaine, et combien il est difficile de remplir son cceur sur le trone et hors du trone. Quatre souverains, dans ce siecle, re- noncerent a la couronne : Christine, Casimir, Philippe V, et Victor- Amedee. Philippe V nerepritle gouvernement que malgre lui ; Casimir n'y pensa jamais ; Christine en fut tentee quelque temps par un degout qu'elle eut a Rome ; Amedee seul voulut remonter par la force sur le trone que son inquietude lui avait fait quitter. La suite de cette tentative est connue. Son fils, Charles-Emma- nuel, aurait acquis une gloire au-dessus des couronnes, en remet- tant a son pere celle qu'il tenail de lui, si ce pere seul I'eut redc- mandee, et si la conjonclure des temps I'eut permis; mais c'etait, dit-on, une mailresse ambitieuse qui voulait rcgner, et tout le conseil a pretendu etre force d'en prevenir les suites funestes, et de faire arreter celui qui avait ete son souverain. II mourut de- puis en prison, en 1732. II est tres-faux que la cour de France voulut envoyer vingt mille hommes pour defendre le pere contre le fils, comme on Ta dit dans des memoires de ce temps-la. Ni Tabdication de ce roi, ni sa tentative pour reprendre le sceptre, ni sa prison, ni sa mort, ne causerent le moindre mouvement chez les nations voisines. Ce fut un terrible evenement qui n'eut au- cune suite. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il est triste pour les princes Chretiens que Mahomet second ait rendu la couronne au sultan Amurat son pere qui avait abdique, et qu'un due de Savoie ait laisse mourir son pere dans un cachot, au lieu de lui rendre sa couronne. Tout etait paisible depuis la Russie jusqu'a TEspagne, lorsque la mort d'Augusle II, roi de Pologne, electeur de Saxe, replongea I'Europe dans les dissensions et dans les malheurs donl elle est si rarement exempte. CHAPITRE rV. 17 CHAPITRE IV. SUnislas Leczinski , deux fois roi de Pologne, et deux fois d^posaSI^. Guerre de i734. La Lorraine r^unie k la France. Le roi Stanislas, beau-pere de Louis XV, deja nomme roi de Pologne en 1704, fut eluroi en 1733, de la maniere la plus le- gitime el la plus solennelle. Mais I'empereur Charles VI fit pro- ceder a une autre election, appuyee par ses armes et par celles de la Russie. Le fils du dernier roi de Pologne, electeur de Saxe, qui avait epouse une niece de Charles VI, I'emporta sur son concur- rent. Ainsi la maison d'Aulriche, qui n'avait pas eu le pouvoir de se conserver I'Espagne et les Indes occidentals, et qui en dernier lieu n'avait pu meme elablir une compagnie de commerce a Os- tende, eut le credit d'oter la couronne de Pologne au beau-pere de Louis XV. La France vit renouveler ce qui etait arrive au prince de Conti, qui, solennellement elu, mais n'ayant ni argent ni troupes, et plus recommande que soutenu, perdit le royaume oil il avait ete appele. Le roi Stanislas alia a Dantzick soutenir son election. Le grand nombre, qui I'avait choisi, ceda bienldt au petit nombre qui lui etait contraire. Ce pays, oii le peuple est esclave, oii la noblesse vend ses suffrages, ou il n'y a jamais dans le tresor public de quoi entretenir les armces, ou les lois sont sans vigueur, ou la li- berie ne produit que des divisions; ce pays, dis-je, se vantait en vain d'une noblesse belliqucuse, qui peut monter a cheval au nombre de cent mille hommes. Dix mille Russes firent d'abord disparaitre tout ce qui etait assemble en faveur de Stanislas. La nation polonaise, qui, un siecle auparavant, regardait les Russes avec mepris, etait alors intimidee et conduite par eux. L'empire dc Russie etait devenu formidable, depuis que Pierre le Grand I'avait forme. Dix mille esclaves russes disciplines disperserent toute la noblesse de Pologne; et le roi Stanislas, renferme dans la ville de Dantzick , y fut bientot assiege par une armee de Russes. L'empereur d'Allemagne, uni avec la Russie, etait sur du suc- ces. II eiit fallu, pour tenir la balance egale, que la France eut envoyc par mer une nombreuse armee ; mais I'Angleterre n'aurait pas vu ces preparalifs immenses sans se declarer. Le cardinal de Fleury, qui menageait I'Angleterre, ne voulut ni avoir la honte d'abandonner entierement le roi Stanislas, ni hasarder de grandes forces pour le secourir. II fit partir une escadre avec quinze cents hommes, commandee par un brigadier. Cet officier ne crut pas que sa commission fut serieuse : il jugea, quand il fut pres de Dantzick, qu'il sacrifierait sans fruit ses soldats ; et il alia rela- cher en Danemark. Le comle de Plelo, ambassadeur de France aupres du roi de Danemark, vit avec indignation cette retraite^ ^g SIECLE DE LOUIS XY. qui lu\ paraissait humiliante. C'elait un jeune homme qui joignail a I'etude des belles-lellres el de la philosophie dcs sentiments heroiques dignes d'une meilleure fortune. U resolut de soulenir Dantzick centre une armeeavec cetle petite troupe, ou d'y pcrir. il ecrivit, avant de s'embarquer, une lettre a I'un des secretaires d'fitat, laquelle finissait par ces mots : « Je suis sur que je n'en « reviendrai pas ; je vous recommande ma femme et mes en- « fanCs. » II arriva a la rade de Dantzick, debarqua, et attaqua I'armeerusse; il y peril perce de coups, corame il I'avail prevu. Sa lellre arriva avec la nouvelle de sa raorl. Dantzick ful pris ; I'ambassadeur de France aupres de la Pologne, qui etail dans cetle place, ful prisonnier de guerre, malgre les privileges de son caraclere. Le roi Stanislas vit sa tele mise a prix par le general des Russes, le comle de Munich, dans la ville de Dantzick, dans un pays libre, dans sa propre patrie, au milieu de la nation qui I'a- I vail elu suivant loutes les lois. II ful oblige de se deguiser en I matelot, el n'echappa qu'a Iravers les plus grands dangers. Re- marquons ici que ce comle marechal de Munich, qui le poursut- vail si cruellement, fut quelque temps apres relegue en Siberie, ou il vecut vingl ans dans une effroyable misere, pour reparaltr e ensuite avec eclat dans Pelersbourg, les derniers jours de sa ttir- bulenle vie. Telle est la vicissitude des grandeurs. A regard des quinze cents Francais qu'on avail si iraprudem- menl envoyes contre une armee enliere de Russes, ils firenl une capitulation honorable : mais un navire de Russie ayanl ete pris tians ce temps la meme par un vaisseau du roi de France, les quinze cents hommes furent relenus el lrans[>ortes aupres de Pe- lersbourg : ils pouvaienl s'attendre a elre inhumainemenl trailes dans un pays qu'on avail regarde comme barbare au commence- ment du siecle. L'imperatrice Anne regnait alors; elle Iraita les ofliciers comme des ambassadeurs, el fit donner aux soldats des rafraichissements el des habits. Cetle generosite inouie jus- qu*alor8 etail en meme temps Teffet du prodigieux changemenl que le czar Pierre avail fail dans la cour de Russie, el une espece de vengeance noble que cetle cour voulail prendre des idees de- savantageuses sous lesquelles I'ancien prejuge des nalions I'envi- sageait encore. Le minislere de France eul enlieremenl perdu cetle reputation oeccssaire au maintien de sa grandeur, si elle n*eul tire vcn- CHAPITRE IV. 29 geance de Toutrage qu'on lui avail fail en Pologne; mais cetle vengeance n'etait rien, si elle n'elait pas utile. L*eloigneraent des lieux ne permettail pas qu'on se porlit sur les Russes ; et la poli- tique voulail que la vengeance lorabal sur I'smpereur. On I'exe- cuta efficacemenl en Allemagne et en Ilaiie. La France s'unit avec I'Espagne et la Sardaigne. Ces trois puissances avaienl leurs in- terels divers, qui tous ooncouraient au meme but d'affaiblir TAu- triche. Les dues de Savoie avaienl depuls longlemps accru petit a petit leurs fitats, Unlol en donnanl des secours aux empereurs, lanlol en se declarant contre cux. Le roi Charles-Emmanuel esperait le Milanais; el il lui fut promis par les ministres de Versailles et de Madrid. Le roi d'Espagne Philippe V, ou plutol la reine Elisa- beth de Parme, son epouse, esperait pour ses enfants de plus grands elablisseraenls que Parme el Plaisance. Fleury n'envisa- geait alors pour la France que la propre gloire de son minislere, fondee sur un succes vraisemblable. II entrevoyail seulement qua la faveur de ce succes il pourrail tirer quelques avanlages solides, a la paix prochaine. Car c'esl I'usage de toutes les puissances chreliennes, depuis plus de deux cents ans, de se faire des guerres passageres qui les ruinent , pour obtenir ensuite quelque de- dommagement par un Iraile que quelques subalternes arrangent au hasard. Personne ne prevoyail alors que la Lorraine dut elre le fruit de cetle guerre : on est presque toujours mene par les evenements, et rarement on les dirige. Jamais negocialion ne ful plus promp- tement lerminee que celle qui unissail ces trois monarques. L'Angleterre el la Hollande, accoutumees depuis longlemps a s€ declarer pour TAutriche contre la France, I'abandonnerenl en celle occasion. Ce ful le fruit de cette reputation d'equite el de moderation que la cour de France avail acquise. L'idee de ses vues pacifiques el depouillees d'ambilion enchainait encore ses ennemis naturels, lors meme qu'elle faisail la guerre ; et rien ne fit plus d'honneur au minislere que d*etre parvenu a faire com- prendre a ces puissances que la France pouvait faire la guerre a rempereur sans alarmer la liberie de TEurope. Tous les polentats regarderenl done Iranquillement ses succes rapides. Une armee de Francais ful maitresse de la campagne sur le Rhin , el les troupes de France, d'Espagne et de Savoie , joinles ensemble, 2. 30 SltCLE DE LOUIS XV. furent les maitresses de I'ltalie. (1734) Le marechal de Villars, declare generalissime des armees francaise, espagnole et piemon- laise , finit sa glorieuse carrieie a quatre-vingl-deux ans , apres avoir pris Milan. Le marechal de Coigny, son successeur, gagna deux batailles', tandis que le ducde Monlemar, general des Es- pagnol8,remporta une victoire dans le royaume de Naples, a Bilonto, dont il eut le surnom. C'est une recompense que la cour d'Espagne donne souvenl, a I'exemple des anciens Romains. Don Carlos , qui avail ete reconnu prince hereditaire de Toscane , fut bienlot roi de Naples el de Sicile. Ainsi I'empereur Charles VI perdil presque loule I'ltalie, pour avoir donne un roi a la Pologne ; el un fils du roi d'Espagne eut en deux campagnes ces deux Siciles , prises el reprises tanl de fois auparavant, et I'objet con- linuel de ratlention de la maison d'Autriche pendant plus de deux siecles. Cette guerre d'ltalie est la seule qui se soil terminee avec un succes solide pour les Francais depuis Charlemagne. La raison en est qu'ils avaient pour eux le gardien des Alpes , devenu le plus puissant prince de ces conlrees ; qu'ils etaicnl secondes des meil- leures troupes d'Espagne, et que les armees furent loujours dans Fabondance. L'empereur fut alors trop heureux de recevoir des conditions de paix que lui offrait la France victorieuse. Le cardinal de Fleury, minislre de France, qui avail eu la sagesse d'empecher I'Angle- terre el la Hollande de prendre pari a cette guerre , eut aussi celle de la terminer heureusement sans leur intervention. Par cette paix , don Carlos fut reconnu roi de Naples et de Sicile. L'Europe elail deja accoutumee a voir donner et changer desfilals. On assigna a Francois, ducde Lorraine, gendre de rempereur Charles VI , I'heritage des Medicis qu'on avail aupa- ravant accorde a don Carlos ; et le dernier grand-due de Toscane, pres de sa fin, demandait « si on ne lui donnerait pas un troisieme It heritier, el quel enfant I'Empire el la France voulaient lui «« faire. >• Ce n*est pas que le grand-duche de Toscane se regardal comme un fief de I'Empire ; mais I'empereur le regardail comme tel, aussi bien que Parme et Plaisanc« , revendiques loujours par le saint-siege, el donl le dernier due de Parme avail fait hommage > Celle de Parme, le 29 juin ; celle de Guastalla, le <9 wplembre <734. Ed. ^-" ■''^ CHAPITRE IV. 31 au pape : tanl les droits changent selon les temps I Par cette paix, ces duches de Parme el de Plaisance , que les droits du sang tlon- naienl a don Carlos , fils de Philippe V et d'une princesse de Parme, furent cedes a I'empereur Charles VI en propriete. Le roi de Sardaigne , due de Savoie , qui avail compte sur le Milanais , auquel sa maison , toujours agrandie par degres , avail depuis longtemps des pretentions, n'en obtint qu'une petite parlie, comme le Novarrois, le Tortonois , les fiefs des Langhes. II lirait SOS droits sur le Milanais d'une fille de Philippe II , roi d'Espagne, donl il descendail. La France avail aussi ses anciennes preten- tions par Louis XII, heritier nalurel de ce duche. Philippe V avail les siennes par les infeodations renouvelces a qualre rois d'Espagne ses predccesseurs ; mais toutes ces pretcnlions cederent a la convenance etaubien public. L'empereur garda le Milanais; ce n'est pas un fief dont il doive toujours donner l-investiture : c'etait originairement le royaume de Lombardie annexe a I'Empire, devenu ensuite un fief sous les Visconlis et sous les Sforces, et aujourd'hui c'esl un Etat apparlenant a I'empereur; ^tatdemem- bre, a la verite, mais qui, avec la Toscane et Mantoue, rend la mai- son imperiale trespuissanle en Italic. Par ce traite, le roi Stanislas renoncait au royaume qu'il avail eu deux fois , et qu'on n'avait pu lui conserver ; il gardait le litre de roi ; il lui fallait un autre dedommagement , et ce dedommage- ment fut pour la France encore plus que pour lui. Le cardinal de Fleury se conlenla d'abord du Barrois , que le due de Lorraine devait donner au roi Stanislas , avec la reversion a la couronne de France; et la Lorraine ne devait elre cedee que lorsque son due serait en pleine possession de la Toscane. C'etait faire dependre cette cession de la Lorraine de beaucoup de hasards. C'etait peu profiler des plus grands succes et des conjonctures les plus favora- bles. Le garde des sceaux, Chauvelin, encouragea le cardinal de Fleury a se servir de ses avanlages : il demanda la Lorraine aux memes conditions que le Barrois, et il I'obtint. II n'en couta que quelque argent comptant , el une pension de Irois millions cinq cent mille livres faile au due Francois, jusqu'a ce que la Toscane lui fut echue. Ainsi la Lorraine fut reunie a la couronne irrevocablemenl ; reunion tanl de fois inutilement tenlee. Par la un roi polonais fut transplante en Lorraine : cette province eut pour la derniere 33 SltCLE DE LOUIS XV. ' ' fois un souveraiii residant chez elle, el il la rendit heureuse. La maison regoanle des princes lorrains devint souveraine de la Toscane. Le second tils du roi d'Espngne fut transfere a Naples. On aurait pu renouveler la medaille de Trajan : regna assignata, Les Xrtnts donnes. Tout resla paisible enlre Ics princes Chretiens, si on en excepte les querelles iiaissantes de TEspagne et de TAngleterre pour Ic <;ommerce de TAmerique. La cour de France continua d'etre re- gardee comme I'arbitre de I'Europe. ^ L*empereur faisait la guerre aux Turcs sans consulter I'Empire ; cette guerre fut malheureuse : Louis XV le lira de ce precipice par sa mediation ; et M. de Villcneuve, son ambassadeur a la Porte Ottomane, alia en Hongrie conclure en 1739, avcc le grand-vizir, la paix dont Tempereur avait besoin. Presque dans le meme temps le nom seul de Louis XV pacifiait rEtat de Genes, menace d'une guerre civile : il soumit et adoucit pour un temps les Corses, qui avaient secoue le joug de Genes. Le meme ministere etendail ses soins sur Geneve, et apaisait une guerre civile elevee dans ses murs. II interposait surtout ses bons offices entre TEspagne et I'An- gleterre, qui commencaient a se faire sur mer une guerre plus ruineuse que les droits qu'elles se disputaient n'elaient avanta- geux. On avait vu le meme gouvernemem, en 1735, employer sa mediation entre I'Espagne et le Portugal : aucun voisin n'avait a se plaindre de la France, et loutes les nations la regardaient comme leur mediatrice et leur mere commune. Cette gloire el cette felicite ne furenl pas de longue duree. CHAPITRE V. Mori de I'empereur Cliarles VI. La succession de la maison d'Autrictie dis- pute par quatre puissances. La reine de Hongrie reconnue dans toui les Etats de son pOre. La Silfeie prise par le roi de Pnisse- L'empereur Charles VI mourut au mois d*oclobre 1740, a I'^ge de cinquante-cinq ans. Si la mort du roi de Pologne , Auguste II , avait causfi de grands mouvements, celle de Charles VI, dernier prince de la maison d'Autriche , devait entrainer bien d'autres revolutions. L'herilage de cette maison sembla surtout devoir etre dechire ; 11 s'agissait de la Hongrie et de la Boheaie, royaumeb CHAPITRE V. 3, fopjgtemps electifs, que les princes autrichiens avaient rendus he- reditaires ; de la Souabe autrichienne, appelee Autriche anterieure : de la haute et basse Autriche , conquises au treizierae siecle; de la Styrie, de la Carinthie, de la Carniole, de la Flandre, du Burgau, des quatre villes forestiercs, du Brisgaw, du Frioul, du Tyrol, du Milanais, du Mantouan, du duche de Parme : a I'egard de Naples et de Sicile, ces deux royaumes etaienl entre les mains de don Carlos, fils du roi d'Espagne Philippe V. Marie-Therese , fille ainee de Charles VI , se fondait sur le droit nalurel qui I'appelait a I'heritage de son pere, sur une pragma- tiquesolennellequi con firmaitce droit, et surlagarantiede presque toules les puissances. Charles-Albert , electeur de Baviere, de- mandait la succession en vertu d*un testament de l'empereur Ferdinand I«% frere de Charles-Quint. Auguste HI, roi de Pologne, electeur de Saxe, alleguait des droits plus recenls, ceux de sa femme meme, fille ainee de I'em- pereur Joseph I'% frere aine de Charles VI. Le roi d'Espagne etendait ses pretentions sur tous les fitats de la maison d'Autriche, en remontant a la femme de Philippe H , Hllede l'empereur Maximilieu IL Philippe V descendait de cette princesse par les femmes. Louis XV aurait pu pretendre a cette succession a d'aussi justes litres que personne, puisqu'il descen- dait en droite ligne de la branche ainee masculine d'Autriche par la femme de Louis XIII , et par celle de Louis XIV; mais il lui convenait plus d'etre arbitre et protecteur que concurrent; car il pouvaitalors decider de cette succession et de TEmpire, de con- cert avec la moitie de I'Europe ; mais s'il y eut pretendu , il aurait eu I'Europe a combattre. Cette cause de lant de letes couronneeg fut plaidee dans lout le monde Chretien par des memoires publics ; tous les princes , tous les particuliers y prenaient interet. On s'attendait a une guerre universelle ; mais ce qui conf ondit la po- litique huroaine , c'estque I'orage commenca d'un cote ou per- sonne n'avait tourne les yeux. Un nouveau royaume s'etait eleve au commencement de ce siecle : l'empereur Leopold, usant du droit que se sont toujours atlribue les empereurs d'Allemagne de creer des rois, avait erige, en 1701 , la Prusse ducale en royaume, en faveur de I'electeur deBrandebourg, Frederic-Guillaume. La Prusse n*eteit encore qu'un vastc desert; mais Frederic-Guillaume II, son second roi. S4 SifeCLE DE LOUIS XV. qui avail une poHlique differente de celle des princes de son temps, depensa pres de vingt-cinq millions de noire monnaie a faire defricher ces lerres, a batir des villages, et a les peupler : il y fil venir des families de Souabe el de Franconie ; il y atlira plus de seize mille emigrants de Sallzbourg , leur fournissanl a lous de quoi s'etablir el de quoi Iravailler. En se formani ainsi un nouvel fital, il creait, par une economie singuliere, une puis- sance d*une autre espece : il meltail lous les mois environ qua- ranle mille ecus d'Allemagne en n erve, tanlot plus, tanlol moins ; ce qui lui composa un Iresor immense en vingl-huil an- nees de regne. Ce qu'il ne mellail pas dans ses coffres lui servail a former une armee d'environ soixanle el dix mille hommes choisis, qu'il disciplina lui-meme d'une maniere nouvelle, sans neanmoins s'en servir; mais son fils Frederic Illtil usage de loul ce que le pere avail prepare. II previl la confusion generale , el ne perdil pas un moment pour en profiler. II prelendail en Silesie qualre duches. Ses aieux avaienl renonce a toutes leurs preten- tions par des transactions reilerees, parcequ'ils etaient faibles : il se trouva puissanl , el il les reclama. Deja la France , I'Espagne , la Bavicre , la Saxe , se remuaienl pour faire un empereur. La Baviere pressait la France de lui pro- curer au moins un parlage de la succession autrichienne. L'elec- teur reclamail lous ces heritages par ses ecrils ; mais il n'osail les demander loul entiers par ses minislres. Gependanl Marie- Therese, epouse du grand-due de Toscane Francois de Lorraine, se mil d'abord en possession de lous les domaines qu'avait laisses son pere; elle re "^ ^Z"*'" ^ ^ manquerait pas une s. lui-meme; mais . prev.t que a tra ,^ .^^^ belle occasion de le seconder. L interet ae la ra Albert, avaii etc r ^^^ ^^ Baviere. La irichiens, qu, ui avaien rav, usq ^.^. ^^ ^^. France trouvail son avanlage a le vciger, u i • MaximdienMarie. Ed. 4 f- CHAPITRE VI. 3^ procurer a la fois I'Empire et une parlie de la succession autri- chienne ; par la on enlevait a la nouvelle maison d'Aulriche-Lor- raine cette superioritc que I'ancienne avail affeclee sur tous les autres polentats de I'Europe : on aneantissail oelte vieille rivalile entre les Bourbons et les Autrichiens ; on faisait plus que Henri IV et le cardinal de Richelieu n'avaient pu esperer. Frederic III, en (larlant pour la Silesie, entrevit le premier celte revolution, dont aucun fondement n'etail encore jete : il est si vrai qu'd n'avait pris aucune mesure avec le cardinal de Fleury que le marquis de Beauvau, envoye par le roi de France a Berlin' pour comphmenter le nouvean monarque, ne sul, quand il vit les premiers mouvemenls des troupes de Prusse, si elies etaient des- tinees conlre la France ou contre I'Autriche. Le roi Frederic lui dil en partanl : « Je vais, je crois, jouor votre jeu : si les as me ■ viennenl, nous parlagcrons *. » Ce fut la le seul commencement de la negociation encore eloi- gnee. Le min^lere de France hesita longtcmps. Le cardinal de Fleury age de quatre-vingl-cinq ans , ne voulait commettre ni sa reputation, ni sa vieillesse, ni la France, a une guerre nouvelle. La pragmatique sanction, signee et aulhcntiqueraent garautie le retenait. Le comle, depuis marechal due de Belle-Isle, et son frere, petit- fils du fameux Fouquet, sans avoir ni I'un ni I'autre aucune in- fluence dans les affaires, ni encoi e aucun acces aupres du roi ni aucun pouvoir sur I'esprit du cardinal de Fleury, O.ent resoudre celte entreprise. Le marechal de Belle-Isle. sans avoir fait de grandes choses, ayait unegrandercpulation.il n'avait ele ni minislre ni general ct passait pour rhomme le plus capable de conduire un Etat et une armee : mais une sanle tres-faible delruisait souvent en lui le fruit de tant de talents. Toujours en action, toujours plein de projels. son corps pli.iit sous les efforts de son Sme : on aimait en u, la pol.tesse d'un courtisan aimable, et la franchise appa- rente d un soldat. II persuadait sans s'exprimcr avec eloquence, parce qu il paraissait toujours persuade. Son frcrc, le chevalier de Belle-Isle, avail la memo ambition, q«*elt"S„^tt'Fl"„?vi™^'' '"Pf 0" ™' "J" P™'»«- n Pe-t 'Sourer .n, r ' ^^ ' absoluroent k ouel prince U avail affaire. VOLI. _ SIECIE DE IOCS i». »**- u 3g SIECLE DE LOUIS XV. les memes vues, mais encore plus approfondies, parce qu'une sante plus robuste lui permettail un travail plus infaligable. Son air plus sombre elail moins engageant, mais il subjuguail lorsque son frere insinuait. Son eloquence ressemblail a son courage ; on y sentail, sous un air froid et profonderaent occupe, quelque chose de violent ; il elait capable de lout imaginer, de lout arran- ger, el de tout faire. Ces deux hommes, elroilemenl unis, plus encore par la confor- mite des idees que par le sang, enlreprirent done de changer la face de I'Europe. Tout sembla d'abord favorable. Le marechal de Belle-Isle fut envoye a Francfort, au camp du roi de Prusse, et a Dresde, pour concerter ces .vastes projets que le concours de lant de princes semblait rendre infaillibles. II fut d'accord de tout avec le roi de Prusse et le roi de Pologne, elecleur dc Saxe. II negociait dans loute TAllemagne ; il elait I'^me du parti qui devait procurer Tcmpire et des couronnes heredilaires a un prince qui pouvait peu par lui-meme. La France donnait a la fois, a Telecteur de Baviere, de Targent , des allies, des suffrages, et des armees (31 juillet 1741). Le roi, en lui envoyant I'armee quMl lui avait promise, crea, par leltres patentes*, son lieutenant general celui qu'il allait faire empereur d'Allemagne. L'electeur de Baviere, fort de tant de secours, entra facile- menl dans I'Autriche, tandis que la reine Marie-Therese resislait a peine au roi de Prusse. II se rend d'abord mailre de Passau, ville imperiale qui appartient a son eveque, et qui separe la haute Autriche de la Baviere. II arrive a Lintz, capilale de cette haute Autriche (15 augusle). Des partis poussent jusqu'a trois lieues de Vienne ; I'alarme s'y repand ; on s'y prepare a la hMe a soutenir un siege : on detruit un faubourg presque tout entier el un palais qui touchait aux fortifications : on ne voit sur le Da- nube que des bateaux charges d'effets precieux qu'on cherche a meltre en surete. L'elecleur dc Baviere fit meme faire une som- mation au comte de Kevenhuller, gouvemeur de Vienne. L'Anglelerre et la HoUande etaient alors loin de lenir cette ha- lance qu'elles avaient longtemps pretendu avoir dans leurs mains ; les etats-generaux restaient dans le silence a la vue d'une arraee * Ces leltres ne furent sceUees que Ic 20 augnstc 1741. CHAPITRE VI. 39 du marechal de Maillebois, qui elait en Vestphalie ; et cette meme armee en imposait au roi d'Anglelerre, qui craignait pour ses £lal8 de Hanovre, ou il elait pour lors. II avait leve vingt-cinq mille hommes pour secourir Marie-Therese ; mais il fut oblige de I'abandonner a ia tele de cette armee levee pourelle, et designer un traite de neutralite. II n'y avait alors aucune puissance, ni dans I'Empire ni hors de TEmpire, qui soulint cette pragmalique sanction que tant d'fitats avaient garantie. Vienne, mal fortifiee par le cote menace, pou- vait a peine resister : ceux qui connaissaient le mieux I'Allemagne et les affaires publiques croyaient voir, avec la prise de Vienne, le chcmin ferme aux Hongrois, tout le resle ouvert aux armees victorieuses, loules les pretentions reglees, et la paix rendue a I'Empire et a I'Europe. (11 septembre 1741) Plus la ruine de Marie-Therese paraissail inevitable, plus elle eut de courage ; elle elait sortie de Vienne, et elle s'elait jetee cntre lea bras des Hongrois, si severemenl trai- les par son pere et parses aieux. Ayant assemble les qualre or- dres de rfitat a Presbourg, elle y parut tenant entre ses bras son fils aine, presque encore au berceau ; et leur parlant en latin, langue dans laquelle elle s'exprimail bien, elle leur dit a peu pres ces propres paroles : « Abandonnee de mes amis, persecutee par « mes ennemis, allaquee par mes plus proches parents, jen'ai de « ressources que dans voire fldelite, dans voire courage, el dans « ma Constance ; je mels en vos mains la fille et le fils de vos rois, « qui altendenb Je vous leur salut. » Tons les palalins altendris et animes lirerenl leurs sabres en s'ecriant : Moriamur pro rege nostra Mana-Theresia I Mourons pour noire roi Marie-Therese ! lis donnent loujours le litre de roi a leur reine'. Jamais prin- cesse, en effet, n'avait mieux merile ce litre. lis versaient des larmes en faisant serment de la defendre; elle seule retint les siennes; mais quand elle fut retiree avec ses filles d'honneur, elle laissa couler en abondance les pleurs que sa fermete avait rete- nus. Elle elait enceinte alors, et il n*y avait pas longlemps qu'elle avait ecrit a la duchesse de Lorraine, sa belle-mere : « J'i- «gnore encore s'il me reslera une ville poury faire mes couches. « ' iMaried'Anjou, dansle quatorzieme siecle, et Elisabeth de Luxembourg, dans le quiniieme, avaient le litre de rex, dans des actes publics. Eo. [ n 10 SIECLE DE LOUIS XV. Dans eel elat, elle excilail Ic zele de ses Hongrois; elle rani- mail en safaveur I'Angleterre et la Hollande, qui lui donnaien des secours d'argent : elle agissait dans I'Empire; elle negociait avec le roi de Sardaigne, et ses provinces lui fournissaienl des soldats. _ . »--» Toule la nation anglaise s'anima en sa favour. Ce pcuple n est pas de ceux qui altendent I'opinion de leur maitre pour en avoir une.Desparticuliersproposerent de faire un don gratuit a cette princesse. La duchesse de Marlborough, veuve de celui qui avail cocnbattu pour Charles VI, assembla les principals dames de Londres ; elles s'engagerent a fournir cent mille livres sterling, el la duchesse en deposa quarante mille. La reine de Hongrie eul la grandeur diime de ne pas recevoir cet argent qu'on avail la gene- rosile de lui offrir ; elle ne voulut que celui qu'elle altendail de la nation assemblee en parlement. m^.u., On croyait que les armees de France el de Baviere v.cloneu- ses allaient assieger Vienne. II faul toujours faire cc que I ennemi crainl. Cetait un de ces coups decisifs, une de ces occasions que la fortune presente une fois. et qu'on ne retrouve plus. L e lecteur de Baviere avail ose concevoir Tesperance de prendre Vienne ; mais il ne s'etait point prepare a ce siege ; il n'avait ni gros canons m munitions. Le cardinal de Fleury n'avait point porle ses vues jusqu'a lui donner cette capilale : les parlis mitoyens lui plai- saient • 11 aurait voulu diviscr les depouilles avant de les avoir; el il ne pretendait pas que I'empereur qu'il faisait eul loute la succession. , ,. L'armee de France, aux ordres de Teleclcur de Baviere , mar- cha done vers Prague, aidee devingl mille Saxons, au mois de novembre 1741. Le comte Maurice de Saxe, frere naturel du roi de Pologne, altaqua la ville. Ce general, qui avail la force du corps singuliere du roi son pere, avec la douceur de son esprit et la meme valeur, possedait de plus grands talents pour la guerre. Sa reputation Tavait fait elire d'une commune voix due de Cour- lande le 28 juin 1726; mais la Russie, qui donnail des lois au Nord, lui avail enleve ce que le suffrage de lout un peuple lui avail accorde : il s'en consolait dans le service des Franqais el dans les agrements de la sociele de cette nation, qui ne le con- naissail pas encore assez. II lallait ou prendre Prague en peu de jours, ou abandonner •< CHAPITRE VI. 41 Tentreprise. On manquait de vivres, on etait dans une saison avan- cee; cette grande ville, quoique mal fortifiee, pouvait aisement soutcnir les premieres attaques. Le general Ogiivy, Iriandais de naissance, qui commandait dans la place, avail trois mille hom- mes de garnison ; el le grand-due marchait au secours avec une armee de trente mille hommes; il tiait deja arrive a cinq lieues de Prague le 25 novembre; mais la nuit meme les Francais et les Saxons donnerent I'assaut. lis firent deux attaques avec un grand fracas d'artillerie, qui altira toute la garnison de leur cote : pendant ce temps le comte de Saxe, en silence, fait preparer une seule echelle vers les rem- parls de la ville neuve, a un endroil tres-eloigne de Tattaque. M. de Chevert, alors lieutenant-colonel du regiment de Beauce, monlc le premier. Le fils aine du marechal de Broglie le suit : on arrive au remparl , on ne Irouve a quelques pas qu'une senli- nelle ; on raonte en foule, et on se rend maitre de la ville ; toute la garnison met bas les armes. Ogiivy se rend prisonnier de guerre avec ses trois mille hommes. Le comte de Saxe preserva la ville du pillage, et ce qu'il y eul d'etrange, c'est que les conquerants el le peuple conquis furent pele-raele ensemble pendant trois jours ; Fraiuais, Saxons, Bavarois, Bohemiens, etaienl confondus, ne pouvanl se reconnaitre, sans qu'il y eiit une gouttc de san*' repandu. L'elecleur de Baviere, qui venail d'arriver au camp, rendil compte au roi de cc succes, comme un general qui ecrit a celui donl il commande les armees : il fit son entree dans la capilale de la Boheme le jour meme de sa prise, et s'y fit couronner au mois de decembre. Cependanl le grand-due , qui n'avail pu sauver celle capilale, el qui ne pouvait subsister dans les environs, se relira au sud-est de la province, el laissa a son frere, le prince Charles de Lorraine, le commandement de son armee. Dans le meme temps le roi de Prusse se rendait maitre de la Moravie, province situee enlre la Boheme et la Silesie; ainsi Ma- rie-Therese semblail accablee de lous cotes. Deja son competi- leur avail ete couronne archidue d'Autriche a Lintz : il venail de prendre la couronne de Boheme a Prague, et de la il alia a Francfort recevoir celle d'empereur sous le nom de Charles VIL Le marechal de Belle-Isle, qui I'avail suivi de Prague a Franc- fort, scmblait etre plutot un des premiers clecteurs qu'un ambas- 42 SlfeCLE DE LOUIS XV. f V; sadeur de France. II avail manage loules les voix, et diiige tou- tes les negocialions : il recevait les honneurs dus au representant d'un roi qui donnait la couronne impcriale. L'eleeleur de Mayence, qui preside a Teleclion, lui donnait la main dans son palais, et I'ambassadeur ne donnait la main chez lui qu'aux. seuls elec- teurs, et prenait le pas sur lous les autres princes. Ses pleins pouvoirs furent remis en langue francaise : la chancellerie alle- mande, jusque-la, avait toujours exige que de telles pieces fus- sent presentees en latin, comme elant la langue d'un gouverne- ment qui prend le litre d'empire romain. Charles-Albert ful elu le 4 Janvier 1742, de la manierc la plus tranquille et la plus so- lennelle : on I'aurait cru au comble de la gloire et du bonheur ; mais la fortune changea, et il devint un des plus inforlunes prin- ces de la lerre par son elevation meme. ; ■■ CHAPITRK VII. D^stres rapides qui suivent les succes de I'empereur Charles -Albert de Baviere. On commencait a sentir la faule qu'on avail faite de n'avoir pas assez de cavalerie. Le marechal de Belle-Isle elait malade a Francforl, el voulait a la fois conduire des negocialions, et com- mander de loin une armee. La mesintelligence se gUssait enlre les puissances alliees ; les Saxons se plaignaient beaucoup des Prus- siens, el ceux-ci des Francjais, qui a leur tour les accusaient. Marie-Therese elait soulenue de sa fermete, de I'argent de I'An- glelerre, de celui de la Hollande et de Venise , d'emprunls en Flandre ; mais surloul de I'ardeur desesperee de ses troupes, ras- semblees enfin de loules parts. L'armee francaise, sous des chefs peu accredites, se detruisail par les fatigues, la maladie, et la de- sertion : les recrues venaienl difficilement. II n*enetait pas comme ' des armees de Guslave-Adolphe, qui, ayant commence ses cam- pagnes en AUemagne avec moins de dix mille hommes, se trou- vait a la tele de trente mille, augmenlant ses troupes dansje pays meme a mesure qu'il y faisait des progres. Chaque jour affaiblis- sait lesFrancais vainqueurs, el forlifiail les Aulrichicns. Le prince Charles de Lorraine, frere du grand-due, elait dans le milieu de la Boheme avec trente-cinq mille hommes : lous les habitants CHAPITRE VII. ^3 ^talent pour lui ; il commencait a faire avec succes une guerre de- fensive, en tenant conlinuellement son ennemi en alarmes, en coupanl ses convois, en le harcelant sans reUche de lous les'co- les par des nuees de houssards, de croales, de pandours, et de lalpaches. Les pandours sonl des Sclavons qui habitent le bord de la Drave et de la Save ; ils ont un habit long : iis portent plu- sieurs pislolels a la ceinture, un sabre et un poignard. Les talpa- ches sonl une infanterie hongroise armee d'un fusil, de deux pislolels, et d'un sabre. Les creates, appeles en France cravales, sonl des miliciens de Croalie. Les houssards sont des cavaliers hongrois, monies sur de pelils chevaux legers et infaligables : ils desolent des troupes dispersees en tropde posies et peu pourvues de cavalerie. Les troupes de France el de Baviere etaient partout dans ce cas. L'empereur Charles VII avail voulu conserver avec peu de monde une vasle etendue de terrain, qu'on ne croyait pas la roine de Hongrie en etat de reprendre; mais lout ful repris, et la guerre ful enfin reporlee du Danube au Rhin. Le cardinal de Fleury, voyant tanl d'esperances trompees, tant de desaslres qui succedaienl a de si heureux commencements , ecrivit au general de Koenigseck une lellre qu'il lui fit rendre par le marechal de Belle-Isle meme : il s'excusait , dans celle letlre, de la guerre enlreprise, et il avouail qu'il avait ele entraine aii dela de ses mesures (11 juillel 1742). « Bien des gens savent, « dit-il, combien j'ai ele oppose aux resolutions que nous avons « prises, el que j'ai ele en quelque facon force d'y consenlir. Vo- « Ire Excellence est trop inslruile de tout ce qui se passe, pour ne « pas deviner celui qui mil lout en oeuvre pour determiner leroi « a entrer dans une ligue qui elait si conlraire a mon gout et a « mes prinoipes. » Pour toule reponse, la reine de Hongrie fit imprimer la lellre du cardinal de Fleury. II est aise de voir quels mauvais effets celle lellre devait produire : en premier lieu, elle rejetait evidemment tout le reproche de la guerre sur le general charge de negocier avec le comle de Koenigseck, el ce n'etail pas rendre la negocia- tion facile que de rendre sa personne odieuse ; en second lieu, elle avouail de la faiblesse dans le minislere, et c'eiit ele bien mal connailre les hommes que de ne pas prevoir qu'on abuse- rail de celle faiblesse, que les allies de la France se refroidiraient, •I que ses ennemis s'enhardiraient. Le cardinal voyant la iettre 44 SIECLE DE LOUIS XV. imprimee, en ecrivit une seconde, dans laquelle il se plaint ai general aulrichien de ce qu'on a public sa premiere letire, et lui dit « qu'il ne lui ecrira plus desormais ce qu'il pense. » CeUe seconde lelire lui fit encore plus de tort que la premiere. II les fit desavouer toutes deux dans quelques papiers publics ; et ce de- saveu, qui nc trompa personne, mil le comble a ses fausses de- marches, que les esprits les molns critiques excuserent dans un hommede qualre-vingt-sept ans', fatigue des mauvais succes. Enfin, I'empereur bavarois fit proposer a Londres des projets de paix, et surtout des secularisations d'eveches en faveur d'Hano- vre. Le minislere anglais ne croyait pas avoir besoin de Tempe- reur pour les obtenir. On insulla a ses offres en les rendanl pu- bliques, et I'empereur fut reduit a desavouer ses offres de paix, tomme le cardinal de Fleury avait desavoue la guerre. La querelle s'echauffa plus que jamais. La France d'un cote, I'Angleterre de Tautre, parlies principales en effet sous le nom d'auxiliaires, s'efforcerent de tenir la balance a main arraee. La maison de Bourbon fut obligee, pour la seconde fois, de tenir tele a presquetoute I'Europe. Le cardinal de Fleury, trop &ge pour soutenir un si pesant far- deau, prodigua a regret les Iresors de la France dans celte guerre entreprise malgre lui, et ne vit que des malheurs causes par des fautes. II n'avait jamais cru avoir besoin d'une marine : ce qui restait a la France de forces maritimes fut absolument delruit par les Anglais , et les provinces de France furent exposecs. L'em- pereur que la France avait fait fut chasse trois fois de ses propres filals. Les armees francaises furent delruiles en Baviere et en Bo- heme, sans qu'il se'donnat une sculc grande balaille; et le de- saslre fut au point, qu'une relraile dont on avait besoin , et qui paraissait impralicable, fut regardee comme un bonheur signale. ( Dccembre 1742) Le marechal de Belle-Isle sauva le resle de I'ar- mee franqaise assiegee dans Prague, et ramena environ Ireize mille hommes de Prague a £gra par une route detournee de trente-huit lieues, au milieu dos glaces, et a la vue des ennemis. Enfin la guerre fut reportee du fond de I'Autriche au Bhin. (29 Janvier 1743) Le cardinal de Fleury mourut au village » Llsez qHatre'Vingt-neuf ons. ED. » ■5 CHAPITRE VIIL d7ssy, au milieu de tous ces desastres, et Jaissa les affaires de la guerre, de la marine, de la finance, el de la politique, dans une cnse qui altera la gloire de son minislere, elnon ia Iranquillilede son ame. Louis XV pril des lors la resolution de gouverner par lui-meme et de se mettre a la lete d'une armce. II se trouvait dans la meme situation oil fut son bisaieul dans une guerre nominee, comme eclle-ci, la guerre de la succession. II avait a soutenir la France et TEspagne conire les memes en- nemis. c'est-a-dire contre I'Autriche, I'Angleterre, laHollande, et a Savo.e. Pour se faire une idee juste de I'embarras qu'eprouvait le roi des perils ou I'on elait ex|K>se, et des rcssources qu'il eut ■I faul voir comment I'Angleterre donnait le mouvement a loule* ces secousses de I'Europe. CHAPITKE VIII. Conduite de I'Angleterre, de lEspagne. du roi de Sardaigne, .lis put*, sances d'ltalie. Bataille de Toulon. On sail qu'apres I'heureux temps de la paix d'Utrecht, lees de armee espagnole ou que Ton allait dans I'instant 60 SlilCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE VIII. 51 bombarder la ville. On tint quelques conferences; le capitaine anglais dit entin, en meltant sa montre sur le tiilac, qu'il ne don- nail qu'une heure pour se determiner. Le port elait mal pourvu d'artillerie ; on n'avait point pris les precautions necessaires con- tre une insuite qu'on n'altendait pas. On vit aiors que I'ancienne maxime, Qui est mattre de la mer iest de la tcrre, est souvent vraie. On fut oblige de prometlre tout ce que le commandant anglais voulait, et meme il fallut le tenir jusqu'a ce qu'on etil le temps de pourvoir a la defense du port et du royaume. Les Anglais eux-memes sentaient bien que le roi de Naples ne pouvait pas plus garder en Italic celte neulralite forcee, que le roi d'Angleterre n*avait garde la sienne en Allemagne. (Decembre 1743) L'armee espagnole, commandee par le due ie Montemar, venue en Italic pour soumettre la Lombardie, se retirait alors vers les fronlieres du royaume de Naples , toujours pressee par les Autrichiens. Alors le roi de Sardaigne retourna dans le Piemont et dans son duche de Savoie , ou les vicissitudes de la guerre demandeient sa presence. L'infanl don Philippe avail en vain lente de debarquer a Genes avec de nouvolles troupes. Les escadres d'Angleterre Ten avaient empeche; raais il avail pe- nctre par terre dans le duche de Savoie, et s'en elait rendu maitre. C'est un pays presque ouvert du cole du Dauphine. II est sterile et pauvre. Ses souverains en retiraient alors a peine quinze cent mille livres de revenu. Charles-Emmanuel, roi de Sardaigne et due de Savoie, I'abandonna pour aller defendre le Piemont, pays plus important. On Yoit, par cet expose, que tout ctait en alarmes, et que toutes les provinces eprouvaient des revers du fond de la Silesie au fond de I'llalie. L*Aulriche n'elait alors en guerre ouverte qu'avec la Baviere , et cependant on desolail I'llalie. Les peuples du Milanais, du Mantouan, de Parme, de Modene, de Guastalla, regardaienl avec une tristesse impuissante toutes ces irruptions et toutes ces secousses, accoutumes depuis longlemps a etre le prix du vainqueur, sans oser seulemenl donner leur exclusion el Jeur suffrage. La cour d'Espagne fit demander aux Suisses le passage par leur lerritoire, pour porter de nouvelles troupes en Italic; elle fut refusee. La Suisse vend des soldats a tons les princes , et de- fend son pays contre eux. Le gouvernement y est pacifique, et les peuples guerriers. Une telle neulralite ful respectee. Venise, de son cote, leva vingt mille hommes pour donner du poids a la sienne. II y avail dans Toulon une flolte de seize vaisseaux espagnols , destinee d'abord pour transporter don Philippe en Italie; mais il avail passe par terre, comme on a vu. Elle devait apporter des provisions a ses troupes , et ne le pouvait , retenue conlinuelle- ment dans le port par une flolte anglaise qui dominait dans la Mediterranee , el insultait toutes les cotes de Tltalie el de la Provence. Les canonniers espagnols n'elaient pas experts dans leur art : on les exerca dans le port de Toulon pendant qualre mois, en les faisant lirer au blanc, el en excitant leur emulation el leur Industrie par des prix proposes. (22 fcvrier 1744) Quand ils se furent rendus habiles, on flt sortir de la rade de Toulon Tescadre espagnole, commandee par don Joseph Navarro. Elle n'etail que de douze vaisseaux , les Espagnols n'ayanl pas assez de malelots el de canonniers pour en manoeuvrer seize. Elle ful jointe aussilol par qualorze vais- seaux francais, quatre fregates et trois briilols, sous les ordres de M. de Court, qui, a I'age de qualre-vingts ans, avail toute la vigueur de corps et d'espnt qu*un tel commandemenl exige. II y avait quarante annees qu'il s'etail Irouve au combat naval de Malaga, oil il avait servi en qualite de capitaine sur le vaisseau amiral ; et depuis ce temps il ne s'etail donne de bataille sur mer, en aucune parlie du monde , que celle de Messine, en 1718. L*amiral anglais Matthews se prdsenta devanl les deux escadres combinees de France el d'Espagne. La flotte de Matthews elait de quarante-cinq vaisseaux , de cinq fregates el de quatre brii- lols : avec eel avantage du nombre, il sul aussi se donner d'abord celui du vent ; manoeuvre donl depend souvent la vic- toire dans les combats de mer, comme elle depend sur la lerre d'un poste avantageux. Ce sonl les Anglais qui, les premiers, ont range leurs forces navales en bataille dans I'ordre ou Ton combat aujourd'hui , el c'est d'eux que les autres nations ont pris Tusage de partager leurs flotles en avaivt-garde , arriere-garde , €t corps de bataille. On combattit done a la bataille de Toulon dans eel ordre. Les deux flotles furent egalemenl endommagees et egalemenl dis- {jcrsees. ./• 53 Sl£CLE DE LOUIS XV. CHAPITRE IX 53 Celle journee navale de Toulon ful done indecise, comme tanl d'aulres batailles navales, dans lesquelles le fruit d'un grand appareil et d'une longue action est de luer du monde de part el d'autre, et de demater des vaisseaux. Chacun se plaignit; les Espagnols crurent n'avoir pas ele assez secourus ; les Francais ac- cuserentles Espagnols de peude reconnaissance. Cesdeux nations, quoique alliees , n'elaient point toujours unies. L'antipathie an- ciennese reveillait quelquefois entre les peuples, quoique Tin- telligence fiit entre leurs rois. Au reste , le veritable avantage de celte bataille fut pour la France et I'Espagne : la mer Mediterranee fut libre au moins pendant quelque temps , et les provisions dont avait besoin don Philippe purent aisement lui arriver des cotes de IVovence; mais ni les flolles francaises ni les escadres d'Espagne ne purent s'op- poser a ramiral Matthews, quand il revintdans ces parages. Ces deux nations, obligees d'enlretenir continuellement de nombreuses arraees de terre , n'avaient pas ce fonds inepuisable de marine qui fait la ressource de la puissance anglaise. CHAPITRE IX. Le prince de Ck)nti force les passages des Alpes. Situation des affaires d Italic. (15 mars 17^4) Louis XV, au milieu de lous ces efforts, de- Clara la guerre au roi George II (26 avril), et bientot a la reine de Hongrie , qui la lui declarerent aussi dans les formes. Ce ne fut, de part et d'autre, qu'une ceremonie de plus ; ni I'Espagne ni Naples ne declarerent la guerre , mais ils la Hrent. Don Philippe , a la tete de vingt mille Espagnols, dont le marquis de la Mina etait le general, et le prince de Conti, suivi de vingt mille Franqais , inspirerent tous deux a leurs troupes cet esprit de confiance et de courage opini&tre dont on avait be- soin pour penetrer dans le Piemont, ou un balaillon peut, a chaque pas , arreter une armee enticre , ou il faut a tout moment com- batlre entre des rochers, des precipices et des torrents , et ou la difficulle des convois n'est pas un des moindres obstacles. Le prince de Conti , qui avait servi en qualite de lieutenant general dans la guerre malheureuse de Baviere , avait dc I'experieuce dans sa jeunesse. 4 Le l**" d'avril 1744 , I'infant don Philippe et lui passerent le Var, riviere qui tombe des Alpes, et qui se jette dans la mer de Genes au-dessous de Nice. Tout le comte de Nice se rendit; mais pour avancer, il fallait altaquer les rctranchements eleves pres de Villefranche , et apres cux on trouvait ceux de la forleresse de Montalban , au milieu des rochers qui forment une longue suite de remparts presque inaccessibles. On ne pouvait marcher que par des gorges etroites , et par des abimes sur lesquels plongeait Tartillerie ennemie ; et il fallait, sous ce feu, gravir de rochers en rochers. On Irouvait encore jusque dans les Alpes des Anglais a corabattre. L'amiral Matthews , apres avoir radoube ses vais- seaux , etait venu reprendre I'empire de la mer. II avait debarque lui-meme a Villefranche. Ses soldats etaient avec les Piemontais, et ses canonniers servaient I'arlillerie. Malgre ces perils, le prince de Conti se presenle au pas de Villefranche, rempart du Piemont, haut de pres de deux cents toises, que le roi de Sardaigne croyait hors d'atteinle , et qui fut convert de Francais et d'Espagnols. L'amiral anglais et ses matelots furent sur le point d'etre fails prisonniers. ( 19 juillet 1744 ) On avanca , on penctra enfin jusqu'a la vallee de Chaleau-Dauphin. Le comte de Campo-Santo suivait le prince de Conti, a la tele des Espagnols, par une autre gorge. Le comte de Campo-Santo portait ce nom et ce litre depuis la bataille de Campo-Santo, oil il avait fait des actions etonnantes; ce nom etait sa recompense, comme on avait donne le nom de Bitonto au due de Montemar, apres la balaille de Bitonto. II n'y a guere de plus beau tilre que celui d'une bataille qu'on a gagnee. Le bailli de Givry escalade en plein jour un roc sur lequel deux mille Piemontais sont relranches. Ce brave Chevert, qui avait monle le f)remier sur les remparts de Prague , monte a ce roc un des premiers ; et celte entreprise etait plus meurtriere que celle de Prague. On n'avait point de canon : les Piemontais focdroyaient les assaillants avec le leur. Le roi de Sardaigne, place lui-menoe derriere ces rctranchements, animaitses troupes. Le bailli de Givry elait blesse des le commencement de Taction, et le marquis de Villemur, instruit qu'un passage non moins important venait d'etre heureusement force paries Francais, envoyait ordonner la retraite. Givry la faitbattre; mais les officiers et les soldats, trop animes, ne I'ecoulent point. Le lieutenant-colonel de Poitou ■,>• ■ r 1 [ V 54 SlfeCLE DE LOUIS XV. saute dans les premiers retranchemenls ; les grenadiers s'elancent les uns sur les autres ; et , ce qui est a peine croyable , ils passent par les embrasures memes du canon ennemi, dans I'instant que les pieces, ayant lire, recuiaient par leur mouvement ordinaire: ou y perdil pres de deux miile homraes ; mais il n'echappa aucun Piemonlais. Le roi de Sardaigne, au desespoir, voulait se jeler lui-meme au milieu des atlaquanls, et on eut beaucoup de peine ale retenir : il en couta la vie au bailli de Givry ; le colonel Salis, le marquis de la Carte , y furent tues ; le due d'Agenois, et beau- coup d'autres, blesses. Mais il en avail coule encore moins qu'on ne devait s'allendre dans un tel terrain. Le comte de Campo- Santo, qui ne put arriver a ce defile etroit et escarpe ou ce furieux combat s'elait donne, ecrivit au marquis de la Mina, general de I'armee espagnole sous don Philippe : « II se preseutera quelqucs a occasions ou nous ferons aussi bien que les Francais ; car il « n'est pas possible de faire mieux. « Je rapporte loujours les lettresdes generaux, lorsque j'y trouve des parlicularites inte- ressantes; amsi, je transcrirai encore ce que le prince de Conti ecrivit au roi touchant cette journee : « C'est une des plus bril- « lanteset des plus vives actions qui se soient jamais passees; « les troupes y ont montre une valeur au-dessus de I'humanite. « La brigade de Poitou, ayant M. d'Agenois a sa tete, s'est cou- « verte de gloire. « La bravoure et la presence d*espril de M. de Chevert ont « principalement decide Tavanlage. Je vous recommande M. de « Solemi elle chevalier de Modene. La Carte a ete tue; Voire « Majeste, qui connait le prix de Tamilie, sent combien j'en suis * touche. « Ces expressions d'un prince a un roi sont des lecons de vertu pour le reste des hommes, et I'histoire doit les con- server. Pendant qu'on prcnait Chateau-Dauphin , il fallait emporter ce qu'on appelait les barricades; c'etait un passage de trois loises entre deux montagnes qui s'elevent jusqu'aux nues. Le roi de Sardaigne avait fait couler dans ce precipice la riviere de Sture , qui baigne cette vallee. Trois relranchements et un chemin cou- vert, par dela la riviere , defendaient ce poste, qu'on appelait les barricades; il fallait ensuile se rendre mailre du chateau de Demont, bali avec des frais immenses sur la tete d'un rocher isole iu milieu de la vallee de Slure; apres quoi les Francais, maitres CHAPITRE X. » des Alpes , voyaienl les plaines du Piemont. Ces barricades fu- rent tournees habi'ement par les Francais et par les Espagnols la veille de Tallaque de Chateau-Dauphin (18 juillet). On les em- porla presque sans coup ferir, en mettant ceux qui les defendaient entre deux feux. Cet avantage fut un des chefs-d'ceuvre de I'art de la guerre; car il fut glorieux, il remplit I'objet propose, el ne fut pas sanglant. CHAPITRE X. Nouvelles disgraces de rempereur Charles VIL Bataille de Dettingen. Tant de belies actions ne servaient de rien au but principal et c'est ce qui arrive dans presque toutes les guerres. La cause de lareine de Hongrie n'en etait pas moins triomphante. L'era- pereur Charles VII, nomme, en effet, empereur par le roi de France , n'en etait pas moins chasse de ses fitals hereditaires , et n'etait pas moins errant dans I'Allemagne. Les Francais n'etaient pas moins repousses au Rhin et au Mein. La France, enfin, n'en etait pas moins epuisee pour une cause qui lui etait etrangere , et pour une guerre qu'elle aurait pu s'epargner; guerre entreprisc par la seule ambition du marechal de Belle-Isle , dans laquelle on ii'avait que peu de chose a gagner et beaucoup a perdre. L*empereur Charles VII se refugia d'abord dans Augsbourg , ville imperiale et libre , qui se gouverne en republique , fameuse par le nom d'Auguste, la seule qui ait conserve les resles, quoique defigures, de ce nom d'Auguste, autrefois commun a tant de villes sur les frontieres de la Germanic et des Gaules. II n'y de- raeura pas longtemps; et, en la quitlant, au mois de juin 1743, il eut la douleur d'y voir enlrer un colonel de houssards, nomme Mentzel , fameux par ses ferocites et ses brigandages , qui le chargea d'injures dans les rues. II portajt sa malheureuse destinee dans Francfort, ville encore plus privilegiee qu'Augsbourg , et dans laquelle s'elait faite son election a TEmpire; mais ce fut pour y voir accroitre ses infor- tunes. II se donnait une bataille qui decidait de son sort a quatre milles de son nouveau refuge. Le comte Stair, ficossais , I'un des eleves du due de Marlbo- rough , autrefois ambassadeur en France , avait marche vers 56 SIECLE DE LOUIS XV. CHAPITRE X. 57 Francfort a la tele d'une armee de plus de cinquante mille hommes, composee d'Anglais, d'Hanovriens et d'Autrichiens. Le roi d'Anglelerre arriva avec son second fils le due de Cumber- land, apres avoir passe a Francfort dans ce meme asile de I'empe- reur, qu'il reconnaissait toujours pour son suzerain, et auquel il faisait la guerre dans I'esperance de le detroner. Le marechal due de Noailles , qui cooamandait Tarmee opposee au roi d'Angleterre , avait porle Ics armes des I'ige de quinze ans. II avait commande en Catalogne dans la guerre de 1701 , et passa depuis par toutes les fonctions qu'on pent avoir dans le gouvernement : a la tete des flnances au commencement de la regence, general d'armee et rainistre d'Etat, il nc cessa dans lous ses emplois de cultiver la litlerature; exemple autrefois comraun chez les Grecs et chez les Romains , mais rare aujourd'hui dans I'Europe. Ce general, par une manoeuvre superieure , ful d'abord le maitre de la campagne. II coloya I'armee du roi d'Angleterre, qui avait le Mein enlre elle et les Frangais; il lui coupa les vivres en se rendant maitre des passages au-dessus et au-dessousde leur camp. Le roi d'Angleterre s'etail poste dans Aschaffenbourg , ville sur le Mein, qui appartient a I'electeur de Mayence. II avait fait celte demarche malgre le comte Stair, son general, el commen^ait a s'en repentir. II y voyail son armee bloquee el affamec par le marechal de Noailles. Lesoldat ful reduilala demi-ralion par jour. On manquait de fourrages au point qu'on proposa de couper les jarrets aux chevaux ; et on I'aurail fait si on elait resle encore deux jours dans cetle position. Le roi d'Angleterre fut oblige enlin de se relirer, pour aller chercher des vivres, a Hanau, sur le chemin de Francfort ; mais en se relirant il elait expose aux batteries du canon ennemi, place sur la rive du Mein. II fallait faire marcher en hale une armee que la diselle affaiblissait , el donl I'arriere-garde pouvait elre accablee par I'armee franqaise : car le marechal de Noailles avait eu la precaution de jeter des ponls enlre Deltingen et Aschaffenbourg, sur le chemin de Hanau, et les Anglais avaienl joint a leurs faules celle de laisser clablir ces ponls. Le 26 juin , au milieu de la nuil, le roi d'Angleterre fit decamper son armee dans le plus grand silence, et hasarda celle marche precipitce et dangereuse a laquelle il etait reduit. Le marechal de Noailles volt les Anglais qui semblent marcher a leur perle dans un chemin elroil, enlre une monlagne et la ri- viere. II ne manqua pas d'abord de faire avancer lous les escadrons composes de la maison du roi , de dragons et de houssards vers le village de Deltingen , devant lequel les Anglais devaient passer. II fait defiler sur deux ponls qualre brigades d'mfanterie, avec celles des gardes francaises. Ces troupes avaient ordre de resler poslees dans le village de Deltingen en deca d'un ravin profond. Elles n'elaienl point apercues des Anglais, el le marechal voyail lout ce que les Anglais faisaient. M. de Valliere, lieutenant general, homme qui avait pousse le service de rartillerie aussi loin qu'il |.piiI .iller, lenail ainsi dans un defile les ennemis enlre deux batteries qui plongeaient sur eux du rivage. lis devaient passer par un chemin creux qui est enlre Deltingen et un petit ruisseau. On ne devait fondre sur eux qu'avec un avanlage certain dans un terrain qui devenait un piege inevitable ; le roi d'Angle- terre pouvait elre pris lui-meme. C'elaitenfin un de ces moments decisifs qui semblaient devoir mellre fin a la guerre. Le marechal recommande au due de Grammonl, son neveu, lieutenant general et colonel des gardes, d'atlendre dans celte position que I'ennemi vinl lui-meme se livrer. II alia malheureu- sement reconnailre un gue pour faire encore avancer de la cava- ierie.la plupart des officiers disaient qu'il cut mieux fail de resler a la tele de I'armee pour se faire obeir. II envoya faire occuper le poste d' Aschaffenbourg par cinq brigades, de sorle que les An- glais elaienl prisde lous cotes. Un moment d'impaliencederangea toutes ces mesures. (27 juin) Le due de Grammonl crut que la premiere colonne ennemie elait deja passee, et qu'il n'y avail qu'a fondre sur une arriere-garde qui ne pouvait resisler ; il fit passer le ravin a ses troupes. Quillant ainsi un terrain avanlageux ou il devail resler, il avance, avec le regiment des gardes et celui de Noailles iufanterie, dans une petite plaine qu'on appelle Champ des Coqs. Les Anglais, qui defilaient en ordre de bataille, se formerent bientot. Par la les Franqais, qui avaient attire les ennemis dans le piege, y tom- berenl eux-memes. lis allaquerent les ennemis en desordre et avec des forces inegales. Le canon que M. de Valliere avait elabli le long du Mein, et qui foudroyail les ennemis par le flanc, et surlout les Hanovriens , ne ful plus d'aucun usage , parce qu'il aurait lire conlre les Franqais memes. Le marechal revient dans le moment qu'on venait de faire celle faule. -r- •'■■*' u SitCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE X. 59 ' I La maisou du roi a cheval, les carabiniers, enfoncerent d'abord par leur impeluosite deux lignes entieres d'infanlerie ; mais ces lignes se reformerent dans le moment, et cnvelopperent les Fran- Qais. Les officiers du regiment des gardes marcherent hardiment a la lete d'un corps assez faible d'infanterie; vingt et un de ces officiers furenl tues sur la place, autant furent dangereusement blesses. Le regiment des gardes fut mis dans une deroule enliere. Le due deCharlres, depuis due d'Orleans*, le prince de Cler- mont, le comte d'Eu, le due de Penlhievre, malgre sa grande jeunesse, faisaient des efforts pour arreler le desordre. Le comte de Noailles eut deux chevaux de lues sous lui. Son frere le due d'Ayen fut renverse. Le marquis de Puysegur, fils du marechal de ce nom, parlait aux soldals de son regiment, courait apres eux, ralliait ce qu'il pouvait, et en tua de sa main quelques-uns qui ne voulaient plus suivre, et qui criaient : Sauve qux pent! Les princes et les dues de Biron, de Luxembourg, de Richelieu, de Pequigni-Chevreuse, se mettaienl a la tete des brigades qu'ils rencontraient, et s'enfonce- renl dans les lignes des ennemis. D*un autre cole la maison du roi el les carabiniers ue se rebu- taient point. On voyait ici une troupe de gendarmes, la une com- pagnie des gardes, cent mousquelaires dans un autre endroit, des compagnies de cavalerie s*avancant avec des chevau-legers ; d'au- tres qui suivaienl les carabiniers ou les grenadiers a cheval, el qui couraient aux Anglais le sabre a la main avec plus de bra- voure que d'ordre. II y en avail si peu, qu'environ cinquante mousquelaires, emportes par leur courage, penetrerent dans le regiment de cavalerie du lord Stair. Vingl-sept officiers de la maison du roi a cheval perirenl dans celle confusion, et soixanle- six furent blesses dangereusement. Le comte d'Eu, Ic comte d'Har- court, le comte de Beuvron, le due de BoufQers, furenl blesses ; le comte de la Molhe-Houdancourt, chevalier d'honneur de la reine, eut son cheval lue, fut foule longtemps aux pieds des che- vaux, el remporle presque mort. Le marquis de Gontaut eut le bras casse; le due de Rochechouart, premier gentilhomme de la chambre, ayant ete blesse deux fois, et combatlant encore, fut « Louis-Philippe, n6en1 723, raort en <783,aieul da roi Louis-Phi- lippe !«'. Ed- \i tue sur la place. Les marquis de Sabran, de Fleury, le comte d'Estrades, le comte de Rostaing, y laisserent la vie. Parmi les singularites de cette triste journee, on ne doit pas omettre la mort d'un comte de Boufflers de la branche de Remiancourt. Ce- tail un enfant de dix ans et demi : un coup de canon lui cassa la jambe; il recut le coup, se vit couper la jambe, et mourut avec un egal sang-froid. Tant de jeunesse et tant de courage altendri- rent tous ceux qui furent temoins de son malheur. La perle n'etait guere moins considerable parmi les officiers anglais. Le roi d'Angleterre combattait a pied et a cheval, tantot a la tete de la cavalerie, tantot a celle de Tinfanterie. Le due de Cumberland fut blesse a ses cotes ; le due d'Aremberg, qui com- mandail les Autriehiens, recut une balle de fusil au haul de la poitrine. Les Anglais perdirent plusieurs officiers generaux. Le combat dura trois heures ; mais il etait trop inegal ; le courage seul avail a combattre la valeur, le nombre et la discipline. En- fin, le marechal de Noailles ordonna la retraite. Le roi d'Angleterre dina sur le champ de bataille, et se retipa ensuite, sans meme se donner le temps d'enlever tous ses bles- ses, dont il laissa environ six cents que le lord Stair recommanda a la generosite du marechal de Noailles. Les Francais les recueil- lirent comme des compatriotes ; les Anglais et eui se traitaient en peuples qui se respectaient. Les deux generaux s'ecrivirent des lettres qui font voir jusqu'a quel point on peut pousser la politesse et I'humanitc au milieu des horreurs de la guerre. Cette grandeur d'ame n'etait pas particuliere au corale Stair ei au due de Noailles. Le due de Cumberland surtout fit un acle de generosite qui doit elre transmis a la posterite. Un mousquelaire, nomm^ Girardeau, blesse dangereusement, avail ete porte pres de sa tenle. On manquail de chirurgiens, assez occupes ailleurs; on allait panser le prince, a qui une balle avail perce les chairs de la jambe. « Commencez, dil le prince, par soulager cet officier « francais; il est plus blesse que moi; il manquerail de secours, « et je n'en manquerai pas. » Au reste, la perte fut a peu pres egale dans les deux armees. II y eut du cole des allies deux mille deux cent trente et un hommes tant lues que blesses. On sulce calcul paries Anglais, qui rarement diminuenl leur perte, eln'augmentenl guere celle deleurs ennemis. 60 SINGLE DE LOUIS XV. Les Francais souffrirenl une grande perle en faisant avorler le fruit des plus belles dispositions par cetle ardeur precipilee et celle indiscipline qui leur avait fait perdre autrefois les balailles Je Poitiers, de Creci, d'Azincourt. Celui qui ecrit cette hisloire vit, six semaines apres, le comle Stair a la Haye ; il prit la liberie de lui denaander ce qu'il pensait de cette balaille. Ce general lui repondit ; « Je pense que les Francais ont fait une grande faule, et «« nous, deux : la voire a ele de ne savoir pas atlendre; les deux « nolres ont ete de nous mellre d'abord dans un danger evident « d'etre perdus, et ensuite de n'avoir pas su profiler de la vicloire. >. Apres cette action, beaucoup d'officiers francais et anglais alle- renta Francfort, ville toujours neutre, oil I'erapereur vit I'un apres I'autre le comle Stair et le marechal de Noailles, sans pou- voir leur marquer d*autres sentiments que ceux de la patience dans son infortune. Le marechal de Noailles trouva I'erapereur accable de chagrin, sans £tats, sans esperance, n'ayant pas de quoi faire subsister sa famille dans cetle ville imperiale, ou personne ne voulait faire la moindre avance au chef de I'Empire ; il lui donna une letlre de credit de quaranle mille ecus, certain de n'elre pas desavoue par le roi son maitre. Voila ou en etait reduite la majesle de I'empire romain. CHAPITRE XI. Premiere campagnc de Louis XV en Fiandre; ses succ^s. 11 quitte la Flandre pour aller au secours de I'Alsace menacee, pendant que le prince de Conti continue ^ s'ouvrir le passage des Alpes. Nouvelles ligues. Le roi de Prusse prend encore les armes. Ce fut dans ces circonslances dangereuses, dans ce choc de tant d'filats, dans ce melange el ce chaos de guerre et de politi- que, que Louis XV commenca sa premiere campagne (1744). On gardait a peine les fronliercs du cole de TAllemagne. La reine de Hongrie s'elait fait preter sermenl de fidelite par les habitants de la Baviere el du haul Palalinal. Elle fit presenter dans Francfort meme, ou Charles VII etait retire, un memoire ou I'eleclion de cet empereur etait qualifiee nuUe de ioute milliU, II etait oblige enfin de se declarer neutre, landis qu'on le dcpouillait. On lui CHAI>1TRE XL 61 proposail de se demeltre, et de resigner TEmpire a Francois de Lorraine, grand-due de Toscane, epoux de Marie-Therese! Le prince Charles de Lorraine, frere du grand-due, commen- ?ait a s'etablir dans une lie du Rhin aupres du vieux Brisach. Des partis hongrois penetraient jusque par dela la Sarre, et en- tamaienl les frontieres de la Lorraine. Ce fameux partisan Ment- zel faisait repandre dans I'Alsace, dans les Trois-Eveches, dans ia Franche-Comle, des manifesles par lesquels il invitait les peu- pies, au nom de la reine de Hongrie, a retourner sous Tobeissance .de la maison d'Autriche : il mena(jail les habitants qui prendraient les armes de les faire pendre, « apres les avoir forces de se cou- « per eux-memes le nez et les oreilles. » Celle insolence, digne dun soldat d'Altila, n'elait que meprisable; mais elle etait la preuve des succes. Les armees autriohiennes menacaient Naples, tandis que les armees franijaises et espagnoles n'c'taient encore' que dans les Alpcs. Les Anglais, victorieux sur terre, dominaient sur les raers ; les Hollandais allaient se declarer, et promettaient de se joindre en Flandre aux Autrichiens et aux Anglais. Tout etaU coutraire. Le roi de Prusse, salisfait de s'etre empare de la Silesie, avait fait sa paix parliculiere avec la reine de Hon- grie. Louis XV soutinl tout ce grand fardeau. Non-seuiement il as- sura les frontieres sur les bords du Rhin et de la Moselle par des corpsjl'armee, mais il prepara une descente on Angleterre meme. II fit venir.de Rome le jeune prince Charles-Edouard, fils aine du prctendanl, et petit-fils de I'infortune roi Jacques II. (9 Jan- vier 1744) Une flotle de vinglel un vaisseaux, chargee de vingt- quatre mille hommes de debarquement, le porta dans le canal d'Anglelerre. Ce prince vit pour la premiere fois le rivage de sa palne : mais une tempete et surtout les vaisseaux anglais ren- dirent celle eulreprise infructueuse. Ce fut dans ce temps-la que le roi parlit pour la Flandre. II avail une armee florissanle que le comle d'Argenson, secretaire d Elal de la guerre, avait pourvue de tout ce qui pouvail faciliter la guerre de campagne et de siege. Louis XV arrive en Flandre. A son approche les Hollandais, qui avaient pronais de se joindre aux troupes de la reine de Hon- gne et aux Anglais, commencent a craindre. lis n'osent rempiir leur promesse : ils envoient des deputes au roi, au lieu de troupes !>v r.'i' 61 SIECLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XI. 63 u centre lui. Le roi prend Courtrai (le 18 mai 1744) et Menin (le 5 juin) en presence des deputes. Le lendemain meme de la prise de Menin , il inreslit Ypres (6 juin 1644). G'elait le prince de Clermont, abbe de Saint Ger- main des Pres, qui comraandait les principals attaques au siege d' Ypres. On n'avait point vu en France, depuis les cardinaux do la Valette et de Sourdis, d*horame qui reunit la profession des armes et celle de I'figlise. Le prince de Clermont avait eu cette permission du pape Clement XII, qui avail juge que I'etal eccle- siastique devait etre subordonne a celui de la guerre dans I'arriere- pelit-fils du grand Conde. On insulla le chemin convert du front de la basse ville, quoique cette entreprise parut prematuree el hasardee ; le marquis de Beauvau, marechal de camp, qui mar- chalt a la lete des grenadiers de Bourbonnais et de Royal-Comtois, y requt une blessure mortelle qui lui causa les douleurs les plus vives. II mourut [dans des tourmenls intolerables, regrette des officiers et des soldats comme capable de commander un jour les armees, et de tout Paris comme un bomme de probite et d' esprit. II dit aux soldats qui le portaient : « Mes amis, laissez-moi mou- « rir, et allez combaltre. » Ypres capitula bientol (25 juin); nul moment n'elait perdu. Tandis qu'on entrait dans Ypres, le due de Boufflers prenail la Kenoque (29 juin) ; et pendant que le roi allait, apres ces expedi- tions, visiter les places frontieres, le prince de Clermont faisait le siege de Furnes, qui arbora le drapeau blanc (11 juillet) au bout de cinq jours de tranchee ouverle. Les generaux anglais et autri- chiens qui commandaienl vers Bruxelles regardaienl ces progres, et ne pouvaient les arreter. Un corps que commandait le mire- chal de Saxe, que le roi leur opposait, etait si bien poste el couvrait les sieges si a propos, que les succes etaient assures. Les allies n'avaient point de plan decampagne fixe el arrete. Les ope- rations de rarmee francaise etaient concertees. Le marechal de Saxe, posle a Courtray, arretail tons les efforts des ennemis, et fa- cilitail loutes les operations. Une arlillerie nombreuse qu'on lirail aisement de Douai, un regiment d'arlillerie de pres de cinq mille hommes, plein d'officiers capables de conduire des sieges, el compose de soldats qui sont, pour la plupart, des artistes habiles, cnfin le corps des ingenieurs, etaient des avantages que ne peu- vent avoir des nations reunies a la hate pour faire ensemble la guerre quel ques annees. De pareils etablissements ne peuvcnt etre que le fruit du temps et d'une attention suivie dans une monar- chic puissante. La guerre de siege devait necessairement donner la superiorite a la France. Au milieu de ces progres la nouvelle vient que les Aulrichiens ont passe le Rhin du cote de Spire , a la vue des Francais et des Bavarois ; que I'Alsace est entamee, que les frontieres de la Lor- raine sont exposees (29 et 30 juin 1744). On ne pouvait d'abord le croire, mais rien n'elait plus certain. Le prince Charies, en mena(jant plusieurs endroits et faisant a la fois plus d'une tenta- tive, avait enfin reussi du cole oCi etait poste le comte de Secken- dorff, qui commandait les Bavarois, les Palatins et les Hessois, allies payes par la France. L'armee autrichienne, au nombre d'environ soixanle mille hommes, entre en Alsace sans resistance. Le prince Charies s'em- pare en une heure de Lauterbourg, posle peu fortifie, mais de la plus grande importance. II fail avancer le general Nadasti jus- qu'a Veissenbourg, ville ouverle, dont la garnison est forcee de se rendre prisonniere de guerre. II met un corps de dix mille hom- mes dans la ville et dans les lignes qui la bordent. Le marechal de Coigny, qui commandait dans ces quartiers, general hardi, sage et modeste, celebre par deux vicloires en Italic, dans la guerre de 1738, vit que sa communication avec la France etait coupee, que le pays Messin, la Lorraine, allaient etre en proie aux Autrichiens et aux Hongrois : il n'y avait d'autre ressource que de passer sur le corps de I'ennemi pour rentrer en Alsace et couvrir le pays. II marche aussitot avec la plus grande parlie de son armee a Veissenbourg, dans le temps que les ennemis venaient de s'en emparer (15 juillet 1744). II les attaque dans la ville et dans les lignes ; les Autrichiens se defendent avec courage. On se battait dans les places et dans les rues; elles etaient couvertes de morts. La resistance dura six heures cntieres. Les Bavarois, qui avaient mal garde le Rhin, reparerent leur negligence par leur valeur. lis etaient surtout encourages par le comte de Mortagne, alors lieutenant general de I'empereur, qui re^ut dix coups de fu- sil dans ses habits. Le marquis de Monlal menait les Francais. Celui qui rendit les plus grands services dans cette journee, el qui sauva en effel I'Alsace, fut le marquis de Clermont- Tonnerre. II etait a la tete de la brigade Montmorin i lout plia devanl lui. 64 SIFXLE DE LOUIS XV. CHAPITRE X!i. 65 C'esl le IT; erne qui, Tdnnee suivante, comraanda une aile de I'ar- mee a la bataille de Fontenoy, et qui contribua plus que per- Sonne a la vicloire. On I'a vu depuis doyen des marechaux de France. Son His fut I'herilier de sa valeur et de ses vertus. On reprit enfin Veissenbourg et les lignes ; mais on fut bientot oblige, par Tarrivee de loule Tarmee aulrichienne, de se relirer vers Haguenau, qu'on fut meme force d'abandonner. Des partis ennemis, qui allerent a quelques lieues au dela de la Sarre, porle- rent I'epouvanle jusqu'a Luneville, dont le roi Stanislas Leczinski fut oblige de parlir avec sa cour. A la nouvelle de ces revers que le roi apprit a Dunkerque, il ne balanca pas sur le parti qu'il devait prendre ; il se resolut a interrompre le cours de ses conquetes en Flandre, a laisser le marechal de Saxe, avec environ quarante mille hommes, conser- ver ce qu'il avait pris, et a courir lui-meme au secours de I'Alsace. 11 fait d'abord prendre les devants au marechal de Noailles. II envoie le due d'Harcourt avec quelques troupes garder les gorges de Phaltzbourg. 11 se prepare a marcher a la tele de vingt-six bataillons et trente-trois escadrons. Ce parti, que prenait le roi des sa premiere campagne, transporta les cceurs des Fran^ais, el rassura les provinces alarmees par le passage du Khin, et sur- tout par les malheurouses campagnes precedentes en Allemagne. Le roi prit sa route par Saint-Quentin, la Fere, Laoii, Reims, faisant marcher ses troupes, dont il assigna le reudez-vousa Metz. II augmenta, pendant cette marche, la paye et la nourriture du soldat ; et cette attention redoubia encore I'affection de ses sujels. II arriva dans Metz le 5 auguste ; et le 7 on apprit un evenementqui changeait toute la face des affaires, qui forgait le prince Charles a sorlir de I'Alsace, qui retablissait Tempereur, et metlait la reine de Hongrie dans le plus grand danger ou eile eiit ete encore. 11 semblait que cette princesse n'eut alors rien a craindre du roi de Prusse apres la paix de Breslau, et surtout apres une al- liance defensive conclue , la meme annee que la paix de Breslau, entre lui et le roi d'Angleterre ; mais il elait visible que la reine de Hongrie, TAngleterre, la Sardaigne, la Saxe et la HoUande, s'etant unies contre I'empereur par un traite fait a Vorms, les puissances du Nord, et surtout la Russie, etant vivement solli- citees, les progres de la reine de Hongrie augmentant en Alle- magne, tout etait a craindre tot ou tard pour le roi de Prusse : il avait enfin pris le parti de rentrer dans ses engagements avec la France ( 27 mai 1744 ). Le traite avait ete signe secretement le 5 avril , et on avait fait depuis a Francfort une alliance clroite entre le roi de France, I'empereur, le roi de Prusse, I'elecleur pa- latin, ct le roi de Suede en qualite de landgrave de Hesse. Ainsi, Tunion de Francfort etait un contre-poids aux projets de I'union de Vorms. Une moitie de I'Europe etait ainsi animee contre I'au- tre, et des deux cotes on epuisait toutes les ressources de la po- litique et de la guerre. Le marechal Schmettau vint de la part du roi de Prusse an- noncer au roi que son nouvel allie marchait a Prague avec quatre-vingt mille hommes, et qu'il en faisait avancer vingt-deux mille en Moravie. Cette puissante diversion en Allemagne, les conquetes du roi en Flandre, sa marche en Alsaoe, dissipaient toutes les alarmes, lorsqu'on en eprouva une d'une autre espece, qui fit trembler et gemir toute la France. CHAPITRE XII. Le roi de France est k YcxMmiti. D6s qu'il est gu^ri , il marche en Al- lemagne; il va assi^ger FriUourg, tandis que I'arm^e autrichienne, qui avait pen6tr6 en Alsace , va d^livrer la Bohdme , et que le prince de Conti gagne une bataiile en Italie. Le jour qu'on chantait dans Metz un Te Deum pour la prise de Chateau-Dauphin, le roi ressentit des mouvements de fievre; c'etait le 8 d'auguste (1744). La maladie augmenta ; elle prit le caractere d'une fievre qu'on appellepufridc ou maligne; et, des la nuit du 14, il etait a I'extremite. Son temperament etait robusle ct fortifie par I'exercice ; mais les meilleures constitutions sont celles qui succombent le plus souvent a ces maladies, par cela meme qu'elles onl la force d'en soutenir les premieres atteintes, et d'accumuler, pendant plusieurs jours, les principes d'un mal auquel elles resistent dans les commencements. Cet evenement porta la crainte et la desolation de ville en ville ; les peuples ac- couraient de tous les environs de Metz ; les chemins etaient rem- plis d'hommes de tous etats et de tout age, qui, par leurs differents rapports, augmentaient leur commune inquietude. Le danger du roi se repand dans Paris au milieu de la nuit : on se leva; lout le monde court en tumulte sans savoir ou Ton 4. / IX n SltCLE DE LOUIS XV. va. Les eglises s'ouvrent en pleine nuit : on ne connait plus le temps ni du sommeil, ni de la veille, ni du repas. Paris elait hors de luUmeme ; toules les maisons des hommes en place etaient assiegees d'une foule conlinuelle : on s'assemblait dans lous les carrefours. Le people s'ecriait : « S'il meurt, c'est pour avoir « marche a notre secours. » Tout le monde s'abordait , s'interro- geait dans les eglises sans se connailre. II y eut plusieurs eglises ou le pieire, qui prononcait la priere pour la sante du roi, inter- rompit le chant par ses pleurs , et le peuple lui repondit par des sanglots et par des cris. Le courrier, qui apporta le 19 a Paris la nouvelle de sa convalescence, fut embrasse et presque elouffe par le peuple : on baisait son cheval; on le menait en triomphe. Toutes les rues relenlissaient d'un cri de joie : « Le roi est « gueri! » Quand on rendit compte a ce monarque dee transports inouls de joie qui avaient succede a ceux de la desolation, il en fut altendri jusqu'aux larmes; et en se soulevant par un mouve- ment de sensibilile qui lui rendait des forces : « Ah I s'ecria-t-il, « qu'il est doux d'etre aime ainsi! Et qu'ai je fait pour le meriter? » Tel est le peuple de France, sensible jusqu'a Penlhousiasme , et capable de tous les exces dans ses affections comme dans ses murmures. L'archiduchesse , epouse du prince de Lorraine, mourut a Bruxelles, vers ce memc temps, d'une maniere douloureuse. Elle elait cherie des Brabancons, et merilait de I'etre; mais ces peuples n'ont pas Vkme passionnee des Fran^ais. Les courlisans ne sont pas comme le peuple. Le peril de Louis XV fit naitre parmi eux plus d'intrigues et de cabales qu'on n'en vit autrefois quand Louis XIV fut sur le point de mourir a Calais : son pelit-fils en eprouva les effets dans Metz. Les moments de crise ou il parut expirant furent ceux qu'on choisit pour I'acca- bler par les demarches les plus indiscretcs , qu'on disait inspi- rees par des motifs religieux, mais que la raison reprouvait et que rhumanite condamnait. II echappa a la mort et a ces pieges. Des qu*il eut repris ses sens, il s'occupa, au milieu de son danger, de celui ou le prince Charles avait jete la France par son passage du Rhin. II n'avait marche que dans le dessein de com- batlre ce prince; mais ayant envoye le marechal de Noailles a sa place , il dit au comte d'Argenson : « flcrivez de ma part au « marechal de Noailles que, pendant qu'on portait Louis XIII au CRAPITRE XII. 67 « tombeau, le prince de Conde gagna une bataille \ > Cepen- dant on put a peine entamer Tarriere-garde du prince Charles, qui se retirait en bon ordre. Ce prince, qui avail passe le Rhin malgre I'armce de France, le repassa presque sans perle vis-a-vis une armee superieure. Le roi de Prusse se plaignil qu'on eut ainsi laisse echapper un ennemi qui allait venir a lui. C'etait en- core une occasion heureuse manquee. La maladie du roi de France, quelque retardement dans la marche deses troupes , un terrain marecageux et difficile par ou il fallait aller au prince Charles, les precautions qu'il avait prises, ses ponls assures, tout lui facilita celte retraile ; il ne perdit pas meme un magasin. Ayant done repasse le Rhin avec cinquanle mille hommes complels, il marche vers le Danube et I'Elbe avec une diligence in- croyable ; et apres avoir penetre en France , aux portes de Stras- bourg, il allait delivrer la Boheme une seconde fois. ( 15 sep- tembre 1744 ) Mais le roi de Prusse s'avan^ait vers Prague; il I'investil le 4 seplembre ; et ce qui parut elrange ; c*est que le general Ogilvy,qui la defendait avec quinze mille hommes, se rendit, dix jours apres, prisonnier de guerre, lui et sa garnison. C'elait le meme gouverneur qui, en 1741, avait rendu la ville en moins de temps, quand les Francais I'escaladerent. Une armee de quinze mille hommes prisonniere de guerre, la capitale de la Boheme prise, le reste du royaume soumis peu de jours apres , la Moravie envahie en meme temps , I'armee de France rentrant enfin en Allemagne, les succes en Ilalie, firent esperer qu'enfin la grande querelle de I'Europe allait elre decidee en faveur de I'empereur Charles VII. Louis XV, dans une conva- lescence encore faible , resout le siege de Fribourg au mois de seplembre, et y marche. II va passer le Rhin a son tour. Et ce qui fortifia encore ses esperances, c'est qu'en arrivant a Stras- bourg il y recut la nouvelle d'une vicloirs remporlee par le prince de Conti. • La bataille de Rocroi, le 10 mai 1643. ED. ^8 SIECLE DE LOUIS XV CHAPITRE XIII. BaUillc Ue Coni. Conduite du roi de France. Le roi de Naples surpris prfes de Rome. Pour descendre dans le Milanais, il fallail prendre la ville de Coni. L'infant don Philippe et le prince de Conti I'assiegeaient. Le roi de Sardaigne les allaqua dans leurs lignes avec une arnaee superieure. Rien n'elail mieux concerle que lentreprise de ce monarque. Celait une de ces occasions ou il etait de la politique de donner balaille. S'il etait vainqueur, les Francais avaient peu de ressources, et la retraile etait tres-difficile ; s'il etait vaincu, la ville n'elait pas moins en etat de resister dans cette saison avan- cee, et il avail des retrailes sures. Sa disposition passa pour une des plus savantes qu*on eul jamais vues ; cependant il fut vaincu. Les Francais et les Espognols combattirent commedes allies qui sc secourent, el comme des rivaux qui veulent chacun donner I'exem- pie. Le roi de Sardaigne perdit pres de cinq millc hommes et le champ de balaille. Les Espagnols ne perdirent que neuf cents hommes, el les Francais eurenl mille deux cents hommes lues ou blesses. Le prince de Conti, qui etait general el soldat , eul sa cuirasse percee de deux coups, el deux chevaux lues sous lui : il n'en parla point dans sa leltre au roi ; mais il s'etendait sur les blessures de MM. de la Force, de Sennelerre, de Chauvelin, sur les services si- gnales de M. de Courten, sur ceux de MM. de Choiseul, du Chaila, de Beaupreau, sur tons ceux qui I'avaienl seconde, et demandail pour eux des recompenses. Cette histoire ne serait qu'une lisle continuelle si on pouvail citer toutes les belles actions, qui, devenues simples et ordinaires, se perdenl continuellemenl dans la foule. Mais cette nouvelle vicloire ful encore au nombre de celles qui causent des pertes sans produire d'avantages reels aux vain- queurs. On a donne plus de cent vingl batailles en Europe depuis 1600; el de tous ces combats, il n'y en a pas eu dix de decisifs. C'esl du sang inutilemenl repandu pour des intcrcts qui changent tous les jours. Cette vicloire donna d'abord la plus grande con- fiance, qui se changea bienldt en Iristesse. La rigueur de la sai- son , la fonle des neigcs , le debordement de la Slure el des tor- rents, furent plus utiles au roi de Sardaigne que la victoire de CHAPITRE Xlir. 69 Coni ne le fut a linfant el au prince de Conti. lis furent oblit^es de lever le siege , el de repasser les monts avec une armce affai- blie. C'esl presque loujours le sort de ceux qui comballent vers les Alpes, el qui n'onl pas pour eux le maitre du Piemonl, de perdre leur armee, meme par des vicloires. Le roi de France , dans cette saison pluvieuse, etait devant Fri- bourg. On ful oblige de detoumer la riviere de Treisam, et de lui ouvrir un canal de deux mille six cents toises ; mais a peine ce travail fut-il acheve, quune digue se rompit, el on recom- menca. On travaillait sous le feu des chateaux de Fribourg; il fallail saigner a la fois deux bras de la riviere : les ponts cons- Iruits sur le canal nouveau furent deranges par les eaux ; on les relablit dans une nuit , et, le lendemain , on marcha au chemin convert sur un terrain mine, el vis-a-vis d'une artillerie el d'une mousquelerie continuelle. Cinq cents grenadiers furent couches par lerre, lues ou blesses ; deux compagnies cntieres perirent par I'effet des mines du chemin convert : el, le lendemain, on acheva d'en chasser les ennemis , malgre les bombes, les pierriers el les grenades, donl ils faisaient un usage continuel el terrible. II y avail seize ingenieurs a ces deux altaques , et tous les seize y furent blesses. Une pierre atteignit le prince de Soubise, et lui cassa le bras. Des que le roi le sut, il all i le voir : il y retourna plusieurs fois ; il voyait mettre I'appareil a ses blessures. Cette sensibilite encourageait toutes ses troupes. Les soldats redou- blaienl d'ardeur en suivanl le due de Charlres, aujourd hui due d'Orleans, premier prince du sang, a la tranchee et aux altaques. Le general Damnilz, gouverneur de Fribourg, n'arbora le dra- peau blanc que le 6 novembre, apres deux mois de tranchee ou- verte. Le siege des chateaux ne dura que sept jours. Le roi etait maitre du Brisgaw. II dominait dans la Souabe. Le prince de Clermont, de son cdte , s'elail avance jusqu'a Constance. L'em- pereur etait relourne enfin dans Munich. Les affaires prenaienl en Ilalie un tour favorable, quoique avec fenteur. Le roi de Naples poursuivait les A utrichiens, conduits par le prince de Lobkovitz, sur le territoire de Rome. On devail lout atlendre en Boheme de la diversion du roi de Prusse; mais, par un de ces revers si frequents dans cette guerre, le prince Charles de Lorraine chassait alors les Prussiens de la Boheme , comme il en avail fait relirer les Francais en 1742 el en 174.3, et 70 SifeCLE DE LOUIS XV. les Prusaiens faisaient les memes faules et les memes retrailes qu'ils avaient reprochees aux armees fraiKjaises; (19 novembre 1744) ils abandonnaient successivement tousles posies qui as- surenl Prague ; enfm, ils furent obliges d'abandonuer Prague meme (27 novembre ). Le prince Charles, qui avail passe le Rhin a la vue de Tarmee de France, passa I'Elbe la meme annee a la vue du roi de Prusse : il le suivil jusqu'en Silesie. Ses parlis allerent aux porles de Bres- lau ; on doulail enfin si la reine Marie-Therese , qui paraissait perdue au mois de juin, ne reprendrait pas jusqu'a la Silesie au mois de decembre de la meme annee ; et on craignail que Tcm- pereur, qui venait de reulrer dans sa capilale desolee, ne fut oblige d'en sorlir encore. Toul elait revolution en AUemagne, tout y elait intrigue. Les rois de France et d'Angleterre achetaient tour a tour des parti- sans dans I'Empire. Le roi de Pologne, Augusle, elecleur de Saxe, se donna aux Anglais pour cent cinquaute mille pieces par an. Si on s'etonnail que , dans ces circonslanccs , un roi de Pologne , elecleur, fiit oblige de recevoir cet argent, on elait encore plus surpris que I'Angletcrre fut en elat do le donner, lorsqu'il lui en coutait cinq cent mille guinees cette annee pour la reine de Hoa- grie, deux cent mille pour le roi de Sardaigne, et qu'elle donnail encore des subsides a I'electeur de Mayence : elle soudoyait jus- qu'a Telecteur de Cologne, frere de Tempereur, qui recevait vingl- deux mille pieces de la cour de Londres , pour permellre que les ennemis de son frere levassent conlre lui des troupes dans ses eveches de Cologne, de Munsler et d'Osnabruck, d'Hildesheim, de Paderborn, et de ses abbayes; il avail accumule sur sa tele tous ces biens ecclesiastiques, selon I'usage d' AUemagne , et non suivant les regies de I'Eglise. Se vendre aux Anglais n'etait pas glorieux ; mais il crut toujours qu'un empereur cree par la France, en AUemagne, ne se souliendrait pas, et il sacrifia les interels de son frere aux siens propres. Marie-Therese avail en Flandre une armee formidable, com. posee d'Allemands, d'Anglais, et enfin de HoUandais, qui se de- clarerenl apres lanl d'indecisions. La Flandre fran •.J CHAPITRE XIV. Prise du mareclial de Belle-Isle. L'einpereur Charles VII meurt ; raais la guerre n'en est que plus vive. Le roi de France, immediatement apres la prise de Fribourg, relourna a Paris, ou il fut re^u comme le vengeur de sa patric et comme un pere qu'on avail crainl de perdre. II resta trois jours dans Paris pour se faire voir aux habitants, qui ne voulaieul que ce prix de leur zele. Le roi, comptant toujours mainteuir I'empereur, avail envoyc a Munich, a Cassel, et en Silesie, le marechal de Belle-Isle, charge de ses pleins pouvoirs el de ceux de I'empereur. Ce general venait de Munich, residence imperiale, avec le comte son frere : ils avaienl ele a Cassel, el suivaient leur route sans defiance dans des pays ou le roi de Prusse a partout des bureaux de posle qui, par les conventions etablies enlre les princes d'Allemagne, sonl loujours regardes comme neutres el inviolables. (13 novembre 1744) Le marechal el son frere, en prenant des chevaux a un de ces bureaux, dans un bourg appele Elbingrode, appartenant a lelecleur d'Hanovre, furent arreles par le baiili hanovrien, maU traites, et bientot apres transferes en Angleterre. Le due de Belle- Isle etait prince de I'Empire, et par cette qualile eel arret pou- vait etre regarde comme une violation des privileges du college des princes. En d'autres temps un empereur aurait venge eel at- tentat ; mais Charles VII regnait dans un temps oil Ton pouvait lout oser contre lui, et ou il ne pouvait que se plaindre. Le minis- tere de France reclama a la fois lous les privileges des ambassa- deurs el les droits de la guerre. Si le marechal de Belle-Isle etait regarde comme prince de I'Empire el ministre du roi de France allant a la cour imperiale el a celle de Prusse, ces deux cours n'e- tanl point en guerre avec I'Hanovre, il parait certain que sa per- sonne elait inviolable. S'il etait regarde comme marechal de France et general, le roi de France offrail de payer sa rancon el celle de son frere, selon le cartel elabli a Francforl, le 1 8 juin 1 743, enlre la France et TAnglcterre. La rancon d'un marechal de France elait de cinquante mille livres, celle d'un lieulenant general de quinze mille. Le ministre de George II eluda ces instances pres- santes par une defaite inouie : il declara qu'il regardait MM. de VOLT. — SIECLE DE LO'.'IS XV. 5 /•■'^• 74 SitCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XIV. 76 Belle-Isle comme prisonniers d'fitat. On les Iraita avec les atten- tions les plus distinguees, suivant Ics maximes de la plupart des cours europeennes, qui adoucissent ce que la politique a d'injuste, et ce que la guerre a de cruel, par tout ce que rhumanilc a de dehors sedufsants. L'empereur Charles VII, si peu respecte dans I'Enapire, et n'y ayant d'autre appui que le roi de Prusse, qui alors etait poursuivi par le prince Charles, craignant que la reine de Hongrie ne le for- mat encore de sorlir de Munich, sa capilale, se voyant loujours le jouet de la fortune, accable de maladies que les chagrins redou-, blaient, succomba enfin, et mourut a Munich, a T^ge de qua- rante-sept ans et demi (20 Janvier 1745), en laissant cette lecon au monde, que le plus haul degre de la grandeur huinainc peut etre le comble de la calamite. II n'avait ete malheureux que de- puis qu'ii avait ete enapereur. La nature, des lors, lui avait fait plus de mal encore que la fortune. Une complication de maladies douloureuses rendit plus violents les chagrins de I'^me par les souffrances du corps, et ie conduisit au tombeau. II avait la goutte et la pierre : on trouva ses poumons, son foie, et son estomac, gangrenes, des pierres dans ses reins, un polype dans son cceur : on jugea qu'il n'avait pu des longtemps etre un moment sans souffrir. Peu de princes ont eu de meiileures qualites. Elles ne servirent qu'a son malheur, et ce malheur vint d'avoir pris un fardeau qu'il ne pouvait soutenir. Le corps de cet infortune prince fut expose, vetu a I'ancienne mode espagnole; etiquette etablie par Charles Quint, quoique, depuis lul, aucun erapereur n'ait ete Espagnol, et que Charles VII n'eiit rien de commun avec cette nation. II fut enseveli avec les ceremonies de I'Empire; et, dans cet appareil de la vanile ct de la misere huraaine, on porta le globe du monde devant celui qui, pendant la courte duree de son empire, n'avait pas meme pos- sede une petite et malheureuse province ; on lui donna meme dans quelques rescrits le titre d'invincible, tilre attache par I'u- sage a la dignite d'empereur, et qui ne faisait que mieux sentir les malheurs de celui qui I'avait possedee. On crut que la cause de la guerre ne subsistant plus, le calmc pouvait etre rendu a I'Europe. On ne pouvait offrir I'Empire au fils de Charles VII, ige de dix-sept ans. On se flallait en Allema- gno que la reine de Hongrie rechercherait la paix comme un moyen sur de placer enlin son mari, le grand-due, sur le trone imperial ; mais elle voulut et ce trone et la guerre. Le ministere anglais, qui donnait la loi a ses allies, puisqu'il donnait I'argent, et qui payait a la fois la reine de Hongrie, le roi de Pologne et le roi de Sardaigne, crut qu'il y avait a perdre avec la France par un traite, et a gagner par les armes. Cette guerre generale se continua parce qu'elle etait commen- cce. L'objet n*en etait pas le meme que dans son principe : c'etait une de ces maladies qui, a la longue, changent de caraclere. La Flandre, qui avail ete respectee avant 1744, etait devenue le prin- cipal theatre; et I'Allemagne fut plulot pour la France un objet de politique que d'operations militaires. Le ministere de France, qui voulait toujours faire un empereur, jela les yeux sur ce meme Auguste II, roi de Pologne, electeur de Saxe, qui etait a la solde des Anglais : mais la France n'etait guere en etat de faire de telles offres. Le trone de I'Empire n'etait que dangereux pour quiconque n'a pas I'Autriche et la Hongrie. La cour de France fut refusee : I'electeur de Saxe n'osa ni accepter cet honneur, ni se detacher des Anglais, ni deplaire a la reine. II fut le second elec- teur de Saxe qui refusa d'etre empereur. II ne resta a la France d'autre parti que d'attendre du sort des armes la decision de tant d'inlcrels divers qui avaient change tant de fois, et qui dans tous leurs changements avaient tenu I'Europe en alarmes. Le nouvel electeur de Baviere, Maximilien-Joseph, etait le troi- sieme de pere en fils que la France soutenait. Elle avait fait reta- blir I'aieul dans ses 6lats; elle avait fait donner I'Empire au pere, et le roi lit un nouvel effort pour secourir encore le jeune prince. Six mille Hessois a sa solde, trois mille Palatins et Ireize batail- lons d'AUemands, qui sont depuis longtemps dans les corps des troupes de France, s'etaient deja joints aux troupes bavaroises, toujours soudoyees par le roi. Pour que tanl de secours fussent efficaces, il fallait que les Ba- varois se secourussent eux-memes; mais leur destinee etait de succomber sous les Autrichiens : ils defendirent si malheureuse- ment I'entree de leur pays, que, des le commencement d'avril, ie nouvel electeur de Baviere fut oblige de sortir de cette meme capilale que son pere avait etc force de quitter tant de fois. (22 avril 1744) Les malheurs de sa maison le forcerent enfin d'a- 76 Sl£CLE DE LOUIS XV. voir recours a Marie-Therese elle-meme, de renoncer a I'alliauce de la France, et de recevoir Targeot des Anglais comme les autres. Le roi, abandonne de ceux pour qui seuls il avail commence la guerre, fut oblige de la conlinuer sans avoir d'autre objet que de la faire cesser; situation triste qui expose les peuples, et qui ne leur promet nul dedommagement. Le parti qu'on prit fut de se defendre en Italic et en Aliemagne, el d'agir toujours offensivement en Flandre : c'etait I'ancien thea- tre de la guerre, el il n'y a pas un seul champ dans celle province qui n'ail ete arrose de sang. Uue armee vers le Mein empechait les Autrichiens de se porter contre le roi de Prusse, alors allie de la France, avec des forces trop superieures. Le m.ircchal de Maille- bois etait parti de TAllemagne pour I'ltalie ; et le prince de Contr ful charge de la guerre vers le Mein, qui devenail d'une espece toulc conlraire a celle qu'il avail faile dans les Alpes. Le roi voulul aller lui-meme achever en Flandre les conquetes qu'il avail inlerrompues I'annee precedente. II venait de marier le Dauphin avec la seconde infante d'Espagne, au mois de fevrier (1745); et ce jeune prince, qui n'avail pas seize ansaccomplis, se prepara a partir au commencement de mai avec son pere. CHAPITRE XV. Si^ge de Tournay. Bataiile de Fontenoy. Le marechal de Saxe etait deja en Flandre, a la tete de I'armee,. composee de cent six bataillons complets el de cent soixante et douze escadrons. Deja Tournay, celte ancienne capitale de la do- mination franqaise , etait investi. C'etait la plus forte place de la barriere. La viile el la citadelle elaienl encore un des chefs-d'oeu- vre du marechal de Vauban, car il n'y avail guere de place ef> Flandre donl Louis XIV n'eiil fail construire les fortifications. Des que les elats generaux des Sept-Provinces apprirent que Tournay etait en danger, ils manderent qu'il fallait hasarder une bataiile pour secourir la ville. Ces rcpublicains, maigre leur cir- conspection, furent alors les premiers a prendre des resolutions hardies. Au 5 mai (1745), les allies avancerenl a Cambron, a sept lieues de Tournay. Le roi partil le 6 de Paris avec le Dauphin ; les aides de campdu roi, les mcnins du Dauphin, les accompagnaieut.. CHAPITRE XV. 71 La principale force de I'armee ennemie consislait en vingt ba- 4aillons et vingl-six escadrons anglais, sous le jeune due de Cum- berland, qui avail gagne avec le roi son pere la bataiile de Det- tingen : cinq bataillons el seize escadrons hanovriens elaienl jomts aux Anglais. Le prince de Valdeck, a peu pres de I'^ge du due. de Cumberland, impatient de se signaler, etait a la tete de quaranle escadrons hollandais et de vingl-six bataillons. Les Autrichiens n'avaient dans celle armee que huil escadrons. On faisail la guerre pour eux dans la Flandre, qui a ete si longlemps defendue par les armes et par I'argenl de I'Angleterre et de la Hollande : mais a la tele de ce petit nombre d'Aulrichiens etait le vieux general Kcenigseck, qui avail commande contre les Turcs en Ilongrie, et contre les Francois en Italic et en Allemagne. Ses conseils devaient aider I'ardeur du due de Cumberland et du prince de Valdeck. On comptail dans leur armee au dela de cinquanle-cinq mille combatlants. Le roi laissa devanl Tournay environ dix-huit mille aommes, qui elaienl postes en cchelle jusqu'au champ de ba- taiile ; six mille pour garder les ponts sur I'Escaut et les commu- nications. L'armee etait sous les ordres d'un general en qui on avail la plus juste confiance. Le comle de Saxe avail deja merite sa grande reputation par de savantes retrailes en Allemagne el par sa campagne de 1744 ; il joignait une theorie profonde a la prati- que. La vigilance, le secret, I'art de savoir differer a propos un projet et celui de I'executer rapidemenl, le coup d'ceil, les res- sources, la prevoyance, elaienl ses talents, de Taveu de tons les officiers; mais alors ce general, consume d'une maladie de lan- gueur, etait presque mourant. II etait parti de Paris tres-malade pour l'armee. L'auteur de celte histoire I'ayant meme rencontre avant son depart, et n'ayant pu s'empecher de lui demander comment il pourrait faire dans eel etal de faiblesse, le marechal lui repoudit : « II ne s'agit pas de vivre, mais de partir ^ » (1745) Le roi etant arrive le 6 mai a Douay, se rendil le lende- main a Pont-a-Chin pres de I'Escaut, a porlee des tranchees de Tournay. De la il alia reconnaitre le terrain qui devait servir de champ de bataiile. Toule l'armee, en voyanl le roi et le Dauphin, ' C'est k peu pr^ le vers de Racine , dans Berenice, acte IV, scene : Maia il ne s'agit pas de vivre, il faut regner. Ed. 7g SlfeCLE DE LOUIS XV. fit entendre des acclamations de joie. Les allies passerent Ic 10 et la nuit du 1 1 a faire leurs dernieres dispositions. Jamais le roi ne marqua plus de gaietc que la veille du combat. La conversation roula sur les batailles oil les rois s*elaient trouves en personne. Le roi dit que, depuis la bataille de Poitiers, aucun roi de France n*avait combattu avec son fils, et qu'aucun, depuis saint Louis, n'avait gagne de victoire signalee conlre les Anglais : qu'il espe- rait etre^ le premier. II fut eveille le premier le jour de Taction : il eveilla lui-meme a quatre heures le comle d'Argenson, ministre de la guerre, qui, dans I'instant, envoya demander au marechal de Saxe ses derniers ordres. On trouva le marechal dans une voi- ture d'osier qui lui servait de lit, et dans laquelle il se faisait trainer quand ses forces epuisees ne lui permetlaient plus d'etre a cheval. Le roi et son fits avaient deja passe un pont sur TEs- caut a Calonne ; ils allerent prendre leur poste par dela la Justice de Notre-Dame-aux-Bois, a mille toises de ce pont, et precisement a Tentree du champ de bataille. La suite du roi et du Dauphin , qui composait une troupe nombreuse, etait suivie d'une foule de personnes de toute espece qu'attirait cette journee, etdontquelques-uns meme etaient monies sur des arbres pour voir le spectacle d'une bataille. En jetant les ycux sur les cartes , qui sont fort communes , on voit d'un coup d'oeil la disposition des deux armees. On remarque Anthoin assez pres de I'Escaut, a la droite de I'armee francaise, a neuf cents toises de ce pont de Calonne , par ou le roi et le Dauphin s'elaient avances ; le village de Fonlenoy par dela Anthoin, presque sur la meme ligne; un espace etroit de quatre cent cinquante toises de large enlreFontenoy el tm petit bois qu'on appelle le bois de Barn. Ce bois , ces villages , etaient garnis de canons comme un camp retranche. Le marechal de Saxe avail ^tabli des redoutes entre Anthoin ct Fonlenoy : d'aulres redoutes aux extremites du bois de Barri fortifiaienl cette enceinte. Le champ de bataille n'avait pas plus de cinq cents toises de longueur depuis I'endroit ou etait le roi, aupres de Fonlenoy, jusqu'a ce bois de Barri, et n'avait guere plus de neuf cents toises de large; de sorte que Ton allait combattre en champ clos , comme a Det- tingen, mais dans une journee plus memorable. Le general de I'armee francaise avail pourvu a la victoire et a la defaite.Le pont de Calonne, muni de canohs, fortifiede retran- 0( I CHAPITRE XV. 7., chements, et defend u par quelques bataillons, devait servir de relraite au roi et au Dauphin en cas de malheur. Le reste de I'armee aurait defile alors par d'aulres ponts sur le bas Escaut par dela Tournay. On prit loutes les raesures qui se prelaient un secours muluel sans qu'elles pussent se traverser. L'armee de France semblait inabordable ; car le feu croise qui partail des redoutes du bois de Barri et du village de Fonlenoy defendait toute approche. Outre ces precautions , on avail encore place six canons de seize livres de balle au deca de I'Escaut, pour foudroyer les troupes qui atta- queraient le village d'Anthoin. On commencait a se canonner de part et d'autre a six heures du matin. Le marechal de Noailles etait alors aupres de Fonlenoy, et rendait compte au marechal de Saxe d'un ouvrage qu'il avail fait a Tentree de la nuit pour joindre le village de Fonlenoy a la premiere des trois redoutes entre Fonlenoy et Anthoin : il lui servil de premier aidede camp, sacrifiant la jalousie du comman- demenl au bien de Tfitat, el s'oubliant soi-meme pour un general eiranger et moins ancien. Le marechal de Saxe sentait tout le prix de cette magnanimite ; et jamais on ne vit une union si grande entre deux hommes que la faiblesse ordinaire du coeur humain pouvail eloigner Tun de I'autre. Le marechal de Noailles embrassait le due de Grammont son nevcu , et ils se separaient , I'un pour relourner aupres du roi , I'aulre pour alier a son poste, lorsqu'un boulet de canon vinl frapper le due de Grammont a mort : il fut la premiere victime de celle journee. Les Anglais attaquerenl trois fois Fonlenoy, el les Hollandais se presenlerent a deux reprises devant Anthoin. A leur seconde at- laque, on vit un escadron hollandais emporte presque tout entier par le canon d'Anthoin : il n'en resta que quinze hommes, et les Hollandais ne se presenlerent plus des ce moment. Alors le due de Cumberland prit une resolution qui pouvail lui assurer le succes de cette journee. II ordonna a un major general , nomme Ingolsby, d'entrer dans le bois de Barri, de penetrer jus- qu'a la redoute de ce bois vis-a-vis Fonlenoy, el de I'empo.-ler. Ingolsby marche avec les meilleures troupes pour executer eel oi-dre : il Irouve dans le bois de Barri un balaillon du regiment d'un partisan : c'etail ce qu'on appelait les Grassins , du nom de M SINGLE DE LOUIS XV. celui qui les avail formes. Ces soldals etaient en avant dans le bois, par deia la redoute, couches par terre. Ingolsby crut que c'etail un corps considerable : il relourne aupres du due de Cum- herland, et deraande du canon. Le lemps se perdait. Le prince etait au desespoir d'une desobeissance qui derangeait toutes ses mesures, et qu'il fit ensuite punir a Londres par un couseil de guerre qu'on appelle cour martiale. II se determina sur-le-champ a passer entre celte redoule et Fontenoy. Le terrain etait escarpe, il fallait franchir un ravin pro- fond; il fallait essuyer tout le feu de Fontenoy et de la redoute. L*entreprise etait audacieuse : mais il etait reduit alors ou a ne point combattre, ou a tenter ce passage. Les Anglais et les Hanovriens s'avancent avec lui sans presque deranger leurs rangs, trainant leurs canons a bras par les sentiers : il les forme sur trois lignes assez pressces , et de quatre de hau- teur chacune, avancant entre les batteries de canon qui les fou- droyaient dans un terrain d'environ quatre cents toises de large. Des rangs entiers tombaient morts a droite et a gauche ; ils etaient remplaces aussitot ; et les canons qu'ils amenaient a bras vis-a-vis Fontenoy et devant les redoutes, repondaient a I'arlillerie fran- caise. En cet elat ils marchaient fierement , precedes de six pieces d*artillerie, et en ayant encore six autres au milieu de leurs lignes. Vis-a-vis d*eux se trouverent quatre bataillons des gardes francaises, ayant deux bataillons de gardes suisses a leur gauche, le regiment de Courten a leur droite, ensuite celui d'Aubeterre , et plus loin le regiment du Roi, qui bordait Fontenoy le long d'un chemin creux. Le terrain s'elevait a Tendroit ou etaient les gardes francaises jusqu'a celui oil les Anglais se formaient. Les officiers des gardes francaises se dirent alors les uns aux au- tres : « 11 faut aller prendre le canon des Anglais. « Ils y monterent rapidement avec leurs grenadiers, mais ils furent bien etonnes de trouver une armee devant eux. L'artillerie el la mousquelerie en coucherent par terre pres de soixanle , et le resle fut oblige de revenir dans ses rangs. Cependant les Anglais avancaient; et celte ligne d'infanterie , composee des gardes francaises et suisses, et de Courten, ayant encore sur leur droite Aubeterre et un bataillon du regiment du Roi, s'approchait de Tennemi. On etait a cinqu quitter, et n'ayant eprouve. par sa complexion melancolique, que I'amertume allachee a la condition humaine. meme dans la puissance aosoiue. La nouvelle de sa mort, arrivee a I'armee apres sa defaite, augmenta I'embarras ou Ton etait. On ne savait pas encore si Ferdinand VI, successeur de Philippe V, ferait pour un frere d'un second mariage ce que Philippe V avait fait pour un lils. Ce qui restait de cetle florissante armee des trois couronnes courait risque, plus que jamais, d'etre enferme sans ressource : elle etait entre le Po, le Lambro, le Tidone, et la Trebie. Se battre en rase campagne, ou dans un poste , contre une armee supe- rieure, esttres-ordinaire ; sauver des troupes vaiocueset enfermees est tres-rare : c*est I'effort de Tart militaire. Le comte de Maillebois, fils du marechal, osa proposer de se retirer en combattant; il se chargea de Tentreprise, la dirigea sous les yeux de son pere, et en vint a bout. L'armee des trois couronnes passa tout entiere , en un jour et une nuit , sur trois ponts, avec quatre mille mulcts charges et mille chariots de vi- vres, et se forma le long du Tidone Les mesures etaient si bien prises, que le roi de Sardaigne et les Autrichiens ne purent I'alta- quer que quand elle put se defendre. Les Frangais et les Espa- gnols soutinrent une bataille longue et opinidlre, pendant laquelle ils ne furent point entames. Celte journee, plus estimee des juges de i'art qu'eclatante aux yeux du vulgaire, fut comptee pour une journee heureuse, parcc CHAPITRE XIX. 107 que Ton remplit I'objet propose : cet objet etait triste ; c'etait de se retirer par Tortone, et de laisser au pouvoir de I'ennemi Plai- sance et tout le pays. En effet, le lendemain de cette etrange ba- taille, Plaisance se rendit , et plus de trois mille malades y furent faits prisonniers de guerre. De toute cetle grande armee qui devait subjuguer I'llalie, il ne resta enfin que seize mille hommes effectifs a Torlone. La meme chose etait arrivee du temps de Louis XIV, apres la journee de Turin. Francois I", Louis XII, Charles VIII, avaient essuye les memes disgraces. Grandes lecons toujours inutiles. ( 17 auguste 1746) On se retira bientot a Gavi, vers les confins des Genois. L'infant et le due de Modene allerent dans Genes ; mais, au lieu de la rassurer, ils en augmenlerent les alarmes. Genes etait bloquee par les escadres anglaises. II n'y avait pas de quoi nourrir le peu de cavalerie qui restait encore. Quarante mille Autrichiens et vingt mille Piemontais approchaient ; si Ton restait dans Genes, on pouvait la defendre ; mais on abandonnait le comte de Nice, la Savoie, la Provence. Un nouveau general es- pagnol , le marquis de la Mina , etait envoye pour sauver les de- bris de l'armee. Les Genois le suppliaient de les defendre, mais ils ne purent rien obtenir. Genes n'est pas une ville qui doive, comme Milan, porter ses clefs a quiconque approche d'elle avec une armee : outre son en- ceinte, elle en a une seconde de plus de deux lieues d'etendue, forraee sur une chaine de rochers. Par dela celte double enceinte, I'Apennin lui sert parlout de forlification. Le poste de la Boc- chetla, par oil les ennemis s'avancaient, avait toujours ele repute imprenable. Cependant les troupes qui gardaient ce poste ne firent aucune resistance , et allerent se rejoindre aux debris de l'armee francaise et espagnole, qui se retiraient par Vintimille. La consternation des Genois ne leur permit pas de tenter seulen>ent de se defendre. Ils avaient une grosse artillerie, I'ennemi n'avait point de canon de siege ; mais ils n'allendirent pas que ce canon arrival, et la terreur les precipita dans toutes les extremites qu'ils craignaient. Le senat envoya precipitamment quatre senateurs dans les defiles des montagnes , ou campaient les Autrichiens, pour recevoir du general Brown et du marquis de Botta-Adorno, Milanais, lieutenant general de rimperatrice-reine, les lois qu'ils voudraieut bien donner. lis se soumirent a remettre leur ville X t08 SltCLE DE LOUIS XV. ■ ;- dans vingl-qualre heures (le 7 septembre ), a rendrc prisonniert leurs sbldats, les Francais ct les Espagnols, a livrer tous les cffets qui pourraient appartenir a des sujels de France, d'Espa- gne et de Naples. On stipula que quatre senateurs se rendraient en otage a Milan ; qu'on payerait sur-le-champ cinquante roille ge- novines, qui font environ quatre cent mille livres de France, en at- tendant les taxes qu'il plairaitau vainqueur d'imposer. On se souvenait que Louis XIV avait exigc autrefois que le doge de Genes vint lui faire des excuses a Versailles avec quatre senateurs. On en ajouta deux pour i'imperatrice-reine ; mais elle mit sa gloire a refuser ce que Louis XIV avait exige. Eile crut qu'il y avait peu d'honueur a humilier les faibles , et ne songea qu'a tirer de Genes de fortes contributions, dont elle avait plus de besoin que du vain honneur de voir le doge de la petite rcpublique de Genes avec six Genois au pied du trone imperial. Genes fut taxee a vingt-quatre millions de livres : c*ctait la miner enlierement. Gette republique ne s'etait pas attendue, quand la guerre commenca pour la succession de la maison d'Au- triche, qu'elle en serait la victime; mais des qu'on arme dans TEurope, il n*y a point de petit £tat qui ne doive trembler. La puissance autrichienne , accablee en Flandre, mais vie- torieuse dans les Alpes, n'etait plus embarrassee que du choix des conquetes qu'elle pouvait faire vers Tltalie. II paraissait egale- ment aise d'entrer dans Naples ou dans la Provence. II lui eut ete plus facile de garder Naples. Le conseil autrichien crut qu*apres avoir pris Toulon et Marseille, il reduirait les Deux-Si- ciles facilement, et que les Francais ne pourraient plus repasser les Alpes. ( 1746 ) Le 28 octobre, le marecbal de Maillebois elait sur le Var, qui separe la France du Piemont. II nWail pas onze mille hommes. Le marquis de La Mina n'en ramenait pas neuf mille. Le general espagnol se separa alors des Francais, tourna vers la Savoie par le Daupbine : car les Espagnols etaient toujours mai- tres de ce duche, et ils voulaient le conserver en abandonnant le reste. Les vainqueurs passerent le Var au nombre de pres de quarante mille hommes. Les debris de Tarmee francaise se retiraient dans la Provence, mauquant de tout, la moitie des officiers a pi( d ; pomt d approvisionnements, point d'outils pour rompre les poDts,. CHAPITRE XX. 109 pen de vivres. Le clerge, les notables, les peuples, couraient au- Levant des detachements autrichiens pour leur offrir des contri- butions, et etre preserves du pillage. Tel etait Teffet des revolutions d'llalie , pendant que \es ar- mees francaises conqueraient les Pays-Bas, et que le prince Cbarles-Edouard , dont nous parlerons , avait pris et perdu r£)- cosse. CHAPITRE XX. Les Autrichiens et les Pi^montais entrent en Provence ; les Anglais, en Bretagne. L'incendie qui avait commence vers le Danube et presque aux portes de Vienne, et qui d'abord avait semble ne devoir durer que peu de mois , etait parvenu apres six ans sur les cotes de France. Presque toute la Provence etait en proie aux Autrichiens. D'un c6l6, leurs partis desolaient le Daupbine; de I'autre, ils passaient au dela de la Durance. Vence et Grasse furent aban- donnees au pillage ; les Anglais faisaient des descentes dans la Bretagne, et leurs escadres allaient devant Toulon et Marseille ai- der leurs allies a prendre ces deux villes , tandis que d'autres es- cadres attaquaieut les possessions francaises en Asic et en Ame- rique II fallait sauver la Provence ; le marecbal de Belle-Isle y fut envoye, mais d*abord sans argent et sans armee. C'etait a lui a reparer les maux d'une guerre universelle que lui seul avait allu- mee. II ne vit que de la desolation ; des miliciens effrayes, des debris de regiments sans discipline, qui s'arrachaient le foin et la paille ; les mulcts des vivres mouraient, faute de nourriture ; les ennemis av^ient lout rangonne et tout devore, du Var a la riviere d'Argens et a la Durance. L'infant don Philippe et le due de Mo- dene etaient dans la ville d' Aix en Provence, ou ils attendaient les efforts que feraient la France et I'Espagne pour sortir de cette si- tuation cruelle. Les ressources etaient encore eloignees, les dangers et les be- soins pressaient ; le marecbal eut beaucoup de peine a emprunter en son nom cinquante mille ecus pour subvenir aux plus pres- sants besoins. II fut oblige de faire les fonctions d'intendant et de VOLT. — SIECLE DE LOUIS IV. ^ 110 SItCLE DE LOUIS XV. munitionnaire. Ensuite , a mesure que le gouverncment lui en- voyait quelques bataillons et quelques escadrons, il preuait des postes par lesquels il arretait les Autrichiens et les Piemontais. II couvrit Castellane, Draguignan et Brignoles, dont renncmi allait se rendre maitre. Enfin, au commencement de Janvier 1747, se trouvant fortde soiiante bataillons et de vingt-deux escadrons, et secondc du marquis de La Mina, qui lui fournit quatre a cinq mille Espa- gnols, il se vit en etat de pousser de poste en poste les ennemis bors de la Provence. lis etaient encore plus embarrasses que lui, car ils manquaient de subsistances. Ce point essentiel est ce qui rend la plupart des invasions infructueuses. Ils avaient d'abord tire toules leurs provisions de Genes ; mais la revolution inouie qui se faisait pour lors dans Genes, et dontil n'y apoint d'exemple dans I'histoire, les priva dun secours necessaire, et les forc^a de retourner en Italic. CHAPITRE XXI. Revolution de Ci^ues. II se faisait alors dans Genes un changement aussi important qu'imprevu. (30 novembre 1746) Les Autrichiens usaient avec rigueur du droit de la victoire ; les Genois, ayant epuise leurs ressources, et donne tout Targent dc leur banque de Saint-George pour payer seize millions, demanderent grace pour les huit autres ; mais on leur signifia, de la part de riraperatrice-reine, que non-seulemenl il les fallait donuer, mais qu'il fallait payer encore environ autant pour Tentretien de neuf regiments repandus dans les faubourgs de Saint-Pierre des Arenes, de Bisagno, et dans les villages cir- convoisins. A la publication de ces ordres, le desespoir saisit tous les habitants ; ieur commerce etait ruine, leur credit perdu, leur banque epuisee, les magniiiques maisons de campagne qui em- bellissaient les dehors de Genes, pillees, les habitants traites en esclaves par le soldat : ils n'avaient plus a perdre que la vie ; et il n*y avait point de Genois qui ne pariit enfin resolu a la sacrifier, plutot que de souffrir plus longtemps un traitement si honteux el si rude. CHAPITRE XXI. Ill Genes captive comptait encore parmi ses disgraces la perte du royaume de Corse, si longtemps souleve coutre elle, et dont les mecontents seraient sans doute appuyes pour jamais par ses vain- queurs. La Corse, qui s*etait plainte d'etre opprimee par Genes, comme Genes I'etait par les Autrichiens, jouissait, dans ce chaos de re- volutions, de Tinfortune de ses maitres. Ce surcroit d'afflictions n'etait que pour le senat : en perdant la Corse, il ne perdait qu'un fantome d'autorite; mais le reste des Genois etait en proie aux afflictions reelles qu*entraine la misere. Quelques senateurs fo- mentaient sourdement et avec habilete les resolutions desesperees que les habitants semblaient disposes a prendre ; ils avaient be- soin de la plus grande circonspection, car il etait vraisemblable qu'un coulevement temeraire et mal soutenu ne produirait que la destruction du senat et de la ville. Les emissaires des sena- teurs se contentaient dc dire aux plus accredites du peuple : « Jusqu'a quand attendrez-vous que les Autrichiens viennent vous « egorger entre les bras de vos femmes et de vos enfants, pour •t vous arracher le peu de nourriture qui vous reste? Leurs trou- « pes sont dispersees hors de Tenceinte de vos murs ; il n'y a « dans la ville que ceux qui veillent a la garde de vos portes ; « vous etes ici plus de trente mille hommes capables d'un coup « de main : ne vaut-il pas mieux mourir que d'etre les specta- «« teurs des mines de votre palrie ? >» Mille discours pareils ani- maient le peuple ; mais il n'osait encore remuer, et personne n'o- sait arborer Telendard de la libertc. Les Autrichiens tiraient de I'arsenal de Genes des canons et des mortiers pour Texpedition de Provence, et ils faisaient servir les habitants a ce travail. Le peuple murmurait, mais il obeissait. (Sdecembre 1746) Un capitaine autrichien ayant rudement frappe un habitant qui ne s'empressait pas assez, ce moment fut un si- gnal auquel le peuple s'assembla, s'emut, et s'arma de tout ce qu'il put trouver, pierres, bMons, epees, fusils, instruments de toute espece. Ce peuple, qui n'avait pas eu seulement la pensee de dcfendre sa ville quand les ennemis en etaient encore eloi- gncs, la defendit quand ils en etaient les maitres. Le marquis de Botta, qui etait a Saint-Pierre des Arenes, crut que cetle emeute du peuple se ralentirait d'elle-meme, et que la crainte reprendrail bienlot la place de cetle fureur passagere. Le lendemain, il se con- in SifeCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XXI 113 i I tenta de ren forcer les gardes des portes» et d'envoyer quelques detacheme\its dans les rues. Le peuple, attroupe en plus grand nombre que la vciile, courait au palais du doge demander les ar- mes qui sont dans ce palais ; le doge nc repondil rien; les domes- tiques indiquerent un autre magasin : on y court, on renfonce, on s'arme ; une centaine d'officiers se distribuent dans la place ; on se barricade dans les rues , et Tordre qu'on tdche de mellre autant qu'on le pent dans ce bouleversement subit ct furieux n'en ralentit point I'ardeur. 11 semble que, dans cette journee et dans les suivantes, la cons- ternation qui avait si longtemps atterre Tesprit des Gcnois eiit passe dans les Ariemands;ils ne tcnterent pas de combattre le peuple avec des troupes regulieres ; ils laisserent les souleves se rendre maitres de la porte Saint-Thomas et de la porte Saint- Michel. Le senat, qui ne savait encore si le peuple soutiendrait ce qu'il avait si bien commence, enroya une deputation au ge- neral autrichien dans Saint-Pierre des Arenes. Le marquis de Botta negocia lorsqu'il fallait combattre : il dit aux senateurs qu'ils armassent les troupes genoises laissees desarmees dans la ville, et quMls les joignissent aux Autrichiens, pour tomber sur les rebelles au signal qu'il ferait ; mais on ne devait pas s'atten- dre que le senat de Genes se joignit aux oppresseurs de la patrie pour accabler ses defenseurs et pour achever sa perte. (9 decembre 1746) Les Allemands, comptant sur les intelligen- ces qu'ils avaient dans la ville, s'avancerent a la porte de Bisa- gno par le faubourg qui porte ce nom ; mais ils y furent recus par des salves de canons et dc mousqueterie. Le peuple de Genes composait alors une armee : on battait la caisse dans la ville au nom du peuple, ct on ordonnait, sous peine de la vie, a tous les citoyens de sortir en armes hors dc leurs maisons, et de se ran- ger sous les drapeaux de leurs quarliers. Les Allemands furent attaques a la fois dans le faubourg de Bisagno, et dans celui de Saint-Pierre des Arenes ; le tocsin sonnait en meme temps dans tous les villages des vallees ; les paysans s'assemblcrent au nom- bre de vingt mille. Un prince Doria, a la tete du peuple, attaqua le marquis de Botta dans Saint-Pierre des Arents ; le general et ses neuf regiments se relirerent en desordre ; ils laisserent qua- tre mille prisonniers et pres de mille morls, tous leurs magasins tous leurs equipages, et alierent au posle de la Bocchetta, pour- suivis sans cesse par le simples paysans, et forces enfin d'ahan- 4onner ce poste, et de fuir jusqu'a Gavi. C'est ainsi que les Autrichiens perdirent Genes pour ovoir Irop meprise et accable le peuple, et pour avoir eu la Firajlicite de croire que le senat se joindrait a eux contre les habitants qui se- couraient le senat meme. L'Europe vit avec surprise qu'un peu- ple faible, nourri loin des armes, et que ni son enceinte de ro- chers, ni les rois de France, d'Espagne, de Naples, n*avaient pu sauver du joug des Autrichiens, Teut brise sans aucun secours* et eut chasse ses vainqueurs. II y eut dans ces tumultes beaucoup de brigandages : le peuple pilla plusieurs maisons appartenantes aux senateurs soupconnes de favoriser les Autrichiens : mais ce qui fut le plus etonnant dans cette revolution, c*est que ce meme peuple, qui avait qnatre mille de ses vainqueurs dans ses prisons, ne tourna point ses forces contre ses maitres. II avait des chefs; mais ils etaient iudiques par le senat, el parmi eux il ne s'en trouva point d'assez conside- rables pour usurper longtemps Tautorite. Le peuple choisit Irente-six citoyens pour le gouverner ; mais il y ajouta quatre se- nateurs : Grimaldi, Scaglia, Lomellini, Fornari ; et ces quatre no- bles rendaient socretcment comptc au senat, qui paraissait ne se meler plus du gouvernement ; mais il gouvernait en effet : il fai- sait desavouer a Vienne la revolution qu'il fomentaita Genes, et dont il redoutait la plus terrible vengeance. Son ministre dans cette cour declara que la noblesse genoise n'avait auciine part a ce changement qu'on appelait revoke. Le conseil de Vienne, agissant encore en maitre, et croyant etre bientot en etat de reprendre Genes, lui signifia que le senat eut a faire payer incessamment les nuit millions restants de la somme a laquelle on Tavait condamne, a en donner trente pour les dommagcs causes a ses troupes, a rendre toOs les prisonniers, a faire justice des seditieux. Ces lois, qu'un maitre irrile aurail pu donner a des sujets rebelles et im- puissants, ne firent qu'aff^rmir les Genois dans la resolution de se defendre, et dans 1 esperance de repousser de leur territoire ceux qu'ils avaient chasses de la capitale. Quatre mille Autrichiens, dans les prisons de Genes, claicnt encore des otages qui les ras- suraient. Cependanl les Autrichiens, aides des Piemontais, en sorlant de Provence raenacaienl Genes dc rentrer dans ses rours. Un des 1 r 114 SltCLE DE LOUIS XV. generaux autric-hiens avail deja renforce ses troupes de soldals al- banais, accoutumes a combaltre au milieu des rochers. Ce sont les anciens fipirotes, qui passent encore pour etre aussi bons guerricrs que leurs ancetres. II eut ces fipirotes par le raoyen de son oncle, ce fameux Schulenbourg, qui, apres avoir resiste au roi de Suede Charles XII , avail defendu Corfou conlre I'empire oltoman. Les Autrichiens repasserenl done la Bocchelta ; ils res- serraient Genes d'assez pres; la campagne a droile el a gauche etail livree a la fureur des Iroupes irregulieres, au saccageraenl el k la devastation. Genes elait consternee, el celle consternation merae y produisait des intelligences avec ses oppresseurs : pour comble do malheur, il y avail alors une grande division entre le senal el le peuple. La ville avail des vivres, mais plus d'argenl ; el il fallail depenser dix-huil mille florins par jour pour entretenir les milices qui combattaient dans la campagne, ou qui gardaienl la villc. La republique n'avait ni aucunes Iroupes regulieres aguerries, ni aucun officier experimente. Nul secours n*y pouvait arriver que par mer, el encore au hasard d'etre pris par une flolle anglaise conduite par Tamiral Medley, qui dominait sur les cotes. Le roi de France fit d'abord tenir au senal un million par un petit vaisseau qui echappa aux Anglais. Les galeres de Toulon el de Marseille partent, chargees d'environ six mille hommes. On rel^cha en Corse eta Monaco a cause d'une lempete, el surlout de la flolle anglaise. Cetle flotte prit six bitiments qui portaienl envi- ron mille soldals. Mais enfin le reste entra dans Genes au nombre d'environ quatre mille cinq cents Francais qui firent renaitre I'es- perance. Bienlol apres le due de Boufflers arrive, el vienl commander les Iroupes qui defendenl Genes, el dont le nombre augmente de jour en jour. (Le dernier avril 1747) 11 fallul que ce general pas- s4l dans une barque, el trompAl la flotleZde I'amiral Medley. Le due de Boufflers se trouvail a la tele d'environ huil mille hommes de troupes regulieres, dans ufte ville bloquee, qui s'at- leudaila etre bienlol assiegee : il y avail peu d'ordre, peu de pro- visions, point de poudre ; les chefs du peuple etaienl peu soumis au senal. Les Autrichiens conservaient toujours quelques intelli- gences. Le due de Boufflers eul d'abord aulanl d*embarras avec ceux qu'il venail defendre qu'avec ceux qu'il venait combaltre. U mil I'ordre parloul ; des provisions de toute espece aborderent CHAPITRE XXI. 115 en surele, moyennanl une retribution qu'on donnail en secret a des capitaines de vaisseaux anglais : tanl Tinteret particulier sert toujours a faire ou a reparer les malheurs publics. Les Autri- chiens avaient quelques moines dans leur parti ; on leur opposa les memes armes avec plus de force ; on engagea les confesseurs a refuser I'absolution a quiconque balancait entre la patrie el les ennemis. Un ermite se mil a la tete des milices, qu'il encourageait par son enthousiasme en leur parlant, el par son exemple en com- battant. II fut tue dans un de ces pclits combats qui se donnaient tous les jours, el mourut en exhortanl les Genois a se defendre. Les dames genoises mirent en gage leurs pierreries chez des Juifs, pour subveniraux frais desouvrages necessaires. Mais le plus puissant de ces encouragements fut la valeur des troupes francaises, que le due de Boufflers employail souvenl a attaquer les ennemis dans leurs posies au dela de la double en- ceinte de Genes. On reussil dans presque tous ces petils combats, dont le detail attirail alors Taltention, el qui se perdent ensuite parmi des evenements innombrables. La cour de Vienne ordonna enfin qu'on \e\ki le blocus. Le due de Boufflers ne jouit point de ce bonheur el de cetle gloire; il mourut de la petite-verole le jour meme que les ennemis se reti- raient (27 juin 1747). II elait fils du marechal de Boufflers, ce ge- neral si eslime sous Louis XIV, homme vertueux, bon ciloyen ; el le due avail les qualites de son pere. Genes n'elait pas alors pressee ; mais elle etail toujours tres- menacee par les Piemontais mailres de tous les environs, par la flolle anglaise qui bouchait ses ports, par les Autrichiens qui re- venaienl des Alpes fondre sur elle. II fallail que le marechal de Belle-Isle descendit en Italic; el c'esl ce qui elait d'une extreme difflculte. Genes devait a la fin elre accablee, le royaume de Naples ex- pose, toute esperance olee a don Philippe de s'etablir en Italic. Le due de Modene en ce cas paraissail sans ressource. Louis XV ne se rebuta pas. (27 septembre 1747) II envoya a Genes le due de Richelieu, de nouvelles troupes, de I'argenl. Le due de Richelieu arrive dans un petit bAliment, malgre la flolle anglaise ; ses troupes passer t a la faveur de la meme manoeuvre. La cour de Madrid seconde ces efforts, elle fait passer a Genes environ trois mille hommes ; elle ._^*-.' t 116 SifeCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XXII. 117 promet deux cent cinquante mille livres par mois aux Genois, mais le roi de France les donne ; le due de Richelieu repousse les ennemis dans plusieurs combats, fait fortifier tous les postes, met les cdles en surete. Alors la cour d'Anglclerre s'opuisnit pour faire tomber Genes, comme celle de France pour la defen- dre. Le ministere anglais donne cent cinquante mille livres ster- ling a I'imperatrice-reine , el autant au roi de Sardaigne , pour entreprendre le siege de Genes. Les Anglais perdirent leurs avan- ces. Le marechal de Belle-Isle, apres avoir pris le comle de Nice, tenait les Autrichiens et les Piemontais en alarmes. S'ils faisaient le siege de Genes, il tombait sur eux, Ainsi, clanl encore arrele pareux, il les arretait. CHAPITRE XXir. Combat d'Exiles funcste aux Franrais. Pour penetrer en Italic malgre les armces d'Aulriche et de Piemont, quel chemin fallaitil prendre ? Le general espagnol. La: Mina, voulait qu'on tir&t a Final par ce chemin de la cote du- Ponant, ou Ton ne peut aller qu'un a un ; mais il n'avait ni ca- nons ni provisions : transporter rarlillerie francaise, garder une communication de pres dc quarante marches par une route aussr serree qu'escarpee, ou tout doit etre porte a dos de mulct ; etre expose sans cesse au canon des vaisseaux anglais; de telles diffi- cultes paraissaient insurmontables. On proposait la route de Demont et de Coni : mais assieger Coni etait une entreprise dont tout le danger etait connu. On se determina pour la route du col d'Exiles, a pres de vingt-cinq lieues de Nice, et on reso- lut d'emporter cette place. Cette entreprise n'etait pas moins hasardeuse, mais on ne pou- vait choisir qu'entrcdes perils. Le comte de Belle-Isle saisit avi- dement cette occasion de se signaler ; il avail autant d'audace pour executer un projet que de dexterite pour le conduire ; homme in- fatigable dans le travail du cabinet et dans cclul de la campagne. 11 part done, et prend son chemin en rctournant vers le Dauphine, et s'eufonc^ant ensuile vers le col de I'Assiette, sur le chemin d'Exi- les : c'cst la que vingt et un bataillons piemontais I'attcndaient (lemere des retranchemenls de pierre et de bois, hauls de dix- huit picds sur treize pieds de profondeur, et garnis d'artillerie. Pour emporter ces retranchemenls le comte de Belle Isle avail vingt-huil bataillons cl sept canons dc campagne, qu'on ne put guere placer d'une maniere avantageuse. On s'enhardissait a cette entreprise par le souvenir des journees de Mohlalban ct de Chateau-Dauphin, qui semblaient justilier tant d'audace. II n'y a jamais d'altaques enlierement semblables, et il est plus difticile encore el plus meurtrier d'allaqucr des palissades qu'il faut arra- cher avec les mains sous un feu plongeant et continu, que de gra- vir et de combattre sur des rochers; enfin, ce qu'on doit compter pour beaucoup, les Piemontais etaienl Ires-aguerris, et Ton ne pouvait mepriser des troupes que le roi de Sardaigne avail com- mandees. (19 juillel 1747) L'aclion dura deux heures, c'est-a-dire que les Piemontais luerenl deux heures de suite, sans peine et sans danger, tous les Francais qu'ils choisirent. M. d'Arnaud, ma- rechal de camp, qui menail une division, fut blessc a mort des premiers avec M. de Grille, major general de I'armee. Parmi tant d'aclions sanglanles qui signalerenl celle guerre de tous cotes, ce combat fut un de ceux ou Ton cut le plus a deplo- rrr la perte premaluree d'une jeunesse florissantc, inutilement sacrifice. Le comte de Goas, colonel de Bourbonnais, y peril, Le marquis de Donge, colonel de Soissonnais, y recul une blessure dont il mourul six jours apres. Le marquis de Brienne, colonel d'Arlois, ayant eu un bras emporte, relourna aux palissades en disanl : « II m'en reste un autre pour le service du roi ; » et il fut frappe a mort. On compta trois mille six cent quatre-vingt-quinze morls, el mille six cent six blesses ; fat^alite contraire a I'evene- menl de loutes les autres batailles, ou les blesses sonl toujours Ic plus grand nombre. Celui des officiers qui perirenl fut Ires-grand ; presque tous ceux du regiment de Bourbonnais furent blesses ou moururcnl, et les Piemontais ne perdirent pas cent hommes. Belle-Isle desespere arrachail les palissades, et, blesse aux deux, mains, il tirait des bois encore avec les dents, quand enlin il re- ^ut le coup mortel. II avail dit souvent qu'il ne fallail pas qu'ui> general survecut a sa defaile, et il ne prouva que Irop que ce sentiment etait dans son coeur. Les blesses furent menes a Brian- ^on, ou Ton ne s'etait pas altendo au desastre de celle journee. M. d'Audiffrel, lieutenant du roi, vendit sa vaisselle d'argenl pour 7. lis SltCLE DE LOUIS XV. eecourir Ics malades ; sa femrae, prele d'accoucher, prit elle-mcme le soin des hopilaux, pansade ses mains les blesses, et mourut en s'acquittant de ce pieux office : exemple aussi triste que noble, €t qui merile d'etre consacrc dans I'histoire. CHAPITRE XXllI. Le roi de France, maitre de la Flandre et victorieux, propost en vain la paix. Prise du Brabant hollandais. Les conjonctures font un sta- thouder. Dans ce fracas d'evencmenls , lanlot malheureux , lanlol favo- rables , ie roi , victorieux en Flandre , elait le seul souverain qui voulut la paix. Toujours en droit d'altaquer le territoire des Hollandais el toujours le menacant, il crut les amener a son grand dessein d'une pacification generalc, en leur proposant un congres dans uue de leurs villes; on choisit Breda. Le marquis de Puisieux y alia des premiers en qualite de plenipotentiaire. Les Hollandais envoyerent a Breda M. de Vassenaer, sans avoir aucune vue de- lerminee. La cour d'Angleterre , qui ne penchait pas a la paix , ne put paraitre publiquement la refuser. Le comte de Sandwich, pelit-fils par sa mere du fameui Wilmot, comte de Rochester, fut le plenipotentiaire anglais. Mais tandis que les puissances auxi- liaires de Timperatrice-reine avaient des ministres a ce congres inutile , celte princesse n'y en eut aucun. Les Hollandais devaient plus que toute autre puissance presser rheureux effet de ces apparences pacifiques. Un peuple tout com- mercant , qui n'etait plus guerrier, qui n'avait ni bons generaux ni bons soldats , el dont les meilleures troupes etaienl prison- nieres en France au nombre de plus de trente-cinq mille hommes, semblait n'avoir d'autre interet que de ne pas attirer sur son terrain I'orage qu'il avail vu fondre sur la Flandre. La Hollande n'etait plus meme une puissance maritime ; ses amirautes ne pou- vaicnl pas alors metlre en mer vingl vaisseaux de guerre. Les regents sentaienl tous que si la guerre entamait leurs provinces, lis seraienl forces de se donner un slathouder, el par consequent un maitre. Les magistrals d'Utrecht, de Dordrecht , de la Brille , avaienl toujours insisle pour la neutralite ; quelques membres de la republique etaienl ouverlement de eel avis. En un mot , il est certain que si les elats generaux avaienl pris la ferme resolution CHAPITBE XXHL 119 de pacifier I'Europe, ils en seraienl venus a bout; ils auraienl joint celle gloire a celle d'avoir fail autrefois d'un si petit pays un fital puissant el libre ; el celte gloire a ele longtemps dans leurs mains; mais le parti anglais et le prejuge general prevalurent Je ne crois pas qu'il y ail un peuple qui revienne plus difficile- menl de ses anciennes impressions que la nation hollandaise. L'irruplionde Louis XIV el I'annee 1672 etaienl encore dans leurs coeurs ; el j'ose dire que je me suis aper^u plus d'une fois que leur esprit, frappe de la hauteur ambitieuse de Louis XIV, ne pouvait concevoir la moderation de Louis XV; ils ne la crurent jamais sincere. On regardait loules ses demarches pacifiques et lous ses menagements , lantol comme des preuves de faiblesse , lanlol comme des pieges. Le roi, qui ne pouvait les persuader, ful force de conquerir une partie de leur pays pendant la lenue d'un congres inutile : il fit entrer ses troupes dans la Flandre hollandaise; c'esl un demem- bremenl des domaines de celle meme Autriche donl ils prenaienl la defense : il commence une lieue au-dessous du Gand, et s'etend a droite et a gauche , d'un cole a Middelbourg sur la mer, de Taulre jusqu'au-dessous d'Anvers sur I'Escaul. II esl garni de petiles places d'un difficile acces, el qui auraienl pu se defendre. Le roi , avanl de prendre cette province , poussa encore les me- nagements jusqu'a declarer aux elats generaux qu'il ne regarde- rait ces places que comme un depot qu'il s'engageail a resliluer silot que les Hollandais cesseraient de fomenter la guerre en ac- cordant des passages et des secours d'hommes et d'argenl a ses ennemis. On ne sentit point celle indulgence; on ne vit que I'irruplion , cl la marche des troupes francaises fit un slathouder. II arriva precisement ce que I'abbe de Laville, dans le temps qu'il faisait les fonclions d'envoye en Hollande , avail dit a plusieurs seigneurs des etats qui refusaienl toute conciliation, el qui voulaienl chan- ger la forme du gouvernemenl : « Ce ne sera pas vous , ce sera « nous qui vous donnerons un maitre. » Tout l5 peuple, au bruit de I'invasion, demanda pour sla- thouder le prince d'Orange; la ville de Tervere, donl il etail sei- gneur, commenca, el le nomma (25 avril 1747) : loules les villes de la Zelande suivirent; Rotterdam, Delfl, le proclamerent ; il n'eul pas ete sur pour les regents de s'opposer a la multitude; 130 SI^CLE DE LOUIS XV ce n'elail partout qu'un avis unanime. Toul le peuple de la Haye entoura le palais ou s'assemblent les deputes de la province de Hollande et de Yestfrise , la plus puissante des sept , qui seule paye la moitie des charges de tout I'^tat, et dont le pensionnaire est regarde comme le plus considerable personnage de la repu- blique. II faliul dans I'inslant , pour apaiser le peuple , arborer le drapeau d'Orange au palais et a I'holel de ville ; et deux jours apres le prince fut elu ( 1*' mai). Le diplome porta « qu'en con- « sideration des tristes circonstances oil Ton elait , on nommait « stathouder. capilaine et amiral general, Guillaume-Charles- « Henri Prison, prince d'Orange, de la branche de Nassau-Diest, » qu'on prononce Dist. 11 fut bienlot reconnu par toutes les vil- les, et recu en cctte qualite a Tassemblee des etals generaux. Les termes dans lesquels la province de Hollande avait conqu son election montraient trop que les magistrats Tavaient norame malgre eux. On sait assez que tout prince veut etre absolu, et que tout© republique est ingrate. Les Provinces-Unies , qui devaient a la maison de Nassau la plus grande puissance oil jamais un petit fitat soit parvenu , purent rarement etablir ce juste milieu entre ce qu'ils devaient au sang de leurs liberateurs , et ce qu'ils devaient a leur libcrte. Louis XIV en 1672 , et Louis XV en 1747 , ont cree deux sla- thouders par la terreur ; et le peuple hollandais a rctabli deux fois ce statbouderat que la magistrature voulait ddtruire. Les regents avaient laisse , autant qu'ils I'avaient pu , le prince Henri Prison d'Orange dans Teloignement des affaires ; et meme quandla province deGueldrelechoisit pour son stathouder en 1722, quoique cette place ne fiit qu'un titre honorable, quoiqu'il ne dis- posAt d'aucun emploi , quoiqu'il ne piit ni changer seulement une garnison, ni donner I'ordre, les fitats de Hollande ecrivirent forle- ment a ceux de Gueldre pour les detourner d'une resolution qu'ils appelaient funeste. Un moment leurota ce pouvoir, dont ils avaient joui pendant pres de cinquante annees. Le nouveau stathouder commenqa par laisser d'abord la popu- lace piller et demolir les maisons des receveurs , tous parents cl creatures des bourgmestres; et quand ou eut attaque ainsi les magistrats par le peuple , on contint le peuple par les soldats. Le prince , tranquille dans ces mouvements , se fit donner la meme autorite qu-avait cue le roi Guillaume et assura mieox CHAPITRE XXIV. i2r encore sa puissance a sa famille. Non-seulement le statbouderat devint I'heritage de ses enfants males, mais de ses filles et de leur poslerite ; car, quelque temps apres , on passa en loi qu'au defaut de la race masculine une fiile serait stathouder et capitaine general, pourvu qu'elle fit exercer ces charges par son mari; et, en cas de minorile, la veuve d'un stathouder doit avoir le litre de gouvernanle , et nommer un prince pour faire les fonclions du statbouderat. Par cette revolution, les Provinces-Unies devinrent une espece de monarcbie raixte , moins restreinte a beaucoup d'egards que celles d'Angleterre , de Suede , et de Pologne. Ainsi , il n'arriva rien dans toule cette guerre de ce qu'on- avait d'abord imagme, et tout Ic contraire de ce que les nations avaient attendu arriva ; mais Tenlreprise , les succes et les malheurs du prince Charles- fidouard en Angleterre , furent peut-elre le plus singulier de ces evenemcnts qui etonnerent I'Europe. CHAPITRE XXIV. Entreprise, victoires, d^faite, malheurs d^plorables du prince Charlea^ Edouard Stuart. Le prince Charles-fidouard etait fils de celui qu'on appelait le pretendant , ou le chevalier de Saint-George. On sait assez que son grand-pere avait ele delrone par les Anglais , son bisaieul condamne a mourir sur un echafaud par ses propres sujets, sa quadrisaieule livree au meme supplice par le parlement d'Angle- terre. Ce dernier rejeton * de tant de rois et de tant d'infortunes consuraait sa jeunesse aupres de son pere, retire a Rome. II avait marque plus d'une fois le dcsir d'exposer sa vie pour remonter au trone de ses peres. On I'avait appele en France des I'an 1742 , et on avait tenle en vain de Ic faire debarquer en Angleterre. II attendait dans Paris quelque occasion favorable , pendant que la ' Le pretendant , ni k Londres en 1688, estraort k Rome en 1766. Charles- Edouard-Louis-Philippe-Casimir, ntJ k Rome en t720, est raort a Florence en 4788, sans postdrili. Sa veuve, Louise-Maximilienne de Stol- berg, connue sous le «om de comtesse d' Albany (nom qu'avait pris le prince en arrivant en Toscanel.estmorte le 29 Janvier 1824. Son corps fut diposi dans le monument (lu'ellc avait fait elever au poete Alfieri , i qui on croit qu'elle fut mari^ secr^tement. ( l^ote de M, Beuchot. ) rnt Sl£CLE DE LOUIS XV. France s'epuisait d'hommes et d'argent en Allemagne, en Flandre, el en Itahe. Les vicissitudes de cetle guerre universelle ne per- meljaienl plus qu'on pensdt a lui; il elail sacrifie aux raalhcurs publics. Ce prince s'entrelenant un jour avec le cardinal de Tencin, qui avail achetc sa nominalion au cardinalal de I'ex-roi son pere Tencin lui dil : « Que ne tenlez-vous de passer sur un vaisseau « vers le nordde I'ficosse? Voire seule presence pourra vous for- « mer un parli el une armee; alors il faudra bien que la France « vous donne des secours. » Ce conseil hardi, conforme au courage de Charles Edouard. le delermina. II ne fit confidence de son dessein qu'a sept offi- ciers, les uns Irlandais, les aulres ficossais, qui voulurent courir sa fortune. L'un deux s^adresse a un negociant de Nantes nomme Walsh, d'une famiile noble d'Irlande, allachee a la maison Stuart. Ce negociant avail une fregate de dix-huit canons^ sur laqueJIe le prince s'embarqua le 12 juin 1745, n'ayanl, pour une expedition dans laquelle il s'agissait de la couronne de la Grande. Bretagne, que sept officiers, environ dix-huil cents sabres douze cents fusils, et quarante-huil milie francs. La fregate etait escortee d'un vaisseau de roi de soixanle-quatre canons, nomme lEhsabeh, qu un armateur de Dunkerque avail arme en course. C ctait alors 1 usage que le ministere de la marine prelAt des vais- seaui de guerre aux arraateurs et aux negociants, qui payaient une somme au roi, et qui entretenaienl I'equipage a leurs depens pendant le temps de la course. Le ministre de la marine et le servi ^'''"''^ ^"'-meme ignoraient A quoi ce vaisseau devait Le 20 juin, I'Elisabeth et la fregate, voguant de conserve, ren- con rerent trois vaisseaux de guerre anglais qui escortaient une flolte marchande. Le plus fori de ces vaisseaux , qui etait de so.xante et d.x canons, se separa du convoi pour aller corabattre I Elisabeth, et, par un bonheur qui semblait presager des succes au prince Edouard, sa fregate ne ful point altaquee. V Elisabeth el le vaisseau anglais engagerent un combat violent Mon- el inutile La fregate qui portail le pelil-fils de Jacques II echap- pail, et faisail force de voiles vers I'Ecosse. * Du moins c'est ccqui m'a eteassure par lun des chefs de rentreprise. CHAPITRE XXIV. 123 Le prince aborda d'abord dans une petite ile presque deserte au dela de Tlrlande, vers le cinquanle-huitieme degre. II cingle au continent de I'ficosse. (Juin 1745) II debarque dans un petit canton appele le Moidarl : quelques habitants, auxquels il se de- clara, se jelerenl a ses genoux. « Mais que pouvons-nous faire ? lui direnl-ils : nous n'avons point d'armes, nous sommes dans la pauvrele , nous ne vivons que de pain d'avoine^ el nous cultivons une terre ingrale. » « Je culliverai celle terre avec vous, repondit « le prince , je mangerai de ce pain, je parlagerai voire pauvrete, « et je vous apporle des armes. » On pent juger si de tels sentiments el de lels discours allen- drirent ces habitants. II ful joint par quelques chefs des tribus de rficosse. Ceux du nom de Macdonald , de Lokil, les Camerons, les Frasers, vinrent le trouver. Ceslribus d'ficosse , qui sont nommees clans dans )a langue ecossaise, habilent un pays herisse de monlagnes et de forets dans I'elendue de plus de deux cents milles. Les trente trois iles des Orcades, el les Irenle du Shetland, sont habilees par les memes peuples, qui vivent sous les memes lois. L'ancien habit romain mililaire s*esl conserve chez eux seuls , comme on I'a dit au sujet du regiment des raonlagnards ecossais qui combaltil a la bataille de Fontenoy. On peut croire que la rigueur du climat et la pauvrete extreme les endurcissent aux plus grandes fati- gues; ils dorment sur la terre, ils souffrent la disette ; ils font de longues marches au milieu des neiges et des glaces. Chaque clan elail soumis a son laird , c'est-a-dire son seigneur, qui avail sur eux le droU de juridiclion, droit qu'aucun seigneur ne possede en Anglelerre;et ils sont d'ordinairedu parli que ce laird a embrasse. Celte ancienne anarchic qu'on nomme le droit feodal subsistail danscelte parlie de la Grande-Bretagne sterile, pauvre,aban- donnee a elle-meme. Les habitants , sans industrie, sans aucune occupation qui leur assur^t une vie douce, etaienl toujours prels a se precipiler dans les enlreprises qui les flatlaient de I'esperance de quelque bulin. 11 n'en elail pas ainsi de I'lrlande , pays plus fertile , mieux gouverne par la cour de Londres , et dans lequel on avail encourage la culture des terres et les manufactures. Les Irlandais commencaient a etre plus attaches a leur repos et a leurs possessions qu'a la maison des Stuarts. Voila pourquoi I'lrlande resta tranquille, et que I'ficosse fut en mouvemenl. 124 SIECLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XXIV. 125 Depuis la reunion du royaume d*£cossc a celui de I'Anglelerre sous la reine Anne, plusieurs ficossais qui D'elaient pas nommes membres du parlement de Londres, et qui n'elaient pas attaches a la cour par des pensions, etaienl secretemenl devoues a la mai son des Stuarts; et en general les habitants des parties septenlrio- nales, plutot subjugues qu'uhis, supportaient impatiemment celt reunion, qu'ils regardaient comme un esclavage. Les clans des seigneurs attaches a la cour, comme des due. d'Argyle, d'Athol, de Queensbury, et d'autres, demeurerent Hdeles au gouverneraent : il en faut pourtant excepter un grand nombre qui furent saisis de Tenlhousiasme de leurs compatriotes, et entraines bientot dans le parti d'un prince qui tirait son origine de leur pays, et qui excitail leur admiration et leur zele. Les sept hommes que le prince avail menes avec lui etaient le marquis de Tullibardine , frere du due d'Aihol, un Macdonald, Thomas Sheridan, Sullivan designe marechal des logis de Tarmee qu'on n'avait pas, Kelly Irlandais, et Strikland Anglais. On n'avait pas encore rassemble trois cents hommes autour de sa personne, qu'on fit un etendard royal d'un morceau de taffetas apporte par Sullivan. A chaque moment la troupe grossissait; et le prince n'avait pas encore passe le boarg de Penning, qu'il se vita la tele de quinze cents combattants qu'il arma de fusils elde sabres dont il etait pourvu. II renvoya en France la fregate sur laquelleil etait venu, et in forma les rois de France et d'Espagne de son debarquement. Ces deux monarques lui ecriviicnt, et le traiterentde /"r^rc; non qu'ils le reconnussent solennellemenl pour heritier des couronnes de la Grande-Bretagne, mais ils ne pouvaient, en lui ecrivant, refuser ce litre a sa naissance el a son courage; ils lui enroyerent a di- verses reprises quelques secours d'argent, de munitions et d'armcs. 11 fallait que ces secours se derobassenl aux vaisseaux anglais qui croisaient a Torient el a I'occidenl de I'ficosse. Quelques-uns etaient pris, d'autres arrivaient, elservaient a encourager le parti, qui se fortifiait de jour en jour. Jamais le temps d'une revolution ne parul plus favorable. Le roi George alors etait hors du royaume. II n'y avail pas six mille hommes de troupes reglees dans I'Anglelerre. Quelques compagnies du regiment de Sainclair marcherenl d'abord des environs d'fidimbourg contre la petite troupe du prince ; elles furent entieremenl defaites. Trenle mon- II tagnards prirenl quatrc-vingts Anglais prisonniers, avec leurs offi- ciers et leurs bagages. Ce premier succes augraentail le courage et I'esperance, el at- tirail de lous cotes de nouveaux soldats. On marchail sans re- l^che. Le prince fidouard, loujours a pied a la tete de ses monla- gnards, vetu comme eux, se nourrissanl comme eux, traverse le pays de Badenoch, le pays d'Athol, le Perthshire, s'empare de Perth, ville considerable dans I'Ecosse. ( 15 seplembre 1745) Ce ful la qu'il fut proclame solennellemenl regent d'Angleterre , de France , d'ficosse el d'Irlande , pour son pere Jacques III. Ce litre de regent de France que s'arrogeail un prince a peine maitre d'une petite ville d'Ecosse, el qui ne pouvait se soulenir que par les secours du roi de France, etait une suite de I'usage etonnant qui a prevalu, que les rois d'Angleterre prennent le litre de rois de France ; usage qui devrail etre abo4i et qui ne Test pas, parce que les hommes ne songenl jamais a reformer les abus que quand ils deviennenl importants et dangereux. Le due de Perth, le lord George Murray , arriverenl alors a Perth , el lirenl sermenl au prince, lis amenerenl de nouvelles troupes ; une compagnie entiere d'un regiment ecossais au ser- vice de la cour deserta pour se ranger sous ses drapeaux. II prend Dunde, Drummond, Newbourg. On lint un conseil de guerre : les avis se partageaienl sur la marche. Le prince dil qu'il fallait aller droit a £dimbourg, la capitale de Tflcossc. Mais comment esperer de prendre £ldimbourg avec si peu de monde el point de canon? II avail des partisans dans la ville, mais tous les citoyens n'etaient pas pour lui. « II faut me montrer, dil-il, pour les faire declarer « tous. » Et sans perdre de temps il marche a la capitale ( 19 sep- lembre), il arrive; il s'empare de la porte. L'alarme est dans la ville ; les uns veulenl reconnailre I'heritier de leurs anciens rois , les aulres tiennenl pour le gouvernement. On craint le pillage ; les citoyens les plus riches transporlent leurs effels dans le cha- teau : le gouverneur Guest s'y retire avec quatre cents soldats de gamison. Les magistrals se rendent a la porte dont Charles- fidouard etait maitre. Le prevol d'fldimbourg , nomme Stuart, qu'on soupconna d'etre d'inlelligence avec lui, parall en sa pre- sence, el demandc d'un air eperdu ce qu'il faut faire. « Tomber « a ses genoux, lui repondit un habitant, el le reconnailre. » II fut aussitot proclame dans la capitale. 120 SifeCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XXIV. m ,■ I ^ V Cependant on meltait dans Londres sa lele a prix. Les seigneurs de laregence, pendant I'absencedu roi George, firent prociamer qu'on donnerait trente mille livres sterling a ceiui qui le livrerait. Celte proscription etait une suite de I'acle du parlement fait la dix-septieme annee du regno du roi, et d'autres actes du meme parlement. La reine Anne elle-meme avail ete forcce de proscrire son propre frere, a qui, dans lesderniers temps, elle aurait voulu laisser sa couronne, si elle n'avaitconsulte que ses sentiments. Elle avail mis sa tete a quatre mille livres, et le parlement la mil a quatre-vingl mille. Si une telle proscription est une maxime d'fital, e'en est une oien difficile a concilier avec ces principes de moderation que toutes les cours font gloire d'etaler. Le prince Charles- fidouard pouvait faire une proclamation pareille ; mais il crut fortifier sa cause, et la rendre plus respectable, en opposant, quelques mois apres, a ces proclamations sanguinaires, dcs manifestes dans les- quels il defendait a ses adherents d'attenter a la personne du roi regnant, et d'aucun prince de la maison d'Hanovre. D'ailleurs il ne songea qu'a profiter de cette premiere ardeur de sa faction, qu'il ne fallait pas laisser ralentir. A peine etait-il maitre de la ville d'^dimbourg, qu'il apprit qu'il pouvait donner une bataille, et il se hAta de la donner. II sut que le general Cope s'avancail contre lui avec des troupes reglees , qu'on assemblait les milices, qu'on formait des regiments en Angleterre, qu'on en faisait revenir de Flandre ; qu'enfin il n'y avail pas un moment a perdre. II sort d'fidimbourg sans y laisser un seul soldat, et mar- che avec environ trois mille montagnards vers les Anglais, qui elaient au nombre de plus de quatre mille : ils avaicnt deux re- giments de dragons. La cavalerie du prince n'etait composee que de quelques chevaux de bagage. II ne se donna ni le temps ni la peine de faire venir ses canons de campagne. II savait qu'il y en avail six dans Tarmee ennemie ; mais rien ne I'arreta. II atleignil les ennemis a sept milles d'fidimbourg, a Preston-Pans. A peine est-il arrive, qu'il range son armee en bataille. Le due de Perth el le lord George Murray commandaient I'un la gauche et I'autre la droile de I'armee, c'est-a-dire chacun environ sept ou huit cents hommes. Charles-fidouard elail si rempli de I'idee qu'il de- vail vaincre, qu'avant de charger les ennemis il remarqua un de- file par ou ils pouvaienl se retirer, el il le fit occuper par cinq cents montagnards. II eogagea done le combat, suivi d'environ deux mille cinq cents hommes seulement, ne pouvant avoir ni seconde ligne ni corps de reserve. II tire son epee, et jelant le fourreau loin de lui : « Mes amis, dit-il, je ne la remettrai dans le « fourreau que quand vous serez libres et heureux. » II etait ar- rive sur le champ de bataille presque aussitol que I'ennemi : il ne lui donna pas le temps de faire des decharges d'artillerie. Toule sa troupe marche rapidemenl aux Anglais sans garder de rang, ayant des pornemuses pour trompettes;iIs tirent a vingl pas ; ils jettenl aussil6l leurs fusils , meltenl d'une main leurs boucliers sur leur tele, et, se precipitant entre les hommes el les chevaux, ils tuenl les chevaux a coups de poignard, et attaquenl les hommes le sa- bre a la main ( 2 oclobre 174i ). Tout ce qui est nouveau et inal- tendu saisil toujours. Cette nouvelle maniere de comballre effraya les Anglais : la force du corps, qui n'esl aujourd'hui d'aucun avantage dans les autres batailles, etait beaucoup dans celle-ci. Les Anglais plierent de lous cotes sans resistance; on en lua huit cents ; le reste fuyail par I'endroil que le prince avail remarque ; el ce fut la meme qu'on en fit quatorze cents prisonniers. Tout tomba au pouvoir du vainqueur ; il se fit une cavalerie avec les chevaux des dragons ennemis. Le general Cope fut oblige de fuir lui quinzieme. La nation murmura contre lui ; on I'accusa devant une cour martiale de n'avoir pas pris assez de mesures ; mais il fut justifie, el il demeura constant que les v^ritables rai- sons qui avaienl decide de la bataille etaienl la presence d'un prince qui inspirail a son parti une confiance audacieuse, el sur- tout celte maniere nouvelle d'attaquer, qui etonna les Anglais. C'esl un avantage qui reussil presque toujours les premieres fois, et que peut-etre ceux qui commandenl les armees ne songenl pas assez a se procurer. Le prince fidouard, dans celte journee, ne perdit pas soixante hommes. II ne fut embarrasse dans sa victoire que de ses prison- niers : leur nombre etait presque egal a celui des vainqueurs. 11 n'avait point de places fortes ; ainsi, ne pouvant garder ses prison- niers, il les renvoya sur leur parole, apres les avoir fail jurer de ne point porter les armes contre lui d'une annee. II garda seulement les blesses pour en avoir soin. Cette magnanimite devait lui faire de nouveaux partisans. Peu de jours api es celte victoire, un vaisseau francais el un es- A ., ifr.:jr^-' 128 SitCLE DE LOUIS XV. pagnol abordereDt heureusement sur les cotes, et y apporlerent de I'argent el de nouvelles esperances : il y avail, sur ces vais- seaux, des officiers irlandais qui, ayanl servi en France el en Es- pagne, claienl capables de discipliner ses troupes. Le vaisseau francais lui amena, le 1 1 oclobre, au port de Montrose, un envoye* secret du roi de France, qui debarqua de I'argenl el des armes. Le prince, retourne dans fidimbourg, vil bientol apres augmenter son armee jusqu*a pres de six mille hommes. L'ordre s'introdui- sail dans ses troupes el dans ses affaires. II avail une cour, des officiers, des secretaires d'fitat. On lui fournissail de I'argenl de plus de Irente miiles a la ronde. Nul ennenoi ne paraissail ; mais it lui fallait le chateau d'fidimbourg, seule place veritablement forte qui puisse servir dans le besoin de magasin et de retraile, el tenir en respect la capitate. Le chateau d'fidimbourg est b4ti sur un roc escarpe; il a un large fosse laillc dans le roc, el. des mu- rallies de douze pieds d'epaisseur. La place, quoique irreguliere, exige un siege regulier, el surloul du gros canon. Le prince n'en avail point. II se vil oblige de perniettre a la ville de faire avec le commandanl Guest un accord par lequel la ville fournirail des vi- vres au chateau, et le chateau ne lirerail point sur cile. Ce contre-lemps ne parul pas deranger ses affaires. La cour de Londres le craignail beaucoup, puisquVlle cherchait a le rendrc odieux dans I'esprit des peuples : elle lui reprochait d'etre ne ca- iholique romaiu, el de venir bouleverser la religion el les lois du pays. II ne cessait de protester qu'il respeclerail la religion et les lois , el que les anglicans el les presbyleriens n'auraienl pas plus a craindre de lui, quoique ne catholique, que du roi George n6 lulherien. On ne voyail dans sa cour aucun pretre : il n'exigeait pas meme que dans les paroisses on le nomm&t dans les prieres, el il se contenlait qu'on priat en general pour le roi el la famillc • royale, sans designer personne. Leroi d'Angleterre etait revenu en h^te, le 11 seplembre, pour s'opposer aux progres de la revolution ; la perte de la bataille de Preston-Pans I'alarma au point qu'il ne se crul pas assez fort pour resister avec les milices anglaises. Plusieurs seigneurs levaient des regiments de milices a leurs depens en sa faveur, el le parli • C'etait un frere tlu marquis trAigcns, trcs-connu dans la lilteralure. II fut depuis pr^ident au parlement d'Aix. CHAPITRE XXIV. 129 whig surloul, qui est le dominant en Anglcterre, prenait a coeur la conservation du gouvernemenl qu'il avail elabli, et de la famille qu'il avail misc sur le Irone ; mais si le prince ^douard recevail de nouveaux secours el avail de nouveaux succes, ces milices memes pouvaienl se lourner conlre le roi George. II exigea d'a- bord un nouvcau serment des milices de la ville de Londres ;'ce serment de fidelite portait ces propres mots : « J'abhorre, je de- N teste, je rejelle comme un sentiment impie celte damnable doc- « trine, que des princes excommunies par le pape peuvenl etre « deposes et assassines par leurs sujets oa quelque autre que ce « soil, etc. » Mais il ne s'agissail ni d*excommunicatioQ ni du pape dans cette affaire ; el quant a I'assassinal, on ne pouvait guere en craindre d'autres que celui qui avail cle solennellement propose au prix de trente mille livres sterling. ( 14 seplembre) On or- donna, selon I'usage pratique dans les temps de troubles, depuis Guillaume III, a tous les pretres cathuliques de sorlir de Londres et de son territoire. Mais ce n'elaient pas les pretres catholiques qui etaient dangereux; ceux de cette religion ne composaient qu'une petite partie du peuple d'Angleterre. C'etait la valeur du prince Edouard qui etait reellement a redouler ; c'etait I'intrepidite d'une armee viclorieuse, animee par de» succes inesperes. Le roi George se crul oblige de faire revenir six mille hommes des troupes de Flandre, el d'en demander encore six mille aux Hollandais, sui- vant les Iraites fails avec la republique. Les etats generaux lui envoyerent precisemenl les memes troupes qui, par la capitulation de Tournay et de Dendermonde, ne devaient servir de dix-huit mois. Elles avaient promis de ne faire aucun service, « pas meme dans les places les plus eloignees « des frontieres ; » et les etats justifiaienl cette infraction en di- sanl que I'Angleterre n'etail point place frontiere. Elles devaient mettre bas les armes devanl les troupes de France; mais on alle- guail que ce n'etail pas contre des Francis qu'elles allaient com- batlre ; elles ne devaient passer a aucun service etranger ; el on repondail qu'en effet elles n'etaient point dans un service etranger, puisqu'elles etaient aux ordres et a la solde des etats generaux. C'est par de telles distinctions qu'on eludait la capitulation qui semblail la plus precise, mais dans laquelle on n'avait pas specific un cas que personne n avail prevu. Quoiqu'il se passat alors d'autres grands evenements, je suivrai 180 SitCLE DE LOUIS XV. CHAPITKE XXIV. 131 celui de la revolution d'Angleterre, et Tordre des matieres sera prefere a Tordre des temps, qui n'en souffrira pas. Rien ne prouve mieux les alarmes que I'exces des precautions. Je ne puis m'eofi- pecher de parler ici d'un artifice dont on se servit pour rendre la personne de Charles -fidouard odicuse dans Londres. On fit im- primer un journal imaginaire, dans lequel on comparait les eve- Dements rapportes dans les gazettes sous le gouvernemeiit du roi George, a ceux qu'on supposait sous la domination d'un prince ca- tholique. « A present, disait-on, nos gazettes nous apprennent, tantot « qu'on a porte a la banque les tresors enlevcs aux vaisseaux « francais et espagnols, lanlot que nous avons rase Porto-Bello, « tantot que nous avons pris Louisbourg , et que nous sommes « maitres du commerce. Voici ce que nos gazettes diront sous la a domination du pretendant : Aujourd'hui, il a ete proclame dans « les marches de Londres, par des montagnards et par des moines. « Plusieurs maisons ont ete briilees , et plusieurs citoyens mas- «« sacres. n Le 4, la maison du Sud et la maison des Indes ont ete chan- « geesencouvents. « Lc 20, on a mis en prison six membres du parlement. « Le 26, on a cede Irois ports d'Angleterre aux Francais. « Le 28, la loi habeas corpus a ete abolie, et on a passe un nouvel « acte |iour bruler les heretiques. « Le 29, le P. Poignardini, jesuite italien, a ete nommc garde du « sceau prive. » Gependant on suspendait en effet,Je 28 octobre, la loi habeas corpus. C'est une loi regardee comme fondamentale en Angleterre, et comme le boulevard de la liberie de la nation. Par cette loi, le roi ne pent faire emprisonncr aucun citoyen sans qu'il soil in- lerroge dans les vingt-qualre heures, et relache sous caution jus- qu'a ce que son proces lui soil fait ; et s'il a ete arrete injustement, lc secretaire d'fitat doit etre condamne a lui payer cherement cha- que heure. Le roi n'a pas le droit de faire arreter un membre du parlement, ious quelque prelexte que ce puisse etre, sans le consentement de la chambre. Le parlement , dans les temps de rebellion, sus- pend toujours ces lois par un acte parliculier pour un certain temps, et donne pouvoir an roi de s'assurer, pendant ce temps geulement , des personnes suspectes. II n'y eut aucun membre des deux chambres qui donn^t sur lui la moindre prise. Quelques- uns cependant etaient soupconnes par la voix publique d'etre Ja- cobites; et il y avail des citoyens dans Londres qui etaient sour- dement de ce parti ; mais aucun ne voulait hasarder sa fortune el sa vie sur des esperances incerlaines. La defiance et Tinquielude tenaient en suspens tons les esprits ; on craignail de se parler. C'est un crime en ce pays de boire a la sante d'un prince proscrit qui dispute la couronne, comme autrefois a Rome e'en ctait un, sous un empereur regnant, d'avoir chez soi la statue de son com- petiteur. On buvait a Londres a la sante du roi et du prince, ce qui pouvail aussi bien signifier le roi Jacques et son fils le prince Charles-Edouard, que le roi George et son fils aine le prince de Galles. Les partisans secrets de la revolution se contentaient de faire imprimer des ecrits tellement mesures, que le parti pouvail aisemenl les entendre sans que le gouvernement put les condam- ner. On en di&lribua beaucoup de cette espece; un enlre autres par lequel on avertissait « qu'il y avail un jeune homme de « grande esperance qui etait pret de faire une fortune considcra « ble ; qu'en peu de temps il s'elait fait plus de vingt mille livres « de rente, mais qu'il avail besoin d'amis pour s'etablir a Lon- « dres. » La liberie d'imprimer est un des privileges dont les An- glais sont le plus jaloux. La loi ne permet pas d'altrouper le peuple el de le haranguer ; mais elle permet de parler par ecrit a la nation enliere. Le gouvernement fit visiter toutes les impri- raeries : mais n'ayant le droit d'en faire fermer aucune sans un delit constate, illes laissa subsister toutes. La fermentation commenca a se manifesler dans Londres quand on apprit que le prince fldouard s'etait avance jiisqu'a Carlisle, et qu'il s'elait rendu mailre de la ville (26 novembre 1745); que ses forces augmentaient, el qu'enfin il ctait a Derby (4 decembre), dans I'Anglelerre meme, a trcnle lieues de Londres : alors il eut pour la premiere fois des Anglais nationaux dans ses troupes. Trois cents hommes du comle de Lancaslre prirenl parti dans son regiment de Manchester. La renommee, qui grossit tout, fai- sait son armee forte de Irente mille hommes. On disait que tout le comic de Lancaslre s'etait declare. Les boutiques et la banque furent fermees un jour a Londres. 432 SItCLE DE LOUIS XV. f . I CHAPITRE XXV. Suite des avenlures du prince Charles-Edouard. Sa ddfaite, ses mallieurs, et ceux de son parti- Depuis le jour que le prince fidouard aborda en ficosse, ses partisans sollicitaient des secours de France ; les sollicitations rc- doubJaienl avec les progres. Quelques Irlandais qui servaienl dans les troupes francaises s'imaginerent qu'une descenle en An- gleterre, vers Plymouth, serait pralicable. Le trajel est court de Calais ou de Boulogne vers les coles. lis ne voulaient point une flotte de vaisseaux de guerre, dout Tequipement eut consume trop de temps, et dont I'appareil seul eut averti les escadres anglaises de s'opposer au debarquement. lis pretendaienl qu'on pourrait debarquer huit ou dix mille hommes et du canon pendant la nuil ; qu'il ne fallait que des vaisseaux marchands et quelques corsaires pour une telle tentative ; et ils assuraient que, des qu'on serait debarque, une parlie de I'Anglelerre se joindrail a larmee de France, qui bienlot pourrait se reuuir aupres de Londres avec les troupes du prince. Ils faisaient envisager enfm une revolution prompte et entiere. lis demanderent pour chef de cetle entreprise le due de Richelieu, qui, par le service rendu dans la journee de Fontenoy et par la reputation qu'il avail en Europe, etait plus ca- pable qu'un autre de conduire avec vivacile cette affaire bardie el delicate. Ils presserent tant, qu'on leur accorda enfm ce qu'ils demandaient. Ully, qui depuis fut lieutenant general, et qui a peri d'une mort si Iragique, etait I'ame de I'enlreprise. L'ecrivain de celle histoire, qui travailla longteraps avec lui, peut assurer qu'il n'a jamais vu d'homme plus zele, el qu'il ne manqua a I'en- lreprise que la possibilite. On ne pouvait se mettre en mer vis-a- vis des escadres anglaises, el cetle tentative ful regardee a Lon- dres comme absurde. On ne put faire passer au prince que quelques petits secours d'hommes et d'argent, par la mer Germanique et par Test de I'E- cosse. Le lord Drummond, frere du due de Perth, officier au ser- vice de France, arriva heureusement avec quelques piquets de trois compagnies du regiment Royal-Ecossais. Desqu'U ful debarque a Montrose, il fit publier qu'il venail par ordre du roi de France se- courir le prince de Galles, regent d Ecosse, M>a allie, et faire la r^ CHAPITRE XXV. ,33 guerre au roi d'Angleterre, elecleur d'Hanovre. Alors les troupes bollandaises, qui par leur capitulation ne pouvaient servir contre le roi de France, furent obligees de se conformer a cetle loi de la guerre, si longlemps eludee. On les fit repasser en Hollande, lan- dis que la cour de Londres faisait revenir six mille Hessois a leur place. Ce besoin de troupes etrangeres etait un aveu du danger que I'on courail. Le prelendaut faisait repandre dans le nord et dans l-occident de I'Anglelerre de nouveaux manifesles par les- quels il invilail la nation a se joindre a lui. II declarait qu'ii trai- lerail les prisonniers de guerre comme on traiterait les siens, et ii renouvelait expressemenl a ses partisans la defense d'altenler a la personne du roi regnant et a celle des princes de sa maison. Ces proclamations, qui paraissaienl si genereuses dans un prince dont on avail mis la tele a prix, eurent une deslinee que les maxic.es d'Elat peuvent seules juslifier : elles furenl brulecs par la main du bourreau. II etait plus important el plus necessaire de s'opposer a ses progres, que de faire bruler ses manifesles. Les milices anglaises reprirenl Edimbourg. Ces milices, repandues dans le comle de Uncastrc, lui coupenl les vivres ; il faut qu'il relourne sur ses pas. Sen armee etait tantot forte, tanlot faible, parce qu'il n'avai* pas de quoi la retenir continuellemenl sous le drapeau par un payement exact. Cependaut il lui reslait encore environ huit mille hommes. A peine le prince fut-il informe que les ennemis etaienl a six milles de lui, pres des marais de Falkirk, qu'il courul les at- taquer, quoiqu'ils fussent pres d'une fois plus forts que lui. On se battil de la meme maniere et avec la meme impetuosite qu'au combat de Preston-Pans. (28 Janvier 1746) Ses ficossais, secondes encore d'un violent orage qui donnait au visage des Anglais, les mirent d'abord en desordre ; mais, bientot apres, ils furent rom- pus eux-memes par leur propre impetuosite. Six piquets de trou- pes francaises les couvrirent, soutinrenl le combat, el leurdonne- rent le temps de se rallier. Le prince fidouard disait loujours que s'll avail eu seulement trois mille hommes de troupes reglees, il se serait rendu maitre de loute I'Anglelerre. Les dragons anglais commencerent la fuile, el toule Tarmee anglaise suivit, sans que les generaux el les officiers pussent arre- ter les soldats. Ils regagnerent leur camp a I'entree de la nuil. Ce camp etait retranche, el presque entoure de marais. V- _ -* - IT • '4 134 SIECLE DE LOUIS XY. CHAPITRE XXV. t35 Lc prince, demeure maitre du champ de bateille, pril a Tins- tanl le parti d'aller les altaqucp dans leur camp, malgre I'orage, qui redoublail avec violence. Les montagnards perdirenl quelque temps a chercher dans I'obscuritc leurs fusils, qu'ils avaienl jeles dans Taction, suivant leur coulume. Le prince se met done en marclie avec eux, pour livrer un second combat ; il pcnelre jus- qu'au camp ennemi Tepee a la main : la terreur s'y repandit, et les troupes anglaises, deux fois baltues en un jour, quoique avec peu de perte, s'enfuirent a Edimbourg. lis n'eurent pas six cents hommes de tues dans celle journee, mais ils laisserent leurs ten- tes et leurs equipages au pouvoir du vainqueur. Ces vicloires fai- saient beaucoup pour la gloire du prince, mais peu encore pour ses inlerels. Le due de Cumberland marchait en fecosse ; il arriva a Edimbourg le 10 fevrier. Le prince fidouard fut oblige de lever le siege du chateau de Stirling. L'hiver etait rude; les subsistan- ces manquaient. Sa plus grande ressource etait dans quelques partis qui erraient tantot vers Inverness et tantot vers Aberdeen, pour recueiilir le peu de troupes et d'argent qu'on hasardait de lui faire passer de France. La plupart de ces vaisseaux etaient observes et pris par les Anglais. Trots compagnies du regiment de Fitz-James aborderent hcureusement. Lorsque quelque petit vaisseau abordait, il etait requ avec des acclamations de joie; les femmes couraient au-devant ; elles menaient par la bride les che- vaux des ofliciers. On faisail valoir les moindres secours comme des renforts considerables ; mais Tarmee du prince fidouard n'en etaif pas moins pressee par le due de Cumberland. Elle etait reti- ree dans Inverness, el tout le pays n'etail pas pour lui. Le due de Cumberland passe enQn la riviere de Spey (23 avril 1746), el marche vers Inverness ; il fallut en venir a une bataille decisive. Le prince avail a peu pres le meme nombre de troupes qu a la journee de Falkirk. Le due de Cumberland avail quinze batail- lons et neuf escadrons, avec un corps do monlagnacds. L'avantage du nombre etait toujours necessairement du cote des Anglais; ils avaienl de la cavalerie el une arlilierie bien servie, ce qui leur donnait encore une tres-grande superioritc. Enfin, ils etaient ac- coutumes a la raaniere de combattre des montagnards, qui ne les etonnait plus. lU avaienl a reparer aux yeux du due de Cumber- land lahonle de leurs defailes passees. Les deux armees furcnt en presence le 27 avril 1746, a deux heures apres midi, dans un lieu nomme CuUoden. Les montagnards ne firent point leur attaque ordinaire, qui etait si redoutable. La bataille fut entierement per- due ; el le prince, legerement blesse, fut entraine dans la fuite la plus precipitee. Leslieux, les temps, font Timportance de Taction. On a vu dans cetle guerre, en Allemagne, en Italic et en Flandre, des batailles de pres de cent mille hommes, qui n'onl pas eu de grandes suites; mais, aCulloden, une action enlre onze mille hommes d'un cote, et sept a huit mille de Tautre, decida du sort de Irois royaumes. II n'y eut pas dans ce combat neuf cents hommes de tues parmi les rebelles, car c'est ainsi que leur mal- heur les a fait nommer en Ecosse meme. On ne leur fit que trois cent vingt prisonniers. Tout s'enfuil du cole dTnverness, et y fut pom'suivi par les vainqueurs. Le prince, accorapagne d'une cen- laine d'of ficiers, fut oblige de se jeter dans une riviere, a trois milles d'Inverness, et de la passer a la nage. Quand il eut gagne /'autre bord, il vil de loin les flammesau milieu desquelles peris- saient cinq ou six cents montagnards dans une grange a laquelle le vainqueur avail mis le feu, el il entendit leurs cris. II y avail plusieurs femmes dans son armee : une enlre autres, nommee madame de Seford, qui avail combattu a la tete des troupes de montagnards qu'elle avail amenees : elle echappa a la poursuite ; quatre autres furenl prises. Tons les ofUciers fran- cais furenl fails prisonniers de guerre ; el celui qui faisail la fonc- tion de ministre de France auprcs du prince Edouard se rendit prisonnier dans Inverness. Les Anglais n'eurenl que cinquante tiommes de lues et deux cent cinquante-neuf de blesses dans cetle affaire decisive. Le due de Cumberland fit distribuer cinq mille livres sterling (environ cent quinze mille livres de France) aux soldats : c'etait un argent qu'il avail rec^u du maire de Londres ; il avail ele foumi par quelques citoyens, qui ne Tavaient donne qu'a cetle condition. Cetle singularite prouvail encore que le parti le plus riche devait etre victorieux. On ne donna pas un moment de relache aux vaincus; on les poursuivil partoul. Les simples soldats se reti- raienl aisemenl dans leurs montagnes el dans leurs deserts. Les officiers se sauvaient avec plus de peine; les uns etaient trahis et livres; les autres se rendaient eux-mcmes, dans Tesperance du pardon. Le prince Edouard, Sullivan, Sheridan, et quelques-uns de ses adherents, se retirerenl d'ahord dans les ruines du fort 136 SifeCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XXV. 137 ►>. Auguste, dont il fallut bientot sortir. A mesure qu'il s*eioignaiif, ii voyait diminuer le nombre de ses amis. La division se meltait parmi eux, et iis se reprochaient Tun a I'autre leurs maiheurs; ils s'aigrissaient dans ieurs contestations sur ies partis quMi fallait prendre; plusieurs se retirerent : il ne lui resta que Sheridan et Sullivan, qui Tavaient suivi quand il parlit de France. Ii marcha avec eux cinq jours et cinq nuits, sans presque pren- dre un moment de repos, et manquant souvent de nourriture. Ses ennemis le suivaient a la piste. Tous Ies environs etaient rem- plis de soldats qui le cherchaient, ct le prix mis a sa tete redou- blait leur diligence. Les horreurs du sort qu'il eprouvait etaient en tout semblables a celles ou fut reduit son grand oncle Char- les II, apres la bataille de Worcester ', aussi funeste que celle de Culloden. II n'y a pas d'exemple sur la terre d'une suite de cala- mites aussi singulieres et aussi horribles que celles qui avaient afflige toute sa maison. II etait ne dans I'exil, et il n'en etait sorti que pour trainer, apres des victoires, ses partisans sur I'echafaud, et pour errer dans des montagnes. Son pere, chasse au berceau du palais des rois et de sa patrie, dont il avait ete reconnu I'heri- tier legitime, avait fait comme lui des tenlalives qui n'avaient abouti qu*au supplice de ses partisans. Tout ce long amas d'in- fortu^es uniques se presentait sans cesse au c « rable. » La perte fut a peu pres egale des deux cotes. Cinq a b*^ mille hommes tues ou blesses de part et d'autre signalerent cettc^ journee. Le roi de France la rendit celebre par le discours qu'il tint au general Ligonier qu'on lui ametia prisonnier : « Ne vau- N drait-il pas mieux, lui dit-il, songer serieusement a la paix, que « de faire perir tant de braves gens? » CetofHcier general des troupes anglaises etait ne son 8ujet;il le fit manger a sa table : et des Ecossais, ofUciers au service de France, avaient p^ri par le dernier supplice en Angleterre, dans Tinfortune du prince Charles £douard. En vain a chaquc victoire, a chaque conquete, Louis XV offrail toujours la paix ; il ne fut jamais ecoute. Les allies comptaient sur le secours des Russes, sur des succes en Italie, sur le changement de gouvernement en Hollande, qui devait cnfanter des armees; sur les cercles de TEmpire, sur la superiorite des flottes anglaises, qui menacaient toujours les possessions de la France en Amerique et en Asie. II fallait a Louis XV un fruit de la victoire: on rait le siege de vanl Berg-op Zoom, place reputee imprenable, moins par Tart de Cohorn qui Tavait fortifiee, que par un bras de mer forme par I'Escaut derriere la ville. Outre ces defenses, outre une nombreuse garnison, il y avait des lignes aupres des fortifications ; et dans ces lignes un corps de troupes qui pouvait a tout moment secourir la place. De tous les sieges qu'on a jamais faits, celui-ci peut-etre a ete le plus difficile. On en cbargea le comte de Lowendal, qui avait deja pris une partie du Brabant hollandais. Ce general, ne en Da- nemark, avait servi I'empire de Russie. II s'etait signale aux as* sauts d'Oczakof, quand les Russes forcerent les janissaires dans cette ville. II parlait presque toutes les langues de I'Europe, con* naissait toutes les cours, leur genie, celui des peuples, leur maniere de combattre ; et il avait enfm donne la preference a la France, ou, Tamitie du marechal de Saxe le fit recevoir en qualite de lieute* nant general. Les allies et les Francais, les assieges, et les assiegeauts meme» crurent que I'entreprise echouerait. Lowendal fut presque le seul^ qui compta sur le succes. Tout fut mis en ceuvre par les allies : garnison renforcee, secours de provisions de toule espeC/C par J'Escaut, artillerie bien servie, sorties des assieges, attaques fai- les par un corps considerable qui protegeait les lignes aupres de la place, mines qu'on fit jouer en plusieurs endroits. Les maladies >% par le navigateur Hogcrs, apr^s un s^jour de quatre ans et quatre mois, 'pen- dant lequel il tuaun grand nombre de ctievres sauvages. M. Uentellr, dans rarticle Selkirk de la Biographic universelle, croit que cette aven- lure et cellc dun moskite indien . abandonn^ dans la m6me ile en 1681, onl fourni i Daniel de Foe le sujet du roraan de Robinson. (IVote di M. Clogenson,) 9, 154 SltCLE DE LOUIS XV. t variation de la boussole, qu'on Irouva conforme au sysleme dc Halley. L'aiguille aimanlee suivait exaclemenl la route que ce grand astronome lui avait tracee. II donna des lois a la maliere magnetique, comme Newton en donna a toule la nature. Et celte petite escadre, qui n'allait franchir des mers inconnues que dans J'esperance du pillage, servait la philosophie sans le savoir. Anson, qui montail un vaisseau de soixante canons, ayant ete rcjoint par un autre vaisseau de guerre et par cette chaloupe nommee VEpreuve, fit, en croisant vers cette tie de Fernandez, plusieurs prises assez considerables. Mais bientot apres , s'etanl avance jusque vers la ligne equinoxiale, il osa atlaquer la ville de Payta sur cette meme cote de I'Amerique. II ne se servit ni de ses vaisseaux de guerre, ni de tout ce qui lui restaild'homraes, pour tenter ce coup hardi. Cinquanle soldats dans une chaloupe arames firent I'expedition; ils abordent pendant la nuit; cette surprise subite, la confusion et le desordre que I'obscurite redou- We, multiplient el augmentent le danger. Le gouverneur, la gar- nison, les habitants, fuient de tous coles. Le gouverneur va dan^ les terres rassembler trois cents homraes dc ca valeric et la mi- lice des environs. Les cinquante Anglais cependant font transpor- ter paisiblement. pendant trois jours, les tresors qu'ils trouvent dans la douane et dans les maisons. Des esclaves negres, qui n'a- vaient pas fui, espece d'animaux appartenants au premier qui s'en saisit, aident a enlever les richesses de leurs anciens maitres. Les vaisseaux de guerre abordent. Le gouverneur n'eut ni la har- diesse de redescendre dans la ville et d'y combattre, ni la pru- dence de traiter avec les vainqueurs pour le rachal de la ville et des effets qui restaient encore. ( Novembre 1741 ) Anson fit re- duire Payta en cendres, el partit, ayant depouille aussi aisemenl les Espagnols que ceux-ci avaient autrefois depouille les Araeri- cains. La perte pour I'Espagne fut de plus de quinze cent raille piastres, le gain pour les Anglais d'environ cent quatre-vingt mille, ce qui, joint aux prises pr^cedentes, enrichissait deja I'escadre. Le grand nombre enleve par le scorbut laissait encore une plus grande part aux survivants. Cette petite escadre remonta ensuite vis-a-vis Panama sur la cole ou I'on peche les perles, et s'avanca devant Acapulco, au revers du Mexique. Le gouvernement de Madrid ne savait pas alors le danger qu'il courait de perdre cette grande partie du monde. CHAPITRE XXVII. 155 Si I'amiral Vernon, qui avait assiege Carlhagene, sur la mer opposee, eut reussi, il pouvait donner la main au commodore Anson. L'isthme dc Panama etait pris a droite et a gauche par les Anglais, et le centre de la domination espagnole perdu. Le minis- terc de Madrid, averti longtemps auparavant, avait pris des pre- cautions qu'un malheur presque sans cxemple rendait inutiles. II prevint I'escadre d'Anson par une flotte plus nombreuse, plus forte d'hommes et d'artillerie, sous le commandement de don Jo- seph Pizarro. Les memes lempetes qui avaient assailli les Anglais disperscrent les Espagnols avant qu'ils pussent atteindre le de troitde Le Maire. Non-seulement le scorbut, qui fit perir la moitie des Anglais, attaqua les Espagnols avec la meme furie, mais des provisions qu'on attendail de Bucnos-Ayres n'etant point venues, la faim se joignit au scorbut. Deux vaisseaux espagnols, qui ne portaient que des mourants, furent fracasses sur les cotes ; deux autres echouerent. Le commandant fut oblige de laisser son vais- seau amiral a Buenos-Ayres ; il n'y avait plus assez de mains pour le gouverner, et ce vaisseau ne put elre repare qu'au bout de trois annees ; de sorte que le commandant de cette fiotte re- tourna en Espagne en 1746, avec moins de cent hommes qui restaient de deux mille sept cents dont sa flotte etait montee : evenement funeste, qui sert a faire voir que la guerre sur mer est plus dangereuse que sur terre, puisque, sans combattre, on y essuie presque toujours les dangers et les extremites les plus horribles. Les raalheurs de Pizarro laisserent Anson en pleine liberie dans la mer du Sud ; mais les perles qu*Anson avait faites de son cote le mettaient hors d'etat de faire de grandes enlreprises sur les terres, et surtout dopuis qu'il eut appris, par les prisonniers, les mauvais suoces du siege de Carlhagene, et que le Mexique etait rassure. Anson reduisit done ses enlreprises et ses grandes esperances a se saisir d'un gallon immense , que le Mexique envoie tous les ans dans les mers de la Chine, a I'ilc de Manille, capitale des Philippines', ainsi nommees parce qu'elles furent decouverles sous le regne de Philippe II. Ce galion, charge d'argenl, ne serait point parti si on avail vu les Anglais sur les coles, el il ne devail mellre a la voile que long- lemps apres leur depart. Le commodore vadonc traverser I'occan ^.-S-' I I ■ — ■ I 156 SifeCLE DE LOUIS XV. Pacilique . el tous les climals opposes a TAfrique , enlre noire iropiqup. et I'equaleur. L'avarice, devenue honorable par la fati- gue el le danger, lui fait parcourir le globe avec deux vaisseaux de guerre , Le scorbut poursuit encore I'equipage sur ces mers ; et 1 un des vaisseaux faisant eau de tous coles, on est oblige de I'abandonner et de le brulei au milieu de la mer, de peur que ses debris ne soient porles dans queiques lies des Espagnols, et ne leur devien- nent utHes. Ce qui reslail de raalelots el de soldals sur ce vais- seau pisse dans celui d'Anson, et le commodore n'a plus de son escadre que son seul vaisseau, nomme le Centurion, monlc de joixanle canons, suivi de deux especes de chaloupes. U Centunon, echappe seul a lant de dangers, mais delabre lui-meme, el ne porlant que des malades, relache pour son bonheur dans une des ilcs Mariannes, qu'on nomme Tinian, alors presque enlierement deserlo ; peuplee naguere de trente mille imes, mais donl la plu- part des habitants avaient pen par une maladie epidemique, et dont le resle avail ele Iransporle dans une autre lie par les Ls- ^tet jour de Tinian sauva I'equipage. Celte lie, plus fertile que celle de Fernandez, offrait de lous cdtes, en bois, en eau pure, en animaux domesliques, en fruits, en legumes, lout ce qui peut servirTla nourritu?e, aux commodiles de la vie, el au raboub d'un vaisseau. Ce qu'on Irouva de plus singulier est un arbre donlle fruit, d'un gout agreable, peut remplacer le pa^n; resor reel qui. transplante , s'il se pou vail , dans nos climals , sera.l bien prefLble a ces richesses de convention qu'on va ravir, parmi iant de perils, au bout de la terre. De celle ile, il range celle de Formose, et cingle vers la Chine a Macao, a I'enlree de la riviere de Canton, pour radouber le seul vaisseau qui lui resle. Macao apparlienl depuis cent cinquanle ans aux Porlugais. L'empereur de la Chine leur permit de bftlir une ville dans celle petite lie, qui n'est qu'an rocher, mais qui leur elait necessaire pour leur commerce. Les Chinois n'ont jamais viole depuis ce temps les privileges accordes aux Porlugais. Cette fidelite deva.t, ce me semble, desarmer Tauleur anglais qui a donne au public VHistoire de Vexpedmon de Vamiral Anson. Cet historien, dail- leurs judicieux , inslruclif , et bon ciloyen , ne parle des Chinois quecomme d'un peuple raeprisable , sans foi et sans Industrie. CHAPITRE XXVIL 157 Quant a leur Industrie, elle n'est en rien de la nature de la noire ; quant a leurs moeur«, je crois qu'il faut plulot juger d'une puis- sanle nation par ceux qui sonl a la lele, que par la populace des extremiles d'une province. II me parail que la foi des Irailes, gar- dee par le gouvernement pendant un siecle et dcmi, fait plus d'honneur aux Chinois qu'ils no recoivenl de honle de I'avidite et de la fourberie d'un vil peuple d'une cole de ce vaste empire. Faut-il insuller la nation la plus anciennc et la plus policee de la terre, parce que queiques malheureux ont voulu derober a des Anglais, par des larcins el par des gains illicites, la vingt-mil- lieme parlie tout au plus de ce que les Anglais allaicnt voler par force aux Espagnols dans la mer de la Chine ? II n'y a pas long- temps que les voyageurs eprouvaient des vexations beaucoup plus grandes dans plus d'un pays de I'Europe. Qu'aurail dil un Chinois, si , ayant fait naufrage sur les coles de I'Angleterre, il avail vu les habitants courir en foulc s'emparer avidement a ses yeux de lous ses effets naufrages? Le commodore ayant mis son vaisseau en tres-bon elat a Ma- cao, par le secours des Chinois, et ayant recu sur son bord quei- ques matelots indiens et queiques Hollandais , qui lui parurenl des homines de service, il remet a la voile, feignant d'aller a Balavia, le disanl meme a son equipage , mais n'ayanl en effel d'autre objel que de relourner vers les Philippines, a la poursuile de ce galion, qu'il presumait etre alors dans ces parages. Des qu'il est en pleine mer, il fail part de son projct a tout son monde. L'idee d'une si riche prise les remplit de joie et d'esperance, et redoubla leur courage. Enfin, le 9 juin 1743, on decouvre ce vaisseau, qu'on poursui- vait depuis si longtemps d'un bout de Thcmisphere a I'autre. II avanqail vers Manille , monlc de soixanle-quatre canons , dont vingt-huit n'elaient que de qualre livres de balle a cartouche. Cinq cent cinquanle hommes de combat composaient I'equipage. Le tresor qu'il porlait n'elait que d'environ quinze cent mille pias- tres en argent, avec de la cochenille ; parce que tout le tresor, qui est d'ordinaire le double , ayant ele parlage, la moitie avail ete porlee sur un autre galion. Le commodore n'avait sur son vaisseau le Centurion que deux cent quarante hommes. Le capilaine du galion, ayant apercu Ten- oemt , aima mieux hasarder le tresor que perdre sa gloire eo 158 SIECLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XXVIII. 159 fuyant devant un Anglais, et Ht force de voiles hardiraenl pour le yenir combattre. La fureur de ravir des richesses, plus forte que le devoir de les conserver pour son roi, I'experience des Anglais, el les manoeu- vres savanles du commodore, lui donnerent la victoire. II n'eut que deux hommes tues dans le combat : le galion perdit soixante et sept hommes tues sur les ponls, et il eul quatre-vingl-quatre blesses. II lui restait encore plus de monde qu'au commodore : cependant il se reudit. Le vainqueur retourna a Canton avec celle riche prise. II y soutint I'honneur de sa nation, en refusant de payer a Tempereur de la Chine les impots que doivent tous les navires elrangers. II pretendait qu'un vaisseau de guerre n'en de- vait pas : sa conduite en imposa. Le gouverneur de Canton lui donna une audience, a laquelle il fut conduit a travers deux haies de soldats, au nombre dc dix miile ; apres quoi il retourna dans sa patrie par les lies de la Sonde et par le cap de Bonne-Esperance. Ayant ainsi fait le tour du monde en victorieux, il aborda en An- gleterre le 14 juin 1744, apres un voyage de Iroisans etdemi. II fit porter a Londres en triomphe, sur trente-deux chariots, au son des tambours et des trompettes, el au\ acclamations de la multitude, les richesses qu*il avail conquises. Ses prises sc mon- laient, en argent el en or, a dix millions, monnaie de France, qui furent le prix du commodore , de ses officiers , des matelols et . des soldats, sans que le roi entrcit en partage du fruit de leurs fa> tigues et de leur valeur. Ces richesses, circulant bienlot dans la nation, contribuerent a lui faire supporter les frais immenses de la guerre. De simples corsaires firent des prises encore plus considerables. Le capitaine Talbot prit avec son seul vaisseau deux navires fran- cais, qu'il crul d'abord venir de la Martinique, cl ne porter que des marchandises communes : mais ces deux batiments malouins avaient ete fretes par les Espagnols avant que la guerre eul ete declaree cntre la France et TAnglcterre ; ils croyaienl revenir en surete. Un Espagnol qui avail ete gouverneur du Perou etait sur Tun de ces vaisseaux ; el tous les deux rapportaient des Iresors en or, en argent , en diamants, el en marchandises precieuses. Celle prise etait eslimee vingl-six millions de livres. L'equipage du corsaire fut si etonne de ce qu'il voyait, qu'il ne daigna pas prendre les bijoux que chaque passager espagnol porlail sur soi. II n'y en avail presque aucun qui n'eut une ^pee d'or et un dia- mant au doigt ; on leur laissa tout : et quand Talbot eul amene ses prises au port de Kingsale, en Irlande, il fit present de vingl guinees a chacun des matelols el des domestiques espagnols. Le bulin fut partage entre deux vaisseaux corsaires, dont lun, qui etait compagnon de Talbot, avail poursuivi en vain un autre vais- seau nomme I'Esperance , le plus riche des trois. Chaque raa- telol de ces deux corsaires eul huil cent cinquante guinees pour sa part; les deux capitaines eurenl chacun trois mille cinq cents guinees. Le reste fut partage entre les associes, apres avoir c(e porte en triomphe, de Bristol a Londres , sur quarante-trois cha- riots. La plus grande parlie de cet argent fut pretee au roi meme, qui en fit une rente aux proprielaires. Celle seule prise valail au delft d'une anncc de revenu de la Flandre entiere. On peul juger si de lelles aventures encourageaient les Anglais a aller en course, el relevaient les esperances d'une parlie de la nation , qui envisa- geait dans les calamiles publiquesdes avantagessi prodigieux. CHAPiTRE xxvnr. Louisbourg. Combats de nier : prises immenses que font les Anglais. Une autre entreprise, commencee plus tard que celle de I'a- miral Anson, monire bicn de quoi est capable une nation com- merqante a la fois et guerriere. Je veux parler du siege de Louis- bourg : ce ne fut point une operation du cabinet des ministres de Londres , ce fut le fruit de la hardiesse des marchands de la Nouvelle-Angletefre. Celle colonic. Tune des plus florissanles de la nation anglaise, est eloignee d*environ quatre-vingts lieues de rile de Louisbourg ou du cap Breton , He alors importanle pour les Francais , situee vers I'embouchure du flcuve Saint-Laurent, la clef de leurs possessions dans le nord de I'Amerique. Ce terri- loire avail ete confirme a la France par la paix d'Utrechl. La pe- che de la morue, qui se fail dans ces parages, etait I'objet d'un commerce utile , qui employail par an plus de cinq cents pelits vaisseaux de Bayonne, de Sainl-Jean-de-Luz, du Havre de-Grace, et d'aulres villes; on en rapportail au moins trois mille lonneaux d'huile, necessaires pour les manufactures de toute espece. C'etait 160 SltCLK DE LOUIS XV. une ecole de matelots ; et ce commerce, joint a celui de la morue, faisait travailler dix mille hommes et circuler dix millions. Un ncgociant, nomme VaugaD, propose a ses concitoyens de la Nouvelle-Angleterre de lever des troupes pour assieger Louis- bourg. On recoil cette idee avec acclamation. On fait une lolerie, dont le produit soudoie une petite armee de quatre raille hommes. On les arrae, on les approvisionne, on ieur fournit des vaisseaux de transport ; tout cela aux depens des habitants. lis nomment un general ; mais il Ieur fallait Tagrement de la cour de Londres ; il Ieur fallait surtout des vaisseaux de guerre. II n*y eut de perdu que le temps de demander. La cour envoie Tamiral Warren avec quatre vaisseaux proteger cette entreprise de tout un peuple. Louisbourg est une place qui pouvait se defendre , et rendr( tons ces efforts inutiles, si on avait eu assez de munitions : mais c'csl le sort de la plupart des etablissements eloignes, qu'on Ieur enrvoie rarement d'assez bonne heure ce qui Ieur est necessaire. A la premiere nouvelle des prcparatifs contre la colonic, le mi- nistre de la marine de France fait partir un vaisseau de soixantc- quatre canons, charge de tout ce qui manquait a Louisbourg. Le vaisseau arrive pour etre pris a I'entree du port par les Anglais. Le commandant de la place, apres une vigoureuse defense de cin- quante jours , fut oblige de se rendre. Les Anglais lui firenl les conditions : ce fut d'emmener eux-memes en France la garnison et tons les habitants, au nombre de deux mille. On fut etonne a Brest de reeevoir, quelques mois apres , une colonic entiere de Francais, que des vaisseaux anglais laisserent sur le rivage. La prise de Louisbourg fut encore fataie a la compagnie fran- caise des Indes; elle avait pris a ferme le commerce des pelle- teries du Canada, et ses vaisseaux, au retourdes Grandes- Indes, venalent souvent mouiller a Louisbourg. Deux gros vaisseaux de la compagnie y abordent immcdiatement apres sa prise, et se li- vrent eux-memes. Ce ne fut pas tout ; une fatalite non moins sin- guliere enrichit encore les nouveaux possesseurs du cap Breton. Un gros b^iment espagnol, nomme V Espe ranee , qui avait echappe a des armateurs , croyail trouver sa siirete dans le port de Louisbourg, comme les autres ; il y trouva sa perte commc^eux. La charge de ces trois navires, qui vinrent ainsi se rendre eux- memes du fond de I'Asie et de I'Amerique, allait a vingt-cinq mil- lions de livres. Si des longtemps on a appele la guerre un jeu de CHAPITRK XXVIII. 161 hasard, les Anglais, en une annee, gagnerent a ce jeu environ trois millions de livres sterling. Non-seulement les vainqueurs comptaient garder a jamais Louisbourg, mais ils firent des pre- paratifs pour s'emparer de toute la Nouvelle-Francc. II semble que les Anglais dussent faire de plus grandes entre- prises maritimes. Ils avaientalors six vaisseaux de cent pieces de canon, treize de quatre-vingt-dix, quinze de quatre-vingts, vingt- six de soixante-dix, trente-trois de soixante. II y en avait trente- sept de cinquante a cinquante-qualre canons ; et au-dessous de cette forme, depuis les fregates de quarante canons jusqu'aux moindres, on en comptait jusqu'a cent quinze. Ils avaient encore quatorze galiotes a bombes et dix brulots. C'etait en lout deux cent soixante-neuf vaisseaux de guerre , independamment des corsaires et des vaisseaux de transport. Cette marine avait le fonds de quarante mille matelots. Jamais aucune nation n*a eu de pareilles forces. Tous ces vaisseaux ne pouvaient etre armes a la fois , il s'en fallait beaucoup ; le nombre des soldats etait trop disproportionne : mais enfin, en 1746 et 1747, les Anglais avaient a la fois une flotte dans les mers d*£cosse et d'lrlande, une a Spi- thead, une aux Indes orientales, une vers la Jamalquc, une a An- tigoa, et ils en armaient de nouvelles, selon le besoin. II fallut que la France resistit pendant toute la guerre, n'ayant en tout qu'environ trenle-cinq vaisseaux de roi a opposer a cette puissance formidable. II devenait plus difficile de jour en jour de soutenir les colonies. Si on ne Ieur envoyait pag de gros convois, elles demeuraient sans secours a la merci des flottes anglaises ; si les convois partaient ou de France ou des lies, ils couraient risque, elant escortes, d'etre pris avecleurs escortes. En effet, les Franqais essuyerent quelquefois des pertes terribles; car une flotte marchande de quarante voiles, venant en France de la Mar- tinique sous I'escorte de quatre vaisseaux de guerre, fut rencon- tree par une flotte anglaise (octobre 1745) ; il y en eut Irente de pris , coules a fond ou echoues ; deux vaisseaux de Tescorte , dont Tun etait de quatre-vingts canons, tomberent au pouvoir de Tennemi. En vain on tenta d'aller dans I'Amerique septentrionale pour essayer de reprendre le cap Breton, ou pour ruiner la colonic an- glaise d'Annapolis dans la Nouvelle-ficosse. Le due d'Enville, de la maison de la Rochefoucauld, y fut envoye avec quatorze ,^.\.--,^ -^^ 1C2 SifeCLE DE LOUTS XV. CHAPITRE XXIX. / vaisseaux (juin 174C). C'etait un homme d'un grand courage, d'une politesse et d'une douceur de moeurs que les Fran^ais seuls conservenl dans la rudesse allachee au service maritime ; mais la force de son corps ne secontlait pas celle de son kxs\i. ( Septembre ) n mourut de maladie sur le rivage barbare de Chiboctou , apres avoir vu saflotle dispersecpar des tempetes. C'esl lui donl la veuve s'est fait dans Paris unesi grande reputation par ses vertuscoura- geuses et par la conslance d'une dme forte, qualile rare en France. Un des plus grands avantages que les Anglais eurent sur mei fut le combat naval de Firiistere ( 16 mai 1747 ) ; combat ou ils prirent six gros vaisseaux de roi, et sept de la compagnie des In- des armes en guerre, donl quatre se rendirent dans.le combat, el trois autres ensuite ; le tout portant quatre mille hommes d'e- quipage. Londres est rempliedc negocianls el de gens de mer, qui s*in- leressent beaucoup plus aux succes maritimes qu'a lout ce qui sc passe en Allemagne ou en Flandre. Ce fut dans la ville un transport de joie inoui, quand on vit arriver dans la Tamise le meme vaisseau le Centurion, si faraeux par son expedition autour du monde ; il apporlait la nouvellc de la balaille de Finislere ga- gnee par ce meme Anson, devenu a juste litre vice-amiral ge- neral, et par I'amiral Warren. On vit arriver vingt-deux chariots charges de Tor, de I'argent et des effets pris sur la llolle de France. La perte de ces effets ct de ces vaisseaux fut estimee plus de vingt millions de France. De I'argent de cette prise on frappa quelques especes, sur lesquelles on voyait pour legende Finistere : monument flatteur a la fois et encourageant pour la nation, et imitation giorieuse dc l*usage qu'avaient les Romains de graver ainsi sur la monnaie courante, comme sur les medailles, Ics plus grands evenements de leur empire. Cette victoire etail plus heureuse et plus utile qu'etonnante. Les amiraux Anson et Warren avaient combattu avec dix-sept vaisseaux de guerre con- tre six vaisseaux de roi, donl le meilleur ne valait pas, pour la construction, le moindre navire de la flotte anglaise. Ce qu*il y avail de surprenant, c'esl que le marquis de la Jon- quiere, chef de cette escadre, eut soutenu longtemps le combat, et donne encore a un convoi qu*il amenait de la Martinique le lemps d'echapper. Le capitainedu vaisseau le Windsor s'expri- Diait ainsi dans sa lettre sur celle balaille : « Je n'ai jamais vu unc 163 « meilleure conduile que celle du commodore francais ; et , pour « dire la verite, tous les officiers de celle nation ont monlre un « grand courage ; aucun d'eux ne s'est rendu que quand il leur a K ete absolumenl impossible de manocuvrer. » II ne reslait plus aux Francais, sur ces mers, que sept vais- seaux de guerre pour escorter les flolles marchandes aux iles de I'Amerique, sous le com mandement de M. de I'Estanduere. Ils furent rencontres par qualorze vaisseaux anglais. ( 14 octobre 1747) On se baltit, comme a Finistere, avec le meme courage el la meme fortune. Le nombre I'emporta, et I'amiral Hawke amena dans la Tamise six vaisseaux , des sept qu'il avail com- battus. La France n'avail plus alors qu'un seul vaisseau de guerre. On connul dans toute son elcndue la faute du cardinal de Fleufy, d'a- voir neglige la mer; cette faute est difficile a reparer. La marine est un art, et un grand art. On a vu quelquefois de bonnes troupes dc lorre formees en deux ou trois annees par des gcneraux habiles el appliques; mais il faul un long temps pour se procurer une marine redoutable. CHAPITRE XXIX. De rinde, de Madras, de Pondich^ry. Expedition de la Bourdonnaie. Conduite de Dupleix , etc. Pendant que les Anglais portaient leurs armes victorieuses sur tant de mers, et que lout le globe etail le theatre de la guerre, ils en ressentirent enfin les effets dans leur colonic de Madras. Un homme a la fois negocianl et guerrier, nomme Mahe de la Bourdonnaie , vengea I'honneur du pavilion francais au fond de I'Asie. Pour rendrecet evenemenl plus sensible, il est necessaire de donner quelque idee de I'Inde, du commerce des Europeans dans cette vasle et riche contree, et de la rivalitc qui regna entre eux, rivalite souvent soutenue par les armes. Les nations europeanes ont inonde I'lnde. On a su y faire de grands etablisseraenls , on y a porte la guerre, plusieurs y ont fait des fortunes immenses ; peu se sent appliques a connaitre lesanti- quiles de ce pays, plus renomme autrefois pour sa religion, ses 164 SIECLE DE LOUIS XV. sciences et ses lois, que pour sesrichesses, qui onl fait de nos jours I'unique objel de nos voyages. Un Anglais qui a demeure trente ans dans le Bengale , et qui sail les langues modernes et anciennesdes brames, detruit tout ce vain amas d'erreurs dout sont rempliesnos histoires des Indes, et contirme ce que le petit nombre d'hommes instruits en a pensc"^. Ce pays est, sans contredit, le plus anciennement police qui soit dans le monde; les savants chinois meme lui accordeut cette superiorite. Les plus anniens monuments que I'empereur Kang-hi avait recueillis dans son cabinet de curiosites etaient tons indiens. Ledocte et infatigable Anglais qui a copie, en 1754, leur premiere loi ecrite, nommee le Shasta, anterieure au Vex- dam, assure que cette loi a qualre mille six cent soixanle et six ans d'antiquite dans le temps qu'il la copie. Longtemps avant ce monument, le plus ancien de la terre, s*il faut Ten croire, cette loi etait consacree par la tradition et par des hierogiyphes an- tiques. On ne faitd'ordinaire aucune difficulte dans toutes les relations de rinde, copiees sans examen les unes sur les autres, de diviser toutes les nations des Indiens en mahometans et *en idoldtres ; mais il est avere que les brames et les banians, loin d'etre ido- litres, out toujours reconnu un seul Dieu createur, que leurs li- vres appellent toujours VEternel: ils le reconnaissent encore au milieu de toules les superstitions qui defigurent leur ancren culte. Nous avons cru, en voyant les figures monstrueuses exposees dans leurs temples a la veneration publique, qu'ils adoraient des diables , quoique ces peuples n'aient jamais entendu parler du (liable. Ces representations symboliques n'etaient autre chose que les emblemes des vertus. La vertu, en general , est figuree comme une belle femme qui a dix bras pour resister aux vices. Elle porte une couronne ; elle est montee sur un dragon, et tient, du premier de ses bras droits, une pique dont la pointe ressemble a une fleur de lis. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans le detail de toutes leurs antiques ceremonies qui se sont conservees jus- qu'a nos jours, ni de discuter le Shastabad et le Veidam, ni de montreraquel point les brames d'aujourd'hui ont degenere de leurs • « J'ai dtudi^, dit-il , tout ce qui a ^td ^crit ?nr les Indiens depuis Ar. • rien jusqu'^ Tabb^ Guyon m^rne, et je n'ai trouve qu'erreur et raen- • songe. • ( Page 5 de la Preface. ) CHAPITRE XXIX. 1C5 ancetres ; mais quoique leur asservissement aux Tarlares, I'horri- blecupidite et les debauches des Europeans elablis sur leurs coles les aient rendus pour la plupart fourbes et mechants, cependanl I'auteur, qui a vecu si longtemps avec eux, dit que les brames qui n'onl point ele corrompus par aucune frequentation avec les com- mercants d'Europe ou par les intrigues des cours des nabads, Chapelle. Dans ce flux et ce reflux de succes et de pertes , communs a presque loutes les guerres, Louis XV ne cessait d'etre victorieux dans les Pays-Bas. Deja Mastrich etail pret de se rendre au ma- rechal de Saxe, qui I'assicgeait, apres la plus savante marche que jamais general eut faite, et de la on allait droit a Ntmegue. Les Hollandais itaient consternes; il y avait en France pres de trentc- cinq mille de leurs soldats prisonniers de guerre. Des desastres plus grands que ceux de Tannoe 1672 semblaient menacer cette republique ; mais ce que la France gagnait d'un cote, elle le per- dait de I'autre : ses colonies etaient exposees, aca commerce pe- CHAPITRE XXX. 171 rissait, elle n'avait plus de vaisseaux de guerre. Toutes les na- tions souffraient, ct toutes avaient besoin de la paix, comme dans les guerres precedentes. Pres de sept mille vaisseaux marchands, soit de France, soit d'Espagne, ou d'Anglelerre, ou de Hollande, avaient ete pris dans le cours de ces depredations reciproques : et de la on pent conclure que plus de cinquante mille families avaient fait de grandes pertes. Joignez a ces desastres la multi- tude des morts, la difficulte des recrues; c'est le sort de toute guerre. La moitie de I'Allcmagne et de I'ltalie, les Pays-Bas, etaient ravages ; et, pour accroitre et prolonger tant de malheurs, I'argent de I'Angleterre et de Id Hollande faisait venir trenle-cinq mille Busses , qui etaient deja dans la Franconie. On allait voir, vers les frontieres de la France, les mcmes troupes qui avaient vaincu les Turcs et les Suedois. Ce qui caracterisait plus particulierement cette guerre , c'est qu'a chaque vicfoire que Louis XV avait remportee, il avait offert la paix, et qu'on ne I'avait jamais acceptee. Mais enfin, quand on vit que Mastricht allait tomber apres Berg-op-Zoom , et que la Hollande etait en danger, les ennemis demanderent aussi cette paix devenue necessaire a tout le monde. ( 16 octobre 1748) Le marquis de Saint-Severin, I'un des pleni- \ polentiaires de France au congres d'Aix-la-Chapelle, commenca par declarer qu'il venait accomplir les paroles de son maitre , « qui voulait faire la paix, non en marchand, mais en roi. » Louis XV ne voulut rien pour lui, mais il fit tout pour ses al- lies : il assurait , par cette paix , le royaume des Deux-Siciles a don Carlos, prince de son sang ; il etablit dans Parme, Plaisanco, el Guastalla, don Philippe son gendre; le due de Modene son al- lie, et gendre du due d'Orleans regent, fut remis en possession de son pays, qu'il avait perdu pour avoir pris les inlerets de la France. Genes rentra dans tous ses droits. II parut plus beau et meme plus utile a la cour de France de ne penser qu'au bonheur de ses allies, que de se faire donner deux ou trois villes de Fian- dre, qui auraient etc un eternel objet de jalousie. L'Angleterre , qui n'avait eu d'autre inleret particulier dans cette guerre universelle que celui d'un vaisseau, y perdit beau- coup de tresors et de sang; et la querelle de ce vaisseau resta dans le meme etat ou elle etait auparavant. Le roi de Prusse fut celui qui retira les plus grands avantages ; il conserva la con- 172 SltCLE DE LOUIS XV. !! <• It- quele de la Silesiedans un temps ou toutes les puissances avaien! pour maxime de ne souffrir I'agrandissement d'aucun prince. Le due de Savoie, roi de Sardaigne, ful, apres le roi de Prusse, celui qui gagna le plus , la reiiie de Hongrie ayant payc son alliance d'une partie du Milanais. Apres celte paix, la France se retablit faiblemenl. Alors I'Eu- rope chretienne se trouva parlagee cntre deux grands partis qui se rnenageaient I'un I'autre , et qui soulenaient chacun de leur cole cette balance, le pretexte de tant de guerres, laquelle devrait assurer une eternelle paix. Les £lats de rimperatrice-reine de Hon- grie, et une partie de rAllemagnc, la Russie, I'Anglelerre, la Hol- lande, la Sardaigne, composaicut une de ces grandes factions. L'aulre etait formee par la France, I'Espagne, les Deux-Siciles, la Prusse, la Suede. Toutes les puissances reslerent armees ; et on «spera un repos durable, par la crainte meme que les deux moities de I'Europe semblaient inspirer Tune a I'autre. Louis XIV avail le premier enlretenu ces nombreuses armees qui forcerent les autres princes a faire les raemes efforts; de sorte qu'apres la paix d'Aix la-Gliapelle, en 1748, les puissances chreliennes de I'Europe eurent environ un million d'hommes sous les armes, au detriment des arts et des professions necessai- res, surlout de Tagriculture : on se ilatta que de longlemps il n'y aurail aucuu agresseur, parce que tous les fitats etaienl arnies pour se defendre : mais on se flatta en vain. CHAPITRE XXXI. Etat de lEurope en <756. Lisbonne detruite. Conspirations et supp'.iro* Ml SuiMle. Guerres funestee pour quelques terriloires vers ie Canada. Prise dc Port-Mahon par le mar^chal de Wichelieu. I/Europe entiere ne vit guere luire de plus beaux jours que depuis la paix d'Aix-la-Chapelle, en 1748, jusque vers I'an 1755. Le commerce florissail de Petersbourg jusqu'a Cadix ; les beaux- arts etaienl parlout en honneur ; on voyait enlre loutes les na- tions une correspondance mutuelle ; I'Europe ressemblait a une grande famille reunie apres ses differends. Les malheurs nou- veaux de I'Europe semblerenl etre annonces par des Iremble- ments de lerre qui se firenl sentir en plusieurs provinces , mais d'une maniere plus terrible a Lisbonne qu'ailleurs. Uo grand tiers CHAIMTKL \\\i. de cetle ville tut renverse sur ses habitants; il y perit n,cs de Irenle mille personnes : ce fleau s'etendit en Espagne; la petite ville de Setubal fut presque detruite, d'autres endommagees ; la mer. selevanl au-de*sus de la chaussee de Cadix, engloulit lout ce qui se trouva sur le chemin; les secousses de la terre qui ebranlaienl I'Europe se firenl sentir de meme en Afrique : et le meme jour que les habitants de Lisbonne perissaient, la terre 8 ouynl aupres de Maroc ; une peuplade enliere d'Arabes ful en- sevehe dans des abimes; les villes de Fez et de Mequinez furent encore plus maltraitees que Lisbonne. (20 juin 1756) Cefleau semblait devoir faire rentrer les hommes en eux-memes, el leur faire sentir qu'ils ne sont en effel que des victimes de la morl, qui doivent au moins se consoler les uns les autres Les Porlugais crurent oblenir la clemence de Dieu en faisanlbruler des Juifs el d'autres hommes dans ce qu'ils ap- pellent un adt(vda.p6, acte de foi, que les autres nations re- gardenl comme un acte de barbarie : mais des ce temps-ia meme on prenait des mesures dans d'autres parlies de I'Europe pour en- sanglanter cette terre qui s'ecroulait sous nos pieds. La premiere catastrophe funesle se passa en Suede Ce royaume elail devenu une republique, donl le roi n'etail que le premier magistral. II etait oblige de se conformer a la pluralite des voix du senal : les etals, composes de la noblesse, de la bourgeoisie, duclcrge, el des paysans, pouvaienl reformer les WIS du senal , mais le roi ne le pouvail pas. (Juin 1756) Quelques seigneurs, plus attaches au roi qu'aux nouvelles lois dela patrie, conspirerent contre le senal en faveur du monarque : loul fut decouvert; les conjures furent punis de morl. Ce qui , dans un £lal purement monarchique , aurail passe pour une action verlueuse, fut regarde comme une Irahison in- fame dans un pays devenu libre : ainsi, les memes actions sont crimes ou vertus selon les lieux ou selon les temps. Cette avenlure indisposa la Suede contre son roi, el contribua ensuile a faire declarer la guerre ( comme nous le verrons ) a Fre- dene, roi de Prusse, donl la soeur avail epouse le roi de Suede Les revolutions que ce meme roi de Prusse el ses ennemis pre-* paraienl des lors etaienl un feu qui couvail sous lacendre; ce feu embrasa bientol I'Europe, mais les premieres elincelies vinrenl J Amerique. iO. a 174 ' SIECLE DE LOUIS XV. Une legere querelle entre la France et TAnglelerre, pour que!- ques terrains sauvages vers I'Acadie, inspira unc nouvelle polili- quc a tons les souverains d'Europe. 11 est utile d'observer que celte querelle elait le fruit de la negligence de lous les minislres qui travaillerent , en 1712 el 1713, au traite d'Utrecht. La France avail cede a I'Angleterre, par ce traite, I'Acadie, voisinedu Canada, avec toules ses ancienncs limites; mais on n'avait pas specific queues etaienl ces limites; on les ignorait : c'est une faute qu'on n'a jamais commise dans des contrats entre parlicuiiers. Des de- raeles ont resulte necessairement de celte omission. Si la philoso- phie et la justice se raelaient des querelles des hommes, eiles leur ferai'ent voir que les Francais et les Anglais se disputaient un pays sur lequel ils n'avaient aucun droit : mais ces premiers princi- pes n entrent point dans les affaires du monde. Une pareille dis- pute elevee enlre de simples commercanls aurait ete apaisee en deux heures par des arbitres ; mais entre des couronnes il suffit de rambition ou de I'humeur dun simple commissaire pour boule- verser vingl fitats. On accusait les Anglais de ne chercher qu'> detruire entierement le commerce de la France dans cette partie de I'Amerique. Ils elaient tres-superieurs par leurs nombreuse8 et riches colonies dans I'Amerique seplentrionale ; ilsTelaient en- core plus sur mer par leurs flottes ; et ayant detruit la marme de France dans la guerre de 1741 , ils se llatlaient que rien ne leur resisterait ni dans le nouveau monde ni sur nos mers : leurs es- perances furent d'abord trompees. lis commencerent, en 1755, parattaquer les Francais vers le Canada; et, sans aucune declaration de guerre , ils pnrent plus de trois cents vaisseaux marchands, comme on saisirait des barques de contrebande; ils s'emparerent meme de quelques navires des autres nations, qui portaienl aux Francais des marchandises. Le roi de France, dans ces conjonclures , eut une conduite toule dif- ferente de celle de Louis XIV. II se conlenla d'abord de demander justice; il ne permit pas seulement alors ases sujels d'armer en course. Louis XIV avail parle souvent aux autres cours avec su- periorite ; Louis XV Rl sentir dans toutes les cours la supenorite que les Anglais affectaient. On avail reproche a Louis XIV une ambition qui tendail sur terre a la monarchic universelle; Louis XV fit connailre la superiorile reelle que les Anglais pre- naient sur les mers. CHAPITRE XXXI. 175 Cependant Louis XV s'assurait quelque vengeance ; ses troupes ballaient les Anglais, en 1756 , vers le Canada; il preparait dans ses ports une flotte considerable, et il comptait altaquer par terre le roi d'Angleterre , George II , dans son electoral d'Hano- vre. Cette irruption en Allemagne menacait I'Europe d'un em- brasement allume dans le nouveau monde. Ce ful alors que loute la politique de I'Europe fut changee. Le roi d'Angleterre appela une seconde fois, du fond du Nord , trente mille Russes qu'iTde- vaii soudoyer. L'empirede Russie etait Tallie de I'empereur et de rimperatrice-reine de Hongrie. Le roi de Prusse devait craindre que les Russes , les Imperiaux , et les Hanovriens, ne tombassenl sur lui. II avail environ cent quarante mille hommes en armes; il n'hesita pasa seliguer avec leroi d'Angleterre, pour empecher d'une main que les Russes n'entrassent en Allemagne, et pour fermer de I'aulre le chemin aux Francais. Voila done encore loute I'Europe en armes, et la France replongee dans de nouvelles ca- lamites qu'on aurait pu eviler, si on pouvait se derober a sa des- tinec. Le roi de France eut avec facilite et en un moment tout I'argent dont il avail besoin , par une de ces promptes ressources qu'on ne pent connailre que dans un royaume aussi opulent que la France. Vingl places nouvelles de fermiers generaux el quelques em- prunts sufHrenl pour soutenir les premieres annees de la guerre; facilite funesle qui ruina bienlot le royaume. On feignit de menacer les cotes de I'Angleterre. Ce n'elait plus le temps ou la reine filisabeth , avec le secours de ses seuls An- glais, ayant rficosse a craindre, el pouvant a peine conlenir rirlande , soutint les prodigieux efforts de Philippe II. Le roi d'Angleterre, George II, se crul oblige de faire venir des Hano- vriens et des Hessois pour defendre ses coles. L'Anglcterre , qui n'avait pas prevu celle suite de son enlreprise , murmura de se voir inondee d'etrangers ; plusieurs citoyens passerenl de ia fierle a la crainle, et tremblerent pour leur liberie. Le gouvemement anglais avail pris le change sur les desseins de la France : il craignait une invasion , et il ne songeait pas a I'ile de Minorque , ce fruit de tant de depenses prodiguees dans I'anrienne guerre de la succession d'Espagne. Les Anglais avaient pris , comrae on a vu , Minorque sur I'Es- pagne : la possession de cette conquele , assuree par lous les 176 SltCLE DE LOUIS XV. traites,Ieurelail plus importante que Gibraltar, qui n'esl point un port , et leur donnail I'empire de la Medilerrante. Le roi de France cnvoya dans cette ile, sur la lin d'avril (1756), le mare- chal due de Richelieu , avec environ vingt balaillons , escortes d'une douzaine de vaisseaux du premier rang, et queiques fre- gates que les Anglais ne croyaient pas etre silot pretes : tout le fut a point nomme, et rien nc I'elait du cole des Anglais. lis tenterent au moins , mais trop tard , d'attaquer au mois de juin ia flotte francaise commandee par le marquis de la Gallisson- niere. Cette bataille ne leur cut pas conserve I'ile de Minorque, mais ellepouvait sauver leur gloire. L'entreprise fut inCruclueuse ; le marquis de la Gallissonniere rait leur flotte en desordre , el la repoussa. Le ministere anglais vit quelque temps avec douleur qu'il avait force la France a etablir une marine redoutable. 11 restait aux Anglais I'esperance de defendre la ciladelle de Port-Mahon , qu'on regardait apres Gibraltar comme la place de I'Europe la plus forte par sa situation , par la nature de son ter- rain, et par trente ans de soins qu'on arait mis a la fortifier : c'etait partout un roc uni; c'etaient des fosses profonds de vingt pieds , et en queiques endroits de trente , tailles dans ce roc ; c'etaient quatre-vingts mines sous des ouvrages devant lesquels il etait impossible d'ouvrir la tranchee ; tout ctait impenetrable au canon, et la citadelle etait entouree partout de ces fortifica- tions exterieures taillees dans le roc vif. Le marechal de Richelieu tenta une entreprise plus bardie que n'avait ete celle de Berg-op-Zoom : ce fut de donner a la fois un assaut a tous ces ouvrages qui defendaient le corps de la place. II fut seconde dans cette entreprise audacicuse par le comte de Maillebois, qui, dans cette guerre, deploya toujours de grands talents , deja exerces dans I'ltalie. On descendit dans les fosses malgre le feu de I'arlillerie an- glaise ; on plaota des echelles hautes de treize pieds ; les ofQciers et les soldats, parvenus au dernier echelon, s'elanqaient sur le roc en montant sur les epaules les uns des autrcs : c'est par cette audace diflicile a comprendre qu'ils se rendirent mailres de tous les ouvrages exterieurs. Les tpupes s'y porlerent avec d'autant plus de courage , qu'elles avaient affaire a pres de trois mille An glais secondes de tout ce que la nature et Tart avaient fait pour les defendre. \ CHAPITRE XX XII. 177 Le lendemain, la place se rendit ( 28 juin). Les Anglais nc pou- vaient comprendre comment les soldats francais avaient escalade ces fosses , dans lesquels il n'elait guere possible a un homme de sang-froid de descendre. Celte action donna une grande gloire au general et a la nation , mais ce fut le dernier de sos succes conlre I'Anglelerre. On fut si indigne a Londres de n'avoir pu I'emporter sur mer contre les Francais , que I'amiral Byng, qui avait combattu le marquis de la Gallissonniere , fut , d'apres ses instructions qui lui ordonnaient de tout risquer pour faire entrer dans le port de Mahon un convoi qu'il escortait, condamne par une cour martiale a etre arquebuse, en verlu d'une ancienne loi portee du temps de Charles IL En vain le marechal de Richelieu envoya a I'auteur de cette hisloire une declaration qui justifiait I'amiral Byng , decla- ration parvenue bienlot au roi d'Angleterre ; en vain les juges memes recommanderent fortement le condamne a la clemence du roi, qui a le droit de faire gr^ce : cet amiral fut execute. II etait nis d'un autre amiral qui avait gagne la bataille de Messine en 1718. II mourut avec une grande fermete; et, avant d'elie frappe , il envoya son memoire justificalif a I'auteur, et ses re- merciments au marechal de Richelieu*. CHAPITRE XXXII. Guerre en Allemagne. Un ^lecteur de Brandebourg rdsiste k la matson d'Autriche, k rempire alleraand, a a^lui de Russie, k la France. Ev6- nemcnts mdniorables. On avait admire Louis XIV d'avoir seul resiste a rAliomagne, a I'Angleterre, a I'ltalie , a la Hollande , reunies contre lui. Nous avons vu un evenement plus extraordinaire : un electeur de Bran- debourg tenir seul conlre les forces de la maison d'Aulriche, de la France, de la Russie, de la Suede , etde la moitie de I'EJmpire. • Le jour qu'on investit le fort Saint-Philippe, le chevalier de Laurenei, Italien au service de France, trouva dans une maison de campagne ap- partenante k un comRussaire de ia marine anglaise, parmi ses papiers, la table des sAgnaux de rescadre anglaise. Le marechal I'envoya k M. de la Gallissonniere , qui la reconnut pour tr6s-exacte d^s que I'amiral Byng eut fait des signaux. Ainsi , Bl. de la Gallisonniere acquit un grand avan- tage sur son ennemi. ■7^8».' 178 SlfcCLE DE LOLIS XV. »4 C'est un prodige qu'on ne peut attribuer qu'a la discipline de ges troupes, et a la superiorile du capilaine. Le hasard pent faire gagnerune bataille; mais quand le faible resisle aux forts sept annees dans un pays tout ouvert , et repare les plus grands mal- neurs , ce ne peut etre I'ouvrage de la fortune. C'est en quoi cette guerre differe de toules celles qui ont jamais desole le monde. On a deja vu que le second roi de Prusse ctait le seul prince de I'Europe qui eut un tresor, et le seul qui, ayant mis dans ses armees une vraie discipline , avait ctabli une puissance nouvelle en Allemagne. On a vu combien les preparatifs du pere avaient enhardi le fils a braver seul la puissance autrichienne , et a s'em- parer de la Silesie. L'imperatricc-reine atlendait que les conjoncturcs lui fournis- sent les moyens de rentrer dans cetle province. C'eiit Otc autre- fois un objet indifferent pour I'Europe, qu'un petit pays annexe a la Boheme appartint a une maison ou a une autre : mais la po- litique s'etant raffinee plus que perfectionnee en Europe, ainsi que tons les autres objels de I'esprit bumain, cetle petite querelle a mis sous les armes plus de cinq cent mille hommes. II n'y eut jamais tant de comballants effeclifs , ni dans les croisades , ni dans les irruptions des conquerants de I'Asie. Voici comment cette nouvelle scene s'ouvrit : filisabeth , imperatrice de Russie , etait liee avec Timperatrice Marie-Therese par d'anciens traites, par I'interet commun qui les unissait conlre I'empire ottoman , et par une inclination recipro- que. Auguste HI , roi de Pologne et elecleur de Saxe , reconcilie avec rimperatrice-reine , et attache a la Russie , a laquelle i! de- vait le litre de roi de Pologne, etait intiraement uni avec ces deux souveraines. Ces trois puissances avaient chacune leurs griefs conlre le roi Frederic III de Prusse. Marie-Therese voyail la Silesie arrachee a sa maison , Auguste et son conseil souhailaienl un de- doramagement pour la Saxe ruinee par le roi de Prusse dans la guerre de 1741 , et il y avait entre filisabeth et Frederic des sujets de plaintes personnels , qui souvent influent plus qu'on ne pense sur la destinee des Etats. Ces trois puissances, animees conlre le roi de Prusse, avaient entre elles une etroite correspondance , dont ce prince craignait les effets. L'Autriche augmentait ses troupes , celles d'filisabelh etaient prates ; mais le roi de Pologne, elecleur de S:\xe, ctait CHAPITRE XXXIl. j^g hors d'etat de rien entreprendre ; les finances de son electoral elaient epuisees ; nuile place considerable ne pouvait empecher les Prussiens de marcher a Dresde. Autanl I'ordre et I'economie rendaient le Brandebourg formidable , autanl la dissipation avait affaibli la Saxe. Le conseil saxon du roi de Pologne hesitail beau- coup d'entrer dans des mesures qui pouvaient lui etre funesles Le roi de Prusse n'hesita pas; et, des I'annee 1755, il prit seul, et sans consulter personne, la resolution de prevenir les puissan- ces dont il avait de si grands ombrages. ( 16 Janvier 1756) II se Kgua d'abord avec le roi d'Anglelerre , elecleur d'Hanovre, sur Ic refus que fit la France de s'unir a lui, s'assura du landgrave de Hesse et de la maison de Brunsvick, et renonca ainsi h I'al- liance de la France. Ce fut alors que I'ancienne inimitie entre les maisons de France et d'Autriche, fomentee depuis Charles-Quint el Fran- coisr, fit place a une amitie qui parul sinceremenl etablie, el qui etonna toutes les nations. Le roi de France, qui avail fait une guerre si cruelle a Marie-Therese, devinl son allie, el le roi de Prusse, qui avail ete allie de la France , devint son ennemi. La France el I'Autriche s'unirenl apres trois cents ans d'une dis- corde toujours sanglante. Ce que n'avaienl pu tant de traites de !>aix, tant de mariages, un mecontenlemenl recu d'un elec- leur, el I'animosite de quelques personnes alors loules-puis- sanles • que le roi de Prusse avail blessees par des plaisanteries , le fit en un moment. Le pailement d'Anglelerre appela cette union monstruetise: mais elanl necessaire, elle etait tres-nalurelle. On pouvait meme esperer que ces deux maisons puissantes reunies. secondees de la Russie, de la Suede, elde plusieurs fitats de I'Em' pire, pourraienl contenir le resle de I'Europe. ./^lA^^®^ ''^ ^'""'^^ ^"* ^'^"^ ^ Versailles entre Louis XV et Marie-Therese. L'abbe de Bernis , depuis cardinal, eut seul I'hoa- neur de ce fameux traite, qui detruisail tout Tedifice d.i cardinal de R.chelieu , el rpji semblail en elever un autre plus haul et plus vaste. II fut bientot apres ministre d'filal, et presque aussitot disgracie. On ne voil que des revolutions dans les affaires nubli- ques et parliculieres. ' Le roi de Prusse. menace de lous cotes, n'en fut que plus ^ L'abl,^ depuis cardinal de Bernis, et madame de Pompadour. Ed. ■ r ISO SifeCLE DE LOUIS X\. CHAPITRE XXXIT. 181 ' ( prompt a se meltre en campagne. II fait marcher ses troupes dans la Saxe , qui etait presque sans defense , comptant se faire de cette province un rempart centre la puissance aulrichienne, et un chemin pour aller jusqu'a elle. II s'empare dabord de Leipsick; une partie de son armee se presente devant Drcsde ; le roi Au- guste se retire , comme son pere devant Charles XII ; il quitte sa capilale , et va occuper le camp de Pirna, pres de Koenigslein, sur le chemin de la Boheme et sur la rive de TElbe, oii il se croil en surele. Frederic III entre dans Dresde en maitre , sous le nom de pro- lecteur. La reine de Pologne , fille de I'empereur Joseph , n'avait point vouiu fuir; on lui demanda les clefs des archives. Sur le refus qu'elle fit de les donner, on se mil en devoir d'ouvrir les portes; la reine se pla^a au-devant, se flaltant qu'on respecle- rait sa personne et sa ferraete : on ne respecta ni Tune ni I'autre ; elle vit ouvrir ce depdt de I'fitat. II importait au roi de Prusse d'y trouver des preuves des desseins de la Saxe contrc lui ; il trouva en effet des temoignages de la crainle qu'il inspirail ; mais cette meme crainte, qui aurait du forcer la cour de Dresde a se mettre en defense, ne servit qu'a la rendre la victime d'un voisin puissant. Elle senlit trop tard qu*il eut fallu, dans la situation ou etait la Saxe depuis tant d'annees, donner tout a la guerre et rien aux plaisirs. II est des positions oil Ton n'a d'autre parti a prendre que celui de se preparer a combattre, a vaincre, ou a perir. (20 septembre 1756) Au bruit de cette invasion, le conseil aulique de I'empereur declara le roi de Prusse perturbateur de \a paix publique, et rebelle. II elait difficile de faire valoir cette de- claration contre un prince qui avait pres de cent cinquante mille combatlants a ses ordres, et qui passait deja pour le plus grand general de I'Europe. (11 octobre ) II repondit aux lois par une bataille ; elle se donna entre lui et I'armee aulrichienne, qu'il alia cherchera I'entree de la Boheme, pres d'un bourg nomme Lo- vositz. Cette premiere bataille fut mdecise par le norabre des raorls; mais elle ne le fut point par les suites qu'elle eut. On ne put em- pecher le roi de bloquer les Saxons dans le camp de Pirna meme ; les Autrichiens ne purent jamais leur preter la main, et cette pe- tite armee du roi de Pologne, composee d'environ treize a qua- torze mille hommcs, se rendit prisonnicre de guerre sept jours apres la bataille. Auguste , dans cette capitulation singuliere , seul evenement militaire entre lui et le roi de Prusse , demanda seulement qu'on ne fit point ses gardes prisonniers. Frederic repondit a qu'il ne «< pouvait ecouter cette priere; que ces gardes serviraient infail- « liblement contre lui, et qu'il ne voulait pas avoir la peine de les « prendre une seconde fois. » Cette reponse fut une terrible lecon a tons les princes, qu'il faut se rendre puissant quand on a un voi- sin puissant. Le roi de Pologne, ayant perdu ainsi son electoral et son ar- mee, demanda des passe-ports a son ennemi pour aller en Pologne : ils lui furent aisement accordes; on eut lapolitessc insultante de iui fournir des chevaux de poste. II alia de ses fitats hereditaires dans son royaume electif, ou il ne trouva personne qui proposal meme de s'armer pour secourir son roi. Tout I'electorat fut mig a contribution ; et le roi de Prusse, en faisant la guerre, trouva dans les pays envahis dequoi lasoulenir. La reine de Pologne ne «uivit point son mari ; elle resta dans Dresde; le chagrin y ter- mina bientot sa vie. L'Europe plaignit cette famille infortunee; mais, dans le cours de ces calamites publiques, un million de fa- milies essuyaient des malheurs non moins grands, quoique plus obscurs. Les magistrals municipaux de Leipsick firent des re- raontrances sur les contributions que le vainqueur leur imposait ; lis se dirent dans Timpuissance de payer ; on les mit en prison, et ils payerent. Jamais on ne donna tant de batailles que dans cette guerre. Les Busses entrerent dans les fitats prussiens par la Pologne. Les Francis, devenus auxiliaires de la reine de Hongrie, combaltirent pour lui faire rendre cette meme Silesie dont ils avaienl contribue a la depouiller quelques annees auparavant , lorsqu'ils etaient les allies du roi de Prusse. Le roi d'Angleterre, qu'on avait vu le partisan le plus declare de la maison d'Autriche, devint un de ses plus dangereux ennemis. La Suede, qui autrefois avait porle de SI grands coups a cette maison imperiale d'Aulriche, la servit alors contre le roi de Prusse, moyennant neuf cent mille francs que le mmistere francais lui donnait ; et ce fut elle qui causa le moins de ravages. L'AIlemagne se vit dechiree par beaucoup plus d'armees nationales VOLT. — SifeCLE DE LOUIS XV. 44 182 SIECLE DE LOUIS XV. et eirangeres qu'il n'y en eutdans la fameuse guerre de Irenle ans. Tandisque les Russes venaient au secours de I'Autriche par la Pologne, les Fran dans la ville ( 16 Janvier) : elle fut livree aux vainqueurs, qui bientot apres raserent les fortifications, les murailles , les maga- sins , tous les principaux logements. Dans le temps meme que les Anglais entraient dans la ville, les. vaincus s'accablaient reciproquement de reproches et d'injures. Les habitants voulurent tuerleur general. Le commandant anglais^ fut oblige de lui donner une garde. On le transporta malade sur un palanquin. II avait deux pistolets dans les mains , et il en menacait les seditieux. Ces furieux, respeclant la garde anglaise> coururentaun commissaire des guerres, intendant de I'armee, ancien officier, chevalier de Saint-Louis. II met Tepee a la main : un des plus echauffes s'avance a lui , en est blcsse, et le tue. Tel fut le sort deplorable de Pondichery , dont les habitants se firent plus de mal qu'ils n'en recurent des vainqueurs. On trans- porta le general et plus de deux mille prisonniers en Angleterre. Dans ce long et penible voyage , ils s'accusaient encore les uns les autres de leurscommuns malheurs. A peine arrives a Londres , ils ecrivirent contre Lally et contre le trcs-petit nombre de ceux qui lui avaient ete attaches. Lally et les siens ecrivaient contre le conseil , les ofliciers , et les habi- tants. II etait si persuade qu'ils etaient tous reprehensibles et que lui seul avait raison , qu'il vint a Fontainebleau , tout prisoimier qu'il etait encore des Anglais , et qu'il offrit de sc rendre a la Bastille. (Novembre 1762) On le prit au mot. Des qu'il fut en- ferme , la foule de ses cnnemis , que la compassion devait dimi- nuer, augmenta. 11 fut quinze mois en prison sans qu'on Tinter- rogeal. En 1764 il mourut a Paris un jesuite, nomme Lavaur, long- temps employe dans ces missions des Indes, ou Ton s'occupe des affaires profanes sous le prctexte des spirituelles, et ou Ton a souvent gagne plus d'argent que d'dmes : ce jesuile demandaitau ministere une pension de quatre cents livres pour aller faire son salut dans le Perigord , sa patrie, et Ion trouva dans sa cassette environ onze cent mille livres d'effels, soit en billets, soit en or ou en diamants. G'est ce qu'on avait vu depuis peu a Naples a la mort du fameux jesuite Peppe , nu'on fut pret de canonisor. On lie canonisa point Lavaur; mais on sequestra ses tresors. II y «»vdit dans cette cassette un long raemoire detallle contre Lally, dans lequel il etait accuse de peculat et de lese-majeste. Les ecrits 4es jesuites avaient alors aussi peu de credit que leurs personnes, proscrites dans toute la France; mais ce memoire parut tene- ment circonstancie , et lesennemis de Lally le Hrcnt tantvaloir, ' 250 SifeCLE DE LOUIS XV. et qu'il n'eut reussi qu'a se faire prendre prisonnier. C'elait unc autre vicissitude, mais non pas surprenante, que le »luc de Choi- seul fut exile. Nous avons deja vu que Louis XV avail le malheur de Irop regarder ses serviteurs comme des instruments qu*il pouvait bri- ser a son gre. L'exil est une punition, et il n'y a que la loi qui doive punir. C'est surtout un tres- grand malheur pour un sou- verain, de punir des homraes dont ies fautes ne sont pas connues, dont Ies services le sont, et qui ont pour eux la voix publique, que n'ont pas loujours leurs maitres. CHAPITRE XLT. De l'exil du parleraent de Paris, etc., et de la inert de Louis XV. Si Ies exils du due de Choiseul, du due de Praslin, du cardinal deBernis, du comte d'Argenson, du garde des sceaux Machaull, du comte de Maurepas, du due de la Rochefoucauld , du due de Chdtillon, et de tant d'autres ciloyens, n'avaient eu aucune cause legale, celui du parlement de Paris el d'un grand nombre d'autrc? magistrals parut au moins en avoir une. Qui aurait dit que ce corps antique, qui venail de delruire en France I'ordre des jesuites , eprouverait bientot apres , non-seu- lement un exil rigoureux, mais serait detruit lui-memc? Cest une grande leqon aux hommes, si jamais Ies lecons peuvent servir. Nous avons vu » que, sous Louis XIV, le parlement ne fut point exile apres la guerre de la Fronde. Nous avons vu que Ies trou- bles de la Fronde n'avaient commence que par Ies oppositions de celte compagnie a une Ires mauvaise administration des finances; et que ces oppositions , d'abord legitimes dans leur principe, se tournerent bientot en une revolte ouverte et en une guerre civile. Nous avons vu que, sous Louis XV, il n'y eut ni guerre ni revolte ; mais qu'une administration des finances plus malheureuse encore, jointe au ridicule de la buUe t7ntgeniln5, occasionnerent Ies resis- tances opiniatres du parlement aux ordres du roi. On sail qu'il fut casse le 13 avril 1771. Apres quoi cette cour des pairs a etc ' Voyez le S'ucle de Louis XI f^, chap. v. Ed. CHAPITRE XLL 251 relablie par le roi Louis XVI, avec quelques modifications ne- cessaires. Un autre exemple de la fatalite qui gouverne le monde fut la mort de Louis XV. II n'avait point profile de Texemple de ceux qui avaienl prevenu le danger mortel de la petite-verole en se la donnanl, el surtout du premier prince du sang, le due d'Orleans, qui avail eu le courage de faire inoculer ses enfants. Celte me- Ihode elail tres-combattue en France, ou Ja nation, loujours as- servie a d'anciens prejuges, est presque loujours la derniere a recevoir Ies veriles et Ies usages utiles qui lui viennenl d^i. au- Ires pays. Sur la fin d'avril 1774, ce roi,alIant a la chasse, rencontre Ic convoi d'une personne qu'on portait en terre ; la curiosite na- lurelle quMl avail pour Ies choses lugubres le fait approcher du cercucil ; il demande qui on va enterrer : on lui dit que c'est une jeune fille morte de la petite-verole. Des ce moment il est frappe a mort sans s'en apercevoir. Deux jours apres , son chirurgien-dentiste, en examinant ses gencives, y Irouve un caractere qui annonce une maladie dan- gereuse; il en averlil un homme attache au roi : sa remarque est negligee ; la petite-verole la plus funeste se declare. Plusieurs de ses officiers sont attaques de la meme maladie, soil en le soignant, soil en s'approchanl de son lit, et en meurenl. Trois princesses, ses filles, que leur lendresse el leur courage retiennent aupres de lui, recoivent Ies germes du poison qui devore leur pere, et eprou- vent bientot le meme mal et le meme danger, dont heureusement elles rechapperenl. Louis XV meurl la null du 10 de mai. On couvre son corps de chaux , el on Temporle, sans aucune ceremonie, a Saint Denis, aupres du caveau de ses peres. L'histoire n'omellra point que le roi, son petit-fils, le comic de Provence, el le comte d'Artois, freres de Louis XVI, tons trois dans une grande jeunesse, apprirenl aux Francais, en se faisanl inoculer, qu'il faul braver le danger pour eviler la mort. La nation fut louchee et inslruile. Tout ce que Louis XVI fit de- puis, jusqu'a la finde 1774, le rendit encore plus cher a toute la France. 2i»2 SIECLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XLll. 253 CHAPITRE XLll. Des lois. Les esprits s'eclairercnt dans le siecle de Louis XIV el dans le suivanl, plus que dans tous les siecles precedents. On a vu com- bien les arts el les lettres s'etaienl perfecUonnes. La nation ou- vrit les yeux sur les lois, re qui n*elail point encore arrive. Louis XIV avail signale son regne par un code qui manquait a la France; mais ce code regardait plutot runiformite de la proce- dure que le fond des lois, qui devail elre commun a loules Ips provinces, uniforme, invarial)le, el n'avoir rien d'arbitraire. La jurisprudence criminelle parul surtoul tenir encore un peu de rancienne barbaric. Elle ful dirigee piulot pour trouver des cou- pables que pour sauver des innocents. C'esl une gloire elernelle pour le president de Lamoignon, de s'elre souvenl oppose, dans la redaction de I'ordonnance, a la cruaute des procedures; mais sa voix, qui etait celle de rhumanite, fut etouffee par la voix de Pussort et desautres commissaires, qui ful celle de la rigueur. Les hommes les plus instruits, dans nos derniers temps, ont senli le besoin d'adoucir ncs lois , comme on a enfm adouci nos moBurs. II faut avouer que dans ces mceurs il y eut autant de fe- rocile que de legerete et d'ignorance dans les esprits , jusqu'aux beaux jours de Louis XIV. Pour se convaincre de cette trisle verite , il ne faut que jeter les yeux sur le supplice d'Auguslin de Thou et du marechal de Marillac, sur I'assassinat du marechal d'Ancre, sur sa veuve condamnee aux flarames , sur plus de vingt assassinats , ou medites ou entrepris contre Henri IV , el sur le meurtre de ce bon roi. Les temps precedents sont encore plus fu- nestes ; vous remontez de Thorreur des guerres civiles el de la Saint-Barthelemy aux calamites du siecle de Franqois I*' ; el de la jusqu'a Clovis, tout est sauvage. Les autres peuples n'ont pas etc plus humains : mais il n'y a guere eu de nation plus diffamee par les assassinats et les grands crimes que la francaise. On racheta longtemps ces crimes a prix d'argenl ; el ensuite les lois furenl aussi atroces que les moeurs. Ce qui en fit la durete, c'esl que la maniere de proceder ful presque entieremenl lirde de la juris- prudence ecrlesiastique. On en peu I juger par le proces crimincl des templiers, qui, a la honte de la patrie, de la raison et de I'e- quite, ne ful instruit que par des pretres nommes par un pape. Les hommes ayanl ete si longtemps gouvernes en betes farou- ches par des betes farouches, excepte peut-elre quelques annees sous saint Louis, sous Louis XII et sous Henri IV, plus les esprits se sont civilises, et plus ils ont fremi de la barbarie, dont il sub- siste encore lant de restes. La torture, qu'aucun citoyen ni de la Grece ni de Rome ne subil jamais, a paru aux jurisconsultes compatissants et senses un supplice pire que la mort, qui ne doit etre reserve que pour les Ch^lel ct les Ravaillac, dont lout un royaumc est inleresse a decouvrir les complices. Elle a etc abolie en Angleterre el dans une partie de TAllemagne ; elle est depuis peu proscrite dans un empire de deux mille lieues * : el s'il n'y a pas de plus grands crimes dans ces pays que parmi nous , c'esl une preuve que la torture est aussi coiidamnable que les delits qu'on croil prevenir par elle, et qu'on ne previenl pas. On s'est eleve aussi contre la confiscation. On a vu qu'il n'est pas juste de punir les enfants des fautcs de leurs peres. G'est une maxime recue au barreau, Qui confisque le corps confisque les biens; maxime en vigueur dans les pays ou la coutume lient lieu de loi. Ainsi, par exemple, on y fail mourir de faim les enfants de ceux qui ont lermine volontairemenl leurs jours , comme les en- fants des meurtriers. Ainsi, une famillc entiere est punie, dans tous les cas, pour la faute d'un seul horn me. Ainsi, lorsqu'un pere de famille aura ete condamne aux galeres perpetuelles par une sentence arbitraire, soil pour avoir donne retraile chez soi a un predicant, soil pour avoir ecoute son sermon dans quelque caverne ou dans quelquc desert , la femme et les enfants sont reduits a mendier leur pain. Cette jurisprudence, qui consisle a ravir la nourriture aux or- phelins, et a donner a un homme le bien d'autrui, fut inconnue dans lout le temps de la republique romaine. Sylla Tintroduisit dans ses proscriptions. II faut avouer qn'une rapine inventee par Sylla n'etail pas un exemple a suivre. Aussi cette loi, qui sem- blait n'elre dictee que par Tinhumanite el Tavarice, ne fut suivie ni par Cesar, ni par le bon empereur Trajan, ni par les Antonins, dont loules les nations prononcent encore Fe nom avec respect el t > L'eropire de Russie. Eu. VOLT. -- HIST. DU PARLEMENT. 3 254 SlfeCLE DE LOUIS XY. avec amour. Enfm , sous Juslinien , la confiscation n'eul lieu que pour le crime do lese-majeste. II semble que, dans les temps de I'anarchie feodale, les princes et les seigneurs des Icrres ctant Ires-peu riches , cherchassent a augmenter leur Iresor par les condamnalions de leurs sujels, et qu'on voulut leur faire un revenu du crime. Les lois, chez eux, etant arbitraires, et la jurisprudence romaine ignoree, les coulu- mes, ou bizarres ou cruelles, prevalurent. Mais aujourd'hui que la puissance des souverains est fondee sup des richesses immen- ses et assurees, leur tresor n'a pas besoin de s'enfler des faibles debris d'une famille malheureuse. lis sont abandonnes, pour I'or- dinaire, au premier qui les dcmande. Mais est-ce a un citoyen a s'engraisser des resles du sang d'un autre ciloyen ? La confiscation n'est point admise dans les pays ou le droit romam est elabli , excepte le ressoi t du parlemcnt de Toulouse. Elle ne Test point dnns quelques pays coulumiers, comme le Bour- bonnais , le Berri, le Maine , le Poilou, la Bretagne, ou du moins elle respecte les immeubles. Elle elait ctablie autrefois a Calais, et les Anglais I'abolirent lorsqu'ils en furent les maitres. II est elrange que les habitants de la capilale vivent sous une loi plus rigoureuse que ceux des petites villes : tant il est vrai que la jurisprudence a ele souvent etablie au hasard, sans regularite , sans uniformite, comme on b^tit des chauraieres dans un village. Qui croirait que , Tan 1673, dans le plus beau siecle dc la France, Tavocat general Omer Talon ait parle ainsi en plein par- lement, au sujet d'une demoiselle de Canillac* ? « Au chap. XIII du Dcuteronome» Dieu dit : Si tu le rencontres « dans une ville et dans un lieu ou regne Tidolitrie, mots lout au « fit de Tepee, sans exception d'4ge , desexe, ni de condition. « Rassemble dans les places publiques toules leg depouilles de « la viile ; brule-la tout enliere avec ses depouilles, et qu'il ne « reste qu'un monceau de cendres de ce lieu d'abominalioii. En « un mot, fais-en un sacrifice au Seigneur, et qu'il ne dcmeure « rien en tes mains des biens de cet anatheme. « Ainsi, dans le crime de lese-majesle, le roi elait mailrc des « biens, el les enfanls en etaient prives. Le proces ayant ele fait « a Naboth, quia maledixerat reg\, le roi Achab se miten posses- • Journal du Palais tome I , page 444. CHAPITRE XLII. 555 « sion de son heritage. David etant averti que Miphibozelh s'e- « tait engage dans la rebellion, donna tons ses biens a Siba,qui « lui en apporla la nouvelle : Tua sint omnia qua fuerunt Miphi- « bozeth. » II s'agit de savoir qui heritera des biens dc mademoiselle de Ca- nillac, biens autrefois confisques sur son pere, abandonnes par le roi a un garde du tresor royal, et donnes ensuile par le garde du tresor royal a la teslalrice. Et c'est sur ce proces d'une fille d'Auvergne, qu'un avocat general s'en rapporte a Achab, roi d'une partie de la Palestine, qui confisqua la vigne de Naboth, apres avoir assassine le proprietaire par le poignard de la justice ; action abominable, qui est passee en proverbe, pour inspirer aux hommes I'horreur de I'usurpation. Assurement la vigne de Na- both n'avait aucun rapport avec I'heritage de mademoiselle de Canillac. Le meurtre et la confiscation des biens de Miphibozeth, petil-filsdu roilelet juif Saul, et fils de Jonathas, ami et prolec- leurde David, n'ont pas une plus grande affinite avecle testament de cetle demoiselle. C'est avec cette pedanterie, avec celte demence de citations etrangeres au sujet, avec celte ignorance des principes de la na- ture humaine, avec ces prejuges mal concus et mal appliques, que la jurisprudence a ele trailee par des hommes qui ont eu de .a reputation dans leur sphere. On laisse aux lecteurs a se dire ce qu'il est superflu qu'on leur dise. Si un jour les lois humaines adoucissent en France quelques usages trop rigoureux, sans pourlant donner des facilites au crime, il est a croire qu'on reformera aussi la procedure dans les articles ou les redacteurs ont paru se livrer a un zele trop se- vere. L'ordonnance criminelle ne devrait-elle pas elre aussi favo- rable a I'innocent que terrible au coupable.? En Angleterre, un simple cmprisonnement fail mal a propos est repare par lemi- nistre qui I'aordonne : maisen France, I'innocent qui a ete plonge dans les cachots, qui a ele applique a la torture, n'a nulle consola- tion a esperer, nul dommage a repeler contre personne, quand c'est le ministere public qui I'a poursuivi; il reste fletri pour ja- mais dans la sociele. L'innocenl fielri! et pourquoi? parce que ses 08 ont ^te brises ! II ne devrait exciter que la pitie et le res- pect. U recherche des crimes exige des rigueurs : c'est une guerre que la justice humaine fail a la mechancete ; mais il y a •^1 256 SitCLE DE LOUIS XV. CHAPITRE XLII. 257 de la generosite el de la compassion jasque dans la guerre. Le- '|brave est corapatissanl ; faudrait-il que I'homme de loi fut barbare r ■ Comparons seuleraent ici en queiques points la procedure cri- minelle des Remains avec la fran(jaise. Chez les Romains, les temoins etaient entendus publiquement en presence de I'accuse qui pouvait leur repondre, les inlerroger lui-meme, ou leur mettre en tele un avocal. Cetle procedure etait noble et Tranche ; elle respirait la magnanimite romaine. Chez nous tout se fait secretement. Un seul juge, avec son gref- fier, entend chaque temoin Tun apres Tautre. Cette pratique, eta- blie par Francois \"j fut autorisee par les commissaires qui redi- gerent I'ordonnance de Louis XIV en 1670. Une meprise seule en fut la cause. On s'etait imagine, en lisanl le code De testihus. que ces mots testes intrare judicii secretum. signiliaient que les temoins etaient interroges en secret. Mais secretum signifie ici le cabinet du juge. Intrare secretum, pour dire parler secrelemenl, ne serait pas la- tin. Ce fut un solecisme qui fit cetle parlie de notrc jurispru- dence. Queiques jurisconsultes, a la verite, ont assure que le contumax ne devait pas etre condamne, si le crime n*etait pas clairement prouve ; mais d*autres jurisconsultes , moins eclaires , et pent- etre plus suivis, ont eu une opinion contraire ; ils ont ose dire que la fuite de I'accuse etait une preuve du crime ; que le mepris qu'il marquail pour la juslice, en refusant de comparaitre. meritait le meme chiliment que s'il etait convaincu. Ainsi, sui- vant la secte des jurisconsultes que le juge aura embrassee, Tin- nocent sera absous ou condamne. II y a bien plus : un juge suballerne fait souvent dire ce qu'il veut a un homme de campagne; il le fait deposer suivant les idees qu'il a lui-meme concues ; il lui dicle ses reponses sans s'en apercevoir. J'en ai vu plus d'un exemple. Si, a la confronta- tion, le temoin se dedit, il est puni, etil est force d'elre calomnia- leur, de peur d'etre Iraile corarae parjure. Et on a vu des inno- cents condamnes, parce que des temoins imbeciles et timides n'avaienl pas su d'abord s'expliquer, et ensuite n'avaient pas ose se relracter. La jurisprudence criraiuelle de France tend des pie- ges continuels aux accuses. 11 semble que Pussorl et le chauce- Uer Boucherat aient ele les ennemis des hommes. C'est d'ailleurs un grand abusdans la jurisprudence franijaise,. -que Ton prenne souvent pour loi les reveries el les erreurs, quel- quefois cruelies, d'ecrivains sans mission, qui ont donne leurs sentimenls pour des lois. La vie des hommes semble Irop abandonnee au caprice. Quand Je trenlc juges il y en a dix donl la voix n'est point pour la mort, faudra-t-il que les vingt aulres remporlent? II estclair que le crime n*est point avere, ou qu'il ne merite pas le dernier sup- plice, si un tiers d'hommes senses reclame conlre cette severite. Queiques voix de plus ne doivent point suffire pour faire mourir cruellement un citoyen. En general, il faut avouer qu'on a tue trop souvent nos compalriotes avec le glaive de la justice. Quand elle condamne un innocent, c'est un assassinat juridique, et le plus horrible de tons. Quand elle punit de mort une faute qui n'attire chez d'autres nations que des chdtiments plus legers , elle est cruelle et n'est pas politique. Un bon gouvernement doit rendre les supplices utiles. II est sage de faire travailler les criminels au bien public; leur mort ne produit aucun avantage qu'aux bourreaux. Sous le regne de Louis XIV, on a fait deux ordonnances, qui sont uniformes dans tout le royaume. Dans la premiere, qui a pour objet la procedure civile, il est defendu aux juges de con- damner en matiere civile sur defaut, quand la demande n'est pas prouvee; mais dans la seconde, qui regie la procedure crimi- nelle, il n'est point dit que faute de preuves I'accuse sera renvoye. Chose elrange ! la loi dit qu'un homme a qui on demande quel- que argent ne sera condamne par defaut qu'au cas que la dette soil averee ; mais s'll est question de la vie, c'est une controverse au barreau pour savoir si I'accuse sera condamne sans avoir ele convaincu. On prononce presque toujours son arret ; on regards son absence comme un crime. On saisit ses biens; on le fletrit. La loi semble avoir fait plus de cas de Targent que de la vie : elle permet qu'un concussionnaire, un banqueroutier frauduleux, ait recours au minislere d un avocat; et tres-souvent un homme d'honneur est prive de ce secours I S'il pent se trouver une seule occasion oil un innocent serait juslifie par le minislere d'un avo- cat , n'est-il pas clair que la loi qui Ten prive est inju&te? Le premier president de Lamoignon disait conlre cette loi, que « I'avocat ou conseil qu'on avail accoutume de donner aux accu- « sts n'est point un privilege accorde par les ordonnances ni par « les lois; c'est une liberie acquise par le droit naturel, qui est 258 SifeCLE DE LOUIS XV. K plus ancim que loutes les lois humaiues. La nature enseigne h « tout homme qu'ii doit avoir recours aux lumieres des autres « quand il n'en a pas assez pour se conduire, et emprunter du se- « cours quand il ne se sent pas assez fort pour se defendre. Nos « ordonnances ont relranche aux accuses tant d'avantages, qu'il « est bien juste de leur conserver ce qui leur resle, et principale- « ment l*avocat, qui en fait la parlie la plus essentieile. Que si Ton i» veut comparer noire procedure a celle des Romains et des au- « tres nations, on Irouvera qu'il n'y en a point de si rigoureuse « que celle qu'on observe en France, parliculierement depuis For- « donnance de 1539*. » Cette procedure est bien plus rigoureuse depuis I'ordonnance de 1670. Elle eut ete plus douce, si le plus grand nombre des com- missaires eut pense comme M. de Lamoignon. Plus on fut autrefois ignorant et absurde, plus on devint intole- rant et barbare. L'absurdite a fait condaraner aux flammes la marechale d'Ancre; elle a dicte cent arrets pareils. C'est I'absur- dilc qui a ete la premiere cause de la Saint Barthelemy. Quand la raison est pervertie, I'homme devient necessairement brute, la societe n'est plus qu'un melange de betes qui se dcvor&nt tour a tour, et de singes qui jugent des loups et des renards. Voulez-vous changer ces betes en hommes ? commencez par souffrir qu'ils soient raisonnables. L'anarchie feodale ne subsiste plus , et plusieurs de ses lois subsistent encore ; ce qui met dans la legislation francaise una confusion intolerable. Jugera-t-on toujours differemment la meme cause en province et dans lacapitale? Faut-il que le meme homme ail raison en Bretagne , et tort en Languedoc ? Que dis-je? II y a autant de ju- risprudences quede villes. Etdans le meme parlement, la maxime d'une chambre n'est pas celle de la chambre voisine **. On s'attache aux lois romaines dans les pays de droit ecrit, et dans les provinces regies par la coutume, lorsque celle coulume n'a rien decide. Mais ces lois romaines sont au nombre de quarante mille , et sur ces quarante mille lois il y a mille gros commeu- laires qui se contredisent. • Proces-verbal de Vordonnance , page 163. *• Voyez 8ur cela le prisidenl Bouhier. CHAPITRE XLII. 259 Outre ces quaranle mille lois, dont on cite toujours quelqu'une au hasard, nous avons cinq cent quaranle coulumes diffcrentes, en comptant les pelites villes ct meme quelques bourgs, qui de- rogent aux usages de la juridiclion principale; de sorte qu'un homme qui court la posle, en France, change de lois plussouvent qu'il ne change de chevaux, comme on I'a deja dit ; et qu'un avo- cat qui sera tres-savant dans sa ville, ne sera qu'un ignorant dans la ville voisine. Quelle prodigieuse conlrariete enlre les lois du meme royaume! A Paris, un homme qui a ete domicilie dans la ville pendant un an et un jour, est repute bourgeois. En Franche-Comte, un homme 'ibre qui a demeure un an el un jour dans une maison mainmor- table, devient esclave : ses collalcraux n'heriteraienl pas de ce qu'il aurait acquis ailleurs ; et ses propres enXanls sont reduits a la mendicite, s'ils ont passe un an loin de la maison ou le pere est morl. La province est nommee franche ; mais quelle franchise! Ce qui est plus deplorable, c'est qu'en Franche Comle, en Bourgogne, dans le Nivernais, dans I'Auvergne, et dans quelques autres provinces , les chanoines , les moines , ont des mainraorta- bles, des esclaves. On a vu cent fois des officiers decores de I'or- dre mililaire de Saint-Louis, et charges de blessures, mourir serfs mainmortables d'un moine aussi insolent qu'inutile au monde. Ce mot de mainmortable vienl, dit-on, de ce qu'autrefois, lorsqu'un dc ces serfs decedait sans laisser d'effcls mobiliers que son sei- gneur put s'approprier, on apportait au seigneur la main droite du mort, digne origine de celle domination \ II y eut plus d'uo edit pour abolir celle coulume, qui deshonore Thumanitc ; mais les magistrals qui possedaient des lerres avec celle prerogative, eluderentdes lois qui n'elaient faites que pour rutilile publique; et I'Eglise, qui a des serfs, s'opposa encore plus que la magis- trature a ces lois sages. Les elats generaux de 1615 prierent vai- ' Voltaire, reparlant de la mainmorte, met dans la bouche d'un syndic les habitants du mont Jura ces paroles : « Lorsque autrefois nos maitres • nYtaient pas contents des d^pouilles dont ils s'emparaient dans nos • chaumieresapres noire mort, ils nous faisaient d^terrer; on coupait « la main droite h nos cadavres , et on la leur pr^sentait en c^r^monie n comme une indemnity de I'argent qu'ils n'avaient pu ravir k noire in- • digence , ct comme un exemple terrible qui avertissait les enfants de ne •I jamais toucher aux effets de leurs percs, qui devaient etre la proie des • moines nos souverains. » Voyez la Foix du cure surr le/jroces des serfs du mont Jura. {Note de M. Beuchot. ) 260 SifeCLE DE LOUIS XV. nemeni Louis XIII de renouveler les edits eludes de ses predeces- seurs, et de Ics faire executer. Le president de Lamoignon dressa un projet pour detruire cet usage, et pour dedomnaager les sei- gneurs; ce projet ful neglige. De nos jours, le roi de Sardaigne a detruit celte servitude en Savoie; elle reste etabiie en France, parce que les maux des pro- vinces ne sont pas sentis dans la capitale. Tout ce qui est loin de nos yeux ne nous louche jamais assez. Quand on veut poser les limites entre I'autorite civile et les usages ecclesiastiques , quelles disputes interminables ! Oil sont ces limites? qui conciliera les eternelles contradictions du fisc et de la jurisprudence? Enfin pourquoi, dans les causes criminelles, les arrets ne sontils jamais motives ? y a-t-il quelque honte a rendre raison de son jugement? Pourquoi ceux qui jugent au nom du souverain ne presentent-ils pas au souverain leurs arrets de mort avant qu'on les execute? De quelque cote qu'on jette les yeux , on trouve la contrariete, la durete, Tincertitude , Tarbitraire. Enfin, la venalite de la ma- gistrature est un opprobre dont la France seule, dans Tunivers entier, est couverle, et dont elle a toujours souhaite d'etre lavee. On a toujours regrette, depuis Francois i"", les temps ou le simple jurisconsulte, blanchi dans Tetude des lois, parvenait , par son seul merite, a rendre la justice qu'il avait defendue par ses veilles , par sa voix , et par son credit. Ciceron , Hortensius , et le premier Marc-Antoine, n'acheterent point une charge de senateur. En vain I'abbe de Bourzeys , dans son livre d'erreurs , intitule Testament politique du cardinal de Richelieu i a-t-il pretendu jus- tifier la vente des dignites de la robe ; en vain d'autres auteurs , plus courtisans que citoyens , et plus inspires par Tinteret per- sonnel que par Tamour de la patrie, ont-ils suivi les traces de I'abbc de Bourzeys ; une preuve que cette vente est un abus, c*est qu'eile ne fut produite que par un autre abus , par la dissipation des finances de I'Ctat. C'est une simonie beaucoup plus funeste que la vente des benetices de I'ftlglise : car si un ecclesiaslique isole acbete un benefice simple , il n*en resulte ni bien ni mal pour la patrie dans laquclle il n'a nullc juridiction ; il n'est comp- table a personne : raais la magistriiture a Thonneur , la fortune et la vie des hommes entre ses mainc. Nous cherchons dans ce siecle a tout perfectionner; cherchons done a pcrfectionner les lois. CHAPITRE XLIII. 261 CHAPITRE XLIII Des progr^s de Tesprit humain dans le siecle de Louis XV. Un ordre entier de religieux aboli par la puissance seculiere, ]a discipline de quelques autres ordres monastiques reformee par cette puissance , les divisions meme entre loute la magistralure et I'autorite episcopate, ont fait voir combien de prejuges se sont dissipes, combien la science du gouvernemeut s'est etendue, et a quel point les esprits se sont eclaires. Les semences de celte science utile furent jetees dans le dernier siecle; elles ont germe de tous cotes dans celui-ci jusqu'au fond des provinces, avee la veritable eloquence, qu'on ne connaissait guere qu'a Paris, et qui lout d'un coup a fleuri dans plusieurs villes; temoin les discours* sortis ou du parquet ou de Tassemblee des chambres de quelques parlements , discours qui sont des chefs-d'oeuvre de I'arl de pen- ser et de s'exprimer, du moins a beaucoup d'egards. Du temps des d'Agucsseau , les seuls modeles etaienl dans la capitale, et encore tresrares. Une raison superieure s'est fait entendre dans nos derniers jours, du pied des Pyrenees au nordde la France. La philosophic, en rendant I'esprit plus juste , et en bannissant le ridicule d'une parure recherchee , a rendu plus d'une province i'emule de la capitale. En general, lebarreau a quelquefois mieux connu cette juris- prudence universelle puisee dans la nature, qui s'eleve au-dessus de toutes les lois de convention ou de simple autorite, lois sou- vent dictees par les caprices ou par des besoins d'argent ; ressour- ces dangereuses plus que lois utiles, qui se combattenl sans cesse , et qui forment plutot un chaos qu'uu corps de legislation , ainsi que nous Favons dit. Les academies ont rendu service en accoutumant les jeunes gens a la lecture, et en excitant par des prix leur genie avee leur emulation. La saine physique a eclaire les arts necessaires; et ces arts ont commence deja a fermer les plaies de I'filat, causees par deux guerres funestes. Les etoffes se sont manufacturees a moins de frais par les soins d'un des |)lus celebres raecaniciens **. Un • Voyez les discours de MM. de Montclar, de la Chalotais. de Castilbon, de Servan , el d'aulres. — •♦ M. Vaucanson. 15. n \ v^^^ :•<• SifeCLE DE LOUIS XV. 2G2 academicien encore plus utile* , par les objels qu'il embrasse, a perfecUonne beaucoup Tagriculture , el un ministre eclaire a rendu enfin les bles exporlables, commerce necessaire defendu Irop long temps, et qui doit elre conlenu peut-elre aulant qu'encourage. Un autre academicien** a donnc le moyen le plus avanlageux de foumir a loules les maisons de Paris I'eau qui leur manque ; projet qui ne peut elre rejete que par la pauvrele , ou par la ne- gligence , ou par I'avarice. Un medecin*** a trouve enfin le secret longtemps cherche de rendre Teau de la mer potable : il ne s'agit plus que de rendre celte experience assez facile pour qu'on en puisse profiler en lout temps sans Irop de frais. Si quelque invention peut suppleer a la connaissance qui nous est refusec des longitudes sur la mer, c'esl celle du plus habile horloger de France**** qui dispute cetle invention h I'Anglelerre. Mais il faut atlendre que le temps mette son sceau a loules ces decouvertes. II n'en est pas d'une invention qui peut avoir son utilile et ses inconvenients , d'une decouverte qui peut elre con- teslee , d'une opinion qui peut elre comballue , comme de ces grands monuments des beaux-arts en poesie, en eloquence , en musique, en architecture , en sculpture, en peinture, qui forcent tout d'un coup le suffrage de loules les nations, et qui s'assurent ceux de la poslerile par un eclat que rien ne peul obscurcir. Nous avons deja parle du celebre depot des connaissances hu- maines , qui a paru sous le litre de Didionnaire ennjclopedique. C'esl unc gloire eternelle pour la nation, que des officiers de guerre sur terre et sur mer, d*anciens magistrals, des medecins qui con- naissent la nature, de vrais docles quoique docleurs, des hommes de ietlres dont le gout a epure les connaissances, des geometres, des physiciens , aient lous concouru a ce travail aussi ulile que penible, sans aucune vue d'interet, sans meme rechercher la gloire, puisque plusieurs cachaient leurs noms ; enfin sans elre ensemble d'inlelligence , et par consequent exempts de I'esprit de parti. Mais ce qui est encore plus honorable pour la palrie, c'est que, dans ce recueil immense , le bon I'emporle sur le mauvais ; ce qui n'etail pas encore arrive. Les persecutions qu'il a essuyees ne sont pas si honorables pour la France. Ce meme malheureux esprit • U. Duhamel du Monceau. — *• M de Parcieux. — ••* M. Poisson- nier. — **** M. Leroi. CHAPITRE XLIII. 263 de formes, mele d'orgueil, d'envie et d'ignorance, qui lit pros- crire rimprimerie du temps de Louis XI, les spectacles sous le grand Henri IV, les commencements de la saine philosophic sous Louis XIII, enfin I'emetique el I'inoculation ; ce meme esprit, dis-je, ennemi de tout ce qui instruil et de tout ce qui s'eleve, porta des coups presque raorlels a celle memorable enlreprise; il est parvenu meme a la rendre moins bonne qu'elle n'aurait ele, en lui metlant des enlraves , dont il ne faut jamais enchainer la raison; car on ne doit reprimer que la lemerite el non la sage hardiesse, sans laquclle I'esprit humain ne peut fairc aucun pro- gres. II est certain que la connaissance de la nature, I'esprit de doute sur les fables anciennes honorees du nom d'histoires , la saine melaphysique degagee des im|)erlinences dcl'ecole, sonl les fruits de ce siecle, el que la raison s'est perfeclionnee ». • Qu'il nous soil permis dajouter ici quelques traits an tableau traed par M. de VoJlaue. Cesl dans ce siticle que Taberration des tUoiles fixes a iti decouverte par Bradley; que les pt'onidtres sont parvenus a calculer les perturbations des cometes, eth pr^ire le retour de cesastres; que les mouvemenls des planetes out 616 soumis k des calculs sinon rigoureux du moins certains, et d'une exactitude 6gale a celle qu'on peut attendre des observations. Les principes gt'ndraux du niouvenient des corps solides et des fluides out 616 decouverts par M. Dalembcrt. Le probleme de la pr6- cession des Equinoxes, dont Newton n'avail pu donner quune solution mconipletc, a 616 resolu par le meme g^ometre; et on lui doit encore la ddcouvcrte d'un nouveau calcul necessaire dans la Ihdorie du mouvement des fluides et des corps flexibles. Les lois de la gradation de la lumiere irouvecspar Bouguer; la decouverte des lunettes acroraatiques, dont la premiere id^e est due a M. Euler; la metliode d'appliquer le prisme aux lunettes, de decomposer par ce moyen la lumiire des t'toiles, de mesurer avee plus d'exactitude les lois de la refraction et de la diffraction, que I on doil k M. labbe Roclion , avec de nouvelles meiliodes de mesurer les angles et les distances, et des observations importantes sur la theorie de la vision ; tons ces travaux sont aulant de monuments du genie des savants qui out illuslre ce sit^cle. Quels progrcs n'avons-nous point fails dans la chimie , devenue une des branches Its plus utiles et les plus etendues de nos connaissances! Nous avons su decouvnr. analyser, soumeltre aux experiences, ces fluides eias- tiques connus sous le nom d'airs, et dont le siecle dernier soupconnait h peme I existence; les plienomenes electriques ont encore eie una source reconde de decouvertes; la nature de la foudre a ete connue, grace k M. l-ranklin, et il nous a Instruits k nous preserver de ses ravages L'his- toire natiirelle est devenue une science nou^elle par les travaux des Lin- nee, des Rouelle, des Daubenton et de leurs disciples, tandis que I'eio- ?oTLi"^ ^u'l H /^ ".''"'^ *^" repandait le goftt parnii les bommes de lous les etats el de lous les pays. Les inathemaliques ont fait, par le genie progrcs, dont Newton et Leibnitz seraient eux-memcs etouies. Le calcul i 2^4 SlfeCLE DE LOUIS XV. II est vrai que loutes les lenlatives n'ont pas etc heureuses. Des voyages au bout du monde, pour constaler une vente que Newton avail demonlree dans son cabinet, ont laisse des cloules sur ['exactitude des mesures. L'entreprise du fer brut forge, ou converli en acier, cellc de faire eclore des aniraaux a la maniere de I'figypte dans des climals trop differents de Tfigypte, beau- «oup d'aulres efforts pareils. ont pu faire perdrc un temps pre- cieux et miner meme quelques families. Mais nous avons du a ces m^mes entreprises des lumieres utiles sur la nature du fer et sur le developpemenl des germes contenus dans les ceufs Des sy«temes trop hasardes ont deligure des travaux qui auraient ete tres-utiles. On s'est fonde sur des experiences trompeuses , pour faire revivre cetle ancienne erreur, que des animaux pouvaienl naitre sans germe. De la sonl sorties des imaginations plus chi- meriques que ces animaux. Les uns ont pousse Tabus de la de- couverte de Newton sur I'attraction jusqu'a dire que les enfants se forment par attraction dans le ventre de leurs meres. Les au- tres ont invenle des molecules organiques. On s'est emporte dans ses vaines idees jusqu a pretcndre que les montagnes ont cte for- mees par la mer ; ce qui est aussi vrai que de dire que la mer a ete formee par les monUgnes. Qui croirait que des geometres • ont ete assez extravagants pour imaginer qu'en exallant son ^me on pouvait voir Tavenir comme le present? Plus d'un philosophe , comme on I'a deja dit ailleurs, des probability , qui ne servaient presque dans le 8i(;cle dernier qu-ical- S les chances des jeux de hasard , a et^ appHqu6 k des quest.ons utiles au »)onheur des liommes. j«..„i„i.,i!«n At-n Fiats Les principes gin^raux de la legislation, de » administration des Eiats ont Jd6couverts, analyses et d^velopp^s dans un grand no.nbre d ex- "^L'TruSuf eifin , perfecUonni par M. de Voltaire ««» devenu un art vralmentm^o?al;ilafai\du tWalre une ^'cole dMuimanit^ et de^^^^^^ Si nous examinons ensuite les progres des arts, nous c«mp^«^"* f" . nombre des avanlages du m^me si^le la perfection de I art de '^"^^^^ les vaisseauxjamt'thodede lesdoiiblerdc cuivre; lart d mstn^re es muets^et deles rendre en queljue sorle k la ^^^'^ ^ V .f .»«^°"" ^^^^^^^ pour les homines frappcs dune mort apparente; lart militaire enfin. dont le ginie de Fr6d^iic a fait en quelque sorle une science nouvelle. Entin nous avons vu tons les arts m^caniques, toutes les manuractures, toutes les branches de ragriculture, se perfeclionner, s-ennchir de me- thodes nouvclles, se diriger par des principes plus sftrs et plus simples, fruiU dune application beureuse des sciences k tons les objets de i in- dustrie liumaine. K. • Maupertuis. Eu. CHAiniKE XLllL 265 a voulu , a I'exemple de Descartes , se mettre a la place de Dieu , et creer comme lui un monde avec la parole : mais bientot toutes ces folies de la philosophic sont reprouvees des sages ; et meme ces edifices fantastiques,detruilspar laraison, laissenl dans leurs ruines des materiaux dont la raison meme fait usage. Une extravagance pareille a infecte la morale. II s'est trouvo des esprits assez aveugles pour saper tous les fondements de la societe en croyant la reformer. On a ele assez fou pour soutenir que Hen et le mien • sont des crimes , et qu'on ne doit point jouir de son travail; que nonseulement tous les hommes sont egaux, mais qu'ils ont perverti I'ordre de la nature en se rassembiant; que I'homme est ne pour elre isole comme une bete farouche ; que les castors, les abeilles, et les fourmis, derangenl les lois eter- nelles en vivant en republique. Ces impertinences, dignes de Fhopital des fous, ont 6te quelqti • temps a la mode, comme des singes qu'on fait danser dans les foires. Elles ont ete poussees jusqu'a ce point incroyable de demence , qu'unje ne sais quel charlatan sauvage a ose dire, dans un projet d'education*, « qu'un roi ne doit pas balancer a donner en ma- « riage a son fils la fillc du bourreau , si les gouts , les humeurs, « et les caracteres , se conviennent. » La theologie n'a pas ete a couvert de ces exces : des ouvrages dont la nature est d'etre edi- Hants sont devenus des libelles diffamatoires, qui ont memo eprouve la severite des parlements' , et qui devaient aussi etre condamnes par toutes les academies , lant ils sont mal ecrits. Plus d'un abus semblable a infecte la lilteralure ; une foule d'e- crivains s'est egaree dansun style recherche, violent, inintelli- gible, ou dans la negligence tolale de lagrammaire. On est par- venu jusqu'a rendre Tacile ridicule ^ On a beaucoup ecrit dans ce siecle ; on avait du genie dans I'autre. La langue fut portee , sous Louis XIV , au plus haut point de perfection dans tous les genres , non pas en employant des termes nouveaux , inutiles , • Rousseau , dans son Discours sur les fondements de Vinegalite. Ed. * Ces propres paroles se trouvent dans le livre intitule imile, tome IV, p. 178. » Lc 24 septembre 1756 , la chambre des vacations rendit un arrfit por- tant defense de publier et d'imprimer un mandement de Tarcheveque de Paris ( Beaumont ), du <9 du meme mois, dat6 de Conllans, ou le prdlat «tait exile depuis le 2 d^cembre 1734. {Note de M, BeuchoL) 3 La Bletterie. Ed. ?fi6 SitCLE DE LOUIS XV. raais en se servant avec art de tons Ics mots necessaires qui etaienl en usage. II est a craindre aujourd'hui que cctle belle lan- gue ne degenere, par cette malheureuse facilile d'ecrire que le siecle passe a donnee aux siecles suivants ; car les modeies pro- duisent une foule d'imilaleurs , el ces imilaleurs chercoent tou- jours a raellre en paroles cc qui Jeur manque en genie, lis defi- gurenl le langage, iiepouvanl rembellir. La France surtout s'elait dislinguee, dans le beau siecle de Louis XIV, par la perfection singuliere a laquelle Racine eleva le theatre , et par le charme de la parole , qu'il porta a un degre d'elegance el de purele inconnu jusqu'a lui. Cependant on applaudit apres lui a des pieces ecriles aussi barbarement ' que ridiculement construites. C'est conlre cette decadence que I'Academie francaise lulie con- tinuellement ; elle preserve le bon gout d'une rume totale, en n'ac- cordant du moins des prix qu'a ce qui est ecrit avec queique pu- rele, et en reprouvant tout ce qui peche par le style. II est vrai que les beaux-arts , qui donnerent tant de superiorile a la France surles aulres nations, sont bien degeneres; et la France serail ujourd'hui sans gloire dans ce genre , sans un petit nombre d'ou- vrages de genie, tels que le poeme des qualre Saisons\ el le quinzieme chapilre de Belisaire ' , s'il est permis de metlre la prose a cole de la plus eleganle poesie. Mais enfin la lilterature, quoi- que souvent corrompue , occupe prcsque loute la jeunesse bien elevee ; elle se repand dans les conditions qui I'ignoraient. C'est a elle qu'on doit Teloigncment des debauches grossieres, et la conservation d'un resle de la politesse inlroduite dans .a nation par Louis XIV et par sa mere. Cetle lilleralure , utile dans loules les conditions de la vie, console meme des calamites publiques, en arrctant sur des objets agreables I'espril, qui serail tropaccabl4 de la contemplation des miseres humaines. • Crdbillon, dont Voltaire a dit : On pr^fere a me$ vers Cribillon le barbare. * Par Saint-Lambert. Ed. ' Par Marmontel. Ed. i;d. HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. FIN DU PRECIS DU SIECLE DE LOUIS .W. .c^^. VHistoire du Parlement parut en 1769, sous un nom sup- pose. Wagnere, secretaire de Voltaire, dit qu'elle fut composee Qon sur les materiaux fournis par Ic ministere, mais a son ins- tigation. On sut que Touvrage etait de Voltaire ; et comme il etait question de poursuites contre lui, il crut devoir les pre- venir par des desaveux inseres au Mercure. Le parlement renonca pour le moment a Vinutile ceremonie de brUler le libelle^ et au soinplus serieux d'en rechercher tauteur. Mais lorsqu'en octobre 1770 1'avocat general Seguier vint a Ferney, il dii a Voltaire que quatre conseillers le pressaient de requerir pour qu'on brilldt VHistoire du Parlement, et qu'il se- rait force de donner un requisitoire. Voltaire crut prudent de declarer n*avoir aucune part a cette histoire , qu'il regardait d'ailleurs comme tres-veridique, ajoulant que, s'il etait pos- sible qu'une compaynie eut de la reconnaissance , le parle- ment devaitdes remerciments dVecrivain, qui I'avait extri- mement menage. II avail, en effet, passe sous silence des faits dont il avait parl^ dans d*autres ouvrages, tels que les juge- ments recents de Lally et de Labarre, qui Tindignaient tant. Le requisitoire de Seguier n'eut pas lieu, parce qu'on re- quit autre chose en ce temps-la de ces messieurs; et la France en fut delivree '. Un homme qui n'est ni enthousiaste de Voltaire ni ennemi des parlements, M. le president Desportes, parle ainsi de cet ouvrage, qui n'est pas lu autant qu^l merite de I'^tre : « Quoi- « que ce soit un tissu d'epigrammes pen digne d'un pareil « sujet, le recit des faits y est d'une grande exactitude. » {Exfrait de la Pre/ace de M, Beuchot. ) * fiCtlrek *L de Saint-Julien, 22jauvler 1772. ' 272 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. legitime Childeric III, el ordonna aux Francs de reconnailre a ja- mais les descendants de Pepin pour leure souverains. On voil clairement, par celle aventure, ce que c'elait que la loi des Francs, et dans quelle stupidite les peuples etaient ensevelis. Charlemagne, fils de Pepin, tint plusieurs fameux pariemenls, qu'on appelait aussi conciles. Les assembleos de villes prirent le nom de parlement, et enfin les universiles s'assemblerent en par- lernenU II exisle encore une ancienne charle d'un Raimond de Toulouse, rapporlee dans Du Cange, qui se termine par ces mots : « Fait a « Toulouse , dans la maison commune , en parlement public. » Actum TolosoB, in domo communi, in publico parlamento. Dans une autre charte du Dauphine, il est dit que I'universile s*assembla en parlement au son de la cloche. Ainsi le meme mot est employe pour signifier des choses Ires- differentes. Ainsi diocese » qui signifiait province de I'empire, a ete depuis applique aux paroisses dirigees par un eveque. Ainsi €mpereur{imperator), mot qui iie designait qu'un general d'ar- mee, exprima depuis la dignile d*un souverain d'une parlie de I'Europe, de I'Asie, et de I'Afrique. Ainsi le mot paaiXeO;, rex. rot, a eu plusieurs acceplions differenles, et les noms et les choses ont subi les mcmes vicissitudes. Lorsque Hugucs Capet euf detrone la race de Pepin, malgre les ordres des papes, tout lomba dans une confusion pire que sous les deux premieres dynasties. Chaque seigneur s'etait deja empare de ce qu'il avait pu, avec le meme droit que Hugues s'e- tait empare de la dignile de roi. Toule la France elait divisee en plusieurs seigneuries, et les seigneurs puissants reduisirenl la plupart des villes en servitude. Les bourgeois ne furent plus bour- geois d'une ville, ils furent bourgeois du seigneur. Ceox qui ra- chcterent leur liberte s'appelerent francs-bourgeois ; ceux qui en- Irerent au conseil de ville furent nommes grands bourgeois ; el ceux qui demeurerenl serfs, attaches a la ville comme les paysans a la glebe, furent nommes petits bourgeois. Les rois de France ne furent longlemps que les chefs Ires-peu puissants de seigneurs aussi puissants qu'eux. Chaque possesseur dun fief dominant elablllchez lui des lois selon son caprice; de la viennent tant de coutumes differenles et egalement ridicules. L'un se donnait le droit de sieger a Teglise parmi des chanoines, CHAPITRE I. 27^ avec un surplis, des bottes, et un oiseau sur le poing. L'autre or- donnait que pendant les couches de sa femme tons ses vassaux baltraient les etangs pour faire taire les grenouilles du voisinage. Un autre se donnait le droit de marquette, de cuissage, de preli- bation, c'est-a-dire de coucher avec toutes ses vassales, la pre- miere nuit de leurs noces. Au milieu de cetle epaisse barbaric, les rois assemblaient en- core des parlements, composes des hauls barons qui voulaient bien s*y trouver, el des eveques et abbes. C'elait, a la verite, une chose bien ridicule de voir des moines violer leurs voeux de pauvrete et d'obeissance pour venir sieger avec les principaux de rfital; mais c'etait bien pis en Allemagne, ou ils se firent princes souverains. Plus les peuples etaient grossiers, plus les ecclesias- liques etaient puissants. Ces parlements de France etaient les etats de la nation , a cela pres que le corps de la nation n'y avait aucune part : car la plu- part des villes, el lous les villages, sans exception, etaient en es- clavage. L'Europe entiere, excepte I'empire des Grecs, fut longlemps gouvernee sur ce modele. On demande comment il se put faire que lanl de nations differenles serablassent s'accorder a vivre dans cetle humiliante servitude, sous environ soixante ou qua- tre-vingtslyrans,qui avaient d'aulres tyrans sous eux, et qur tous ensemble composaient la plus detestable anarchic. Je ne sais d'autre reponse, sinon que la plupart des hommcs sonl des imbe- ciles, el qu'il elait aise aux successeurs des vaiiiqueurs, Lom- bards, Vandales, Francs, Huns, Bourguignons, etant possesseurs de chileaux, etant armes de pied en cap, et monies sur de grands chevaux bardes de fer, de lenir sous le joug les habitants des villes el des campagnes qui n'avaienl ni chevaux, ni armes, et qui, occupes du soin de gagner leur vie, se croyaienl nes pour servir. Chaque seigneur feodal rendait done justice dans ses domaines comme il le voulait. La loi en Allemagne porlait qu'on appeljit de leurs arrets a la cour de I'empereur; mais les grands lerriens eu- rent bientdt le droit de juger sans appel, jws de non appellando, tous les elecleurs jouissent aujourd'hui de ce droit, el c'est ce qui a reduil enfin les empereurs a n'etre plus que les chefs d'une re- publique de princes. 274 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. Tels f.irenl les rois de France jusqu'a Philippe-Augusle. lis ju- creaienl souverainemenl dans leurs domaines ; mais ils n'exercaienl C€lte justice supreme sur les grands vassaux que quand lis avaient la force en main. Voyez combien il en coula de pemes a Louis le Gros pour soumeltre seulement un seigneur du Puisel, un seigneur deMonllheryl L'Europe enliere elait alors dans Tanarchie. L'Espagne ctail en- core partagee entre des rois musulmaus, des rois Chretiens et descomtes. L'Allemagne el Tltalie etaient un chaos ; les querelles de Henri IV avec le pontife de Rome, Gregoire VII, donnercnt commencement a une jurisprudence nouvelle et a cmq cents ans de guerres civiles. Cette nouvelle jurisprudence fut celle des papes, qui bouleverserent la chreliente pour y dommer. Les ponlifes de Rome protilerent de I'ignorance et du trouble pour se rendre les juges des rois et des empereurs : ces souve- rains, toujours en guerre avec leurs vassaux. elaient souvent obliges de prendre le pape pour arbitre. Leseveques, au milieu de cette barbaric, eUblissaient une juridiction monstrueuse ; leurs officiers ecclesiastiques, etant presquc les seuls qui sussent lire et ccrire, se rendirent les maitres de toutes les affaires dans les fitats Chretiens. Le mariage eUnt regarde comme un sacrement, toutes les causes matrimoniales furent porlees devant eux; ils jugerent presque toutes les contentions civiles, sous pretexte qu'elles etaient accom- pagnees d'un serment. Tous les testaments etaient de leur ressorl, parce qu'ils devaient contenir des legs a rfiglise ; et tout testa- teur qui avail oublie de faire un de ces legs, qu*on appelle pieux, etoit declare d^confei, c'est-a-dire, a peu pres sans religion; il etait prive de la sepulture, son testament elait casse, I'Eglise en faisail un pour lui, et s'adjugeait ce que le mortauraildu lui donner. Voulait-on s'opposer a ces violences? il fallait plaider a Rome, et Ton y elait condamne. Les inondations des barbares avaient sans doute cause des maux affreux ; mais il faut avouer que les usurpations de I'Eglise en causerent bien davanlage. Ce n'esl pas ici le lieu d'enlrer dans ces recherches donl toutes leshistoires sont pleines; contentons-nous d'examiner quels fu- rent les parlements de France , et quels furent les tribunaux de justice. CHAPITRE II. 37& CHAPITRE II. Des parlements jusqu'k Philippe le Bel. Les parlements furenl toujours les asserablees des hauts barons. Celle police fut celle de toute TEurope depuis la Vistule jusqu'au detroit de Gibraltar, exceple a Rome, qui etait sous une anarchic differente ; car les empereurs pretendaient en etre les souverains. Les papes y disputaient Tautorite lemporelle, le peuple y combat- tail souvent pour sa liberie; et tandis que les eveques de Rome, prolitant des troubles et de la superstition des autres peuples, donnaient des couronnes avec des bulles, et se disaient les mai- tres des rois, its n'etaient pas les maitres d'un faubourg de Rome. L'Allemagne cut ses dietes, TEspagne eul ses cortes, la France el TAngietcrre eurent leurs parlements. Ces parlements elaient lous guerriers, el cependant les eveques et les abbes y assistaient, parce qu'ils etaient seigneurs de fiefs, el par la meme reputes ba- rons : et c'esl par cette seule raison que les eveques siegent en- core au parleinent d'Angleterre ; car le clerge n'a jamais fait, dans cette ile, un ordre de Tfitat. Dans ces assemblees, qui se lenaient principalement pour de- cider de la guerre et de la paix, on jugeait aussi des causes : mais il ne faut pas s'imaginer que ce fussenl des proems de parli- culiers, pour une rente, pour une maison, pour des minuties donl nos tribunaux retentissent ; c'etaient les causes des hauts barons memes el de lous les tiefs qui ressorlissaient imraediatemenl a la couronne. Nicole Gilles rapporle qu'en 1241 Hugues de Lusignan, comte de la Marche, ayant refuse de faire hommage au roi saint Louis, on assembia un parlement a Paris, dans lequel meme les deputes des villes entrerent. Ce fail est rapporle Ires-obscuremenl ; il n'est point dil que les deputes des villes aient donne leur voix. Ces deputes ne pouvaient etre ceux des villes apparlenantes aux hauts barons; ils ne Tau- raienl pas soufferl. Ces villes n'etaienl presque composees alors que de bourgeois, ou serfs du seigneur, ou affranchis depuis peu, ft n'auraienl pas donne probablement leur voix avec leurs mai- tre». G'etaient, sans doute, les deputes de Paris et des villes ap- I 976 HISTOIRE DU PARLEMEiM DE PARIS. partenantes au roi ; il voulait bien les convoquer a ces assemblees. Lcs grands bourgeois dc ces villes etaient affranchis, le corps de rhotel de ville elait forme. Saint Louis put les appeler pour en- tendre les deliberations des barons assembles en parlement. Les deputes des villes etaient quelquefois, en Allemagne, ap- peles a I'election de Tempereur : on pretend qu'a celle de Henri POiseleur les deputes des villes d'Allemagne furent admis dans le champ d*election ; mais un exemple n*est pas une coutume. Les droits ne sont jamais etablis que par la necessite, par la force, et ensuite par Tusage ; et les villes, en ces temps-la, n'etaient ni assez riches, ni assez puissantes, ni assez bien gouvernees, pour sortir de Tabaissement ou le gouvernement feodal les avait plon- gees. Nous savons bien que les rois et les hauts barons avaient affranchi plusieurs de leurs bourgeois, a prix d'argent, des le temps des premieres croisades, pour subvenir aux frais de ces voyages insenses. Affranchir signifiait declarer franc, donner a an Gaulois subjugue le privilege d'un Franc. Francus tenens, H- here tenens. Un des plus anciens affranchissements dont la formule nous aitete conservee est de 1185 : n Franchio manu et ore, ma- tt numitto a consuetudine legis salicas Johannem Pithon de vice, e* hominem meum, et suos legitimos natos, et ad sanum intellec- « tum reduco, ita ut suae (iliaB possint succedere ; dictumque Jo- M hannem et suos natos constituo homines meos francos et libe- « ros, etprohac franchesia habui decern et octo libras viennensium « bonorum. » « J'affranchis de la main et de la bouche, je delivre des coutumes de la loi salique Jean Pithon de vie (ou de ce vil- lage), mon homme, et ses fils legitimes, je les reintegre dans leur bon sens, desorte que ses Giles puissent heriter; et je cons- titue ledit Jean et ses flls mes hommes francs et libres, et pour cetle franchise j'ai recu dix-huit bonnes livres viennoises. » Les serfs qui avaient amasse quelque argent avaient ainsi achete leur liberte de leurs rois ou seigneurs, et la plupart des villes rentraient peu a peu dans leurs droits naturels, dans leur bon sens, in sanum intellectum : en effet, le bon sens est oppose a I'esclavage. Le regne de saint Louis est une grande epoque ; presque tons les hauts barons de France etant morts ou mines dans sa mal- heureuse croisade, il en devint plus absolu a son retour, tout malheureux et tout appauvri qu'ii ^tait. II institua les quatre I CHAPITRE IL 277 grands bailliages de Vermandois, de Sens, de Saint-Pierre le Mou- tier, et de Macon, pour juger en dernier ressort les appels des^ justices des seigneurs , qui n*eurent pas assez de puissance pour s'y opposer; et au lieu qu'auparavant les barons jugeaient souve- rainement dans leurs terres, la plupart furent obliges de souffrir qu'on appelit de leurs arrets aux bailliages du roi. II est vrai que ces appels furent tres-rares ; les sujels qui osaient se plaindre de leur seigneur dominant au seigneur suzerain, se seraient trop exposes a l,i vengeance. Saint Louis fit encore une autre innovation dans la seance des parlements. II en assembia quelquefois de pelils, ou il convoqua des clercs qui avaient etudie le droit canon; mais cela n'arrivait que dans des causes parliculieres qui regardaient les droits des- prelals. Dans une seance d'un parlement, on examina la cause de I'abbe de Saint-Benolt sur Loire ; et les clercs, maitre Jean de Troyes et maitre Julien de Peronne, donnerent leurs avis avec le connetable, le comte de Ponthieu, et le grand maitre des arba> letriers. Ces petits parlements n'etaient point regardes comme les an- ciens parlements de la nation • on les appelail parloirs du roi, parloirs au roi; c'etaient des conseils que le roi tenait, quand il voulait, pour juger des affaires ou les baillis trouvaient trop de difficulte. Tout changea bien autremenl sous Philippe IV, surnomme le Bel. pelit-fils de saint Louis. Comme on avait appele du nom de parlements ces parloirs du roi, ces conseils ou il ne s'aglssait pas des interets de i'fitat, les vrais parlements, c*est-a-dire les assem- blees de la nation, ne furent plus connus que sous le nom d'etats generaux, nom beaucoup plus convenable, puisqu'il exprimait a la fois les representants dria nation entiere et les interets pu- blics. Philippe appela, pour la premiere fois, le tiers etat a ces grandes assemblees (1302). II s'agissait en effet des plus grands interets de I'fitat, de reprimer le pape Boniface VIII, qui osait menacer le roi de France de le deposer; et surtout il s'agissait d'avoir de I'argenl. Les villes commen^aient alors a devenir riches, depuis que plu- sieurs des bourgeois avaient achete leurs franchises, qu'ils n'e- taient plus serfs mainmortables, et que le souverain ne saisissait plus leur heritage quand ils mouraient sans enfants. Quelques sei- f 278 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. i. \ « gneurs, a Texemple des rois, affranchirent aussi leurs sujels, c* leur firenl payer leur liberie. (28 mars 1302) Les communes, sous le nom de tiers etat, assisterent done par deputes aux grands parlomenls ou etals ge- neraux tenus dans I'eglise de Nolre-Dame. On y avail eieve un trone pour le roi; ii avail aupres de lui le comle d'^lvreux son frere, le comle d'Arlois son cousin, les dues de Bourgogne, de Brelagne, de Lorraine, les comtes de Hainaut, de Hollande, de Luxembourg, de Sainl-Poi, de Dreux, de la Marche, de Boulogne, de Nevers : c'elait une assemblee de souverains. Les eveques, doDt on ne nous a pas dit les noms, elaient en tres-petil nombre, soil qu'ils craigaissent encore le pape, soil que plutol ils fussent de son parli. Les deputes du peuple occupaient en grand nombre un des coles de Teglise. II esl Irisle qu'on ne nous ail pas conserve les noms de ces deputes. On sail seulemenl qu'ils presenterenl a ge- noux une supplique au roi , dans laquelle ils disaient : « C'est « grande abomination d'ouir que ce Boniface enlende malement, « comme bougre, cette parole d'esperilualite, ce que tu lieras « EN TERRE SERA Li^ AU ciEL; comme si cela signitioit que s'il « mettoil un homme en prison lemporelle, Dieu, pour ce, le met- ■ troil en prison au ciel. » Au resle, il faut que le tiers etat ail fait rediger ces paroles par quelque clerc ; elles furent envoyees a Rome en latin : car a Home on D'enlendait pas alors le jargon grossler des Fran^ais ; et ces paroles furent sans doule Iraduites depuis en francais thiols ', telles que nous les voyons. Les communes entraient des lors au parlement d'Anglelcrre : ainsi les rois de France ne firent qu'imiter une coutume utile, deja etablie chez leurs voisins. Les assemblees de la nation anglaise continuerent toujours sousle nom de parlements,et les parlements de France continuerent sous le nom d'etats generaux. Le meme Philippe le Bel, en 1305, etablit ce qu'il s*etait deja propose en 1302, que les parloirs au roi (comme on disait alors), ou parlamenta curice f rendraient justice deux fois I'an a Paris, vers P&ques et vers la Toussaint. C'elait une cour de justice su- preme, telle que la cour du banc du roi en Angleterre, la chambre I Langue teutonne. Eo. CHAPITRE in. 27» imperiale en Allemagne, le conseil de Caslille; c'elait un renoa- vellement de Tancienne cour palatine. Voici comme s'exprime Philippe !c Bel dans son edit de 1302 : n Propter commodum subditorum nostrorum , et expedilionem « causarum, proponimus ordinare quod duo parlamenta Parisiis, « duo scacaria Rotomagi , dies Trecenses bis tenebuntur in « anno; el quod parlamentum Tolosae tenebilur, sicul solebat le- a neri temporibus retroaclis. » « Pour le bien de nos sujets, et Fexpedition des proces, nous nous proposons d'ordonner qu'il se tienne deux fois Tan deux parlements a Paris, deux scacaires ( echiquiers ) a Rouen, des journees ( grands jours) a Troyes, el un parlement a Toulouse, lei qu'il se tenait anciennement. » 11 est evident, par cet enonce, que ces Iribunaux elaient eriges pour juger les proces, qu'ils avaient tous une juridiction egale, qu'ils elaient independanls les uns des autres. Celui qui presida a la juridiction royalc du parlement de Paris et qui tint la place du comle palalin, fut un comle de Boulogne, assiste d'un comle de Dreux : un archeveque de Narbonne et un eveque de Rennes furent presidents avcc eux ; et parmi les con- seillers oncomptaillc connelable Gaucher de Chatillon. Preciscment dans le meme temps el dans ie meme palais, le roi Philippe crea une chambre des comptes. Cetle cour, ou chambre, ou parloir, ou parlement, eut aussi des hauls barons el des eve- ques pour presidents. Elle eut, sous Philippe de Yalois, le privi- lege royal de donner des lellres de grace, privilege que la cham- bre de parlement n'avait pas : cependanl elle ne pretendit jamais reprcsenler les assemblees de la nation, les champs de mars et de mai. Le parlement de Paris ne les a jamais representees ; mais il eut d'ailleurs de tres-hautes prerogatives. f CHAPITRE 111. Des barons si^geants en parlement el amovibles; des clercs adjoints; de leurs gages; des jugements. Les seances du parlement duraient environ six semaines ou deux mois. Les juges elaient tous des hauls barons. La nation n'aurail pas souffert d'etre jugee par d'autres : il n'y avail point d'exemple qu'un serf, ou un affranchi, mi rolurier, un hour- 1 i t- ^80 HfSTOlRE DU PARLEME^NT DE PARIS. geois , eat jamais siege dans aucun tribunal , excepte quand les pairs bourgeois avaient juge leurs confreres dans les causes cri- ininelies. Les barons elaienl done seuls conse'iUers-jtigeurs, comma on parlait alors. lis siegeaienl I'epee au cole, selon I'ancien usage. On pouvait en quelque sorle les comparer a ces anciens senateurs ro- mains qui , apres avoir fail la fonction de juges dans le senal, al- laienl servir ou commander dans les armees. Mais les barons francais elant tres-peu instruits des lois et dcs coulumes, la pluparl meme sachant a peine signer leur nom, il y eut deux chambres des enqueles, dans lesquelles on admit des clercs ct des laiques, appeles maitres ou licencies en droit. lis eUient conseiUers rapporteurs : ils n'elaient pas juges, raais ils inslruisaient les causes, les preparaient. et les lisaienl ensuile de- vant les barons conseUlcrs jugeurs. Ceux-ci, pour former leur avis, n'ecoutaient que le bon sens naturel, Tesprit d'equite, et quelque- fois leur caprice. Ces conseillers-rapporteurs, ces maitres furent €nsuite incorpores avec les barons ; c'est aiusi que dans la chambre imperiale d'Allemagne et dans le conseil aulique, il y a des doc- teurs avec des gens d'epee. De meme, dans les conciles, le second ordre fut presque toujours admis comme le plus savant. II y eut pret^que dans tous les elats des grands qui eurent Taulorite, et des petits qui, en se rendant utiles, finirent par la partager. Les chambres des enqueles elaient presidees aussi par des sei- gneurs el par des eveques. Les clercs ecclesiastiques et les clercs laiques faisaient toutc la procedure. On sail assez qu'on appelait clercs ceux qui avaient frequenle les ecoles, quoiqu'ils ne fussent pas du clerge. Les notaires du roi s'appelaienl les clercs du roi : il avail dans sa maison des clercs de cuisine, c'esl-a-dire des gens qui, sachant lire et ecrire, lenaient les comptes de la cuisine : il y en a encore chez les rois d'Anglelerre, qui ont conserve beau- coup d'anciens usages enlierement perdus a la cour de France. La science s'appelail clergie, et de la vient le terme de mau- clerc, qui signifiait un ignorant, ou un savant qui abusait de son erudition. Les rapporteurs des enqueles n'eUient done pas tous des clercs d'figlise; il y avail des seculiers savants dans le droit civil et le droit canon, c'esl-a-dire un peu plus inslruils que les aulres dans les prejuges qui regnaient alors. CHAPITRE III. 281 Le comte de Boulainvilliers et le celebre Fenelon prelendent lu'ils furenl tous tires de la condition servile : mais cerlainemenl fl y avail alors dans Paris, dans Orleans, dans Reims, des bour- geois qui n'elaient point serfs; et e'elail sans conlredit le plus grand nombre. Aurail-on admis en effel des esclaves aux etalsge- neraux, au grand parlement, ou elats generaux de France, en 1302 el en 1355? Ces commissalres enqueleurs , qui firent bienlol corps avec le nouveau parlement, forcerent, par leur merile et par leur science, le monarque a leur conPier eel important minislere , et les barons juges a former leur opinion sur leur avis. ^ Ceux qui ont prelendu que la juriiliction appelee parlement, s'assemblanl deux fois par an pour rendre la justice, elailune con- tinuation des anciens parlemenls de France, paraissenl etre tom- bes dans une erreur volonlaire, qui n'esl fondee que sur une equi- voque. Les pairs barons, qui assislaient aux vrais parlemenls, aux elats generaux , y venaienl par le droit de leur naissance el de leurs fiefs ; le roi ne pouvait les en empecher; ils venaienl joindre leur puissance a la sienne, el elaienl bien eloignes de recevoir des gages pour venir decider de leurs propres interets au champ de mars el au champ de mai. Mais dans le nouveau parlement judi- Claire, dans celle cour qui succeda aux parloirs du roi, aux con- seils du roi , les conseillers recevaienl cinq sous parisis chaque jour. lis exer^aient une commission passagere; et Ires-souvenl ceux qui avaient siege a Piques n'elaient plus juges a la Tous- sainl. (1320) Philippe le Long ne voulul plus que les eveques eus- senl le droit de sieger dans ce tribunal, el c'esl une nouvelle preuve que le nouveau parlement n'avait rien des anciens que le nom : car si c'eut ete un vrai parlement de la nation, ce qui est impossible, le roi n'aurait pu en exclure les eveques, qui, depuis Pepin, elaient en possession d'assister de droit a ces assemblees En un mot, un tribunal erige pour juger les affaires contentieu- ses ne ressemble pas plus aux elats generaux, aux comices, aux anciens parlemenls de la nation enliere, qu'un preteur de Stras- bourg ne ressemble aux prcleurs de la republique romaine, ou qu un consul de la juridiclion consulaire ne ressemble aux con- suls de Rome. V 1 , 16. 282 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. k Le meme Philippe le Bel etablit, comme on a vu , un parlement a Toulouse pour le pays de la langue de or, comme il en avait etabli un pour la langue de out. Peut-on dire que ces juridictions represenlaienl le corps de la nation francaise? II est vrai que le parlement de Toulouse n'eut pas lieu de loiijjteraps : malgre I'or- donnance du roi, on ne trouva point assez d'argent pour payer les conseillers. 11 y avait deja a Toulouse une chambre de parlement ou par loir, sous le comte de Poitiers, frerc de saint Louis; nouvellc preuve que les memes noms ne signilient pas les raemes choses. Ces commissions etaient passageres comme toutes les autres. Ce parloir du comte de Poitiers, comte et pair de Toulouse, estappele aussi chambre des comptes. Le prince de Toulouse , quand 11 elait a Paris, faisail examiner ses finances a Toulouse. Or, quel rapport peut-il se trouver entrc quelques officiers d'un comte de Toulouse, et les anciens parlements francs? Ce ne fut que sous Charles VII que le parlement de Toulouse recutsa perfection. Enfin les grands jours de Troyes , etablis aussi par Philippe le Bel, ayanl une juridiction aussi pleine el aussi entiere que le par- lement de Paris , achevent de prouver demonstrativement que c*est une equivoque puerile, unelogomachie, un vrai jeu de mots, de prendre une cour de justice appelee parlement, pour les anciens parlements de la nation franqaise. Nous avons encore I'ordonnance de Philippe le Long au sujet des requetes du palais, de la chambre de parlement, et de celles des comptes du tresor ; en voici la traduction, telle qu'elle se trouve dans Pasquier : « Philippe , par la grace de Dieu, roi de France el de Navarre, « faisons savoir a tous que nous avons fait extraire de nos or- « donnances, faites par noire grand conseil, les articles ciapres « ecrits, etc. » Or quel elait ce grand conseil qui donnait ainsi Jes lois au parlement, et qui reglait ainsi sa police.' C'etaient alors les pairs du royaume, c'etaient les grands officiers que le roi assemblait : il avait son grand conseil et son petit conseil ; la chambre du parlement obeissait a leurs ordres, done elle ne pou- vait certainement etre regardee comme les anciennes assemblees du champ de mai, puisqu'elle obeissait a des lois emanees d'un coDseil qui lui-meme n'etait pas Tancien, le vrai parlement de la nation. CHAPITRE IV. 282 CHAPITKE IV. Du proofs des templiers. Lorsque Philippe le Bel inslitua la juridiction supreme du par- lement de Paris, il ne parait pas qu*il lui attribua la connaissance des causes criminelles : et en effet on n'en voit aucune jugee par lui dans ces premiers temps. Le proces des templiers, cet objet eternel de doute et d'infamie, est une assez forte preuve que le parlement ne jugeait point alors les crimes. II y avait plus de clercs que de laiques dans celte compagnie ; il y avait des cheva- liers et des jurisconsultes ; rien ne lui manquaitdonc pour etre en etat de juger ces templiers, qui etaient a la fois sujets du roi, et reputes un ordre ecclesiaslique : cependant ils ne furent juges que par des commissaires du pape Clement V. ( 13 octobre 1307) D'abord le roi fit arreter les templiers par ses baillis et par sessenechaux. Le pape lui-meme interrogea, dans la ville de Poitiers, soixanle et douze de ces chevaliers, parmi lesquels 11 est a remarquer qu'il y avait des pretres : ils furent gardes au nom du pape et du roi. Le pape delegua, dans chaque diocese, deux chanoines , deux jacobins, deux cordeliers, pour condamner, suivant les saints canons , ces guerriers qui avaient verse leur sang pour la religion chretienne , mais qui etaient accuses de quelques debauches et de quelques profana- tions. Le roi lui-meme, croyant faire un acte d'aulorite qui elu- dait celle du pape, en se joignant a lui, fit cxpedier, par son con- seil prive, une commission a frere Guillaume Parisius, inquisileur du pape en France, pour assisler a I'interrogatoire des templiers, et nomma aussi des barons dans la commission , comme Ber- trand de Agassar, chevalier, le senechal de Bigorre, le senechal de Beaucaire. ( 1308) Le roi convoqua une grande assemblee a Tours, pour resoudre, en la presence du pape et en la sienne , quel usage on ferait du bien des templiers mis en sequestre. Plusieurs hauts barons envoyerent des procurations. Nous avons encore a la bi- bliotheque du Roi celle de Robert, comte de Flandre ; de Jeanne de risle, dame de Mailly ; de Jean, fils aine duduc de Bretagne ; d'filie de Talleyrand , comte de Perigord ; d'Artus, comte de Ri- 284 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CIIAPITRE V. 28b chemont, prenani depuis le litre de due do Bretagne ; d'un Thi- baut, seigneur de Rochefort ; enfin de Hugues, due de Bourgogne. A regard du jugement prononee contre les templiers, il ne le fut que par les commissaires du pape, Bernard , fitienne et Lan- dulphe, cardinaux, quelques eveques et des molnes inquisiteurs. Les arrets de mort furent portes eu 1309, et non en 1307 : les acles en font foi, et la Chronique de Saint-Deny s le dit en termcs expres. On dit que I'^glise abhorre le sang ; elle n'a pas apparem- menl lant d'horreur pour les flammes. Cinquante-neuf chevaliers furent brules vifs a Paris, a la porte Saint-Anloine, tons protes- lant de leur innocenee, tous relractant les aveux que les tortures leur avaient arraches. Le grand maitre, Jacques Molay, egal par sa dignite aux sou- verains; Gui, frere du dauphin d'Auvergne, furent brules dans la place vis-a-vis laquelle est aujourd'hui la statue de Henri lY. lis prirent Dieu a temoin tant qu'ils purent parler, et eiterent au juge- ment de Dieu le roi et le pape. Le parleraent n'eut aucune part a ce proces extraordinaire , temoignage eternel de la ferocile ou les nations chrctiennes furent plongees jusqu'a nos jours. (1312) Maislorsque Clement V, dans le concile general de Vienne, abolit I'ordre des templiers, de sa seule autorite , et malgre la reclamation du concile enlier, dans lequel il n'y eut que qualre eveques de son avis ; lorsquMl fallut disposer des biens-fonds des chevaliers ; lorsque le pape cut donne ccs biens aux hospitaliers de Saint-Jean de Jerusalem, le roi ayant accede a cette donation , le parlement mit en possession les hospitaliers, par un arret rendu en 1312, le jour de Toclave de Saint-Martin , arret dans lequel il n'est parle que de I'ordre du roi , et point du tout de eelui du pape : il ne participa ni a riniquite des supplices , ni a I'activite des procedures sacerdo- tales ; il ne se mela que de la translation des biens d'un ordre a un autre ; et on voit que des ce temps il soutint la dignite du trone contre Tautorite pontificale ; maxime dans laquelle il a toujours persiste sans aucune interruption. CHAPITRE V. Du parlement devenu assembl^e de jurisconsuUe«, et comme lis furent assesseurs en cour des pairs. Dans les horribles malheurs qui affligerent la France sous Charles VI , toules les parties de I'administration furent egale- ment abandonnees. On oublia meme de renouveler les commis- sions aux juges du parlement, et ils se continuerent eux-memes dans leurs fonctions, au lieu de les abandonner. C'est en quoi ils rendirent un grand service a Ifitat, ou du moins aux provinces de leur ressort, qui n'auraient plus eu aucun recours pour demander justice. Ce fut dans ce temps-la meme que les seigneurs qui etaient juges, obliges I'un apres Taulre d'aller defendro leurs foyers a la tete de leurs vassaux , quitlerent le tribunal. Les juriscousultes qui, dans la premiere institution, ne servaient qu'a les instruire, se mirent a leur place; ceux qui devinrent presidents prirent Tha- bit des ancicns chevaliers : les conseillers retinrent la robe des gradues, qui elait serree comme elle Test encore en Espagne, et ils lui donnerent ensuite plus d'ampleur. II est vrai qu'en succedant aux barons, aux chevaliers, aux seigneurs, qu'ils surpassaient en science, ils ne purent parliciper a leur noblesse ; nulledignile alors ne faisait un noble. Les pre- miers presidents, Simon de Bussy, Bracq , Dauvel , les ehance- liers memes Guillaume de Dormans et Arnaud de Corbie, furent obliges de se faire anoblir. On pent dire que c'est une grande contradiction, que ceux qui jugent souverainement les nobles ne jouissent pas des droits de la noblesse ; mais enfin, telle fut leur condition dans un gouver- nement originairement militaire, et j'oserais dire barbare, C'est en vain qu'ils prirent les litres de chevaliers es loig, de bacheliers C8 lois, a rimitation des chevaHers et des eeuyers ; jamais ils ne furent agreges au corps de la noblesse ; jamais leurs enfants n'en- Irerent dans les chapitres nobles. Ils ne purent avoir de seance dans les elats generaux ; le baronnage n'aurait pas voulu les re- cevoir, et ils ne voulaienl pas elre confondus dans le tiers etat. (1355) Lors meme que les etals generaux se tinrent dans la grande salle du palais, aucun membre du , arlement, qui siegeail ;{ 286 mSTOlRE DU PARLEMENT DE PARIS. dans la chambre voisine, n'eul place dans cetle salle. Si quelque baron conseiller y fut admis, ce fut comme baron, et non comme conseiller. Marcel , prevot des marchands, elait a la tele du tiers elat; el c'est encore une confirmation que le parlement, supreme Gourde judicature, n'avail pasle moindre rapport aux anciens par- lements franqais. Lorsque fidouard HI disputa d'abord la regence, avant de dis- puter la couronne de France a Philippe de Valois, aucun des deux concurrents ne s'adressa au parlement de Paris. On I'auraitcer- lainement pris pour juge et pour arbilre, s'il avail lenu la place de ces anciens parlemenls qui representaient la nattion. Toutes les chroniques de ce temps-la nous disent que Philippe s'adressa aux pairs de France et aux principaux barons, qui lui adjugerent la regence. El quand la veuve de Charles le Bel , pendant cette regence, eut mis au monde une fille, Philippe de Valois se mil en possession du royaume sans consulter personne. Lorsque fidouard rendit si solennellement hommage a Phi- lippe, aucun depute du parlement n'assista a cetle graude cere- monie. Philippe de Valois, voulant juger Robert, comte d'Arlois, con- voqua les pairs lui-meme par des lettres scellees de son sceau, « pour venir devanl nous en noire cour, suflisammenl garnie de « pairs. » Le roi tint sa cour au Louvre ; il crea son tils Jean pair de France, pour qu'il put assister a cetle assemblee. Les magistrals du parlement y eurent place comme assesseurs verses dans les lois ; ils oblinrent I'honneur de juger avee le roi de Boheme, avec lous les princes et pairs. Le procureur du roi forma I'accusation. Robert d'Arlois n'aurait pu etre juge dans la chambre du parle- ment, ce n'elait pas I'usage, el il ne pouvail se tenir pour juge, si le roi n'avait ele present. Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe le Long ; Marguerite de Bourgogne, femme de Louis Hulin, due d'Alencjon, accusees precedemment d*adullere, n'avaient point ele jugees par le parle- ment; ni Enguerrand deMarigny, comte de Longueville, accus§ de malversations sous Louis Hulin ; ni Pierre Remy, general des finances, sous Philippe de Valois, n'eurent la chambre de parle- ment pour juge. Ce fut Charles de Valois qui condamna Marigny a mort, assiste de quelques grands officiers de la couronne, et de CHAPITRE VL 287 quelques seigneurs devoues a ses interels. (1315) 11 fut condamne a Vincennes. (1328) Pierre Remy fut juge de meme par des com- missaires que nomma Philippe de Valois. (1409) Le due de Bourgogne fitarreter Montaigu, grand maitre de la maison de Charles VI, et surinlendant des finances. On lui donna des commissaires, juges de tyrannie. comme dit la chro- nique, qui lui firent subir la question. En vain il demanda a etre juge par le parlement; ses juges lui firent trancher la lete aux halles. C'est ce meme Montaigu qui fut enterre aux Celeslins de Marcoussis. On sail la reponse que fit un de ces moines a Fran- cois I*'. Quand il entra dans I'eglise, il vit ce tombeau ; et comme il disait que Monlaigu avail ele condamne par justice : Aon, sire, repondit le bon moine ; il fut condamne par commissaires. II est sur qu'alors il n'y avail point encore de chambre crimi- nelle etablie au parlement de Paris. On ne voil point qu'en ces temps-la i\ ait seul juge personne a mort. C'elait le prevot de Pa- ris et le ChAtelel qui coudamnaient les malfaiteurs. Cela est si vrai, que le roi Jean fit arreter son connelable, le comte d'Eu, pair de France, par le prevot de Paris. (1350) Ce prevot le jugea, le con- damna seul en trois jours de temps ; et on lui Irancha la tele dans la propre maison du roi, qui elail alors I'hotel de Nesle, en pre- sence de toute la cour, sans qu'aucun des conseillers de la cham- bre du parlement y fut mande. Nous ne rapporlons pas ce trail comme un acte de justice; mais il sert a prouver combien les droits du nouveau parlement, se- dentaire a Paris, etaient alors peu elablis. I CHAPITRE VI. Comment le pailcment de Paris devint juge du daupliin de France, avanl qu'il cftt seul jugd aucun pair. Par une falalite singuliere, le parlement de Paris, qui n'avail jamais, dans sa chambre, juge aucun pair du royaume, devint juge du dauphin de France, herilier de la couronne (1420). Voici le detail de cetle elrange avenlure : Louis, due d'Orleans, frere du malheureux roi Charles VI, avail ele assassine dans Paris par ordre de Jean sans Peur, duo de Bourgogne, qui fut present lui-meme a I'execulion de ce ass HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. crime (en 1407). U ne se fit aucune procedure au parlemenl de. Paris, touchant cct assassinat du frere unique du roi. II y eut un lit de justice qui setint au palaisdans la grand'chambre; mais ce fut a I'occasion de la maladie ou letomha alors le roi Char- les VI. On choisit celte chambre du palais de saint Louis pour tenir Tassemblee, parce qu'on ne voulait pas deliberer sous les yeux du roi meme, dans son hotel de Saint-Paul, des moyens de gouverner I'Etat pendant que sa maladie Ten rendait incapable; on menageait sa faiblesse. Tous les pairs qui etaient a Paris, tous les grands officiers de la couronne, le connetable h lenr tete, tous les eveques, les chevaliers, les seigneurs du grand conseil du roi, les magistrats des comptes, des aides, les officiers du tresor, ceux du ChAlelet, y prirent tous seance : ce fut une assemblee de no- tables , ou I'on decida qu'en cas que le roi resist maladc ou qu'il mourul, il n'y aurait point de regence,et que I'Etat sernit gou- verne comme il I'etait par la reine et par les princes du sang, assistes du connetable d'Armagnac, du chancelier, et des plus sages hommes du conseil ; decision qui,. comme I'a Ires-bien re- marque I'auteur d'une nouvelle Histoire de France', ne servait qu'a augmentcr les troubles dont on voulait sortir. II ne fut pas dit un seul mot, dans cette assemblee, de I'assassinat du due d'Orleans. Le due de Bourgogne, son meurtrier, qui avait mis les Parisiens dans son parti, vinl hardiment se justifier, non pas devant le parlement, mais au palais du roi meme, a I'hdtel de Saint-Paul, devant tous les princes du sang, les prelats, les grands officiers. Des deputes du parlemenl, de la chambre des comptes, de Tuniversile, de la ville de Paris, y siegerenl. Le due de Bourgogne s'assit a son rang de premier pair. It avait amene avee lui ce cordelier normand, nomme Jean Petit, docteur de I'u- niversite, qui justifia le meurlre du due d'Orleans, et conclul : « Que le roi devait en recompenser le due de Bourgogne, a I'exem- « pie des remunerations que Dieu donna a monseigneur saint « Michel archange pour avoir tue le diable, et a Phinees pour « avoir tue Zambri. » Le m6me Petit repeta cette harangue le lendemain dans le par- vis de Notre-Dame, en presence de tout le peuple. II fut extrc- memenl applaudi. Le roi, qui, dans son etat funesle, n'etait pas » Villaret. Voy. tome XIV, in-t2, page 9 Ed CHAPITRE VI. 28^ plus mallre de la France que de lui-meme, fut force de donner des lellres palentes par lesquelles il declara « qu'il otait de son cou- « rage toute deplaisance de la mort de son frere, et que son cou- « sin le due de Bourgogne demeurerait en son singulier amour . » e'esl ainsi que ces paroles, prononcees dans le jargon de ce temps-la, furent traduites ensuite. La ville de Paris, depuis ce jour, resta en prole aux factions, aux conspirations, aux meurlres, et a I'impunilc de tous les crimes. En I'an 1419, les amis du jeune dauphin Charles, age alors de seize ans et demi, trahi par sa mere, abandonne par son pere, et persecute par ce meme Jean sans Peur, due de Bourgogne, ven- gerent ce prince, et la mort du due d'Orleans son oncle, sur \e due de Bourgogne son assassin. lis I'attirerent a une conference sur le pont de Montereau, et le tuerent aux yeux du Dauphin meme. II n'a jamais ete avere que le Dauphin eut etc informe du complol, encore moins qu'il I'eut commande. Le reste de sa vie prouve as- sez qu'il n'etait pas sanguinaire. II souffrit depuis qu'on assassi- nit ses favoris, mais il n'ordonna jamais de meurlre. On ne peut guere lui reprocher que de la faiblesse; el si Tannegui du Chatel et ses aulres favoris avaienl abuse de son jeune age pour lui faire approuver eel assassinat, cet 4ge meme pouvait servir a I'excuser d'avoir permis un crime. II etait eerlainement moins coupable que le due de Bourgogne. On pouvait dire encore qu'il n'avait permis que la punition d'un traitre qui venail de signer avee le roi d'Angleterre un traite secret, par lequel il reconnaissait le droit de Henri V a la couronne, et jurait « de faire une guerre « morlelle a Charles VI, qui se dit roi de France, et a son fils. » Ainsi, de tous les attentats commis en ce temps la, le meurlre du due de Bourgogne etait le plus pardonnable. Des qu'on sut a Paris cet assassinat, presque tous les bourgeois el tous les corps qui n'etaient pas du parti du Dauphin s'assem- blerenl le jour meme ; ils prirent I'echarpe rouge, qui etait la eou- leur de Bourgogne. Le eomte de Saint-Paul, de la maison de Luxembourg, fit preler sermenl dans Thdlel de ville aux princi- paux bourgeois de punir Charles, soidisant dauphin. Le eomle de Saint-Paul, le chancelier de Laitre, et plusieurs magistrals, allc- rent, au nom de la ville, demander la protection du roi d'Angle lerre Henri V, qui ravageait alors la France. VOLT. — HIST. OU PARLEMB^T. 17 IM HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. Morvilliers, Tun des presidents du parlement, fut depute pour prier le nouveau due, Philippe de Bourgogne, de venir dans Pa- ris. La reine Isabelle de Baviere, ennemie des longlemps de son fils, ne songea plus qu'a le d^sheriler. Elle profita de rimbecillite de son mari pour lui faire signer ce fameux traite de Troyes, par lequel Henri V, en epousant Catherine de France, etait declare roi conjointement avec Charles VI, sous le vain nom de regent, el seul roi apres la mort de Charles, qui ne reconnut que lui pour son fils. Et, par le xxix« article, le roi promellait « de ne faire « jamais aucun accord avec Charles, soi-disant dauphin de Vienne, « sans I'asscntiment des trois etats des deux royaumes de France « el d'Angleterre. » II faut s'arreler un moment a cette clause, pour voir qu'en effet les trois etats etaient le veritable parlement, puisque I'assemblee des etats n'avait point d'autre nom en Angleterre. Apres ce traite, les deux rois et Philippe, due de Bourgogne, arriverent a Paris le !«" novembre 1420. On represenla devant eux les mysteres de la Passion dans les rues. Tous les capitaines des bourgeois vinrent preter serment, entre les mains du presi- dent Morvilliers, de reconnaitre le roi d'Angleterre. On convoqua le couseil du roi, les grands officiers de la couronne, et les offi- ciers de la chambre du parlement, avec des deputes de tous les aulres corps, pour juger solennellement le Dauphin : on donna meme a celle assemblee le nom d'etats generaux, pour la rendre plus auguste. Philippe de Bourgogne, la duchesse sa mere, Mar- guerite, duchesse de Guienne, et les princesses ses Giles, furent les parties plaignantes. D'abord fa vocal Rollin, qui fut depuis chancelier de Bourgo- gne, plaida conlre le prince. Jean Larcher, depute de Tuniver- sile, parla apres lui avec beaucoup plus d'emporlement encore. Pierre Marigny, avocat pour Charles VI, donna ses conclusions, et le chancelier Jean le Clerc promit qu'a I'aide du roi d'Angleterre, regent de France, heritier dudil roi, il serait fait bonne justice. Les Anglais, malgre tous les troubles qui onl agile leur pays, ayanl toujours ete plus soigneux que nous de conserver leurs ar- chives, ont Irouve a la Tour de Londres I'original de I'arrel preli- minaire qui fut donne dans cette grande assemblee : en voici les articles principaux : « Oui aussi noire procureur general lequel a prins ses conclu- CHAPITRE VI. 291 « sions pertiiienles au cas, avec requeles el supplications a nous « faites par noire chere et amee fille I'universite de Paris, par nos « chers el ames les echevins, bourgeois et habitants de notre bonne « ville de Paris, el les gens des trois etats de plusieurs bonnes « villes Nous, eue sur ce grande et mure deliberation, vues en « notre conseil et diligenlment visitces les lettres des alliances « faites entre notre feu cousin le due de Bourgogne, et Charles, « soi-disant dauphin, accordces et jurees sur la vraie croix et « saints ^vangilcs de Dicu et que neanmoins notredit feu cou- « sin de Bourgogne, lequel etoit de noire maison de France, no- « tre cousin si prochain, comme cousin germain, doyen des pers, « el deux fois per de France, qui tant avoit et avoit toujours ame « le bien de nous el de nos royaumes et subgez.... el, atin d'en- « tretenir la paix, etoit alle a Monslereau foule acome, accompa- ' gne de plusieurs seigneurs, a la priere et requete de la partie « desdits crimineux, avoit etc murtri el tue audit lieu de Monste- « reau, mauvaisement, traitreusemenl el damnablement, nonobs- « tant les promcsses et serrements fails et renoveies audit Mons- « tereau par lui et ses complices par I'avis et deliberation des u gensde noire grand conseil, el gens lais de notre parlement, et a atiiies nos conseillers en grand nombre, avons declare et decla- « rons tous les coupables dudil damnable crime, chacuu d'eux « avoir commis crime de leze-majeste, et consequemmenl avoir « forfail envers nous corps el biens, et etre inhabiles et indignes « de loutes successions el allaceaux (collateral), et de toutes di- « gnites, honneurs, prerogatives, avec les autres peines et pu- tt gniauns conlre les commetleurs de crimes de leze-majeste, et « leur ligne etposterite Si donnonsen mandement a nos ames « el feaux conseillers les gens de notre parlement, et a tous nos « autres justiciers, que, au regard des conclusions des coroplai- « gnants et de noire procureur, ils fassent et administrent justice « aux parties, et procedent conlre lesdits coupables par voie ex- « traordinaire, ce besoin est, el lout ainsi que le cas requiert « Donne a Paris, le 23* jour de decembre, I'an de grice 1420, el « de notre regne le 41®. Par le roi en son conseil; el plus bas, « Millet. » II est evident que ce fut en vertu de cet arret, prononce au nom du roi, que la chambre du parlement de Paris donna sa sentence quelques jours apres, et condamna le Dauphin a ce bannissement. 292 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. Jean Juvenal des Ursiiis, avocal ou procureur du roi, qui fut depuis archeYeque de Reims, a laisse des memoires sur ce temps funeste ; et voici ce qu*on trouve dans les annotations sur ces me- moires : « Du parlement commencant le 12 novembre 1420, le 3 Janvier « fut ajourne a trois briefs jours * en cas de bannissemcnt, a son « de trompe, sur Ja table de marbre, messire Charles de Valois, « dauphin de Viennois et seul His du roi, a la requete du procu- * reur general du roi, pour raison de Thomicide fait en la per- « Sonne de Jean, due de Bourgogne ; et apres toutes solennites « faites en tel cas, fut par arret convainru des cas a lui imposes, « et comme tel banni et exile a jamais du royaume, et conse- « quemment declare indigne de succeder a toutes seigneuries ve- « nues et a venir ; duquel arret ledit Valois appela, tant pour sol « que pour ses adherents, a la pointe de son epee, et fit vceu de «t relever et de poursuivre sadite appellation tanl en France qu'en <( Angleterre, et par tous pays du due de Bourgogne. » Ainsi le malheur des temps fit que le premier arret que rendil la chambre de parlement contre un pair, fut contre le premier des pairs, contre I'heritier necessaire de la couronne, contre le fils unique du roi. Get arret violait, en faveurde I'etranger et de Ten- nemi de I'fitat, toutes les lois du royaume et celles de la nature : 11 abrogeait la loi salique, auparavant gravee dans tous les coeurs. Le savant comte de Boulainvjlliers, dans son TraiU du gouver' nement de France^ appelle cet arret la honfc eternelle dn parle- ment de Paris. Mais c'etait encore plus la honte des generaux d'armce, qui n'avaient pu se defendre contre le roi Henri V, celle des factions de la cour, et surtout celle d'une mere implacable, qui sacrifiait son fils a sa vengeance. * Le Dauphin se retira dans les provinces au dela de la Loire ; les pays de la langue de oc prirent son parti avec d'autaut plus d'empressement, que les pays de la langue de oui lui etaient ab- solument contraires. II y avail alors une grande aversion entre ces deux parties du royaume de France qui ne parlaient pas la mcme langue et qui n'avaient pas les roemes lois, toutes les vil- les de la langue de out se gouvernant par les coutumes que les * U est clair que le president H^nault se trnrnpe en niant ce fait dant §on Jbrege chronologique. 11 n'avait pas vuccl arr^t. Consultez VHistoire de France de Tabbe Velli. CHAPITRE Vll. 9.93 •Francs et les seigneurs feodaux avaient introduites, landis que les villes de ia langue de oc, qui suivaient le droit romain, se froyaient tres-superieures aux autres. Le Dauphin, qui s'etait declare regent du royaume pendant la jDaladie du roi son p^re, etablit a Poitiers un autre parlement <^mpose de quelques jurisconsultes en petit nombre. Mais, au milieu de la guerre qui desolait toute la France, ce faible parle- ment resta longtemps sans aucune autorite ; et 11 n'eut guere d'au- tres fonctions que celle de casser inutilement les arrets du par- Jement de Paris, et de declarer Jeanne d'Arc pucelle. CHAPITRE VII. De la condamnation du due d'Alencon. H parait qu'il n'y avait rlen alors de bien clairement etabli sur la maniere dont il fallait juger les pairs du royaume, quand ils avaient le malheur de tomber dans quelque crime, puisque Char- les VII, dans les dernieres annees de sa vie, demanda au parle- ment, qui tenait des registres, comment il fallait proceder contre Jean II, due d'Alencon, accuse de haute trahison. (1458) Le par- lement repondit que le roi devait le juger en personne, accompa- gne des pairs de France et autres seigneurs tenant en pairie, et autres notables de son royaume, tant prelats que gens de son conseil, qui en doivent connaitre. On ne concoit guere comment le parlement prelendait que des prelats devaient assister a un conseil criminel : apparemmeut qu'ils devaient assister seulement comme temoins, et pour don- ner au jugement plus de solennite. Le roi tint son lit de justice a Vendome. Sur les bancs de la droite etaient places le Dauphin, qui n'avait que douze ans, les dues d'Orleans etde Bourbon, les comtesd'Angouleme, du Maine, d*Eu, de Foix, de Vendome, et de Laval. Au-dessous de ce banc etaient assis trois presidents du parlement , le grand maitre de Ghabannes, quatre maitres des requetes, le bailli de Senlis, et dlx-sept conseillers. Au haut banc de la gauche, vis-a-vis les princes et pairs lai- ques, etaient le chancelier de Trainel, les six pairs ecclesiastiques, leg eveques de Nevers, de Paris, d'Agde, et I'abbe de Saint-Denys. 294 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE VIII. 295 Au-dessous d'eux, sur un autre banc, siegeaient les seigneurs de la Tour-d'Auvergne, de Torcy, de Vauverl, le bailli de Touraine, les sires de Prie et de Precigny , le bailli de Rouen , el le sire d'Escars. Sur un banc a cote elaienl quatre tresoriers de France, !e prevdl des marchands et le prevdl de I'holel du roi, el apres eux dix-sep' aulres conseillers du parlemenl. II faut remarquer que c'est dans celle assemblee que les chan- celiers precederenl pour la premiere fois les eveques, el que de- puis lis ne cederenl poinl le pas aux cardinaux pendant plusieurs annees. Nous n'avons aucun monument qui apprenne si le due d'A- leucon ful interroge el repondil devaul celle assemblee ; nous n'avons poinl la procedure : on sail seulemenl que son arret de mort lui ful d'abord nolifie dans la prison par Thoret, president du parlemenl, Jean Boulanger, conseiller, el Jean Bureau, treso- rier de France. Ensuite Guillaume des Ursins, baron de Trainel, chancelier de France, lul I'arrel en presence du roi. El Jean Juvenal des Ursins, archeveque dc Reims, exhorta le roi a faire misericorde. ( 10 oc- tobre 1458) Les pairs ecclesiasliques el les aulres prelats assisle- rent a eel arret; il parail qu'ils donnerenl lous leu/ voix, mais qu'aucun d'eux n'opina a la mort. Le roi lui fit grace de la vie, mais il le confina dans une prison pour le reste de ses jours. Louis XI Ten relira a son avenement a la couronne; mais ce prince, mecontent cnsuile de Louis XI , se Jigua conlre lui avee les Anglais. II n'appartenait pas a lous les princes de faire de lelles alliances. Un due de Bourgogne, un due de Bretagne, etaienl assez puissanls pour oser faire de lelles en- Ireprises, mais non pas un due d'Alencon. Louis XI le fit arreler par son grand prcvol, Tristan I'Ermile ; on rechercha sa conduile, on Irouva qu*il avail fail de la fausse monnaie dans ses terres, el qu'il avail ordonne Tassassinal d'un de ceux qui avaienl Irahi le secret de sa conspiration sous Char- les VII. Enferme au chateau de Loches en 1472, it y ful interroge par le chancelier de France Guillaume des Ursins, assiste du comle de Dunois; de Guillaume Cousineau , charabellan du roi; de Jean le Boulanger, premier presidenl du parlemenl, de plusieurs mem- . bres de ce corps, el de deux du grand conscil. Toules ccs forma- lites furenl toujours arbilraires. On voil un evOque de Bayeux, patriarche de Jerusalem, un bailli de Rouen, un correcleur de la chambre des comples, confisquer au profit du roi le duchc d'A- lencon el toules les terres du coupable, avant meme qu'il soil juge. On conlinua son proces au Louvre par des commissaires, el ii ful enfin juge definitivement, le 18 juillel 1474, par les chambres assemblees, par le comte de Dunois qui n'etait pas encore pair de France , par un simple chambellan , par des conseillers du grand conseil; formalitesquicertainemenl ne s'observeraienl pas aujourdhui. Ce ful en ce lemps-la que Ton commenca a regarder le parle- menl comme la cour des pairs, parce qu'il avail juge un prince pair, conjoin tement avec les aulres pairs. Les tresoriers de Frmice I'avaienl juge aussi, el cependanl on ne leur donna jamais le nom de cour des pairs. lis n'etaienl que qualre , el n'avaienl pas une juridiction conlentieuse. La volonle seule des rois les appelail a ces grandes assemblees. Leur deca- dence |)rouve a quel point tout pent changer. Des compagnies s'elevcnl, d'autres s'abaissenl, et enfin s'evanouissenl. II en esl de meme de toules les dignites. Celle de chancelier ful longtemps la cinquieme , et devinl la premiere ; celles de grand senechal, de connetable, n'existent plus. Comme la cour du parlemenl recut alors la dcnoroinalion de cour des pairs, non par aucune concession parliculiere des rois, mais par la voix publique et par I'usage , c'est ici qu'il faut exa- miner en peu de mots ce qui concerne les pairs de France. CHAPITRE VIII. Des pairs, et quels furent les pairs qui jug^rent a mort le roi Jean sans Terre. Pairs, pares, compares, ne signilie pas seulemenl des sei- gneurs egaux en dignite; il signifie toujours des hommes de meme profession , de meme etat. Nous avons encore la charle adressee au monastere nomme Anizola, par Louis le Pieux , le Debon- naire, ou le Faible , rapporlee par Baluze : Vos pairs , dit-il, m'ont trompe avec malice. C'cslainsi que les raoines etaienl pairs. 296 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE VIII. Dans uue bulle d'lnnocenl II a la ville de Cambrai , il est par'.e de tous les pairs habitants de Cambrai. II est inutile de rapporler d'autres exemples; c'est un fait qui n*admel aucun doute. Le droit d'etre juge par ses pairs est aussi ancien que les socictes des hommes. Un Athenien elait juge par ses pairs alhcniens, c'esl-a-dire par des citoycns comme lui. Un Remain retail par les centumvirs , el souvent par le penple as- semble : el quiconque subissait un jugemenl pouvail devenir juge a son lour. C'est une sorte d'esclavage, si on peul s'expri- mer ainsi, que d'etre soumis toute sa vie a la sentence d'autrui, sans pouvoir jamais donner la sienne. Ainsi , aujourd'hui encore en Anglelerre, celui qui a comparu devanl douze de ses pairs, nommes jures, est bienldt nomme jure lui-meme. Ainsi le noble polonais est juge par ses pairs nobles, dont il est egalement Juge ; U n'y avail point d'autre jurisprudence chez lous les peuples du Nord. Avanl que toules ces nations repandues au dela du Danube, de TElbe, de la Vislule, du Tanais, du Borysthene, eussent inonde I'empire remain, elles faisaient souvent des assemblees publiques, St le petit nombre de proces que pouvaient avoir ces hommes quinepossedaientrien,se decidaient par des pairs, par des jures. Mais on demande quels etaienl les pairs de France? On a lanl parle des douze pairs de Charlemagne; tous les anciens romans, qui sont en parlie noire histoire , citenl si souvent ces douze pairs inconnus , qu'il y a surement quelque verile dans leurs fables. II est tres-vraisemblable que ces douze pairs etaienl les douze grands ofliciers de Charlemagne. II jugeail avec eux les causes principales , de memeque dans chaque ville les ciloyens etaienl juges par douze jures : ce nombre de douze semblail etre consacre chez les anciens Francs : un due avail sous lui douze comics, un comte commandail a douze ofliciers subalternes. On sail que ces dues, ces comtes , dans la decadence de la famille de Charlemagne, rendirent leurs gouvernements el leurs digniles heredilaires ; ce qui n'etait pas bien malaise. Les grands ofliciers des Othon el des Frederic en onl fail autanl en Allemagne ; its ontfait plus, ils se sonl conserves dans le droit d'elire I'empe- reur. Ce sont de veritables pairs qui onl continue el forlifie le gouvcrnement fcodal, aboli aujourd'hui en France, ainsi que loutcs les nncicnncs couluraes. 297 i Des que tous les seigneurs des Icrrcs en France eurent assure Theredite de leurs fiefs , tous ceux qui relevaient immediatement du roi furent egalement pairs ; de sorte qu'un simple baron se trouva quelquefois juge du souverain d'une grande province ; ( 1 203 ) et c'est ce qui arriva lorsquc Jean sans Terre , roi d'An- gleterre el vassal de Philippe-Auguste , fut condamne a mort par le vrai parlemenl de France « c'est-a-dire, par les seuls pairs as- sembles. II est bien elrange que nos bistoriens ne nous aient jamais dit quels etaienl ces pairs qui oserenl juger a mort un roi d' Angle- lerre. Un evenement si considerable merilait un peu plus d'at- lention. Nous avons ete, generalement parlant, tres-peu ins- truits de noire histoire. Je me souviens d'un magistral qui croyait que Jean sans Terre avail ete juge par les chambres assemblees. Les juges furent sans difticulte les memes qu'on voit, quelques mois apres , tenir la meme assemblee de parlemenl a Villeneuve le Roi : ( 2 mai 1204) Eudes, due de Bourgogne ; Herve, comte de Nevers ; Renaud , comte de Boulogne ; Gaucher, comte de Saint-Paul; Gui de Dampierre, assistes d'un tres-grand nombre de barons , sans qu'il y eul aucun clerc , aucun legiste , aucun homme qualifie du nom de maitre. Cetle assemblee, qui fut con- voquee pour affermir relablissement des droits feodaux, stabili- mentum feudorum , fut sans doule la meme qui avail fait servir ces lois feodales a la condamnalion de Jean sans Terre , et qui voulul justifier son jugement. Les dues et pairs, les comtes et pairs, etaient sans doule de plus grands seigneurs que les barons pairs , parce qu'ils avaienl de bien plus grands domaines ; tous les dues et comtes etaient en effet des souverains qui relevaient du roi, mais qui etaienl absolus chez eux. Quand les pairies de Normandie et de Champagne furent eteintes, la Bretagne et le comte d'Artois furent eriges en pairies a leur place , par Philippe le Bel. Ses successeurs erigerent en pairies Evreux , Beaumont t Etampes , Alencon , Mortagne , Clermont , la Marche , Bourbon , en faveur des princes de leur sang; et ces princes n'eurent point la preseance sur les autres pairs ; ils suivaient tous I'ordre de rinstitution , Tordre de pairie ; chacun d'eux dans les ceremonies marchait suivant Tanciennete de sa pairie , et non pas de sa race. 17. 298 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. C'cst ainsi qu*aujourd*hui en AUemagne les cousins, les freres I'un empereur, ne disputent aucun rang aux elecleurs, aux princes de I'Empire. On ne volt pas qu*aucun de ces pairs soit jamais venu sieger, avant Francois I**", au parlement de Paris; au contraire, la chambre du parlement allait a la cour des pairs. Les juges du parlement, toujours nommes par le roi , toujours payes par lui , et toujours amovihies , n'avaient pu etre reputes du corps des pairs du royaume. Un jurisconsulte aux gages du roi , qu'on nommait et qu'on cassait a volonte , ne pouvait cer- lainement avoir rien de commun avec un due de Bourgogne , ou avec un autre prince du sang. Louis XI crea due et pair le comte Jacques d'Armagnac, due de Nemours, qu*il fitdepuis condamner a mort , non par un simple arr^t du parlement , mais par le chan- celier et des commissaires , dont plusieurs etaient des conseillers. Le premier etranger qui fut due et pair en France fut un seigneur de la maison de Cleves , cree due de Nevers ; et le pre- mier gentilhomme francais qui oblint cet honneur fut le conne- table de Montmorency ( 1551 ). II y eut toujours depuis des gentilshommes de la nation qui fu- renl pairs du royaume; leur pairie ful attachee a leurs terres, relevantes immediatement de la couronne. lis prirent seance a la grand'chambre du parlement ; mais ils n'y vont presque jamais que quand les rois tiennent leur lit de justice , et dans les occa- sions cclatanles. Les pairs , dans les assemblees des etals gene- raux , ne font point un corps separe de la noblesse. Les pairs , en Angleterre , sont depuis longtemps des gentils- hommes comme en France ; mais ils n'onl point de pairies, point de terre a laquelle ce titre soit attache : ils ont conserve une bien plus haute prerogative , celle d'etre le seul corps de la no- blesse , en ce qu'ils representent tout le corps des anciens barons relevants autrefois de la couronne ; ils sontnon-seulemenl les juges de la nation , mais les legislaleurs , conjointement avec le roi et les communes. CHAPITRE IX. 2&e CHAPITRE IX. Pourciuoi le parlement de Paris fut appel^ la com- des pairs. La chambre du parlement , a laquelle la chambre des enqueles et cclle des requeles presentaient les proces par ecrit , elant dans son institution composee de barons, il etait bien naturel que les grands pairs , les dues et comtes y pussent entrer et eussent voix deliberative quand ils se trouvaient a Paris, lis elaient de pleia droit conseillers-nes du roi ; ils elaient a la tele du grand conseil ; il fallait bien qu'ils fussent aussi conseillers-nes d'une cour com- posee de noblesse. Ils pouvaient done entrer dans la chambre depuis appelee grand'chambre , parce que tous les juges y elaient originairement des barons. lis avaient en effet ce droit, quoiqu'ils ne I'cxerqassent pas, comme ils ont cclui de sieger dans tous les parlementsde province; mais jamais ils n'ont ete aux cham- bres des enqueles, la plup;frt des ofliciers de ces chambres ayant ete originairement des jurisconsulles sans dignite et sans no- blesse. Si les pairs purent sieger a la chambre du parlement lorsque les eveques des provinces et les abbes en furenl exclus, ce fut parce qu'on ne pouvait oler a un due de Bourgogne , a un due do Guieime, a un comte d'Arlois , une prerogative dont on depouil- lail aisement un cveque sans puissance; et si on leur ota ce pri- vilege , ce fut parce que , dans les demeies frequents avec les papes , il etait a craindre que les eveques ne prissent quelquefois le parti de Rome conlre les inlerels de I'Etat. Les six pairs eccle- siasliques , avec I'eveque de Paris et Tabbe de Cluny, conserve- renl seulement le droit d'avoir seance au parlement : et il faut remarquer que ces six pairs ecclesiastiques furent les seuls de leur ordre qui eurent le nom de pairs depuis Louis le Jeune , par la seule raison que, sous ce prince, ils elaienl les seuls eveques qui linssent de grands fiefs immediatement de la couronne. II n'y eut longtemps rien de regie ni de certain sur la maniere de proceder dans les jugemenls concernant les grandes pairies; mais I'ancien usage elait qu*un prince pair ne fut juge que par ses pairs. Le roi pouvail convoquer les pairs du royaume ou il voulait, tantot dans une ville, lanlot dans une autre dans sa vl 300 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE X. 301 propre maison , dans celle il'un autre pair , dans la chambre ou s'assemblaient les conseillersjugeurs du parlement, dans uoe eglise, en un mot, dans quelque lieu que le roi voulut choisir. G'etait ainsi qu'en usaient les rois d'Angleterre, imitaleurs et conservateurs des usages de France ; ils assemblaient les pairs d'Angleterrc ou ils voulaient. Philippe de Yalois les convoqua d*abord dans Paris , en 1341 « pour decider de la grande querelle entre Charles de Blois et Jean de Montfort , qui se disputaient le duchc de Bretagne. Philippe de Yalois , qui favorisait Charles de Blois, fit d'abord, pour la forme, examiner la cause par des pairs, des prelats , quelques conseillers chevaliers , et quelques conseil- lers clercs ; et Tarret fut rendu a Conflans , dans une maison de campagne , par le roi , les pairs , les hauts barons , les grands of- ficiers , assistes de conseillers chevaliers et de conseillers clercs. Le roi Charles Y , qui repara par sa politique les malheurs que les guerres avaient causes a la France , fit ajourner a sa cour des pairs, en 1368 , le 26 Janvier, ce grand prince de Galles, sur- nomme le prince Noir, vainqueur de son pere et de son aieul , ile Henri de Transtamare , depuis roi de Castille , et enfm de Ber- trand du Guesclin. II prit le temps ou ce heros commen^it a etre attaque de la maladie donl il mourut , pour lui ordonner de venir repondre devant lui comme devant son seigneur suzerain. II est bien vrai qu*il ne I'etait pas. La Guienne avait ete cedee au roi d*Angleterre £!douard III , en toute propriete et souveraincte ab- solue, par le traite de Bretigny. £douard I'avait donnee au prince Noir son Mis , pour prix de son courage et de ses victoires. Charles Y lui ecrivit ces propres mots : « De notre majeste royale « et seigneurie , nous vous commandons que viengniez en notre « cite de Paris en propre personne, et vous montriez et presentiez « devant nous en notre chambre des pers , pour ouir droit sur « lesdistes romplaintes et griefs emeus par vous , a faire sur « votre peuple, qui clame a avoir et ouir ressorl en notre cour. » Ce mandement fut porte, non par un huissier du parlement de Paris , mais envoye par le roi lui-meme au senechal de Toulouse , commandant et juge de la noblesse. Ce senechal fit porter Tajour- nement par un chevalier nomme Jean de Chaponval , assiste d'un juge. Le roi Charles Y , pour colorer cet etrange procede , manda au pays de la langue de oc , que le roi son pere ne s'etait engage a r ceder la souverafnele de la Guienne que jusqu'a I'annee 1361. Rien n'etait plus faux. Le traite de Bretigny est du 8 mai 1360 : le roi Jean I'avait signe pour sorlir de prison ; Charles Y I'avait rcdige, signe et consomme lui-meme , comme dauphin regent de France , pendant la prison de Jean son pere : c'etait lui qui avait cede en souveraincte au roi d'Angleterre la Guienne, le Poitou, la Saintonge , le Limousin , le Perigord, le Quercy, le Bigorre, I'An- goumois , le Rouergue , etc. II est dil par le premier article de ce traite celebre : « Que le roi « d'Angleterre et ses successeurs possederont tous ces pays, et de « la meme maniere que le roi de France , et son fils aine et ses « ancelres rois de France, I'ont tenu. » Comment Charles Y pouvait-il ecrire qu'il n'avait cede a son vainqueur la souveraincte de toutes ces provinces que pour une annee ? II voulait sans doute faire croire sa cause juste, et animer par la ses peuples a la defendre. Quoi qu*il en soit , il est certain que ce fut le roi lui-meme , au uom des pairs de son royaume , qui cita le prince de Galles ; ce fut lui qui signa la confiscation de la Guienne a Yincennes, le 14 mai 1370 ; et pendant que le prince Noir se mourait, le connelable du Guesclin mit Tarret a execution. CHAPITRE X. Du parlement de Paris, r^tabli par Charles VII. Lorsque Charles YII eut reconquis son royaume par les services presque toujours gratuits de sa noblesse , par le singulier enthou- siasme d'une paysanne du Barrois, et surtout par les divisions des Anglais et de Philippe le Bon, due de Bourgogne , tout fut oublie, tout fut pacific ; il reunit son petit parlement de Poitiers a celui de Paris. Ce tribunal prit une nouvelle forme. II y eut dans la grand'- chambre trente conseillers, tous jurisconsultes, dont quinze etaient laiques , et quinze ecclesiastiques. Charles en mit quarante dans la chambre des enquetes. La chambre de la tournelle fut instituee pour les causes criminelles; mais cette tournelle ne pouvait pas alors juger a mort; il fallait , quand le crime etait ca- pital, porter la cause a la grand'chambre. Tous les officiers eurent des gages. Les plaideurs ne donnaient aux juges que quelques t r M >... :_J<-; 302 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. faibles presents d'epiceries el de bouteilles de vin. Ces opices furent bienlot un droit converli en argent. C'est aiiisi que lout a change , et ce n'a pas toujours ete pour !e mieux. CHAPITRE XI. De Tusage d'enregislrer les 6clits au parleinent, et des premieres reiiion- trances. La cour du parlement devint de jour en jour plus ulile, en n'etant composee que d'hommes verses dans les lois. Un de ses plus beaux droits etait depuis longlemps renregistremenl des edits et des ordonnances des souverains , el voici comment cc droit s' etait etabli. Un conseiller du parlement, nomme Jean de Monlluc, qui vi- vait sous Philippe le Bel , avail fail , pour son usage, un registre des anciens edits , des principaux jugements et des choses me- morables dont il avail eu connaissance. On en fit quelques copies. Ce recueil parul dune tres-grande utilile dans un temps d'igno- rance, ou les coutumes du royaume n'etaienl pas seulement ecrites. Les rois de France avaient perdu ieur ciiartrier ; ils sen- taieul la necessile d'avoir un depot d'archives qu'on put consulter aisement. La cour pril insensiblemenl I'usage de deposer au greffe du parlement ses edits et ses ordonnances. Get usage devint peu a peu une formalite indispensable ; mais on ne pent savoir quel fut le premier enregistrement , une grande parlie des anciens re- gislres du parlement ayanl cle brulee dans I'incendie du paiais en 1618. Les premieres remontrances que fit jamais le parlement furent adressees a Louis XI , sur cetle faraeuse pragmatique promulguee par Charles VII , et par le clerge de France assemble a Bourges. C'elait une digue opposee aux vexations de la cour de Rome; digue Irop faible , qui fut bienlot renversee. On avail decide dans cetle assemblee , avec les ambassadeurs du concile de Bale , que les conciles elaient superieurs aux papes , et pouvaient les de- poser. La cour de Home , depuis longlemps , avail impose sur les peuples , sur les rois , el sur le clerge , un joug etonnant, dont on ne trouvail pas la source dans la primitive figlise des Chretiens. Elle donnait presque parlout les benefices : el quand les colla- CHAPITRE XL 303 • " teure naturels en avaient confere un , le pape disail quMI Tavait reserve dans son coeur, in petto ; il le conferait a celui qui le payait le plus cherement, et cela s'appelail une reserve. II promeltait aussi les benefices qui n'etaienl pas vacants, el c'etaient des ex- peclalives. Avail-on enfin obtenu un benefice ? il fallait payer au pape la premiere annee du revenu ; et eel abus , qu'on nomme les annates y subsisle encore aujourd'hui. Dans toutes les causes que rEglise avail su attirer a elle , on appelait immediatemenl au pape; et il fallait qu'un Francais allat a (rois cents lieues se miner pour la validitc de son mariage, ou pour le testament de son pere. Une grande parlie de ces inconcevables tyrannies fut abolie par la pragmatique de Charles YII. Louis XI voulut obtenir du pape Pie II le royaume de Naples pour son cousin germain Jean d'Anjou, due titulairc de Calabre. Le pape, encore plus fin que Louis XI, parce qu'il etait moins emportc, commenga par exiger de lui Tabolition de la pragmatique. Louis n'hesita pasalui sacri- fier Toriginal meme ; on le traina ignominieusement dans les rues de Rome; on en triompha comme d'un ennemi de la papaute : Louis XI fut comble de benedictions et de remerciments. L'eveque d'Arras , qui avail porte la pragmatique a Rome , recut, le meme jour, le bonnet de cardinal. Pie II envoya au roi une epee benile ; mais il se moqua de lui, et ne donna point a son cousin le royaume de Na|)les. Louis XI , avanl de lomber dans ce piege , avail demande I'a- vis de la cour du parlement ; elle lui presenta un memoire en (|ualre-vingl-neuf articles, intitule « Remontrances touchanl les « privileges de TEglise gallicane : » elles commencent par ces mots : « En obeissant , comme de raison , au bon plaisir du roi « noire sire. » El il est a remarquer que, depuis le lxxiii'' jus- qu'au Lxxx*^ article , le parlement compte qualre millions six cent quarante-cinq mille huil cents ecus extorques a la France par la chambreapostolique, depuis I'invenlion de ces monopoles. Obser- vons ici qu'il n'y avail pas trenle ans que Jean XXII , refugie dans Avignon , avail invente ces exactions , qui le rendirent le plus riche de tons les papes, quoiqu'il n*eut presque aucun do- maine en Italic. Le roi Louis XI, s'elant depuis raccomraode avec le pape, lui sacrifia encore la pragmatique , en 1469 ; et c'est alors que le par- 304 HISTOIRE DU PARLEMEINT DE PAlUS. lement, soutenant les inlerets de I'Etal, fit de son propre mouvc- menl de tres-fortes remonlrances, que le roi n'ecoula pas; mais ces remontrances etant le vceu de la nation entiere , et Louis XI s*etant encore brouille avec le pape, la pragmatique, trainee a Rome dans la boue , fut en bonneur ct en vigueur dans toute la France. C*est ici que nous devons observer que cetle compagnie fut dans tous les temps le bouclier de la France contre les entreprises de la cour de Rome. Sans ce corps, la France aurait eu Thumilia- tion d'etre un pays d'obedience. C'esl a lui qu'on doit la ressource des appels comme d'abus , ressource imitee de la loi Pramunire d'Angleterre. Ce fut en 1329 que Pierre de Cugnieres, avocat du roi , avail propose le premier ce remede contre les usurpations de rfiglise. Quelque despolique que fiil Louis XI , le parlement protesta contre les alienations du domaine de la couronne; mais on ne voit pas qu'il fit des remontrances, II en fit en 1482 au sujetde la cherte du ble ; elles ne pouvaient avoir que le bien public pour objet. II fut done en pleine possession de faire des representations sous le plus absolu de tous les rois ; mais il n'en fit ni sur I'admi- nistration publique , ni sur celle des finances. Celle qu'il fit au sujet du ble n'etait qu'une affaire de police. Son arret au sujet de I'imprimerie fut casse par Louis XI , qui savait faire le bien quand il n'etait point de son inleret de faire le mal. Get art admirable avail ete invenle par des Allemands. Trois d'entreeux, en 1470, avaient apporte en France quelques epreuves de eel art naissant ; ils exercerent meme leurs talents sous les yeux de la Sorbonne. Le peuple , alors tres-grossier, et qui Ta ete Ires-longtemps , les prit pour des sorciers. Les co- pisles, qui gagnaient leur vie a transcrire le pcu d'anciens ma- nuscrits qu'on avail en France , presenlerent requele au parle- ment contre les imprimeurs : ce tribunal fit saisir et confisquer tous leurs livres. Le roi lui defendil de connaitre de cetle affaire, Tevoqua a son conseil , et fit payer aux Allemands le prix de leurs ouvrages; mais sans marquer d'indignation contre un corps plus jaloux de conserver les ancieus usages , que soigneux de 8*inslruire de Tutilite des nouveaux. CHAPITRE XII. 305 CHAPITRE XII. Du parlement, dans la minority de Charles VIII , et comment il rcfusa de se meler du gouvemement et des finances. Apres la morl de Louis XI , dans I'extreme jeunesse de Char- les VIII , qui enlrait dans sa quatorzieme annee , le parlement ne fit aucune demarche pour augmenter son pouvoir. Au mi- lieu des divisions et des brigues de madame de Bourbon-Beau- jeu , fille de Louis XI ; du due d'Orleans , heritier presomptif de la couronne , qui fut depuis Louis XII ; et du due de Bourbon , frere aine du prince de Bourbon-Beaujeu , le parlement resta tran- quille : il ne s'occupa que du soin de rendre la justice, et de don- ner au peuple I'exemple de I'obeissance el de la fidelite. Madame de Beaujeu, qui avail I'autorile principale, quoique conteslee, assembia les etats generaux en 1484. Le parlement ne demanda pas seulemenl d'y etre admis. Les etats donnerent le gouvemement de la personne du roi a madame de Beaujeu sa soBur, selon le testament de Louis XI. Le due d'Orleans, ayanl leve des troupes , crul qu'il metlrait la ville de Paris dans son parti , si le parlement se declarail en sa faveur. II alia au palais le 10 Janvier 1484, el representa aux chambres assemblies, par la bouche de Denys le Mercier, chanceiier de son apanage , qu'il fallail qu'on ramenat a Paris le roi, qui etail alors a Melun, et qu'il gouvernAl par lui-meme avec les princes. Jean de la Vaquerie , premier president , repondit au nom des chambres ces propres paroles : « Le parlement est pour rendre • justice au peuple; les finances, la guerre, le gouvemement du « roi , ne sonl point de son ressort. » II I'exhorta patheliquement a demeurer dans son devoir, el a ne point troubler la paix du royaume. Le due d'Orleans laissa ses demandes par ecrit, le parlement ne fit point de reponse. Le premier president , accompagne de quatre conseillers el de I'avocat du roi , alia recevoir a Melun les ordres de la cour, qui donna de justes eloges a sa conduite. Cetle conduite si respectable ne se dementil , ni dans la guerre que le due d'Orleans fit a son souverain , ni dans celle que Char- les; VIII fit depuis en Italic. Sous Charles VIII , il ne se mela des finances du royaume en HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. aucune maniere; celte parlie de radminislralion elail entiereinent entre les mains de la chambre des comptes et des generaux des finances : il arriva seulement que Charles VIII , en 1496, dans son expedition briliante et malheurcuse d'ltalie , voulut einpruR- ter cent mille ecus de la ville de Paris : chaque corps fut invite a preler une parlie de la somme ; I'holel de ville preta cinquante mille francs ; les corps des metiers en preterent aussi cinquante mille. On ne sait pas ce que prelerent les officiersde la chambre des comptes ; ses registres sont brules. Ceux qui ont echappe a Tautre incendie, qui consuma une partie du palais, portent que le cardinal du Maine, lesire d'Albret, le sirede Clerieux, gouverneurde Paris, le sire de Graville, amiral de France, vinrenl proposer aux offi- ciers du parlement de preter aussi quelques denicrs au roi , le 6 aout. II faflait que Charles VIII et son conseil eussent bien nial pris leurs mesures dans cette malheurcuse guerre, pour etre obliges de se servir d'un amiral de France , d'un cardinal , d'un prince , comme de courtiers de change, pour emprunter de I'a- gent d'une compagnie de magistrals qui n'ont jamais etc riches. Le parlement ne preta rien. « // remontra aux commissaires la « necessite et indigence du royaunic, et le cas si pileux, que non « indiget manuscribeniis. qui sera cause d'ennui et atediation aux « lisants qui nee talia legendo temperent a lacnjmis. On pria les h commissaires , comme grands personnageSf qu'ils en fissent rc- « montrance au roi, lequel est bon prince. » Bref, le parlement garda son argent. C'est une affaire particuliere ; elle n'a de rapport a I'interet public que la necessite et indigence du royaume, alle- guee par le parlement comme la cause de son refus. CHAPITRE XIV. 307 CHAPITRK XIII. Du parlement sous Louis XII. Le regne de Louis XII ne produisit pas la moindre difficuKe enlre la cour et le parlement de Paris. Ce prince, en repudiant sa ferame, fillede Louis XI, avec laquclle il avail habile vingl annees, et en epousant Anne de Brelagne, ancien objet de ses inclinations, ne s'adressa point au parlement, quoiqu'il fut Tinterprete et le moderateur des lois du royaume. Ce corps etait compose de ju- risconsulles seculierset ecclesiastiques. Les pairs du royaume, re- presentant les anciens juges de loule la nation, y avaient seance ; il eut ete naturel dans tous les £tats du monde qu'un roi , dans une pareille conjoncture, n'eut faitagir que le premier tribunal de son royaume; mais le prejuge, plus fort que la legislation et que rinteret des nations entieres, avail des longlemps accoutumc les princes de I'Europe a rendre les papes arbilres de leurs ma- riages et du secret de leur lit. On avail fait un point de religion de celte coutume bizarre par laqueUe ni un parliculier, ni un sou- verain , ne pouvait exclure une femme de son lit, et en recevoir une autre , sans la permission d'un ponlife etranger. Le pape Alexandre VI , souille de debauches et de crimes , en- voya en France ce fameux Cesar Borgia , I'un de ses batards , et le plus mechant homme de la chretiente, charge d'une bulle qui cassail le manage du roi avec Jeanne , fille de Louis XI , et lui permeltait d'epouser Anne de Brelagne. Le parlement ne tit d'autre demarche que celle d'aller en corps, suivant I'usage, au-devant de Cesar Borgia, legal a latere. Louis XII donna la duche pairie de Nevers a un etranger, a un seigneur de la maisondeCleves; c'etait le premier exemple qu'on en eut en France. Ni les pairs ni le parlement n'en murmurercnt. Et lorsque Henri II fit due et pair un Montmorency, dont la maison valait bien celle de Cleves, il fallut vingt letlres de jussion pour faire enregistrer les letlres de ce due de Montmorency. C'est qu'il n'y eut aucun levain de fermentation du temps de Louis XII , et que du temps de Henri II tous les ordres de I'Etat commencaieot a etre echauffes et aigris. CHAPITRE XIV. Des grands chnngements fails sous Louis XII, trop ndglig^s par la plupart des historiens. Louis XII acheva d'elablir la jurisprudence du grand conseil sedenlaire a Paris. II donna une forme au parlement de Norman- die et a celui de Provence, sans que celui de Paris fut consulte sur ces elablissements, ni qu'il en prit ombrage. Presque tous nos historiens ont neglige jusqu'ici de faire men- lion de celte barriere elernelle que Louis XII mil enlre la noblesse et la rol>e. 308 HI5T0IRE DU PARLEMENT DE PARIS. Les baillis et prevots, presque tous chevaliers, elaient les suc- cesseurs des anciens comles et vicorates : ainsi le prevdt de Paris avail ele souverain juge a la place des vicomles de Paris. Les quatre grands baillis, elablis par saint Louis, elaient les qualre grands juges du royaume. Louis XII voulut que tous les baillis et prevots ne pusscnt juger, s'ils n'etaienl letlr^s el gra- dues. La noblesse , qui cut cru deroger si elle eul su lire et ecrire, ne profila pas du reglemenl de Louis XII. Les baillis con- serverent leur dignile et leur ignorance ; des lieutenants lellrfe jugerenl en leur nom, et leur ravirent loute leur aulorile. Copions ici un passage enlier dun auleur connu. « On payait « quarante fois moins d'epices qu'aujourd'hui. II n'y avail dans « le bailliage de Paris que quaranle-neuf sergenls, et a present il « y en a plus de cinq cents : il est vrai que Paris n'elait pas la « cinquieme parlie de ce qu'il est de nos jours ; mais le nombre « des officiers de justice s'est accru dans une bien plus grande pro- « portion que Paris; el les maux inseparables des grandes villes « ont augmenle plus que le nonabre des habitants. a II raaintinl Tusage ou elaient les parlements du royaume de « choisir trois sujets pour reraplir une place vacante : le roi nom- « mail un des trois. Les dignites de la robe n*eUient donnees « alors qu*aux avocats : elles elaient le prix du merite, ou de la « reputation qui suppose le merite. Son edit de 1499, elernelle- « ment memorable, et que nos historiens n'auraient pas du ou- « blier, a rendu sa memoire chere a tous ceux qui rendent la jus- « lice, el a ceux qui Taiment. II ordonne par eel edit qu'on suite « toujours la loi, malgre les ordrcs contraires a la /oi, que I'lmper- « tuniie ptiirraii arracher du monarque. » CHAPITRE XV. comment le parlement se conduisit dans laffaire du concordat. Le regne de Francois I'' fut un temps de prodigalile el de mal- heurs. S'il eul quelque eclat, ce fut par la renaissance des lellres, iusqu'alors meprisees. L'encouragemenl que Charles-Quint, Fran- (jois I" el Leon X donnerenl a Tenvi I'un de I'aulre aux sciences et aux beaux-arts, rendil ce siecle memorable. La France com- mencapour lorsa sorlir pour quelque lemps de la barbaric; mais CHAPITRE XV. 309 les malheurs causes par les guerres el par la mauvaise administra- tion furent beaucoup plus grands que I'avantage de commencer a s'inslruire ne fut considerable. La premiere affaire dans laquelle le parlement entra avec une fermele sage ct respeclueuse , fut celle du concordat. Louis XI avail toujours laisse subsister la pragmatique, apres Tavoir im- prudemmenl sacrifiee. Louis XII, trahi par le pape Alexandre VI et violemment outrage par Jules II, avail rendu loute sa vigueur a celle loi du royaume, qui devait etre la loi de loules les nations chretiennes. La cour de Home dominail dans loules les aulres cours, ou du moins negociait toujours a son avantage. L'empereur Frederic III, les electeurs el les princes d'AUema- gne, avaienl fait un concordat avec Nicolas V en 1448, avanl que Louis VI eul renonce a la pragmatique, et Teut ensuite favorisee. Ce concordat germanique subsiste encore ; le pape y a beaucoup gagne : il est vrai qu'il ne vend point d'expeclalives ni de reser- ves; mais il nomme a la plupart des canonicals six mois de Tannee; il est vrai qu'on ne lui paye point d'annates, mais on lui paye une taxe qui en tient lieu : tout a ete vendu dans r£)glise sous des noms differents. Frederic III recut des reproches des etals de I'Empire, et son concordat demeura en vigueur. Fran- cis l^'f qui avail besoin du pape Leon X, comme Louis XI avail eu besoin de Pie II, Hi, a I'exemple de Frederic III, un concordat dans lequel on dil que le roi el le pape avaienl pris ce qui ne leur apparlenait pas, et donne ce qu'ils ne pouvaient donner ; mais il est tres-vrai que le roi , en reprenanl par ce traite le droit de nommer aux eveches et aux abbayes de son royaume, ne repre- nail que la prerogative de tous les premiers rois de France. Les elections causaient souvent des troubles, el la nomination du roi n'en apporte pas. Les rois avaienl fonde tous les biens de r£glise, ou avaienl succede aux princes dont Tl^glise avail recu ces lerres : il elait juste qu'ils conferassenl les benefices fondes par eux, sauf aux seigneurs, descendants reconnus des premiers fondateurs, de nommer dans leurs lerres a ces biens de I'Eglise donnes par leurs ancelres, comme le roi devait conferer les biens donnes par les rois ses aieux. Mais il n'elait ni dans la loi naturelle, ni dans celle de Jesus- Christ, qu'un eveque ullramonlain recut en argent complanl la premiere annce des fruits que ces terres produisent ; que la pro- 310 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. motion d'un evcque d'un siege a un autre valut encore a ce ponlife etranger une annee des revenus des deux evcchcs ; (ju'un eveque n'os^t s'inliluler pasleur de son Iroupeau que par la per- mission du saint-siege de Rome, jadis I'egal en tout des aulres sieges. , . Cependant les droits des ecclesiastiques gradues etaient con- serves : de trois benetices vacauts, ils pouvaienl, par la pragma- tique, en posluler un, et par le concordat on leur accordait le droit d'impetrer un benefice pendant quatre mois de I'annee; ainsi I'universite n'avait point a se plaindre de cet arrangement. Le concordat deplut a toute la France. Le roi vint lui-meme au parlement ; il y convoqua plusieurs eveques, le chapilrc de la ca- Ihedrale de Paris, et des deputes de I'universite. Le cardinal de Boissy, a la tete du clerge convoque, dit « qu'on ne pouvait rece- « voir ie concordat sans assembler toule Tfiglise gallicane. >. Fran- cois I" lui repondit : « Allez done a Rome contester avec le pape. » ' Le parlement, -apres plusieurs seances, conclut a rejeter le con- cordat jusqu'a I'acceptalion de Tfiglise de France. L'universile de- fendil aux libraires, qui alors dependaient d'elle, d'knpnmer le con- cordat ; clle appela au futur concile. Le conseil du roi rendit un edit par lequel il defendait a I u- niversite de se meler des affaires dttat, sous peine de privation de ses privileges. Le parlement refusa d'enregistrer cet edit; lout fut en confusion. Le roi nommait-il un eveque? le chapilre en elisait un autre ; il fallait plaider. Les guerres fatales de Fran- cois I" ne servirent qu'a augmenler ces troubles. II arriva que le chancelier Dupral, premier auteur du concordat, et depuis car- dinal, s'etant fait nommer archeveque de Sens par la mere du roi, regente du royaume pendant la captivite de ce monarque, on ne voulut point le recevoir ; le parlement s'y opposa ; on altendit ladelivrance du roi. Ce fut alors que Francois I" attribuaa la juri- diction du grand conseil la connaissance de toutes les affaires qui regardent la nomination du roi aux benefices. 11 est a propos de dire que ce grand conseil avait succede au veritable conseil des rois, compose autrefois des premiers du royaume, de meme que le parlement avait succede aux quatre grands baillis de saint Louis, aux pailoirs du roi. On ne pent faire un pas dans I'histoire, qu'on ne trouve des changements dans tous les ordres de I'Etat et dans tous les corps. CHAPITRK XVI. 311 Ce grand conseil fut fixe a Paris par Charles VIII. II n'avait pas la consideration du parlement de Paris , mais il jouissait d'un droit qui le rendait superieur en ce point a tous les parlements : c'est qu'il connaissait des evocations des causes jugees par les parlements memes ; il reglait quelle cause devait ressortir a un parlement ou a un autre; il reformait les arrets dans lesquels il y avait des nullites ; il faisait, en un mot, ce que fait le conseil d'Etat, qu'on appelle le conseil des parties. Les parlements lui ont toujours conteste sa juridiction. Les rois, trop souvenl oc- cupes de guerres malheureuses, ou de troubles intestins plus mallieureux encore, ont pu rarement lixer les bornes de chaque corps, el etablir une jurisprudence certaine et invariable. Toute autorite veut toujours croitre, tandis que d'autres puissances veu- lent la diminuer. Les etablissements humains ressemblent aux fleuves, dont les uns enHent leurs cours, et les autres se perdent dans des sables. CHAPITRE XVI. He la v^nalit^ des charges, et des remontrances , sous Francois !•', Depuis I'extinction du gouverneraent feodal en France, on ne combattait plus qu'avec de I'argent, surtout quand on faisait la guerre en pays etrangers. Ce n'etait pas avec de I'argent que les Francs el les autres barbares du Nord avaient combattu; ils s'elaienl servis de fer pour ravir I'argent des autres nations. C'e- tait tout le contrairc quand Louis XII et Francois I"" passerent en Italic. Louis XII avait achete des Suisses, et ne les avait point payes. Ces Suisses demanderent leur argent I'epee a la main ; ils assiegerent Dijon. Le faible Louis XII eut beaucoup de peine a les apaiser. Ces memes Suisses se lournerent contre Fran- cois I"". Le pape Leon X, qui n'avait pas encore signe le concordat avec le roi, animait. contre lui les cantons ; etce ful pour resister aux Suisses que le chancelier Dupral, auparavant premier presi- dent, prostitua la magistrature au point de la vendre. II mil a I'ep- can vingt charges nouvelles de conseillers au parlement. Louis XII avail auparavant rendu, dans un meme besoin, les charges des generaux des finances venales. Ce mal etait bien in HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. moins grand et bien raoins honleux ; mais vendre des charges de juges au dernier encherisseur, c'elait un opprobre qui cons- terna le parlement. II fit de tres-forles remontrances ; mais Du- prat les ayant eludees, il fallut obeir; les vingt conscillers nou- veaux furenl recus ; on les distribua, dix dans une chambre des enquetes, el dix dans une autre. La meme innovation se fit dans tons les aulres parlemenls du royaume ; et c'est depuis ce temps que les charges furent presque loutes venales en France. Un impot egalement reparti, et donl les corps de ville et les financiers meme auraient avance les de- niers, eut ete plus raisonnable et plus utile ; mais le ministere comptait sur Tempresseraent des bourgeois, dont la vanite ache- lerait A I'envi ces nouvelles charges. Ce trafic ouvrit le sancluaire de la justice a des gens quelque- fois si indignes d*y enlrer, que dans i'affaire de Semblancay, surinlendant des finances, trahi, dit-on , par un de sescommis nommeGenlil, juge par commissaires, condamne a elre pendu au gibet de Montfaucon, ce Gentil, qui lui avait vole ses papiers jus- tificalifs, et qui craignait d'etre un jour recherche, achela, pour se mcltrc a I'abri, une charge de conseiller au parlement : de con- seiller il devint president ; mais ayant continue ses malversations, il fut degrade, et condamne a la potence par le parlement meme. On I'executa sous le gibet de Monlfaucon, ou son infidelile avait conduit son maltre. L'argent provenu de la vente de vingt charges de magislralure a Paris, et d*environ trente autres dans le resle du royaume, ne suffisant pas a Francois I" pour sa roalheureuse expedition d'l- talie, il acheta la grille d'argent dont Louis XI avait orne I'eglise de Saint-Martin de Tours. Elle pesait six mille sept cent soixanlc et seize marcs deux ouces, moins un gros ; il prit aussi des orne- menls d'argent dans d'autres eglises : faibles secours pour con- querir le Milanais et le royaume de Naples, qu'il ne conquit point. Le payement de celte argenlerie fut assigne sur ses domaines; il y en avait pour deux cent cinquanle mille francs. Les moines et les (hanoines, pour se metlre a I'abri des censures de Rome, et encore plus pour assurer leur payement sur le domaine du roi, voulurenl que ce raarche fut enregislre au parlement. Le roi envoya le capitaine Frederic, commandant de la garde ccossaise, porter au parlement les leltres patenlespour Tenregis- t'HAPITRE XVI. 313. trement(20iuin 1522). L'avocatdu roi, Jean leLievre, parla; \l exposa les cas ou ce n'etait pas la coutumede prendre I'argent des- eglises, et Jes cas ou H elait permis de le prendre. II fut arrele que ia cour ecrirait au roi les raisons pour lesquelles icelles leltres pa- lentes ne pouvaient elre publiees. C'est le premier exemple que nous ayons des remontrances du parlement sur un objet de finances. II s'agissait propreraent de prevenir un proces entre le domaine du roi et les ^ens d'figlise. Le roi renvoya, le 27 juin, le meme capitaine Frederic avec une lellre, laquelle finissait par ces paroles : « L'impossible serail de prendre les treillis de Saint-Martin de « Tours, et aulres joyaux des eglises, qui ne sont que Irois ou « qualre, qu'il ne vienne a la connaissance publique d'un chacun,. « et y en aura plus grand nombre qui le sauront par la prise que * par la publication dudit edit : pourquoi vous mandons dere- « chef el Ires expressemenl, el d'autant que craignez la rupture « dfc nos affaires, qui sont lelles el de telle importance que cha- « CUB sail, que vous procediez a la publication el verification de « notredit edit : car ceux de ladile eglise de Saint-Martin deman- « dent ledil edit en cetle forme, si n'y faites plus de difficulte, pour « autanl que nos affaires nous pressent de si pres, que la longueur « est plus prejudiciable a nous et a noire royaume que ne le vous « pourrions ecrire. Donne a Lyon le 23 juin. Sicsignatum, FRAN- « ^OIS. Et plus has, G^doyn. » Le parlement ordonna que les leltres palenles du roi seraient lues, publiees et enregislrees, quoad domanium duntaxat, c'esl- a-dire seulemenl pour ce qui regarde le domaine du roi. « Plus, « la cour a ordonne que le chancelier arrive en celte ville, la «;cour le mandera venir ceans, pour lui faire remontrances que la « cour avisera pour le bien de la justice el choses publiques de ce « royaume. » Le parlement de Paris mander un chancelier, qui est son chef el celui de loutes les cours de justice I lui que le parlement appelle Monseigneur, tandis qu'il ne donne que le litre de Monsieur au premier prince du sang ! Mais nous avons deja vu combien lous les usages changent. D'ailleurs le chancelier Dupral, auleur du con- cordat el de tant de vexations, elail en horreur ; el la haine publi- que ne connalt point de regie. La meme annee 1522, il y eut aussi des remontrances du par- lA S14 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. , I leraenl au sujel du domaine aliene par roi a Thdlel de ville de Paris, pour le payement d'un impot sur le vin el sur le pied-fourche, impol dont I'holel de ville avail avance les deniers. Ces romon- trances soiit I'origine de celles qui ont cte failes sous lous les re- gpes suivauts. CHAPITRE XVII. 315 CHAPITRE XVII. Du jugement de Charles, due de Bourbon , pair, grand chambrier et con- n^table de France. Ce fameux Charles de Bourbon, qui avail tant conlribue a la gloire de la France a la balaiiie de Marignan, qui !il depuis son roi prisonnier a la balaiiie de Pavie, el qui mourul en prenant Rome d'assaul, ne quitta la France et ne fut la cause de lanl de malheurs que pour avoir perdu un proces. II est vrai qu'il s'agissaitde pres- que lous ses biens. Louise de Savoie, mere de Francois P^ n'aynnt pu obtenir de lui qu'il I'epousat en secondes noces, voulut le ruiner : elle etait fille d'une Bourbon , el cousine germaine de Susanne de Bourbon, femme du connetable, laquelle venait de mourir. Non-seulemenl Susanne avail laisse lous ses biens par lesta ment a son mari, mais il en etail heritier par d'anciens pactes de famille, observes dans lous les temps. Le droit de Charles de Bourbon etail encore plus incontestable par son contrat de ma- nage, Charles el Susanne s'etanl cede mutuellement leurs droits, €t les biens devanl appnrlenir au survivant. Cet acte avail ete so- lennellement confirme par Louis XII , et paraissail a I'abri de toutc contestation. Mais la mere du roi, regente du royaume, pendant que son fils ailail a la guerre d'llalie, elanl oulragee el toule-puissante, conseillee par le chancelier Duprat, ce grand au- leur de plus d'une infortune publique, intenta proces devanl !e par- leraent de Paris, el eut le credit de faire meltre en sequestra lous les biens du connetable. Ce prince, d'ailleurs mallraite par Francois I", ne resista pas aux sollicilalions de Charles-Quint; il alia commander les ar- mees de I'empereur, et ful le Oeau de ceux qui Tavaienl persecute. Aux nouvelles de la defection du connetable, le roi differa son voyage d'ltalie. II donna commission au marechal de Chabanes, grand maitre de sa maison, au premier president du parlemenl de Normandie, et a un maitre des requetes, d'aller interroger les conlidenls du connetable, qui furenl d'abord mis en prison. Parmi ces confidents ou complices etaienl deux eveques, celui d'Aulun et celui du Puy. Un secretaire du roi servit de greffier. C'est encore ici une marque evidenle que les formaliles changeaient selon les temps el selon les lieux, Le reste de Tinstruction ful fail par de nouveaux commissaires, Jean de Selve, premier president du parlemenl de Paris; Jean So- lat, maitre des requetes; Francois de Loyne, president aux en- quetes; Jean Papillon, conseiller. Leroi ordonna, par des letlresreiterees, du 20septcmbro, du 15 et du 20 octobre 1522, de faire le proces au connetable absent, el a ses complices emprisonnes. Les quatre commissaires conseillerent au roi de renvoyer I'af- faire au parlemenl de Paris; et le roi, par une letlre du 1" no- vembre, leurtemoigna qu'il desapprouvait beaucoup ceconseil. Ces commissaires instruisirent done le proces des prisonniers a Loches. Mais enfin le roi, incertain de la maniere dont il fallait juger deux eveques, et craignant de se commettre avec Rome , renvoya Taffaire au parlemei;t de Paris. II ne fut plus question des deux eveques, on n'en paria plus; les laiques seuls furenl condamnes : ils furenl juges au mois de Janvier 1523, les uns a mort , les aulres a d'autres peines. Le seigneur de Saint- Vallier, entre aulres , fut condamne a perdie la tele, le 16 Janvier 1523. C'est lui dont on pretend que les cheveux blanchirenl en peu d'heures, apres la lecture de son arret. La tradition ajoule que Francois I" ne lui sauva la vie que pour jouir de Diane de Poitiers, sa Pdle. Celte tradition serail bien plus vraisemblable que I'autre, si Diane n*avait pas ele alors un enfant de quatorze ans, qui n'a- vail pas encore paru a la cour *. ' Le proems de Saint- Vallier est de 1523. Diane, sa fille , est morte le 26 avril 1366, ag^e de soixante-six ans. Diane avait done vingt-trois ans, et non quatorze ans, lors de la condamnation de son pf^re : elle ^tait mari^ depuis pr(^» de dixans,ce qui contredit les parolesde Mdzeray. qui pretend que Francois V n'accorda la giace au p6re ([u' apres avoir pris de sa fille ce qu elle avail de plus precieiix. Dreux du lladier |)ense que Louis de Breze man de Diane, n'eut point a se plaindre de la fidelity de sa femme. ce ne rut qu aprc« son veuvagc qu'cllc devint mailresse de Francois I". {I^ote de M, Bcuchot) I ^IC HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. Quanlauconnetnbic de Bourbon, le roi vinl le juger lui-meme au parlement le 8 mars 1523, accompagne seulement de deux nouveaux pairs , un due d'Alencon, et un due de Bourbon-Ven- dome; les eveques de Langres el de Noyon furent les seuls pairs ecclesiastiques qui s'y Irouverent : ils se relirerenl, ainsi que 4ous les conseillers clercs, quand on alia aux opinions. II fut seu- lement ordonne qu'on ajournerait le connetable a son de trompe. Celle vaine ceremonie se fit a Lyon, parce que ceUe ville pas- sait pour etre la derniere du royaume du cote de I'ltalie, le Dau- phine , qui appartenait au Dauphin , n'etant pas regarde comme province du royaume. Pendant qu'on faisail ces procedures, le connetable comraan- 4laildeja Tarmee ennemie; il entrait en Provence pour repondre a son ajournement, et comparaissail en assiegeant Marseille. Le roi, irrite que le parlement de Paris n'eut pas juge a mort tous les complices dece prince, nomma un president de Toulouse avec cinq conseillers, deux presidents de Bordeaux et quatre conseillers, deux conseillers du grand conseil, et un president de Bretagne, pour juger avec le parlement de Paris le reste des accuses, aux- quels on n'avait pas encore fait le proces. Nouvel exempic bien frappant de la variete des usages et des formes *. Cependant on poursuivit lenlement le proces contre le conne- table; il fallait trois defauls de comparaitre pour qu'on juge4t, comme on disait alors, en profit de defaut ; mais toutes ces pour' suites cesserent quand le roi fut vaincu et pris a Pavie par I'ar- mee, dans laquelle un des chefs etait ce meme Charles de Bour- bon. II fallut, au lieu de lui faire son proces. lui restituer, par le traite de Madrid, toutes ses terres, lous ses biens, meubles et im- meubles, dans Pespace de six semaines, lui laisser le droit d'exer- cer ses pretentions sur la souverainetede la Provence, et prometlre de ne faire aucune poursuite contre ses amis et ses serviteurs. Le roi signa ce traite. II crut, quand il revint en France, que la politique ne lui per- mettait pas de tenir la parole a ses vainqueurs ; et apres la mort du connetable, lue en prenant Rome, Francois I^"^ le condamna, » Coiwultez les oollecUonsde Pierre Dupuy, garde de la biblioth6que du ROI, tome II; et voyez, sur tous les articles pr^c^dents , le Recueil des edUs etordonnances , le president de Thou, le comte de Boulainvilliers, ei tout les nistonens. CHAPITRE XVIIL 3C7 le 26 juillet 1527, dans la grand'chambre du parlement, assistede quelques pairs. Le chancelier Duprat prononqa I'arret qui « dam- « noit et abolissoit sa memoire et renommee a perpetuite, » et qui confisquait tous ses biens, meubles el immeubles. Pour ses biens, on en rendit une parlie a sa maison ; et pour sa renommee, elle a loujours ele celle d'un heros qui eut le malheur de se trop venger d'une injustice qu'on lui avail faile. CHAPITRE XVIII. De rasserabl^e dans la grand'salle dupalais,i loccasion du duel entre Charles-Quint et Francois l*^ Apres que Francois I", mal conseille par son courage et par I'amiral Bonnivel, eut perdu la bnlaille de Pavie, ou il fit des ac- tions de heros, el ou il fut fait prisonnier; apres qu'il eut langui une annee entiere en prison , il fallut executer le fatal traite de Madrid, par lequel il avail promis de ceder au viclorieux Charles- Quint la Bourgogne, que cet empereur regardait comme le patri- moine de ses ancelres. II ne consulla, sur celle affaire delicate, ni le parlement de Paris, ni le parlement de Bourgogne elabli par Louis XI ; mais il se fit representer, a Cognac ou il etait, par des deputes des elals de Bourgogne, qu'il n'avait pu aliener son do- maine , et que s'il persistait a ceder la Bourgogne a Tempereur, ils en appelleraienl aux elats generaux, a qui seuls il appartenait d'en juger. Les deputes des elals de Bourgogne savaient bien que les etats generaux de I'Empire avaient aulant de droit que les elals de France de juger celle question, ou plulol qu'elle n'etait que du ressorl du droit de la guerre. Le vaiuqueur avail impose la loi au vaincu : fallait-il que le vaincu accomplit ou violet sa promesse ? L'empereur, en reconduisant son prisonnier au dela de Madrid, I'avait conjure de lui dire franchemenl, et sur sa foi de gentil- homme, s'il etait dans la resolution d'accomplir le traile, et avait meme ajoule qu'en quelque disposiliou qu'il fut, il n'en serait pas moins libre. Francois I" avail repondu qu'il liendrail sa parole. L'empereur repliqua : « Je vous crois ; mais si vous y manquez, « je publierai parlout que vous n'en avez pas use en homme 18. S18 HISTOIRE DU PABLEMENT DE PARIS. « d'honncur. u L'empereur etait done en droit de reprochcr au roi que s'il avail combaltu en brave chevalier a Pavie , il ne se conduisait pas en loyal chevalier en roanquanl a sa promesse. 11 dit aiix ambassadeurs de France que le roi leur mailrc avail pro- cede de mauvaise foi, el que, quand il voudrait, il le lui soutien- drait seul a seul, c'esl-a-dire dans un combat sini^ulier. Le roi, a qui on rapporta ce discours public, presenla sa re- ponse par ecril a Tambassadcur de Tempereur, qui s'excusa de la lire , parce qu'il avail deja pris conge. « Vous Tcntendrcz au raoins, « dit le roi ; el il lui fit lire I'ecril signe de sa main el par Roberlet, secretaire d*fitat. Get ecril portail en propres mots : « Vous faisons entendre que si vous nous avez voulu ou voulez « nous charger que jamais nous ayons fait chose qu'un genlil- « homme, aimanl son honneur, ne doive faire, nous disons que « vous avez menti par la gorge, el qu'aulanl de fois que vous le a direz vous mentirez; elant deiibere de defendre noire honneur « jusqu'au dernier bout de noire vie. Pour quoi, puisque conlre « verite vous nous avez voulu charger, desormais ne nous ecri- « vez aucune chose, mais nous assurez le camp, el nous vous « porterons les armes ; protestant que si, aprcs celle declaration, « en aulres lieux vous ecrivez ou dites paroles qui soienl contre n noire honneur, que la honle du delai en sera voire ; vu que ve- n nant audit combat, c'esl la fin de toutes ccritures. Fait en noire « bonne ville el cite de Paris, le vingt-huitieme jour de mars de « I'an I527,avanl Piques. Francois. » ( 10 septembre 1528) Le roi envoy a ce cartel a l'empereur par un heraut d'armes. Charles-Quint envoya sa reponse par un autre heraut. Le roi la re^ut dans la grand'salle du palais; il etait sur un Irone eleve de quinze marches devant la table de marbre. A sa droite, sur un grand echafaud, elaient assis le roi de Navarre, le due d'Alencon, le comle de Foix, le due de Venddme, le due de Ferrare de la maison d'Est, le due de Chartres, le due d'AIba- nie, regent d'£)cosse. De I'autre cote, elaient le cardinal Salviati, legal du pape, les cardinaux de Bourbon, Duprat, de Lorraine, I'archeveque de Narbonne. Au dessous des princes Elaient les presidents el les conseillers du parlemenl, el au-dessous du banc des prelals elaient les am- bassadeurs. Ce ful la premiere fois que le purlemcnt en corps pril place dans une assemblee de tons les grands el de tous les mi- CHAPITRE XVIIL 319 nistres etrangers ; el il y tint la piaee la plus honorable qu'on put lui donner. II est vrai que ce grand appareil se rcduisit a rien; le roi ne voulut ecouler le heraut de l'empereur qu'en cas qu'il apportal la siireledu camp, c'estadire la designation du lieu oil Charles-Quint voulait combattre. En vain le heraut voulut parler ; le roi lui im- posa silence. • Nous ne rapportons ici celle illuslre el vaine ceremonie que pour faire voir dans quelle consideralion elail alors le parlemenl de Paris. Les maitres des requetes et les conseillers du grand con- seil furent places derricre les cveques pairs de France et les au- lres prelals ; les membres de la chambre des comptes n'eurent point de seance, quoique d'ordinaire iis en aient uue egale a celle du parlemenl, dans toutes les ceremonies publiques. L'ordre des ceremonies a change en France comme tout le reste. A Tentree du roi Louis XII, les processions des paroisses marcherent les premieres, celles des quatre ordres mendianls les secondes : elles furent suivios de la chambre des comptes, ensuite parul I'holel de ville ; il ful suivi du Chatelet ; apres le Chatelet venail le parlemenl en robes rouges ; les chevaliers de I'hotel du roi et deux cents hommes d'armes suivaient a cheval ; el le prevot de Paris a cheval, avee douze gardes, termait la marche. L'univer- sile ne parul point ; elle attendil le roi a la porte de Notre-Damc. Le ceremonial observe a I'entree de Francois T*" ful tout diffc- a rent ; el il y eut encore des changements a celles de Henri II el de Charles IX, tanl I'inconslance a regne dans les peliles choses comme dans les grandes, et dans la forme de I'appareil comme dans la forme du gouvernement. (1537) Le parlemenl fit une nouvelle ceremonie, a laquelle on ne pouvait donner un autre nom ; ce ful de condamner juridique- menl l'empereur Charles Quint. II falsait toujours la guerre a Francis F*", el I'accusait devant toutc I'Europe d'avoir viole sa parole, el d'avoir appele les Tures en Iialie. Le roi le fil ajourner comme son vassal pour les comtes de Flandre et d'Artois. II faut etre bien sur d'etre le maltre chez soi pour faire de telles procedu- res. II oubliail que dans le Iraite de Madrid il avail rachete sa li- berie par la cession de toutes ses pretentions sur ces fiefs. II vinl done au parlemenl avee les princes el les pairs ; I'avocat general Cappel fit un requisiloire contre Charles-Quint. On rendit 37.0 HISTOJRE DU PARLKMLNT DE PAHIS. CHAPITRE XIX. 321 arret par lequel on cilerait Charles, empcreur, a son de liompe sur la frontiere ; et Tempereur n'nyant pas repondu, le parlemeul contisqua-la Flandre, I'Artois et le Charollais, dont I'empereur resta le mail re. l»i CHAPITRE XIX. Des supplices inflisds aux proleslants; des massacres de Mdrindol el de Cabrieres, et du parlement de Provence jug6 criminellement par le parlement de Paris. La coutume horrible de juger et de condamner a mort pour des opinions rehgieuses, fut introduile chez les Chretiens des le qua- trieme siecle de I'ere vulgaire. Ce nouveau fleau, qui affligea la nature humaine, fut apporte d'Espagnepar deux cveques norames Itace et Idace,comme depuis un autre Espagnol introduisit I'hor- reur de Tinquisition. G'est ce qu'on peut voir en general dans VEssai sur les mceurs et I'esprit des nations. Les Chretiens s'elaient mutuellennenl egorges des longlemps auparavant, mais ils ne s'etaient pas encore avises de se servir du glaive de la justice. Cette nouvelle barbarie s'etant done introduite chez les Chre- tiens, le roi Robert, le meme que le pape Gregoire V avail ose ex- communier pour avoir epouse sa commere , le meme qui avail quitte sa femme sur ce pretexte, et qui, etanl RIs d'un usurpaleur mal affermi, cherchait a se concilier le siege de Rome, voulut lui complaire en faisant bruler dans Orleans, en sa presence, plusieurs rhanoines accuses d'avoir conserve les anciens dogmes de I'an- cienne Eglise des Gaules, qui ne connaissait ni le culte des ima- ges, ni la transsubstantiation , ni d'autres institutions. On les appelait manicheens, nom qu'on donnait alors a lous les here- tiques. Le confesseur de la nouvelle reine Constance etail du nombre de ces inforlunes. Sa penitente, dans un raouvement de zele, lui creva un ceil d'un coup de baguette, lorsqu'il allait au supplice. Tous ses compaguons et lui se jeterent dans les flammes en chantant des psaumes, el crurenl avoir la couronne du marlyre. Ceux qu'on appela Vaudois et Albigeois vinrent ensuite : tous voulaient relablir la primitive figlise; et comme un de leurs principaux dogmes etait la pauvrele, ou du moins la mediocriU ^vangelique, a laqueile ils voulurenl reduire les prelats ct les moines, les archeveques de Narbonne et de Lyon en firent bruler quelques-uns par leur seule autorit^. Les papes ordonnerent con- tre eux une croisade comme contre les Turcs et les Sarrasins ; on les exlermiua par le fer et par les flammes, et cent lieues de pays furent desolees. Enfin les debauches, les assassinats et les empoisonnements du pape Alexandre VI, Tambition guerriere de Jules II, la vie yo- luptueuse de Leon X , ses rapines pour fournir a ses plaisirs , et la vente publique des indulgences, souleverent une partie de TEu^ rope. Le mal etait extreme , il fallait au moins une reforme : elle ful commencee, mais par une defection entiere, en AUemagne, en Suisse, ct a Geneve. Francois I*' lui-meme, en favorisant les lettres, avail fait naitre le crepuscule a la lueur duquel on commencait a voir en France tous les abus de I'Eglise ; mais il etail toujours dans la necessite de menager le pape ainsi que le Turc, pour se soutenir contre I'em- pereur Charles-Quint. Cette politique I'engagea, malgre les sup- plications de sa soeur la reine de Navarre, deja calviniste, a faire bruler ceux qui seraient convaincus d'adherer a la pretendue re- forme. II fit indiquer meme, au commencement de 1535, par Jean du Bellai, eveque de Paris, une procession generate a laqueile il assista, une torche a la main, comme pour faire amende honora- ble des profanations des sectaires. L*eveque portait Teucharistie ; le Dauphin, les dues d'Orleans , d'Angouleme ct de Vendome , lenaient les cordons du dais; tous lesordres religieuxet tout le clerge precedaient. On voyait les eardinaux, les eveques, les am- bassadeurs, les grands offieiers de la couronne, immediatement apres le roi. Le parlement, la chambre des comptes, loules les autres compagnies, fermaient la marche. On alia dans cet ordre a Peglise de Notre-Dame, apres quoi une partie de la procession se separa pour alter a TEstrapade voir bruler a petit feu six bour- geois que la chambre de la lournelle du parlement avail condam- nes le matin pour les opinions nouvelles. On les suspendait au bout d'une tongue poutre, posee sur une poutie au-dessus d'un po- teau de vingl pieds de haul, et on les faisail deseendre a plusieurs reprises sur un large biicher enflamme. Le supplice dura deux heures , et lassa jusqu'aux bourreaux el au zele des spectateurs. Les deux jesuites Maimbourg el Daniel rapportenl , apres Me- 322 HISTOIRF. DU PARLEMENT DE PARIS. zeray, que Francois I" fit dresser, pendant celte execution, UD trdne dans la salle de I'evechc, el qu'il y declara, dans un discours palhetique, «« que si ses enfanls etaient assez malheureux pour « tomber dans les memes erreurs, il les sacrifierail de mcme. >» Daniel ajoute que ce discours allendril tous les assislanls, ct Icur lira des larmes. Je ne sais ou ces auteurs onl trouve que Fran(joi8 I«'* avail prononce ce discours abominable. La verite est que dans ce temps la meme il ecrivail k Melanchlhon, et qu'il le priail de venir a sa cour. II sollicitait les lutheriens d'Allemagne, et les soudoyait contre I'empereur ; il faisait une ligue avec le sultan Soliman , qui fut enlierement conclue deux ans apres ; il livrait I'llalie aux Turcs ; et les musulmans eurcnt une mosquee a Marseille, apres que les Chretiens eurent ele briiles dans Paris et dans les pro- vinces. II se passa, quelques annees apres, une scene bien plus tragi- que. II y avail, sur les confins de la Provence el du comtal d'A- vignon, des restes de ces anciens Vaudois et Albigeois qui avaient conserve une partie des rites de I'figlise des Gaules, soutenus par Claude, eveque de Turin, au huitieme 8iecle,etperpelues jusqu'a nos jours dans les socieles proteslanles. Ces peuples habitaient vingt-deux bourgs, dans des vallees enlourees de montagnes peu tequentees, qui les rendaient presquc inconnus au reste du monde. lis cultivaient ces deserts depuis plus de deux cents ans, et les avaient rendus ferliles. Le veridique president de Thou , qui fuf un des juges de I'affaire dont nous parlous, rend justice a I'innocence de leur vie laborieuse: il les peint « palienls dans les « plus grands travaux, justes, sobres, ayant les proces en hor- « reur, liberaux envers les pauvres, payanl les tribuls avec alle- « gresse, n'ayant jamais fait attendre leurs seigneurs pour leurs « rentes, assidus aux prieres, ignorant toute espece de corrup- « tion, mais ne se prosternant point devant des images, ne fai- « snnl point le signe de la croix, el , quand il tonnail, se bornant « a lever les yeux au ciel, etc. » Le vice-legal d'Avignon el le cardinal de Tournon resolurent * Voyez Essai aur les mceurs, tome XVII. page 2H. .M. Gamier, con- tinuateur de Velly, cite Dubouchet ( Annates iVAquiluinc), le continua- teur de Mcolas Gilles , Belief orcst , Sleidan ; mais je ne crois pas que ce soil a I'occasion du pretendu propos altributi a Franrois l"»'. CHAPITRE XIX. r/.% d'exlerminer ces infor tunes. lis ne songeaient ni Pun ni Paulre qu'ils allaient priver le roi et le pape de sujels utiles. Meynier, baron d'Oppede, premier president du parlement de Provence, oblinl des leltres de Francois P*", qui portaienl ordre d'agir selon les lois contre ces hommes agrestes ; quibus in eos legibus agatur^ dit de Thou. Le parlement de Provence comraenca par condamner dix-ncuf habitants de Merindol, leurs femraes et leurs enfanls, a elre brii- les sans ouir aucun deux; lis etaient errants dans les campagnes voisines. Cet arret alarma lout le canton. Quelques paysans pri- rent les armes, et pillerent un convent de carmes, sur les terres d'Avignon. Le president dOppede deroanda des troupes. L'eveque de C.i- vaillon, sujet du pape, commenca par amener quelques soldats ; il se mil a leur tele, saccagea quelques maisons, et tua quelques personnes. Ceux qu'il poursuivail se retirerent sur les terres de France. lis y trouverenl trois mille soldats, conduits par le pre- mier president d'Oppede , qui commandait dans la province en I'absence du gouverneur. L'avoeal general faisait I'ofHce de major dans celte armee. C'esta cet avocat qu'on amenaitles prisonniers. II leur faisait reciter le Pater nosier et VAve Maria, pour juger s'ils etaient heretiques ; et quand ils recitaient mal ces prieres, il criait Tolle et crucifigCy el les faisait arquebuser a ses pieds Le soldat francais est quelquefois bien cruel, et quand la religion vient encore augmenter celte cruaute, il n'y a plus de homes. II fut prouvo qu'en brulant les bourgs de Merindol el de Ca- brieres avec les villages d'alentour, les executeurs violerent jus- qu'a des fiUes de huit a neuf ans enlre les bras de leurs meres, et massacrerenl ensuile les meres avec leurs filles. On enfermait pele-mele hommes, femmes, enfanls, dans des granges auxquelles on metlait le feu, et lout elait reduit en cendres. Le peu qu*on epargna fut vendu par les soldats a des capilaines de galeres comme des esclaves. Toute la contree demeura deserle, et la lerre arrosee de sang resta sans culture. Cet evenement arriva en 1545. Plusieurs seigneurs de ces do- maines sanglanls et devastes, se trouvant prives de leurs biens par celte execution, presenlerenl requete a Henri II contre le president d'Oppede , le president la Font, les conseillers Tiibu(i, Badet, et l'avoeal general Guerin. S24 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. La cause fut portee, sous Henri II, en 1550, au tribunal du grand conseil. II s'agissait d'abord de savoir s'il y avail lieu de plaidcr contre le parlement d'Aix. Lc grand conseil jugea qu*on devait evoquer la cause, el elle fut renvoyee au parlenaent de Pa- ris, qui par la se trouva pour la premiere fois juge criminel d'un autre parlement. Les deux presidents provencaux, Tavocat du roi Guerin, furent emprisonnes. On plaida pendant cinquante audiences; le vice- legal d' Avignon intervint dans la cause au nom du pape , et de- manda, par son avocat Renard, que le parlement eut a no point juger des meurtres commis dans les terres papales. On n*eut point d'egard a la requisition de maitre Renard. Enfin, le 13 fevrier 1552, Tavocat general Guerin eut la tele tranchee*. Le president de Thou nous apprend que le credit de la maison de Guise sauva les aulres du supplice qu'ils merilaient; mais queMeynier d'Oppede mourul dans les douieurs causees par les remords, el pires que le supplice. CHAPITRE XX. Du parlement sous Henri II. Le commencement du regne de Henri II fut signale par ce fa- meux duel que le roi , en plein conseil , ordonna entre Jarnac et la Chataigneraie, le 1 1 juin 1547. II s'agissait de savoir si Jarnac avail avoue a la Chataigneraie qu'il avail couche avec sa belle- mere. Ni les empereurs ni le senal de Rome n'auraient ordonne un duel pour une pareille affaire ; I'honneur chez les nations modernes n'etait pas celui des Romains. Le parlement ne fit aucune demarche pour provenir ce combat juridique. Les cartels furent portes par des herauls d'armes, et signifies par-devant notaires. Le parlement lui-raeme en avail or- donne plusieurs autrefois; et ces memes duels, regardcs aujour- d'hui comme un crime irremissible, s'elaient loujours fails avec la sanction des lois. Le parlement avail ordonne celui de Carouge " Le president H^nault dit (jue I'avocat g^n^ral fut pendu en 1554 ; il s« trompe sur le genre du suppliee cl sur ia dale. Ces horrcnrs soul d^tailk'cs dans VEssai sur UsmcBurs, tome XVII, page 3<5 ct suivantes; on ne peat trop en parler. CHAPITRE XX. 325 -el de le Gris, du temps de Charles VI, en 1386, et celui du cheva- lier Archon el de Jean Picard. son beau-pere, en 1354. Tous ces combats s'elaient fails pour des femmes. Carouge ac- cusait le Gris d'avoir viole la sienne, et le chevalier Archon accu- sait Jean Picard d'avoir couche avec sa propre fille. Non-seule- menl les juges ecclesiastiques permirent aussi ces combats, mais les eveques et les abbes combatlirent par procureurs; el Ton Irouve, dans le Vrai Theatre d'honneur et de chevaterie, que Geof- froi du Maine, eveque d' Angers, ayanl un differend avec I'abbe de Saint-Serge pour la redevance d'un moulin , le proces fut juge a coups de bciton par deux champions qui n'avaienl pas le droit de se tuer avec I'epee, parce qu'ils n'elaient pas gentils- hommes. Cede ancienne jurisprudence a change avec le temps, comme tout le reste. On vil bientol, sous Henri II, un theatre de carnage moins honorable et plus terrible. Les impols crees par Fran- cois l"f et surtoul les vexations sur le sel exercees par les exac- teurs, souleverent le peuple en plusieurs endroits du royaumc. On accusa le parlement de Bordeaux de s'etre joint a la populace, au lieu de lui resister, el d'avoir ele cause du meurlre du seigneur de Monins, commandant de Bordeaux, que les seditieux massacre- rent aux yeux des membres du parlement, qui marchaient avec eux habilles en matelots. Le connetable Anne de Montmorency , gouverneur du Languedoc, vinl avec un maitre des requetes, nomme fitienne de Neuilly, interdire le parlement pour un an ; il fit exhumer le corps du seigneur de Monins par tous les officiers du corps de ville, qui furent obliges de le deterrer avec leurs on- gles, el cent bourgeois passerenl par les mains du bourreau. Ce trailemenl indisposa tous les parlemenls du royaume; celui de Paris deplut a la cour plus que les aulres. Le roi, en 1554, le rendil semestre, el augmenta le nombre des charges : il en vendit soixante et dix nouvelles. Ces edits ne furent point verifies, mais ils furent executes pendant I'espace d'une annee , apres quoi le parlement ne fut plus semestre ; mais il demeura surcharge de soixante et dix membres inuliles, qui avaienl achete leurs ofticcs ; abus que le president Jacques-Auguste de Thou deplore avec beaucoup d'eloquence. Le regne de Henri II ne fut guere plus heureux que celui de son pere. Les defailes de Saint-Quentin et de Gravelines affaiblis- VOLT. — HIST. DD PARLEMENT. JQ 326 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. saient le respect public pour le trone, les impots alieDaient I'affee- tioD, et tous les parlements etaient mecontents. Le roi, pour avoir plus aisement de I'argent, couvoqua une grandeassembleedanslachambredu parlement de Paris, en 1558. Quelques-UDs de dos historiens lui ont donne le nom d'etats ge- neraux , mais c*etait une assembiee de notables , composee des grands qui se trouverent a Paris , et de quelques deputes do pro- vince. Pour assembler de vrais etats generaux , il eiit failu plus de temps, plus d'appareil , et la grand'chambre aurait ete trop petite pour les contenir. Les tresoriers generaux des finances y eureut une seance parti- culiere ; ni eux , ni le parlement , n'y furent confondus avec le tiers etat. II n'etait pas possible que le parlement, cour des pairs, n*eut pas une place distinguee dans le lieu meme de sa residence. Le roi y parla lui-raeme, la convocation ne dura que huit jours ; le seul objet elait d'obtenir trois millions d'ecus d'or ; le clergeen paya un tiers, et le peuple les deux autres tiers : jusque-la tout fut paisibie. CHAPITRE XXI. Dii supplice d'Anne Diibourg. Le due Francois de Guise et le cardinal de Lorraine, son frere, commen^ient a gouverner I'fitat sous Henri II. Francois de Guise avait ete declare lieutenant general de TEtat ; et en cette qualite il precedait le connetable, et lui ecrivait en superieur. Le cardinal de Lorraine, qui avait la premiere place dans le conseil, voulul, pour se rendre encore plus necessaire, etablir en France Tinquisi- tion, et il y parvint meme enfin a quelques egards. On n'institua pas a la verile eu France ce tribunal, qui offense a la fois la lot naturelle, toutes celles de I'^tat, la liberie des horn- mes et la religion, qu'il deshonore en la soutenant ; mais on donna le titre d'inquisiteurs a quelques ecclesiasliques qu*on admit pour juges dans les proces extraordinaires qu'on faisait a ceux de la religion pretendue reformee ; tel fut ce fameux Moucby i]u on appelait Democbares, recteur de Tuniversite. C'etait propremeut un delateur et un espion du cardinal de Lorraine ; c'est pour lui CHAPITRE XXI. 327 qu'on invenU le sobriquet de mouchards, pour designer leses- pions , son nom seul est devenu une injure. Get inquisiteur suborna deux jeunes gens pour deposer que les prelendus reformes avaient fait, le jeudi saint, une assembiee dans laquelle, apres avoir mange un cochon en derision de I'an- cien sabbat, ils avaient eteintles lampes, et s'etaient abandonnes Iiommes et femmes, a une proslitulion generale. C'est une chose bien reraarquabie qu'une telle calomnie ait loujours ete mlenlee contre toutes les nouvelles sectes, a com- raencer meme par le chrislianisme, auquel on impula des abomi- nations pareilles. Les seclaires, nommes huguenots , reformes Protestants, evangeliques, furent poursuivis partout. On en con' damna plusieurs aux fiammes. Ce supplice ne parait pas propor- lionne au delil. Des gens qui n'etaienl convaincus que d'avoir prie Dieu dans leur langue naturelle, et d'avoir communie avec du pam leve et du vin, serablaient ne pas meriter un si affreux sup- plice; mais des longlemps I'Eglise s'etait servie des buchers pour pumr tous ceux qui avaient le malheur de ne pas penser comme elle. On supposait que c'etait a la fois imiter et prevenir la jus- tice divine, qui destine tous les ennemis de I'figlise au feu eterneL L^bucher elait regarde comme un commencement de I'enfer Deux chambres du parlement prirent egalemenl connaissance du crime d heresie, la grand'chambre et la tournelle, quoique depuis la grand'chambre se soil bornee aux proces civils, quand elle juge seule. Le roi donnait aussi des commissions parliculieres pour juger les delinquanls. On nommait ces commissions chambres ar- denies. Tant de supplices exciterent enfin la pilie; et plusieurs membresdu parlement, s'elant adonnes aux leltres, penserent que I'Eghse devait plutot reformer ses mceurs et ses lois, que verser le sang des hommes ou les faire perir dans les flammes. II arriva au mois d'aviil 1559, dans une assembiee qu'on nomme mercuriale, que les plus savants el les plus moderes du parlement proposerent d'user de moins de cruaute, el de chercher a reformer I'figlise. Ce fut I'avis du president Ranconet, d'Arnaud Ferrier, d'Antoine Fumee, de Paul de Foix, de Nicolas Duval, de Claude Viole, d'Euslache de la Porte, de Louis du Faur, et du celebre Anne Dubourg. Un de leurs confreres les d^noncaau roi. II violait en cela son •erment de conseilier, qui est de lenir les deliberations de la cour 328 HTSTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. secretes. U violait encore plus les lois de Thonneur el de I'cquile. Le roi , excite par les Guises , el seduit par cette malheureuse politique qui fait croire que la liberie de penser detruit I'obeis- sance, vint au parlement, le 15 juin 1559, sans etre aitendu. 11 etait accompagne de Bertrand, ou Berlrandi, cardinal, garde des sceaux, autrefois premier president du parlement, homme tout devoue aux maximes ultramontaines. Le connetable de Montmo- rency et plusieurs grands ofliciers de lacouronne prirent seance. Le roi , qui savait qu*on deliberait alors sur la meme matiere , voulut qu'on continual a parler en liberie : plusieurs lomberent dans le piege qu*on leur tendait. Le conseiller Claude Viole et Louis du Faur recommanderent eloquemment la reforme des moBurs et la tolerance des religions. Le conseiller Dubourg s'ex- pliqua avec encore plus de force ; il montra combien il etait affreux de voir regner a la cour la debaucbe, I'adullere, la concussion , I'homicide, landis qu'on livrait aux tourments et a la mort des citoyens qui servaient le roi selon les lois du royaume , et Dieu selon leur conscience. Dubourg , neveu du chancelier de ce nom , etait diacre ; sa cle- ricature Favait engage a etudier plus qu'un autre cette funeste theologie qui est, depuis tant de siecles, un amas d'opinions c^n- traires. La science I'avait fait lomber dans I'opinion de ces refor- mateurs ; d'ailleurs juge integrc, homme d'une vie irreprochable, et citoyen zele. Le roi ordonna au connetable de faire arreter sur le-champ Du- bourg , du Faur, de Foix , Fumee , la Porte : les aulres eurent le temps de se sauver. II y avail dans le parlement beaucoup plus de magistrals attaches a la maison de Guise qu'aux sciences. Saint- Andre et Minard , presidents aux enqueles , poursuivirenC la mort d'Anne Dubourg. Comme il etait dans le sacerdoce , il fut d*abord juge par Teveque de Paris , Du Bellai , assiste de Tinqui- siteur Mouchy : il appela comme d'abus de la sentence de I'eveque, il reclama son droit d'etre juge par ses pairs, c'est-a-dire par les chambres du parlement assemblees ; mais I'esprit de parti el Tas- servissement aux Guises Tayant emporte au parlement sur une de ses plus grandes prerogatives , Dubourg fut juge successive- ment a rofficialile de Paris , a celle de Sens et a celle de Lyon , el condamne dans toutes les trois a etre degrade et livre au brat seculier comme herelique. On le mena d'abord a Tofficialite; la, CHAPITRE XXL 329 elant revelu de ses habits sacerdotaux , on leslui arracha I'un apres I'aulre. On fit la ceremonie de passer legerement un mor- ceau de verre sur sa tonsure et sur ses ongles ; apres quoi il fut ramene a la Bastille, et condamne a etre etrangle et brule, par des commissaires du parlement que ses persecuteurs avaient nom- mes. II recut son arret avec resignation et courage : « fiteignez « vos feux , dit-il a ses juges , renoncez a vos vices , converlissez- « vous a Dieu. » II fut pendu et brule dans la place de Greve, le 19octobre 1559. Gui du Faur fut condamne par les memes commissaires a une interdiction de cinq ans , et a une amende de cinq cents livres. Son .arret porte : « Pour avoir teraerairement avance qu'il n'y a « point de meilleur remede, pour finir les troubles de TEglise , «« que I'assemblee d*un concile oecumenique ; et qu'en attendant « on doit suspendre les supplices. » Une grande parlie du parlement s'eleva conlre eel arret, et ac- cepta la protestation de du Faur; lout le parlement fut longtemps parlage, les esprits s'echaufferent ; et enfin le parti de la raison reraporUnt sur celui du fanatisme el de la servitude, le jugement des commissaires centre du Faur fut raye et biffe a la pluralite de^ voix. Cependant le conseiller Anne Dubourg ayant declare a la po- tence qu'il mourait serviteur de Dieu, et ennemi des abus de rfiglise romainc , son supplice fit plus de proselytes en un jour que les livres et les predications n'en avaient fait en plusieurs annees. Le nom catholique devint tellement en horreur aux pro- lestants , et les factions furent si animees, que, depuis ce temps jusqu'aux annees paisibles et trop courlesou Henri IV restaura le royaume , c'est-a-dire pendant plus de quaranle annees , il ne se passa pas un seul jour qui ne fut marque par des querelles san- glantes, par des combats parliculiers ou generaux, ou par des assassinats,ou par des emprisonnements, ou par des supplices. Tel fut retat ou les disputes de religion reduisirent le royaume pendant un demi siecle , tandis que la memo cause eut a peu pres les memes effets dans I'Anglelerre, dans TAIlemagne , et dans les Pays-Has. 330 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE XXH. Dc la conjuration d'Amboise , et de la condamnation k mort de Louis de Bourbon, prince de Comie. Si Anne Dubourg ne fut pas jugc par ses pairs assembles , un prince du sang ne le fut pas non plus par les siens. Francois de Guise et le cardiual de Lorraine son frere, tons deux etrangers, mais lous deux devenus pairs du royaume , Tun par son duche de Guise, I'aulre par son archeveche de Reims, elaienl les mailres absolus de T^tat , sous le jeune et faibie Francois II , qui avail epouse leur niece Marie Stuart. Les princes du sang, ecartes et humilies, ne purent se soutenir contre eux qu'en se joignant secretement aux protestants, qui commencaient a faire un parti considerable dans le royaume. Plus ils etaient persecutes, plus leur nombre croissail : le martyrc dans tous les temps a fait des proselytes. Louis de Conde , frere d'Antoine de Bourbon roi de la basse Navarre, entreprit d'oler aux Guises un pouvoir qui ne leur ap- partenait pas, et se rendit criminel dans une juste cause, par la fameuse conspiration d'Amboise. Elle fut tramee avec un grand nombre de gentilshommes de toutes les provinces , les uns ca- tholiques, les autres protestants ; elle fut si bien conduite, qu'apres avoir ete decouverle, elle fut encore formidable. Sans unavocal, nomme d'Avenelles , qui la decouvrlt , non par zele pour I'fitat , mais par inleret, le succes etait infaillible; les deux princes lor- rains etaient enleves ou tues dans Amboise. Le prince de Conde, chef de Tentreprise, employait les conjures, d'un bout de la France a Tautre, sans s'etre decouvert a eux. Jamais conspiration ne fut conduite avec plus d'art et plus d'audace. La plupart des principaux conjures moururent les armes a la main. Ceux qui furent pris aupres d'Amboise expirerent dans les supplices ; et cependant il se trouva encore dans les provinces des gentilshommes assez hardis pour braver les princes de Lorraine, victorieux et tout-puissants : entre autres, le seigneur de Mouvans demeura en armes dans la Provence ; et quand le due de Guiso voulut le regagner, Mouvans fit a ses emissaires cette reponse : « Diles aux princes lorrains que tant quMls persecuteront les « princes du sang, ils auront dans Mouvans un ennemi irrecon- CHAPITRE XXII. 331 « ciliablc. Tout pauvre qu'il est, il a des amis gens de cceur. » Le prince de Conde, qui attendait dans Amboise aupres du roi la vicloire ou la defaile de ses partisans, fut arrete dans le cha- teau d'Amboise par le grand prevot de I'hotel, Anloine du Plessis Richelieu, tandis qu'on faisait mourir ses complices par la corde ou par la hache; mais il avait si bien pris ses mesures et il parla avec tant d'assurance , qu'il fut mis en liberie. La conspiration , decouverle et punie, ne servit qu'a rendre Francois de Guise plus puissant. Le connetable Anne de Montmo- rency, reduit a recevoir ses ordres et a briguer sa faveur, fut envoye au parlement de Paris comme un simple gentilhomm'e de la maison du roi, pour rendre compte de la journee d'Amboise, et pour mlimer un ordre de ne faire aucune grace aux heretiques. Le veridique de Thou rapporle, en propres mots, « que les « presidents et les conseillers comblerent a I'envi les princes de « Lorraine d'eloges ; le parlement en corps viola I'usage, et abaissa « sa dignite, dit-il, jusqu'a ecrire au due de Guise, et a I'appeler, « par une liche flatterie , le conservateur de la patrie. « Ainsi tout fut faibie ce jour-la, le parlement et le connetable. La meme annee 1560, le prince de Conde, echappe d'Amboise et s'etant retire dans le Beam , s'y declara publiquement de la re- ligion reformee ; et I'amiral de Coligni presenla une requete au roi, au nom de tous les protestants du royaume , pour obtenir une liberie entiere de I'exercice de leur religion; ils avaient deja deux mille deux cent cinquante cglises, soit publiques, soit se- cretes; tant le sang de leurs freres avait cimente leur religion! Les Guises virent qu'on allait leur faire une guerre ouverte. Les protestants voulurent livrer la ville de Lyon au prince de Conde; ds ne reussirent pas : les calholiques de la ville s'armerent contre eux , et il y eut aulanl de sang repandu dans la conspiration de Lyon que dans celle d'Amboise. On ne pent concevoir comment, apres cette action, le prince de Conde et le roi de Navarre , son frere, oserent se presenter a la cour, dans Orleans, ou le roi devait tenir les etats. Soit que le prince de Conde crut avoir conduit ses desseins avec assez d'a- dresse pour n'elre pas convaincu , soit qu'il pensat etre assez puissant pour qu'on craignil de mettre la main sur lui, il se pre- senta, et il fut arrete par Philippe de Maille et par Chavigny le Roi, capitaine des gardes. Les Guises croyaient avoir assez de 332 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. preuves centre lui pour le condamner a perdre la vie ; mais n*en nyant pas assez centre lo roi Antoine de Navarre, le cardinal de Lorraine resolut de le faire assassiner. li y fit consenlir le roi Francois II. On devait faire venir Antoine de Navarre dans la chambre du roi ; ce jeune monarque devait lui faire des rcpro- ches ; les temoins devaient s' eerier qu'Anloinc raanquait de res- pect au roi , et des assassins apostes devaient le tuer en presence du roi meme. Antoine, naande dans la chambre de Francois II, fut averli a la porte, par un des siens, du coraplot forme contre sa vie. « Je ne puis reculer, dil-il; je vous ordonne seulemenf, si vous m'aimez, de porter ma chemise sanglante a mon fils , qui liraun jour dans mon sang ce qu*il doit faire pour me venger. » Francois II n'osa pas commettre ce crime, il ne donna point le signal convenu. On se contenta de proceder contre le prince de Conde. II faut encore observer ici qu'on ne lui donna que des comqjissaires, le chancelier de I'Hospital , Christophe de Thou, president du par- lemenl , pere de I'historien , les conseillers Faye et Viole. lis I'in- terrogerent, et ils devaient le juger avec les seigneurs du conseil etroit du roi ; ainsi le due de Guise lui-meme devait etre son juge. Tout etait contre les lois dans ce proces. Lo prince appelait en vain au roi : en vain il representait qu'il ne devait etre juge que par les pairs assembles ; on declarait ses appels mal fondes. Le parlement , intimide ou gagne par les Guises , ne fit aucune demarche. Le prince fut condamne a la pluralile des voix dans le conseil du roi, ou Ton fit enlrer le president Christophe de Thou et les deux conseillers du parlement. Francois II se mourait alors ; tout allait changer; le connetable de Montmorency etait eo chemin, et allait reprendre son autorite. L'amiral Coligni, neveu du connetable, s*avan(jait ; la reine-mere , Catherine de Medicis , etait incertaine et accablee ; le chancelier de THospital ne voulait point signer I'arret ; les deux princes de Guise oserent bien la presser de faire executer le prince de Conde deja condamne, el le roi de Navarre son frere, a qui on pouvail faire le proces en un jour. Le chancelier de I'Hospital soutint la reine chancelante contre cetle resolution desesperee. Elle prit un parti sage ; le roi son fils touchait a sa fin , elle profita des mo- ments ou elle etait encore maitresse de la vie des deux princes pour 8c reconcilier avec eux , et pour conserver son autorite malgre la CHAPITRE XXIII. 333 maison de Lorraine. Elle exigea d'Antoine de Navarre un ecril par lequel il renoncail a la regence, et se I'assura a elle-mcme dans son cabinet, sans consulter ni le conseil , ni les deputes des etats generaux qu'on devait tenir a Orleans, ni aucun parlement du royaume. * Francois II, son fils, mourut le 5 decembre,age de dix-sept ans et dix mois ; son frere, Charles IX, n'avait que dix ans et demi. Catherine de Medicis sembia maitresse absolue les premiers jours de ce regne. Elle lira le prince de Conde de prison, de sa seule autorite; ce prince et le due de Guise se reconcilierent et s'em- brasserent en sa presence , avec la resolution determinee de se detruire I'un I'aulre ; et bientot s'ouvrit la carriere des plus hor- ribles exces ou I'esprit de faction , la superstition , I'ignorance revetue du nom de theologic, le fanatisme et la demence, aient jamais porte les liommcs. Pendant que Francois II touchait a sa fin , le parlement de Paris reprima, autant qu'il le put, par un arret authenlique , des maximes ullramontaines capables d'augraenler encore les troubles de rfitat. Les aspirants au doclorat soutiennent en Sorbonne des theses theologiques, ignorees pour I'ordinaire du reste du monde ; mais alors elles excitaient I'attention publique. On soutint, dans une de ces theses, « que le pape, souverain monarque de I'fi- « glise , pent depouiller de leurs royaumes les princes rebelles a « ses decrets. » Le chancelier de I'Hospital envoya des lettres patentes au president Christophe de Thou et a deux conseillers, pour informer sur cette these aussi criminelle qu'absurde. Tan- querel, qui I'avait soulenue, s'enfuil. Le parlement rendit un arret par lequel la Sorbonne asscmblce abjurerait I'erreur de Tanquerel. Le docteur le Goust demanda pardon pour Tanquerel , au nom de la Sorbonne, le 12 decembre 1560. On eut dans la suite des maximes plus affreuses a refuter. CHAPITRE XXIII. Des premiers troubles sous la regence de Catherine de Mtfdicis. Des que le faible Francois II eut fini son inutile vie, Catherine Medici , que nous nommons dc Medicis , assembia les etats dans Orleans, le 13 decembre 1360. Le parlement de Paris ni aucun 19 S34 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. autre n'y envoyerenl de deputes. A peine, dans ces etats, parla- t-on de la regence; on y confirma seulement au roi de Navarre la lieutenance gcnerale du royaurae, titre donne trois fois aupara- vant a Francois, due de Guise. La reine ne prit point le nom de regente, soit qu*elle crut que le nom de reine, mere du roi, dut iui suffire, soit qu'elle voulut eviler des formalitcs; elle ne voulait que rcssentici du pouvoir. Les etats meraes ne Iui donnerent point le tilre de majeste ; les rois alors le prenaient rarement. Nous avons encore beaucoup de lettres de ce temps-lii, oil Ton dit a Charles IX et a Henri III, Voire Aliesse. La variete et rinconstance s'etendent sur les noms et sur les choses. Catherine de Medicis elait interessee a rabaisser les Guises, qui Favaient hurailiee du temps de Francois II ; et dans cette idee elle favorisa d'abord les calvinisles. Le roi de Navarre I'elait, mais il craignait toujours d'agir. Le connelable de Montmorency, I'homme le plus ignorant de la cour, et qui a peine savait signer son nom, fut longteraps indccis;mais sa femme, Madeleine de Savoiej aussi bigote que son man elait ignorant , I'emporta sur les Co' ligni , et determina son mari a s'unir avec le due de Guise. Le marechal de Saint-Andre se joignit a eux , et on donna a cette union le nom de Iriumviral , parce qu'on aime toujours a com- parer les petites choses aux grandes. Saint-Andre elait en lout fort au-dessous de Francois de Guise et de Montmorency; il elait le Lepide de ce Iriumvirat, d'ailleurs plus connu par ses debau- ches et par ses rapines que par ses actions. Ce fut la le premier signal des divisions au milieu des etats d'Orleans. La reine-mere envoya d'abord unordre,au nom du roi son fils, a lous les gouverneurs de provinces, de pacifier autant qu'ils le pourraient les troubles de religion. Cetle decla- ration defendait aux peuples de se servir des noms odieux lU huguenots et de papistes. Elle rendait la liberie a lous les | ri- sonniers pour cause de religion ; elle rappelait ceux que la cralnlc avait fait retirer hors du royaume depuis le temps de Francois I*'. Rien n'etait plus capable de ramener la paix , si les hommes eus- sent ecoute la raison. Le parlemenl de Paris, aprcs beaucoup de debats, fit des re- raontrances. II allegua que cetle ordonnance dcvait etre adressee au parlement du royaume, et non aux gouverneurs des provinces. CHAPITRE XXin. 336 II se plaignit qu'on donnat Irop de liberie aux novateurs. La reine mena son fils au parlement, au mois de juillet : iamais il n'y eut une plus grande assemblee. Le prince de Conde y elait lui-meme. On y (it enregistrcr I'edit qu'on norame de juillet , edit de Con- corde et de paix , beaucoup plus delaille que I'ordonnance dont on se plaignait; edit qui recommandait a tous les sujets la tole- rance , qui defendait aux predicateurs les termes injurieux, sous peine de la vie, qui prohibait les assemblees publiques, et qui, en reservant aux ecclesiastiques seuls la connaissance de I'heresie, prescrivait aux juges de ne prononcer jamais la peine de mort conlre ceux memes que Ifiglise livrerait au bras seculier. Cet edit fut suivi du colloque de Poissy, tenu au mois d'au- guste 1561. Cette conference ne pouvait etre qu'inutile entre deux partis diametralement opposes. D'un cote Ton voyait un cardinal de Lorraine , un cardinal de Tournon , des eveques com- bles de richesses , un jesuite nomme Lainez, et des moines, de- fenseurs opiniatres de I'aulorite du pape; de I'aulre elaient de simples ministres protestants, tous pauvres, tous voulant qu'on fut pauvre comrae eux , et lous ennemis irreconciliables de cetle puissance papale qu'ils regardaient comme I'usurpalion la plus tyrannique. Les deux partis se separcrent tres-meconlents i'uii de I'aulre, ce qui ne pouvait etre aulrement. Jacques-Auguste de Thou rapporte que le cardinal de Tournon ayant reproohe vivement a la reine d'avoir mis au hasard la reli- gion romaine en permellant cetle dispute publique, Catherine Iui repondit : « Je n'ai rien fait que de I'avis duconseil et du parlemenl « de Paris, w II paraitcependanl que la majoriledu parlemenl elail alors conlre les reformateurs. Apparemment la reine entendait que les princi- pales teles de ce corps Iui avaient conseille le colloque de Poissy. Apres cette conference, dont on sorlit plus aigri qu'on n'y elait entre, la cour, pour prevenir les troubles, assembia dans Saint- Germain-en-Laye , le 17 Janvier 1562, des deputes de tousles parlements du royaume. Le chancelier de I'Hospilal leur dit que, dans les divisions et dans les malheurs de I'Elat, il ne fallait pas imiter Caton, a qui Ciceron reprochait d'opiner dans le sein de la corruption comme il eut fait dans les temps vertueux de la repu- blique. S36 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. On proposa des temperaments qui adoucissaient encore I'edil de juillet. Par ce nouvei edit, longlemps connu sous le nom d'edil de Janvier, il ful permis aux reforraes d'avoir des temples dans les faubourgs de toutes les villes. Nul magistrat ne devait les in- quieter; au conlraire, on devait leur preter main-forte conlre toute insulle, et condamner a mille ecus d'or d'amende ceux qui troubleraient leurs assemblees ; mais aussi ils devaient restituer les eglises, les maisons, les terres, les dimes dont ils s'etaienl em- pares, lis ne pouvaient, par eel edit, convoquer aucun synode qu'en presence des magistrals du lieu. Enfin on leur enjoignait d'etre en tout des citoyens soumis, en servant Dieu selon leur conscience. Quand il fallul enregistrer ce nouvei edit, le parleraent fit en- core plusieurs remontrances. Enfin , apres Irois letlres de jus- sion, il obeit, le 6 mars *, en ajoulant la clause, « Qu'il cedait a « la volonte absolue du roi; qu'il n'approuvait point la religion « nouvelle, et que I'edit ne subsisterait que jusqu'a nouvei or- « dre. » Cette clause, dictee par le parti des Guises et du triumviraf, inspirala defiance aux reformes, et rendit les deux edits de pacifi- cation inutiles. Les querelles d'fitat et de religion augmenterent par les moyens memes qu'on avail pris pour les pacifier. Le petit Iriumviral, la faction des Guises el celk des prelres menaoaienl et choquaient dans toutes les occasions le parti des Conde, des Coligni et des reformes : on elait encore en paix , mais on respirail la guerre civile. Le hasard qui causa le massacre de Vassy fit enfin courir la France entiere aux armes ; el si ce hasard n'en avail pas ele la cause, d'autres elincelles auraient suffi pour allumer I'embra- sement. Le prince de Conde s'empara de la ville d*0rl6ans (avril 1562),. el se fit declarer, par son parti, protecteurdu royaume de France; soil quMI emprunl&t ce litre des Anglais, comme il est tres-vrai- sembiablc, soil que les circonstances presenles le fournissenl d'elles- memes. Au lieu d'apaiser cette guerre civile naissante, le parlement, 06 le parli des Guises dominail toujours, rendit, au mois de ]uill» 1363. CHAPITRE XXIV. 337 15«2, plusieurs arrets par lesquels il proscrivait les protcstants, ordonnait a toutes les communaules de prendre les armes, de pour- suivre el de tuer tons les novaleurs qui s'assembleraient pour prier Dieu en francais. Le peuple dechaine par la magislrature exerca sa cruaute or- dinaire parlout oil il ful le plus fort; a Ligueil en Touraine il elrangla plusieurs habitants, arracha les yeux au pasteur du tem- ple, et le brula a petit feu. Cormeri, Loches, I'ile Bouchard, Azay- le-Rideau, Vendome, furenl saccages ; les lombeaux des dues de Vendome mis en pieces , leurs corps exhumes, dans I'esperance d'y trouver quelques joyaux , et leurs cendres jetees au vent. Ce ful le prelude de cette Sainl-Barlhelemy qui effraya I'Europe dix annees apres, et dont le souvenir insplrera une horreur elernelle. CHAPJtBE XXIV. Du chancelier de I'HospUal. De Fassassinat de Francois de Guise. On croil bien que toutes ces cruautes ne furenl point sans represailles; les proteslants firenl aulant de mal qu'on leur en faisait, et la France ful un vaste theatre de carnage. Le parlemenl de Toulouse ful parlage. Vingl-deux conseillers lenaient encore pour les edits de pacification ; les aulres voulaient que les protes- lants fussent extermines. Ceux-ci se retrancherent dans Ihotel de ville; on se ballil avec fureur dans Toulouse; il y peril trois a quatre millc citoyens, et c'esl la I'origine de cette fameuse pro- cession qu'on fait encore a Toulouse lous les ans, le 10 mars, en memoire de ce qu'on devrail oublier. Le chancelier de THospital, sage el inutile medecin de cette frenesie universelle, cassa vaine- menl I'arrel qui ordonnait cette funeste ceremonie annuclle. Le prince de Conde cependanl faisait une veritable guerre. Son propre frere, le roi de Navarre, apres avoir longlemps flolte enlre la cour el le parti prolestant , ne sachanl s'il elait calviniste ou papiste, toujours incertain et toujours faible, suivil le due de Guise au siege dc Rouen , dont les troupes du prince de Conde s'etaienl emparees ; il y ful blesse a mort, en visitant la Iranchee, le 13 octobre 1562 : la ville ful prise el livree au pillage. Tous les partisans du prince de Conde qu'on y trouva furenl massa- 338 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE XXIV. 339 cres, excepte ceux qu'on reserva au supplice. Le chancelier de I'Hospital, au milieu de ces meurtres, Ht encore publier un edit par lequel le roi el la reine sa mere ordonnaient a tous les parle- ments du royaume de suspendre loute procedure criminelle conlre les hereliques, et proposaient une amnislie geuerale a ceux qui s'en rendraient dignes. Voila le troisieme arret de douceur et de paix que ce grand homme fit en moins de deux ans ; mais la rage d'une guerre a la fois civile et religieuse I'emporta toujours sur la tolerance du chancelier. Le parlement de Normandie, malgre I'edit, fit pendre Irois con- seillers de viile et le predicant ou ministre Marlorat, avec plusieurs officiers. Le prince de Conde a son lour souffrit que dans Orleans, dont il etait mailre, le conseil de vilie fit pendre un conseiller du parle- ment de Paris , nomme Sapin, et un pretre qui avail ete pris en voyageanl ; il n*y avail plus d'autre droit que celui de la guerre. Celte meme annee, se donna la premiere bataille rangee entre les catholiques el les huguenots, aupres de la petite ville de Drcux, non loin des campagnes d'lvry, lieu ou depuis le grand Henri lY gagna et merita sa couronne. D'un cote on voyail ces trois triumvirs, le vieux el malheureux connelable de Montmorency; Francois de Guise, qui n'etait plus lieutenant general de I'ttal, mais qui, par sa reputation, en etait le premier homme ; et le marechal de Saint- Andre, qui comman- dait sous le connelable. A la tele de I'armee proteslanle elait le prince Louis de Conde, I'amiral Coligni, et son frere d'Andelot : presque tous les officiers de Tune et de I'aulre armee etaient ou parents ou allies, el chaque parti avail amene des troupes elrangeres a son secours. L'armee catholique avail des Suisses, I'aulre avail des reilres. Ce n'est pas ici le lieu de decrire cello bataille : elle fut, comme toutes celles que les Francais avaient donnees, sans ordre, sans art, sans ressource prevue. II n'y eul que le due de Guise qui sul meltre un ordre certain dans le petit corps de reserve qu'il com- mandait. Le connelable fut enveloppe et pris, comme il I'avail ete a la bataille de Saint-Quentin. Le prince de Conde eul le meme sort. Le marechal de Saint-Andre, abandonne des siens, fut lue oar le lils du greffier de I'hdtel de ville de Paris, nomme Bobigni, Ce marechal avail emprunle de I'argent au greffier : au lieu de payer le pere, il avail maltraile le fils. Celui-ci jura de s'en venger, el tint parole. Un simple citoyen qui a du courage est superieur, ilans une balaille, a un seigneur de cour qui n*a que de Torgueil. Le due de Guise voyanl les deux chefs opposes prisonniers, et lout en confusion, fit marcher a propos son corps de reserve, el gagna le champ de balaille : ce fut le 20 decembrc 1562. Fran- cois de Guise alia bientot apres faire le siege d'Orleans. Ce fut la qu'il fut assassine, le 18 fevrier 1563, par Pollrol de Mere, gen- lilhomme angoumois. Ce n'etait pas le premier assassinat que la rage de religion avail fail commellre. II y en avail cu plus de qualre millc dans les provinces; mais celui-ci fut le plussignale, par le grand nom de I'assassine, et par le fanalisme du meurtrier, qui crut servir Dieu en tuant I'ennemi de sa secle. J'anliciperaiici un peu le lemps pour dire que quand Charles IX revint a Paris, apres sa majorite, la mere du due de Guise, An- toinette de Bourbon , sa femme Anne d'Est, el loute sa famille, vinrenl en deuil se jcler aux genoux du roi, et demander justice conlre I'amiral Coligni, qu'on accusait d'avoir encourage Pollrol a ce crime. Le parlement condamna Pollrot, le 18 mars, a elre dechire avec des tenailles ardentes, lire a qualre chevaux et ccartele, sup- plice reserve aux assassins des rois. Le criminel varia toujours a la question , tanlot chargeant Tamiral Coligni et d'Andelot, son frere, tanlot les justifiant. II demanda a parler au premier presi- dent, Christophe de Thou, avanl que d'aller au supplice. II varia de meme devant lui. Tout ce qu'on put enfin conjeclurer de plus vraisemblable, c'est qu'il n*avail d'autre complice que la fureur du fanalisme. Tels ont ete presque tous ceux a qui Tabus de la religion chrelienne a mis dans tous les lemps le poignard a la main , tous aveugles par les exemples de Jael, d'Aod, de .ludilh et de Malhathias, qui tua dans le temple I'officier du roi Antio- chiis, dans le lemps que ce capitaine voulait executer les ordres de son mailre, el sacrificr un cochon sur Tautel. Tous ces as^ssi- nats elant malheureusement consacres, il n'est pas elonnant que des fanaliques absurdes, ne dislinguanl pas les temps el les lieux, aient imile des altenlals qui doivent inspirer I'horreur, quoique rapporles dans un livre qui inspire du respect. 340 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE XXVI. 34t CHAPITRE XXV. De la majority de Charles LX , et de ses suites. Apres la prise de Rouen et la bataille de Dreux, le chancelier de I'Hospital rcussil a donner a la France quelque ombre de paix. On posa les arraes des deux coles , on rendit tous les prisonniers. II y eut un quatrieme edit de pacification signe et scelle a Amboise le 19 mars 1563, public et enregislre au parlement de Paris el dans toutes les cours du royaume. Le roi fut ensuite declare majeur au parlement de Normandie ; il n'avait pas encore quatorze ans accomplis; ne le 27 juin 1550, I'acle de sa majorite est du 14 auguste 15G3 : ainsi il etait kge de Ireize ans un mois et dix-sept jours. Le chancelier de THospilal dil, dans son discours , que c'elait pour la premiere fois que les annees commencees passaient pour des annees accomplies. II est difficile de demeler pourquoi il parlait ainsi : car Charles VI fut sacre a Reims en 1380, age de Ireize ans et quelques jours. Ce fut plutot la premiere fois qu*un roi fut declare majeur dans un par- lement. Charles IX s'assil sur un Irone ; la reine sa mere vint lui baiser la main a genoux ; elle fut suivie d'Alexandre, due d'Or- leans, qui fut depuis le roi Henri III ; du prince de Navarre, c*est le grand Henri IV ; ensuite Charles, cardinal de Bourbon, le prince Louis de Monlpensier, Francois son fils, nomme le Dauphin iTAu- vergne, Charles de la Roche-sur-Yon, rendirenl le meme hom- mage, et vinrenl se ranger aupres du roi. Le cardinal de Lorraine et le cardinal Odet de Chdlillon, frere de I'amiral, suivirent les princes. II est a remarquer que le car- dinal de Chalillon s'etait declare protestanl ; il s'elait publique- menl marie a Theritiere de Pequigny, el il n'en assista pas moins en habit de cardinal a celte ceremonie. £leonore, due de Longue- ville, descendant du fameux Dunois, baisa la main du roi apres les cardinaux ; ensuile vint le connetable de Montmorency, I'epee nue a la main ; le chancelier Michel de I'Hospilal , quoique fils d*un medecin, et n'etant pas au rang des nobles, suivit le conneta- ble; il precedales marechauxde Brissac, de Montmorency, de Bour- dillon. Le marquis de Gouffier de Boisy, grand ccuyer, parut apres les marechaux de France. L'edit fut porte par le marquis de Saint-Gelais de Lansac au parlement de Paris, pour y elre enregislre ; « mais, dit le presi- « aent de Thou, ce parlement le refusa; il depula Chrislophe de « Thou ( son pere), Nicolas Prev6t» president des enqueles, et le « conseiller Guillaume Viole, pour representer qu'aucun edit ne « devait passer en aucun parlement du royaume, sans avoir cle ft auparavant verifie a celui de Paris ; que l'edit sur la majorite « du roi porlait que les huguenots auraient liberie de conscience, « mais qu'en France il ne devait y avoir qu'une religion ; que le « meme edit ordonnait a lout le monde de poser les armes, mais « (jue la ville de Paris devait elre loujours armee, parce qu'elle « etait la capitale et la forleresse du royaume. » Le roi, quoique jeune, mais instruit par sa mere, repondit : « Je « vous ordonne de ne pas agir avec un roi majeur comme vous « avez fail pendant sa minorile; ne vous melez pas des affaires « donl il ne vous appartient pas de connaitre ; souvenez-vous que « voire compagnie n'a ele etablie par les rois que pour rendre la « justice suivanlles ordonnances du souverain. Laissez au roi et « a son conseil les affaires d'filat ; defaites-vousde I'erreur de vous « regarder comme les tuteurs des rois, comme les defenseurs du « royaume , et comme les gardiens de Paris. » Les deputes ayant rapporle a la compagnie les intentions du roi, le parlement delibera : les sentiments furent par lages. Pierre Seguier, president qu'on nomme a morlier, c'esl-a-dire president de lagrand'chambre du parlement, et Francois Dormy, president des enqueles, allerenl rendre comple de ce parlage au roi, qui etait alors a Meulan. Le roi cassa, le 24 seplerabre, cet arret de parlage, ordonna que la minute serait biffee el laceree; et enfin le parlement enregislra l'edit de la majorile le 28 septembre de la meme annee. CHAPITRE XXVL De rintroduction des j&uites en France. On sait assez que I'Espagnol Ignace de Loyola, s'elant declare le chevalier errant de la Vierge Marie, et ayant fail la veille des armes en son honneur, elail venu apprendre un peu de latin a Paris a I'dge de Irenle-lrois ans ; que n'ayant pu y reussir, il fit 342 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. voeu avec quelques-uns de ses compagnons d'aller converlir Ics Turcs, quoiqu'il ne sulpas plus le turcque le latin. Enfm, n'ayaut pu passer en Turquie, ii se consacra lui el les siens a enseigner le catechisme aux petils enfdnts, el a faire loul ce que voudrail le pape. Mais pcu do gens savcnl pourquoi il nomma sa congregation najssante la Societe de Jesus. Les historiens de sa vie rapportent que sur le grand chemin de Rome ii ful ravi en extase ; que le Pere elernel lui apparut avec son fds charge d'une longue croix, el se plaignanl de ses dou- leurs : le Pere eternel recommanda ignace a Jesus, el Jesus a Ignace. Des ce jour il appela ses compagnons jw«t««, ou Com- pagnie de Jesus. II ne faut pas s'etonner qu'une compagnie a la- qoelle on a reproche tanl de politique ail commence par le ridicule : la prudence acheve souvent les edifices fondes par le fanatisme. Les disciples d*Ignace obtinrenl de la protection en France. Guillaume Dupral, eveque de Clermont, fils du cardinal Dupral, leur donna dans Paris une maison qu'ils appelerent le college de Clermont, etleurleguatrente-six mille ecus par son testament. lis se mirenl aussitota enseigner. L'universitede Paris s'opposa a cette nouveaute, en 1554. L'eveque Eustache du Bellay, a qui le parlement renvoyales plaintesde Tuniversile, declara que Tins- titut etail conlraire aux lois el dangereux a Itlat. Le cardinal de Lorraine, qui les protegeait, oblint, le 25 avril 1560, des lellres de Francois II au parlemenl de Paris, porlant ordre d'enregislrer la bulle du pape el la patenle du roi qui etablissaienl les jesuites. Le parlement, au lieu d'enregistrer les lettres, renvoya I'.iffaire a I'assemblee de I'figlise gallicane. C'elait precisement dans le temps du colloque de Poissy. Les prelals qui y etaient assembles en grand nombre approuverent rinstitul sous le nom de Societe, et non d'ordre religieux, a condition qu'ils prendraienl un autre nom que celui de jesuites. L'universitcalors leur intenta procesau parlemenl, apres avoir consulle le celebre Charles Dumoulin. Pierre Versoris plaida pour eux; le savant fitienne Pasqoier, pour I'universite. (5 avril 1562 ) Le parlement rendit un arret par lequel, en se remeltanl a deliberer plus amplemenl sur leur institut, il leur permellail par provision d'enseigner la jeunesse *. • Le prdsident Henault (lit (|ii'ii- u'ouvrirent leur college qu'en 1574 Cette mdprise est pen iinportantc. CHAPITRE XXVn. 343 Tel ful leur elablissement , telle fut I'origine de loules les querelles qu'ils essuyerenl el qu'ils susciterenldepuis,et qui entin lesonl chasses du royaume. CHAPITRE XXVII. Du chancelier de T Hospital , et de ses lois. LMnlroduclion des jesuites en France ne servit pas a eleindre les feux que la religion avail allumes. lis etaient, par un voeu par- ticulier, devoues aux ordres du pape ; et I'Espagne etanl le berceau de leur inslilut, les premiers jesuites etablis a Paris furent les emissaires de Philippe II, qui fondail une parlie de sa grandeur sur les miseres de la France. Le chancelier de I'Hospital etail presque le seul homme du con- seil qui voulul la paix. A peine avait-il donne un edit de pacitica- tion, que les predicaleurs catholiqucs el proleslants prechaienlle meurlre dans plusieurs provinces, el criaienl aux armes. L'Hospital, pour derniere ressource, imagina de faire voyager le jeune roi Charles IX dans loules les provinces de son royaume. On le monlra de ville en ville , comme celui qui devait guerir tanl de maux. A peine avail-on de quoi subvenir aux frais de ce voyage ; I'agriculture etail negligee , presque loules les ma- nufactures elaienl tombees; la France etail aussi pauvre que luibulenle. Ce ful dans ce voyage que le legislaleur I'Hospital til la celebre ordonnancede Moulins, en 1566. On vil les plus sages lois naitre dos plus grands troubles. II venail d'etablir la juridiction consu- laire a Paris el dans plusieurs villes, el par la il abregeail des procedures ruineuses, qui elaienl un des malheurs des peuples. L'cdil de Moulins ordonne la frugalite el la modeslie dans les vele- menls, que la pauvrele publique ordonnait assez, el que le luxe des grands n'obscrvail guere. C'esl depuis cette ordonnance qu'il n'esl plus permis de rede- mander en justice des creances au-dessus de cent livres , sans produire des billets ou des contrals. L'usage conlraire n'avail ele itabli que par I'ignorance des peuples, chez qui Tart d'ecrire etait tres-rare. Les anciennes substitutions failes a I'infini furenl limi- tees au qualrieme degre. Toutes les donations furent enregislrees ^} S44 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. hi i\ au greffe le plus voisin , pour avoir une authenticite certaine. Les meres qui se remariaient n'eurent plus le pouvoir de donner leurs biens a leur second mari. La plupart de ces utiles regle- ments sont encore en vigueur. II y en eut un plus salutaire que tous les autres, qui n'essuya que les murmures publics : ce fut rabolissemeiit des confreries. La superstition les avail etablies chez les bourgeois, la debaucbe les conservait ; on faisait des pro- cessions en faveur d'un saint dont on portait I'image grossiere au bout d'un baton ; apres quoi on s'enivrait, et la fureur dc I'ivresse redoublait ceile des factions*. Ces confreries servirent beaucoup a former la Ligue, dont le cardinal de Lorraine avail fait des longtemps le projet. Get article el quelques autres empecherenl le parlcment de Paris d'enregislrer I'edil de Moulins ; mais, apres deux reraon- Irances, il fut verifie le 23 decembre 1566. Ge qui rendait le parlemenl difficile elait la maniere un peu dure dont le cbancelicr s'etait ex prime devant I'assemblec des no- tables, convoquee a Moulins pour y publier ces lois. Elle etait for- mee de tous les princes du sang, de tous les grands ofticiers du royaume, et de plusieurs eveques. On avail appele a ce conseil le premier president du parlemenl de Paris, Ghristophe de Thou, et Pierre Seguier, president ; Jean Daftis, premier president du par- lemenl de Toulouse ; Jacques-Benoil de Largebaston, de celui de Bordeaux ; Jean Truchon, de celui de Grenoble ; Louis le Fevre, de celui de Dijon; el Henri Fourncau, president au parlemenl d'Aix. L'Hospital commenca sa harangue en disanl que presque lous les maux de TEtat avaient leur origine dans la mauvaise adminis- tration de la justice ; qu'on avail trop soufferl que des juges resi- gnassenl leurs offices a des hommes incapables ; qu'il fallait di- minuer le nombre inutile des conseillers, supprimer les cpices, ct soumettre les juges a la censure. II parla bicn plus fortement dans le lit de justice que le roi tint a Bordeaux dans ce voyage. « Messieurs, dit-il, le roi a trouve beaucoup de faules en ce « parlemenl , lequel etant comme plus dernierement institue , car « il y a cent el deux ans, vous avez moindre excuse de vous de- « parlir desanciennes ordonnances; el loutefois vous etes aussi « debauches que les vieux, par avenlure pis.... Enfm voici une 1366. CHAPITRE XXVIII. S4& « maison mal reglee. La premiere faule que je vous vois commet- « tre, c'esl de ne garder les ordonnances ; en quoi vous desobeissez « au roi. Si vous avez des remonlrances a lui faire, faitesles, el « conuoilrez apres sa derniere volonte. G'est votre faute aussi a « vous, presidents el gens du roi, qui devez requerir Tobservation M des lois ; mais vous cuidez elre plus sages que le roi, et eslimez « tanl vos arrets que les meltcz par-dessus les ordonnances, que « vous interpretez comme il vous plait. J*ai eel honneur de lui « etre chef de justice; mais je serois bien marri de lui faire une « interpretation de ses ordonnances de moi-meme , et sans lui u communiquer. « On vous accuse de beaucoup de violences : vous menacez les « gens de vos jugemenls, el plusieurs sont scandalises de la ma- « niere dont failes vos affaires, el surtoul vos mariages : quand « on sail quelque riche heritiere, quant el quant c'esl pour M. le ■ conseiller, el on passe outre.... « 11 y en a entre vous lesquels pendant ces troubles se sont « fails capitaines; les autres, commissaires des vivres Vous « baillez meme votre argent a interet aux marchands, et ceux-la lote de M. Beuchot. ) ** II est omis comme garde des sceaux dans VAbrege chronologique du ffi'^idcut llcnaiilt. •40 J 350 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. plus horrible. La maniere juridiqiie dont la cour voulut soutenir et justifier ces massacres fut ce qu*on a vu jamais de plus l&che. Charles IX alia lui-meme au parlement le troisieme jour des mas- sacres, et pendanl qu'ils duraient encore. II presupposa que I'a- miral de Coligni el tous ceux qu'on avail egorges, et dont on con- linuait de poursuivre la vie, avaienl fait une conspiration contre sa personne el contre la famiilc royale, et que celle conspiration etait prete d'eclater, quand on se vil oblige de Tetouffcr dans le sang des complices. II n'etait pas possible que Coligni , assassine trois jours avant par Maurevert, presque sous les yeux du roi, et blesse tres-dan- gereusement, eiit fait dans son lit cette conspiration pretcndue. C'etait le temps des vacances du parlement; on assembia ex- pres une chambre extraordinaire. Cette chambre condamna , le 27 septembre 1572, 1'amiral Coligni , deja mort et mis en pieces, a etre Iraine sur la claie , et pendu a un gibet dans la place de Greve, d'ou il serait porte aux fourches patibulaires de Montfau- con. Par cet arret, son chateau de Chatillon-sur-Loing fut rase , les arbres du pare coupes; on sema du sel sur le territoire de cette seigneurie : on croyait par la rendre ce terrain sterile , comme s'il n'y eut pas eu dans ces temps deplorables assez de friches en France. Un ancien prejuge faisait penser que le sel die a la terre sa fecondile : c'est precisement tout le contraire ; mais I'ignorance des hommes egalait alors leur ferocite. Les enfants de Coligni, quoique nes du sang le plus illustre» furent declares roturiers ' , privcs non-seulemenl de tous leurs biens, mais de tous les droits de citoyens, et incapables de tester. Eufin le parlement ordonna qu'on ferait tous le« ans a Paris une procession pour rendre graces a Dieu des massacres, et pour en celebrer la memoire. Cette procession ne se fit point, parce que les temps changerent; et cette honte fut du moins epargnee a la nation. Par un autre arret du meme jour, deux gentilshommes, amis de I'amiral, Briquemaut et Cavagnes, echappes aux assassins de la Saint-Barthelemy , furent condamnes a etre pendus comme complices de la pretendue conspiration ; ils furent Iraines le meme jour dans un tombereau a la Greve, avec Teffigie de I'amiral. De I Philippe II accorda k la famille de Tassassin Gerard des Icttrea de no- blesse , dont elle jouit lougtemps. ( Ao/c de M. Beuchol. ) CHAPITRE XXVIIl. 351 Thou assure que le roi et Catherine sa mere vlnrent jouir de ce spectacle a Thotel de ville, et qu'ils y trainerent le roi de Navarre, noire Henri IV. La cour avail d'abord ecrit, dans plusieurs provinces, que les massacres de Paris n'avaient etc qu'un leger tumulte excite par la conspiration de I'amiral : mais, par un second courrier, on envoya dans toutes les provinces un ordre expres de trailer les protes- tants comme on les avail trailcs a Paris *. Les peuples de Lyon et de Bordeaux furent ceux qui imilerent lafureur des Parisieiis avec le plus de barbaric. Un jesuite, nomme Edmond Ogier, excilait le peuple de Bordeaux au carnage, un cru- cifix a la main. II mena lui-meme les assassins chez deux conseil- lers au parlement dont il croyait avoir a se plaindre, et qu'il fit cgorger sous ses yeux*. Le cardinal de Lorraine etait alors a Rome. La cour lui depecha un genlilhomme pour lui porter ces nouvelles. Le cardinal lui fit sur le-champ present de mille ecus d'or. Le pape Gregoire XIII fit incontinent tirer le canon du chdteau Saint-Ange ; on alluma, le soir, des feux de joie dans toute la ville de Rome. Le lendemain, le pape, accompagne de tous les cardinaiix, alia rendre graces a Dieu dans I'eglise de Saint-Marc el dans celle de Sainl-Louis ; il y marcha a pied en procession ; I'ambassadeur de Tempereur lui porlait la queue, le cardinal de Lorraine dit la messe ; on frappa des medailles sur eel evcnement (j'en ai eu une enlre les mains); on (il faire un grand tableau dans lequel les massacres de la Saint- Barthelemy etaienl peinls. On lit dans une banderole, au haul d(i tableau, ces mots : Pontifex Colinii nccem probat ' . • Voyez VEssai sur les guerres clvUea de France. Une lettre de Charles l.\ , dont une copie fait partie du manuscrit de la bibiiotheque du Roi , intitule Lettres et depiches du roi a mQusieur de Mandelot, prouve qu'on avail envoys dans les provinces des hommes charges d'ordres ver- baux et secrets tout contraires aux d(^p6ches publiques qui avaient 6t6 adress^es au gouverneur. ( Aote de M. Beuchol.) * lis se nomraaient Guilloche et Sevin. ' II paralt que Paul, icuyer du due de Guise, porta a Rome la tfite de Coligni. Cest ce qu'on peut conclure de ce passage ( public en 1828 dans le tome Vll des .Archives hisloriques du departemenl du Rhdne , page 432) d'une lettre de Mandelot, gouverneur de Lyon, a Charles IX, en date du 5 septembre 1572 : « J'ai aussi recu, Eire, la lettre qu'il a pleu k V. M. ■ m'escrire, par laquelle elle me mande d'avoir est6 avertie qu'il y a un « hommc (lui est parti de par dela avec la teste qu'il auroit prise dudit « admiral, apres avoir 616 tu6, pour la porter k Rome, et de prendre I I 352 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE XXIX. 853 Charles IX ne survecut pas longtemps a ces horreiirs. II vit que, pour comble de malheurs, elles avaient ele inuliles. Les pro- teslants de son royaume , n'ayant plus d'aulre ressource que de vendre cherement leur vie, furent encourages par leur desespoir. L'atrocile de la Saint-Barlhelemy tit horreur a un grand uombre de catholiques qui, ne pouvant croire qu'une religion si sangui* naire put etre la veritable , embrasserent la prolestanle. Charles IX , devore de renaords et d'inquietude , tomba dans une maladie mortelle. Son sang s*alluma et se corrompit ; il lui sortait quelquefois par les pores; le sommcil le fuyait; et quand il goutait un moment de repos , il croyait voir les spectres de ses sujels egorges par ses ordres ; il se reveillait avec des cris affreux, tout trempe de son propre sang , effraye de celui qu'il avait re- pandu , n'ayant pour consolation que sa nourrice , et lui disant avec des sanglots : « Ah ! ma nourrice , que de sang ! que de « meurtres ! Qu*ai-je fait ? Je suis perdu. » II mourut le 30 mai 1574 , n'ayant pas encore vingt-qualre ans. Le president Henault a remarque que, le jour de ses obseques a Saint-Denys, le parlement elant a table, envoya un huissier commander au grand aumonier Amyot de venir lui dire graces, comme au roi de France. On croit bien que le grand aumonier re- fuse de venir a cetle ceremonie. CHAPITRE XXIX. Seconde r^gcnce de CathiM'ine de Medicis. Premiers totals de Bids. Empoisonnemeut de Henri de Cond^. Lettre de Henri IV, etc Charles IX , douze jours avant sa mort , sentant sa fin appro- cher, remit le gouvernement entre les mains de Catherine sa mere, le 18 mai. Le lendemain, on dressa les palenles qui la de- claraient regente jusqu'a I'arrivee de son frere Henri , qui etait • garde, quand ledil homme arrivera en ceste vUle, de lefaire arrester, n et lui ester ladile tesle; k (juoy j'ay incontinent donnd si bon ordre que « 8*il se pr^sente, le commandement qu'il plait k V. M. m'en faire sera « ensuivi. Et n'est passe jusques icy par ceste ville autre personne pour t s'en aller du c6t(i de Rome.qu'un cscuyer de monsieur de Guise, « nommii Paul. lequelestoit parti quatre heuresauparavantdu jourme&me K que je recus ladite lettre de V. M. • Cc fut par les plods (|ue le corps de I'amiral fut pendu au gibet de Mont- faucon. ( ISoie dc M. Bcuchot. ) alors en Pologne. Ces patentes ne furent enregistrees au parle- ment de Paris que le 3 juin. L'acte porte : « que la reine abien « voulu accepter la regence aux instantes prieres duduc d'Alen- « con , du roi de Navarre , du cardinal de Bourbon , et des pre- '< sidents et conseillers a ce deputes. » Ce fut alors seulement qu'elle prit le litre de reine regente. Henri III , roi de Pologne , s'echappa bientot de Varsovie pour venir tenir d'une main faible , quoique sanguinaire, les renes du plus malheureux des Etats, et du plus mauvais gouvernement qui flit alors au monde. Le duo Henri de Cuise , surnomme le Balafre , prit la place de Francois son pere, et son frere Louis , cardinal, celle du cardinal de Lorraine. Tons deux se mirent a la tete de Tancien parti, tou* jours oppose aux princes de la maison de Bourbon. Le c ^ ' "^ MS HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. premier president. On epia le moment ou il avail rimprudence d'aller a pied dansles rues. II fut saisi, conduit au Pelit-Chitelet ; et des qu'il y fut entre, Crome, conseiller au grand conseil , &e presenta a lui, revetud'une cotte d*armes, le fit mettre a genoux, et lui lut la sentence qui le condamnait a etre pendu, pour crime de lese-roajeste divine et humaine. C'est une chose assez singuiiere que Brisson , dans ce moment terrible , I'esprit encore rempli des formalites des lois dans les- qaelles il avait ete eleve , demanda a etre confronte avec les te- moins qui I'accusaient. Crome ne lui repondit que par un grand eclat de rire. Brisson cut la faiblesse de demander qu'on differ&t f execution jusqu'a ce qu*il eiit fini un ouvrage de jurisprudence qu'il avait commence. On rit encore davantage, et il fut pendu a une poutre *. Une heure apres, le lieutenant du grand prevdt, nomme Ghouillier, alia saisir, dans le palais, Larcher, conseiller de la grand'chambre , sous-doyen des conseillers , vieillard septuage- naire, accuse aussi d'etre partisan du roi. II fut mene au meme endroit ou etait le corps de Brisson. Des que Larcher apercut ce spectacle, il demanda lui-meme a mourir, et on le pendit a la mdme poutre. Le cure de Saint-Come, dans le meme temps, suivi d'une troupe de pretres et de suppots de Tuniversite, etait alle prendre dans son lit le conseiller au Chatelet Tardif, dangereusement ma- lade , et qui venait d'etre saigne ; il le presenta luimeme au bour- reau , et le fit perir de la meme maniere. C'est encore une des horreurs de la nature humaine, qu*il se trouve des hommes qui fassent de ces executions , et dont le metier soit d'arracher la vie a d'autres hommes, sans s'in former seulement ni si cette mort est juste , ni quel est le droit de celui qui la commande. Le lendcmain, on exposa les trois corps dans la place de Greve , pendus a une potence , avec des ecriteaux qui les dcclaraient traitres , ennemis de Dieu , et heretiques. Le due de Mciyenne etait alors absent de Paris ; et les Seize , qui se croyaient les mat- tres de la ville, prirent ce temps pour ecrire au roi d'Espagne. lis lui depecherent ie ^esaitc Claude Matthieu , pour le supplier de * 16 novenibre 1591. CHAPITRE XXXIII. S69 leur donner sa fille pour reine , en la mariant au jeune due de Guise. La lettre que Matthieu porlait fut interceplee , et portee au roi. II ne manqua pasd'en faire tomber une copie enlre les mains du due de Mayenne : c'elait le seul moyen de diviser la Ligue, en semant la jalousie entre ce due et son neveu. Mayenne , arrive a Paris , commen^a par oler a Bussy-le-Clerc son gouvernement de la Bastille ; il fit pendre , sans forme de proces, qualre des scelerats qui avaient fait mourir les magistrals. Le meme bourreau servit pour eux tons , et fut ensuite pendu lui-meme. Crome, le plus coupable, echappa; le parlement repril ses fonclions ordinaires ; et le president le Maitre prit la place de Brisson, sans etre intimide par la catastrophe de son predecesseur. CHAPITRE XXXIll. Le royaiime demembr^. Le seul parlement, s^anl aupr6s de Henri IV , peul montrer sa tideiit^. II decrete de prise de corps le nonce du pape. Pendant que le parlement de Paris etait ainsi tour a tour I'or- gane et la victime de la Ligue, il faut voir ce que faisaient alors les autres parlements du royaume. Celui de Provence avait envoye au due de Savoie , Philibert-Emmanuel , gendre de Philippe II , une deputation solennelle , composee de Chastcl , eveque de Riez, du baron d'Ampus , et d'un avocat nomme Fabregues. Le due arriva dans Aix le 14 novembre*. On lui presenta le dais , comme au roi ; tons les membres du parlement lui baiserent la main. Honore du Laurens porta la parole pour toute la compa- gnie ; on le reconnut pour protecteur de la province , et on lui preta serment de fidelile. Le parlement de Grenoble etait alors partage; ceux qui elaient fideles au roi s'etaient retires au Pertuis ; mais Lesdiguieres, qui fut depuis connelable , ayant pris la ville, le parlement se reunit, et n'administra plus la justice qu'au nom du roi. Le parlement de Rouen se trouvait dans une situation toute semblnble a celle qu'eprouvait le parlement de Paris. Entierement doraine par la faction de la Ligue, et a la merci des troupes es- 15.91. /••. 370 fflSTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. pagnoles, il eut le malheur de rendre I'arret suivant, le l*"" Jan- vier 1692 : « La cour a fait el fait tres-expresses inhibitions el defenses h « loutes personnes, de quelque etat, dignile et condition qu'elles « Solent , sans nul excepter, de favoriser, en aucun acte et ma- " niere que ce soil , le parti de Henri de Bourbon ; mais s'en de- « sister incontinent , a peine d'etre pendus et etrangles. Ordonne « ladite cour que monition generale sera octroyee au procureur « general, nemine dcmpto. pour informer contre ceux qui favo- « riseront ledit Henri de Bourbon et ses adherents... Est ordonne « que par les places publiques seront plantees potences pour y « pendre ceux qui seront si malheureux que d'attenter contre « leur patrie. » II n*y eut plus que le parlement du roi, scant tantot a Tours, tantot a Chilons, qui put donner un libre cours a ses sentiments patriotiques. Le pape Gregoire XIV, a son avenement au pontifical, avail d'abord envoye un nonce a la Ligue pour seconder le car- dinal Cajetan, qui faisait a Paris les fonctions de legal. Ce nonce s'appelait Landriano ; il apportail dcs bulles qui renouvelaient les excommunications et les monitoires contre Henri HI el Henri IV. Le petit parlement de Chalons , qui n'avail pas meme alors de president a sa tele, deploya toule la vigueur que les autres auraient montree s'ils avaienl ete ou plus libres , ou moins seduits. II de- creta de prise de corps Landriano, soi-disanl nonce du pape, qui avail ose entrer dans le royaume sans la permission du roi , le fit citer trois jours de marche a son de trompe , accorda dix mills livres de recompense a qui le livreraila la justice, defendit aux ar- cheveques et eveques de publier ses bulles, sous peine d'etre de- clares crimininels de lese-majesle, et enfin appela au fulur con- cile de rejection de Gregoire XIV. Cette demarche , qui etonna toule la France , elait reguliere el simple. C'etail en effel une insulte a loutes les lois et a l.i raison humaine , qu'un eveque etranger os^t decider du droit des cou- ronnes. La religion qui lui servait de pretexle condamnail elle- meme cette audace, et le bon sens en faisait sentir le ridicule; mais depuis Gregoire VH, ropinion,qui fait tout, avail enracine oes funestes idees dans loutes les teles ecclesiasliques , qui avaienl verse ce poison dans celles des peuples. L'ignorance recevait ces maxime^ , la fraude les appuyail, el le fer les soutenail. Un moine CHAPITRE XXXin. 371 suffisail alors parmi les calholiques pour persuader que I'apolre Pierre, qui n'alla jamais a Rome, el qui ne pouvait savoir la langue latine , avail siege vingl-cinq ans sous Tibere et sous d'autres empereurs, dans un temps ou le litre d'eveche n'etait affecte a aucun lieu ; el que de ce prelendu siege il avail transmis a Gregoire XIV, qui vint quinze cents ans apres lui , le droit de parler en mailre a tous les souverains et a loutes les figlises. 11 fallait etre ligueur effrene, ou imbecile, pour croire de telles fables , et pour se soumellre a une telle tyrannic. II se trouva, pour I'honneur de la France, deux cardinauxel huil eveques qui seconderent la fermele du vrai parlement , au- tanl que le permettait leur caraclere. Les cardinaux elaient celui de Bourbon , cousin germain du roi , el de Lenoncourl , quoique Lorrain. Les prelats elaient de Beaune, archeveque de Bourges; du Bee, eveque de Nantes; de Thou , eveque de Charlres; Fu- mee, de Beauvais; Sourdis, de Maillezais*; d'Angennes, du Mans; Clausse, de Chalons; d'Aillon, de Bayeux. Leurs noms meritenl d'etre consacres a la posterite. (21 seplembre 1591) Us firent ensemble un mandement a Charlres, adresse a tous les calholiques du royaume. « Nous « sommes informes , disent-ils , que Gregoire XIV, mal inslruit, « et trompe par les artifices des ennemis de ifilat , a envoye des « bulles et des monitoires pour inlerdire et excommunier les « eveques , les princes et la noblesse , qui ne sonl pas rebelles a « leur roi... Apres une mure deliberation, nous declarons ces « excommunications nulles dans la forme el dans le fond, injustes, « dictees par les ennemis de la France... sans prejudicler a I'hon- « neur du pape. » Le parlement du roi, alors scant a Tours, fit mieux : il fit bruler par la main du bourreau les bulles du pape, et declara Gregoire , soi-disanl pape , perturbaleur du repos public , et complice de I'assassinal de Henri III , puisqu'il I'avait approuve. Le parlement de Paris , de son cote , presse par les ligueurs , fit brOler I'arret de celui de Tours au pied du grand escalier, et lui donna les qualifications d'execrable el d' abominable, Le parlement de Tours Iraita de meme i'arret du parlement de Paris. II fallait que la victoire jugeat de ces disputes ; mais Henri IV, • Ev6ch6 qui ne suhsiste plus , et qui fut transfcrd k la Rochelle d^ Tan- nic 1649. S72 inSTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. a qui le due de Parme avail fait lever le siege do Paris et de RoueD^ o*etait pas encore en etat d'avoir raison *. Le premier president , Achille de Harlay , etait alors aupres du roi; c'etait lui qui soutenait la dignite du parlement de Tours et de Chalons. II s'etait enfin rachete de la prison de la Bastille, et avait trouve le moyen de se rendre aupres de Henri IV. II concut le premier Tidee de secouer enlin pour jamais le joug du pape, et de creer un patriarche. Le cardinal de Lenoncourt et Tarcheveque de Bourges entraient dans ce dessein ; mais il etait impralicable. II eut failu changer tout d'un coup Topinion des hommes, qui ne change qu*avec le temps , ou avoir assez de troupes et assez d'argent pour commander a Topinion. Cependant , ce parlement statua des reglemenls dignes de la liberte de r£!glise gallicane. Toutes les nominations du roi aux eveches et aux abbayes devaient elre confirmees par I'arche- veque de la metropole , sans recourir a une bulle du pape ; tout le clerge conserverait ses droits , independamment des ordres de Rome ; les eveques accorderaient les memes dispenses que le pape. Ce reglement etait aussi sage que hardi ; il reprimait I'am- bition d'une cour etrangere , et flaltait le clerge national ; et cepen- dant , a peine eut-il lieu quelques mois : TEglise etait aussi de- chiree que I'^tat ; la meme ville etait prise tour a tour par de» cathotiques et par des protestants. L'ordre et la police ne sont pas le partage d'une guerre civile. CHAPITRE XXXIV. Etats g^ndraox tenus k Paris par des Espagiiols et des Itatiens. Le parliff* ment soutient la loi salique. Abjuration de Henri IV. Au milieu de tons les reflux orageux de la fortune de Henri IV^ le temps etait arrive ou Philippe II croyait donner un maitre a la France. Du fond de TEscurial il faisait tenir les etats generaux a Paris , convoques par les menees de son ambassadeur et par celles du cardinal legat, plus encore que par les ordres du due de Mayenne. Paris avait une garnison espagnole ; Philippe promet- * Daniel supprime ou Strangle tous ces faits, rapports par de Thou. Ce n'est pas la peine d'^crire I'histoire de France, pour oublier des choscs ti capitales. CHAPITRE XXXIV. 37a tait une armee de vingt-quatre mille hommes , et beaucoup d'ar- gent. Henri IV n'en avail point , et son armee etait peu conside- rable. II etait campe a Saint-Denys, d'oii il pouvait voir arriver dans Paris les deputes de ces etats generaux qui allaient donner son patrimoine a un autre. Le pape Clement VIII , qui avait succede a Gregoire XIV, en- voya, le 15 avril *, un brcf au cardinal legat , par lequel il lui or- donnail de proceder a I'election d'un roi. Le bref ne ful enregistre que le 28 octobre. Le parlement de Chalons signala son zele or- dinaire conlre celte insolence ; mais il ne decreta point de prise de corps le legal , comme il avait decrete Landriano. Ce litre de Icgat en imposait encore , et il y a des prejuges que la fermete la plus^ grande n'ose quelquefois allaquer. Cet arret du parlement de Chalons fut encore brule par celui de Paris le 24 decembre. Ces deux parlemenls se faisaient la guerre par leurs bourreaux , et toute la France en armes altendait quel roi les etats opposeraient au roi legitime. Le parlement de Paris n'eut point de seance dans ces etats. lis s'ouvrirent , Ic 25 Janvier 1593 , dans le Louvre. On y voyait un Jean Boucher, cure de Saint-Benoit , sedilieux , emporte jusqu'a lademence; un cure de Saint-Germain I'Auxerrois; un Cueilli, docteur de Sorbonne; mais le president de Neuilly, le president Ic Maitre, el le conseiller Guiliaume du Vair, y avaient place au nom du parlement. Les harangues qui furent prononcees etaienl aussi ridicules que celles de la Satire Menippee. Ce ridicule n'em- pechait pas qu'on ne se disposal a nommer un roi. L'or de I'Es- pagne et les bulles de Rome pouvaient beaucoup. Des troupes es- pagno'.es s'avancaient encore. Le due de Feria, ambassadeur d'Espagne , admis dans ces etats , y parlait comme un protecteur ptrle a des peuples malheureux et desunis qui ont besoin de lui. Enfin il declara qu'il fallait elire Tinfante d'Espagne, et qu'on lui donnerail pour mari le jeune due de Guise , ou le due de Nemours de Savoie , son frere ulerin ; mais e'elait sur le due do Guise que le cboix devait tomber. Trois Espagnols dominerent dans ces etats generaux de France : leduc de Feria, ambassadeur extraordinaire, don Diego d'l- barraet Taxis, ambassadeur ordinaire, et le licencie Mendoza. I58i. 374 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. Taxis et Mendoza firent chacun un long discours conlre la loi sa- lique. On I'avait deja foulee aux pieds du temps de Charles VI. Elle avail recu auparavant de rudes atteinles ; el si Ics Espagnols , secondes du pape , avaient reussi , celte loi n'elail plus qu'une chimere, Henri IV etait perdu: mais heureusement le due de Mayenne etait aussi inleresse que Henri IV a prevenir ce coup fatal. L*election d'une reine espagnole le faisail tomber des de- gres du trdne oCi il etait assis le premier. II se voyait le sujet du jeune Guise son neveu , et il n'etait pas possible qu'il consentit a ce double affront. Le pariement de Paris , dans cette extremite , secourut a la fia Henri IV et le due de Mayenne , et sauva la France. Le Maitre, que le due de Mayenne avait cree premier president, assembla toutes les chambres le 29 juin 1593. On declara la loi salique inviolable; on protesta de uullite contre Telection d'un prince etranger ; et le president le Maitre fut cbarge de signiBer cet arret au due de Mayenne , et de lui faire les representations les plus fortes. Le due de Mayenne les recut avec une indignation simulee; car pouvait-il etre afflige que le pariement rejel&t une election qui lui aurait ote son pouvoirPCes remontrances meme le flattaient beaucoup. Le pariement lui disait , avec autanl d'a- dresse que de fermete* : « Imilez le roi Louis XII, votre bisaieul, « que son amour pour la patrie a fait surnommer le Pere du « peuple. » Ces paroles faisaient asscz entendre qu*on ne le re- gardait pas comme un prince etranger ; et , tant qu'on eloignait lechoix de I'infante, il demeurait revetu de I'autorile supreme, sous le titre de protecteur et de lieutenant general de I'fitat royal de France ' . * DeTliou, livreCVI. ' A la morl du due de Guise, le pariement dtait compost d'environ cent quatre-vinRls membres. Bussy en rnelen prison cinquanle, les plus con nu« par leur fidelite au roi et par leur courage. Brisson se voit foic6 k regret de paraitre ligueur. Larcher etlui sont pentlus peu de temps apres, et, en 1593, le pariement rend un arrftt pour le maintien de la loi salique. On pent conclure de ces fails que le parti de Henri IV , le parti des lois el de la justice, dominail dans le pariement ; el que si celte conipagnie eAt €U libre , elle ne se fOl pas ^carl6e de la fiddit^ qu'elle devail au roi> Le fanatisme de quehjues membres, la corruption de quelques aulres vendus aux Guises cli I'Espagne, la terrcur du reste, la dispersion ou la mort de tous ceux qui avaient du coora^e, fureiil cause que ce debris du pariement , renferme dans Paris, rendit des arrets contraires aux principes recon- nus de la magistrature- Gependant I'arret qui reconnaissait pour roi le CHAPITRE XXXIV. 375 Dans celte incertitude des etats generaux, il se formait plu- sieurs parlis : celui d'Espagne et de Rome etait encore le plus considerable; mais les meilleurs ciloyens, parmi lesquels on comptait plusieurs membres du pariement , etaient en secret pour Henri IV, et penchaient a le reconnailre pour roi , de quelque re- ligion qu'il put etre : ils croyaient qu'il tenait son droit a la cou- ronne de la nature, qui rend tout homme heritier du bien de ses ancetres. Si on ne doit point demander a un citoyen ce qu'il croil de I'eucharistie et de la confession pour qu'il jouisse des biens de son pere, a plus forle raison ne devait-on pas demander cette condition a I'heritier naturel de tanl de rois. Henri IV n'exigeait point des ligueurs qu'ils se fissent protestants : pourquoi vouloir ' que Henri IV se fit calholique? pourquoi gener la conscience du meilleor des hommes et du plus brave des princes , qui ne genait la conscience de personne ? Tels etaient les sentiments des gens raisonnables , et c'est tou- jours le plus petit nombre. Une grande partie du peuple , qui sentait sa misere et qui ne raisonnait point, souhaitait ardemment Henri IV pour roi, mais ne le voulait que catholique. Presse a la fois par I'equile , qui tot ou tard parle au coeur de I'homme , mais encore plus domine par la Sorbonne et par les prelres, partage entre la superstition et son devoir, il n'eut jamais reconnu un roi qui priait Dieu en fran- qais , et qui communiait sous les deux especes. Henri IV prit enfin le seul parti qui convenait a sa situation et a son caractere. 11 fallait se resoudre ou a passer sa vie a meltre la France a feu et a sang el hasarder sa couronne, ou ramener les esprits en changeanl de religion. Des princes d'Orange, des Gus- tavc-Adolphe , des Charles XII , n'auraient pas pris ce dernier parti. II y aurait eu plus d'heroisme a etre inflexible ; mais il y avail plus d'humanite et plus de politique dans sa coadescen- cardinal de Bourbon conservait la succession dans la ligne calholique; et il faut songer que , depuis plusieurs siecles , I'idee qu'un prince hdr^tique perd ses droits au trone 6lail celle de toule lEurope. Les protestants eux- mSmes n'^taient pas iloign^s de cette doctrine: aussi s6v6res conlre I'h^- rfeie que les plus zdl6s partisans de Home , ils se bornaient h soutenir que la doctrine qu'ils pr6chaient ne devail pas etre regard^e comme li^idti- que. On voit enfin que le pariement profita, pour df^clarer la loi salique inviolable, du premier moment oil il put faire cette declaration sans sex- poser k la violence des ligueurs. K. 376 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE XXXV. J77 dance. Celle negociation , qui coutait a son coeur, mais qui elail necessaire , avail commence des la premiere lenue des etals. Leg eveques de son parti avaient eu de frequentes conferences a Su- rene avec les eveques du parli conlraire, en depil de la Sorbonne, qui avail eu I'insolence el la faiblesse de declarer ces conferences illicites el impies, mais dont les decrels, meprises par lous les bons ciloyens, commencaienl a I'elre par la populace raeme. On linl done ces conferences pendanl une Irevc accordee par le roi el le due deMayenne. Les deux principaux chefs de ces nego- ciations elaient Renaud, archeveque de Bourges, du cole du roi; el d'Espinac, archeveque de Lyon, pour la Ligue : le premier, respectable par sa verlu courageuse ; I'aulre , diffame par son in- cesle avec sa soeur, et odieux par ses intrigues. Quelques detours que d'Espinac put prendre pour s'opposer a la conclusion, quelques efforts qu'il tenlAt avec ses collegucs pour inlimider les eveques royalisles , quelques menaces qu'il fit de la part du pape , il ne put erapecher les prelals du pari! du roi de recevoir son abjuration. L'Espagne, Rome, le due de Mayenne, el la Ligue, combattaient pour le papisme ; el tout ce qu'ils crai- gnaienl elait que Henri IV ne se fit catholique. II franchit ce pas, le 25 juillel 1693, dans Teglise de Saint-Denys. Ce n'esl pas un trait indigne de celte histoire , d'apprendre qu*un cure de Saint-Euslache, avec six de ses confreres, ayant demande au due de Mayenne la permission d'aller a Saint-Denys voir cette ceremonie, le due de Mayenne les renvoya au legal de Rome ; el ce legal les menaga de les excommunier, s'ils osaient elre lemoinsde la conversion du roi. Ces bons prclres mepriserent la defense du legal ilalien ; ils sortirent de Paris a travers une foule de peuple qui les benissait ; ils assislerenl a Tabjuration, et le legal n'osa les excommunier. II n'esl pas necessaire de sacrer un roi qui Peel uniquement par le droit de sa naissance. Le sacre n'esl qu'une ceremonie, mars elle en impose au peuple ; el elle etail indispensable pour un roi a peine reuni a TEglise dominante. Henri ne pouvail etre sacre a Reims ; celte ville elait possedee encore par ses ennemis. On pro- posa Chartres. On fit voir que ni Pepin , ni Charlemagne, ni Ro- bert, fils de Hugues Capet, tige de la maison regnanle, ni Louis le Gros, ni plusieurs autre& rois, n'avaient ele sacres a Reims. La bouteille d'huile nommee sainle ampoule, revercc des peuple^. faisail naitre quelque difHculte. 11 fut aise de prouver que si un ange avail apporle celte bouteille d'huile du haul du ciel , sahit Reray n'en avail jamais parle ; que Gregoire de Tours, qui rap- porle tant de miracles , avail garde le silence sur celte ampoule. S'il fallail absolument de Thuilc apporlee par un ange, on en avail une bonne fiole a Tours, et celle fiole valail bien mieux que celle de Reims, parce que, longlemps avanl le bapleme de Clovis *, un ange I'avail apporlee pour guerir saint Martin d'un rhuma- tisme. Entin I'ampoule de Reims n'avail ete donnee que pour le bapteme de Clovis, el non pour le sacre. On emprunta done la fiole de Tours. Nicolas de Thou, eveque (!e Chartres , oncle de rhislorien, eut I'honneur de sacrer le plus grand roi qui ait gou- verne la France, et le seul de sa race a qui les Francais aient dis- pute sa couronne. CHAPITRE XXXV. Henri IV reconnu dans Paris. Henri IV, converti et sacre, n'en etail pas plus mailre de Paris, ni de tant d'autres villes occupees par les chefs de la Ligue ; c'etait beaucoup d'avoir leve Tobslacle el delruit le prejuge des citoyens calholiques qui haissaient sa religion, et non sa personne; c'etait encore plus d*avoir reussi par son changemenl a diviser les elals. Mais sa conversion ni son onclion ne lui donnaient ni troupes ni argent. Le legal du pape, le cardinal Pelleve, tons les autres prelals li- gueurs, combattaient dans Paris la conversion du roi par des pro- cessions el par des libelles; les chaires relenlissaient d'anathemes contre ce meme prince devenu catholique ; on traitait son change- menl de simule, et sa personne d'aposlal. Des armes plus dange- reuses elaient employees contre lui ; on subornail de tons cotes des assassins. On en decouvrit un entre plusieurs, nomme Pierre Barriere, de la lie du peuple, bigot et intrepide, employe autrefois, par le due de Guise le Balafre, pour enlever la reine Marguerite, femme de Henri IV, au chileau d'Usson. II se confessa a un domi- nicain, a un carme, a un capucin , a Aubry, cure de Saint-Andre *D« Ihou.UvreCVllI. 1^1 I 878 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. des Arcs, Ugueur des plus fanaliques , et enfm a Varade, recteur du college des jesuiles de Paris. 11 leur communiqua a tous le dessein qu'il avail de tuer le roi pour expier ses peches; tous I'en- couragerent el lui garderenl le secrel, exceple le dominicain. C'e- tail un Florenlin. attache au parli du roi, et espion de Ferdi- nand, grand-due de Toscaue. Si les aulres se servaienl de la confession pour inspirer le parri- cide, celuici s'en servit pour I'empecher; il revela le secret de Barriere. On dil que cest un sacrilege ; raais un sacrilege qui em- peche un parricide est une action verlueuse. Le Florenlin depei- gnil si bien cet homme, qu'il fut arrele a Melun , lorsqu'il se pre- parait a commellre son crime. Dix commissaires, nommes par le roi , le condamnerent a la roue. II declara, avantde mourir *, que ceux qui lui avaient cou- seille ce crime lui avaient assure « que son arae serait porlee par « les anges a la beatitude elernelle, s'il venait a bout de son en- « Ireprise. » • ,v r- Ce fut la le premier fruit de la conversion de Henri IV. depen- dant les negocialions de Brissac, cree marechal de France par le ducde Mayenne, et le zele de quelques ciloyens de Pans, don- nerent a Henri IV cetle capitale, que la vicloire d'lvry, la prise de tous les faubourgs, et I'escalade aux murs de la viUe , n'avaient pu lui donner. ,^ , . . Le due de Mayenne avail quitte la ville, et y avait laisse pour gouverueur le marechal de Brissac. Ce seigneur, au milieu de lant de troubles, avait conqu d'abord le dessein de faire de la France une republique; mais un echevin, nomme Langlois, homme qui avait beaucoup de credit dans la ville, et des idees plus saines que le marechal de Brissac, traitait deja secrctement avec le roi. L'Huillier, prevot des marchands, entra bienlot dans le meme des- sein- ils y entrainerent Brissac; plusieurs membres du parlement se joignirent secretement a lui. Le premier president le Maitre eUita la lete; le procureur general Mole, les conseillers Pierre d'Amours et Guillaume du Vair, s'assemblaient secretement a r Arsenal. Le reste du parlement n'etait point dans le secrel ; il rendit meme un arret-, par lequel il defendait toule sorle d'as- sembleos et d'amas d'armes. L'arret porlail que les maisons ou • 28 aoftt <393 — •' 21 mars 1391. CHAPITRE XXXV. 379 ces assemblees secretes auraienl ele lenues seraient rasees ; toule entreprise, lout discours contre la sainte Ligtie elait repute crime d'filat. Cei arret calmait les inquietudes des ligueurs. Le legal et le cardinal Pclleve, qui faisaient promener dans Paris la chasse de sainte Genevieve , les ambassadeurs d'Espagne , la faction des Seize , les moines, la Sorbonne, elaient rassures et tranquilles, lorsque le lendemain 22 mars , a qualre heures du matin , un bruit de mousqueterie et des cris de vive le roil les revcillerent. Le prevot des marchands, I'Huillier, I'echevin Langlois, avaient passe la nuit sous les armes avec tous les bourgeois qui eUient du complol. On ouvril a la fois la porte des Tuileries, celle de Saint-Denys, el la Porte-Neuve; les troupes du roi en- traient par ces trois coles et vers la Bastille. II nVn coula la vie qu'a soixanlc soldals de troupes etrangeres poslees au dela du Louvre ; et Henri IV etait deja maitre de Paris avant que le car- dinal legal flit eveille. On ne pent mieux faire que de rapporler ici les paroles de ce respectable Francais Auguste de Thou : « On vil presque en un « moment les ennemis de I'filal chasses de Paris, les factions « eteintes, un roi legitime affermi sur son trone, I'autorile du u magistral, la liberie publique etles lois relablies. « Henri IV mil ordre a tout. Un de ses premiers soins fut de charger le chancelier Chiverni d'arracher et de dechirer au greffe du parlement loutes les deliberations, tous les arrets allenta- toires a Tautorile royale produils par ces temps malheureux. Le savant Pierre Pithou s'acquitla de ce minislere par I'ordre du chancelier. Cetait un homme d'une erudition presque universelle ; il etait, dit deThou, le conseil des minislres d'filat, et le juge perpeluel des grandes affaires, sans magistrature. (28 mars 1594) Le chancelier vint au parlement, accompagne des dues et pairs, des grands ofticiers de la couronne, des con- seillers d'fitat el des mailresdes requetes. Ce meme Pierre Pithou, qui n'eiait point magistral, (it les fonctions de procureur general. Le chancelier apportail un edit qui pardonnait au parlement, qu i le retablissait, et qui faisait en meme temps Teloge de Tarret qu'il ' avait donne en faveur de la loi salique, malgre le legal el les am- bassadeurs d*Espagne ; apres quoi tous les membres du corps pre- 4erent serment de fidelite entre les mains du chancelier. ' 1 380 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. Les officiers du parlement de Chalons et de Tours revinrent bientot apres. lis reconnurent ceux de Paris pour leurs confreres^ et leur seule distinction futd'avoir le pas sur eux. Le meme jour le parlement, retabli par le roi, annula tout cequi avait ete fait contre Henri III et Henri IV. II cassa les ctats de fa Ligue ; il ordonna au due de Mayenne, sous peine de Icse-majeste, d'obeir au roi ; il institua a perpetuite cette procession a laquelle il assiste tons les ans, le 22 mars , en robes rouges, pour remer- cier Dieu d'avoir rendu Paris a Henri lY, et Henri IV a Paris. Des ce jour il passa de la rebellion a la fidelite, et reprlt surtout ses anciens sentiments de patriotisme, qui ont ete le plus ferme rem> part de la France contre les entreprises de la cour de Rome. CHAPITRE XXXVI. Henri IV assassin^ par Jean ChJitel. J<^suites chassis. Le roi maudit k Rome , et puis absous. Le roi etait maitre de sa capitale ; il etait pret de I'etre de Rouen ; mais la moitie de la France etait encore a la Ligue ct a TEspagne : il etait reconnu par le parlement de Paris , mais noD pas par les moines ; la plupart des cures de Paris refuserent de prier pour lui. Des qu'il entra dans la ville, il eut la bontc de (aire garder la maison du cardinal legat, de peur qu*elle ne fiit pillee; il pria ce ministre de venir le iroir. Le legat refusa de lui rendre ce devoir : il ne regardait Henri ni comme roi ni comme catho- lique, et sa raison etait que ce prince n'avait point ete absous par le pape. Ce prejuge etait enracine chez lous les pretres, excepte dans le petit norabre de ceux qui se souvenaient qu'ils etaient Franqais avant d'etre ecclesiastiques. S'il ne sufKt pas de serepentir pour obtenir de Dieu misericorde, s'il est necessairc qu'un homme soit absous par un autre bomroe, Henri IV I'avait ete par Tarcheveque de Bourges. On ne voit pas ce que I'absolution d'un Italien pouvait ajouter a celle d'un Fran- cais, a moins que cet Italien ne fut le maitre de toules les cons- ciences de I'univers. Ou I'archeveque de Bourges avait le droit d'ouvrir le ciel a Henri IV, ou Ic pape ne I'avait pas; et quand ni Tun ni Tautre n'aurait eu cette puissance, Henri IV n'etait pas moins roi par sa naissance et p;ir sa valeur. C'etait bien lii le cas CHAPITRE XXXVI. 381 <|en appelcr comme d'abus. Henri IV afferm. sur le Irone n aura, pas eu besoin de la cour de Rome, et tous les parleroents 1 auraient declare roi legitime et bon calholique. sans consuller le pape ; mais on a deja vu ce que peuvenl les prejuges. Henri IV fut reduit a demander pardon a I'eveque de Rome, Aldobrandin. nomme Clement VlII , de s'elre fait absoudre par I'eveque de Rourges, alleguant qu'il n'avait commis celle faute que presse par la necessite et par le temps, le suppliant de le re- cevoir au nombre de ses enfanls. Ce fut par le due de Nevers, s<.n ambassadeur, qu'il Ht porter ces paroles ; mais le pape ne voulut point recevoir le due de Nevers comme ambassadeur de Henri IV ; ill-admit a lui baiser les pieds comme un parliculier. Aldobran- din. par cette durete, faisait valoir son autorite pontiQcalc, et mon- trait en mtoe temps sa faiblesse. On voyait dans toutes ses de- marches sa crainte de deplaire a Philippe U, auUnt que la f.erte d'un pape. Le due de Nevers ne recevait de reponse a ses memoires que par le iesuite Tolet, depuis peu promu au card.nalat. II n'est pas inutile d'observer les raisons que ce j&u.te card.na alleguaitau due de Nevers : « Jesus-Christ, lui disait-i , n est , pas obUge de remettre les errants dans le bon chemm; il leur a . command* de s'adresser a ses^ disciples : c'est amsi que samt « Andre en usa avec les gentils *. » .... •. . , i Le bonhomme Tolet ne savait ce qu'il d.sa.t, .1 prenait Andre pour Philippe ; lequel Philippe ayant rencontre I'eunuque de Can- Le. reine d'fithiopie, lisant dans son chariot un ch«P'tre <1 /5a«. apparemment Iraduit en elhiopien . et n'y entendant nen du lout . Phil ppe. qui sans doute elait savant, lui expl.qua le passage, le convertit , le baptisa; apres quo, il '"' -'«- P" '7;^,/,^^, Mais quel rapport de eel eunuque a Henr. IV, et de Ph. .ppe au pape Clement VIII ? et pourquoi Renaud de Beaune a che- que de Bourges, ne pouvaitil pas ressembler au Ju.f Phihppe iSen que Clement ? C'elait se jouer elrangement de 'a rehg-on. qrde vouloir soutenir par de telles allegories >« «""lu.tedele- veque souverain de Ro,nc, qui exposail la France a retomb r dan ies horreurs des guerres civiles. U due de Nevers sort.t de Rome n co^ e rt Unms que du Perron et d'Ossat allaient renouye e «elte singuliere negociation, le meme esprit qmava.t d.cle les • De Thou , Uvre CVIU. ~, to Fn >^cU$ des apitres, chap, vui , verscts 27-59. ED. >t 882 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. refus de Clement VIII aiguisait les polgnards leves sur Henri IV. CJn jeune insense, nomrae Jean Ch4lel , (ijs d'un gros marchand de drap de Paris, el assez bien apparente dans la ville, ou la fa- naiile de sa femme est encore assez nombreuse, ayant eludie aux jesuiles, avail ete admis dans une de leurs congregalions, el a certains exercices spirituels qu'on faisait dans une chambre ap- pelee la chambre des meditations. Les murailles elaient couvertea de representations affreuses de I'enfer, el de diables tourmenlant des damnes. Ces images, dont Thorreur etait encore augraentee par la lueur d'une torche allumee. avaienl trouble son imagination. II etait tombe dans des exces monslrueux, il se croyail deja uoe victime de I'enfer. On pretend qu'un jesuile lui dit, dans la con- fession, qu'il ne pouvail echapper aux chatiments eternels qu'en delivrant la France d'un roi toujours heretique. Ce malheureux, aj^e de dix-neuf ans, se persuada que du raoins s'il assassinait Henri IV, il racheterait une parlie des peines que I'enfer lui prepa- rait. « Je sais bien que je serai damne, disail-il ; mais j'ai mieux « aime Tetre comme quatre que corame huit. « II y a toujours de la demence dans les grands crimes : il voulail mourir; I'exces de sa fureur alia au point que, de sou aveu meme , il avail resolu de commeltre en public ie crime de beslialite, s'imaginanl que sur-le-champ on Ie ferait mourir dans les supplices. Ensuite ayanl change d'idee, el delestanl toujours la vie, il reprit Ie dessein d'assassiner Ie roi. II se mela dans la foule des courtisans *, dans Ie moment que Ie roi embrassait Ie sieurde Montigny : il portail Ie coupau cceur; mais Ie roi s'etant beaucoup baisse Ie recut dans les levres. La violence du coup etail si forte qu'elle lui cassa une dent, el Ie roi fut sauve pour cetle fois • . On trouva dans la poche de Jean Chatel un ecrit contenant sa confession. II etail bien horrible qu'une institution aussi ancienne, elabiiepour expier ou pour prevenir les crimes, servit si sou- vent a les faire commeltre. C'est un malheur attache a la confes- sion auriculaire. Le grand prevot se saisil d'abord de ce miserable ; mais Auguste * <394, 27 d^cembre, a six heures du soir. ' D'Aubign^ , protestant fanalique , dcrivit k Henri IV : « Vous avcz reni* « Dieu de boucUe , et il a frappe votre bouche. Prenez garile k Ic jamais « renier de cceur I » K. o- * CHAPITHE XAXVI. 383 de Thou, I'historien, oblinl que le parlemenl fut son juge. Le cou- pable ayant avoue dans son inlerrogatoire qu'il avail eludie chez les jesuites, qu'il se confessaila eux, qu'il etail de leur congrega- tion, le parlemenl til saisir et examiner leurs papiers. On tiouva dans ceux du jesuile Jean Guignard ces paroles : « On a fail une « grande faute, a la Saint-Barlhelemy, de ne point saigner la veine « basilique : » basilique veul dire royale, el cela signifiait qu'on aurait du exterminer Henri et le prince de Conde. Ensuite on Irou- vait ces mots : « Faut-il donner le nora de roi de France a un « Sardanapale , a un Neron, a un renard de Beam? L'acte de Jac- « ques Clement est heroique. Si on pent faire la guerre au Bear- « nais, il faul le guerroyer; sinon, qu'on I'assassine. >» Chatel fut ecartele, Ie jesuile Guignard fut pendu ; el ce qui est bien elrange, Jouvency, dans son Hisioire des Jesuites, le regarde comme un marlyr, et le compare a Jesus-Christ. Le regent de Chtitel, nomme Guerel, el un autre jesuile, nomme Hay, ne furent condamnes qu'a un bannissement perpeluel. Les jesuites avaienl dans ce temps-la meme un grand proces au parlemenl contre la Sorbonne, qui avail conclu a les chasser du royaume *. Le parlemenl les chassa en effel par un arret solennel qui fut execute dans tout le ressorl de Paris, el dans celui de Rouen et de Dijon. Celte execution ne devait pas plaire au pape, que du Perron el d'Ossat soUicitaient alors de donner au roi celte absolution si longtemps refusee ; mais ce prince remportail lous les jours de si grands avantages, et commengail a reunir avec lant de prudence les membres de la France dechiree , que le pape ne pouvail plus elre inflexible. D'Ossal lui mandait : «t Failes * II faut lire avec beaucoup de defiance toutce qui regarde les jesuites, dans les remarques de Tabbe de TEcluse sur les Memoires de Sully. Non- seulement rEcluse a falsifi^ les Memoires de Sully en plusieurs endroits, mais comme il imprimait en 1740, el que les jesuites ^Uient alors fort puissants, il les flattait mchemenl. II cite toujours mal a propos, en fait de finances, le Testament aiirihu^ au cardinal de Richelieu, ouvrafie dun faussaire ignorant qui ne savait pas m6me Tarithm^tique. — La premiere edition des Memoires de Sully , arranges par TEcluse, est de 1745 ,5 vo- lumes in-4», ou 8 volumes in-12. Ce n'est pasl'ouvrage de Sully. L'Ecluse a mis k la troisitme personne le r^cit qui 6tait k la seconde , et dont la lec- ture , il faut I'avouer, est trcs-faliganle. On ne r^imprime plus que le tra- vail de I'Ecluse , qui a chang6 le fond tout aussi bien que la forme; mais pour juger le travail de Sully , c'est dans sa forme primitive qu'il faut le lire; ces Mitions sont intitule : Memoires des sages et royalles oecono- mies d'Eslai. {Note de M, Beuchot.) y-vT' 384 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. « bien vos affaires de par-dela, et je vous reponds de celles de « pai-deca. » Henri IV suivait parfailement ce conseil. Clemeul VIII, pourlanl', meltait d'abord, a la pretendue gr^ce qu'il faisail, des conditions qu'il elail impossible d'acccpler. II voulail que le roi fit serment de renoncer a lous ses droits a la couronne , si jamais il relombait dans I'erreur, et de faire la guerre au\ Turcs au lieu de la faire a Philippe II. Ces deux propositions extravaganles fu- renl rejetees; et enfin le pape se borna a exiger qu'il recilerait son chapelet tous Ics jours, les litanies le mercredi , et le rosaire de la Vierge Marie le saraedi. Clement pretendit encore inserer dans sa bulle que « le roi, en « vertu de Tabsolution papale, etait rehabilite dans ses droits au « royaume. » Celte clause, qu'on glissait adroilement dans I'acte, etait plus serieuse que I'injonction de reciter le rosaire. D'Ossat, qui ne manqua pas de s'en apercevoir, fit reformer la bulle ; mais ni lui ni du Perron ne purent se soustraire a la ce- remonie de s'etendre le ventre a terre, et de recevoir des coups de baguettes sur le dos au nom du roi , pendant qu*on chantail le Miserere. La fatalite des evenemenlsavait mis aux pieds d*un autre pape un autre Henri IV , il y avait plus de cinq cents ans. L'empereur Henri IV, ressemblant en beaucoup de choses au roi de France , valeureux, galant, entreprenant, et sachant plier comme lui , s'etait vu dans une posture encore plus humiliante ; il s'elait prosterne pieds nus , et convert d'un cilice, aux genoux de Gregoire VII. L'un el I'autre prince furent la victime de la supers- tition , et moururent de la maniere la plus deplorable. CHAPITRE XXXVII. 386 CHAPITRE XXXVIl. ABsemblee de Rouen. Administration des finances. On ne regarde communemenl Henri IV que comme un brave et loyal chevalier, valeureux comme les Duguesclin, les Bayard, les CriUon; aussi doux, aussi facile dans la sociele qu'ardenl et inlrepide dans les combats; indulgent a ses amis, a ses servi- tcurs, a ses maitresses ; le premier soldat de son royaume , et le plus aimable gentilhomme : mais quand on approfondit sa coa- duite, on lui trouve la politique des d'Ossat et des Villeroi. La dexterite avec laquelle il negocia la reddilion de Paris, de Rouen, de Reims, de plusieurs aulres villes, marquait Tcsprit le plus souple et le plus exerce dans les affaires ; dcmelant tous les interets divers des chefs de la Ligue opposes les uns aux autres; traitant a la fois avec plus de vingt ennemis, employant chacun de ses agents suivant leur caraclere ; domptant a tout moment sa vivacite par sa prudence ; allant toujours droit au bien do Tfitat dans cet horrible labyrinthe. Quiconque examinera de pres sa conduite avouera qu'il dut son royaume autant a son esprit qu'a son courage. La grandeur de son ame plia sous la necessite des temps. II aima mieux acheter Tobeissance de la plupart des chefs de la Ligue, que de faire couler continuellement le sang de son peuple. II se servit de leur avarice pour subjuguer leur ambition. Le vertueux due de Sully, digne ministre d'un tel maitre , nous apprend qu'il en couta trente-deux millions en divers temps pour reduire les restes de la Ligue '. Henri ne crut pas devoir se dispenser de payer exactement cette somme immense dans le cours de son regne , quoique au fond ces promesses eusscnt ele extorquees par des rebellos ; il joignit a beaucoup d'adresse la bonne foi la plus incorruptible. II n'elait point encore reconcilie avec Rome; il regagnait pied a pied son royaume par sa valeur et par son habilete , lorsqu'il convoqua dans Rouen une especo d'etats generaux sous le nom d'assemblees de notables. On voit assez , par toules ces convoca- tions differentes, qu'il n'y avait rien d*e fixe en France. Ce n'etait pas la les anciens parlements du royaume , ou tous les guerriers nobles assislaient de droit; ce n'etait ni les dietes de TEmpire, ni les etals de Suede , ni les corles d'Espagne, ni les parlements d'Angleterre, dont tous les membres sont fixes par les lois. Tous les hommes un pcu considerables qui furent a porlee de faire le voyage de Rouen, furent admis dans ces etats *; Alexandre de Medicis, legatdu pape,y fut introduit, et y eut voix deliberative. ' Sully , page 380 du tome IV de T^dition in-folio de I6CS de ses Memoi- res, donne le prix auquel se vendirent |)lusieur3 chefs. Louis de Lhopi- tal , seigneur de Vitry , vendit Meaux pour 20,000 ^cus , et Temploi de bailli ; Villeroy vendit Ponloise 476,594 livres ; Villars vendit Kouen et la Norman- die pour 3,477,800 livres: la Chatre vendit Bourges et Orleans pour 898,900 livres, etc., etc. ; Brissac vendit Paris 1,693,400 livres. ( ^ote de Af. BcuchoU ) * <596. 22 3&6 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PAR!S. L'exemple du cardinal de Plaisance, qui avail lenu les elals de la Ligue , lui servait de pretexte ; et le roi, qui avail besoin du pape , derogea aux lois du royaume sans craindre les consequences d'une vaine ceremonie. L'ouverlure dcs etals se fit le 4 noverabre 1596 , dans la grande salle de I'abbaye de Saint-Ouen : car il est a remarquer que ce n'est guere que chez les moines que se trouvent ces basiliques immenses ou Ton puisse tenir de grandes assemblees. Le clerge de France ne tient ses seances a Paris que chez les moines au- gustins. Le parlement meme d'Angleterre ne siege que dans I'ab- baye de Westminster. Le roi etait sur son trone. Au-dessous de lui elaicnl a droile et a gauche les princes du sang, le connetable Henri de Montmorency, due et pair; il n'y avait que deux aulres dues , d'Epernon et Al- bert de Gondi , avec Jacques de Malignon , marechal de France. Les qualre secretaires d'fitat etaient derriere eux. Le legat avail un siege vis-a-vis le trone du roi; il etait entoure dun grand nombre d'eveques ; on eut cru voir un autre roi qui lenait sa cour vis-a-vis de Henri IV. Au-dessous de ces eveques etait Achille de Harlay, premier president du parlement de Paris, el Pierre Seguier, president a mortier. lis n'auraient point cede aux eveques; mais le cardinal legat leur en imposail. Un president de Toulouse, un de Bordeaux , des maitres des comples, des conseillers des cours des aides, destresoriers dp France, des juges, des maires de provinces , etaient ranges en grand nombre sur ces memes bancs dont Achille de Harlay occupail le milieu. Ce fut la que Henri IV prononca ce discours celebre , dont la memoire subsislera aulant que la France : on vit que la veritable eloquence est dans la grandeur de I'ame. « Je viens, dit-il, demander vos conseils, les croire et les suivre, « me meltre en tutelle entre vos mains. C'esl une envic qui ne « prend guere aux rois , aux barbes grises et aux victorieux ; • mais mon amour pour mes sujets me fait trouver tout possible « et tout honorable. » La grande affaire elail I'arrangement des finances : les etals, tres-peu instruits de cette partie du gouvernement , imaginerent desreglemenls nouveaux, etsetromperenten tout. lis supposerent d'abord que le revenu du roi allait a trenle millions de ce temps* la par annee. Us proposerent de partager celte somme en deux : CHAPITRE XXXVIII. 1 une serait absolument a la disposition du roi . el I'aulre scrait ^^e et ad^inislree par un conseil que les etats etabl rlt^ CeUiten effel mettre Henri IV en tulelle. II accepta, par le eon.' se.1 de Sully, cette proposition peu convenable. et cruLe devoir en conrondre es au.eurs qu'en les chargeant d'un fardeau qu" jtaient mcapables de porter. Le cardinal de Gondi, archeveque de Pans. qu. avait le premier ouvert cet avis, fut mi a la Ute du nouveau conseil des Hnances, qui devait recouvrer les p efendus quinze millions, la moitie des revenus de lEtat P"^*'*"""' Gondi etait originaire d'ltalie ; il gouvernait sa maison avec une econom-e qu, approchait de I'avarice : ces deu. raisons le firen! grand royaume. Les elats et lui oublierent combien il e.ait inde- cent a un archeveque d'etre financier. Sully ♦ le plus jeune du conseil des finances du roi, mais le peu de temps et par son infatigable Industrie . la narlie des finances qu, lu. etait con fiee. Le conseil de l'arche;eque. nulst U,t donne le t.tre de conseil de raison, ne put, dit Sul y , ien fie d ra,sonnable. Les semaines. les mois s-ecoulerent"^ sans qS pussent recouvrer un denier. lis furent enfin obliges de renlc a leur adm.mstralion, de demander pardon au roi, el d'avo, er eur .gnorance. Ce fut cette avenlure qui delermina H^-ri ,V TZ!Z a bully la surintendance des finances. CHAPITRE XXXVIII. Henri IV nc pent obtenir de i'arscnt pour reprendre Amiens, s'en passe el le reprcnd. ' L'arlicle des finances jeta qu.lquefois de rombrage entre le ro, el le parlement. Ce prince, corame on I'adil, n'avail palre! Chefs de la L.gue lu, en ava.ent vendu la moitie. Sully commen- jait a peine a debrouiller le chaos dos revenus de I'fitaf le roi fa,sa.t la guerre a Philippe II, lorsqu'un accident imprevu mil la France dans le plus grand danger. ^ L'archiduc Ernest, pouverneur des Pays-Bas pour le roi Phi- * II n-<;iaii aiors que marquis de Rosny. 388 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS, lippe II, 8'empara de la ville d'Amiens avec des sacs de noix , par une surprise peu honorable pour les habitants. Les troupes espa gnoles pouvaienl faire des courses depuis Amiens jusqu'aux portes de Paris. II etait d'une necessile absolue de reprendre par un long siege ce que I'archiduc avail pris en un moment. L'argent, qui est toujours ce qui manque dans de telles occa- sions elait le premier ressort qu'il fallail employer. Sully, en qc le roi commenqait a prendre une grande confiance, fit en hate un plan qui produisit les deniers necessaires. Lui seul mit le roi en Ll d\voir promplement une armee el une arlillerie formidable; lui seul etablil un hopilal beaucoup mieux servi que ne 1 a jamais etc celui de Paris , el ce ful peut-elre pour la premiere fois qu une armee franqaise se Irouva dans I'abondance. Mais , pour fournir toul rargent destine a cette enlreprise , Sully ful oblige d ajouler aux ressources de son genie quelques impots et quelques creations de charges qui exigeaienl des edits ; et ces edits demandaient un enregistremenl au parleraent. Le roi , avanl de partir pour Amiens , ecrivil au premier presi- dent de Harlay, « qu'on devail nourrir ceux qui defendenl I Etat. a Ou'on me donne une armee, et je donnerai gaiemenl ma vie pour « vous sauver et pour relever la France. » Les edits furenl rejeles ; il n'eut d'abord au lieu d'argenl que des remonlrances. Le premier president , avec plusieurs deputes, vint lui represenler les besoms de I'Etal. « Le plus grand besoin, lui repondit le roi , est de chasser « les ennerais de I'fetat. Vous etes comme ces fous d*Amiens, qui, . ra'ayanl refuse deux mille ecus, en ont perdu un million. Je vais « a rarmee me faire donner quelques coups de pislolet a la tele ; n el vous verrez ce que c'esl que d'avoir perdu voire roi. « Harlay lui repliqua : « Nous sommes obliges d'ecouter la justice ; Dieu « nous I'a baillee en main. - C'esl a moi, dil le roi , que Dieu I a « baillee , el non a vous. « 11 ful oblige d'envoyer plusiturs leltres de jussion, el d'aller lui-meme au parlemenl faire enregislrer ses * Avanl d'aller au parlemenl, il avail cru devoir faire sorlir de la ville le president Scguier el le conseiller la Riviere, les plus op- poses a la verification ; mais ce bon prince revoqua Tordre imme- • diatemenl apres I'avoir donne. II tint son lit de justice avec la hauteur d'un roi el avec la bonle d'un pere. On vil le vainqueur de Coulras, d'Arques, d'lvry, d'Aumale, de Fontaine-Francaise. CHAPITRE XXXIX. ..jgj, au milieu de son parlemenl comme s'il cut ele dans sa famille parlant familieremenl a ces memes magistrals qui, Irop occunes de la forme, s'elaienl trop opposes a un fond donl le salul public dependail ; louanl ceux qui avaienl lesJnlenlions droiles, repri- mandant doucemenl les jeunes conseillers des enquetes , et leur disanl : « Jeunes gens, apprenez de ces bons vieillards a raoderer « voire fougue. » On peut connailre I'extreme besoin ou il etait par un seul trait. II fut oblige, en parlant pour le camp d'Amiens , d'emprunler quatre mille ecus de sa maitresse Gabrielle d'Estrees, qu'il fit duchesse de Beaufort, el que le sol peuple appela la duchesse d ordure. Toul I'argenl qu'on lui donnail etait pour ses officiers et pour ses soldats ; il ne lui resta rien pour sa personne. Les com- missaires de ses finances, qui etaient au camp,.|e laissaienl man- quer du necessaire. On sail qu'il mandail au due de Sully « que « sa raarmile etail renversee, ses pourpoinls perces par le coude « ses chemises trouees : - et c'elait le plus grand roi de I'Europe' quiecrivailainsi! CHAPITKE XXXIX. Dune fameiise d^moniaque. ^ Le parlemenl de Paris renferme dans les bornes de son devoir kT h* ''"^J''"' ''"^'^'' '' " '"' ^^^"^"»^ P'"^ ^« ^^P"talion sous Henr, IV que sous la Ligue. Il rendil un tres-grand service a la France en sopposant toujours a I'acceptation du concile de Trenle. II y avail en effet vingt-qualre decrets de ce concile si op- poses aux droits de la couronne el de la nation , que, si on les edl souscrits, la France aurail eu la honte d'etre un pays d'obediencc L affaire ecclesiastique dans laquelle il signala le plus sa pru- dence, fut celle qui fit le moins d'honneur a quelques ecclesias- tiques encore ennerais secrets du roi qui avail embrasse leur reli- gion, lis imaginerenl de produire sur la scene une demoniaque pour confondre les prolestants, dont le roi recompensait les ser' vices fideles, et dont plusieurs avaient un grand credit a la cour. On pretendait exciter les peuples calholiques , en leurfaisanl voir combien Dieu les distinguail des huguenots. Dieu ne faisait qu'a eux la favcur de leur envoyer des possedes; on conlraignait les 72 t • JJm. 390 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. diables , par les etorcismes, a declarer que le calholicisme etait la vraie religion ; el renoncer au prolestanlisme , c'etail renoncer au diable. Ce sont presque toujours des filles qu'on choisit pour jouer ces comedies; la faiblesse de leur sexe les souraet plus aisement que les hommesaux seductions de leurs direcleurs; et,accouturaees par leur faiblesse raenae a cacher leurs secrets , elles soutiennent ces roles singuliers avec plus de conslance que les hommes. Une fille de Romoranlin , dent le corps etait d'une souplesse extraordinaire, joua le role de possedeedans une grande partie de ia France. Des capucins la promenaient de diocese en diocese. Un nomme Duval, docteur de Sorbonne , accreditait ceile farce a Paris; un evcque de Clermont , un abbede Saint-Martin ', voulu- rcnl mener cette lille en triomphe a Rome. Le parlement proceda contre eux tons. On assigna Duval elles capucins : ils reponvlirent par ecril que la bulle In cwna Domini leur defendail d'obeir aux juges royaux. Le parlement fit bruler leur reponse , condamna la bulle In ccena Domini , et interdil la chaire aux capucins. Cette seule interdiction euten d'autres temps attire ce qu'on appelle les foudres de Rome sur le roi et sur le parlement; raais la scene se passaiten 1599, temps ou le roi etait maitre absolu de son royaume. Philippe II, qui avail tanl gou- vcrne la cour de Rome , n'eUit plus ; el le pape commenQail a respecter Henri IV. II ne faut pas omettre la reponse sage el plaisante du premier president de Harlay a des bourgeoises de Paris. Madame Catherine, sceur du roi , qui n'avait pas ele obligee comme lui de se faire catholique, tenait un preche public dans son palais. II n'etait pas permis d*en avoir dans la ville ; mais la rigueur des lois comme la Tolonle du prince pliail sous de justes egards. Trenle ou quaranle devotes, excitees par leurs confesseurs, marcherenl en tumulle • r^vfique de Clermont et I'abM de Saint-Martin , son fr^re , itaient neveux du comte de la Roclicfoucauld , tue a la journ^ de la Saint-Bar- tli6lemy. L'6v6que de Clermont a ^t6 plus connu, pendant le nsne de Louis XIII, sous le nom de cardinal de la Roctiefoucauld. C'est lui qui a r^form^ cette espece de moines que le public appelle genov^fains , el qui se donnent le nom de congregation de France. On pretend qu'k la fin de sa vie il eut la fantaisie de se faire j6suite : le general le refusa ; mais il lui per- mit , pour le consoler, d'avoir toujours chez lui un j^suite, auquel il serail oblige d'obeir. K. CHAPITRE XL. 391 dans les rues, demandant justice de cet attentat; armees de cru- cifix et de chapelets, elles faisaient des stations aux portes des eglises, ameutaient le peuple, couraient chez les magistrals. Elles allerent chez le premier president , et le conjurerent de remplir les devoirs de sa charge : « Je les remplirai, dit-il , mesdames. En- « voyez-moi vos maris, je leur ordonnerai de vous faire en- « fermer. » CHAPITRE XL. De redit de Nantes. Discourade Henri IV au parlement. Paix de Vervins. Les proteslants du royaume etaienl affliges d'avoir vu leur re- ligion abandonnee par Henri. Les plus sages lui pardonnaienl une politique necessaire , et lui furent toujours fideles ; les aulres mur- murerenl longtemps; ils trerablerenl de se voir la victime des catholiques, et demanderent souvent au roi des suretes contre leurs ennemis. Les dues de Bouillon el de la Trimouille etaienl a la tete de cetle faction : le roi contint les plus mutins, encouragea les plus fideles, et rendit justice a tous. II traita avec eux comme il avail traile avec les ligueurs ; mais Il ne lui en couta ni argent ni gouverneraents, comme les ligueurs lui en avaienl extorque. II se souvenait d'aiHeurs qu'il avail ele longtemps leur chef, qu'il avail gagne avec eux des balailles, el que, s'll avail prodigue son sang pour eux, leurs peres el leurs freres etaienl morts pour lui. II delcgua donclrois commissaires plenipotentiaires pour redi- ger avec eux-memes un edit solennel el irrevocable, qui leur as- surat le repos et la liberie d'une religion si longtemps persecutee, afin qu'elle ne fut desormais ni opprimee ni opprlmanle. L'edil ful signe le dernier avril 1598 : non-seulemenl on leur accordait cetle liberie de conscience qui semble etre de droit na- lurel , raais on leur laissait pour huit annees les places de surete que Henri III leur avail donnees au dela de la Loire, el surtout dans le Languedoc. Us pouvaient posseder toutes les charges comme les catholiques. On etablissait dans les parlements des chambres coraposees de catholiques el de proteslants. Le parlement rendit alors un grand service au roi el au royaume, en se joignanl aux eveques pour remontrer au roi le danger d'un 392 HISTOIRE DU PARLIAMENT DE PARIS, article de Tedit que le roi avail sigue avec une facilite Irop preci- pilee Get article portaii qu'ils pourraient s'asserabler en tel lieu et en lei temps qu'ils voudraient, sans demander permission; qu'ils pourraienl admellre les etrangers dans leurs synodes, el aller hors du royaume aux synodes etrangers. Henri IV vil qu'il avail ele surpris, et supprima celle concession, qui ouvrail la porle aux conspirations el aux troubles. Enfin, il concilia si bien ce qu'il devait de reconnaissance aux protestants et de menagemenls aux catboliques , que tout le monde dut elre salisfail; el il prit si bien ses mesures, que de son temps la reli- cion proleslante ne ful plus une faction. . , . . . . Ccpendanl le parlemenl , craignanl les suites de la bonte du roi, refusa longtemps d'enregistrer Tedil. 11 lit venir deux deputes de chaque chambre au Louvre. II est trisle que le president de Thou, dans son hisloire ecrile avec tanl de candeur, n'ail jamais rap- none les veritables discours de Henri IV. Get histonen , ecrivant en latin , non-seulemenl olail aux paroles du roi celte naivete fa- milierequi en fail le cbarme, el qu'on nepeul tradu.re; mais U imilait encore les anciens auteurs latins , qui mellaient leurs pro- pres idees dans la bouche de leur personnage, se piquant p utot d'etre orateurs elegants que narrateurs fideles. Voici la partie la plus essentielle du discours que lint Henri IV au parlemenl : « Je prends bien les avis de lous mes serviteurs ; lorsqu on m en « donne de bons, je les embrasse; el si je Irouve leur opinion • meilleure que la mienne, je la change fori volontiers. II n y a « pas un de vous que quand il me voudra venir Irouver el me « dire , Sire . vous failes telle chose qui est injusle a toute ra.son, « que ie ne Tecoule fori volontiers. 11 s'agil mainlenant de (aire . cesser lous faux bruits ; il ne faul plus faire de distinction de « catboliques el de huguenots; il faul que lous soienl bons Fran- « cais et que les catboliques convertissenl les huguenots par • rexemple de leur bonne vie ; mais il ne faul pas donner occasion . aux mauvais bruits qui courenl par tout le royau"ie : vous en « etes la cause , pour n'avoir pas promptemenl veriQe 1 edit. « J'ai recu plus de biens et plus de gr&ces de Dieu que pas un « de vous ; je ne desire en demeurer ingrat ; mon naturel n est pas « dispose a I'ingralilude , combien qu'envers Dieu je ne puisse elre . autre; mais pour le moins j'espere qu'il me fera la gr^ce d avoir . toujours de bons desseins, Je suis catholique, el ne veux que CHAPITRE XL. 393 « personne en mon royaume affecle d'etre plus catholique que « moi. fitre catholique par interet,c'esl ne valoir rien. « On dit que je veux favoriser ceux de la religion , et on veut «< entrer en quelque mefiance de moi. Si j'avois envie de ruiner la a religion catholique, je ne my conduirois de la facon : je ferois ■ venir vingt mille hommes ; je chasserois d'ici ceux qu'il me « plairoit; et quand j'aurois commande que quelqu'un sortit, il « faudroit obeir. Je dirois : Messieurs les juges, il faul verifier I'e- « dit, ou je vous ferai mourir. Mais alors je ferois le tyran. Je « n'ai point conquis ce royaume par tyrannie, je i'ai par nature « el par mon travail. « J'aime mon parlemenl de Paris par-dessus tons les aulres; il « faul que je reconnoisse la verite, que c'est le seul lieu oil la jus- « lice se rend aujourd'hui dans mon royaume ; il n'est point cor- « rompu par argent. En la plupart des auties, la justice s'y vend ; « et qui donne deux mille ecus I'emporte sur celui qui donne « moins. Je le sais , parce que j'ai aide autrefois a boursiller ; mais « cela me servoil a des desseins particuliers. « Vos longueurs el vos difficultes donnenl sujel de remuements « etranges dans les villes. L'on a fait des processions conlre I'edit, « meme a Tours, ou elles se devoient moins faire qu'en lout autre « lieu , d'autant que j'ai fait celui qui en est archeveque. L'on en « fait aussi au Mans, pour inspirer aux juges a rejeter I'edit; cela « ne s'esl fail que par mauvaise inspiration. Empechez que de « telleschoses n'arrivent plus. Je vous prie queje n'aie plusa par- « ler de cetle affaire, et que ce soil pour la derniere fois. Faites- « le, je vous le commande el vous en prie. » Malgie ce discours du roi , les prejuges etaienl encore si forts, qu'il y eut de grands debats dans le parlemenl pour la verification. La compagnie etait parlagee entre ceux qui , ayant ete longtemps du parti de la Ligue , conservaient encore leurs anciens seuti- ments sur ce qui concernait les affaires de la religion , et ceux qui, ayant ete aupres du roi a Tours et a Chalons, connaissaient mieux sa personne et les besoins de I'fital. L'cloquence et la sagesse de deux magistrals ramenerent lous les esprils. Un conseiller uomme Coqueley, autrefois ligueur violent, el depuis detrompe, fit un tableau si touchanl des malheurs oil la guerre civile avail reduit la France , el du bonheur attache a Tespril de tolerance , que tous les cojurs en furenl emus. Mais il y avail dans le parlemenl des t- • ) J94 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS, hommes Ires-savants dans les lois , qui , trop frappes des ancienncs rois severes des deux Theodose contre les hereliques , pensaient que la France devait se conduire par les institutions de ces em- Le president Auguste de Thou . encore plus savant qu eux , les battit par leurs propres armes. « L'empereur Justin, leur dit-il , . voulut extirper I'arianisme dans TOrient ; il crut y parvenir en . depouillant les ariens de leurs eglises. Que fit alors le grand Theo- . doric, mailre de Rome et d'ltalie? 11 envoya I'eveque de Rome « Jean 1" avec un consul et deux palrices en arabassade a Cons- « lantinople , declarer a Justin que s'il perseculait ceux qu on ap- « nelait ariens, Theodoric ferait mourir ceux qui se nommaienl • seuls catholiques. Cette declaration arreta Tempereur et.l n y « cut alors de persecution ni dans I'Orient ni dans Occ.dcnt. « Un si grand exeinple rapporle par un homme tel que de Thou, rimage frappante d'un pape allant lui-meme de Rome a Conslan- iXnol parler en favour des hereliques, Hrent une s, pu.ssante impression sur les esprits , que I'edit de Nantes passa tout d une voix , et fut ensuite enregistre dans tous les parlements du royaume». . . , ,. . , . .,^.. Henri IV donnait en meme temps * la paix a la religion et a I Elal. 11 faisait alors le traite de Vervins avec le roi d'Espagne. Ce fut le premier traite qui fut avanlageux a la France. La paix de Ca- teau-Cambresis , sous Henri II , lui avait coute beaucoup de v.lles. Gelles que firent Francois I- et ses predecesseurs furent ruineuses. Henri IV se lit rendre tout ce que Philippe II avail usurpe dans les temps malheureux de la Ligue; il fit la paix en victoneux; la fierte de Philippe II fut abaissee ; il souffrit qu'au congres de Ver- vins ses ambassadeurs cedassent en tout la preseance aux ambas^ .adeursde France, en couvrant son humiliation du vam pretexte . L'6dit de Nantes avait les memes incom;6nienls ^«« ^^^/^^^^^^^P^"^* cation du chanceUier de IHospital. Ce n^.Uit pas une loi de tolerance des- ^Tk LSitenrious les mdnbres de lEtat dans le droit^de professcr U- Klmenr^ crS ance et le culle quite ont adopts. ^^«" ^^AS^ ei nature droit auuuel jamais un homme n'a pu renoncer saus etre fou . et S^i oarc^LSi ioi positive ne pent l^gitimeraent pnver un tul cKm^^^^^^ porl^e du coasentement unani.ne de tous les autra^ : nSit de Naites n'^tail qu-un traite de paix entre les sectaleurs des deux reU» » ne P««vait subsister quaussi lonstemi>s que les forces des deux partis se contre-balanceraient. K. * 7 juin 1598. CHAPITRK XLI. g^. que ses plenipotentiaires n'etaient que ceux de I'archiduc Ernest gouverneur des Pays-Bas , et non pas ceux du roi d'Espa-ne ' Ce meme monarque qui du temps de la Ligue disait , « Ma ville « de Pans ma ville de Reims , ma ville de Lyon , ,. et qui n'appe- Ia,t Henr. IV que le prince de Beam, fut force de recevoir la loi de celui qu'il avait meprise, et qu'il respectait dans son coeur s'il connaissait la gloire. ' Henri IV vint jurer cette paix sur les iDvangiles dans I'eglise ca- Ihedrale de Paris*. Cetle ceremonie se fit avec auUnt de magni- hcence que Henri meltait de simplicite dans sa vie privee (4 et 21 jum 1698). Les ambassadeurs d'Espagne elaient accompagnes de quatre cents genlilshommes. Le roi, a cheval, a la tete de tous es princes , des dues et pairs , et des grands officiers , suivi de six cents genlilshommes des plus distingues du royaume , signa le Iraile et prononca le serment, ayant le legal du pape a sa droite. et les ambassadeurs d'Espagne a sa gauche. II n'est point dil que le parlement assisla a cette ceremonie ni qu'il ait enregistre le traite ; soit qu'on regardat cette grande so- lennite du serment comme suflisante , soit qu'on crut que les en- regislremenls n'etaient necessaires que pour les edits dont les juges devaienl maintenir I'observation. Ce jour fut une des plus celebres epoques du regne trop court de Henri IV. CHAPITRE XLT. Divorce de Henri IV. Le parlement n'eut aucuiie part au divorce de Henri IV avec Marguerite de Valois , sa premiere femme **. Elle passait pour sle- rile, quoique peut-etre elle ne I'eut pas etc en secret. Elle etail agee de quarante-six ans , et il y en avait quinze qu'une extreme incompatibilite reciproque la separait de son mari. II etait neces- saire que Henri IV eut des enfants, et on presumait qu'ils seraient dignes de lui. Une affaire si importante , qui dans le fond est en- herement civile, et qui n'est un sacrement qu'en vertu d'une grace de Dieu accordee aux epoux maries dans I'Eglise, semblail de- voir etre nalurellement du ressort des lois. Les sacremenls sonl • 21 jiiin 1598. - •• 19 dc-ccinhre 1333. 1 HISTOWE DU PARLEMENT DE PARIS. . .1 m,i n*a rien de commun avec les inter«» d'un ordre surnalurel , qui n a rieii u des particuliers el des 8<>"»«™";- ji„i,u,i^ ; on s'adressa pas permis en ce cas a un ro. d avo Q ^ To roi d-Anglelerre H«""^" "J ;7„;„a son consentemenl. crut sur du pape. La re.ne M»'8^ ''^J" j^^j^,, q„i f„rent Le pape fit examiner - ^ -^, J^tq^de^^^^ . et un autre ,e cardinal de Joyeuse «- " J^» ' ^^p,,;, i„,erroger juridique- nalien. eveque d *''<=- "^^^'isUions simuleespour par- ment le roi et la re.ne On B d«* J^" . „„ ^ f„„da sur des rai- veoir i un jagemen. deja W^J^'*^;* ^^^ i,a raison d'tlat permission du pape pour avo.r >>«»"• ,„^^ ., sa mere Enfln ron ^^^^^^^Z^Z menso'nge et .des a epouser Henri. C etail a la lois Romams, nos mallres et nos ^«ft»^^f ^®"'' ' ,'" .:„ues avec les lois civiles a dangereux melange des ^^^^/^^^^^ Jeraue oules les nations eorLpu la vraie '^^^^^^'^^'^^^^^^^^ n^odernes : '^^^''^1''"^''^.^^^^ et le pape fut heureux que Marguerite de Valois lui politique. CHAPITRE XLII. Si7 CHAPITRE XLII. J^suites rappel^s. Le pape, qui avail donne au roi la permission d'epouser une autre femme, etauquel on demandait encore une autre dispense pour le mariagede madanoe Catherine, toujours protestanle , avec le Ills du due de Lorraine, exigeait toujours que pour prix de ces deux ceremonies on recut en France le concile de Trente , etqu'oa rappelat les jesuites. Pour le concile de Trente, cela etait impos- sible; on se soumellait sans difficulle a tout ce qui regardait le dogme; mais il y a vingt-quatre articles qui choquent les droits de lous les souverains, et particulierement les loisde la France. On n'osa pas seulemenl proposer au parlement une acceplation si revoltanle ; mais pour le retablissement des jesuites , le roi crut devoir au pape cette condescendance. lis s*adresserent, pour mieux reussir, a laVarenne, homme dont le metier n'avait pas ele jusquela de se meler des affaires des moines. II avail etc en premier lieu cuisinier de la soeur du roi, el avail servi ensuite de courrier au frere aupres de toutes ses mattresses. Ce nouvel emploi lui procura des richesses el du cre- dit ; les jesuites le gagnerent. II etail gouverneur du chateau de la Fleche apparlenanl au roi , el avail Irouve le moyen den faire une ville. II voulaitia rendre considerable par un college de jesuites, el avail deja propose de leur donner un rcvenu qui se monta de- puis a qualrevingt mille francs , pour enlretenir douze pauvres ecoliers, et marier lous les ans douze filles. C'etait beaucoup; mais le plus grand point etail de faire revenir les jesuites a Paris. Leur retour etail difficile apres le supplice du jesuite Guignard, el Tarret du parlement qui les avail chasses. Le due de Sully representa au roi combien I'admission des je- suites etail dangereuse ; mais Henri lui ferma la bouche en lui di- sanl : « lis seront bien plus dangereux encore si je les red u is au « desespoir. Me repondez-vous , dil-il, de ma personne.? el ne « vaut-il pas mieux s'abandonner une fois a eux , que d'avoir tou- « jours a les craindre? » Rien n'est plus etonnant quece discours; on ne concoit pas qu'un homme lei que Henri>IV rappelat uniquement les jesuites VOLT. — HIST. DU PARLEMBIST. 23 39S HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE XLIII. 399 par la crainte d'en etre assassine. II est vrai que, depuis le parricide de Jean Ch^tel , plusieurs moines avaient conspire pour arracher la vie h ce bon prince. Un jacobin de la ville d'Avesnes s'elait of- ferl a le tuer il n*y avail que quatre ans. II recut de I'argent de Malvezzi , nonce du pape a Bruxelles ; il se presenta ensuite a un jesuite , nomme Hodum , confesseur de sa mere , qui etail fort de- vote, et qui, ne croyant pas qu'en effet Henri IV fiil bon catho- lique , encourageait son fils a suivre I'exemple du jacobin Jacques Clement*. Le jesuite Hodum repondit qu'il fallait un homme plus fort et plus robuste. Gependant Tassassin , esperant que Dieu lui donnerait U force nec«ssaire , s'en alia a Paris dans I'intention d'executer son crime. II fut decouvert et rompu vif en 1599. Dans le meme temps, un capucin nomme Langlois, du diocese de Toul , ayant ete subome pour le meme dessein , expira par le meme supplice. Enfm, il n'y eut pas jusqu'a un chartreux nomme Ouin , qui ne fut atteint de la meme fureur. Le roi , fatigue de ces attentats et de ces supplices , s*4tait contente de le faire enfermer comme un insense , et n*avait pas voulu qu'un chartreux fiit exe- cute comme un parricide. Comment , apres tant de preuves funestes des sentiments horri- bles qui regnaient alors dans les ordres religieux , pouvait-il en adroettre un qui etait generalcment plus soupqonne que les autres ? II esperait se Tattacher par des bienfaits. Si le roi avaitquelquefois parte en pere au parlement , le parlement dans cette circonstance lui parla en 61s qui craignait pour les jours d'un pere. II joiguait a ce sentiment une grande aversion pour les jesuites. Le premier president, de Harlay, anime par ces deux motifs, prononqa au Louvre** des remontrances si pathetiques et si fortes, que le roi en parut ebranle; il remercia le parlement, mais il ne changea point d'avis. « II ne faut plus reprocher, dit-il , la Ligue aux je- « suites ; c'etoit Tinjure du temps. lis croyoient bien faire, et ont « ete trompes comme plusieurs autres ; je veux croire que c'a ete « avec moindre malice que les autres , et m'assure que la meme « conscience, jointe a la gr^ce que je leur fais , les rendra autant» a voire meme plus affectionnes a mon service qu'a la Ligue. L'on « dit que le roi d'Espagne s'en sert ; je dis que je m'en veux ser « vir, et que la France ne doit pas etre de pire condition que I'Es- « pagne. Puisque tout le monde les juge utiles, je les tiens neces- « saires a mon Etat; et s'ils y ont ete par tolerance , je veux qu'ils « y soient par arret. Dieu m'a reserve la gloire de les y retnblir; « ils sont nes en mon royaume et sous mon obeissance : je ne « veux pas entrer en ombrage de mes naturels sujets; et si Ton « craint qu'ils communiquent mes secrets a mes ennemis , je ne « leur communiquerai que ce que je voudrai. Laissez-moi con- «t duire cette affaire, j'en ai manie d'autres bien plus difticiles; el «( ne pensez plus qu'a faire ce que je dis et ordonne. » Le parlement verifia enfin avec regret * les letlres patentes ; il y mil des restrictions necessaires , que le credit des jesuites fit en- suite supprimer. CHAPITRE XLIII. Singulier arr^t du parlement centre le prince deCkindd, qui avait era- men^ sa femme a Bruxelles. Henri IV etait le plus grand homme de son temps, et cependanl il eut des faiblesses impardonnables. On ne peut I'excuser d'avoir, a r^ge de cinquante-sept ans, fait Tamour a la princessede Gonde, qu'il venait de marier lui-meme. Void ce que le conseiller d'Etat Lenet nous dit avoir appris de la bouche de cette princesse. Le prince de Conde , son mari , s'etait retire avec elle a I'enlree de la Picardie. Un des confidents de Henri IV, nomme de Trigny , sul engager la mere el la femroe du prince a venir voir chasser la meule du roi, et a vouloir bien accepter une collation dans sa maison. Elles y allerent : un piqueur de la livree du roi s'approcha de la portiere, avec un emplatre sur Toeil, sous pretexte de les con- duire. C'etait Henri IV lui-meme. Celle qui etait I'objet de cet etrange deguisement avoua depuis a Lenet qu'elle n'en avait pas ete f^chee, non qu'elle put aimer le roi, mais elle etait flattee de plaire au souverain, et meme de I'avilir. Des qu'elle fut arrivee au chdteau du sieur de Trigny , elle vit le roi qui Taltendait, et qui se jeta a ses pieds. Elle fut effrayee : sa belle-mere eut Timprudence \i • 1599. - ♦* 24 dtJcembre i603. • 2 Janvier 1604. 408 IIISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. d'en averlir le prince de Conde , qui bienlol apres s'etanl plaint inutilement au roi, et Payant appele tyran, commc Ics Memoires dc Sully Tavouent, obligea sa femmede s*enfuir af ec lui, et de lo suivre en croupe a Bruxelles. Si on s'en rapporte a toutes ies lois de Thonneur, de la bien- seance , aux droits de tous Ies maris , a ceux de la liberie natu- relle , le prince de Conde n'avait nul reproche a se faire, et ic roi seul avait tort. II n'y avait point encore de guerre entre la France el I'Espagne ; ainsi on ne pouvait reprocher au prince de s'elre re- tire chez Ies ennemis. Mais apparemment il y a pour ceux dusang royal des lois qui ne sont pas pour Ies autres homnaes. Henri IV alia lui-meme au parlement sans ponipe, sans ceremonie, s'assit aux bas sieges, le parquet etant garde par Ics huissiers ordinaires : la il fit rendre un arret par lequel le prince etait condamne a subtr tel chdtimenl qu'il plairait d Sa Majeste d'ordonner. Le parlement etait sur, sans doute, que le roi n'en ordonnerait aucun ; mais par I'enonce il semblait que le roi fiit en droit d'ordonner la peine de mort. Cependant Tequite naturelle el le respect pour le genre hu- main ne doivent laisser un tel pouvoir a personne , fiil-ce a un Henri IV. Heureusement il est tres-faux que ce grand roi ait ajout^ a sa faiblesse celle de vouloir, a son ^ge, faire la guerre pour arracher nne jeune femme a son mari ; il n'etait capable ni d'une si grandc injustice ni d'un tel ridicule. Vitlorio Siri Ten accuse; mais cet llalien, attache a Marie de Medicis, ne I'etait pas a Henri IV '. Ce qui n'est que Irop vrai, c'est que celle avenlure nuisit beaucoup a sa reputation. Les resles de la Ligue, Ies factions italienne et ' Henri IV s'etait pr^par^ depuis longtemps k celte guerre II voyait que si la maison d'Autriche rc^ussissait dans le projet de semparer de tous les pelils filats d'Allemagne et d'ltalie , la France , enclave dans ce nouvel em- pire, serait expos^e k devenir une de ses provinces. II s'dtait d^clar^ le pro- tecteur des princes de Fltalie et de i'Einpire; el il ne voulail pas souffrir que Tempereur s'emparat , sous le nom de s^questre , de rii^ritase des dues de Cieves et de Juliers. LMiutneur que lui causa la fuite du prince de Cond^ k Bruxelles augmenta sans doute son ardour centre les Espagnols, comme la resolution qu'il avait form^e de declarer la guenc ;» rEspasneauginentail la colereque lui causait T^vasion du prince. Et si une guerre offensive, qui n'a pour objet que la sftret^ pr^nte d'une nation , peut etre une guerre juste, celle que Henri IV entreprenait ^lait legitime. Les petiles passions des rois les trompent souvent, et peuvent leur faire adopter de raauvais plans de politique : elles attiseni les guerres; mais c'est la politique et lam- bition qui les allunient. K. CHAPI TRE XLIV. 401 •espagnole qui dorainaient dans ic royaume, le decrierent; son economic necessaire fut laxee d'avarice , sa prudence d'ingrali- tude; ses amours ne le firent pas eslimer; il ne fut point connu tant qu'il vecut, il le disail lui-meme ; et on ne I'aima qu'apres sa mort deplorable. CHAPITRE XLIV. Meurtre de Henri IV. Le parlement declare sa veuve r^gente. La France goulait depuis la paix de Vervins une felicite qu'elle n'avait presque jamais connuc. Les factious catholiques et pro- teslanles claient contenues par la sagesse de ce roi , qui serait re- garde comme un grand politique , si sa valeur et sa bonte n'a- 'vaient pas eclipse ses aulres mcriles. Le peuple respirait, les grands elaient moins tyrans, I'agriculture etait parlout encou- ragee , le commerce commencait a fleurir, les lois reprenaient leur autorite. Les dix dernieres annees de la vie de ce prince ont ete peut-etre les plus heureuses de la monarchic. II allait changer la face de TEurope, comme il avait change celle dc la France. Pret ^ partir pour secourir ses allies, et pour faire le destin de I'Alle- magne, a la tele de la plus florissante armee qu'on eiit encore vue, il fut assassine, comme on ne le sait que trop, par unde ces mi- serables de la lie du peuple, a qui le fanatisme de la canaille des ligueurs et des moines inspira seul celte frenesie. Tout ce que I'insatiable curiosile des homraes a pu rechercher surle crime de Ravaillac , lout ce que la malignite a invente, doit etre mis au rang des fables. II est constant que Ravaillac n'eut d'autre complice que la rage de la superstition. On a reraarque que le premier assassin enlhousiaste qui lua Francois de Guise par devotion , et Ravaillac qui lua Henri IV par le meme principe, elaient tous deux d'Angouleme. II avait enlendu dire que le roi allait faire la guerre aux catho- liques en faveur des huguenots; il croyait meme, d'apres les bruits populaires, qu*il allait altaquer le pape : ce fut assez pour determiner ce malheureux. 11 en tit I'aveu dans ses interrogatoires, il persista jusqu'au milieu de son supplice. Son second interrogatoire porle expressement , « qu'il a cru « que, faisant la guerre contre le pape, c'etait la faire a Dieu, d*au- 402 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. n tant que le pape est Dieu, et Dicu est le pape. » Ccs paroles doiventclre eternellement presentes a tous lesesprits; elles doi- vent apprendre de quelle importance il est d'empechcr que la re- ligion, qui doit rendre les hommes sages et justes, n'en fasse des monstres insenses et furieux ^ Les historiens peuventils avoir une autre opinion que les juge& sur un point si important et si discute? II y a de la demence a soupQonner la reine sa femme, et la marquise de Yerneuil sa mai- tresse, d'avoireu part a ce crime. Comment deux ri vales se se- raient-elles reunies pour conduire la main de Ravaillac? II n'est pas moins ridicule d'en accuser le due d'£pernon. Les rumeurs populaires ne doivent pas etre les monuments de This* toire. Ravaillac seul, il faut en convenir, changea la destinee de I'Europe entiere. Cetle horrible avenlure arriva le vendredi 14 mai 1610, sur les quatre heures du soir. Le parlement s'assembia incontinent dans ia salle des Augustins, parce qu'alors on faisait des preparatifs au palais pour les fetes qui devaient suivre le sacre et le couronne- ment de la reine. Le chancelier Sillery va d'abord prendre I'ordre de Marie de Medicis. On a fort vante la reponse que lui fit ce magistral qunnd elle lui dit en pleurant : « Le roi est done mort ! — Madame, les rois ne « meurenl point en France. » Un tel discours n'etait ni juste, ni con- solant , ni vrai, ni place. C'est une equivoque pedantesque, fondee sur ce que Theriiier du sang succede de droit; mais s'il n'y avail point eu d'heritier du sang , la reponse eut ele fausse ; et d'ailleurs le lils succede a sou pere en Espagnc et en Angleterre , comme en France. Le due d'fipernon arrive au parlement sans porter le manteau, » Dans un ouvrage public par un moine en 1780, on lit que Ravaillac (Jtait un fanatique d'Etat; eton ajoute que ces fanatiques d'Etat sent tr6s- dangereux , et beaucoup plus conimuns qu'on ne pense. U est Clair que Ravaillac n'^tait et ne pouvait elie qu'un fanatique de religion : ce n'^tait point du tout un Timulton , un Brutus , uii Sidney , un Padilla, un Nassau, un Tell, un chef d'insurgenls, mais un fou, k qui les moines avaient tourn^ la t6le. Quand Brutus soufflait le feu , il ne voyail pas de petits Jupiterssortirde son soufflet , comme Ravaillac voyaitde petites hosties sortir du sien- M. le prieur de Chateau-Kenard ne persua- dera k personne que Henri IV ait M assassin^ par Teffet du zcle palrio- tiquc, ni que ce zele soit tres-commun , et encore moins qu'il soit dang»> reux. K. CHAPITRE XLIV. 401 qui etait un habillement de ceremonie et de paix ; et ayant confere quelques moments avec le president Seguier, mettant la main sur ;a garde de son epee : « Elle est encore dans Ic fourrcau, dit-il « d'un air menacant. Si la reine n'est pas declaree regenle avant « que la cour se separe , il faudra bien Ten tirer. Quelques-uns « de vous demandent du temps pour deliberer ; leur prudence n'est « pas de saison : ce qui pent se faire aujourd'hui sans peril ne se «< fera peut-etre pas demain sans carnago. >» Le convent des Augustins elalt entoure du regiment des gardes ; on ne pouvait resisler, et le parlement n'avait nolle envie de re- noncer a I'honneur de nommer a la regence du royaume. Jamais on ne fit plus volontairement ce que la force exigeait. II n'y avail point d'exemple que le parlement eiit rendu un pareil arret. Gelte nouveaute allait conferer au parlement le plus beau de tous les droits. On delibera pour la forme, on declara la reine regente. II n*y eut que trois heures entre le meurtre du roi et cet arret. Des le lendemain le jeune roi Louis XllI, age de huit ans et neuf mois , vint tenir aux memes Augustins, avec sa mere, ce qu'on appelle un lit de justice. Deux princes du sang, quatre pairs laiques et trois marechaux de France etaient a droite du roi sur les hauts sieges ; a gauche , quatre cardinaux et quatre eveques. Le parlement etait sur les has sieges , selon I'usage deslits de jus- tice. Ce ne fut qu'une ceremonie. Les grands desseins de Henri IV, la gloire el le bonheur des Francais, perirent avec lui. Ses Ircsors furent bienlot dissipes, et la paix dont il avail fait jouir ses sujets fut changee en guerre civile. La France fut livree au Florentin Concini , et a Galigai , sa femme, qui gouvernait la reine. Le parlement, apres avoir donne la regence, ne fut consulte sur rien : c'etait un meuble dont on s'etait servi pour un appareil eclatant , et qu'on renfermail en- suite. II remplit son devoir en condamnant tous les livres ultra- montains qui conlenaient ces folles opinions de I'autorile du pape sur les rois , et ces maximes affreuses qui avaient mis le couteau a la main de tant de parricides ; livres aujourd'hui en horreur a loute la nation , et aussi ennuyeux qu'execrables. HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CIIAPITRE XLVI. 405 CHAPITRE XLV. Obrtques du grand Henri IV. C'est un usage de ne celebrer Ics funerailles des rois de France que quaranle jours apres leur mort. Le corps erabaume est cn- frrme dans un cercueil de plomb, sur lequel on eleve une Hgure de cire qui le represenle au naturel autant qu'on le peul. Vis-a- vis cetle figure on sert la table royale a I'heure ordinaire des re- pas, et les viandes sont abandonnees aux pauvres. Des pretrcs , jouret nuit, chanlentdes prieres aulour de limage. Cetle coutume est venue d'Asie dans nos climats. II faut remonterjusqu'aux an- ciens rois de Perse pour en apercevoir I'origine ; elle est rarement observee. Les depenses qu'elle exige sont Irop fortes dans un pays oil souvent I'argent manque pour les choses les plus necessaires. Henri IV avait iaisse de grands tresors. Plus sa mort etait deplo- rable, plus sa pompe funebre fut magnilique. Le 29 juin *, le corps fut porte de la grande salle du Louvre a Notre-Dame, ou on le laissa en depot, et le lendemain a Saint- Denys. L*effigie en cire etait portee sur un brancard apres le cer- cueil. Tous les corps de I'fitat assistaient en deuil a cette ceremo- nie; mais le parlement etait en robes rouges, pour marquer que la mort d'un roi n'inlerrompt pas la justice. 11 voulut suivre immediatement la figure de cire ; mais Teveque de Paris pretendit que c'etait son droit. Celte contestation troubia longtemps la ceremonie. Les huissiers du parlement voulurent faire retirer I'eveque de Paris Henri de Gondi, et I'eveque d'An- gersMiron, qui faisait les fonctions de grand aumonier. Le convoi s'arreta, le peuple fut etonne et scandalise. L'ordre de la marche devait avoir ete regie, pour prevenir toute dispute; mais de pareilles querelles n*ont ete que trop frequentes dans ces ceremonies. II fallut recourir a la decision de la reinc, et que le comle de Soissons, a la tete d'une compagnie des gardes , mamtinl les deux eveques dans le poste qui leur semblait dii, puisqu il s'agissait de la sepulture , qui est une fonction ecclesiasliquc. Les gardes meme saisirent un conseiller qui faisait resistance ; c etait 1610. Paul Scarron , le pere du fameux poete burlesque Paul Scarron, plus celebre encore par sa femme. Lorsqu'on fut arrive a Saint-Denys , les pentilshorames ordinai- res du roi porlerent le cercueil dans le caveau. De somplueux re- pas sont loujours la iin de ces grands appareils. Le cardinal de Joyeuse qui officia dans Saint Denys , I'eveque d'Anj^ers qui pro- non(2a I'oraison funebre , dhierent au refectoire des religi^ux avec tout le clerge. On dressa trois tables dans la salle du chapitre : la premiere, pour les princes el les gi'ands officiers de la couronne; la seconde , pour le parlement ; et la troisieme , pour tous les of- ficiers de la maison du roi. ^ , II semble que, si le parlement avait ete regarde dans ces cere- monies comme cour des pairs, il aurait du manger avec les princes du sang qui sont pairs ; et que , siegeant avec eux dans la meme cour de justice, il pouvait se mettre avec eux a la meme table : mais il y a toujours quelque chose de contradictoire dans tous les usages. On prctendait que le parlement n'etail la cour des pa^rs que quand les princes et pairs venaient tenir celte cour ; et Teti- quette ne souffrait pas alors que les princes, et surtout les princes du sang, admissent a leur table les conseillers au parlement. Ces details concernant les rangs sont le plus mince objet de fhisloire ; et tous les details des querelles excitees pour la pre- seance sont les archives de la petilesse plutot que celles de la grandeur. CHAPITRK XLVI. Etats g^neraux. Etranges assertions du cardinal Duperron. Fid^litd ct fermete du parlement. La regence de Marie de Medicis fut un temps de confusion , de faiblesse et de rigueur mal placee , de troubles civils et de conti- nuels orages. L'argent que Henri IV avail amasse avec lanl de peine fut abandonne a la rapacite de plusieurs seigneurs qu'il fal- hit gagner, ou des favoris qui I'extorquerent. Le Florenlin Concini, bientot marechal de France sans avoir jamais commande un seul bataillon , sa femme Galigai, qui gou- vernail la reine , amasserent en peu d'annees plus de tresors que plusieurs rois ensemble n'en possedaienl alors. Dans cette deprc 23. 406 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE XLVI. 407 dalion universelle, et dans ce choc de tanl de factions, on nssem- bla sur la fin de 1614 les elals generaux dans celle meme salle des Augustins de Paris , ou le parlement avail donne la regence. Ja- mais il n'y eut d'elats plus nombreux ni plus inuliles. La chambre de la noblesse elait composee de cent trente-dcux deputes , celle du clerge de cent quarante, celle du tiers etatde cent qualre vingt- deux. Le parlenaent n*eut point encore de seance danscette grande assemblee. L'universite presenta requete pour y elre admise , el fit signifiermeme une assignation ; raais sa requete ful rejeleeavec un rire universel , el son assignation regardee comme insolenle. Elle se fondait sur des privileges qu'elle avail eus dans des temps d'ignorance. On lui fit senlir que les temps elaient changes, et que les usages changeaienl avec eux. L'universite n'ayant fail qu'une demarche imprudente , le par- lement en fit une qui merile dans tous les ages les applaudisse- menls de la nation entiere , et qui cependant ful Ires-mal recue a la cour. Le tiers elat est sans doulc la nation meme, el alors il I'clait plus que jamais. On n'avail point augmenle le nombre des nobles comme aujourd'hui ; le peuple ctail en nombre , par rapport a la noblesse el au clerge, comme mille est a deux. La chambre du tiers elat proposa de recevoir, comme loi fondamenlale, que nulle puissance spirituelle n'est en droit de deposer les rois, et de delier les sujels de leur serment de (idelite. II elait deja honteux qu'on flit oblige de proposer une telle loi , que le seul bon sens el Tin- teret de tous les hommes ont du rendre de lout temps sacree et inviolable; mais ce qui fut bien plus honteux, el ce qui etonnera la derniere poslerite, c'est que les chefs de la chambre du clerge la regarderent comme herelique. II suffisail d'avoir passe dans la rue de la Ferronnerie , et d'a- voir jele un regard sur I'endroil fatal ou Henri IV fut assassine^ pour ne pas fremir de voir la proposition du liers elat combattue. Le cardinal Duperron , qui devait lout ce qu'il elait a ce meme Henri IV, intrigua , harangua dans les trois chambres pour empe- cher que I'independance et la surele des souverains , elablie par tous les droits de la nature , ne le fiit par une loi du royaume. II convenait qu'il n'est pas permis d'assassiner son prince , mais il disait qu'il est de foi que I'figlise peut le deposer. Get homme , si indigne de la reputation qu'il avail usurpee , devait bien voir qu'en donnant a des pretres ce droit absurde el affreux de depouiller les rois , c'etait en effet les livrer aux assas- sins; car il est bien rare d'oter a un roi sa couronne sans luioter la \ie. Etant depose , il n*est plus roi; s'il combat pour son trone, il est un rebeile digne de mort. Duperron devait voir encore que c'etait la cause du genre humain qu'il combaltait ; et que si I'Eglise pouvait depouiller un souverain , elle pouvait a plus forte raison depouiller le reste des hommes. « Mais , disait Duperron dans ses harangues, si un roi qui a « jure a son sacre d'etre catholique se faisait arien ou rausulman, « ne faudrail-il pas le deposer? » Ces paroles etonnerent el ron- fondirenl le corps de la noblesse. Elle pouvait aisement repondre que le sacre ne donne pas la royaute ; que Henri IV calviniste avail ete recoimu roi par la plus saine parlie de celle meme no- blesse, par quelques eveques meme, par la republique de Venise, par le due de Florence, par I'Angleterre, par les rois duNord, par tous les princes qui n'etaient pas dans les fers du pape et de la maison d'Aulriche. Tous les Chretiens avaient obei autrefois a des empereurs ariens : ils ne se revolterent point contre Julien le Philosophe devenu paien, qu'ils appelaicnl aposlat. La religion n'a rien de commun avec les droits civils. Un homme, pour elre raahometan, n*endoit pas moins elre I'heritier de son pere. Deux cent mille Chretiens de la religion grecque, etablis dans Constan- tinople, reconnaissent le sultan lure. En un mot, la terre entiere devait elever sa voix contre le cardinal Duperron. Cependant lui et ses collegues persuaderent a la chambre de la noblesse qu'on avail besoin de la cour de Rome ; qu'il ne fallait pas la choquer par des questions epineuses , qui au moins elaient inuliles ; el que dans tout fitat il y a des mysteres qu'on doit laisser derriere un voile. Ces funestes harangues eblouirent la noblesse, d'ailleurs mecontente du tiers elat. La nation , rebutee dans ceux qui portaient ses platnles , s'a- dressa au parlement par I'organe de I'avocal general Servin , ci- loyen sage, eloquent , et Intrepide. Le parlement, assemble sans qu'il y eut aucun pair, donna un arret* qui renouveiait toutes les anciennes lois sur cc sujet important, et qui assurait les droits de la couronne. Tout Paris le recul avec des acclamations. Si oi^ • 2 Janvier 1615. >.» / 40S HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. en croit lesmemoires, le cardinal Duperron, en se plaignant de eel arret a la reine, protesla que si on ne le cassait, il 8erait oblige de se servir de la voie de rexcommunicalion. II parait inconcevable qu'un sujel ail dit a son souvcrain : « Si H vous ne punissez ceux qui souliennent vos droits, je les excom- « municrai. » La reine, aveuglee par la crainte du pape et de Tfi- glise, entouree de factions , eut la faiblesse de faire casser I'arrel par son conseil , el meme de meltre en prison riinpriraeur du parlement. Le pretexte etait qu'il n'appartenail pas a ce corps de slaluer sur un point que les elats examinaienl. Le parlement avail pris la sage precaution de se borner a renouveler les anciens arrets : elle ful inutile ; une politique lache Temporta sur Tinleret du roi et du royaume. On avail vu jusqu'alors en France de plus grandes calamites, mais jamais plus d'opprobre. Celte hontene ful effacee qu*en 1682, lorsque I'assemblee du clerge , inspiree par le grand Bossuet, arracha de ses regislres la harangue de Duperron, et detruisil, aulant qu'il elail en elle, ce monument de bassesse el de perlidie '. • Voici comment raisonnait Duperron : « La crainte de la mort n'arrite t pas les fanatiqiies ; c'esl leur conscience qiiM faut d^tromper. » Mais une decision des ^lats, adoptee meme par le clerg^, ne peul faire >mpres8ion sur les fanaliques, s ils ne la regardent pas romme une decision de I Eglise universelle. Or, TarUcle propose par le tiers etat comme une loi fondamen. talecontient trois parties. La premiere, quil n'eftpas perrais d assassmer les rois : toute I'EgUse en convienl, c'est un article de foi. La deuxiime. (lue I'autorit^ des rois de France est ind^pendanle quant au temporel; on en convient encore, selon Uui>erron ; mais pourtanl ce n*e8t pas un article de foi. . ». ,- ^ La troisieme , qu'il n'y a aucun cas ou les sujels puissent 6tre dispenses du sermenlde li.l^lit^; ce point parait contentieux k Duperron. D abord, iusuu'a la venue de Calvin , on a cru . dans toute lEglise , quon 6lait ab- sous du serment de fid^liti envers tout prince qui violait le strment fait i Dieu et k son peuple, de vivre et mourir en la religion calliolique; ct qu'un tel prince pouvait 6tre declare dicbu de tous ses droits, comme coupable de f^lonie envers le Christ. ,., r^^^. Le principe qu'il n'est pas permis d'assassiner les rots, perdraitsa force si on le m61ait avec une proposition probl^malique comme cette derniere. D'ailleurs , on ne pourrait adopter en France ce principe sans faire schisme avec le nape et le reste de I'Eglisc catholique , qui emit le contraire. Eiitin le tiers ^tat, en proposant cette loi, attribuait aux personnes iaiques le droit de juger des choses de la religion ; ce (lui est un sacrilege. Nousne ferons aucune reflexion sur ces principes , extraits hdeiement du discours de Duperron. K.. CHAPITRE XLVIl. 403 CHAPITRE XLVIL Querelle du due d'Epcrnon avec le parlement. Remonlrances mal recucs. Pendant que ces derniers elats generaux etaient assembles en vain , que cent intrigues opposees agitaient la cour, el que les factions ebranlaient les provinces, il survint entre le due d'Eper- non et le parlement une querelle egalement desagreable a Tun et a I'autre. Le due d'fipernon, autrefois favori de Henri III, ayant force le grand Henri IV a le menager, ayant fait donner la regence a sa veuve, bravait Concini et sa femme, qui goiivernaient la reine. II la fatiguait par ses hauteurs, mais il conservait encore eel ascen- dant que lui donnaient ses services, ses richesses , ses dignites , et surtout sa place de colonel general de Tinfanterie. Toujours intrigant, mais encore plus tier, il mettait dans toutes les affaires un orgueil insupportable, au lieu de cette hauteur noble et decente qui subjugue quand elle est placee. II arriva qu'un soldal du regiment des gardes tua un de ses ca- marades pres de Tabbaye de Saint-Germain des Pres. Le droit du colonel general etait de faire juger le coupable dans son conseil de guerre. Le bailli de Tabbaye s'etait saisi du mort eldu meurlrier. C*esl sans doute un grand abus que des moines soient seigneurs, et qu'ilsaient une justice ; mais enfln il etait etabli que le premier juge qui avail commence les informations demeural maitre de i'affaire. On est tres-jaloux de ce malheureux droit. Le due d'£)- pernon , encore plus jaloux du sien , redemanda son soldat pour le juger militairement ; le bailli refusa de le rendrc. D'Epernon fail briser les portes de la prison , el enlever le meurlrier avec le mort. Le bailli porte sa plainle au parlement : ce tribunal assigna d'£!pernon pour etre oui. Ce seigneur croyail que ce n*etait pas au parlement, mais au conseil du roi, a decider de la competence; il rcgardait l*assigna- tion comme un affront, plutot que comme une procedure legale. II ne comparut que pour insulter au parlement, menant cinq cents gentilshommes a sa suite , bottes , eperonnes , et armes. Le par- lement , le voyanl arriver en eel equipage, leva la seance. Les luges en sortaut furent obliges de dealer entre deux bales de 410 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. jcunes officiers qui les regardaient d'un air outrageant , el de- chiraient leurs robes a coups d'eperons. Celte affaire fut tres-difficile a terminer. D'un cole, le bon ordre exigeait qu'on fit au parlemenl une reparation authentique; d'un autre, la cour avait besoin de manager le due d'fipernon, pour I'opposer au prince de Conde , qui menaqait deja de la guerre civile. On prit un temperament; on ordonna, par une lettre de ca- chet, que le parlement suspendrait ses procedures contrele due d'fipernou, et qu'il recevrait ses excuses. II vint done se presenter au parlement une seconde fois *, tou- jours accompagne d'un grand nombre de noblesse. « Messieurs, dit-il,je vous prie d'excuser un pauvre capilaine « d'infanterie, qui s'est plus applique a bien faire qu'a bien dire. » Get exemple fut une des preuves que les lois ne sont pas faites pour les hommes puissanls. Le due d'fipernon les brava lou- jours. Ce fut lui qui, a peu pres dans le meme temps, ne pouvant souffrir que le garde des sceaux, du Vair, precedAt les dues el pairs dans une eereraonie a la paroisse du Louvre, le prit rudement par le bras , et le fit sortir de sa place et de I'eglise, en lui disant qu'un bourgeois ne devait pas se meconnaitre. Ce fut lui qui, quelques annees apres, alia avec cent cinquantc cavaliers enlever la reine-mere au chateau de Blois, la conduisit a Angouleme, el traita ensuite avee le roi de couronne a couronne* Les exemples de pareilles temerites n'elaient pas rares alors. La France retombait insensiblement dans Tanarchie dont Henri IV I'avait tiree par lant de travaux et avee lant de sagesse. Les elats generaux n'avaient rien produit : les factions redou- blaient. Le marechal de Bouillon , qui voulait se faire un parti puissant, engagea le parlement a convoquer les princes et les pairs pour deliberer sur les affaires publiques. La reine alarmee defen- dit aux seigneurs d'accepter celle invitation dangcreuse. Les pre- sidents et les plus anciens conseillers furent mandes au Louvre. Le chancelier de Sillery leur dit ces paroles ** : « Vous n'avez pas « fJus de droit de vous meler de ce qui regarde le gouvernement, « que de connaitre des comptes et des gabelles. » Le parlement , repara des remontrances ***. La reine manda encore quarante ma- 14 novembie ICI<4. — •• Oavril 1613 — •'• II avril 1613, CHAPITRE XLVII. 411 gistrats au Louvre : « Le roi est voire mailre , dit-elle ; et il usera w de son aulorilc, si vous contrevenez a ses defenses. » Elle ajoula qu'il y avait dans le parlement une troupe de factieux ; elle defen- dit les remontrances , el aussitot le parlement alia en dresser de tres- fortes. Le 22 mai*, le premier president, de Verdun, vint les pro- noncer a la tele du parlemenl. Elles regardaient preeisement le gouvernement de I'fitat : elles furent ecoulees et negligees. Tout finit |)ar enregistrer des letlres patentes du roi, qui ordonnaient aux .luifs elrangers de sortir de la France. C'elaient pour la plu- part des Juifs [)ortugais qui etaient venus envahir tout le commerce, que les Francais n'enlendaient pas encore, lis resterent pour la plupart a Bordeaux , et continucrcnt ce commerce qui leur etait defendu. Une autre affaire qui regardait plus parliculierement le parle- ment fut celle de la paulelte. C'etaitun droit annuel, imagine par un nomme Paulet sous I'administration du due de Sully. Tous eeux qui avaient oblenu des charges de judicature payaient par an la soixanlieme parlie du revenu de leurs charges ; moyennant quoi elles etaient assurees a leurs heritiers, qui pouvaient les garder ou les vendre a d'autres, comme on vend une melairie. Get abus ne faisait pas honneur au due de Sully. G'etait peut-etre I'unique tache de son ministere. Les etats de 1614 et 1615 demanderent fortement Tabolilion de ce droit et de celle venalile ; le ministere la prorait en vain. L'a- vanlage de laisser sa charge a sa famille Temporta sur le fardeau du droit annuel. II y a eu beaueoup de changement dans la per- ception de ce droit; on I'a moditie de vingt manieres, comme presque loutes les lois et tous les usages. Mais la honte d'acheler le droit de vendre la justice, et celui de le transmeltrea ses heri- tiers, a subsisle toujours. On a pretendu depuis que le cardinal de Richelieu approuva eel opprobre dans son pretendu Testament politique. On ne s'apercevait pas encore que ce Testament est I'ou- viage d'un faussaire aussi ignorant qu'absurde. • 1615. 412 HISTOIRt: DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE XLVIir. l)u meurtre du mar^chal d'Ancre et de sa femme. De plus grands evenements se preparaient : les factions s*aigris- saient ; Concini , marechal d'Ancre, n'entrait pas au conseil, mais il le dirigeait ; il etait le mailre des affaires ; et le prince de Gonde, premier prince du sang, en etait exclu. II eut le malheur de se croire oblige a prendre les armes, comme son pere et son grand- pere. Cette guerre civile dura peu ; elle fut suivie du Iraile de Loudun *f qui donnait au prince de Conde un pouvoir presque egal a celui de la regente. A peine le prince de Conde crut-ii jouir de ce pouvoir, que Concini le lit meltre a la Bastille. La prison de ce prince, au lieu d'etouffer les restes des guerres civiles, les ralluma ; chaque seigneur, chaque prince, chaque gouverneur de province prenait le parti qu'il croyait le plus convenable a ses in- terets , et en changeait le lendemain. Chacun ravissait ce qui etait a sa bienseance. Le due d'fipernon, qui etait retire dans TAngou- mois , tenia de se rendre maitre de la Rochelle. Le marechal de Lesdiguieres etait veritablement souverain dans le Dauphine. Le due de Nevers, de la m CHAPITRE LT. Du manage de Gaston de France avec Marguerite de Lorraine, casse par le parlement de Paris et par I'assembl^e du clerg^. Gaston, frere unique de Louis XIII, avait epouse en 1631, a Nancy, Marguerite, soBur du due de Lorraine Charles IV. Toutes les formaliles alors requises avaientete observees. II n'etait age que d'environ vingt-quatre ans; mais la reine sa mere ct le due de Lorraine avaient autorise et presse ce mariage. Le contrat avait ete communique au pape Urbain VIII, et en consequence le car- dinal de Lorraine , eveque de Toul , dans le diocese duquel Nancy se trouvait alors , donna les dispenses de la publication des bans. Les epoux furent maries en presence de lemoins; et deux ans apres, quand Gaston eut vingl-cinq ans , ils ratifierent solennelle- ment celte ceremonie dans I'eglise calhedrale de Malines,pour suppleer d'une maniere aulhentique a tout ce qui pouvait avoir ete omis. lis s'aimaient; ils etaient bien eloignes I'un et Tautre de se plaindre d'une union que le pape et toute I'Europe regardaient comme legitime et indissoluble. Mais ce mariage alarmait le car- dinal de Richelieu, qui voyait la reine-mere, le frere du roi , he- ritier presomptif, et le due de Lorraine, ligues contre lui. Louis XIII ne pensa pas autrement que son rainistre. II fallut faire penser le parlement et le clerge comme eux , et les engager a casser le mariage. On alleguait que Gaston sVtait marie contre la volonle du roi son frere; mais il n'y avait point de loi expresse qui portdt qu'un mariage serait nul quand le roi n'y aurait pas consent!. Gaston avait personnellcmenl offense son frere; maisle marini^e d*un cadet etait-il nul par cette seule raison qu'il deplai- saita Paine? Louis XI, etant dauphin, avait epouse la fille d'un due (le Savoie malgre le roi son pere , et avait fui du royaume avec elle , sans que jamais Charles VII entreprit de trailer cette union d'illegitime. On regardait le mariage comme un sacrement et comme un engagement civil. En qualite de sacrement c'etait «* le signe visible « d'ime chose invisible , un myslere, un caractere indelebile , que « la mort seule pent effacer ; » et quelque idee que I'Eglise puisse attacher a ce mot de chose invisible ^ cette question ne paraissait pas du ressort des jugement& hu mains. 424 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. A regard du contrat civil , il liait les deuiL epoux par )es lois de toutes les nations. Annuier cc contrat solennel, c'etait ouvrir ]a« porte aux guerres civijes les plus funestes; car s'il naissait un fils du mariagc de Gaston , le roi n'ayant point d'eniants , ce fils etait reconnu legitime par le pape et par les nations de I'Europe, et declare bcitard en France ; ct encore aurait-il eu la moitie de la France dans son parti. Le cardinal de Richelieu ferma les yeux aux dangers evidents qui naissaient de la cassation. II fit mouvoir tantde ressorts, qu'il obtint du parleaient irrite contre lui un arret , et de Tassemblee du clerge qui ne Taimait pas davantage, une decision favorable a ses vues. Cette condescendance n'est pas surprenante ; il etait tout-puissant, il avait envahi les fitats du due de Lorraine ; tout pliait sous ses volontes. L'avocat general Omer Talon rapporte que le parlement etant assemble, il y fut dit que « Pheroras, frere d'Herode, accusa Sa- « lome d'avoir traite son mariage avec Sillene , lieutenant d'A- ff rabie. » On cita Plutarque en la Vie de Dion, apres quoi la com- pagnie donna un decret de prise de corps contre Charles , due de Lorraine * ; Francois, nouveau due de Lorraine (a qui Charles avait cede son duche), et la princesse de Phalsbourg , Icur soeur, comme coupables de rapt envers la personne de Monsieur, frere unique du roi. Ensuite il les condamna comrae coupables de lese-majeste **, les bannit du royaume , et conflsqua leurs terres. Deux choses surprenaieut dans cet arret : premierement, la condamnation d'un prince souverain qui etait vassal du roi pour le duchc de Bar, mais qui n*avait point marie sa sceur dans Bar ; secondement , le crime de rapt suppose contre Monsieur, qui etait venu en Lorraine conjurer le due de lui donner sa sceur en ma- riage. II etait difficile de prouver que la princesse Marguerite eut force Monsieur a Tcpouser. Tandis que le parlement procedait , Tassemblee du clerge pro- mulguait une loi civile *** qui declarait que les heritiers de la cou- ronne ne pouvaient se marier sans le consentement du chef de la maison. On cnvoya un eveque de Montpellier a Rome pour faire accepter cette decision par le pape , qui la reprouva. Un rcgle- <4 juiliel 16.'>4. — •• 5 septerabre. — ••• ^ juillet 1655. CHAPITRE Lll 42& ment de police ne parut pas au pape une loi de T^glise. Si le roi, dont lasante etait tres-chancelanle, fiit mort alors, Gaston eut regne sans difticulle, et il aurait aussi sansdiflicultc fait regarder comme tres-valide ce meme mariage dont le parlement et le clerge francais avaienl prononre la nullite. Heureusement Louis XIII approuva enfin le mariage de son frere. Mais la loi qui defend aux pMnces du sang de laisser une posterite sans le consentement du roi, a toujours subsiste depuis ; et le sentiment de Rome qui tient ces mariages valides a subsiste de meme ; source elernelle de di- visions , jusqu*a ce que tous les hommes soient bien convaincus qu'il importe fort peu que ce qui est vrai a Paris soit faux dans le comtat d'Avignon, et que chaque filat doit se gouverner selon ses lois, independamment d'une theologie ultramontaine. CHAPITRE LII. De la r^istance apportde par le parlement a retablissement de rAcademie francaise. II est singulierque le parlement n'eut pas hesite a casser et an- nuier le mariage de I'heritier du royaume, contracte du consente- ment de sa mere, celebre selon toutes les formalites de TEglise, et qu'il refusit constamment pendant dix-huit mois Tenregistre- ment des lettres patentes qui etablissaient I'Academie francaise. Les uns crurent qu*apres un arret rendu en faveur de I'universite et d'Aristote , cette compagnie craignait qu'une societe d'hommes eclaires, encouragee par I'autorite royale , n'enseignat des nou- veautes. D'autres penserent que le parlement ne voulait pas qu'en cultivant I'eloquence, inconnue chez les Francais, la barbaric du style du barreau devirit un sujetde mepris. D*autres enfin imagi- oerent que le parlement, mortifie tous les jours par le cardinal, voulait a son tour lui donner des degouts. Le Vassor, compilateur grossier, qui a fait un libelle en dix-huit volumes de Thistoire de Louis XIII, dit que « Tetablissement de « I'Academie est une preuve de la tyrannic du cardinal. 11 ne put « souffrir que d'honnetes gens s'assemblassent librement dans une « maison particuliere. » On sent bien que cette imputation ne merite pas d'etre refulee, mais on ne doit pas perdre ici I'occasion de remarquer que cet ^4. 426 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE LIII. 427 ecrivain aurait du mieux profiler des premieres lecons de I'Aca- demie : eiles lui auraieot appris a ecrire d'un style moins barbare, avec un Kel moins revollant, d'une maniere plus judicieuse , et a ne pas blesser a la fois la verile, la langue, et le bon sens. L'erection de I'Academie francaise elait une imitation de celles d'ltalie, et d'autant plus necessaire , que tous les genres d'elo- quence, et surtout ceux de la chaire et du barreau , elaient des- honores alors par le mauvais gout et par de tres-mauvaises etudes, pires que I'ignorance des premiers siecles. La barbarie qui cou- vrait encore la France ne perraettait pas aux premiers academi- ciens d'etre de grands hommes; mais ils frayaient le chemin a oeux qui le devinrent. Ils jeterent les fondements de la reforms des esprits. II est tres-vrai qu'ils enseignerent a penser et a s'ex- primer. Le cardinal de Richelieu rendit, par cette institution, un vrai service a la palrie. Si le parlement differa une annee entiere d'enregistrer les let- tres, c'est qu'il craignait que TAcademie ne s'attribuat quelque ju- ridiction sur la librairie. Le cardinal fit dire au premier president le Jai, qu'il aimerait ces messieurs comme ils I'aimeraient. Enfin, quand cet etablissement fut veriBe, le parlement ajouta aux pa- tentes du roi que I'Academie ne connaitrait que de la langue francaise et des livres qu'elle aura fails, ou qu'on exposera a son jugement. Cette precaution, prise par le parlement, prouve assez que I'ereclion de I'Academie avail donne quelque ombrage. Elle n'en pouvail don- ner,n'ayant que des privileges honorables, aucun d'utile, et son fondateur meme ne lui ay ant pas procure une salle d'assemblee '. < Du vivant de Richelieu, I'Academie sassemblait k divers Jours; et, comme le dit Pellisson, le lieu des assembleesa change encore plus sou- vent que le jour. C'^Uit tantAt chez un acad^micien , tantot chez un autre, qu'on se riunissait. Ala mort du cardinal { fc'vrier <643 ), le chan- celier Siguier fit dire a la compagnie qu'il d^sirait quk I'avenir elle s'assera- bldt chez lui. En decembre de la m6me ann^e, on d^cerna au chancelier le litre de protecleur de I'Academie, qu'avail eu Richelieu ; et Siguier est le seul particulier qui I'ait eu; car, apr6s sa mort ( 1672 ) , ce litre de pro- tecleur ful offert k Louis XIV, et a depuis eie pris par lous les rois de France. Louis XIV , dds 1672, accorda k I'Academie une des salles du Lou- vre, poury lenir ses stances. C'est au Louvre que siegea I'lnstitul, lorsde sa creation en 1796. Ce ful en fevrier 4807 que I'lustitut futtransfere au college des Qualre-Nalions ; et c'est Ik que I'Academie francaise, Tune des quatre classes de I'lnstitut, lient ses assembiees , soil parliculieres , wit pobliques. Voyez la lisle des Chanceliers, en teie du Steele de Louis XI F' { Note de M. Beuchot. ) CHAPITRE LUI. Secours offerl au roi par le parlement de Paris. Plusieurs de ses meinbres emprisonnes. Combat k coups de poing du parlement avec la chambre des comples dans I'eglise de Notre- Dame. Richelieu, ayant fait declarer solennellement la guerre a loule la maison d'AutrichedansrAllemagne et dans rEspagne,en 163a, fut sur le point de voir le royaume ruine I'annee suivante. Les ennemis passerent la Somme, prirent Corbie, ravagerent toute la Picardie et la Bourgogne ; Paris fut expose , et plusieurs ci- toyens en sortirent. Les troupes elaient peu nombreuses, inti- midees et dispersees; les meilleurs ofliciers suspects au cardinal, emprisonnes ou exiles ; les finances epuisees. On ne regardait alors ce ministre que comme un tyran maladroit. Dans cette crise de I'Etat, la ville de Paris offrit de soudoyer six mille cinq cents hommes ; le parlement resolut d'en lever deux mille cinq cents ; I'universite meme promit quatre cenls sol- dats. Le cardinal doutait si ces offres elaient failes contre les en- nemis ou contre lui-meme. Le parlement voulut nommer * douze conseillers pour avoir soin de la garde de Paris , et pour faire contribuer a la levee des troupes que Paris devait fournir. Le ministre sentit qu'une telle demarche etait une insulte plutot qu'un secours. La compagnie du parlement ne lui parut pas ins- tituee pour garder les porles de la ville, et pour faire les fonc- tions du gouverneur et des generaux d'armee. II savait qu'on avail parle de lui dans la seance. Le roi manda au Louvre les pre- sidents et les doyens de chaque chambre ; il leur renouvela les defenses de se meler d'aucune affaire d'filat. Enfin, le ministre et les generaux ayant repare leurs faules , et les ennemis ayant ele chasses du royaume, le parlement obcit. On ne put terminer cetle campagne qu'avec des frais immenses. Les finances sonl le premier ressort de I'adminislralion, et ce res- sort est toujours derange. Richelieu n'elail pas un Sully qui eiitsu s'assurer de quarante millions, et preparer les vivres, les munitions, les hopitaux, avant de faire la guerre. Ni sa sante, ni son genie, ni • \\ aoftl 1630. . 4S8 HISTOIRE DU PARLEMEiNT DE PARIS. son ambition, ne lui permettaient dVntrer dans ces details indis- pensables, donl la negligence doit diminuer beaucoup sa gloire. II fut oblige de retrancher trois quarliers d'arrerages que le roi devait aux rentiers de Thotel de ville. Cette banqueroute etait odieuse; il eut mieux valu sans doute elablir des inapots egale- meot repartis ; mais c'est ce qu*on n*a su faire en France qu'apres une longue epreuve de moyens aussi bonteux que ruineux. Le gouvernement, depuis Sully, ne savait que creer des charges inutiles, que la vanite achetait a prix d'argent, et se renaettre a la discretion des traitants. Richelieu avait crec vingt nouveaux offices de conseillers au parlement en 1635. La compagnie en avait ete indignee : la ban- queroute faite aux rentiers excita les cris de tout Paris. Ces ci- toyens, prives de leur revenu, vinrent se plaindre chez le chan- ceiier Chateauneuf. Pour reponse, on en mit trois a la Bastille. Le parlement s'assemble, on delibere, on parle fortement. Le cardinal avait ses espions ; il fait enlever Gayant , Champrond, Sallo, Se- vin , Tubeuf, Bouville, Scarron. Un edit du roi interdit la troi- sieme chambre des enquetes. Les magistrals arretes fuient ou exiles ou enferraes , et les rentiers perdirent leurs arrerages. II est evident que le gouvernement du cardinal de Richelieu •etait a la fois vicieux et tyrannique ; mais il est vrai aussi qu'il eut toujours a combattre des factions. La (ierte sanguinaire du ministre, et le mecontenlement de tous les ordres du royaume, furent les semences qui produisirent depuis les guerres de la Fronde. Le parlement, ayant perdu sous Richelieu toutes les pre- rogatives qu'il reclamait, ne combattit, dans les demieres annees de Louis XIII, que contre la chambre des comptes. Ce monarque ayant ote la protection de la France a sainte Gene- vieve, qu'on croyait la palronne du royaume parce qu'ellc I'etait de Paris, confera cetle dignite a la vierge Marie. Ce fut une tres-grande solennite dans Teglise de Notre-Dame. Les cours superieures y assistcrent. Le premier president du par- lement marcha le premier a la procession. Les presidents a niortier ne voulurent pas souffrir que le premier president des comptes le suivit. Celui-ci, qui etait grand et vigoureux, prit un president k iDortier a bras-le-corps, et le renversa par terre. Chaque president des comptes gourma un president du parlement, et fut gourme. Les maitres s'attaquereot aux conseillers. Le due de Mootbazou CHAPITRE LIV. 4^ mit Tepee a la main avec ses gardes pour arreter le desordre, et Taugmenta. Les deux partis allerenl verbaliser chacun de leur cote. Le roi ordonna que dorenavant le parlement sortirait de Notre- Dame par la grande porte, et la chambre des comptes par la petite. CHAPITRE LIV. Conimenceirient des troubles pendant le minislere de Mazarin. Le parle- ment suspend pour la premiere fois les fonctions de la justice. De rhumiliation ou le parlement fut plonge par le cardinal de Richelieu, il monta tout d'un coup au plus haul degre de puis- sance, immedialement apres la morl de Louis XIII. Le due d'fi- pernon I'avait force, les armes a la main, de se saisir du droit de donner la regence a Marie de Medicis. Ce nouveau droit parut aux yeux d'Anne d'Autriche aussi ancien que la monarchie. 11 Texerqa librement dans toute sa plenitude. Non-seulement il de- clara la reine regente par un arret *, mais il cassa le testament de Louis XIII comma on casse celui d'un citoyen , qui n*est pas fait selon les lois. La regente et la cour elaient bien loin alors de dou- ter du pouvoir du parlement, et de lui conlesler une prerogative dont elles tiraient tout I'avanlage. Le parlement decida, sans au- cune contradiction, du destin du royaume ; et le moment d'apres il retomba dans I'elal dont la mort de Louis XIII I'avait lire. La reine voulut etre toute-puissante , et le fut jusqu'au temps des Barricades. Mais avant que le parlement donnM ainsi la regence , et cassat le testament du roi en qualite de cour des pairs garnic de pairs , il faut remarquer que par les anciennes lois le parlement n'existai!; plus. La mort du roi le dissolvait; il fallaitque les presidents et les conseillers fussent confirmes dans leurs charges par le nouveau souverain , el qu'ils fissent un nouveau serment. Cette ceremonie n'avait pas ete observee dans le tumulle el I'horreur que I'assas- 8inat de Henri IV repandil. Le chancelier Seguier voulut faire re- vivre la loi oubliee; le parlement feluda**. II fut presenle dans le Louvre a la reine ; il salua le roi, il protesta de son respect et d Cel enregistrement, tout equivoque qu'il elait, satisfit la cour. • 4 d^cembrc 1720. CHAPITRE LXIL 463 Le cardinal de Noailles se retracta solennellemenl , Rome ful contente , le parlemenl revinl a Paris : Dubois ful bicntot apres cardinal et premier ministre ; et pendant son ministere tout ful ridicule et tranquille. L'exces de ce ridicule ful porte au point que I'assemblee du clerge de 1721 donna publiquement a un savetier * une pension pour avoir crie dans son quartieren faveur de la bulle Vnigemtus. II y a seulement a remarquer que lorsque Dubois ful cardinal et premier ministre en 1722, le due d'Orleans lui fit prendre la premiere place apres les princes du sang au conseil du roi. Les cardinaux de Richelieu et de Mazarin avaienl ose prtceder les princes, mais ces exemples odieux n'elaient plus suivis; et c'etait beaucoup que les cardinaux , qui n'ont qu'une dignite elrangere , siegeassenl avanl les pairs du royaume , les marechaux de France el le chancelier, qui appartiennent a la nation. Le jour que Dubois vinl prendre seance **, le due de Noailles, les marechaux de Ville- roi et de Villars sortirent, le chancelier d'Aguesseau s'absenla. On negocia selon la coutume; (^haque parti fit des memoires. Le chancelier el le due de Noailles tinrenl ferme. D'Aguesseau sou- tint mieux les prerogatives de sa place contre Dubois, qu'il n'en avail mainlenu la dignite lorsqu'il revinl a Paris a la suite de I'Ecossais Lass. Le resultal ful qu'on I'envoya une seconde fois a sa lerre de Fresne ; et il eut alors si peu de consideration qu'd ne ful pas meme rappele sous les ministeres suivants , qu'il ne re- parut a la cour que sous le cardinal de Fleury , el ne repril les sceaux qu'en 1737, dix ans apres son rappel. Pour le due de Noailles , le cardinal Dubois eut le plaisir de I'exiler pour quelque temps dans la petite ville ou bourg de Brives- la-Gaillarde en Limousin. Dubois etail fils d'un apothicairc de Brives-Ia-Gaillarde. Le ducde Noailles ne I'avait epargne ni sur sa patrie ni sur sa naissance, et le cardinal lui rendil ses plaisanteries en le confinant aupres de la boutique de son pere. Apres Dubois, qui mourut enphilosophe ', etqui etail apres lout unhommed'esprit, le due d'Orleans, qui lui ressemblail par ces deux coles, daigna etre premier ministre lui-meme. II ne persecula personne pour la bulle ; le parlemenl n'eut avec lui aucun demele. I I i • 11 8'appelaitNutelet — ** 22 f6vrier 1722. I C'est'k-dire, sans les sacrements de I'Eglise. ( Note dc M, Bene hot, ) I 464 HISTOIRE DU PARLEMENT DE I'ARIS. Le due de Bourbon-Conde succeda au due regent dans le rai- nislere; inais I'abbe Fleury, ancien eveque de Frejus, depui eardinal , gouverna despotiqueoaenl les affaires eeelesiasliques. II persecula sourdeoaent tant que le ducde Bourbon fut noinistre mais des qu'il fut venu a bout de le renvoyer, il jiersecuta haule- ment, quoiqu'il. affectat dela douceur dans sa conduite. CHAPITRE LXm. Du parleinent sous le minist^re du due de Bourbon. Le due de Bourbon ne fut premier ministre que parce que im- mediatement apres la mort du due d'Orleans il monta par un escalier derobe chez le roi , a peine majeur, lui apprii la mort de ce prince*, lui demanda la place, et obtint un out que I'eveque de Frejus , Fleury , n'osa pas faire changer en refus. L'fitat fut alors gouverne par la marquise de Prie , fille d'un entrepreneur des vivres nomme Pleneuf , et par un des freres Pdris autrefois entre- preneur des vivres, qui s'appelait Paris- Duverney. La marquise de Prie etait une jeune femrae de vingt-quatre ans , aimee du due de Bourbon. P^ris-Duverney avail de grandes connaissances en tinances; il etait devenu secretaire du prince ministre. Ce fut lui qui imagina de marier le jeune roi a la fille de Stanislas Leczinski, retire a Veissembourg apres avoir perdu le royaume de Pologne que Charles XII lui avait donne. Les finances n'etaient pas reta- blies, il fallut des impots. Duverney proposa le cinquantieme en nature sur tons les fonds nobles , roturiers et ecclesiastiques , une taxe pour le joyeux avenement du roi, une autre appclee la ceinture de la reine, le renouvellement d'une erection d'offices sur les marchandises qui arrivent a Paris par eau , et quelques autres edits qui deplurent tous a la nation , deja irritee de se voir entre les mains d'un homme si nouveau , et d'une jeune femme dont la conduite n'etait pas approuvee. Le parlement refusa d'enregistrer : il fallut mener le roi tenir un de ces lits de justice ou Ton enregistre tout par ordre du sou- verain**. Le chancelier d'Aguesseau etait eloigne; ce fut le garde des sceaux d'Armenonville qui executa les volontes de la cour. * 2 d^embre 1723. - •♦ 8 juin 1725. CHAPITRE LXIV. 465 On conservail par cet edit la liberie des remontranccs au parle- ment ; mais on ordonnait que les membres de ce corps n'auraient jamais voix deliberative en fait de remonlrances qu'apres dix annees d'exercicc , qui furent reduites a cinq. Ce nouveau ministere effaroucha egaleraent le clerge , la no- blesse, et le peuple. Presque toule la cour se reunit conlre lui; I'eveque de Frejus en profila. II n'eut pas de peine a faire exiler le due de Bourbon, son secretaire , et sa mailresse ; et il devint le maitre du royaume aussi aisement que s'll eiit donne une abbaye. Fleury n'eut pas, a la verile, le titre de premier ministre ; mais, sans aucun titre que celui de conseiller au conseil du roi , il fut plus absolu que les cardinaux d'Amboise , Richelieu, et Mazarin; et, avec Texterieur le plus modeste , il exerca le pouvoir le plus illimite. CHAPITRE LXIV. Du parlement au temps du cardinal Fleury. Dubois , pour etre cardinal , avait fait recevoir la constitution Unigenitus et les formulaires , et toutes les simagrees ultramon- taines dont il se moquait. Fleury cut cette dignite des que le due de Bourbon fut renvoye , et il soutint les idees de la cour de Rome par les principes qu'il s'etait faits. C'etait un genie mediocre, d'ailleurs sans passions , sans vehemence , mais ami de I'ordre. II croyait que I'ordre consistait dans I'obeissance au pape, et il fit, par une politique qu'il crut necessaire, ce qu'avait fait le jesuite le Tellier par esprit de parti , et par un fanatisme mele de me- chancete et de fraude. II donna plus de letlres de cachet et (it des actions plus severes encore pendant son ministere, que le Tellier pendant qu'il confessa Louis XIV. En 1730, trois cures du diocese d'Orleans, qui exposerent le sentiment veritable de tous les ordres de TEtat sur la bulle , et qui oscrent parler comme presque tous les citoyens pen- saient , furent excommunies par leur eveque. lis en appelerent comme d'abus au parlement , en verlu d'une consultation de quarante avocats. Les avocats peuvent se tromper comme le consistoire; leur avis n'est pas une loi; mais ils ne sont avocats >' i 466 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. que pour donner leur avis. lis usaienl de leur droit. Le cardinal Fleury tit rendre centre leur consultation un arret du conseil fle- trissant, qui les condamuait a se retracter. Condamner des jurisconsultes a penser autrement qu'ils ne pensent, c'est un acle d'autoritc qu'il est difficile de faire execu- ter. Tout le corps des avocats de Paris et de Rouen signa une de- claration tres-eloquente, dans laquelle ils expliquerent les lois du royaume. lis cesserent lous de plaider jusqu'ace que leur decla- ration , ou plutot leur plainte , eiit etc approuvee par la cour. lis obtinrent cette fois ce qu'ils demandaient *. De simples citoyens triompherent n'ayant pour armes que la raison. Ce fut vers ce temps-la que les avocats prirent le titre d'ordrc; lis trouverent le terme de corps trop commun ; ils repeterent si souvent Vordre des aiocafs, que le public s'y accoutuma, quoi- qu'ils ne soient ni unordre de TEtat, ni un ordre militaire, ni un ordre religieux , et que ce mot fiit absoluraent etranger a lour profession. Tandis que cette petite querelle nourrissait Tanimosite des deux partis , le tombeau d'un diacre , nomme Tabbe Paris , inhume au cimetiere de Saint-Medard , semblait etre lo tombeau de la bulle. Get abbe Paris, frere d'un conseiller au parlement, etait mort appelant et reappelant de la bulle au futur concile. Le peuple lui attribua une quantile incroyable de miracles. On allait prier jour et nuit en francais sur sa tombe; et prier Dieu en francais etait regarde comme un outrage a I'Eglise romaine, qui ne prie qu'en latin. Un des grands miracles de ce nouvcau saint etait de donner des convulsions a ceux qui I'invoquaient. Jamais il n'y eut de fana- tisme plus accredite. Cette nouvelle folic ne favorisaitpas le jansenismeaux yeux des gens senses ; mais elle etablissait dans toute la nation une aversion pour la bulle et pour tout ce qui emane de Rome. On se hata d*im- primer la Vie de saint Paris. « La sacree congregation des cmi- « nentissimes et reverendissimes cardinaux de la sainte £glise « romaine , inquisileurs generaux dans toute la republique chre- n tiennecontre les hcretiques », prononca excommunication ma- jeure contre ceux qui liraient la vie du bienheureux diacre, et * 25 novembre 1730. CHAPITRE LXIV. 46? condamna le livre a etre briile. L*execulion se lit avec la grande ceremonie extraordinaire. On dressa dans la place , vis-a-vis le couvenl de la^Minerve , un vasle echafaud, el a trente pas un grand bucher. Les cardinaux monterent sur I'echafaud : le livre fut pre8ente,lie etgarfotle de petites chaines dc fer, au cardinal doyen. Celui-ci le donna au grand inquisileur, qui le rendit au greffier ; le greflier le donna au prevot , le prevot a un huissier, I'huissier a un archer, I'archer au bourrcau. Le bourreau I'eleva en I'air, en se tournant gravement vers les qualre points cardinaux; ensuite il delia le prisonnier; il le dechira feuille a feuille; il trempa chaque feuille dans dela poix bouillante * ; ensuite on versa Ic tout dans le bucher, et le peuple cria anatheme aux jansenistes. Cette momerie de Rome redoubla les momeries de Saint-Me- dard. La France etait toute janseniste , exceple les jesuites el les eveques du parti romain. Le parlement de Paris ne cessail de rendre des arrets contre les eveques qui exigeaienl des mourants I'acceptalion de la bulle, el qui refusaienl aux renitents les sa- cremenlsel la sepulture. L'abbedeTencin, archeveque d'Embrun, qui n'etait alors connu que pour avoir converti I'^cossais Lass , mais qui songeail deja a se procurer un chapeau de cardinal , crul le meriter par une lettre violenle contre le parlement. Ce tribunal allait la faire bruler, selon I'usage; mais on le previnl en la sup|)rimanl parun arret du conseil. Ces petites dissensions pour des choses que le reste de I'Eu- rope meprisait, augmentaient tons les jours entre le parlement et les eveques. L'archeveque de Paris Vintimille, successeur de Noailles, avait fait une instruction pastorale violente contre les avocats ; le parlement de Paris la condamna. Le cardinal Fleury fit casser I'arret du parlement par le conseil du roi. Les avocats cesserent de plaider , comme le parlement avait quelquefois cesse de rendre la justice. Ils semblaienl plus en droit que le parlement de suspendre leurs fonctions ; car les juges font serment de sieger, et les avocats n'en fonl point de plaider. Le ministre en exila onze. Le roi defendit au parlement de se meler de cette affaire **. II fallait bien pourtant qu'il s'en me- lat , puisque sans avocats il etait difficile de rendre la justice. II se dedommagca alors en donnant un arret contre la bulle du pape • 29 aoftl J73I. - *• 28 8eplcmbre <75l. r' 468 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. qui avail condamnc ia Vie du bienheureux saint Paris, el conlre d'autres buUes qui fletrissaienl Teveque de Montpeiiier, Colberl, ennemi declare de celle malheureuse constitution Unigenitus, source de tant de troubles. Le parlement crul qu'il pourrait toucher le roi, s'il lui pariail dans I'absence du cardinal Fleury. II sul que ce ministre etait a rnie petite maison de campagne qu'il avail au village d'Issy. Des deputes prirent ce tenaps pour aller a la cour *. Le roi ne voulul point les voir; ils insisterent , on les fit retirer. lis rencontrerent dans les avenues le cardinal, qui revenail d'Issy. L*abbe Pucelle, tres-celebre en ce temps-la, et qui elail un des deputes, lui dit que le parlement n'avait jamais ete si maltraite. Le cardinal sou- tint I'autorile du conseil , et crul se tirer d'affaire en avouant qu'il y avail quelque chose a reprendre dans la forme. L'abbe Pu- celle repliqua que la forme ne valait pas mieux que le fond. On se separa aigri de part et d'autre. La cour embarrassee rappela les onze avocats de leur exil, a6n que la justice ne fut point interrompue; mais le cardinal persista a empecher le roi de recevoir les deputations du parlement. Enfm ils furenl mandes a Versailles par une leltre de cachet**. Le chancelier d'Aguesseau les reprimanda au nom du roi, el leur ordonna de biffer sur les registres toutce qu'iis avaient arrete au sujet des disputes presentes; il acheva, par eel acle de soumis- sion au cardinal , de se decrediter dans lous les esprits qui lui avaient ete si longlemps favorables. Le parlement recul ordre de ne se meler en aucune maniere des affaires ec^lesiasliques ; dies furent loules evoquees au conseil. Par la le cardinal Fleury gem- blait supprimer, et aurail supprime en effet , s'il I'avait pu , les appels comme d'abus, le seul rempart des liberies de I'figlise gal- licane, et Tun des plus anciens privileges de la nation el du par- lement. Le cardinal Mazarin n'aurail jamais ose faire celte de- marche, le cardinal de Richelieu ne I'aurait pas voulu ; le cardinal Fleury la fit comme une chose simple et ordinaire. Le parlement etonne s'assembia ***. II declara qu*il n'adminis- trerait plus la justice, si Ton en delruisait ainsi les premiers fonde- menls. Des deputes allerent a Compiegne, ou etait le roi. Le pre- mier president voulul parler, le roi le fit taire. • 29 noTcmbre I75L — •• 10 Janvier 1732. - »♦* «5 mai 1732. CHAPIiRV!: LXIV. 4G9 L'abbe Pucelle eul le courage de presenter la deliberation par ecrit ; le roi la prit , et la fit dechirer par le comte de Maurepas, secretaire d'fitat. L'abbe Pucelle fut exile, et le conseiller Titon envoye a la Bastille. Nouvelle deputation du priement pour redemander les con- seillers Pucelle el Titon. La deputation se presenla a Compiegne. Pour reponse*, le cardinal fit exiler le president Ogier, les conseillers de Vrevin, Robert, el de la Fautriere. Les partisans de la bulle abuserenl de leur triomphe. Un archeveque d'Arles outragea tous les parlements du royaume dans son instruction pastorale ** ; il les traita de sedilieux et de rebelles. On n'avait jamais vu auparavant des chansons dans un mandemenl d'eve- que : celui d'Arles fit voir celte nouveaute. II y avail dans ce mandemenl une chanson conlre le parlement de Paris, qui finis- sail par ccs vers: Themis , jMmplore ta vengeance Centre ce rebelle troupeau. N'en connais-tu pas I'arrogance? Mais non , je ne vols plus dans tes mains la balance: Pourquoi devanl tes yeux gardes-tu ton bandeau? Le parlement d'Aix fit bruler I'inslruction pastorale el la chan- son ; et le cardinal Fleury eul la sagesse de faire exiler I'auteur. L'annee 1733 se passa en mandements d'eveques, en arrets du parlement, el en convulsions. Le gouvemement avail deja fait fermer le cimelierede Sainl-Medard, avec defense d'y faire aucun miracle. Mais les convulsionnaires allaienl danser secretement dans les maisons , et meme chez plusieurs membres du parle- ment. Le cardinal, prevoyanl qu'on allail soutenir une guerre contre la maison d'Autriche , ne voulul pas en avoir une intestine pour des inlerels si meprisables. II laissa la pour celle fois la bulle, les convulsions, les miracles, et les mandements. II savait plier; il rappela les exiles. Le parlement, qui avail deja reprisles fonclions de son devoir, rendit la justice aux citoyens comme a I'ordinaire. Le cardinal eul I'adresse de lui renvoyer, par des leltres palentes du roi, la connaissanre des miracles el des convulsions. II n'elail besoin d'aucunes leltres patentes pour que le parlement connul de tes farces, qui sont un objel de police. Cependanl il fut si flatte ♦ Juin 1732. — ** 5 septembre «732. VOLT. - SIECLE DE LOUIS XV. •>- 470 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. de celte marque d'allention , qu'il decrela quelques conviilsion- naires , quoiqu'ils fussent proteges ouvertement par un president nomme Dubois, et par quelques conseillers qui jouaient eux- memes dans cos comedies. Le bruit que faisaient toules ces sol- tises fut etouffe par la guerre de 1733, el cet objet lit disparaitre ious les autres. CHAPITRE LXV. Du parlement , des convulsions, des folies de Paris jusqu'k 1752. Le parlement fut done tranquille pendant cette guerre iieureuse. A peine le public s'apercut-il que ron condamna des theses soule- nues en Sorbonne en faveur des pretentions ultramontaincs, qu'on fit bruler une iettre de Louis XIV a Louis XV, et d autres satires meprisables, aussi bie^i que quelques lettres d'eveques constitu- tionnaires. L'affaire la plus memorable, et qui mcritait le moins de Petre, fut celle d'un conseiiler du parlement, nomme Carri de Montgeron, tils d'un homme d'affaires. II etait trcs-ignorant et ires-faible, debauche, et sans esprit. Les jansenistes lui tournerent la tete : il devmt convulsionnaire outre. II crut avoir vu des mi- racles , et meme en avoir fait. Les gens du parti le chargerent d'un gros recueil de miracles, qu'il disait attestes par quatrc mille personnes. Ce recueil etait accompagno d'une Iettre au roi , que Sarre eut rimbecillite de signer, et la folic de porter lui-meme a Versailles. Ce pauvre homme disait au roi, dans sa Iettre, « qu'il « avait ete fort debauche dans sa jeunesse, qu'il avait meme pousse « le libertinage jusqu'a etre deiste , » comme si la connaissance et I'adoration d'un Dieu pouvaient etre le fruit de la debauche ; mais c'est ainsi que le fanatisme imbecile raisonne. Le conseiiler Carre alia a Versailles, le 29 aoiit 1737, avec son recueil et sa Iettre; il attendit le roi a son passage, se mit a genoux, presenta ses mi- racles : le roi les recut, les donna au cardinal Fleury ; et des qu'on eut vu de quoi il etait question , on expcdia une Iettre de cachet pour meltre a la Bastille le conseiiler. On Tarrcta le lendemaio dans sa raaison a Paris ; il baisa la Iettre de cachet en vrai martyr. Le parlement s'assembla. 11 n'avait rien dit quand on avait donne une Iettre de cachet au due de Bptirbon, prince du sang et pair du royaumc , et il fit une deputation en faveur de Carre. Celte de- CHAPITRE LXV. 471 marche ne servil qu'a faire transferer le prisonnier. pros d'Avi- gnon, et ensuite au chateau de Valence, ou il est mort fou. Un tel homme en Angleterre en aurait ete quitte pour etre siflle de la nation; il n'aurait pas etc mis en prison, parce que ce n'est point un crime d'avoir vu des miracles, et que, dans ce pays gouverne par des lois, on ne punit point le ridicule. Les convulsionnaires de Paris mirent Carre au rang des plus grands confesseurs dc la foi. Au mois de Janvier 1738, le parlement s'opposa a la canonisa- tion de Vincent de Paul, pretre gascon , celebre en son temps. La bulle de canonisation cnvoyee par Benoit XIII parut contenir des raaiimesdont les lois de la France ne s'accommodenl pas. Elle fut rejetee ; mais le cardinal Fleury, qui protegeait les freres de Saint- Lazare, institues par Vincent, et qui les opposait secretement aux jesuites, fit casser par le conseil I'arret du parlement, et Vincent fut reconnu pour saint , malgre les remontrances. Aucune de ces petites querelles ne troubia le repos de la France. Apres la mort du cardinal Fleury et les mauvais succis de la guerre de 1741, le parlement reprit un nouvel ascendant. Les im- pots revoltaient les esprits, et les fautes qu'on reprochait aux mi- nistres encourageaient les murmures. La maladie epidemique des querelles de religion, trouvant les coeurs aigris, augmenla la fer- mentation generale. Le cardinal Fleury, avant sa mort, s'etait donne pour successeur dans les affaires ecclesiastiques un theatin nomme Boyer, qu'il avail fait precepteur du Dauphin. Cet homme avail porte dans son ministere obscur toule la pedanlerie de son elal de moine ; il avait rempli les premieres places de I'Eglise de France d'eveques qui regardaient la trop famcuse bulle Ut^genitus comme un article de foi et comme uneloi de Tfitat. Beaumont, qui lui devail I'archeveche de Paris, se laissa persuader qu'il ex- tirperait le jansenisme. II engageail les cures de son diocese a re- fuser la communion qu'on appelle le viatique , et qui signilie pro- vision de voyage, aux mouranls qui avaient appeic de la bulle et qui s'etaient confesses a des pretres appelants ; et consequemment ace refusde communion on devait priver les jansenistes recon- nus de la sepulture. II y a eu des nations chez lesquelles ce refus de la sepulture etait un crime digne du dernier supplice ; et, dans les lois de tons les peuples, le refus des derniers devoirs aux morts est une inhumanite punissable. • 47!l HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. Le cure de la paroisso de Sainl-filienne du Mont, qui elait un chanoine de Sainte-Genevieve, nomme frere Boitin. refusa d'ad- minislrer un fameux professeur de Tuniversile, successeur du ce- lebre Rollin. L'archeveque de Paris ne s'apercevait pas qu'en vou- lant forcer ses diocesains a respecter la bulle , il les accoulumaii a nc pas respecter les sacrements. Coffin mourut sans elre com- munie; on fitdifficulle de I'enlerrer ; et son neveu, conseiller au Chdlelet, forca enfin le cure de lui donncr la sepulture ; mais ce meme conseiller, eUnt malade a la mort six mois apres, a la fin de I'annee 1750, fut puni d'avoir enlerre son oncle. Le memo Boitin lui refusa I'eucharistie et lestiuiles, etiuisignifia qu'il ne serail ni communie, ni oint, ni enterre, s'il ne produisait un billet par lequcl il fut cerlifie qu'il avail recu Tabsolution d'un pretre attache a la constitution. Ces billets de confession commenQaient a etre mis en usage par Tarcheveque. Celte innovation tyrannic que etait regardee par tous les esprits serieux comme un attentat contre la societe civile. Les autres n'en voyaient que le ridicule, et le mepris pour l'archeveque retonibait malheureusemenl sur la religion. Le parlement decreta le seditieux cure, radmoueta, le condamna a Taumdne , et le fit naettre pendant quelques heures a la Conciergerie *. Le parlement fit au roi plusieurs remontrances , tres-approu- vees de la nation , pour arreter le cours des innovations de l'ar- cheveque. Le roi , qui ne voulait point se compromettre, laissa une annee entiere les remontrances sans une reponse precise. Dans cet intervalle l'archeveque Beaumont acheva de se rendre ridicule el odieux a tout Paris, en destituant une superieure el une econome de I'hopital general, placees depuis longtemps dans ces posies par les magistrals du parlement. Destituer des per- sonnes de eel etat , sous pretexle de jansenisme, parut une de- marche extravagante, inspiree par I'envie de mortifierle parlement beaucoup plus que par le zele de la religion. L'hopital general fonde par les rois, ou du moins qui les regarde comme ses fonda leurs, est administre par des magistrals du parlement et de la chambre des comptes pour le temporal, el par l'archeveque de Parispour lespiriluel. II y a peu de fonctions spirituelles attachees a des femmes chargees d'un soin domeslique immense; mais • 20 dccembrc 1750. CHAPITRE LXV. 473 comme elles pouvaieul faire reciter quclquefois le calechisme aux enfants, l'archeveque soutenait que ces places dependaienl de lui. Tout Paris fut indigne ; les aumones a I'hdpilal cesserent ; le par- lement voulut proceder; le conseil se declara pour l'archeveque, parce qu'en effet ce mot spirituel semblail assurer son droit. Le parlement cut recours aux remontrances ordinaires *, el ne vou- lut point enregistrer la declaration du roi. On elait deja irrile contre ce corps, qui avail fail beaucoup de difliculte pour le vingtieme et pour des rentes sur les postes. Le roi lui fit defense de se raeler dorenavant des affaires de Thopital, el les evoqua loutes a son conseil **. Le lendemain , le premier president de Maupeou , deux autres presidents, I'avocal el le pro- cureur general, furenl mandes a Versailles, el on leur ordonna d'apporter les registres , afin que tout ce qui avail ele arrete sur cetle affaire fut supprime. On ne trouva point de registre. Jamais plus petite affaire ne causa une plus grande emotion dans les es- prits. Le parlement cessa ses fonclions, les avocats fermerent Jeurs cabinets ; le cours de la justice fut inlerrompu pour deux femmes d'un hopilal; mais ce qu'il y avail d'horrible, c'est que pendant ces querelles indecentes et absurdes on laissail mourir les pauvres , faule de secours. Les administraleurs mercenaires de J'hotel-Dieu s'enrichissaienl par la mort des miserables. Plus de cha- rite quand I'esprit de parti domine. Les pauvres raoururent en foule ; on n'ypensail pas; et lesvivantsse dechiraienl pour des inepties. Le roi fit porter*** a chaque membre du parlement des lettres de jussion par ses mousquetaires. Les magistrals obeirenl en effel : ils reprirenl leurs seances ; mais les avocats n'ayanl point recu de lettres de cachet ne parurent point au barreau. Leur fonction est libre ; ils n'onl point achete leurs places ; ils ont le droit de plaider el le droit de ne plaider pas. Aucun d'eux ne parut. Leur intel- ligence avec le parlement irrita la cour de plus en plus. Enfin les avocats plaiderent , les proces furenl juges comme a I'ordinaire, el tout parut oublie. Le frere Boitin, cure de Sainl-filienne du Mont, renouvela les querelles et les plaisanteries de Paris; il refusa la communion et rexlreme-onclion a un vieux prelre, nomme I'abbc le Maire , **** ^.f^P^r*""^ *?'-** 20 novembre 1731. - *- 28 i.ovembre I73<. — *"■ 20 mans <752. 474 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. qui avail soutenu le parti janseniste du temps de la bulle Unige- nitus, et qui Tavait tres-ma! soutenu. Voila frere Boitin decrete encore d'ajournement personnel ; voila les chambres assemblees pour faire donner Textremeonction a I'abbe le Maire , et invita- tion faite par un secretaire de la cour a I'archeveque pour venir prendre sa place au parlement. L*archeveque repond qu'il a trop d'affaires spirituelles pour aller juger, et que ce n'est que par son ordre qu'on a refuse fi*» oo»>ner la communion et les huiles au pretre le Maire. Les chambres resterent assemblees jusqu*a minuit : il n*y avail jamais eu d'exemple d'une telle seance. Frere Boitin fut encore condamne a I'aumone , et le parlement ordonna a Tarche- veque de ne plus commettre de scandale. Le procureur general, Ic dimanche des Rameaux , va , par ordre du parlement , exhorler Tarcheveque a donner les huiles a I'abbe le Maire qui se mou- rait : le prelat le laissa mourir, el courut a Versailles se plaindre au roi que le parlement meltait la main a I'encensoir. Le premier president de Maupeou court de son cole a Versailles*; il avertil le roi que le srhisme se declare en France , que I'archeveque trouble Tflat , que les esprits sont dans la plus grande fermenta- tion ; il conjure le roi de faire cesser les troubles. Le roi lui remet entre les mains un paquet cachele , pour I'ouvrir dans les cham- bres assemblees. Les chambres s'assemblent , on lit I'ecril signe du roi qui ordonne que les procedures contre Boitin seront an- nulees. Le parlement , a celte lecture , decrete Boitin de prise de corps , et Tenvoie saisir par des huissiers. Le cure s'echappe. Le roi casse le decret de prise de corps. Le premier president de Mau- peou, avec plusieurs deputes, porle au roi les remontrances les plus amples el les plus eloquentes qu'on eut encore failes sur le danger du schisme , sur les abus de la religion , sur Tesprit d'in- credulileet d'independance que toutesces malheureuses querelles repandaienl sur la nation enliere. On lui repondit des choses va- gues , selon I'usage. Le lendemain **, le parlement se rassemble ; il rend un arret ce- lebre par lequel il declare qu'il ne cessera point de reprimer le scandale; que la constitution de la bulle Unigenitus n'est point uu article de foi , et qu'on ne doit j)oinl souslraire les accuses aux poursuites de la justice. On acheta dans Paris plus de dix mille 15 avril 1752 •• 18 avril. CHAPITRE LXV. 4-»5 exemplaires de eel arret , et tout le monde disait : Voila mon billet de confession. Comme le Ihcalin Boyer avail fait donner le siege de Paris a un prelat constitulionnaire , ce prelat avail aussi donne les cures a des prelres du meme parti. II ne restait plus que sept a huit cu- res attaches a I'ancien sysleme de I'figlise gallicane. L'archeveque ameute les constitulionnaires, signe et envoie au roi una requete en faveur des billets de confession contre les ar- rets du parlement : aussitol les chambres assemblees decretenl le cure de Saint Jean-en-Greve, qui a minute la requete; le conseil casse le decret , el maintient Ic cure. Le parlement cesse encore ses fonctions , et ne rend plus la justice que contre les cures. On met en prison des porte-Dleu , comme si ces pauvres porle-Dieu elaienl les maitres d'aller porter Dieu sans le concours du cure de la paroisse. De tous cotes on porlail des plainles au parlement de refus de sacremenls. Un cure du diocese de Langres, en communiant pu- bliquement deux filles accusees de jansenisme , leur avail dit : « Je vous donne la communion comme Jesus I'a donnee a Judas. »> Ces filles, qui ne ressemblaient en rien a Judas , presenlerenl re- quete ; et celui qui s'etait compare a Jesus-Christ fut condamne a Tamende honorable , el a payer aux deux filles trois mille francs, moyennant lesquels elles furenl mariees. On brula plusieurs man- dements d'eveques , plusieurs ecrits qui annoncaient le schisme. Le peuple les appelait les feux de joie, et battail des mains. Les autres parlements du royaume en faisaient aulanl dans leur res- sort. Quelquefois la cour cassait tous ces arrets ; quelquefois , par lassitude, elle les laissait subsister. On ctait inonde des ecrils des deux partis. Les esprits s'echauffaient. Enfin, I'archeveque de Paris , ayanl defendu aux prelres de Saint-Medard d'administrer une soDur Perpetue du convent de Sainte-Agathe, le parlement lui ordonna de la faire communier, sous peine de la saisie de son tcmporel. Le roi, qui s'elail reserve la connaissance de toules ces affaires, blania son parlement , et donna mainlevee a I'archeveque de la saisie de ses rentes. Le parlement voulut convoquer les pairs, le roi le tiefendil ; les chambres assemblees insisterent , el preten- dirent que I'affaire de soeur Perpetue etait de I'essence de la pai- rie. « Ces defenses , dit I'arrete , inleressenl lellemcnl i'essence de 476 HISTOIRE DU PARLEMtM DE PARIS. I J « la cour et des pairs , et les droits des princes , qu*ii n*est pas pos- « sible au pariement d'en deliberer sans eux. » Uu arret du con- seil du roi ayant ete signifie au greffier du pariement sur cclte affaire, le 24 Janvier 1753 , centre les formes ordinaires , Ie*par- lement en demanda satisfaction au roi meme « par la suppression K de Toriginal et de la copie de la signification. » Ce corps continuait toujours a poursuivre avec la meme viva- cite les cures qui prechaient le schisme et la sedition. II y avail un fanatique nomme Boutord , cure du Piessis-Rosainvilliers, chez qui les jesuites avaient fait une mission ; quelques magistrats qui avaient des maisons de campagne dans cettc paroisse , n*claionl contents ni des jesuites ni du cure. U leur cria d'une voix furieuse de sortir de Teglise, les appela jansenistes, calvinistes et athces, et leur dit « qu'il serait le premier a tremper ses mains dans leur « sang. » Le pariement ne le condamna pourtant qu'au bannisse- ment perpeluel *. L'archeveque ne prit point le parti de ce fanatique ; mais sur les refus de sacrements , les arrets du pariement etaient toujours cas- ses. Comme il voulait forcer Tarcheveque de la metropole a don- ner la communion, les suffragants n'etaient pas epargnes. On en- voyait souvent des huissiers a Orleans et a Chartres pour faire recevoir Teucharistie. II n'y avait guerc de semaines ou il n'y eilt un arret du pariement pour communier dans Tctendue de son res- sort , et un arret du conseil pour ne communier pas. Ce qui aigrit le plus les esprits, ce fut I'enlevement de scaur Perpetue. L*ar- cheveque de Paris obtint un ordre de la cour pour faire enlever cette fille, qui voulait communier malgre lui. On dispersa les re- ligieuses ses compagnes. La petite communauto de Sainte-Agathe fut dissoute. Les jansenistes jeterent les hauls cris,et inonderent la France de libelles. lis aunon<^ient la destruction de la monar- chic. Le pariement etait toujours persuade que I'affaire de Sainte- Agalhe exigeait la convocation des pairs du royaume : le roi per- sistait a soutenir que la communion n'etait pas une affaire de la pairie. Dans des temps moins eclaires , ces puerilites auraient pu sul>- verlir la France. Le fanatisme s'arme des moindres pretextes. Le mot seul de sacrement aurait fait verser le sang d'un bout du • 6f^vrior 1753. CHAPITRE LXVI. 477 royaume a I'aulre : leseveques auraient interdit les villes, le pape aurait soutenu les cveques , on aurait leve des troupes pour com- munier le sabre a la main ; mais le mepris que tous les honnetes gens avaient pour le fond de ces disputes sauva la France. Trois ou quatre cents convulsionnaires de la lie du peuple pensaient, a la verite , qu'il fallait s'egorger pour la bulle et pour soeur Per- petue : le reste de la nation n'en croyait rien. Le pariement etait devenu cher au peuple par son opposition a Tarcheveque el aux arrets du conseil ; mais on se bornait a Taimer, sans qu'il lombat dans la tele d'aucun pere de famille dc prendre les amies et de donner de Targent pour soutenir ce corps centre la cour, comme on avait fait du temps de la Fronde. Le pariement , qui avail pour lui la favcur publique, s'opiniatrail dans ses resolutions qu'il croyait jusles , et n'etait pas seditieux. CHAPITRE LXVI. Suite des folies. Les refus de sacrements , les querelles entre la juridiclion civile el les pretentions ecclesiastiques, s'4tant multiplies dans les dio- ceses de Paris, d'Amiens , d'Orleans, de Chartres , de Tours; les jesuites soufflanl secretemenl cet incendie ; les jansenistes criant avec fureur ; le schisme paraissanl pres d'eclater, le pariement avail prepare de Ires-ampies remonlrances , et il devait envoyer au roi une grande deputation. Le roi ne voulut point la recevoir; il demanda prealablement a voir les articles sur Icsquels ces re- presentations porteraient; on les lui envoya* : le roi rcpondil qu*ayanl examine les objets de ces remonlrances, il ne voulait point les entendre. Les chambrcs s'assemblenl aussilot; elles declarent qu'elles cessenl toulc espece de service , excepic colui de mainlenir la Iranquillile publique centre les entreprises du clerge**. Le roi leur ordonne, par des lettres de jussion , de reprendre leurs fonc- tions ordinaires, de rendre la justice a ses sujets , et de ne se plus roeler d'affaires qui ne les regardent pas. Le pariement repend au roi qu'il ne peul oblemperer. Ce mot ohtemperer fit a la cour un • 30 avril «755. — •* S m^'t r^ 7.. 478 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS, singulier effet. Toutes les femmes demancJaient ce que ce mol voulait dire; etquand elles surent qu'iJ signifiait obeir, elles firenl plus de bruit que les ministres et que les commis des minislres Le roi assemble un grand conseil*. On expedie des leltres de cachet pour tous les membres du parlemenl , exceple ceux de la grand chambre. Les mousquelaires du roi courenl dans loule la ville pendant la nuil du 8 au 9 mai , et font parlir tous les presi- dents et les conseillers des requetes et des enqueles pour leslieux de leur exil. On envoie avec une escorle I'abbe Chauvelin au Mont- Samt-Michel, et ensuile a la citadelle de Caen ; le president Fre- mont de Mazi , pelit-fils d'un fameui partisan , au chMeau de Ham en Picardie; le president de Moreau de Nassigny, aux iles de Samte-Marguerile ; et Beze de Lys , a Pierre-Encise. Les conseillers de la grandchambre s'assemblerent. lis eUient exceplcsdu chatiment general, parce que plusieurs ayant des pensions de la cour, et leur Age devant les rendre plus flexibles, onavait espere qu'ils seraient plus obeissants; mais quand ils furent assembles , ils furent saisis du meme esprit que les en- queles : ils dirent qu'ils voulaient subir le merae exil que leurs confreres; et, dans cette seance meme, ils decreterent quelques cures de prise de corps. Le roi envoya la grand'chambre a Pon- toise**, comme le due d'Orleans regent Ty avait deja releguee. Quand elle fut a Pontoise , elie ne s'occupa que des affaires du schisme. Aucune cause particuliere ne se presenta. Cependant il fillait pourvoir a faire rendre la justice aux ci toyens. On crea une chambre composee de six conseillers d'filat et de vingt et un maitres des requetes***, qui tinrent leurs seances aux Grands-Augustins , comme s'ils n'osaient pas sieger dans le palais. Les usages ont une telle force chez les hommes , que le roi, en disant qu'il erigeait cette chambre de sa certaine science et de sapleine puissance, n'osa se servir de sa puissance pour en faire enregistrer I'erection dans son conseil d'fitat , quoique ce conseil ait des registres aussi bien que les autres cours. On s'adressa au Ch^telet, qui n'est qu'une justice subalterne. Le Chitelet se si- gnala**** en n'enregistrant point; et, parmi les raisons de son re- fus, il allegua que Clotaire I" et Clotaire II avaient defendu qu'on derogedt aux*anciennes ordonnances des Francs. La cour se con- • 6 mai. -♦• lOinai. — ••• ISseplcmhrc. — •'•' 2«ocrobrc. CHAPITRE LXVI. 479 tenta de casser la sentence du Chatelet ; et, en consequence de ses ordres , une deputation de la chambre se transporla au Chatelet , fit rayer la sentence sur les registres, enregislra elle-meme; et cette procedure inutile etant faite , le Chcitelet fit une protestation plus inutile. On changea le nom de cette Chambre, qui ne s'elait appelee jusque-la que chambie des vacations* : elle recut le titre de chambre royale , elle siegea au Louvre au lieu de sieger aux Augustins, et n'en fut pas mieux accueillie du public. On en- voya des lettres de cachet a tous les membres du Chatelet, pour enregistrer sous le nom de royale ce qu'on n'avait pas voulu en- registrer sous le nom de vacations. Tous ces petits subterfuges compromettaient la dignile de la couronne. Le lieutenant civil enregislra du Ires-expres comman- dement du roi**. On ne delibera point. Tout Paris s'obstina a tourner la chambre royale en ridicule ; elle s'y accoutuma si bien , qu'elle-meme s'as- sembla quelquefois en riant , et qu'elle plaisantait de ses arrets. II arriva cependant une affaire serieuse. Je ne sais quel fripon, nomme Sandrin, ayant ete condamne a etre pendu par le Chatelet, en appela a la chambre royale , qui confirma la sentence. Le Chd- telet pretendil qu'on ne devail en appeler qu'au parlement , et re- fusa de pendre le coupable. Le rapporteur de cette cause crimi- nelle, nomme Milon , fut mis a la Bastille pour n*avoir point fait pendre Sandrin. Le Chatelet alors cessa ses fonctions comme le parlement*** ; il n'y eut plus aucune justice dans Paris. Aussitot lettres de cachet au Chatelet pour rendre la justice ; enlevement de trois conseillers des plus ardents. La moitie de Paris riait , et I'autre moitie murmurait. Les convulsionnaires protestaient que ces deraeles finiraient tragiquement ; et ce qu'on appelie a Paris la bonne compagnie assurait que tout cela neserait jamais qu'une mauvaise farce. Les autres parlements imitaient celui de Paris ; et partout ou il y avait des refus de sacrements , il y avait des arrets , et ces arrets elaient casses ; le Chatelet de Paris etait rempli de confusion, la chambre royale presque oisive , le parlement exile , et cepen- dant tout etait tranquille. La police agissait , les marches se te- naient avec ordre, le commerce florissait, les spectacles rejouis- • ilnovembre«733. — ** 20 novembre. — *** 27 novenibre. 480 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. saient la ville , Timpossibilite de faire juger des proces ohiigeait les plaideurs de s'accommoder ; on prenait des arbitres au iieu de juges. Pendant que la inagistralure elait ainsi avilie, le clerge triom- phail. Tous les prelres bannis par le parlement revenaient; les cures decretes exercaient leurs fonclions; Tesprit du ministcre alorsetait de favoriser I'Eglise contre le parlement , parce que jus- que-la on ne pouvail accuser I'archeveque de Paris d'avoir desobei au roi ; et on reprochait au parlement des desobeissances for- melles. Cependant toute la cour s'empressa de negocier, parce qu'elle n'avait rien a faire. II fallait metlre fin a cetle espece d'a- narchie. On ne pouvait casser le parlement, parce qu'il aurait fallu rembourser les charges , et qu'on avait Ires-peu d'argent. On ne pouvait le lenir toujours exile, puisque les hommes nc peuvent elre assez sages pour ne point plaider. Enfin le roi prit I'occasion de la naissance d'un due de Berri ' pour faire grace. Le parlement fut rappele *. Le premier presi- dent de Maupeou fut recu dans Paris aux acclamations du peuple. La chambre royale fut supprimee ** ; mais il elait beaucoup plus aise de rappeler le parlement que de calmer les esprits. A peine ce corps fut-il rassemble , que les refus de sacrements recom- mence rent. L'archeveque de Paris se signala plus que jamais dans cette guerre des billets de confession. Le premier president de Mau- peou , qui avait acquis beaucoup de credit aupres du roi par sa sagesse, fit enfin connaitre tous les exces de I'archeveque. Le roi voulut essayer si ce prelat desobeirait a ses ordres comme Ic par- lement avait desobei. II lui enjoignit de ne plus troubler I'Etat par son dangereux zele. Beaumont pretendit qu'il fallait obeir a Dieu plutot qu'aux hommes. Le roi I'exila*** ; mais ce fut a Conflans, a sa maison de campagne, adeux lieues de Paris ; et il faisait autant de mal de Conflans que de son archeveche. Le parlement eut alors liberte tout entiere d'inslrumenter contre les habitues , vicaires , cures , porte-Dieu, qui refusaient d'admi- nistrer les mourants. Beaumont etait aussi inflexible que le par- lement avait ele constant. Le roi I'exila a Champcaux, dernier ' Qui regna depuis sous le nom de Louis \VI. Ed. • 27 aoat 175^. — *' 3o aoftt. — ••• 2 ddccinbre. CHAPITREXXVI. 481 I bourg de son diocese. Le parlement avait passe dans loule la France pour le martyr des lois ; I'archeveque fut regarde dans son petit parti comme le martyr de la foi, De Champeaux, on I'en- voya a Lagny. Les eveques d'Orleans et de Troyes, qui elaient de sa faction , furent punis aussi legerement ; ils en etaient quittes pour aller en leurs maisons de plaisance; mais enfin I'eveque de Troyes, qui rendait son zele ridicule par une vie scandaleuse , et qui etait accable de dettes , fut enferme chez des moines en Alsace, et oblige de se demettre de son eveche. Le roi avail ordonne le silence sur toutes les affaires ecclesias- liques , et personne ne le gardait. La Sorbonne, autrefois janscniste et alors constitutionnaire, ayant soulenu des theses contraires aux maximes du royaume , le parlement ordonna que le doyen , le syndic , six anciens doc- leurs el professeurs en tlieologie, viendraient avec le scribe de la faculte etavec les regislres. lis furent reprimaudes, leurs con- clusions biffees ; ordre a eux de se laire , suivant la declaration du roi. La Sorbonne pretendit* que c'etait le parlement qui contre ve- nait a la loi du silence, puisqu'il ne se laisait pas sur c« qui se passait dans I'interieur des ecoles de Sorbonne. Le parlement ayant fait defense a ces docteurs de s'assembler, ils direnl qu'ils discontinueraient leurs lecons , comme le parlement avait inler- rompu ses seances. II fallut les contraindre par un arret de faire leurs lemons. Le ridicule se melait toujours necessairement a ces querelles. L'annee 1755 se passa tout entiere dans ces petiles disputes, donl la nation commencait a se lasser. II s'ouvrait une plus grande scene. On etait menace de cette fatale guerre dans laquelle I'An- gleterre a enleve au roi de France tout ce qu'il possedait dans le continent de I'Amerique septenlrionale, a detruit toutes ses flottes, cl a mine le commerce des Francais aux grandes Indes et en Afrique. II fallait de I'argent pour se preparer a cette guerre. Les finances avaienl ete tres-maladministrees. L'usage ne permettait |>as qu'on creM des impols sans qu'ils fussent enregistres au par- lement. C'etait le temps de faire senlir qu'il se souvenait de son exil. Le roi , apres avoir protege ce corps contre les eveques cons- • 6 niai 1735. 482 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. titutionnaires , les protegeait alors coDtre le parlemeot : tant les choses changent aisement a la cour ! Une assemblee du clerge , en 1756, avail porte degrandes plaintes contre les parlements du royaume, et paraissait ecoutee. De plus, le roi prenait alors le parti du grand conseit contre le parlement de Paris, qui lui con- testait sa juridiction. L'embarras de la cour a soutenir la guerre prochaine rendait les esprits plus altiers et plusdifficiles. Le parlement tourna contre le grand conseil toules ses batte- ries , dressees auparavant contre les constitutionnaires. 11 convo- qua les princes et les pairs du royaume pour le 18 fevrier. Le roi le sut aussitot , et defendit aux princes et aux pairs de se rendre a celte invitation. Le parlement soutint son droit d'inviter les pairs. II le soutint inutilement , et ne fit que deplaire a la cour. Aucun pair n'assista a ses assemblees. Ce qui choqua ie plus le gouvernement , ce fut I'association de tous les parlements du royaume , qui se fit alors sous le nom de Classes. Le parlement de Paris etait la premiere classe , et tous ensemble paraissaient former un meme corps qui representait le royaume de France. Ce mot de Classe fut severement releve par le chancelier de Lamoignon. 11 fallait enregistrer les nouveaux impots , et on n'enregistrait rien. On ne pouvait soutenir la guerre avec des remontrances. Get objet etait plus important que la bulle, des convulsions , et des arrets contre des porte-Dieu. Le roi tint un lit de justice a Versailles* ; les princes et les pairs y assisterent ; le parlement y alia dans cinquante-quatre carrosses, mais auparavant il arreta qu'il n'opinerait point. II u'opina point en eifet, et on enregistra malgre lui Timpot des deux vingtiemes, avec quelques aulres. Des qu'il put s'assembler a Paris, il pro- testa contre le lit de justice tenu a Versailles. La cour etait irritee. Le clerge constitutionnaire , croyant le temps favorable , redou- blait ses entreprises avec impunite. Presque tous les parlements du royaume faisaient des remontrances auroi. Ceux de Bordeaux et de Rouen cessaient deja de rendre la justice. La plus saine par- tie de la nation en murmurait, et disait : « Pourquoi punir les par- ticuliers des entreprises de la cour? » Enfin, aprcs avoir tenu beaucoup de conseils secrets , le roi annonca un nouveau lit de justice pour le 13 decembre. II arrivi • 21 aout t736. CHAPITRE LXVI. 483 au parlement avec les princes du sang, le chancelier, et tous les pairs. II fit lire un edit dont voici les principaux articles : 1° Bieu que la bulle ne soit pas une regie de foi , on la recevra avec soumission. 2" Malgre la loi du silence , les evcques pourront dire tout ce qu*ils voudront, pourvu que ce soit avec charite. 3° Les refus de sacrements seront juges par les tribunaux ec- clesiastiques et non civils , sauf I'appel corame d'abus. 4° Tout ce qui s'est fait precedemment au sujet de ces querelles sera enseveli dans Toubli. Voila quant aux raatieres ecclesiastiques ; et pour ce qui regarde la police du parlement, voici ce qui fut ordonne : 1° La grand'chambre seule pourra connaitre de toute la police gencrale. 2° Les chambres ne pourront etre assemblees sans la permis- sion de la grand'chambre. 3° Nullc denonciation que par le procureur general. 4° Ordre d'enregistrer tous les edits immediatement apres la reponse du roi aux remontrances permises. 5" Point de voix deliberative dans les assemblees des chambres avant dix ans de service. 6*^ Point de dispense avant Vkge de vingl-cinq ans. 7** Defense de cesser de rendre justice, sous peine de deso- beissance. Ces deux edits atlerrerent la compagnie ; mais ellc fut foudroyee par un troisieme qui supprima la troisieme et la quatrieme cham- bre des enquetes. Le roi sorlit apres celte seance a Iravers les flots d'un peuple immense qui laissait voir la consternation sur son visage. A peine fut-il sorti, que la plupart des membres du par- lement signerent la demission de leurs charges. Le lendemain et le surlendemain , la grand'chambre signa de meme. II n*y eut enfin que les presidents a mortier et dix conseillers qui ne signe- rent pas. Si la demarche du roi avait etonne le parlement, la re- solution du parlement n'etonna pas moins le roi. Ce corps ne fut que tranquilleet ferme j mais les discours de tout Paris etaient vio- leuts et emportes. II y eut en tout cent quatre-vingts demissions de donnees ; le roi les accepta : il ne restait que dix presidents et quelques con- seillers de grand'chambre pour composer le parlement. Ce corps \ .• 484 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. etait done regarde comme entierement dissous , el il paraissait fort difficile d'y suppleer. Le parti de I'archeveque leva la lete plus haul que jamais; les billets de confession , les refus de sa- crements troublerent lout Paris , lorsqu'un evenement imprevu etonna la France et I'Europe. CHAPITRE LXVIJ. Attentat de Dainiens sur la personne du roi. On donnait au roi le surnom de Bien-Aime dans tons les papiers et les discours publics depuis Tannee 1744. Ce litre lui avail ete donne d'abord par le peuple de Paris , et il avail ele coniirme par la nation : mais Louis le Bien-Aime n'elail pas alors aussi cheri des Parisiens qu'il I'avail ete. Une guerre Ires-mal conduile contre I'Anglelerre el conlre le nord de TAIlemagne, Targent du royaume dissipe dans cetle guerre avec une profusion enorme , des fautes continuelles des g^neraux et des roinistres , affligeaicnt et irri- taient les Francais. II y avail alors une ferame a la cour que Ton haissait, et qui ne noeritail point celte haine. Cettc dame avail ete creee marquise de Pompadour par des Icltres patentes des Tannee 1745. Elle passaitpour gouverner le royaume, quoiqu'il s'en falliit beaucoup qu'elle fiit absolue. La famille royale ne Tai- mail pas, el cette aversion augmentait la hainc du public en I'au- torisant. Le petit peuple lui impulail tout. Les querelles du par- lement porterent au plus haul degre celte aversion publique. Les querelles de la religion achevaienl d*ulcercr lous les coeurs. Les convulsionnaires surlout etaienl des energumenes atroccs qui disaienl hautement depuis une annee entiere qu'il fallaildu sang, que Dieu demandait du sang. Un nomme Gaulier, intendant du marquis de Fcrrieres , frere d'un conseiller au parlement , Tun des plus ardents convulsion- naires, avail tenu quelqucs propos indiscrets. II passail pour hair le gouvernemenl , qui I'avait fait mcttre a la Bastille en 1740, parce qu'il avail distribue des Nouvclles a la main. Depuis ce temps il exhalail quelquefois ses mecontenlemenls. Ges propos , quoique vagues, firenl une grande impression sur un malheureux de la lie du peuple , qui etait reellement atteint de folic. II se I CHAPITRE XXMI. 485 ncQimait Robert-Francois Damiens ; c'etait le tils d'un fermier qui avail fait banqueroute. Ce miserable ne meritait pas les re- cherches que Ton fit pour s'inslruire qu'il etait ne dans un hameau nomme la Tieuloi, dependant de la paroisse de Monchy-le-Brelon, en Arlois , le 9 Janvier 1715. II etait alors age de quarante-deux ans: il avail ele laquais, apprenti serrurier, soldat, garcon de cuisine , et valet de refectoire au college des jesuiles a Paris pen- dant quinze mois : ayant ele chasse de ce college, il y etait renlre une seconde fois ; enfin il s'elail marie , et il avail des enfanls. £tant sorti pour la seconde fois des jesuiles , ou il avail demeure en tout Irente mois , il servit successiveraent a Paris plusieurs maitres. fitant alors sans condition , il allait souvent dans la grand'salle du palais, dans le temps>de la plus grande efferves- cence des querelles de la magistrature et du clerge. La grand'salle etait alors le rendez-vous de lout ce qu*on ap- pelail jansenisle ; leurs clameurs n'avaienl point do homes : I'em- portement avec lequel on parlait alluma Timaginalion de Damiens, deja Irop echauffee : il concut seul, et sans s'ouvrir a personne, le dessein qu'd avoua depuis dans ses interrogatoires el a la tor- ture, dessein le plus fou qui soil jamais tombe dans la tele d'au- cun homme. II avail remarque qu'au college des jesuiles quelques ecoliers s'etaienl defendus a coups de canif , lorsqu'ils croyaient etre punis injustement. II imagina de donner un coup de canif au roi , non pas pour le luer, car un lei instrument n'en etait pas capable , mais pour lui servir de lecon , et pour lui faire craindre que quelquc ciloyen ne se servit conlre lui d'une arme plus meurlriere. Le 5 Janvier 1757, a sept heures du soir, le roi etant pret de monler en carrosse pour aller de Versailles a Trianon , avec son tils le Dauphin , enloure de ses grands officiers et de ses gardes , fut frappe au milieu d'eux d'un coup qui penetra de qualre ligncs dans les chairs, au-dessous de la cinquieme cote; il porta la main a sa blessure , et la relira teinte de quelques goultes de sang. II vit , en se retournant , ce malheureux qui avail son chapeau sur la tele , et qui etait precisement derriere lui. II s'elail avance, a travers des gardes, couvert d'une redingole, a la faveur de Tobscurite, et les gardes I'avaienl pris pour un homme de la suite du roi. On le saisit , on lui trouva trenle-sepl louis en or dans ses poches, avec un livre de prieres. « Qu'on prenne garde, dit-il. 486 HISTOIRE DU PARLEMEM DE PARIS. « a monsieur le Dauphin ; qu'il ne sorle point de la journee. » Ccs paroles, qu'il ne proferait dans son extravagance que pour intirai- der la cour, y jeterent en effet les plus grandes alarmes. Le roi se fit mettre au lit , ne sachant pas encore conabien sa blessure etait legere. Son pouls ctait uu peu eleve , mais il n'avait point du lout de fievre. II demanda d'abord un confesseur, on n'en trouva point ; et enfin un pretre du grand commun vint le con- fesser. On mit d'abord le coupable entre les naains de la justice du grand prevot de rholel , selon les lois du royaume. Nous avons vu que c'est ainsi qu'on en avait use lorsqu'on lit le proces au ca- davre de Jacques-Clement. Des que les gardes du roi eurent saisi Damiens , ils le menercnt dans une chambre basse , qu'on appelle le salon des gardes. Le due d'Ayen , capitaine des gardes , le chancelier Lamoignon , le garde des sceaux Machault, Rouille, fils d'un employe dans les postes , devenu secretaire d'fetat des affaires etrangeres , elaienk accourus. Les gardes I'avaient deja depouille tout nu, et s'elaienl saisis d'un couteau a deux lames qu'on avait trouve sur lui. L'une de ces lames etait un canif long de quatre pouces avec lequel il avait frappe le roi a travers un manteau fort epais et tous ses habits, de facon que la blessure heureusement n'etait guere plus considerable qu'un coup d'epingle. Avant que le lieutenant du grand prevot , nomme le Clerc du Brilletf qui juge souverainement au nom du grand prevot, ful arrive, quelques gardes du corps, dans les premiers mouvemenls de leurcolere, et dans I'incerlitude du danger de la vie de leur mailre , avaient tenaille ce miserable avec des pincettes rougies au feu , et le garde des sceaux , Machault , leur avait meme prete la main. A son premier interrogatoire par-devant le lieutenant Brillel , il dit qu'il avail attente sur le roi d cause de la religion. Apres un second interrogatoire, Belot, exempt des gardes de la prevole , elant dans sa prison , Damiens dit a Belot qu'il connais- sait beaucoup de conseillers au parlement. Belot ecrivit les noms de quelques-uns, que Damiens dicta : ces noms elaient la Grange, Beze-de-Lys, la Guillaumie, Clement, Lambert, le president de Rieux Bonainvilliers (il voulait dire Boulaiiivijiiers ) ; ce presi- dent etait fils du celebre Samuel Bernard, le plus riche banquier CHAPITRE LXVII. 487 du royaume. II prenait le nom de Boulainvilliers , parce qu'il avait epouse une lille de cet illustre nom. C'etait alors un usago assez commun dans la plus haute noblesse de marier ses filles aux fils de gens d'affaires , que leurs richesses rendaient bien superieurs dans la societe a la noblesse pauvre et meprisee. Damiens ecrivit aussi le nom de Mazi , premier president de la meme chambre; il ajouta, et presque tous. Au has de cette liste il ecrivit : « II faut qu'il remette son parlement et qu'il le sou- « tienno , avec promesse de ne rien faire aux ci-dessus et com- « pagnie, » et signa son nom. II dicta a I'exempt Belot une lettre assez longue au roi, dans laquelle il y avait ces mots essentiels : « Si vous ne prenez pas « le parti de votre peuple , avant qu'il soit quelques annees d'ici , M vous et monsieur le Dauphin et quelques autres periront. II « serait facheux qu'un aussi bon prince, par la trop grando bonte » qu'il a pour les ecclesiastiques , dont il accorde toute sa con- « fiance , ne soit pas sur de sa vie ; et si vous n'avez pas la bonte « pour votre peuple d'ordonner qu'on lui accorde les sacrements « a I'article de la raort... votre vie n'est pas en surete. L'arche- « veque de Paris est la cause de tout le trouble , etc. » Cette lettre , signee du criminel , ayant ete portee au roi , el ensuite remise au greffe de la prevole, quelques personnes de la cour furent d'avis qu'on assignal , au moins pour elre ouis , les magistrals du parlement nommes par Damiens. Elles pretendaienl que celtc demarche pourrait oler au corps entier un credit qui genait trop souvent la cour. Le minislere etait alors parlage en- tre le comle d'Argenson et le garde des sceaux Machault, enne- mis declares Fun de I'autre. Le corale d'Argenson etait ouverle- ment brouille avec la marquise de Pompadour; le garde des sceaux etait sa creature et son conseil : sans se reconcilier, ils s'accorderent pour la faire renvoyer de la cour ; ils pretendaienl soulever toute la nation contre elle par le moycn du parlement , dont les families , tenant a toutes les families de Paris , formaient aisemenl la voix publique. Comme on n'etait pas encore bien sur que le couteau ne ful point empoisonne, on crut ou Ton fit croire que le roi etait dans un tres-grand danger, et que, dans la crise ou s'aliait Irouver le royaume, il fallait renvoyer celle dame, et charger le parlement du proces de Damiens. Le roi accorda Tun et I'aulre. Le garde des sceaux alia dire a madame de Pompa- 48S HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. dour qu'il fallail partir. Elle s'y resolut d'abord, n'ayant pu voir le roi, et se croyant perdue; mais elle se rassura bienlot. Le premier chirurgieii declara que la blessure n'elait pas dangereusc; €t I'on ne fut plus occupe que du ch4liment qu'exigeait un si elrange attentat. Le comte d'Argenson fut charge lui-meme de minuter la lettre que le roi envoya a vingt-deux membres de la grand'chambre qui siegeaient alors. Le president Henault composa celte letlre , dans laquelle le roi demandait une vengeance edatante. Ensuite le se- cretaire d'fitat, comte de Sainl-Florenlin , envoya des lettres patentes le 13 Janvier, signees Phelypeaux. Le 17, a dix heures de la nuil, on fit partir de Versailles, aux flambeaux, trois carrosses a quatre chevaux , escorles de soixante grenadiers du regiment des gardes, commandes par quatre lieutenants ethuit sous-lieutenants. De nombreux delachements de marechaussee precedaient la marche. On prit le chemin par Vaugirard. Une compagnie cntiere des gardes se joignit alors a I'escorte ; une compagnie Suisse bordail les rues : on aurait pris cetle entree pour celle d'un ambassadeur. Les rues etaient bordees d'autres compagnies aux gardes; le guet a pied et a cheval etait parlout dispose sur la route. II n'est pas vrai qu'on defendit aux citoyens de se mettre a la fenetre , sous peine de la vie. Ce mensonge absurde se trouve, a la verite, dans les nouvelles publiques de ce temps. Ces nouvelles mercenaires sont toujours ecrites par des gens a qui leur obscu- rite ne permet pas d'etre bien informes. Pendant que le roi reraettait ainsi a la grand'chambre non com- plete le jugement de Damiens, il n'en exilait pas moins seize des conseillers qui avaient donne leur demission ; on leur fit meme Taffront de les faire garder par les archers du guet dans leurs maisons jusqu'au moment de leur depart pour leur exil , depuis le 27 Janvier jusqu'au 30. La grand'chambre fit des remonlrances qui ne furent point ecoutees ; elle abandonna le reste de son corps : cette chambre fut alors uniquemcnt occupeedu devoir d'instruire le proces de Damiens, sur lequel lout Paris faisait les conjectures les plus atroces et les plus contradictoires. Le tour des ministres pour elrc exiles ne tarda pas d'arriver. Louis XV avait exile plusieurs de ceux qui le scrvaienl et qui Tapprochaient. C'etait ainsi qu'il avait traite le due de la Roche- A.---'.*- CHAPITRE LXVn. 489 foucauld , grand maltre de la garde-robe , le plus honnele homme de la cour ; le due de Ch^tillon , gouverneur de son fils ; le comte de Maurepas, le plus ancien de ses ministres; le garde des sceaux Chauvelin, qui a toujours conserve de la reputation dans I'Europe; tout le parlement de Paris, et un tres-grand nombre d'autres magistrals, des eveques, des abbes, et des horaraes de tout etat. La marquise de Pompadour, qui avait fait renvoyer le comte de Maurepas , fit renvoyer de meme le garde des sceaux Machault et le comte d'Argenson. On pardonne plus aisement une injure a son ennemi declare , qu'une trahison ou une faiblesse a un homme de son parti. Elle proposa au comte d'Argenson de se reconcilier avec lui , et de lui sacrifier le garde des sceaux. II refusa : alors la perte de tous deux fut resolue, et ils requrent leurs lettres de cachet le meme jour 1" fevrier. Tel a ete sou vent le sort des ministres en France : ils exilent , et on les exile ; ils emprisonnent, et ils sont emprisonnes. Toutes ces choses, qui sont de la plus grande verite , se trouvent eparses dans les journaux etrangers ; on les a rassemhlees ici sans aucune envie de flatter ni denuire, et seuicment pour I'inslruction de ceux qui trouvent leur consola- tion dans I'histoire. Dans le proces de Damiens que la grand'chambre instruisit , le criminel soutint toujours que la religion I'avait determine a frap- perleroi, mais qu'il n'avait jamais eu I'intention de le tuer; il declara , sans varier, que son projet avait ete concu depuis I'exil de tout le parlement. Interroge sur les discours qu'on tenait chez le docteur de Sor- bonne, nommeCorgne de Launay.dont il avail ete quelque temps laquais, il repondit « qu'on y disait que les gens du parlement « etaient les plus grands coquins et les plus grands marauds de la « terre. m Toutes ses reponses etaient d'un homme insense , ainsi que son action. Interroge pourquoi il avait fait ecrire par Texempt Belot les nomsde quelques membres du parlement, et pourquoi il avait ajoute, presque tous , il repondit : « Parce que tous sont furieux « de la conduite de I'archeveque. » Vareille, enseigne des gardes du corps, lui ayant ete confronte, ft lui ayant soutenu qu'il avait dit « que si on avait tranche la tele « a quatre ou cinq eveques, il n'aurait pas assassine le roi pour t i r 490 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. « la religion , » Damiens repondit « qu'il n avail pas parle de « leur Irancher la tele , mais de les punir, sans dire de quel sup- « plice. » II persista loujours a soulenir que « sans rarchcveque « cela ne serait pas arrive, et qu'il n'avait frappe le roi que « parce qu'on refusail lessacrements a d'honnetes gens. » Ilajouta « qu'il n'allait plus a confesse depuis que I'archeveque avail a donne de si bons exenoples. » Ce ful surtout dans son interrogatoire du 26 mars qu'il declara « que s'il n'elait pas venu souvent dans la salle du palais , il « n'aurail pas commis son crime , el que les discours qu'il y avail a entendus Vy avaient delermine. » Ce qu'il y a de plus singulier, c'esl que Ic premier presidenl de Maupeou lui ayanl demande « s'il croyait que la religion permet- « lait d'assassiner les rois , » il dit par Irois fois « qu'il n'avail « rien a repondre. » Apres la leclure de sou arret prononce en presence de cmq princes du sang,de vingl-deux dues et pairs, de douze presidents a mortier, de sepl conseillers d'honneur. de qualre mailres des requetes , el de dix-neuf conseillers de grand'chambre , il fut ap- plique a la question des coins, qu'on enfonce entre les genoux ser- res par deux planches; il commenca par s'ecrier : « C'esl ce « coquin d'archeveque qui est cause de lout. » Ensuile il enonqa que c'elail le nomme Gautier, homme d'affaires deM.de Ferrie- res, frere d'un conseiller au parlement, qui lui avail dit, en pre- sence de ce meme Ferrieres, « qu'on ne pouvail tinir ces que- « relies qu'en tuanl le roi ; » qu'il deraeurail dans la meme rue que Gautier; qu'il lui avail enlendu tenirce discours dix fois, el ajouler « que c'etait une oeuvre m^riloire. » Au huilieme el dernier coin, il repela encore qu'il avail cle inspire par les discours de ce Gautier el par ceux qu'il avail en- tendus dans le palais. Immediatemenl apres la question, on lui oonfronla Dominique-Franqois Gautier , qui dit d'abord n'avoir point de reproches a lui faire, mais qui nia toutc sa deposition. On lui confronta aussi le sieur Ferrieres : celui-ci convint que Da- miens lui avail apporte quelquefois des arrets du parlement, et juslifia son domestique Gautier aulaul qu'il le put On mil dans les preparalifs du supplice de ce miserable, el dans son execution , un appareil el une solennite sans exemple. On avail enloure de palissades un espace de cent pieds en carre CHAPITRE LXVll. 491 qui touchail a la grande porte de I'hdtel de ville. Cel espace elail enloure en dedans el en dehors de tout le guet de Paris. Les gardes francaiscs occupaienl toules les avenues , el des corps de gardes suisses etaieut repandus dans toule la vilfe. Le prisonnier fut place, vers les cinq heures *, sur un echafaud de huit pieds el demi carres. On le lia avec de grosses cordes retenues par des cercles de fer qui assujettissaient ses bras et ses cuisses. On com- menca par lui briiler la main dans un brasier rempli de soufre al- lume. Ensuile il ful tenaille avec de grosses pinces ardentes, aux bras, aux cuisses el a la poitrine. On lui versa du plomb fondu avec de lapoix-resine et de I'huile bouillante sur toules ses plaies. Ces supplices reileres lui arrachaienl les plus affreux hurlements. Quatre chevaux vigoureux , fouettes par qualre valets de bour- reau , lirerent les cordes qui portaient sur les plaies sanglantes el entlammees du patient ; les tirades el les secousses durcrent une heure. Les membres s'allongerent el ne se separerenl pas. Les bourreaux couperenl enfin quelques muscles. Les membres se de- tacherenlTun apres I'aulre. Damiens , ayanl perdu deux cuisses el un bras, respirail encore , el n'expira que lorsque le bras qui lui restail ful separe de son tronc tout sanglant. Les membres et le tronc furent jeles dans un bucher prepare a dix pas de I'e- chafaud. A regard de ce Gautier, si violemment accuse d' avoir tenu des discours qui avaient dispose Damiens a son crime , il fut encore interroge, mais apres la mort de Damiens. II avoua qu'a la verile il avail entendu un jour Damiens parler vivemenl des affaires du parlement, el qu'il avail dit « que c*etail un bon citoyen. » On ordonna conlre lui un plus ample informe pendant uneannee, apres quoi il ful elargi. Dans le meme temps le roi faisait enlever trente-qualre membres du parlement de Besancon qui s'etaient opposes aux edits bur- saux; et des archers les conduisaient dans differentes provinces. Tons les parlements du royaume lui adressaient des plaintes. Les avocats ne plaidaient point dans Paris, et tous les citoyens etaient irritcs. Le roi, pour apaiser les cris , donna six mille livres de pension aux deux rapporteurs qui avaient instruil le proces de Damiens, •28 mars 1737. 492 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. CHAPITRE LXVIII. 493^ I deux mille au premier greffier, quinze cents au second. Peu d'of- ficiers qui versent leur sang dans les batailles sont aussi bleu re- compenses. On esperait par la faire rentrer les autres membres du parlement dans leur devoir ; et, tandis qu'on prodiguait les pensions a la grand'chambre , ou offrail ie remboursement de leurs charges a treize conseillers exiles ; mais on manquait d'ar- gent , et la guerre funeste dans laquelle on etait engage appau- vrissait et depeuplait le royaume. On changeait de miiiistre des finances de six mois en six mois : c*etait montrer la maiadie de rlltat que d'appeler toujours de nouveaux medecins. II fallut enfin negocier avee ceux de la grand'chambre, des enquetes et des re- quetes, qui avaient donne leurs demissions : on les leur rendit, ils reprirent leurs fonctions * ; mais its demeurerent tres-aigris. On rendit aussi au parlement de Rennes trois conseillers qu'on avail mis en prison ; et le parlement de Rennes ne ful que plus irrile. Des que le parlement parut tranquille , I'archeveque Beaumont ne Ic fut pas; il renouvela toutes les querelles qui semblaient assoupies ; refus de sacrements , interdictions de religieuses. Le roi ayant ecrit precedemment au pape Benoit XIV pour le prier de luidonnerdes moyens d'apaiserles troubles, moyens tres-difficiles a trouver, Beaumont avait ecrit de son cote pour aigrir le pape. II deplut egalement au roi et au pontife de Rome. Louis XV, accou- tume a Texiler, I'envoya en Perigord. C'est ainsi que se termina i'annce 1757. CHAPITKE LXVIII. De rabolissement des jesuites. On salt tout ce qu'on reprochaitdepuis longtemps aux jesuites : ils etaient regardes en general commc fort habiles, fort riches, heureux dans leurs entreprises , et enncmis de la nation : ils n'e- taient rien de tout cela ; mais ils avaient violemment abuse de leur credit quand ils en avaient eu. D'autres ordres etaient beaucoup plus opulents, mais ils n'avaient pas ele intrigants et persecuteurs comme les jesuites, et n'etaientpas detestes comme eux. * 29 aoftt 1737. On a pretendu que leur general avait eu Timprudencede rendre de mauvais offices dans Rome a un ambassadeur de France , Tun de ceux qui ont le mieux servi I'fitat, et dont le genie superieur devait etre plutot menage qu'offense. La conduite du general etait d*autant plus maladroite , qu'il savait que le credit de son ordre ne tenait presque plus a rien ; et il y parut bien dans la suite. II y avait, depuis 1747 , a la Martinique un jesuite nomme la Valette , superieur des missions, et dont Temploi devait etre de convertir des negres : il aima mieux les faire travailler a ses inte- rets que prendre soin de leur salut. C'etait un genie vaste et en- treprcnant pour le commerce. II s'associa avec un Juif nomme Isaac, etabli a Tile de la Dominique , et eut des correspondances- dans toutes les principales villes de TEurope. Le plus grand de ses correspondents etait le jesuite Sacy, procureur general des mis- sions, demeurant dans la maison profosse de Paris. Le monopole enorme que faisait la Valette le tit rappeler par le ministere, sur les plaintes des habitants des lies, en 1753 : mais les jesuites ob- linrent qu'il fut renvoyc dans son posle. II n'en couta a la Va- lette qu'une promesse par ecrit de ne se meler plus que de gagner des ^mes , et de ne plus equiper de vaisseaux. Ses superieurs te nommerent alors visiteur general et prefet apostolique ; et avec ces litres il alia continuer son commerce. Les Anglais le deran- gerent ; ils prirent ses vaisseaux. La Valette et Sacy firent une banqueroute plus considerable que la somme quMIs avaient per- due ; car les effets dont les Anglais s'etaient empares ne furent pas vendus douze cent mille francs de notre monnaie, et la baa- queroute des jesuites fut d'environ trois millions. Deux gros negociants de Marseille , Gouffre et Lionci, y perdi- rent tout d'un coup quinze cent mille livres. Sacy, procureur des missions a Paris, eut ordre de son general d'offrir cinq cent milld francs pour les apaiser : il offril cet argent , et ne le donna point ^ il en employa une partie a salisfaire quelques creanciers de Paris, dont les cris lui paraissaient plus dangereux que ceux qui se fai- saient entendre de plus loin. Les deux Marseillais se pourvurent cependant devant la juri- diction consulaire de leur ville. La Valette et Sacy furent condam- nes solidairement le 19 novembre 1759. Mais comment faire payer quinze cent mille francs a deux jesuites ? Les memes creanciers et quelques autres demanderent que la sentence fut executoire contre i f 1, 1 '*-J «94 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. toute la societe etabiie en France. Cctte sentence fut obtenue par defaut le 29 mai 1760; mais il etaitaussi difticile de faire payer la societe que d'avoir de I'argent des deux jesuites Sacy et la Va- lette. Ce n'etait pas , comme on sait, la premiere banqueroute que les jesuites avaient faite. On se souvenaitde celle de Seville, qui avail reduit cent families a la mendicite en 1 644 . lis en avaient ete quittes pour donner des indulgences aux families ruinees, et pour associer a leur ordre les principals et les plus devotes. lis pouvaient appeler de la sentence des consuls de MarseilK) par-devant la commission du conseil etabiie pour juger tons les differends louchant le commerce de I'Amerique ; mais M. de la Grand'ville, conseiller d'Etat et lour affilie, qu'ils consulterent, leur conseilla de plaider devant le parlement de Paris : ils stiivi- Tent cet avis, qui leur devint funeste. Cette cause fut plaidee a la grand'chambre avec la plus grande solennitc. L'avocat Gerbier se tit, en parlant contre eux, la meme reputation qu'autrefois les Ar- nauld et les Pasquier. Apres plusieurs audiences , M. le Pellelier de Saint-Fargeau , alors avocat general, resuma toute la cause , et fit voir que la Valette etant visiteur apostolique, et Sacy procureur general des missions, etaient deux banquiers; que ces deux banquiers etaient commissionnaires du general, residant a Rome ; que ce general etait administrateur de toutes les maisons de Tordre ; et, sur ses conclusions, il fut rendu arret par lequel le general des jesuites et toute la societe etaient condamnes a restitution, aux intercts, aux depens, eta cinquante mille livresde dommages, le 8 mai 1761. Le general ne pouvant etre contraint, les jesuites de France le furent. Le prononce fut requ du public avec des applaudissements et des battements de mains incroyables. Quelques jesuites , qui avaient eu la hardiesse et la simplicite d'assister a I'audience , fu- rent reconduits par la populace avec des huees. La joie fut aussi universelle que la haine. On se souvenait de leurs persecutions; et eux-memes avouerent que le public les lapidait avec les pierres de Port-Royal , qu'ils avaient detruit sous Louis XIV. Pendant qu*on avaitplaide cette cause, tous lesesprits 8*etaient tenement echauffes, les anciennes plaintes contre cette compa- gnie s'etaient renouvelees si hautement , qu'avant de les condam- ner pour leur banqueroute, les chambres assemblees avaient CHAPITRE LXVIII. 49S J « i / ordonne, des le 17 avril, qu'ils apporteraient leurs constitutions au greffe. Ce fut I'abbe Chauvelin qui le premier denonca leur institut comme ennemi de TElat , et qui par la rendit un service eternel a la patrie. Ils obtinrent par leurs intrigues que le roilui-meme se reserve- rait dans son conseil la connaissance de ces constitutions : en effet, le roi ordonna, par une declaration, qu'elles lui fussent apportees. La declaration fut enregistree au parlement le G aout ; mais , le meme jour, les chambres assemblees. firent bruler par le bourreau vingt-quatre gros volumes des theologiens jesuites. Le parlement remit au roi Texemplaire des constitutions de cet ordre ; mais il ordonna en meme temps que les jesuites en apporteraient un autre dans trois jours, et leurdefendit de recevoir des novices el de faire des lecons publiques, a commencer au l"*" octobre 1761. lis n'o- beirent point ; il fallut que le roi lui-meme leur ordonndl de fer- mer leurs classes le l*"" avril 1762 ; et alors ils obeirent. Pendant tout le temps que dura cette tempete qu'eux-meraes avaient excitee , non-seulement plusieurs ecclesiastiques , mais encore quelques membres du parlement, les rendaient odicux a la nation par des ccrits publics. L'abbe Chauvelin fut celui qui sedistingua le plus, et qui hata leur destruction. Les jesuites repondirent ; mais leurs livres ne tirent pas plus d'effot que les satires imprimees contre eux du temps qu'ils etaient puissants. Tous les parlements du royaume, I'un apres I'aulre, declarerenl leur institut incompatible avec les lois du royaume. Le 6 aout 1762, le parlement de Paris leur ordonna « de renoncer pour toujours au nom, a Thabit, aux voeux, au « regime de leur societe ; d'evacuer les noviciats, les colleges, les « maisons professes, dans huitaine; » leur defendil «de se Irouver « deux ensemble, et de travailler en aucun temps et de quelque « maniere que ce fut a leur retablissemenl , sous peine d'etre de- « dares criminels de lese-majeste. » Le 22 fevrier 1764, autre arret qui ordonnait que dans huitaine les jesuites qui voudraient rester en France feraient serment d'abjurer I'iDslitul. Le 9 mars suivant, arret qui bannit du royaume tous ceux qui n'auront pas fait le serment. Enfin le roi, par un edit du mois de novembre 1764, cedant a tousles parlements et aux cris de loute la nation , dissout la societe sans retour. 496 HISTOIRE DU PARLEMENT DE PARIS. Ce grand exemple, imile depuis et surpasse encore en Espagne, dans les Dcux-Siciles, a Parme et a Malle, a fait voir que cc qu'on croit difficile est souvent tres-aisc ; et on a ete convaincu qu'il se- rait aussi facile de detruire toutes les usurpations des papes, que d'aneantir des religieux qui passaient pour ses premiers satellites. Enfm le cordelier Ganganelli, devenu pape, detruisit Tordre entier par une bulle ( 1773) ; et apres avoir soutenu pendant deux cents ans que le pape pouvait tout, les jesuites furent obliges de soute- nir peu a peu qu'il ne peut meme licencier un regiment de moines. CHAPITRE LXIX. Le parlement m^contente le roi et une partie de la nation. Son arret centre le chevalier de la Barre et conlre le g^n^ral Lalii. Qui pouvait croire alors que dans' peu de temps le parlement eprouverait le meme sort que les jesuites ? II fatiguait depuis plusieurs annees la patience du roi, et il ne se concilia pas la bienveillance du public par le supplice du chevalier de la Barre et par celui du general Lalli. Ce corps deplaisait bien plus au gouvernement par sa lutle perpeluelle contrc les edits du roi que par ses cruautes envers quelques citoyens. II semblait prendre a la verite le parti du peuple f mais il genait I'administration , et il paraissait toujours vouloir etablir son autorite sur la ruine de la puissance supreme. II s*unissait en effet avec les autres parlements , et pretendait ne faire avec eux qu'un corps, dont il etait le principal membre. Tous s'appelaient alors classes du parlement : celui de Paris etait la premiere classe; chaque classe faisait des remontrances sur les edits , et ne les enregistrait pas. II y eut meme quelques-uns de ces corps qui poursuivirent juridiquement les commandants de province envoyes a eux de la part du roi pour faire enregislrer. Quelques classes decernerent des prises de corps contre ces ofQ- ciers. Si ces decrets avaicnt ete mis a execution, il en aurait re- sulte un effet bien etrange. C'est sur les domaines royaux que se prennent les deniers dont on paye les frais de justice , de sortc que le roi aurait paye de ses propres domaines les arrets rendus par ceux qui lui desobeissaient contre ses officiers pnncipaux, qui avaient execute ses ordres. CHAPITRE LXIX. 497 Cetle etonnante anarchie ne pouvait pas subsister : il fallait ou que la couronne reprit son autorite, ou que les parlements pre- valussent. On avait besoin , dans des conjonctures si critiques , e Tabb^ Dubois, archeve(iue de Cambrai , cardinal , pre- mier ministre. Mort du due dOrleans, regent de France. • • • • *5 Chap. IV. SUnislas Leczinski, deux fois roi de Pologne , et deux fois depossW«^. Guerre de 1734. La Lorraine rtiunie a la France. ... i^ Chai'. V. Mort de I'empereur Cliarles VL La succession de la maison d'Aulriche disput^e par quatre puissances. La reine de Hongrie re- connue dans tous les Etats de son pOre. La Sii^ie prise par le roi 32 de Prusse Chap. VI. Le roi de France s'unit aux rois de Prusse et de Pologne pour faire elire empereur I'^lccleur de Bavicre , Charles-Albert. Ce prince est d^clard lieutenant g^n^ral du roi de France. Son Election, ses succ^s , et ses pertes rapides ^* Chap. VIL D^sastres rapides qui suivent les succ«^s de I'empereur Charles-Albert de Bavi6re *^ Chap. VIII. Conduile de I'Angleterre, de TEspagne, du roi deSar- daigne, des puissances dMlalie. Bataille de Toulon • *3 Chap. IX. Le prince de Conti force les passages des Alpes. Situation des affaires dTUlie ; • *^ Chap. X. Nouvelles disgraces de I'empereur Charles VII. Bataille de Dettingen Chap. XI. Premiere campagne de Louis XV en Flandre. Ses succes. II quitte la Flandre pour aller au secours de l* Alsace menacj^e, pen- dant que le prince de Conti continue a s'ouvrir le passage des Alpes. Nouvelles ligues. Le roi de Prusse prend encore les armcs. 60 Chap. XII. Le roi de France estk I'extr^mit^. Des qu'il est gu6ri, il marche en Allemagne; il va assi^ger Fribourg, tandis que I'ar- mie autrichienne, qui avait p^mitri en Alsace, va d^livrcr la Bohemc , el que le prince de Conti gagne une bataille en Italic. 65^ 499 «>0 TABLE DES MATIERES. Pages. Ciup. xm. Bataillc de Coiii. Conduite dii roi de France. Le roi de Naples surpris pres de Rome gg Chap. XIV. Prise du marechal de Belle-Isle. Lempereur Charles Vll meurt ; mais la guerre n'en est que plus vive 73 Chap. XV. si^ge de Tournay. Bataille de Fontenoy. . ! . . . . . 75 Chap. XVI. Suites de la journ^ de Fontenoy !.'.!!.' 88 Chap. XVII. Affaires dAlIemagne. Francois de Lorraine, grand-due de Toscane, ^lu empereur. Armies amrichlennes el saxonnes bat- tues par Fr<5darle. ment ^" Chap. XXIX. Seconde r^gence de Catherine de Medicis. Premiers ^tats de Blois. Empoisonnement de Henri de Cond^. Letlre de Henri IV, etc '^ Chap. XXX. Assassinat -des Guises. Procts criminel commencti contre le roi Henri III. Avertissement au procts. 556 Chap. XXXI. Parlement trains h la Bastille par les factieux. D6cret de la Sorbonne contre Henri HI. Meurtre de ce monarciue 561 Chap. XXXII. Arrets de plusieurs parlements , apres la mort de Henri HI. Le premier president Brisson pendu par la faction des Seize ^^ Chap. XXXIIl. Le royaume d(:>membre. Le seul parlement, seant aupr6s de Henri IV , pent raontrer sa fid^lit^. 11 decrete de prise de corps le nonce dupape "^ Chap. XXXIV. Etats g^n^raux tenus i Paris par des Espagnols et des Italiens. Le parlement soulient la loi salique. Abjuration de Henri IV *"- Chap. XXXV. Henri IV reconnu dans Paris 577 Chap. XXXVI. Henri IV assassine par Jean Chatel. Jesuites chassis. Le roi maudit k Rome , et puis absous. ^80 Chap. XXXVIL Assemblee de Rouen. Administration des finances. 584 TABLE DES MATIERES. 503 Pages. Chap. XXX VIH. Henri IV ne peut obtenir de Targent pour re- prendre Amiens, s'en passe, et le reprend 587 Chap. XXXIX. D'une fameuse d^moniaque 589 Chap. XL. De I'^it de Nantes. Discoursde Henri IV au parlement. Paix de Vervins ^®* Chap. XLL Divorce de Henri IV. 395 Chap. XLII. Jesuites rappelc's. ^^ Chap. XLIII. Singulier arret du parlement contre le prince de Cond^, quiavait emmen6 sa femme a Bruxelles 399 Chap. XLIV. Meurtre de Henri IV. Le parlement declare sa veuve r^gente *®* CHAP. XLV. Obs6ques du grand Henri IV '*04 Chap. XLVI. EUts gin(5raux. Etranges assertions du cardinal Du- perron. Fidilit^ et fermete du parlement 405 Chap. XLVII. Querelle du due d'Epernon avec le pariement. Re- montrances mal recues *^ Chap. XLVUL Meurtre du mar^chal d'Ancre et de sa femme. . . . 412 Chap. XLIX. Arret du parlement en favear d'Arislote. Habile fri- ponnerie dun nonce. Mort de I'avocat general Servin , en pariant au parlement Chap. L. La m(!re et le frire du roi quittent le royaume. Conduite 419 du parlement ^HAP. LI. Du mariage de Gaston de France avec Marguerite de Lor- raine, cass6 par le parlement de Paris et par Tassembl^e du clerg^. 425 Chap. LII. De la resistance apport^e par le parlement k l'6tablisse- ment de r Academic francaise *25 Cbap. LIII. Secours offcrt au roi par le parlement de.Paris. Plusieurs de ses membres emprisonnis. Combat a coups de poing du parle- ment avec la chambre des comptes dans I'^gUse de Notre- Dame. . 427 Chap. LIV. Commencement des troubles pendant le minisl6re de Mazarin. Le parlement suspend pour la premiiJre fois les fonctions de la justice ;'.*.* Chap. LV. Commencement des troubles civils, causes par Tadmmis- tration des finances ;••',•* •'. ."I'/'X '*' ^^ Chap. LVl. Des Barricades et d? la guerre de 1^ F.;oi/de.; .\.'\ . ;. ,^^ Chap. LVII. Fin des guerres civiUs de Paris. Le parlfemeAitiWnti^ dans son devoir ; il harangue le cardinal Mazarin. ... •.;..•.•, ,*12 ^ CHAP. LVIII. DuparlementdepuistjueLaujsXiyr^^apaildi.rntjne; 4^4; Chap. LIX- R(5gence du due d'Orlrianj.; .;. .#/. . ,*. ., .; -V-. »* C • C **I Chap. LX. Finances et systfeme de Lass pendant la r^gence. ... 451 Chap. LXL L'Ecossais Lass contr6\(Bur gifiir^ : ses operations, ruine. . delEtat V •—; • -;•• :v * *? Chap. LXH. Du parlement et de ia.l»uU« UniyefUtus ,^u iamps in miiiisterede Dubois, archevfiquedeCambraiet cardinal 460 Chap. LXllI. Du parlement sous le ministCre du due de Bourbon. 464 *^ TABLE DES MATfERES. Uixp, LXIV. Du parleraent au temps du cardinal Fleury 465 Jm^^^mi!" *^''*^"^"*' **^ convuUions, de» folies de Paris Cbap. LXVL Suite 'd« foliw. . . .' !!.*.*.*!! ! . ... * iJJ Chap. LXVII. Attentat de Damiens sur la personne du roi. .' . ! . . 414 Chap. LXVDL De i'abolissement des j^uites. * ! 482 Chap. LXIX. Le parlement m^contente le roi et une partie dela na- MoDj Son ari^ contre le chevalier de la Barrc el contre le geJoeral 406 Voltaire Siecle de Louis XV. 1010656227 v^^ll .V^'5'^H ir.x > r •• * • •• • ♦ t . • " ^, A:. I \0^ p*w #■ ^^. 'W^^mm^ _^mh «# ©J j^ », ^¥»P fe^^'S:*if* ^ riJ^lt'.fc ^..tfL a.*»^ -^