Pass— US 3 i fc Book l DOCUMENTS SUR LES EVENEMENTS DE 1870-1871 LE DOSSIER DE LA COMMUNE DOCUMENTS SUR LES EVKNEMENTS DE 1870-7 1. LlTTERATURE OFFICIELLE SOUS LA COMMUNE. ... 2 fr. Trociiu et Paltkao 1 » Bazaine et Changarnier (Lettres, Discours, etc.) 1 » Les Manifestes du Comte de Chambord et la presse parisienne 1 » L'Armee de Versailles 1 50 La Crise constituttonnelle en aout 4871 (Pro- position Rivet) 2 » Messages de M. Thiers (l re Partie. — Scptembre 1871) 1 » Situation industrielle et commerciale de Paris en octobre 1871 (Enquete municipale) 1 » Nota. — Cette serie de publications sera continuee. TABLETTES QUOTIDIENNES DU SIEGE DE PARIS Reimpression de la LETTRE -JOURNAL Ud vol. gr. in-8°. — 3 fr. LE DOSSIER DE LA COMMUNE DEVANT LES GONSEILS DE GUERRE PARIS LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES RCE SAINT-HONORE, 338 18 7 1 • I ' . ' \\0 Ce que nous publions aujourd'hui n'est pas le compte rendu des audiences tenues par les Conseils de guerre siegeant a Versailles; nous reunissons simplement, sous le titre de Dossier de la Commune, les rapports el lesrequisitoires des principales affaires qui se sont deroulees devant la justice militaire. Nous croyons don- ner ainsi le recit le plus fidele qui ait ete fait jusqu'a present des evenements qui out signale la domination de la Commune : et, en effet, les documents que nous reproduisons, rediges d'apres des renseignements plus exacts et plus complets que tous ceux qui ont pu servir aux historiens de l'insurrection parisienne ? em- pruntent encore aux personnes dont ils ema- nent un caractere incontestable d'authenticite. II s'en faut que nous ayons mentionne toutes les affaires ; nous nous en sommes tenua celles qui presentaient un veritable interet historique. Parmi celles que nous avons negligees, nous citerons, comme ayant plus specialement fixe l'attentiondu public, Paffaired'AbelPeyrouton, avocat, condamne, avec circonstances atte- nuantes, h cinq ans de detention, pour usurpa- tion de fonctions et attentat ayant pour but de detruire ou changer le gouvernement ; — et Faffaire de la veuve Leroy, maitresse d'Urbain, condamnee a la deportation simple pour pro- vocation, par cris et menaces proferes publi- quement, a un attentat ayant pour but de porter la devastation et le massacre dans Paris, et pour complicite, par aide et assistance, d'un vol commis al'aide de violence par Urbain. Enfin, nous avons trouve que le preambule oblige de notre Dossier de la Commune etait la circulaire adressee, le 6 juin, par le Ministre des affaires etrangeres, aux agents diplomati- ques de la Republique, pour leur exposer les causes de l'insurrection du 18 mars. 20 novembre 1871. TABLE-SOMMAIRE Pag?s. ClRCULAIRE DU MlNISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES aUX agents diplo- matiques de la Republique (6 juin 1871) 1 LES MEMBRES DE LA COMMUNE et du Comite central . 11 Les accuses, les defenseurs 11 Rapport general 15 Rapports particuliers : Assi, page 42. — Billioray , 58. — Champy, 68. — Clement, 103. — Courbet, 104. — Descamps, 101. — Ferrat, 99. — Ferre, 37. — Grousset, 92. — Jourde, 59. — Lisbonne, 75. — luttier, 80. — Parent, 107. — Rastoul, 88. — Re- gere, 70. — Trinquet, 66. — Urbain, 51. — Verdure, 98. Requisitoire . . 109 Assi, page 13i. — Billioray, 126. — Champy, 132. — Clement, 144. — Courbet, 144. — Descamps, 145. — Ferrdtf, 143. — Fm-e, 123. — Grousset, 138. — Jourde, 127. — Lullier, 135. — Parent, 146. — Ras- toul, 137. — Rtgere, 132. — Trinquet, 131. — tfr- te, 125. — Verdure, 142. Jugement 149 LES AGENTS DE LA COMMUNE 153 Les Femmes incendiaires , 153 Les accusees 153 Rapport 154 Femme Bocquih, page 160. — Fille Marchais, 159. — Fille Pqpavoine, 159. — Fille Retiffe, 157. — Fille Sudens, 158. Requisitoire 164 Jugement 168 Cavalier, dit Pipe-en-Bois 169 Rapport 169 Requisitoire 171 Jugement ' , . . 178 Rossel 179 Rapport 179 Requisitoire 183 Jugement 187 Rochefort, Maret et Mourot 188 Rapport 188 Requisitoire -, •• 195 Jugement 206 Lfis Assassins des generaux Clement Thomas et Lecomte. » . 207 Les accuses 207 Rapport 208 Requisitoire j 221 Jugement 232 LE DOSSIER DE LA COMMUNE GIRGULAIRE DU MiNISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES AUX AGENTS DIPLOMATIQUES DE LA REPUBLIQUE 1 Versailles, 6 juin 1871. Monsieur, la formidable insurrection que la vaillance de notre arm£e vient de vaincre, a tenu le monde entier dans de telles anxiet£s, elle Fa epouvante* par de si effroyables forfaits, qull me semble necessaire de dominer l'horreur qu'elle inspire pour essayer de demeler les causes qui Font rendue possible. Ilimporte que vous soyez ^claire" sur ce point, afin de pouvoir rectifier des opinions erron^es, mettre les esprits en garde contre de facheuses exagerations et provoquer partout le con- cours moral des hommes senses, honnetes, courageux, qui veulent r£solument restaurer le principe de l'autorite en lui donnant pour base le respect des lois, la moderation et la liberty. 1. Nous avons pense qu'il etait bon de donner ici, comme pream- bule au Dossier de la Commune, la circulaire dans laquelle leministre des affaires etrangeres exposait, le 6 juin 1871, aux agents diplo- matiques de la Republique, les causes de Tinsurrection du 18 mars. 1 — 2 — Quand on a et6 temoin des catastrophes que nous avons traversers, la premiere impulsion porte a douter de tout, hors de la force, qui, apparaissant comme le remede supreme, sem- ble par cela etre le seul principe vrai. Mais la fumee du combat n'est pas encore dissipee que chacun, interrogeant sa conscience, y trouve le guide supe>ieur qu'on n'abandonne jamais en vain, et auquel nous sommes ramen^s quand nous l'avons sacriHe" a la violence de nos passions. Cette fois, la lecon est tout ensemble si e*clatante et si ter- rible qu'il faudrait une singuliere durete de coeur pour se refuser a en admettre Tevidence. La France, comme on le r£pete trop legerement, n'a point recule* vers la barbarie, elle n'est pas davantage en proie a une sorte d'hallucination fu- rieuse; elle a ete, par une serie de fautes volontaires, jeteeen dehors des voies du juste et du vrai. Elle subit aujourd'huila plus cruelle et la plus logique des expiations. Qui peut nier, en effet, que l'acte du Deux D6cembre et le systeme qui en a ete la consecration n'aient introduit dans le sein de la nation un element actif de depravation et d'abais- sement? En ce qui concerne plus particulierement la ville de Paris, il n'est pas un esprit serieux qui n'ait compris et predit les inevitables malheurs que preparait la violation audacieuse de toutes les regies economiques et morales, consequence inevitable des travaux a outrance necessaires a l'existence de l'empire. On peut se reporter a de r^centes discussions^ et Ton verra avec quelle precision 6taient denonces les perils que contestaient intrepidement les trop dociles approbateurs de ces criminelles folies. Paris etait condamne par le regime que lui avait fait le gouvernement imperial a subir une crise re- doutable ; elle aurait eclate en pleine paix; la guerre lui a donne les caracteres d'une horrible convulsion. II n'en pouvait etre autrement : en accumulant dans l'en- ceinte de la capitale une population flottante de pres de trois cent mille travailleurs, en y multipliant toutes les excitations des jouissances faciles et toutes les souffrances de la misere^ Tempire avait organist un vaste foyer de corruption et de de- sordres, oil la moindre etincelle pouvait allumer un incendie. 11 avait, cr6e un atelier national aliment^ par une speculation — 3 — ftevreuse , et qu'il 6tait impossible de licencier sans cata- strophe. Quand il commit le crime de declarer la guerre, il appela sur Paris la foudre qui devait Fecraser cinq semaines apres. Nos armies £taient dikruites et la grande cit6 restait seule en face des huit cent mille Allemands qui inondaient notre terri- toire. Le devoir de la resistance animait toutes les ames. Pour le remplir a Paris, il fallut armer sans distinction tous les bras : Fennemi etait aux portes, et sans cette t6merit6 n6 • cessaire il les aurait franchies des son premier choc. II fallut aussi nourrir tous ceux qui manquaient de travail, et le nombre en depassa six cent mille. C'est dans ces condi- tions perilleuses que commen^a le si£ge. Nul ne le croyait possible. On annongait que la sedition livrerait la ville au bout de quelques semaines. La ville a tenu quatre mois et demi, mal- gr£ les privations, malgr6 les rigueurs d'une saison cruelle, malgr6 le bombardement, et la famine seule Fa obligee a traiter. Mais nul ne saurait dire la violence des perversions morales et physiques auxquelles cette malheureuse population fut en proie. Les exigences du vainqueur y mirent le comble. A 1'humiliation de la d£faite vint se joindre la douleur des sa- crifices qu'il fallait subir. Le d£eouragement et la colere se partagerent les ames. Nul ne voulut accepter son malheur et beaucoup chercherent leur consolation dans l'injustice et dans la violence. Le dechaine- ment de la presse et des clubs fut pouss6 jusqu'aux dernieres limites de Fextravagance. La garde nationale se desagregea. Un grand nombre de ses membres, chefs et soldats, quitte- rent Paris. Coupe en deux par la reunion de FAssemblee a Bordeaux, le Gouvernement restait sans force. II en aurait acquis par sa translation a Versailles, si les agitateurs n'avaient choisi ce moment pour allumer Finsurrection. N'ayant a leur opposer que quelques regiments a peine or- ganises, le Gouvernement couvrit FAssemblee et commenga la partie terrible qu'il a d^fmitivement gagnee, grace sur tout a la sagesse, a la fcrmete, au devouement sans bornes de son _ 4 — chef. II fallut, en d6pit de tous les obstacles, reunir une ar- m6e assez nombreuse pour assi£ger les forts et Paris, et les reduire; contenir l'etranger toujours dispose a intervenir, calmer les impatiences legitimes de l'Assemblee, dejouer les intrigues qui se nouaient chaque jour, pourvoir, sans tresor, a d'effroyables d^penses de guerre et d'occupation etrangere. Que de fois le probleme n'a-t-il pas semble insoluble a ceux qui avaient Teffrayante mission de le resoudre ! Que de fois, amis et ennemis leur r£petaient-ils qu ils y succomberaient! lis n'ont pas desesp^re, ils ont suivi la ligne de leur devoir. Les prisonniers qui gemissaient en Allemagne sont rentres; au lieu du repos auquel ils avaient tant de droits, ils ont trouve le peril et le sacrifice. La patrie le commandait ; tous, depuis le plus illustre jusqu'au plus humble, ont obei. Ils ont de nouveau prodigu£ leur vie a la defense du droit, et Fentre- prise que leurs.rivaux jugeaient impossible, ils Font accom- plie. Les forts de Fenceinte ont 6te emporl^s d'assaut, et la rebellion, poursuivie pied a pied, a succomb6 dans son der- nier repaire. Mais a quel prix, grand Dieul L'historien ne pourra le raconter sans epouvante. La plume tombera plusieurs fois de ses mains quand il faudra qu'elle retrace les hideuses et san- glantes scenes de cette lamentable tragedie, depuis l'assassi- nat des gen^raux Lecomte et Clement Thomas jusquaux incendies prepares pour embraser tout Paris, jusqu'a Tabomi-* nable et lache massacre des saintes victimes fusillees dans leurs prisons. Toutefois, l'indignation et le degout ne peuvent arr^ter les hommes politiques dans raccomplissement du devoir ^inves- tigation que leur imposent de si extraordinaires forfaits. Les detester et les punir n'est point assez. II faut en recher- cher le germe et l'extirper. Plus le mal est grand, plus il est essentiel de s'en rendre compte et de lui opposer la coalition de tous les gens de bien. Je viens d'expliquer sommairement comment l'6tat g£n£ral de la ville de Paris constituait par lui-meme une predispo- sition au desordre, et comment il s'6tait aggrave dans les pro- portions les plus menaites que recla- ment les n£cessit£s sociales etappliquer ces lois sans faiblesse, e'est une nouveaute a laquelle il faut que la France se resi- gne. G'est pour elle une affaire de salut. Mais elle serait im- prudente et coupable si, en meme temps, elle ne travaillait pas energiquement a relever la moralite publique par une saine et forte education, par un regime economique liberal, par un amour eclaire de la justice, par la simplicile, la mode- ration, la liberty. Sa tache est immense ; elle n'est pas au-dessus de ses for- ces. Si elle en comprend la grandeur, au lieu de se perdre dans des intrigues personnelles, qu'elle s'inspire du sentiment de sa propre vitality. Qu'elle entreprenne de reagir par elle- — 40 — meme contre Tadversit6. Qu'elle consente enfin k vivre pour elle-m£me et par elle-meme, en prenant toujours pour guides la justice, le droit et la liberty et, quelque redoutables que soient ses 6preuves, elle les surmontera. Elle reprendra son rang dans le monde, non pour menacer, mais pour mode>er et pour prot6ger. Elle redeviendra Falliee des faibles, elle essayera d'elever la voix contre la violence, et son autorite sera d'autant plus grande pour la combattre qu'elle aura da- vantage souffert de ses exces. Je serai heureux, monsieur, de recevoir, en echange de ces reflexions, la communication de celles qui vous seront inspi- rees soit par vos propres meditations, soit par l'etude des faits, et les renseignements que vous serez a meme de me transmettre. Veuillez agr£er, etc., etc. LES MEMBRES DE LA COMMUNE ET DU COMITfi CENTRAL LE TROISIEME CONSEIL DE GUERRE LES ACCUSES, LES DEFENSEURS Le 3 e Conseil de guerre est compose de la facon suivante : President : M. Merlin, colonel du l er regiment du genie; Commissaire du gouvernement : M. Gaveau, chef de batail- lon du 68 e de ligne ; Substitut : M. Senart, capitaine adjudant-major au 94 e de ligne; Juges : MM Goulet, chef de bataillon d'etat-major ; de Gui- bert, capitaine au ll e regiment d'artillerie ; Marguet, capi- taine au 68 e d'infanterie ; Cassaigne, lieutenant au 54 e d'in- fanterie ; Leger, sous-lieutenant au 87 e d'infanterie, et Lablat, adjudant sous-officier de la garde r£publicaine. M. le capitaine Senart, substitut de M. le commissaire du gouvernement, donne lecture d'un certificat du medecin en chef de la prison, qui constate que raccuse" Maxime Lisbonne, 1. Tous les details d'audience que nous donnons sont tires du journal le Droit, auquel on devra se reporter pour avoir un compte rendu fidele des seances du Conseil de guerre. — 12 — ancien directeur de theatre, artiste dramatique et colonel de la Commune, est tres-malade et complement hors d^tat d'assister aux d6bats. Conform6ment aux conclusions de M. le substitut, le Con- seil prononce la disjunction de la cause de cet accus6 et or- donne la continuation des debats. M. le President. Premier accuse, levez-vous. Quels sont vos nom, prenoms, votre age, votre profession et le lieu de votre naissance ? Charles-Gilles Ferre, comptable, ag6 de vingt-cinq ans, n6 a Paris. C'est d'une voix assuree que cet accus£, comme tous les autres, a repondu a ces questions de forme. Ferre est petit et maigre; ses traits sont fortement dessines ; sa physionomie et ses mouvements sont tres-vifs. II est vetu d'un habit noir. Pendant la lecture des pieces de la procedure, il cause, en riant, avec son voisin Assi. Ferre n'ayant pas voulu designer un d6fenseur, il lui a 6t6 nomm£ d'office un avocat du bar- reau de Versailles. Le second accuse declare se nommer Adolphe-Alphonse Assi, mecanicien, age de trente ans, n6 a Roubaix. Sa figure est reguliere et expressive, ses cheveux et sa barbe sont cha- tain clair, tres-bien fournis et naturellement ondul^s ; son oeil est vif, son regard tres-assure. Seul de tous les accuses, il porte la tunique des gardes nationaux de la Commune. II a pour defenseur M e Leon Bigot. Le troisieme accuse declare se nommer Raoul Urbain, chef d'institution primaire, age de trente-trois ans. II est petit et brun ; Texpression de sa physionomie semble indiquer une intelligence calme. II est vetu d'un habit noir. Son defenseur est M e Andre Rousselle. Le quatrieme : Alfred-Edouard Billioray, artiste peintre, age de trente ans, n£ a Paris. II est grand et blond, et parait beaucoup plus jeune que son age. II est vetu d'une redingote noire. Son defenseur est M e Boyer. — 13 — Le cinquieme: Francois Jourde, 6tudiant en mSdecine, ag6 de vingt-huit ans, n6 a Ghassagne (Puy-de-D6me). Cet accuse, grand, mince et d'un blond un peu ardent, offre une physionomie tres-remarquable d'originalit^ artistique. II parait triste, ou plutot malade et fatigu^, et tous ses mou- vements ont une certaine lenteur. Habit noir, gilet noir, tenue parfaite. II sera defendu par M e Descbars, assists de M e Caraby. Le sixi&me: AlexIg-Lonis Trinquet, cordonnier, ag6 de trente-cinq ans, ne a Valenciennes. Visage large et court, profil un peu saillant, petites moustaches blondes en brosses; il parait petit et large d'6paules. II est vetu d'une redingote brune, Defenseur : M e Denis, du barreau de Versailles. Le septieme: Louis-Henri Champy, ouvrier orfevre, ag6 de vingt-cinq ans, ne a Clamart (Seine). Visage jeune et r6gu- lier, teint mat, chevelure, barbe et moustache noires. Vetu d'une redingote noire. II 6coute immobile et les bras crois6s la lecture des pieces de la procedure. 11 a pour defenseur M e Lachaud fils. Le huitieme : Dominique-Theophile Regere, v6t6rinaire, ag£ de cinquante-cinq ans, ne a Bordeaux. Physionomie tr6s- ouverte et tres-gaie, cheveux grisonnants. Pendant la lecture des pieces, il litun journal qui parait Famuser beaucoup. M e Dupont de Bussac est son defenseur. Leneuvieme: Lisbonne, est malade. On sait que cet accuse, ancien colonel des federes, a regu une balle dans la cuisse le 25 mai. La cause, comme nous l'avons dit plus haut, est dis- jointe a son egard. Le dixieme: Charles Lallier, ancien officier de marine, age de trente-trois ans, est n£ a Mirecourt (Vosges). Cet accuse, bien connu deja, est tres-blond; son visage est plein, peut-etre un peu bouffi; son teint est pale, son regard est froid, ses mouvements ont une lenteur quelque peu affect£e. Defenseur : un avocat d'office du barreau de Versailles. 2 — 14 — Le onzieme: Paul-Emile-BarthWemy-Phllemon Rastoul, docteur en mMecine, age* de trente-six ans, ne* dans Farron- dissement de B6ziers. Visage et tenue fort distingue^, parole facile. II sera defend u par M e Renaud. Le douzieme: Paschal Grousset, homme de lettres, age* de vingt-six ans, ne* en Corse. Physionomie jeune, tres-vive et lres-£nergique ; chevelure et barbe noires. II parait malade. II a pour defenseur un avocat d'office du barreau de Ver- sailles. Le treizieme: Aogustin Joseph Verdure, caissier, age* de quarante-six ans, ne* dans le d^partement du Pas-de-Calais. DeTenseurs: M e Hubert Vallereau et M e Manchon. Le quatorzieme: Ferrat, homme de lettres, ne* a Bastia, age* de vingl-six ans. Defenseur : M e Laviolette. Le quinzieme : Baptiste Descamps, mouleur, age* de trente- sept ans, ne a Figeac (Lot-et-Garonne). Defenseur : M e Thiron. Le seizieme: Joseph-Victor Clement, teinturier, age de quarante-sept ans, ne* dans le d^partement du Jura. D6fenseurs : M e Gatineau et M e Delzant. Le dix-septieme : Gustave Courbet, peintre, ag6 de cin- quante-deux ans. Son defenseur est M e Lachaud. Le dix-huitieme : Ulysse Parent, dessinateur, age* de qua- rante-trois ans, ne* a Paris. Defenseur : M e Albert Jolt. RAPPORT GENERAL LU PAR LE COMMANDANT GAVEAU A l'aUDIENCE DU 7 AOUT 1871 Les accuses appeles a comparaitre aujourd'hui de- vant vous ontpris une part preponderate au mou- vement insurrectionnel qui eclata dans Paris le 18 mars dernier, et qui, se prolongeant jusqu'au 28 mai, me- naga de livrer la France entiere aux horreurs de la guerre civile. Avant de determiner la responsabilite qui incombe h chacun d'eux dans le crime dont la ca- pitale a ete le theatre pendant ces jours nefastes, il importe de remonter a Forigine du mouvement, d'en rechercher les causes et d'en 6tudier les transforma- tions successives. Lorsqu'au mois de septembre 1870, Tarmee prus- sienne investit Paris, elle y enferma, avec une popu- lation devouee a la defense de Tordre et du pays, des forces disciplinees de longue main pourde desordre. Ces forces se recrutaient a la fois dans les rangs du parti revolutionnaire et parmi tous les membres de FAssociation internationale des travailleurs. Obeissant surtout k des preoccupations politiques, resolu a usurper les pouvoirs par tous les moyens et a les conserver a Taide de toutes les violences, le parti revolutionnaire affichait haulement, depuis assez long- temps deja, ses aspirations demagogiques. Son ori- gine, de meme que son but, le rattachait aux plus — 16 — mauvais souvenirs de notre histoire. II s'en glorifiait ouvertement. On Favait vu d'abord, dans une serie de publications qui affectaient a dessein une forme scien- tifique, rehabiliter les hommes de 1793, exalter leurs actes les plus odieux, et se proposer a lui-mfeme leurs procedes de gouvernement commele programme politique de Favenir. Plus tard, dans la presse, dans les reunions publi- ques, dans les assemblies electorates, dans les agita- tions de la rue, partout enfin, on Favait retrouve, fidele a son oeuvre, excitant au sein des masses popu- laires les plus detestables passions, prechant les doc- trines les plus subversives, attaquant audacieusement les bases de Fordre moral aussi bien que les fonde- ments eternels de Fordre social. Les evenements du 4 septembre n'avaient pu donner satisfaction k ce parti. Ecarte du pouvoir, il demeurait, le lendemain comme la veille, Fennemi declare du gouvernement. L' Association internationale des travailleurs, con- stitute a Londres vers la fin de 1864, avait eu a Paris, des le commencement de 1865, un centre des plus actifs. Pour qui voulait s'en tenir aux apparences, elle n'avait d'autre but que Famelioration du sort des classes ouvrieres, et le resultat economique qu'elle poursuivait-etait digne de toutes les sympathies. Elle constituait, en realite, par son organisation puissante et par ses aspirations mal deguisees, un danger des plus graves pour Fordre social toutentier. Tres-rapidement repandue en Europe, ayant particu- lierement en France des centres d'action chaque jour plus nombreux, elle eut bientot ses organes de publi- cite, ses congres, ses manifestes. Elle se rallia en meme temps, par voie d'affiliation, les associations ouvrieres de secours ou de prevoyance, — 17 — intervint activement dans les greves, les provoquant le plus souvent. En dernier lieu, elle mit ouvertement le pied sur le domaine politique, et des poursuites judiciaires, dirigees en 4868 et en 1870 contre les principaux meneurs de Paris, ne laisserent plus de doutes possibles sur ses veritables tendances. Nous voulons, disait Pun de sesjournauxles plus accredited, la liberty de tous et l^galite" de tous, c'est-a-dire la revolution sociale. Et par revolution sociale nous n'entendons pas une miserable surprise tent£e a la faveur des t£nebres : la revo- lution signifie la destruction complete des institutions bour- geoises, et leur remplacement par d'autres. C'est une nuit du 4 aout 1789 que nous voulons. Les radicaux, les partis politiques meme les plus avanc£s, veulent simplement replatrer l'edifice social, en lui conservant ses bases actuelles. Nous voulons, nous, a 1'exemple de la Constituante de 1789 abolissant le regime feodal, faire table rase et tout reconstruire a neuf. Voil& dans quel sens nous sommes revolutionnaires. (Progres du Lode, 29 Janvier 1870.) Faire table rase et tout reconstruire a neuf, c'est, pour les adeptes de TAssociation internationale, con- stituer un etat social qui ne reconnaisse ni gouver- nement, ni armee, ni religion; qui decrete la legis- lation du peuple par le peuple, Tentree du sol a la propriete collective , Tabolition du droit d'heredite individuelle pour les capitaux et les instruments de travail, Fabolition du mariage en tant qu'institution politique, religieusejuridique et civile; qui supprime enfin les armees permanentes et, abaissant toutes les frontieres, effagant jusqu'a Tidee de patrie, rallie les travailleurs du monde entier dans les liens d'une etroite solidarite. - 18 — Pour a present, disait, le 27 mars, VI titer national, organc officiel des sections beiges, le role de l'Association consiste seulement a organiser les ouvriers par corporations, par localites, puis a les federer de region a region, de nation a nation, et a reunir en un seul faisceau tous ces groupes cor- poratifs et locaux. Au point de vue restreint et le plus immediat, elle ar- rive ainsi a les soutenir les uns par les autres en cas de greve : societes de resistance anglaises ; en France, socidtes de prevoyance , chambres syndicales , societes de credit mutuel. Au point de vue general, ses moyens d'action sont les mercies. Elle a deja rassemble' sous son 6gide, en Europe et en Ame>ique, plusieurs millions d'ouvriers, et il est facile de comprendre que, quand nous serons tous organises, quand nous nous tendrons tous la main d'un bout du monde a Tautre, nous n'aurons qu'a nous lever pour conquerir nos droits, et Tedifice bariole de la tyrannie croulera. ... Nous ne sommes pas des socialistes a systeme, nous sommes. purement et simplement des revolutionnaires... Les droits du travailleur, voila notre principe ; l'organisation des travailleurs, voila notre moyen d'action; la revolution sociale, voila notre but. » Malgre leur dissidence radicale, le parti revolution naire et r Association internationale firent prompte- ment alliance. On les trouve deja reunis au premier congres de F Association internationale, qui se tint a Geneve en septembre 1866. Des la premiere epoque, et dans les annees suivantes, le Courrier franeais, le Reveil, la Marseillaise, ouvrent leurs colonnes aux publications de la Societe, qui n'a pas d'organe officiel a Paris. On les rencontre plus tard semant de concert Tagitation dans les reunions publiques , et fomentant d'un commun accord les troubles de la rue. — 19 — Ge n'est pas tout. Le 26 octobre 1868, dans un meeting organise k Londres par ses soins, la branche rangaise de Tlnlernationale declare hautement : Qu'elle est une soci6t£ r^publicaine, democratique, sociale et universelle, partageant les principes, le but et les moyens de la Commune revolutionnaire de Paris dans ses manifestes. (La Voix de Vavenir y 8 novembre 1868.) Les evenements du 4 septembre ne donnerent pas plus satisfaction aux aspirations de la Societe qu'a celles du parti revolutionnaire. Les deux allies demeu- rerent unis dans Tattente d'une occasion propice, poursuivant leurs menees au grand jour, et concertant ouvertement leurs actions. La presence de Fennemi sous les murs de Paris, loin de decourager leurs efforts, devint un nouvel aliment a leurs tentatives anarchiques. Non contents de demander chaque jour, dans les journaux et dans les clubs, la Commune et la sortie en masse; non contents de crier a la trahison au moindre echec de nos troupes, deux fois, le 31 octobre et le 22 Janvier, ils ne craignaient pas de lancer sur l'Hotel de ville leurs masses armees. Par bonheur, la concentration d'une force militaire considerable, Tattitude de la garde nationale, la re- probation generale contre des actes qui compromet- taient si gravement la defense, empecherent qu'ils n'obtinssent le succes. Ils n'en profiterent pas moins des circonstances pourcomploterleur organisation. L'armement general de la garde nationale, sa distribution par quartiers, ses reunions pour les differents services, les liens na- turels qu'etablissaient entre les citoyens d'un meme — 20 - bataillon des souffrances communes, le mecontente- ment que suscitaient a certains moments les lenteurs necessaires a la defense, les calomnies meme que ces lenteurs faisaient eclore, tout leur fut bon pouretendre leur action et s'assurer des tolerances et des com- plicites. On put bientot designer & Tavance, sans crainte d'erreur, les bataillons qui, le jour venu, marcheraient avec eux. On les reconnaissait h leurs chefs, revolu- tionnaires ardents ou internationaux devoues. On les re- connaissait par leurs soldats, qui tous marchaient pour ('Association international au lieu de marcher pour la patrie. Dans certains autres bataillons, Tinfluence anarchiste se faisait encore sentir par des idees de federation aussi injustes qu'illusoires. Le peuple, disait-on, devait veiller lui-meme a ses interets. De- positaire de ses droits, il devait les defendre a tout prix; nul n'en pouvait disposer contre son gre. Telle etait la situation profondement troublee des esprits quand, le 28 Janvier, la nouvelle de Farmistice se repandit dans Paris. Elle y causa une profonde stupeur. A la deception des uns se joignent les irrita- tions des autres, la defiance d'un grand nombre, et surtout, pour les masses ouvrieres, la crainte de voir cesser prochainement une existence oisive avec la sub- vention qui Talimentait. En meme temps, les obstacles que la faction anar- chique avait touves sur ses pas pendant la duree du siege tombaient un a un. La stipulation de Farmistice avait paralyse presque completemenl les forces regu- lieres qui restaient dans la ville., tandis que la garde nationale n' avait subi aucun desarmement. L'autorite militaire n'avait a ses ordres que des troupes insuffisantes ; Tautorite civile n'existait plus — 21 — que de nom. Un grand nombre de citoyens s'etaient empresses de quitter Paris, moins soucieux de leurs devoirs publics que de leurs convenances personnelles. Un gouvernement sorti des entrailles du pays, le plus legitime qu'on put souhaiter, s'etablissait a Bor- deaux et ouvrait les negotiations qui devaient aboutir aux preliminaires de paix. C'etait la premiere fois depuis des siecles que la capitale voyait le pouvoir se constituer en dehors de ses murs. Enfm la question d'interets commerciaux, toujours si grave a Paris, se dressaitgrosse d'orages sous la menace desecheances, et se compliquait, pour le petit commerce surtout, de la question des loyers. Nul doute que des la premiere heure la faction anarchiste ne se soit emparee de cette situation pour Texploiter a son profit. Le 15 fevrier, apres plusieurs reunions preliminaires, une assemblee de delegues de la garde nationale s'ouvre au Tivoli-Wauxhall et nomme une commission chargee d'elaborer les statuts provisoires d'un comite central. La commission remplit son mandat. Un seul paragraphe du projet qu'elle arrete suffit a denoncer la main qui la conduit. Les droits de tout citoyen, dit ce paragraphe, sont d'etre electeur et d'avoir Tarme necessaire a raccomplissement de ses devoirs. La garde nationale doit d£sormais remplacer les armees permanentes, qui ne furent jamais que des instru- ments de despotisme, et qui amenent falalement avec elles la ruine du pays. Les statuts sont votes, le 24 fevrier, dans une nou- velle assemblee des delegues, et le Comite central est constitue. Avant de se separer, Tassemblee adopte les resolu- — 22 — lions suivantes, qui n'ont pas besoin de commen- taires : 1° La garde nationale proteste, par l'organe de son Comite central, contre toute tentative de d£sarmement, et declare qu'elle y resistera au besoin par les armes. 2° Les dengues soumettront a leurs cercles respeetifs de compagnie la resolution suivante : Au premier signal de l'entree des Prussiens a Paris, tous les gardes nationaux s'engagent a se rendre immediatement, en armes, a leur lieu ordinaire de reunion, pour se porter ensuite contre l'ennemi envahisseur. 3° Dans la situation actuelle, la garde nationale ne recon- nait pas d'autres chefs que ceux qu'elle se donne. Ges decisions ne trouvaient dans les evenements qui venaient de se produire aucune raison plausible. Leur but cache ne tarda pas a apparaitre dans sa redoutable realite. Le 27 fevrier, sous pretexte d'en- lever aux Prussiens un nombre considerable de ca- nons laisses dans la zone que l'ennemi devait occuper pendant son sejour a Paris_, les meneurs s'en emparent et les conduisent sur les hauteurs de Montmartre, ou ils les etablissent en batterie. Puis, le 28, le Comite central invite la garde nationale h ne pas s'opposer h l'entree des Prussiens. A la meme epoque, il se tient en permanence pendant les deux nuits qui precedent l'entree des soldats etrangers. Enfin, le 4 mars, dans une proclamation repandue h profusion, il annonce qu'il a « pour mission de con- stituer la federation republicaine de la garde na- tionale »>. Trois jours plus tard, on pouvait lire dans le Cri du Peuple : — 23 — Nous apprenons avec une veritable joie patriotique que tousles comites de la garde nationale r£publicaine fusionnent ensemble et doivent associer leurs efforts a ceux de la F6d6- ration socialiste qui si£ge rue de la Corderie. La Federation socialiste qui siegeait rue de la Cor- derie n'etait autre que TAssociation internationale. Le faisceauest desormais forme; Temeute a de l'artilleric ct des armes ; elle se retranche sur les hauteurs de Montmartre, et de la menace la ville. Elle garde ses canons, protestant qu'ils sont sa propriete et que Tfitat n'en saurait disposer. Le 8 mars, le Comite central se reunit au Wauxhall et adopte d'une maniere definitive les statuts, qui n'etaient encore que provisoires. Le 11, une assemblee de chefs de bataillon, tenue a la salle de la Redoute, vote la resolution suivante : Le principe republicain £tant au-dessus de toute discus- sion, le gouvernement republicain £tant le gouvernement du peuple par le peuple, chaque citoyen a non-seulement le droit, mais encore le devoir, de defendre les institutions r£publicaines. En consequence, les chefs de bataillon soussignSs decla- rent qu'ils sont icrmement decides a defendre la Republique par tous les moyens possibles, envers et contre tous ceux qui oseraient Tattaquer, et qu'ils protestent et s'opposeront par les monies moyens a toute tentative de desarmement total ou partiel de la garde nationale. A mesure que le temps marche et que le but se rapproche, les menees insurrectionnelles deviennent plus audacieuses, et ies idees qui leur servent de pre- texte s'accusent plus ouvertement. Le 1 5 mars, la Federation republicaine de la garde — 24 — nationale tient sa quatrieme assemblee generate. Le Comite central y rend compte de ses actes, et les accuses Jourde, Ferrat, Arnould, Lisbonne, Assi et Billioray sont amenes dans son sein par des illusions qu'ils pretendent sinceres. II concentre tous les pou- voirsentre ses mains. Son autorite va jusqu'a balancer les ordres donnes par Tetat-major de la place. (Test a lui, et a lui seul, qu'obeit en realite la majeure partie de la garde nationale. Une crise est imminente. Tout le fait presager. On voit accourir des aventuriers de toutes les nationalites, aux costumes bizarres, aux allures suspectes, recrues stipendiees de toutes les revolutions, messagers si- nistres de tous les bouleversements. Des emissaires sont envoyes aux principales villes de la province pour y fomenter des troubles au moment meme ou Paris engagera la lutte. On arrive ainsi au 18 mars. Cependant le gouverne- ment legal du pays n'est pas reste inactif devant les dangers dont Tordre social est menace. L'Assemblee nationale, apres avoir ratifie les preliminaires de paix, a transfere son siege a Versailles. Le pouvoir exe- cutifTya suivie;il est chaque jour a Paris, luttant energiquement contre les difficultes de la situation, s'efforgant de dejouer toutes les manoeuvres, de dissiper tous les malentendus et de relever tous les courages. Vainement fait-il appel aux idees de conciliation et d'apaisement en face du malheur de la patrie : le 17 mars, il doit, a peine d'abdiquer, se resoudre a des mesures decisives. Le 18, des le matin, toutes les positions ou la fac- tion anarchiste avait retranche ses canons etaient en- levees par les troupes avec une vigueur et un entrain remarquables. — 25 — Mais, ce premier succes remporte, il fallait traverser Paris avec deux cent cinquante attelages conduisant chacun une piece d'artillerie. De la un encombrement et des lenteurs qui donnaient aux bataillons de Mont- martre et de Belleville le temps d'accourir en armes. Une foule enorme, ou les femmes et les enfants se melaient en grand nombre, entouraitles soldats, jetait la confusion dans leurs rangs, desarmait les uns, en- trainaitles autres a une honteuse defection, et rentrait en possession des canons, qu'elle replagait sous la surveillance de la garde nationale. Neanmoins la majeure partie des troupes se repliait en bon ordre sur la rive gauche de la Seine, ou le gouvernement siegeait encore au ministere des affaires etrangeres. A travers cette melee, le general Lecomte, separe de ses hommes, etait fait prisonnier. Un peu apres, le general Clement Thomas, venu, en habits civils, a la recherche de Tun de ses aides de camp, etait saisi. Tous deux etaient conduits dans unemaison de la rue des Rosiers, ou le Comite central avait son siege, et fusilles dans un jardin attenant a cette maison. Six heures s'ecoulerent entre le moment de leur arresta- tion et celui de leur execution Quel est le role du Comite central dans cet epouvantable forfail ? II a essay e de se disculper dans une note inseree au Journal officiel de la Commune du 20 mars. Le texte seul de cette note l'accuse aussi hautement que le ferait un aveu. Tous les journaux reactionnaires ont public un rdcit plus ou moins dramatique sur ce qu'on appelle l'assassinat des gen^raux Lecomte et Clement Thomas. Sans doute ces faits sont regrettables ; mais il importe, pour etre impartial, de constater deux faits : 3 — 26 - 1° Que le g£ne>al Lecomte avait command^ a quatre re- prises, sur la place Pigalle, de charger une foule inoffensive de femmes et d'enfants; 2° Que le general Thomas a 6te arrete au moment ou il levait, en habits civils, un plan des barricades de Mont- martre. Ges deux hommes ont done subi les lois de la guerre, qui n'admet ni l'assassinat des femmes ni Fespionnage. On nous raconte que l'ex£eution du general Lecomte a £te" operee par des soldats de la ligne et celle de Thomas par des gardes nationaux. II est faux que ces executions aient eu lieu sous les yeux et par les ordres du Comite central. Le Comite central si6- geait avant-hier rue Onfroy, pres de la Bastille, et il aappris en meme temps Tarrestation et la mort des deux victimes de la justice populaire. Ajoutons qu'il a ordonne une en- queue immediate. Un pareil crime, suivi d'une pareille apologie, n'inau- gurait-il pas bien dignement le regne de cette puis- sance qui devait finir dans le sang des otages et au milieu des flammes de Paris incendie ? Des le 48 au soir et dans la nuit, Temeute occupait la place Ven- dome, le Ghateau-d'Eau, les ministeres et THotel de ville. Soucieux, avant tout, d'eviter un desastre sans re- tour, le gouvernement se repliait sur Versailles, pro- tege par les troupes et appelant a lui les fonctionnaires de tous ordres. Pendant six heures il avait attendu que la garde nationale, repondant a son appel, vint se grouper autour de lui. Les citoyens demeurerent pour la plupart spectaleurs stupefaits et inactifs des evenements, qui menagaient pourtant d'une maniere si grave leurs interets les plus chers. Soit aveuglement, soit insouciance, soit chez certains un sentiment moins — 27 — avouable encore, ils devaient bientot se repentir, trop tard, helas ! de leur regrettable abstention. Des le 20 mars, en effet, et sur les premiers actes du Comite central, qui dejk ouvrait les prisons et prenait des otages, un centre de resistance s'organisa. La presse lui donna courageusement son appui. Les maires et les delegues s'entretinrent dans des voeux de conciliation. Un nouveau crime rompit, le 22, toutes les negociations : une manifestation sans armes, qui se presentait a la place Vendome, a Fetat-major de la garde nationale, pour revendiquer les droits de TAssemblee elue par le pays, fut accueillie par une decharge meurtriere. Nombre de victimes tomberent sous les balles de Femeute, et le Comite central, pour expliquer ce nou- veau forfait comme il avait explique le premier, ne craignit pas de Fattribuer a une provocation partie des rangs de la manifestation. Devant de tels actes, toute resistance parut inutile. L'amiral Saisset, place par le gouvernement h la tete de la garde nationale, dans le but de donner aux hommes d'ordre un point de ralliement et un chel eprouve, resigna son commandement, etlesevenements suivirent leur cours. Le Comite central, suivant sa pompeuse declaration, n'etait que le depositaire des droits du peuple ; il ne s'en etait saisi que pour les sauvegarder. Le peuple fut appele a nommer directement ses mandataires. Les elections du conseil communal eurent lieule 26 mars, et le 28 la Commune revolutionnaire de Paris etait in- stallee solennellementaTHotelde ville.En apparence, le Comite central, compose de membres de FAssocia- tion internationale, abdiqua devant Telection. En rea- lite, il demeura le veritable directeur du mouvement. — 28 — H serait oiseux de reprendre en detail les actes du pouvoir insurrectionnel qui, pendant deux mois, pesa sur Paris par la terreur. A qui veut les embrasser dans une vue generale, ils n'offrent qu'incoherence et con- tradiction. Aucun systeme ne preside a leur con- ception. L'interet ou la passion du moment semblent seuls les determiner. Un caractere commun les do- mine cependant, le mepris audacieux de tous les droits que la Commune s'etait donne la mission de proteger, et en meme temps limitation servile des procedes gouvernementaux de 1793. Le plagiaL du comite de salut public apres le pla- giatdela Commune, laloi des suspects, la constitution d'un tribunal revolutionnaire, la mise en accusation des chefs militaires que la fortune a trahis, tout, en un mot, en attendant les massacres de septembre dans l'assassinat des otages. Cependant le gouvernement legal de la France s'etait constitue k Versailles, et il concentrait, au prix de mille efforts, les forces necessaires au retablissement de Tordre dans Paris. Sur divers points du territoire des mouvements in- surrectionnels s'etaient produits, k Lyon, a Marseille, a Limoges, a Saint-Etienne, ailleurs encore, et furent energiquement reprimes. Paris etait desormais isole dans sa rebellion. Le 2 avril, les operations militaires s'engageaient; elles se continuaient sans interruption jusqu'au 28 mai. Elles ne furent pour la Commune qu'une suite de re- vers et qu'un pretexte a de nouveaux crimes. Des le premier jour, au moment ou la lutte allait s'engager, lemedecin en chef de l'armee, revetu de ses insignes, s'avance entre les combattants pour faire un appel supreme a une conciliation : il est lachement assassine — 29 — par les troupes de Tinsurrection Puis, comrae si elle voulait se venger de ses defaites sur les membres du gouvernement, la Commune les met en accusation et sequestre leurs biens ; elle ordonne que la maison de M. Thiers sera demolie; enfin, envieuse de toutes les gloires, sans respect pour les grands souvenirs du pays, sous les yeux memes de Tetranger vainqueur, elle decrete que la colonne Vendome sera detruite ! Ge n'est pas assez. Elle a recours au systeme impie des otages ; elle prend ses victimes dans les rangs les plus eleves de la magistrature et du clerge. L'arche- veque de Paris, le cure de la Madeleine, d'autres ecclesiastiques , des religieux, vont rejoindre a la Conciergerie le president Bonjean_, arrete vers les derniersjours de mars. Faut-il mentionner, a cote de ces faits qui domi- nent tous les autres, la violation journaliere du do- micile prive, les vols de toute sorte qui s'abritent sous le voile de perquisitions arbitraires, les arrestations illegales, le pillage organise, la poursuite barbare des refractaires. Des le commencement d'avril, les biens du clerge avaient ete frappes de confiscation. Ce fut des lors, a travers les couvents et les eglises de la capitale , une suite non interrompue d'inquisitions odieuses et de spoliations sacrileges. On envahit, le 4 avril, Tetablissement scolaire des jesuites de la rue Lhomond, la maison des mission- naires du Saint-Esprit, celle des peres dominicains de la rue Jean-de-Beauvais. Les religieux sont violentes, les meublesbrises etles caves entierement depouillees. Deux jours apres, Teglise Saint-Sulpice est occupee militairement; le seminaire est envahi et le superieur arrete. 3. — 30 — On visite successivement retablissement des capu- cins ct celui des petites-soeurs des pauvres. Le 10 avril, le clerge de Montmartre esl arrete, les portes de Feglise sont fermees, et Ton appose Faffiche suivante : Attendu que les prStres sont des bandits, et que les 6glises sont des repaires ou ils ont assassin^ moralement les masses en courbant la France sous la griffe infame des Bona- parte, Favre et Trochu, le del£gu6 civil des Garrieres pres rex-prefecture de police ordonne que F6glise de Saint- Pierre- Montmartre soit ferm£e, et d£crete Farrestation des pretres et ignorantins. LE MOUSSU. Le 16 avril, F6glise Saint- Jacques-du-Haut-Pas, le couvent des Oiseaux, Feglise Saint-Vincent-de-Paul, sont saccages, et bientot les clubs s'installent dans le lieu saint. On decouvre au couvent de Picpus des in- struments d'orthopedie qu 1 une feuille mal famee ne craint pas de presenter comme engins de torture. On y trouve aussi des ossements qui passent aux yeux d'une foule egaree pour appartenir aux victimes d'un fanatismeaveugle. On exploite dememe, avec une mau- vaise foi aussi redoutable que grossiere, la decouverte de squelettes deja anciens dans Feglise Saint-Laurent. L'eglise Notre -Dame-des-Yictoires est profanee a son tour, et Ton fait grand scandale d'une tete de jeunc fille en etat de parfaite conservation, connue de tous les fideles pour une tete en cire representant sainte Valerie Nous arrivons au mois de mai. L'armee de Versailles resserre chaque jour son cercle d'investissement, et chaque jour aussi marque une nouvelle defaite pour les insurges. Les instants de la Commune sont desor- — 31 — mais comptes. On le presagerait a voir seulement les orages qui s'elevent dans son sein et les mesures su- premes qu'elle se hate de prendre. L'hotel de M. Thiers est entierement demoli le 15 mai, apres avoir ete depuis longtemps depouille. Lacolonne Vendome tombe lel6.Lel7, une explosion formidable se produit a la cartoucherie de F avenue Rapp. II faut allumer la haine violente de Fennemi au coeur des federes, que leurs revers journaliers decou- ragent visiblement. La Commune ne craint pas d'im- puter au gouvernement de Versailles un crime qui, tout porte a le croire, a ete Foeuvre de ses agents ; clle arrete de pretendus coupables, qui ne devront, quelques jours apres, leur salut et leur liberte qu'a Fentree des troupes regulieres. Le 21 mai, grace aux coups d'une formidable artil- lerie, la porte de Saint-Cloud est forcee, et Tarmee arrive comme d'un bond sur les hauteurs du Tro- cadero. Son attaque inattendue est le signal des dernieres horreurs qui devaient couronner le regne honteux de la Commune. Le 23, a dix heures du soir, Rigault se rend a Sainte-Pelagie, ou plusieurs otages sont detenus, entre autres M. Chaudey, avocat a la Cour d'appel de Paris. Deux individus Taccompagnent, armes, comme lui, jusqu'aux dents. II mande Chaudey augreffe et lui notifiebrutalement son arret de mort, qui vaetre execute sur Theure. Le prisonnier recrimine faiblement. Rigault lui reproche avec violence d'avoir fait tirer sur le peuple dans la journee du 22 Janvier. Dos gardes nationaux arrivent d'un poste voisin pour former le peloton d'execution, tandis que Rigault en presence de sa — 32 victime, dicte a son secretaire un proces-verbal qu'un temoin oculaire a pu relater presque mot pour mot. « Savez-vous bien ce que vous allez faire? » dit alors Chau- dey, et comme il ne regoit pour reponse que des railleries, il sort en ajoutant : « Eh bien, Raoul Rigault, vous allez voir comment meurt un r^publicain ! » Arrive dans le chemin de ronde, le procureur de la Commune tire son epee et commande le feu. Chaudey n'est atteint qu'au bras. II tombe en criant : « Vive la Republique! » Deux hommes s'approchent et Tachevent. On fusille ensuite trois gardes republicans, toujours sur Tordre de Rigault, qui se retire en disant : « II y a longtemps qu'on aurait du faire cela. » La nuit suivante, le couvent des dominicains d'Ar- cueil est envahi par des federes ivres de fureur, et les religieux, pousses au dehors, sont assassines sur la voie publique. Enfin, la prison de la Roquette est le theatre, dans les journees du 24 et du 25, d'un massacre ou tombent a la fois des victimes illustres et d'humbles soldats du devoir, confondus dans un martyre k jamais deplorable. II faut laisser parler ici un temoin oculaire de ces scenes sanglantes. L'abbe de Marsy, vicaire de la paroisse de Saint- Vincent-de-Paul, avait ete incarcere a Mazas, et de la conduit a la Roquette, ou MgrDarboy, M. Bonjean, Tabbe Deguerry, d'autres encore, Tavaient precede. Place dans une cellule voisine de celle qu'occupait — 33 — M. Bonjean, il s'entretenait avec lui, lorsqu'une voix brulale et imperieuse se fit entendre : 302, 341 — 75 — et 434 du Code penal ordinaire, et par Panicle 6 de la loi du 27 fevrier 1858. Versailles, le 25 julllet 1871. Rapport sur r affaire du nomme Ldsbonne [Maxime), age de trente-quatre ans, artiste dramatique, ancien directeur de theatre. Maxime Lisbonne, ne a Paris, a ete successivement artiste dramatique, directeur du theatre des Folies- Saint-Antoine et agent d'assurances. Comme il le dit lui-meme, rien ne lui a reussi. Lorsque Insurrection du 48 mars a eclate, il etait crible de dettes, suite de sa faillite comme directeur de theatre. Capitaine au 24 e bataillon du dixieme arrondisse- ment , compagnies de marche, elu membre du Comite central^ il pretend que son election a eu lieu a son insu. LorsqiFil demanda quel etait le programme du Comite, il soutient qu'on mit en avant Felection des officiers de la garde nationalc et les franchises muni- cipals, ce qui lui parut raisonnable. Nous trouvons la signature de Faccuse au bas du decret du 20 mars, six heures du soir, date de FHotel de ville, ou deja le Comite avail; usurpe les fonctions gouvernemen tales. (Voir le supplement du rapport.) Depuis ce jour-la jusqu'au 29 mars, datedu premier decret de la Commune, Faccuse accepte, comme mem bre, sa part de responsabilite des actes et decrets r^ - diges par le Comite, qui a fait la revolution du 18 mars. Sur lui done, comme sur ses collegues, retombent les proclamations excitant a la guerre civile et au mepris d c toutes leslois regulieres, les calomnies dirigees contrc — 76 — Tautorite legitime, les decrets bouleversant toutes les institutions etablies, les appels aux armes, enfin tous les actes criminels qui ont signale les premiers jours du gouvernement revolutionnaire. Lisbonne a, dit-il, donne sa demission lorsqu'il a vu le Comite central sortir du programme qu'il avait expose. II est vrai que, depuis le 29 mars, on ne re- trouve plus sa signature au bas des decrets du Gomite; mais lorsque nous lui avons demontre la contradiction de ces raisons emises par lui avec sa conduite ulte- rieure qui prouve son devouement a Tinsurrection , il a pretendu que ses antecedents comme directeur de theatre en faillite, donnant prise sur sa reputation, il ne pouvait conserver un mandat qui exigeait une hono- rabilite irreprochable. Enfin il cherche a expliquer les grades acquis et conserves par lui sous la Commune, en disant que la solde lui etait necessaire pour sub- venir aux besoins de sa femme et de son fils. Vers les premiers jours d'avril, il fut charge par Gluseret de distribuer des effets d'habillement aux hommes de sa legion, dixieme arrondissement; il con- duisit ensuite cette legion a Issy sous les ordres du general insurge Eudes ; nomme provisoirement pen- dant dix ou douze jours chef de cette legion , il fut bientot remplace par Brunei et remis dans son ancien grade de capitaine jusqu'au moment ou il fut nomme lieutenant-colonel cTetat-major attache au general in- surge La Cecilia. C'est en remplissant ces fonctions qu'il a assiste frequemment aux combats livres par Tinsurrection contre Tarmee reguliere. Le 23 mai , il se trouvait au Pantheon avec un com- mandement superieur pour organiser la defense des barricades. II dit avoir regu ce jour-la un ordre du general Eudes lui prescrivant « de faire sauter le — 77 — Luxembourg, le Pantheon et la Bibliotheque; » il au- rait refuse trois fois cTobeir et aurait communique son refus a Regere et a Jules Valles; ces derniers furent de son avis et firent circuler un ordre aux chefs de poste d'avoir a empecher par tous les moyens possibles Texecution de pareils crimes. Une declaration de M. le doctear Billaret, medecin en chef de l'ambulance de Notre-Damede Sion, accuse le nomme Lisbonne de F avoir menace, dans la nuit du 23 au 24 mai, le revolver au poing, et, sur ses obser- vations que la barricade oil ils se trouvaient n'etait pas tenable, par suite du feu meurtrier qu'on y essuyait, de lui avoir dit : « Je le sais fort Men; mais, avant de faire quitter le poste, je dois faire sauter la maison du coin de droite de la rue Notre-Dame-des-Champs et bruler Tautre, c'est-a-dire celle du boulanger. » II au- rait ajoute que « c'etait au Pantheon qu'il attendait les troupes de Versailles. » Un autre temoin, le nomme Penon, atteste dans une lettre que le colonel Lisbonne Ta fait arreter le mer- credi 24 mai et trainer de barricade en barricade de neuf heures du matin a six heures du soir, en le me- nacant de le faire fusilier. M. le docteur Billaret, dans sa declaration, depeint Lisbonne avec un costume d'of- ficier d'artillerie et un chapeau de feutre mou a plumes rouges. L'accuse nie formellement le crime dont on Pin- culpe; il avoue avoir cause avec un medecin, dans la nuit du 23 au 24 mai, mais amicalement et en fumant une cigarette avec lui. II portait, dit-il, ce soir-la une tunique a la hongroises et un chapeau de feutre sans ornements ; enfin il aurait passe le reste de la nuit du 23 au 24 chez le marchand de vin rue Basfroy, dont la maison servait de caserne aux gardes nationaux. 7. — 78 — En protestant contre raccusaiion cTincendie, Lis- bonne fait remarquer qu'ayant recu, le jour de Fentree des troupes regulieres, Fordre de bruler le seminaire de Vaugirard en le quittant, il a refuse dVbeir. Le 24, a midi, le lieutenant-colonel d'etat-major de la Commune tombait frappe d'une balle a la cuisse, sur la place du Chateau-cFEau, ou il organisait la de- fense des barricades. En presence de ces faits, noire avis est quele nomme Lisbonne (Maxime), artiste dramatique, et colonel sous la Commune, soit traduit devant le Conseil de guerre pour avoir : 1° Participe a un attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement et d'exciter a la guerre ci- vile, en armant et portant les citoyens a s'armer les uns contre les autres; de porter la devastation, le massacre et 1^ pillage dans la ville de Paris; 2° Avoir leve et fait lever des troupes armees, engage et fait engager des soldats sans ordre ni autorisation legitime; 3° Avoir voulu incendier et detruire par Fexplosion d 1 une mine des edifices appartenant a FEtat et des maisons habitees (Voir Particle 3 du supplement), Crimes prevus et punis par les articles 59, 60, 87, 88, 91, 92, 93, 95, 96 et 97 du Code penal ordinaire, et par la loi du 27 fevrier 1858. Versailles, 25 juillet 1871 . Supplement (Affaire Lisbonne). Par suite des temoignages deposes depuis le 25 juillet relativement a Faffaire Lisbonne, nous sommes oblige d'ajouter au rapport qui le concerneles faits suivants. — 79 — 1° Le 26 mars, les brigadiers de gendarmerie Penon etPy ont vu Lisbonne arriver ila caserne des Minimes a la tete d'une soixantaine de gardes nationaux et avec Pindy. En approchant dela porte fermee, il se tourna vers son escorte et dit : « Ghargez vos armes,, il nous faut les armes des gendarmes ou du sang. » Les gardes nalionaux crierent alors : « Oui, vive Menolti Garibaldi! » L'officier de la garde nationale qui etait de garde fit ouvrir les portes, et la bande entra dans la cour pour faire charger les armes qui etaient toutes dans le poste; pendant ce temps, le ca- pitaine d'escorte Pindy prenait possession de la ca- serne. Sur Tobservation que les chevaux etaient la propriete des gendarmes, il appela, en le nommant, Lisbonne, pour en conferer avec lui. Ge dernier portait une casquette a trois galons. 2° Le temoin Eyraud, soldat au 70 e de ligne, et re- joignant de son corps a Versailles, fut arrete aux en- virons du village de la Vieille-Poste par une bande de gardes nationaux, qui le desarmerent et le conduisirent d'abord au poste de Montrouge, puis a la caserne du Prince-Eugene, ou se trouvait Lisbonne avec une echarpe rouge et une casquette a trois galons; les in-- surges lui donnaient le titre de colonel. L'accuse or- donna de mettre Eyraud en prison, en disant : ccC'est un mauvais lignard, nous le ferons fusilier pour donner exemple aux autres. » Le temoin demeura trois jours en prison et put s'echapper le quatrieme. En consequence, et faisant suite aux requisitions du precedent rapport, Lisbonne est traduit pour : 4° Avoir detruit, abattu, comme complice, des mo- numents eleves par Fautorite publique; 5° S'etre immisce sans titre dans des fonctions mili- — 80 — taires, avoir fait acte de ces fonctions et avoir porte un costume qui ne lui appartenait pas; 6° Avoir ordonne des arrestations illegales en me- nagant de mort (articles 257, 258, 259, 341 et 344 du Code penal). Rapport sur V affaire du nomme Charles Lullier, ancien officier de marine, age de trente-trois ans, ne a Mirecourt (Vosges), domicilii a Paris, boulevard Saint-Michel, 6. M. Charles Lullier, ancien officier de marine, mis en reforme le 6 juin 4868, au moment ou il etait nomine lieutenant de vaisseau, fit pressentir des sa sortie de Fecole navale, par son esprit indiscipline et son caractere irascible, combien lui serait difficile a supporter toute autorite superieure a la sienne. Aspirant de deuxieme classe sur le vaisseau VAu- sterlitz, il se signala par son humeur querelleuse et ses violences a regard de ses chefs et de ses egaux , qui causerent son debarquement et sa detention d'un mois a Farsenal de Brest. Pendant les annees qui suivirent, ses dispositions h la revolte ce developperent rapidement; deux fois, dans Tespace de cinq ans, cet officier a encouru la peine grave du retrait d'emploi. Rappele h Tactivite le 6 juillet 1867, il se fit remarquer par de nouveaux actes d'indiscipline, pour lesquels il fut traduit devant un conseil d'enquete, qui decida sa mise en reforme le 4 6 avril 4 868. figare par un jugement faux et par une veritable monomanie d'orgueil, M. Lullier se revoltait a cette — 81 - epoque contre la societe, qu'il accusait d'injustice, parce que ses iauies etaient punies par elle, et est ainsi arrive rapidement h professer ies doctrines re- volutionnaires les plus exagerees. II desirait deja ar- demment, en 1862, jouer un role politique, et s'etait porte dans ce but pour la deputation. Gandidat dans le Finistere, delivre du joug impose par la discipline militaire et rendu a Tindependance de la vie civile par son expulsion du corps de la marine, M. Lullier a prouve, par plusieurs de ses actes ante- rieursau 18 mars 1871, qu'il n'acceptait pas plus faci- lemeiit les lois de ia societe que les lois de Tarmee. Eneffet, nous le voyons quatre fois frappe par ces lois qui le genaient et qu'il voulait bouleverser. II est con - damne : V Le 30 septembre 1868, a six mois de prison et 200 francs d 1 amende, pour coups et port illegal d'uni- forme; 2° Le 20 novembre de la meme annee , a deux mois de prison, pour coups et blessures volontaires avec premeditation; 3° Le 26 avril 1869, a un mois de prison pour re- bellion et outrages envers Tautorite ; 4° Le 22 septembre de la meme annee, a six mois de prison, pour outrages envers un magistrat de Tordre administratif. Ces idees subversives Font mis promptenent en relations avec Gustave Flourens et Rochefort, qui fut un de ses amis devoues. line lettre du premier, datee du 16 novembre 1869, prouve qu'il « appreciait par- ticulierement les dispositions politiques de M. Lullier, et admirait en lui Thomme d'action auquel il predisait un grand avenirdans le mouvement revolutionnaire.» Rochefort lui temoigne dans ses lettres une grande — 82 — affection, et « compte sur lui pour le jour ou il faudra marcher » . Le 9 septembre J 870, nomme delegue au Comite de defense de Paris , pendant le siege, par rinlernatio- nale, il fut le lendemain envoye en mission a Copen- hague, mission nommec par lui une insigne fourberie, dans sa protestation ecrite le 28 mars, a la Concier- gerie. A son retour, il fut charge par le gouvernement provisoire d'aller auxEtats-Unis, d'ou il revint a Paris le 12 mars. Les evenements du J 8 mars se preparaient : M. Lul- lier, homme d'action, comme le qualifiait Flourens, allait trouver Toccasion de justifier Tesperance de ses amis politiques, qui ne Toubliaient pas et Tavaient choisi pour chef militaire de Tinsurrection. M. Lul- lier, general de la garde nationale rebelle, a expose devant nous Thistorique de ses acles pendant les jour- nees des 18, 49, 20, 21 et 22 mars; il a fait complai- samment ressortir Tenergie avec laquelle il a exerce son commandement; ilexplique lesmoyens employes, enumere les points occupes successivement par les in- surgeS; et sa narration suit pas a pas les phases di- verses de Toccupation complete de Paris et des forts par la garde nationale. Nous allons essayer de resumer en quelques mots ce compte rendu assez exact des progres de Tinsur- rection dans la capitale, progres dont le general en chef des insurges n'hesite pas a s'attribuer tout le me- rite. Ge recit constitue a lui seul Facte d'accusation. Le 15 mars, M. Lullier, recommande par ses rela- tions avec les hommes qui complotaient Tetablissement de la Commune, regoit dans une reunion composee de 2,500 delegues, et tenue au Vauxhall, la proposition de commander Tartillerie et les 6 e , ll e et 20 e legions, — 83 — proposition acceptee par lui, a la condition, dit-il , qu'elle lui serait faite par les officiers de la garde na- tionale. Des ce moment, il entre de fait dans le rang des insurges. Le 18 mars, dans Tapres-midi, le role de M. Lullier se dessine completement. Appele par le Comite cen- tral, il en recoit le commandement en chef de la garde nationale, fonctions qu'il n'aurait, pretend-il, accep- tees que sur Imposition du programme suivant : 1° Levee de Tetat de siege; 2° Election par la garde nationale de tous ses chefs, y compris le general; 3° Pour la ville de Paris, les franchises municipales, c'est-a-dire le droit pour les citoyens de nommer eux- memes leurs magistrats municipaux et de se taxer eux- memes par cet intermediate. En recevant sa nomination, il posa comme condi- tion qu'on lui laisserait toute rinitiative. Nous le vovons a Toeuvre avec un zele qui ne s'est jamais ra- lenti jusqu'a son arrestation du 22 mars. Entrainant les bataillons qu'il rencontra dans le quartier du Tem- ple, il arrive sur la place de THotel de ville, deja cer- nee par de nombreux gardes nationaux. Par ses ordres, « des barricades s'eleverent dans la rue de Rivoli, ou il « masse des insurges, laissant, suivant lui, a dessein « la ligne des quais libres, pour faciliter le depart du « regiment loge a la caserne Napoleon. Ce regiment « partait pour Versailles a dix heures et demie du soir. « A onze heures, il fait occuper THotel de yille et la caserne Napoleon par Brunei, commandant insurge. « A minuit, il s'empare de la prefecture de police. « A une heure, des Tuileries. « A deux heures, de la place de Paris. « A quatre heures, il est prevenu par Duval que les — 84 - ministres sont rassembles au minist£re des affaires etrangeres. « J'aurais pu les cerner, dit-il, la presence « de M. Jules Favre excita mes scrupules; je me con- « tentai de faire occuper fortement la place Vendome « et la place de THotel-de-Yille, en les couvrant de « barricades et en y conduisant de l'artillerie. » Le 19 et le 20, il fit occuper successivement les mi- nisteres, les sept points strategiques de la rive droite et les quatre de la rive gauche. En meme temps, le 20, k minuit, il envoie vingt-deux bataillons occuper les forts abandonnes, moins le Mont-Valerien. II allait s'occuper activement de neutraliser Inaction de ce dernier fort, lorsqu'il fut arrete sur les ordres du Comite, qu'il avait mecontente par ses idees dicta- toriales. Dix jours apres,il s'evade du depot de la prefecture, ou il etait ecroue. Dans sa relation historique des journees de mar?, M. Lullier ne faitaucune mention de la tentative d'em- bauchage essayee par lui sur les officiers et soldats du 43% dans le jardin du Luxembourg, le 21 du mois. Nous allons reparer cet oubli en nous aidant du te- moignage d'un officier du regiment, le capilaine Jallu, qui a assiste k Tentrevue du general improvise de la garde nalionale et du commandant Perier. M. Lullier arrive au Luxembourg a la tete de plu- sieurs bataillons; il s'adresse aux officiers et soldats rassembles autour de leur commandant, M. Perier, et des autres olficiers presents, et leur dit : « Je suis le general commandant en chef toutes les gardes natio- nals de Paris, et Paris est la force de la France; je suis done le seul dispensateur des grades et recom- penses. II y a dejk trop longtemps que vous etes ici, vous etes une menace pour l'ordre, je viens vous som- — 85 — mer de rendre vos armes. ■ M. Lullier termina son discours en faisant des promesses de grades et de solde. M. le commandant Perier refusa de rendre ses armes : « L'arme, dit-il, est Phonneur du soldat, et nous la conserverons, dussions-nous nous battre. » M. Lullier repondit qu'il comprenait cette raison et laissa aux soldats le choix entre le commandant et lui, lis annoncerent tous qu'il n'abandonneraient pas leur commandant, ce qui decontenanga beaucoup ML Lul- lier. M. le commandant Perier Pavertissant qu'il em- menait aussi une demi-batterie confiee a sa garde, le general de la garde nationale s'emporta, menagant de livrer bataille, « cette bataille dut-elle couter 100,000 hommes ». Enfin , il donna jusqu'au lendemain a midi pour reflechir Le regiment partit le 2, h cette heure- la, sans etre inquiete. Cette tentative, dans laquelle M. Lullier montra une grande exaltation et parla sur un ton menagant, con- stitue le fait d'embauchage prevu par les lois militaires. Nous ne saurions trop louer Tattitude energique de M. Perier, commandant le 43 e , et la discipline de ce regiment fidele a la cause de Tordre. La vie officielle de M. Lullier sous la Commune se termine ci peu pres le jour de son incarceration a la Conciergerie ; cependant son nom reparait encore le 14 avril comme celui du chef de la flottille des canon- nieres. Dans une lettre tres-mordante ecrite en re- ponse ci une lettre anonyme , il se plaint qu'on n'a pas suivi ses conseils au sujet de Temploi de la flottille et decline la responsabilite de sa direction. Furieux contre le Comite central et contre la Com- mune d'avoir ete prevenu par ceux qu'il voulait en- voyer i\ Mazas, il leur fait une opposition continuelle par ses ecrits et ses discours dans les reunions pu- — 86 — bliques, et se fait arreter par eux au club Saint-Eusta- che; il est enferme h Mazas, d'ou il s'evade peu de jours apres. Des ce moment, Fancien general de la garde natio- nale rebelle se met en relations avec Versailles par Tentremise deM. Camus, ingenieurdes ponts et chaus- sees, et de M. le baron Duthil de la Tuque, qui con- viennent avec lui d'organiser une contre-revolution. Pendant cette autre periode de Fexistence de M. Lul- lier a Paris, il s'occupe activement de son projet, espe- rant ainsi faire oublier sa part active dans Insurrec- tion du 18 mars, et mettant pour condition qu'on le laisserait partir lui et ses complices Gavier d'Albin et de Bisson, sans les inquieter. 2,000 francs ont ete donnes par M. Camus pour solder les frais de la con- spiration, et M. Lullier, chef du mouvement, devait presenter, apres r execution, un compte evalue approxi- mativement par M. Camus a 30,000 francs. Le chef du complot devait faire arreter les membres de la Com- mune et ceux du Comite central, les envoyer k Mazas et renvoyer les otages a Versailles. Le plan a eehoue, d'apres M. Lullier, parce que le preiexte attendu pour agir ne s'est pas presente ; d'apres M. Camus, parce que ce dernier a ete arrete par les insurges. II s'ensuit que les conventions n'ont plus de raison d'etre. A cette relation des actes de M. Lullier sous le Co- mite central et la Commune nous n'ajouterons que peu de commentaires. L'accuse fait partie de cette ca- tegorie d'hommes politiques qui se sont fait une reli- gion des principes revolutionnaires. Ses relations in- times avec Flourens et Rochefort le prouvent par les doctrines exaltees qu'elles prennent pour base. C'est un homme violent dans son parti, et, quoiqu'il pre- tende avoir evite l'effusion du s*^g, son caractere bien — 87 — connu par ses emportements, ainsi que les dispositions menagantes prises par ses ordres les 18, 19, 20 et 21 mars, prouvent qu'il n'aurait pas hesite a com- battre, comme il Fa dit lui-meme, dans le jardin du Luxembourg. Si, vers la fin de la Commune, il a essaye de servir Fautorile legitime, sa rancune contre les hommes qui n'avaient pas voulu de sa diclature et des motifs de surete personnelle Font seuls anime. Enfin, son exal- tation revolutionnaire, son intelligence des moyens a employer dans une insurrection, et Fimportante posi- tion qiFil a occupee dans celle du 18 mars, le rangent parmi les grands coupables qui ont prepare et conduit Fexecrable attentat qui vient d'ensanglanter la France. En presence de ces faits, notre avis est que M. Lul- lier doit etre traduit devant le. conseil de guerre, pour avoir : 1° Participe a un attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement, et d'exciter les citoyens a farmer contre Fautorite de la Republique ; 2° Participe a un attentat dont le but etait d'exciter les citoyens a s'armer les uns contre les autres, et de porter la devastation, le massacre et le pillage dans la ville de Paris ; 3° Leve ou fait lever des troupes armees, engage et enrole des soldats, leur avoir fourni et procure des munitions et des armes sans autorisation du pouvoir legitime ; 4° Pris le commandement d'une troupe armee sans droit legitime; 5° Dans le but d'envahir les domaines, proprietes, villes, forteresses, postes, magasins, arsenaux , bati- ments appartenant a TEtat, et dans le but de faire at- taque et resistance envers la force publique agissant contre les auleurs de ces crimes, avoir pris le com- mandement de bandes armees ; 6° Provoque des militairesa passer aux rebelles ar- mes, et leur en avoir sciemment facilite les moyens , Grimes prevus par les articles 87, 91 , 92,, 93, 96, du Code penal, et V article 208 du Code de justice mili- taire. Versailles, le 6 juillet 1871. Rapport sur V affaire du nomine Paiil-Emile-Barthe- lemi/ Philemon Rastoul, trente-six ans, docteur en medeeine,] 09, boulevard Magenta, nile l er octobre 1835, a Thezan arrondissement de Beuers {Htfrault). Le nomme Paul Rastoul est Tancien president du fameux club des Montagnards. Ge club, comme on le sait, etait un des plus reputes dans Paris. De la sont sortis les idees les plus commu- neuses et les germes de ce gouvernement qui, s'intitu- lant la Commune, devait bientot produire les actes les plus atroces et les plus barbares que rintelligence humaine puisse avoir reves. Rastoul etait administrateur de la mairie du dixieme arrondissement lorsque, le 26 mars, le Gomite central exigea les elections municipales immediates dans les divers arrondissements de Paris. Rastoul, s'etant pre- sente clans son arrondissement, fut elu. C'est de cette epoque que datent les differentes fonctions officielles qu'il a remplies durant la Commune, dont il est devenu un membre des plus zeles et des plus acharnes. Rastoul s'en defend avec audace; il pretend n'etre reste que le simple conseiller de son arrondissement » — 89 — que ses actes prouvent suffisamment qu'il etait con- stamment en lutte avec ses collegues, et qu'en conse- quence il n'est responsable de rien. Pour nous, la persistance qu'il met a discuter dans les seances de la Commune prouve les efforts qu'il a fails pour maintenir et etablir sur des bases solides le gou- vernement de THotel de ville. II ne neglige rien, en effet, pour y arriver; il se croit avec raison un homme intelligent, pouvant rendre des services a ce gouver- ment qui rentre tout a fait dans ses idees politiques. En effet, le 28 mars, six jours apres son election, il s'agit de distribuer aux membres de la nouvelle assem- ble leur part de travail dans la gestion des affaires de la Commune; des commissions se forment, Rastoul se fait nommer membre de celle altachee aux services pu- blics. Rastoul pretend encore n'avoir jamais ete un mem- bre actifdecette commission. Nous rappelons, a cet cftet, la proclamation au peuple de Paris faite au nom des membres de la Commune, et qui a ete affichee le meme jour (30 mars) que la formation des commis- sions-. Le 2 avril paralt un avis signe Rastoul, qui enjoint aux employes de revenir prendre leurs fonctions a la commission des services publics. Le 10 avril, Rastoul se fait nommer inspecteur gene- ral du service des ambulances, et porte, de son aveu, un costume militaire en rapport avec son grade. Le 24 avril, paralt un arrete signe Rastoul, et con- cernant les ambulances. Le 22, il etait mis a la tete d'un service special pour rinhumation des cadavres. Enfin, le 27 avril seulement, il donne sa demission d'inspecteur general des ambulances, demission sur- — 90 — venue a la suite (Tune discussion avecle general Dom- browski, a propos de son service. Rastoul se garda bien de donner sa demission de membre de la Commune, quoiqu'il pretende cependant etre loujours en opposition avec ses collegues : c'est qu'en effet, le service des ambulances n'est pas Fobjet essentiel de ses preoccupations ; ce qu'il y a de plus serieux pour lui, c'est de pouvoir apporter ses lumieres et un concours assidu dans les discussions de Fassem- blee de la Commune; aussi conserve-t-il son mandat de membre elu. Rastoul ne prend pas part seulement aux actes qui doivent surgir de Fassemblee des membres de la Com- mune, nous le voyons aussi adressant aux journaux des lettres et des articles, entre autres au Mot cTordre ct au Vengeur. Nous avons sous les yeux un manuscrit adresse au redacteurdu journal Paris libre, avec unelettre-priere d'inserer, et signee : « Rastoul, membre de la Commune pour le dixieme arrondissement. » II se trouve encore au dossier un autre manuscrit adresse aux citoyens membres du comite de salut pu- blic et aux citoyens membres de la Commune. Evi- demment, ce manuscrit etait destine a 6tre imprime. Rastoul, voyant la parlie perdue, propose de faire masser les bataillons en armes a Belleville et Menilmon- tant. La, les membres dc la Commune, revetus de leurs insignes , iront tous se placer sous la protection des Prussiens, et leur demanderont les rnoyens deles trans- porter en Amerique. Rastoul ne peut done nier sa cooperation active k tous les actes dc la Commune, soit par des faits ou par des ecrits; ii est responsable, comme membre de la Commune, des divers decrets ou arretes qui ont ete — 91 — produits et qui ont regu leur execution. Nous citerons entre autres les decrets relatifs : 1° A la demolition de la colonne Vendome, 12 avril : il etait present k la seance, il avoue etre partisan du ^ilncipe en lui-meme; 2° Le decret relatif a la reprise desbiens immobilises du clerge, et a la suppression du budget des cultes ; 3° Le decret relatif a la maison de M. Thiers ; 4° Le decret relatif aux otages. II etait egalement present a la seance dans laquelle ce decret a ete vote. Rastoul pretend qu'il n'etait pas membre de la Com- mune, mais simple membre du conseil de la chambre communale. Rastoul a, sans doute, oublie que le traitement affecte aux membres de la Commune etait fixe a 15 fr. par jour, qu'il touchait ces 15 fr. II ne peut nier les lettres qu'il a adressees au Mot cTordre, et signees toutes deux : « Rastoul, membre de la Commune. » Rastoul pretend encore n'avoir pas suivi exactement les seances de Tassemblee de la Commune, el qu'il y allait rarement. Pour ne citer qu'une seance entre toutes, nous lui rappellerons qu'il etait present a une des der- nieres, celle du 21 mai, ou fut discutee la mise en accu- sation de Cluserei. Dans cette seance, et a ce propos, Rastoul prit la defense de Cluseret avec energie, et demanda sa mise en liberie immediate. Note. — Quoique ce ne soit pas le cas de citer ici les faits qui suivent , nous rappellerons neanmoins , comme simple remarque bonne & noter, qu'il existe par- mi les pieces h charge contre Cluseret une plainte d'un certain Yerlet, chef du 192 e bataillon, qui prouve que la ommune se servaii de bombes h petrole. Un des pas- — 92 — sages de cctte note porte ceci : « Pas moyen d'avoir de bombes a petrole pour mettre le feu la ou cela etait utile; oblige defaire mettre le feuavec desallumettes.)) Rastoul a done bien ete membre de la Commune ; comme le!, i! a discute les actes de ce gouvernement, dont le but etait de se maintenir et de faire disparaitre le gouvernement regulier issu du suffrage universel. En consequence, il est sous Tinculpation de provoca- tion a la guerre civile, usurpation de pouvoir, port illegal de costume militaire, excitation et cooperation a la destruction des monuments publics, dissipation des d-eniers de l'Etat, et responsable, comme auteur principal et comme complice, de tous les actes de la Commune qui ont regu leur execution. Crimes et delits prevus par les articles suivants du Code penal, 59, 60, 87, 88, 91, 96, 257, 258, 259, 295, 296, 297, 341, 342, 434, 437, 439, 440. En consequence, notre avis est que le nomme Paul- fimile-Barthelemy-Philemon Rastoul , doit passer devant un Conseil de guerre. Versailles, le 20 juillet 1871. Rapport sur T affaire du nomme Paschal Grousset, homme de lettres, ne a Corte [Corse), le 7 avril 1844, demeurant a Paris, avenue Trudaine, 2. Le nomme Paschal Grousset, homme de lettres et journaliste, a collabore a la redaction de plusieurs journaux revolutionnaires, entreautres la Marseillaise, dont il a pris la direction le 4 septembre, et au jour- nal le Peuple, dont il est lefondateur. Pendant le siege, — 93 — Grousset frequentait les reunions publiques, ouil atta- quait constamment le gouvernement. Comme redacteur en chef du journal VAffrancki, pen- dant la Commune, il a fait paraitre dans cette feuille des articles d'une violence extreme, entrelesquelsnous rappellons celui-ci : Les Papalains et autres nourrissons des pretres ont
st rendu coupable : 1° D'usurpation de toutes les fonctions judiciaires, militaires et administratives; 2° Participation h un attentat ayant pour but de de- truire le gouvernement ; 3° Participation h Tattentat d'excitation a la guerre civile en portant les citoyens ou habitants h s'armer les — 103 — uns contre les autres, soit de porter la devastation, le massacre et le pillage dans plusieurs communes. En consequence, nous sommes d'avis qu'il y a lieu d 1 ordonner la mise en jugement du sieur Descamps, coupable de delits et crimes prevus et punis par les art. 59, 60, 87, 91 et 258 du Code penal ordinaire. Versailles, 26 juillet 1871. Rapport sur V affaire du nomme Joseph-Victor Clement, teinturier. Clement, ouvrier teinturier, a ete membre de la Commune le 26 mars, et, quelques jours plus tard, place a la commission des finances. Clement, loin de s'associeraux actes de violences et d'arbitraire de la Commune, a toujours et courageu- sement proteste; il a rempli honnetement les fonc- tions de maire dans le quinzieme arrondissement. Clement, desapprouvant les actes de la Commune de Paris et serefusant a les accepter, avoulu donnersa demission le 15 avril ; il eut eu certainement Fenergie de poursuivre sa resolution s'il n'avait cede auxprieres de ses administres, qui se sentaient proteges par sa presence. La justice examinera les actes de Clement, estimera sa courageuse abnegation, et prononcera. Pour nous, Clement, en acceptant de faire partie d'un gouvernement ouvertement en rebellion avec ce- lui de son pays, a participe a TaUentat ayant pour but de changer ou detruire le gouvernement regulier; il a commis toutes les usurpations de ce pouvoir. En consequence, nous sommes d'avis qu'il y a lieu — 104 — d'ordonner la mise en jugement da sieur Clement, coupable des delits et crimes punis et prevus par les art. 59, 60, 87 et 258 da Code penal. Versailles, le 26 juillet 1871. Rapport sur V affaire du nomme Gustave Courbet, peintre, membre de la Commune. Le sieur Courbet, nomme directeur des beaux-arts le 4 septembre, fut maintenu h ce poste par le gou- vernementde rinsurreclion. filukla Commune comme delegue k la mairie du sixieme arrondissement, il y entra le 26 avril. Le l er mai, il vota contre la denomination de comite de salut public donnee au nouveau comite forme dans la Commune, preferant le nom de comite executif. A la fin de la discussion engagee a ce sujet, il protesta contre les litres empruntes a la premiere revolution, qui ne convenaient « plus au mouvement social repu- blicain ». Le 12 mai, il demanda ce qu'il fallait faire des objets d'art pris dans la maison de M. Thiers, s'il de- vait les envoyer au Louvre, ou les faire vendre publi- quement; il fut alors nomme membre de la commis- sion nommee k cet effet. Le 30 avril, il avait signe la declaration de la mi- norite protestant contre Tenlevement de la responsa- bilite aux membres de la Commune en faveur du comite de salut public. On y trouve les phrases suivantes : « La Commune doit au mouvement revolutionnaire politique et social d'accepter loutes les responsabilites et de n*en decli- — 105 — ner aucune, quelque dignes que soient les mains a qui on voudrait les abandonner. » Et plus loin : « La question de la guerre prime en ce moment toutes les autres ; nous irons prendre dans aos mairies notre part de la lutte decisive soutenue au nom du droit des peuples. » Ges paroles, Tacceptation par le sieur Courbet de son mandat de membre de la Commune et ses fonc dons de delegue a la mairie du sixieme arrondissemen.. pendant toute Tinsurreetion, prouvent suffisamment la part active prise par lui dans la revolte du socia- lisme contre la societe etablie. Quoique la signature du sieur Courbet ne se trouve pas au bas des decrets de la Commune, et qu'apres la declaration de la minorite il se soit occupe particu- lierement de sa mairie etde ses fonctions de directeur des beaux-arts, il n'en a pas moins^ dans certaines limites, sa part de responsabilite, n'etant pas demis- sionnaire. Le 13 avril avait ete decide le renversemenl de la colonne Vendome. Dans une seance de la Commune, le 27 du meme mois, le Moniteur officiel de Tinsur- rection rapporte une discussion dans laquelle le sieur Courbet prit la parole pour demander Texecution du decret. II nie energiquement cette accusation, sap- puyant d'abord sur ce que ce decret avait ete vote avant son admission dans la Commune, et sur les de- marches qu'il avait faites sous le gouvernement du 4 s.eptembre, non pas, dit-il, pour demander le ren- versement de la colonne, mais son transferement sjr Tesplanade des Invalides, Templacement actuel ne lui etantpas favorable. II avait, du reste, dans cette cir- constance, employe Texpression de deboulonner, et non de demolir. II affirme aussi que Yofficiel a dena- — 106 — ture ses paroles a la Commune. Enfin, il dit avoir pro- pose au gouvernement de retablir la colonne a ses frais, si Ton peut etablir qu'il a ete cause de sa de- molition. L'accuse explique sa conduite, h Tepoque de la demolition de la maison de M. Thiers, de la maniere suivante : « Je suis arrive trop tard a la maison de M. Thiers pour que mon intervention fut utile, les objets etaient deja emballes par les hommes du Garde- Meuble et les delegues a cet effet. Je reprochai a ces messieurs de n'avoir pas fait Finventaire. En parcou- rant les appartements vides, j'apergus dans les platras de la demolition qui commencait deux petites figurines en terre cuite, d'origine antique; supposant que ces objets pouvaient etre la matiere d'un souvenir pour leur proprietaire, je m'en emparai en les envelop - pant dans du papier, afin de les rendre k qui de droit lorsque cela me serait possible, les autres objets etant dejk a destination » Un rapport du chef du poste des gardes nationaux places a la porte du musee de Cluny signale la sortie de ce musee, a la date du 2 mai, de six colis conte- nant tableaux, statues et objets d'art. Le sieur Courbet s'opposa au depart de ces colis avant verification faite par des gens competents. I/accuse repond a notre demande d'explications en nous disant : « Que M. Dusommerard, directeur du musee, etant a Londres, et voulant faire une exposition des ceuvres d'artistes modernes, avait eu la malheu- reuse idee de faire ernballer ces oeuvres dans la cour du musee de Cluny; que lui, etant responsable des musees, n'avait pas voulu laisser partir ces colis sans avoir dument constate leur provenance » Au moment ou les troupes regulieres entrercnt k — 107 — Paris, le sieur Gourbet se retira chez un ancien ami, oil il demeura trois semaines. En consequence, notre avis est que le nomme Gus- tave Courbet soit traduit devant le Conseil de guerre, pour avoir : 1° Participe a un attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement et d'exciter les citoyens a s'armer les uns contre les autres; 2° D'avoir usurpe des fonctions civiles; 3° Pour s'etre rendu complice de la destruction d'un monument, la colonne Vendome, elevee par Tau- torite publique, en aidant ou assistant avec connais- sance de cause les auteurs de ce delit dans les faits qui Font prepare, facilite et consomme, Grimes prevus et punis par les art. 87, 88, 91, 9G, 237, 258, du Code penal ordinaire, et de la loi du 27 fevrier 1858. Versailles, le 25 juillet 1871. Rapport stir V affaire du nomme Ulysse Parent, ar- tiste dessinateur, age de quarante-trois arts, ne a Paris. Le nomme Ulysse Parent a ete nomme membre de la Commune le 26 mars; ilfut attache a la Commission des relations exterieuresdontGrousset etaitle delegue principal. Le 5 avril, il donna sa demission. L'inculpation la plus grave qui pesait sur lui eiait Tincendie du quar- tier de la Bourse. En effet, un ordre ecrit et signe Parent, se trouve au dossier de cet inculpe. Pour nous convaincre que Parent etait bien Tauteur — 108 — de cet ordre, nous le lui avons fait transcrire en triple expedition, afin d'ctablir les rapports qui pouvaient exister entre son ecrilure et Fcrriginal incrimine. Le tout a ete confie k un expert, M. Delarue, com- rais a cet effet par nous; les conclusions du rapport de cet expert 6lablissent qu'il n'existe aucune relation entre Tecriture de Parent, sa signature et la piece ori- ginale manuscrite. Parent ne peut done etre considere comme son auteur. Neanmoins, Parent a ete membre de la Commune pendant onze jours; il est done responsable des de- crets et actes de ce gouvernement pendant ce laps de temps, par consequent responsable des attentats dont la source emane de la Commune et dont le but etait de changer le gouvernement de la Republique issu du suffrage universel, el seul gouvernement reconnu par la nation frangaise, Crime prevu par les articles suivants du Code penal : 87, 88, 89, 91, 92. En consequence, notre avis est que le nomme Ulysse Parent doit etre traduit devant un Conseii de guerre. REQUISITOIRE DU COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT AUDIENCE DU 22 AOUT. Monsieur le president, Messieurs les juges, L'expose general dont j'ai eu Thonneur de vous faire lecture avant les debats vous a suffisamment eclaires sur Forigine, le developpement et les actes de Tlnternationale, du Comite central, de la Commune et du Comite de salut public. Je rappellerai en quelques mots la situation au 18 mars; mais, auparavant, qu'il me soit permis de faire appel a votre indulgence, car j'ai pris le lourd fardeau de Taccusation peu de jours avant Touverture des debats. Apres une guerre desastreuse, commencee dans les conditions les plus defavorables , et poursuivie avec Tacharnement du desespoir, la France, epuisee, s'etait vue obligee de conclure la paix. Certes, jamais pareille humiliation, jamais pareil sacrifice, ne nous avaient ete imposes. II avait fallu consentir a abandonner au vainqueur les deux provinces reputees justement les plus patrio- tiques, celles qui avaient le plus souffert dans cette 10 — 110 — guerre, celles qui avaient montre le plus d'amour et de devouement pour la patrie. II avait fallu se resoudre a une occupation du sol national et au payement d'une indemnite de cinq mil- liards. On pouvait done croire que ces malheurs epouvan- tables, severe chatiment de nosfautes, seraient pour nous un haut enseignement et qu'ils auraient un effet salutaire sur la regeneration du pays. Des elections sages avaient envoye a la Chambre des deputes desireux de mettre un terme aux maux de la patrie en y ramenant la paix et Tordre, de reorganiser Tarmee, tous les services publics. Un homme illustre, un grand citoyen en qui la France et TEurope mettaient toute leur confiance, avait rcgu de TAssemblee nationale le pouvoir de gouverner FEtat. On discutait une loi tendant a doter Paris d'un con- seil municipal libremenl elu , mesure devant laquelle avaient recule tous les gouvernements. CTetait Flieure, pour tout homme de coeur, d'oublier scs inlerets particuliers pour ne songer qu'a la^patrie, a cette grande France aujourd'hui sanglante et de- membree. Eh bien, messieurs, e'etait Theure que guettaient des conjures pour porter le coup mortel a leur pays, pour achever Tceuvre des Prussiens et rejeter la France au fond de Fabime d'oii elle sortait a peine. Ces hommes furent des parricides, et ce sont eux que vous avez a juger. Membres ou adeptes de Tlnternationale, ils avaient j,ure haine au present; declasses, envieux de toute su- periorite, ils voulaient a tout prix le renversement de j'ordre existant, pour jouir a leur tour du pouvoir. — Ill — Ge sont les horames du 31 octobre, du 22 Janvier, 1 laches devant le danger, refusant leur concours pour combattre rerinemi, avides de saisirle moment propicc pour abattrele gouvernement. Ce sont ces hommes qui ont le plus compromis la defense de Paris , qui ont paralyse les efforts de Tar- mee et la partie saine de la garde nationale. Ce sont eux qui ont repandu parmi les soldats les idees funestes qui ont amene les hontes du 18 mars. Orateurs de clubs, ils nous avaient audacieusement exposes, Tan dernier, dans les reunions publiques, le programme qu'ils viennent d'accomplir. Le gouvernement d'alors avait cru sans doute que Fopinion publique suffirait pour faire justice de leurs odieuses pretentions, quand il eut du se hater de leur; fermer toute voie de propaganda : ■ L'appel qu'ils firent alors aux mauvaises passions fut malheureusement trop bien entendu. Je ne vous ferai pas Fhistoire de cette insurrection a jamais detestable, dans laquelle j'indiquerai tout a. Theure la part de chacun des accuses ; mais j'en signa- lerai des maintenantles suites fatales. Elle a rendu plus lourd et a prolonge le joug de Foc- cupation prussienne. Elle a porte un coup funeste a Tindustrie, au com- merce, qui allaient renaitre. Elle a ralenti la reorganisation des services publics. Elle a coute au Tresor un milliard. Elle nous a exposes a Fhumiliation de voir Tetranger retablir l'ordre chez nous. Qui peut prevoir ce qui fut advenu de nous si la Prusse victorieuse s'etait etendue sur tout le terri - to ire? Celte insurrection a seme la defiance et le desojdrc — 112 — dans plusieurs dSpartements, et provoque des troubles dans certaines villes. Elle a accru les ruines et les desastres de la guerre : Neuilly, Asnieres, Gourbevoie et tant d'autres centres de population ne sont plus que des ruines. Acteur dans le drame de deux mois qui s'est joue devant Paris, j'ai pu apprecier la ferocite des bandes raccolees par ces hommes qui n'avaient d'autre but que la destruction et le pillage. Prets, d'ailleurs, a pactiser avec les Prussiens, sen- tant leur ruine prochaine, ils ont pousse le vandalisme jusqu'a decreter la destruction de la colonne Vendome, vivant souvenir de vingt annees de gloire et de triom- phes, devenu plus precieux apres de recents desas- tres. Ils ont vote la destruction de la maison de Feminent homme d'Etat qui, n'ayant pu, malgre ses sages aver- tissements, arreter la France sur la pente fatale ou elle etait precipitee, venait de la sauver du plus grand pe- ril qui puisse menacer une nation, de Fanarchie. Enfin, se voyant vaincus, ces hommes imaginerent le plan le plus odieux de vengeance et de devastation, et ils trouverent des miserables pour Texecuter. Les otages, qu'ils avaient pris parmi les citoyens les plus respectables, furent massacres ; la grande cite, ob- jet d'envie pour le monde entier, fut livree a Tincendie, et les monuments qui faisaient sa gloire furent consu- mes. Vous savez , messieurs , ou se trouvaient en ce mo- ment supreme ces hommes qui avaient organise , di- rige Tinsurrection. Apres avoir promis de mourir aux barricades, ils s'occupaient de faire une retraite pru- dente, emportant le fruit de leurs rapines et de leurs depredations. - 113 — Des quatre-vingts membres de la Commune et des quarante membres du Comite central , un tres-petit nombre est reste sur la breche; la grande majorite a fui a Fetranger, ou a cherche asile dans la ville meme qu'ils avaient vouee a la destruction. A part un seul, pris les armes a la main, aucun de ceux que vous avez devant vous n'a eu le courage de chercher la mort dans la lutte. Avant d'aborder les faits de Faccusation, permettez- moi de vous rappeler, en quelques mots, la part do responsabilile qui revient dans Tinsurrection du 18 mars a Tlnternationale , au Comite central et a la Commune. Constitute a Londres en 1864,rAssociation interna- tionale etablit des 1865 un centre a Paris. D'autres centres sont crees en France, et elle a bientot ses or- ganes, ses congres, ses manifestes. Elle veut la revolution sociale, c'est-a-dire la des- truction complete des institutions actuelles. Plus de gouvernement, plus d'armee, plus de reli- gion; abolition da droit d'heredite ,, abolition du ma- nage. L'alliance ne tarda pas a se former entre Tlnterna- tionale et le parti revolutionnaire. Un grand nombre de membres allies se trouverent enfermes dans Paris bloque. lis profiterent de tous les moyens pour amener le moment favorable a leurs projets anarchiques. lis chercherent des chefs dans la garde nationale, des comites se formerent dans chaque bataillon, et leurs delegues constituerent le Comite central, qui declara la guerre au gouvernement le 18 mars. Le Comite central a fait acte de gouvernement du 18 au 30 mars, et, en cedant a cette date le pouvoir a la 10. — 114 -^ Commune, il a conserve son action dirigeante et sa puissance. La Commune a fait acte de gouvernement du 26 mars a la fin de mai. Avant d'aller plus loin, je poserai les principes sui- vanls, aussi irrefutables en fait qu'en droit : 1° Tous les membres du Comite central et tousles membres de la Commune sont responsables des actes et des decrets du Comite et de la Commune pendant Texercice de leurs fonctions. Ceux qui aujourd'hui pretendent etre restes etran- gers aux deliberations relatives a ces actes ou decrets avaient toute voie ouverte poureviterla responsabilite qui leur incombe. II leur suffisait de protester ou de se demettre de leurs fonctions. C'est ce qu'a fait Taccuse Parent, etil n'encourt que la responsabilite des actes et decrets rendus pendant son sejour a la Commune. 2° Tout gouvernement etant, en droit, responsable des effets de ses decrets et actes, les membres du Co- mite central et de la Commune ont a porter la respon- sabilite terrible des consequences des decrets et actes de leur gouvernement. 3° Le gouvernement de la Commune est responsable des crimes commis par ses agents ou delegues aux divers services. Ces principes, poses par le president du Conseil pen- dant les debats, sont hors de toute discussion pour les hommes de bonne foi. Cependant les accuses paraissent temoigner une certaine surprise quand on leur impute la complicity dans Tassassinat des otages et dans les incendies. ; Osera-t-on _pretendre qu'ils sont des hommes poli- — 115 — tiques et qu'ils ont commis des crimes politi- ques? Qu'ils ont cherche a etablir un gouvernement regu- lier a la place da gouvernement existant? Qui soutien- drait cetle these? Leur programme est connu : ils voulaient la destruc- tion de la famille, de la propriete, de la religion, en un mot, de la societe ! , , Et ils s'imaginent qu'apresleur orgie gouvernemen- tale, ils n'auront pas a rendre compte des desastres que leur tentative a causes, a rendre compte du sang verse, des incendies qu'ils ont allumes, du pillage dont ils ont donne Fexemple? " Ges hommes ont cause la mort de milliers d'inno- centesvictimes, de braves soldats qui venaient de com- battre pour le salut du pays. Ces hommes ont envoye. a la mort, sous Tempire de la force, des milliers de, citoyens hostiles a leurs doctrines. L'accuse Lullier vous Ta dit : une grande partie de la garde nationale n'a pas tarde a se separer de la Commune ; les 200, 000 federes se sont reduits a 60,000. Alors, et c'est la un de leurs plus grands crimes, ces hommes ont decrete la levee en masse le plus criminel attentat contre les citoyens, et tous les moyens leur ont ete bons pour Vexecution de leur clecret. C'est ainsi qu'ils ont pousse au combat une foule de gens devoues a la cause de Tordre, tandis qiveux tro- naient a THotel de ville. Ils ont traduit les refractaires devantles Coursmar- t»aies,juridictionalaquellelesgouvernementsnerecou- rent que dans les circonstances les plus graves, pour juger des crimes militaires et contre des soldats lies au service par la.loi. — 116 — Diront-ils que les gardes nationnaux etaient lies au service de la Commune? Non. lis ont commis, par ces mesures atroces, un double atentat: ils ont institue une juridiction revolutionnaire et ils ont fusille des innocents sans jugement. Aussi je n'hesite pas a qualifier d'assassins les juges de la Gour martiale ; les hommes de la Commune ont ete leurs complices. M. le commissaire donne ici lecture des decrets de la Com- mune instituant les Cours martiales et ordonnant des arres- tations arbitraires ; puis il poursuit : Les membres ici presents, ayant fait partie du Comite central et de la Commune, sont done responsable des crimes commis pendant leur usurpation. Tous sont coupables des attentats contre la chose publique definis par les trois premiers chefs d'accusa- tion, ainsi que d'usurpation de titres et de fonctions. Les membres de la Commune qui ont rempli leurs fonctions jusqu'au dernier jour ont a repondre des crimes de complicite d'assassinat, d'incendie, de des- truction d'edifices et de maisons habitees, d'arrestations illegales et de sequestrations de personnes. Enfin,en dehors de ces chefs d'accusation communs, quelques-uns des accuses ont des faits particuliers h leur charge. Mon requisitoire sera done divise en trois parties: la premiere, concernant les chefs d'accusation communs h tous les accuses; la deuxieme, la part qui revient aux membres de la Commune qui ont conserve le pouvoir jusqu'a la fin; et dans la troisieme fexaminerai Tin- gerence particuliere de chaque accuse dans Tinsurec- — 117 — tion, ainsi que les chefs (Taccusation qui lui sont per- sonnels. Les quatre chefs cTaccusalion communs aux accuses, en qualite soit de membres du Gomite central, soit de membres de la Commune, sont : 1° Attentat contre le gouvernement ; 2° L'attentat ayant pour but d'exciter h la guerre civile ; 3° Le fail d'avoir leve des troupes armees, sans ordre ou autorisation du pouvoir legitime ; 4° L'usurpation de titres ou fonctions. La participation des accuses a des actes de gouver- nemen contre le gouvernement regulier constitue le premier chef, car il y a eu complot et execution, les deux elements constitutifs de Fattentat. L'accuse Jourde a pretendu qu'il n'y a pas eu com- plot. II compte done pour rien les agissements de Flnter- nationale, les menaces proferees dans les reunions pu- bliques, les menees pendant le siege des comites par- ticuliers dont la reunion a fait le Gomite central, ainsi que les manoeuvres de ce comite, du mois de fevrier au 18 mars. Quant a Texecution, a-t-elle ete assez complete par Tinstallation d'un pouvoir qui a seme la ruine el la de- solation dans le pays pendant deux mois ! Quant aux actes qui constituent de fait ce premier chef, je vais en donner lecture. M. le commandant Gaveau lit alors au Gonseil un grand nombre de pieces, extraites presque toutes du Moniteur of fa- ciei de la Commune. Leurs titres et leurs dates les rappellent suffisamment. — ■US — Mars.— Manifesteaux gardes nationauxducinquieme arrondissement. 49 mars. — Aux gardes nationaux de Paris. 20 mars. — Au peuple. 20 mars — Federation de la garde nationale. 21 mars. — Fusion du Comite central et du Comite de federation. 21 mars. — Elections. 24 mars. — Manifeste du Comite central. 25 mars. —Manifeste du Comite. 29 mars. — Abolition de la conscription. 29 mars. — Adresse aux employes des services pu- blics. 30 mars. — Adresse de la Commune. 3avril. — Mise en accusation des ministres. 7 avril. — Manifeste du Comite central. 28 avril. — Institution du Comite de salut public. 29 avril. — Manifeste a TEurope. 8 mai. — Manifeste de Grousset. J'arrivemaintenant a Tattentat. Quelques-uns pretendent, pour legi timer leur usur- pation, qu'ils ont ete les elus du suffrage universel. C'est une veritable derision. D'abord, ces elections sont frappees denullite, par ce fait qu'elles ont ete decretees par un gouvernement in- surrectional. II en resulte qu'il ne s 1 y presenta que des insurges. Chacun sait d'ailleurs quelle fraction minime de la population est venue apporter son vote : laplupart des elections sont encore entachees de nullite par ce fait. Enfin j'affirme que ces homines ne representent que le bas-fond de la population parisienne. II est certain que la partie saine s'est abstenue de — 149 — voter; et (Tailleurs, quel est Thomme honnete et de bon sens qui eut songe a faire representer la capitale par un Ferre, un Urbain, un Trinquet, un Champy , un Pas- chal Grousset? Le second chef d'accusation consiste dans Fattentat ayant pour but d'exciter a la guerre civile. 11 reunit egalement les deux elements de droit: le complot et Fexeculion. Le complot consiste dans le fait d' avoir arme des ci- toyens et des soldats pour combattre le gouvernement francais; Texecution a ete la devastation et le pillage consommes sur le territoire. Les actes qui constituent ce chef d'accusation sont les suivants : 20 mars. — Aux departements. 20 mars. — Aux gardes nationaux. 3 avril. — Aux gardes nationaux. 4 et 5 avril. — Au peuple. 6 avril. — Aux departements. 7 avril. — Au peuple. 18 avril. — Au onzieme arrondissement. 28 avril. — Au peuple francais. 28 avril. — Au peuple de Paris. 29 avril. — Grand manifeste. 12 mai. — Au peuple. 13 mai. — Manifeste de Grousset. 18 mai. — Aux gardes nationaux. 22 mai. — Au peuple. 24 mai. — Au peuple. Le troisieme chef d'accusation resulte des decrets et ordres donnes pour lever des troupes, sans ordre ou autorisation du pouvoir legitime, et de Texpedition du 2 avril contre Versailles. — 120 — La lecture des pieces suivantes suffit a le constituer : 24 mars. — Delegation militaire. Expedition contre Versailles. 4 avril. — Organisation des compagnies demarche. 12 avril. — Levee en masse. 28 avril. — Creation de vingt bataillons. 30 avril. — Creation de compagnies du genie. 21 mai. — Creation de corps pour la garde des pou- drieres. Le quatrieme chef d'accusation consiste dans l'u- surpation de titres et fonctions. L'art. 258 du Code penal fait dependre ce delit du fait de s'etre immisce dans les fonctions publiques, civiles ou militaires, ou d' avoir fait les actes d'une de ces fonctions. Or il n'est pas un des accuses qui n'ait commis cette usurpation. J'ai done accompli la premiere partie de ma tache : j'ai demontre que tous les accuses se sontrendus cou- pables des crimes ou delits prevus par les art. 87, 91, 92 et 258 du Code penal. Je passe a la deuxieme partie, dans laquelle je dois examiner les chefs d'accusation portes contre les mem- bres de la Commune qui ont conserve leur mandat jusqu'a la fin de mai. Les imputations les plus graves qui pesent sur eux sont la complicite dans Tassassinat des otages,lacom- plicite dans les incendies, la complicite dans les arres- tations arbitraires et les sequestrations, la complicite dans la destruction des monuments publics et des maisons habitees. La plupart des accuses rejettent bien loin cette com- plicite. L'un se renferme dans les fonctions de ministre des finances, qui lui ont permis de dilapider le Tresor — 121 — public; F autre, dans les affaires etrangferes; un troi- sieme, dans l'administration d'un arrondissement; Assi, dans la fabrication de munitions. Nous assistons a ce singulier spectacle de gens qui ont rendu ou laisse rendre en leur nom des decrets erigeant en principe Tassassinat et l'incendie, et qui s'etonnent qu'on leur impute la complicite des faits accomplis d'apres leurs ordres. Mon premier soin est de determiner devant vous les elements de la complicite. A ce sujet, je vous citerai les principes poses par les jurisconsultes. Je vous lirai d'abord le texte memo des articles 59 et 60, relatifs a la complicite. AUDIENCE DU 23 AOUT. Apres la lecture de ces deux articles, le commissaire du gouvernement, en ce qui concerne les accuses qui comparais- sent devant le Conseil, appuie Taccusation de complicite" sur ces deux elements: 1° abus d'autorite" et de pouvoir; 2° sur les moyens procures pour commettre le crime. Arrivant ensuite au quatrieme chef d'accusation, compre- nant les arrestations arbitraires et la sequestration de per- sonnes, l'organe de l'accusation rappelle les articles 341 et 342 du Code penal, et s'attache a demontrer qu'ils sont appli- cables aux accuses, par suite de la sequestration des otages pendant plus d'un mois. M. le commissaire du gouvernement termine ainsi: II me resterait, pour terminer cette derniere partie, k etablir que la mise a mort des otages constitue Tas- sassinat; mais je croirais faire injure au Conseil en dis- it — 122 - cutantlonguementcetle question, resolue pour toute la France. Ce qui distingue Tassassinat du meurtre, c'est la premeditation ; or, pour les membres dela Commune, la premeditation reside : 1° Dans le fait d'avoir, le 6 avril, decrete Farresta- tion des otages pour servir de represailles aux actes faussement imputes au gouvernement regulier ; 2° Dans le fait d'avoir, le 17 mai, decrete, sur la pro- position d'Urbain, Texecution du decret du 6 avril sur les otages ; 3° Dans la lacune de temps considerable qui s'est ecoule entre la decision et Texecution. Enfin, M. le commissaire du gouvernement donne lecture des decrets relatifs a Fexecution des otages et de toutes les pieces qui corroborent ces decrets, s'attachant a faire ressor- tir que de ces decrets et de la presence de deux membres de la Commune a la tete du peloton d'ex^cution ressort la com- plicity generale des accuses dans ces assassinats. II en est de meme pour les incendies de monuments pu- blics et de maisons particulieres. Lecture est donnee, a Tap- pui, de nombreux documents trouves au moment de Tentree des troupes. Quant a la complicite resultant de ce fait, que les membres de la Commune ont procure les moyens de commettre le crime, elle se trouve encore mieux etablie. N'est-il pas Evi- dent que c'est le pouvoir insurrectionnel qui a distribue - aux insurg^s les matieres inflammables accumulees par des requi- sitions anterieures ? Lecture est donnee par M. le commissaire du gouverne- ment des ordres donnes par Delescluze et les autres membres du Comite de salut public. Le commissaire du gouvernement passe a la deuxieme parlie de son requisitoire, dans laquelle il examine l'ing£- rence personnelle des accuses dans Tinsurrection. — 123 — Ferre. — Le premier qui se presente est Ferre ; il est aussi celui contre lequel s'elevent les charges les plus serieuses. Cependant vous l'avez vu a l'audience sourire au recit des atrocites qu'il a commises, et garder le front haut devant la reprobation generale. II a, dans son passe, quatre condamnations pour de- lits politiques ; il a figure au proces de Blois. II a ete membre de la Commune, delegue a la police comme second de Texecrable Raoul Rigault. II a ete le promoteur et Texecuteur des hautes oeu- vres de la Commune. II a fait assassiner Viallat, puis Veysset, apres r avoir depouille ; il a preside a Fassas- sinal des otages ; il a signe Tordre de fusilier les gen- darmes detenus a la prison de la Sante. C'est lui qui a allume Tincendie de la Prefecture de police et fait flamber les finances. On retrouvera la main et la ferocite de cet homme dans toutes les iniquites de la Commune. Dans la seance du 18 avril, il a demande F execution des pretres, et notamment de Mgr Darboy, et cette proposition a ete votee a Tunanimite. Vous avez entendu avant-hier la deposition ecra- sante de M. Lasnier. II en resulte que Ferre presidait, le 24 mai , a la mairie du onzieme arrondissement, a des jugements sommaires, et qu'il a fait tuer sous ses yeux, a coups de pistolet, deux malheureux agents de police. L'execution eut continue si un officier de fe- deres n'avait refuse de fournir des hommes pour faire Toffice de bourreaux. L'audience d'hier a revele d'autres faits. Les temoins Baudard et Cave vous ont rapporte les propos atroces tenus par Taccuse a propos des incendies du boule- vard Voltaire. Enfin, la deposition de Costa signale sa — 124 — presence a la Roquette dans toutes les journees d'exe- cution. Je perdrais mon temps et le votre en discutant les nombreuses charges qui pesent sur lui. Assi. — Assi, Tagitateur du Creazot; Assi, membre de rinternationale, du Comite central, de la Commune; Assi, le directeur de la fabrication des bombes ineen- diaires et de projectiles asphyxiants, est Tun des pre- miers chefs de cette insurrection qui a mis la France a deux doigts de sa perte. Vousravezvu al'audience accepter la responsabilite d'une partie des charges qui pesent sur lui, et discuter avec la plus grande audace la legitimite de la revoke. Mais il rejette bien loin la responsabilite des assas- sinats, des incendies, des grandes iniquites de la Com- mune. II s'est refugie, dit-il, dans la fabrication des munitions, et, a partir de ce moment, il est reste etran- ger a ce qui se faisait dans la Commune. J'ai etabli precedemment la responsabilite qui en at- teint tous les membres, et je ne reviendrai par sur ce sujet. II a d'ailleurs signe le decret sur les otages, qui, je Tai etabli, a ete leur arret de mort. J'ai vise, dans mes conclusions contre Assi, le chef particulier d'embauchage, parce que, presse par le temps, et en presence de renseignements insuffisants, j'avais adopte sur ce point l'avis de M. le rapporteur. Depuis, rien n'est venu prouver que personnelle- ment Assi ait commis Tacte d'embauchage. Cependant, des pieces officielles, dont je vais don- ner lecture, suffisent a etablir contre la Commune en- liere Taccusation d'embauchage, et, par suite, a incri- miner Assi. — 125 — II ne me sera pas difficile de prouver que ces ma- noeuvres constituent le crime d'embauchage prevu par Particle 208 du Code de justice militaire. On lit, en effet, dansle rapport de M.Langlois (page 663). (Lecture d'extraits du rapport.) Maintenant, je dois expliquer au Conseil pourquoi le crime n'a pas ete impute egalement aux autres membres de la Commune. Je declare en toute sincerit6 que je n'avais pas, au jour ou j'ai pose mes conclu- sions, connaissance des pieces incriminees. Dans Tespece, et pour faire bonne et egale justice, le Conseil pourrait, apres le prononce du jugement du proces, ayant reconnu le fait d'embauchage constant, renvoyer les autres membres de la Commune au ge- neral commandant la premiere division militaire, pour qu'il soit procede a Tinstruction sur ce fait. Ceci resulte de Tart. 142 du Code de justice militaire. Urbain. — Pendant que Tennemi assiegeait, blo- quait et bombardait Paris , Urbain perorait dans les reunions publiques et se faisait Tinterprete aupres du gouvernement des revendications du Comite de vigi- lance, dont il etait membre. Nomme a la Commune en tete de liste pour le sep- tieme arrondissement, a Tadministration duquel il fut delegue, plus tard membre de la Commission d'ensei- gnement, il s'installa a la mairie avec sa concubine. Auteur ou complice d'arrestations arbitraires et de se- questrations, il depouillait ses prisonniers et parait sa concubine de leurs bijoux. En raeme temps il gaspillait la caisse de Tenseigne- ment : lorsque la crise devint prochaine, il en repartit le reste entre ses complices. il. — J26 — II est inutile de revenir sur F affaire Landau, qui de- voile toutes ces turpitudes. Membre de la commission militaire, Urbain visitait les casernes, les remparts, se faisant suivre de son or- donnance, tous deux montes sur des chevaux voles. — C'est, du reste, dans cet equipage qu'il se rendait a l'Hotel de ville. II a vote pour restitution du Comite de salut public; il a signe un ordre.de perquisition, au bas duquel il enjoint de bruler la cervelle aux recalcitrants. Billioray. — Billioray , qui a ete membre du Comite central, de la Commune et du Comite de salut public, qui a preside maintes fois les clubs et les assemblies deliberantes, qui a pris une part tres-active aux mesures extremes du gouvernement insurrectionnel, Billioray ne veut cependant pas admettre, en ce qui le concerne, la responsabilite des crimes commis sous le regnedela Commune. II pretend, au contraire, se poser devant la justice comme un defenseur des opprimes. En suppo- sant, ce qui n'est pas etabli, qu'il ait contribue a la de- livrance de quelques prisoriniers, il a sa part de com- plicity terrible dans les crimes provoques par les arrets de la Commune. II pretend s'etre demis de ses fonctions au moment ou Paris allait succomber. Sa pretention n'est pas fondee ; mais, le fut-elle, je l'ai dit, ce serait une lachete de plus : la place de ces fougueux tribuns etait aux barricades, a cote des malheureux qu 1 ils avaient armes et qui ont paye de leur sang la lutte fratricide qu'ils ont soutenue. Mais le nom de Billioray, inscrit au bas des manifestes adresses au peuple et a Farmee, est pour nous le garant de sa persistance dans rinsurrection. Depuis les proclamations revolutionnaires du Comite — 127 — central lancees le 19 mars jusqu'au manifeste du 24 mai, le nom deBillioray se lit a chaque page dansle Journal officiel de la Commune. Et remarquez, messieurs, que le Comite de salut public, qui comptait Billioray parmi ses membres, a ete le veritable pouvoir executif de la Commune, dont il etait meme souvent Tinspirateur. Le nom de Billioray figure au bas du manifeste atroce auquel Texplosion de la poudriere Rapp servit de pre- texte. Billioray a signe des ordres d'arrestation dont je donnerai lecture. II est signale par ses coaccuses eux-memes commc un des fougueux energumenes de la Commune. Malgre ses delegations, il doit, plus que bien d'au- tres, porter le poids de la complicite dans les crimes releves contre les membres dugouvernement insurrec- tionnel. II etait un des principaux chefs du mouvement, il n'a pas droit a votre pitie. Jourde. — Loin d'admettre la moindre part de responsabilite dans les crimes de la Commune, Jourde a la pretention d' avoir bien merite de la patrie. Laissant de cote les charges si graves qui pesent sur lui comme membre du gouvernement insurrectionnel qui a mis la France et la societe en peril, il emploie tous ses moyens et son eloquence a vous prouver Tin- tegrite de sa gestion financiere. Malheureusement, il n'a oublie qu'une chose, e'est de conserver, pour vous les produire, les pieces probantes de son administration. Elles n'auraient pas tenu, sous son gilet, plus de place que les billets de banque qu'il y avait caches. Les chi-ffres qu'il vous apporte sont tout a fait ima- — 128 — ginaires et je n'abuserai pas de vos moments pour les discuter. Je me bornerai a faire ressortir les contradic- tions flagrantes de ses diverses narrations. La plus grossiere est celle qui a trait a Temprunt force qu'il a fait h la Banque. II en a evalue Fimportance, dans ses interrogatoires, a 20 millions, tandis que MM. de Plceuc et Mignot, deposent que la Banque ne lui acompte que 16 millions 691 mille francs. II a extorque cette somme sous la menace et la vio- lence : les declarations des temoins sont precises a cet egard. Du 19 au 22 mai, en trois jours, il a exige la remise de 2 millions 650 mille francs. Et il a Taudace de vous en expliquer Femploi par des distributions regulieres de la solde des federes, qu'a ce moment Tarmee frangaise refoulait en desordre de- vant elle. L'accuse avoue qu'il a distribue en partie cette somme a ses complices. Changeons les termes, et disons que ces dernieres requisitions ont procure a la majorite des chels de Tinsurrection les moyjens de se soustraire h votre justice. L'accuse a avoue d'ailleurs le desordre de son admi- nistration quand il a declare qu'il payait aux bataillons des sommes calculees sur un effectif six fois plus con- siderable que le nombre de presents. II vous a dit lui- meme que des bataillons de deux cents percevaient pour douze cents. Ces faits ne constituent-ils pas le pillage et la dila- pidation des fonds publics, dont a rendu temoignage la concierge du ministere des finances ? Ge n'est pas, d'ailleurs, le 18 mars que Jourde a debute dans la voie du desordre. Pendant le siege, il a fait partie des comites dont la — 129 - fusion a cree le Comite central, et il y a joue un grand role, ainsi qu'en temoignent les pieces de son dossier. En fevrier et au commencement de mars dernier, se- cretaire du Comite central, quoi qu'il en dise, ilcon- voquait les delegues et pronongait des discours dans lesquels il declarait l'armee destructive de toutes les libertes et devant etre bannie de Paris. II a signe les actes et decrets du Comite central pro- clamant la revolte contre le gouvernement regulier. II pretend qu'il n'y a pas d'attentat, parce qu'il n'y a pas eu complot. Mais il a ete un des instigateurs du complot sourde- ment ourdi dans les comites d'arrondissement pendant le siege, poursuivi par le Comite central et eclatant au 18 mars. J'ai etabli, pour lui comme pour les autres membres de la Commune, la complicite dans les crimes commis pendant l'insurrection. Je n'y reviendrai pas. Mais il a un chef d'accusation particulier a sa charge, le bris de scelles et le detournement de fonds publics. Le bris des scelles est constant, mais je crois que, pour le chef de detournement invoque contre lui en qualite de comptable, Tart. 169 n'est pas applicable. L'appliquer serait reconnaitre la legalite des fonc- tions qu'il a usurpees. Mais le bris de scelles etant constant et ayant eu pour objet le vol, c'est de l'art. 253 que je demande l'application. Cetle appreciation rentre parfaitement dans les faits incrimines par l'ordre de mise en ju- gement. En consequence, je prie le Conseil de repondre ne- gativement sur le chef d'accusation de soustraction des deniers publics dont il etait comptable, et, en meme temps, je prie M. le president de poser, comme re- — 130 — . sultant des debats, la question subsidiaire de vol commis a Taide d 7 un bris de scelles, prevu par Tart. 253, sans prejudice des autres chefs d'accusation. « Ce droit rentre dans les attributions duGonseil. » — Page 339, Foucher. J'ajouterai quelques mots : Vous avez entendu hier la deposition de M. Marie, qui se resume ainsi : Jourde s'est oppose a Tapposi- tion des scelles qui a ete faite par des agents du Tresor. L'incendie a ete allume au deuxieme etage, dont les cloisons et le plafond etaient intacts le 24 au matin. Le seul batiment preserve ne renfermait rien de precieux. II y avait dans Fappartement occupe par Taccuse quantite de bouteilles et de boites a cigares vides. On a pu sauver, le 24 au matin, les documents im- portants renfermes dans le cabinet du ministre et du secretaire general. Enfin Tincendie eiait prepare de longue main : les reservoirs etaient vides et les tuyaux creves. On avait employe pour Talimenter le petrole et les bombes in- cendiaires. M Mignot a repete devant vous les menaces de Jourde a chaque requisition. II vous a fait remarquer que la somme de 2,650,000 fr extorquee en trois jours, du 49 au 22 mai, ayant ete payee en billets, n'a pu etre employee a la solde de la garde nationale, a cause de Timpossibilite de la transformer en argent. Enfin, je trouve trois bons de trois mille francs, si- gnes Ferre, pergus, le premier, le 22 mai, le deuxieme et le troisieme, le 23, avec le « Vu bon a payer », signe Jourde. — 131 — Trinquet. — Trinquet est un fervent disciple do Rochefort; il a ete condamne en 1870 pour cris sedi- tieux et comme detenteur d 1 une arme prohibee et do munitions. Nomme membre de la Commune et de la commis- sion de surete generale, il a ete le collaborateur de Raoul Rigault et de Ferre. II a ete attache a la mairie du vingtieme arrondissement et charge specialement de la celebration des manages. II est signale par sa violence; il a ordonne des per- quisitions dans les eglises et chez les pretres. II est l'auteurd'une proposition presentee a la Com- mune dans la seance du 12 mai contre les gardes na- tionaux absents. II a ete trouve sur lui une somme de 1,230 fr., sans doute sa part de la distribution faite par Jourde sur le reliquat de la caisse des finances. Cet homme a participe a tous les actes de la Com- mune; il est en outre accuse d'avoir pris part aux exe- cutions faites les 25 et 26 mai a la mairie du vingtieme arrondissement. Trinquet a commis un acte de cruaute horrible, qui suffirait a le faire condamner impitoyablement : apres avoir preside a Tassassinat du malheureux Rothe, execute sans jugement, il a eu Tinfamie de decharger son revolver sur ce corps gisant a terre. II se trouvait d'ailleurs^ar son mandat a. la mairie, Fun des chefs de ce quartier de Belleville, qui s'est rendu celebre dans toutes les insurrections, et ou Tarmee a rencontre une grande resistance Les nom- breuses maisons ruinees de ce quartier en sont la preuve eclatante. Rien ne milite done en sa faveur, et je demande contre lui la rigoureuse application de la loi. — 132 — Champy. — Champy fiit, pendant le siege, un hote assidu des clubs; il y parla et se fit connaltre comme un adversaire du pouvoir. Aussi fut-il nomme membre de la Commune et de la commission des sub- sistances. Touj ours exact aux seances, il participa a tous les actes du gouvernement insurrectionnel, et il doit subir la responsabilite des mesures arbitraires prises et des suites des decrets criminels rendus. • Le 5 avril, il saisit la caisse du bureau de navigation du canal Saint-Martin. Le 21, il requisitionne 3,000 tuniques d'infanterie de ligne en magasin a la caserne du Chateau-d'Eau. Dans les derniers jours de Tinsurrection, il se cache quand le moment etait venu de defendre le gouverne- ment de son choix. Mais il n'oublie pas pendant le 24 de se rendre a la distribution faite par Jourde du reli- quat de la caisse des finances. Ce choix de Champy comme membre de la Com- mune nous prouve une fois de plus a quel point de degradation morale et d 1 aberration en etait arrivee la population de Paris. La piece suivante, qui nous est parvenue pendant les debats, prouve que Champy a persevere jusqu'au bout dans la voie qu'il avait prise, et qu'il a termine son mandat par un acte de ferocite : « Ordre de prendre les obusierset les obus a petrole pour bombarder le chemin de fer de Lyon. « Mairie du 20 e arrondissement. « Champy. » Regere. — Regere est un homme tres-dangereux — 133 — qui, depuis vingt ans, travaille arenverser les gouver- nements. Membre actif de flnternationale, il a des etats de service remarquables dans les annales du desordre. II est de ceux qui, profitant des malheurs de la patrie, se mirent a la tete de Pinsurrection du 31 oc- tobre. II ecrivait dans le De'mocrate des lettres qui lui va- laient des eloges des socialistes de Bordeaux (lettre du 7 aout). Dans le club democrate socialiste du cinquieme ar- rondissement, il conviait les membres actifs du comite de vigilance a former le fameux Comite central. Membre de ce comite, dont il etait aussi secretaire, membre de la Commune, il fut delegue a la mairie du cinquieme arrondissement, tout en continuant a pren- dre une part active aux actes gouvernementaux. Le 10 mars, il fut nomme membre de la commission des finances. Le 27 mars, il lancait dans le cinquieme arrondisse- ment une proclamation contre le gouvernement; le 15 avril paraissait unnouveau manifeste. Dans la seance de la Commune du 23 avril il fit une motion tendant a refuser toute demission de la part des membres du gouvernement. Le 25, il annongait une revolution a Bordeaux; nous le retrouvons les 28 et 30 avril appuyant la pro- position de creer un comite de salut public. II approuve implicitement, le 3 mai, le decret de la demolition de la colonne Yendome; enfm sa voix se fait entendre dans les seances orageuses des 5, 12, 17 et 19 mai. Sa presence 6st d'ailleurs constatee a celle du 22 mai. 12 — 134 — Je lirai au Gonseil trois pieces qui sont (Tune grande importance. Regere est un homme prudent. En s'embar-quant sur la mer orageuse de Finsurrection, il a songe qu'il pourrait faire naufrage, et, tout en vouant sans pitie a la.mort des milliers de citoyens par sa participation aux actes de la Commune, il en a sauve quelques-uns pour s'en faire un merite au jour de la justice. Ce n ? est pas tout; cet homme, qui atfecte des senti- ments religieux, repond par la menace aux instances de Tabbe de Claubry en faveur de Mgr Darboy II par- tageaitpour Tarcheveque de Paris la haine de Courbet pour la colonne Vendome. II ressent tellement le besoin de se produire, de faire parler de lui, qu'il provoque des temoignages accablants. Le commandant de Salicie vousa rapporte les maxi- mes de Taccuse : La France seule peat fonder le pou- voir. La Commune seule peat resoudre le probleme. II le depeint ainsi : « Esprit mal equilibre, capable de passer de la terreur rouge a la terreur blanche. « Le lendemain, ajoute le temoin, je trouvai M. Re- gere puisant dans un sac plein d'argent. II me dit avec une certaine jovialite : « Vous voyez que nous ne « sommes pas aussi gueux qa'on le pretend. » La deposition de Cuinet acheve de confondre cet homme sensible. La scene se passe le 25 mai, alors que Tarmee franchise s'avance a grands pas dans Pa- ris. Regere, qui voit le pouvoir lui echapper, accueillc les parents de Cuinet par des imprecations et des me- naces, et il rompt Tentretienparces mots significatifs : « Bon a fusilier. » Yoila Regere, messieurs, voila rhcfmme a la parole onctueuse, tout en Dieu, comme Urbain et Trinquet, — 135 — invoquant complaisamment le temoignage des pretres et des dominicains que la Commune, dont ils etaient les chefs, chassaient de leurs retraites et vouaient a la mort il y a trois mois. Par la participation directe aux manoeuvres des co- mites d'arrondissement qui ont precede Tinsurrection, par la participation aux decrets et actes de la Com- mune, par ses antecedents qui le signalent comrae un homme redoutable, Regere ne merite aucune indul- gence, et je reclame contre lui toute votre severite. Lullier. — Je ne peux mieux vous renseigner sur les antecedents de l'accuse Lullier qu'en vous lisant les deux pieces suivantes de son dossier. (Pieces 2 et 3.) II a nie avoir appartenuaTlnternationale, et cepen- dant les deux pieces suivantes prouvent qu'il a eu des rapports aveG cette societe (2 pieces, 16 et 17). II vous a fait lui-meme le recit des evenements qui ont precede le 18 mars ainsi que celui des journees suivantes. II a etabli, par cette exposition des actes preparatoires de l'insurrection, le complot, premier element des attentats imputes aux accuses et dont Jourde niait ['existence. II vous a appris ensuite la grande part qu'il a eue dans ces premieres journees, surtout au point de vue militaire. II vous a expose le plan strategique qu'il avait combine et execute dansle but d'enfermer Tarmee dans un secteur neutre. Remarquons toutefois que ces superbes conceptions et ces grandes manoeuvres frappaient dans le vide, puisque les regiments formant alors la garnison de Paris avaientregu, des le 18 mars, Tordre de se replier sur Versailles. — 136 — Devangant ensuite le role du ministere public, il vous a fait un tableau frappant du gouvernement du Comite central et de la Commune, requisitoire qui al- lege ma tache. II en a repudie les actes, les decrets, les crimes. II vous a meme devoile le mobile qui opere le mieux sur les masses populaires ; j'ajouterai qu'il reunissait lui-meme toutes les conditions pour en etre le chef. II a, d'ailleurs, eu la franchise de convenir que les chefs d'accusation d'attentat contre le gouvernement et dans le but d' exciter a la guerre civile resultaient bien de sa participation active au mouvement. Quant au fait d'avoir leve des troupes sans ordre ou autorisation du pouvoir legitime, il Fa discute ; mais le fait est constant puisqu'il avoue avoir reuni plus de deux cent mille hommes sous les armes. Enfin, son titre de general en chef des federes con- stitue le crime prevu par Tart. 93. Le crime d'embauchage est flagrant: Lullier est con- vaincu d'avoir adresse un discours a des soldats fran- Qais, dans lequel il les conviait a abandonner leur drapeau pour se joindre a Tinsurrection, en. leur pro- mettant bon gite, bonne nourriture et des grades. (Citerle commentaire de Tart. 208 du Code de jus- tice militaire.) Intelligent, ainsi que le constatent ses notes, et comme vous avez pu Tobserver dans les debats; actif, energique, connu par son courage, sa fougue et son mepris de la mort, Lullier eut parcouru sans doute une belle carriere, si son caractere insociable, son es- prit indiscipline, son orgueil, ne Tavaient entraine dans la plus mauvaise voie. II a donne dans son existence militaire Texemple de Tindiscipline et meme de la rebellion. — 137 — II a mis les qualites solides dont la nature Tavait doue au service du mal, et je n'hesite pas h declarer que Taccuse Lullier est devenu un homme dange- reux. La societe, qui a deja beaucoup souffert de ses pro- jets insenses et de ses criminelles entreprises, a le droit de demander des garanties pour Tavenir. La loi, messieurs, vous donne les moyens d'assurer ces ga- ranties a la societe. Rastoul. — L'education de Taccuse Rastoul, sa position de famille, rendraient sa presence dans ce mi- lieu isexplicable si Ton ne connaissait son passe. Son dossier nous revele qu 1 il a ete le president du club des Montagnards, ou se discutaient les theories de l'lnternationale. Nomme membre de la Commune le 26 mars, puis de la commission des services publics, qu'il abandonna pour Tinspection generate des ambulances, il ne quitta pas la plume et publia des articles dans les journaux les plus avances : le Mot d'ordre, le Vengeur, et dans Paris libre. II prenait en meme temps une part active aux deli- berations de la Commune, bien qu'il pretende aujoiir- d'hui s'etre renferme dans sa mission de medecin in- specteur. Le Journal officiel signale frequemment sa presence et ses discours. Oppose a la creation du comite de salut public, il preferait celle d'un tribunal responsable, compose des gens les plus capables et les plus energiques. Voyant la cause de la Commune perdue, il avait propose a ses collegues soit de se livrer au gouverne- ment regulier sous la condition d'une amnistie gene- 12. — 138 — rale pour Paris, soil de se rendre amies et bagages aux Prussiens. Sa presence a la seance du 21 raai demontre qu'il a cxerce jusqu'au bout le mandat qu'il avail usurpe. Cependant il a repousse, dit-il, tous les actes vio- lents et sanguinaires de la Commune, et il en rejette la responsabilite. Les principes generaux que j'ai etablis au debut de ce requisitoire font justice de cette pretention exor- bitante. Des hommes que la nature et Feducation ont faits intelligents, eclaires et bien superieurs a une masse ignorante, en auront excite les feroces appetits par leurs manifestes criminels, et, apres avoir allume I'in- cendie, provoque des desastres, fait couler des tor- rents de sang, ils pretendraient a l'impunite? Non, messieurs. II faut que justice soit faite, et que ces hommes soient punis des malheurs qu'ils ont ac- cumules par leur criminelle ambition. Grousset — Grousset appartient a cette classe de jeunes gens qui, a peine arrives a Tage viril, ont perdu ce qu'ils appellent des illusions, c'est-a-dire tout ce qui est sacre et respectable ; qui se croient des aigles pour avoir ecrit dans les journaux des articles incendiaires. Alors qu'une grandepartiede la jeunesse de France marchait a Fennemi, Grousset ecrivait dans Paris as- siege des articles dans les journaux les plus hostiles au gouvernement, la Marseillaise , VAffranchi , le Peaple. (Lecture des articles, piece A.) Plein d'orgueil et d'ambition, M. Grousset s'estcru, dans les circonstances les plus difficiles etles plus de- — 139 — licates, de taille k prendre le ministere des affaires etrangeres, acceptant ainsi sans hesitation la mission de plaider devant les puissances du monde la cause de rinsurrection. Vous connaissez son manifeste a TEurope, il a ete lu a la tribune nationale par le vrai ministre des affaires etrangeres. Ce manifeste tient la tete d'une assez longue liste d'elucubrations violentes de Grousset. Vous etes suffisamment edifies a ce sujet par la lecture que j'ai faite des manifestes des 25 avril^ 11 et 16 mai. Je vous lirai maintenant la profession de foi qu'il a publiee a Toccasion des elections de fevrier dernier. (Lecture de cette piece.) II etait present le 17 mai a la seance dans laquelle a ete decide le sort des otages. II accepte d'ailleurs, il vous Fa declare, la respon- sabilite des actes de la Commune. II a en outre a re- pondre devant vous de chefs d'accusation particuliers. 1° De soustraction et de suppression d'actes et de titres dont il etait depositaire. Ces titres consistent dans les dossiers soustraits du ministere des affaires etrangeres, notamment un dossier affaire Cluseret; dans les vingt dossiers distraits des archives, et princi- palement ceux qui concernent Taccuse Rochefort et Pierre Bonaparte. L'accuse pretend n'avoir jamais eu Tintention de soustraire ces pieces, et cependant on les a decouvertes dans des cachettes au domicile de sa maitresse. Done il y a eu soustraction et suppression d'actes et de titres. Ce chef d'accusation est vise par Tart. 173, ainsi coiiqu : (Lecture de Tarticle.) — 140 — Et, a ce propos, je vous demanderai la permission de vous lire quelques passages de cet article. (Pages 550, 551.) II en est un autre impute a Paschal Grousset, se rap- portant a un vol de papiers commis avec violence, par plusieurs personnes porteurs d'armes apparentes. Le temoin Grassiot a ecrit, dans la lettre adressee a M. le president, les lignes suivantes : (( Quoique cette requisition ne le dise pas, nous sa- vons, de source certaine, que ce papier requisitionne etait destine a Timpression du journal VAffranchi y appartenant au sieur Paschal Grousset, se disant dele- gue au ministere des affaires etrangeres. « Nous avons refuse de lui vendre du papier. Le sieur Paschal Grousset a trouve fort simple de faire prendre, a main armee, le papier que nous refusions de lui vendre. » Je dois reconnaitre que le temoin n'a pas ete aussi afiirmatif, dans sa deposition orale, quant a la com- mande anterieure qui aurait ete faite par Paschal Grous- set; mais il affirme que les demarches faites au mi- nistere des affaires etrangeres dans le but d'etre solde sont restees infructueuses. II est d'ailleurs etabli que ce papier a servi a la con- fection du journal VAffranchi, dont Taccuse etait pro- prietaire. Je maintiens dont le chef d'accusation, mais je prie le Conseil de le faire preceder, comme resultant des debats, de la question de complicite. Lecture de Particle 60. (Abus d'autorite et de pouvoir, ou machi- nations ou artifices coupables.) Pour elablir le vol vise par Tart. 382, j'ai a prouver : 1° Qu'il y a eu vol; 2° Que le vol a ete commis avec violence ; 3° QuMl a ete commis par plusieurs personnes; — 141 — 4° Que ces personnes etaient porteurs cTarmes ap- parentes. Pour etablir le vol, j'ai a prouver : 1° Qu'il y a eu soustraction ; 2° Que la soustraction etait frauduleuse ; 3° Que la chose soustraite appartenait h autrui. 1° Soustraction. (P. 45.) On invoquera peut-etre la restitution partielle du prix du papier. Je previendrai Tobjection par la lecture (Tun passage du commentaire. (P. 45.) 2° La soustraction est frauduleuse. (P. 55.) 3° Chose soustraite a autrui. Le vol existe done. II me reste a etablir : 1° qu'il y a eu violence; 2° que le vol a ete commis par plusieurs personnes; 3° que ces personnes etaient porteurs d'armes apparentes* La violence est flragante, il me suffira de recourir encore au commentaire (pages 270-271). Quant aux deux dernieres conditions, elles resultent de ce que la requisition a ete appuyee par un peloton de federes. II a ete etabli aux debats que des perquisitions ont ete faites au ministere des affaires etrangeres ; que Par- genterie en a ete soustraite ainsi que des sommes d'ar- gent, des objets de toute nature; que dans ce but des meubles y ont ete fractures. Or Taccuse ne peut nier sa participation a ce pillage qui se passait sous ses yeux. D'ailleurs, quand on a usurpe dans un ministere la place du titulaire, qui est naturellement responsable de Tentretien, on se substi- tue a lui dans la responsabilite comme dans les hon- neurs. Telle est la part qui revient a Grousset dans In- surrection. Je n'hesite pas a declarer que Taccuse Grousset a eu — 142 — la plus grande influence sur les actes de la Commune. Ses manifestes sont rediges dans le style le plus vio- lent; on y appelle le gouvernement et Tarmee: « les assassins de Versailles. » Son education, sa position de lamille, le rendant plus coupable que la plupart des autres accuses, je le livre en toute confiance a votre justice. Verdure. — Verdure est un ambitieux qui, de Thumble poste d'instituteur primaire, a reve de sortir de son milieu pour faire parler de lui. II a la haine du pretre ; mais c'est un philanthrope utopiste, enthousiaste des theories sociales, sans avoir le jugement assez ouvert pour discerner le vrai du faux. II y a plus de vingt ans qu'il marche dans cette voie sans succes; il a pourtant, dans ces derniers temps, atteint la notoriete de son nom, but qu'il revait depuis longtemps; mais le voila retombe au bas de Techelle qu r il avait voulu gravir a grands pas. Membre de Tlnternationale, il avait trouve dans cette societe ses aspirations sociales. II se fit connaitre du parti democratique exagere ; il fut employe a la Mar- seillaise et a la Tribune ; il ecrivit une foule d'articles dans les journaux; il se fit Torgane des plaintes des ouvriers. Son dossier est plein de ses vagues theories sur le proletariat, II setrouvait dans son paysquandarriva le 18 mars; trois jours apres il etait a Paris, et les elections du 29 le firent membre de la Commune. ~j II suivit assidument les seances jusqu'au 20 avril, epoque a laquelle il fut delegue a Tadministration du onzieme arrondissement. — 143 — Gependant il vota presque toujours avec la majorite les actes et deerets qui forment le bilan criminel de la Commune. Ily fitune motion kTeffet d'interdire, sous peine de prison et d'amende, Tenseignement aux mem- bres des congregations et du clerge catholique. On trouve dans son dossier des pieces constatant des requisitions de vin, de voitures, deux regus chacun de vingt litres de petrole, pris chez Gharmoy, rue de Mon- treuil, 67, enfin une proclamation du 7 mai, aux ba- taillons de la onzieme legion, ainsi congue : (Lecture des pieces.) Ferrat. — Le commissaire de police de son quar- tier, dans un rapport au dossier, depeint Ferrat comme un homme violent, un fier-a-bras, satisfaitdelui-meme et faisant volontiers son eloge. C'est ainsi qu'il s'est montre k nous lors de son interrogatoire, mettant tous ses soins a etablir que son bataillon etait toujours aux avant-postes, et que lui, le commandant, ne perdait jamais le calme au milieu des obus. Le raeme commissaire de police emet cependant des doutes sur son courage, quand il dit qu'il n'a pris au- cune part aux derniers jours de la lutte. Ce nest pas la, du reste, la question, et Taccuse nous a explique son inactivite a ce moment par sa mesin- telligence avec les generaux de la Commune. Le fait de n 1 avoir pas paye sa proprietaire pendant une annee, ce qui coute a cette derniere une perte eva- luee a 260 fr., a ete explique plus ou moins bien par la loi sur les loyers et par la penurie dans laquelle se trouvait Taccuse. Cependantle meme rapport etablit que durant Tinsur- rection il avait les poches pleines d'or, et qu'il payaii genereusement les voitures qu'il prenait tous les jours. — 144 — Les faits releves k sa charge par Tordfe de mise en jugement sont constants, et il ne me reste qu'a deman- der contre lui Fapplication rigoureuse de la loi. Clement. — Clement est un ouvrier laborieux et honnete qui, pour son malheur et, j'ajoute, celui des autres, a pris pour guide le livre d'un homme remar- quable a plus d'un titre, mais le chef d'une ecole qui prechait F abolition de la propriete. N'ayant pas le jugement assez ouvert pour distin- guer la verite du sophisme, Clement s'est laisse en- trainer sur une pente fatale. S'il ne s'agissait ici que de fautes dont les suites ne fussent tombees que sur lui, je ferais appel a votre in- dulgence; mais il a consenti a s'ass'ocier a un gouver- nement insurrectionnel qui a menace peute-tre Tinde- pendance du pays et qui a certainement cause d'im- menses desastres. Si votre coeur est touche des temoignages honora- bles que vous avez entendus en sa faveur, vous ne de- vez pas oublier le coup fatal dont la Commune a frappe la patrie sanglante et mutilee. Gourbet. — Ce n'est pas sans chagrin que je vois au milieu de ces hommes declasses, que la paresse et Tenvie ont rendus criminels, un artiste de grand ta- lent. Mais, on nous Ta dit, si la nature Fa genereusement doue sous certains rapports, ses sentiments d'orgueil, de jalousie, le milieu dans lequel il a vecu, Tentrai- naient fatalement dans la voie qui Fa conduit sur ces bancs. II a participe a tous les actes de la Commune ; il y a meme fait personnellement une motion criminelle, il — 445 — etait present aux dernieres seances. II avait une haine stupide pour un monument eleve a la gloire de nos ar- mes, monument devenu plus sacre en presence des ca- lamites qui venaient de frapper le pays. Je conviens parfaitement que les mobiles qui ont amene Gourbet a participer aux actes de Tinsurrection n'ont rien de commun avec les doctrines de Tlnterna- lionale. Mais, quels que soient ces mobiles, il n'est pas moins constant que Gourbet doit supporter les consequences de la part de responsabilite que j'ai etablie pour cha- cun des membres de la'Gommune Occupant un rang relativement eleve dans la societe, jouissant d'une juste reputation comme peintre, d'une fortune independante due a son talent, Gourbet a pac- tise avec les homines de desordre, et s'est associe a leurs attentats criminels. C'est h vous de juger, Messieurs, si le merite de Courbet comme artiste , et surtout si la faiblesse de son jugement, dont ont temoigne les debats_, meritent quelque indulgence. Descamps. — II est d'usage, lorsqu'on veut avoir des renseignements sur la moralite d'un individu quel- conque, de s'adresser au commissaire de police; a plus forte raison est-on en droit de le faire quand il s'agit d'un accuse. C'est done dans la piece n° 16 du dossier de Des- camps, intitulee : Renseignements sur V accuse, que j'extrais ces passages : a Ses idees politiques etaient exaltees et il menagait continuellement les personnes qui possedaient des provisions de s'en emparer a son profit. Enfin, tous les 13 - Ufi — renseignements recueillis sur son compte sont des plus mauvais, soit sous le rapport politique, soit sous le rapport de la conduite. » II s'est montre particulierement dur et violent pour les soeurs qui dirigeaient Tasile, place de la Mairie, a tel point qu'elles ont ete obligees de prendre la fuite. II en voulait surtout a la soeur superieure, qui a du se tenir longtemps cachee et a eu toutes les peines du monde pour quitter Paris, oil elle ne se trouvait plus en surete. J'ajouterai, Messieurs, qu'il est un fait acquis, c'est que les hommes de la Commune ont poursuivi avec acharnement toutes les congregations religieuses, cel- ies des femmes comme celles des hommes. Je n'ai pas voulu faire parler longtemps devant vous M. le directeur des ecoles chretiennes qui deposait a decharge; mais il est un fait incontestable, c'est qu'il a confirme, en ce qui concerne les soeurs, les rensei- gnements donnes par le commissaire de police. La participation de Descamps aux actes de la Com- mune est constante; la lettre, en date du 18 mar, qu'il adresse au colonel de la 14 e legion, pour demander que le poste de la mairie soit double le lendemain et jours suivants, nous demontre que son action usurpee s'est prolongee jusqu'a la fin. Parent. — Parent a accepte le mandat que lui avaient donne des elections illegales, decretees par un gouvernement insurrectionnel. Je vous ai expose les raisons qui lui ont fait accep- ter ce mandat; mais il avait, avant tout, un premier devoir a remplir, comme citoyen et administrateur du gouvernement regulier; il devait refuser des fonctions — 1 47 — qui le faisaientTadversaire declare du pouvoir legitime etle partisan du Comite central, qui avait leve l'eten- dard de la revolte. Puis, pendant la duree de son mandat, la Commune a decrete Tadresse aux employes des services publics, le manifeste du 30 mars, elle a decrete Tabolition de la conscription et la mise en accusation des ministres, actes qui constituent Tattentat contre le gouverne- ment. La Commune signait ensuite, le 3 avril, une procla- mation aux gardes nationaux, une autre au peuple le lendemain, actes qui constituent Tattentat ayant pour but d'exciter a la guerre civile. Enfin, en envoyant le 2 avril, contre Versailles, les bandes armees commandees par Flourens et Bergeret, elle assume la responsabilite d' avoir leve des troupes sans ordre ou autorisation du pouvoir legitime. Ainsi que je l'ai etabli, Parent, comme membre de la Commune, alors que se manifestaient ces attentats, a implicitement participe a leur preparation. Je declare cependant qu'il est digne d'indulgence. Messieurs, le parti auquel appartiennent ces hommes n'est pas vaincu. C'est a Farmee surtout de veiller au salut de la France. Vous rendrez ici a la patrie menacee les ser- vices que vous lui avez rendus sur les champs de ba- taille. Pour sauvegarder le pays et la societe contre des entreprises aussi criminellesque celles dont vous avez entendu le recit, vous emploierez la seule arme qui convienne a des juges, la loi, mais vous Tappliquerez dans toute sa rigueur contre les chefs des assassins et des incendiaires. Rappelez-vous, Messieurs, en entrant dans la saile — 148 — des deliberations, les paroles prononcees dans sa de- position par un venerable missionnaire : « J'ai vecu pendant vingt-cinq ans au milieu des sauvages, et je n'y ai rien vu d'aussi horrible que ces faces d'hommes et de femmes acharnes contre nous dans le trajet lugubre de Mazas k la Roquette. » LE JUGEMENT AUDIENCE DU 2 SEPTEMBRE M. le president donne lecture des504 questions concernant les dix-sept accuses presents, puis il indique le verdict sur chacune d'elles, et enfin il prononce les pein est-il ecrit dans Tentete en caracteres doubles de ceux employes d'or- dinaire ? M. de Rochefort voulait evidemmentrappeler sur ce mot 1'attention publique^ et il n'est pas admissible que Timpression de caracteres exceptionnels ait ete faite sans une expresse recommandation. D'autre pari, les otages se composaient en grandc partie de pretres, de gendarmes ou d'agents de police, que M. de Rochefort avait constamment calomnies et diffames Que n'avait-il pas dit, en effet, pour eveiller 17 — 194 - contre eux et entretenir la haine de la population pari- sienne ? ne les avait-il pas designes depuis long- temps a la fureur aveugle des sectaires de la Com- mune ? L'article du 20 mai n'etait-il pas ecrit Favant- veille du jour de Tentree de notre armee dans Paris, au moment oil Fexasperation etait a son comble, au moment ou une etineelle suffisait pour tout embraser ? Pour nous, Particle du 20 mai complete celui du 5; cet article est tout entier, nous le repetons, une provoca- tion au massacre. Le redacteur en chef du Mot dCordre devait, mieux que personne, se rendre un compte exact de Tetat des esprits; il savait bien que ce seul mot « otages » pou- vait precipiter la catastrophe. II a prononce ce mot provocateur, demandant de pretendues represailles pour un malheur dont la masse peu eclairee pouvait nous accuser, mais dont le plus simple bon sens de- vait nous absoudre. Pour nous, il fait plus que partager avec les executeurs la responsabilite de ces horribles attentats. Enfin, lorsque Theure de la justice a sonne, lorsque la Commune, acculee dans ses derniers retranchements, va expier ses forfaits, son champion declare, M. de Rochefort, va-t-il bravement rester sur la breche, au milieu de ceux qu'il a fanatises? Non. M. de Rochefort les abandonne, il cherche h se rendre meconnaissable, prend un faux nom etfuit. Mais la justice Tatteint, et, au nom du pays en peril, au nom de la societe indignement outragee, elle le retient pour lui demander compte de ses actions. En consequence des faits qui precedent, nous sommes d'avis qu'il y a lieu d'ordonner la mise en ju- gement de M. de Rochefort-Lugay, homme de lettres. ( Suivent les rapporls sur Maret et Mourot, relevant surtout — 195 — les articles signes ou non signes qu'ils ont publics dans le Mot oVordre, et concluant contre eux aux memes chefs d'ac- eusation que contre Rochefort.) REQUISITOIRE Monsieur le president, Messieurs les juges, Vous avez juge les chefs de Finsurrection du 18 mars; les accuses d'aujourd'hui ouvrent la serie des chefs occultes. Les premiers ont combattu le gouver- nement avec les bombes a petrole , les executions sommaires, les torches incendiaires; ceux-ci ont em- ploye des armes non moins terribles. Leur plume trempee dans le venin et dans le fiel a agi dans Tom- bre, mais elle a fait de cruelles blessures. Par des ar- ticles infames, ils ont repandu le mensonge, Tinjure, la calomnie sur tout ce qu'il y a de jJus sacre et de plus respectable; ils ont preche le crime et se sont donne la satisfaction de le voir commettre sous leurs yeux. Le premier des accuses a ete un des chefs de cette ecole detestable quia perdu nombre de jeunes gens honnetes et intelligents, et qui a contribue a jeter en France les germes de la demoralisation qu'il faut se hater de faire avorter. Je rappellerai tout a Theure les antecedents de cet homme qui est parvenu a une cele- brite malsaine. Vous savez deja, Messieurs, la voie qu'il a suivie avant d'arriver sur ces bancs : toujours a Taffut du scandale dont sa vie n'est qu'un long exemple, il n'a — 196 — jamais rien respecte; il a fait bon marche de tout : la famille, la religion, la patrie, rien n T a trouve grace devant ses violentes attaques. Ce commerce Pa enri- chi : la Lanterne lui rapportait 25,000 fr. par semaine. (Test qu'en ce temps ou Tamour du prochain tend a devenir un mythe pourfaire place a Todieuse envie et aux sentiments les plus abjects, il est tres-fructueux de speculer sur Tattrait des publications scandaleuses. Joueur effrene, Rochefort a, d'ailleurs, jete au ha- sard une partie de ce bien mal acquis. Avant d'aller plus loin, je dois eclairer le Conseil sur les antecedents des accuses, et, pour etre exact, je lui demanderai la permission de faire lecture des no- tices suivantes, puisees a bonne source. Je commence par M. Rochefort. Le comte Henri- Victor de Rochefort-Lucay est ne a Paris, le 30 Janvier 1830. Eleve, a litre de boursier, au college Saint-Louis, il adressa, en quatrieme, au due de Montpensier, une piece de vers qui lui valut un porte-crayon d'or. II composa aussi, pour unconcours des jeux floraux, un sonnet a la Vierge. II avait ete admis, depuis le l er Janvier 1851, comme expeditionnaire dans les bureaux de THotel de ville. En 1861, il etait nomme dans cette administration sous-inspecteur des beaux-arts. II donnait sa demission en 1865, epoque ou des suc- ces au theatre et dans la presse parisienne lui avaient fourni les moyens de conquerir toute sa liberte. II entrait dans la vie politique en 1866 en publiant dans le Figaro des chroniques qui attirerent sur ce journal les rigueurs administratives. La collection de ces chroniques a ete publiee en 1866, 1867 et 1868, sous les titres de : Les Francais de la decadence, — La grande Boheme, — Les signes du temps. — 197 — ficarte du Figaro par les menaces de radministra- tion, Rochetort profita de la loi liberate du 11 mai 1868 pour fonder un journal personnel, la Lanterne, dontle premier numero parut le l er juin suivant. Ro- chetort vint lui-meme demander Intervention de M. Pietri, alors prefet de police, pour obtenir Tautori- sation de vendre son journal sur la voie publique, an- terieurement a la publication du premier numero. (Test a partir de ce moment que commence la serie des condamnations subies par M. de Rochefort. Le 5 aout, il etait condamne a 50 francs d' amende pour avoir omis d'inserer, dans le numero de la Lanterne du 25 juillet 1868, un communique qui lui avait ete adresse par l'autorite publique anterieurement a la publication dudit numero. Ge communique repondait al'accusation portee contre le gouvernement d' avoir tenu enferme a Gharenton, plus de dix-huit mois, le sieur Sandon; il consistait en un rapport de M. Tou- rangin, senateur, publie au Moniteur universe! du 20 fevrier 1863. Le meme jour, Rochefort etait condamne a quatre mois de prison et 200 fr. d'amende pour avoir, le 9 juillet 1868, porte volontairement des coups au sieur Rochette , imprimeur du journal V Inflexible, a Paris (voir le Droit des 6 et 23 aout 1868). A Toccasion de la publication du n° 11 de la Lan- terne, M. Rochefort etait condamne par defaut, le 14 aout 1868, pour offenses envers la personne de Tem- pereur et excitation a la haine et au mepris du gou- vernement, a une annee d'emprisonnement et 10,000 fr. d'amende. A Toccasion du treizieme numero de la Lanterne, M. Rochefort etait condamne par defaut, le 28 aout 1868, par la sixieme chambre du tribunal correction- nel de la Seine, a treize mois de prison et 6,000 fr. 17. — 198 — d'amende, pour offense envers la personne de Tempe- reur, excitation a la haine et au mepris du gouverne- ment et outrage h une religion reconnue en France. Le 26 juin 1869, il etait condamne de nouveau pour excitation a la haine et au mepris du gouvernement, offenses envers Tempereur, et de complicite d'intro- duction en France d'un journal etranger non autorise, atrois annees d'emprisonnement, 10,000 fr. d'amende et interdiction, pendant un espace de temps egal a la duree de la peine contre lui prononcee, des droits mcn- tionnes en Tart. 42 du Code penal. A la suite de ces condamnations repetees, M. Ro- chefort devint un veritable personnage politique ; il fut porte comme candidat aux elections generales de mai J 869 dans la septieme circonscription, et obtint au premier tour de scrutin 10,033 voix sur 34,308 vo- tants. Au second tour de scrutin, pour s'assurer les voix de M. Cantagrel qui se desistait en sa faveur, il donna a ses professions de foi un caractere socialiste qu'elles n'avaient pas eu d'abord et reunit 14,786 voix, contre 18,267 obtenues par M. Jules Favre. Aux elections partielles du mois de novembre, il fut porte comme candidat dans la premiere circonscription et, bravant Texecution des jugements prononces contre lui, il rentre en France pour se jeter de sa personne dans la lutte. Dans les reunions publiques organisees ensa faveur, il accepta un mandat imperatif et s'engagea a venir regulierement rendre compte a ses electeurs deses ac- tes et a prendre leurs ordres. II fut elu par 17,978 voix, sur 34,461 votants. En execution des engagements pris par lui, M. Ro- chefort rouvrit, a la Villette, des reunions publiques, — 199 — ou il fit decreter la fondation d'un journal ayant pour titre : la Marseillaise. Elu redacteur en chef, il eut pour collaborateurs, designes par les clubistes, MM. Flourens, Milliere, Arthur Arnould, Ducasse et autres orateurs des reu- nions publiques. Dereure futle gerant. Apres le meurtre de Victor Noir, M. Rochefort atta- qua le gouvernement avec tant de violence que les nu- meros des 12 et 13 Janvier 1870 du journal la Marseil- laise furent saisis. La Chambre ayant, a la majorite de 224 voix contre 34, autorise les poursuites, M Rochefort fut cite le 22 Janvier devantla sixieme chambre du tribunal correc- tionnel et condamne pour offense envers la personne de Tempereur et les membres de la famille imperiale, et pour provocation a commettre un ou plusieurs cri- mes, a six mois de prison et 3,000 fr. d'amende. Le7 fevrier, en execution du jugement rendu le 22 Janvier, M. Rochefort fut arrete a la Villette, au mo- ment ou il allait presider une de ses reunions publi- ques. Gustave Flourens, qui s'e trouvait a la salle de la Marseillaise en apprenant son arrestation, donna le signal d'un soulevement promptement reprime. Le 4 septembre, M Rochefort fut delivre par le peuple de la prison Sainte-Pelagie, ou il avait ete ecroue, et proclame membre du Gouvernement de la defense nationale. On saitle role efface qu'il joua jus- qu'au 31 octobre, et son attitude assez extraordinaire dans la soiree de ce jour. Apres avoir ete president de la commission des barricades il donna, le l er no- vembre, sa demission de membre du Gouvernement de la defense nationale. Le 3 fevrier, il publiait le premier numero du Mot d'ordre, journal destine a remplacer la Marseillaise. — 200 — C'etait un moyen d'assurer le succes de sa candidature aux elections de fevrier. II obtint a Paris 191,211 voix, et fut elu le sixieme. 11 se rendit aussitot a Bordeaux pour remplir son mandat legislatif, et c'est dans cette ville qu'il apprit la suppression du journal le Mot (Tor- dre par M. le general Vinoy, commandant en chef de Tarmee de Paris. Je passe aux faits particuliers qui concernent l'accu- se Mourot. M. Mourot (Charles-Eugene) est ne a Nant-le-Grand (Mease), le 16 fevrier 1848. Sieve au seminaire de Verdun, il vint a Paris en qualite de professeur, en attendant Tage voulu pourTordination. Mais quelques articles theologiques publies par lui et vivement bla- mes par M. Veuillot le determinerent a renoncer a Tetat ecclesiastique. II avait commence des etudes de droit que rinsuffi- sance de ses ressources Tavait oblige de suspendre, et il travaillait depuis trois ans, comme redacteur, au grand Dictionnaire universal du dix-neuviems siecle de Pierre Larousse II avait aussi collabore a quelques feuilles du quartier latin , ou il s'etait fait remarquer, en plusieurs circonstances^ par ses idees avancees. Le 2 novembre 1867, on Tavait vu au cimetiere Montmartre, prenant part a une manifestation aux abords de latombe de Manin. Le 24 fevrier J 868, il etait alle deposer une couronne sur la place de la Bastille, et avait proteste par lettre (voir le Siecle du 28 fevrier 1868) contre les mesures de police prises pour empecher ces manifestations. Au mois de novembre 1869, il declara Fintention de publier un journal non politique, ayant pour titre : le PereDuchene. II elait, en effet, le prete-nom de Gustave Maroteau, ancien secretaire de Jules Valles, et encore — 201 — trop jeune pour pouvoir prendre la gerance (Tun jour- nal; ses collaborateurs etaient Alphonse Humbert, Vermesch et Charles Longuet;les deux premiers deve- nus tristement celebres sous la Commune par la re- daction du Pere Duchene, et le dernier charge, sous le meme regime, de la direction du Journal officiel. Des le premier numero (2 decembre 4869), le jour- nal le Pere Duchene viola ouvertement la loi en traitant de matieres politiques. La 6 e chambre du tribunal civil de la Seine, dans son audience du 8 decembre 1869, condamnale gerant Mourot a deux mois d'emprisonnement et a deux amendes de 100 fr chacune, pour publication, dans les numeros des 3 et 4 decembre, de matieres politi- ques sans avoir verse de cautionnement. La suppression du journal nonobstant appel fut en meme temps prononcee (Droit du 9 decembre 1869). Le journal ayant continue de paraitre, Mourot fut condamne, le 22 decembre 1869, a trois mois de prison et trois amendes de 100 fr. (peines se confon- dant avec cellesprononceesle 8 decembre), pour avoir insere des matieres politiques dans* les numeros des 7, 8 et 9 decembre, d'une feuille non cautionnee (voir le Droit du 23 decembre 1869). Le journal le Pere Duchene, dont trois numeros consecutifs avaient ete saisis, cessa de paraitre, M. Mou- rot ayant refuse sa signature comme gerant, et Tim- primeur Gaittet ses presses. Au mois de juillet 1870, M. Mourot declara a la pre- fecture de police avoir Tintention de publier un journal non politique, ayant pour titre : la Petite Marseillaise. A Fexpiration des peines encourues, il etait entre a la Marseillaise et avait collabore ensuite au Journal du Peuple. La Petite Marseillaise, fondee sous la di- — 202 — rection de M Rochefort, avait pour redacteurs : Arthur Arnould, Germain Casse, Paschal Grousset. Lors de la fondation du Mot cTordre, M. Mourot en- tra a la redaction de ce journal (3 fevrier 1 87-J ) avec les sieurs Rarberet, Georges Richard, Martin Bernard et Robert Halt. Apres le 18 mars, il se pronongait en faveur de la Commune, et allait a Rordeaux chercher M. Rochefort, assez grievement indispose. II le rame- nait a Paris, reprenait la publication du Mot cTordre, suspendue par decision du general Yinoy. Avant de poursuivre, je ferai remarquer au Conseil que la suppression du Mot d'orclre par le general Vi- noy appela sur lui la haine venimeuse de Rochefort. Yous le verrez poursuivre de ses outrages et de ses injures ce noble et brave general, dont F existence a ete un long sacrifice a la patrie, qui, malgre son age, vient de donner, dans ces derniers et funestes evenements, de nouvelles preuves de vigueur et d'energie. Rochefort, comme proprietaire et auteur du Mot (Tordre, est responsable de toutce qui y a ete publie. Mourot qui, sous le nom de secretaire, en a ete le gerant, qui avait dans son lot le chapitre des nouvelles du jour, qui dirigeait le journal en r absence de Ro- chefort, est egalement responsable. Le journal le Mot (Tordre, dont le titre seul trahitle but, a indique les crimes a commettre, les mesures violentes a prendre, et ses consignes ont ete stricte- ment executees. Destines a alimenter le feudeTinsurrection, ces ar- ticles, offerts en pature journaliere aux Parisiens, mais peu connus du reste de la France, doivent rece- voir la plus grande publicite. En resume, Rochefort s'est empresse, malgre son rial de maladie, de venir apporter son concours au — 203 — gouvernement insurrectionnel, et ce n'est pas le 10 avril qu'il est arrive a Paris, ainsi qu'il Fa pretendu d'abord, mais il y etait des le l er de ce mois. Ala proposition qui lui etait faite d'etre norame membre de la Commune, il a repondu par une lettre ou il se prononce comme son partisan devoue. Puis, apres avoir allume Tincendie, averti sans doute de l a prochaine rentree de Tarmee et effraye de la terrible r^sronsabilite qui pese sur lui, il quitte fur- tivement Pans le 19 mai, apres avoir cherche a don- ner le change sur sa determination. Par une lettre inseree dans le Mot et de l'armee seule, mais de la 8001616 tout entiere, qu'il prend la parole, M. le commandant Rustan reprend le recit de la journ£e du 18 mars. Nous reproduisons integralement cette partie du r£quisito*ire, la plus interessante au point de vue historique ou nous nous placons. Je n'ai pas a vous dire Tesprit de la capitale, ce se- rait inutile ici. Le crime a ete commis dans un espace restreint, avec trois etapes dans ce chemin de la croix. Le general Lecomte est amene brutalement a la rue des Rosiers. « On allait comme a un enterrement », disait un temoin! La force a laquelle il est remis s'appesan- tit sur lui jusqua son assassinat. Genty seul est accuse de cette arrestation pour s'en etre vante. Vous savez quels sont les officiers qui accompagnaient le malheu- reux general. Au Chateau-Rouge, le commandant Mayer le recoit! G'etait une terrible responsabilite dans cette situation, car, vous le savez, il fallait, disait-il, des garanties pour la fin de la journee. De quel droit retenait-on ces deux generaux? QiTa- 19. — 222 — vaient-ils fait? II vous faut des garanties pour la fin de la journee, et c'est Mayer qui vous le dit. Mayer va a Montmartre raconter au maire qu'il est depositaire d'un general et d'officiers. Le maire repond , sentant le peril : « Je vous charge de leur sauvegarde , vous en repondez ! » Et Mayer s'en charge. On croyait etre en surete. Mors, on s'occupe de ce dejeuner qui a peu servi aux prisonniers et beaucoup aux autres , car on a depense 86 francs. On interroge Mayer et ceux qui Tapprochent. II n'y a que des fideles dans cette forte- resse du dix-huitieme arrondissement, des purs parmi les purs ! (Test pourcela que Mayer, officier sans com- pagnie, est commis a la garde de ce qui sepassera dans le Chateau-Rouge. II a benevolement accepte cette responsabilite, et vous lui tiendrez compte de ce zele. Pendant le dejeuner, on demande au general Lecomte un ordre de desarmement. C'eut ete un tro- phee devant les pelotons purs et fideles! A defaut d'ordre refuse par le general, on lit un ordre faux ! Mayer, qui se prodigue, va de Fun a r autre. Avoir retenu des officiers malgre la loi et les moeurs etait une faute : Mayer en fit une bien plus grande en les livrant a la foule. Et Mayer a bien compris cette res- ponsabilite, car, dit-il, il n'a livre que sur un ordre ! Si cet ordre existe, que m'importe? Tautorite qui Fa donne est irreguliere! Le commandant Jurie, avant l'arrestation de Mayer, n'hesite pas a dire qu'il a vu au Comite Ras et d'autres et Mayer (Simon) : Mayer (Simon), un ami de vingt ans ! Lei il a omis le nom de Tami de vingt ans! Tout le monde, d'ailleurs, est venu a ce Comite, tous ceux qui etaient dans les idees de Mayer! C'est avec des instructions nouvelles du Comite que les officiers ont ete livres. Quelques hommes, a ce moment, craignant le pas- — 223 - sage de tout Montmartre, entendant les vociferations, les cris de mort, font des observations a Mayer : « Me- lez-vous de ce qui vous regarde, j'ai des ordres ! » repond Mayer. Et que dit-il aux officiers? « Je reponds de vous , mais je voudrais pouvoir repondre du gene- ral ! » Vous saviez done les desseins de ce comite, Mayer! On fait la haie , on marche pour aller rue des Rosiers pour trouver enfin le comite ! Vous avez vu ce chemin du Galvaire ! On tourne autour de Montmartre, dans les rues oil les passions sont les plus vives , et les cris de mort commencent aux grilles du Chateau-Rouge! Toute la population des barricades, avec tous ses elements, est la, surexcitee, sauvage! Les officiers marchent cepen- dant dignes; les clairons sonnent des marches triom- phales, puis, pour enlever lafoule rue des Rosiers, on sonne la charge ! On voit alors partir de la maison quelques individus qui se sauvent : ce sont les membres du comite; ils ont vu venir Forage, et ils se sont, eux aussi, lave les mains, et ils se sont retires. Gette ecume monte, monte, s'enivre elle-meme de ses cris, force la fenetre ! Quelle difference avec Tatti- tude a Taudience, ou tous declarent avoir voulu sauver les malheureuses victimes ! G'est dans cette atmosphere de colere et de haine que viennent le garde du genie Papegay, le capitaine du genie Lafosse, puis M. Dou- ville, puis M. de Montebello et Midavaine, les premiers prisonniers de la journee , pris soit comme espions de Versailles ou comme roussins. La foule s'avance, le bruit monte, et la foule vomit enfin comme une vague Clement Thomas ! Le general Clement Thomas etait un nouvel appat pour cette foule avinee, surexcitee. Les cris de mort — 224 — redoublent. les carreaux volent en eclats, et enfin tout cede sous la pression; la tourbe entre, on y voit les figures de toutes les revolutions ; Masselot est la , Aldenoff est la, Leblond est la, Chevalier est la, Ribe- mont y est deja ! Leblond est au premier rang, le fusil a la main, lui qui le matin a voulu tuer un capitaine ! Ah! si tous ne sont pas la, ceiix qui y sont ont ete reconnus, ceux-la, nous les avons, et vous' les gar- derez ! On veut tuer le general Clement Thomas dans la chambre ; il sort, le chapeau a la main. Vous savez qui a forme le peloton d' execution. Au lieu de dix-huit hommes au choix, on trouve trente hommes, cent, peut-etre deux cents hommes, car il y a soixante-dix balles dans le corps du general. Le malheureux a pu arriver jusqu'au mur, la tete haute, cette belle tete que tout Paris xonnaissait, et la, reculant a chaque coup, criant toujours ce cri qui a ete Torgueil de sa vie, il tombe.... Voila comment est mort ce repu- blicain ! Leblond, vous le savez, voyant faiblir un chasseur, a pris son arme, a ajuste, et a eu Thonneur de tirer le dernier coup ! Oui , je comprencls que le spectre du general Clement Thomas soit venu hanter les visions de vos nuits; je comprends que^ voyant venir les agents de la justice, vous ayez dit spontanement : « Je sais ce que vous voulez, on m'a vendu « ; on vous a vendu heureusement, car en vous vendant on a deli- vre la societe d 1 un danger de plus. Le general Lecomte sort ensuite la tete haute, apres un serrement de main furtif a un camarade , apres un mot d'adieu pour sa femme et ses enfants. II est si digue, que ces forcenes memes se dccouvrent devant lui. On se hate, on a peur de se laisser attendrir, et — 225 - on le tue Vehement par derriere. On le traine alors par les jambes et les pieds ; on le jette a cote de Fautre cadavre Vous rappelez-vous le grand crime de FHistoire sainte , raconte a votre enfance? C'est bien ainsi. Quand le sang a coule, quand les habits sont dechires, un remords epouvantable saisit la foule ! La maison de la rue des Rosiers devient une maison de desolation ! On ne retrouve la vantardise qu'au bas de la rampe, apres la premiere stupeur passee. Alors on brandit Tepee du general (Test je ne sais quoi qui reste dans la conscience la plus perverse, qui s'etait reveille. Le comite se rassemble. On se hate de se creer des droits a la mansuetude de la justice, on s'empresse aupres des officiers encore retenus, on sent la justice a venir ; ce forfait ne pouvait etre impuni. On se cree des droits a la reconnaissance et a Indulgence. Mayer, cependant, va voir cet invisible comite, et on relache ces officiers. On boit alors, les cadavres sont oublies, et le gou- vernement insurrectionnel peut commencer! Mais les cadavres sont toujours rue des Rosiers; un homme seul est reste. II voit un trou dans le jardin pour ensevelir ces deux nobles victirnes; il s'y oppose, place la lampe des morts dans la chambre, y transporte les cadavres. On les a ensevelis en soldats nobles et valeureux, sur une civiere, sur une porte; mais on se cache pour cet acle si respecte, et a deux heures da matin on va au cimetiereque vous connaissez. Quelle est la part de chaque accuse ? II faut ici se rappeler ce qu'a dit Mayer : « II fallait des garanties pour la fin de la journee ! » II nous faut a nous aussi des garanties pour notre securite , et, devant le crime 19.. — 226 - de la rue des Rosiers, nous ne les trouverons que dans la loi et dans le Code penal! En ouvrant ces debats, je vous en ai montre les graves difficulties : Pinstruction faite trois mois aprfcs le crime, ou etaient les accuses, les complices, les te- moins? Des tatonnoments successifs nous ont amenes au resultat d'aujourd'hui. J'esperai qu'ily aurait dela part des officiers cites des reconnaissances, et je ne me suis pas trompe. Bien des prevenus, arretes et mainte- nus pour avoir ete seulement rue des Rosiers, n'y ont pas ete, et il faudrales relacher ! Pour ceux-la, Pem- prisonnement preventif aura ete suffisant. Avoir ete implique dans cette affaire odieuse sera plus grave encore pour eux que la tache de la prison preventive. II n'y a pas de parti pris de ma part, vous le voyez ; je cherche avec la seule passion de la ve- rite, et si Pepithete d'assassin n'est pas retenue pour un accuse, nous demandons queleGonseil le relache ! Verdagner est le premier sur cette liste du crime : le premier, parce que son crime, sa desertion, remonte a huit heures du matin. II etait a Montmartre, occupe a combler les tran- chees, sous lesordres d'un jeune sous-lieutenant. Vous vous rappelez qu'une deputation menagante put alors descendre et demander a parlementer avec le general Lecomte. Les pourparlers ayant ete infructueux, on prononga alors ce mot qui vous a certainement frappes : « Eh bien ! alors, vous descendrez les buttes plus vite que vous ne les avez montees ! » Pour que cette deputation ait pu arriver, il fallait que le cordon eut ete force. La trouee a ete faite par Verdagner, il Ta avoue avec des variations; il Pa re- pele a qui a voulu Pentendre : « J'ai fait mettre la crosse en Pair; je iPai pas voulu tirer sur le peuple. » — 227 — II serait pueril de discuter la gravite de son crime au point de vue militaire et la gravite qu'il emprunle aux circonstances qui Font suivi. Sans lui, le general Le- comte serait peut-etre encore en vie, et cette interes- sante famille ne serait pas dans le deuil. (Test la une desertion h Fennemi : la loi etle Gonseil de revision ne permettent pas de douter a cet egard. Vous connaissez les nombreuses explications de Faccuse. S'il a mis la crosse en Fair, il en a regu For- dre ! Non, jamais on ne lai a commande de mettre Ja crosse en Fair! Vous avez vu son commandant, si malheureux h Faudience en presence de cette allega- tion, et dontla seule preoccupation etait de vous de- montrer qiFil avait tout fait pour retenir ses hoinmes et empecher cette defection ! Tous les bons soldats etaient encore fideles quand Verdagner a leve la crosse ! Tous les bons esprits ont rejoint le regiment ;lui seal a deserte Fhonneur, et a ete ensuite rue des Rosiers. On vous a accuse d'assassinat, Verdagner, parce que vous vous en etes vante; les temoins nous Font parfai- tement dit. Pendant un des soupers joyeux faits dans Fhotel du general Ambert, aux depens de sa maison et de sa cave, le sergent, devenu commandant, nVt-il pas dit : « J'ai ete de ceux qui ont passe au peuple. — Vous etiez au milieu de la foule, a Montmartre ? de- mande un convive. — Oui, j'ai fait mettre la crosse en Fair a mes hommes; je n'ai pas voulu tirer sur des peres de famille! J'ai fait plus : le general Lecomte m'ayant menace de me faire fusilier, j'ai pris les de- vants et c'est moi qui Fai fusille ! » Voila ce qu'il a dit, les depositions sont encore pre- sentes a votre esprit. Les filles Dagasse et Bonnard sont complices des vols commis par Verdagner chez le general Ambert ; chez — 228 — le general Ambert qui avait ete si bon pour ces femmes, qui leur avait donne dessecours etles avait employees ! Leur reconnaissance, vous la connaissez : elles volent et pillent; puis, pour tout cacher, on fait requisitionner la maison par le 91 e bataillon, certain que lorsqu'il aura passe dans Tappartement, tout y aura passe ! La fille Dagasse n'a pu, apres avoir bu ies vins du general, resister au desir de porter les bijoux de ses filles ! Verdagner a bien aussi voulu se parer des de- corations de cet officier, mais il n'a ose se compromet- tre aux yeux des purs de son bataillon ! Yous avez vu jusqu'ou allait le devouement de la fille Dagasse pour Verdagner ellelui a donne tousles effets du general, son paletot, ses bottes, son lorgnon meme ! II s'agit, pour ces deux filles, de vols domestiques avec toutes leurs circonstances aggravantes ! Les re- lacher serait compromettre les interets de la societe ! M. le commissaire du gouvernement declare abandonner 1'accusation pour Simonet, qui a eu des torts suffisamment expies, et dont le passe honorable repond de Tavenir. Pour Aldenoff, la deposition de Simonet, corroboree par d'autres temoins, he peut laisser aucun doute sur sa culpabilite. C'est Aldenoff qui s'est detache pour aller arreter le general Clement Thomas et le conduire a Ras, qui faisait fonction de capitaine commandant. Simonet a bien vu tout cela, et les allegations de Tac- cuse pour detruire ce temoignage ne sont que de ste- riles efforts. II y a eu en sa faveur des temoins a decharge com- plaisants; mais les complaisances de cette nature ne portent pas bonheur, et vous avez entendu leurs con- tradictions. — 229 — Rue des Rosiers, Aldenoff etait « des plus acharnes », vous a dit le capitaine Beugnot Si vous etiez rue des Rosiers, Aldenoff, c'est que votre nature vous y a pous- se Vous etes, pour toutMonlmartre, lepere Absinthe! Si vous avez ete blesse, c'est que vous vous etes cogne contre quelque porte en rentrant ivre, et alors vous avez eu besoin des compresses de la mere Lefevre, votre voisine de carre ! Nous arrivons a Ras, qui commandait le bataillon. L'accusation croyaitqu'il avait euunepart tres-grande dans Tarrestation du general Lecomte. On s'est etonne a bon droit de voir Ras quitter son bataillon a la Boule-Noire pour aller rue des Rosiers; mais cette opinion s'est modifiee a Taudience. Ce n'est pas le commandant fanfaron que Ton pensait : c'est un homme ayant de Faisance et de la consideration, mais qui est d'une insigne faiblesse, allant jusqu'a faire tout ce qu'on peutlui demander. Lui aussi a ete entraine par Famour du galon ! Quand on lui a offert le comman- dement de ce bataillon^ il a fait les observations que peut faire un bonnetier timide et faible, et il a accepte. Mais cas hommes faibles sont trop nombreux. Com- bien y en a-t-il dans le type du bourgeois de Paris, cet ennemi le plus dangereux de notre societe! Jamais on ne trouve ces hommes pour vous appuyer quand on a le droit de compter sur eux; mais ils sont de tou- tes les defections ! Au comite nous le trouvons encore tout aussi faible et indecis, ne faisant rien contre, mais ne faisant rien pour. Paris, cette capitale de la civilisation, est, grace a ces bourgeois peureux, devenu la ville que vous sa- vez, se courbant pendant trois mois sous la verge de quelques forcenes ! II y a de ce chef, de la part deRas, une complicite a Insurrection, et je leretiens. — 230 — Delabarre a ete vu rue des Hosiers, et cependant Temploi de son temps, le 18 mars, il pretend vous le donner d'une fagon minutieuse! Mais il y a un mal- heur : personne ne Fa vu ce jour-la dans !cs cndroits ou il pretend avoir ete. Les debats ne nous ont pas eclaire et je renonce a raccusation quant a lui : la pre- vention sera une peine suffisante. Chevalier (Alexandre), sergent au lo2 e bataillon, a ete implique de complicite dansTassassinat pours'etre vante lui-meme d'y avoir participe. Chevalier nie ces propos, mais ils ont ete tenus !... Tenez. si vous avez ete promu lieutenant par votre compagnie, c'estqu'on a voulu recompenser le zele que vous avez deploy e !... Que le Conseil apprecie... Chevalier pere a ete sacristain d'une petite eglise de village, comme Verdagner a Toulon. — II est non- seulement de sa personne sur ces bancs, mais il y a entraine son fils ! Yous savez ce qu'il est. II regrette den avoir pu descendre un deuxieme gendarme apres en avoir tue un premier. Tel pere, tel fils ! Si le pere a fait la chasse aux refractaires, le fils va faire lever la crosse en Fair, ou, avec Teuphemisme de Montmartre, fraterniser avec Tarmee. II y a, helas ! des laches parmi nous; mais, sachez-le, nous ne fra- ternisons pas avec ceux qui ont vos sentiments ! Chevalier a entraine Saint-Denis : celui-ci, peu au courant de ce qu'il faut faire, oublie le principal pour sortir, son fusil ! II en croit de suite Texperience de Chevalier et revient prendre son arme avant de mon- ter sur les buttes. Dejasur lesbuttes, Chevalier crie : « Amort! » et il demande la mort des officiers, non pas des soldats. Les soldats, c'est le peuple, mais les officiers, cen'est plus le peuple ! - 231 — Saint-Denis revient sur sa deposition premiere. Je fais ici appel a ses bons sentiments. Sa premiere declaration est la vraie. La prison ne lui avait encore rien dicte de contraire a la verite ! Ces appels au sang et a la mort sont certains, et il faut se les rappeler. Quant a Saint-Denis, s'il a Tage de Chevalier fils, combien peu il lui ressemble ! Entraine par le mauvais exemple, il a cede un instant. II est coupable, mais il a dix-neuf ans; il a une excellente famille, il ne fera pas d'eleves, et je demande sa rentree dans la societe. Le temperament de Gobin vous est connu. Ce con- cierge, malgre son age, est alle faire le coup de feu a Asnieres; il s'en est au moms vante. (Test lui, vous le savez, qui, pour savoir si le general Clement Thomas etait bien mort, a frappe le cadavre, Fa tire par sa barbe blanche. M. le commissaire du gouvernement declare renoncer a l'accusation relativement a Heffener, Saint-Denis, Flinois, Lelievre. II abandonne la question d'assassinat pour les accuses Du- ponl, Ras et Jurie, qui n'auront qu'a r^pondre de la part qtfils ont prise au mouvement insurrectionnel. II reconnait que Taccusation n'est pas suffisamment etablie pour les nommes Lair et Geanly, qui out pr6sent6 un alibi, el il declare s'en remettre a la sagesse du Conseil. M. le commissaire du gouvernement adressea Leblond des exhortations qui provoquent ses larmes. 11 rappelle qu'au moment de la chute de la colonne Yen- dome, Mayer a eu la honte ou plutot la folie de d^chirer le drapeau frangais a la vue de Tetranger aux portes de Paris. Vous avez voulu nous ravir notre drapeau, c'etait — 232 — une folie de voire part, dit en terminant M. le com- missaire du gouvernement; mais notre drapeau est sacre par ses malheurs! Nous avons a le rehabiliter, et, tantque nous sommes, nous voulons le garder! JUGEMENT (AUDIENCE DU 18 NOVEMBRE 1871) M. le president donne lecture du verdict aux termes duquel sont condamnes : VERDAGNER, LAGRANGE, Simon MAYER, MAS- SELOT, ALDENOFF, HERPIN-LACROIX, LERLOND, a la peine de mort; GORlN , aux travaux forces a perpetuite ; PONCIN et Arthur CHEVALIER en dix ans de la meme peine; KADANSKT a la deportation simple ; Francois CHEVALIER a dix ans de reclusion ; JURIE a cinq ans de prison ; SAINT DENIS atroisans, RIBEMONT et RAS a deux ans ; Alexandre CHEVALIER a un an de la meme peine. Dupont, Lelievre, Simonet, Flinois, Heffener, Genty, Lair, et les lilies Bonnard et Dagasse, reconnus non coupables, sont acquittes. FIN 9o48. — Paris, imprimerie Jouaust, rue Saint-Honore, 338. DOCUMENTS SUR LES EVENEMENTS DE 1870-71 LE DOSSIER LA COMMUNE DEVANT LES CONSEILS DE GUERRE PARIS LIBRAIRIE DES BIBLIOPHILES Rue Saint-Honore, 338 M DCCC LXXI Documents sur les evenements de 1870-71 FORMAT IN-l8 JESUS Literature officielle sous la Commune, 1 vol • . . , 2 fr. Trochu et Palikao, 1 vol . . ; 1 f r . Bazaine et Ghangarnier (Lettres, Discours, etc.) 1 vol 1 fr. Les Manifestes du Comte de Chambord et la presse parisienne. i vol I fr. L'Armee de Versailles (Depeches militaires, Rapport de Mac-Mahon) >. . 1 '50 La Crise constitutionnelle en aout 1871. (Proposition Rivet.) 2 fr. Messages de M. Thiers (i re partie — i er et 13 septembre 1 87 1 ) 1 fr. Situation industrielle et commerciale de Paris en octobre 1871 1 fr. Le Dossier de la Commune devant les CONSEILS DE GUERRE 3 fr. Tons les documents d'une importance reelle seront publies a mesure qiCils se produiront. TABLETTES QUOTIDIENNES DU SIEGE DE PARIS REIMPRESSION DE LA LETTRE-JOURNAL Un vol. in-8°. — Prix : 3 fr. La collection dc la Lettre- Journal se vend aussi en numeros detaches. NOTA. — La Librairiedes Bibliophiles a repris la publication de ses editions d'amateurs. — Demander le Catalogue. Library of Congress