A TRAVERS 1. !•: s JTATS-UNIS D'AMERIOIE AIMK JAY ANCIEN ^L£vE DE L'^COLE P O U Y T E C H N I Q U E OUVRAGE POSTHUME Pl'ULlK PAH LES SOI.NS De Ci. CJl AltlHAND ORNE DU PORTRAIT DE L'AUTEUR GRAVE A L'EAU-FORTE Pai A. ItII.MEIIT NIORT L. CLOUZOT, LIBRAIRE-EDITEUR 22, RUE DES IIALLES, 22 1884 L \c 8 Tire a 201) exoiiphiires lunncvolcfi. N' 146 ^1 7f S"?^- ^^%i/|;#; F rz 2-, A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE rOlTEnS. — IBPBIHEBIE THLMEB ET C* PREFACE Airn('' Jay est morl a Paris, le 23 novembre 1881, a peine ag6 de 42 ans, enlev6 dans I'espace de quelques heui'es a ralTeclion de ses parents et de ses amis par une maladie foudroyanle. On trouva dans ses papiers un voluminenx manuscril oii t'laient relatives jour par jour ses impressions pendant un voyage aux Etats-Unis et a La Havane. En 1879 Jay avail 616 envoy6 en Ani6rique par une grande Compagnie d'Assurances Parisienne, avec mission d'etablir et d'or- ganiser des agences Frangaises dans les villes les plus impor lantes. A son depart, il entreprit d'^crire un journal de voyage. Ce joui^- nal, destine en particulier a etre communique a ceux de ses amis qui avaient conserve avec lui des relations suivies, pouvait dans sa pens6e supplier, dans une certaine mesure, a une correspon- dance a laquelle illui paraissait impossible deconsacrer un temps suffisant pour donner satisfaction a lous. A son retour en France, ayanl relu son travail, il se d6cida, non comme on le lui demandait, a le publier tel quel, ce qui lui paraissait impossible, mais a se servir des documents dc toutes sortesqui s'y trouvaientaccumult'spour faireun ouvragenouveau. La mort ne lui a pas permis de donner suite a ce projet. Le jour- VI PRP.FACE nal de Voyage h (ravers les Elals-Unis d'Ameriquc est reste raa- miscrit lol qu'il avail e[v concu et 6crit dans le prinripe, c'esl-a- dire rt'digi- a la hale el souvenl memc sous forme de noles jelees siir line feiiille de carnel a bord dii paquebot, en cliemin de fer ou dans une chambre d'auberge. Monsieur Joseph Jay, pensanlelrerinterprelc d'une derniere volontt5,a fail imprimer quebjues excaiplaires de ce journal dans le bul de les adresser, a lilre de souvenir, a lous ceux qui oni 616 les camarades et les araisde son frere. Je me suis charge bien voloiiliers du soin de la publication, hcureux de trouver I'occasion de payer une delte de cauir a un camarade devoue qui, depuis le jour oii nous nous sommes li^s a I'Ecole Polyleclinique, est rest6 mon amile plus inliuie au milieu des vicissitudes de Texistence, dans la bonne comme dans la mau- vaise fortune. Apres avoir revu le manuscril avec attention, j"ai cru pouvoir le laisser imprimer dans son inl6grit6 ou a fort pen pres, eu 6gard a la publication Ires reslreinte dont il fail Tobjel ; je me suis conlenle de faire les cori'eciions indispensables et de rec- tifier quclques erreurs g^ographiques de detail dues evidemment a des renseignements inexaits ou incomplels. Tons ceux qui out eonnu FAuteur le relrouveront lout entier avec sa bonne et franche nature, son esprit original el son juge- menl sur, dans ce journal 6cnt sans pretention el au courant de la plume, sous I'impression immediate des 6v6nemenls du juur. Jay est un observaleur clairvoyant et circonspccl, mais I'en- thousiasme n'est jamais dans sa nature ; il demeure froid en pre- sence des grands phenomenesgi5ologiques : en revanche, il s'inl6- resse avec une cerlaine passion aux diverses manifestations du g6nie Am^ricain, quel qu'en soil I'objet, et 6tudie attenlivement tout PREFACE vn ce qui est d'oi'dre industriel, t^conomique ou social. II senible que les filatures du Pacific-3Iill, les Porking-Houses de Chicago el le grand chemin de fer du Pacifique aient le privilege de I'occu- per davantage que I'imposant spectacle des Chutes du Niagara ou des Groltesde Mammoth-Cave. Chemin faisant, il observe en cu- rieux les usages et les coutumes de la soci(5t6 Am^ricaine, et cri- tique spirituellementles travers et les ridicules dont il est lemoiii. Quelquefois ses impressions a ce sujet se traduisent par de veri- lables boutades, qui donnenl au recit un cachet tout a fait original. Les observations failes sur les mceurs Am^ricaines et les anec- dotes souvent assez curieuses, quilesaccompagnentcomme aulanl de fails a I'appui, constituent assur6ment Tun des cotes les plus attrayants decet ouvrage. Ajoutons qu'elles laissent toujours une id6e tr^s exacte de la vt'^ritable physionomie des populations liete- rog^nes qui composent ce que Ton est convenu d'appeler aujour- dliui le grand peuple Am^ricain. Au milieu de ce monde Yankee aclif et laborieux, mais gros- sierelmal6lev6, intelligent elauducieux dansscsenlreprises, mais depourvu de tout sentiment d'honneur et de probitc'^, religieux a sa maniere, mais hypocrite, ego'iste et intempL^rant, Jay rencontre quelquefois de braves gens qui semblent prendre a tache de faire oublier les dt^fauts et les vices deleurs compatriotes en offrant au voyageur Franc;ais une cordiale et g6n»5reuse hospitalite. Les pre- venances et les d^licates attentions dont il se voit alors entoure liii vont droit au cceur, et dans I'isolemenl, si loin de la palrie, lui paraissent prendre parfois des proportions fantastiques, comme il I'avoue naivemeul lui-meme en recevant a Saint-Louis le cadeau de Noel qui lui est gracieusement envoy6 de Chicago par Madame Rice. Sous une apparencedescepticisme, Jay est, en r^alitt', doue d'une grande sensibility : la plus k'-gere marque de VIII PREFACE sympalhie sufTil poiir I'omoiivoir, loules losfois qu'elle est I'expresT sion d'un sentiment sinctre, et il ne I'oublie jamais. Quand, apres avoir mis le pied sur le paquebot qui doit le ra- mener en France, il a dit adieu aux quelques amis qui soni venus lui serrerla main au moment du depart, il jette involontairement un dernier regard sur celte terre d'Am6rique qui! vioni de par- courir dans tons les sens, ot, songeant alors a tousles bons souve- nirs qu'il a laissc^s derriere lui a New-York, a Chicago, a San- Francisco et a La ISouvelle-Orlt'ans, il se sent envahir par une 6motion invincible, en d(^pit de son d6sir imnioder6 de revoir le pays natal. Les quelques paroles qui traduisent en ce moment les sentiments divers qui s'agilent en son coeursont, en quelque sorte, la conclusion des impressions conlenues dans ce journal. Latoucliante eloquence de ces paroles, qui ne saurait echapper apersonne, sutfit pour mettre en lumiere, sous un jour d'une v6rit6 remarquable, le caractere eminemment sympatbique de la personnalit6 d'Aimc' .lay. G. Charira.nd. Aiiii-I, 12 scpleniljie 1884. A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE GHAPITRE PREMIER DU HAVBE A iNEW-YOHK. — .NEW-YORK. — BOSTON Le Havre. — Le paquebot \' Amerique. — Traversce. — Les passagers. — Elegie funanibu- lesque. — Le suicide dun pitissier. — Dcbarquemeiit. — La douane. — Hoffmann-House. — L'ne cocotte 4 revolver. — Un heureux conducteur de car. — A Albany. — Les chemins de fer et les Drawing-cars. — Les bords de I'lludson. — Albany. — L'hoteL — Le nouveau Capitole. — Les ice-houses. — Retour h New- York. — Le theatre d'Aimee. — Une partie de crocket. — L'emigration des negres. — Une maison Americaine. — Ilistoire d'un super- intendant d'assurances et dun employe i tiroir. — Les fonclionnaires Americains. — liuc- kingham-Palace. — Le Lodger-Beer de M"' Yermerein. — Le magasin de Tiffany. — Une partie d'echecs. — Les cloches de Corneville. — Les demoiselles Americaines. — Ce qui arrive en cas d'accident. — Les dames et les maris trompes. — Suite du superintendant. — Fatinitza au theatre de la cinquieme. — Le prix dun diner serieux. — L' education des demoiselles. — La justice Americaine ; Fisk et Stokes. — Fisk et Vanderbilt.— Boston. — Le Shore Line Railroad. — Le passage de la Tamise. — Le menu dan diner Amcricain. — La ville. — Les residences. — Le Pacific-Mill : filature, tissage, impression. —Les faillites en Amerique. — Yisite 4 Greenwood. — Depart pour Niagara. .29 Mars 1 S79. — Quitte Paris Saint-Lazare a minuil 10"'. Ce n'est pas la meme chose que lors demon premier depart : les temps sent changes etaussi les coeurs. Tout passe, tout casse, lout lasse! Je pars avec mon ami Murray, de la maison Murray et Morris insurance- A TKAVEIIS LHS ETATS-U.MS IJ AMHKIOI E agents, Broadway, New- York, et son neveu Joseph Murray, age de 17 ans, qui va se former a la langue et aux affaires Americaines. A six lieures du matin on arrive an Havre; on s'installe ct on fait un tour a bord. — UAmrriqne est un beau bateau de 123 metres de long, IG de large au maitre couple, 4000 tonneaux de jauge, machine de 900 chevaux, gree en trois-mats. Ma cabine est comme toutes : deux lits superposes, un canape , deux pliants, une toilette double. Djuxceinturesde sauvetage sont accrochees au plafond et soigneusement iicelees, ce ({ui en renilrait Tusag.' fort difficile en cas d'accident. Nous faisons le tour des quais el nous dejeunons a I'Hotel de I'Amiraute. non sans quelque apprehension sur le sort futur de ce dejeuner. A neuf lieures arrivent cinq cents emigrants, la plupart Suisses, Alle- mands ou Alsaciens. On les entasse dans I'entrepont, liommes, fcmmes et enfants, sur quatre rangs de couchettes superposes. C'est une puantcur a faire reculer le coeur le plus solide. A midi juste nous partons, remorques par le Neptune et le Jean-Bart; a midi So"" nous franchissons la passe; deux coups de canon saluent la terre de France, on abaisse le pavilion ; nous sommes en mer et je vais me coucher. A cinq lieures j'essaycde diner; je suspends cette operation apres un potage au vermicelle et je retourne a nion lit que je n'aurais pas dii (juilter. /iOMrcs.— Malade. 31 Mars. — Malade. — Jevoque un souvenir romantique : Lulle hon-ililel ulil ([nuiid riioaime al'uli'oit sur la lerre A rOcean se livrc, il no se doulc guere De ce qu'll se lescrve; en vain il se dt-hat, La mer, la grande mer joue avec ses enlrailles, L'eslomac le [ilus fort succombe en ces batailles ; Le naufrago apres le comljal. V. Hugo (Navarin). i"' Arril. — .I'liprouve un mieux sensible; je mange dans ma cabine. 2 AcrU. — Le mieux continue. 3 AvvU. — Je suisgueri. Je monte surle pont; je dejeune a table. Depuis le depart, le vent est de bout et reste tel jusqu'a I'arrivee. La mer est devenue meilleiirc; on roule nioins. DU HAVRE A NEW- YORK Nous passons la revue des passagers : Un ambassadeur Russe et sa fcinnie, petit morceau d'americaine recolti'c a Washington >[m espere devenir anibas- sadrice. Un lieutenant de I'armee lederale, ('leN e de West-Point et sa femme, gens fort distingues, ne parlant pas francais mallieureusement pour moi : ils viennent de profiter d'un conge d"un an pour faire leur four d'Europe, et ont I'air de s'adorer ; ils ont avcc eux deux adoral)les enfants : un garcon de i ans et une fille de 18 mois, nes, I'une a S'-Paul de Minnesota et I'autrc dans les Black-Hills. Un ingenieur franc.ais, clrNc de I'Ecole Centrale, a la tete d'un laboratoire d'analyses cliimiques a New- York, M. ])'", fort aimable et bieneleve. Miss Jackson, jeunt' couturiere de New-York, vingt-trois ans, de \ilaines dents, un corset, mais ricn pour y niettre. Elle voyage pour son plaisir et je pense aussi pour celui de M. D ". Et environ trente ou quarante autres. A mon apparition sur le pont, un Monsieur bien mis, coilli' dun fez rouge et soigneusement rase, en dehors de ses I'avoris et desa moustadic, s'approche de moi et me demande de mes nouvelles avec bonte. Je le prends pour Tani- bassadeur. Au bout de quelipies instants, je crois que c'est un dentiste. Apres verification j'apprends que c'est un acteur de la Iroupe de Madame Aimee, ([ui fait les beaux jours de New- York on elle joue Toperetle. M. J'** est d'ailleurs un garcon distingue, n'ayant ricn dos allures du ca- bolin vuigaire. i .4 IT (7.— La nier recommence a grossir.Je me sens legerement incommode. Je me retire de nouveau dans mes appartements et j'y reste deux jours, par precaution et par paresse ; enlin, je fais sur le pontma reapparition definitive. 0, 7, 8 Avril. — La mer est bonne. En eCrivant ces notes je m'aper^ois que mon voisin est plonge dans une meditation profonde. Je m'informe du sujet et j'obtiens communication de Telucubration ci-dessous,dont je ne veux pas priver la posterite : Voulez-vous, chere Eugeniej Savoir ce qu'est un steamer ? Ecoutez cette elegie, (Ja sc dil siir uii vieil air. A TUAVEKS LES ETATS-UNIS D'AMEUIOL'E Aussilot que la lumierc Vient eclairer Thorizon, Un commence sa carriere Par line soupe a roigiion. A neuf lieures, Ton dejeuue : Tliu, vianJe froide, ceiifs, dessert ; On si, par liasard, on jcfine, G'est qu'on a le mal de mer. Snr les une lieure, Ton goiile, On prend dii the, du jambon ; Les uns cassent une croiite, D'autres hoivent un bouillon; Le Yankee bolt un foil verre De rhum, puissant digestif, Et la miss blonde prefcre Le pruneau, doux laxatif. Quand vient cinq hcuies, Ton dine ; Mais c'est comme au dejeuner : Les uns font joyeuse mine Et les aulres voient diner ; A neuf heures, chacuu rentrc Chez soi ; le calme se fait. A la porte de sa chainbre. On eulend un coup discret, C'est le sommelier qui passe, Une carafe a la main, Ue limonade a la glace Inondant Testomac sain ; On si, par basard, on souffre, 11 vous ofTrc avec bonto Du the noir que Ton engoufl'rc Sans aucune avidito. Cependant, dans Tintervalle, On se croisc sur le pont ; On expose son front pale Aux baisers de lAqnilon : On fait do la gymnastique; On dit : « Si c'elail lini 1 t On discutc politique, Du Ton (icril a Nini. De temps en temps vers I'arricre, On fuil subrepticcmeni, Soi-disant pour voir Torniere Que laissc le batimenl ; On regarde I'onde pure Avec des yeux allendris, nr HAVHE A \i:W-V(tliK Et Ton rend a la nature Le dejeuner cju'on a pris. On demande aux demoiselles De vous chanter au piano D'innocentes rilournelles e Mon liel ange on L'enfanl ilo. » On toiirne autour de leurs formes, On prcnd des airs scelerats ; On dit des choses cnornies Qui les font rire aiix eclats. Pour la blonde passagere On pousse quelque soupir ; Elle prend un air severe , Maisga fait toujours plaisir; Elle dit, la sage femnie ! « Pour qui done me prenez-vons? On repond : « Pour moi, Madame o Et ca calme son courroux. Parfois sur les baslingages On s'accoude, I'ceil rojeur, Pour regarder les nuages Fuyant a toute vapeur; On se sent lame altendrie, Ce qui vous rend I'air grognon, Et Ton reve a sa patrie, Comme le faisait Mignon. On sougc aux pauvres aimecs Dormant dans leurs tombeaux froid Anx caresses partumees, Aux longs baisers d'autrefois ; Aux diners dans les families, Aux amours des temps passes, Aux vieillards, aux jeunes filles, A tons ceux qu'on a laisses. Mais ee metier vous eurhume : Tchin ! Broum ! vous (''lernuez ! Ou bien un paquet d'ecume Vous arrive sur le nez ; A ce chocpeu poelique, Vos reves s'en vont au vent, Et vous reslez prosaique Et Gros-Jean comme devant; Et voila, ma belle amie, Le fidele et clair tableau De I'existence endormie Qu'on mene a bord d'un bateau. A I'liAVKHS \A:> KI'ATS-r.NIS DAMERIUUE 9 Avril. — \ous sommes a l;i veille do Tarrivee. Nous prenons le pilote. II arrivedans line petitueni!)arcatioii porlant iiii mat ct deux voiles; ces bateaux sont (Ic vraies coquillos do iioix avec lesquelles Ics pilotes font deux ou ti'ois cents niilles en mer. Ricn dc plus gracieux fpie ces petili's Ijanpies , (pii de loin ressemlilent a des goelands snr la vagiu^ Des (|ue le jjilote a mis le pied sur le pout, le cajiitaine lui reniet le commandemeiit et il est, apres Ijieu, maitre a bord. A neuf heures dti matin, nous croisons une goi'lette espagnole, cliargee de bois et dematee : « le Vcdoboro ». Pei'soniiea bord ; la merentreet sort par les sabords a chaque coup de bande et balaye le pont. Oii sont-ils ? Ont-ils essaye de se sauver dans les clialoupes ? Ont-ils ete recueillis par un autre bateau? Sont-ils morts:' La vue de cetfe carcasse inanimee et ballante a quelipie chose de higubre ! Oh! coinbieii ile mariiis, coinbieu de ciipitaiiies, Qui sont parlis joyeux pour les lerros loiiitaines, Dans le sombre horizon se sont evanouis ! (lomhien s'en sont alles, diiic el trisle fortune, Uans une mer sans fond, par une iiuil sans hiiie. Sous rOcean fatal a jamais eiifouis. V. Hiiio. A diner on festoie pour celebier I'arrivee. Le cuisinier s'est surpasse. Tout le monde est a table et de bonne humeur. A])res diner on devise sur le pont ; on cherche une heure a Tavance le phare de Sandy-Hook. Tout-a-coup j'entends chanter I'Artilleurl Yieux souvenir de jeuiiesse ! G'est M. D*", qui en compagnie d'uu auire passager, initio la jeuiie couturiere a ce refrain guerrier. Je me joins a eux et nous executons un cIiomu- a (piatre voix, ilont une fausse comme deux, (c'est la mienne). Nous descendons souper. Yu la circonstance, nousavons ordonne une forte (piantiti' de sandwichs comme mets con venable a desestoraacs delabres. Pen- dant ([ue nous nous charapagnisons a outrance, un cri retentit: « Un liomme a la mer ! » Tout Ic mondr se preeipite snr le pont ! On a ileja stoppe, et nous a])pre- nous (pie lepatissier, apres avoir laisse dans sa cal)iiie une lettre au comman- dant, vieiit de sejeter a I'eau. La nuitest noire, I'Ocean large, le bateau ade Terre ! ;\|ires di'ux miiuitrs (in n'|iart ! DU HAVRE A NEW-YURK a\oiis redescendons, mais cet incident a jete in froid. Chacun regarde son voisin ; la conversation prcnd ini tonr philosophiciuc ; on parle dcs vicissi- tudes huraaines ; on fait observer que cc patissier n'aurait pas dii choisir do I'eau saleepour confectionner cettederniere brioche; mon voisin ajonte qu'il aurait bien pu attendre au lendcmain pour avaler son rouleau a pate. Enfin on est generalement d'avis qu'il a montre pen de tact en attristant ainsi la veille de I'arrivee, et qu'il y a vraiment des gens qui ne savent rien faire a propos. Sur quoi la jeune couturiere me demande un sandwich en plus ; j'en dispose une demi-douzaine sur son assiette et nous continuons sans que personne songe davantage au pauvre patissier. i Arril. — A six heures du matin branlc-bas general. On reconnait Sandy- Hook et Ton entre dans la bale. On laisse a droite Long Island et a gauche Stater Island, toutes deux garnies de n'sidcnccs d'eto. et desservies par un chemin de fer local. On salueen passant les forts Tomkins et Hamilton, qui protegent rentrce do la bale. On croise un vapeur de la ligne Cuvard, qui part pour I'Europe, trop tot de quelques minutes pour prendre nos lettres. La Sante monte a bord et fail defiler les cinq cents emigrants emerges des profondeurs de I'entrepont. Tout le monde va bien : nous pouvons entrer. C'est ensuite le tour de la douane. Des messieurs bien mis s'installent au salon et nous appellent a tour de nMe a faire, sous la foi du serment, la de- claration des objets soumis aux droits, que nous avons dans nos bagages, en nous expliquant qu'il s'agit des objets manufactures neufs. Je declare un even- tail que j'apporte en cadeau. Mon voisin me fait remarquer que c'est un parapluic quej'aurais dii choi- sir dans cette occurrence. Gette aimable plaisanterie ne deride pas roflicier de la douane qui mo de- clare sur mon affirmation que le prix de I'eventail etant de iOO fr., j'aurai a payer 7 dollars (1) (36 fr. 2S). Ma franchise m'inspire des regrets amers! II faut se metier de son premier mouvement parce que c'est le bon. (1) L'unite monetaire Americaine est le dollar, qui vaut exactement 5 fr. 18. II se divise en 100 cents, valanf environ un sou chacun. A TRAYERS LES ETATS-UNIS DAMERIQUE Avec des precedes de cette nature, il est concevable que les Americains payent rapidement leur dette nationale. A dix lieures nous touchons a (piai. Les bagages soiit immediatement de- cliarges ; la visile commence; elle a pour objet la verification de nos decla- rations. Elle est effectuee par des douanievs assez sales et fort romuants ; pourlant je n'ai point a m'en plaindre. 11 est d'ailleurs avec la douane des accommodements ; M. Murray , qui a pour quatre mille francs d'objets neufs : cachemires, robes, jouets, etc., oublic sur sa malle un billet de 20 dollars et pave seulement 33 dollars de droits. Pour nioi, j'en suis (piitte pour mes 7 dollars. Plusieurs oHicieux se precipitcnt pour m'offrir une voiture. Je les repousse avec sollicitude; je confie mes bagages a la New- York City Express Company qui. iiour lui dollar GO cenls, portera mes quatre mallesal'liotei, et je prends uu tramway cpii, pour mes dix cents, me mettra a Hoffman-House, Madison Square, mon futur domicile. Je demande une chambre que Ton pretend me faire payer 2 dollars par jour. Je resiste et je fais prix a 1 $, sur I'assurance que jc restcrai a pen pres un mois. Aucune charge extra n'est a subir, si ce n'est Ic cirage des bottes taxe 50 cents par semaine, cequi donne le droit d'en salir cliaque jour autanl de paires ([ue Ton en a. La chambre est meublee d'uu lit, une petite table, une commode a glace, deux cliaises; une toilette fixee dans un coin est munie de deux robinels a eau cbaude et Iroide. L'eau chaude est une realite. Un bee de gaz et une che- minee au charbon donnent le chauffage et leclairage. Le parquet est garni d'un tap s qui couvre I'etagc enticr et les etages inl'erieurs : le lout froid, correct, glacial. Le lit, qui esttresbon, prend, quand onleregarde, des airs anguleux. Le meme marbre recouvre la table, la toilette et la commode ; celle-ci semble avoir ete taillee a cou[)3 de serpe dans uu clieae de la Penn- sylvanie. On sent que ces chambres ne sont pas faites pour y vivre. Je suisau sixieme etage. Maisrinconvenient est mince, car il y a un ascen- seur {('levator) dont on use et abuse toute la jourr.ee. L'appared se compose d'une cage meublee d'un siege et d'uu tapis, circulant dans unegalne verti- caleet mue par un cable qui s'enroule surun treui!,mislui-meme en mouve- mcnt par une machine a vapeiu" situec dans le sous-sol. A chaque etage, un NEW-YORK bouton placea droite de la porte correspond a une sonnerie interieure et ap- pelle I'ascenseur qui vient vous prendre pour vous faire moiiter ou descendre a volonte. Uii mallieurcux passe sa vie dans cettte boite a tirer le cordon d'cmbrayage dans un sens on dans I'autre, a raison de 200 dollars par an ; il est nourriet lege en plus. L'hotel est surle plan Amerlcain, raaisavecun restaurant Franfais a la carte. Dans le sous-sol (basement), cirage de bottes, lavabos et accessoires, cuisine el dependances, machine a vapeur pour I'eau chaude et I'ascenseur. Au rez-de-cliaussee, hall, bureau, deux salles pour lire et ecrire ; marchand de journaux, de livres et de billets de theatre; bureau telegraphicjue, salon (le coilfure, salle de restaurant, cafe.|Au premier etage, trois ou quatre grands salons publics, avec ou sans piano, autre salle a manger, salons particuliers pour diner en famille. Les etages superieurs comprennent uniquement des cliambres et des appartements dont plusieurs sont munis de chambres a bain. Apres une installation sommaire, je dine au restaurant pour me rendre compte deses prix. Tons les garcons parlent Francais, ce qui facilite nos re- lations. Un diner compost de potage, poisson, roast beef aux porames, h'omage, cafe noir, une demi-bouteille de Bordeaux, coiite deux dollars cinquante cents, environ douze francs cinquante. / ? Aoril. — Je revois mon vieil ami Clioron, qui depuis vingt-cinq ans liabite New- York. Apres notre diner nous ilanons dans Broadway, la grande artere commerciale de la ville, lorsqu'il me montre un hotel devenu celebre depuis huit jours : une jeune fiUe de moeurs legeres, et jalouse, ayant appris que son amant y rencontrait une autre femme, a penetre dans leur chambre et a tire deux coups de revolver sur la femme, qu'elle a manquee, et sur le jeune hommequiaeu lecou traverse par la balle. II en est revenu, et, touche de cette preuve d'amour, il a refuse de deposer une plainte, jurant qu'il n'a- vait pas pu reconnaitre la femme. Sur quoi I'affaire n'a eu aucune suite, I'attorney general n'ayant pas poursuivi, comme de juste, me dit Choron, personnifiant en cela les idees Americaines. II est de principe en effet ici que, sauf le cas de meurtre consomme, Taction publique ne s"exerce que sur la plainte des interesses, la Societe ne secroyant pas le droit d'intervenir quand la partie lesee se declare satisfaite. 10 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE / 3 Avril. — G'est aujourd'hui le jour de Paques. Le temps est beau. Je me mets en route avec I'intention d'aller voir le celebre cimetiere de Greenwood a Brooklyn. Je me trompe de Ferry-Boat, et, comptant sur mon etoile, je suis bravement la rive gauche de la riviere de TEst. .le suis arrete par un bras de mer queje traverse en bateau. .le demande la route du cimetiere: on me rindi(iue taut bien que mal. .I'arrive a un immense enclos peuple de coloniips et de pierres tombales. Aucune trace de vert (green) ni de bois (wood). Je me suis evidemment trompe de beaucoup. Pour me consoler, je demande a dejeuner; mais dans qiiatre etablissemcnts successifs la phrase, cependant tres simple : « Have you any thing for breakfast ? » n'obtient au- cune reponse. Ces gens la ne comprennent done pas I'Anglais ! Eatin j'avise un car ([ui me conduit a un ferry, et je reconnais ma veritable position. Je suis a peu pres a 6 kil. de Tendroitoii je voulais aller ! Dine chez M"'" Goren avec une de ses consines do Philadelphie, tres jolie fille blonde, miss Felicie*" parlant assez malleFranfais. Jegronde monamie Corinne de Meiian d'avoir delaisse le piano et je reproche a sa tante de I'avoir souffert : « A quinzeans, merepond M™ Goren, les jeunes filles en Amerique « font ce qu'elle veulent ; Corinne vent se coiflfer a la chien ct ne plus jouer « du piano : je n'ai rien a y voir. » On raconte la dernierehisfoirc du jour. Une demoiselle, ayanttrouve beau le conducteur d'un car, I'a invite a venir chez elle et lui a demande sa main. Le conducteur ayant objecte qu'il etait fiance a une femme de chamljre de Brunswick-Hotel, la jeune miss est alle soliiciter a prix d'ar- gent le desistement de la femme de chambre, qui I'a envoye promener. Cependant le beau conducteur s'est laisse attendrir et a enleve la belle. lis sont aujourd'hui marieset refugies a la campagne, en attendant qu'ils aient apaise la colere des parents barbarcs qui s'opposaient a cette union. Ceux-ci, en presence du fait accompli, paraissent disposes a I'indulgence et vont ache- ter aux jeunes epoux une ferme sur laquelle ils iront vivre, esperant que I'air de la campagne les calmera. 14 Avril. — A6 heures du soir je pars avec Murray pour Albany, capitale de TEtat de New- York. La distance est de 144 milles (1) ou 232 kilometres ; (I I Le niille .\mericaiii vaut environ 1010 metres. NRW-YOHK 11 If prix 3 dollars 10 cents, soit IS fr. Slo ou h\ 068 par kilometre. La (luree du voyage est i h. lo soit 54 kilometres a i'heure de vitesse moyenne, et en dediiisant 25 minutes pour 8 arrets dont un de dix minutes, on arrive a 00 kilometres de vitesse effective pource train qui est express. On voit que le prix kilometrique est a peu pres celui de nos troisiemes classes. Les chemins Americains n'en comportent qu'une seule. Un wagon contient deux rang^es de 20 bancs a deux places chacun, separees par un couloir. Cette caisse estmonteesur deux trucks, ce qui permet defranchirdes courbes de petit rayon. 11 est interdit d'y fumer et ii y a un smoking-car (wagon-fumoir), lequel est une veritable ecurie. Les autres ne sent que tres sales. On remedie a cct inconvenient par I'usage des wagons-salons (Drawing- c(irs) ei desv/SigonsAiis {Sleeping-cars;. Le Drawing-car est un salon de 2i ou 28 places, representees par des fauteuils mobiles sur un pivot central, de I'acon a s'orienter suivant la convenance du voyageur. II est convert d'uii lapis et luxueusement installe. II est muni d"un lavabo, d'une fontaine d'eau glacee, de cabinets etd'un salon de toilette a I'usage des dames. Certains contiennent un compartiraent reserve aux fumeurs qui , dans les autres , ont la ressource du smolilng-car on de la plate-forme. Le supplement dt; \m\ varie avec la distance ; il est de 1 dollar pour Albany, soit fr. 022 par kilometre, ce qui fait reporter le prix total a 9 centimes, prix inferieur a celui de nos premieres classes dont la moyenne est de 12 c. , 3 et a celui de nos wagons-salons ou Ton est incompa- rablement moins l)ien et i|ui content 13 c., .5 sous reserve d"un niinimnm de 10 places. Ces wagons appartienneut a une compagnie speciale ipii pereoit le prix supplementaire et faiit circuler son materiel sur les voies de la Compagnie du cliemin de fcr (jui, elle, per(,'oit le prix ordinaire de la place. Le contnJle de route s'effectue comme en France. Un couducteur du train pointe les billets et les recueille a la station avant I'arrivee. Sur la locomotive, le mecanicien estcomple^ement convert dans une cage vilree ([ui lui permet desurveillersa macliine et la voie,tout en restaiita I'ahri des intemperies de Tair. Cette precaution est indispensaiile dans un tel climat ; ii ne parait pas qu'elle mnse a la seeurite. 12 A TRAYERS I.ES KTATS-INIS DAMKRlOl'E De New-York Grand-Central depot, IS"" rue, la voie traverse toute la ville, tantot a ciel ouvert, tantot <1miis iin double tunnel en briques dont les deux boyaux, separespar un mur, soiit drstinrs Fun aux trains montant, I'autrc aux trains descendant. Au nord de laville, la voie franeliit la rivii're de Harlem (juirelie I'Hudson au bras de mer appele Riviere de TEst, sur un pont a jour, et de la jusqu'a Albany, sur la rive gauclie de I'Hudson . A pen de distance de la ville on passe sous High-Bridge, pont-canal qui amene aux reservoirs du Parc-Central les eaux du lac Croton, qui alimentent New-York ; ce pout qui IVancliit I'Hudson a une hauteur assez considerable vappelle quelques-uusdcnos beaux viaducs. Les bords de I'Hudson sont justement renommes ; malheureusement la saison n'est pas encore assez belle ni assez avancee pour qu'on puisse en juger. La rive droite estboi'dee de tres pres par une chaine de collines elevees, qui souvent viennent baigner leur pied dans le fleuve, et au dela desquelles on aper^oit les cimes encore neigeuses des dernieres ramifications des nionts Alleghanys. La rive gauche, un pen moins resserree, laisse place a quelques petites villes dont plusieurs ont une certaiiie importance. Sur les deux rives s'etagent des maisons de campague, nids coquets perdus au milieu de la ver- dure et ou les habitants de New-Y"ork viennent vivre pendant I'ete. Le fleuve, dans lequel la maree se fait sentir jusqu'a 40 ou 50 milles au-dessus de New- York, tantot roule encaisse entre ses deux rives, tantot s'elargit demesurement et offre I'aspect d'un lac entoure de tous cotes d'une ceinture de collines, sans qu'on puisse voir par oi^i Ton entre et par ou Ton sort. De temps a autre un vaste bateau blanc, large, lourd, a deux etages de fent'tres, agilant au-dessus de sa toiture le vaste parallelogramme de s;i machine verticale, s'avance battaiit I'eau de ses aubes puissantes et portant a Albany les Noyageurs ipii lie sont pas presses. Le type de ces steam-boats a pen varie depuis Ic jour oi'i Eulloii, quiltiiiit le ([uai aux eclats de rire de la foule, traiisporta de New- York a Albany ini unique voyageur, le fran^ais Andricre, pour le prix de qualre dollars. lis sont disgracieux et lourds, mais respirent la stabilite et la force. Un service rtigulier est organise entre Albany et New- York aussitot (pie la ri- viere permet la navigation, et ce mode de locomotion est prelerepar beaucoup de gens au chemin de fer, plus rapide mais moins gai. NEW-YOKK 13 A Albany nous faisons iine visite au superintendant des assurances. Ce liaut foiictionnaire nous declare naivemeut (^7nU// superintendent). Pour utiliser notrc temps, nous visitons le State-House, nouveau batiment destine a aljriter la Legislature, la courd'appel et les Imreauxdu Gouverneur de TEtat, qui n'est point encore acheve. II est en niarljre blanc, d'un style ([uelconque, raais ne manque pas d'un certain grand air. La Chambre des deputes est vasteet aeree, mais mal disposee pour racoustique. Nous y sommes introduits- sur une autorisation du President {Spealer). Un aimable sans-gene parait y regner : un oratcur parle de sa place avec lieaucoup de gestes ; les autres ecoutent peu. 11 parait que c'est une question d'affaires et ([u'il s'agit d'un bill concernanl les manufactures. De temps en temps le speaker frappe sur son bureau avec un petit raailletde bois ([ui parait remplacer la sonnette. Les deputes sont en redingote, en paletot, en chapeau rond; I'un rentre avec son cigare a la main, qu'il laisse tran([uillement eteindre, un autre se I'ait apporter un mint-julep. A cote de nous, une petite demoiselle mange une orange de compte a demi avec un honorable qui cause avec elle. Le public privilegie est sur un rang de fauteuils, sur le plancher des deputes ; I'autre public est aux tribunes. De temps en temps un eclat de rire salue les paroles de I'orateur, motive par quelquc plaisanterie au gros sel que je n"ai pas saisie; k part cela, on interrompt peu. Ge n'est pas un des grands jours. Le Senat, dont le local n'est pas pret, siege actuellement dans celui dc la cour d'appel, vaste piece plafonnee en chene sculpte avec assez de gout. Le public est ici un peu plus eloigne des senateurs quoiqu'aucune barriere ne Ten separe. Ge jour-la on discute une resolution tendant k li.\er la duree des seances de onze lieures a deux heures . La plupart des membres trouvent que c'est consacrer assez de temps aux affaires de I'Etat. On vote par appel nominal; cliaipie senateur, a I'appel de son nom re- pond: ((Aij ))0U « No '). La majorite des suffrages est negative; mais comme je n'ai pas enteadu la position de la (juestion, je ne suis pas lixe sur le sens du vote. 14 A TRAVKRS LES ETATS-UNIS DAMEHIQIE Revu le superinteudant assiste, cette fois, cle son depute. Gelui-ci nous declare que la loi est ridicule, niais (ju'ii I'aut robserver, maxime sage a I'application de laquelle nous allons nous preoccuper d'e- chapper. 16 Avril. — Xous repaitons ii sept heurcs du soir apres avoir visite Albany (jui a I'air d'une bonne ville de province; il y a dc lair, de I'espace, et les jardins autour des maisons ne sont pas un mytlie comme a New-York. La veille nous avions assiste ;i une representation draniatique a TOpera. La soiree se compose d'une serie d'mtermkdes {per formaiici's': , danses, chants, scenes comi Pompeien que Ton afl'ectionne a New-York ot un peu trop chargee en or, dcMaul ordiuaire en Ann'riipie, a coiite, dit-on, 30000 dollars de deeoralion. Get hotel est principalement un hotel de familh's installees a ramericaine, systeme qui a Tavantage de debarrasser les dames du soin de leur maison. Apri'S diner nous allons a nuckingliam-Palace, sorte de Valentino. Sept ou huit couples de dansenrs (pii onl i'air de s'amuser comme des emque-niorts, une cciitaine de I'emmes seules ou en compagnie, pas un(^ de jolie, et tou- jours les pieds Americains. On daijsc le (piadriile. la p^lka, la valse, au sou d'uu orchestre assez mince et sous des efl'ets de lumiere eieclrique qui font tour a tour les danseurs jaunes, bleus, rouges et violets. 11 n'y a aucune animation sur le marclie. Eu sortant nous allons rendre visite a I'Oyster-House de M'"- Vernierein, quijouissait d'une grande vogue du vivant de sa proprietaire, aujourd'hui deced^e. Ce Lodger-Beer, tres fre([uente par le demi-monde leniiniu Fran(^ais et Italien, presente le spectacle du cafe des Pyrenees unenuit d'Opera. N'ous y rencontrons une jeune Russe qui parle tres birn fraiieais et ([ui se plaint de New- York, au point de vue des affaires. Ce soirla gaite n'est pas Iblle ; il manque, parait-il, Marie Sax (aucun rap- port avec Valentine et Selika). La salle se remplit peu a peu ; ratmosphere devient lourde et les consominations sont aussi clieres que detestables. Decidement le grand air vaut mieux. 25 Airil. — Je visite avec Murray, sous la condiiite obligeante de M. Bar, le magasin de Tiffany Union-S(piare Bijoux, argenterie et orfevrerie, dia- mants et perles, bronzes d'art, jioreelaines et faiences, cristallerie, papeterie, fantaisie, accessoires de cotillon, etc. Nous remarquons surtout des alliages d'or, d'argentet de cuivre a la fa(;on Japonaise, extremement remarquables, et ([ui out obtenu une medaille d'or a Paris en 187S. En matiere de verrerie, B:iciarat et Saint-Louis sont absoliunent tiistanci5s r NEW-YORK 23 par It's ra])i'ii|iirs Aiii;l:iiscs ct Allcinnndos, (|iii ohtii'iincnt luiioini (U; vue (Ic la taillc (les ivsultats ahsolumcnl inconnus aiix ven'icrs Francais. • Les prix dc ces difl'ercnts ol)jels soiit cxorbitaiits : tould'ois, ccux dcs dia- mants ne m'ont pas paru relativemeiit (res eleves. Ce qui depasse Ic triple ou le quadruple de nosprix fraiifais, cc sont ceux dcs ohjcts de fantaisic. (]vv- tains objetsde pcu diuqxirtance, Ids (jiie les menus de diner et les accessoires de cotillon, atteigaent des limites faituli'uses. 11 y a tel cotillon doiit une seule figure coi'ite 150 dollars. Certains menus sont imprinies sur des cartes don t cliacune forme uur aquarelle speciale pour chaque convive, et repre- sente soit sa caricatui'e, soit une scene connue de sa vie privee. (juaiid Offenbach vint a New-York et y donna son premier concert, sa charge fut prise a la cire par lui artiste ml hoc pendant le concert, photographiec s(^ance tenante, et collee sur lemenn ([ui I'attendait dans la salle du souper. Dans beaucoup de diners a ceremonie, les menus destines aux dames sont legerement colles sur des echarpes de couleurs varices descendant du lustre central jusqu'a la place occupee par chacune d'elles. On les arrache a la lin du repas pours'en parer, ou en I'aire hommage a son cavalier. Daus le sous-sol du magasiii est une cave de siirete [safe-deposite] , oil un tr^s grand nombre de gens envoient leurs valeurs, leur argenterie, leurs bi- joux, leurs tableaux. On les conserve et on les soigne, moyennant un droit de garde assez modique, souvent pendant plusieurs annees. Deux hommes sont de garde dans le magasin pendant toute la nuit, et doivent cliacun tele- graphier toutes les quinze minutes a la station de police voisine , faute de (juoi le chef de la station envoic deux agents pour examiner la situation. Le batiment estii lepreuve du ion {fire-proof). Tons les etages , carreles, sont independants ; la cage de I'elevateur est fermee par des volets en fcr chaque soir ; des prises d'eau avec tuyaux sont a tous les etages et la maison est munie de Tavertisseur automatique [fire alarm telegraph). Get a]>pareil se compose esseutielleinent d'uu ressort, qui se dilate (piand la temperature s'eleve, et met en communication les deux portions d'un fil coupe par le((uel passe alors un courant qui declanche une sonnerie d'appel dans un poste de sauvetage voisin (^/■c-/w/ra/). Tousles perfeclionnements en matiere de moyens preservatifs du feu sont d'ailleurs immediatement etudies, et adoptes s'il V a lieu. 24 A TRAYERS LES ETATS-UNIS D'AMERIOUE Lc st)ir j'ai assisio a iiiie partie d'ucliecs jouee a I'Opera entre le capitaine Mac-Kenzio et leca|iitaiiie Mac-Call avcc des pieces vivantcs. Getto idee nest pas neuve, et Mery parle, dans la Floride si jc ne me ti'onipe, d'lmi' partie pareillc jouee devant Tempereur Charles-Quint par Boy le Syracusain, grand condottiere de ce temps-lii. Les fauteuils avaient 6te enleves , et sur le sol de Torchestre et de la scene, plancheie comme pour un bat, un ecliiquier avait ete dessine, dont les cases avaient l"'oO environ de cote. Les deux adversaircs jouaient sur un ecliiquier ordinaire ; deux herauts d'armes proclamaient les coups et conduisaient chaque piece a la place qu'elle devait occuper. Les pieces prises se rangaient en ligne dcrriere le camp qui les avait capturees. Les pieces etaient costuraees avec assez de goiit : les rois et les reines en satin l)lanc et velours noir; les fous (en anglais :&/s/iO/K on eve(jues; dans le costume de leur profession avec la harrette blanche on noire; les cavaliers et hommcs d'armes avec leurs couleurs au cimier en plumes noires ou blan- ches ; les tours avec longues robes trainantes, avec coifiures a creneaux et machicoulis ; enfin les pions se composaient d'une collection de petites lilies en hotlines, justaucorps et toques noires avcc maillot rouge pour les noirs, et boltines, justaucorpsetto(iues desatin blanc avec maillot bleu pour les bJancs. Tout cela n"a pas 'mal manoeuvre, et les blancs out gagne avec le capi- taine Mac-Kenzie par une savante mantwuvre qui, dit-on, etait arrangee d'avance. Le prix d'entree etait de 1 dollar, et il y avait environ loOO personnes. Deduction faite des frais, la seance a du rapporter quatre ou cinq cents dollars aux deux champions. Ces lionorables ne rougissent aucunement d'utiliser leurs qualites naturelles ou acquisei, et le litre de ca ;:itaine n'est, pour eux, ([u'un moyen de plus pour se concilier I'estime publique. 26 Avril. — J'achete du vin muscat de Californie a 1 dollar oO cents le gallon, qui equivaut a j)eu pres a 'i litres. La Californie commence a beaucoup produire de vin; mais celui-ci a toujours un go:it de terroir assez prononce. La terre est trop neuve et a besoin de s epuiser un pen. Cet inconvt^nient a lieu surtout pour les vins rouges qu'on livre a la consommation locale. Quant au Champagne, c'est avec raisoii ({ue I'illustre Marcel de la Vie de Bu/icine le baptiserait « Coco epileptique .> : c'est de I'eau de Seltz aronia- tistic dc Sucre candi. NEW- YORK 2S 28 Avril. —Jevais entendre les Cloches de CorneriUc. De meme que Ic Pelit- f)iii\ la piece est jouee tres convenablement ; le nile da vievix Gaspard est tciiu avec un ventable talent par I'acteur que j'ai pi'is pour I'ainbassadeur Kiisse a Ijord du paquel)Ot. II y a l)on nombre de jolics filles. La sallc est moins brillante ((uelors du Pelit-Dur, ee qui tient sans doute au temps abomi- nable qu'il fait dehors. 2'J Avril. — Je dejeune avec M. Furatado, un jeune Peruvien eleve aParis, oil il a fait son droit, et qui est ici dans one raaison d'importation. Nous causons des mcEurs Americaines et des relations entre jeunes gens et jeunes lilies. Elles sont, me dit-il, fort libres; cependant ce serait une erreur de croire que le premier venu pent conduire une demoiselle au theatre et la ramener en passant par le restaurant Delmonico : il faut pour cela jouir d'une certaine intimite dans la maison et y etre connu comme un homme bien eleve. C'est egalcment une erreur de croire que tons les dommages que pen I eprouver une jeune lille se traduisent par un proces en indemnite. Quand une seduction s'opere avec des preuves serieuses, dans le monde comme il faut, un membre de la famille met ordinairement le seducteur en demeure d'epouser; si celui-ci s"y refuse, on se borne generalement a le deplorer. Lorsque laccident a laisse des traces visibles, on en vole la jeune fille accoucher en Europe, ou bien on s'adresse a une des entrepreneuses d'avortements qui pullulent a New- York. Les proces ne sont faits, en general, que pardes lilies ^ de Bonds et que la lettre de notre banquier, certifiant que nous en avons achete 100 000 autivs, ne sauraitentcnirlieu, enfin que ces Bonds ne sont pas endosses a sonnom. Une discussion s'engage ; Morris fait observer qu'en ma qualite de secretaire, je peux endosser les Bonds. Un grand escogriffe au(piel personne ne demandait rien se met, comme I'ane de Balaam, a parler sans etre interroge, et objecte que je devrais justifier de ma qualiti' de secretaire. J'cxhibe ma cai'te, I't le superinlendant declare (|u'aucun doute ne peut s'elever. Finalement, on NEW-YORK 27 tombe d'accord, et nous allons avoir notre certificat moyennant mon endos- soment, la promesse d'apportcr mon pouvoir, robIij,'ation de regulariscr iiotre statement a bref delai, et sous la reserve que si (juelipi "un fait une reclamation, on le retirera. Nous acquiesfons, je signe, S... signe ; nous eehangeons les shake-liandsli'S plus clialeureux, je leremercie de sa bienveil- lance et de sa haute impartialite ; nous emportons notre papier et, dans le vestibule, nous nouslivrons, Morris et moi, a unc pantomime choregraphi(jue viva et animee, (juifait ressortir nettement la supuriorite du cancan fran^ais sur lagigueamtjricaine. Gomnie je dis a Morris que je comraencais a avoir des doutes et que les objections etaient embarrassantes, ce brave Yankee, qui est decidement sceptique a I'egard de ses compatriotes, me dit que tout cela n'est pas autre chose que des grimaces, ayant pour objet d'elablir la necossite de payer un potde vin. Le resultat pratique, c'est que nous avons depensu oOO 8, et que dans les seules journees du 1" et du 2 Mai nous avons fait deja 2 300 $ de primes, qui nous laisseront un benefice minimum de250 $. i" Mai. — Jeudi. Rien de particulier. 5 Mai. — Daretour d'AIbiny, je dine cliez Murray, ou nous mangeons une diiide tuee au mois de Decembre et conservee dans de la glace : elle est fort tendre ; on en conserve ainsi, parait-il, jusqu'a I'annee suivante. 3 Mai — J'assiste, au theatre de Fifth-avenue, a la representation de Fatiiiitza. Un auteur anglais a brode sur la musique de Suppe une intrigue Russe. Cette musique est gaie et claire, ce quiestsuffisant pour un tel sujet. La piece est assez mal chantee par les acteurs Anglais, et ces dames cedent a des tenlations d'exhibition qui amenent des effets etranges. Fatinitza, desi- reuse de montrer ses bras et sa gorge, qui sont ce qu'elle a de mieux dans la voix, arrive au premier acte, dt5colletee et les bras nus, au milieu du camp Russe oil la neigc tombe avcc abondance. Par contre, comme les jambes ne sont pas dignes du reste, elle a garde, sous son costume feminin, les bottes de son role de lieutenant de cadets, bottes qu'elle promene ensuite dans le serail d'Izzet-Pacha, Turc reformateur, ce qui produit un effet tres singulier. Apres le theatre, nous allons chez Delmonico, oil nous trouvons le jeune Phalen. La conversation route sur les dames Americaines et leur vertu. 28 A TRAVERS LES ETATS-UMS D'AMERKjUE D'apres ces messieurs, cette vertii n'est rien moiiis qirimmaeulee ; et la, comme ailleiirs, il siiflit a iin jeiiiie lidinine d'avoir dii temps et de Fargeiit, pour iprd trouve aisriueut le moyeii d'atteiidre a\ec patience I'lieure du mariage. Mallieureiisemeiit la phipartsoiit prisa I'agc de lo ou 10 ans paries affaires, etoul peudeloisir a donner aux plaisirs illegitimes. , De plus, ilsse marieut fortjeunes, et leur temperament flegmatiqueleurper- met d'attendre ce moment sans occiiper leur imagination par des derivatifs. Malgre cela il y a, parait-il, d'assez nombreux coups de canif donnesdaiis les contrats Americains; et il neparalt pas d'ailleurs ipie les maris s'en preoccu- pent outre raesure. 4 Mai. — Dimanclie. — Dine chez de Melian avec le capitaine Frangueil, commandant le Canada, et un jeune Russe, tils d'un hanqiiicr, qui voyage pour son agrement et va chasser a (iuayaquil. J'essaie de le faire causer sur la question nihiliste, mais il est nuiet : aimahle d'ailleurs. Ires parisien, a fait la guerre en 1870 comme voloiUaire au { ' regiment de turcos. Son pere, qui a fait sa fortune pendant la guerre de Crimee, est un des pre- miers financiers de Paris, et lui donne, dit-on, cent mille francs par an pour ses menus plaisirs. Joli denier assurement. 5 Mai. — Dine a HoU'mann avec de Melian, Galien, Murray et Morris. MENU Huilres. Potage voimicelle. Truite Cambaceros. Filet aux champignons, Pelits pois a la fraiigaise. Becassiiies i-olies. Saiatlc. Glace iKipol ilaine. 2 Loufeilles Haut-Rai-sac 1801. 2 Ijouteilles Medoc. 1 liouleiile Ikeileier frappe. .") Iii(uciiis. 1 lioiileille oiilinaiic. 4 cafes. 2 c i g a r e s. (^oul : n8 )^, don( 2 >^ service; I't S ijO viris; 2 !^ 8.") c:ifes, liqueurs et cigares. NEW-YORK 20 Excellent diner que j'ai perdu contre Morris a propos de la plaisauterie des 500 dollars, et que je ne regrette point. 6 Mai. — Envoys une collection de lettres pour la France. Au bouldu cinquierae jour nous avons fait 6 500 $ de primes en 83 polices ; cola va tres bien si cela continue dans ces proportions, ce qui est improbable tant que les sous-agences ne seront pas organisees. Morris revient d'Albany. II y a depose mes cent mille dernicrs dollars. Tout est en regie. — Go ahead ! 7 Mai. — J'ai longuement cause avec deux aimables maitresses de pension, Mesdemoiselles Bocarnier, de I'l^ducation des jeunes filles; autant 'que j'en puis juger, cette education, ([ui dure pourtant assez longtemps, se fait d'une faeon tres decousue. II arrive tres souventqu'ellessavent I'algebre, la trigono- metrie et le gouvernement, et qu'elles ignorentles premieres notions de I'his- toire, voire de I'histoire sainte dont elles ne savent que ce que leur a appris la Bible. Elles sont en general assez fortes sur la constitution et I'organisation administrative des Etats-Unis, cequi leur inspire le plus profond dedain pour les precedes de la vieille Europe dont elles n'ont souci. On ne leur apprend ni a broder, ni a coudre; et on ne leur donne aucunc notion de cuisine, ce qui fait qu'elles sont incapables de faire les excellents puddings dont parle ce bon M. Laboulaye. W^ Bocarnier me cite une jeune fillede 18 ans qui, a son entree chez elle, ignorait jusqu'aunom d'Alexandre et avait passe sa derniere annee a etudier le Gouvernement I L'etablissement des ecoles etant absolument libre, un di- plome n'est exige que pour dirigerles institutions communales, ct ils'obtient au sortir des ecoles normales. II en resulte que les jeunes filles le prennent peu et que, n'ayant pas de but immediat, elles font leurs etudes d'une fafon tres superficielle. Ce qui constitue leur brillant et leur superiority , c'est qu'elles sont, des leur enfance, melees au monde, tres habituees a la representation, refoivent et rendent des visites, toutes choses qui d^veloppent leur aplomb, leur donne une aisance de manieres precoce, et leur fait acquerir une foule de connaissances superficielles a I'aide desquelles elles peuvent causer sur toute especedesujets. On parle libremenl devant elles detoute question, meme scabreuse, et j'ai entendu causer de la prostitution, de ses consequences, et des asiles de filles repenties devant une jeune fille de lo ans. Ces notions de 30 A TRAVERS LES ETATS-UMS D AMERIQUE toutes choses rendent leur I'requenlation, parait-il, tres agreable; mais il faut se contenter de glisser a la surface sans entreprendre d'aller au fond. Nous avons cause a dejeuner, avec Furatado et Ghoron, de la justice Ame- ricaine et de la mort de Fisk. Fisk etait le president de I'Erie-Pennsylvania Railroad, celebre par sa fortune, ses prodigalites et sa lutte avec Yander- bilt, le president de New-York Central Railroad , qui va , comrae I'autre che- min, de New-York a Buffalo. II avait pour maitresse una M"' Maufield qu'il avail installee dans une jolie maison batie expres pour elle, et pour ami M. Stokes dontil avait fait la fortune et qu'il avait mei^dans toutes ses affaires. Sur cesentrefaites, ilacheta auprix de 700 000 dollars le theatre Grand Op6ra House, et, par parenlhese, il en loua immediafement le rez-de-chaussee pour 10 ans, au prix de 70 000 dollars par an, a la Corapagnie Erie-Pennsylva- nia Railroad dont il etait president. Une troupe d'op^ra ayant ete installee par lui dans ce batiment, non plus en sa qualite de President, mais en son nom personnel, il delaissaM""" Maufield, ce dont elle se consola nalurellement avec M. Stokes. Dans un intervalle de regret, Fisk voulut revenir a M™" Maufield qui le mil a la porte, poussant la durete jusqu'a lui refuser mi-me de lui laisser emporter scssouliers en caout- chouc. Fisk, exaspere, jura de se vcnger de Stokes en le ruinant, et commenfa des lors a contrecarrer toutes ses entreprises et a lui creer tous les embarras financiers possibles. La hitte dura quelques mois, mais Fisk derail linir par I'emportera cause de ses capitaux considerables, el de son influence bien superieure a celle de I'autre. Le malheureux, se voyant aux abois, prit le cliemin le plus court : il attendit Fisk al'hotel do la 5= avenue el lui cassa I'epaule d'un coup de revolver, a la suite dequoi I'autre mourut. Stokes fut condamne a etre pendu; mais avec quelque argent il fit casser le jugementpour erreur manifeste; quand il ful juge a nouveau, il produisil deux medecins qui declarerent que la morl de Fisk n'avait ete nullement entrainee par sa blessure : elle devait etre attribuee uniquement aux niala- dresses commises par les chirurgiens charges du traitemcnl. Gette blessure elait telle qu'il eut ele tres facile d'extraire le balle. Si Fisk avait eu affaire a des praticieiis moins ignares, cette operation n'aurail pas manque de reussir et une prompte guerison s'en serait suivie. II y a lieu de BOSTON :U noter que ces conclusions ont 6te prises a la suite d'un examen du cadavre, fait environ 18 mois apres la mort. Quoiqu'ilensoit, cetemoignage convain- cantreduisit I'affaire aux proportions d'une simple voie de fait ayant eu des consequences plus graves que son auteur ne se le proposait, et Stokes en fut quittepour cinq ans de penitencier, qu'il fit d'ailleurs parfaitement, et qui ne rempeclient aucunementde se promener aujourd'hui a New- York et a Sara- toga, et de jouir de I'estime de ses concitoyens. La rivalite de Fisk et de Vanderbiit a donne lieu aux incidents les plus etranges. En voici un. Les deux chemins do fer New- York Central et Erie- Pennsylvania partent tousdeux de New- York Central pouraboutiraBuffaloet ont pour principale source de trafic les bles et les bestiaux de I'Ouest. La distance entre les points extremes est de 423 milles par I'Erie et de 441 par !e New- York Central. Quand la guerre des tarifs eut commence, elle depassa toutes limites, et Vanderbiit mit le fret des bestiaux surle New- York Central a 1 dollar par wagon. Fisk fit alors acheter par un homme a lui 80 a 100 000 tetes de belail dans rOucstet fit louer pour 15 jours tout le materiel a bestiaux du New- York Central au tarifde 1 dollar, de sortc que Vanderbiit transportait ace taux les bestiaux de Fisk et se voyait oblige de refuser ceux du public qui prenaient forcement la voie du Pennsylvania k un tarif triple et quadruple. C'est ce que I'oii nomme ici une bonne farce « a good yankce trick » . Fisk fut un des auteurs du Vendredi noir (black friday). Associe a deux aulres capitalistes, il constitua un stock de 1.50 000 000 $ et se mit un jour a acheter tout Tor disponible sur la place de New- York. En une heure Tor monta a la Bourse de 140 a 183 0/0. Le secretaire des finances informe du fait donna I'ordre de vendre tout I'or qui etait dans le Tresor. Sur cette nouvelle le cours dcscendit plus vite qu'il n'etait monte et des mines considerables s'en suivirent. Ce jour est reste, dans les annalesde la Bourse de New- York, sous lenomde Vendredi noir. 8 Mai. — Je pars a une heure pour Boston avec Murray par le New-Haven et Shore Line. Distance 229milles. — Prix 6 $, plus 1 dollar pour le Drawing- car. Duree 7 h. 35. Au retour 6 h. 45. Le chemin suit en grande partie le bord de la mer etdu Sound, detroit qui separe Long Island de la terre ferme. On traverse success! vement New- Haven, New-London, Providence, capitale de I'Etat de Rhode Island. A New- 3i A TUAVEUS LES ETATS-U\IS DA.MERIQUE London le train tout entier coupe en deux s'em barque sur un ferry-boat pour traverser la Tamise et se reformer a I'autre bord. On profile de I'occa- sion pour faireune visite au buffet tenu parunFrancjais, originairedudepar- tement du Yar. Le pays est pittoresque et accidente ; il a quelque analogic avec la Bretagne. Partout des roches granitiques percent une couche peu epaisse de terre vt^getale dont on a tire le meilleur parti possible en pres ou en tcrres a ble. L'eau abonde et chaque pre est plante d'arbres fruitiers. Une foule de cottages ou de petites fermes aux dimensions microscopiques sechelonnent surles collines oudans les funds; beaucoup servent de residence a des tra- vailleurs des villes. L'ecurie et la grange, isolees de la maison, sont en gene- ral plus grandes que celle-ci et de plus luxueuse apparence. II y a peu de villages agglomeres ; niais les habitations sont assez rapprochees, ct en revanche il y a quelques petites villes. I^'ensemble est riant et respire la prosperity et la proprete. Cette derniere qualite est d'aillcurs une vertu tout Americaine, et il est fort rare que dans une maison il n'y ait pas quel- qu'un a frotter quelque chose sous un pr(5lexte plausible. 9 Mai. — Visite Boston. — Viile animee, sans la cohue de New- York, et batie dans le style des villes Europeeniies ; rues lortueuses, larges parfois, ^troites souvent, passages enfonces, difticiles a parcourir pour un etranger sans un plan et une etude prealable. Un grand incendie en ad6truit une partie considerable en 1874; les degats ont ete d'environ 400 millions de francs. Us sont dus principalement, parait-il, a ce fait que le Maire ayant convoque la milice pour abattre les maisons et circonscrire le foyer de I'incendie, un ofli- cier, auquel il donnait cet ordre, lui demanda s"il en avail bien le droit. 11 fallut aller a la Mairie et consulter les textes, et pendant qu'on deliberait, le feu prit des proportions telles, qu'il devint impossible del'arreter. Aujourd'huitoute traced'incendie a disparu, et Ton d(§clare qu'il est im- possible qu'un pareil ev^nement se reproduise, declaration qui vaudra cc qu'elle pourra jusqu'a ce qu'elle soil contirmt5e par les fails. Le quartier des residences qui est, comme a New-York, distinct de celui des aflfiiires, est fort elegant, et les maisons ont un aspect de confort et de distinction tout special. A peu de distance de la villeest un faubourg appele DrookUnc, ou les maisons sont entourees de veritables jardins, voire de BOSTON 33 pares, et constituent des habitations desplus agreables, tout au moins en ete. Lc soir nous sommes invites a diner a I'hotel par M. Carpenter, agent d'assurances important. Je fais enfin un diner a I'Americaine. Apres les huitres et un potage au macaroni, on sert une sole, ou quelque chose qui y res- semble, au gratin avec des pommes de terre bouillies, puis un roti de veau tlanque de pommes de terre sautees, d'asperges bouillies, de bananes au Sucre et de beignets de pommes. Mes compagnons font de tout cela une aliVeuse mixture qu'ils mangent avec leur veauet a laquelle ils ajoutent encore de la saladc. Le tout est arrose d'un Sauterne assez bon, dont le seul defaut est d'etre presente comme du Chateau- Yquem avec lequel il a une lointaine analogic ; les huitres avaient ete accompagnees de Sherry. On nous sert ensuite du ris de veau aux petits pois avec des concombres et des tomates crues a la sauce mayonnaise accompagnees de Bordeaux rouge ; enfin arrive le dessert : froraage, fraises, creme glacee avec I'inevitable Champagne. On a porte des toasts a tons les convives successivement, puis a leurs Gompagnies, puis aux Dirccteurs de Icurs Compagnies. Apres quoi le cafe avant fait son apparition et ayant ete absorbe, nous sommes alles prendre I'air, ce dont lc besoin se faisait generalement sentir. iO Mai. — Visite a Lawrence le Pacific-Mill, filature, tissage , teinture et impression. Le capital social est de 12 500 000 fr. divise en 2 500 actions de 5 000 fr. chacune, possedees par environ 1.50 actionnaires, et administre par neuf administrateurs. Le nombre des broches est d'cnviron 100 000 pour filer lc colon et IG 000 pour filer la laine, avec 3 500 metiers a tisser et 22 machines a imprimer. La force motrico est fournie par liuit turbines qui sontmues par une chute d'eau de 9 metres et qui donnent une force totale de 1 500 chevaux. La production est d'environ 440 000 metres d'imprimes par semaine. Le nombre des ouvricrs estde 6 000, dont 2 800 liommes, 2 500 femmes ct 700 enfants ou jeunes gens des deux sexes. La matiere entre a I'etat de coton en balles et sort sous forme de calicot imprime pour robes, rideaux, meubles, etc. Des institutions speciales observees avec un soin extreme ont ete cr^ees pour le bien-etre intellectuel, moral et materiel des ouvriers, et M. Laroche- 3 34 A TRAYERS LES ETATS-UNIS D A.MERlOUE Joubert pounait \ veiiir utudier les meillcurs moyous d'atnuliorer le sort du plus grand nombre. Une societe de secours a ete fondec : cliaque ouvricr en fait obligatoirement partie, et il est perfu en consequence une retenue de 2 cents (0 fr. 10) par semaine sur son salaire. Moyennant cette retenue, et pourvu qu'elle ait cu lieu pendant trois mois, durec necessaire pour devenir raembre definitif dc la societe, tout ouvricr maladc a droit a une allocation de 2 $ 1/2 par semaine pendant les 10 premieres semaines de maladie, et de 1 $ 80 pendant les 20 suivantes : au-delade30 semaines rallocation cesse et ne pent etre renouvelee avant un an. Quand un mcmbro doit s'absenter pour se soigner, il pent lui etrc alloue une subvention de 1$ 1/4 par semaine. La contribution de la Compagnie est de 2 $ 50 par semaine. Tons les administrateurs de la societe sont elus par les membres , sauf le President qui est de droit Ic directeur de I'usine. En vertu d'une disposition rcmarquable, des que I'encaisse depasse 1000 $ la contribution ccsss, excepte pour ceux qui soiit membres depuii mollis du 3 luuis. Durant ses douze premieres annees d'existence la societe avait re^u : Des membres 24.989 $ De la Compagnie 2.182 $ Total 27.171 ^ Elle avait paye : Salaires k 1 868 membres pour 10 321 semaines 22.298 !|^ Frais d'inliumation 1.322 $ Achat d'un terrain aucimetiere 321 $ Frais de medecin 1 .u88 $ Diverses 412 $ Restait en caisse 1.230 $ Total 27.171 $ En 1874 elle a paye 4 162 $ de salaires a 285 personnnes pour 2 208 semaines, eten 1875 elle a paye 3 690 $ a 301 personnes pour 1 994 semaines. BOSTON n-j Aucune disposition ne parait etre prise en vue de la vieillesse ou de la mort. La Compagnie laisse a chacun de ses agents le soin de parcr aux acci- dents de cette nature par iine dcs nombreuses combinaisons d'assurances sur la vie. Une bibliotheque a ete etablie a laquelle tons les ouvriers sont egalement obliges de contribuer. A Torigine la Compagnie a verse une somme de mille dollars pour I'achat d'un premier fonds. La contribution obligatoire de chaque membre est main- tenant de 1 cent par semaine (un sou). Moyennant quoi ils ont la jouissance de la bil)Iiothequc qui comprend 7,000 volumes, et de deux salles de lecture (I'une pour leshommes, I'autre pour les fcmmes) , chauffees et eclairees, avec cc qu'il faut [)Our ecrire et dcs journaux et revues appropries a chaque sexc. La Compagnie a fait batir des maisons oii les ouvriers sont loges conforta- blement, moyennant un prix qui est environ le huitieme de leur salaire. Pour les femmes seules et les hommes maries accompagnes de Icurs fcmmes, on a cree des boarding-houses dont le taux, comprcnant nourrituro, logcment, chauffage, eclairage et blanchissage est d'environ un tiers du salaire, soit 2 )5§ 25 par semaine pour les filles. Une certaine liberte y regno, mais aucun desordre n'y est tolere. Ainsi la pdrtc sc ferme a 10 hcurcs, et il n'est point admis, sans raison valablc, que Ton rentre plus tard. II y a des magasins pour la vente en gros du charbon et de la farine. Au point do vue du feu, il cxiste dans la filature un departement special comprenant I'ingenieur chef, 3 mecaniciens, 6 assistants, L'usineest pourvue des appareils suivants pour combattre I'incendie : Longueur de tuyaux, pieds. . ..;.-... 9012 Barils a eau , . . 116 Seaux 2 087 Pompes amain 88 Extincteurs a acidc carbonique. .....;.. 16 Arrosoirs a pression 35 ;i<) A TKAVEUS LES ETATS-UNIS D'AMEUIOL'E Cliariots a tuyaiix 3 Char a echelle 1 Pompesa vapcur 4 Pistons plongcurs 20 L'cnsemblc des apparcils, pompes ct pistons [icut fournir 3,216 gallons, soil environ 12 864 litres a la minute. Cettc filature est regardee a tous les points do vuc commc le modelc do cclles de la Nouvelle-Angletcrrc : aussi I'ai-je decrite avec quehjue soin. L'Atlantic- Mill, qui est a cote, 'est regi de la meinc maniere, et beaucoup d'autres le sont dune fafon analogue. Lors de I'Exposition Universelle de 1867, le Pacific- Mill concourut pour le prix de cent mille francs creu par TEmpereur on faveur do la societe qui aurait le plus fait pour developper le bien-etre materiel et moral et I'esprit d'union chez ses ouvriers. Cette filature arriva Iroisieme, le Creusot etait premier, et la Compagnie des chemins de fer du Midi seconde. Le directeur du Pacific-Mill cite ce resultat avec orgueil. En rentrant a New-York nous apprenons la faillite de la maison White- more, Pit, Post et G", la plus ancienne et la plus riclie maison de Drygoods (nouveautes). Le passif est de 2 oJO 000 $, et presque toutes les banques de New-York y sont prises. On ne sen emeut pas outre mesure. Les idees sur la faillite sont ici tres larges; ipiand uii negociant fait faillite, il donne ce qu'il pent ou plutot ce qu'il ne pout pas garder et il recommence. L'affaire est liquidee, et jamais il ne lui vient a Tides, si ses aflfaires redeviennent pros- peres, de s'acquitter envers ses anciens creanciers : ceux-ci d'ailleurs ne le saluent pas avec moins de considt3ration qu'avant, et son accident ne le prive pas de I'estime do ses concitoyens. II n'y a ici aucune loi qui protege les crean- ciers contre les actes faits en fraude de leurs droits, de sorte qu'ils se trouvent le plus souvent en presence de donations failes a la femme ou de ventes simulees. On a bien plusieurs fois propose au congres de fairc une loi sur la banqueroute, mais toujours des infiuences interessees ont fait ecarter ce projet moral. // Mai.— Dimanche.— Visile le cimetierede Greenwood a Brooklyn. — Pas encore assez vert : ce serait a revoir dans un mois. II y a quelques tombes BOSTON :j7 monumentales, maisrien de caracteristique ; les fleurs, quirendent nos cime- tieressi vivants etsigais, font ici absolument defaut; en revanche beaucoup de monuments d'assez mauvais gout. 12, 13, 1 i, 15 Mai. — Je fais des vlsltes d'adieu en vue d'un prochain depart ; lorsque j'aurai refu le courrier du 14, j'aurai en eti'et epuis6 tous les pr^textes plausibles de deraeurer a New-York. Nous avons envoje notre premier bor- dereau : 9 970 jj^ pour neuf jours, cost un tres beau resultat. Malheureusement il ne peut se maintenir. ' Je vais voir Madame Favart au theatre d'Aimee. Pibce amusante, bonne interpretation, musique tres mediocre et cousue de reminiscences : Offenbach est visiblement fatigue. Mercredi. — Le Saint-Laurent arrive. Une lettre. — Rien de nouveau. — Je boucle mes malles et me mets en route pour Chicago en passant par Niagara que je vais voir en ete apres I'avoir adrair6 en hiver. CliAPITRE II MIAGARA. — CHICAGO. — SAI.NT-LOUIS Niagara-Falles. — Devil's hole. — Whirlpole-Gulf. — Whirlpole-RapiJs. — Les Elevateurs. — La Yierge du Brouillard. — Les grandes chutes. — Promenade sous la chute. — Pros- pectrPark. — Les iles. — Curiosites indiennes. — De Niagara 4 Chicago. — Un sleeping- car. — La civilite americaine. — Arrivee k Chicago. — Installation. — Palmer-House. — Les applicants. — Le Board of Trade. — Ce que c'est qu'un corner. — Une famille llol- lando-Americaine. — Souper et Soiree. — Un exemple de la liberie dont jouissent les negres. — Le goiit chez les Americains. — Un cirque k Chicago. — Un club de jeunes gens. — Un diuer et une famille Creole. — Le fire-patrol. — Les Waters-Works. — Les Stocl-Yards et les Porking-Houses. — La fabrication de la saucisse elevee i la hauteur d'une institution sociale. — Un policeman un peu vif. — Un pen de statistique. — La vie de famille 4 I'hotel et en Boarding-House. — De Chicago i Saint-Louis. ' — Lindell-H6lel. — Un negre officieux. — Un des usages des grands hotels. — Les negres envisages an point de vue domestique. — Quelques details sur Saint-Louis. — Un peu de maladie en An., glais. — Depart de Saint-Louis pour San-Francisco. 46 Mai. — Parti hier soir de New- York a 7 li. 30 avec billet direct pour Chicago, 979 milles, 22 S- Joseph et son oncle viennent me dire adieu a la gare et m'apportent des bouquets de la part des enfants. Je m'embarque enfin ; me voila seul. Je prends un lit pour 2 $ de supplement et je dors tant bien quemal jusqu'a Rochester. La, changement de wagon; a dix lieures nous arrivons a Niagara. Descendu a Spencer-House en face la gare. Style amtiricain le plus pur (vieux style), et un empoisonncment sur un grand pied pour trois dollars par jour, sans le vin qui est fort mauvais, mats qui coiite un dollar 1 2 la bouteille. Je commence ma visite de Niagara et des accessoires. Munid'un petit livre achete il y a trois ans, et dans Icquel j"ai etudie I'aiiglais, je me refuse 40 A TRAYERS LES ETATS -UMS D'AMERIQUE obstinement a prendre un guide, une voiture on qiioi quecesoit, ce qui cons- titue un double avantage d'economie et d'agreinent. Je debute par Devil's hole (Le Trou du diabie). C'est tout uuiment uu grand ravin, profond de 130 a 200 pirds, sur la rivedroite de la riviere, et an fond duipii'l eouie uu petit lilet d'eau appele : riiisseau de sang. Ce nom lui vient de ce que dans la guerre de 17G3 un detachement d'Anglais, surpris a la favour de robsciirife par un corps de Fran^ais et d'Indiens, se precipita dans ce trou, realisant ainsi le dranie qui fut ceiise se passer en 1870 aux carrieres de Jeaumont. Interet mediocre. — Coiit 30 sous. De la au gouifre de Whirlpole, la riviere, a 3 milles des chutes, (ait uu coude brusque a droite et, dans Tangle arrondi des deux bras, forme une espfece delac oii I'eau, en apparence d"un calmc parfait, tourbiilonne et roule plusieurs fois sur elle-meme avant de reprendre son cours. On arrive au bord du goiifiVe par une suite de rampes et d'escaliers en pente douce menages dans uu pare vert et ombrage, et la vue du lac, encadre de hautes falaises abruptes, ne manque pas de grandeur. En vagabondant surles rochers qui bordent la rive, je decouvre une espece d'entonnoir abrite par les blocs qui Tentourent et on Teau ne penetre que par des fissures insuffisantes pour me donncr passage. Apres I'avoir sonde dans tons les sens, je ne resiste pas au plaisir d'y prendre un bain delicieux, mais que la fraicbeur excessive de Teau me fait abreger. Je remonte lentement, et, apres un dernier coup d'oeil sur I'abime, je verse les 50 sous exiges. De Devil's hole a Whirlpole-gulf il y a une demi-heure de chemin ; de Whirlpole-gulf a Wirlpole-rapids il y a 12 minutes. La riviere, apres les chutes, coulepaisible pendant environ 2 milles et ensuite, pendant un espace d'un demi-mille environ, traverse une gorge resserree ou ellese livre aux mouve- ments les plusdesordonnes. C'est une veritable tempete a jet continu. La riviere n'a pas plus de .300 pieds de large et son cours est la seule issue des eaux des lacs Superieur, Huron , Micliigan et Erie. La vitesse est d'en- viron 27 milles al'heure, soit 566 metres a la minute ou 9 m. 4 a la seconde, et la pente sur un demi-mille est d'environ 40 pieds , soit 20 milli- metres par metre. On descend jusqu'au bord par un elevateur vertical de 200 pieds, que la riviere fait mouvoir; coiitoO sous. 11 semldi' que jamais ni un bateau ni un lumime pnisse se risquer sur ce NIAGARA 'il gouffre. Cependant trois Americains I'ont fait a raison de 30O $ par tete : il est a remarquer qii'aucune compagnie n'a voulu les assurer pour ce trajet. Un bateau a vapeur avait ete construit pour effectuer dos traversees au pied des grandes chutes : il s'appelait la Vierge du Brouillard et avait une machine de cent chevaux. La speculation n'ayant pas reussi, il fut menace d'etre saisi sur la rive Americaine , et ses proprietaires le tinrent soigneusement confine sur la frontiere du Canada. Enfin il fut vendu a Montreal, a la condition qu'il serait livre sur le lac Ontario. Trois hommes entreprirent, moyennant 500 j^ par tete, de lui faire franchir les rapides et le gouffre de Whirlpole, et ils y reussirent. Le patron se nom- niait J. B. Robinson ; et son entreprise fut consid6ree generalement comme un tour de force merveilleux. De I'elevateur de la rive droite on passe acelui do la rive gauche en traver- sant le pont suspendu qui relie les deux rives {Suspension Bridge). On a de la une nouvelle vue des Rapides qui coi^ite encore 50 sous. Je remonte alors la rive droite jusqu'a New-Suspension-Bridge qui a ete etabli en face du village de Niagara, et j'arrive enfin aux grandes chutes. Ciiacun salt qu'il yen a deux : la chute dite Ganadienne ou Horse-shoe-fdll (chute en fer a cheval^, et la chute Americaine {American- fall), qui est censee s'effectuer sur un plan rectiligne, mais dont I'arete presente en realite une double courbure avecun point d'inflexion. La premiere a 2000pieds de large et 158 de liaut, et la seconde 900 pieds de large et 163 de haut. Elles furent decouvertes pour la premiere fois par un Frangais, le pere Hennepin, vers 1660 ou 1670, et depuis elles ont excite la curiosite de bien des milliers de touristes et servi de theme aux tartinesde bien des auteurs. On ne pent nier que ce ne soit fort beau ; mais je declare n'avoir pas eprouve le sentiment de stupefaction auquel je m'attendais. Jadis j'avais attribue ma deconvenue a ce que j'avais mal vu les chutes. Aujourd'liui, je les ai vues d'en haut, d'en bas, par cote, de dessus et de dessous; c'est tres impo- sant, et ce terme meparait suffisant pour exprimer mon admiration. On evalue a cent millions de tonnes la quantite d'eau qui se precipite en une heurepar I'ouverture beante ; il est certain que c'est un chiffre important. On a une belle vue de I'ensemble des chutes en descendant un escalier etabli en face au Museum. Mais il faut se garder d'adherer a la proposition 42 A TRAYERS LES liTATS-UMS D'AMERIQUE qui vous est faite d'aller vous promener sous les chutes. C'est une des plus sottes mystifications qui puissent etre inventees a I'egard des touristes. On vous affuble d'un costume en caoutchouc, on vous confiea un negre qui vous fait descendre cent marches dans un escalier en tire-bouchon et Ton se trouve vis-a-vis d'un immense brouillard qui vous envoie a la figure unc pluie glacee. On fait quelques pas sur un sentier pave de pierres coupantes: la pluie se change en averse, Taverse se transforme en cataracte et la cataracte devient trombe. On est assourdi, aveugle et transperce, et Ton fuit precipitamment sans ecouter le boniment du negre, auiiuel, <[uant a moi, je ne comprcnais rien, par la raison que d'abord je ne Tentendais pas, et cnsuite qu'il s'exprimait en anglais-negre, idiome qui m'est absolument etranger. Au sortirde cette equipee je suis accoste par un Monsieur qui m'offre de me photographier dans mon costume avec la chute dans le dos. Merci bicn ! Je reviens a mon etat naturel ; le bon nfegre veut m'essuyer la figure, mais je decline sa soUicitude, vu 1 etat de ses mains et de la serviette avec laquelle il veut proceder a cette operation. II se rattrape sur mes bottes que je lui abandonne et qui lui servent de pretexte a recueillir une piece de 50 sous. Total de I'expedition : 1 s^ i/:^. Yis-a-vis des grandes chutes est une esp&ce de cafe-restaurant, boutique et musee , avec une tour en observatoire dont I'acces est lilire. De la on a une tr^s belle vue de I'ensemble des chutes, des rapides superieurs et du pays environnant. Le Niagara, dont le cours superieur est partout assez large, forme avant les chutes une espece de lac evas6 dont la plus grande largeur pent etre evaluee a plus d'un kilometre. Cette nappe est coupee en deux par une si5rie d'iles dont la principale", I'ile de la clievre [Goat-Island], separe la chute Ganadienne de la chute Americaine. L'encadrement est plat du c6t6 Am^ricain, escarpe et boise sur la frontiere du Canada. De I'extremit^ de Goat-Island on a une tres belle vue des rapides superieurs. 47 Mai. — Je consacre cette journee a la rive droite. D'abord Prospect- Park, promenade close, assez bicn dessinee et munie d'un elevateur qui vous mene sur la berge d'oii Ton pent, a son clioix, passer sur I'autre rive en bateau, ou faire une excursion sous la chute americaine, tentative que I'dtat pni avance de la saison m'inter.Iit (1^. Ensuite les iles. Un pont de fer, Cast- (1) Voir an cliipitre V^II le I'ucil de cette excursion. NIAGARA 43 Iron-Bridge, relie la terre ferme a Bath-Island (I'ile du Bain), oii un etablis- sement de bains fonctionne pendant I'ete, et ou est installee la plus grande papeterie des Etats-Unis. Les Americains ne sont pas des gens a laisser inutile une chute de 163 pieds ! De Bath-Island, on passe par un second pont, ana- logue au premier, dans Goat-Island. Cette ile, assez grande, forme en ete un pare charmant. Les arbres sont grands, tordus et bizarres : ils surplombent sur le gouffre ou quelques-uns baignent deja lour verte chevelure, jusqu'au moment oii le courant ayant acheve de dechausser leurs racines, ils iront s'engloutir dans le gouffre d'ou jamais rien n'est rcvenu. Le gazon est couvert de primeveres, de pervenches et do violettes ecloses aux pales rayons du soleil du Nord et absolument depourvues de parfum. Cette ile et les quatre qui hii sont reliees, les Trots Smurs d\\uc part, Luna-Island de I'autre, constituent le vrai charme de Niagara et offrent sur les rapides superieurs et sur les chutes les points de vue les plus charmants et les plus varies. C'est la, du reste,queles gens qui viennent faire a Niagara une saison d'ete passent la plus grande partie de leur vie; de jour et de nuit, dans la belle saison, c'est un coin delicieux. A I'extremite Sud de Goat-Island, entrc les deux chutes, sont trois rochers, auxquels on accede par un escalier de bois, ct du haul desquels on plonge a pic sur I'abime. On eprouve un certain frisson a penser que si la barre de fer qui vous en separe cassait, on irait voir si la profondeur de I'eau est bien exactement de cent pieds comme on le raconte. Les gens qui aiment le ver- tige de I'abime ont toutes les occasions possibles de se le procurer. Je m'arrache a I'egret a ce lieu de delices pour aller faire emplette de quel- ques curiosites plus ou moins Indiennes. 11 n'y a guere a acheter ici que des broderies sur peau ou sur ecorce, et des ecrans en plumes de cygne ou de dindon sauvage. avec des oiseaux du pays au milieu. Les Indiennes brodent avec de longs filaments de mousse, teints a I'aide de plantes du pays, et avec des soies de pore-epic, qui leur servent d'aiguilles. Souvent ces soies elles- memes sont fixees sur I'ecorce ou sur la peau, etforment des dessms tres ecla- tants et tres curieux. 18 Mai. — Diraanche. — Depart pour Chicago. — Le train ne part pas de Niagara, comme je le croyais, mais bien de Suspension-Bridge, a deux milles de la. Arrive a la gare, jene vois aucun preparatif de train; je retourne 44 A TRAVEKS LES filTATS-UNIS D'AMERIQUE a I'hotel, jedemande une explication qu'on me donne et que je ne comprends pas. .I'enteiids vaguement quelque ciiose qui ressemble a : « mettre les pouces ! >> Ce ne pent etre cela. Enfin je comprends qu'il s'agit de c rOmni- bous! » II y a un omiiil)us qui pari di' I'liotel et qui me conduira a Suspen- sion-Bridge. Sauve, mon Dieu I A Suspension, je demande un sleeping-car; il y en aura a Clifton, la sfaliou suivante ot la premiere du Great-Western. A Glil'ton, on m'lnvite a sorlir de mon wagon sans me dire oii il faut aller. Je demande des renseignements a sept ou liuit conducteurs ; rliacun d'eux me repond une phrase a laquelle je ne comprends qu'un ou deux mots. En cousant tons ces mots ensemble, je finis par decouvri'* que Ton va former un train, que les sleeping-car qui sont la y seront attaches et que ces sleeping iront jusqu'a (ihicago. Je m'installe dans un sleeping et je suis avec inquietude toutes les manoeuvres (jui constituent la formation du train. Un moment je vols tout disparaitre, excepte mon sleeping oii je suis seul. Le frisson me gagne, mais bicnti'it la locomotive I'evient et nous croche. Enfin tout est en ordre et je n'ai plus qu a rester en repos jusqu'a Chicago. Nous traversons une partie du Canada ; un pays boise coupe de pres ; de larges fermes se laissent apercevoir a I'ombre des chenes et des tilleuls; on voit qu'il y a la de grandes exploitations agricoles. Au fur et a mesure que Ton approche de I'Ouest, les prairies s'etendent et Ton commence a rencontrer de grands troupeaux de Ixeufsou de chevaux qui paissent en liljerte. Succes- sivement nous franchissons Hamilton, Paris (jui ne ressemble en rien a celui que M. Laboulaye a reve, Londrex et Windsor. Cette derniere ville est situee vis-a-vis de Detroit, sur la riviere qui faitcommuniquerle lac Saint-Glair, issu du lac Huron, avec le lac Erie. Ici le train s'embarque a bord d'un bateau et gagne au sein des flots la rive opposee ; nous sorames a nouveau sur la terre Amcricaine, dansl'etatde Michigan. Pendant cette traversee j'ai dine a borddii train dans un Eating-car, d'une facon tres convenal>le pour 7;j sous et avec du vin iort potable pour 3o sous la demi-bouteille. II estexplique, sur le memi ([ueTon vous presente, que la Compagnie n'entend pas faire de beni'fice sur la noiirritiu'e, mais seulement donner satisfaction, a un taux aussi modere (pie possible, a I'appetit de ses convives. II est certain que mon diner ne lui a laisse qu'un profit tres modere. J'ai eu pendant ce repas un ('chanlillon avant-roureur de la civiliti'' des CHICAGO gens de TOuest. Je m'etais installo seul a uiie table qiiaiid le gaivon me demanda si je n'aoriis pas ohjeclion a me mettre en face d'lin monsieur qui mangeait a une autre table. J'eus I'imprLidence de ne rien objecter et je me plapai en face du monsieur, auquel j'adressaiun demi-salut qu'il ne me rendit pas. La conversation continuaaiusijusqu'au moment oil le gentleman, qui en etait a son troisieme verre de biere, se mit a r...r innocemment et a plusieurs reprises sans scdouterenaucunel'a(,'onque cela pouvait manquer d'agrcment pour moi. A la troisieme repetition je priai le gar^on de transporter mon cou- vertumonancienne place, et ni ce brave negreni ce gentleman d'ecurie n'ont certainement soup^onne la raison pour laquelle je demenageais. Apres diner je me couclie et je passe une nuit charmante a contempler les etoilesparla fenetre de mon wagon. Vers le matin je m'cndors. A 6 lieures, le negre nous reveille en criant : « Break last! Break fast ! » J'ouvre les yeu.v, je tire mon rideau : Ic soleil inonde ma cbambre a coucher, la mer est au pied du train. G'est le lac Michigan qui deroule au loin ses Hots bleus. Pen- dant une heure et demie nous longeons la rive, faite de sable fin, et qui invite a la baignade. Nous traversons Michigan-City. A liuit lieures nous sommes a Chicago. 19 Mai. — Je debanjue; j'ai conlie les cheques de bagages, que i'ou ni'a donnesa New- York, a I'express qui les rendra a I'liotcl, et comme j'ignorc la route et que je suis muni de deux colis personnels, je prends I'omnibus pour aller a I'hotel. Coiit 1 fr. 2o pour faire cent pas. Palmer-House est le meilleur hotel de Chicago. On y vit a I'americaineet a la frangaise: c"esl-a-dire que Ton pent, si Ton veut, avoir le Board i,logement, nourriture, chauffage et eclairage) pour un prix fixe, ou bien payer sa chambre et sc nourrir au restaurant a la carte; la dite carte comprend d'ailleurs en- viron deux cents plats, parmi lesquels on peut cliuisir. Les prix soul nota- blement moins eleves qu'a New- York, niais la i[ualite de la cuisine est sensiblement inlerieurc. M. Palmer, avantd'installer son hotel pourlequell'incendiede i871 hii avait prepare un emplacement superbe, a fait en Europe un voyage al'effet de visi- ter tous les grands hotels et detablir le sien sur le meilleur pied. Gelui-ci passe en eliet pour un type d'hotel Americain des plus reussis , et le rez-de- chaussee offre continuellement I'aspect d'un veritable bazar. Les prix y sont 46 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERKjUE extreinement variables. Pour 4 i^s 1,2 par jour, on a une chambrc avec alcove, cabinets de bains et closets au 2° etage, nourrituro comprise. Une chambre encore plus grande, aussi bien nicublec, niais sans alcove ct avec ies memes agrements, raais au cinquieme, se pave, iiouniture comprise, ."] s. La pre- miere chambre coute 2 !$ 1/2 et la seconde i s 1 2 s;iiis la nourriture. Ces prix n'ont rien d'e.xcessif si Ton considere Ies agrements du logement, I'abondance et le clioix de la nourriture qui vousest allouue. Parexemple, en dehors du Board tout se paie assez cher; il en coiite lOsous par jour pour faire circr ses bottes, et si vous demandez une tasse de lait dans votre cliambre, on vous apporte sur uu plateau du lait, du pain, du beurre el du sucre, qui vous cOLitent 50 sous. L'eau glacee seule est distribuee sans parcimonie. Le batiment est Firr-proof , Ics planchers en fer voutes en bri([ues, et le service d'eau assure a tons Ies elages. 20 Mai. — Travaille aux affaires toute la journee. Visite un grand nombre de candidats. Les candidals s'appellent ici des applicants, du mot « applij-solicUor ». On voit a la porte de toutes les eglises de communions variables: k apply to sexton », ce qui ne veut pas dire : « appliquez-vous un seton » , mais bien : c adressez-vous au sacristain ». Le sacristain ou Sexton, est aussi generalemcnt Undcrtalier (entrepre- neur). II a soumissionne de la paroisso la concession de Teglise, fournit les chaises et les bancs a un prix extremement variable, et lone la maison du Sei- gneur en dehors de I'heure des offices, tantot pour un concert, tantot pour une conference. Ge metier est parfois tres lucratif. A Brooklyn, dans la paroisse du fameux Beecher, accuse et non convaincu d'adultere avec une de ses paroissiennes, et conmi d'ailleurs par son elo- quence et le liberalisme de ses doctrines, un banc a etc pave jusqu'a 7000 $ pour lannee par Claflere, le grand marchand d'6picerie de New- York ! Cast environ 700 fr. par dimanchel Tous mes applicants soiit i'ort retors et tres roues en aH'aires. Non seule- ment ils cherchent a me persuader (pie Ir medleiu' cliocolat est celui deleur bouti(juej ce a quoi jc m'attendais bien , mais ils manceuvreut tous de la(;on a passer de la position de demandeurs a celle de demamlcs. Je manonivre de mon cote pour conserver I'avantage de ma situation, ce qui fait que nous CHICAGO 47 parloos beaucoup pour ne rien dire;je rccueille neanmoins dans la conversa- tion une foule de renseignements utiles et dont je fais mon profit. II ne me scmble pas que rAmericain soit aussi net en affaires que son caractere parait le comporter. II se tient volontiers sur la defensive et profile de toutes les I'ausses manoeuvres. J'apprends occasionnellementcequ'on appelle en terme de bourse un corner (coin). II y a corner quand un groupe de speculateurs a la baisseou alahausse no pcut pas livrer ou lever. Dans ce cas, les adversaires, les tenant accules dans un coin, les forcent a rendre gorge. II parait que c'est ces jours-la que I'aspect du Board of Trade (Bourse) est curieux. Aujourd'hui, il est calnie ; les transactions annucUes y sont considerables, et la recolte des bles de I'Oucst , aux(iuels Chicago sert d'entrepot, change de mains au moins quinze fois. 21 Mai. — Dejeune a Palmer. Decidement la cuisine est assez mauvaise : quant au claret « recueilii specialement pour la maison Palmer », il a pour principal defaut d'etre aigre. On trouve sur cette carte des vins, de meme qu'a Spencer-House de Nia- gara, les crus les plus fantastiques. II y a un certain Chateau-Bouillac i^ 75sous la demi-bouteille, qui n'a certainementjamaisexistedans leMedoc. Les impor- tations de la Maison Cruse Fils et Freres se distingucnt parmi les empoison- nements de meme nature. Jc I'ai plus d'une fois vouoc a la consommation de ses produits. Un de mes applicants, M. de Roode, me presente u sa femme, a sa belle- mere, a sa mere et a sa soeur. Les deux premieres ne parlent pas un mot dc Franeais. Mais la mere, quiestHollandaise, lesaittresbien, et la soeur, Madame Rice, qui a eteelevee aParis et qui est premier prix de piano du Conservatoire, le parle en Parisienne. Je passe la une soiree charmante; j'arrlve ii me debrouiller avec mon pauvre Anglais. Madame Rice, qui a vraiment un grand talent de pianiste et qui chante fort agreablement, joue et chante tons les airs Franpais que je veux, depuis la ballade du Roi da Thule etle brindisi de la Traviala, jusqu'a la romance de la Pivichole. et au bolero des Bavards. Sa complaisance est inepuisable. Un ami dont j'oublie le nom est venu passer la soiree. II est attorney- general pres de la cour du circuit : homme aimable et instruit, ancien secre- 48 A TRAVERS LES ETATS-UMS D'A.MERIQUE taire d'ambassade a Mexico, il parle suffisamment I'Espagnol et le Fran(,"ais. Nous causons legislation et situation des negres ; et la encore une de mes illusions s'en va. Nous croyons generalement que depuis la guerre les negres sontlibres, ce qui serablerait assez naturel, puisqu'on a lait tuer 300 000 liommes et depense 13 milliards pour ccla. Or, recemment, un negre et une blanche, citoyens de la Yirginie , curent envie de se marier , ce qui etait cer- tainement plus moral quo de vivrc en concubinage. Comme les lois de la Yirginie prohibent Ic mariage entre gens de couleur differentc, ils prirentla precaution d'allerse marier dans la ville de Washington, district de Golombie, ci rombre du drapeau federal ; apres quoi ils rentrerent tranquillement chez eux. Bientot ils furent arretes et condamnes, pour crime commis contre les lois de la Yirginie et liors de son territoire, a cinq ans de travaux publics. lis evoquerent la cause devant la cour des Etats-Unis, mais le juge se declara incompetent, vu que les coupables, etant citoyens de la Yirginie, devaient etre juges selon les lois, et vu que le 13° ni le 15" amendement a la Constitution n'etaient applicables en la matiere, le 13'= disposant que personne ne pourrait etre reduit en servitude sans avoir ete regulierement jugc, ce qui n'etait pas le cas, ctle lo^portant que personne nc pourrait etre prive du droit de voter pour cause de couleur , do race ou de servitude anterieurc , ce qui n'a aucun rapport avec le raariagc. Done, les deux conjoints n'avaient qua faire s6parement leurs cinq ans dc travaux forces, apres quoi ils pourraient so remettre ensemble et avoir des eniants legitimes en Golombie, mais batards en Yirginie. Ceci, entre raille,est lui des exemples de la liberie dont on jouit chez ce grand peuple. On m'offre un souper a rAmericaine : lllet aux champignons, beurre, radis, concombres et tomates, fraises et gateau en massepain, sherry, tlie, cafe, eau glacee, ensemble ou separemcnt ; pendant la soiree , series de sherry-glass que je remplace par de I'eau glacee. En somme, soiree charmante, vie de famille, femmes aimables et distinguees, mais sans begueulerie ; une certaine naivetetouchante.QuandM.deRoodes'est marie, il y a deux mois, les compagnies qu'il represente lui out fait des cadeaux de noce; on m'invite a admirer une pendule et deux vases or et bronze vert, representant uu chevalier et son page, dont ma concierge ne vou- drait pas. J'admire cependaut et, Dieu me pardonne ! je suis presque con- CHICAGO 49 vaincu. La nation Americaine a encore beaucoup a faire pour acquerir le fde dollars. CHICAGO S9 Departement du feu. Nombre d'hommes 410 Pompes a vapeur 31 Voitures ,a tuyaux 30 Voitures a cchelles 8 Longueur dc tuyaux mobiles, 10 000 metres. Longueur du reseau telegraphique, S20 kilometres. Nombre de boites d'alarrae, 400. Nombre dcs iiiccndii's en ISKi. Incendies confines a un batiment. . . . 416 — — — deux — .... 10 — — — trois — .... 10 — — — plus de trois bailments. 12 Total 4S4 La vie materielle. — Le genre de vie est ici le meme que dans toute I'Am^- rique; toutefois I'existence est relativement a bon march6. Les gens riches, ou a leuraise, sont proprietaires oulocatairesirune maison . Une maison ordinaire pour une famillede 4 ou 5 personnes avec deux domes- tiques coute de 40 a 50 $ par mois, soit de 2 500 a 3 600 francs par an. La nourrituie pour cette memo famille vivant dans des conditions ordi- naires coute 13 a 20 i'rancs par jour, soit a aOO a 7 200 francs par an : le charbon environ 1 000 francs par an et legaz 700 francs. Le service coute par domestique americain, irlandais ou negre, de 3 a 5 $ par semaine, soitde7o0a 1 2.50 francsparan.il fautgeneralementdeux filles, ou une fiUe ef un gar^oii. L'entretien d'un homme coute de 7 a 800 francs, celui d'une femme n'a pas de limites, mais on peut I'evaluer a 1 500 francs tres suffisamment. Tout cela fait un total de 13 000 a 18 000 francs par an. (50 A TRAVERS I.ES ETATS-UNIS D'AMERIQUE On pent avoir iin clieval etiiiie voitiire en pension pour 20_$par raois,soil 1,200 francs par an. On nourrit le clieval, on le panse, on lave la voiture, r:i attelle et on detrlle autaiit do fois par jour (juon le veut; il siiffit davoir un cocher pour conduire. Beauconp de j^ens voulant vivre d'une I'acon confortable sans etre riches se mettent en Doanliiuj-liouse. La viey est incomparablement plus economique. I'n menage poul avoir une tn's belle cliambre faisant salon, avec nourriture, bains toutela joiiinee,eau cliaude et eau froide, service, troisrepas par jour, pour 60 dollars par mois. Un gentleman seul vit pour douze dollars par semaine. Les dames de Boodge viventa trois pour 90 S par mois, avec deux cliam- bres, trois lits, un grand cabinet et le salon dela maison. Beaucoup d'Americains adoptent ce genre de vie, ce qui les dispense de Iciiir 7naison. L'ete venu, on plie bagages et on va a Saratoga, ou dans les montagnes, sans laisser aucuns I'rais g^neraux derrierc soi. Les bagages qu'on n'eraporte pas se mettent dans une caisse et se deposent en des etablissements fails pour cela. Dans le board de M""= Boodge il y a 62 boarders des deux sexes ; il n'y a rien deplus desagreable a mon avis que cette perpeluelle table d'hote. Mais ce genre de vie permet de se pavaner a Fexterieur, d'augmenter ses d^penses de toilette, d'avoir une voiture quand on no lepourrait pasautrement et de se dispenser du soucides domestiques, cequi est unegrosse affaire pour les mai tresses de maison. Au lieu du boarding, beaucoup de families preferent I'liotel ou Ton est plus libre et ou Ton peut I'aire des arrangements pareils dans des condi- tions assez economiques. Ce n'est point la vie de famille ni le Home tels qu'ils sent racontes dans les romans Americains etdans M. Laboulaye;mais il y a beaucoup arabattre de M. Laboulaye etdes romans Americains. Demain matin je pars pour Saint-Louis de Missouri. 3 Jiiiii. — Je quitte I'hotel a 8 heures et demie et Chicago a 9 heures.Ce n'est point sans difficultesque j'ai penetri^ les details du depart de rOmiiibus, des bagages, des traces, etc. Inslruit par I'cxperience, j'ai remplacedeux de mes raalles hors de service par une seule, une malle ainericaine, dont le prix est SAINT-LOUIS fil I de 10 !^ etqiii est batio pour resistor a tons les assauts qifellessuhisseiit. Je la laisscrai a IJiotel avcc le superflu de raon bayage; on la iminit d'liii numero en cuivre dont on me donne le double ct je la retrouverai en revenant de San-Francisco. De cette fagon, jen'auraiqu'une raalle aux bagages, ce qui me permettra de n'avoir aucun excedent, quelque lourde qu'elle soit. De Chicago a Saint-Louis, 11 y a 281 milles, soit 452 kilometres; la route se fait en 11 heures et demie et pour 9 $ 25, soit a raison de 39 kilometres et demi a I'heure et de 10 centimes par kilometre. Le train, qui est tout ce qu'il y a de plus omnibus, s'arretea toutes les stations . On traverse ainsi successiveraent un grand nombre de villes dont j'ignore les noms; le pays est plat, peu accidente, tres cultive. Le chemin de fer est ^tabli sur un plan a peu pres horizontal : de chaque cote, des champs et des pres; parfoisdes bois sur une certaine longueur. Tout est clos, ce que je m'explique, quand j'apprends que Ton a droit de faire circuler les bestiaux sur toute terre non close. Le chemin de fer est done garde par les barrieres des proprietes riveraines partout, excepte a la traversee des routes. La, un poteau est plants avec cette inscription, au tra- vers de la route : le chemin de fer traversant, faites attention aux cars quand la cloche sonne ! Parfois sur les passages a niveau tr^s frequentes, deux bras autoraatiques, mis en mouvement par le passage du train, s'abaissent et ferment la route iurant tout le passage pour se relever quand il est effectue ; mais cet appareil 3St tout a fait a I'etat d'exception et, en gen«5ral, on s'en rapporte aux pas- sants pour se preserver eux-memes. Nous diuons en route dans un Eating-car. Fort convenable diner pour 75 sous. A Alton, nous trouvons le Mississipi, sur la rive gauche duquel est a gare. Peu apr^s, a Edward' s-ville, il regoit le Missouri, et devient alors le grand leuve qui peut porter les plus gros bateaux. Nous ne le quitterons plus jus- ju'ii Saint-Louis. Arrive a Saint-Louis, qui est le point terminus demon billet, je descends, 'ersonne n'en fait autant, et le train repart me plantant la avec raon sac, ma valise et men paraphiie. Je suis en train de me faire expliquer que je suis a 62 A TRAYERS LES ETATS-UNIS D'AMfiRIQUE East Saint-Louis et que j'ai encore leMississipi a traverser avant d'etre en ville I Je frissonne, quaml un second train arrive et me tire d'embarras ; je me preci- pite : je paye 2o sous pour passer le pont et j'arrive enfin a Lindell-Hotel oil je soupe et je m'endors, revant que je passe le Mississipi a la nage avec ma valise sur le dos et a clieval sur raon parapluie. 4 Juin. — Lindell-Hotel est exclusivement sur leplan Americain. II faut se raettre au regime du board. Apres beaucoup de negociations et de vaines recherches en ville pour trouver unecliambre possible, je finis par m'installer. Pour 4 $ j'aurai une chambre au premier etage, avec bains, closets, gaz, etc. , et 4 repas par jour, a la condition d'y etre a Theure. En se passant de bains on peut vivre pour 3 $ ; mais dans cette saison, un bain a toute heure vaut bier cincj francs de plus, sans compter les autres agrements. 5 Juin. — Yu I'Amt^rican Central Ins" C° ot commence la revue des gens d'assurances : ccla n'a pas Fair de vouloir aller tout seul. 6 Juin. — Continue la revue des gens d'assurances. 7 Juin. — Dimanche. — Je dine a la campagne chez M. A*", secretaire di Board of Underwriters (Gomite des assurances). Ce compatriote, tres aimable d'ailleurs, s'appellc pour les Americains M. A*'*, et pour les Franpais M. de S'-A*" ; il cumule, avec ses fonctions dc secretaire, la qualite d'ingenieur civil et celle de pere de six enfants. II vit e Kirch- Wood, a 10 milles de Saint-Louis , dans une maison qui m'a paru asse; simplement installecet au milieu d'un jardin oil il pousse plus d'herbes qut de fleurs. Apres le diner nous repartons pour la ville, oil M. A*" a des piquets ii planter. II m'offre d'assister a cette recreation, ce que je decline poliment, En somme bon accueil et excellentes gens, mais diner un peu vague et joi( mediocre; rien de comparable a une orgie romaine. S Juin. — Je lie commerce d'amitie avec le negre qui, a la porte du Dining- room (salle a manger) , est charg6 de recevoir et de remettre les chapeaux. Lr marque du mien m'a concilie sa bien veillancc ; il m'appelle « Moussie de Paris >. et me gratifie a chaque sortie d'un cure-dents et d'un coup de brosse. De mor cote je I'appelle v Monsieur », et j'ai corrobore cette marque de deKrence par le don gratuit d'uno piece de 2.j sous, ce qui m'a donne droit a tons ses egards. Aujourd'hui la conversation s'est prolongee, et, encourage par ma bienveillance, il m'a oll'ert une femme, « une lady de I'hotel, tres vice ». J'ai SAINT-LOUIS 63 fait semblanl de ne pas le comprendre ; il y a lieu de se mMer de ces bonnes fortunes. On m'avait deja dit a New- York ct a Chicago que ce metier etait une des principales occupations des negres des liotels; un de mes amis, auquel je demandais si on pouvait amener une dame a Hoffmann-House, me repondit : « Si on s'en aper^oit , on te fera probablement des observations, car en ge- neral on peuttrouver a I'hotel tout ce dont on a besoin ; d'un autre cote, les proprietaires ne veulent pas laisser faire concurrence a leur clientele «. II ne s'agissait, bien entendu, que d'un S(5jour pour la nuit, car pendant le jour tout hotel est un caravanserail ou Ton va, vient, entre et sort sans le moindre controle. Les grands hotels de New-York, Fifth Avenue, Hoffmann, Albermale, Metropolitain,serventhabituellement de lieu de rencontre aux gens qui ne peuvent se voir ailleurs. Les dames Americaines elles-memcs indi- quent ce precede aux etrangers ignorants. On arrive avec un petit sac, on donne uu faux nom , on demande une chambre et on a soin de la choisir a proximite de I'elevateur. On s'installe, on fait monter une bou- teille de Champagne a la glace, trois verres et des gateaux. On sort avec sa clef dans sa poclie , on rencontre par hasard la damesur Broadway, on lui dit : « En quittant I'elevateur, 2= 6tage, a gauche, puis a droite , n" 263, « la porte sera entre-baill^e. ■ » — « All nQhl ! sir. I shall be in ten minuls ! » Dix minutes apres, elle est chez vous. Le soir vous reprenez votrc sac et vous demandez votre bill que vous acquittez avec le calme d'une conscience pure et la satisfaction du devoir accompli. Pour revenir aux negres, ils sont a peu pres les seuls domestiques dans les grands hotels, excepte a New- York. Ce sont de tres bonnes creatures, soumis, attentionnes, complaisants et sensibles a la moindre marque d'at- tention. Un negre attache a votre service a table ne vous perd pas de vue; il clierche a deviner vos desirs et a vous offrir ce qu'il suppose devoir vous etre agreable. Quand il se trompe, il estdesole ! Ce matin j'ai demande une omelette avec du jambon {tvith ham), et par pre- caution j'ai demande a mon negre s'il avait compris. « Perfectly well, sir », m'a-t-il repondu d'un air a me faire comprendre que ma question etait tout a fait oiseuse. Dix minutes apres, il est arrive portant une superbe omelette 64 A TRAVERS LES ETATS-UMS DAMERKJUE au r/tum, d'un air trioiiiphant qui voulait dire: « J'espereque c'est suflisain- » ment compris et que ce n'est pas a mot qu'il faut demander si je com- » prends ! » Pourne pas lui faire de la peine, j'ai temoigne de I'enthousiasme ct j'ai mange mon omelette au rhum, qui n'avait du reste d'autre defaut ([ue de preceder les cotelettes au lieu de les suivre. Le negre a des defauts; il est paresseux, voleur, gourmand et lascif; ajoutez-y bavard , et vous aurez la definition du moineau telle que la donne Sardou dans « Nos Intimes », je crois. Ge sont les defauts de sa race, et il n'est pas surprenant qu'ils subsistent, car, en Amerique, ni ses oppresseurs, ni ses lib^rateurs n'ont rien fait pour I'encorriger. La paresse surtout est innee chez lui: rien n'est adorable comme devoir arriver dans la sallea manger le bataillon de negres qui prend la garde. Allonges en file, ils sortent de la cuisine, la tete haute, 1 air mar- tial, les bras ballants, eti un pas inferieur au pas ordinaire ils font le lour de la table. Sur un battement de mains du maitre d'hotel, on fait haltc ! front ! On rompt les rangs, et tout le bataillon seprecipite autour dei tables oii il n'y a personne. Chacun met a droite la fourchette (}ai est a gauche, chasse de la nappe des raiettes de pain absentes, levc le couvercle des sucriers pour voir s'il ne s'y est pas introduit de mouches, entiu s'empresse a no rien faire. (Juand Ic maitre d'hotel place un nouveau convive , unc activite extraor- dinaire se manifeste dans le bataillon, chacun ayant I'air d'etre assez occupe pour etre dispense de toute nouvelle besogne. Quand unc fois il est attache au service de quelqu'un, il en prend son parti, et s'occupe de lui exclusi- vement. Le negre est surtout curieux a observer (juand il sert une jolie femme. II la couve des yeux et I'embrassedu geste ; ildevient plussouple, pluscoUant; il saisit tous les pretextes pour s'en approcher ; il I'evente avec les larges feuilles de palmier; enfin il lui fait une cour assidue. II n'y a aucun doute que bien des esclavcs aicnt du etre amoureux de leurs maitresses, et que dans ces plantations du Sud oii le soleil est chaud, I'air lourd, la nature precocc et la promiscuite a peu pres sans bornes, bien des drames ignores out dii se passer dans le coeur des enfants de I'Afrique transplantes dans la Yirginie ou dans les Carolines. Rien n'egalait , en effet, I'indifference et le mepris souverain de la femme blanche pour le negre, ([ui n'etait pas plus un homme SAINT-LOUIS 60 poiu ellc (juc leuuuque iioir pour les femmesd'un serail oriental, et pour les Yi'ux duqiiel la pudeur n'existait absoluinent pas. 9 Jiiin-30 Jtilii. — Jours maussadesl Du \) au 19 je clierche dcs agents, tout en visitant la ville qui n'a riende curieux. Elle est fort etendue relati- vemcnta sa population, , soit 285 000 francs. Celle du president du chemin de fer Central Pacific ne coiite pas moins de 74 A TRAYERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE deux millions et demi de francs. L'interieur est, parait-il, tout co qu'il y a de plus somptueux. Cos batiments, isoles et entoures pour la plupart de jardins oude gazons verts, constituent do tres profitables risqucs ipii s'assurcnta 1 1/2 ou 2 0/0. Les rues sontlarges, droites et bien percecs ; mais, corame les resi- dences sont sur la ehainede collines qui separe la viUe de la grande iner, on ne fait jamais que monterou descendre. 11 Juillet. — M*" m'invite a aller passer deux jours avec lui et sa femmc aux bains de mer de Santa-Cruz. C'est une station sur la baic do Monterey, a lOOmillesou 160 kilometres environ de San-Francisco. M" M"* y est installee avec son petit gar^on et sa bonne. Nous partons a 4 lieu res du soir, M'", moi et le capitaine B'*', cclui-la uu capitaine de navire marcliand. Nous traversons en ferry-boat la bale de San- Francisco et prenons le cliemiu de fer a Oakland, petite ville situee de I'autre cote de la l)aie,ou beaucoup de negociants vivcnt et qui esten ete une station de bains de mer. A sept heures etdemiedu soir, le cliemin de fer nous met a New-Almaden, ou il s'arrete, et oil un boggy attele de <{uatre chevaux nous attend pour nousfaire faire les 19 millcs (.31 kil.) qui nous separentde Santa- Cruz. Nous partons, et au bout de dix minutes je me demande si nous arri- verons entiers. Nos chevaux out le diable dans les jambes, et notre cocher conduit comme s'il etait ivre. Nous francliissons les montees au galop et les descentes au trot, sur un chemin limite d'lni C(')te par la montagne, de I'autre par uu I'avin de cent pieds de profondeur dont le flanc est emaille de souches d'arbres coupes, ce (pii nous offre, en cas de chute, la perspective d'une serie de cascades en esca- lier. Nous francliissons grand train des failles (fissures marecageuses) qui out 40 pieds de large sur des especes de platelages (plate-formes faites avec des ironcs d'arbres) (jui font cc er! er!! » et ont toujours I'air de rouler sous les pieds des chevaux. La route, taut (ju'on la voit, est superlie; mais a huit heures et dcmie la luiit est complete et on ne voit plus la tete des chevaux. Tout a coup, nous entendons un vigoureux : « Halloli I i> Notre automedon arrete r.es quatre lietcs et nous nous Irouvons nez a nez avec uu autre boggy (|ui, suivant I'usage, ii'est pas plus eclaire que le outre. En Ameriipio, on se dispense partout de cette formalite, et les cars seuls sont eclaires, ce qui les met a I'abri de toute reclamation en cas d'accident. De toute necessite, il faut SAN-FRANGISCO que I'un de nous recule : nous descendons et nous poussons notre voituro jusqu'a I'extr^me bord du precipice; le voisin passe entre nous et la cute. Nous repartons a fond detrain pour rcparer le temps perdu, et a 10 lieures nous sommes a Santa-Cruz, ou les bons soins de M'* M"" nous ont assure une confortable hospitalite. 12 Juillct. — Je commence un echantillon de la vie des bains de mer. A liuit heures et demie on dejeune, et je suis presente a une vingtaine de dames et de demoiselles. La c^r^monie est toujours la meme : « Miss Jenkins, M. Jay (j'ai renonce a obtenir qu'on prononce Jay). — Miss, tr^s honor6. — Sir, tr6s heureuse de vous rencontrer ! » J'echange un salut, la poigneede main de rigueur, et j'ai acquis le droit de parler a la jeune per- sonne, de la mener promener a pied, a cheval, en voiture, et de lui ofFrir tout ce qu'il me plaira, sans qu'elle me considere autreraent que comme tres lionore. Apres dejeuner, on va a la mer a pied ou en car, on se couche sur le sable a I'ombre de quatre ou cinq branches de pin; onregardela bale qui estsuperbe; on dit du mal des voisins ; les demoiselles vous pretent leurs genoux pour appuyer votre tete et vous demandentdes renseignements sur les femmes de France. Vers midi toute la soci^t^ se baigne en choeur ; on s'at- tend sur la plage, et quand tout le monde estr^uni et en tenue, on forme une chaine et Ton fait dans I'eau une entrt5e triomphale. Apres quoi les couples se ferment ; les vrais nageurs partent deux a deux pour le bateau qui est a 50 ou 60 metres de la cote ; les autres reslent pres de la rive et se donnent des IcQons de natation avec tons les incidents usites en pareille occurrence, inci- dents qui se produisent et que, au besoin, on fait naitre. Apres le bain on va lunclier, ce qui permet aux dames de changer de toi- lette, et apres le lunch on s'assied sur la terrasse, ou Ton va faire des prome- nades a cheval ou en voiture. Pour nous , nous faisons des parties de billard avec des jeunes filles fort inexperimentees sur le maniement de la queue, ce qui ne laisse pas que de devenir assez ennuyeux. A cinq heures, retour a la mer et nouveau bain, et a sept heures, diner precede d'une nouvelle toilette. Apres diner, station sur la terrasse et au salon, et a neuf heures ouverture du bal qui a lieu tous les sa- medis. Les jeunes beaux de I'endroit y deploient leurs graces et les demoi- selles y distribuent leurs faveurs, tout en ayant fair de s'amuser royalement. 7() A TRAVERS LES ETATS-UN[S D'AMERIQUE On ne danse guere que le quadrillle des landers etdesvalses; I'Americaine valse bien,toujours a trois temps, et die a la valse coUante. A onze heures cette petite fetese termine et, apres avoir leconduit les dames qui demeurcnl dans les chalets voisins de I'hotel, on va se couclier Lcs uns avec leurs ferames, Et Ips aiitres tons seuls. ^3 Jidllet. — Dimanche. — Le programme est le meme que la veille, seu- lement il se complique d'unc promenade en voiture aux Big-trees (arbres gt^ants). Ces arbres, qui sont de la famille des Tarodium el du genre Scrjiioia, comprennent seulement deux especes : le Sequoia fjajanlcaei\e Sequoia sem- pervirens; toutes deux sont speciales a la Californie et ne croissent que sous une latitude restreinte. La derniereconstitue le Red-wood, excellent bois de construction dont sont faites presque toutes les maisons de San-Francisco. II nest aucunement resi- neux, briile en se carbonisant et n'est pas accessible aux tarets. Nous partons dix dans un break a quatre chevaux, quatre liommes et six dames ; le sexe fort est demande. En route, noussommes rejoints par une caleclie contenant un amiet trois amies. Nous arrivons ensemble aux Big-trees. Ce sont de tres beaux et tres grands arbres. Douze personnes joignant leurs mains bout a bout ont peine a embrasser le tronc de I'un d'eux : entre lcs racines d'un autre est une espace vide dans lequel notre bande joyeuse de quatorze tient parfaitement a I'aise, L'ecorce, dans laquelle ont ete pratiquees des ouvertures carrees servant (]<■ fenetres, a plus dun pied d'epaisseur, et cette niche a, pendant phisieurs annees, servi d'habitation a un bi'icheron et a sa femme, qui devaient cepen- danty etre un pen a I'etroit. La hauteur des arbres atteint, autant qu'on en peut jiiger, 200 a 300 pieds, et on leurattribue un age de 2 000 a 3 000 ans. Apresunsuffisant tribut d'admiration paye aux Big-trees, nous allons nous promener dans la foret et cueillir des noisettes. Nous saluons la caljane on le general Fremont a vecu pendant sept ou huit mois, occupe de recherches mineralogiques ; nous nous asseyons en chceur sur le banc assez pourri qui servait an celebrc general et nous poussons trois cheers en son hon- neur. An troisieme, ma voisine trouvc [liaisant de se laisscr tomber sur Ic i)anc (jui se casse, ce qui amene une certainc conhision dans nos positions SAN-FRANCISCU 77 respectives. En sorlaiit, nous allons voir les travaux. dii chemin de fer et, eorame uncdizaine de brouettes sontla inoccupees, les demoiselles ont I'in- gtinieuse idee de se faire promener en brouette sur le remblai. Nous nous altelonscliacun a une brouette et nous executons une course dans laquelle j arrive bon second. Apres quoi, pour gagner du temps, nous prenons cliacun deux fenimes sous le bras, ct nous descendons au grand galop un talus de 2^) a 30 pieds. Cette fois, comme je tiens la tete, j'ai une forte envie de m'asseoir par lerre avec mes deux voisines pour voir I'effet. Je resiste a ce premier mouve- ment qui etait le bon, et nous arrivons sans cncombre; nous remontons par un assez long detour etnousallons prendre un lunch copieuxet bienarros6.Au dessert, tout le monde parle fran^ais ; je demande a ces dames la permission de leur ottVir du Champagne, ce qu'elles m'accordent de la meilleure grace du inonde. Nous buvons a I'Amerique , a la France , aux dames Americaines, aux dames Franpaises ; on chante Yankee Doodle et la Marseillaise , on se dit des choses douces , on regrette do ne pouvoir toujours vivre ensemble, on se donne rcndez-vous a Paris que toutes les Americaines grillent de voir, cnlinon se leve, etchacun va promener son attendrissement sous le ciel bleu el les grands arbres de la t'oret. De relour a I'hotel on dhie et Ton liait la soiree sous la veranda , oili Ton se balance dans des liocking-cluiirs { fauteuils berceurs), en se faisant des declarations mystiques. Le dimanche on ne danse pas. Du reste , tout le monde etant un peu fatigue, on se couche de bonne heure ; nous autres nous repartons le lendemain matin a 4 heures et demie. Telle est la vie des eaux, des bains deraer, des Summer Resorts (residences d'ete),que toute famiUe Americaine un peuaisee mene pendant une partie de lannee. Ainsi (jue je I'ai dit, les deplacements sont i'acilites par I'habitude de vivre a I'hotel ou en board. Ce sont des lieux oil Ion no songe guere qu'a s'amuser, et pour les jeunes lilies des localites a peclier des maris. Ce serait ici le lieu de parler un peu de la jUrlaliun, cette occupation constante de la jeune fille Americaine, plus facile a pratiquer qu'a defmir. Les opinions des auteurs varient considerablement sur le sens du mot lui-meme et de ses d6riv&. Le grand lexi(}ue delinit : « a jlirt » « une impertineute pelite coquine ;), 78 A TRAYERS LES fiTATS-UNIS D'AMERIQUE et « to jUrl » « tourner constammeut autoiir, etre cliangeant et volagc. « Walker dit que « toflirl » est se railler ou so moquer de quelqu'un, plus communeraeiit « coquette anx les Iiommes. » Le D' Johnson, dans son dictionnaire, definit la flirtotion « une sorte « de jargon particulier aux lemmes » , et Pope nous apprend « tpi'un « volant de mousseline a une robe bien faite donne un tres agreable air de « flirtation. » Enfin mon dictionnaire traduit tout betement jlirlation par « mouvement vif, coquetterie. » Si ces definitions etaientexactcs quand elles ont etc ecritcs, il ya lieu de reconnaitre que les Americaines out largenient etendu le sens du mot. Un de mes amis, auquel je demandais une definition, me repondit : « C'est tout, « mais pas le reste. » D'oii il me parait que Ton pent conclure que la tlirta- tion est le roman de I'araour sans les consequences. Elle derive evidemment d'un besoin de plaire et d'etre courtisee, inn^ cbez I'Americaine. Ce besoin se complique a un certain age de la necessite de se caser ; mais il existe chez I'enfant. La young girl a engerme tons les instincts de la young lady. Des lillettes de huit ans, qui jouent sur la galerie devant ma fenetre, tambourinent a mon carreau pour que je les admire, et sont ravies quand je leur envoie des baisers quclles me rendent tres gentiment, ce qui leur vaut un sac de bonbons pour lequel elles ne me disent pas merci. Quand I'enfant devient jeune fille, la manie se developpe et s'exerce a clia- que instant. L'Am(5ricaine flirte a pied, a cheval, en bateau , en voiture, an bal, a la promenade, au restaurant, an theatre, la nuit et lejour. Des que vous etespresente a une jeune fille, elle s'informe si vous etes marie ou en- gag(5; dans ce cas vous etes liomme de pen; dans le cas contraire, vous pou- vez alier de I'avant. Lancez la conversation sur les pentes les plus scabreuscs etles terrains les plus mouvants ; elle vous y suivra sans broncher. Grace a son education, a son contact perpetuel avec les gargons, la fille Americaine n'ignore a peu pres rien de ce qu'elle doit apprendre. Elle sait jus(|u'oi'i elle peut aller et oii le danger commence, et elle ne vous laissera pas d^passer la liniite, mais en dega tolerera tout ce que vous voudrez. Un ami, auquel je demandais, a mon arrivte en Amerique, des renseigne- ments sur la meilleure fagon de se conduire , me repondit : « His tout ce que SAN-FRANCISCO 7'J « tu voudras, fais tout ce que tu pourras, mais n'ecrls jamais rien. » J'ai pra- tique la premiere partie de ce conseil et jamais mes paroles n'ont souleve la moindre recrimination. Le soir meme de notre promenade aux Big-trees, deux demoiselles, causant de Paris, m'ont demandedesrenseignements sur le jardin Mabille. Jeleur ai dit que nous appelions ce lieu en Franpais White flesh Market (marche de la chair blanche), et je leur ai explique la nature, le but et les procedes des transactions qui s'y concluent; elles n'ont pas sour- cilleet ontinsiste sur certains details I Dans une autre circonstance, j'ai dis- cute etdefendu contre uneaimable fille la doctrine du free love (amour libre), et elle n'a aucunement ete embarrassee pour me fournir des arguments mo- raux et materiels a I'appui de son opinion. Quand on opere sur un terrain personnel, c'est exactement la meme chose; la sympathie innee, les atten- tions mystiques, la theorie des ames jumelles, letout, avec accompagnement de gestes,*u'etonne en rien la young lady. A raon tres vif regret, je n'ai pas eu I'occasion d'experimenter le resultat qu'auraieat pu avoir des tentativesplusaccentuees ; jene suisdonc que I'echo des renseignements que j'ai recuelllis, quaad je dis qu'elles n'auraient etc couronnees d'aucun succes. C'est d'ailleurs mon opinion personnelle. II arrive pourtant quelques accidenLs, mais ils sont rarcs; la raison en est, en partie, dans I'experience des filles, en partie dans I'absence des garcons. II n'y a pas en Amerique, comme cliez nous, cette race particuliere d'oisifs et de beaux dont la principale occupation est de faire la cour aux femmcs. A seize ou dix-sept ans un jeune Amertcain est aux affaires de 9 heures du matin a 6 heures du soir ; il rentre, dhie, et se couche quand il no va pas dans le monde. 11 est done difficile aux deux sexes de se rencontrer dans la jour- nee, etle soir les tete-a-tete sont dilTiciles egalement. 14 Juillet. — Retour a San-Fraucisco par le chemin defer de Santa-Cruz. Cinq heures de route a travers un pays fertile, mais desole aujourd'hui par la secheresse. Lavoie longe le cote Sud-Ouest de la bale, a une assezgrande distance de la cote, et arrive a San-Francisco par le Sud. Nous dejeunons en route, a 7 heures du matin, a Gilroy, oil noussommes en butte aux empoi- sonnements ordinaires des buffets Americains . i 5 Juillet. ^Grande degringolade aujourd'hui au Stock-Exchange sur les actions des mines. On ne sail pas pourquoi. L? fait est attribue a un coiq) de 80 A TliAVEUS l.KS ETATS-IXIS I) AMKUIOL'E speculation de la Banque de Nevada. Les societes par actions no sont pas constituees ici comme en France, sauf dans certains cas particuliers. Quand un proprietaire d'une mine on d'une iisine vent la niettre en actions, il divise sa propriete en un certain noniJire de, parts, et les distriliue gratuitement ou moyennant aryent a des f;ens qui deviennent ainsi actionnaires. Les de- penses necessaires pour la raarclie de ralfairefout alorsl'objet cVrissiisscmcnts (repartition) entre tons les actionnaires. Le coursde Taction se compose done de trois elements : 1° la valeur qui lui a ete donnee par le proprietaire, a sa creation; 2" les depenses reellement faites; 3" I'esperance des profits I'uturs. Le capital de la societe est ainsi continuellement variable, et cette situation explique que les actionnaires soient responsables vis-a-vis des creanciers jus- qu'a concurrence de la totalite des depenses engagees. La Nevada-Bank est constituee par trois individus disposant cliacun d'un capital de lo a 20 millions de dollars. A I'aide de ces Ibnds, ils exercent sur le marclie une pression toute-puissante et y font la liausse et la baisse. Cela est d'autantplus facile (pie la valeur des actions estfaible, ce qui permet aiix gros capitaux de faire de tres imporlantes aflaires au comptant, et (pie les operations a terme qui pourraient les balancer sont difliciles aux petits specula- teurs. On ne fait pas d'operation a terme, en etfet, sans un d(5j)6t prcialable de 40 0/0 du capital engage ; et, quand un mouvementse produit en sens in- verse de Toperation, on exticute apres avis doniKJ vingt-quatre heures a I'avance. Quand les mines donnent, le marclie de San-Francisco est sujet a des oscil- lations terribles, et il s'y fait et d(jfait de tres grandes fortunes. Le soir j'assiste a un meeting republicain. II est aiinonce a la porte d'un theatre par unorchestreet par un grand feu allum(3 au milieu de la rue, ce ([ui ne parait gener personne, niles passantsni les chevaux. J'entre : un orateur occupe la scene sur ledevantde laquellc il s'agite en poussant des cris fiiroces oii jc ne distingue qu'une cliose, c'est que le liepublican party est le seul qui prenne en main les iiit(ir(Jts du peuple et sc soucie de son bien-etre. L'assistance, debout, assise ou coucliije sur les bancs, applaudit avec fureur, tout en fumant, clii- quant et crachant. II est evident que les contradicteurs ne se sont pas four- voyes dans Tenceintc ou qu'ils gardent un anonyme prudent. II n"y a du reste que des orateurs r^publicains inscrits au nombn^ de trois, qui doivent pren- dre successivement la parole. SA.N-FilANCISiJO 81 La reunion a pour objet de preparer les elections generales qui doivent avoir lieu en novembrc prorhain. Ges elections ont unc importance speciale, parco que la Icyislatura qui va etro eluc aura la cliarge de faire les lois (|ui devront assurer rapplicalioa de la nouvelle Constitution. Democrates ct repu- blicains se disputent done Ic pouvoir; il est probable ([ue ces derniers remporteront grace a la division de leurs adversaircs. Le parti democrate est en effet, a San-Francisco, partage en deux : les anticonstitutionnels qui ne songent qu'a attenuer et a modifier la Constitution aujourdhui votee, et les travailleurs workii}g-men qui ont adopte cette meme Constitution en haine de la concurrence Gliinoise. II est extremement probable que la desunion du parti democrate fera la force de ses adversaires, moins nombreux, maismieux disciplines. 45-20 Juillet. — J'assiste a une representation au Tlieatre franfais. Je suis presente par F'" a Jl'" L*", sa voisiiie, une jeunc Anglaise bien elevee, qui descend, dit-elle, d'une grande I'amille, laquelle a eu des malheurs et dont elle est le dernier rejeton. Elle parle frangais, assez mal il est vrai, mais cela surtout a cause de sa timidite; je la plains de ses malheurs qui I'ont obligee a echanger le palais de ses peres contre une chambre meublee a San-Fran- cisco, et je lui propose de me donner quelques lefons de langue Anglaise, ce qu'elle accepte volontiers. 21 Juillet. — Dine avec Miss L"* a la Maison-Doree, Kearny street, fort bien et pas clier : S $ 1/2, y compris unedemi-bouteille de Champagne. Aprtjs diner, entendu liiro/lrf, tres convenablement cliante par la troupe Frangaise. 22 Juillet. — Dina chez le general avec sa famille, M. F"* et M. H", le secretaire de Berlin-Cologne C". Diner Americain-Francais : Huitres, potagc a la reine, bouchees aux truffes, paisson, croquettes de quelque chose, filet aux champignons , poulet roti sur une sauce blanche , aubergines farcies et petits pois; sorbets au marasquin , cailles roties , salade de laitue, plum-pudding, desserts. Vins: Sauternetres bon, Sherry, Bourgogne mediocre, Champagne. Le diner est tres gai; les deux lilies du general, dont I'une est ma voisine et parle un pen francais, sont aimables. Miss M*** aime les arts ; nous mangeons le dessert dans un service de porcelaine fort elegamment peint de sa main. Apres diner, on joue au billard et Ton cause sur la terrasse en funiani, ceux du moins (|ui peuvent i'uiner. 6 82 A TRAVEHS LES ETATS-UNIS DAMERKJUE En sortant, nous allons voir le concoiirs des Pedt'striennes. Les dames de San-Francisco, que les lauriers des liommes empecliaient de dormir, out of- fei't line ceinture argent et or a celle qui parcourerait le plus long cherain en six jours. C'est ce soir a onze heures que se termine le concours (pii a lieu dans le local del'Exposilion annuelle, sur une piste crtjee cid hue. Nous arrivons a 11 lieures moinsun quart. La salleest bondeedemonde; mais depuis laveille, la victoire n'est plus douteuse. Une Fran^aise, M"'= Lachapelle, tient la tete avec une avance considerable; a onze heures sonnant, M™ Lachapelle a fait 306 milles et demi, soit 't08 kil. GOG ni. ou 68 kil. Ill m. par jour. Dans les dixdernieres minutes elle a fait 1 mille, soit 13:!3 ni. ou L53 m. par minute. La seconde, M" Edwards, n'a que 267 milles; la cimjuieme, 180 milles. M'"' Lachapelle est saluee par uu vigoureux luiri'ali. Au lieu d'aller se faire frictionner les jarrets et se mettre au bain ou au lit, ce qui me paraissait assez urgent, elle fait encore deux fois le tour de I'arijne, au son de la Marseillaise, la premiere fois en tete des concurrentes , tenant a la main le drapeau Ame- ricain; la seconde en portant sur un coussin la ceinture qu'elle venait de ga- gner. II faut que cette dame ait un fameux ressort. Elle est petite, mince, et assez bien de figure. Son costume, comme celui desautres, sccomposaitd'une paire de bottines en etoffe, d'un pantaioii tombant au-dessous des genoux , (I'une blouse demi-collante et serree a la taille par une large ceinture, et dim Itoniiet rond et aplati. Cliacune avait sa couleur. La sienneetait bleu pale. 2i-31 Juillet. — Voyage a Yosemite-Valley, lequel coiBtitue bien le best ijanhee trich (laraeilleure plaisanterie Americaine) ijue j'aie jusqu'ici rencon- . tree. Tout le monde ici me repetait : « AUez voir Yosemite et lesBig-Trees ! Qui- « conque n'a pas vu Yosemite n'est pas un homme complet! L'avez-vous viie? « — Non. — Alors vous etes incomplet. — Oh ! mais je me completerai , je ne <' niourrai pas sans avoir vu Yosemite-Yalley la valleo du grand ours gris). » Enfiii, je liiiis par etre persuade que mon voyage en Amerique serait com- pletement manque si je ne voyais pas Yosemite, et les Big-Trees, etles Falls, elc. Fatale ingenuite! J'eus la double imprudence de prendre des renseignements au bureau de la Compagnie et de me livrer a la lecture d"un guide evidemment redige a New- York par un Monsieur assis au coin de son feu, lequel, pour cinijuante SAN-FRAJVGISGO 83 sous , me donna les details les plus fallacieux sur les beautes de Yosemite. Un jeune Allemand qui on arrivait me vanta les charmes du voyage, acte de haine patriotiquc que je no lui pardonnerai jamais. L'avis de ce temoin oculaire me decida, etdeslors il marriva la serie de choses Joyeusesquevoici : Je pris au bureau de la Turnpicke ct Yosemite C" un billet d'aller et retour valable pour six mois, moyennant le prix de 59 $, (il y a 174 milles de cliemin de fer de San-Francisco a Madiera et7o milles desfa^e de Madiera a Yosemite). A partir de ce moment, je deviens I'homme lige, le vassal, la chose de la Compagnie. Nous partons a 4 h. etdemic du soir; pour premier agrement,je me dispute avec le conducteur du sleeping-car, qui pretend me faire payer 1 $ 30 pour men lit, ce a quoi j'objecte que la Compagnie in'a dit que toutes mes depenses de voyage 6taient payees et m'a vante le plaisir de passer une nuit en sleeping- car. La (lijfussion qui a lieu en anglais menace de s eterniser: heureuscment que mon voisin qui parle fran^ais intervient et m'explique qu'il y a, en clfet, un supplement a payer. Je paye sans enthousiasme, mais enfin, je paye mon liollar et demi, ce qui porte a 60 f^ ct demi, le prix de la petite plaisanterie. Get etranger, qui parle franpais, est Turc, et repond au nom d'Aristarchi- Bey. II est ministre plenipotentiaire du sultana Washington; il fait nii voyage dans Touest en compagnie d'un jeune Philadelpliien, M. Moore; il s'est laisse seduire comme moi par les admirateurs de Yosemite, et il y marche en victime resignee. Impossible de trouver un liomme plus courtois et plus aimable que cet Oriental qui a vecu a Paris et connait plusieurs de mes amis. Sa presence m'a ete d'une ressource considerable pendant ce malencontreux voyage. Apres un detestable souper a Lathrop, pour le prix de 1 ^. nous arrivons vers 1 heure du matin a Madiera. La, un cahol brusi)uc se produil d fail tres- sauter les dormeurs. — « Qu'est-ce que c'est ? — « Un moucheron sur la voie! » me n'.pon 1 le seigneur Aristarclii. A () heures, on nous fait lever poiu' le Brcnk fast, i(ui a lieu dans les niemes conditions et au meme prix que la veille. Madiera se compose de la station du chemin de fer, de "hotel, des saloons inevitables, d'une boutique du phar- macien et de deux raaisons. A 7 heures , on nous empile au nombre de douze daus un des magni- A 8i A TRAVERS LES ETATS-UNIS DAMERIQUE fiques stages de la Gompagnie Turnpicke , un grand diable de break qui i pas de riileaux, et nous parlous ! Le paysage se compose d'une plaine absol nicnt nue , sechc et desolee. On va devant soi, saus autre perspective qu'u cliainede montagnes a Fhorizon; a gauche, le lit videet desole d'un torre innomme sur toutes les cartes; a droite, I'iramensite. La route n'est trac que par le passage journalier des voitures ; elle descend deux ou trois fois remonte le torrent, ce qui nous donne le plaisir de voir les secousses arriere succeder aux secousses on avant. La plaine n'est peupltJe que de lapi qui jouent sans s'effrayer autour de notre voiture , et de cailles qui voltige en poussant leur petit cri. Nous traversons egalement un village do chicns de prairies ; cos animau gros comme de petits lapins , vivent dans des terriers dont la presence revele par des monticules eleves au-dessus du sol sur une etendue parfois co siderable; ces terriers communiquent entre eux et formentde veritables lab rinthes souterrains. , Sur un certain nombre de ces eminences, perche- gravement un hibou, ail milieu d'elles,circulentpresque constammentdesecureuilsa fourruregris Cost une chose remarquable que I'association de ces trois families , car pa tout oil est le chien de prairie, on trouve aiissi lecureuil et le hibou. II n'y a de maisons qu'aux relais ; a Tune d'elles se dresse un poteau a (luel est clouec une boite en bois ouverte par en haut avec I'inscriptior U. S. M. [United States Mail}. G'estle bureau de posle. Notre cocher y prei deux lettres et y depose trois ou (juatre lettres etdeux journaiix. Cette boite est a I'usage presqiie exclusif d'nn /vnic^/ztro (proprietaire can pagnard) du voisinage, qui vient tous les jours d'une distance de deuxmill( chercher ses lettres et ses journaux. Cependant le soleil a monte ; il fait une rhaleur torride; les lapins, 1 cailles et les ecureuils ne suffisentpas a nousdistraire; nous commenroiis declarer que c'est fort embetant. A dix heures, nous entrons dans des collin basses, nues et granitiques, derniers echelons de la chaiiie qui est deva nous. Quclques arbrcs commencent a se montrer, couvrant de leur feuillage i sol maigre, et jetant leur ombre rare sur de grands rochers gris allonges ; soleil avec des poses d'alligatO"s endormis. A deux heures, nous I'aisoi SAN-FRANCISCO m halte k Fresno-Flats pour diner. Debarbouillage general. La nature de la cuisine ne change pas, ni le prix non plus. (Jn rcpart a trols lieures, et cette fois on est en I'oret, mais quelle route! Les cahots succedent aux chocs et a chaque nistant on embrasse un de ses voisins; c'est comma cela pendant (piatre heures! A 7 heures nous arrivons a Clarke, ou Ton soupe et oil Ton couclie. Heiireusement qu'il y a la deux cabinets de bains! La baude alteree de pro- prete et de fraicheur sc precipitc; j'arrive et je me barricade dans I'un d'eux arme de mon sac a toilette. Au bout d'uiie minute, on vient frapper et l\)n fait sommation d'evacuer : ce sont des gens ([ui out commande leur bain a ['oflice; jc resiste avec d'aulant plus d'obstinatioa que je ne comprends pasce (|u'on me dit. Enfin, j'ai pour nidi la possession qui, dans certains cas, lient lieu de la propriete, et je linis par rester paisible occupant de ma concpie oil je m'ebats avec delices comma Protee au sein des eaux. Lelendemain matin, apres avoir dejeune, on va aux Big-Trees. Les Big-Trees sont tri's Big, mais pas autant qu'on nous ladisait et surtout que nous nous lo ligurions ! Nous passons en voiture au travers de Fun d'eux qui a environ huit metres de diametra et quatre-vingts metres de haul. D'autres ont des dimen- sions plus ou moins analogues. En resume, rien de beaucoupplus curieux que ce (fue j'ai vu a Santa-Cruz. Ce qui est veritabli'meut remarquable, c'est I'en- semble de la foret; la quantite de grands et superbes arbres qu'elle renferme est considerable. Des pins, des sapins et des chenes de plusiaurs siecles s'y ren- contrenta chaque pas; beaucoup sont atteints par le feu, beaucoup sont tom- hes ou ont ete abattus pour faira place a la route et pourrissent sur place, faute de moyens de transport. Le gaspillage des bois est effroyable, et les in- cendies de forets sont journaliers; nous en avons vu trois en deux jours; a uotre retour, cinq jours apres, deux duraient encore. Les uns les attribuentala malveillance des Indians, les autre j, et c'est plus vraisemblable, a la negligence des stjiiatto's (bucherons) qui allument du feu sur le sol et s'ea vont sans se preoccuper de I'eteindre. Avec le bois (jui se bride, se perd, ou pourrit dans les forets de la California seulement, on chaulferait Paris pendant plusieurs liivers; et les belles flambees que Ton ferait dans I'atre avec les milliers de pommes de pin qui gisent sur le sol ! En ravenant des Big-Trees nous dinons a Clarke et nous payons. Aucune «(■) A TRAYERS LES ETATS-UNIS D'AAIERIQUE modification dans la cuisine ; en revanche, ies prix se sont accrus d'une fa?on tres sensible : influence des hauteurs. Nous repartons alors pour la valleeelle-meme oii nous arrivons a 7 heures, brises, moulus ct extenues apres une serie de cahots dont le niouvement d"un panier a salade ne donnequ'uiie ideevague. Aussi, quandonnous arrete a Inspiration Point, pour nous faire admirer le premier coup d'oeil de la vallee et qu'on nous enumere Ies rochers qui la bordent : El Capitan, Ies Trois freres,\es Deux clocliers, SanteuilDome, n'y a-t-ilqu"une voix pour s'ecrier : « Un bain ! un bain ! allons a I'endroit on Ton se baigne! » — « La barbe de Mahomet pour une baignoire! » s'ecrie Aristarchi-Bey. Encore une heure et nous arrivons a I'hotel. Nous sommes sales a ne pas prendre avec des pincettes, courbatures et rompus. Un vent chaud court a travers la vallee; on nous introduit dans des chambres meublees d"un lit, d'une tres petite talkie a toilette et d'une chaise. La temperature y supplee a I'absence de meubles et on y ferait facilement ciiire des oeufs! Nous sortons de cette fournaise pour aller prendre un bon bain, et Aristarchi declare qu'il elit domicile dans son cabinet et qu'il n'en sort plus. Cependant, apres le coucher du soleil , le temps fraichit; il fait bon sur la terrasse, et a dix heures on pent rentrer dans sa chambre sanscraindre d'etre asphyxie. Pendant deux jours, nous nous livrons a des excursions divcrses, a I'ex- ception d'Aristarclii (pii etudie la vallee sur Ies photographies en compa- gnie de la marchande. Nous voyons des rochers, des lacs et des cascades, re qui est le but et la recompense unique de nos trois jours de supplice. Le mardi matin nous repartons : une demi-journee nous ramene a Clarke oi'i nous restons jusqu'au lendemain matin ; je passe a pen pres mon apres-midi dans la riviere oil, en m'asseyant , il m'cst facile d'avoir de I'eau juscju'aux epaules. Le lendemain estle couronnement de I'edifice! Nous repartons a (5 heures pour Madiera, avec la perspective de douze heures de route. G'est tout a tuit comme au depart, a cela pres qu'au lieu d'avoir le vent dans le dos , nous I'avoas dans la figure. Pour moi personneliement Tagrement s'est augmente du voisinage d'un affreux moutard , grossier et mal eleve comme tous Ies gardens Americains, qui remue constamment, fourre ses doigts dans mes cotes, ses coudes dans SAN-FRA*NC1SC0 87 raes handles et ses pieds dans mes mollets quand il ne les dt5pose pas dans le dos de la demoiselle qui est sur le banc anterieur. Je ne puis m'empecher de rire en songeant ala joie qu'eprouveraitmon excellent ami P"* condamne a dix-huit lieures de ce voisinage! A 3 heures dc Tapres-midi, nous ren- trons dans la plaine. Le soleil darde a pic ses rayons les plus ardents; les roues soulevent un torrent de poussiere ; un vent brulant nous arrive en pleine figure et nous dessL'che le gosier; les chevaux piaffent, le moutard gcsticule ; le tout forme un ensemble complet , exquis , delicieux ! Et cela dure trois heures! Et cela est un voyage de plaisir! Et j'ai pave 60 dollars et demi pour jouir de cela ! Ah! malheur! A Madiera, un bon bain et un mauvais souper; je commence a en prendre riiabitude. En revanche une chambre absolument inhabitable : le lit est brulant. Ma fenetre ayant ete ouverte a moitie, je veux Fouvrir tout a hiit, mais j'opere si adroitement, que le battant retombe avec un fracas epouvan- table, et que I'hote monte tout eifare voir ce que c'est. Je lui expose le cas; il me repond avec bienveillance que dans quelques heures la temperature sera tres bonne. Or il est 10 heures du soir, et nous partons a 4 heures du matin. Rassur6 par cette perspective, je prends mon drap, mes couvertures et mes oreillers, etjevais m'etendre sur le balcon, vetu d'un calecon et d'une che- mise, et munid'une cuvette et d'une eponge. Pen a peu, la fraicheur vient et je passe une nuit delicieuse, non adormir, raais a regarder la lune et a bail- ler aux etoiles. Vers minuit arrive une espece de gar^on qui me baragouine quelque chose : je crois comprendre « que cela n'est pas permis , et qu'il y a des dames sur le meme front ! » Je reponds a ce subalterne que s'il y a des dames sur le front elles peuvent rentrer a I'interieur et que je ne m'oppose pas d'ailleurs a ce qu'elles fassent comme moi. Enfin a \ heures le train ar- rive, et a midi nous faisons notre entree a San-Francisco, heureux de sortir de la barbaric pour rentrer dans la civilisation. Total : 20 heures de chemin de ler, 27 heures de cheval, 42 heures dc voiture, et 116 $ pour voir une vallee, un lac, deux cascades et beaucoup de rochers avec poussiere et 33° Reaumur du matin au soir. Vraiment c'est excessif! Gependant tout n'est pas perdupourl'observateur dans ce deplaisant voyage. SS A THAVIiHS LES ETATS-IMS DAMEHlorE On sc'iit trt'S bieii que Ton assists a rcclo.sioii d'une civilisation. Gesemhryons do viilcs, composees aujourd'hui d'anc station de cliemin do for et do (juatre bicoques, serontdans iiuebiues anneesdes cites incorporees ;cette route detes- table n'ex-istaitpas il y a viny;t ans ; dans \ inyl aus elle sera longee par un clierain de fer. Le fleuve (ranal en boissur pii|uelsj (jui court a lra\ers la plaine aura fait [ilacea un canal ou a un aqueduc; les rivieres seront canalisees; on aura de I'cau toute I'annee, ct les plaines, au lieu de doniier de I'herbe qui seclie des que les pluies de printemps souliinies, fourniront du l)le, comme on en voit aux environs de Sau-Joac([uina. Do loin en loin , on rencon- tre (luelque Log-house, maison de bois faite de troncs d'arbres equarris; la, iiabite un seltlev (colon) avec sa t'amille, cullivateur de quelques ares de tcrre ([nil augmente cliacjue annee aux depens dela foret, jusipi'a ce ([u'll aitaltrint les limites de sa concession. Tout individu pent obtenir nne concession de terres pul;)li([ues de 160 acres au |)rix. de 1 jjliTacre, a condition d'y liatir duns le courant do la premiere annee une maison ayant nne clieminee, une porte et deux fenetres, et avec un delai de dix ans pour des paiements eclielonnes. L'acre vaut 200 pieds sur 223 ce qui fait environ (le pied Americaiii ayant un dixieme de moins (jue le pied Franvais) 40 ares 467 metres ; 160 acres repre- sentcnt done environ 6o liectares, ([uantite qui a ete fixee comme suflisanle p nil' I'occupation d'une famille. Le prix de la terre ressort ainsi a 12M fr. I'hectare, payables en 10 ans.Go systeme favorise singulierement le develo|i- liement de la moyenne i)ropriete,et il est ])rolial)le ([ue s'il eut ete adople en Al- gerie, nous y aurions depuis loiigteuips uiie CDUsiderable et feconde population. 3 Aoitl. — Dimanche. — Visite les bains de nier d'Alanieda. On prend le ferry-boat au bout de Market-Street, et ensuiteun train (pii vous depose assez loin de I'etablissement ou il faut se rendre par une route sablonneuse et poudrcuse. II y a trois ou quatre etablissements assez bien disposes, avec des bassins ou I'eau penetrc^ a maree haute et oii elle est rctenue par des vannes quand la merbaisse, de sorte que Ion pent se baigner a toute heure. Un do ces etablissements contient un restaurant et un jardiu, jai'din dont les arbres demandant a gr.uidii', <■( restaurant assez mal installe. Le prix du costume et du liain est de 2."i sous, auisi (|ue celui du voyage aller et retoiir. La depense n'esl done pasexcessive ; mais il faut inn^ demi-journee pouraller, se liaigner, et revenir, ce (pii est |)eu commode pour les gens d'ati'.iires. SAN- FRANCISCO 89 4 \out. — yoijafft' en Chine. — II cxisto dans San-Francisco environ cent oil cc;it vingt mille Chiaois (jiii y forment nne veritable ville dans la ville Araericaine, sans ([n'aucini quartier leur suit ofliciellement reserve; ils oc- cupcnt, cntre la rue Sacramento et la mer, nnc serie de rues dont ils ont |khi a pen et par leur seule presence expulse la race Europeenne. Partout oil le Chinois s'implante, I'Europeen on I'Americain en vient falale- ment a demenager. Quaad deux Chinois sont parvenus a acheter deux maisons dans une rue, on pent predire que dans un temps tres limite la rue deviendraChinoise, leur voisinage et leurs praticjues etant tellement antipathiques aux blancs (pie ceux-ci aiment mieux s"en aller ([ue de los subir. Dans ce quartier qui est devenu le leur, les Cliinois sont installes exacteraent conime cliez eux, ont dispose leurs maisons a la Cliinoise, et vivent, trafi(iuent, mangent et dornient a la mode de leur pays. Done, a 9 lieures du soir, un do mes amis et moi, accompagnes du Chef des detectives attache a Palace-Holel, nous partons pour la Chine. Ce detec- tive est un grand gaillard a barbe blonde , taille en Hercule , correctement vetu de noir, d'ailleurs tout a fait gentleman, dont une specialite est de guiderles etrangers dans cette tournee nocturne, ce(iui ajoute un supplement notable aux emoluments de sa charge. An moment oi'i la ville Europeenne commence a s'endormir , la cite Cliinoise est encore pleine d'aetivite et de vie, et ce mouvement se perpetue, parait-il, jour et nuit. Nous entroiis dans un certain nombre de boutiques on nous sommes courtoisemcnt accueillis , vu notre qualite d'etrangers et grace surtout a la presence de notre guide. Presque parlout on fait les comptes de la jour nee, et Ton calcule avec ces boules enfilees sur des fils d'archal dont il m'a ete impossible de comprendre le mecanisme, bien ({u'on me I'ait deux ou trois fois explique et que Ton ait fait fonctionner I'appareildevant moi. Ici on vend des fruits, des comestibles bizarres importes de Chine , du pore cru que Ton depouille de sa graisse , ou du pore cuit que Ton debite par tranches dans un animal roti tout eiitier avec sa pL'au. La, on borde des pantoufles a semelles de cordes tressees qui, en ete, sont la chaussure exclusive des Chinois. Autre part, e'est un atelier de chaiiiistes : les ouvriers, a la Incur d'line mauvaise lampe a petrole et armes chacun , pour tout outil , dun elialumeau 90 A TUAYERS I.ES KTATS-UNIS D'AMEHIOl E et d'une pince, font des cliaines d'or trcssees dont il in'est impossible de dis- tinguer los raaillons. Dans tout cela, pas unefemine; la vie active est reservee aux hommes. Nous entrons dans un temple, grande chambre carree a laquelle on accede simplement par trois marches el une porte etroite sur la rue. Le Grand-Pi'etre est etendu sur un lit dans une cspece d'alcove et fume de Topium. Sur I'aulel central, en b(MS fouillc, sculpte et peint , se dressc le Boudlia , assis , les jambes croisees , et a ses cotes le dieu du commerce et le dieu de I'agriculture. Tous trois sont richement peints, ornes de mous- taches fort longues etetalent leur nombril auxyeux des visiteurs. A droite et a gauche deux autels analogues portent chacun trois divinites d'ordre se- condaire dont j'oublie les noms. Tout autour et derriere, des baimieres ser- vant aux ceremonies sacrees et aux processions (|ui, a certains jours, se font dans I'interieur du temple, ce c[ui me parail un probleme assez difficile a resoudre, car a quatrc nous y somraes fort genes. Devant le Boudha achevent de se consumer quelques cierges formes chacun d'un petit baton dont la moitie superieure est enduite de bouse de vache dessechee, ce qui, parait-il, constitue I'encens le plus agreable a Boudlia. Est-ce plus bete que d'allumer des cierges sous le nez de nos madones , ou de poser, dans I'eglise Saint-Severin a Bordeaux, le derriere des enfants sur I'autel de Saint-Fort, pour leur donner de la force? Je laisse aux docteurs Boudhistes et Catlioli(|ues le soiii d'agiter et de ne pas resoudre la question ! Par exemple, ce devant ipioi je me mets a genoiix, c'est une cspece de cre- dence avec deux batlants en cuivre repousse, (jni est une merveille. Hommes, animaux, tout y est traite avec une delicatesse et un lini Chinois. C'est la culture du riz et du the, sous la direction du dieu de I'agriculture, sujet aifec- tionne par les artistes Chinois, dont j'ai deja vii un echantillon reinar([uable sur un paravent, chez Tiffany, a New-York. M. de Rothschild donnerait de ma credence un prix I'ou si elle etait a vendre; mais elle n'est pas a vendre, et d'ailleurs je ne suis pas M. de Rothschild. En sorfant, je depose dans les mains du Grand-Pn'tre une piece de 25 sous, ce qui me vaut un salut et I'otfre gracieuscd'iai paquet ile batons a la bouse de vache. J'accepte avec componction et reconnaissance, et nous nous SAN-FRANCISCO 91 dirigeons vers le theatre dont le ineme Grand-Pretre nous iiidit[ue obligeam- ment le cliemin. La salle est bondee ; la pliipart des spcctateurs sont deboiit. Nous nous frayons avec grand peine un chemin jusrju'aux premieres et uniques galeries, d'ou nous finissons par decouvrir la scene. La premiere chose que Ton y distingue, c'est un paquet de spectateurs a droite et a gauche. Sont-ce les marquis de I'endroit'? lis n'en ont pas la tournure. Au fond de la scene est I'orchestre compose de quatre musiciens : un violon monocords dont I'archet passe entre la cordeet I'ame, une espece de guitare ou mandoline, un tam- bourinquel'on frappe avec deux baguettes etun autre instrument dont le son ressemblc a celui du basson ou de la clarinetfe. Tout cela joue une espece de melopee oil cinq ou six mesures reviennent continuellement et sur un ton aigre et criard. Pendant longtemps la scene reste vide, puis deux femmes font leur apparition. Tune habillee de blanc et I'autrede noir (ce sont des hommes deguises), et se racontent quelque chose, toujours en voix de tete, ce qui, mele a cette musique enragee, produit un cffet des plus cocasses. Bien entendu je n'y comprends rien, pour plusieurs raisons dont la pre- miereest que Ton chanteen Ghinois, cequimedispensed'enumererles autres. Le public rit de temps en temps, raais n'applaudit pas ; iln'y a, bien entendu, que des hommes. En sortant , nous respirons avec bonheur une bouffee d'air frais , avant d'aller visiter les restaurants. II y en a quatre ou cinq a facades peintes, illumi- nees et garnies de transparents et de lanternes de co uleur : un vrai decor de Bataclan. Nous traversons les cuisines qui donnent envie de ne pas manger et nous visitons successivement le premier etage, qui sert de salle commune, et le second qui contient deux salles plus petites, un balcon en terrasse et trois ou quatre salons particuliers. A I'interieur le meme decor qu'a I'ext^- rieur, peintures Cliinoises, lanternes et illuminations generates. Dans une des salles du second sont deux tables garnies oii deux groupes de jeunes Chinois sont evidemment en train de s'oftVir un festin. Au milieu de la table, est un tres grand plat contenant une viande (du pore ou du mouton) cuite avec du riz et des epices ; chaque convive, arme de ses deux petits ba- tons qu'il manoeuvre d'une main, y puise un ou plusieurs morceaux qu'il depose sur une assietteplaceedevant lui, et auxquels il ajoutealors des con- 92 A TliWI'JiS ].]-.<< KTATS-rXIS IVAMEUIQI'R tliments repartis autour de son assiette dans quatre on cinq soucoupes ; le tout est arrosti de tlie. La conversation est vivc etanimee: ces Chinoiss'amu- sent. Nous allons sur la terrasse; au mur sont suspendus les Instruments que nous avonsentendustout a I'lieure, ce qui me permet de les examiner a mon aise. Nous demandons du the; on nous apjiorte sur un plateau trois tasses ii moitie reniplies de the noir, ti'ois tasses vides, trois petites assiettes, trois vers d'arock 'eau-de-vie de vir, du j^'ingenibre contit et des prunes au vi- naigre, ii;i sucrier avec du sucre en poudi'e, et trois pairesde petits batons. Est-ce pour prendre le sucre? J'essaye d'attraper une prune avec mes batons, je i-eussis a I'envoyer sur le pantalon du detective! jeproteste alorsflui aussi du reste) et les batons sont remplaces par des fourchettes a deux pointes. Un servant vient jeter de Feau bouillanle sur notre the qu'il couvre avec la soucoupe, et quand il est infuse, il le fail C(juler dans I'autre tasse. Je dois a la veritede declarer que je le trouve tres mauvais et sans saveur aucune. Le gingembre emporte la bouche, les prunes out le goiit de vinaigre, Tarock serait bou si j'en pouvais boire, maisje ni'abstiens apres y avoir trempe mes levres. A cote de nous est un jeune couple Europeen ou Americain (pii fait aussi la grinn^een faisant ses experiences. Tout a coup, nous entendons de la nnisi(iue dans une salle voisine; nous voulons alter voir, mais on nous ar- retr : c'est uu diner de club Ghinois. J'aurais aime a venir ici fairo un vrai diner Chinois, avec des fourchettes par exemple; malheureusement je m"y snis pris trop tard et le temps me manquera. En sortant du restaurant, nous entrons dans Tenfer Ghinois et c'est ici ([lie roncununcnce a coinprendre pourquoi il y a en Californie une (]ucs- tion Chinoise. D'abord les ludijings (logements). Les Ghinois riches out leiir maison, leur magasiu de gros ou de detail, leur appartement, leur gynecee ; mais il faut loger les pauvres, les celibataires, la classe moyenne. Pour ceux- ci (Irs entrepreneurs Ghinois ont amenag(^, des maisons entieres ou chaqne lo(;ataire a, non pas sa chambre, mais sa case. Le long des murs, sont etages des rayons divistispar des cloisons verticales en planches et rcpresentant exac- teinent une serie d'aruioires sans [lortes. Dans chacuii de ces compartiments coiiehe un Ghinois. Une chambre a cduclu'r degrandeurmoyenne en contient de iO a 00. Ilsdormeiit tout liabilles sur un matelas, avec une ou deux coii- vertures suivaiit la saison. L'air (pi'ou respire la dedans est liorrible. SAN-FRANGISCU "J3 Les ablutions se font clans la coiir, au lever et an couclier; le Cliiiiois est pi'opre de sa personne. Mais ces lialjitations sont, parait-il, d'line saletea I'aire freinir, au point ipie si une tie cesmaisons tomh5 entro les mains d'un iilanc, il doit rennncera I'assainir. Bon giv, mal gre, ii iui f:iut demolir de fond en comble. Dans la cour se fait, en plain air, une espece de cuisine oii le Chinois vient, pour tres peu d'argent, prendre son repas du matin et celui du soir; dans le jour, il mange habituellement ou il travaille. Dans la plupartde ces lod(jin(jx, est un compartiment reserve aux fumeurs d'opium : ceux-ci, etendus sur un grabat, selivrent a leur passion favorite jusqu'a ce cju'ils arrivent a la periode d'hebetissemcnt.Fumer I'opium est d'ailleurs un travail : la matierc resineuse et solidc, puisee dans un pelit pot a I'aide dun crofhet en fer, est ramollie a une lauipe fumeuse et introduilo par un trou central dans le fourneau d'une pipe montee sur un large tuyau enbambou. Quand le fourneau est garni, on cnllamme un peu d'opium au bout du crochet, eton le met en contact, tout en aspirant, avec celui qui est a I'interieur du fourneau. II faut recommencer souvent cette operation, ce qui me parait, pour mon comptc, assez lastidicux et compense d'une fagon insuffisantc, par le gout de la vapeur d'opium ; c'est du moins I'impression que ra'a laissee la pratL([ue de cette operation cliez les fumeurs d'opium de Londres, ce qui fait que je n'ai pas recommence ici, ne me souciant nuUement, d'ailleurs, deremplaccr au l)ont du tuyau le bee d'un quelconque de ces sales Chinois. Apres la condition de I'homme, vient celle de la femme, et c'est encore la un des cotes graves de la question Chinoise. Personne n'ignore qu'en Chine la femme est une propri^te qui se vend et s'acheteal'instardu betail. Ainsifonta Sin-Francisco les Chinois riches qui out une ou plusieurs femmes (on n'en sait rien) et les traitent a leur maniere (on ne sait pas comment), car leur dotnicilc est inviolable, et quand la femme n'est pas publique, elle est invisible et sa- crec. Pour les pauvres et les cwlibataires, il a fallu pourvoir a des necessites qui se manifestent chez eux comme chez les blancs, et ils'est trouve aussitot des entrepreneurs qui ont imagine d'acheter la femme en gros pour la revendre en detail. A premiere vue, il ne so passe pas la autre chose que ce (jui a lieu chez les peuples civilises, dans la France catholique ou la protestante Angle- terre; en realite,la situation des Chinoises destineesaux plaisirs publics differo 9't A TRAVKHS LKS ETATS-UMS I) AMRRIuFF. essentielleineiitdecelle des blanches. Celles-ci sont du inoins assujettiesauue servitude a poii pres volontaire, et dans una tres large mesure il depend d'elles d'y echappor. La Cliinoiseestabsolument esclave;ses services onteteen Chine I'objet d'uncontrat regiilier passe entrc son acquereur etsa faniille(l)-, elle n'a point la faculte de le rompre, et elle n"a,dii reste, aucuii moyen pratique pour le fairo. Le proprietaire la loge, la nourrit et I'habille, fixe la remuneration qu'elle doit exiger suivant la categorie de ses visiteursetla nature des services qu'elle est appelee a rendre et encaisse ses profits. Jo n'ai aucune idee de ce qu'est la nourritLire, mais le logement est quelque chose d'effroyable. Plusieurs rues affectees a cette Industrie se trouventdans un quartier special : on n'en trouvepas ailleurs. Au rez-de-chaussee de chaque raaison est une piece dont la porte ouvrant sur la rue est munie d'un judas grille derriere lequel une Chinoise assise appelle les passants. Ce judas pernnetd'embrasserrinterieurde la piece autour de laquelle se tiennent les femmesau nombre de 3 a 0. Quand on vent voir on (lit a la touriere « Retire-toi », el elle se retire. Nous sommes entres dans trois ou quatre de ces bouges ; rien de plus hideux et de moins semblable aux ba- tiinents analogues chez les autres nations. La piece d'entree, qui sert de salon, est sordide; on voit qu'elle est faite pour qu'on ne s"y arretc pas, ct que la flanelle est inconnue. Les chambres sont des cases de "2 metres de long sur 2 metres de large et 1 metre .30 de haut. Dans un renfoncement, un assez mau- vais lit, une table a toilette, deux chaises et un mediant tapis forment tout (li Je me suis procure le lexte original d'un contrat tie ce genre ; en voici la traduction litte- ralc : Traitc puur Vassistaiice dn lii femmc Ah Hoc, parrc ijue, rciianl do Cliini' ii San Fran- ri.yro, elle est demcurce dchilrice eineis sa maili'efse du prix de son passai/e. c( Ah Hoe elle-raeme prie iM. Yee ivwan d'avancer pour elle 630 SS pour Icsquels Ali lloe " consent exprcssemcnt & livrer son corps k M. Yee Kwan pour faire le service en qualite de » prostituee, et cela peudai.t une dnrce de quatre ans. 11 u'y aura anciin interet paje pour " I'argent et Ah Hoe ne recevra pas de gages. A Toxpiratiou des quatre ans. Ah Hoe sera » libre de disposer d'ellc-nienip. Si .\h Hoe s'echappe a\anl I'expiration du ternie, samaitresse » devra la rechercher et la ramener, et toutes les dispenses faites dans ce but seront a la " charge de Ah Hoc. Le jour oil ce traite a etc passe. All Hoe a re?u de ses mains 630 $. » S'il arrive que Ah Hoe soit malade pendant un temps exccdant dix jours, elle fera un » mois de service supplementaire pour chaque dix jours de malailie. Ce traite a force de » preuve, et la copie reque par Ah Hoe fait toi. » Yung-Chee, 12' annee. 9° mois, 14° jour. » SA.VFRA.XCISGO 93 I'aiui'ublement : la porle est rumplacec par uii rideau. Toutes les alveoles de cette ruche sont taillees sur le meme patron. Lespauvres creatures vivent la au nombredetroisa Imit sons la surveillance delune d'entrc elles, chargee de centraliser la recette, de maintenir I'ordre et (le reudre compte au pi'opri^taire. Selon des recensements approximatifs, 11 y en a environ 2S00 pour une population de cent a cent vingt mille Ghinois. La police Galifornienne a vai- nement tente de briser la chaine qui les retient dans cet eufer ; elles savent <[ue si elles se plaignent, si elles reclament, si elles tentent de s'enfuir sans succes , elles sont punies de mort. II en est de meme du coolie Ghinois qui brise Ic contrat leonin et odieux qui Ic lie; un beau matin on le trouvc au coin d'une rue avcc un coup de couteau dans le corps, et jamais il n'est pos- sible de trouver son assassin. Ges gens ont des lois , des tribunaux et des pt'ines a eux et leur police est d'autant mieux laite qu'ils la font eux-memes. Tel est un des cotes de la question Ghinoise : des raoeurs et des habitudes antipathiques aux Americains , un esclavage latent qu'ils sentent subsister a cote d'eux sans pouvoir le detruire, une repugnance pour un peuple qui resle lui-meme et qui no s'assimile pas. Mais cette raison serait petite , et les considerations philanthropiques n"auraient qu'une valeur mediocre aux yeux d'un peuple qui a extermine et extermine chacpie jour les Indiens, s'il n'y avait contre les Ghinois deux causes de haine plus serieuses et plus graves. La premiere est la concurrence laite par le travail jaune au travail blanc. Ge qu'un blanc fait pour 2 $, le Mongol le fait pour 50 ou 7o sous, qu'il soit a la journee ou a la tache. De la une baisse des salaires partout oii le Ghinois pout etre employe, baisse qui profite d'ailleurs a peu pres uniquemcnt a I'entropreneur. Le Ghinois est sobre, actif, econoine et vit avec tres peu; le prix moyen de la nourriture d'un ouvrier Ghinois est de 15 sous par jour. Pour resister a cette concurrence, I'Americain n'a rien trouve de mieux que de proscrirc au besoin par la force Ic travail jaune. G'est dans ce but ([ue s'est forme, sous la direction dul'ameux Kearney, le ])arti des ]Vurl;inri-mc')i (travailleurs) qui a pour but avered'in- terdire le travail aux Ghinois, et qui forme aujourd'hui une fraction tres im- portante du parti democrate en Galifornie. 93 A TllAVI'JiS l.ES ETATS-UNIS D-AMERlOl'E La seconde raison pour laquelle rAm^rlcain deteste le Chinois , c'est que ci'lui-ci n\'sl qu'un immigrant temporairc, qu'il iie prolite a la terre Ameri- raine que par k-s travaux (ju'il y execute ct ([Lie rien , ou pres([ue rien , de ce ipi'il y economise ou de ce qu'il depense ne reste sur Ic sol Americain. Le Chinois, pendant son sejour, \it autant ipiil pi'Ut a la Cliinoise ct consomme exclusivement des articles Chinois, importes par des Chinois qu'il enrichit au detriment des commercanls Americains. Toutes ses economies sont placees dans des bampies Chinoises, ct ([iiand il lesjuge suflisantes, il les emporte en Chine ct vend sa maison et son etablis- sement a un autre Chinois qui arrive. Les Americains ne peuvent soutiVir cette facon de proceder. Haljitues a voir les AUemands et les Irlandais, voire un certain nombre de Francais s'implanter sur le sol et y faire souche de citoyens, ils regardent comme des spoliateurs ces etrangers qui pretendent allcr jouir cliez eux de ce((u"ils ontgagne , sans songer quel'Amerique arcfu en travail et en services I'endus rei[uivalent des capitaux qui s'exportent. Sur I'argent que gagne un Irlandais ou un AUemand, une partie passe dans les Bnrsou Sdlouns (deljits de viii ou assommoirs); unc autre est consommee pour les besoins ordinaires (le la vie, la troisiemc , si I'ouvrier est (iconome, sert a I'achat ou a la cons- truction d'une maison. Quant au Chinois, tout son argent s'en va eii Chine, ou direclement ou par I'intermediaire d'autres Chinois. C'est sons rinllueucedes sentiments inspirt'S par les considt^.rationsci-dessus (pi'a (^{6 rijdige I'article XIX de la nouvelle Constitution de Californie, ainsi convu : (' Sect. I. — La Lc^gislature prcscrira toutes les mesures n(icessaires pour prott'ger I'Etat contre les (Strangers qui sont ou peuvent devenir vagabonds, ', mendiants, criminels ou infectesde maladies contagieuses, et pour leiu' im- poser les conditions auxquelles ils pourront r(isider dans I'Etat, et a dt^faut « par eux de s'y soumettre prononcera leur expulsion. « Sect. 11. — Aucune corporation exist;int aujourd'liui, ou ulli^'rieurement (( crefe sous les lois de ri''tat, ne jiourra directemeut ou indirectement, ni en « aucune ra(;on,enqil()yer un Chinois ou Mongol. » SAN-FRANCISCO 97 « Sect. III. — Aucun Chinoisne sera employe a un travail public pour le « compte de TElat, d'un comte ou d'une municipalilc, excepte en punition « d'un crime. » « Sect. IV. — La presence d'etrangers maptes a devenir citoyens des Etats- (' Unis est declaree un danger pour le bien-etre et lasecurite de cet Etat. « En consequence, la Legislature decouragera leur immigration par lous (' les moyens en son pouvoir. Lecoolisme Asiatique, n'etant qu'une forme de « I'esclavage , est formcllement proliibe dans cet Etat et tout contrat passe « pour le travail des coolies est nul. « Tonte association formee dans ce pays oudans les pays etrangers pour I'in- (' corporation des coolies sera sujette aux penalites edictees par la Legislature. « La Legislature donnera tout pouvoir aux comtes et municipalites pour favo- « riser I'expulsion des Gliinois de I'cnceinte de leurs villes, sauf a autoriser « leur sejour dans des lieux determines. Cet article de la Constitution sera ren- « force et mis en vigueur par une legislation speciale. » C'est cette legislation queva etre chargee de perpeluer la nouvoUe Legisla- ture , et c'est un des points sur lesquels va se livrer la bataillo electorale de septembre, dont Tissue encore douteuse dependra entierement de I'attitude des working-men qui tiennent San-Francisco. II no serait pas bien difficile de trouver d'excellents arguments pour com- batti'e les procedes arbitraires des Californiens centre un peuple (pii, en resume, souifre seul do ses defauts et qui ii tous autres egards est travailleur, sobre, econome et rend d'excellents services. Ce n'est point ici le lieu de les developper. Si je me suis etendu un pen longuement sur le sujet, c'est qu'il est aujourd'liui dun interet capital pour la Galifornic et qu'il m'a paru inte- ressant de montrer quel cas la libre Ameiique fait de la liberte, quand les resul- tats lui paraissent en contradiction avec ses interets materiels. En sortant de la ville Chinoise, nous traversons le quartier oil s'opere la traite des blanches, laquelle n'est guere plus morale que la traite des jaunes, mais a le merite de sauvcr les apparcnces. Arrives a I'hotel, je serre la main de mon policeman, dans laipielle j'inserc une piece de 10 j^ qu'il n'a garde de refuser, pour ne pas m'humilier sans doute, et je vais me mettre an lit oil je reve de Boudha , de bouse de vache et de sarabandes executees au son du crin-crin par des (jueues de cochon cnivrees d'arock. !i8 A TUAVEUS LES ETATS-UNIS n'AMERIQUE 5 AoiiL — Diner d'adicux cloniie a Poodle-Dog, Binh-Street, le mcilleur restaurant Francais de la ville. On m'explique Torigine dii nom, mais comme rexplication m'est donneo en Anglais, jo feins do comprendre sans etre plus avanc6 qu'avant. La cuisine est bonne et levin aussi, total 31 ijjipour six,ce qui, vu le menu, me parait un pen cher. Apres diner, nous faisonsia prome- nade habituelle qu'on ne pent decidement paseviter quandon est avcc des Amc^ricains. A la quatrieme station, comme jeproteste, j'appronds avec surprise que cos Messieurs se sent propose de m etre agreables! II y a une tres vieille comedie eterncllement vraie ct qui est intitulee « Faute de s'entendrc! » C Aout. — Je vais visiter la prison publique. Je suis muni d'une lettre d'in- troduction pour le gouverneur , I'honorable Johnston, esq., auquel je ne puis la remettre parce qu'il est absent, cette absence ayant elle-meme pour cause legitime une soulaison carabinee du susdit personnage. La prison est, en ferry-boat, a une heure de San-Francisco , lout pres des bains de mer de Saint-liaphat'l. En quittant le boat, je monte dans la meiae voiture([ue le gouverneur, mais celui-ci s'arrete en route. Cependant ma lettre me donneacces etonme fait voir la prison dans tons ses details: la conclusion que j'en tire, c'cst qu'il vaut mieux etre prisonnier en Californie (pie simple paysan chez nous, au point de vue du l)ien-etre materiel ct abstraction faite de la privation du droit de sortir. Lesdetenus fonttrois ropas par jour: le matin, du pain ct du cafe; a midi, de la soupe avec de la viande et des legumes, du p;iiii et de lean ; a eiiiq heures, de la soupe, dupain et du cafe. Le pain est diilicieux, plus l)lanc et meilleur que notre pain do menage de Paris; le cafe est tres l)on ; je n'ai gout^ni la soupe, ni la viande, mais la soupe faite en de telles (|uantites ne pent qu etre bonne. De plus, les detenus out le droit d'ajouter a cela tout ce qu'ils vculent, soit en I'aclietant, soit en se le faisant envoyer par leurs pa- rents ouamis, a I'exception toutefois desspiritueux. L'abondance de ces envois est telle qu'elle a necessite la creation d'un service de factage entrc Saint-Raphael et le Penitencier. II parait qu"a NoiH, notamraent, la quantite de dindes etd'oies envoyeesest enorme. Les detenus sont loges dans une cellule raeublee dun lit de fei' avec matelas et draps, d'un banc mobile, dune table etd'un siege d'aisance. II y a des cellules pour un, u huit. SAN-FRANCISCO 99 lis se lavent cliaque jour et prennciit rt^glementaircment un bain tons les liiiit jours, a Teau chaude ou a leau froide suivant la saison, plus souvont a I'eau froide s'lls le desirent. Leur linge est cliange tous les luiit jours. Chaque dimanche, ils regoivent la visite deleurs parents et amis qu'ilspeuvent entretenir librement. Geux qui sont condamnes au travail forc6 font des chaussures, de la selle- rie, ou de la menuiserie et de rebenisterie ; ils gagncnt environ 2 $ par se- maine. Ceux qui ne sont pas tenus de travaillerle font s'ils leveulent, ct dans ce cas debattent leurprix avec I'entreprencur. Si cela leur plait mieux, ils ne font rien et ont la jouissance d'une bibliotlieque assez abondantc avec salle de lecture et d'ecriturc; ils peuvent aussi avoir des iivros dans leur cellule. Une ecole est organisee sous la direction d'un detenu pour ceux qui veulent en proliter. II est permis de fumer a tout monient ct parlout, excepte dans I'in- terieur des batiments. 11 me semble que cet emprisonnemcnt est une veritable plaisanterie; je dois ajouter qu'un certain nombre de philanthropes ont constituj une com- mission qui, sans aucun mandat pubhc, vient do temps a autre s'iuformer aupres des detenus si le boeuf ne serait pas trop dur ou Iccafe un pen clair, ct qui fait du bruit dans les journaux ou pelitionne a la Legislature quand elle rcfoit desplaintes, ce qui, d'ailieurs, n'agen^ralement aucun succes. II y a environ 1.500 prisonniers gardes par une soixantaine de gardicns. Sur ce nombre il y a pres de 500 Chinois. On avait, dans les premiers temps, procede a I'abatage des queues des Chinois , mais ils ont proteste, et les philanthropes ont fait di ider que la section dela queue constituant, au point de vue Chinois, une peine infamante, rien n'autorisait Tautorile a ajouter, par mesure dadministration, cettc peine a celle qui avait ett5 prononcee par la justice. Par suite, les Chinois sont rest^s en possession de leur queue; peu s'en est fallu que le gouverneur ne fut con- damne a remplacer a ses I'rais cellcs qu'il avait indument fait couper. Les punitions en usage sont: la privation de cafe, la mise en cellule, Iccachot. 11 est interdit a un gardien de frapper un prisoanier, sauf le cas de legitime defense. En compensation, quand ce cas so prJsente, le prisonnier a genera- lement le crane fendu. En revenant, nous cutrons prendre un verrc de biere au Bar-room ou s'est 10(» A TRAVERS LES ETATS-UNIS n'AMERIQUE arrete notregonverneur. Nous Ic retrouvons calme et dignc dans la position d'un citoyen du yrandpciiple Ameri^ainquia fait un usage consciencieuxdu droit imprescriptible d'absorber plus de whisky qu'il n'en pent porter. Assis sur une chaise, les jainbes ecartees, lecoudc sur la table, dodelinant de la tetc devant un verre a moitie plein et avec trois tonneaux derriere hii, tel est le gouverneur Johnston, qu'un de ses amisessayevainement de secouer et de reveiller. Les Anglais (d'Angleterre) ont pour expriiner cet etat quatre mots qui s'emploient, non suivant Ic degre d'ivresscatteint , mais suivant la condition sociale du sujet. Excited se dit des tres grands personnages , dos pairs d'Angleterrc et d'Irlande, des princes du sang, delareine quand le souvenir du prince-epoux, lui revenant trop vivement, la conduit a se piquer le nez avec le whisky d'Ecosse : cetait celui qu'il preferait! Elevated se dit des mcmbres de laChambrc des Communes, des baronnets, des gens haut places dans lechella sociale. Intoxicated csl pour la classe moyenne, les bourgeois, les fermiers, les com- mer?ants. EnliM li's Irlandais, les ouvriers, les ronij/i [h canaille) sont tout bonnement dninJi as a pig (soul comme un cochon). Moi ([11 i n'ai pas le sentiment des distinctions sociales, j<' trouvais le gou- verneur drunk as a pig, opinion avancee, (jui i'ut ct'pendantpartagee par mon compagnon. II uc I'aut pas (piillcr San-Fraueisco sans dire un nuH de la villr el di' son prodigieux developpenient. Fondee en IS'ili, au moment de la decouverle de lor, et deux atis avanl la cession de la Calirornie aiix Elals-Uiiis par le Mexique, la ville, a peint- agee de trente ans, couiptc aujourd'lnii oflOOOO habitants. Elle s'etendenln' roec'au Pacifique et la baiede San-Fraiieisco, sur laplaine qui longe cette derniere et sur une serie de collines separant les deux bassins, ce qui lui donne nnc configuration etrange. La forme generale est a pen pres celle d'unc surface engendree par une droite glissantd'une part sur une sinusoide placee dans un plan vertical, et d'autrt' part sur une droite horizontale parallele a I'axe de la courbe. Suivant I'usage Americaiii pivsque universel, la ville coramerciale et SAiN-FRANCISCn 101 industrielle est en pierres etbriques, et la ville des habitations est enbois. On ne se fait pas idee, si on ne les a pas vues, du luxe qui peut etre deploy^ dans ces constructions. II y a dans le haul de California str. trois maisons en bois qui , avec les jardins dont elles sent entourees, valent chacune de 230 000 a 300 000 $. EUes appartiennent aux troisgrands proprietairesdu Central Pacific Railroad, dont chacun a voulu faire plus et mieux que son voisin. L'un d'eux, M. Hopkins, est mort pendant les travaux ; mais sa veuve inconsolable continue son com- merce et sa raaison, dont Ic rez-de-chaussee seulement contient pour 200 000 $ de peintures. San-Francisco est et restera le plus grand et le plus important des ports Americains sur la cote du Pacifique. C'est I'entrepot naturel du commerce de I'extreme Orient, Chine et Japon, avec rAmericjue. C'est aussi un port mili- taire, bien que les fortifications soient aujourd'hui assez illusoires ; sur la bale de San-Pablo, qui est symetrique de celle de San-Francisco, se trouvent un arsenal etdes bassins de radoub pour la marine federale. Depuis I'ouverture du Central Pacific et de I'Union Pacific Railroad, la ville est en communica- tion directe avec les fitatsde I'Est; uneactivite considerable s'est, depuis cette 6poque, manifestee dans ses relations commerciales. Les operations du Mining Stock Exchange sont plus importantes que celles de New- York . Ce sont probablement, pour cette branche speciale, les plus consi- derables qui existent dans le monde entier. Les maisons de banque sont fort nombreuses; j'ai constate, en outre, I'existence d'environ 50 societ^s d'assu- rances locales ou etrangeres. La colonic Frangaise a San-Francisco se compose de 5 000 a 6 000 personnes , EUe a ete beaucoup plus nombreuse en 1849 et en 1832, une quantite consi- derable de proscrits etant venue s"y fixer a la suite des evenementsdejuin etde decembre. II s'est fonde alorsun liopital Franfais, une societede bionfaisance Fran^aise et une caisse d'epargne Fran?aise. Peu a peu le nombre des Fran- ?ais a diminue, les uns sont morts, les autres sont rentreset I'emigration n'a pas continue. Ceux qui s'y trouvent encore n'ont pas fait fortune ; ils sont restes par suite des habitudes prises, des necessit^s de la vie, et de la difficulte de se creerune situation en rentrant en France. i02 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE En somme, les emigrants se sont peu enrichis, et Ton cite ceux qui sont repartis avec une petite ou une grande fortune. Aujourd'hui, le temps des fortunes rapides est pass6 ; on ne trouve plus en crcusant le sol des pepitesde 25 livres ; I'exploitation des mines s'est regularisee; elle est entre les mains de proprietaires ou de Compagnies, et les mineurs gagnent 4 $ par jour. La decouverte d'une mine nouvelle en Californie ou en Nevada est rare et lex- ploitation generalement couteuse ou difficile. On peut, pour San-Francisco, comme pour le reste de I'Amerique, poser en principe ceci: Les salaires et les benefices de vente sont, proportion gardee, plus eleves que le coiit des objets necessaires a la vie. Si done un individu vient en Ame- rique avec la resolution arretee de se contenter du necessaire et de s'interdire toute depense de luxe, I'excedent de son revenu sur ses depenses sera notable- ment superieur ace qu'ilaurait ete en France etilpourrafaire fortune parl'^- conomie. Mais si Ton veut vivre largement et s'entourerde tout le confortable que Ton peut trouver dans une grande ville, on arrivera a depenser ii peu pres ce que Ton gagne, et il vaut alors autant raster en France. 7 Aout. — Mes operations se trouvant terminees, je fais ma malic et jc pars. Mon sejour a S. n-Francisco m'a coiitetres clier pour beaucoup de raisons, dont la principale est que je suis entre dans les depenses de luxe ; mais il a ete fort agreable, abstraction faite toutefoisde mon malheureux voyage a Yose- mite ; il a du reste forme un agreable contraste avec mon sejour desastreux a Saint-Louis. II est pen probable queje revoie jamais les rives Orientales du Pacifique, mais je garde des choses et des gens le meilleur souvenir. G'est de cela que la vie est faite ! CHAPITRE IV DE SAN FRANCISCO A NEW-YORK. — LES MORMONS. — CHICAGO. NEW-YOnX. De Saii-Francisco 4 New- York. — Les divers cheiiiiiis. — L'ancieiine route et le voyage cii caravane. — Les poniiie-express. — Des hommes de letlres payes comme des ministres. — Lc port de; correspondances. — Le? chemins de 1' Union Pacific et du Central Pacific. — La pose de la voie. — Le wedding-day. — Le cout des deux chemins et leurs ressources financieres. — Le profil. — La route. — Le:i buffets. — De San-Francisco i Virginia City. — Virginia. — Le travail de lor et de I'argent. — De Virginia i Reno. — Un souper au buffet. — De Keno i Ogden et i Salt Lake City. — La ville des Mormons. — Les Temples. — Le Tabernacle. — Visite au President John Taylor. — L'avenir des Mormons. — Trois prophe- tes ponr soixante-quinze sous. — La ville de Salt Lake. — Les sources. , — De Salt Lake 4 Omaha et a Chicago. — Le consul de France de Bangkok. — Les Amazones du roi de Siam. Un mot en passant sur la Louisiane. — Les bureaucrates et la bureaurratie. — Attaque de spleen. — La douane et le factage Americains. — ■ Depart pour New- York. — Mes agents. — Une feerie Americaine. — line forte machoire. — Une femme qui p....leure. — Une re- clamation bizarre. — Gapoul, Paola Marie et Angcle. — Une fabrique de guano. — Un Elevateur. — Les polices ouvcrtes. — Un diner en Espagaol. — Les etablissements de correction et de charite de la ville de New- York. — Le Pare Central. — Le mont Saint- Vincent. — Les sleigh rides. — De New-York 4 Chicago par le Pennsylvania Railroad. — L'industrie metallurgiqne en Ameriquc. — Les Americaines ne savent pas dire: « Merci ! ■> — Arrivee 4 Chicago. De San-Francisco a Chicago la route se divise en trois troiifons, qui pcu- vent marquer autant d'etapes , ct servir de points de repos, ou de centres, pour des excursions laterales : 1" Do San-Francisco a Ogden, par lo Gunli-.i! Pacific Railroad, 780 milles, environ 1260 kilometres. 2° De Ogden a Omaha, par rUiiion Pacific Railroad, 970 milles, environ 1.^60 kilometres. 10 'i A TUAVERS LES ETATS-UXIS D'AMERIQUE 3°Enfin d'Omaha a Chicai^o, on a le clioix entre trois ligncs : Burlington pt Oiiincy Rr., Cliicago ot Rock Island Rr., Chicago Milwaukee etSaint-l'aul Rr. , toutes trois issues d'Omaha et se dirigeant paraliclenient vers Chicago. Que diront en France lescnneinis desparalieles! J'opte pour la seconde lignc qu'on raeditlameilleiu'eelilontla loiigueurest de 470 milles soil 760 kilometres que Ton franchit en 22 heures, a la vitesse tres moderee de 3ikilometres a I'heure. Ces trois derniers chemins , ainsi que les (piatre autnvs lignes qui rayon- nent d'Omaha ou do Council-Bliill's (|ui est en face sur I'autre rive du Missouri, existent depuis assez longtemps, bien que les derniers liO milles entre Des Moines, la capitale de I'lowa, et Omaha n'aient ete completes quavers 1837. Mais, entre Omaha et Sin-Francisco, il n'y eut jusqu'en 18G9 aucun moyen de communication directe. Acette epoque, pour alher de I'Est oudu Centre a San-Francisco, on s'em- barquait dans un port de I'Est ou du Sud pour Panama, et Ton prenait la ligne du Paciiique jusqu'a San-Fraiicisco; ou bien on gagnait Omaha par desmoyens quelconqui's, generalement en remontant le Missouri, et de la, on allait en wnfjoii, c'est-a-dire en chariot a 4 roues traine par des chevaux ou des ba}ufs jusqu'a Sacramento, oil Ton descendait la rivii^'rc jusf[u'a San-Fran- cisco. On marchait en caravane et arme pour se defendre taut des Indieiis que des bandits; la premiere fois que mon ami Hutchinson vint a San-Fran- cisco en 1837 par cette voie, il mit 117 jours a faire les IGOO milles qui se- parent Omaha de SiicraniMUo, couchinit dans le wagon, ou a la belle eloile. Le courrierveuait alors par Panama. Mais quand la decouvertc de Tor eut produit le run (e.'au) Calil'ornitu, les Ann'ricains no s'accommoderent pas longtemps de ces lenteurs, et ou crea ]ii)ur la poste le potink'-expn'ss (courrier a cheval). Leponnie-expressi5tait un courrier a cheval qui partaitxle Saint-Joseph (sur la frontieredu Missouri etdu Kans is), allait par Mary's ville (Kansas) rejoindre la ligne actuelle de rUiiion Pacific a Fort Kearney, et de la se dirigeait, en suivant cette ligne et colle d i C'jiitr.il Pacific, sur Sacramento et San-Fran- cisco. La distance totale entre Saint-.Ioseph et San-Francisco, environ 1 SrjO milles, devait etre franchie en 240 lirure>, soit avec uiie vitesse de 8 milles ou L! kilometres a I'heure. DE SAN-FRANCISCO A NEW- YORK 105 Les chevaux etaient les meillcurscoureursot lespliis vigourcux poneys quo Ton piit trouver, croises Indiens-Americains. Les hommes etaient choisis agiles, solides, sans peur, et ayant uneconnais- sance parfaite de la prairie etde la route, car iis avaient a echapper aux Indicns et aux liighwaymen (voleurs de grand cliemin). lis partaient une fois par se- maine de chaque extremite et voyageaientd'une station a la suivante, oil un autre courrierprenaitleurpaquet. CluKpic courrior portait lOlivrcs, rccevait 1 200 $ de salaire par mois, soitG2 000 francs par an,et le prix d'unc lettre de 7gr. l/2etaitdo5 $ (26 tr.) Ge systeme fonctionna jusqu'cn 18G2 , epoque a laquelle, la pose du telegraphe ayant ete termince, la Compagnic liquids avec une perte dc 200 000 $. En 1863 ou 1864 deux ligncs de chemin de fer furent concedees, Tune d"0- malia a Ogden, I'autre d'Ogden a Sacramento. Apresdiversesperipeties quien- travtirent lesdebutsdes Compagnies les travaux furent enfincommencesen 1866 et achevt^s le 10 mai 1869. Une emulation eflfrenees'etablit entre lesingenieurs et les ouvriers des deux Compagnies, les Yankees et les Allemands qui cons- truisaient FUnion et les Chinois qui travaillaient au Central. L'Union posa unjour s/xmiiles de voie; le Central en posa sept; I'Unionretonpiapar 7 1/2; le Central annonpaqu'il poseraitlOmillcs en unjour,etM. Duraut, le vice-pre- sident de rUnion, paria 10 000 !i^ (til 000 fr.) que cela ne serait pas. Le 29 avrii 1809, le travail commence a 7 heures du matin. La platc-iormeetait ni- velee ctles traverses en place. An signal donne, les wagons charges dc rails s'avancerent. Quatre hommes, deux dc chaque cote, prenaient les rails avcc une pince, les tiraient du wagon et les mettaient en place; une equipe fixait les eclisscset plagaitles tire-fond; une autre equipe fixait les tire-fond a lour place et une troisieme ballastait la voie. Les wagons charges de rails s'avan- Caienl au fur et a mesure. A 1 h. 30, huit milles avaient ete poses en 6 heures, soit2 147 metres al'heure, et a 7 heures du soir juste, les 10 milles etaient paracheves et 200 pieds en plus. Les ouvriers etaient au nombre de 4 000 ; ils remuerent ce jonr-la 25 800 traverses, 3520 rails en fer, 55 000 tire-fond, 7 040 eclisses et 14 080 boulons, letout pesant 4 362 000 livres. iM. Duraut paya incontinent ses 10 000$,et le Presidentdu Central les aban- donna seance tenante aux ouvriers a raison denviron 2 g 1/2 par tete qui 106 A TRAVERS LES ETATS CMS DAMERIOUE passerent immediatcment de la poche des liommes dans celles des nombreux proprielaires de Bars et de Saloons qui pulhilaient lelong de la voie. Le lOmai 1889 eutlieu Ic Weildinq (mariaj^te) des deux chemins. Ce fut dans toutc rAmerique un jourde fete. Le mat-n de ce jour, les deux chemins n'e- taient plus separes que par deux longueurs de rail. A 11 heures moins un (piart ks Cliinois commencerent a dresser la plate^ forme pour la pose de la derniero traverse. A 11 heures un quart, le train du Gouverneur deCaliforniearriva ; il apportait la ilerniere traverse, taillee dans un huirier de Galifoniio : huit pieds de long, huit pouces de large et six pouces d epaisseur, avec un ecusson d'argent portant cette inscription : « Der- i> niere traverse posee sur le chemin de fer du Paciliijue. 10 Mai 1869. » Le point de contact exact des deux chemins etaita la station de Promontory, a lOio milles d'Omaha et a 730 milles de San-Francisco. Depuis, par un ac- cord entre les deux compagnies, le point de jonction a ete reporte a Ogden. La station avail etetelegraphiquement reliee aux grandes villes quidevaient a leur tour informer les autres de Tachevement du grand reuvre. A deux heures, on leurdemanda si ellesctaientpretes etellesrepondircnt: « pretes ». A 2 heures 27 on telegraphia : « Tout est pret. — Chapeau has. — On (( va dire les prieres. » Et toute TUnion se decouvrit comme un seul homme. A 2 heures 49 : « Nous avons fini de prier; le dernier tire-fond va etre « presente. « Chicago replique : « Nous comprenons. — Tout est pret dans I'Est. » Do Promontory : « Tout est pret; le tire-fond va etre lixe; le signal sera (' trois points pour le premier coup de marteau. » Tout se tut. Au boutde quelques minutes Promontory envoya ses trois points, et moins d'une minute apres le dernier signal « Dune .' » (fait), qui fut rejKhe d'un l)Out a I'autre de FAmerique. Puis on prononfa des discours, on agita des drapeaux et Ton liut glorieu- sement au glorieux achevement du glorieux chemin de fer qui traverse la glorieuse Amerique ! Quand on pense, en etfet, que ces 1600 milles out ete construits dans un pays oil il n'y avail rien et oii, a I'origine, tout a dii etre porte en charretles ou en traineaux, et que la construction n'a dure tjue trois ans et demi, on eprouve une certaine admiration pour un pareil travail. DE SAN-FRANCISCO A NEW-YORK 107 Les ressourcesfinanci^resal'aide desquelles il aet6 fait face a cette immense entreprise sont les Actions, les Obligations, les Subventions du gouverne- ment et des Etats, soil en argent, soit en terres. Le capital-actions, qui est de 36 784 000 $ pour I'Union Pacific et de 62 608 600 $ pour le Central, n'a, dit-on, pas 6te verse. II y a dt6 pourvu a I'aide du benefice sur la vente des terres, qui, estim^esauprixde 2 $ 50 I'acre, ou 32 francs rhectare,se sont vendues 4 $ 52 ou environ 58 francs I'hectare. Comme la subvention est de 12 000 000 d'acres pour I'Union et 9 500 000 pour le Central, cet ecart ne laisse pas que d' avoir son importance. Le coiita ete pour I'Union de 107 000 i^ par mille ou 344 000 francs par kilometre, et celui du Central 116000 $ par mille ou 373 000 francs par kilo- metre. La depense totale a Otepour le premier lOi 000000 $et pour le second 90 000 000 $. Ces chiffres peuvent paraitre tres eleves quand on parcourt le chemin oil il n'y a presque pas de travaux d'art et qui est tout entier suivant la declivity et le profil naturel du terrain; mais d'abord, ce sont des chiffres apparents et nous sommes incapables d'en preciser la veritable signification et, de plus, il faut considerer que ces lignes ont ete construites a peu pres entitirement dans un pays nu, inhabite, n'offrant aucune ressource, etou les materiauxet la nourriture des ouvriers ont du etre transportes par voiture ou a dos de mulcts. Le profit est assez accidente. Lc point le plus bas est San-Francisco, au niveau dela mer; le plus haut est Sherman, dans le Wyoming, entre Laramie City et Cheyenne City, pres de la jonction avecle chemin du Colorado, a 8 242 pieds au-dessus du niveau de la mer et a 1 200 rallies de San-Francisco. Omaha est a 966 pieds. Dans les parties qui ne depassent pas i 000 pieds la vegetation est superbe. Au fur et a mesure que I'on monte, les paturages succedent aux champs, une herbe courte et maigre aux pclturages, et enfin le genet et une espece de lichen rampant a I'herbe. De temps en temps, a Humbolt, Laramie, Ogden, une riviere vient donner un peu de fraicheur au sol alter6, et la ligne verte qui dessine son lit tranche avec la nudite du sol; saufcela, on peut dire que sur une longueur de 1 400 rallies c'est le desert ! Une chose reraarquable, c'est que le point de partagedes eaiix enfre les deux 108 A TRAYERS LES ETATS-UNIS DAMERIOlE Oceans n'est pas au point leplus haul, Sherman, raais bien a 3 milles en de^k de Creston, a 1 OiO milles de San-Francisco et a 7 000 pieds environ au-dessus du niveau de la mer, c'est-a-dire 1 200 pieds plus has que le sommet de la chaine de partage. Rien n'est plus insipide que les quatre jours que dure la traversee de ces plateaux : en ete, du soleil et de la poussiere ; en hiver, de la neige. Les sleeping-cars sont tres confortables, mais fortchers relativement, et les buffets sent hideux. C'est la que, pour un dollar par repas, on a une vraie idee de la nourriture Americaine et de Tempoisonnement national. Les gens avises emportent un panier de provisions et ont joliment raison, quelque embarras qu'il puisse en resulter. Au dela d'Omaha, on trouve les eating-cars, Avagons-restaurants oil Ton mange assez bien pour soixante-quinze sous par repas ; mais de San-Francisco a Chicago, on pent dire que la nourriture semble avoir ete fabriquee expres pour favoriser la djspepsie. 7 Aoiit. — Partantavec I'intention de m'arretera Reno eta Virginia City, je quitte San-Francisco a 4 heures du soir, par le steamer de Yallejo qui, tra- versant les deux bales de San-Francisco et de San-Pablo , gagne presque une journee sur le cliemin de fer, lequel en fait le tour. A Vallejo, nous embarquons dans notre sleeping-car; a Sacramento, nous nous figurons que nous soupons, ce qui se traduit par le versement effectif de 1 $, etlelendemain matin a 7 heures nous sommes a Reno. La on abandonne la grande ligne pour le Virginia ct Truckee Rr. qui, en trois heures, nous transporte a Virginia City; jusqu'a Carson, capitale de I'Etat de Nevada, rien de particulier; a partir de cettc ville, le paysage s'acccntue, les mon- tagnes se pelent, desirous noirs etbeants s'ouvrent sur leurs flancs, des amas de debris s'amoncelent sur les pentes, les eaux de la riviere se teignent en jaune et charrient les sables echappes aux lavages: tout annonce I'industrie, mini^re. A dix heures et demie nous contournons un ravin sur les flancs du- quel s'etagent les maisons aujourdhui presque desertes de Golden City, qui il y a dix ans etait lareine des cites minieres et est actuellement detron^e par sa rivale et voisine Virginia. 8 Aout, — All heures nous arrivons a Virginia. Grace a I'obligeance d'un compagnon de [route, Frangais comrae moi, je trouve facilement une excel- DE SAN-FRANCISCO A NEW- YORK 109 lente chambre pour 1 ^ 50 par jour ; vis-a-vis raon hotel est uu restaurant Frangais oil Ton mange assez bien pour 1$ 1/i. La ville n'est pas grande et comporte environ 25 000 liabitants , tant de population agglomereeque dc celle ([ui vitdans les environs immediats. Elle est exclusivement miniere et repose sur les mines qui se ramifient en dessous. Ces mines sontaunombredel? ou 18; la plus grande appartient a la Nevada Bank qui a ici une succursale a la tete de laquelle est M. Kirig, notre agent. Sur sa presentation, je suis admis a visiter Ic Consolidated Vlrglnle Mine, la principale de celles qui s'exploitent ici. Le mineral, qui est un melange d'or et d'argent natifs et de quelques m&- taux inferieurs incrustes dans le ([uartz , est dabord broye dans un quartz- mill (moulin a quartz) sous une serie de marteaux-pilons, apres Taction des- quels il passe dans des tamis de plus en plus fins jusqu'a ce qu'il soit reduit on une poudre de grain convenable pour I'amalgamation. Cette poudre est alors broyee dans un mortier de facon a etre r^duite & I'etat de farine, et quand I'operation est finie, la meule est elevee, mais I'agi- tation est continuee et Ton introduit dans le mortier une certaine quantite de mercure. On y fait arriver ensuite un jet de vapeur, ou bien on introduit de la va- peur dans un double fond, de maniere a chauffer la masse et a favoriser ['amalgamation ; on continue ainsi pendant un temps (jui varie de .3 a 12 heures , suivant la richesse du mineral. Ouand I'amalgamation est terminee, on verse la boue dans un large depo- toiroiionla remue lentement apres I'avoir delieedans un fort volume d'eau ; les parcelles de mercure se rassemblent au fond ; un courant d'eau enleve la terre etla poussiere ; le mercure est soulire avec un siphon et entraine avec.lui Tor et I'argent. Ce produit est distille, le mercure recueilli, et il reste dans le creuset un alliage d'argent, d'or et de cuivre. Get alliage est soumis au:ii fa-i') ) a ec du borax dans des creusets de terre et coule en barres dont chacune est essayee a la voie seche et a la voie humide. Munies de leurs titres, les barres sont pretes pour le roarche et envoyees a San-Francisco oil elles sont raffinees , Tor separe de I'argent, et 110 A THAVEHS LES ETATS-INIS DAMERIQUE monnayees par uii entrepreneur «(/ ho::, analoyue a iiotre Directeur des Monnaies. Virginia se compose de Irois rues allongees a (lane de cotcau le long de la niontagiie. La ville, qui a ete presque entierement detruite par un incendie en 1873, a ete rehatie et a maintenanl un service d'eauet des pompiers vo- lontaires. Toutes les maisons sont en hois, a de rarcs exceptions pres. Outre la portion agglomeree de la ville, il y a un grand nombre d'habitations eche- lonnees au flanc de la montagne, qui la font ressembler le soir a une grande masse noire piquee d'etoiles. Ge sont les maisonnettes des mineurs. Le pays est absolument aride et ne produit rien que du minerai. (Ja et la, le long de la riviere Carson River, des essais de culture maraicbere, plus ou mo'ns reussis, sont tentes par quelques riverains; mais en general toute la population vit des mines. Le mineur restc dans la mine buit beures sur vingt-quatre et il gagne 4 ^ par jour ou 24 $ par semainc; c'est environ 500 francs par mois. La vie ne m'a pas paru tres clii're d'apres celle que j'ai meiiee; cliaque repas coiite, au restaurant Fran^ais, 75 sous, et s'il n'est pas delicieux, il est tres acceptable. La ville est abondamment fournie de tout ce qui est necessaire a la vie et il y a plusieurs magasins importants. 9-11 Aoiit. — AG beuresdu soir je quitte Virginia et je refaisla route acci- dentee et pittores((ue entre Virginia et Ueno. De Virginia a Carson le trace du cbemin de I'er est vraimenl remarquable par ses courbcs, ses rampes et ses pentes. Je jetle en passant un coup d'ojil sur la capitale de I'Etat du Nevada, qui me parait n'avoir rien d'extraordinaire et qui, comme toutes les nouvelles capitales,esten bois. En quittant Carson, ousuit de nouveau une plaine fer- tile et biencultivee jusqu'a Reno, ou Ton arrive a neuf beures du soir. Le train de la grande ligne ne passequ'a2 b. 30 du matin. Comme j'ai refuse ;ivec sagacitede souper a Carson, j'ai faim et je me decide a all'ron- ter Ibotel-buffet de Reno. II n'y a rien ! Cependant des gens soupent dans la salle. En insistant, je finis par obte- nirdes oeufs a la co(pie, du roast-beef froid, de la langue fourree et des pom- mes de terre bouillies avec lesquelles je confectioniie une saladc edulcoree de betteraves et relevee dejambon. Jedemandedu vin; iln'ya pas de demi- bouteille : alloiis-y pour la bouteiUe I En face de raoi une jeune Ameri- J.KS MORMONS 111 caino, qui soupc seule, s'est offert une dcmi-bouteillede Champagne et la vide consciencieusement. En France la ronnaissance serait bicntot faite, et, toute arriere-pensee a part, nous no manquerions pas de profiler de celte occasion pour reunirnosdeux solitudes et charmer au moins par la conversation Ics loisirs de cette longuc soiree. Ici nous buvons I'un vis-a-vis de I'autrc avcc conscience et gravite, et si je lui adressais la moindre parole, je serais un franc malolru. C'est la loi! Apres souper je vais faire une promenade aux rtoiles et mecoucher sur une planche au bord de la riviere, en contemplant le ciel l)Ieu. Vers minuit il i'ait un peu IVais, je regagne la gare etjeretrouvc sous la veranda nion Americaine sebalanQant sur un rocking-chair. Jem'em- pare du voisin el noui nous balan^ons cote a cote et sans rien dire jusqu'a I'iieure du train, oil nous accostons rrolre sleeping-car. Toule la journee du dinianche je roule a travers une plaine aridc, el le iundi matin j arrive a Ogden. De lapartent qualre voies ferrees, le Central Pacific, I'Union Pacific, I'Utah central et I'Utah Northern. Les qualre com- pagnies se sont enlendues, dit-on, pourbalirun magnifique depot au lieu des deux miserables gares en planches qui existent aujourd'luii. Apres un de- jeuner odieux, je m'cmbarque pour Salt I.ake Cily, la capiLale du terriloirede I'Utah et le centre du Mormonisme, laquelle est situee a 37 milles et a 2 ^ d'Ogdou. L'Utah Central a ete construilen grandc partie par les Mormons, c'cst-a- dire avec Icur a"gent, la Compagnie etanl presque enlieremcnt composec d'actiontiaires Mormons dont Brigliam Young ctait un des principaux. La ligne, qui n a rien de remarquable comme profil , traverse une vallue assez riche et bien cuhivoe, cotoie pendant un certain temps le Salt Lake (lac sale) et aboulit a Salt Luke City pour se relier, dix milles plus loin, dans le Sud, a I'Utah Soutliern Rr. Salt Lake City esl une cliarmante viUe, batie au milieu de celte vallee que Brighani Young vil en reve el dans laquelle Dieu lui ordonnadeconduire son peuplepourlesoustrau'e aux persecutions des Gentils. La ville so distingue de celles de FOuestpar lemode de construction ou dominciUlapierre, labriqueel I'adohes (murs en lerre compi -mee melee de caiiloux roules). Le bois y lienl cependaut encore une grande place. Les rues sont inva- riablemenl lract5es a angle droit, larges de 200 pieds et planlees d'arbres sur 112 A TRAVEUS LES ETATS-UNIS D'AMERIOUE les contre-allees; I'caii vive y circule jour ct iuut,ce qui cntretient la verdure et un peu de fraicheur. Beaucoup demaisons out autour d'cllcs un vrai jardin ct quelques-unes occupent tout un bloc. 11 y a de tres beaux mai;asins fournisdetoutes choses et quatre ou cincj hotels dont deux au moins sont excellents, et oii Ton vit pour trois a quatre dollars par jour. Deux blocs sont entierement consacres aux besoins du culte. L'un, eiitoure d'un mur en pise, renterme I'ancien Tabernacle, le nouveau Tabernacle et le Temple; I'autre renfermc la maison de Brigliam Young, les batiments d'ad- minis'.ration de Te^lise ct rimprimerie du Journal Officiel. Celui-ci est ceint d'un mur en adobes flanque, de distance en distance, de renflements ressem- blant a des tours, ou |)lut6t a des bonnets pointus do charlatan, fendus en deux. C'est dans un de ces batiments que se reunissent les Eldfrs (anciens) qui se sont conliea eux-memes le soin d'administrer etdegouverner, moyen- nant salaire, les Saints du dernier jour. L'ancien Tabernacle est un monument fort original; le plan est unc ellipse et le toit a la forme d'une calotte d'ellipsoide de revolution detachee par un plan parallele au grand axe et portee sur une serie de colonnes. Le tout est dispose de fa(,'on ([ue les foyers de rellipsoide correspondent: Tun au fauleuil du president et Tautrc a un certain point de ramphitheatre du(piel on entend par suite tout ce (pii se dit a voix tres basso dans la chaire. Le guide partde la pour vous deniontrer I'excellence de I'acoustique du Ijatiment; mais il est facile de comprendre, et je m'en suis assure, iju'en d'autresendniits on n'en- tend rien du tout. Le Temple est divise en deux parties; sur une eslrade sont le President et les Elders; en has et dans ramphitheatre sont les Saints. Mon guide me fait remar(|uer que les bancs sont confortables ; el en efTet leur declivite invite au sommeil. Derrierc le President est un orgue immense, le second, en grandeur, du monde entier; les tuyauxont quinze piedsde liaut et la soufflerie estunmeca- nisme mu par trois hommes. II accompagne, le dimanche, les 1;2 000 Saints (pie pent contenir le Tabernacle. Le nouveau Tabernacle est motive par rinsuffisance de I'Ancien ; il sera acheve dans cinq ou six ans, il est en pierre et en marbre et sur le plan de toutes les eglises. II en est de meme du Temple qui, bien que fini, LES MUHMONS 113 lie sert que- dans les circonstanccs speciales, raariages, baptcmes, etc., elc. En sortant des Saints-Lieux, je vais fuire visite au President actuel des Mormons, le reverend W. John Taylor. II est absent et nous I'attendons; son Ijureau est une vaste piece meublee en reps marron avec deux secretaires, eclairee par une serle defenelres et un cielouvert, et coupeeen deux par une ^alerie regnant tout autour,avec une balustrade le longde laquelle sont accro- ch(5s les portraits des principaux Saints anciensetactuels. Bientot il arrive, on me presente, il s'assied a cole demoi sur le canap^ et entame la conversation comme un homme nature!. II s'informe de la France ou il est alle, s etend sur la diflerence des regimes de nos deux pays au point de vue religieuxet repond avec bienveillance a toutes les questions que je lui i'ais sur les Mormons, leur gouvernement, leur regime, leur present et leur avenir. Naturellement il y croit ou parait y ci-oire. Au bout d'un quart d'heure , quelqu'un le demande; il me congedie en me priant de I'cxcuser sur le devoir de son ministere et en m'exprimant tout le plaisir <[u'il a eu a me voir : on n'est pas plus aimable. La (luestion de I'avenir du Mormonisme est I'ort controversee dans I'Utah, el naturellement elle est re -olue en un sens different par les Mormons et les non Mormons. Les premiers pretendeat qu'ils croissenl en nombre et en ricliesses : ce dernier point iic saurait etre exact, puisqu'ils ne font a pen pres pas de commerce et ne produisent que ce qui est necessaire a leur consommation et a I'entretien de I'Eglise. Les seconds, que les Mormons appellent IcsGentils, les considerent comme un troupeau de niaisquisontdomineset menespar quelques gens intelligents, lesquels out resolu cet important probleme de vivre dans Fabondance sans rieii faire, et par-dessus lemarche, d'etre en toures de la consideration publique. lis pretendent que le Mormonisme n"a aucune base solide, que ses doctrines sont antinaturelles et que jamais le Congres n'autoriscra Terection en Etat d'un territoire dont la constitution autoriserait la polygamie. C'est, au reste, entre les mains des Gentils qu'est pres([ue tout le commerce de I'Utah; une societe cooperative existe cependant et aussi une banque, toutes deux ayant specia- lemcnt pour objet de pourvoir aux besoins des Mormons : et elles sont en 114 A THAYERS LES KTATS-UXIS D AMERIQUE etatde prosp^rite. Toutefois, on nesaurait nier qu'il y a dans la polygaraie un gerine de mort pour le Mormonisrae, en ce sens que la molecule sociale, la famille, fait, quoi qu'ils en disent, absolument defaut. J'ai demande comment I'enfant s'eleve (juand Ic pere est mort, et on m'a repondu : « Tout seul », ce qui est un procede insullisant, a mon avis. De plus, et d'apres le principe de la religion Mormonne, I'liorame ne devant pas travailler pour s'ein-ichir, raais seulement pour vivre, une source feconde d'emulation etde progresest supprimee. A Ten contra de ces considerations et a I'appui du Mormonisme on peut citer la foi aveugle des Saints du dernier jour dans TEglise et ses repre- sentants. L'exemple le plus merveilleux qu'ils en aicnt donne est leur Exode a la recherche de la nouvelle Sion, quand, chasses en 1847 des plaines du Missouri qu'ils occupaicnf, lis emigrerent dans I'Utah pour mettre leurs corps et leurs ames a I'abri de la persecution des Gentils. Ce voyage de 40 000 personnes a travers des contrecs arides et a la recherche de I'inconnu a ete cent fois conte et laisse loin derriere lui I'Exode des Hebreux. Depuis, et sous I'autorite despoti(iue de Brigham Young, la vallee de Salt Lake s'est peuplee, la cite s'est batie, et le nombre total des Mormons s'est eleve a 20 000 environ dans Salt Lake eta 140 003 dans tout le territoire de rUtah. Mais on ne croit pas que ce developperaent survive a rinlluence qui I'a produit, et il est a craindre que, dirigee par des hommcs moins fins, moins energiques et moins personnels que Brigham Young. I'Eglise des Saints du dernier jour netombe bientot t'u deconfiture. J'ai achete les portraits de Joe Smith, le [)rcmiei- prophete, Brigham Ydung et John Taylor. La petite demoiselle qui me les a vendus m'a fait remar(pier (pie trois prophetes pour soixante-ipiinze sous, ce n'est pas clier. Coramc avcc irreverence I'arle dos Difux ce maraud I En revanche le guide qui nous a fait visiter le Tabernacle et le Temple ('tait plein d'onction et de componction. II salt queUjues mots de Frangais et il a habite le Havre, ce qui m'a vaki ses tendresses. LES MORMONS US « Etes-vous Mormon ? — Oui, Monsieur, j"ai ce bonheur. — Gombien « avez-vous de femmes? — Deux, Monsieur. — Oil ! alors vous etes un petit « Mormon ? — Le livre dit : Aie aut int d'epouses devant Dieu que tu en (' pourras nourrir : je fais ce que je peux. ;) « Est-il vrai que Brigham Young a repu des Angas lo plan du Taberna- (( cle. — On le croit ; mais je ne I'ai jamais entendu dire a lui ; ce qui est siir, (' c'est qu'il a vu dans un songo envoye par le Seigneur hi vallee de Salt Lake et « la place de la ville. — Cela est certain? — Sans doute, puisque cela, il I'a « dit ! » Si la foi transporte les montagnes, cet humble concierge a tout ce qu'il faut pour se fairc terrassier ! 12 Aoiit. — Je vais faire un tour dans Salt Lake et, sur la i'oi du Pacijic Tourist Guide, jt^ vais voir les sources. Gette publication vous informe en effet que, des votre arrivee a Salt Lake, la premiere chose a fairc est d'aller aux sources chaudes prendre un bain et, de la, prendre une voiture et aller aux sources bouillantes. De tout cela il n'y a de vrai que le bain ; mais le guide aurait du vous inviter ale prendre commodementa I'hotel, dans del'eaupro- pre, oil il ne coute que vingt cinq sous, tandis que vous le prenez, a deux kilometres de la ville, dans de I'eau qui sent les oeufs pourris, et sans aucune des commodites qui le rendent agreable. Apres quoi, muni de votre voiture, vous vous rendez aux sources bouillantes {hot sprimjs), et vous voyez un trou de trois pieds carresdanslequel coule, par une fente de rochers, de I'eau chaude (piiscnt egalement tres mauvais. Vous yj)longezla main, vous vous briilez les doigts, et vous rentrez a I'hotel pour dejeuner, avec la satisfaction du devoir accompli. Total 27 fr. SO pour deux heures de voiture ct un bain dans de I'eau puante. Du coup j'enferme mon guide au fdiuldemamalleet je jurede neplusl'ouvrir. Dans la journee je bats le pave a la recherche d'emotions quine seprodui- sent pas. Je rencontre une tres joliefemme; c'est une fille de Brigham- Young, aujourd'hui mariee. J'aurais voulu visiter la maison qu'il fit batir pour la derniere etla plus aimee de ses femmes, Amelie, qu'il epousa,ageede 18 ans, en ayant lui-meme 65. Getle maison de bois , qui est splendide et connue sous le nom d'Amelia-Palace, est a peine terminee et n'est pas habitee encore par la jeune veuve : malgre cela on nous en a refuse renlree. IKi A TllAVERS LES liTATS-UMS DAMEIIIQITE 13 Aoitt. —A sept heures du matin je repars pour Ogdeii, el apres deux jours d'empoisonnenient et depoussiere, j'arrivea Omaha, doii je repars pour Cliicago parle Rock Island et Chicago Rr. A Omaha, ouplulOt a Couucil-Rluils, peu s'en faut (pie je ne sois victime d-uue erreur facheuse. Ou arrive a Council-Bluffs sur Flieure d-Ogden et on en part sur Iheure de Chicago qui est en avance de trois quarts d'heure. N'ayant point soupeonne cette parlicularite, j'assure ma montre sur Thor- ioge de I'arrivee, et apres avoir instalie moii petit hagage dans mon sleeping, je me mets a flaner dans la garc. Mon train s'ebranle; je suppose qu'il s'agit d'une mana'uvre a I'interieur ct je le regarde liler sans metroubler qnand, sur la platr-forme d'airiere, le negre du sleeping (|ui m"a apercu se met a me faire des signaux t.-legra- phiques desesperes. Sans plus d'explication, je m'elance et je puis accrocher le marche-pied; le negre me tend une main secourable et vigoureuse; et tout est (ill right ! Cette compagnica des eating-cars, etje savoure avec delices un bon souper an prix modere de 73 sous. Je traverse un pays splendide, des prairies herbues, des champs deja laboures , des villes .pii ressemblent a quelque chose, Des Moines, la eapitale de I'lowa, Iowa Cily, La Salle, Joliet, ces dernieres dans riUinois, ([ui vous reposent du grand desert; enlin le samedi 16 aout a trois heures nous ai)ercevons Chicago, et apr."'S a\oir traverse la moitie de la ville, nous nous arretons au depot central. Ij _i„|i/. _ Dimanche. — Dhii cluv. mon ami M.'", toujours aimable, avec sa femmetoujourscharmante, sa belle-mere toujunrs sauk^pleureur, M. Alcan, de Milwaukee, .■tM.deVienne, consul de France a Bangkok, chez lesSiamois. Ce diplomate, .pii est un charmant liomme, sen va en conge et a prolite de I'occasion pour visiter la Chine, Ic .hq.on et TAmerique .lu Nord. Sa conver- sation est des plus intercssantes, v[ il nous raconte sur le pays .pi'il liabite et ceux quU a vus mille chosescnrieiises. .lapprends avec regret quil n'y aj.as d'Amazones du roi de Siam, ce (pii minspire des doutes sur la veracite ins- lorique des revues de liu d'annee de Saint-Agnan Cholcr. (» Bobino ! etdemila chambre que j'avais occupee au premier pour lii^ctdemi, ideed'ailieursaussi vite abandon nee que conguedevant mosjustes protestations. Apres une installaiion sommaire et un bon bain, je descends Broadway, tout hcureux de me retrouver dans un monde connu. Je vais voir mes braves agents, Morris et Murray, i[iii fonctionnent a souhait et m'ont fait 80 000 $ de primes en quatre mois : ii est vrai que les sinislres de leur cote vont un pen vite ; mais il faut esperer ([uo cela se cahnera, et d'aiUeurs il n'y a rien d'exagere. Je vais dejeuner cliez Fortwingler ou je retrouve, avec mon ami Choron, une joyeuse et je me societe Franf.aise; je prends mon parti de n'avoir rien a faire et d'attendrc avec patience les instructions de ma princesse. {8 Septenibre. — Passe la soiree a Tivoli-Theater, ou j'assiste a une serie de comedies, chansons, farces, exercices gymnaslicjues aussi varies que pen interessants. Lc plus remarquable est execute par une feramc splendidement batie et qui porte suspendus a sa maclioire des ])oids de plus en plus lourds, jusqn'a un canon au([uel on met le feu. La nienie saisit une chaise entre ses dents et I'cnvoie d'un coup de tete derriere son dos. C'est la plus forte maclioire que j'ai vue, apres toutefois celle de certains hommes ([ui ne le cedent en rien a la fameuse machoire du heros Philistin. 19 Septenibre. — Dine chez Solore University Place, au coin de la 11", avec Morris et mon ami M. *'* de Chicago, qui court une bordee sous pretexte d'af- faires. Tres bon diner et tn's bons vins pour 2.') francs environ par tete ; la cave est decidement superieure a celle de Delmonico. Les Americains laches sent des gens terribles; ceiui-ci, qui est bon epoux el bon pere defamille, fait depuis huit jours a New- York une noce cfFrenee en compagnie de quatre ou cini| Louisianais , ce qui ne I'empeche pas d'accabler sa femme de tendr(vsses par chaque courrier. Corame capacite nous sommes loin de cetle race ; ils appellent cela prendre un pen de dissipnlhn. 20 Se.pleinOre. — Assists dans le bureau de la Compagnie transatlanti((ue a une des plus cocasses r.'iclamilions que j'aie entendues de ma vie. NEW- YORK 121 All iiiomeiit oil iin paquebot francliit an Havre Textremite de la jetee, il tiro deux coups de ses petits canons ot arbore le drapeau national. Le Saint-F^aiirent, parti il y a frois seraaines, a accompli cette formal ite com inc les autres; mais ces deux explosions inattendues out ebranlc fortement le systeme nerveux d'une brave dame Americainc qui s'est trouvee soudain, comme la nymphe Arelhuse , chang^c en fontaine et qui n'a cesse de p.... leurer du Havre a New- York. Arrivee la, elle a fait constater medicaloment son etat et envoye a la Com- pagnie un certificatde medecinattril)uant Faccidenta {"explosion des canons, accompagne d"une demande de 3 000 $ de doramages-interets. M. deBeliau a fait remarquer que pour .3 000 i||5on pouvait acheterbeaucoup d'^ponges, et comme le mandataire do la dame insistait, il I'a polimcnt envoye promener, en I'invitant a s'adresser aux tribunaux et a exposer sur le banc de la Cour I'objet de la reclamation. 25 Seplembre. — Assiste aux d.jbuts do la troupe do Gapoul et de Paola Marie qui viennent jouer I'operette a la suite de la retraite d'Aimee. lis sont renforces d'Angele de la Gaite et de la troupe francaise qui exislait a New- York. La premiere representation de La jille de Madame Aiigot est des plus brillantes : costumes, decors, cliauu's et tout le high life Franco-Americain en grande toilette. Gapoul a chanto avcc boaucoup d'art, mais sa voix disparait et le laisserait en route, si quelquo effort puissant etait necessaire. Paola a-toujours son air bonne fdle ; elle chante bien, mais moins dans le goiit Americain qu'Aimee, qui soulignait beaucoup plus de la voix et surtout du geste, cc qui faisait la joie des Americains. Quant a Angele, chargee du role de M"" Lango, elle a prollte de son costume Grec du second acte pour mettre son plasticpie en evidence. La representation a ete un triomphe et los trois etoiles ont ete inondees do tleurs. Le lendemain je vais voir a Nielior-Tlioater une K-irh qui a simplement pour litre << Enchantemenl », et qui, comme toutes les feeries, n'a ni queue ni tete; c'est un pretexte a decors, a ballets et a costumes. L-js ballets sont tres brillants, mais fort mal danses; les jeunes ballerines Yankees paraissent n'avoir aucune notion de la mesure. Mais les costumes sont splendides, les decors bien peints, les fiUes tres jolies : e'en est assez pour le plalsir des yeux. ['-l-l A TRAVERS LES ETATS-U>'IS D'AMERIOIE 28 Septembrt'. — Yisili- hi fahriquc dc iiiiano de nion ami Hurtado, coiices- sionnairc du c;uano dii Peron. Dans cette fabriquc, situee a Brooklyn, le jjnano est separe a la main dos pierres el des matieres inertes auxqnellos il est mele, concasse entre denx cylindres a machoires, moulii sous des mculps en for analogues a celles ([ui broicnt le cacao dans les fabriques de chocolat, tamisu, melange dc facon a fournir autant que possible un produil uniforme et expe- die en tonneaux. Ce produit est assez employe par I'agriculture Americaine, principalement pour la culture du tabac. Son prix varie avec la quantile dammonia([ue et de potasse. Les ouvriers qui le manipulent et ijui sent de purs manoeuvres sontpayes 2 $ parjournee de 10 heures. En revenant nous nous arretons pour voir le grand Elevateur de Brook- lyn. Les Elevateurs ou grands magasins a ble sont installes dcpuis nombre d'annees aux Etats-Unis. Depuis quelques mois seulement , la cliambre de commerce du Havre vient de decider qu'il serait nomme une commission chargee d etudier la mise a I'etude d'un projet de construction d'Elevateur. Ges batiments construits en l)ois, sur base dc pierres ou de briques, se com- posent essentiellement d'un certain nomhre de cuves en bois immenses, soutenues par des poutres enormes et destinees a recevoir le ble. Celui-ci arrive par la partie superieure de I'Elevateur oi!i il est amene, soit par une cliaine a godets, soit par une vis d'.\rcliimede, soit par un appareil a succion faisant le vide dans un tayau qui puise le grain dans les wagons ou dans les bateaux. Arrive en haut il redescend et, tout en subissant I'operation du vannagc et du criblage, il tombe dans les reservoirs susdits que Ton remplit cliacun de grains de qualite similaire appartenant a differents proprietaires, lesciuels ont tous un compte ouvert a I'Elevateur. De ces cuves le ble, quand il est vendu, est cxpedie soit en wagons, soit en bateaux. Le ble descendait autrefois par son propre puids, aujourdluii il est pousso par une pompe foulante a air, a rextri'mite du tuyau de laquelle jaillit un jet de ble qui permet de le repartir egalement dans la cale du navire sans autre manipulation. Le ble est pese au lieu d'expedition quand il est pris en charge. A partir de ce moment, tous les transporteurs sont responsables des dechets et NEW-YORK l-r.] doiveut rendre le ble poids pour poids, on solder la difference en argent, jusqu'au moment du depart ponr I'Europe. Cc n'est qu'a intervalles tres eloignes que I'Elevateur paie son dechet en argent, parce qu'il a toujours en circulation one quantite de ble suffisante pour indemniser iin expediteur avec ce qui apparticnt au suivant. Les droits de magasinage sont francs pendant les dix premiers jours : la plus grande partie du bio etant dcstinec a I'exportation, I'Elevateur est pave sur les droits parous dans cettc operation. Les dix jours suivants couteiit 1 cent et chaque dizainc suivante un dcmi-cent par bushel (33 litres). Un mois de magasinage coiite done 1 sou ct demi par bushel, ou exactement 22 centimes par hectolitre. Ces magasinssont extremement repandus dans toutl'Ouest, oil ils rendent les plus grands services. Ils donnent lieu en matiere d'assurances a des polices ouverles, c"est-a-dirc a des polices indiquant la valeur assuree sans duree ni taux. Lorsque le ble est retire de I'Elevateur, ou que, sans en etre retire, il change de proprietaire, on clot la police et Ton decompte la prime d'apr^s le temps couru. Cette ope- ration donne lieu a I'application des short rates (taux courts), lesquels sont proportionnellementbeaucoup plus Aleves que les taux annuals. Un Elevateur paie en moyenne par an 10 pour cent de la valeur du ble qu'il contient, etce genre d'affaires est tres prolitable. 5 Octobre. — Dine en gar^on chez Peuguet. Fort joyeux festin et vins de premier choix. Au dessert, nous imaginons de parler Espagnol, languc dont (|uatre sur six ignorent le premier mot. La femme dechambre nous croit devenus fous, et il y avait bien quelque chose de cela chez ces hommes graves. A minuit Tenthousiasme s'cst cahne ct, les uns aidant les autres, nous avons pu regagner nos domiciles sans cncombre. 7 Octobre. — Dine a I'hotel Saint-.James avec le secretaire de Berlin- (lologne G", Monsieur Heinrich. Salle a manger tres luxueuse, decoree a la Pompeienne, cuisine ordinaire, vins mediocres. J'y ai redine depuis, et me suis reconcilieavec la cuisine. /7 Octobre. — Excursion tres interessante aux etablissements de correction [2'i A TRAVEliS LES ETATS-UNIS D'AMERKJIE et de chariti'" de la \\\\o de Now- York, on compagnio du capitaine Frangiieil. commandant le Canada, ds Monsieur et Madame Lejeiine et do deux demoi- selles Americaines, donl une d'orlgine Beige. Nous avons clioisi, par liasard, le jour ou un liataillon du regiment dc la milice d'Atlanta (Georgie) est venu a New- York, oil il a ete reeu par le 7'^^ regiment de la milice, le regiment par excellence ou tons les cocodes que I'o:! appelle ici les Beaux se sont engages pour defondre, encasdebesoin,rordrc, la famille et la propriete contrc la vile multitude. La municipal ite de New- York et le 7' regiment oHVatent aux Georgiens une excursion aux iles, avec lunch et promenade surTeau, et c'est an son dela musique (jues'est effect uT' notrc voyage. Les etablissements de hicnfaisancect de correction de la ville de New- York sont, en ellV't, installes dans qnatreiles situees dans la riviere de TEsl, laqnclle n'est autre qu'iin golfc large de 1 mille et long d'une vingtaine, qui forme I'une des deux branches du port dc New- York. Co sont les iles Blackwell, ^Vard, Randall ct Hart. Les etablissements sont au nombre de dix-huit, onze hopitaux, deux Work-Houses, sorte de depots de mendicite, la Morgue, la maison de detention, deux asiles pour les aveuglcs et les idiots, et le cimc- tiere des pauvres. Tous ces etablissements sont sous les ordresdc trois commissionnaires ou commissaires, nommes par le Maire, et dependent entierement de I'autorite miniieipale qui les soutirnt a I'aidede taxes imposees specialement a cet eflrt eta I'aide des ressources de lacliarite privee qui sont inepuisablcs. Tout appel a la bienfaisance, en Amerique en general ct a New- York en particulier, est immediatement entendu. Quand TArcheveijue de New- York voulutfaire liatir la nouvelle cathedralr. 11 fit une liste de cent personnes, a chacunc desquellesil demanda 1000 ,^ ; an boutde trois on qnatrc jours les 100 000 !^ etaient verses. Tous les etal)lissemen'sde bienfaisance (pie nous avons vus,et dans la des- cription di'taillee desipiels il est superdu d'entrer, parcc tiu(^ c'est tonjours la menie chose, so distinguent par deux caractercs : ime proprete extreme et une douceur inalterable des gardiens pour les maiades. 11 est tres emouvant, dans I'asile des folles notamment, de voir les soins et les precautions des gardiennes, qui sont souvent de jeunes femmes ou de NEW-YORK 128 jeuiies lilies, pour les piuivres alienees. Une i'olle qui avail dii etre belle, etqui conservait une certaine distinction demanieres, se croyaitla femme du gene- ral Grant, at saluait avec dignile les officiei-s des volontaires. EUe parlait du rc-lour prochain du general el des hoininages qu'il avail repus dans son voyage autoui- du monde. Une autre, eipi'ce de geante a barbe, avec une lets qui rap- pelait celles des vieux malelols, se prit d'amour pour uii jeune volontaire et voulut absolument rerabrasser, ce a quoi il se prela sans manifester aucune repulsion apparente : acte de courage superieur a lous ceux qu'il aura sans doule a accomplir plus lard. A riiopital des malades, on a pour certains d'entre eux des attentions spe- ciales; ainsi dans la salle oil sont les malades de la moelle, les ramollis, les rachitiques et autres alleiiils d atl'ections ([ui attaquent le cerveau, on a dis- pose de la verdure, des Hears et des oiseaux destines a recreer leur vue et a leurdonner une salutaire distraction. Les etablissements penitentiaires sont egalement tres bien tenus sans avoir I'exageration de coniortable que j'ai reinarque en Galifornie. L'aeration est parfaite, la pi'oprete meticuleuse et la nourriture tres satisfaisante. Les cellules sont fort petites et ires sombres, et n'ont pour tout mobilier ([u'un lit de sangle, muni d'une couverture. En cas d'insubordination, les detenus sont mis au cachot, cellule completemenl obscure ou ilscouchenlsur le carreaueloii ils sont nourris de pain et d'eau. lis sont tenus au silence, ne l)euvent pas fumer et soul souniis a un travail obligatoire. Leur noni, leur profession, el la duree de leur peine sont inscrits a la porle de leur cellule sur une pancarte portant leur numero. A San-Francisco, au contraire, I'incognito est scrupuleusement observe vis-a-vis des visiteurs, et il est inlerdit aux gardiens, sous peine d'expulsion, de leur designer un condamne par son nom. Au sortir de ces lieux sombres, nous allons luncher sur le bord de la riviere, a I'abri de superbes saules pleureui's, pendant que les v()loiiUiires lunchentofliciellemeul el bruyamnient. Nous repartons ensuite, etje m'aper- vois que le bateau est bourre de jolies Ami^ricaines cpie je n'avais pas remar- quees au deparl et qui sont au mieux avec les volontaires. Geux-ci absorbent religieusement du sherry, du whisky el du brandy, qui soul en permanence dans le salon des commissaires. Vers quatre heures nous 12() A TRAVEHS LF<:S ETATS-UNIS D'AMERIOUE revenons an port oii une serenade est donnee;apres quoi.au moment oil nous nous (lisposons a niettre pied a terre, le bateau repart, et nous apprenons avec surprise que nous allons faire une promenade autour de la baie. C'est fort embetant; nous avons tons des affaires a terre et nous voudrions bien nous en aller. Grace a Tobligeance d'un des commissaires, le bateau s'airete au pin n" 1, a I'extremite de la terre ferme, et nous debarque au grand deplaisirde Madame Lejeune, cpii serait volontiers partie pouria France dans cet equipage. 19 Odobre. — Visite en detail eta pied le Pare Central. 11 est immense et superbe. Commence il y a treize ans dans un desert rocheux, ilestaujourd'hui au milieu de la ville. Les moycns d'acces sent nombreux: luiil ou dlxlignes de tramways et trois cheminsde fer suspendus. Ni I'eau ni la verdure n'y sont menagees, et quand les arbres auront tout a fait grandi, il aura peu d egaux. II renferme un musee de coquillcs qui est, dit-on, un des plus complets qui existent, une menagerie assez pauvre et un musee d'histoire natureile. Le tout, bien entendu, est ferme le dimanclie, selon I'usage invariable du peuple Americain, do sortc que ni le peuple ni les gens d'affaires ne peuvent en jouir. Au milieu du Pare et sur Ic point le plus ^leve sont deux immenses bassins oil I'eau dulac Groton, amenee par un a([ueduc (jui traverse I'Hudson un peu au-dessus de New- York, se repose avant d'etre distribuee dans la ville. Une espece de tour en forme de cliateau fort et du plus niauvais gout domine les lacs ; de son sommet, on jouit d'unc tres belle vue de Tensemble dii Pare et d'unc partie dela ville. Laquantite d'eau consommee par New-York est con- siderable : elle sufTit a la proprete des habitants, mais non a celle de la cite qui est horriblemcnt sale. Une ordonnanco obligeait autrefois les proprietaires et les boutiquiers a laver le devant de leur maison ; elle est tombee en d6sut5tude, et il n'y a guere que les hotels (pii s'ac(juittentde ce soin. On parle depuis longtemps de jeler sur la ville un courant d'eau puis(5e dans I'Hudson qui est a cote; mais ce projet est lettre morte et Ton continue a voter religieusement chaque annee, pour le balayagc de la cite, des fonds qui disparaissent non moins religieusement, sans que la ville en soit plus propre. lis ne sont pas perdus pour tout le monde, et c'est un des cas oil la proprete de la ville fait le bonlieur de ct-ux qui en sont cliarges. NEW-Y01{K 127 A I'extremite Nord duParc est un elablissement quis'appelle leMontSaint- Vincent, compose d'un jardin, d'unegalerie d'objets darts et d'un restaurant. Lejardin et ses serres sent assez jolis ; la galerie contient d'affreux mou- lagcs des chefs-d'oeuvre de la sculpture Americainequi laissentbeaucoup a desircr corame choix de sujet et comme execution; le restaurant est le rendez-vous des Beaux et des Belles qui y viennent, I'ete en boggy et I'hiver en sleigh (traineau), pour y luncherou y souper. Quand I'liiver est rigoureux, New- York est qiielquefois pendant un inois ou six semaines sous trois pieds de neige que Ton n'enleve pas, parce que Ton ne saurait qu'en faire. Tous les vehicules sont alors transformes en trai- neaux, et la grande fashion est d'aller au Pare faire des sleigh fast drive (courses en traineau). On voit passer alors dans la cinquieme avenue des masses de sleighs glissant sur la neige diircie, tantot silencieux comrae des ombres, tantot faisant entendre le tintement des clochetles de leurs chevaux. Chacun d'eux 'renferme un couple enseveli dans des fourrures d'ou sortent deux tetes qui semblent un peu plus rapprochees que la situation ue le com- porte; raais il fait si froid et Ton passe si vite! Ouand deux sleighs amis se rencontrent, tout aussitot on se porte un defl, et alors commencent des courses folles, ipii n'onl du reste de dangereux que la Iraversee des rues transversales ou, ipiand une autre voiture est prise par le travers, 11 se produit une immense marmelade. A part cela, la route etant loujours en ligne droite, et presque tous les sleighs montant ou descendant a la meme heure, il n'y a pas grand danger de chute. Le but de ces courses est habituellement le Mont Saint- Vincent, oi!i un souper reunit les vaiuqueurs et les vaincus. L'liiver que j'ai passe a New- York a malheurcusement ete exceptionnelle- nienl doux et il n'y a eu qu'un jour oil les sleighs-ride out ete possibles. Ce jour-la on m'a demande 10$ dela location d'un sleigh pour la soiree; j'ai trouvecela un peu vif et j'y ai renonce; je I'ai souvent regrette depuis. Cela m'eut perniis d'examinerde prc^s un des precedes de llirtation les plus reussis. Je note en passant une nouvelle et ingenieuse definition de la flirtation : « attentions sans intention ! « 20 Octobre. — Revu mon brave notaire de San-Francisco et dine avec lui. 128 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE II vient a New- York pour placer ses mines, etapporte quantite tie rapports et dechantillons. II a, dit-il, entre les mains plusieurs fortunes ; ce qui lui manque, c'estun moyeu de les deveiopper. Ce qui lui manque surtout, a mon avis, c'est de la chance; depuis vingt-liuit ans qu'il a quitte la France, il a fait et perdu trois fortunes, et ilestfort a craindre qu'il n'en refassepas d'autres. Aujourd'lmi les mines de Californie ne sont plus ce qu'elles etaient il y a trente ans. L'extrac- tion coute davantnge, le minerai rend moins, les mineurs se paient plus cher, et ii y a eu lanl de capilaux enfc)u is dans les montagnes de la Nevada que, malgre les fortunes enormes faites par quelques iiidividus, le capital est devenu defiant. D'uii autre cote, les Europeensont titetellementechaudes pardes affai- res transatlantiques de toute espece, que les capitaux Anglais ct Fran^ais no repondent plus que difficilement a Fappel des Americains. II y a cependant a faire et beaucoup en Californie , meme en matiere d'exploitation de mines. Mais il faut etre patient, prudent, et surtout trouver pour I'exploitation et radministration des directeurs honnetes et consciencieux, ce qui est Toiseau rare en Californie, oil il y a tanl de vilains moineaux. 2'2 Octobrc. — Diparl de New-York pour Chicago. J'adopte la voie du Pennsylvania Railroad, un des trois ([ui, avec I'Erie et le New- York Cen- tral, conduisent de New- York a Chicago. La traversee des Allejhanys, entre Harrisburgh et Pittsburgh, est des plus pittoresques et rappelledans unecertaine mesure la lignedeLexosa Rhodez mallieureusement nous la passons en grande partie la nuit , et ce n'est qu"a partir d'Altona, vers 7 heures du matin, que nous pouvons en jouir. Au sortir de cette petite ville, le chemin trace a flanc de coteau contourne un ravin immense, ce qui lui donne la loruie d'un I'er a cheval ^/lorne-sliue), nom sous lequel est coniui ce paysage. A unehcure de I'apres-midijOn arrivt'a Piitsl)uri;h ; c'est lehaul I'oui'ueau de la Pennsylvanie. Seize oil dix-huit fahriqiies de I'er, de foiile et d'acier sont echelonnees le long de la riviere Alleghany et couvreiit, pendant toute laiinee, la ville entiere d'unnuage de fumee noire. Jamais le soleil ne luit a Pittsburgh pas plus ([u'a Londres, et quand il y pleut , comme aujourd'luii, il y pleut de la suiedetrempee. En 1813, iln'y avaitipi'un haut fourneau en Pennsylvanie; il y en a aujourd'hui cinquante-sept. NEW-Y(IRK 129 La production du fer etait en 18G4 de 872 000 tonnes. en 1877 de 1 476 COO » Celle de I'acier etait en 1872 de 160 000 » en 1877 de C61 000 » La valeur totale du fer et do I'acier importes de le- Iranger pour les besoins du pays etait en 1873 de. . . . 59 .308 000 $ en 1878 de.... 9 637 000 $ Difference 49 651 000 $ pay^s en molns a letranger, soil environ 257 200 000 francs. II en est a peu pres de meme dans toutes les industries. A I'abri des droits protecteurs, la production indigene a fait des progres considerables et arrivera dans peu, non seuleinent k suffire a la consommation, mais encore a exporter en Europe des produits fabriques ; il est meme probable que, dans un temps plus ou moins long, Tinfluence de I'exportation du nouveau nionde causera dans lancien une perturbation economique. J'ai pu poursuivre durant ce voyage mes etudes sur le peu d'amabilite des Araericaines auxquelles on nest pas inlroduil. Dans les sleeping-cars deux lils sont superposes comme dans une cabine, et je m'etais, suivant mon habi- tude, precautionne d'un lower berllt (lit d'cn bas), ne me souciant pas de faire de la gymnastique pour gagner celui d'cn haut et estimant qu'en cas d'acci- dent interne ou externe, plus on est pres du sol et plus il est facile d'aviser. En face de moi etdestineea occuper V upper berth (lit de dessus) vient s'as- seoir une jeune femme, aux traits fins et distingues, assez jolie, tout en noir avec un grand voile , mais visiblement fatiguee et souffrante. Quand le bon negre vient faire nos lits, je lui dis : « Vous direz a cette lady que si elle se trouve mieux en bas, je me mettrai « en haut. a Le negre fait la commission a la lady qui etait a cote de moi ; elle lui repond : (' all right! » et sans me regarder, sans me dire : « Merci! » elle va se loger paisiblementdans macouche, tandis que j 'escalade peniblement son deuxieme etage. Le lendemain, elle nous quitte a Pittsburgh, toujours sans un remerci- ment, me laissant la satisfaction du devoir accompli. Le meme soir, le bon negre, touche sans doute de mon precede de la veille, vient me dire : « Voudriez-vous bien donner votre luwcr berllt a une lady? 9 i:!0 A TRAVEUS LES i5TATS-UNIS D'AMERIQUE « — Ah ! non, par exemple, elle est raauvaise! C'estassez d'une fois. Pour- « quoi moi, plutot qu'un de ces gentlemen ? « — Parceque votre honneurest Fran(,'aise,et j'ai vii h'wv que vous etiez tres (' poli... « — Merci bien! at aiissi, je pense, parce que vous esperez que la lady vous « donncra un dollar! « — Oh! Sir ! poor my!... » Cependant je me melie de men premier mouveraent (jui etait le bon, ct je lui demande : « Quelle esprce de lady est-ce? « — C'est celle-ci avec deux enfants. » Et il me montre una aspace de mastodon te flanijuaa da deux aflfreux mar- mots dont Tun piaillait depuis una heure a la grande joie de tout la wagon. Jeme represente cetta tour obligee d'escalader une muraille, et je reponds d'un ton de fort mauvaisa liumeur : « Eh bien! c'est bon ! Je le fcrai, vous pouvcz le lui dire. » Aussitot il s'empare de mon sac et de mon parapluie, et, me precedant offi- cieuseraent, il va triomplialement annoncer a la lady (lu'un gentleman consent a lui donner son Jowrr hcrili. Mais la lady , avec la tourniu'e d'un elephant a qui Ton soutiendrait ipril ne peut pas danser sur la corde, repond quelle poui'ra tres bien monter, qu'elle n'a besoin du hciili de personne et qu'elle sera tout aussi bien en haut; le tout sans s'apcrcevoir que j'etais la et sans regarder cet intrus qui se pcrmettaitde lui oflVir son lit sans lui avoir ate introduit. Si ja lui en avais offert seulementla moitie, elle n'auraitpastemoi- gn^ un plus superbe mepris. Cetta absence de politcsseet cette suffisance caractaristique das Am^ricaines de tout age at de toute classe n'ont pas d'ailleurs echappe a leurs compatriotes. Puck contenait, il y a (pielquc temps, un dessin representant I'interieur d'un car. Un vieillard vient de se lever et de donner sa place a une lillette de quinze ou seize ans. II se penche vers elle en arrondissant la main sur son oreille : « Vousditas, Mademoiselle? — Mais rien, Monsieur. — All! pardon! II me « semblait que vous aviez dit : Merci ! » A liuitheures j'arrive a Chicago, el je descends au Palmer; je vais retrouver des gens comme il faut, mon ami M'", sa tr^s charmante femme, Mme Rice et ma petite amic Maud, (pii, au moins, quand je leur anvoie un bouquet de NEW-YORK 131 4 on 5 dollars, out I'air d'en etre contentes et me disoiit: « Merei! » Sans compter Hannie, ma chambermaid, une jeune Suedoise ([ui me ra- conte comma quoi elle a ete al)andonnee par son felloii' (camarade) qui est parti pour le Colorado, et qui depuis deux ans ne kii a pas donne deses nou- velles, ce pourquoi il est un bnd mnn (mechant homme) ! Eternelle et vieille histoire! Heureusemeiit (jne la race des afdigees a poui' pendani celle des consolateurs! GHAPITRE V incAco. — i,v: minnf.sota. — Cincinnati. — mammoth - cavk M: KANSAS. M-:s ONlilDIENS. Hetoiir i (Ihicago. — Palmer-House et ses femmes ile chainbie. — Aida. — Le comble iIp la naivete. — Une soiree ehez des Purilaiiis. — Le Songe d'Alhalie. — Souvenir retrospect! f de la vie Puritaine. — Un mot sur I'organisation de la justice. — Les Cours locales et fe- derales. — La remise des exploits. — Celui qu'accomplit un huissier boiteux. — Les elec- tions. — Le parti republicain et le parti democrate. — Springfield, capitale de I'lllinois. — Comme quoi les .Americains ne sont pas Iris particuliers. — .Mon ami Pesoli, le chancelier du Consulat de France. — Encore la langue Chinoise etlamusiqiie Cliinoise — Turner-Hall. — Le colonel et le trombone. — La fabrique des moissonneuses de M .Mac Coruick. — L'entrce du general Grant. ^ Le cortege. — Lei banquets. — Un mot sur le general. — Ses chancesi la presidence. — Le recrutement i West-Point et 4 .\napolis. — Une reunionde socialistes. Le citoyen Shacker et le citoyen Henry.— Lecitoyeu Oavoust. — Orage. — Un mot sur la situa- tion et les tendances du parti socialiste Am?ricain. — Saint-Paul de .Minnesota. — .Minnea- polis. Les moulins et les elevateurs. — La production des cereales aux Etats-Unis. — Mil- waukee. — La loi sur I'assurance dans le Wisconsin. — Encore la langue Chini^ise. — Un chapitre dei chapeaux. — Depart de Chicago. — .\rrivee S Cincinnati. — La ville. — Por- king-House. — Fabrication du whisky. — Le Rliin. — Les residences. — Le Conservatoire. — La Bibliotheq le. — Le Pare. — Louisville. — Mon agent. — La ville. — De Louisville 4 Nashville par Mammoth- Cave. — La conjuration des h6teliers et des cochers. — La Cave. — Un negre intelligent- — La mer morte. — Le tire-bouchon. — La misere de Ihonime gras. — La chambredes etoiles. — Les poissons sans yeux. — Nashville. — ■ Une ville religieuse le dimanche. — Un dejeuner avec une demoiselle. — Un voyageur en horlogerie. — De Nashville 4 Evansville et a Saint-Louis, — L'Ohio. — Evansvillele soir. — Un bal prive de ma presence —Mon amie Emma Barrett. —Saint-Louis. —Tivoli-House. — Lindcll-llotel. — Un colonel qui se mouche dans ses doigts. — Les caracteristiques des Americains — Christmas -day. — Une grand'messe en musique. — Un meeting methodist. — La publi- cite religieuse. — Le produit net. — Kansas City. — La ville. — Un Porking-House. — Trente mille deux pieds de cochons. — Le soir du 31 decembre. — De Kansas City S Silk- ville par Ottawa et Williamsburgh. — Williamsburgh. — Le Post-OITice Les notables. La route. — Silkville. — Mon ami de B'*', son genre de vie, se; idees, ses tentative;. — Ce que c'est qu'un settlement et un settler. — Les origines de de B***, son but et sa tenta- tive avortee — Un essai de phalanstere. — La fabrication des (romages. — La vie domes- 13'i A TRAVERS LES fiTATS-UNIS D'AMERIOLlE tiqueetsans domestiques. — I.a pudeur Aniei'icaine, — Une serie de mpmis phalansterieiis. — Souvenir gastronomique S moil ami f". — La colonisation. — La speculation sur les terres. — Les Green-Bakers. — Le systeme financier de de B***. — Le Credit par I'Etatau moyen du papier-monnaie. — Les tcntativessocialistes en Amerique. — L'lcarie. — Oneida. — Constitution et doctrines des Oneidiens ou Free Lovers. — Leur origine. — Leurs pro- gres. — Leurs procedei. — Leurs reudtats. — Leur reassite. — Lawrence. — Topeka. — Retour a Saint-Louis. — Depart pour la Nouvelle-Orleans. 2i Octobir. — Je me reintegre a Tliotel Palmer , ohambre y87, ou je reti'ouve ma belle viie sur le lac Micliiy:an, ravenuo Wabash, mon meuble en velours vert et la jolie Suedoise (jui preside a I'emretien de mes Lares. Par une delicate attention du proprietaire, toutes les bonnes a Palmer- House sont jolies , et gentiinent habillees d'une robe noire, d'un tablicr blanc a bavolet etd'un petit bonnet I'ond plus gracieux que solide, ce qui permet de le jeter par-dessus les moulins sans trop do difficultes. Han- nie (c'est ma chambermaid! se prete a la conversation et entend la plaisan- terie. Presque tous les jours nous causons un quart d'heure ou vin^t minutes; malheureusement elle parle fort mal. EUe supplee a ce defaut jiir une pe;iu tres blanche, des mains petites et relativement bien tenues, et d 's cheveux blond venitien avec ce tonroux et ehand qu'affectionne Paul Veronese. Elle me raconte la Suede, son enl'anee, son voyage et ses malheurs. Je la plains et la reconlbrte. On s'instruit beaucoup dans la conversation des gens du peuple ; aussi je ne neglige jamais I'occasion de causer avec eux. lis vons apprenncut quelquefois des choses droles ou des usages bizarres (pie Ton ignorerait ik jamais dans la bonne societe. Dint! chez M"* dont la tib'.e ho^pitaliere est toujours ouverte. Sa femme est tellement babituee a le voir reatrer a\ee quelqu'un, qu'il y a toujours, a cote d'elle, un couvert dedie « a I'ami iiiconnu. » La belle-mere est encore ici. A rencontre de Mmo Benoiton qui etait lou- joiu's sortie, celle-ci est toujouv-; sur le point tie partir ; comtidie intime en autant d'actes qu'il y a de jours dans I'annje. Cependant il parait que c'est pour le 30 novembre, cloture detinitive et sans remise. 27 Oclubrc. — Entendti Ai la par la ti'oupeitahenncde Maurice Strakosch ; CHICAC.O l.io je lie suis pas aussi emerveille que je Taiirais csperu. La troupe est mediocre ct Topera me parait ordinaire. II mc faudrait dii reste , pour en avoir unii i(l(''e nette, plus d'une audition. J'ai entruilii an nieme theatre Nonna et Luria (pii m'oiit lait beaucoup plus do plaisir. La salle est a moitie garnieet les audileurs sont fort occupes a lire les paroles dans le texte Anglais : cliacun est muni de son livret et touriie le reiiilht au nieme instant, ce qui proihiit un frrrou tres bizarre aux endroits pathetiqucs. Derriere moi sont deitx Fran^ais (|ui causent assez liaut poiu' ipie je les entende. IJans i'un des entr'actes j'apprc'uds p:ir un de cos Messieurs ce (|u'(!st le comble de la naivete. II parait (jue c'est de laire un voyage a Madrid et d(! deraander sur les bords du Man^anares a voir la Morgue Espagnole ! 'iS Octobre. — .le suis entraine a une soiree chez des Puritains. J'aurais (III ine metier et tenir ]iour bonne la Icfon repue il y a trois ans ; j'accepte cependant. Fatale imprudence ! Dansuu salon eclairepar legaz central est une talilc verte autour delaijuelle, a notre entree, deux hommes et trois femmes sont assis. Mod introducteur me presenfe : on me serre la main a la ronde ct nous completons le cerclc. La conversation commence par le sacramentel: « C'est votre premiere visite en Amerii|ue? » Question a laquelle j'ai deja repondu an inoins trois cent cinquante Ibis. All bout d'une demi-heiire, on me demande si je joue aux cartes. « A pen pres ! » On commence alors uii jeu dont ma voisine, une aiinable enfant de seize ans, m'explique le mecanisme. .le reconnais avec etonnement que c'est le jeu de la famiUe Grinchon, qui s'appelle ici Bursley , et qui est pourvue coinme chez lions de son ami, de son regisseur et de son fermier. Ce souvenir natio- nal me retrempe; je cause avec mes voisines etjedecouvreque cellededroite, M" C"*, parle Francais tres couramment, quoiqu'avec un fort accent. Je suis tdut a fait reconforte, quand je vols apparaitrc un plateau charge de sand- wiclis et garni d'une serie de fliites contenant evidemment du Cham- pagne. Je demande a ma voisine la permission de boire a sa sante un verre de ce vin de France! La maitresse de la maison perd contenance, et mon ami me 1.36 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQIE lance des regards desesperes : il est evident que je viens de saisir I'occasion de faire un impair. En effet, en vidantmon verre, je m'aperQoisqueleliijuide y incUnn'a rien de commun avec Ay, Reims ouEpernay. C'estjaune, legere- ment acide, et monte ati nez comme de la moutarde. « Comment Irovez-vo iiotre {■(lider? d me dit ma voisine. — Exquis, Madame, on jiirerait du Champagne. — Vn autre verre ! — Merci, il ne faut pas aliu- serdes meilleures choses ! » Et j'eviteune seconds touruee. Apres ce rafraichissement indigene, on prie la dame au Frangais de hien vouloir nous declamerquelipie chose. Apres setre fait pen prier, ellc entamc le songe d'Athalie ! Beaucoup de bonne volonte et rien de plus. Aucun sentiment du ton ni fie la mesure, et quand elle dit : « (pie ies chiens devorants sef( (Uftpioiititient «, je me sens une certaine envie d'aboyer. La soiree est cloturee sur cet incident, et je vais paisiblement ine reposer des d^licieuses emotions de cette peti!e fete. Je me souviens (pfil y a trois ans, a lepoque de mon premier voyage, j'ai passe deux jours chez des Puritain^. C'etait a Erie, sur Ies bords du lac (jui alimente le Niagara, cliez M^' CI'", la belle-mere de M. de R"*. J'arrivai un jeuli a huit heures du soir : je uai pas oublie la bonne grace et la dignite avec laquellela vieille dame, coiffee d'un l)onnet a tuyaux et I'' nez surmonte de ses lunettes, me tendit la main en me disant : « Soyoz le bienvenu, Monsieur, et ([ue Dieu benissele jour ou vous etes entre dans ma maison. » Apres quoi elle mepresenta a ses cinq filles, dont I'ainee etait Mme de H"*. Apres cette ceremonie preliminaire, on passa a la perpetration du soupcr, qui se composait d"une tarte a la rhubarb?, de fromage, de beurre et de noix. Le lac avail fourni une eau limpide et froide dont nos verres etaient abon- damment remplis par une cameriste etroite etlongue, fort effaree de Tintro- duction d'un paien dans ce sancluaiii'. D(is ce soir je coiieus pour la IVugalile p ii'itaiiie une haute idee, (pie rien ne vint rectifier Ies jours suivaiits. .Ic dois dire eependant que de R"*, m'ayant accompagne dans ma chambre , a cru devoir m'expliquer que, vu Ies principes de sa belle-mere avec laquelle il vivait, il n'entrait jamais une goutte de vin ou d'alcool dans la maison. CHICAGO 137 « Vous m'excuserez alors, lui dis-jc, si j'ai iiivolonlairemcnt fait la contre- iiande o, ct j'atteignis dans ma malie une vicille bouteille d'eau-de-vie de France, dont la jumelle doit exister encore qiiolqiie part chez moi, a moins ([ue mon illustre frere, qui n'aime pas laisser des bonteilles isolees, n'aic pourvu an sort de celle-ci. Quoi qu'il en soil, I'autrc fnt ouverte, et do W" en avala puritainement i[uati-e ou cin [ veri-e; catre:njlj> de gran h coupj d'eui glacee. Le lendemain il y cut fete ii la cour. Oa invita en mon honnetir ([iiel([ues amis de la familie , et la soiree debnta par un petit concert donntj par les //(xne /(//('/;/.< (artistes amateurs . Apres cetto exhibition ondansaau piano, et jo crus de mon devoir d'etre le cavalier de M" de R"*, ffuvre meritoire s'il en fut et qui me merila ceremerciement : « Vos etes un excellent, un tres bon, tres Ijon... — Danseur? — No, un tresbonjtres bon... . — Valsetir? — No, no, un tivs bon... o mon pauvro FranQais! — Polkeur ? — No, no, un tres bon .. aoh ! un tres bon poneyl! — Ah! oui, parce ([ue je fais danser une rouede charrette! — Oh! yes, yes! much obliged. — II n'y a pas de quoi ! » Le lendemain, apres avoir cuve le cidre (|ui avait compose a lui seul les rafraichissements de la soiree, nous allames visiter le lac et la fre(,'ate destineo a prot^'ger lUnion contre I'invasion des troupes Ganadienncs. Et le soir je lilais avec ardeur siu' Philadelphie, malgre la proposition pleine de seduction qui m'avait ete faite de passer le dimancho chez les Puritains. 25 Oiobre. — Passi la soiree avec un jugo etsa femm ; ; gens aimables, fort courtois et sans p/etentio:i. J'essaie de m? faire donner une idee de I'adminis- tration de la justice; le juge y met b^aucoup de bonne volonte, mais, par suite de mon insulTisanca de la langue et de la complicUion de la question , je nereussis acomprendrequ'unechose: c"est qu'il y adansl'IUinoisseptcours ayant des juridictions differentes; maisilm'estimpossiblede demeler en quoi dies dilTerent, ([uelles sont celles qui so it juxtaposee; avec attributions di- verses, ou celles (jui sont superposees. L'organisation de la justice virie, du resie, dans chaijue Flat de la la^on la plus bizarre et la plus compli([uee. Gela est fort commode pour les plaideurs et surtout pom- les condamnes; ■1.38 A THAVEliS LKS ETATS-UMS DAMERKjUE car les jugements reiidus dansiiii Etat ne sont pas executoires dans un autre, sans line nonvelle procedure. Ouand a New- York on a etc condamne a payer 10 000 8 a une tille, pour rupture de proniesse de mariagc, on prend le ferry-boat et Ion va denieurer quelque temps surla rivedroitc dc I'lliidson, ii lloboken dans le New-Jersey, et la on attend paisiblement que Tavocat ait arrange I'affaire, qui se terniine generalement par I'abandon de 400 ou 500 $. Uneloi, (pii est la meme dans les ditferents Etats, vent que les exploits d'luiis- sier (Fhuissier ici s'appcllc shcrilf) soient reniisal'lnteresse en personne. De la, dans les proces importants, assauts de ruse entre ces fonctionnaires et les defendeurs. Lors()u'en 18G'i ou 186.') eutlieu le graml proces intente aux directeurs de I'Erie Railroad par des actionnaires recalcitrants, la saisie des livres et leur depot en justice furentordonncs. Les bureaux etaient alors dans la ^3 rue au rez-dc-chaussee de TOpera. Get Opera avait ete bati par Jay Goult, le dircctcur de la Compagnie; Tart dramatique etant dans le marasme, Jay Goult avait imagine d"y etablir la Com- pagnie aunom de laquelleil se payait a lui-meme un loyer de 70 000 !*!. Aus- sitot qu'il eut connaissance du jugemcnt, Jay Goult fit emballer les livres et papiers et se prepara a filer sur lloboken, par le ear do la 2J'-' rue, au bout de laquelle est un ferry apparten;uil a la Compagnie. Desle matin, le chefdes slierills, accompagne de cinq ou six subordonnes, se presenta a la porte des bureaux. On liii ouvrit sans ilefiance, mais apres Ta- voirreconnu, on vonlut repnusser la ])orte pour rempeelier d'entrer. L'liuissier qui etait boiteux, et en raison de son infirmite inarchait avec une bequille , insera fort a propos sa bequille entre le montant et le battant dc la porte : apres quelques instants de lutte entre ses acolytes qui poussaient du dehors, et les employes qui retenaient au-dedans, force resta a la loi. Alors commenca une cliasse furieusemenee eon Ire J;iy (loult , ([ii'il s'agissait d'atteindre, par ce- lui des huissiers qui etait porteur de I'exploit. Jay Goult fuyant de bureau en Inireau, I'ranchissant les bancs, l)oiidiss;uit par-dessus les tables, toujours serre par son adversaire, put entin gaguer tuie fenetre, I'ouvrir et s'elancer dans la rue Mais la il fut recu par deux sheriffs apostes qui, sans le saisir parce (pi'ils n"en avaient pas le droit, sarrangerent de facon a le faire tomber et. CHICAGO 139 sous pretexte de Taider a se relever, IVmpetrerent de telle fa(?ou que I'autre, franchissant a son tourla fenetre, vint lui tomber sur le dos, et put inserer son papier entre la redingote et la chemise. Des lors tout etait fini; Jay Goult, dii- mcnt averti, ne pouvait |ilus I'aire resistance a la. loi. On acheva d'einballer les livrcs, et ils fui-ent triomphalement emportes par la bande des sheriffs, precedes de leur chef et de sa beiiuille. Independamment de la juridiction des Etats, il existe ce que Ton appclle la juridiction federale des Etats-Unis , (|ui a des attributions distinctes et How do you do, sir ! » lis etaient comme cela environ 3 OOQ. Le general, que jai vu a Loiidres il y a deux ans, est petit, porte toute sa barbc et jouit iFune figure fort ordinaire. Comme militaire, sa carriere n'a eu de brillaul (jue la tin. Apres avoir ete a West-Point an elevetres ordinaire, il entra dans Tinlanterie federale, oil il resta lieutenant pendant plusieurs annees, et dont ses habitudes d'intemperance Teussent fait mettre a la porte, s'il n'eiit defere prudemment a I'invitation a lui laite de donner sa demission. II reprit du service pendant la guerre de la secession et eut I'heureuse chance d'achever Tojuvre commencee par Sherman et Mac Clellan et de ter- miner lecrasement dr Tarmee de Lee, ([ui, decimee par la laini, la nialadie, les boulels, et ne pouvanf se renouveler, dut se rendre a discrtition devant les renforts (|ue Grant recevait sans cesse. Celui-ei n'a pas eu besoin dun grand genie pour mener a bien cette tache ; mais, comme a Pelissier devant Sebastopol, il lui a fallu une tenacite et niie volonte de fer ; c'est quelijue chose. Pendant un an il a lutte, resseri'ant peu a peu ses lignes, sourd au\ observations de Washington, et ne communiquant avec le ministre de la guerre que pour lui demander des hommes. Enhn il a eu la gloire d'abattre la rebellion et de consoliderl'Union, au moins pour un temps assez long. Ce succes en a fait, \nmv une cerlaine periode, le niailrc du pays. Politiquement, (Irant est mediocre. 11 a livre le Sud en pature aux lob- bists (1) et aux cnvpet-hiHiijcrA [± qm Tout pille et ranconne pendant cinq on six ans. Son administration, bien ([ue personne n'attaquesaprobitepersonnelle, a ete un tissu de concussions et de rapines. EUe a ete Tepoque du fameux Ring (cercle) sur le whisky, oil cette liqueur se vendait :10 "„ au-dessous du montant des droits dont elle etait frappee. II est vrai qua sa deuxieme pre- sidence. Grant a reconnu qu'il avail ete abuse a I'egard du Sud et a deplore ses erreurs; mais rien ne prouve aujourdlmi qu'il puisse se debarrasser du parti auquel il est inl'eode. J'ai fait les plus grands efforts pour savoir s'il sera candidal du parti repu- (1) Un lobby est un couloir. Les lobbixls sent lespoliticiens dautichambre. (2) Carpet veut dire lapis, el //(«/, petit sac. l.es rrirprt-bai/i/ei:'' sont des gens qui n'oiil pour toute resi»ource qu'uu sac el uue couverlure. CHICAGO 149 bli(.:iin aux prochaines elections presidentielles. Les avis a eel egard sont extremement partages. II est a pen pres certain aujourd'hui, d'apn>s les derniers resultats electo- raux, que le parti republicain fera passer son candidal aux prochaines elec- tions. Premiere question : Grant sera-t-il ce candidal? Deuxieme question : Acceptera-t-il ? Sur la premiere question les avis sont tr^s partagfe; il pourrait troiiver un concurrent serieux dans lo ministre des finances, Sherman, devenu Ires populaire a la suite de la conversion el partisan avoue du retrait des green- backs, operation qui fait partie du programme republicain. D'ailleurs, dans ce parti meme, beaucoup de gens (ideles aux traditions ne se soucient pas de voir Grant faire une troisieme presidence. Sur la seconde question, le general a garde jusqu'a ce jour un mutisme prudent et absolu. II n'est pas certain qu'il ait pris une decision, et s'il I'a prise, personne ne pent se vanter de la connaitre. II n'y a done qu"a attendre les evenemcnts qui se derouleront d'ici au raois de mai prochain. Au sujel du general Grant je note en passant un detail curieux. Les 616ves de I'ecolemilitairede West-Point etde I'^colenavale d'Annapolis ne sont point nommes au concours. II en est attribue un certain nombre a chaque Etat, et ils sont choisis par un on deux des citoyens de cet Etat, faisant partie du Congres. Ce choix est arbilraire et les conditions de capacite sont insignitiantes. Certains membres du Congres etablissent un concours dans leur Etat; mais cette mesure n'est aucunement obligatoire. Outre cette categorie d'eleves, il y a un certain nombre de nominations r&ervees personnellement au President et dites ul large, c'est-a-dire pouvant porter sur des citoyens d'un Etat quelconque. Ce mode de recrutement, tout k fait antidemocratique, a eteadopte pour eviter qu'un Etat arrive h avoir dans I'armee une preponderance exclusive. Cette precaution pourrait se concilier avec les ^gards dus au ra^rile en rendant dans chaque Etatle concours obligatoire; mais les Amdricains n'yont point songe. i6 Novembrc. — M. Lowendall me conduit i une reunion de socialistes l.'JO A TRAVERS LES ETATS-l'NIS DAMERIQUE Fraiifais. Je m'etais promis beaucoup d'interet a celte seance; mon espoirost defu : ce n'est qu'une reunion d'affaires. Siir touslesFranfais presents, iln'y en a pas trois qui sachent parler correc- tement. Tons les autres ont un accent Allemand des plus caracterises. On aflirme qu'ils sont Alsaciens; tant mieux pour eux! II n'est du reste pas necessaire d'etre Frangaispour etre adinis dans la section : il suffit d'entendre et de parler le Fran^ais. La stance s'ouvre par la nomination d'un President : le citoyen Gaillard et le citoyen Dufresne sont ex-a>quo. Le citoyen Gaillard s'efface devant le citoyen Dufresne qui parle mieux Fran?ais (ce n'est pas difficile). Le rapport de la seance du 2 Novenabre est lu et adopte. On demande s'il y a des comites prets a deposer leur rapport sur les ques- tions interessant le parti, en dehors de I'administration de la section. II n'y en a pas. Le citoyen Shacker se plaint que les comites ne font pas leur devoir. On demande le rapport d'un comite nomme pour Forganisation d'un iial qui a eu lieu eta rapporte sept ou huit cents dollai-s. Le reglement des comptes est, parait-il, laborieux. II y a des billets qui ne sont ni rentres ni paves. Le citoyen Shacker trouve que ce n'est pas clair. Nonobstant, la question est ajournee. Alors le citoyen Shacker demande des explications sur la presence dans la salle de deux individus etrangers a la section. II est grincheux, le citoyen Shacker ! Le citoyen Henry, qui nous a introduits, repond que noussommes journa- listes et que la presse a ete toujours admise. Malgre une nouvelle observation du citoyen Shacker, qui estd'avis d'admettre h presse du parti, mais pas I'anlre, notre maintien est adopte a une grande majorite. Apres quelques discussions sans interet se produit I'incident capital do la seance. II existe a Chicago un citoyen Davoust, petit neveu du mar(5chal, et sculp- teur d'un certain talent, qui est, parait-il, Time du parti socialiste. Infiniment plus intelligent que tons les autres, il les mene a sa guise, ct il est le veritable chef de la section Francaise. CHICAGO lol Or le citoyen Henry accuse forinellemeiil le citoyen Davoust d'etre traitre au pai'ti ct rt'avoir trompe le peuple en faisant voter aux dernieres elections, sur un ticket rep iblicain, des ouvriers auxquels il avait persuade que ce ticket elait un ticket socialiste. Ce tour de passe-passe excite I'indignatiou de I'assemblee , en principe ; maisune longue et confuse discussion s'engage sur le fait et sur la procedure a suivre pour le constater. II faut, parait-il, en referer a un comite qui existe pour examiner les cas de cette nature. Le coraite entendra le citoyen Davoust et fera un rapport. On parle tres souvent de faire des rapports dans cette seance. Le citoyen Henry mainlient son droit d'accuser le citoyen Davoust devant la section , et declare que si celui-ci n'est pas venua la seance, c'est qu'il prevoyaitla ques- tion. Pas bete le citoyen Davoust ! Tout comme notre camarade D'", qui disait gravement : « J'avais prevu ton objection, aussi je n'y repondrai pas ! » Plusieurs membres impatientes s'en vont, sous pretexte que, la nuit venant, la question ne peut pas etre tiree au clair. Le citoyen Henry maintient sa denonciation et la renouvellera devant le citoyen Davoust : sur cette aflfirma- tion, la stance est levee. Apres la seance je commence avec le citoyen Henry une conversation ayant pour objet de me faire expliquer le but et les idees du socialisme Ameri- cain. Malheureusement nous sommes bientot interrompus, et tout ce que je peux saisir , c'est que les socialistes ont pour but de conferer a I'litat le role de producteur, au moins pour toutes les industries oil cela est possible, chemins defer, canaux, exploitation de mines, etc., etc... lis tendent a reduire ainsi les frais d'exploitation a un minimum ct a diniinuer le prix des objels de toute la remuneration prelevee aujourd'hui par le capital. Ouant aux moyens d'execution les avis sont partages. II y a les opportu- nistes etles intransigeants. La question etant de faire arriver des candidats aux legislatures des differents Etats et ensuite au Coiigres, les uns veulent faire alliance avec un des partis qui divisent I'Amerique, et lui apporter I'appoint de leurs suffrages en echange des siens ; les autres veulent un ticket exclusivement socialiste, sauf a echouer, jusqu'a ce qu'ils puissent lo2 A TRAVERS LES ETATS-UNIS DAMERIQIT. reussir par eux-meraes et sans subir de honteuses compromissioiis. La question n'a actuellement qu'un interet theorique, car le parti est trop peu nombreux pour exercer autre chose qu'une influence locale. Ni a la legis- lature del'Illinois, niau Congres, ilsnc peuvent envoyer personne. A Chicago seulement , ils peuvent dans les elections de la ville etdu comte de CookTaire pencher la balance a leur gre du cote des democrates ou des republicains. i9 Novembre. — Je pars pour Saint-Paul de Minnesota, capitale de I'Etat de cenom, a 410 milles dc Chicago. On passe la nuit en sleeping-car, et le len- demain on s'eveille en picin Wisconsin. Des champs et des bois, des bois et des champs. On dejeune a Eau-GIaire, d'ou uu embranchement longeant la Ciiippewa River conduit a Chippewa Falls. DJjeuner ignoble comme tous ceux que Ton fait dans les stations. A une heure etdemie j'arrive a Saint-Paul, oiije mepreoccupe en premier lieu de bien diner a Metropolitain-Hotel. Saint-Paul, silue sur la rive gauchedu Mississipi,non loin delafrontieredu Wisconsin, est la capitale du Minnesota, un des greniersde I'Amerique. Fondee il y a 2.J ansa peine, elle compte aujourd'hui 431)00 habitants, eiTEtat, dont la population en 1861 etait de 429 000, en a approximativement 763 000. Get Elat sera certainement, dansquelques aniiees, le plus grand producteur do ble de I'Union. La t'rontiere du Minnesota et du Dakota est le Red River, qui prend sa source dans le lac Traverse et va sc jeter dans le lac Winnipeg, province de Manitoba (Canada). Tout le long de cette riviere se trouve une prairie d'en- viron 600 milles, terre arable de trois ou quatre pieds de profondeur, qui a sur I'ancienne prairie I'avantage d'etre coupee de bois et de cours d'eau. Des lois fort intelligentes y facilitcnt I'acquisition et la mise en valeur de la propriele, et I'emigration s'y porte avec entliousiasme. La region est desservie par 3 embranchements du Chicago North-Western et du Chicago Saint-Paul et Minneapolis correspondant avec les routes qui conduisent aux Black Hills (collines noires) situees a cheval entre le Dakota et le Wyoming. Deadwood, situeea lapointe Nord des Rlack Hills, et qui n'exis- tait pas il y a trois ans, a aujourd'hui 8 000 habitants. C'est a la fin de 1873 que rcmonte la decouverte do Tor dans ces montagnes, qui faisaient alors LE MLNNESOTA 153 partie du territoire reserve aux Indiens. Geiix-ci accueillirent a coups de I'usil *es premiers explorateurs, ce qui donna aux troupes federates I'occasion de f lire une campagne abiolument comma en Algerie, quand il y a uii mouve- raent Arabe. A la suite des troul)Ies, le general Sherman lut charge de faire une explo- ration du pays et rapporta que , la contree renfermant de nombreuses richesses naturelles, il y avail lieu de la retirer aux Indiens, qui 6taient incapables d'en tirer parti, pour permettre aux blancs de I'exploiter. En consequence les Indiens out ete repousses vers la frontiere du Nord, et depuis on s'installe dans les Black Hills. C'est ainsi quo le Gouvernement lederal respecte les traites. Saint-Paul n'a rien de remarquable que la largeur de ses rues, la solidite de ses constructions, et son Capitole qui ressemble a tous les Capitoles. Un apres-midi suffit a la visiter. Tout autour du quartier central s'eclielonncnt les residences qui sespacentet tiennent deplus en plus de place a mesureque Ton s'eloigne de la ville. Cliacune est entouree d'un jardin qui, pour plusieurs, est un veritable pare. A cinq heures je regagiie la gare oil j'ai depose mou petit bagage. J'ai demande un check ou un bulletin de depot : on m'a repondu : « Metlez (,'a la! » Le train va partir, je cherche quelqu'un pour ra'ouvrir la salle des baga- ges. Personne ! Enfin la porte s'ouvre : je m'introduis, je m'emparc de mi mallette et de mon sac et je sors sans que personne me disc un mot : j'aurais pu tres bien m'emparer de ccUe du voisin. Chacun depose ses colis a ses risques et perils. De Saint-Paul a Minneapolis il y a dix milles, et environ une heure de chemin. Mon wagon est plein de gens fort sales ([ui craclient abondamment et un peu partout. Enfin nous arrivons, et mon aventure de Saint-Louis est sur le point de se reproduire. II y a un Minneapolis Est et un Minneapolis Quest separes par le Mississipi. Je m'empresse de descendre au Minneapolis Est, et ce n'est que lorsque le train part (jue je m'aperQOis de mon erreur. lo'i A TRAYERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE A grand'peine je regagne la platt'-forme et jo t'raiichis k- pout ipii est uiie merveille desolidite ct rlelegerete. A la garc Quest un co"her s'empare de raoi et de raon bagage, et me con- duit raoyennant 23 sous a I'hotel Nicolet, doiit le noin me rappelle d'agreables souvenirs, maisdont le vin n'a riende commun avec le Cos d'Estournel doiit nous avons vide plusieurs fioles Tliiver dernier, chez son homonyme, a Bordeaux. 2/ Novembre. — En compagnic de mon a;-;ent, M. Olio (irealey, je visite la ville; les rues sont larges, droites, bien perceos et orientees comme dans toutes les villes neuves, Nord-Sud et Est-Ouest. Les residences sont belles et la plupai'tont de vraisjardius; peude monuments, un Gourt-House, et trois ou ([uatre bailments d'ecole ([ui atteignent la limile du somptueux. La ville, qui a 4o 000 habitants, compte sept ecoles municipales, plus I'Universite du Minnesota oft Ton fait des etudes superieures. Toutes les rtisidences sont en bois ou a peu pres. Le prix d'un lot necessaire pour remplacement d'unc maison avecjardin, soit a peu presl 000"'-'=- est de 3 000 $; la maison pour une famille en coutc a peu pres autant. On pent done etre propri^tairc et se loger pour 30 000 francs. Le taux des prets hypothecaires etant de 8 ;'i 10 "/„, cela represente un lover de 3 000 francs. La ville estacheval sur le Mississipi; surla rive droite est etabli entrecette rive et une petite ile un barrage qui fait marcher les nombreuses scieries el moulins situes de ce cote. II y a 2o ans, la ville Quest n"existait pas du tout : aujourdliui elle compte 32 000 habitants. Les moulins de Minneapolis sont les plus beaux du moude, et cv, sont eux surtout que j'avais dessein de voir en y venant. Au mois de mai 1878 ils out ete victimes d'une explosion, suivie d'incendie, qui en a detruit six et a coute aux compagnies d'assurances 700 000 dollars. Tout est rebati aujounlhtii, a I'exception de deux qui ne sont pas tcrmines, et reinstalle avec des perfectionnemenis nouveauxetdes precautions speciales. Je visite les deux moulins deM.Washburne, ancien gouverneur du Wisconsin et frere delex-ambassadeur en France. L'un d'eux conlient 40 paires de meules etl'autre 48, toutes mues par une turbine hydraulique. Tout le vannage et le criblage du grain s'opere dans un elevateur contigu au moulin, mais isole de lui, et le grain arrive directement dans la tremie LE MINNESOTA io5 qui sert a alimenter la meule. Pour eviter dans la chambre la diffusion de la fleur defarine, la meule toume a I'lnterieur d'une couronne cylindrique fer- mee; a la partie superieure et dans le couvercie de la couronne s'embranche un tuyau qui s'ouvre cxterieurement au batimcnt et par ou s echappe la pous- si6re appelee par un ventilateur. De cette fa^on I'interieur du moulin est tout a fait pr6serv6. L'eclairage est ^galement I'objet de pr&autions speciales. La llaniine est enfermee dans des maiiclions en verre hermetiquement fer- mes ct sans communication avec la salle. L'air necessaire a la combustion arrive de I'exterieur par un tuyau muni d'un robinet qui permet d'en mode- rer I'afflux, etla fumee s'echappe a I'exterieur par un autre tuyau. La flamme est portee par un cylindre mobile glissant dans un autre cylindre, qui lui sert d'enveloppe, et manoeuvre par une tige glissant a frottement dur dans la partie inferieure d'un manchon de verre. Quand on veut diminuer la flamme, on fait glisser le cylindre qui la porte a I'interieur de I'autre, oil elle disparait sans s'eteindre; on le remonte quand on veut s'eclairer; ainsi la flamme ne s'eteint jamais, ce qui evite au moins d'une fa^on generale I'emploi des allumettes. Le blutage se fait au-dessous, ainsi que la mise en barils. Cette Industrie est une des principales de ce pays industrieux. On compte aux Etats-Unis environ 24 000 moulins, soil a pen pres S moulins pour 10 000 habitants. Sur ce nombre 3 118 repartis dans 13 Etats ont une valeur totale de 27 084 000 $, soit apeu pres 43 000 francs par moulin. Yoici la production moyenne en c^reales des EtatsUnis pendant les dix dernieres annees : Mais 384.82.J.000 hect. 1.570.000.000 fr. Froment . . . 99.484.000 — 1.507.000.000 » Seigle C.liOO.OOO — 75.000.000 » Avoine. . . . 105.130.000 — 584(100.000 » Orge 11.200.000 — 127.000.000 » Sarrasin. . . . 3.010.000 — 46.000.000 » D'un autre cote, la valeur totale des produits exportes a dte pour cette ca- tegoric de marchandises : En 1873 557.000.000 fr. 187(3 653.000.000 » 1877 587.000.000 » 1878 9O8.U00.000 » l;i(i A TIS AVF.ns I.F.S I'TATS-l'XIS DAMKRlulF. Cette anneeon prevoit que I'exportatioii depassera cellede Tannee derniirc de pres de 700 000 000 de francs. Le ble valait quand je siiis arrive a New- York, le 6 septembre, 1 $ 06 le bushel ou lo fr. 15 riiectolitre; il valait quand je suis parti, le 22 octobre, 1 $ 60 le bushel ou 22 IV. 88 riiectolitre. On peut juger par la du resultat qu'aura cette annee pour les producteurs, ct surtout pour les speculateurs Americaius, le deficit de la recolte en France. 23 Novciithrc. — Arrive a Milwaukee par le Chicago Milwaukee et Saint- Paul Hr. En prenant ma place j'ai voulu un lower-berth : iln'y en a pas! je me decide a m'en passer; enfin, au dernier moment, on ra'en trouve un. Jedors paisiblcmentjusqu'au matin, sous les rayons dela lune. Arrive a Mil- waukee, je descends a Planteincton-Hotcl, magnifique etablissement oil, contre Ihabitude, on mange tres bien. Je passe la fin de mon dimanche a courir la viile, qui ressemble ii toutes les autres. Gela devient fastidieux etdefie la des- cription. Le lunili, apri's une conversation d'uue lieure\avec mes agents, je repars pour Chicago. La loi du Wisconsin en matiere d'assurance presente une particularit6 sp6- ciale (|ui ne se retrouve que dans trois ou quatre autres Etats. L'Uhio I'a adoptee laiinee derniere : pour les assurances sur immeubles,la valeur assuree faitfoi, en cas de sinistiv, pour la valeur avant I'incendie. II n'y a done [)lus a evalucr (jue le sauvetage et Ton est dispense de la question epineuse delaveluste. La loi a eteraile pour prevenir les assurances exagerees et obliger la compaguie i\ veriliei-, au moment de la signature de la police, la valeur du ris([ue. EUe a si bien atteintsoii but que lesCompagnies n'assurent jamais (pie les Irois quarts do eelte valeur et laisseiit invariablement le pro- prietaireson assureur pour un ipiart. D'aUleurs, au point devue de la vetuste, elle est sans inconvenient dansun pays oii.les assurances se faisant pour une annee, I'lmmeuble n'a guere le temps de se deteriorer. 24 Noveiubre- 15 Diicembre. — Suite et lin de mon sejour a Chicago. Je commence a avoir suriisanimeiit prali(iue cette capitale, oil je ne reste que pour arieter le premier comptc de mon agencc. Enfin le 15 tout est rt^le; j'ai fait mes adieux a tons mes amis, j'ai CINCINNATI iri7 envoye mes Christmns-pi'esents (cadeaux de Noel), ce dont j'aurais pu me dis- penser, mais la qualite de Francais oblige a I'etranger, et je pars a 7 h. 30 dii soir pour Cincinnati. Pendant ce dernier sejour j'ai beaucoup vu Pesoli, le Cliancelier du Con- sulatde France, ([ui fait aujourd'hui Tinteriin du Consul. Ce gar^on est fort intelligent, et fera certainement dans les consulats une brillante carriere. Nous avons beaucoup cause des Cliinois et de la langue Chinoise. II ne suffit pas loujours d'avoir etudie le Cliinois pour le savoir, temoin M. Stanislas Julien ([ui , mis en presence d'un arabassadeur Chinois, declara que ce perjonnagenesavaitpasle Chinois. Pesoli m'explique qu'il pouvait parfaite- ment avoir raison par suite dece fait que ledialecte 6tudieparlui etaittres pro- hablementle dialecte mandarin, c'est-a-dire le Chinois des letlres, tandis ([ue Tambassadeur parlait sans doute la langue vulgaire, le dialecte de Pekin ou celui de Canton : ce dernier est le dialecte universellement employe dans lesalfiiires. II n'est done passurprenant que ces deux personnages ne se soient pas compris, et il est probable que si M. Julien etait alle en Chine , il n'eut pu se faire entendre (|ue des lettres. Pesoli qui, par sa situation a San-Francisco et ici, s'est trouv(5 en relations depuis sixans avec tous les voyageurs de distinction ou autres, raconte une loule d'anecddtes amusantes. Une entre autres caracteristique de I'Amerique. Le commandant I)'**, capitainede fregate, rcntrant des iles Marquises oil il avail commande pendant quelques annees, assez raffale comme sante , comme apparence etaussi , parait-il , comme tenue, s'arrele a Chicago. II sort un soir avec Pesoli qui soffre a le recoiiduire; mais le commandant refuse, assurant qui! troiivera ires bien son hotel. Deux heures apres, vers les neuf heures du soir, Pesoli va le voir ; le commandant quirentrait a I'ins- tantlui raconte qu'il s'estegare, qu'il ademandeplusieurs fois sonchemin lii>s })oliment , et que toujours on lui a repondu : « No ! » qu'enlin, c'est un police- man qui a bien voulu le reconduire. — « Vous avez leve votre chapeau ? » luidit Pesoli en riant. — « Mais sans doute ! — (( Parfaitement; il fait nuit, vous ne parlez pas I'Anglais, vous avez « leve votre chapeau; lout le nionde a cru cpie vous demandiez I'aumone! » Celte question du chapeau est une de celles ([ui meclioquenl le plus. Cepen- 138 A TRAVERS LES fiTATS-UNIS D'AMERIOUE dant I'habitude de le garJer est presque univorselle. L'autre jour, j'ai ren- contre une de mes amies dans la rue; je I'ai abordee le chapeau a la main, j'ai altendu pour me couvrir qu'elle m'y invitat! J'attendrais encore si je ne I'avais pas quittee. Nous avons cause au nioins cinq minutes, moi tenant tou- jours nion chapeau. Elle n'a point manque d'egards envers moi etn'a point pens6 que je lui iisse une politesse. Elle n'a point remarque ma tenue, et si son attention se fut portuesur mon couvrc-cliet, oile aurait cruquec'etail pour men plaisir que jo restais nu-tete : il faisait dix degres de froid I Par contre, quand vous prenez conge d'une maitresse de maison, elle decroche voire pardessus et vous aide a le mettre ; ceci est encore une chose qui me met mal a I'aise. 10 el 17 Decemhre. — Passe un jour et demi a Cincinnati (pie Ton pro- nonce tcli'ni-lchie-nata, sans uoute pour la raison pour laquelle on dit Missoura au lieu de Missouri, ou peut-elre aussi [jarce que la ville a ele surnommee Porcopolis ! Je ne t'ais toutefois cette hypotliese qu'avec reserve. Cincinnati etait autrefois en etfet la capitale du royaume des pores. Le premier setllement sur les bords de I'Ohio River fut etabli en 1804; la cite fut incorporeeen 1819 ; elle a aujourd'liui environ 330 000 habitants, etbien que Chicago, quoique plus jeune de 40 ans, ait de beaucoup devance sa rivale, Cincinnati ne demeure pas moins une cite fort importante au point de vue du purking interest. A cette Industrie elle en ajoute beaucoup d'autres dont les deux principales sont la fabrication de la biere et du whisky. Le jour de mon arrivee j'ai visile retablissemeiilde la Ciiiciiuuiti-PurkiiHi C". 11 est analogue a ceux de Chicago : on y tue de (500 a 800 pores par jour. J'ai visile egalement unefabrique de whisky. Cette liqueur, chere aux Americains et aux Irlandais, se fait soil avec le mais {corn), soil avec le seigle [rye), soil avec un melange desdeux. Le grain broy6, ou plutot concasse a la meule, est introduil dans d'immenses cuves de 80 a 100 hectolitres remplies d'eau; on chaulle legerement a I'aide d'un jet de vapeur et on laisse fermenter le melange pendant un temps qui est environ de 48 heures ; on soutire ensuite la liqueur et on la rectifie dans un appareil distillatoire exactement connne ou rectilie I'alcool ; on recueille dans un reci- pient le produit de la distillation ([ui a traverse un serpentin refrigerant et Ton mel ensuite en jjarils. CINCINNATI 159 Le meilleur wliisky est le Bourhon-Whhky, qui tire sou nom dun petit village du Kentucky, oil ii fut d'abord fabriqu6 : je ne sais s'il doit sa supe- riorite a uii precede de fabrication ou a la nature de la matiere premiere ; dans tons les cas il est maintenant affiche partout ; il est probable qu'il se multiplie avec les besoins de la consommation et qu'il a cela de commun avec le Ch^teau-Margaux. Le whisky ajoui pendant un certain temps d'une autre proprietc : apresia guerre de la secession on etablit sur ce produit un droit ad valorem de 200 pour cent,et Ton crea tout un corps d'inspecteurs et de verificateurs pour exercer les etablissements de fabrication. Tant que dura cet ^tat de choses, le wliisky se vendit environ 30 °/o au- dessous du montant du droit. Ce fut I'epoque du fameux Ring qui d^considera, aux yeux de tons les honnetes gens, la premiere prfeidence de Grant. Les fabriques de whisky avec distillerie s'assurent a 1,6^)% dans I'Ohio, a 2 ou 2 1/2 dans le Kentucky. Le lendemain matin, accompagne de mon agent, M. Owens-Owens, je fais le tour de la ville. EUe est partagee en deux parties inegales par un canal derive de TOhio, qui s'appelle le Rhin,ct au dcia duquelcst le quartier Allemand. La ville des affaires est active, large et bien batie. La ville des residences est, contrairement a ce que j'ai vu dans beaucoup d'endroits, batie pour la majeure partieen pierres et en briques. Lesmaisons sont isolees etentourees dejardins plus ou moins grands. Oulre la cathedralo San-Peter que je n'ai vue ([u'en passant, deux monu- ments sont surtout remarquables : le Conservatoire de musique et la Biblio- theque. Le Conservatoire a ete fonde, il y a plusieurs annees, par un riche particu- lier qui adonne a cet effet 2.50 000 9; le reste a ete fourni par des dons volon- taires. II est administre gratuitement, et les depenses sont payees a I'aide du produit des concerts et du revenu des fonds lui appartenant. II ne reconnait de sup^rieur comme organisation que le Conservatoire de Paris, qui lui est infiniment inferieur comme batiment. La grande salle des concerts coritient des places pour 6 000 auditeurs , 1 200 choristes et un orchestre de 200 musiciens. Le fond est occupe par un IGO A TRAYERS LES ETATS-UMS DAMERKJUE orgiie monumental a cinq claviers, de chaque cote duqiiel s'echelonncnt les gradins destines aux choeurs. Le plafond est plat et raccorde aux murs late- ranx par des surfaces cylindriques ; la salle, qui contient un rez-de-chaussee pt iin l)aIcon, a la forme d'un carre long. EUe est, parait-il, excellente pour I'acoustique. On y donne pendant I'hiver un concert a peu pres tousles quinze jours, et Ton doit justemeiit y executer, pour la Noel, le Mcssic d'lfendel, que je regrette bien de manquer. La petite salle de concert contient environ 1 200 places. Elle sert aux artistes qui donnent des concerts prives. Le Conservatoire donne gratuitement I'instruction musicale a quatre cents eleves des deux sexes, qui n'ont d'autres obligations ([ue de participer a I'exe- cution des concerts, quand ils en sont requis. La Bibliotheque [Publk-Lihrary) a ete fondee il y li ans. Elle contient deja I'lO 000 volumes dont un certain nombre illustres et tres precieux. Je trouve la toutes les ceuvres de G. Dore. Le batiment, construitsur lemodele de la Bibliotheque du British Museum de Londres, est en pierre et en fer. II est divis6 en plusieurs paliers eclair^s tons par le plafond vitre ipii surmonte une salle de lecture centrale. Chaque etage correspond a une categorie de livres: romans, histoire, I itterature, m^decine, droit, documents publics, livres en langueetrangere.il y a environ 3 000 volumes Franpais, laplupart romans. Des salles speciales sont consacrees aux livres illustres, aux journaux , aux recueils p^riodi([ues , qui sculs peuvent etre consulttis sans deplacement. La France est representee par le Journal des Dabats, le Cliarivari, I'Univers illustre, la Revue des Deux-ilondes , la Revue des Sciences Medicales. On nc communique, pour cette categorie d'ouvrages, que les volumes relies. Tous les autres livres peuvent etre emportes a domicile sur le depot d'une recon- naissance si ledemandeur est personnellement connu du conservateur, ou, a defaut, si une personne honorable se porte caution de la restitution. Laduree du pret est d'un mois, a I'expiration duquel remprunteur est tenu de repre- senterle volume, avec faculte de demander le renouvellement du pret pour une nouvelle perioded'un mois,ce qui lui est toujours accorde, a moins que le CINCINNATI 16! livre n'ait ete demande par une autre personne, auqiiel cas la restitution est obligatoire. Ce systeme, qui concilie dans une juste mesure les convenances du particu- lier avec celles du public, neparait donner lieu aaucun inconvenient; et il y a couramment plus dehuit mille emprunleurs inscrits. Cincinnati est entoure d'une ceinture de collines qui I'abritent de tous les cotes et ne s'ouvre qu'au Midi pour donner passage a I'Ohio, qui va rejoindre le Mississipi. Sur I'une de ces collines est I'un des pares de la ville, dune etenduc de 240 acres (100 hect.), pour Tacquisition duquel la ville a paye 500 000 $ ou 2 590 000 fr. Ce pare est, pendant la belie saison, Ic rendez-vous de la bonne Societe qui vient deux fois par semaine y entendre de la musique, pour I'exe- cution de la(|uelle la ville paie une subvention de 5 000 $. L'holel oil je suis descendu (Grand-Central) est, dit-on, inferieura I'hotel Emery, et peut-etre aussi a Saint-Nicolas, ce dernier construit sur le plan Europeen. La vie y coiite 4 8 par jour et les voitures 1 $ par heure; il est juste d'ajouter que pour aller de la gare a Ihijlel, ce qui est I'affaire de 5 minutes, elles coiiteiit 50 sous! L'ajir^s-midi a trois lieuresje pars pour Louis\ille ouj'arrivcahuitheures el demie. Je suis agreablement surpris de trouver un wagon-salon, aveccoup6s, salon-fumoir, fauteuils pivotants, pourlequelaucun supplement n'est reclame. Ce pbenomene assez rare merite d'etre note. La voie suit d'abord la riviere de I'Ohio, et ensuite quitte la vallt^e pour y entrer un peu au-dessus de Louisville. La route est plate et le train roule tan- tot entre des champs, tantot entre des bois, sans qu'oii rencontre rien de remarquable jusqu'au pont de Louisville, que Ton ne traverse d'ailleurs pas. 18 Deceinbre. — Descendu a Louisville-Hotel, qui n'est pas precisement le meilleur de la ville, lequel est Gait-House ; miis pour un jour c'est suppor- table. Dans tous ces hotels des anciennes villes le luxe de I'eau chaude est in- connu, et les charabres a ba'as se paient un dollar extra. Lou^svi'le-Hotel meparaitprlnc'pilemi-at un hotel de Boarders, si j'en juge par la multiplicite des femmes qui s'installent au salon ou qui circulent dans les corridors, en cheveux et en tenue d'int^rieur. Les salous y sont vastes et 11 1(5^2 A TRAYERS LES ETATS-UNIS D AMERIQUE ornes, aiiisi (jiie la galerie, d'aJfreuseschromo-Iithographies representant des demoiselles dont les uiies moiitrcnt leurs jambes, les autres leurs seiiis, plus coUes qui montrcnt jambes at seins, sansnoter una notable fraction du reste (voir, dans Gustave Droz, le reste da madamedeK...), le tout pour I'edification des jeunes miss America ines. Cette mania de peinturlure se retrouve partout ici, et j'ai eu plusieurs tois le courage d'admirer d'all'reuses croiitcs, qui faisaient la joie de leurs proprie- taires. Louisville, malgre son nom, n'a rien de Fran^ais. Mon agent est plein de bonne grace et d'affabilite, mais il a deux deTauts graves : le premier, c'est la manie des presentations, ce qui 1 induit a me conduire chez un tas de gens que j'embete et ([ui me le rendent bien ; le second, c'est de parler entre ses dents (ju'il a fort tongues, de sorte que je ne comprends pas un mot de ce (pi'll me (lit. Dans aucune journee jen'ai failune plus grande consomniation de yen, no, so so, iiuU'ed et autres topees qui servant quand onne veutpas se compromettre. Nous avons visile ensemble deux usines, I'une a papier, I'autre ;'i savon et a chandelles de /mil ! Dans cette derniere j'ai ete iuforme que toute la ma- chinerie servant a la labricalion des chandelles estde modele Franvais. Lapapeterie, qui fabri(pie parle procijdij dit lontiim, einploie des chiffons de lin et de colon melus dun peu de paille, ce (pii donne au papier de la consistance. Le deiaii en est exlremement amusant. Louisville, qui a environ loO OOJ habitants, est singulierement 6tendue relativement a sa population. Les maisons sont en pierres et en briques. Le quartier des residences contient fort peu de bois; la construction s'y dis- tingue par des types varies d'un aspect des plus satisfaisants. La viUe repose sur les bords de I'Ohio, ce qui conlribue grandement a sa prosp^rite. i9 Decembre. — A minuil 30 je pars pour Nashville en faisant escale a CaveCily,ouj'arrivea(iualre heures du matin. Ce voyage est encore, comnie celui de Yosemite, un de ceux oii I'on est la prole des hoteliers el des cochers. Arrivant a quatre heures du matin, il serait facile departir immediatement,ou tout au moins a six heures, a lapointe da jour, [lOur Mammoth-Cave, oil Ton arriveraita Imit heures et demie. Apres un dejeuner rapide on pourrait voir la Cave, ce qui exige quatre heures au maximum. On repartirait a midi et demi MAMMOTH-CAVE 163 et Ton pourrait prendre iiu train de jour qui vous uienerait coucher, soil a Nahsville, soil a Louisville. Au lieu de cela , on reste a Cave City a sc rotir ou a se geler j us(iu'a sept heures et demie ; on absorbe ou on regarde un odieux dejeuner que ion paie d'ail- leurs, quelque soit le parti que Ton ait adopte. On part a luiit heures, on ari'ivea dix heures et demie; on sort de la Cav(! a une lieure et deniie; on est oblige de diner a I'Hotel de la Cave, obligation qui entraine la necessite d'arriver trop tard a Cave City pour le train, d'y souper et d'y coucher au moins jusqu'a quatre heures du matin. J'essaie en vain de dejouer cette conspiration contre mon temps et ma bourse, en corrompant le coclier, et en essayant de le faireparlira uneheure moins cinq, pour gagner le train de trois heures et demie. Get autoinedon, lachement salarie par Ics gargotiers, s'y refuse obstinement et me fait man- quer mon train. Mais je me venge cnrefusant de diner, de souperct de me coucher, malgre les insinuations dcs gargotiers reunis; mon estomac en patit, niais ils sont vexes, c'est I'essentiel ! La Cave est veritablement quelque chose de merveilleux. Un petit volume est consacre a sa description : il serait oiseux dele copier. Mais je dojto que nulle pari il existe une aussi grande excavation naturelle. La longueur totale des avenues, expbrees ou non, est evaUioe a 1(30 kil., coiq)ee par dcs salles de cent pieds de haul, par des lacs et une riviere dont le cours a ensiron 7 kil. Douze heures sont necessaires pour faire le parcours complet des parties explorees : cette excursion est impraticable aujourd'luii a cause de la hauteur des eaux, et je dois me borner a la roule coiiiie (jui exige environ trois heures; c'est deja assez gontil pour une promi^nade souterraine : celle-ci n'est pas d'ailleurs tres fatigante, et sur aucua point no preseiite de danger veritablement serieux. Cependant deux passages me causent encore un petit frisson retrospectif ; Tun, qui conduit au lac servant de rt5;ervoir a la riviere, est un sentier d'un pied et demi de lai'ge, boueux el visijueux, bordj d'un cote par un trou fort noir et fort sale, de I'autre par la D.^ad Sea (Mer Morte) , mare boueuse de quinze pieds de profoadeur. On est oblige d'avancer de cote en faisaat face a I'un des deux abimes dont la vue n'a rien de recreatif. L'autre passage se trouve sur un cliemin baptise corkscrew (tire-bouchon). 164 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE Ce chemin que j'adopte pour revenir, en depit des observations de men guide qui me predit que je n'y passerai pas, et cela parce qu'il fait gagner 400 metres, est en effet un vrai tire-bouchon creuse presque verticalement dans le rocetsur le parcours duquel I'art s"est borne a ajouter a la nature deux echellesde meunier. II faut dans certains cas se meltre presque a plat ventre ets'aider des mains et desgenoux. A un moment surtout, il faut passer d'un palier k un autre en contournant un angle de roclier qui barre presque entie- rement le chemin, de sorte qu'on se trouve un pied a droite, un pied a gauche, une lampe dans une main, un baton dans I'autre, le nez au mur et le dos tourne a un trou de quarante ou cinquante pieds. La position n'est pas folatre, et le lieu serait mal choisi pour y soupirer une romance a Madame. Certes je ne voudrais faire passer la, ni une femme, ni un enfant. Cependant, grace au poignet de fer de mon nrgre je me tire daffaire sans accident; mais il y a une demi-minute pendant laquelle on sue un peu plus que de raison, quand toutefois la fatigue vous predispose a la sueur. Apart ces deux points rien dedangereux. 11 y a l)ien la minere de I'homme gras [fat man's miscrii), tm\\s c'cst simiilenient geiiant. G'est un etroit couloir creuse par un ancien torrent entre deux murs a pic, oii Ton passe tantot de front, tantot de biais, et oil certainement mon illustre frere aurait besoin de rentrer en lui-meme. Ce couloir a environ 300 metres, et il faut que les eaux aient eu une terrible force pour le creuser avec des parois aussi nettes (jue les siennes. Un des points interessants de la giotte qu'il est impossible de ne pas citer est la star-chamber (chambre des 6toiles). Le plafond de cette chambre est form^ degypse constellede petitscristaux de carbonate de chaux translucide. Quand le guide qui vous a laisse dans une obscurite profonde s'est place de fa^on a eclairer le plafond, en vous cachant la lumiere, on a la vision tres nette d'un ciel bleu profond constelle d'etoiles : riilusion est complete! Un autre mouvement du guide produit une ombre portee qui couvre successivement les differentes parties du ciel comme s'il 6tait envahi par un nuage. Si Ton n'etait certain qu'il fait jour, on croirait a une fissure gigantesque dans le plafond. Les stalactites et les stalagmites n'ont, a mon avis, rien de remarquable. EUes sont de dimension mediocre et, a part une dont la forme ressemble assez MAMMOTH-CAYE 165 bien a une tete d elephant, ellcs n'ont rien de curieiix comme structure. Quelques incrustations au plafond offrent des caprices singuliers : elles sent produites par de I'oxyde noir de fer. L'une represente un gtJant et une geante en train de jouer a la balle avec leur moutard; une autre un fourmilier al- longe sur une branche d'arbre ; une troisieme un gigantesque mammouth. C'est dans la riviere de Mammoth-Cave que vivent des poissons sans yeux. Ces animaux, dont j"ai vu les specimens vivants et morts, ont en reality des rudiments d'yeux a peu pres perceptibles ; mais ils sont, parait-il, prives de nerf optique. En tons cas, il est facile de se convaincre qu'ils sont aveugles. On peche dans la riviere une espece de crevette , et il y a des grenouilles en quantite considerable. Ces trois sortes d aquatiques sont, avec les rats et les chauves-souris , les seuls habitants connus de la grotte. Celles-ci sont par milllers suspendues aux parois des murs oii elles restent, parait-il, immobiles pendant tout I'hiver. Ces petits paquets noirs , d'ou s'echappe un petit cri plaintif, font un sinf;ulier effet. La caverne a ete exploree pour la premiere fois en ISO't; elle etait connue des Indiens dont on a decouvort une momie. On y a pendant quelque temps exploit*? du salpetre; puis on a essaye d'y faire vivre des poitrinaire? qui y sont morts plus rapidoment qu'ailleurs. Les maisons qu'on y avait baties pour eux existent encore. En resume, la magnificence de la caverne resulte de son immensite; elle est evidemment due a Taction des eaux, aidee ensuile par les agents atmos- pheriques. Mais on a peine a comprendre quelles forces et quel temps il a fallu pour mener a bien un pared travail. La nature du sol et des parois, qui est argileuse et calcaire, n'indique en rien que des commotions volcaniques aient preside a leur conlection. II a fallu pour la mettre en cet etat des millions d'annees, ce qui laisse ijien loin les six mille ans connus de notre globe. Le negre qui m"a conduit, Williams, est un garfon fort intelligent. 11 com- prend le Fran^ais et en parle quelques mots; il connaitsa grotte ou il se pro- mene depuis quinze ans. II a note plusieurs expressions que je luiai traduites, et m'a exprime le desir d'avoir un pedometre! instrument dont il connait le nom et I'usage. Je ne m'attendais certes pas a entendre parler de pedometre par un negre, a Mammoth-Cave. 20 Decembre. — A 4 heures20 du matin, je pars pour Nashville, ou jarrive 160 A TRAYERS LES ETATS-UNIS DAMERIQUE a 8 heures. La veille an soir, j'avais troiive a Gave City un Franeais, bien plus, un natif dr Villefranche-sur-Saone, (jiril a qnittee il y a dix-huit ans pour aller etudicr riiorlogerie en Suisse, et de la exercer son metier a New- York. II y a fait une petite fortune, s'est marie, a eu quatre cnfants et deux petits- cnfants, et s'est retire a Cave City ou il est proprietaire et vit royalement avec 1 fiOO dollars de revenu, auxquels il ajoute les profits d'une epicerio et d'un barcpi'il tiont pour se distraire. Dans cepays 12 lapins coiitent oO sous et le cochon sur pied vaut 4 sous la livre. Ce brave homme est heureux : ii collectionne des antiquites Indiennes, et j'ai fait sa joie en lui disant que son musee est tres remarquable. II s'appelle M. Yial, ii a 32 ans, a dit adieu pour toujours a la France et ne voudrait pas y revenir. Nashville, qui est la capitale du Tennessee, est une ville de 40 000 a iiO 00 I ha- bitants , que je vois par un jour de pluie et qui me parait assez maussade. Bien batie, ramassee avec les residences melees a la ville, ce qui ne se voit jamais dans les villes neuves. La riviere Tennessee I'entoure d'une ceinturc et lui fournit des eaux excellentes pour eteindre les incendies et pour se laver les mains, mais dont le goiit est desagrt5able quand on veut les boire. Comme celles du Mississipi, elles conservcnt un limon dont rien ne pent les debar- rasser. Nashville est une ville Puritaine, oil le dimanche est observe scrupuleu- sement. Une dame de mes amies, M"' Carrey, la soeur de M""" Rice, y demeure et y donne des lefons de chant; mais elle ne pejt ni venir diner avec moi au restaurant, ni me faire do la musique, parce que c'cst dimanche : « Les Americains sont un peuple ipii s'amuse tristement, » me dit-ellc, et elle a joliment raison. Le dimanche on lit la l)il)le en famille, ou Ton va aux sun- day's schools chanter des cantiques. J'ennuene diner ma petite amie Maud Rice qui est a present avec sa tante; j'ai deeouvert, grace a mf)a Hair, un restaurant Italien (pii nie dispense de lui offrir I'horrible cuisine de I'hotel Maxwell. Cette flllette de treize ans est deja une petite femme, et n'a rien des airs gaucUes d'une jeune Francaise de cet age. On m«s sert un bon dine.% compose d'une soupe de lait aux iiuitres , d'huitres frites, d'un lilet aux champignons, deux cailles, petits pois, dinde MAMMOTH-GAYE i67 rolie, hori-d'oeuvro et dessert, plus deux pintes de Cliampagne que Maud siffle tres agreablement : total 7 $ 20. Trente-six francs pour diuer avec uno lillette, c'est un peu raide ; mais nous sommes en Amerique, et au luoius elle a 6t6 bien contente et elle me Fa dit. Commej'airegrette I'absencede sa tauteet ([ueje luiai dit que la devotion avait du bon, mais (ju'il n'en faut pas trop, elle m'a repondu bravement : « Oh! il n'y a pas a craindre cela dans notre famiUe! » Je depense le reste de ma journee avec un jeuiie Fran^ais qui voyage pour I'horlogerie et que j"ai croise sur la route de Mammotli-Cave. Un peu jeune, mais bien eleve et bon compagnon. II visite comme moi toute TAraerique; je lui demande ce qu'il a Irouve de plus remarquable: « Les crachoirs, les cra- cheurs ctles crachats I » Gette fafon d'envisager la question me parait neuve ct je la note. Ge n'est d'aiileurs (pi'une boutade, car il a vu et bien vu : je remarque cependanl que ses etudes ont porte surtout sur la parlie feminine! C'est bien beau la jeunesse! Si ce n'etait pas dimanche, je partirais ce soirpour Saint-Louis; mais c'est dimanche et il n'y a pas de train. Je ne pourrai partir que demain matin. 22 Decembre. — A huit heures du matin, je me mets en route pour Saint-Louis, via Evansville. II y a quatre routes qui menmt de Nashville a Saint-Louis, et je crois que ma mauvaiseetoilem'a fait choisir la plus desagreable. Pourfaire 316 milles on met vinnt-(piatre heures; on va fort lentement de Nashville a Henderson oil Ton arrive a cinq heures du soir. La on embar(|ue son train sur un radeau, et un vapeur vous renK)r([Me sur TUliio (pie Ton remonte jusqu'a Evansville pendant une heure et demie. A Evansville on a la joie de stopper pendant quatre heures; apres un raaigresouper qui, il est vrai, ne coi'ite que 33 sous, on a pour distraction de visiter la ville. Une visile d'Evansville entre neuf et dix heures du soir n'a rien de precisement jovial ; le hasard veut que je commence par la campagne! Au bout d'une heure j'arrive entin dans des quartiers civilises, et je longe une superbe rue toute garnie de magasins pares de leurs plus beaux atours, dans I'attente de Christmas. J'entends meme les eclats d'une musique qui me lOS A THAVRKS LES fiTATS-UNIS D'AMERIOI'E rappelle agreablement celle d'un bastringue, et, par riiarmonie alleche, je me presente a la porte d'un edifice intitule : « Dancing Acadeini/ ! » Arrive dans le vestibule, oil sont accroches beaucoup de pardessus cras- seux, japerfois par une porte une foule de couples qui se livrent a une clio- regraphie animee. Mais au moment oil je veux p^netrer dans le temple a la suite de plusieurs individus fort mal habilles, un negre me barrele chemiii : « De qnoi avcz-vous besoin ? — J'ai besoin de rae chautfcr les pieds. — Ce n'est point ici la place. — Ce n'est done pas un lieu public? Non , prive , prive! — Eh bien! vous serez prives de ma presence, et toi, tu seras prive de ceci ! » Et je lui tends une piece de 50 sous ijue je remets prestement dans ma poche au moment oil il avance la main. Apres quoi je m'eclipse avec pru- dence et activite, et je retourne a la contemplation de mes boutiques. De Nahsville a Evansville le voyage a ete egaye par une charmante fillette qui, voyant que je regardais le paysage en baillant, est venue gentiment m'apporter un journal en me demandant si je voulais lire. Grace a une orange qui est dans mon sac et a des bonbons, nous sommes bientot les meilleurs amis du monde. EUe s'appelle Emma Barrett , elle a sept ans, elle vit dans le Kentucky; elle va a Evansville passer les jours de fetes cliez sa tante. Elle est tout a fait gentilie et le parait encore plus a cote de son beta de frere, un big boy de liuit a neuf ans, qui ne sait pasouvrir la bouche, meme pour dire : « Mercil )) Je fais appel a mes anciens souvenirs, et, apres quelquos essais infructueux, j'arrive, en passant par la cocotte, a reconstituer un bateau qui, grace a I'adjonction de patins en carton, navigue assez bien sur le plancher. Bientot le bateau s'augmente d'une clieminee et je lui adjoins un drapcau, qua I'aide dun crayon bleu et rouge, je decore aux couleurs Americaines: bleu, blanc et rouge, en y figurant assez convenablement les etoiles. Ce resul- tat est le comble do la joie, et je ne sais plus oil nous nous arreterions, si le bateau (celui qui nous porte) ne s'arretait lui-meme et si la iillette n'allait retrouver maman, non sans m'avoir embrasse et bien remercie pour toutes mes tendresses : All i/our Kindness ; un jolimot Americain. £3 Dcceinhre. — En partant d'Evansville a dix heures du soir, on arrive a Saint-Louis a sept heures et deinie au matin, apres une nuit en sleeping-car. Sur le conseil de M. C*", le Consul de France a Chicago, je descends a Tivoli- SAINT-LOUIS 109 House. Je tombe dans une esp^ce de bouge ; personne pour prendre raon mince bagage, un escalier noir, une odeur de cuisine a Toignon ; en revanche, il est vrai, une tres belle chambre pour un dollar par jour; mais pas d'eau chaude, pas de bain. Je soupe et je suis entoure absolument d'AUemands, ce qui me deplait au dernier degre. Le lendemain je retourne a Lindell ; la vie y coi'ite 4 !^ par jour sans le vin, mais les cliambres y sont d'un confor- tabledont rien n'approclie, etavec I'habitude on arrive a s'y bien nourrir; il suffit de savoir ce qu'il taut eviter ou rechercher sur une carle de GO a 80 plats. Je vais voir notre nouvel agent, xMonsieur G**".Il a ete colonel d'etat-major du general Sheridan pendant la guerre, presentement avocat et agent d'assu- rances, ce qui ne I'empeche pas de se moucher avec ses doigts. Depuis que j'ai decouvert ce detail, je decline autant que possible I'occasionde lui donner la main. En Amerique cela n'a pas d'importance, et c'est la un des points par lesquels les Americains sont mal eleves. Ces points sont au nombre de trois : 1° On se mouche dans ses doigts ; 2° On s'enivre en public; 3° On depose volontiers ses pieds sur le dossier ou la table du voisin, a portee de sa main ou de sa figure. Et ces procedes sont pratiques par des gens appartenant a une tres bonne classe de la societe, tout a fait comparables a moi et a raes amis, qui ne forment pas la majorite, mais qui sont en nombre relativcment considerable, et cela ne choque personne. J'ai vu de mes yeux, a Chicago, un liomme bien mis, donnant le bras a une jeune femme, se moucher avec ses doigts, et j'ai vu aussi de mes yeux un jeune hommede la Nouvelle-Orleans venir diner chez Mme M'*', avec sa femme, dans un etatd'ebriete manifeste, et il est, parait-il, coutiunierdu fait. Je crois qu'en partant dela, on peut soutenir, conlrairement a la pretention des Ame- ricains, que leur education a encore beaucoup do progres a fairc. Nous allons avec G"* voir le superintendant des Assurances, et lui porter les dernirres pieces reclamees. Ce Monsieur est absent comme il I'etait deja lors de ma derniere visite. Son depute nous dit que tout est bien ; mais dans la journee nous recevons une lettre de lui, nous preveiiant que M. Ralph veut examiner notre slatemeiU lui-meme. II y a deux raois que je le lui ai 170 A TRAVERS LES RTATS-l'MS I) AMEHIOUE envoye, et il y a un mois que je suis venu lui olfrir toiites les explications necessaires. II aurait francliement pu se pressor un peu plus. 25 Der.embre. — C'estaujourd'hui le Christmas-day, oil tons vos inferieurs, founiisseurs et quemandeurs a un litre qLielcunque vous abordent par le sa- CT?imeuU'\ : Vrri/ ijood r/irisliiias! qui vous ob!ige a metlre la main a la poclie. Ma Icinuie dc clutmhre, la honue Brigitte, (jui m"a si bien soigne quand j'ai ete malade, etqui voulait absolument profiler de I'occasion pour rac con- vertir (c'est une lervente calholique Irlandaise), et men negre de la salle a manger refoivent des marques particulieres de ma munificence; pour les autres, je me contente de la piece de 30 sous ; c'est assez bon pour des gens qui ne disenl pas merci! Sur la priere inslante de Brigitte, je vais a la grand'messc a Clirist- Cliurch ou il y a une ccrij vice wnslr/;. Je crois bien que c'est la premiere fols, depuis 18 ans, que je vais a la grand'messe, et outre la itiiuusi'jiii', je ne suis pas facile de savoir (juel efl'et cela me fera. Je dois a la verite do declarer que cola ne m'a pas fait d'autro etlot qu'un grand froid aux pieds, ce pour quoi je me suis eclipse ,pendant le sermon, sous le pretexte plausible qu'il etait en Anglais. II parait qu'il y a des gens chez lesquels la vue des ceremonies religieuses rechauffe les sentiments et la foi de leur enfance. Je ne sais pas s'ils en sont beaucoup plus heureux, mais je dois reconnaitre que jene suis pas de ceux- la. La foi s'impregne facilement dans les coeurs des hommeset des peuples enfants; quand elle a dispiru, je doule qu'ello y revienne, et je crois que les conversions in eitreiivs ne sont dues qu'a uiie concession hypocrite bien ex- cusable, a des SL'ntiinentsde famille ou a iiu alfaiblissemenl dela raison. La musique est belle en effet a Christ-Gluircli. leschojurs sont chantes par les enfants de I'Orphelinat calholique et les solos de soprano sont dits par une jeune orpheline aveugie. Sa voix douce et sympalhique m'avait frappe avant que je connusse sa malheureuse et doublement iuteressantc situation. 26 Decem/jre. — Uueagreable surprise ! Le courrier m'apporte uneaimable lettre de mon amie de Chicago, Mme Rice, et I'cxpress uu sac a mouchoir qu'elle a brode pour moi. C'est bien aimable et bien gracieux. A I'etranger, si loin, les raoindres choses grossissent tl'uiio facon demesuree, et puis enfin c-e n'esl pas la moindre chose, car. apres toul, ellene me devait rien. SAINT-LOUIS 171 28 Decembre. — Pourl'aire contre-poids a ma grand'messeje vais assister a un meeting methodist. Je traduis litteralement Tarticle par lequel le Sou- thern Methodist annonce cette petite fete : Paix aux lioiieiiies «le l»onuc voloute! Nos lecteurs se souviennent que la discussion qui a eu lieu a Saint-Louis en octobre dernier, entre TAncien (1) W. E. Mobbey et le Reverend T. D. Lewis, devait rouler sur f|uatrc propositions dont deux seulement ont ete trait6es.Les deux dernieres propositions seront discutees dans notre raeme ville ; ce sont les suivantes : Le Nouveau-Teslaraent decide-t-il que le Baptenie dans I'eau est, pour un penitent qui a la foi, une cause necessaii'e et suffisante de pardon ? M. Mobbey affirme, M. Lewis nie. L'Ecrilure Sainte enseigne-t-eilc que I'Esprit-Saint opere immedialeraent sur I'esprit et le cceur humain independamment d'un texfe ecrit? M. Lewis affirme, M. Mobbey nie. Nous attendons cette discussion avec un interet qui n'est pas mince. Nous nous figurons, par anticipation, le plaisir qu'offrira cette reunion et la joie que nous aurons d'y rencontrer de nombreux Freres des deux Eglises representees, quifaisaient partiede ['assistance en octobre. Le Frere Broad-Hurst sera natureliement la, pour resumer les deux cotes de la question, et nous ne serons certes pas prives de contempler la figure agreable et I'aimable sourire dii Fr6re Marshall qui siegcra a cote du Frere Mobbey etpresidera la seance. Nous esp'rons aussi rencontrer le Frere Doy, ce digne et accompli gentleman. Le Southern Methodist sera a son poste et y trouvera sans nul doute I'eminent directeur de TApostolic- Times. NOUS PRfiVOYONS UNE DfiLICIEUSE SOIRfiE Samcdi, 28 diccmhre, 8 hcurcs uprcs-mkU EGLISE METHODISTE, COIN DE LA 7= SL'D ET d'OLIVE Admission ; 59 sous. — Sieges reserves, 1 !p On pent se procurer a Tavance des sieges reserves, sans augmentation de (1) Elder (plus vieux). Le mot est intradjisible. Les r.lders forment le Conseil de I'Eglise. ; 172 A TRAYERS LES ETATS-UNIS DAMERIQUE prix, chez Smithson, entrepreneur, T'Sud, pres I'Eglise, ou au bureau du journal. Positivement pas d'entree de faveur Les etrangers sont cordhlement invites. Est-ce assez reussi? Et voyez-vous cette joie do savoir si I'Esprit opere directement ou par rintermediaire des EcrituresI Et cette delicieuse soiree! Et cette invitation si cordiale d'avoir a payer 30 sousou 1 $ ! J'ai neanmoins eu la faiblesse d'obtemperer et j'y suis alle de mes ."jO sous. La premit're proposition in'a suffi. J'ai entendu I'Ancien Mobbey et le Reverend Lewis. Le President, qui etait sans doute le souriant FrereMarshall, a resume les debats; puis un certain nombre de gens qui etaient sur I'estrade ont eu I'air de deliberer, et leFrere Marshall a encore dit (pielque chose : il ni'a sembleque c'etait .Mobbey qui avail la victoire, mais je n'en etais pas du tout sur. et je m'en suis alle sans savoir si leBaptemectail ou non une condition necessaire et suffisante de pardon. Cependant jen'ai pas voulu demeurerdans cette ignorance honteuse, et j'ai achete deux jours apres le Methodist. Quelle confusion ! j'ai appris que c'etait la seconde question qni avail ete discutee la premiere, de sorte que pendant que j'ecoutais ce que Ton disait du Bapterae, c'etait de I'Esprit-Saint qu'on parlait; que celui que j'avais pris pour .Mobbey et;iit Lewis, tandis que celui que javais pris pour Lewis etait Mobbey; ([ue c'etait bien Lewis qui avait gagne, et que finalement ce (jui avait ete prononce etait »>(>. jo duMvho unbosTiiy: pas i1olrac«^s! Jignoivla ixnile; il y a un i>it\l ilo uoisiedans los chiMiiins; luo voihi propiv, I'.optMulanl iin hanluMumo mo iVijaixio. jo lo iviianlo, nous nous sommos compiis. Louo soil Uiou! II u»o ooniiuii an voiriouloipii doit nousvoiUuvr; oon'ostpasun bosrsiy, mais un w^agim. osjvVo do oaniiou non snspoudu; lo boggy a elo brise oe matin jv»r los momos ohovaux. qui nous ov>nduisont, oo tpii no mo nissure qn'ii moitio. Nous faisons luio station au Piv^tortioo, D.ms oo salo ti\Hi chaquo habitant, ou a }VMi prt^s. a doja uno Invito ou so5 lotlivs sont doposet»s ot dou il les iv- tiro a I'aido d'uno olof. rius do doux oonts do cos boitos oxislont. Lo divit oxigo pour en jouir est do io sous par an, Cortainos sont grilleos do fa^on quo Ion voit do suite, sans dorang^'r lo Postmaster, si Ton a ou uon dos lotires a rwvvoir. L?> Po*tv>ffi^v est lo rondoi-vous dos u.^tablos .a I'houro du courrier. II est diflioilo dimaginor uno plus b.^lle cv>lleotion do bandits. Ces hommes. iustnuts pour la plup,art, honuotes linauciors, travailleurs infatigablos, sojublout luttor dapjvjrvnco heteaxMilo et do salete exterioare. 11 fandraii 1;» crsyou do i»v\\^ ou la ^4ume do The.vplillo Gauthier pour don- uer une klee do cw bottes e.-uleos, do ces chapoaux do toutes formes, sur !es4tte!s il s«»a»bk qu'uu raiment se soil assis. de ees pantalons ttoues par devant tH par derrierv i\wiraeivUude cetie demoiselle qui disait: « Mou pan- takw est si b;>n. que depuis viugt ans que je le porle il u"a encon? que deux trows ! f do ces rviing\>tes el des giiets qu'elles recoimr^nt, do ces barbes non liites e« de ces che\-eux mal peignes. Lo mepris de la tenue est la loi supreme de ce grand peuple. et quaud on a passe quel^ues jours avec lui, oa est ahs.ilument dans le meme cas. et Ion s'iuqujeie jvii lie £»ifv uue toilette que pei^soane n'apprecie. Ces nieiaes n»a*!»s iucultes s? n^aoisseat en c.inveation. tienoeni des meietiogs, discuteut les ques.tkMi$ pi^itiqu^ et economiques et s'exprimeat axvc conxisBince et digoite, quand ib do se tiivot pas des coapts de revolver. IV \Slltamsbur«fa a Silkville, il y a enviroa LrcUs milles. LapromeoMle s^nit ebarsuiMe eu ete; .li. je n'exagew pas en disuit qu'il y a sar la roule 40 cvstiraetres . est de meine du resie partout : a Lawreote ei a Tixfkela les : exactaneat dans le meme etat. C'est a:El9B$AS 177 qmad mi roni^ Axon «? paft fiK f*m f^n^tUt l«( f trn tu c( ^beam^ff^ ha il aac, ie Immhb de bsr ^pwifc p aB ckoce paar rtaaaail^ et ^^ap- pSqaer i» doctriaes dbcies a a jeaame . La Feumw, alon soac Ie rifpmt kmfetrt^ -^-^ ~ ' yuriimal pas aa ekaap pnfite aox et p erieaeet, il rot s'etabto' c_: .. .^ee lamfae <- - £lat oeaf : k KaasK. Soa histoae est celle d? toac bs Kttkn .c .. _ ««» intevessuil de rexposer ea dettiL To(K iie» Cuta-Tius oat ete cadastre* f« d.^riges ea seetirMs de C& aens d'oB iMMMar. Ci» terras se (Kiiceatea trots ealei^qnes : ceil ^ dou ie prix est TerK a koxs cakies: ee{fe» «{« Mfii ^sitiacacs : aa SduW Faad, et doet Ie prodait ae peat etie ea^lojar '" n'est pas seul de son avis, que des groupes importants appartenani a toutes les nuances politiques le partagent, et parce qu'il m'a paru interessant d:? montrer avecquelques details le but auquel tendent, sciemment ou incons- ciemment, les partisans, aux Etats-Unis, de la circulation fiduciaire. Ces qurlques lignes n'ont d'ailleurs, en aunine facon, la pretention d'etre I'expose LES ONfilDIENS 18ft methodique d'une question fort complexe et (jtie je n'ai que tres superficiel- lement etudiee. Bienque de B'*' ait renonce a la pratique de ses ideas fourieristes , 11 n'a pas renonce a ces idees elles-memes. Et nous nous sommes longuement en- tretenus de deux aiitres experiences communistes ([ui out eu en Araerique un grand retentissement, dont I'une a reussi a moitie et I'autre tout a fait. La premiere est I'lcarie, fondee par Cabet et ses disciples dans le comt^ de Nuovo (Illinois), vers 183oou 1836, je crois, et transportee depuis dansl'Iowa, entre Omaha et des Moines , ou elle est restee florissante pendant pr^s de 23 ans, jusqu'a ce que, en 1878, elle se soil scindee en deux, a la suite des menees d'un nomm6 Chevalier, arrive en 1871, qui a souleve contre les vieux Icariens le parti des jeunes , lesquels ont demande et obtenu le partage des terres, ce ([ui a scinde en deux la communaute. Celle-ci ne bat plus que d'une aile, et a cause de cela je ne I'ai pas etudiee a fond. La seconde est la Communaute des Oneidiens ou Free Lovers (amants libres), qui est extremement florissante, et dont I'exemple serait concluant s'il 6tait realise sur une vaste echelle. De B*" y est alle plusieurs fois; j'emprunte les details qui suivent h ses souvenirs eta une brochure publico en 1867 par les Oneidiens eux-memes , intitulee : O.neida Community; GoNSTrruTioN et Doctrines. lis sont done, quelque invraiseniblables qu'ils puissent paraltre, absolu- mcnt authentiques. M. Noyes, le fondateur d'Oneida, est originaire d'une vieille famiUe de Pu- ritains, arrivee au Massachusetts en 1854. II naquit a Brattleborough (Vermont) en 1811. En 1830 il prit ses grades au college de Dartmouth , et en 1833 fut licencie pour la predication a New-Haven. II exerpa pendant quelque temps leminislere et en 1834 commenfa a exposer sur la tht^ologie de nouvelles vues qui lui firenl donner le nom de Cliretieii Perfectioiiiiisle. Ges vues consistaient principalement en ceci : 1° La seconde venue du Christ et I'etablissement de son royaume ont eu lieu une generation apres son ministere personnel ; 2° L'fivangile du Christ nous donne des moyens suffisants pour faire com- pleteraent notre salut, de sorte que quiconque vit dans le p^che ou I'egoiisme n'a aucun droit a r^clamer le titre de chretien. lilO A TRAYERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE Je ne vols, pour mon comple, aucun inconvenient a retablissement de ces deux propositions. Toutefois elles eurent pour resultat de faire relever M. Noyes de la pretrise, de le faire rliasser dcs Eglises orlhodoxes, et de lui attirer la reputation d'un fanaticpic et d'un fou. Ce fut a ce moment qu'il commenfa a propager ses principesreligieux, lesquels I'amenercnt ensuite a une renovation sociale et a la fondation du communisme et de I'amour libre; mais ceux-ci n'ont et6 et ne sont encore qu'un accessoire et une consequence de la doctrine theologi(iue. En 18i0 il jeta les ionderaents d'une Communaute avec sa fcmmo , Har- riett Halton , et quelques parents. En 1817 ils etaient environ 10. En 18'i8, expulses du village de Putney (Vermont , ils se rel'ugierent a Oneida (New-York) et depuis out etabli des branches a W'allingford , New-Haven, New-York City, et Willow Place. L'organisation de la Communaute a ete inspiree par ce vorset du Nouveau Testament touchant ce (jui se passa dans le monde le jour de la Pentecole : « La multitude de ceux (jui croyaient n'avait qu'un coeur et qu'une ame ; « ])L'rsonne ne disait que ce qui lui appartenait etait sa propriete, mais ils « avaient toute chose en commun. » ,\insi en est-il parmi les Perfeetioiuiistes. De frequents echanges de membres et de biens out lieu entre les differentes Communautes et aucim eompte n'est tenu entre elles, excepte pour le bon ordre. 11 n'y a ni statuts, ni doc- trinr ecrite, et le type general du gouvernement est celui d'une famille. Le couple initial, M. et M""' Noyes, deciderent de ne pas se consacrer exclusive- niont I'un a I'antre, mais d'en adinettre d'autres a s'unir a eux; par ce pro- cede ils arriverent a etre environ .'100 et a accroitre le nombre des Peres et des Meres tellement, que Icur inort pent aujourd'hui avoir lieu, sans nuire au developpement de la Cominiuiaule. Les mesures prises pour le gouvernement general consistent dans les reu- nions jounialieres du soir, dont tons les membres font partie et oii Ton dis- eute les interets etles affaires de la Communaute, et dansle criticisme mutuel. Cha(iue membre pent etre cr/f/fyf/f' publiquement soit sur sa demande, soit d'office, par un ou plusieurs autres. Le meilleur parti qu'il ait a prendre est d'accepter la critique sans repliipie, etce precede, qui remplace la medisance cacliee el malveillante du monde, est considere comme le meilleur pour con- LES OiNfilDIENS 191 duire a la perfection. Ceuxqui refusent de s'y soumettre so retirent librenient oil sent expulses : c'est memc le procede par lequel on oblige a une rctraite volontaire les membres qui ont etc introduits et qui sont desagreables aux autres. On los ennuie tellement qu'ils sen vont. Un seul cas d 'expulsion for- cee s'est presente jusqu a ce jour. Le travail industrielporteprincipalement surquatre articles : les conserves de fruits, les clialnes, les trappes qui sont utilisees dans I'Ouestet le Canada, et les soles a coudre; 11 faut y ajouler les travaux de jardinage,de labourage, d'entretien des bailments, etc... La proprete, le blanchlssage, le raccommo- dage, la confection des vetements sont devolus aux femmes. Ghacun choisit son occupation et fait connaitre son choix au Conseil des travaux qui organise ensuite les ateliers. Tons ceux ([ui vculent fontpartiede ce Conseil ; ses resolutions sont souinises a TAssemblee generate doiit la de- cision est prise a I'unanimite. La majorite ne se croit pas le droit d'opprimer la minorite, et s'il y a des dissidents on attend, pour statuer, qu'ils se soient rallies. Les enfants sont allaitespar laniere, qui s'y consacre entierement pendant la periode de rallaitement. Apres le sevrage ilssont places dans la salle d'asile, ou nursi'i'ii, et generalement la mere y prend en meme temps son tour de ser- vice, lis y restent jusqu'a I'age de 12ou 14 ans. Les plus jeunes enfants mangent a la nursery a une table servie pour eux; les plus ages a la table commune dans le grand batiment. Tons vont a I'ecole et resolvent I'instruction 61emen- taire et professionnelle. Les Perfectionnistes n'ont pas de formule de Credo, raals lis sont sp^ciale- ment attaches a la Bible, et surtout a I'Evangileet au livre de Paul. lis croient au Christ, et pretendent se rapprochor de la primitive Eglise. lis pensent que la seconde venue du Christ a eu lieu a la date de la destruction de Jerusalem, qu'a ce moment il y a eu une premiere resurrection et jugement dans le monde spirituel ; que c'est alorsque le royaume final de Dieu a commence dans le ciel, que la manifestation de ce royaume dans le monde visible approche, que I'approche est ravant-coureur de la seconde et finale resur- rection; que riiglise de la terre se rapproche de celle des cieux, et va devenir bientot uu duplicata ou une representation de celle-ci ; que la communication avecDieu et avec le del est uu element de connexion cntre I'Eglise sur la terre I9i A TRAYRRS LES RTATS-UNfS DAM^RIQUR et rfiglise dans le ciel, et que c"est par cette commimication que le royaume de Dieu est etabli et regne dans le monde. U resulte de ce qui precede que I'education, la religion, i'industrie et la vie domestique, qui sont separees dans la vie ordinaire, sent ici reunies et se pratiquent en comnuiii dans Ics liniites du Home. II y a iteancoup de deniandes d'admission, mais elles ne sont acceptees qu'apres (juelrconstance,ii'esl oblige de sitbir les attentions de quclqii'itu qui ne lui plait pan. Les Oneidiens abhorrent le rapt, qu'il se commette ou non sous le couvert du mariage. Les Communautes garanlisscnt a cliacun de leurs membres de ie proteger contre le contact d"un compagnon dcsagreable. Toute femme est libre de repousser les attentions d'un homme. Un quatrit'me principe est que ce qui! y a demieux a faire pouruniiomme ([ui veut approcher une femme, cest de recourir a rinterventiou oflicieuse d'un tiers. 11 y a a cela deux raisons majeures : d'abord le sujet est en ([uel- ipie mesure soumis au controle de la Communaute, et secondement, si la li-'mme decline la proposition, elle n'est pas obligee de formuler uu refus direct et formel. Sous rinfluence do ces principcs geiieraux, et quand ils sont bien entres dans le caur des membres de la Communaute, les membres apprennent a sc gouverner eux-memes et tout se passe pour le mieux de cliacun et de tous. La liberte des relations sexuelies dans les Communautes est sujettc a la res- triction generate prescrite par la doctrine de la Male Continence (Continence du Male), c'est-a-dire que Ton comptc ([uc tout homme se fera uu point d'honneur de s'abstcnir de la portion des relations sexuelies qui a pour objel la propagation, excepte dans lecasoiila propagation doit avoir lieu par suite d'une decision de la Communaute et avec une collaboratrice a lui designee. Mais la Communaute n'est pas encore tres avancee en ce qui concerne la direction de la propagation, et elle attend (pie la lumiere se fasse. Jusqu'a ce que cette lumiere soit faite, elle tient que cette matiere est des plus impor- tautes, qu'elle ne doit point etre laissee a I'initiative d'une passion aveugle, egoiste, incivilisee, et qu'on doit en prendre au moins autant de soin (pic de I'amelioration et du croisement des races bcstiales. 19(5 A Tli.WEUS 1J:S ETATS-UMS irAMKUlDUE L'AMOUR LIBRE. Le terrible accouplement de ces deux Idees excellentes — la liborte et I'a- mour — a souvent ete employj par les ecrivains d'Oneida dt-puis dix-huit ans et sans doute a pris iiaissance avec eux. II a cepeiidaiit depuis ete adopte par diflereiites classes de speculateurs epars dans la contree, et il a meme servi a designer certains socialistes avec lesquels nous n'avons que tres pen daffinites. 11 est dans tous les cas applique ordinairement a nos Communautes,et comma nous sommes certainement responsables de Tavoir lance dans la circulation, il nous semble dc notre devoir de dire quel sens nous y attaclions et dans quelle mesure il nous convient de I'accepter comme une designation de notre systeme social. Les dilKrences evidentes et essentielles entre le mariage et les relations licencieuscs sont les suivantes : Le mariage est permanent; le libertinage est une flirtation temporaire. Dans le mariage, la communaute des biens suit la communaute des per- sonnes. Dans le libertinage, I'amour est paye a la tache. Le mariage rend I'liomme responsable des consequences de tous les actcs d'amour d'une I'emme. Dans le libertinage Tbonime impose a la fennne le lourd fardeau de la maternite, ruinant peut-etre sa santc et sa reputation, et il poursuit son chemin sans autre responsabilite. Le mariage pourvoit a leducation et a I'entretien des enfants. Le libertinage les m^connait comme un fardeau et les abandonne au hasard. Maintenant, en cc qui concerne ces differents points de difference entre le libertinage et le mariage, nous sommes du cote du mariage. Amour libre, pour nous, ne signifie aucunement la liberie de s'aimerun jour et de se delaisser le lendemain ; ni la liberte de prendre la personne d'une femme et de garder pour soi ce qu'on possede; ni la liberte de charger une femme d'un enfant et de I'abandonner au courant sans soin ni aide ; ni la liberte de faire des enfants et de les jeter ensuite a la rue ou a la maison des pan v res. LES ONEIDIENS 197 Nos Gommunautes sont des families aussi distinctcmcnt liees entre elles et aussl separecs de la promiscuite que lesautrcs families. Le lien qui nous lie est pour le moins aussi permanent et aussi sacre que le mariage, car c'est notre propre religion. Nous nc recevons aucunmembre (saut en cas d'erreur ou de deception) qui ne donnc a I'interet de la famille son coeur et pour la vie etpour toujours. La communaute des biens setend juste aussi loin que la liberie de I'amour. Les soins de clia(iue honime et toute la propriete commune jusqu'au dernier dollar sont employes au soutien,ila protection des femmes et des enfants de la Communaute. La batardisc, dans le sens desastreux du mot, est absolument impossible dans un tel etatde choses social. Quiconque se donnera la peine de suivre uos traces dcpuis le commen- cement, ne trouvera ni femme ni enfant abandonne sur la route. A cet egard, nous reclamons I'honneur de marcher un peu en avant du mariage et de la commune civilisation. Nous ne sommes aucunement frrc lovers en taut que Ton pourrait att;ichcr a cemot un sens comportant des obligations moins etroites ou uneresponsa- bilite moins grande que ccllcs qu'entraine le mariage. THE MALE CONTINENCE. (Letlre de M. Noyes en reponse a unc demande d'explication sur ce sys- teme.) New- York, 20 juiilel 186". « Cher Monsieur...... « La premiere question ou plutot, devrais-je dire, la question prealaijie en « ce qui concerne la mciJe continence est de savoir s'il est desirable ou con- ff venable que les hommes et les femmes etablissent un controle intelligent <( et volontaire sur la fonction propagative. « On pent se demander s'il ne vaut pas mieux laisser la nature suivre son « cours, en se conformant aux lois generales de la chastete legale , et donner « le jour aux enfants suivant que le hasard ou un pouvoir mysterieux en I!)S A TRAYERS LES ETATS-l'NIS D'AMERIQUE « decide, sans resti'eindre en quoi que ce soil les rapports sexuels une Um « (ju'ils ont ete autorisus par Ic mariai;e, on qmnd ils sont fondes sur !c droit f( do cliacun dc les pratiquer ? « Si vous adoptcz cette derniere opinion, ou si vous avcz quelque tendance « a Ic faire, je vous recommande letudedc I'essai dc Mai thus sur la population, « non que je pense (pfil ait iadi(jUL' la vraie methode du controle volontairc « sur la propagation, niais parcc qu'il a deinontre, apres discussion, Fabsolue (( necessite d'un pareil controle, a nioins ipie nous n'admettions et ne rccoii- « naissions que la race humaine doive, comine celli' des autres animaux, etre a rediiite a ses limites necessaires par les moyens alFreux de la guerre, de la « pestc, de la famine. « Pour mon compte, je n'ai aucun doute (|u'il ne soit parfaitement legitime « de nous elforcerdo nous elever au-dcssus de la nature et de la destinee des « brutes a cet egard. Je voudrais voir les hommes tourner leurs recherches « et leurs esperances sur ce sujet, aussi librement que sur le developpemcnt « du pouvoir de la peinture,et je voudrais csperer quecelui (pii nous a pro- « mis le lion temps, le temps ou la vie et la misere auront disparu, fera au « moins la lumirre sur le plus oliscur de tons les prolilemes, sur le moyen « de subordonner la propagation humaine au controle de la science. « Mais, que les etudes et les inventions dans cettc direction soient conve- « nables ou non, il est certain qu'ellessont des a present appliquecs surunc « vaste eclielle, surtout dans les couches sociales les plus infericures. Exami- « nous les ditferents procedes qui ont ete proposes pour limiter I'accroisse- « ment de la race humaine. « En premier lieu, l.i pratique du meurtre des enfants par exposition ou « violence, quiest aussi vieilleque le monde ct aussi eteiidue (pie la liarbarie. « Plalon recommande (pielque chose d'analogue , une cspece de depotoir, « pour les produits mil conform/s, dans sa Republique modele. « Nous avons ensuite la pratitpiederavortement,dont les temps modernes « ont fait une science ct une profession. I'ne grande partie de ce genre d'af- « I'aires se traite au moyen de medeciaes publiees en termes obscurs, inais « parfaitement intelligiblcs, comme ayant le pouvoir d'empecher la conccp- « lion ou d"en detruire le produit. « II existe egalement une grandi' variete de jtrocedes m('cani(pies jjour ile- LES OAEIDIENS 190 (' truirc les cffets naturels do I'acte propagatoire. Vous faites allusion a quelqiics K uns d'entre eux avec une reprobation que je partage. Celui qui me semhlc « le moins susceptible d'objection est celui qui a ete recommande, il y a plu- « sieurs annees, par Robert Dole Owen dans son livre intitule : PhiiHiologie « morale : c'est tout simplemeat le stratagemc qui consiste a se retirer juste « avant remission. « En outre de ces methodes peu honorables, nous avons plusieurs proce- « des fort respectables pour atfeindre le grand but de limitcr la procreation. « Malthus propose et preconise celui-ci : que tons les liommes ct speciale- « ment les pauvres soient misau courant de leur responsabilite et amenes a <( ne pas se marier. Ce controle prudejitsur la population, ce decouragement « du mariagea sans nul doute une influence incontestable sur toutelasociete « civilisee et sur la plus grando partie des classes eclairees. « Malthus a pour lui I'autorite de Paul (I" auxCorinthiens Ch.7),et proba- « bloment il ne serait pas condamne par les gens recomm indibles. Gependant « ses partisans doivent confesser qu'il augmentj to danger de la licence, ct « en depit de Malthus et de Paul, ce qu'il y a de plus populaire est encore le « mariage considere avec toutes ses obligations, comme un devoir moral ct « patriotique. (( Finalemenl le Shakerismc, qui aujourd'hui prohibe le mariage en so « placantsur le terrain religieux, estsimplement la plus dureet la plus severe « des inventions humaines pour eviter une inopportune propagation. « Tousles experimentateursdans I'art de controlerla propagation peuvcnt « en resume se reduire a trois classes: (' 1" Geux cpii prohibent le contact sexuel, comnic Malthus et les Shakers; « 2° Geux qui s'efforcent de prcvenir les ell'ets de I'acte propagatif comme (' les inventeurs Frangais et Owen ; « 3" Geux qui essaient de detruire les resultals vivants de I'acte propagatil', « comme les avorteurs et les tueurs d'enfants. « Maintenant il doit vous sembler quo tout precede pour controler la pro- (' pagation doit finalement se ranger dans une de ces trois classes ; cependant « je vous assure que noLis avons une mithode qui ne rentre dans aucune « d'entre elles. Je vais essayei'de vous indiquer un ([uatrieme moyen. « Gommencons par analyser I'acte des rapports sexuels: il n'est point tel- 2M) A TRAVERS LES I':TATS-U\1S D AMKRIOUE (( Icmont complique qu'il ne piiisso ("■Ire decompose en plusieurs parlies. « II a nil commencement, im milieu et imc fin. (I Son commencement ct sa forme la plus elementaire est la simple jirc- « sence de Torgane male dans I'organe femelle. Alors intcrviennent gone- it ralcment unes6riede mouvemeiitsreciproques. Finalemcnt cet exercice de- « genei'c en une action reflexe ni-rvi'iifie on crise ejnculiiloire <[ui expulse la K semence. Maintenant nous insistons sur ce point, c'est ([ue cette enliere « succession d'evencments, jusqu'aii moment precis de remission, est volini- « taire, entierement sons le controle de la fuculle morale, et prut etrc anrtce « it. lout inslant. En d'autres termes, la presciire el les mouvcmcnt'; rcriproqites « pcnvent etre suspendns par Taction de la \olonte : le spasme linal seul est « automatique et incontrolable. « Snpposons maintenant qu'un liommc en contact legitime avec une I'emme « ait de bonnes raisons pour ne pas faire d'eiifants et se frapper lui-meme « d'impuissance, ct (pi'il s'arrete au premier degrc du contact, se conten- « tant de la siniiile presence prolongJ^e aussi longtemps qu'elle peut Ini elre « agreable '? Y a-t-il la qnehpie mal ? Personne ne pout lui reprocher de ne pas « s'abandonner a nn excitement furieux. JVn appelle au souvenir de tout « liomme ayant une correcte experience sexuelle, et je le prie de me dire si, « de tout le contact , la plus douce et la plus noble periods n'est pas le mo- (( ment de la simple presence et de I'eirusion spirituellc avant ijue Tcxercice « mnsculaire no commence. Mais faisons un pas en avant. Supposons (jue (' riiomme choisisse pour de bonnes raisons, conmie ci-dessus, de ne pas se (' contenter de la simple presence, mais qn'il se permette quehpies mouve- '< menis reciproiines, et la encore qn'il s'arrete juste avant la crise linale. Je li' I' demande a nouveau : y a-t-il la qnelipic chose de mal? Cela n"est-il pas I' agreable? Je suppose iprun pliysiologiste disc, el je le concede, que Vexci- « teincnt par la molion pent elre mene tellemenl loin, ([ne la suppression « volontaire de la crise finale pent etre une souffrance. Mais si un honime, « connaissant son pouvoirsur lui-meme et ses limites, n'approche pas meme « de la crise et ccpendant est susceptible de so procurer de la jouissance par (( la presence et le mouvement ? « Qu'on ne mc disc pas que c'esl impossible ! je repondrai ([ne cela est (( possible, bien plus ([ue cela est aist". LRS ONEIDIENS 201 « J'admottrai cepemlant que cela peut etre Impossible a quelques-uns , « tandis que ce sera possible a d'autres. Paul nous enseigne que quelques- (( uns ne pen vent se restreindrc. (( Des hoinmes doues d'uii certaui temperament, ou places dans certaines « conditions, sont afflig^^ d'emissions involontaircs a la suite d'excitatious « sans importance, nieme pendant leur sorameil. « Mais j'insistesur cl' point, que ce sont lades exceptions, des cas maladifs « (jui pcuvent etre discipliues et gueris, et jt; pretends que, dans leur situation « normale,les hommes sont parfaitement maitres de decider, pendant le con- « tact sexuel, s'ils veulent s'arreter a un quelconque des points de ce contact, (c et ainsi faire simplcment acte de communion, ou bicn aller jusqu'au bout, « et faire ainsi acte do propagation. « Yous avez maintenant toute la theorie de la continence du male. Elle con- « siste a analyser le contact sexuel et a decomposer cette fonction en deux, « I'unesociale, I'autre propagativc, qui peuvent etre separees pratiquement, « et a afilrmer qu'il est meilleur non seulement au point do vue de la pru- « dence, mats aussi au point de vue du plaisir immediat, qu'un homme se (( contentc de I'acte social, excepte quand son intention est de propager. « Examinons si ce precede appartient a une des trois classes que j"ai men- « tionnees : 1" II ne previent pas le contact des sexes ; il leur donne au contraire « plus de liberie en ecartant le danger de consequences non desirees. « 2' II ne previent pas les effets naturels de la propagation, mais bien I'acte « propagatif lui-meme, excepte quand il est effectue adessein. « .3° Naturellement il ne conduit pas a la suppression des enl'ants, mais favorise plulot les soins necessaires a leur developpement pliysi((ue et leur education morale, etant donne (ju'ils ne sont engendres que volontairement. (( Et maintenant le but exact que notre theorie se propose est d'etablir « le meme pouvoir decontrainte morale etde controle de soi-meme que pre- « conisent Paul, Malthus, les Shakers et d'autres hommes considerables, ou, « en d'autres termes, de limiter la propagation, et au lieu d'y arriver commc « euxpar la suppression du contact sexuel, de I'arreter apres que les sexes « se sont livres a I'effusion spirituelle et avant qu'ils en soient venus a I'e- « mission propagativc, leur donnant ainsi autaut et phis que la liberie com- « plete de I'amour (car la crise met fin au roman), et en meme temps evitant -20'i A TRAYERS LES ETATS-UNIS D'AMERIOUE ft line propagation non desiree et tons les inaux resultant do Tincontinence « du male. « Cost notrr qnatrii'inc moycn, ct nons pensonsque c'est lo meilleur. » Rcspectucnsement. — J. H. Noyes. Tfl est I'exposu a pen pros complet des doctrines ^conomiqucs, socialos et pliysiologiques des free lorrrs. ,I';ii donne a ce sujet qnelques developpements, parce qnc c'est a pen prrs la seule experience socialiste qui ait r(Hissi , il est vrai sur une petite echelle. La doctrine de la continence est acceptee par les femmes, cc qui mesemblo pourtant assez extraordinaire dc la part des Americaines. Cependant il parait que si Ton a la certitude que I'un des sexes est ini- propre a la reproduction, on fait assez bon marclie de la continence. Depuis ce printemps, roj)inion pnhliipie s'etant erane de cet etat de promis- cnite, les Oneidiens ont regidarise lenrs unions an point de vne legal. De B'" attribue la reussite de cette experience an sentiment religienx qui la dirige. Je pense, en cfFet, (pi'il n'y a ([iriui mobile de cet ordre capal)le de faire supporter la vie commune avec ses inconvenients. Et pour cette raison, je ne crois pas que le communisme puisse jamais etre applique a une societe un peu nombreuse. Mais cette experience tentee avec succes sur un coin du glol)e m'a paru curieuse a etudier, et c'est poiu'ipioi je suis eutre dans autant de details. J Janvier. — Je (piilte de B"' en Uii disant : « An revoirl en France! >> et en lui soubailant de tout comu- de liquider ses atl'aires et de venir iinir ses jours dans son pays, auquel il ponrra consacrer ]ilus utilement une activite que la vieillessc n"a pasdiminnee. Je vais visiter Lawrence oi!i je reste une demi-journee, et Topeka, la capi- tale du Kansas, on je depense a pen pres le meme temps, deux jietites villes sans importance. Topeka a son Capitole et en est liere. Je trouve la im com- missionnaire des assurances, fort raisonnable, qui me declare n'avoir aucun s)uci de notre compte remlu Fi'ancais, parc3 ([Til n'est capable ni de le comprendre, nide le verilier. C()ml)ien sont rares les gens ([ui savent recon- SAINT-LOUIS -2{yi iiaitre ct out le courage davoucr Iciir incapacite! Enfiii, moyennant 153 $, j'ai mon certificat dautorisation : c'est toujours ainsi que cela se termine. A deux li2ures de rapres-midi, je quittc Topeka, et Ic 7 au matin, apres tine nuit de sleeping-car, je suis a Saint-Louis. 7 Janvier. — Sur le renseignement (pii m'a ete donne par de B"*, j'aban- donnc Lindell-Hotcl ct jc vais m'installer 114 Walmet str., dans un petit l)Ouclion Fran(,',ais, chez Madame Guilloz. Madame Guilloz est Alsaciennc; ellc est venue a Saint-Louis en 1834 : c'etait alors « une enfant blonde et rose ». Aujourd'hui ellc est un peu changee ! On mange admirablement chez elle, maisles chambres y sontd'un mediocre ipii louche a I'intolerable. II est vrai que pour 1$ par jour, tout compris, on n'a pas Ic droit d'etre exigeant : le deplorable, c'est que Ton ne puissc pas etre micux en payant davantage. Liiidrll avait fini par devcnir clicr : 4 $ de board, 1 $ et demi de vin, et I $ de feu : cela faisait, tout compic : 33 fr. 70 par jour. Chez la mere Guilloz le vin coiite 50 sous, ct il est tout aussi bon qu'a Lindell oti il coutc 7 fr. 80; et la nourriture seule vaut au moins 10 fr. par jour : c'est du restc la mcilleure cuisine bourgeoise que j'aie trouvee en Ameriquc. 18 Janvier. — Visite Tower-Park, un des nombrcux pares de Saint-Louis, bien dispose et bien trace, mais encore a son aurore. Dans 20ans il sera beau. II est situe tout prrs des grands reservoirs qui occupent un des points les |)lus elevesde la ville. L'cau du Mississipi y est envoyeepar les Water- Works pour se debarrasser dc son limon, ce a quoi elle ne reussit que tres impar- faifement. Les Water- Worls eux-memcs sont dc vastcs pompes, admirablement ins- tallecs, comnie toute lamachinerie Americaine. Saint-Louis estabondammcnt pourvu d'eau, au point de vue de I'incendie et des usages domestiques. L'acces do retablissement est absolument libre comme a Chicago, et il n'y a de permission a demander a personne pour entrer et regarder. Pendant toute lascmaino, nous avonseu un (Ipera Anglais quej'ai suivi avec iiitrnH. L:i forte chanteuseVirginie-Marguerite-Juliette-Emma Abatadu talent et est bien jolic. On serait volontiers son Romeo, voire son Paul. II parait (prelle est d'une bonne famille et ([u'elle fait de I'art dramatique poui' sun plaisir. Ce que jene m'cxpli(|ue pas, c'estia manic (juc Ton a cuede 20'i A TRAVERS LES ETATS-UXIS D'AMERIQUE faire, notamment dans Romeo ft Juliette, des coupures que I'ien ne justifie. On a coupe le prologue, le couplet de Juliette dans le madrigal , Tariette du vieux Capulet au commencement du bal, et Ton a ecourte considerablement la scene du mariage et de I'empoisonnement. Nonobstant Juliette a cte fort rappelee et a refu, en guise de bouquet, un chateau de fleurs, surmonte d'une tourterelle empaillee. Le Courrkr dcs Etals-l'ivs publie aujourd'hui la statistiquc des faillites; cette statistique accuse un progres sensible sur les annees precedcntes. Annees. Nonibrc. Proportion. Passif total. 1876 9.0i)->.... 1 sur 09 191.117.000$. 1877 8.872. ... 1 sur 73 190.670.000 » 1878 10.178. ... 1 sur O't 23't.38:}.000 » 1879 O.0.j8. ... 1 sur lOo 98.149.000 » On voit que cette annee ii y a unc notable amelioration, comparativement & I'annec derniere ; ce qui tient surtout, non comme le Courr'icr a I'air de le penser, a une amelioration dans la moralile, mais a ce que les exportations sur I'Europe ont fait aflhier ici Tor etranger, et aussi a ce que le terrain est un pcu deblaye. 5/ Janvier. — Visile Shaw's Garden. M. Henry Shaw est uncelibatairequi a deja fait cadeau de Tower-Park a la ville. II etait devenu, a la suite de je ne sais quelles circonstances , proprietairc de terrains immenses et sans valeur. II en a converti une grande partie en pare municipal , et comme la bicnfai- sance , en Amerique, n'cxclut pas le soin de ses affaires, il s'est reserve tout autour du pare unc ceiuture de terrains a batir , (ju'il vend fort avantageuse- ment. Pour son comptc , il a unc fort jolie residence et un magnilique jardiu dont les serres ren ferment une des plus remarquables collections depalmiers et de cactus qu'il y ait au monde. Lacces du jardin et desouconlenuest libre, la semaine pour tout le monde, et le dimanche seulement pour les ctrangers. On va et Ton vient, on entre et Ton sort, on circule partout sans qu'aucun gardien , concierge ou agent quel- conque vienne vous obseder de sa surveillance ou de ses services. Sur le frontispice est ecrit : « Gloire a Dieu au plus haut des Cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonte ! » SAi.NT-i>nris ^o.'i Un musee d'agriculture et d'ornithologie rcnferme les especes de grains cultives aux Etats-Uiiis et une partie des oiseaux qui y vivent : 11 est encore a I'etat rudimentaire. Ce citoyen bienfaisant dolt laisscra la vlUe son jardin dans lequelil a,avec prevoyance,faiteleverun monument fort simple qui doltluiservirdetombeau. De parells faits ne sont pas rares aux Etats-Unis et les donations abondent, faites par les gens riches et sans herltiers directs, a leur ville ou a leurcomte. 2iJanvu'r. — J'enai enfin lini avec mon organisation de Saint-Louis. Notre premier bordereau est parti : ilestd'une faiblesse pitoyable. Mais 11 fauttenir compte du debut, et c'est fort heui-eux qu'il en faille tenlr compte, car c'est un debut honleux. Je vaislaisser I'Agence se tasser un pen , sauf a yrevenir. Aussi bien , void le froid qui repicpie, et je ne suls pas fache de gagner la Louisiane et la Floride Doux pays des fruits d'or et des arbres etranges, Ou Ton passe le temps, (piand ariive le soir, Dans un hamac flexible, a sucer des oranges, Nonchalamraent berce par la vierge au scin noir ! Done mes malles 6tant faites, et la mere Guilloz etant payee, je vais filer ce soirsur la Nouvelle-Oi'leans, non sans m'etreprudemraent muni d'un/«)tc/i- basM, dii aux bon soins de la susdite mere Guilloz, lequel me dispensera des affreux buffets de la ligne. Done, mes amis, au revoir. Je vous ecrirai de la ville Fran^aise par excel- lence du pays du soleil ! CHAPITRE VI LA NOUVELLE-ORLI^ANS. — LE SUD. — LE TEXAS. — LA COTE DE l'eST, Depart de Saint-Louis. — La route. — Arrivee a La Nouvelle-Orleans. — Installation. — Vue generale dela ville. — Quartier Anglais. — Quartier Francais. — Un diner Creole. — La cul- ture de I'oranger. — Le lac Pontchartraiu et ses bords. — Un bal Creole. — Trop de corsage et pas assez de queue. — Le Heel and Toe. — Le Boston-Club. — Un lunch ideal. — La levee. — Les bateaux du Mississipi. — Le colon etsa manipulation. — Un bal an Boston- Club. — Diners divers. — L'ancienne et la nouvelle condition des negres. — L'industrie sucriere et les tacteurs. — Le Carnaval k La Nouvelle-Orleans. — Les Mystics Crews. — La vie et son prix pendant cette semaine. — Les adieux de Gapoul et de la troupe Fran^aise. — Fiani;ailles et fiances. — Une collation a la Creole. — Felix R... le peintra et ses conferences. — Souvenirs de Tesclavage. — La cruaute de certains maitres. — L'argument de Chloe. — La Mobile et les affaires de coton. — Un dejeuner d'amis. — De La Nouvelle-Orleans k Gal- veston. — Le Morgan Line. — Les plantations. — Navigation. — Galveston. — Le Garden- Vercin. — La ville. — La plage. — Houston. — De Houston a San-Antonio, — The King of Cattle. — L'expedition des boeufs vers le Nord et vers I'Europe. — San-.^ntonio. — Un vieui Francais. — Un zouave Pontifical en penitence. — La ville. — Les missions. — Les eaux. — Lesetablissementsd'utilite publique. — Les elections. — .Moeurs Texiennes. — Retour k La Nouvelle-Orleans. — ■ Le commerce du coton et les facteurs. — Un senateur Loui- sianais. — Depart de La Nouvelle-Orleans. — La Mobile. — Atlanta. — Savannah. — LaGeorgie. — Un candidal collant. — Charleston. — La riviere. — La baie. — Le jardin d'un minislre. — Richmond. — Washington. — L'hotel Saint-Marc. — Le Capitole. — Le Senat et la Chambre. — Patent Office. — Le Ministfire des Finances. — La Maison-Blanche. — La re- presentation du President. — La vie k Washington. — Baltimore. — Philadelphie. — Sou- venirs de la guerre de I'independance. — Vieilles bottes et vieilles culottes. — Une fabrique de papier de bois. — New-York. 24-27 Janvier. — Deux voiesconduisentde Saint-Louis a La Nouvelle-Orleans; I'une par la rivedroite et I'autre par la rive gauche du Mississipi, que la voie de la rive droite franchit du reste a peu de distance de Saint-Louis. Sur les indications qui m'ont ete donnees en Europe par un aimable Louisianais, M. RochereaUjj'opte pour la lignede la rive droite, I'lron Mountain Rr. corres- 208 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE pondant avec FOhio et Mobile Rr. Cette voie est plus longue enparcours, raais plus courte en temps de deux lieurcs, que le Jackson Rr. On fait 810 milles ou 1 301 kilometres en trente-cinq heures, raoyennantle prix de 18 $ oO, aiuiuei il ronvient d'ajouter 5 $ de sleeping-car. Ce qu'il y a de singulier, c'est t[uc, de Chicago qui est a 280 milles plus loin an nord de Saint-Louis, on no met, pour aller a La Nouvelle, que trente-six heures. Cette anomalie se presente de temps en temps ici. J'ai eu soin de me faire confectionner par Madame Guillozun lunch-basket bien garni : un poulet froid, de la galantine, du jambon, des oeufs durs, du I'romage, des pommes, une bouteille de Sauterne et une de Saint-Estephe me permettront de faire, le dimanche, deux repassericux sans quitter mon wagon et sans user des hotels-buffets de la route; Finconvenieiit , c'est que c'est un colis de plus. Mais il y a de grandes compensations a ce petit ennui. De5aint-Louis a La Nouvelle, on traverse successivement le Missouri, le Tennessee, le Mississipi, un coin de I'Alabama et un bout de la Louisiane. Le Missouri et le Tennessee sont des terres a ble et a tabac; dans le Mississipi et I'Alabama on commence a traverser des champs do coton, aujourd'hui depouillesde leur r^colte. J'arrive deux mois trop tard pour voir la recoltedu coton et celle du sucre. Pendant les 24 premieres heures du voyage, il fait froid, les figures sont glacees et Ton s'endort le diinancho soir avec du givre aux fenetres. Le lendemain, a six heures du matin, on est a La Mobile, port do I'Alabama, qui pendant la guerre de la secession a joue un role important. Le soleil inonde les carreaux, on voit des oranges aux arbres, fair est doux ettiede : on estau printemps. Je m'installesur la plate-forme du wagon et je vols defiler des Grangers, des joncs de 4 metres de haut, des maguolias plus liauls que lesmaisons et un tas d'arbres dont j'ignorele nometla nature. On traverse une foret enti6i*c dont tons les arbres sont converts d'une mousse longue et barbue dont I'apparence est des plus bizarres. J'ai appris plus tard que c'est le crin vegetal ; il s'emploie dans le pays et s'exporte meme en assez grande quantite pourle rembourrage des malles. J'aurais une belle occasion de faire de I'erudition avec son nom scientifique si je n'avais eu le soin de I'oublier aussitot apres I'avoir appris. A 7 heures 40, lelundi 20 Janvier, je fais mon entree aLaNouvelle-Orleans. Le depot manque absolument de confortable : un mecliant hangar ouvert a LA XOUVELLE-ORLEANS 209 tous les vents, une salled'attente grande comme un mouchoir de poche, deux oil trois omnibus, des voitures a 5 dollars la course et un tas de negres qui piaillent en bengali : tel est le premier coup d'oeil. Si je pouvais laisser mon sac et ma valise, j'irais a la decouverte, mais il n'y a pas de depot de bagages : force m'est done de monter dans un omnibus et de me rendre a Tliotel Saint- Charles. Aussitot debarbouille et approprie, je dejeuue d'une fa^on ignoble ; j'ai rarement si mal mange et ete si mal servi, circonstance a laquelle il faut ajouterque les gens soiitgracieux comme desportes de prison. Au sortir de cette galfere, je me dirige chez M. M'**, le pere de mon ami de Chicago, grace aux bons soins duquel j'cspere trouver des lares plus hos- pitallers. En effet il me conduit rue Bourbon, au restaurant du Saint- Victor Berat. Celui-ci, qui n'a pas de chambrc disponible a ma convenance, me remet aux soins de sa \oisine Madame Rapho. Madame Raphoestune Lorraine des environs de Nancy, qui a transporte ici son induslrie de modiste et de brodeuse. EUe me donne pour 6 $ par semaine une tres belle chambre tres confortable, et je pourrai de plus manger chez Berat moyennant 75 sous par dejeuner et 1 $ par diner, vin compris, ce qui n'est pas tres cher et met la journee moyenne a 2 sj^ 60, soil environ 13 fr. 50. Ma premiere journ6e se passe a connaitre la ville. La Nouvelle est separee en deux parties distinctes par une immense et large rue perpendiculaire au Mississipi et qu'on appelle la rue du Canal. Elle court de I'Est a I'Ouest. Au Nord le quartier Francais, au Sud le quartier Americain. Dans le premier tout est Frangais: les rues, les noms, les boutiques, les pro- diiits. On pent entrer dans n'import« quelmagasin etparler Frangais; on est siir d'etre entendu. Dans le second on ne parle guere que I'Anglais. Le pre- mier est le quartier des industries de detail, le second celui des grandes affaires, des assurances, des banques, des grandes maisonsde commission. Le premier decline, le second monte. L'element Francais ne se renouvelle pas et comme a San-Francisco, qiioique plus lentement, la population Fran^aisetend a disparaitre. A trois heures je vais reprendre M. M*" qui, pour continuer les bonnes traditions de son fils a Cliirago, m'a des le premier jour invite a diner. M. M'*' etait, il y a six ;iiis, le roi de la Nouvelle-Orleans, dirccteur d'une -210 A TKAVERS LES ETATS-UNIS DA.MEHKJUE banque, president d'une Gompagnie d'assurances, el a la tete d'une maison d'impoi'tation colossale ; ilajoutait a 40 000 ;§ d'appointements fixes, des bene- fices qui variaient de 50 000 a 100 000 $. Un beau jour tout a croule et un Krack formidable s'est prodiiit. Tout a ete perdu, fors I'honneur. Parmi les gens qui lui reprochent le plus ses imprudences et ses exces de production, il n'cn est pas un seul qui accuse M. M'" de s'etre enricbi aux depens de ses creanciers ; exemple meritoire etrare en Ameriquc! II a recommence apres sa liquidation son commerce d'importation portant sur le vin et les conserves, et il est en train de rel'aire sa fortune, qu'i! refera sans nul doute. 11 a pu racheter au moment de la liquidation, pour un morceau de pain, une habi- tation situee en dehors de la ville, sur les bords du Mississipi, ([ui lui avait coiite fort cher au temps de sa splendeur et au temps oil les proprietes avaient leur vraie valeur. II vit la avec sa famille et y fait de la culture maraichere. Les pommes de terre, les choux et les carottes ont remplaceles roses, et deux cent mille pieds d'oignons s'etalent a la place du gazon ou jadis les flUettes jouaient au crocket. II y a en outre 3 000 pieds d'orangcrs, qui dans cinq ou six ans doimeront des produits et qui, lorsqu'ils seront en plein rapport, fourniront ihacun environ 5 $ d'oranges, ce qui fera uu i)eau reveuu. Enlin il y a des bois que Ton exploite et qu'un canal ou liaijou, qui traverse la propriete, permet daraener jusqu'au bord de la roule. Tout cela, joint a une maison tres confortable, fournit les elements d'une large aisance, et d'ici a quolques annees ceux d'une future richesse. Aussi la vie materielle est d'une abondance donton n'a pas d'idee. La table de famille a laquelle j'ai pris place, et ou j'etais le«eul etranger, etait entoui'ee de qua- torze personncs. Le diner, sans ceremonie, comprenait un potage, du bieuf bouilli, un pois- son, une sellede pore aux liaricots (mets national), du riz creole, des palates douces, un gigot roti, des beignets de salsifis et de la salade. Un fromage de Garaembert fort l)on et des figues bananes composaicnt le dessert siiivi d'un cafe exquis: tout cela excellent et fait par une vieille negresse (jui, esclave autrefois, a disparu au moment de I'emancipation et est revenue, au bout de quelques mois, demander qu'on la reprit. Pas d'autre \ in ((u'uu tres bon vin ordinaire importe de Bordeaux. Outre LA NUUYELLE-URLEANS 211 son lils aine quihabite Chicago ct iine fille mariee, M. M***esta la tetc decinq lilies et d'uii lils, Gabrielle, Helo'ise, Amelie, Cora, Marie ct Ainie. Comme il a perdu line fille, c'est uii total de neuf enfants ; il a 48 ans et il y en a 29 qu'il est marie. Toutes les filles sontjolies comme des amours, avec des tallies fines qui ont grandi libres du corset, des pieds tout petits et de grands yeux de velours noirs qui vous regardent bien en face pendant qu'elles voustendent une petite main qui disparait toute enliere dans ma large patte. Ces enfants sont vrai- ment charmantes, fort simples de toilette et de manieres, mais avec cette ele- gance innee a la Creole. Une fois pour toutes, on appelle Creoles les habitants nes sur le sol, de parents ou d'ascendants Frangais. Les deux ainees sont fian- cees et ne se marieront guere que dans un an ou dix-huitniois, ce qu'elles paraissent attendre sans une grande impatience ; il on est aulrement des deux jeunes gens que j'ai eu le plaisir de voir et qui seraient un peu plus presses. II y a six ans, la chose se serait faite tout de suite: M. M**' aurait pris chez lui les deux jeunes menages et deux bouches de plus n'auraient pas compte. Aujourd'hui il faut attendre, au moins dans une certaine raesure, que les jeunes gens se soient fait des positions. Apres diner nous allons nous asseoir sur une petite esplanade situee au bout du jardin et dominant le fleuvequi, en cet endroit, a bien pres d'un kilometre do large. A chaque instant des bateaux montent ou descendent, jetant au ciel kur fumee noire et laissant derriere eux un sillage qu'argentent les rayons de la lune. Nous voyons passer le C/nUeau-Renaud, une corvette Frangaise que le ministre de la marine a envoyeeala Nouvelle pour montrer notre pavilion, et qui part co soirau grand desespoir des officiers qui auraient voulu rester pour les fetes du Carnaval. lis ont ete accueillis ici comme des dieux et sont restes stupefies de tout ce qu'on a fait pour eux: diners, bals, receptions, lunclis, promenades, rien n'a ete epargne par les Creoles pour temoigner de leur sympathie a la France. Vn riclie creole, M. ChafTret, marie a une Parisienne, a donne un bal qui lui a coiite 4 a 5 000 dollars, sans plus de souci que s'il se futagi d'un verrc d'eau. M. M*" m'explique la culture de Toranger ([ui leml a prendre une certaine importance et qui est vraiment tros profitable. On seme I'oranger avec des oranges sauvages coupees en ([uartiers ; une orange fait 4 plans que Ton ^12 A TRAVERS LES ETATS-UNIS DAMERIQUE enlerre a deux pieds de distance. Au bout d'un an I'oranger, que Ton a eu soin de fumer, est sorti de terre : on lui met un tuteur; a trois ans il a plus d'un metre de haul. On le transplante alors , en espa^ant les arbres de vingt pieds et en les disposanten quinconces; apres quoi on les greffe en ecussons, avec de la gretfe d'oranger doux. Ge systeme est preferable, parait-il, a celui qui consisterait a planter directement des oraugers doux: les troncs sont plus sains et plus vigoureux. Ge n'est guere que vers la C' ou 1" anntie (jue Toranger commence a produire : alors il a environ 4 a 5 metres et le tronc pout avoir 10 ou 15 centimetres de diametre. On le taille chaque annee et on le depouille avec soin de toute mousse parasite. II fleurit en mars et les oranges se recoltent en octobre et novembre. Un oranger en pleine maturite rapporte au minimum S $, souvent 8 ou 10. Un oranger mandarin a donne ccttc annee a M. M*" 3 000 oranges, vendues sur pied 45 ^. La culture consiste dans la taille , Tarrosage pratique a I'aide de rigoles et un peu de fumier. A 10 heures je pars ; M. W" me fait reconduire jusqu'a la station des cars par son cocher, que traine un vieux canasson auquel on nepourra jamais re- proclier son ardeur excessive. Arrive a la station, je me mets a marcher tout en attendant mon car; puis, quand il vient, je trouve que je ferai aussibien de continuer. Le temps est doux, la lune est pleine, la route est bonne. Je prends mon pas de route et j'arrive en une heurc etdemie au liout de la rue du Ganal et cinq minutes apres a {'Hotel. Telle est ma premiere journee a La Nouvellc-Orieans ; et je trouve ()ue je n'ai pas perdu mon temps. 28 Janvier. — Quitte I'Hotel Saint-Charles oil j'ai le plaisir de payer .4 $ pour mon coucher et mon dejeuner. Je m'installe et je porte quelques lettres : char- mant accueil partout. En flanant sur la rue du Ganal, je;vois un tramway a vapeur: j'y monte et en 40 minutes je suis sur les bords du lac Pontchartrain au lieu dit : Spanish- Fort. Trois voies conduisent de La Nouvelle ii ce lac, de I'autre cote du(iuel .-^ont des maisons et des residences d'ete. Le fort Espagnol est aujourd'hui rcmplace par un joli restaurant oil Ion vient faire des lunchs en partie line ou en lamille. LA NOUVELLE-ORLEANS 2l:j La saison devait s'oiivrir seulemeiil le premier fevrier : cependant Ton pouvait y manger et lesprix ne m'ont pas paru excessifs. Les huitres coutent 40 sous la douzaineet une demi-boiiteille de vin blaiic fort passable 2b sous. Uii 6tablisseraent de bains est annexe au restaurant : inutile de dire qu'en cette saison les baigneurs sont absents. Une promenade assez longue sur les bords du lac me permet de juger des progres de la vegetation. Les saules bourgeonnentet les aul)epincs sont deja nouees : le soleil est splendide etla temperature est au moins de 15 ii 10 degrt3S au dessus de zero. A 4 heures je reprends mon car qui me ramene a la rue du Canal. Je dine etje vais assister a un bal donne a Grumwald-Hall par quatre meres de famille qui se sont reunies a cet effet. Ce procede est tr^s usit6 ici : il Test egalement a New- York. Quand des fa- milies amies ont un bal adonner elles se reunissent pour louer en commun une salle, et y invitent tons leursamis communs. Le local est plus vaste, la society plus nombreuse et Ton n'a aucun embarras cliez soi. La salle choisie t'tait Grumwald , qui sert aussi de salle de reunion et de concert , et dont le proprietaire est un marchand de pianos, ropresentant de Pleyel. La society etait principalement composee de creotes : au premier coup d'oeil une chose me frappe : cest I'absence d'epaules et la brievete des robes. Presque tous les corsages sont montants , et presque aucune robe n'a de traine. Lecourtement des jupes se justifieparla facilite que cela donne pour danser; mais I'allongement des corsages, quelle raison valable pent la mo- tiver? Ces dames se rejettent sur I'usage: sot usage s'il en fut, car, quelle que bien faite que soit une robe , clle vaut rarement ce qu'elle cache, et les quelques echantiilons d't5paules que Ton aperfoitga et la et qui appartiennent, me dit-on, presque exclusivement a des Americaines pur sang, font regretter qu'ils nc soient pas plus nombreux. Le bal est gai et anime. On y danse exclusivement le quadrille des lanciers, la valse a trois temps qu'on appelle le Boston et une danse Americaine nom- mee le Heel and Toe (talon et orteil), qui se compose de trois pas sautes et deux pas de polka danses tour a tour sur la pointe du pied et sur le talon : cest d'un effet assez original, mais ce doit etre tres fatigant. Chaque danse porte un numero d'ordre ; chaque danseur et chaque danseuse 214 A TMAVI'liS LES KTATS-IXIS D'AMKKIOlH portent suspendiie au boutoii dii i^ilct on a un bracelot uno flclie en carton glace retenue par une chainette d'or et sur laquelle s'inscrit, vis-a-vis da numero, lo nom dii danseiir on de la danseuse. Yu la dimension de la salle, on se doiiiie rendez-vous sous Meyerbeer on au pieil du portrait de la Musirjue, atfreuse fresque qui gagrnerait a etrc voilee. On danse et Ton se promiine. A minuit, un souper des plus serieux est servi dans une salle voisine, autour d'une immense table bientot garnie. De petites tables de 4 on personnes servent aux societes particulieres. Je me retire apres avoir fait lionneur a cette agape fraternelle; mais la fete a continue, parait-il, jusqii'a ciiHi hciu-es du matin. 29 Janvier. — Je siiis presente et inscrit au Boston-Club avec une carte d'^tranger, valable pour 20 jours et renouvelable. Rien d'extraordinaire comme ameublement ; mais une reunion de gens aimables et fort gais. Tons les jours, de llheureset demieaillieures. il est servi un lunch quise compose de : soupe, poisson , entree, roti, legumes, viandes froides, fromage et confiture pour la modique somme de 20 sous! Les plats sont nombreux, et Ton a le droit d'y rovenir! Les boissons, sauf I'eau do seltz et I'eau glacee, se paient a part: mais le claret coute 23 sous la demi-bouteille et, si Ton n'en boit (|ue la moitie, on ne paie que lo sous. A ceux qui ne s'expliqueraient pas la modicite de ces prix, je dirai que le club perd chaque annee .30 a 40 mille francs sur le lunch, mais que ce sacrifice prevu est accepte pour souteuir la reputation du cercle. I II article du r("',^'lement vent aussi que chaque membre resident ou tem- porairepaie lui meme son lunch el les liquidesdont 11 1'arrose; ce temps, qui est ceiui des affaires, "tie devant point etre employe pour faire des politesses. Tout cela est fort prudent. Au meme club on dine a .3 lieu res etdemie pour 1 ?^, sans vin. La on pent avoir des invites et leur offrir, ainsi qu'a ses col- li-gues , tout ce que leur estomac leur permettra d'accepter, ce qui n'est pas ]ieu dii'c. 30 Janvier. — Visite la levee, c'est-a-direle quai et un des grands bateaux du Mississipi, le Richardson. Cette ^norme masse mue par deux roui's lati-- r lies a 70 metres de long, 1 1 ou 15 de large et trois etages : il ne calc pas plus de 4 pieds. La cale et le pi'emier pont revoivcnt les marchandises ; le second pont contient deschambres, une salle a manger et un salon pour l.'^iO passa- LA NOUVELLE-ORLEANS 215 gcrs ; au premier etage sont les chambres des officiers, une terrasse, la diinelte, et Tappartement dii capitaine. Le Richardson a mouille a quai ce matin a huit heure^, portant 8 000 balles de colon de 430 livres chacune et 12b passagers. A 6 heures il aura fini de decharger; a 9 heures il aura reprls son cliargement consistant en denrees et marchandises di verses et illfeveral'ancre emportant 2ou3 000 tonnes de mar- chandises et a pen pres 100 ou 150 passagers. Gette activite a quelque cliose de prodigieux ; quatre va-et-vient doubles, composes chacun de deux planches, relient le bateau au quai, et sur chacun deces freles sentiers passent constam- ment au trot des negres trainant une balle ou un diable vide. Ces dechar- geurs gagnent 40 sous par heure ou 4 >>; par jour : leur saison dure environ 4 mois, ce qui explique ce salaire elev6. Les balles adress6es a chaque facteur sont empilees sur le quai a des places on un petit drapeau designe le facteur qui en est consignataire. De la ellcs sont enlevees par des camions et portees au cotton-press ou le volume en est reduit, le r(5emballage fait, et d"ou elles repartent pour le Nord ou pour I'e- tranger. Le soir dine au club avec Delvaille et assiste a la repr(5sentation du Prc- aiir-Clrrcs par Capoul, ((iii est vcnu apporter aux dames Louisianaises les (( demiers accents d'une voix qui tombo et les restes d'une ardeur ({ui s'eteint », pour parler lelangage de I'Aigle de Meaux. II chante avec un art (jui n'a d egal que son absence de voix, ctdans I'air : « ma douce araie ! » il est encore la coqueluche des femmes. G'est bon d'entendre si loin cette bonne vieille musique Fran^aise qui vous apporte un 6cho de la patrie absente , de rOpi5ra-Gomique et du Ijoulevard Italien. 3t Janvier. — Dine chez M. Grant, I'agent de la Gompagnie Transatlan- tique, dont les fonctions se bornent pour le moment a une sinecure, la com- pagnie n'envoyant pas de paquebotsaLaNouvelle.Granthabitesurleborddu bayou Saint-Jean unecharmante maison en hois entouree d'un grand jardin avec potager , verger et serre. Les convives sont , outre les maitres de la maison et moi : le Gonsul de France vicomte Paul d'Abzac, le Gonsul d'Es- pagne M. Bazan, que Ton appelle familierement « Don Gesar » ; le Gonsul d'ltalie comte Crevi ; M. Naone, Ghancelier du Gonsulat de France et sa femme , -2i{\ A TRAVERS LES ETATS-UNIS IVAMERfQUE line Andalouse au teint Ijriiui, ua ancien medccin de la marine le Docteur Troarn etun gentleman dont j'oublie le nom. Lc diner est excellent et les vins sont de premier choix : La Tour Blanche, dont on a bu 7 ou 8 bouteiUes, et Chateau du Pape Clement, dont la consom- mation a ete plus moderee. Apres le cafe escorte de Cognac de 1836, puis de 1811 qui, quel que liit son age, 6tait exquis, on a fait des discours en furaant des cigares. Le vicomte d'Abzac, qui ne manque aucune occasion des'exer- cer a parler en public, en a fait trois pour sa part : la quanlite ne compen- sait pas sufTisamment la qualite. Mais comma d'ailleurs personne n"y mettait de pretention, cela ne laissait pas parfois que d'etre drole. D'Abzac ayanl violemment attaque les femmes Americaines, je me suis hate de saisir cette occasion de le contredire, et jc les ai defendues avec une conviction qui m'a valu des applaudlssements aussi unaiiiiues que tlat- teurs. A onze heures le depart du dernier car a mis tin a cette petite fete, et une pluie battante nous a accompagnes jusqu'a notre domicile. LE BOSTON-CLUB UESTEBA CHEZ LUl LE LUNDl 2 FliVRIER. Samuel CHUPIN, President. On Jansera a 9 heures. Telle est la formule par hKjuelle les membres du Boston annoncent a leurs amis et amies qu'ils leur offriront un bal. D:^'puis quinze jours on ne parlc que de ce bal, qui fait un bruit enorme dans Landerneau et qui a ete au sein du Boston une pommcde discorde. Les membres etaient a peu pres unanimcs sur la convenance de donner un bal; mais la question etait de savoir si on le donnerait au club ou dans une salle louee a cet effet. Les vieiUards, ne vou- lant pas troubler leurs habitudes, opinaient pour une salle, et les jeunes vou- laient demeurerchez eux,pouss6s en cela par toutesles petites amies qui grii- laient de voir un intt5rieurdeclub, meme completement travesti. La majorite a fini par s'arrSter a cette derniere idee, et aussitot les ti'avaux de boiilever- sement ont commence. Tout leclub a ete transform^ en jardin d'liiver: des tcntures de lustrine verte appliquees sur les murs ont 6te couvertes de baguettes dor6:'s etargentees sur lesquelles on a fixe du feuiilage, et des (leurs d'or et LA NOUVELLE-ORLEANS ill d'argent. Des cages suspenducs aux murs et aux plafonds contenaient des oiseaux tout etonnes de se troiiver a pareille fete, et dont la plupart out ete si ahuris, qu'ils en sont morts. Au fond, et sous le pretexte que Ton etait dans un club de gar^ons, on voyait resplendir, a travers le feuillage qui ne les dissiinulait pas du tout, les formes d'une superbe Venus de Medicis: cette exhibition artistique a paru exciissive a plusieurs, mais surtout au point de vue des comparaisons. Et de fait, j'ai vu plusieurs femmes jetcr sur ce marbre un coup d'ceil melanco- li([ue ({ui pouvait tres biea signilier: « Pour la bhuicheur, c'est encore pos- « sible; mais pour la fermete , jamais! o Si la pudeur Araencaine a proteste, elle a proteste tout has ; mais rdlet etait hirn cocasse. Le bal a ete fort animi!-, (pioique tres fouie a un moment donne. Un souper superbe etait scrvi depuis onzelieures etdemie, etjusqu'ii cinq heiu-es du matin on a danse et mange. Le lendemain le club ressemblait a un champ de bataillc ; i! n'y avail pas de lunch : les vicux etaient comnie des anes en plainc; quant aux jeunes, ils dormaient sur leurs lauriers. 3 Fevrier. — Dine chez Jules Aldige, fabricant d'huile de graines de coton : ilest a latetedesix filles dont une mariea. Sa femme est des plus aimables. Nous avons parle de I'esclavage; on considere raffranchisscment comme un grand bienfait pour le pays; on regrettc seulement la fa^on dont il s'est accompli. Aujourd'hui le travail libre fonctionne partout regulierement et les blancsen sont enchantes. Lepays sereleve et aurait depuislongtempsrepris son assiette, sans I'exploi- tationprolongeealaquelleilaetesoumisapi'es la guerre. Depuis troisou quatre ans un progres sensible s'y fait sentir, et son mal le plus considerable c'est le manque de capitaux. J'ai dit deja, je crois, que la guerre, en emancipant brusquement 4 000 000 d'esclaves qui valaient environ 1 000 !jj> par tete, avait realise un aneantissemcnt brusque de capital pour une valeurde20 milliards de francs, parte qui a ete d'autantplus sensible qu'elle a porte exclusivement sur les Etats duSud. II en resulte qu'aujourd'hui ce capital n'a pas encore ete reconstitue et que les moyens manquent pour la raise en valeurdu sol, ce qui oblige a toutessortes de syst^mescouteux. J'ai trouve etonnant que chaque planteur fit son sucre et qu'il n'y eiit pas d'usiues centrales oii la canne, achetec au producteur, fiit traitee en grand, 218 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE de tacon k donner un produit meilleur et a meilleur marclie, comme cela se pratique chez nous pour la betterave. II m'a ete repondu ([uc lo plaiitfur depend, pendant toute la periode de la culture et de la recolte, du facteur qui lui achete ses produits ; celui-ci fait au planteur, tout le long de I'annee, des avances pour I'entretien de son mate- riel et le salaire de ses ouvriers. Ces avances lui constituent sur la recolte un droit de mainmise et lui conferent le privilege de I'acheterau cours. Comme le facteur lui-meme n'est pas capitaliste, il a recours, pour ses avances, a I'in- tennediaire des banques; naturellement c'est le planteur qui paie ces frais, cl Ton calcule quel'argent lui revient a 18 ou 20 0/0 par an,rinteretlegaletant5 et I'int^ret facultatif 8 0/0 par au. On comprend qu'avec de pareilles charges le planteur ait toutes les peines du monde a se reconstituer un capital inde- pendant, et qu'il soil oblige a continuer lui-meme a fabriquer une recolte vendue d'avance. Le facteur pourrait, il est vrai, se rembourser sur la vente des Cannes ; mais il n'aurait pas, dans ce cas, le benefice que lui procure la vente du sucre, en vue duquel il a consent! a soutenir I'exploitation, non sans un certain peril, car si la recolte manque, il n'a plus de garantie. 5 Fevrier. — Aujourd'hui comraencent les fetes du Carnaval qui sont renommees dans tous les Etats-Unis, et attirent a La Nouvelle une infinite d'f^trangers. Ces fetes se composent de trois processions, suivies de trois bals : I'une a lieu le Jeudi-Gras aux flambeaux, Tautre le Mardi-Gras dans le jour, et la troisieme le soir de ce meme mardi. Elles sont organisees par ti'ois societes dites mystiques, parce que Ton est cense ne pas en connaitre les membres. Ce sont les Mystics Crews qui se nomment les Chevaliers de Momus, les Chevaliers de Comus, et les Chevaliers du Roi. Cette ann^e, les sujets des trois processions etaient les femmes celftbres, lesquatres ^l^ments, et la conquete du Mexiquo. Les costumes etaient superbes et les chars ma- gnifiques. Les decorations sont une des principales preoccupations des membres des Mystics Crews; les costumes sont commandes a Paris un au d'avance, et trois mois avant le Carnaval on commence a travailler a la confection des chars. Chacune des processions coutede 2o000 a 30 000$ fournis par des souscrip- tions volontaires, et Ton estime (jue ces sommes sont largement compensees par celles que les etrangers laissent a La Nouvelle-Orleans. LA NOUVELLE-ORLEANS -219 Deux bals fort brillants soiit donnes a rOpera-Fran?als par les Chevaliers de Comus et de Momus. Les homines iie sont adinis ni au rez-de-chaussee, iii aux deux premiers etages de loges et de galeries, qui forment ainsi une immense corbeilie de femmes parees et en toilettes , d'un aspect des plus ravissants. Les Chevaliers, apres leur procession, se rendent sur la sc^ne et forment un groupe decouvcrt par le lever du rideaii ; apres quoi ils vont chercher des dames de leurs amies etdanscnt avec elles le premier quadrille. Geia fait, tout le monde est admis dans toutes les parties du theatre. Les billets pour ces deux fetes, bien que nombreux, sont fort recherches et difficiles a obtenir. Pour le bal du Roi qui se donne au batiment de I'Exposition , ils sont beaucoup moiiis rares ; aussi le public y est-il infini- ment plus melange. On y rencontre beaucoup de gens en redingote et quelques- uus portant tendrement leurs rejetons sur leurs bras : cela ressemble assez a une bonne noce de campagne. Le souper (payant d'ailleurs) me parait vague, et I'odeur et I'aspect de la salle oil Ton mange m'inspirent la pensee de faire une salutaire economie. La plupart des gens qui sont la viennent de I'Ouestet ont loge, depuis deux jours, a bord des bateaux qui les ont amenes et qui lei retournerontdemain. Les grands liateaux du Mississipi etles sleeping-cars sont transformes, pour deux jours, en hotels flottants ou roulants; et le jour du Mardi-Gras on ne trouverait pas a prix d'or une chambre dans toute la ville. Le lendemain tout rentre dans I'ordre, on demonte les chars, on vend a des villes de provinces, ou a des marcliands juifs , les costumes dela procession, el les societes mystiques, convoquees par leurs Presidents, se demandent ce qu'elles pourront bien representer I'annee prochaine. 7 Fevrier. — Assiste a la representation d'adieude Capoul, Piiola Marie et Angele. On a donne le 2' acte de la Fille de Mine Aiigot, le 2" acte de Mi(jnoii, et le .3= acte de Faust. Tout a liien etc jusque la, mais on a eu la maladressc de faire bisser: (' Salut , dcmeure chaste et pure.' », et le malheureux, qui economisait toute sa voix, n"a pu achever son air et I'acte sans faiblir et chanter faux. Le public Americain a des exigences excessives. La salle etait superbe et toute la societe Creole et Franpaise etait la. Si les dames avaient le bon gout d'adopter pour ces soirees la tenue de bal. I'aspect du theatre serait ^i-20 A TiiWERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE ravissant. II est extrememenl biuii dispose pour I'oeil. Le premier etage con- tient nil rang de loges absolumoiit di-rou vertes et deux rangs de loges couvertes. Au second et an troisieme sent aussi des galeries ct des loges. Tout cela volt et est vu de tons les points, et se prete parfaitement au coup d'oeil. 11 n'est pas inutile, pour douner une idee de I'affluence amenee a La Nou- velle par le Carnaval, de noter quelques prix auxquels sout montees les necessites ordinaires de la vie. Un citoyeu de Chicago et sa femme, qui sont arrives le Samcdi-Gras et qui ont voulu avoir deux belles chambres sur la rue du Canal sans souci du prix, ont paye ces deux chambres 40 !;>! par jour. La chambre jumelle de celle que je pale 6 ^ par semaine a ete lou6e 4 $ par jour pour 4 jours. Mais ce qu'il y a de plus fort, c'est que M. Brulatour, voulant une voiture pour conduire au bal sa mere et sa femme, s'est entendu demander 30 piastres par le cocher auquel il s'est adresse, et (lu'un autre cocher, Tayant reconnu pour I'avoir conduit quelque fois, lui a dit par protection et condescen- dance : « Si vous voulez. Monsieur Brulatour, jeferai cela pour vous pour 25 piastres (128 fr. 75 au pair) I » Apres cela, 11 n'y a rien de plus a citer. II est juste d'ajouter que M. Brulatour et ses dames ont sagemcnt pris le car pour 5 sous, et qu'au sortir du bal une voiture les a conduits pour 1 \^. 8 Fevrier. — Dine chez M. M'** avec les fiances de ses deux filles ainees, Gabrielle et Heloise. Ces deux jeunes gens viennent tons les dimanches et quelquefois la semaine. lis sont tout jeunes, fortaimables,mais me paraissent plus epris en dedans qu'en dehors. Apres cela, une situation ipii dure depuis huit mois, et qui doit se prolongcr encore un an ou un au et demi, ne comporle pas journellement des epanchements excessifs. Les deux fillettes sont tendres , miis avec moderation et retenue : il s'est evidemment crea la un etat normal qui aura, un peu plus tot ou un pen plus tard, sa solution toute naturelle. Ces jeunes gens sont en train de se faire une situation; ils se marieron! quand ce but sera atteint. Leur pere et leur beau-pere les aideront nn peu, et ils auront a lenr tour sept ou huit enfants qui pousseront comme ont pousse les autres. 12 Fevrier. — Fait visite a M"'" B", la belle-mere de M"*", qui habile tout pres de M. M'" pere. Eile se plaignit jadis d'etre a Chicago; aujour- d'hui elle se plaint d'etre loin de sa fille. Elle m'a indique 4 heures LA NUUVELLE-ORLEANS -2-21 comme I'lieure propice pour la voir : j'en ai conclu naturellemuiit qu'elle m'inviterait a diner, et je ne dine pas, afin de faire honneur a sa cuisine. J'arrive vers les cinq heures et, apres !es compliments d'usage, on m'offro uii petit verre de melisse. L'apparition de cette li(jueur (jui, ordinairement, suit Ics repas au lieu de les preceder, m'inspire quelque mefiance. Cependant, vers 6 heures, un cli([uelis dassiettes et de fourchettes se fait entendre dans la piece voisine du salon et me ramene a des idees plus gaies. Au bout de quelque temps on nous invite a changer de domicile : nous passons a la salle a manger et je me trouve en presence d'un pot de confitures flan- que de deux assiettes de gateaux. La table est garnie de verres remplis d'un liquide incolore epic je reconnais bientot pour etrcde lean, et d'autres d'une couleur vcrte qui ne sont pleins de rien du tout. Cependanl, je me liate de declarer qu'une bouteille de Sherry fait son apparition ; raais elle s'est debouchee dans la voiture et videe a moitie, de sorte que, au bout d'une tournee, elle est a sec : heureusement I'cau giacee est abondante, la confiture Test aussi; mais le total est insutfisant pour un liomme qui n'a pas dine. Cette insuffisance precipite ma retraite et je rentre au club, ou il y a chaque soir en permanence un souper froid et gratuit. Unc tranche dc pate, suivie d'une autre de filet froid, une salade de laitue aux oeufs durs ot un fromage consolcnt mon estomac de la confiture de M™ B"". Desclubistes arrivent et font comme moi , jo comraande une bouteille de Champagne et la soiree se termine tres gaicment. Avant de souper, j'etais alle assister a la fin d'une conference donnee par M. Felix R"*. Ce dessinateur fantaisiste execute des tours de force tres interessants : a I'aide de quelques crayons de couleur, il dessine sur du papier teinte, avec une rapidite et une facilite surprenantes, des scenes de fantaisie empruntees principalement aux mreurs et aux usages Japonais. II a fait, il y a quelques aniiees, le tour du moude avec mon compatriote Emile Guimet, et il est aujourd'hui charge par le Gouver- nement Francais d'etudier I'enseignement du de^sin aux Etats-Unis ; une forte blague (jue ces missions gouvernementales. II est vcnu a La Nou- velle pour assister aux fetes du Carnaval dont il doit eiivoyer des des- sins a I'lllustralion, et il profile de la circonstance pour s'appli(|uer A THAVEK8 LE8 ETATS-UMS D'AMEKlUUE quelifuc'S dollars. 11 a eu uu certain succes, surtout en dessinant des types Americains, riiomme du Nord, de I'Ouest et du Slid; mais comme il ne parlc pas, I'interet ne se soutient pas tres longtemps et Tesprit se fatigue vitc de cet exercice. 15 Fevrier. — Dine cliez M. M*" avec inie collection d'Americains vc- iius de Gliicago pour voir le Carnaval. Les jeunes lilies continuent a c'Ire ("harnianles. Nous parlous du temps de I'esclavage ou, si certains maitres elaient bous, d'autres etaient d'une cruaute feroce. II y a dans la rue Royale une raaison appelee la maison Blanque, dont la proprie- taire avail un renom de ferocite envers ses esclaves ; elle etait , en nieme temps, douee dune lille contrefaite qui, a I'elfet de redresser sa taille, passait tous les jours trois ou (juatre heures sur un lit spe- cial oil elle etait attachee avec dcs sangles. Peu a peu le 1 ruit se repandit (juiui instrument de torture avait ete introduit dans la niaisou et que telle etait la cause des liurlements (ju'on entendait parfois pousser par les esclaves. Un beau jour la foule s'ameuta et, stupido comme toutes les foules, mil le leu a la maison. Madame Blanque s'echappa comme elle put ct cut ete echarpee sans I'intervention de quelques courageux ci- toyens. Quand on eut eteint le feu, le peuple envahit la maison, et ne trouva que le lit dont le medocin expliijua la presence et I'usagc. La maison fut reparee, mais, pendant pres de vingt ans, ne put trouvcr au- cun locataire. Aujourd'hui le mauvais sort en a disparu. M. M'** me raconte aussi a\oir fait travailler, deux ou trois ans apres la suppression de Tesclavage, une negresse dont la maitresse, veuve et ruinee par la guerre et I'emancipation, etait tombee dans une affreuse misere. Comme la negresse gagnait de I'argent a travailler a gages et a vendre des fruits et des legumes, il lui dit un jour : « Comment, (I Cliloe, toi qui gagnes a present beaucoup d'argent, tu ne viens pas « au secours de ta maitresse qui est pauvre et qui pendant si long- « temps t'a nourrie"? » Chloe, ([ui n'avait cependanl jamais entendu parler do M. Thiers, prit alors, non pas entre deux bougies, mais a la face du divin soleil , la pose ([ui a ete si souveut reprocliee au Liberatcur du tei'ritoirc, et mon- tra a M. .M'*" quehpie chose de LA NuUYELLE-UhLKANS 223 Horrcndum, hiforme, inrjem Et sillonne de plus de rides Que la mer mi jour d'oui-agan, comnie le front du chef Maiire des Orientales ; apres quoi, rabattant ses voiles, elle lui dit : c A p'esent que t'as vu gogo a moi, tu peux savoi' pou'quoi V fax pas besoin donni a'gent a mait'esse. » Et cette enfant de la nature con- tinua de sarcler ses epinards sans se douter qu'elle et un ancien ministre, fulur President, avaient eu la memo idee : Dieu reuuit dans sa philosophic Les pefits et les grands. A cote de cela , il y avail de tres bons maitres , et beaucoup de negres donnerent de touchants exemples de lidelite. Si cette race eut ete malfaisante et vindicative, elle aurait protite, pendant la guerre, du temps ou les femmes, les filles et les enfants etaient seuls sur les habitations, pour commettie les exces les plus odieux. Or ricn de tel ne s'est passe ; les negres sont demeures spectateurs de la lutte, volant ce qui etait necessaire pour leur nourriture, c'est-a-dire peu de chose, et se sauvant dans les bois quand les lederaux , qui leur avaient apport^ la liberie, voulaient en faire des soldats. 23-35 Fevrier. — line petite excursion a La Mobile, le principal port de TAIabama, a 141 milies a I'Estde New-Orleans. Nous parlous a cinq heures du soir, etnous arrivonsa II h. et deraie avcc une heure de retard. La route me fait I'effet d'un desert : c'est la meme que j'ai trouve si belle, en venantde Saint-Louis. II y a une trentainede stations, mais onse demande ce que chacune dessert, a I'exccption de trois ou quatre qui ont une appa- rence de ville. On traverse une serie do bales, sur des rails portes simplement par des pilolis, cequi nelaissopas d'etre inquietant, quelques-unes ayant un a deux kilometres de long. On arrive au grand trot et c'est a peine si Ton ralentit. Aje ne sais plus quelle station importante, on nous otl're un souper du cri'i, auquel j'echappe grace a la precaution (juej'ai prise d'emporter un lunch-basket. C'est decidement un meuble bien utile en voyage. A TUAVERS LES ETATS-UNIS DAMERIQUE A La Mobile, jedeicends a Battle-House : onpourraitcroire que c'est riiotel de la bataille. Erreur, ce nom belliqueux est celui du proprietaire. On y vit pour 2 S, 2 $ 1/2 ou 3 i^, suivant la position de la chambre. J'ai pave 1 S '^J pour une uuit et deux repas, avec demi-bonteiile de vin, ce qui n'est pas cher. Je pcnse que j'avaisete classe dans la categoric des gens 3 2$. La Mobile est une petite ville de 35 000 habitants, situee a rcmbourluire de la Mobile River, laquelle est formee par la reunion de I'Alabama et de la Tombigbee River. La riviere ne tire ([tie 12 piedsd'eau,mais la ville est a 30 milles de la bale qui a 32 pieds d'cau a la maree basse. En France on aurait fait avec cela uii port splcndide : ici on ne fait ricn. Manque de capitaux! Aussi La Mobile, qui expediait, avant le cliemin de fer qui la relie a La Nouvelle-0rl(5ans, 800 000 balles de coton, en expedie aujourd'hui 360 000 (une balle pese 400 livres de France). La degringolade s'accentue et les proprietes baissent d'une fafon eflfroyable, dans les proportions de 70 a 80 O/q. La ville est bien batie, a angles droits commc toutcs les villes neuves. Le quarlier des atFaires est en briques et pierres , le quartier des r(5sidences en bois. Ce sont ces residences qui sont aujourdluii dim bon marcheincroyable. La Nouvelle-Orleans enleve tout le trafic de La Mobile et les colons de TAlabama traversent la ville sans .s'y arreter. II ya dcuxraisons a cela : la premiere, c'est que les grands centres attirent toujours les grandes aff;iires ; la scconde, c'est que lescotons parfant de La Nouvelle sont expedies comme colons Louisiane, c'cst-a-dire avec une prime de 30 cents environ par 100 livres ou de 1 !§! 3o par balle surles cotons Alabnnia. Je fais la connaissance du Vice-Consul de France, Monsieur Pollicliody, lequel est Suisse et etabli a La Mobile depuis pres de 30 ans. C'est un gros homme fort rejoui et furt aimalile, (jui deplore les temps (jui ne sont plus, ceux ou les commissions etaientde 300 et oil Ton gagnaiten 'tmoislSOOO Jlj; (pi'on allait manger en Europe pendant lerestedu temps. Ici I'argcnt n'aqu'un prix relatif. J'ai dejeune il y a huit jours avec M"* et son pere, au restaurant du Pelican, clicz M""" Ugene, la premiere cuisine de New-Orleans. Notre dejeuner a trois m'a coiite 17 piastres (87 fr. 55). Un dejeuner fort simple : filets de truite sauce tartarc, filet Perigucux avec tres LA .nulvelli:-ouli:a.ns peu de [I'ull'es, cepes a la bordelaise, becassiiiesa la sauce, IVomage el cafe; Cli iblis ordinaire, Giiambertin et LafliUe. 11 est diflicile de faire iiiaiiis[)Oar uii dejeuner prive. .("ai ess;iye,d"apres mes connaissances Parisiciines , de recoiislitiier la iiute qui se presente sous la forme de Je n'ai jamais pu en venir a bout, et certaiiiement M""' Ugeue eut Irouve tres inaiivais que je demaiidasse des explications, ce (pie du reste je mc suis garde de faire. Le 2't an soir je pars deLa Mobile avec deux hcures de retard ; c'esl one compensation a I'arrivee tardive d'liici'. Illait iiii temps snperbe : je m'inslalle sur la plate-forme dn car, et je retraversc mes bales, en ayant pear de tom- ber dedans et en me recitant lesiJrientales : La luucelail scrciiicel joiiait siir Ics (lols! La Tenuti-e eiiHii libi-e est om erie a la brise ! La sullane regardo, et la mer fjiii se brise D'un loDK rcscaii iraii::eiil boido Ics iioirs iIo!sI J'arriNc a llheures; je vais souper an (^lub, apres avoir decline I'otfre fallacieuse de manger en route , et je rentre faire mes preparatifs pour unc excursion dans le Texas. iKj Fecricr. — .\ Imit lienres du matin je quitte la rive gauche du Missis- sipi, a bord du Morgan's Ferry qui, en un quart d'heure, me transporte sur la rive droite. La je prcnds le Morgan's Louisiana and Texas Railroad ([iii, en trois heures, franchit les 80 milles qui separent La Nouvelle-Urleans de .Mor- gan City. M. Morgan , (jui est i'uni(pie proprietaire de cette ligne et de la llotte de vupeurs (jui relic Morgan City a Galveston, vaut environ ^'i millioMS de dollars, cliitFre assez respectable jiour un Ijomme seul. L5 ^2i(; A ri;Avi:iis uis iVfai's-lnis damehuji'i-: Dc La Nouvellc a Morgan City Ic pays est d'unc merveillnusc ri- chesse ; c'cst la vraio Louisiaac avcc los plantations de Cannes a siicre, les champs de coton, les cyprieres, marais oi'i poussent en (inantite in- deflnie les taillis doiit les i^uis alinientent les usines a sucre et oi'i grouillent les serpents a sonnettes. Toute cette cote est jihis basse (pio le ilenve, dont elle est protegee par des jetees, ce qui entrctient riiumidite et la fertilite. Elle est d'ailleurs ari'osec par des Baiious, sorte de canaux <[ui vonl du tlcnve a la mer et (jui ont I'iinportance de veritables rivieres. Cliaque plantation a sa sucreric, systeme qui me parait vicienx, mais dont j'ai dit plus liaut les raisons. A cote de la sucreric est I liajji- tation, et autour eta distance se groupent les cases a negres, fpi'lia- bitaient jadis les esclaves , et oil sont etablis aujourd'hui les travailleurs librcs. Quelques-unes de ces usines ont une tres grande inqiortaiice et leur materiel est evalue a 200 000 $. A niidi on arrive a Morgan (]ity et IHn passe du elieniiu de I'cr dans le bateau de Galveston. Ces bateaux, ipii metlent 21 heuies puur faire 23.'j niilles, sont fort jieu conl'ortables : les caljiiies y sont pe- tites et les lits perpendiculaircs a I'axe du Ijateau, de sorte (|U(' Ton ne perd pas un degre ile ro'dis. Or (ialveston n'ayant que 12 pieds d'eau sur la barre, les bateaux ne calent pas plus de neu!' a dix pieds et par suite roulent beauconp. En raison de cette instabilite ma vie a bonl est tres retiree. Assis a I'arriere, j'admire le paysage, laut que le bateau, naviguant dans lo chenal ou a I'abri de la c(Me, est preserve contre le roulis, en son- geant aux rJ'volutions de I'avenir, et des que ledilice sebranle, je me rJfugie dans ma cabine el j'ad(q>te la position horizontale. Grace a elle et a une dietc severe, tout se passe correctement, et le lendemain a neu! lieures j'arrive a Galveslon sans aucune notion des accidents exterieurs de la route. Galveston, qui est sitLiee dans I'ile de ee noni, est une jolie petite vilie de 30 a 10 mille habitants, la plus importante du Texas. I.e piirt est grand el sur, et si la passe avail 2.j ou 30 pieds, il aurait une importance considerable, etant, avec La .N'ouvelle-Orleans, le seul port LE TEXAS 2i" de la cote Siid. Un chemiu do for, qui doit s'ouvrir procliainement eiitro Houston et La Nouvelle, luodifiera proljablcment les destinoes de Galveston et Iiii fera perdre uiie grande partie de sou importance : cest sans doute [lourquoi on iie se soucie pas d'ameliorer Ic port, ce qui ne pourrait du reste se I'aire qu'avec le concours du Gouverne- ment Federal. Le quartier des affaires est en pierres et bricjues , et les residences sont en bois. Malgre la nature sablonneuse du sol, les arbres y viennent bien, au nioins certaines essences, et il y a de fort beaux rosters deja en fleurs. Un etablissement nomme Garden-Vercin est ouvert chaque soir a la boinie societe de la ville, qui y soupe, et y danse aux sons d'un orchestre plus que mediocre. Dans le jour le jardin est ouvert aux enfants, qui y trouvent toutes especes de jeux et d'instruments de gymnastique. Les rues sont larges, bien percees et coupees a angle droit. Sauf dans les rues d'affaires, le seul pavage est le sable : par suite de la situa- tion de la ville on aboutit toujours a la mer. La plage est admirable , tres favorable aux bains et aux promenades en voiturc et a cheval. Chaque apres-midi les amazones et les conducteurs de boggys s'y donnent rendez-vous, et chaque soir d'ete toute la population de Galves- ton vient se delasser par un bain des fatigues et de la chaleur du jour. La ville a un Fire-department, niais pas d'eau. II y a G compagnies de pompiers avec pompes a vapeur et deux compagnies d'echelles. Dans le voisinage du port Teau ne manque pas; mais ailleurs il n'y a d'autre alimentation cpie les citernes, aussi bien pour les usages domestiques que pour le feu, et, a ce dernier point de vue, elles sont tres insutfisantes. On pourrait facileinent, a I'aide de puits, ereer un service d'eau salee pour les incendies et la proprete de la ville ; mais les Galvcstoiiiens sont plus ambitieux : ils veulent en outre de I'eau potable; aussi se proposciit-ils de- puis quinze ans d'emprunter la sonde gouvernementale des Etats-Unis, qui leur permctlra de forer un puits artesien jusqu'a deux niille cinq cents pieds pour atleiudre une iiaj)i)e d'eau douce. Mais le mieux est I'euncmi du bien, et il est prol sable ((iie dans ijuiuze ans ils ne seronl pas plus avances qu'aujourd'liui. 228 A TUAVKKS LVS iVrVTS-lMS nAMKHKjL'E II \ a a Galveston deux hotels, Treinont-House siir le plan Americain, dont il taut se garder, et GirardinHouse aiissi sur le plan Americain, mais tenu par des Alsaciens refugies, ct ou, avec des chambres suffisam- mcnt confortables, on trouve une excellente cuisine Franfaise et dc tres bons vins a des prix relativement nioderes. J'ai mange la des clia- tcaubriants aux pommes, comme sur le boulevard, et du gras-double a la Lyonnaise, comme dans la rue de la Cliarite dans ma nol)le patrie. Les affaires d'assurances sont actives et considerables. Trente-sept compaguios sont representees dans cctle petite viile, les unes se bornaut aux affaires locales, les autres rayonnant sur le Texas. Mon organisa- tion est facile, et cntre deux excellents candidats a conditions moderees, je n'ai que I'embarras du choix. 27 Fcvrier. — Depart pour Houston, situe a 30 miUes auXord de Galveston et pour San-Antonio ii 218 milles a I'Ouest de Houston. Gelte derniere ville est fort petite, fjuoique ayant une certaine importance commerciale. Pour alter d'Houston a San-Antonio, on traverse un pays tantot uni, tantot boise. On y fait du cuton el de I'elevage sur une grande echelle. Toutcl'ois cette derniere Industrie se pratiipie surtout dans I'Ouest du Texas et sur les rives du Rio- Graudc qui le separe du Mexique. II y a la, parait-ii, des palurages immenses (pii ue sont a personne et que le Gouvernemcnt loue a des eleveurs inoyeu- nant le paiement d'une taxc fort modi(iue qui leur en assure la jouissance exclusive. Ony tMevo des chcvaux,des bo3ufs, ctdes moutonsau point de vue de lexploitation de la laine. Tout cela vit, pature et se reproduil en liberie sous la garde plus ou moins vigilante des vaqueros (bergers). L'elevage des clievauxn'esl pas tres protitablc, piu'Ce qu'il eu est beaucoiip (le voles par les Mexieains et les ludiens. IJiea que le vol des chevaux soil |iuiii (le morl et (pie lout voleur pris sur le fait soil iminediatement pendu sans autre forme de proces, on calcule ipie le vol est a pen pres egal a la repro- duction. Ounnt aux bceufs etaux inoutons, ils donnenl de magnifiques r(jsul- tats, leur elevage n'entrainantprescpie aucuns I'rais. Un seuleleveur,M. King, surnomme King of Cattle (roi du belail), possede 17o 030 tt^-tesde gros betail. La valeur d'uii bucuf gras a Galveston est de 13 $. En atlribuanl aux sujets de .M. King une valeur moyenne de 10 !$, cela represente un capital ruminant LE TEXAS 2-2i) de 1 750 000 $, soil environ 9 000 000 de francs. Les boeufs, ([uand ils sont convenablement engraisses, sont expedies par bandes de quatre ou cinq mille sur les abattoirs de Saint-Louis et de Chicago. lis remontent le long du Mississipi sous la conduite de bergers, piturant dans les terres publiques et raettant en\ iron quatre niois a faire le voyage. A Chicago ils sont abattus et empaquetes, ou parfois mis en chemin de fer et expedies sur New-York d'oii ils partent pour I'Europe a I'elat vivant. Ce- pendaiit pour ces expeditions on prefere les bceufs de I'Ouest, qui arrivenl directement en clieinin de fer, et qui I'tant moins fatigues sont plus a inrme de supporter la traversee. Le voyage du Texas au Nonl devicnt^, plus unmanie- rnent de fonds de trois ou quatre millions de piastres. Or dans un pays on Ion pn'le de I'argent sur premiere hypotheque a 8, 10, 12 00, il n'est ])iis indiHerent d'avoir trois ou qualre millions de piastres a manier. II a construil deswaler-works (chateau-d'eau), qui lui ont coute iOOOO i^, et pour I'usage desquels la ville lui paie 10 000 )|^ par an pendant 25 ans, sans compter fiOO clients particuliers qui lui paient chacun GO piastres. Enlin il a une fabrique de glace par le systeme Carre, qui rapporte aussi environ lo 000 i^, desorte qu'il encaisse en moyenne trois a ([uatre cent millc francs par an. Par dessus le marclie il se moque du pnl)iic, et deselecteurs (pii Tout nomme tresorier. Par son intermediaire je faisla connaissanced'un jeune et aimableFran^ais, le comte de Ker.... Ce jeune liomme, (|ui a 2(3 ans, a fait a 10 ans 1/2 la guerre comme zouave de Charette. Par parenthese, il me raconte que dans les diners que ces Messieurs faisaient ii Kennes, on portait invariablement la sante du Roi. Et on dit que la Republique n'est pas bonne fdle ! Apres la guerre il entra a Saint Cyr, juis a Saunnu', piiisau 3" Regiment de chasseurs d'Afri([ne (pi'll quitta au bout de 4 ou uans apres de noml)reux duels et beaucoup de dettes. Sa familli' le pourviit d'un couscil judiciaire et I'envoya dans le Texas oi'i il habitc depuis un an et demi San-Antonio. II s'est lie avec les ofticiers du depot federal et va avec eux faire des reconnaissances et des razzias en terri- toire Indien. G'est un cliarmant compagnon et un gai causeur, tres expansif en ce qui concerne le canir. II me fait les lionneurs de San-Aiiloiiio et des alcntours. Apres avoir decline les services d'un coclier qui nous demande six piastres pour aller a La Mission, nous louons pour 2 et deinie un iioggy a la journee el nous nous promrnons a iiotre aisr pendant six henres. Le Champ t\i' !.!•: TKXAS 231 courses, la Mission de la Visitation, le Depot, les Water- Works et la Cathedrale, dont la porte est assez curieuse et I'interieur sans chaises ni bancs, a la mode Espagnolc, sont dii reste tout ce qu'il y a a voir. Ell passant sur la place de la cathedrale, Ker... me montre sur les colonnes des eraflures de balles. Ce soot les traces d'un combat singu- lier, que ([uatre jours avant deux particuliers, embusques derriere deux colonnes, s etaient livres a coups de revolver. La lutte avait dure environ 20 minutes et avait cesse I'aute de cartouches, I'un ayant una balle dans le bras, et I'autre une oreille a moitie coupee. Quelques temps auparavant un autre individu entrant dans le Bar avait trou- ve plaisant de decharger a distance les quatre ou cinq coups de son revolver sur les goulots des bouteillcs alignees derriere le Bar-Keeper (mastroquet) qui, au premier coup, avait prudemment pris retraite sous le comptoir. Ni dans Tun ni dans Tautre cas la police n'avait rion dit. Ces fails sont, parait-il, fort rares a San- Antonio; mais dans I'Ouest- Tevas ils se renouvellent a cliaque instant, et tout le monde y marche arme ouvertement, car le port des armes cachees est prohibe. Le soir theatre Anglais et promenade nocturne. Grace a la pre- voyance de I'administration municipale, San-Antonio possrde deux tres beaux etablissements ou moyennant S ^ on pent donner cours aux ecarts de son imagination dereglee. II faut y ajouter la bouteille de Cham- pagne obligatoire. D'autres asiles plus discrets et moins publics ouvrent dans la journee leurs portes aux gens qui eprouvent le besoin d'echan- ger leurs idees sur leur constitution reciproque; ils sont tres frequentes, dit Ker..., par les dames de San-Antonio. Enfiii, toiijours d'apres lui, presque toutes les demoiselles s'initient volontiers par avance a la pra- tique de la vie conjugale, desirant savoir a quoi s"eii tenir avant de s'engager. II resulte de tout cela que les celihataires sont assez heureux, et il ne parait pas que les maris, qui passent une partie de leur vie sur leurs ranchos a 150 ou 200 milles dans I'Ouest, se plaignent de eel etat de choses. 11 y a deux mois avaient eu lieu les elections du comte, ou le man- dat de L*" comme tresorier devait etre renouvele. Des le matin, des processions parcouraient la \ille avec des musiques -Di A Ti{AVi:US Li;S KTATS-L.MS 1) AMl'lHIIjUR fl lie itraniles Ijiiiinit'i-i'S au iiom des concurrents. L'" s'etait, en s'y pre- nant (i'avaiice ot on payant fort chcr, assurti dc toutes les voitures a louer do la villc, tic sortc (pic la procession constitutje par rclcmcnt Francais, Espagnol ct Irlandais, etait beaucoiip |)ln3 loncfuc que ccllc de son CDiicurrcnt qui clait portc par Ic ]»ai'li Allcmand. D'un comuiuu ac- cord Ics |]artisans dc celui-ci avaicnt o:"cupy la fjauclic dc la portc du poll ct ccn\ dc L" la droitc. L':'s premiers avaicnt u;i baril de wiiisky , Ics autres un baril deau-da-vic sur lerjuel Kcr... s'etait installe en permanence, ct c'ctait une joie pour ce fds des preux dc rcm|)lir, a liMitrt'c ct a la sortie, les verres de ces citoycns dc la librc Ameri(iuc ijui prali(pi:iicnt le principe de I'electeur de I'onclc Sam : « la prcuvc (pic jc suis libre d'us;'r dc inon droit dc vote, c"cst(pie jc le vends I n Au milieu de la journec L'*' avail deja la nr.ijoritc ; un nouNcau tonneau fid alors mis en pcrcc ct, aprcs avoir use dc leur droit dc vote, les librcs elcctenrs userent de Iciir droit de boire jus pTa cc ipi'ils fussent souls comnie dcs pores. Oil! irinsultez jamuis un pocliarJ nuaiid il lomlje ; Qui sail sous ((uel fardeau soa esloniac succombe ? Qui sail combien ile lirocs de vin :i quatre sous Ont passi!' sur la table avant fpi'il fut dossous"? Lc Icndcmain Kcr... et nioi nous nous quitlons les mcil'eurs cama- rades du nioude, apn'vs nous t'[rc ilonne rciiile/-vous a Xcw-Vork d'a- bord, ct a Paris cnsuite ; puis je rcntrc a (lalveston ct dc la a La \ou- velle, sans autre incident (prun soupfon de mal de mer. 4 Mars. — Jour de la fete dcs pompiers qui proiiienent Iciirs pompes et qui s'arrosciit cnsuite convcnablcmcnt lc j^osier. Les pompiers ilc La Nouvclle sont un corps dc volontaires cnlreteiiii et siipporle [lar la ville et les compag'uics d'assuraiiccs. lis out un fort beau materiel ct soul fort ztiles, laais sans aiiciine discipline, lis ciuistitiieiit en outre uiic veri- table puissance politique, ct ticnnent toutes les fonclions cntre Icurs mains. Tout liommc (pii vent arriver au pouvoir doit avoir cti' pompier et rcster pompier lioiioraire. Les compai^iiies d'assiiranccs ]iri''fercraiciit inii- LA COTR D1-: 1;EST 233 niment iiii coi'ps paye et enreyimente comiiie cekii de Now- York ; mais il est tres diflicile de touchei' a cette institution, qui ferait une emeute si on la dissolvait. 6 Mars. — Dine au club avcc six de ses membres quo j'iuv ito avaiit niou depart : fort bieu dine pour 20 j^ avec de tres Iwns vins. Apres diner ces messieurs entamcnt une partie de porker, sorto de bouiliotte a iaquelle on pord faeiiement 300 ou 400 i^. Je suis beureu\ de pretexter de mon ignorance pour ne pas prendre part a cette petite lete. 7 Mars. — Lunelle cliez le vicomte d'Ai)zac, Consul de France, qui vienl d'etre decore et qui a convoque un certain nombre de ses amis. Nous sommes invites pour 1 lieure ; on se met a table a 2 lioures et de- mie, ce qui est une mauvaise plaisanterie. Le lunch est lorl abondant et Ion Ijien servi. II est bien facheux pie je s idees d'un enfant de huit ans. Ce quil a de plus spirituel c'est sa femme, qui est une jolie Creole avec des cheveux chatains et des yeux noirs, et qui lui a apporte pas mal d'argent. Si du B'" n'avait pas demande mon agence, et si son drame n'etait pas une epee de Damocles toujours suspendue sur la tete de ses convives : Im- miiiet, impendet, inslat ! comme dit le vieux Lliomond dans la syntaxe ou la metliode, il serait parfait et la case serait frequentable. 10-13 Mars. — Jeudi 10 depart pour La Mobile et de la pour New-York, ou je vaisme rendreen visitant toute la cote de I'Est, ce qui m'est tres agreable. Apres une demi-journee passt'se a La Mobile, je pars pour Atlanta oil j 'arrive le saraedi matin, juste a temps pour voir tomber une phiie eponvantable et pour visiter un candidat auquel j'ai toutes les peines du monde a echapper. Ces gens la sont gluants. Quand ils vous ont raconte leurs affaires, et dit ce qu'on veut savoir, ils ne vous lachent pas , vous suivent partout , sous pre- texte de vous promener, et veulent absolument vous presenter a des gens dont vous n'avcz que faire, et (pii n'ont d'autre occupation quo de vous repeter les louanges du candidal qui vous a mene chez eux. II est vrai que, par contre, vos habitudes Fratigaises d'eau lienite de cour n'oni ici aucune 230 \ TliWERS LES E'rATS-rXIS D'AMKlilurE utilite, et quanil vous avez assez d'un monsieur, qu'il soit cliez vous ou chez lui,vous vous levez avec cette simple plirase : Excuse me, i am busij (Excusez- moi, j'ai affaire). Apres quoi vous ne remettez pas votrc chapeau, puisipie vous ne I'avez pas ote, ct vous vous en allcz.ou il s'eu va, siiivant le cas, sans plus (le eei'emonie. 14 Mars. — Je pars d'Atlanta le 13 a 3 lieures du soir, pour arriver a Savan- nali a 7 lieures du matin. Atlanta, qui est la eapitale de la Georgie, nem'est que fort imparfaitemeiit connue. C'est une ville de 35 000 ames, qui grandit tons les jours et qui pretend au role de Metropoie du Sud. Je sais qu'elle a un bon service de leu et une abondante provision d'eau. Du reste les pluies paraissent devoir y suppleer. L'H(Mel Kinball-House est aussi mauvais que tous les liolols Araericains : sa seule qualite est d'etre a deux pas du dep(jt , ee qui est precieux quaud 11 p'eut a verse. D'Atlanta a Savannali on traverse a pen pres toute la Georgie: une diffe- rence notable cxiste entre cet etat et TAlaljama que je viens de (piitter. La po- pulation est plus dense, les villes sont plus serrees, les stations out une cer- taine importance, tandis que dans I'Alabama et le Mississipi on lait 100 ou 130 milles de cliemin de fer sans trouver une seule ville. D'un autre cote les defrichements sont plus nombreux et plus etendus : on sent qu'on se rapproclie du Nord ct de la riclic et laborieuse Yirginie. Les sleeping-cars sur ces lignes sont moins luxueux quesur cclles du Nord, mais plus agreables. Les litsnesont pas superposes, de sorte ([u'au lieu d'a voir au-dessusde sa tete une planche plus ou uioiussculptee, on jouit d'une cabine d'ime certaine bauteur. En revancbe on est rudement secoue, et les Ingenieurs du (;iiemin de fer du Miili qui sont, comrae cliacun sait, les premiers de France, feraient bien de venir unpen niveler la voie. ■\ Savannab je descends a Serieven-House et je commence par poser trois lieures, pour attendre un monsieur qui m'embete depuisluiit mois, auquelj'ai donne rendez-vous par telegramme, et qui ne se presse pas de venir. Cela me met de fort mauvaise bumeur et je le reeois comme un cbien dans un jeu de (piilles! Par dessus le marcbe il est sounl, ce qui redouble ma joie ! Gepen- dant, comme les affaires ne se font pas avec des nerfs, j(^ me calme et nous linissons par nous eiilendre. LA CdTK DK LEST 2:J7 A partir de ce moment il ne me lache plus; M. F*", c'est son nom, me pro- mene en boggy dans toute la ville, qui est fortjolie : tousles deux blocks il y a un petit square, ce qui donne a la cite beaucoup de verdure et de fraiclieur. La Savannah River (jui en lorrae le port est fort aniniee, aiiisi (juu les entre- pots el les ([iiais, bien que le grand niouvemsnt des colons commence a se calmer. La ville vient, pour le cotoii, inimiidiatement apres La Noiivelie- Orleans; elle emet lesperance non fondee de la depasscr : elle a encore pour cela du chemin a (aire. M. F"' me presente a son frere, honorable avocat ipii vient de gagner 10 000 § d'honoraires dans une seulcaifaire (augmentez vosprix, 6 Ribot I), puis a sa belle soeur qui estgracieuse comme une porte de prison. On m'abreuve de Champagne du pays qui est detestable, etdignoen tous points de lepitliete de coco epileptique, si joliraent inventee par Miirgcr. Apres quoi il faut passer de VOId /ircnidti a VOld Whlshfj, malgre toutes mes protestations. Get avocat est un iioniuie aimal)le, letlro, connaissant notre litler.iture et notre liistoire, et professanl a u i liaut dcgre cette admiration stu])idr ([ue jai rencontree deja en Ami5ri(iue pour Napoleon I"\ Je dine a I'liotel avec F*** et M. Ernest Willis , uii creole Louisianais, qui fiit ici du chemin de fer et du journalisinc. Apres diner nouvelle promenade e.i voiture : nous allons prendre M™ F'" ; c'est parfait , mais il y a une petite tille qui vcut vcnir etamener son amie. Comme elle pleure, on Tcmmene pour la faire taire, et il en resulte que nous nous einpilons six dans une voiture pourquatre; il en resulte aussiulterieurement (jueje re^oisdes coups de jiieds tout le tenq)s. Les enl'aTits Americains sont decidement delicieux. Je cause tant bien ([ue mal avec M™= F"* qui comprend le Fiancais, mais ne le parle pas. C'est une ardente catholique, fort liee avec son eveque, ce qui m'explique la protection dont notre truslee M. Eug. Kelly entoure son mari , lequel pourtant est protcstant. Tom les catholiques sc tiennent ici, et ils appartiennent tous a I'Eglisc militante. Cette jeune devote de 128 ans a les levres minces, les yeux cernes, le sourire lascif, et doit aimer qu'on lui raconte des faceties gauloises. Elle me reproche de n'etre pas marie, et je lui explique qu'il est dans les desseins de la Providence qu'un certain nombre de celibataircs subsistent dans le moude pour la consolation des femmes malheureuses. Et comme elle trouM- mes doctrines scaiiiluieiiscs, je lui i:!S A riiAVI'JiS LES ETATS I'MS D'AMEIUULE rappelk' que Ic Christ ;i dit <|u'il est necessaire qu'il y ait des scandalesdans k' monde, d'oii je coiiclus que Ton doit de la reconnaissance et dcsegards a ceux qui se devouont pour laire arriver des scandales ! Cettc doctrine demanderait, pour en tirer toutes les consequences, plus de temps que je n'en ai ; nous revenons a la contemplation de la nature et des beaux chenes qui ombragent le cimetiere de Saint-Bonaventure dans lequel nous nous trouvons. Pendant ce temps, F*" fume philosopliiquement son cigare : il parait qu'il neglige sa femme, ([ui Ic luirend : cependant il en est tort jaloux, et a un jour envoye une balle a un monsieur (jui etail uu ancien soupirant de sa femme, avant le mariage, et qu'il a trouve cliez lui apres lui avoir de- fendu de s'y presenter. A luiit lieures cette petite fete se termine. Nous reconduisons M'"'=F'"', et je laclie un peu lestement lemari pour rentrer a riicMel prendre une tassc de the et partir pour Charleston. 13-16 Mars. — J'arrive a Gharlestona 7 lieures du matin, apres une nuii de sleeping. En arrivant a Tliotel, je vois une excursion affichee pour : « Draylun- Hiill el magnolia garden ». En avant pour Texcursion. A dix lieures, apres un dejeuner sommaire et mauvais (je n"ai pas pu obtenir du i)ain froid !}, je prends place sur un steamer et nous remontons la Charleston River. Les excur- sionnistes sontpeu nombreux: deux jeunes filles qui ont oublie d'etre jolies, cinq ou six gentlemen et une dizaine de dames dont la plupart sont dc vicux trumeaux descendus de leurs cadres, vrais types d'Americaines, (}ui ne (luittent ieurs gants que pour se laver les mains, et qui vont a la campagne avec des robes dc A'elours ou de sole noire passementees de jais. Rien de puant comme ces vieilles descendantes de Puritaines, qui s'imaginent avoir des ancetres parce (pi'elles out (•in(juante ans et ipie leur arriere grand-pero fabriquaitdes bottes en Angletcrre sous Jacques II : ce (jui n'empeclie pas que (juand elles sont jeunes, elles apportent volontiers douze ou quinze cent mille dollars a I'Europeen decati qui les fait marquises ou comtesses. Les bords de la riviere de Charleston sont charmants, boises jusqu'a I'eaUj coupes fa ct la de champs cultives, assez peu nombreux il est vrai, parce que la nature du terrain qui est sablonneux se pretc peu a la culture. De tenqis en temps une maison apparait dans la verdure, c'est une residence en bois, comine toujours, avec ses deux etages, son rez-de-chaussee sureleve, sa veranda el LA on'E 1)1-: LEST ^2.'!!) ses balcoiis; la demeiire sans douto uii riclie nef;ociant de Cliarlestoii (jui va le matin a sus affaires et revient le soir dans son boggy. Uoe pelouse s'etend (levant la maison el vient jusqu'a la riviere, oil est attache a nn embarcadere iin petit bateau a voile triangulairc on carree, ([ui permet de jouir de la pro- menade sur I'eau pendant les soirs d'ete. A midi nous arrivons a Drayton-Hall qui est tout simplement un magni- lique jardin. II y a des chenes splendides et des magnolias (pie celui de Bor- deaux ferait rire. Une magnifiqae collection d'althieas en fleurs, de jasmins jaunes et blancs et de roses de toutes especes constitue la partie florale. Le pare appartient a un clergyman qui y a sa residence priviie, soigneuse- ment lermtie aux visiteurs. Un est averti de cette circonstance jiar une afliche ([ui vous invite a faire comme vous voudriez que Ton fit eliez vous. La senle jouissance est done la promenade, que les gens precautionneux additionnent d'un goiiter sur ITierbe. Mais j"ai suppose que j'y trouverais la traditionnelle auberge qui seit a boire et a manger, loge a pied ! Grave erreur qui me eon- damne a avoir tres faim , la contemplation des magnolias et des clR'ues ne sulTisant pas a combler le vide laisstj par mon dejeuner. Au relour le capitaine, an lieu de rcntrer directement, fait aux vieiix trii- nicaux la galanterie d'un tour do baie, ce ([ui no satisfait pas mon app(jtit , jnais nous procure une tres belle vue de Gliarleston et de son port. Nous pas- sons devant la batterie qui defend Tentree de la passe et d'oii fat tirti, par ordre du gen(iral Beauregard, sur un navire le(l(jral ([ui voulait entrer, le pre- mier coup de canon (pii ful le signal de la guerre civile. Charleston fut le port favori des blocus ninners qui se ravitaillaieat et s'(3(iuipaient a Nassau, une des Bahama Anglaises, et forcaient les lignes federales, pour apporter aux conlederes des armes et de la poudre, et repartir bond(5s de colon. Ces expe- ditions etaient scabreuses, car oncoulailsansfaQon lescorsairesquandonpou- vait; maisil siifTisaitqu'une expijdition surdixr(3ussU, pour donner des profits convenables, et les Anglais, en gens prati([ues, basaienl leurs operations sur ce calcul. Le lendemain je visile Charleston, ce qui est bien vile fait parce ([u'il n'y a rien a y voir. Je commence a (Hre las des presses a colon el des water- works, et, comme toutes les viUes Americaines, Charleston est, au point de vue des monuments, d'une indigence absolue. J'y note cependant une ruinfe. C'est une 240 A lUAVKHS LKS ETATS-l.MS I) AMKUHjl K eylise ecroulee au miliuii de son ciiia'tiere, luiiis ju presume I'ort (jiie la cause ilr rei'TOuleinent est lui iuceiidie. L'liotelde Charleston est aussi niauvais(|uelesaulres. Aucuii des p._'rl'ectioii- mcnts inoderues. Decideineiit , ipiaiid on parle des hotels Aniericains el de leurhixe, il ne faut pas sortir de Xi'w-Yiirk. I'hiladelphie, Chicago, Sauit-Louis el San-Francisco. Partout ailleurs les chanijjres sont fort ordinaires et la nourriture detestable. II y a des exceptions commc Girardin-House a (Jalves- ton ; mais c'estlunicjue (pie j'aie rencontre et ils sont certainement fort rares. Encore dans les hotels ci-dessus le confortable est-il dans le logement ct les (lependances, car la nourriture est aussi niauvaise ([u'aillrurs. L'avantaye serieiix ([u'ils presenlent, c'est ipie, sanf a Saint-Louis, on n'estpas ohliye de nian;;er. IS M((rs. — Yinj;t-(piatre heures de clii'niiii defer separent Charleston de Richmond, eapitalc de la Virginie et, pendunl la guerre, capilale des Etats confederes. Ilichmond est situesur la .lames Hiverddnt les eaux jaunes et sales roulent dans Lin lit inal delini avec des allures de torrent. L'li canal de derivation fournit a la \ille une force niotrice precieuse ijui fait marcher de tres beaux mouliiis et di verses usiiies. Exchange-Hotel est comme les autres. Accomiiagiie tie ines agents, je visite la \ilie ([ui n"a de remariiualjle ipieson cimetiere. leipiel forniera un agrealile lieu de [ironienadeijuanil lesarhres senint j)ousses. La villi' est batie en amphi- theatre prcsquc entierement en pierres et briipies, et oltVe ca et la (piehpies beaux points de vue. Dans le cimetiere un moniimenl a ete eleve, comme partout, a la memoire des soldats tues pendant la guei'i'c. C'esl une pyramide quadrangulaire en pierres frustes sur lesquelles ser/ente une chaine brisee ; aucun cachet dailK'urs.Eii ville trois on ipiatre statues de grands homiTies Virgiiiiens : Washington, le general Jackson, le general Lee.... , puis leCapitole de toutes les capitales, lourd, mal eclaire et copie sur le inodele de celui tie Washington. I'J Miirs. — De Uiclimoiid a ^^ ashiiiglon il y a 1^1) iiiilles. En teinpj ordi- naire la distance se francliil en (piatre heures, et nous devrions elre ii AN as- hington \ers 10 heures du sjir. I'ar suit ■ d'un incident doiit je n'ai pu deter- miner la nature, ikius n'airixons ipra deux heures du matin. Pas d'omnibus, LA CUTE DE L'EST 211 pas de voitures ; trois ou ([uatro atfreux voyoux qui s"ottVent a porter iTioii sac ou mes sacs pour le modeste prix de un dollar. Sachant que IlnMel .Saiiit-Marc est a cole do la gare, jc decline leur oflTrc officieuse, et comnie I'lui (i'eux vcut s'emparer de force de mon bafj, je souligue mo:i refus d'uii grand coup de pied ijuelque part, cc qui I'ait rire les autrcs. Puis je me mets en route avec nies trois sacs. J'avise un l)rave policeman ([ui m'iiidi<[ue Tiiolel, environ cent pas, mais il pleut I'ernie el j'arrive mouille et crotle. II s'agit de reveiller le negre qui dort; apriVs p'usieurs coups de sonnolte, il arrive et comprend ;i grand'peine que j"ai besoin d'lnie chambre. Quant a lui demander quelque chose a manger, cotte idee ne me vient pas, je vcux con- server mon apparenco dliomme sense; heureusement que mon luncli-baskct n'est pas tout a fait vide : queltiues sandwichs, un morceau de fromage, un verre de boii vin el de I'oau glacee forment un souper passable, apres lequelje m'endors dans un i)on lit, le Corps et lame satisfaits. W-^2'2 Mars. —Visile Washington, qui off.'e en re^umi pen de choses rc- niarquaitles. l>a ville est large, aeree, grandemenl liatie avec beaucoup di place etd'air. Un certain nombrede squares lui donnent un aspect verdoyant des plus agreables. Les seules choses a y voir sont les monuments publics, le Gapitole, la Maison-Blanche, le Patent Oriicc , le Post Office et les Ministeres. J'ai consacre deux seances au Gapitole qui est, des Americains, la joie et I'orgueil. On en aura une idee assez exacte en se representant le Pantheon plante sur une eminence et flanque de deux ailes. Gest eaorme, mais aussi loLU-d et disgracieux iiue vaste. L'aile droite est consacree au Senat ; I'aile gauche a la Chambre des Deputes : la partie centrale, reliee a chacini des bas-cotes par de longs couloirs sombres, parait avoir pour fonction principiile de soutenir le dome el, accessoircment, de loger quelques bureaux. Dans la grande salle circulaire que le dome surmonte, on voit une serie de tableaux a Fhuile representant les ditterents episodes de I'histoire d'Amerique, depuis la decouvertc de I'Ameriquepar Colombet cclle du Mississipi parFer- nand de Soto en I.jOO, jusqu'a la rcddition du general Burgoyne, et a la convention signee cntrc lord Cornwallis el Washington en 1783. Celte salle ncmanijue pas de grandeur, bien (|ue le dome soil beaucoup Irop has en egard a ses dimensions. On e), que jc poiisse, etje me trouve dans la tribune publique, cote des hommes. Les places d'en bas, situees immediatement derriere les sieges des Deputes et de plcin pied, sont reservees aux auditeurs introduits par eux ou muiiii d'une permission. Mais tout le monde a libre acces dans les tribunes superieures, qui peuvent contenir 1200 a loOO personnes. AuSenat, c'est encore plus facile. Commeiln'ya pas seance lesamedi, toutes les portes sont ouvertes. Jepenetre dans la salle ou sont une dizainede curieux. Un jeuiie liaby, armj d'uu balai, occupe le fauteuil du president et paralt fortoccupe de le defendre contre deux jeunes camarades qui I'attaqucnt de droite et de gauche. Un Senateur, ou du moinsj'aime alecroire,lit un jour- nal dans son fauteuil et les pieds sur son pupitre. Les visiteurs regardent, les enfants crient, font du bruit et de la poussiere, tout se passe en famille et avec une simplicite republicaine. En dehors de la salle centralo, il n y a guere de remarquable ([ue les salles des seances. Toutes deux sont quadrangulaires et a plafond plat, coupe en LA COTE DE L'EST :243 caissons, servant a reclairage de la salle et a son aeration. Les pupitres sont disposes siir une aire horizontale, faisant face a I'estrade du President et du jjureau, a laquelle on accede par plusieurs marches. An dessous du bureau , faisant face a rassemblee, la table des steiiographes au nombre de douze, dont chacun ecrit pendant cinq minutes. Chaque merabre est proprietaire d'un pupitrc et d'un fauteuil tournant on bois canne. II parle de sa place et s'adresse au President ; il n'y a pas de tribune. Au centre de I'liemicycle est une collection d'etageres tournant sur pivot et contenant le recucil complet de toutes les elections legislatives. A cote do chaque etagere est un petit pupitre ot un tabouret; chaque membre peut aller consulter le volume sur place ou se le faire apporterpar un huissier. Derriere les fauteuils des membres, et separes seulement par un large couloir, sont des rangees d'autres fauteuils pour les auditeurs qu'ils introduisent. En haul, ainsi que je I'ai dit, les tribunes publiques. J'ai assiste a une stance de la Chambrc des Deputes ; il y en avait bien 40 dans la salle, dont pas un n ecoutait, pas meme le President. Un monsieur parlait tres haut, avec de grands eclats de voix et en frappant a grands coups de poing sur son pupitre: il devait s'agir de ladoclrine Monroe, ou du moinsje le sup- pose, car jo n'ai pas compris un mot de cc (ju'il disait. Eu un mot, seance d'affaires, c'est-a-dire s6ance insignifiante. J'esperais avoir I'occasion d'assister aquelque scene depugilatoua quel que echangede coups de revolver: j'ai ete degu, on n'a pas tous les jours do la chance! Le Capitole est symetrique par rapport a un plan diametral oriente du Sudan Nord.Les deux ailes ne different qu'en ce que I'aile droite, destinee au Senat, est infmiment plusluxueuse, comme peintures, bois et materiaux, que I'autre. Elle est edifiee en marbro et I'edifice tout cntier devait etrede cette matiere. Mais on n'a pas tardo a y renoncer, vu le prixdes materiaux et la difficulte de se les procurer, et le pavilion central, ainsi que I'ailo gauche, ontete cons- truits en pierres granitiqucs, cc qui n'a pas empeche la construction de durer quarante ans et de couter 233000 000 $, soit 1 2o0 a 1 300 millions de francs. Plusieurs generations d'architectes et do politiciens y out fait fortune, et encore, sous un prefexte ou sous un autre, y a-t-il couotammcnt des masons. Un des cotes caracteristiques du Capitole, c'est la quantite d'endroits que Ton y trouve, destines a manger et a boire. Outre deux restaurants serieux, IVk A TK.WKUS l.r.S KTATS-r.MS DAMKHIOUE pour rliacuiie des deux Chambres, ct deux hiiveltes, il y a, dans ditferents coins, trois ou qnatre bars etdes boutiques oil, avec la photograpliic du lieu et les portraits des grands hommes, ou vend des pommes au tas, des oranges, des bananes et des cigares. II y a conslamment des gens occupes a prendre des drinlis, et je suis bien sur (|ue i)!us d'uiie discussion politique doit secon- cilierpar la grace des gin, whisky, brandy, sherry ou madeire coktails ; la famille des coktails est innombrable et s'accroit tons les jours. Disons en passant, pour ceux tpie cela interesse, que le coktail se compose invariableinent d'uiic cuiUeree a cafe de hitler et d'une autre de cnracao dans lesijuelles on jette un IVagment de zeste de citron et ipie Ton arrose de I'un des alcools ci-dessus nommes dans la quantite dun ven-e a Bordeaux. Le tout est agite fortement avec de la glace et verse ensuite dans un vcrre nou- veau (jue Ton vous sert accompagne d'un autre vcrre d"eau glacee. Cela passe pour hygienique; en tout cas c'est agreable, et la preuve, c'est que certaines geus en prennent quarante ou ciiKpiante par jour. En sortantdu Capitole, je vais visiter le Patent Office. Get etahlissement, qui pourrait etre merveilleux, contieiit un modele en petit de tons les appareils breveles aux Etats-Unis depuisia loi slu' les l)revefs. II y en a des niilliers. et il est facile de comprendre que, le nombre s'accroissaiit eli;e|ue aniiee dans un espace restreint, la collection ne tarde pas a etre un fouillis. On ne voit done pas grand'chose en sepromenant autour des vitrines. Mais cc n'est un inconvenient que pour le curicux. Pour I'industriel interesse, il y a trois catalogues tres bien fails: Fun par date des brevets, I'autre par ordre alpliabitique des brevetes, I'autre par nature technologique des appareils. A I'aide de ces catalogues, que lout le nioude peut consulter, il est facile de trouver ce que Ion veut examiner, et, sur voire deniande, un prepose I'ex- trait de la vitriue et le depose sur une table ou vous pouvez Texarainer et I'etudier tout a voire aise sous sa surveillance ipii n'a rien d'excessif, ni de ge lant. II est toutefois aise de comprendre (|ue cette facon de proceder n'est jiis piati(iue pour un simple visiteur; aussi ce que j'ai trouve de plus joli au Patent Office, c'est la petite miss (jui vend des photographies et des bibelots, (.ette aimable enfant joint a sa gentillesse la qualite d'etre absolument coUante, (rcsl Vuijus loiU eiiliuic ;i sa proio allai-lit'O ! LA COTE I)E I;RST i'lfi Et il faut une veritable force d'ame, qiiand on a eu rimpriidence de lui adresser la parole, pour s'arracher dc ses mains, sans y laisser quelques plumes. Men stoicisme netarde pas a faiblir, et il men coiite 4 piastres pour lesquelles je re^ois certainement une piastre 1/4 dc marchandises variees ct tres inutiies. Au Ministere des finances rien de curieux, cxcepte Timprimerie de billets de l):in(iue donton pent se fuire une idee exacte en lisant I'article dc Maxime du Camp sur la Banque de France. La encore on est admis sans difficultes. En passant devant une porte grillee j'entends un grand bruit de macliines. Je demande a un gardien assis a la porte : « Est-ce que Ton ne peut pas visiter cela? — Certainement, monsieur! » Ilmefaitmettremonnomsurun registre, Sonne et me confie a un bonhomme qui me promene partout en mettant une complaisance inepuisable a me repeter ses explications que je ne comprcnds pas touJDurs de suite. Le seal conipartiment oi'i les visiteurs ne peuvent en- trerest celuiou les Green-b:ic\s regoivent le timbre rouge quileurdonneleur valciir circulante. Cette operation, executee pardes ouvriers de contiance, ne se voit ([u'a travers une grille. Un tres grand nombre de femmes sont em- ployees dans cet atelier ou le travail, exigeant du soin et peu de force, est parfaitement en rapport avec leur nature. II y en a de fort jolies et toutcs ont I'air gai et satisfait. On ne peut quitter Washington sans aller laire une visite a la Maison-Blanche, demeure du President Hayes. Cette maison se trouve etre un gros bloc fossile, batie de vive force a grands coups de mocllons, trapue, solide et carree sur sa base, situee au milieu d'un petit square sans tleurs et egayee seulement par une serre que Ton entrevoit sur la droite, et que Mme Hayes, qui, pai"ait-il, aime beaucoup les fleurs, entretient constamment deplantes rares. On circule librement dans le parcetdans la maison ; on visite librement aussi les salons de reception. Geux-ci se composent, ou du moins ce que Ton vous y laisse voir, d'un immense salon carre a quatre chcminees sur chacune desquelles setalent, en guise de pendules, des nymphes en bronze plus ou moins decoUe- tees. Au salon est annexee rantichambreetc'cst tout; C3 qui me fait supposer qu'il y a d'autres pieces non livreesau public. Les appartements personnels du President et de sa famille sont, dit-on, fort simples. Tout porte la, d'ailleurs,le cachet dc la simplicite. En dehors des 2'iG A TRAYEBS LRS ETATS-UXIS D'AMERIQUE nymphes precitees, les seuls ornements du grand salon sont deux portraits en pied et de grandeur naturelle de Washington et do sa femme, et un grand piano (jui, dit-on, ne s'ouvre jamais. Le President Rutherford Hayes a oO 000 $ d'appointoments, soit environ 2o9o00 fr. Sou Vice-President, (jui est le Presidentdu Senat, WilHam Whaler, a 8 000 !$ ; celui-ci n'a d'aiUeurs rieu it faire avec la presidence taut que le President n'est pas crapeche. La maison civile et militaire du President , y compris ses bureaux, coraprend sept employes recevant ensemble lo 900 $. Yoila ce que coiJte YExeculif! Avec ses 50 000$ le President vit et donne des fetes. Deux fois par hiver il invite, par la voie des journaux, le bon peuple a una soiree democratique. II n'y a pas d'autre invitation, etchacun, pourvu qu'il soit muni d'un habit noir, a le droit de se presenter, de serrer la main du patron, et de s'entendre dire : k How do you do, sir? » II peutmemc repondre: « Very well, thank you! » Mais, apres cola, il a epuiseson droit; il doit ceder la place a un autre et il ne peut plus ^.ue se promener dans les salons en long et en large. Les consommi, nr-, jmposent exclusivement de lair chaud qui circule dans les apparti: lents et qu'on peut remplacer, en allant dans le pare, par de Fair froid . L'eau glacee meme ne parait pas a ces solennites spartiates. Setant ainsi acquitte de ses devoirs envers son peuple, le President donna aussi chaque annee deux grandes soirees dites au corps diplom:iti(jue, aux- quelles sont nominativement convies, outre les diplomates, les ctrangers de distinction et les fonctionnaires d'un ordre tres eleve. On y entend d'excel- lento niLisiquo que M. Hayes aimo beaucoup, on y respire le parfuin de ses ileurs et un magnifique souper assis y est servi en permanence, toutefois sans autre boisson que du cafe, du th^ et de l'eau glacee. M. Hayes fait en effet par- tie d'une societe de tempjranca qui lui intcrdit de consomrnsr, ou de laisscr consommer sous son autorite, aucune boisson fermentee ; c'est meme la rai- son pour laquelle il y a des soirees et non des diners diplomatiques, cer- tains minislres etrangers, discretement consultes, ayant declare, parait-il, qu'ils declineraientcss invitations aquatiques,n'ayant aucun espoir de voir se renouveler le miracle des Nocos de Cana. LA COTi: DE LEST '-'w Cette raison n'existant pas vis-a-vis des Americains, le President donne plusieurs diners aux. fonctionnaircs superieurs des diverses administra- tions. Ces diners a c6remonie, ou ccpendant on ne boil que de I'eau, sont suivis de petites receptions ou un ccrcle d'intimes est adniis une fois pour toutes.On voitquc, question deJiquide a part, le President tient con venablement son rangavec ses 50 000 $ dans un pays oil tout est pluscher qu'en France, et il ne parait pas du tout qu'il inamiue de prestige. J-ai retrouveaWashingtoumoiiamiAristarchi-Bey, le miuistre de Turquie, qui esttres bien installs; il m'a offert un excellent dejeuner et m'a rappele les emotions de notre course a Yosemite-Valley, emotions dont 11 n'est pas encore remis. Toujours aimable et courtois, il m'a donne des renseignements tres utiles sur la fa^on de voir Washington et d'y vivre, et il m'a presente a notre minislre M. Max Outrey qui m'a fait un accueil diplomatique, c'est-a- dire tel que je pouvais le souhaiter dun monsieur (jue je voyais pour la premiere fois. M. Outrey a et6 ministre au Japon, d'ou il a rapporte de fort belles choses ; il vient de remporter un grand succes enobtenant que les Etats-Unis indem- niseraient nos citoyens 16ses pendant la guerre de la secessioi' en (^change des indemnites que la France aura donn(5es ou donnv • ijets Americains leses park guerre Franco-Allemandc ou la Commune. Or, fr'omme notre part du traite est deja executee,les indemnites ayant et6 accordees sans distinction aux Francais et aux Etrangers, c'est un tres bon resultat que d'avoir obtenu un equivalent qui ne nous coiitera rien ou presque ricn. Washington n'offre guere autre chose de remarquable que ce dont j'ai parle. Le Post Oflice n'est point superieur acelui de New-York ; les Ministeres ne sont pas plus remarquables que ceux de Paris qui ne le sont guere. A I'extremite de la ville, ou plutot dans une autre viUe qui se relie a Washing- ton sans discontinuite, Georgetown, est I'Universite de Golombie, qui sera un beau monument quand il sera termine. Pour le moment, ce n'est qu'une fagade en pierres frustes, plaquee sur des constructions provisoires appelees a disparaitre, et qui produisent un singulier effet quand on fait le tour de Tediiice. On vit facilement et assez bien a Washington quoique assez cher. Une chambre suffisante pour uu voyageur coute 1 $ par jour: il y a un fort bon 248 A Tii.VVEiJS LES RTATS-r.MS DAMHRfOUE r>?st;uiraiil Eranriis ihuis Philadclplite Avenue entrc lo''' et IG^"', la iiuiisoii Doi'ee, oil Ton est servi dans le style Fran^ais et oi'i la cuisine est passahk-. Un i'C{3as simple niais comenable y coute de 7 a 10 IV., sansle vin. Celui-ei ii'est pas nuuivais, mais assez cher. En sommi' on y dt5p;?nse, po;i;' uounitiire et logement, de 25 a 30 fr. par jour. II est tonta fait seandaleux de quitter Washington sans aller I'aire un [lele- rinage a Mount Vernon oil est la maisou de Washington , religieu5eme:it con- servee telle ipt'elle etaitii sa mort, et oil se trouveaussi son toniheau ; c'estee- p^ndant ce ([iie je I'ais: j'avais reierve inou dimanche pour cette promenade, qui se fait en vapenr sur le Potomac, ce lluhiconde la guerre de la secession ; mais le vapeur ne marclie pas le dimanche et je nu veu\ [)as pei'dre un jour. J(^ renonce par suite ii admirer, [lOur cette fois, le tombeau et le berceau du grand homrae, et le lundi 22 mars je pars jioiir Baltimore qui est ii ime hcure et deniie de Wasliington. 2^2 Mars. — Cette capitale du Maryland, situee au i'ondde la ba'e de la (Che- sapeake, est une des villes les plus elegantes et les plus intelligentes de TUnion. Sterile en monuments, elle renferme une societe eclairee et polie, (lii Ton aimeles arts et la littrrature. Les I'emmes y parlent en general hien le Franvais, et sont firres de le monlrer (piand Toccasion s'en presente, II y a un theatre fort suivi oil j'ai eiUendu une operette boulfe de Sullivan ; et il y a un cercle oil des troupes d'amateurs jotient une f(jis par mois sur un Ih'atrede societe, soil nn petit opera, soit nnc coinediede salon, en Anglais on en FraiH^ais. On y a represente : Le Caprice, II faitt ijiCune porte soil nnverle on fermre, Le Villa;/e, Le Uteveu I'laiie. Mon agent, M. Cole, ([ui medonneces detads, est vice-iiresideut du cercle et General Manarjer (directeur de la scene) ; il vent que je revienne de New- York pour la prochaine representation i|ui aura lieu le premier mercredi d'avril. Mais la compensation me paraitinsuffisante,etje decline sa gracieusete. On vitbien ii Baltimore, oiil'onpeche d'excellentes huitreset oil ilya de tri'S bons restaurants. D'ahord a Guy's Hotel, oil je suis descendn et oil je n'ai pas mange, la cuisine cstdit-on fort bonne; puis dans un autre restaurant situe dans Guy's street, et dont j'ai eu rimprudence de ne pas noter le nom, j'ai i'li' relativement satisfait de la qnalite des mets, rpii brillaient snrtoiit par leiir quantite. LA COTE D1-: LEST S't^) Le k'luleinaiii je vcux partir pour Philaddphie; mais jc ne me suis pas in- quiete de mon depot (gare), et qiiand je nie prescnte a celui parlequel je suis arrive, j'apprends que cen'est point lememe quccalui parlequel je dois parlir. II laiit I'aire transporter ma malle et moi-meme : brefje manque mon train et je suis reduit a llaner pendant deux lieures autour de la gare pour atlendre le suivant. J'entre dans uue boutique alln de m'a[)provisioum'r i)Our la route et je demande un petit morceau de pain. La boulangere, (juia des ecus, me regarde d'un air tres etonne et tire d"un tiroir un morceau assez sec et assez noir (ju'elle me tend en me disant : (( Tenez, il me reste celui-la d'hier! » Gomme je tire une piece de 2o sous que je mets sur le comptoir, elle me regarde dun air encore plus etonne: « — Ah ! c'est du pain a aclieter ! « — Maisje suppose que vous ne le donnez pas pom- rien! « — Oh I non, mais je croyais Ge sera deux sous. « — Soit! » Evidemment elle m'avait pris pour un m 'udiaut. (]ep:Nid:uil j'etais assez bieii habille; il faut avouer toutel'ois quo mon cliapeau, qui est parti avec moi de France et qui a ete mon fidele compagnon, manque un pen de fraiclieur. 23-2i Mtvs — En trois licures on est a Pliiladelphie, apres avoir traverse II? Maryland et une partie dela Pensylvanie. Getteville, quiaSOQ 000 habitants, est an point de vuc de la popidation la seconde des Etats-Unis, etse pretend la premiere au point de vue de I'etendue, ce ([ui est, je pense, une pretention mal fondle. Un etablissement curieux a visiter, c'est Independance Hall, lequel se compose de deux salles dans lesquelles out ete reanis un grand nombre de souvenirs de la guerre do I'independance. C'est dans I'une d'elles que cette indepen- dance fut proclamee, ct que fut signee, le 4 juillet 1770, la fameuse declara- tion par laquelle les 13 colonies secouaient le joug de I'Angleterre, etpour la defense de laquelle les signataires engageaient devant Dieu « leur fortune, leur foi, leur vie et leur honneur sacre. » L'original de cette declaration est depose dans un cadre, et dans un autre est un fac-simile du document. Une m&hante gravure coloriee reproiluit la scene et indique les noms des signa- taires au-dessous de leurs tetcs. Tout autour de la salle, et domines par le pupitre du President, sont les ^i.'iO A TRAYERS LES ETATS-I'XIS n'AMERinUE sieges des membres du bureau , dont un concierge de nos jours ne voudrait pas dans sa loge. Ces venerables fauteuils , en crin noir ou en velours d'une couleur douteuse , sont defendus par une barriere centre rempressement du public qui ne manquerait pas de les decliiqueter et de s'en approprier les morceaux. Dans I'autre salle on voit la cloche qui, le S juillet 1776, a midi, sonna riieure de la liberie. Elle en a ele si einuc (ju'elle est felee comme beaucoup de cervelles de ce temps-la, entre autres celle des Lafayette, Rochambeau, de Lametli , et autres braves gens qui contribuerent de leur sang et de leur or a faire un peuple qui se moque absoUuiieul de nous. On pent en dire autant du reste de ceux de leurs descendants, qui s'ainusent aujourd'hui a offrir des statues de la Liberie eclairant le raonde auxEtats-Unis qui n'en ont que faire, et qui se voient a regret dans I'obligation genante de construire un piedestal au milieu de leur bale pour recevoir ce cadeau, que dans leur opinion nous aurions aussi bien fait de garder pour nous. Quand nous deferons-nnus done de cet Americanophilisme bete et coni- prendrons-nous ([u'apres le coup de pied au derriere (pie nous donna le ge- neral Grant en 1871, par sa lettrc a Tempereur (iuiilaume, nous devrions nous tenir tranquilles et ne rien olWr, ni ne rien demander, surtout des traites do commerce, a des gens (pii n'ont pour mobile que leur unique interet? Dans la meme salle on voit differents bibelots : une montre et une epee ayant appartenu a un capitaine Robert B. Buiitli, leipiel a ete personnellement connu de Cromwell; un plastron de robe avec gorgerette do la iin du XYIII" siil'ele,et un costume complet d'enfant fait par M" Adam Quincypour son fils Josiah i[uand il cUiil habij. Je dois avouer (pie la vue de cette auguste loque sur laquelle a du haver I'iUustre Josiah Adam Quincy, et qui peut-(}tre a (it(i souillee de mouillalures d'lui ordre encore [tlus infmie, m'a laisse aussi froid (juejadisau Museedes souverains les chapeaux graisseuxdu vainqucur d'Aus- terlitz, ou ses redingotes tir(ies pour la cir^-onstance de I'armoireaux fripes. Soit Imperialiste, soit riipublicain, le fetichisme n'est pas dans ma nature; quand un bonhomme estmort, je comprends que les membres de sa famille, qui Font connu et aime, conservcnt pieusement certains objets a son usage ; niais les exposer a la Y(ineration publique, c'est trop compter sur la betise liuuiaine! 11 est vrai que la b(^'tise lunnaine est un (iltiment puissant a faire LA CUTE DE L'EST 251 entrer en consideration par ceux qui se proclament, do leur chef, liomines providentiels et pasteurs des peuples ! Pour rentrer dans un ordre d'idees plus pratiques, je visite avec mon agent differents risques, entre autres une fabrique de papier de bois. La matiere premiere est le peuplier, ([ui arrive a Tusine en buches. Gelles- ci sont coupees en lames minces , obliquement aux fibres, et traitees par la vapcur d'cau sous pression, (pii les raraollit. Elles passent a une espece de laminoir qui les desagrege, et a I'etat de poudre grossiere, elles sont traitees dans de vastes cuves par I'acide chlorhydrique qui dissout le.ligneux et laisse intacle la cellulose. Gelle-ci, isolee par une serie de lavages et brassee dans plusieurs cuves, constitue la pate a papier. Le papier se fabrique par le pro- cede dit conlinu, etrien n'estinteressant comme de voir al'origine ce liquide blanc augmenter peu a peu de consistance et passer de cuve en cuve, et de rouleau en rouleau, pour devenir a la fin un solide papier d'emballage. Quel- quefois on y ajoute un peu de pate de chiffons, mais c'est assez rare ot seu- lement quand on a en vue des emballages soignes. An retour nous traversons le superbe Vermount Park qui fait I'orgueildes Philadelphiens et dans lequel etaient, en 1870, les batiments de I'exposition universelle duCentenaire. On en a conserve quelques-uns, notamment le pa- vilion de I'agriculture et celui des fleurs , qui m'avaient deja frappe par leur bon gout. lis servent al'usage de fete; ou d'expositions partielles. En revenant je dine avec mon agent dans un assez mauvais restaurant, oil 11 me conduit, et oii , il est vrai, jo ne paie pas cher. Puis a 3 heures je pars pour New- York, oii j'arrive a six. Dans le train j"ai Timprudence de dire a un officieux que je descends a Hofl'mann-IIouse : aussitot descendu, je suis assaiUi par une infinite d'autres lascars qui tons pretendent porter mon bagage du debarcadere a une voiture (jui doit me conduire a Hoffmann, moyennant un dollar el dt'mi. Comme pour SO sous je puis envoyer ma malle, et pour 10 sous y alter moi- meme, par la combinaison de deux cars, j'envoie promener tons ces gens, et j'arrive sans encombre a Hoffmann , d'ou , apres un bon bain et un bon diner Francais qui me remet de toute la sale cuisine que j'ai avalee dans le Sud, je vais passer ma soiree chez mon ami Murray. 25 Mars— 8 Avril. — Rien de particulier pendant cette quinzaine ; je 2o2 A TliWr'IiS I.FS KTATS-rXIS DWMF. lilnrR metsen ordi'c mes notes rt j'envoie a la princesse une collection de Icttres et rapports. J'ai lait 1 08:] milles ou 2 aijO kilometres en 13 jours : cl celte loconioti(jn precipitec est peu favorable a recrivasserie. J'anive pour la Semaine sainte, ce qui me perniet d'entendre le Stnhat de Rossini, tres bien execute a I'Academie de musicjue, et de nc i)as suivre la retraito prechee a la cathedrale par un jesuite fort en vogue. Je recommence a dejeuner cliez Fortwingler et a diner cliez Pbiiippe avec Ics camarades, ce qui ne laisse pas que d'embellir I'existence. Je visite entre temps uneraffinerie de petrole : I'oparationconsiste simple- ment a traiter Thuile brute par I'acide sulfurique et a distiller le melange. Le produit de lailistiiiation, au sortir de I'alambic, estrecueilli dans de gran- des cuves et souniis a Paction solaire (jui le blanchit. On lelevea une tempe- rature convenable au mo\en de tuyaux a vapeur Iraversant la masse. Tons les transports d'huile de petrole brute ou raflinee, ii i'interieur de I'u- sine, depuis I'arrivee du petrole brut emuiagasine en vrac dans des bateaux enfer, jus(ju'arexpedition du petrole raffine en barils ouen boitesdefer-ljJanc, tons li's transports, dis-je, se font souterrainement, a I'aide de tuyaux et de pompes, alin d'l'viter Tincendie a I'interieur de I'usine, ou d'ailleurs il n'y a jamais d'autre feu (pie celui i(ui est necessaire pour sceller les boites ; les alambics et les ehaudieres etant daui un compartiment completement isole. Le 8 Avril je pars pour LaHavane. Je vais voir i^nlin les climals tro- picaux. CHAPITRE VII LA HWANE. LA NOUVELLE-OBLEAxNS. CHirACO. NEW- YORK. LA HAVANE. Depart pour La llavaup. — Le Saratoga. — Arriiee. — Les parasites. — InstaUation. — Prix courauls. — LaviUe. — Les niaisons. — La cuisine. — Le-> pronieuailcs. — Les plaisirs. — Le theatre. — La securite. — La probile des fonctionnaires — Kaits a I'appui. — A bord du W'asliiiigton. — L'industrie du tabac. — La recolte et la fabrication. — De La Ilavane a La Nouvelle-Orleans. — La douane Americaine. — Cedar Keys. — Les moulins it vent. — La Nouvelle-Orleans. — Diners divers. — De la difficulte de se tirer d'affaire. —La detle de la ville. — Les vengeances feminines. — .MaudeviUe. — Les bois de Magnolias. — Le lac Poutchartraiii. — Les candidatures presidentielles. — Le; partis ropublicain et demo- crate. — Les (hnncei du general Grant. — Un nouveau voyage a Galveston. — Depart de La Nouvelle-Orleans pour Saint-Louis par Atlanta. — La flirtation en chemin de fer. — Saint- Louis. — Chicago. — Seconde visite S Niagara. — La liot spring. - - La traversee des chutes. — La cave des vents. — Retour a New-York. — Coney Island et Manhattan Beach. — La vie ii la mer. — Les Tombs, — Un condainne a mort. — Le Mctropolitain Concert Hall. — Nouveau voyage k La Havane. — La City ot Alexandrie. — La chaleur. — La fievre jaune. — .Marianao. — La vie a la campagne. — Les factenrs et les producteurs. — L'utilitii de la contrebande et dela corruption des fonctionnaires. — Matanzas. — La ville. — Les maga- sins. — Les grottes de Bellaraar. — Les volantes. — Le; fruits des tropiques. — Les banancs. Hetour ii New-York. — La dcrnierc semaine. — Les ailieux. — Le paquebot La France et le capitaine Trudelle. — La traversee de retour. S-l'J At'ril. — Deux lignes regiilieres de steatiiers comliiisent de New- York a lile deCul)a : la ligne Alexandre et la ligiie Walles, toutes deux bicii ins- t:ille83,pourvuc3de bins bateaux egaletnent coiifortables et egalemeiitchers; car le prix du passage pour quatre jours est de 60 )j|?, ce qui est extravagant. Je pars par le Saratoga de la ligne Walles, beau bateau a helice de i GOO tonneaux qui fait ses 310 milles par jour. Je n'ai point encore vu de bateau aussi luxueux. Ayant ete recominande a I'armateurpar mon ami de Belian, et iespassagersetanttrespeunomb;'eux,onmedo:nie sans supplement unecabiiie double, la cabiiie de noce.-;, IJride niom, litlc.Mli'in.'iil la chamijre de la 2o4 A TRAVEIiS LES ETATS-LiMS DAMEKlOl'E fiancee. Je demande aussitot si on ne pent pas me fournir aussi la fiancee ; mais il in'est repoiidu que cet article, non seulemcnt n'est pas corapris dans le passage, mais encore ne figure pas dans les extras ct quil faut Tapporter soi- meme. Je dois avouer, du reste, que, vu mcs dispositions sloraachiques, un tel colis aurait ete plus genant qu'utile, et je n'ai pas ete fache, d'user seul dc mon lit, double, oil je pouvais, suivant I'occurrence, m'elen Jre en long ou en large. A cin(i heures nous levons Tancre dans la riviere de I'Est, pres N" 16 ; nous traversons la bale aux rayons du soleil coucliant d'abord, et d'une lune su- perbe ensuite. Vers neuf heures nous relevons le phare de Sandy-Hook; on Sonne le tlit5, nous prenons la graiide raer, et niui je prends le cliemin dc mon lit. Les bateaux de La Havane suivcnt deux voies difFerentes : a Taller, ils piquent d'abord droit au Sud jusqu'a hauteur du cap Hatteras, autre la Vir- ginie et la Caroline du Xord, puis de la au Sud-Ouest, de inaniere a raser la cote de la Floride et a passer juste entre cet etat et I'ilc de Cuba. Gette route leur faiteviter le Gulf-Strea,n, qui court suivant le canal de la i*'loride avant de remonter vers le Nord . Au retour, au contraire, ils appuient vers I'Est et prennent le courant du Gulf qui a souveut une vitesse de 6 a 7 nceuds. Aussi, tandis que la traversee d'aller dure quatrc jours, le retour s'effectue generalement en trois jours 10 ou 12 heures. Li uier est presijue toujours belle et les traversees ne sont sensibles (ju'aux estoinacb facileraent impres- sionnables. Sur les 17 passagers que nous sommes, six ou sept seulement vivent de la viepuiilique. Le reste ne parait qu'a I'arrivee et au depart. 11 y a une seule femme, qui ne bouge pas de sa cabine ou elle est servie par une ample mulatresse. Autant que j'en puis juger au debarquement, sa reserve etait des plus justifiees. Le reste se compose de deux ingenicurs Cubains, un confiseur Espagnol perclus de rhuraatismcs, (jui va prendre les eaux a San-Diego, et deux ou trois messieurs quelconques; en somme peu de ressources. Le matin du samedi je descends a table. Les choses se passent de la ma- niere suivante : au premier coup de gong, a huit heures et deinie, on sort de son lit, si onne Fa deja fait, et on se debarbouille, si Ton n'est pas Espagnol. Au deuxieme coup de gong, a neuf heures, on descend dans la salleii man- ger. La table est couverte d'une douzaine de plats d'argent, munis de leur cou- LA 1 1. WANE 258 vercle, et cruiie infinite d'assiettes, tie saucieres, depots a moutarde, de choses quin'onl denoms dans ancunclangue. Quatre garcons, les mains dans le rang, sont ranges autour de la table et, quand vous vous prasentez, font pivoter votrc chaise de facon a vous permsUre de vous asseoir ct de vous inserer entre la table et le siege. A neuf heures et une minute, le Commandant fait son entree, suivi du Com- missaire. II s'assied an haul bout, apres avoir retire sa casquette etprononce ces paroles : « /.(lilies and ijenllemi'ii, (jood morniiij >). II n'y a pas de lady, mais peu importe 1 Aussilot le Commandant assis, chaque gar?,on etend les deux bras, decouvre deux plats, pivote sur scs talons, depose les couvercles sur une table derriero lui, repivote et se penche vers le convive (jui est devant lui en lui disant : « What do you ivant » (De quoi avez-vous besoin) ? Le convive, qui a a cote de lui un menu auquel il ne comprend rien, d'a- bord parce qu'il estecrit en Anglais, etpuis parce qu'il est illisible, demande au hasard un plat dont il estropie le nom. Aussitot le garcon saisit le plat, le porte au Commandant, qui en detaclie une portion enorme et Tenvoie au con- vive sur une assiette. Le garcon profile sournoiscmentdu trajet pour enipiler sur la meme assiette, en les disposant sans art, des pommes puree, des na- vels, des tomates et du riz. Puis il depose gravement le tout devant le convive qui, au premier coup d'ceil, reconnait que le plat intitule Baccila est de la moruc, qu'il ne peutni manger, ni sentir. II renvoie le tout, et, pour elre sur de ne pas se tromper, il demande deux ceufs et des cotelettes. Voila en general a quoi servent les douze plats et leurs accessoires aux convives qui ne sont pas Americains. Le dimanche 11, a partir de 2 heures de I'apres-midi, nous longeons de fort pres les cotes de la Floride : des oiscaux de terre et de mcr, au plumage bril- lant et varie, viennent se poser sur le bateau : ce sont les descendants de ceux qui annoncerent a Colomb I'approclie de la terre. Le lundi 11, au matin, nouspassons le tropique du Cancer; bientot nous aperccvons I'ile de Cuba : k quatre heures nous saluons d"un coup de canon les couleurs Espagnoles flottant a I'cntree duport, eta quatre heures un (juurt nous jetons I'ancre. II serait facile d'aborder a la cote, mais il faut donner a manger a tous les intermediaires, bateliers et parasites, qui se crochent aux etrangers et en '2:6 A THWKKS LKS KTATS-IXIS DAMI^HIIJUE viveiit. Ell pflet, a partir du moinent oil Ic bateau s'anvte, jus(ju'a celiii ou Toil est assis dans sa chainbi'c, vis-a-vis de sa malle, on paif a jet rontinu. (In paie pour I'aire desceiidie ses bagages du steamer dans la liar.[ue ; on paie pour aller a teixe ; on paie pour faire viser son passe-port; on paie pour faire poiter sa nialledu banc de la douanc sur la voiture; on paie ladite voi- lure [)Our aller a I'liotel ; on paie pour faire monter sa malle dans sa clianibre, On est carotte sur les prix, on est carotte sur le change, car I'or etant a ^31, oil \(jus le preiid pour 200, qiiaiid uii ne vous demande pas encore des jirix cotes en jiapier. All lieu de faire des (jouvres pour raelieter les pjtits Chinois, ou convertir les Indiens Apaches, on ferail liieii den creer pour proleger les Chretiens contre leurs coreligionnaires etrangers. Enlin. apres avoir laisse des plumes a droite et a gauche, je finis par me trouvi rdans une chambre de I'Holel des Voyageurs ijue Ton dil le nieilleur. La vie y coiite 4 ^ en or par jo.ir a pen pres 20 I'r.i ; mais coinnie je ne veux pas de ce systeme, la chambre seule me coiitera 2 piastres, ce donl je ne veux pas lion plus; il doit y avoir des procedes plus economiipies. Je ii'ignore pas ipie le Gouvernement Fraiifais entrelieiit a la Havane deux iiigeiiieurs des manufactures de I'Etat charges de I'achat des tabacs et des ci- gares. Je me iiiels a leur recliercheet je de 'ouvro sans peine le camarade Bar- dot : en ce moment il est seul, ou plutiit llaiii[ue d'un controleur cpii lui sert de secretaire, aucun sous ingVnieur, parait-il, ne voulant affronter la fievre jauiie. Aussitot je suis debrouille : IJardot me l(i,;;c a cote de lui, chez la MJne- rable Madame Foncliin, une Fran^aise, ipii est la mere de ses locataires, moyennant d'ailleurs des prix fort remuiierateurs. De plus nous dinerons et dejeuneroiis ensemble, ce ipii ne laissera pasipie tl'etre fort agreable. I^a vie une fois organisee est ici dans des conditions possibles. Pour 10 piastres en or par semaine. on a une chambre sans aucuii luxe, mais fort conveiiable. La meme coulerait :!'i piastres au inois. Otiaiita la iiourriture, die (iscille I'litre li et 15 I'r. par jour. (Jn jieiit done evahierla \ ie iKirmale iiour- riture et logeinent) a cm iniii 20 fr. (|ui se ivdiiiraieiit iin pen pour une longue installation. I.') Arril. — La \dle de L:i llixaiie est Julie, mais sale; aujourd'liui |ioii- dreuse en (liable, et [lendant la saisoii des pliiies ipii commence en juin, par- LA HAVANE 257 Fois boueuse a ne pas pennettre de traverser les rues. Gelles-ci sont etroites ;ivec des trottoirs imperceptibles, mais le sens de la circulation des voilures y est regie. Dans toutes les rues marchandes des toiles sont suspendues d'un cote a I'autre, et defendent les etalages et les passants centre les ardeurs du soleii. La plupart desmaisons n'ont ([uedeuxetageselevescliacunde? a 8 metres. Les plancliers sont dalles en marbre; les pieces et les escaliers sont d'une ani- pleur monumentale. Au milieu de la maisoa est une cour couverte, sur laquelle doniient les galeries interieures et qui permet d'introduire dans les cli;imbres un courant d'air continu.Cette cour fait plus ou moins fonction de jardin; quelques-unes sont fort bienorneesdeplantes veriesetd'un jetd'eau. Tous les sieges, meme dans les maisons riches, sont en paille cannee ; fort pen en cuir, aucun en soie ou en velours. Tous les lits sont en fer plus ou moins elegamment forge. Le lit proprement dit se compose d'un cadre en bois sur lequel est tendu, dans le sens de la longueur, un tnMllis metallique, elas- tique et souple. Sur ce treiUis repose un matelas tres mince, ou une simple couverture de laine qui, accompagnee de deu.\ draps tres tins, constitue lout le lit. Aucune couverture de dessus; souvent meme le drap est superflu. Tous les lits sont, en toute saison, entoures d'une moustiquaire, ce qui leur donne un aspect virginal. On est un peu lorig a s'habituer a cette toile metallique qui roule sous vous; mais une fois que Ion y est fait, on s'y trouve bien ; celte structure de lit a poureffet de vous preserver des insectes contra lesquels il est necessaire de prendre ici les precautions les plus minutieuses. La cuisine est, a peu pres partoiit, de la mauvaise cuisine Frangaise, teintee d'EspagnoIe. Onboit du viu dr deux especes.quand on ne veut pas se lancer dans les vins (ins : I'un, appele Gatalano,estdu vin d'Espagne gros et lourd ; I'autre, dit Barrico, est cense du Bordeaux mais ne vaut guere mieux que le premier: tous deux valent de 80 sous a une piastre en papier, environ 45 sous de France. Nous avons decouvert un Beaujolais a 3 piastres, excellent, et depuis nous en faisons de frequents extras. L'habitude du papier rend prodigue, et il est sur (pie la dt5preciation de la monnaie augmente les depenses. J'avais deja remarque cela a New- York il y a 'i ans. 17 ;Ja8 A THAVKliS LKS KTATS-IMS !) AMHIUUlK Ici la raonnaie de comple est VOiice Espcignole, qui se divise en 17 pesos ou piastres; le peso vaut 3 pesetas; la peseta 2 reaux et le real 10 centavos. On compte en gros la piastre en or a o fr. Les micnnes, que j'ai achetees a New- York contre des dollars evalues par raoi o fr. 15, me reviennent a 4 fr. 87 et la piastre en papier me coute ici 2 fr. I'i. La depreciation est done consi- derable et de plus de 50 q- Si encore le papier etaitpropre, il n'y aurait (|ue demi-mal; mais les coupures ne tardcntpas a etred'un ci-asseiix (|ui degoute et qui fait qu'on s'en debarrasse avec d'autant plus de p'aisii'. Cola ra|ii)i'lle tout a fait les emissions de nos cliambres de commerce apres la guerre et les sales petitspaplersblancs dont on etait inonde. Le genre de vie est ici assez singulier. La temperature y est tres cliaudc, nous avons SS' a I'omhre ; de juin ii novembrc, pendant la saison des pluieg, on a generalement de 36° a 40". II pleutde Feau cliaude. D'apres cela, il sem- blerait qu'on devrait travailler le matin et le soir et se reposer pendant le jour; il n'en est rien. La plupart des habitants passent les matinees et les soirees a la campagneet arrivcnt a leur bureau vers onze lieures. Si on veut les voir, il faul y aller dans la jourin-L' : on ue fait pas la siesle. Quand on sort c'est generalemen! en vctiture ; celles-ci sont a tres bon marclie, 20 sous en or ou 40 sou5 en papier, la course. Les femmes, sauf celles du peuple, ne sortent pas dans le jour. Le matin elles vont faire leurs emplettes en voiture el n'en descendent pas ; les commis des magasins leur apportent et etalent sur leurs genoux les articles qu'elles veulenl voir. Le soir elles vont a la musique, au Pare, sur lePrado. Beaucoupsont en clieveux, quel(jues-unes enmantille; mais cette coiffure si gracieuse tend a disparaitrc et est remplacee par le cha- peau fantaisistcEuropeeii. Le Fare est un square ornr de la statue d'Isabelle II, autour de laquellc on fait (le la nuisique I'ois par semaine. Lorsqne la revolution de 1868 eclata et ([ii'iuie republiipie ephemere fiit proclamee en Espagne, le premier soin des Cubains I'ut de descendre de son piedestal la statue de la reine et de la transporter, avec tons l(>s lionneurs diis a son rang, dans la cour du Saint- La/are de La Havane. La miisi(pie dure de huit a di\ heures du soir, apri's (juoi on va prendre des glaces ou des limonades dans les cafi's (pii entourent la placi' : lui ral- fraichisscment tres a la mode est le lait glace qui. parait-il, est egalement LA IIAVANE ^riO hygienique en raison du climat. Pendant les premiers jours les entrailles se sont legeremcnt emues, puis on s'y fait, et tout rentre dans I'etat normal. Les plaisirs a La Havane sont infiniment restreints. En dehors du cafe on va, si Ton en est membra, au Casino Espagnol oil Ton peut faire des parties d'echecs; c'est un jeu tres cultive ici, el il y a des amateurs tres forts. Le dimanche, de quatre a sept heures du soir, on va en voiture avaler do la poussiere au Parco, sorte de promenade avec des arbres nains que Ton etete au fur et a mesure qu'ils grossissent, et on Ton rencontre, en fait de raonde f6minin, I'extreme dessous du panier. On peut aussi aller diner a la cote, on il y a deux ou trois stations, ou Ton ne mange pas mal, mais assezcher; enfm on peut prendre des bains de mer dans 'es especes de baignoires ou piscine? creusees dans le roc et alimentees par un etroit canal destine a en interdire I'entree aux requins, qui sont extreme- ment nombreux sur la cote, et qui empeclient absolument toute excursion en pleine cau. Les (heatrcs sont au nombre de trois : Tacou,Payret et Cervantes. Les deux premiers soni formes actuellement ; il parait que le theatre Tacou, qui est rOpera, est fort beau. Cervantes est un trou dans lequel on joue les ballets les plus malpropres, comrae costumes etcomme mimique, que j'aie vus de ma vie. Le spectacle se divise en deux parties, composees chacune d'une piece en un acte et d'uii ballet; on peut prendre un billet pour une demi-representation. Le public se compose de matclots, de negres, de portefaix et aussi de quelques caballeros. La partie feminine de Tassistance se recrute exclusivement dans les boar- ding-houses for ladies de la rue San Miguel qui est voisine. L'acces des cou- lisses est libre et leur aspect n'a ricn d'attrayant. Les representations ont lieu toutes fenetres ouvcrtes, ce qui est une mesure fort judicieuse, vu la nature et la categoric des spectateurs. De temps en temps on se donnc un coup de couteau, sans que cet incident trouble longtemps le spactacle. Les attaques a main armee le soir, bien qu'elles soient moins frcquentes qu'autrefois, se renouvellent pourtant assez souvent. Tous les gens qui ont riiabitude de sortirle soir ont un revolver dans leur poclie. On m'a fortement recommandcide ne jamais melaisser suivreparpersonne, le soir, sans prendre Tautrc cote de la rue, et il y a des endroits, a deux pas du centre de laville. :i(i!) A Tli.WKhS l,i;S l-MATS-rMS I) AMKMKjrr, par rxeniple El Punto, an bout dii Prado, commc qui dirait I'evtreniite de I'avenue Mabile, oil il est tres imprudent d'aller seul le soir. A certaines epoques, aiix environs de Noel,duGarnaval, decertaines fetes, quand les negres ont besoin d'argent, ils vous assassinent volonticrs. En revanche, tout homme (jui se voit ou se croit menace pent tuer son antagoniste comme un cliien, sans ([u'il en resulte pour liii le moiiidre in- convenient. La police, qui est pen norabreuse, ne se mele pas de ces sortes d'affaires. Je pourrais citer millr fails : Pendant mon sejour il est arrive ceci : uiiedam? ([ue je ei)iin;iis fori bien. et dont le mari est un medecin Franrais fort aiinable, avail pour aniant un jeunc juge au tribunal de La Havana. Le nuiri, pense-l-on, le savait et ne sen troublait guerc; mais le frere de la dame sen emut ide quoi se melait-il "?) et, apres avoir provoque en duel le juge, qui refusa avec une grande sagesse, lui appliqua, en pleine rue, une superbe voleede coups de canne. Le juge, (jui quelques jours apres a ete nomnie avec avancement a un poslede I'interieur, a emporte sa volee et n'a rien dit. II y a li'ois mois, en plein liiver, un iionime allail, a (i lieures du matin, prendre le cliemin defer emportant ^ oOO !^ en or pour payer les ouvriers de sa sucrerie. Devant la caserne d'aiiiilerie, il est arrete par un negre qui lui demande ses 2 500 $. L'aulre lui jette le sac, et des que le negre a le dos lourne, il lui envoie deux balles et le tue. Le chef du poste sort ; Tautre lui explique I'affaire, reprend ses ii 500 ijj et va prendre le train. Es no mas iiuc tni iicijro .' (Ce n'esl ([u'un negre,) a dit roflicier. II y a ((Uclipir lenips, le chef de la jidlice de La Havanc s'elait rendu a Ma- laii/as, pelile ville de la ci'ile, pour y eliereheruu volenr. Matanzas est pourvu dull l'ra vols operes a I'aidede j)roceiles plus doux, o;i se Irouve en pivsenceile resultits ideutiipies. TiJiitle UKinde vole, depuis le capilaine-geiieral gouvcrueur jusqu'au dernier LA HAVANK ^61 douanier. Cuba est depuis longtemps, et rcia a ete unc des principales causes derinsurrection, uneproie offerteauxaventuriersEspagiiols. Lesfonctionnaires iiommes a Cuba abandonnent prescjue tuus leiir ti'aitement aux^ protccteufs qui leur out valu Icur place et vivent sur la colouie. Le budget de Cuba est de 43 millions de piastres en or. La douancen rend 18; oncalcule ([u'eliepourrait facilement en rendre le double; il ueresterait (pie 9 millions de piastres ade- maiider a I'impot direct, cc <[ui serait bieu pen de chose. Mais il faut nourrir les sangsues Espagnoles. II y a quelques aunees il a manque au Tresor Gubain 9 millions de piasti'es, que Ton n'a pas encore ret rouvees, et qui exercent depuis ce moment la saga- cite des comptables. Les capitaiiies-generaux y restent deux aiis et sen voiit liclies. Les deux seuls (juiaient passe pour hor.uetes sont Dulceet Martinez Campos; mais ils se sont contentes de leur liounetete personnelleet se sont abteuus dr in'ttoyer les ticuries d'Augias, taclie au-dessus d' la force dllercide. Dulce avail essayede debarrasser La Havane des vdlontaires qui y commet- taient toute espece de desordres. Un soir, sous j)retexte qu'un insurge s'etait refugie dans le cafe du Louvre, ils ouvrirent, sur ce cafe qui etait plein de monde, un feu croise, et lum-ent une viugtaine de personnes. Quand quelqu'un leur deplaisait, ils lui envoyaient une balle dans la tete et disaicnt : « II a crie viva Cuba lihre! » Dulco avait done pris mi arrete portant que cliaque com- pagnie de volontaires irail tour ;i tour tenir la campagne dans I'interieur, oil I'insurrection etait vivace, tandis que La Havane etait parfaitement calme. Pen apres Dulce futremplace par le mart3chal Concha, et les volontaires re- clamerent, aupres de celui-ci, le rappel de I'arrete. Concha apprecia leurs raisons etleurdeclara qu'il accordait a tout volontaire lafacuite de se soustraire au service actif, moyennantlepaiementdel OOOs-ien or,quilui seraient remises et qui serviraient a entretenir un homme a sa place. II encaissa de la sorte plusieurs centaines de milliers de piastres quel'armej active ne revit jamais. Le Ministre des fuiances ou « Directeur de la Hacienda » est aujourd'huile Directeur de la Banque Coloniale de Barcelone. Celte ban(iue a prete a Marti- nez Campos des sommes importantes, qui lui out servi a eteindre I'insurrec- tion, et elie s'est fait douner une delegation sur les droits de douane, avec faculte d'en surveiller la perception. II semble que ce caballero, qui louciie -2i;-2 A THAVi:i{S Li:S l^rATS-U.MS U'AMEHIOUE des appointements du Tresor de Tile, et aussi de la Banque, devrait avoir iiu double interet a ce que Ton ne volat pas ; grave erreur ! II y a quelque temps, M. Garbajal, le grand fabricant de cigarcs, rcvut du Paris una enorme caisse contenant des toilettes pour sa ferame. Le chef de la douane voulut I'ouvrir: Espcja tin poco ! (attondez un peu,) lui dit Carbiijul en luioffrant uncigarc. Apresquoi ilpartitetrevint, auboutde peu de temps, portantsur uiie carte du Directeur de I'Hacienda Tordre de laisser passer sans louvrir une caisse marquee L. G. envoyee de Paris iiM. Leopold Garbajal. Le montant des droits etait a peu pres 400 ou SOO piastres en or. Quandle premier ingenieurenvoyepar le Gouvernement Frangais vers 1862 ou 1863 arriva, c'etait mon ancien camarade Wunschendorff, il rc^ut lavisite d'un monsieur qui vint obligeamment se mettre a sa disposition ct lui off'rit nettement, si Wunschendorff voulaitle charger de tous ses achats, de lui re- mettre 5 "lo surle montant de cliuque facture. Notre ami le jeta a la porle [lar les epaules. Ce (juil y a de joli, c'cst que Biirdot, qui meracontait cela, blamait la viva- cite tie son collegue et faisait ()l)server avec raison ([ue Ton gague toujours ii causer, meme avec les lilous. Or il y a deux mois il avait a vendre sur le Tresor Frangais un million de francs, et les francs faisaient 2 °/„ de prime, c'est-a-dire qu'au lieu d'avoir pourS fr. une piastre, on avait 1 i^ 02, ce qui, pour un million de francs, faisait un boni de 'tOOO fr. Un courtier de change vint lui offrir de lui placer son million au pair. — « Mais la prime ? — ),capitaine Traub, qui va de Vera-Cruz a Saint-Nazaire. Cliarmant diner et charniant etat- major: tout afaitunc soiree Francaise. Le bateau est bondede passagers dcs deux sexes, qui au moment de notre depart prennent le the du soir. Nous faisons le tour de la salle a manger, il n'y a pas une jolie passagere; ce dont le commissaire et le medecin so soul plaints a diner. Quand on a en perspec- tive 19 jours de mer, quelque flirtation est un agreable condi.mcnl a la mono- tonie du voyage. Cependant le bateau n'est pas denue de ressources, temoin I'agent des postes, qui le lendemain du depai't de Yera-Gruz fut pris, fla- grante ddiclo, par roflicicr de quart, sur un banc du gaillard d'arriere, a 7 heures et demie du soir. Le lendemain, le commandant informe le fit appeler et lui administra une paternellc semonce, uon sur le fait en lui-meme, mais sur le choix du theatre du crime : « Non eral hie locus, » lui dit en terminant Traub qui est un lettre. « Allez, et une autre fois choisissez mieux la place_ Yous avez une cabine, c'est pour vous en servir. a Je savais deja que les episodes de cette nature sont frequents a bord, surtout dans les basses latitudes et quand le public feminin est Espagnol. De Yera- Cruz a Saint-Nazaire, il y a 21 jours de mer, de bonne nourriture, d'oisivete et d'ennui. II n'est pas surprenant que le coeur ne se sente quelque plenitude et ne deverse son trop plein dans un coeur ami, quand il en trouve un dispose a le comprendre! Aussi les capitaines sont indulgents, sauf sur la question d'opportunite. 19 Av)-il. — Dejeune a bord du Washington, cette fois avec le Consul general de France et sa famille. Ladite famille est composee de deux afTreux moutards de 8 etde 10 ans, ignorants, tapageurs et mal eleves, et d'une grosse 2G4 A rUAVlillS LES ETATS-UNIS DAMEKIQUE belle tille qui a 16 ans ct demi a I'air d'en avoir 18. Son corsage et sa crino- line ont tenu toutes les promesses qu'ils avaient pu faire anterieurement, et cette enfant a la tenue, les allures et les aspirations d'une grande demoiselle. Le consul, qui a perdu sa I'eninieet cinq ou six enfants, gate abominablement les trois qui lui reslent et reussit ii en I'aire des etres insupportables a toutle monde, excepte a lui et a Bardot. lis sont eleves a la Creole, c"est-a-dire que quand Yirginie ). Les tripes sont empilees dans un baril et mises dans un grenier oii clles fermentent pendant 50 a GO jours en degageant des gaz ammoniacaux. Quand la fermentation est tcrminee, ce que Ton reconnait au rcfroidissement -2m A THAYEKS LES ETATS-UMS D AMEi'.lOLE (jui so produit, on les etale siir iiii planclier ou elles secheiit , ct elles sont propres a la fabrication. On voit qu'il s't5coulehuit;i dix mois entre le moment oil le tabac est coupe, et celui ou ilontre en labrir-ation. Les robes ne subissent aucune des preparations ci-dessus. Apres Vecutage elles sont remises a un ouvrier special et habile qui les trie suivant leurs qua- lites et dimensions et les app!i([ue ^ chaijuc categorie de cigares. On les tra- vaille le lendemain. Le cigare se fait, comme on sait, en roulant la tripe dans la robe dont on fixe I'extremite avec un pen de colle. L'ouvrier coupe le bout flottant et le cigare doit passer a un gabarit en longueur et en diametre. Dans les articles soignes, tout cigare trop court, ou trop large, ou trop mince, est mis de cote. Pour faire un cigare d'a pen pres 13 centimetres de long et du diametre dun fort londres, un ouvrier met cinq minutes. II en fait environ 100 par jour, et gagne a ce metier 3 $ a3 $ 50. La main-d'oeu\re entre pour 30 a 33 0/0 dans le prix de vente des cigares. Une fois les cigares roules, on les elale sur une table, et on les classe par nuances. On tire 40 a 50 nuances d'une fabrication. Ainsi classes , les cigares sont remis au metteur en boites (jui trie encore ceux destines a former la (iffne dr teteet place les autresen dessous. Puis les boites sont pressees, clouees et collees. Les boites sont generalement en cedre. Pour les cigares lins on a des boites en bois de cedrat contenant 25 ou SO cigares. Le prix maximum des cigares les plus lins et de la plus grande dimension courante est 200 $ le mille. Au dela on entre dans les cigares de fabrication specialc et de fantaisie. Le prix minimum est de 35 § le mille. Les londres Havane coutent: 1" qualite 60 $ le mille 2'"" » 55 » » 3'"' » 50 » » LA HA VANE 267 J'ai prie Bardot de me t'aire I'aire les meilleurs cigares dans le format des regalias dela Reina. Voici le prix de revient par mille : Goiit Emballage . Droits. .. . Soit a 4 fr. 87 c. environ. . . . Douane, 11 kil. a 30 Ir. le kil. Fret, assur. (Memoire) 115 $ 4 » 2 » 121 $ 390 fr. 400 » » » 990 fr. Ce qui fait a pen pres 1 fr. le cigare. Outre sa fabrication propre, La Havaneexpedlesous son nom beaucoup de cigares, (jui sont faits, en totalitoonen partie, avec du tabac etranger. 11 y a a La Havane 07 fal)ri([ui's qui font chacune en moyenne 20 000 ci- gares par jour, soit environ 400 000 000 par an. Sur ce nombre a peu pres moiliese consomment sur place. 11 s'exporte environ 200 000 000 de cigares, •sur lesquels la France prend cini[ millions de cigares (ins et huit millions de londres. En outre nos manufactures livrent a la consommation Frangaise environ huit millions de londres Fran^ais fabriques avec des tabacs de La Havane el Ires superieurs a ceux du pays. On voit par les prix ci-dcssus que, sans atteindre des limites extravagantes, le prix des bons cigares a La Havane est assez eleve. Les cigar^^s quo fument couramment les gens comnie ii faut leur content environ six on huit sous. Gomme les droits sont a peu pres tjquivalents, on voit qu'en France, pour avoir un bon cigare, ilfaut y mettre aujourd'hui de douze a quinze sous. L'importance totale des achats du GouvernementFrancais a La Havane, tant en cigares qu'en feuilles, est environ de septa huit millions de francs par an. < )n comprend que son ingenieur jouisse aupres des marchands de tabacs, d'une certaine consideration. L'administration Francaise a du rcste une grande reputation de loyaute. Ses decisions sont sans appel et, malgre la rigidite de ses contrats, les concurrents ne manquent jamais pour celles de ses fourni- tures qui sont soumisesa I'adjudication. 268 A TRAVEHS LRS KTATS-IXIS IVAMEIUOIR Dernierement la commission d'expertise du Gros-Cailloiia refuse d'un coup, a une grande maison de La Havane, huit cnit mille londresl II n"v a pas eii d'ohjection ; les reclamations, du reste, auraient ete parlaitement inuti.les: la maison s'est bornee a abandonner son depot de garantie. II y a ([uelipies debits de tahac on Ion ronle Ic cigare en pre-enrc de Tache- teur. Pendant nia visite de sa fabriijue, M Carbajala roule de ses mains suria cuisse droite nn cigare cpi'il m'a offerl : ce qui est nne haute politesse a la- quelle il serait tresgrossicr de repondre par uii refus. .T.ii allume immediate- ment ce cigare, (|ue d'ailleurs j"ai tronve assez mauvais. 'Ji Avril. — Dine cliez le Consul ((ui liabite Le Gerro, petit village ii une heure de La Havane; les convives sont : Bardot, I'ingenieur Alexandre, un jeune homme appele Pline Mospero, de La Nouvelle-Orleans, et nne jeune niece du Consul, cousine do Virginie, la siiiorita Dolores, non moins creole et non moins insupportable que sa cousine. Quand on a dine une t'ois chez le Consul, on est invite pour tous les dimanches, joie dont mon depart me privora el dont je me serais garde d'ailleurs d'abuser. Le festin, (jui est tres abondant et qui serait bon, s'il etait servi a point et non a la diable, est egaye a la lin pai' un pugilat entre les deux moutards, accompagne depleurs etde renversement d'une tasse decal'e. Au lieu de leur appliquer a ciiai'uu une magistrale paire de calottes distributee avec impar- tialite, le Consul s'e|)uise en efi'orts pour n'Mablir la paix, sans donner tort ni a I'un ni a raulrel Pendant ce temps Dolores fait de To^il a Pline, et comma Yirginie tiouve son plus jeune frere insupportable, celui-ci I'envoie promener et prolite de I'occasion pour nous apprendre que sa sceur a trois ou quatre novius (aniou- reux), ce qui hii fait esperer qu'elle se mariera et cessera de I'embeter. Sur cette revelation intime, la seance est levee, et je pense que Ton va rester un pen tranquille a respirer Fair et a fumer sans se rcmuer. Mais les gamins requisitionnent une promenade, et nousallons, pendant une heure, avaler de la poussiere et jouii' de la vuedes bees de gaz du village. Le Consul me raconte des histoires du Mexique ou il elait consul a Vera- Cruz pendant 1' intervention. II est interessantde causer de la guerre du Mexique avec des gens qui y ont eli : on arrive vite a cette conclusion que la plus LA IIAVAMi 269 grande pensee dii regne a ete concue poui'le plus grand profit d'une centaiiie de voleurs et d'aventuriers. 28 Avril. — Nous allons diner dans un pulit village dc la cole dont j'oublie le noni. .Nous mangeons la un poulet a I'Espagnole, qui est ([uelque chose d'e\i|uis. Le poulet, coupe en morceaux, est cuit dans un plat de terre avec du piuient rouge, du riz, des tomates, du heurre el du bouillon, que Ion lait consommer de facon a constituer un gratin (pie Ton mange Ires cliaud et ipii est tres bon. La regie voudi'ait qu'on y ajoutat du safran, et son absence au- rait ete une infraction iinpardonnable aux regies de la cuisine Espagnole, si mon ami Bardol, rordonnateur du lestin, ne I'avait formellement proscrit. Ge meme jour, je fais emplette de batons et de cannes. Les bois du pays fournissent de tres jolies Cannes, que des gamins, qui Ics ont volees , vous vendent tres l)on niarche. Pour 10 S en jiapier, j'ai eu luiit batons de ditfe- rentes natures, nuances et grosseurs. tin vend aussi des Cannes (pie Ton ap- pelle du inanak'. Le manate est simplement de la peau de chien de mer decoupeeen lanieres et comprimee dans le sens de sa largeurde I'agon a aug- menter Tepaisseur et a lui doniier une section carree. En cet etat, on la passe au tour et on en lait un cylindre que Ion plonge dans un tube contenant une solution concentr(3e de potasse. Gelle-ci dissout toute la partie graisseuse int(;rieure et ext(3rieure et laisse une baguette parfaitement claire, dure et resistante comme du bois. La valeur du manate depend de son diametre et de sa transluciditi'. Ceux dontle diamtMre atteint deux centimetres et ([ui soul pai'l'aitement clairs valent de 100 $ a 120 S en or. Le prix decroit tW's rapidement avec 1 epaisseur, et j'ai achet6 deux cannes et une cravaclie, iion monttjes bien entendu , pour 30;^ en papier, soil environ 22 fr. piece, d'une dimension raisonnable et d'une tres jolie couleur. Cuba serait un pays prospere au dernier degr(}. sous une administration intelligente et honniite. J'ai dit ((ue Ton peut t'aire trois recoltes de tabac et une de mais sur la meme terre, quelquefois une de riz; dans les terrains su- criers, la canne donne un excellent rendement. Tandis (pi'en Louisiane on est oblige de renouveler le plant tons les trois ans, ici une plantation de caimes en dure hull ou dix. En Louisiane aussi on est obligi' de roiiler de suite a[)ix's la lecolte, parce IK) A i'ha\i:ks li:s kiats-lms d amkukji k que si la canne coupee gele, elle perd uii tiers de son rendement. lei la roii- laison peut durer 4 ou u mois. Enfin rile, ([iii autrefois exportait du cale en quautites considerables, ii'en produit plus que pour sa consorumalion , et encore faut-il en importer de Puerto-Rico. 1! serait facile de doubler ou tripler la production. Les deux plaies de Cui)a sont I'absenteisme et Tadminislration Espagnole. Depuis I'insurrection les grands proprietaires sont a Madrid ou a Paris, ou ils mangent les revenus que leurs intendants leur envoient ; ils ne font rien pour I'ile et leurs plantations periclitent. Quant a I'administration, j"en ai parle plus haul. Les petits ports de la cote sont dans un etat deplorable. A 20 kil. de LaHavane les routes existent a peine, et se composent de troncs d'arbres jetes a travers la cypriere, et sur lesqucls on en superpose d'autres. quand ils sont pourris. Dans I'interieur on ne voyage quacheval,et les trans- ports se font a dos de mulcts. Dans la partie Guest de Tile il y a un reseau de cheniins de fer assez complet; en le prolongeant d'une quarantaine de milles a I'Est, on liii ferail traverser toute la vitelta abcijo ; depuis quinze ans, on en parle sans rien faire, Ici. comme en Espagne, les chemins de fer out precede les routes, de sorte que I'acces des stations est des plusdifficiles. Si les voies de communications etaient bonnes , les frais de transport seraient considera- blement diminutjs et les benefices accrus d'autant. Le salut de Cuba est dans son annexion aux Etats-Unis; il n'y a pas dans Ic pays les elements n6cessaires pour fairc une republique liljre. Les Cubains le savent, les Espagnols aussi et les Americains aussi, et ceux-ci attendent sans impatience le moment favorable. L'expedition Walker ayant avorte, ils I'ont desavouee; ces jours-ci meme, on parlait d'une nouvellc ten- tative de flibustiers (]ui s'organisait a Baltimore. Un jour ou I'autre il y aura un pretexte d'intervention, et si les Etats-Unis racttent la main sur I'ile, ils ne lalacheront pas, sauf a donner une compensation pecuniaire a I'Espagne qui en a fort besoin ei sera beureuse de Tacceptcr. Ce jour-la, debarrassee de I'esclavage, Cuba sera un des territoires les plus riches des Etats-Unis. 29 Avril. — Je fais mes adieux a Cuba et a quelques i)ons compagnons avec lesquelsje dejcunais tons les matins; nous vidons a celte occasion deux doles de Brame-Mouton Rothschild excellent, mais fort clier. A di'ux heures ie I.A IIAVAM-: 271 m'embarque a bord du bateau Admiral, assez satisfait en somme de quitter ce pays ou la chaleur est trop piquante. II y a trois voies pour aller de La Havauo a La Nouvelle-Orleaus. Uneligne Allemande louche cliaque mois a La Ilavaue ct fait le trajet dircctement, en deux jours et demi : c'est la voie la plus courte. La compagnie Morgan a un service hebdomadaire tous les mercredis et fait plusieurs escales, ce (pii liu fait mettre 4 jours. Enlin la compagnie Larlon a aussi un service hebdoma- daire entre la Havane et Cedar Keys, point terminus des chemins de fer de la Floride, avec escale a Key West, pointe extreme de cet Etat; de La Havane a Key West, on met 12 heures, et 40 jusqu'a Cedar Keys, a 380 miiles; a Cedar Keys on prend le chemin de fer a 8 heures du matin, et 48 heures apres on arrive a La Nouvelle-( )rleans, ayant fait 860 miiles , soit une moyenne de 18 miiles a I'heure, ou 20 miiles en defalquant 8 heures d'arret. En revanche, comnie la ligne Morgan et la ligne Allemande prennent 40 $ pour aller a La Nouvelle-Orleans, celle-ci n'en prend qne 39, et comme 10 prix du bateau jusqu'a Cedar Keys est 24 f , il en resulte que Ton fait 860 miiles pour 15^,taiidisque]i()ur aller deLa Nouvelle-Orleans a La Mobile 153 rallies) on pale 7 sj^et demi. « L' Admiral » est un bateau a roues ([ui a eii I'honneur de porter le gene- ral Grant, de Cedar Keys a La Havane, ce qui m'est bien egal. C'est un beau bateau, oh moyennant un supplement de S s)^ j'ai eu une tres belle chambre. 11 parait que la cuisine y est mauvaise, ce qui m'est inditferent, puisque pen- dant 2 jours je suis destine a vivre de limonade. J'ai un gar^on nomme Pierre qui parletres bien leFrangais, langue qu'il a apprise a Paris au service du due de Hernandina, un des plus riches proprietaires Gubains. Ce n'est point un avantagea dedaigner, quand on ale mal de mer, qu'un garfon soi- gneux et intelligent. Nous devons partir a 2 heures et demie; a o heures nous levons I'ancre et alors commence un voyage plein de joies. A peine hors du port, nous nous mettons a tanguerhorriblement, ce qui cause dans mon interieur des insur- rections que je renonce a dompter. J'ai recours a niori remede ordinaire : la position horizontale et la diete. Cette agreable situation se prolonge jusqu'au samedi matin. A ce moment je quitte le bateau, et toiuhe dans les griffes de la douane. Ouverture et bouleversement de ma malle; saisie de mon chapeau- A lii.WKJiS M'.S F.TATS-IMS DAMERIOir. claque coinmeohjct neuf non declare. Je lais de vaiiis eftbrts pour demontrer au collecteur qu'il at>te porte, cc qui est vrai,et je lui lais renian[uer de plus (|ue j'ai jiu'e (jue jc n'avais rien dc sujel aux droits. II me repond que : i< II juj;i' que le chapeau est neuf 1 1 (pi'il ii'a cure demon serment. ))Je Tinjurie, en ayaiit soiii tdiitclViis d'user de ma languenatale, ce (jui I'ait 7M coitvont, noil pas, dit-elle, pour la religion, elle n"en a pas, mais parcequ'il n'y a que la que Ton rcQoive une bonne education : la gamine a 12 ans ! A la (in du diner Ics dames font examiner leurs mains et nous leur disons des betises. Le Consul de France profitederoccasion pour faireun discoursqueper- sonne n'ecoute:iI pretend que son metier exlgeant (ju'd parle en public, il est de son devoir de s'y exercer, et d^s qu'il a un auditoire compose de deux personnes, de suite il place un discours. Au nombre des convives est un brave liomme nomme Tambourij, ([ui est arrive en Louisiane il y a 41 ans sans le sou, a 6te fort riche, Test devenu l)eaucoup moins, ct retourne en France avec 3 ou 4 mille francs do rentes. 11 y a 41 ans qu'il n'y a pas mis les pieds, n'a plus de famille, et va vivre chez un vieil ami, dans une petite ville de Seine-et-Marne. C'est eirroyable d'avoir bataille 41 ans pour arriver a ce resultat. Le nombre de ceux ((ui appartiennent a cette categoiieest ^norme et tr^s pen out fait fortune ! /5 Mai. — Al'appui del'affirmation pr(5cedente, je cite le casd'un nomme B"**, eleve de I'ecole des Beaux-Arts, ayant travaille a I'Opera sous la direc- tion de Garnier et arrivant ici pour travailler de son metier d'arcbitecte, por- teur d'un credit de 2 000 fr. 11 ne tarde pas a reconnaitre qu'il n'y a dans le pays aucune sorte d'architecture, que les arcliitectes sont des magons et des charpentiers et que les seuls monuments de La Nouvelle sont la Douane, que Ton batit depuis 60 ans, et la Cathedrale dont le cadran d'horloge a son email casse depuis la guerre, sans qu'on le repare. Au bout de huit jours, il part pour New- York, y devient decrotteur et, ne sachantpas I'Anglais, est reduit a appeler ses pratiques par gestes. Un Frangais Ic rencontre ct le fait entrer cliez un tailleur qui tenait en meme temps des cliambres mcublecs, et oil ses fonctions consistaient a porter en ville les habits des clients eta cirerle matin lesbottes des locataires: le tout pour 3 $parsemaine, nourriturectlogemcnf. Enfin, lasse de cette existence, il repart pour la France avec environ 100 $ dans sapoche, et paieson passage en faisantle service de domesticjue a bord. Un autre Fran^ais, celui-la ancien sous-prefet de I'ordrc moral, dt3gomme avec son ministere, portant un nom fort connu ik La Nouvelle dans les atiaires et en France dans la litterature, arrive a La Nouvelle p(jur y fairc queliiiw chose, n'imporle f/"o/, y vit pendant qualre raois avec 400 fr. et repart pour la France sur la nouvelle qu'il va etre nomme consul, en prenant sa place en ^21{\ A THAVKUS l.RS LTATS-UNIS D'AMEUIULK cliuniiii (Ic I'cr (l;uis Ic smoking-car, qui ressemblc a pen pres a iios wagons a bestiaux (pendant (pi'il y a dcs bestiaux), ct en steamer dans les troisiemcs classes. Quelle odyssee entre ccs deux Stapes : une sous-prefecture et un con- sulat! I'ne des (piestions a I'ordre dn jour est ici la dettc de la ville. J'avais jus- ([u'li present essaye on vain de comprendre (juehjue chose I*! cet imbroglio et je ne crois pas encore y avoir parlaitcment reussi. Gependant voici ce qui m'a et6 explique : c'est assez curieiix au [)oint de vue de la validite des enga- gements des villcs. En IH.'i'i, (jiuuul on reunit les trois paroisses qui formaient LaNouvelle- Orleansen une cite a Uupiellcon donna une c!iartcd'incorporation6manee dela Legislature dela Louisiane, cliacune de ces paroisses apportaa la comniunaute sa dettc, et ii fut cree un foiids coininun, av(!C di!S titres unil'ormes (jue Ton apjx'lle /ionda (viis'>li(lci/('il. Suivant hi forniule ordinaii'e, la corporation nou- velle engagea sa foi ct son honneur pour le paiement de ces bonds, ct s'obligea a s'imposer de la sonnnc neccssaire pour faint face a I'interet et a I'amor- tissemenl. L'interet elait de (5 "/„, taux fort modere. Tout alia bien jusipi'a la guerre. Pendant celle-ci les paienients turent na- turcllemcnt suspendus. Apres la guerre la Louisiane et La Nouvelle-Orleans fLircnt souniises au regime des Garpet-Baggcrs et des gouverneurs nonnnes par le Gouvernement Federal , jusqu'en 1874. Pendant cette p6riode I'admi- nistration municipale de la ville emit, sous des pr^textcs varies, ynw. foule de bonds nouveaux dont la plus grande partie passferent cntre les mains des conseillers, des maires, des gouverneurs, au noiu d'entreprises fantasti(pies dont jamais I'execution ne fut commencee. Ainsi une subvention de .3 oOO 000 >! fut donnee au chemiii de fer de je nc sais quel ba::ou, une autre de 3 000 000 ,>:ji .fut donnee au Ghippewa-Canal, (pii n'ont 'jamais exist/; que sur le papier. A la suite dc ces emissions insensecs, la dctte de la ville monta de 6 i .7 millions dc piastres, a 27 ou 28 millions, de sorte qu'il devint rapidement impossible de [layer interets ct amortisscment. Cela est d'autant plus impossible qn'en presence dc raugmentation con- tinueile de I'inipot loncicr et de la depreciation dcs propriel6s qui s'cn etait suivie, la Legislature de I'Etat vient de limiter cet impol foncier a 1 "U de la v.ileur en capital des proprietes immobilieres. Ainsi, tandis (pie chez r.ous on LA NOUYELLE-OllLliANS 111 obligo Ics miinicipalltes a s'iinposer d'otticc pour racciuitlcmcut do Iciirs dii- [)eiises oljligatoircs, ici, dans ce pays comique, on met un tVein a leur desir do s'ac(iuitter, desir d'ailleurs assez platonique. Sur CCS entrefaites la villc a essaye un compromis avec ses creanciers. So hasiint siir cetto consideration, (iii'rii fail los emprunts emis par les goii- vi'riKMirs tV'd('Taii\ out ete negocit3S avec unc depreciation tres forte, et ([ue les Consolidated IJonds participcnt en realito de cette depreciation, eulin (|no les Bonds, ancicnsou nouveaux, valent aujourd'liui 27 sous i la piastre, ellc a olfert a ses creanciers de convertir leur dette sur lo pied dc 30 sous k la piastre, et elle a crei a cotellet des praminnes bonds pour lesquels elle a de nouveau engage son honneur et sa foi. Mais peu de creanciers out repondu a cetappel, les nouveaux disant ([uc la facon dont les Bonds ontete crees nc; les regardi' pas, ([u'ils n'ont pas a voir si la viilr a ju nou gaspille ses finances, qii'ils sont des tiers acquereurs de bonne foi, et les anciens disant ipic le credit de la \ illc li'ur avail etc engage prealabienient a toute autre emission et que, d^s (pie les operations frauduleuses ont commence, ils out averti dans tous les journaux (pi'ils n'en rcconnaissaient pas la validite,ce qui est bieu egal aux autres. Aujourd'lmi la ville est done en presence de trois especes de creanciers : les porleurs de Consolidated qui so pretendent privilegies, les porleurs do Nouveaux qui diseiit I'etre tout autant, eth^s portcurs de Praminnes, auxquels la ville reconnait cette qualite : ces trois categories ont cola de commun, c'est qu'aucune d'elles n'est payfe. La ville a [)our I'aire face a ses engagements de toute nature : 1" La taxo sur les proprietes immobiliijres, qui est limitee par I'Etat a l"/, du capital ; 2° Les patentes on licences; 3" La taxe sur le capital em|)loye dans les ad'aires, donl j'ignore le (piautum, uiais dont la base est absolument a la discretion d(( I'assesseur et depend du plus on nioins de graisse ((ii'on lui met aux pattcs. Ainsi le premier banquier dc la ville, Monsieur Carriere, est assesse pour 25 000 jji; de capital ! lii des grands importateurs dc vins et de cognac est assesse sur la base (!(■ 500 jjjs, sous le pretexte (pie les aflaires de ces couuner^^ants se font, non avec leur capital, niais avec leur cr(jdit! 278 A TUAVERS LES ETATS-UNIS DAMERIQUE Va\ rc.ililij hi ville est on I'aiiliti', et le curieiix, c'est qu'il n'y a aucun moycn de roil fairesortir. Elle no peul iii faireun concordat, c'est-a-dire une conver- sioi), si ses civanciei's ne s'y pretent pas, iii faire cession de biens ct obtenir son 1)111 do decliarge comme un cr6ancier ordi .aire. La situation est inextri- cable. Les gens sages voudraient voir les creanciers accej)ter un comproinis; mais parmi les creanciers il y a les enletes et les maitres-chanteurs qui esperent tirer parti de I'cmbarras de la ville et pecher en eau trouble. En attendant la ville no fait rien : c'est ce qu'il y a de plus facile et de plus profitable, mais cela ne saurait se prolonger indefiniinent. Tel est le tableau fidele d'une municipalitequi n'estpasla premiere venue. II est juste d'ajouter (pie I'Etat de la Louisiano est absolument dans la raeme situation, ainsi epic pas mal d'autres dans le Sud. Au Xord le gas- pillage a ele pareil, mais il y a eu plus de capitaux et plus de ressources, et celas'est traduit seulemeiil par une augmentation des impots. 20 Mai. — Grand emoi dans le camp ferainin el raasculiu de la ville, a propos d'une tripotee flanquee parM™ Del.... a M"= F Del est un courtier de change fort connu, fort aimable, fort noceur, ct tout a fait mon ami, qui m'invitc a diner une Ibis par semaine. Sa femme est une fort aimable personne, encore vcrte, quoi(jue un pen developpec, qui lui a donne cinq lilies et un garfon. Est-elle arrivee a cet age ou la femme, n'ayant plus de pouvoir, ne se re- signe pas encore a abdi(pier ses droits? c'est un mystere (pie je ne tenterai point (rappr(.if()nent bien dans cette ile de sai)le. Ca et la, le terrain ayant ete amende par une longue habitation, quelques Grangers prosperent et donnent de bons fruits. Les joies, sauf celles de la famille, n'abondent pas a Galveston. En cette saison, on a les bains de mer dont on use et abuse. On se baigne au Sud sur le golfe du Mexique et au Nord sur la bale de Berwick, qui separe I'ile de la grande terre. La cote Sud est plus agreable a cause du flot. La plage est su- perbe etla maree n'atteintpas plus de30 centimetres. Gependant quelqucfois la mer se fache, et en 1875 un ouragan terrible a emport^ toutes les constru> t'ons de la cote ; la moitie de Galveston a ett3 sous Teau. 28i A TRAYERS LES ETATS-UMS DAMERIQUE Un de mes agents, qui se croit oblige do m'etre tres agreahle, m'invite a una soires rausicale. Grave erreur! Pour la rausique, c'est bien : une jeune psrsonne elevee en AUemagne joue niagistralement du piano. Mais les inter- valles sont reinplis par unccauserie vive et animee a laquelle je ne comprends pas un Iraitre mot, de sorte que je reste raide comme Tobelisque, devant des faceties Anglaises qui font rire tout le monde. Les consommations se composent d'ice -cream a la peche et a la noix de C3C0 (ce dernier parfum assez pietre), et de verres d'eau aussi nomljreux que glaces. Le tout entremele des piaulements d'une fiUette assez mal elevee, qui devrait etre couchee depuis longtemps, forme un regal des plus mediocrcs. Le seul avantage de cette soiree , c'est qu'elle m'a permis d'ecliappcr a un bal. Con?oit-on des gens ayant la rage de danser par 85 degres Fahrenheit, soil 30 centigrades? II faut etre un peu fou, et tons les charmes du heel and toe ne me feraient pas mettre un pied au-dessus de Tautre, a moins d'y etre contraint sous peine d'etre pendu. Le lendemain je fais la connaissance du Vice-Consul de France, M. B"*,. homme de moeurs et d'allures simples, mais universellement cstime et con- sidere. II m'accable d'attentions gracieuses et nous faisons dans son boggy une promenade charmante autour de la baie. II habitc avec sa famille, com- posee de troisenfants, une petite maison en bois, entouree d'uu grand jardin oil il cultive simultanement des fruits, des legumes et des fleurs. II y a de beaux orangers et les inevitables lauriers-roses. II vit en sage des revenus dun bar-room qui est tenu par son neveu , et inspire a ses enfants I'amour de la France, tout en les elevant a I'Americaine, au moins son (ils, 8« A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMERIQUE Je me suis servi tout a I'heure dii mot lynchui- sans m'expliquer autrement : lyncherest un actc de justice sommaire tres goute par le bon peuplc Ameri- caiu. Yoici comment I'operation se pratifpiait autrefois et comment elle se pratique encore aujourd'liui, an grand scandale de la justice federale. Apres avoir dispose une corde a nceud coulant dont le bout a ete amarre soigueusement sur un poteau ou une branclie d'arbre, on s'empare du patient, on lui lie les mains derriere le dos, on le hisse sur un cheval paisible et on lui passe le rioeud coulant autour du cou ; apres quoi chacun s'eloigne. Le cheval ne tarde pas a perdre patience et glisse entre les jambes de son cavalier qui reste alors pendu entre ciel et terre ; ce precede permet a chacun des hono- rables et pieux gentlemen qui out pris part a I'execution de jurer en loute conscience que la victime n'a point ete pendue par eux. S9 Juin. — Jour de depart! J'ai fait mes adieux a tons mes amis et je quitte La Nouvelle-Orleans pour n'y plusrevenir. Gette ville sur laquelle je comptais le plus, en matiere d'affaires, est celle qui m'a donne le plus d'embarras ace point de vue et la seule dont I'organisation ne me laisse pas entierement sa- tisfait. Mais quelle bonne vie j'y ai menee et quelles relations charmantes j'abandonne ! La viedu voyageur est une serle de dechirements ! A peine une amitie ebauchee, il faut la rompre et courir a d'autres destins. Sont-ils plus sages et plus heureux ceux qui restent tranquillement chez eux ct attendent la fortune en dormant d'un profond sommeil? Peut-etre! C'est le mot elernel des clioses d'ici bas. II est certain que quelque ephemtsres quesoienten gene- ral les liaisons creees en voyage, quelques-unes survivent aux circonstances qui les ont fait naitre, maisquecette serle de ruptures finit par vous fatigueret vous inspirer une soif iramoderee de repos. Et cette population Creole est si bonne, si simple ! lis ont accepte leur ruine, ruine relative 11 est vrai , avec tant de philosophic! lis sont si bien prets a faire toute chose qu'ils supposent devoir vous etre agreable ! lis sont restes si Fran^ais, si aimant les choses de France, qu'on ne se sent pas change quand on est chez eux. Gombien de Fran^ais, ayant ete riches, rougiraient deleur pauvrett^! Les Creoles, pas. lis ne vous en parlent que pour s'excuser de ne pas vous recevoir comme ils I'auraient fait autrefois. Jadis en efTet I'hospitalite des planteurs etait princiere, et tel individu qui venait sur une habitation pour deux jours y restait un mois sans jamais avoir Fair d'y etre de trop. Aujourd'hui la lor- LA NOUVELLE-UULEA.NS -2m tune a disparii, mais le cceur est reste et il demcurera jus([u'a ce ([uc la race Fraiifaise se soit Americanisee et ait ete absorbee par relement Yankee ([ui eiivahitconstamniciit, tandis que relement Frangais ne sc renouvelle pas. De La Nouvelle-Orleans a Atlanta, il y a 530 milles que Ton francliit en 19 heures, moyennantleprix de 23$60auquel il faut ajouter 2^ 50 de sleeping- car. On arrive a 7 lieures du matin a Montgomery, ou le negre eniel la pre- tention de me faire dejeuner, pretention repoussee aussitot. Les Americains du car sont leves depuis cinq heures et vont manger au buffet, pendant que je profite de Tarret pour vacjuer a ma toilette. Una fois en route, j'ai recours a mon lunch-basket convenablement garni, grace ames soins et a ceux de ma proprietaire, et je m'offre un dejeuner de saucisson, i)Oulet et foie gras, arrose d"un Bordeaux I'ort acceptable a rebahissement dc mos voisins qui viennent de faire un first class bn'al;l'ast, dont je ne vou- draispas pour mes chiens, si j'enavaisi Chacuu sou gout en matierede nour- riture : j'ai deji dit bien des fois combieu Ci'lui des Auih'icaius est sin- gulier! Atlanta, que j'avais a peine vu a mon premier passage, n'y ayant demeure (ju'une demi-journee et par un jour de pluie , me fait cette fois beaucoup meiUeur elfet. J'use mes deux soirees a mepromener dans les environs qui sont cliarmants. La ville est entouree d'une ceinture de bois, mais de bois pra- ticables, oil Ton pcut faire, a Tabri du solcil, delongues et belles promenades. Peu a pea la foret cede devant I'envahissement de Ihoinme ; mais ceux qui se soiit taille, dans son sein, des maisons et des jardins, out eu I'esprit de con- server chez eux les plus beaux arbres, ce qui donne a toute cette partie de la ville des allures de pare. Le pin, si eomraun dans le Sud, est ici clair-seme, et Ton trouve a la place les essences Europeennes : le bouleau, le hetre, le chene, I'orme et aussi le magnolia, quiatteint parfois de grandes proportions. C'est du reste tout ce qu'Atlanta offre de remarquable : depuis que la ville est devenue capitale de la Georgie, elle s'est offert un Capitole bati en briques et pierres blanches et muni, a la lagon des maisons communes Beiges, d'un joli carillon. Le Post Office, qui fait aussi fonction de douanc, est egalement en briques, et ni hii ni le Capitole n'oiit rien de monumental. 2-3 Jiiillet. — II y a 4 voies pour aller d'Atlanta a Saint-Louis, et la plus longue en milles (815) est la plus courte eu temps (29 lieures , cc (pii repie- -M) A THAVKHS LES ETATS-UNIS D'AMEHlUUE seiite ^8 luilles on 4o kilometres a I'heure, soit 46 kilometres environ en te- nant conipte des arrets. On change de voiture a Chattanooga, a la fronliere Slid du Tennessee, et le lendemaiii matin a Cincinnati, a la limite du Ken- tucky etde rOhio. On fait justementles deux cotes d'un triangle rectangle dont la ligne droite, d'Atlanta a Saint-Louis, serait I'hypotenuse. On traverse la Georgia, le Tennessee, le Kentucky, ITndiana et I'lUinois : le premier et les deux derniers de ces Etats sont les seuls dont on puisse se faire une idee, la traversee des deux autress'effectuant pendant la nuit. Durant ces vingt-ncuf heures, pas d'autres distractions que la contemplation du paysage et I'observation des flirtations auxquelles le voyage et la solitude donnent carriere. La partie Nord-Ouest de la Georgie est assez accidentee : c'est la que vien- nent mourir les derniers rameauxdes Alleghanys, etle sol, avant de se fondre dans I'immense plaine (pii forme la vallee du Mississipi, se creuse et se nia- raelonne en offrant une succession de vallons et de collines, qui rappelle Tas- pect du Gliarolais. Sur le flanc de ces collines selale une quantite de petites exploitations agricoles de (50 a 300 acres, occupees en tres grande partie par les negres. Depuis I'emancipation le negre a fait, surtout en Georgie, des pro- gres considerables. J'ai dit plus haut (jue le capital qu'il representaitavait 6te aneanti: I'expression n'cst pas juste. II est plus exact de dire que ce capital a change de mains. C'est en effet le negre qui a remplace le blanc dans la pro- priete de ses bras et de ses forces (jui constituaient^ pour ainsi dire, le materiel agricole du pays. 11 a tire un grand parti de cette propriele et de ce moyen d'action mis a sa disposition, car il resulte du role des impositions que, dans la Georgie seulement, la valeur estimee de la propriete fonciere appartenant aux negres est de six millions de piastres. Comme a la date de I'emancipation ils ne possedaient rien, c'est un capital de trente millions de francs qu'ils ont eco- nomise et immobilise depuis dix-luiit ans, sans compter le capital mobilier. Cela indique certainement un progres, car lorsqu'une race s'attache a laterre et la cultive, elle puise dans lesolauquel elle est lixee denombreux ct puis- sants elements de vitalite. Tout autoiu- de moi on llirte pour chasser les ennuis du voyage. A ma droite une tresjoliebrune est assise a cote d'un grand benet imberbe, avcc des pieds de taille a porter un elephant et des oreilles sur le meme patron, ils se CHICAGO i!ll livrent sans le moindre scrupule a des jeux de mains qui n'indiquent aiicun sentiment d'iiostilite at profitent du passage sous les ponts, ([ui sont des es- peces de tunnels, pour s'embrasser a la sourdine. Le beau estqu'a unecertaine station, I'liommeaux pieds d'elephant disparait, et est remplace par un mon- sieur d'un age plus miir, portant favoris ct parlant tres bien Fran^ais. II est beaucoup plus reserve vis-a-vis do la demoiselle, qui parait subir le change- ment sans le gofiter beaucoup. A deux sieges en avant de moi est une fort belle fllle, qui est montee a Cin- cinnati avcc son petit sac et son aumoniere. Vers Ics dix beures un jeune gentleman est veau faire un tour dans le Avagon-salon. Son inspection I'a sans doute salisfait, car il est revenu avec son sac, s'est muni d'un billet et s'est iiistalle en lace de la demoiselle. Au bout de dix minutes ils etaient en conversation reglee et se refugiaient dans un drawing-room, petit salon pour 2 ou 4 personnes, oil ils demeuraient toute la journee non sans avoir eu le soin d'en fermer la porte. Comme le disait le beau Portlios a sa du- cliesse Mme Goquenard : « Les voyages paraissent beaucoup moins longs quand on les fait a deux ! « 3-5 Juillet. — Passe cestrois jours a Saint-Louisque j'avaisjustementquitte le 2 juillet I'annee derniere. Ge sejour me permet d'assistera la celebration de hi fete de Tbidependance dont la date ol'licielle est le i juillet, et qui cctte annee se trouve reuvoyee au 5, le 'i etant un Dimancbe. C'est boutfon ! La fete consiste exclusivement en detonations de petards ou d'armes a feu, auxquelles se livrent les polissons du jeune age et meme des gens d'un age mur. II n'y a pas de drapeau aux I'enetres, pas un edifice particulier ou public illumine, pas un feu d'artifice , pas une ceremonie publique ! Compare a nos fetes nationalcs, c'est risible. La seule marque de joie est la fermeture des offices, et encore, partiellement : tons les magasins restent ouverts. Mon amie M'^ Carrey a bien raison de dire : « Les Ainericains sont un peuple qui s'amuse tristement ! » 6-i2 juillet. — Passe cette derniere semaine a Cbicago, pour voir mon agent et dire adieu u mesamis. Dine naturellement choz mon ami M"*; j'y rencontre une fort aimable creole que j'avais deja entrevue a La Nouvelle, et qui passe a Chicago un mois qui pourra bieu en durer trois ou quatre. Mile Sylvanie L'" a tout le charmc de sa race , mais pas de fortune, et , je le crains, pen 2'.^2 A THAVEKS LES ETATS-IMS DAMERIOUE de sante. C'est assez dans tons les pays du nionde pour rester vieille Jille. La Convention democratique vient d'avoirlieu a Cincinnati. Les democra- tes ont choisi pour candidal le general Hancok : on s'accorde a trouver ce choix excellent, et, chose extraordinaire, on ne trouve rien a dire, nt contre riiomme public, ni contre riiomme prive. Le general Hancok, qui a fait la guerre de la secession dans les rangs des fedtJraux, a comniandeen Louisiane apres la guerre, et tous les habitants rendent justice a sa probite, asaloyaute, a son respect de la loi. Les democrates ne pouvaient trouver personne de mieux a opposer aux republicains : mais la hitte sera chaude et la victoire ardemnient disputee. Les republicains ont pour eux la possession d'etat et combattent pro aris et focis, traduisez : « pour la conservation des places », tandis que les demo- crates luttent pour les obtenir. Ence qui concerne I'interet public, les deux partis s'en moquent egalement, et quant a la moralite, elle brille aussi ega- lement des deux cotes, mais par son absence. A Chicago, pendant la Convention republicaine, mon ami M"" avail obtenu, par rinfluence de ses amis, le privilege de fournir le bar des conventionnels (en dehors des moments de vole, ceux-ci sont plus souvent au bar que sur leurs sieges). li se promettaitde cette affaire un grand bend'fice, les gosiers America ins etanl tres alteres par la discussion ; mais des citoyens el surtout des citoyen- nes etanl inlervenus Font averti ([ue s'il debitait des liqueurs alcooliques, corame certainement il y aurait abus de celles-ci et scandale dans la salle des seances, il encourrait leur courroux, et que ses affaires ulterieures s'en res- senliraient. Devanl ces menaces il a cede en vue de I'avenir et s'est borne a faire debitor de la limonade et de la biere. Voila un trait de I'hypocrisie Americaine ! Ce sont les memes gens qui, lorsqu'ils achetenta M"' une caisse de vins ou de liqueurs assortis, stipulentquela caisse sera introduite non par laportede lamaison,maisparcellederecurie, etqu'elle leur seraenvoyee par I'express de la ville et non par le wagon special aux arraes de M"* qui porte sa marchandise dans toute la ville en vue d'un efiet de publicite. y / juillel.^Dimanche. — Dejeune avecM. G"', I'employe Frangais de noire agence, un Canadien etabli a Chicago , gar^on intelligent qui a fait et perdu sa fortune. Nous causonsdu Canada oil ily aurait, dit-il, a faire pour une com- pagnic Frai:?jise. II n"e>t aucuudoute pourmoi cpie nous y ferions une ample MAGARA -M\ moisson de primes; malheureusement nous y coUectionnerous, je crois, aussi beaucoup de sinistres. II y a eu recemment unegrande assemblee de CanadiensFraiifais , c'est-a- dire d'origine Fran^aise ; des discours ont ete prononces en faveur de la France et en Thonneur de leur commune origine ; il y a la un element tres important avec lequel la France devrait compter pourentretenirdes relations qu'il importe de multiplier. Chose remarquable, c'est sur les croyances catholiques que cet element s'appuie, et la reunion des Ganadiens Francais a pris de suite une tournure religieuse accentuee par les discours f|ui y ont ete prononces. Ce que les Ganadiens ont rcf u de la France, ce sont surtout ses missionnaires, qui clia- que annee y emigrent encore, et passent leur vie a voyager des bords de I'Atlantique aux frontieres de la British Golumbia, a cheval ou a pied, par le chaud ou le froid, a travcrs des routes impossibles, pour administrer les sa- crementset dire lamesse aux colons, aux trappeurs et aux Indiens dissemines dans ces immenses solitudes. Quelque opinion que Ton ait sur les croyances religieuses, il faut reconnaitre qu'elles pretent a I'homme une force extraordi- naire, et([ue les pretendues vraies comme les pretendues fausses inspirentdes actes au-dessus de I'ordinaire. En ce quiconcerne en particulier leGanada, le metier de missionnaire, qui est aujourd'hui fatigant, mais sans grand danger, n'a pas toujours ete tel, et pendant longtemps nombre de martyrs ont laiss^ leurs OS sur cette terre inhospitaliere et aujourd'hui civilisee. Le Dimanche soir nous allons faire un tour au South-Park dont j'ai deja parle et qui sera bien beau quand il aura grandi. En rentrant nous nous asseyons sur le perron, qui suivant un usage universel sert de salon pendant les soirs d'ete. All heures je prends conge de mcs amis et le lendemain a 3 heures je quitte Chicago, pour n'y plus revenir. / l-l 5 julUrt. — Apres une demi-journee et une nuit de voyage, j'arrive a Niagara oii je passe deux jours a revoir les chutes et a completer I'explora- tion que j'avais dii laisser incomplete I'annee precedente, la saison etant trop pen avancee pour permettre certaines excursions. Je visite la hot spring (source chaude). Gette source, qui jaillit sur la rive Ganadienne a un quart d'heure environ des chutes et sur le bord meme du fleuve, doit contenir un carbure d'hydrogene en dissolution : il s'en degage, a la tempera- 294 A TRAVERS LES ETATS-UNIS DAMfiRIQlTE ture ordinaire, un gaz qui brule avec une flamme blanche ; I'eau est d'ailleurs sans odeur et presqiie sans saveur; on peut en boire sans aucun inconvenient. Je traverse ensuile la riviere dans un petit bateau pouvant contenir une quinzaine de personnes. La traversee a lieu a cent metres environ des chutes, eton ne dirait jamais qu'entre les chutes et les rapides la riviere puisse etre aussi paisible. Le batelier utilise d'ailleurs avec intelligence les courants et les remous, et Ton n"est guere ballotte que pendant quelquos instants, d'une Cacon fort tolerable qui n'cxcite aucune appi-ehension ; du milieu de la ri- viere, et du point d'embarquement sur la rive Canadienne, on a un beau coup d'oMl des chutes. Le prix de la traversee, aller et retour, est de vingt- cinq cents, ce qui n'est pas fort onereux. Enfin pour terminer mon expedition, et bien que j'aie jure que Ton ne m'y reprendrait plus, je me decide, malgre la lefon que j'ai re1S D AMHUIOLE Imai'ialjleiiii'iit le coiiducUnir tie la volante elait t'L est encore uii negre. Ia- iKjtiv est vt'tii (Jiiii [(aiitalcjii lie toile, d'uiie vesU- bleu de ciel a galons jadis doivs, coille dun bolivar releve d'un cote par uue cocarde, et les picds iHis dans des souliers vierges depuis leur naissance de tout cirage, niais arnies deperons dont un seul fournirait la raatiere de deux paires pour DOS ofliciers de ca\ alerie. Ainsi accoutre, il enlburche une selie dont iarvoii laille plat ct en demi-lune monte jus(iu'au creux de I'estomac, et au galop 1 II nv a pas d'exemple d'un iiegre rencontre a cheval sans etre au galo]i. Au commeucement tout va bien : nous suivons, le long de la greve, une hi s belle route qui nous donne une vue complete de la bale et des coUines (pii rentourent ; une niontee se presente, elle est enlevee au galop : cela va encore. Mais bientOt nous entrons dans le cliemin (jui conduit a la grotle et lorcc est alors de nous raettre au pas. Ce chcniin rappelle par sa structuie les rou'cs de Galifornie et en particulier cellede Yosemite- Valley. 11 est coupe de roches a aretes vives et de fondrieres qui niotivent, de la part de noire negre, u>\<- avalanche de Caramba ! de Pugnatcro ! et de Hijo dcjjiUa ! sans compter bii ii d'autres a I'adresse de ses chevaux (pii n'en peuvent niais. Quant a nous, ae- croclies d'une main, arc-boutes du dos et des pieds, nous executons I'un sur I'autre une sarabande ibile. Pour mon couipte personnel j'ai une forte envie de descendre ; mais mon compagnon ne murmiire pas et I'orgueil n'ltioual me soutient. Heureusement que ce supplice a un terme el ([u'au bout de ili\ minutes le chemin, revenu a des allures plus honneles, nous conduit a la maisonnette qui sert d'entree aux grottes. Descendus de notre vehiculo, nous agitons la cloche, ct bicntiH nous aper- cevons a une certaine distance un individu qui ne se presse pas d'accourir. G'est le delegue du proprietaire : il nous ouvre la maison et nous invite a vi- siter leMusee. Une aftiche imprimee en Anglais, Fran^ais et Espagnol, apres nous avoir avertis qu'avec notre permission nous aurons, pour visiter les grottes, a payer deux piastres par tele, nous informe aussi que nous sommes respectueusement requis de ne rien briser a I'interieur, ct que les objets con- lenus dans le Musee seront vendus a des j)rix modertjs. J'ai constate, avant departir, (jue cette al'lirmation n'est pas mensongere, et j'ai pu, moyennant trois piastres vn papier, oblenira I'intenlion de mon ami James F'", dit « Ic caillouteux », deux asst'z iojis eelKuitilloiis. LA HAVANE :109 On descend aux grottes par un escaliortaille de main d'liomme,de 2.j ou30 marclies : on se trouvo alors dans la premiere salie intitules le Temple Go- thique, qui n"a hen de tres remarquable. Una ou deux crevasses sont fran- chies sur des ponts en bois; on descend une pente assez raide et on arrive alors au milieu des stalactites et des stalagmites, qui certainement forment dans ce genre un des ensembles les plus remarquables qu'il yait au monde. La grotte presque entiere est tapissee decristaiix d'un lumineux, d'une transpa- rence etd'anelegerete extraordinaires. Par moment, ilscmpruntentau plafond qui les soutient une couleur rosetendre qui confirme les hypotheses faites sur la formation coralline dc Tile. Ca et la, mais dans tres peu d'endroits, on distingue une coloration brune due sans doute a un sel de fer. La plupart de ces cristaux sont translucides et quelques-uns rendent, quand on les frappe legerement avecun corps dur, un son harmonieux et prolonge. II serait trop long et sans interet d enumerer les noms dont out ete baptises certains echantillons, par suite d'une resserablance fortuite et souvent toute con- ventionnelle. Le Grand orgue, la Chape de I'Eveque, la Barie dti Capucin, la Statue de Saint Pierre, sontsoigneusementsignales a Tattention du visiteur : ce dernier phenomene resulte de la jonction d'une stalactite a une stalagmite et figure assez bien un homme barbu coiffe d'une mitre et tenant une clef dans ses mains jointes. II faut reconnaitre toutefois que si Saint Pierre est ainsi fait, il n'est pas beau. Derri^re la statue de Saint Pierre est le hnin rfc VAim-ricahie, sorte de cuvette allongee dans laquelle il y a bien six pouces de hauteur d'ean, qui provient des infiltrations de la voute. II parait ([u'une jeune miss, trouvant excessive la temperature de la grotte qui est effective- ment assez elev^e, s'est offert, loin de tout regard indiscret, un bain dans cette piscine. Comme tres probablement elle ne s'etait pas munie d'un cos- tume de bain, Saint Pierre eut pu eprouver une forte tentation de quitter son piedestal et de redevenir homme pour un moment. Heureusement, pour la morale et pour lui, qu'il tournait le dos a cette scene aquatique et aussi qu'il est en pierre ! Ah ! quel desespoir d'avoir Etc maitre de la lerre Pour apres sa morl se voir En pierre, en pierre, en pierre, en pierre ! :!10 A TRAVERS LES ETATS-UNIS D'AMfiRIQlIE Doux echo de la patrie absente. II faut environ trois quarts d'heurepourallerau fond de la partieexplor^ede la grotte et en revenir. Au retour on change de chemin pendant quelque temps et on parcourt un couloir surbaissedit CAew(/j dn diahlc, qui oblige les gens de haute taille a se courber en deux, et ceux d'une dimension plus moderee a courber simplement la tete. A la suite de ce couloir qui n'a rien d'extra- ordinaire, on rentre dans le Temple Gotliique et Ton reparait enfin a la lu- miere du jour, ayant tres chaud et etant fatigue par la montec qui est assez dure. En somme I'excursion est satisfaisantc. Cela paie pour la fatigue el pour I'argent. II ne faut pas chercherla les dimensions colossales et stupedantes de Mammoth-Gave, ni vouloir etudier le travail de creusement des eaux qui, s'il existe, ce quiestdouteux,n'est nullement apparent. Mais, dans ses dimensions restreintes, la grotte deBellamar est plus gracieuse, plus accessible et beaucoup moins fatigante, ce qui est unc consideration pour bien des gens. Au retour nous franchissons a nouveau le chemin perdu que nous avons suivi. Des que nous sommes en plaine, nofre negre reprend son allure, stimule cette fois par une pluie battante qui donne a sa veste bleue des tons fantas- tiques. Proteges par un epais rideau, nous assistons philosophiquement a ce spectacle et rentrons enfin, a la grande joie du cocher et des chevaux. i 7 Aout. — Je reviens a La Havanepar le meme chemin, en depit de ceux qui veulent mefaire prendre une autre route, qui me ferait rester deux jours de plus en chemin de fer et m'obligerait a me lever une heure plus tot : le tout sous pretexte de voir une autre partie du pays. Ce que j'en ai vu me suffit : ce n'est pas beau, et pour I'apprecier sainement il faudrait y faire un sejour prolonge, et je n'en ai ni le temps ni les moyens. L'aspect general de I'ile est celui d'une plaine accidentee, dans sa partie Sud-Est, par quelques chaines de collines pcu elevees. La vegetation y est celle des tropiques : bananiers, palmiers, lataniers, cocotiers, orangers. La culture a pour objet exclusif ou a peu pres le mais et la canne ; fa et la quelques sucreries dressent, au milieu do la plaine verte, leurs batiments blancsetleur grande chemin^e de briques rouges, couronnee, dans la saison des travaux, de son panache de fumee. Le 17 aout est marque dans mes annales d'une croix blanche. En arrivant a La Havane, je trouvemon courrier de France, arrive la veille, et il appert, de LA HAVANR 311 la lettro 10 100 du 30 Juillet tie ma Compagnie, que je pourrai rentrer quand j'aurai termine mes affaires de La Havane, et que raes autres expeditions sont remises a des temps plus eloignes. Consequemment je serai pret a quitter La Havane samedi 21 aoiit ; je serai a New- York mercredi 25, trop tard malheu- reuseraent pour prendre le paquebot Frangais ; il est probable, du reste, qu'a cause de la quarantaiiie on ne nous laissera debarquer que le jeudi, mais le mercredi suivant 1"'' septembre, cloture definitive et sans remise de cette representation qui aura dure justement 17 mois ; et si j'ai un peu de chance, si je tombe sur un bon marcheur, si les marees de sortie et d'entree au Havre sont favorables, peut-etre pourrai-je arriver a Lyon le 12 pour la fete de mon pere. II suffirait d'entrer au Havre le 11, assez a temps pour prendre I'express de midi. Le P^reire ferait cela haul la main. J'ai entrepris avant mon depart une consommation mtithodique de tons les fruits des tropiques dans le but de me rendre un compte exact de lour gout. Cela ne fait que confirmer mes impressions premieres (1). L'aboijado (avocat), dit aussi beurre vegetal, qui est maintenant dans toute sa maturite, n'a aucune espece de goiit. Parfois, et avec bf aucoup de bonne volonte, on lui decouvre un vague parfum de noisette. II a la forme d'une tres grossc poire et se coupe en tranches comme un melon. L'intericur est rempli par un noyau ligneux, a coque pelliculaire tres mince, etdont I'amande a la dimension d'une grosse noix. On a essaye, sans succes, d'utiliser cette amande pour la preparation de I'acide gallique. L'annona (annone) a la forme et la dimension d'une pomme do pin. Elle s'ouvre sous la pression de la main et laisse voir a I'interieur une serie de (1) L'opinion de Jay sur les fruits des Tropiques estfondee en ce qui concerne les fruits de La Havane. Dans les colonies Espagnoles en effet, et memedans la plupart des colonies Anglaises ou Porluyaises, la science de I'horticulture est entierement iguoree : aussi n'y mange-t-on le plus souvent que des fruits sauvages. Ce n'est guere que dans les pays oil a passe le jardinier Fran^ais que Ton trouve des fruits tropicaux dignes d'appeler lattention du palais le plus delicat : j'y ajouterai toutefois quelques provinces de I'lndo-Ghine oil les jardiniers Chinois ou Annamites ont obtenu des resultats de premier ordre. La culture, la greffe et le mariage des fleurs transforment les produits des arbres fruitiers sous les Tropiques comme dans les Zones temperees. Pour citer un cxemple, je dirai qu'entre le mango et la bonne mangue greffce, en particulier la mangue d'ur ou la mangue augusle de Cayenne, il existe une diffe- rence au moins aussi grande que celle que Ion peut constater en France entre la poire sauvage et la poire savoureuse cueillie dans un jardin oil la culture des arbres fruitiers est I'objet des combinaisons les plus savantes. (i'hahirand.) :;!:; a tuavkiis i.ks ktats-ims DAMKRiorr. cellules icnrerinant cliaciine iiii noyau aMlniii' (liii|iiel se troiiV(> line [iiilpe sucree, juteuse et pen ahoiidante. On mange ct^ia avcc line petite cuillere, et on pen! beaucoup de temps pour rien. La Zapnte et la ZapotiUa (sapote et sapotille) ressemblent a dps neflcs ct sont orneps de noyaux bruns et polls disposes eomme les pippins d'une pommo : {,'ont fadasse et chair moUe. J^e mango (la mangiie) a hi forme et les dimensions d'une poire moyenne. 11 est vert et brim a 1 etat Ai'. matnrite. II se mansre anssi avec une eiiillere ; romme consistance ot comme gonl, on dirait un pa(iui'l d'eloupes trempe dans de I'essence de therebentine. A touteela il I'aut ajouter la /iniiaiir ([iiiest le i;rand IVuii d<^ ronsommalion du pays. On la inange a la main, IVite, irrillee, en compote on en conliture. Toiijonrs et partont elle me ra|ipelle nn baton de cosmeticpie ; c'est cepen- daiit un fruit iiniversellement estime dans toutes les colonies. II y en a i>lns de cent especes. Les trois principales s'appellent dans les colonies Espa^noles : Mi'islildi- guitnrra (manclie de guitare); Dcdo dc I'nigel (doigt d'ange) et cicn I'll hoca (cent en bouclie); noms qui sont tires de leurs dimensions respec- tives. Lesmemes csptees, envisagees an meme point de vue, ontete baptisees [)ar les dames Creoles des colonies Franvaises : « PlntanCiel ! — Passeencore! — Dieu m"en garde I » Ceu\ (pii connaissent la banane, fruit allonge, courhe legereraent, plusgros par un bout que par nn autre, enveloppe dune peau douce qui se sonde a elle-meme par nne cote legereraent saillante, se reii- dront facilement compte du pounjuoi dc ces trois noms enoncos, sous forme de voeux. Honni soit qui mal y pense ! 'J I Aout. — Je fais mes adieux a I'ile de Cuba et je in'embarfjue pour New- York siir la City of Alexandrie, tr^s beau bateau de la ("ompagnie Alexandre, qui m"a amene et qui est alle faire son tour au Mexique avant de revenir nous prendre. II est farci de Mexicains, de Cubains et de toutes les variett5s de la colo- nisation Espagnole; varietes (jui laissent Ijeaucoup a desirer comme relations sociales et comme proprete. Le voyage se passe sans incidents ni accidents; la mer est belle, le Gulf stream nous donne deux on trois milles a I'heure, et le mercredi 2o, ii 1 henre du matin, nous mouillons dans la bale de New- York. Mais la Santenous interditde debarqueret nousrestons, jus(pi"au lende- main a nn'di, a cuire au soldi el a osciller au gre des flots. Entre temps, nous NEW-YORK 313 voyons passer le Labrador qui sort a neuf heures du matin et qui part pour la France. Enfin, le jeudi a niidi, un bateau vient nous prendre, eta ti'ois heures nous mettons le pied sur la tcrre Americaine, debarrasses de la douane et de ses suppots. i'.5 Aoiit. — i" Septembre. — Mes huit derniers jours a New- York sont spt5cialement employes a des diners et des dejeuners d'adieu. Si j'^coutais mes amis, je n'hesiterais pas a consacrer une semaine de plus a cet exercice. Mais je ne peux pas decemment me I'aire allouer 50 fr. par jour uniquement pour manger ou faire manger les autres , et d'un autre cote le besoiu du depart a pris les proportions d'une maladie. Je me serais resigne sanstrop de peine a aller, si cela cut etc necessaire, dans I'Am^rique du Sud, ce (|ui aurait prolonge mon absence de six mois; il I'audrait me payer Fort clier pour me faire rester une semaine de plus a New-York. Je livre ce phenomene aux mMitations des psychologues. Unede nos apres-midi se passe a Coney Island dont j"ai deja dit un mot et dont nous faisons une revue complete. Gette creation est veritablement tres rt5ussie. Outre les trois grands hotels deja signales, il y a plusieurs restau- rants de second ordre; un aquarium oil, ])our la premierelbis, je voisde petits requins en liberie; des nains de ditterentes tallies; un albinos; entin un gros hommeet unegrosse femme qui feraienl uu tres bul efl'et en maillot couleur chair. Le soirnous assistonsa un I'cii d'artitlce fort presentable et remarquable en ceci : c'est que certaines pieces sont mobiles; ainsi un chien et un chat simulent une bataille a coups de pattes, tandis que lelephant sur lequel ils sont juches remue la trompe et la queue. La piece de resistance est un fac- simile de Tare de triomplie de I'Etoile, ce qui fait battre notre coeur patrioti- que : il paraitque cette reproduction est toujours trt!S goutee des Americains /" Septembrp. — Dernier dejeuner chez Fortwingler, poignees de mains, souhaits, adieux, un pleur au coin de la paupiere et tout ce qui s'ensuit, et depart a bord de « la France » a la garde de Dieu el du capitaine Trudelle qui prend Tengagement denous rendre au Havre, a bon port, sauf vents con- traires, accidents de mer, ou cas de force majeure. La Francr. a d'ailleurs tout ce qu'il faut pour cela, et le capitaine Trudelle est un fin marin. 11 a fait sur la route du Havre a New-York, et sur la fa^on de se dirigcr a I'arrivee et au depart a I'aide de sondages, des travaux fori remarques des marins, et il •M4 A TRAVERS LES fiTATS-UNIS D'AMERIOUE entre dans la bale de Sandy-Hook, sans pilote, a toute vapeiir et par temps de brarae, ce qui stupefie les Am^ricains eux-memes. Par exemple il pourrait bicn couper quelque bateau en deux, mais cela ne lui est pas encore arrive. T rudelle, quoique doue de la politesse exquise des officiers de la marine mili- laire, est d'aillcurs decet avis que le passagerest un colisplusencombrant que tout autre, ii poidsegal, et que son metier n'est point d'etre aimable avec lui, ce qui regarde le commissaire. II est siirtout terrible pour les gens qui lui dounent des conseils ou qui lui font des questions betes. A son dernier voyage une dame lui disait : « Je crois, capitaine, qu'on roule beaucoup et qu'il serait « bon d'alleger le navire ? — Oui , eh bien ! madame, si vous voulez me « donner le nninero de vos malIes,nous commencerons par celles-la ; j'ai lieu « d'espercr que ce sera suffisant et que personne autre ne reclamera plus. » A une auti'e qui au milieu d'un paquet de brume lui demandait : ((Capitaine, « est-ce qu'il fait toujours noir comme cela dans cet endroit? — Je ne sais (( pas, madame, je n'ai jamais connu personne qui y deraeurat habituelle- « ment et qui put me renseigner! » Mais le capitaine est adore de son equipage pour lequel il fait tout sans lui passer rien, et on ditqu'en cas d'evenements graves, il en obticndrait le pos- sible et impossible. G'est rassurant quand on voyage avec lui. Les passagers n'offrent rien de bien transcendant. Beaucoup trop de Cu- bains et d'Espagnols : un general de Costa-Rica, le seiior Pablo Quiroz, favo- ris6 et moustaclui; deux charmantes femmes, la mere et la fille, M™ et M"' Royal, soeur et niece de I'amiral Am^ricain qui commande la station de I'Eu- rope; M"" Paterson, une jeune Americaine, dont la soeur est mariee en France, et qui parle tres purement le Fran^ais, avec I'esprit d'une Parisienne et le laisser-aller bon enfant d'une Americaine (elle prend un tres grand soin de faire remarquer qu'elle n'est pas Yankee); M. et M"" Chabert, deux jeunes maries qui ont I'air de deux poupees de coiffeur : le soir de leurs noces on leur a mis a chacun un ressort dans le dos et ils disent non pas « papa, ma- man » mais « drarlinrj! drarling ! a (cheri, cherie); en fait de femmes, une gentille petite Fran(,"aise, M"° Coilly, qui revient cliez elle apres quatre aiis de sejour en Ami''ri(pie employes a no pas apprendre I'Anglais : jc I'ai prise sous ma protection speciale ; nne Mexicaine, M™ Tosca avec sa fille Evangelina et son fils; chose extraordinaire, les enfants sont beaucoup plus bronzes que la NEW-YORK 315 m^re, qui est k pea pres blanche. La jeune fiUe, qui a des yeux noirs superbes et des pieds charmants, est fort courtisde par un jeune Espagnol, le seilor Garcio, qui a cette particularite d'etre rouge-carotte, et qui s'est embarque au dernier moment, dit-on, pour la suivre. Ce petit monsieur a le don de me de- plaire prodigieusement. Deux jours avant I'arrivfe, il raconte qu'onlui a vole sa malle avee ISO dollars, et il est fort etonne que je refuse d'attester par ma signature un faitdont jen'aipasete temoin. Le reste se compose deMexicains, de Cubains,d'Americains,et dedeuxP^rangais aimablesetbieneleves.Au nom- bre des passagers dentrepont est Megy qui revient de New- York aux frais du Gouvernement. II est fort paisible, ne parle que quand on I'interroge et parait calme, au moins pour le moment. En somme une quarantaine de passagers de cabine et une centainede passagers d'entrepont, ni trop ni trop pen, assez pour que la traverseesoit gaie. Le voyage se passe du reste fort bien a tous les points de vue. A trois heures un quart, nous levons I'ancre, ou plutot on largue les amarres; nous filons le long du dock en envoyant un dernier salut aux amis : c'est le moment du coeur gros et ou on y va de sa vieille larme ! Pourquoi en rougir? Ge n'est point sans regrets qu'on quitte cette terreetran- gere, oil Ton a passe dix-huitmois de sa vie, ou Ton a lutte, travaille, joul, souffert et aime ; on a vecu et on a laisse quelques lambeaux de son coeur aux epines du chemin. Heureux les hommes forts pour lesquels le passe de la veille n'est qu'un reve et qui marchent constamment les yeux tournes vers I'avenirl A trois heures et demie nous doublons la pointe de la batterie , puis nous traversons la baie. Nous cotoyons Governor's Island, nous relevons le fort Tomkins et le fort Lafayette. Bientot nous sommes en pleine raer, et le lende- main matin nous n'apercevons plus que le ciel et I'eau. Et cela dure pen- dant douze jours sans incident! Heureuses les traversees qui n'ont pas d'his- toire! Le samedi 11 septembre une grande question se pose: arrivera-t-on le lendemain? L'affirmative ne parait pas douteuse. Mais la maree est a six heures, eta midt lamer sera-t-elle assez bonne pour qu'on puisse envoyer le petit bateau chercher les passagers? La nuit se passe a csperer et a craindre. Le matin a six heures nous sommes sur les cotes d'An- gleterre en face de Plymouth. Pourquoi? G'estune fantaisie du commandant 316 . A TRAVERS LES ETATS-UNIS nAMEKIUl'E qui, ayant du temps de reste, s'amusea faire des sondages pour son instruc- tion personnelle. Aliens, tant mieux ! Que le diable letrangle ! Enfin a huit heures nous passons devant Barfleur! Puis c'est le Havre-de- Grace! Le petit bateau vient; a dix heures nous sommes debarques, a mid' en chemin de fer, a cinq heures a Paris ! Yive la France ! TABLE DES MATIERES Pages. Prkface V CHAPITRE PREMIER. — Du llAvnE a New-Yokk. — New-Yohk. — Boston. — Le Havre. — Lc paquebot rAmerique. — Traversi^e. — Les passagers. — Elegie fuuambulesque. — Le suicide d'uu patissier. — Debarquement — La ilouane. — Hoffmann-House. — Unc cocotle ii revolver. — Un heureux con lueleur de car. — A Albany. — Les cheminsde feretles Drawing-cars. — Lesbords del'Hudson. — Albany. — L'hotel. — Le nouveau Capitole. — Les ice-bouses. — Retour ii New-York. — Le tbealre d'Aimee. ^ Uue partie de crocket. — L'emigratiou des negres. — Une maison Americaine. — Hlstoire d'un superintendant d'assu- rauces et d'unomployS ii tiroir. — Lesfonctiounaires Aui6ricains. — Buckingham- Palace. — Le Lodger-Beer de M"" Vermerein. — Le magasin de Tiffany.— Uue partie d'echecs. — Les cloches de CorneviUe. — Les demoiselles Ami^ricaines. — Ce qui arrive en cas d'accident. — Les dames et les maris trompes. — Suite du superintendant. — Fatinitza au theatre de la cinqui^me. — Le prix d'uu diner s^rieux. — L'6ducation des demoiselles. — La justice Americaine ; Fisk et Stokes. — Fisk et Vanderbilt. — Boston. — Le Shore-Line Railroad. — Le pas- sage de la Tamise. — Le menu d'un diner Americain. — La ville. — Les resi- dences. — Le Pacific-Mill : filature, tissage, impression. — Les faillites en .\m6- rique. — Visite a Greenwood. — Depart pour Niagara 1 CHAPITRE IL — Niagara. — Chicago. — Saint-Louis. — Niagara-Falls. — Devil's hole. — Whirlpole-Gulf. — Whirlpole-Rapids. — Les Elfivateurs. — La Vierge du Brouillard. — Les grandes chutes. — Promenade sous la chute. — Prospect- Park. — Les lies. — Curiosit^s Indiennes. — Du Niagara a Chicago. — Uu slee- ping-car.— La civility Americaine. — Arriv^ea Chicago. — Installation.— Palmer- House. — Les applicants. — Le Board of Trade. — Ce que c'est qu'un corner. — Une famille HoUando-Amiricaiue. — Souper et Soiree. — Un exemple de la liberty dont jouissent lesnegres. — Le goiit chez les Am6ricains. — Un cirque a Chicago. — Un club de jeunes gens. — Uu diner et une famille Creole. — Le Hro- patrol. — Les Water-Works. — Les Stock-Yards et les Porking-Houses. — La fabrication de la saucisse filevfee a la hauteur d'une institution sociale. — Un po- liceman un pen vif. — Unpen de statistique. — La vie de famille a l'hotel et en Boarding-House. — De Chicago a Saint-Louis. — Liudell-Hotel. — Un negro officieux. — Un des usages des grands hotels. — Les negres envisages au point de vue domestique. — Quelques details sur Saint-Louis. — Un pen de maladie en Anglais. — Depart de Saint-Louis pour San-Francisco 39 CHAPITRE HI. — Sax-Fhancisco. — Palace-Hotel. — Incognito trahi. — Le cable- car. — La nouvelle Constitution Califoruienne. —La ville, le pare, les maisons 318 TABLE DES MATIERES Pages, d'habitatiou. — Deux jours aux baius do. met. — Course eii boggy. — La vie des eaux. — Un lunch dans les bois. — Les Big-trees. — Uu peu de botanique. — Deux mots sur la flirtation. — Lfs societ(5s par actions. — La Nevada-Bank. — La hausse et la baissc sur les Mining-stocks. — Un meeting republicain. — Un diner dans une faniiUe Americaine. — Les \)edestriennes. — M'"' Lacliapelle. — Voyage a Yoseuiite-Valley. — Consommation do poussierc et de chaleur. — L'origine do la boite aux lettres. — Les fon'ts. — Les Big-trees — Un aimable petit gareon. — Une nuit sur un balcou. — Dissertation consolatrice sur une civilisation ijui commence. — Les baius de mer d'.Uameda. — La ville Chinoisc. — Les rues. — Les boutiques. — Le theatre. — Le temple. — Un restaurant Chinois. — Les lodgings. — Les maisons h th6. — Les fnmeurs d'opium. — La question Chinoise et la nouvelle Constitution. — Diner d'adien. — Poodledog. — La prison publique. — Un gouverneur soid comme un cochon. — Un peu de slatistique sur Sau-Fraucisco. — Le moyen d'y faire forlune. — Depart 69 CHAPITRE IV. — De San-Francisco a New-York. — Les Mormons.— ■ Chicago. — New- York. — De San-Francisco a New-York. — Les divers chemins. — L'ancienno route et le voyage en caravane. — Les ponnie-express. — Des hommes de lettres payds comme des miiiistres. — Le port des corrcspondances. — Les chemins de rUnion Pacific et du Central Pacific. — La pose de la voie. — Le wedding- day. — Le cout des deux chemins et leurs ressources fmancieres. — Le profil. — La route. — Les bullets. — De San-Francisco a Virginia City. — \'irgiuia. — Le travail de I'or et de I'argent. — De Virginia a Reno. — Un souper au bullet. — De Reno a Ogden et a Salt Lake City. — La ville des Mormons. — Les Temples. — Le Tabernacle. — Visite au Pri^sident John Taylor. — L'avenir des Mormons. — Trois prophetes pour soixante-quinze sous. — La ville de Salt Lake. — Les sources. — De Salt Lake & Omaha et ii Chicago. — Le consul de France de Bangkok. — Les Amazones du roi de Siam. — Un mot en passant sur la Loui- siane. — Les burcaucrates et la bureaucratic. — Attaque de spleen. — La douane et le factage Amiricains. — Depart pour New-York. — Mes agents. — Une feerie Amdricaine. — Une forte machoire. — Une femme qui p....leure. — Une reclamation bizarre. — Capoul, Paola MariA et Angfilc. — Une fabrique de guano. — Un E16vateur. — Les polices ouvertes. — Un diner en Espagnol. — Les eta- blissemeuts de correction et de charite de la ville a New-York. — Le Pare Cen- tral. — Le inont Saint- Vincent. — Les sleigh rides. — De New-York ii Chicago par le Pennsylvania Railroad. — L'industrie mStallurgique en Amerique. — Les Ami5ricaine9 ne savcnt pas dire : " Merci ! » — Arrivde a Chicago 103 CHAPITRE Y. — Chicaoo. — Lb JIinnesota. — Cincin.nati. — Mammoth-Cave. — Au Kansas. — Les Oneidiens. — Retour h Chicago. —Palmer-House ctsesfemnies de chambre. — Aida. — Le comble de la naivete. — Une soiree chez les Puri- tains. — Le Songe d'.\thalie. — Souvenir relrospeclif de la vie Purilaiue. — Un mot sur I'organisation de la justice. — Les Cours locales et federates. — La re- mise des exploits. — Gelui qu'accomplit uu huissier boiteux. — Les Elections. — Le parti rfipuhlicain et le parti di5mocrate. — Springfield, capitate delTllinois. — Comme quoi les Americains ue sent pas Ires particuliers. — Mon ami Pesoli , le Cbancelier du Consulat de France.— Encore la langue Chinoise et la musifjue Chinoise. — Turner-Hall. — Le colonel et le trombone.- La fabrique des mois- sonneuses de ^T. Mac Cormick. — L'entreo du general Grant. — Le cortege. — Les banquets. — Un mot sur le general. — Ses chances k la presidence. — Le rocrutement 4 West-Point el a .\nuapolis. — Uno reunion de socialistes. — Le TABLE DES MATIERES ;119 Pages, citoyeD Shacker el le citoyen Henry. — Le citoyen Davoust. — Orage. — Un mot sur la situation et les tendances du parti socialiste Aniericain. — Saint-Paul de Minnesota. — Minneapolis. — Les moulius et les fel^vateurs. — La produc- tion des cereales aux litats-Unis. — Milwaukee. — La loi sur I'assurauce daus le Wisconsin. — Encore la langue Chinoise. — Un chapitre des chapeaux. — Depart de Chicago. — Arrivee a Cincinnati. — La ville. — Porking-House. — Fa- brication du whisky. — Le Rhin. — Les residences. — Le Conservatoire. — La Bibliothfique. — Le Pare. — Louisville. — Men agent. — La ville. — De Louisville a Nashville par Mammoth-Cave. — La conjuration des hoteliers et des cochers. — La Cave. — Un negre intelligent. — La mer morte. — Le tire-bouchou. — La misere de I'homme gras. — La chambre des etoiles. — Les poissons sans j-eux. — Nashville. — Une ville reUgieuse le dimanche. — Un dejeuner avec une demoiselle. — Un voyageur en horlogerie. — De Nashville i Evansville et k Saint- Louis. — L'Ohio. — Evansville le soir. — Un bal prive de ma presence. — Mon amie Emma Barrett. — Saint-Louis. — Tivoli-llouse. — Lindell-Hotel. — Un colonel qui so mouche dans ses doigts. — Les caracteristiques des Ami5ricains. — Christmas-day. — Une grand'messe en musique. — Un meeting methodist. — La publicite religieuse. — Le produitnet. — Kansas City. — La ville. — Un Forking- House. — Treate mille deux pieds de cochous. — Le soir du 31 d&- cembre. — De Kansas City a Silkville par Ottawa et Williamsburgh. — Wil- liamsburgh. — Le Postoffice. — Les notables. — La route. — Silkville. — Mon amide B"*, son genre devie, ses idees, ses tentatives. — Ce que c'estqu'un set- lement et un settler. — Les origines de de B*", son but et sa tentative avortee. — Un essai de phalanst^re.— La fabrication des fromages. — La vie domestique et sans domestiques. — La pudeur Americaiue. — Une sfirie de menus pbalans- teriens. — Souvenir gastronomique a mon ami P"*. — La colonisation. — La speculation sur les terres. — Les Green-Bakers. — Le syst^me financier de de B***. — Le Credit par I'Etat au moyen du papier-mounaie. — Les tentatives so- ciaHsles en AmSrique. — L'Icarie. — Oneida. — Constitution et doctrines des Oueidiens ou Free Lovers. — Leur origiue. — Leurs progres, — Leurs procedes. — Leurs resultats. — Leur reussite. — Lawrence. — Topeka. — Retour a Saint- Louis. — Depart pour La Nouvelle-Orl^ans 13.3 CH.-VPITRE VI.— La Nouvelle-Orleans. — Le Scd.— Le Texas. — La Cote de l'Est. — Dk- part de Saint-Louis. — La route. — Arrivee a La Nouvelle-Orleans. — Installation. — Vue geuiralo de la ville. — Quartier Anglais. ~ Quartier Francais. — Un diner crtole. — La culture de I'orauger. — Le lac Pontchartrain et ses bords. — Un bal crSole. — Trop de corsage et pas assez de queue. — Le Heel and Toe. — Le Boston- Club. — Un lunch ideal. — La levee. — Les bateaux du Mississipi. — Le coton et sa manipulation. — Un bal au Boston-Club. — Diners divers. — L'ancienne et la nouvelle condition des njgrcs. — L'industrie sucrifere et les facteurs. — Le Camaval a La Nouvelle-Orleans. — Les Mystics Crews. — La vie et son prix pendant cette semaine.— Les adieus de Gapoul el la troupe Frani;,aise. — Fiau- cailles el fiances. — Une collation a la Creole. — FeUxR.... lepeiutreet ses confe- rences. —Souvenirs del'esclavage. — La cruauto de certains maitres. — L'argnment deChloe. — LaMobile et les affaires de coton. — Un dejeuner d'amis. — DcLaNou- velle-Orleans a Galveston. — Le Morgan Line. — Les plantations. — Navigation. — Galveston. — Le Garden-Vercin. — La ville. — La plage. — Houston. — De Houston a San-Antonio. — The King of Cattle. — L'expedition des bceufs vers le Nord et vers I'Europe. — San-Antonio. — Un vieux Francais. — Un zouave Pon- tifical en penitence. — La ville. — Les missions. — Les eaux. — Les etablisse- 3i0 TAIJLE DKS MATIKRES Pago. mpiits d'utilite jiiibliquo. — Les Elections. — Moeurs Texiennes. — Retour a La Nouvclle-Orleans. — Le commerce dii colon et les facteurs. — Uri senateur Loui- sianais. — Depart de La Xouvelle-Orleaiis. — La Mobile. — Atlanta. — Savannah. — La Georgie. — Un candidal coUant. — Charleston. — La riviere. — La baie. — Le jardin d'un ministre. — Richmond. — Washington. — LHfltel Saint-Marc. — Le Caiiitole. — Le S6uat et la Chambrc. — Patent OfDce. — Le Minislere dcs Fi- nances. — La Maison-Blanche. — La representation du President. — La vie a Washington. — Baltimore. — Philadelphie. — Souvenirs de la gaerre de I'inde- pendanee. — Vieilles bottes et vieiUes culotles. — L'ne fabrii)ue de papier de bois. — New-York iU7 CHAPITRE YII. — La Havane. — La Nouvelle-Orleaks. — Chicago. — New-York. — La Havane. — Di^^parl pour La Havane. — Le Saratoga. — Arrivee. — Les para- sites. — Installation. — Prix courants. — La ville, — Les maisous. — La cuisine. — Les promenades. — Les plaisirs. — Le theatre. — La securite. — La probite des fonctionnaires. — Faits a I'appui. — A bord du Washington. — L'industrie du tabae. — La recolte et la fabrication. — De La Havane a La Nouvelle-Orleans. — La douane Anicrieaine. — Cedar Keys. — Les moulins a vent. — La Nouvelle- Orleans. — Diners diver.<. — De la difflculte de se tirer d'affaire. — La dette de la ville. — Les vengeances feminines. — .Maudeville. — Les bois de magnolias. — Le lac Pontchartraiu. — Le^ candidatures presidentielles. — Les partis republicain et democrate. — Li's chances du general Grant. — L'n nouveau voyage a Galveston. — Depart de La .Nouvelle-Orleans pour Siint-Louis par .\tlanta. — La flirtation en chemin de fcr. — Saint-Louis. — Chicago. — Seconde visile a Niagara. — La hot spring. — La travcrsre des ihiiles. — La i-a\i' di's vents. — Retour a New-York. — Coney Ishuid rt Maidi.itlan Beach. — La vii' a la uier. — Les Tombs. — Un coudamne a mort. — Le Metropolitan Concert Hall. — Nou- veau voyage a La Havane. — La City of .Uexandrie. — La ehalcur. — La Hevre jaune. — • Marianao. — La vie a hi campague. — Les facteurs et les producteurs. — L'utilite de la eontrcbaude etdela corruption des fonctionnaires. — Matanzas. — La ville. — Les magasins. — Les grottes de Bellamar. — Les volantes. — Les fruits des tropiipu^s. — Les bauanes. — Retour a New-York. — La derniere se- maine. — Les adieux. — Le paijucbot La France et le capitaine Trudelle. — Ln traversee de retour -.'j! Palis, Impiinicrie TuLMfiii et C", — Succursale a Poitiers. A TRAVERS I, i: > lETATS-UNIS DAMERIOUE AIME JAY ANCIEN ^LfeVE DE L'^COLE POLYTECHNISJUE OUVRAGE POSTHUME PUHLIK PAR LES SOINS De G. GIIABIRAND ORNE DU PORTRAIT DE L'AUTEUR GRAVE A L'EAU-FORTE Par A.., GILBERT NIORT L. CLOUZOT, LIBRAIRE-EDITEUR 22, HUE DBS MALLES, 22 1885 ^ 31^77-1 X\ '\