LIBRARY OF CONGRESS. §\nf. iip^ng]^ !f it.. Shelf..J.4- UNITED STATES OF AMERICA; 4A0I CHOICE SELECTIONS OF FRENCH DIALOGUES AND POETRY, FOR RECITATION, WITH NOTES ON THE ART OF DECLAMATION. BY EDELBERT JEANRENAUD. I DEC 29»&S4^, NEW YORE: WILLIAM 11. JENKINS, fiDITEUK ET LIBEAIEE FKANgAIS, No. 850 Sixth Avenue. 1885. Copy right, 1884, By W. R. JENKINS, y PREFACE. This small volume which we offer to students of all ages, will, we trust (besides its character of novelty) be both instructive and amusing ; it will encourage perse- verance in the study of the French language, the rudi- ments no doubt having proved dry and tedious. Our object is to introduce scholars into the art of conversa- tion either in class or in society. This compilation has been made with thought and care, (containing not a line that could offend even the most fastidious, but rather examples to imitate) and will gi'eatly aid students in the completion of the task still before them. They will find themselves among the best authors, and will quickly acquire the knowledge of the idiom, speak correctly and be enabled to recite a compo- sition or poem, at the same time discovering the beauties of the French language and its literature. E. J. 4 INTRODUCTION. A UNE MEKE QUI GATE SON ENFANT. Je vais m'exposer a vous deplaire, madame, je le sens bien : vous allez peut-etre voir en moi un censeur im- portun, un contradicteur morose ; mais mon sincere desir pour votre enfant, ne me permet pas de garder plus longtemps le silence. Je do is vous parler avec franchise, tandis qu'il en est temps encore, et j'aime mieux etre anjourd'hui indiscret, que de me faire accuser plus tard d'avoir ete indifferent. C'est de votre tendi'esse pour votre enfant que je veux vous parler. Certes, quelque vive qu'elle soit, je suis bien loin de la blamer. H y a tant de douceur a aimer son enfant ! Eien d'ailleurs n est plus legitime. Mais aimez-vous votre enfant en mere prudente, eclairee, et attentive aux interets de son avenii' ? Je crains que non, madame ; je crains que votre extreme tendresse ne vous ait engagee dans une fausse route ; en un mot, permet- tez-moi de vous le dire, je crois que vous gdtez vofr-e en- fant .... Ce terme vous parait dur ; je n'ai pu m'empe- cher de I'employer c'est le seul qui rende bien ma pensee Je reconnais avec vous ses bonnes qualites, et je 6 Introduction, souscris aTec plaisir aux eloges que vous lui faites. Mais le plus heureux naturel se corrompt quand on lui temoi- gne une indulgence excessive. Un age si tendre a con- tinuellement besoin d'etre averti, redrese, reprime ; votre enfant ne Test jamais : vous n'avez pas la force de le contrarier. Cela suffirait pour le gater. Mais il y a plus : par une faiblesse dont vous seule ne vous aperce- vez pas, vous encouragez en lui des defauts naissants, qui peuvent, avec le temps, avoir des resultats deplora- bles. Par exemple, lorsqu'il s'est emporte a quelque exces d'impatience, ou meme de colere, ou lorsqu'il s^est abandonne a quelque caprice extravagant, vous I'excusez, vous riez meme, sous pretexte que dans un enfant si jeune, tout cela est sans consequence ; ou, si vous lui faites voir votre mecontentement, il pleure, et sm'-le- cbamp vous etes desarmee par ses larmes ; il vous tarda de voir la joie renaitre sur son fi'ont et le souiire sur ses levres ; vous lui prodiguez vos embrassements, vous lui demandez presque pardon de I'avoir afflige ; il suit de la que plus il fait mal, plus il est comble d'encourage- ments et de caresses. Voila pour I'education ; pour I'instruction il en est de meme. Votre enfant ne travaille qu'autant qu'il le veut et comme il veut. Vous acceptez toutes les excuses que la paresse pent inventer pour se dispenser d'aller en classe. Aussi, malgre son intelligence naturelle, ses pro- gres sont a peu pres nuls. Quand il se plaint de sea maitres, vous lui donnez raison, ou, si vous les defendez Introduction. 7 contre lui, c'est si faiblem'ent qu'il devine aisement qu'au fond de Yotre pensee ils ont toi-t. Quand ils se plaignent de lui, Yous les soupconnez interieurement d'etre injustes envers cet enfant, de meconnaitre ses bonnes qualites ou d'attaclier de I'importance a des riens. Et cependant, le plus ardent de vos voeux, c'est le bonlieur de votre enfant. Mais, madame, il grandit. Quand, accoutume par vous a voir dans la maison toutes les volontes flechir devant la sienne, il se trouvera oblige de vivre dans le monde avec des egaux ou des superieurs, qui ne lui passeront rien, sera-t-il lieureux? Quand, ayant contracte la fatale habitude de ne rien faire ou de ne faii'e que ce qui lui plait, il sera contraint de travailler, non selon son gout, mais selon la necessite, et que son incapacite lui rendra toute profession ou j^enible, ou nieme impossible, sera-t-il heureux ? Et la mere qui, en flattant et en encourageant des defauts dont il eut ete si facile de le corriger, lui aura prepai'e un tel avenir, sera- t-elle lieureuse elle-meme ? Ah ! craignez que votre enfant ne vous adresse alors, interieurement du moins, de justes reproches. Sans doute, il aura toujours pour vous le meme respect, la meme tendresse. J'aime a croire qu'il ne ressemblera pas aux autres enfants gates, qui, pour la plupart, devien- nent insensibles et profondement egoistes. Mais, tout en vous aimant, il croira avoir a se plaindre de vous, et ce sentimement, dont le respect contiendi*a 1 expression, n'en sera que plus amer. Eemarquez que je n'admets pas comme possibles des 8 Introduction. resultats qui, dans les enfants d'un naturel moins gene- reux que le votre, ne sont malheureusement pas rares. Jamais il ne ressemblera a ces jeunes gens dont les de- fauts, n'ayant pas ete reprimes de bonne heure, prennent avec I'age un developpement effrayant ; qui, habitues iu ne pas craindre leurs parents, s'abandonnent sans scru- pule au desordre, et qui, lorsqu' enfin on veut les faire rentier dans le devoir, repondent aux exlioi-tations par I'indifference la plus complete, et quelquefois meme aux reproches par I'insolence. Non, votre enfant, madame, ne pent inspirer de telles craintes : il a un trop heureux naturel, il a continuellement sous les yeux de trop bons exemples pour devenir jamais un ingrat. Et songez-y bien sur dix ingrats, il y en a neuf qui ne le sont devenus que par suite de lindulgence excessive de leurs parents. Faites done sur vous-meme un genereux effort, madame : soyez severe avec votre enfant, quand il faut I'etre ; exigez qu'il soit studieux et soumis a ses maitres ; ne soufi&.'ez en lai ni emportements ni caprices. Sachez le priver de vos caresses quand il ne les a pas meritees. Quand votre coeur souffre par suite de peines salutaires que dans son interet on doit lui intliger, cachez lui vos larmes, et ne paraissez sensible aux siennes que quand le repentir ou quelque autre sentiment louable les fait couler. En suivant avec perseverance ce plan de conduite, votre enfant brillera au milieu de nos meilleurs jeunes gens, et vous serez la plus heureuse des meres. Lecture a haute voix. De la prononcialion. — De Cintonation et de V accent. — De V attitude. — De l' expression du visage. — Des gesles. — De la timidiie et de V assurance. De la prononcialion. L'aii de lire a haute voix ou de reciter soit les compo- sitions qu'on a faites, soit les ouvrages d'autrui, est le complement indispensable des etudes littcraires. Get art embrasse deux clioses qui concourent au succes du lectern* ; la voix et le geste. Kelativement a la voix, on doit distinguer la prononcia- lion, I'intonation et I'accent. La prononcialion est la maniere dont on fait entendre les paroles. La prononciation doit etre claire et distincte, correcte, bienseante, regie e. Claire et dislincte ; c'est-a-dire qu'il faut faire entendre toutes les syllabes des mots et les articuler dune maniere nette et facile. Correcte : cest-a-dire qu'on doit donner aux voyelles le son et la duree consaeres par le bon usage, et n'appuyer sur les consonnes ni plus, ni moins que ce meme usage ne I'exige. Bienseante et reglee : c'est-a-dire ni trop haute ni trop 10 Lecture a Haute Voix. basse, mais rapide sans precipitation, et moderee sans lenteur. La prononciation a beaucoup d'importance et exige des soins; elle doit, autant que possible, etre exempte des defautsqni se rencontrent generalement dansles provinces parmi les personnes dont I'education, sous ce rapport, n'a pas ete extremement soignee. Le seul moyen d'acquerir une bonne prononciation est d'ecouter les personnes qui prononcent tres-bien, et de cbercher, sans affectation, a les imiter. De V intonation et de V accent. L'intonation consiste dans I'elevation et I'abaissement de la voix ; (acuite et gravite.) n y a en effet pour la voix parlee comme pour le chant, une echelle de tons que les oreilles delicates savent apprecier, quoiqu'on ne puisse la noter comroe celle des intervalles de la musique. Les tons de la voix doivent toujours etre naturels. 11 faut savoir les varier, et passer de I'un a I'autre sans af- fectation et sans brusquerie, conserver des inflexions justes qui ne degenerent jamais ni en cris ni en sons etouffes, et mettre toujours les tons de la voix en har- njonie avec les sentiments dont on est ou dont on veut paraitre anime. Uaccent or^atoire (qu'il ne faut pas confondre avec ce qu'on appelle dans cliaque province Vaccent) est une sorte d'emotion de la voix, qui vient du coeur et qui va au coeur. L'accent doit etre vrai et naturel, jamais ni force ni affecte ; il sera selon les divers sentiments que Ton veut Leclure a Haute Voix. 11 retracer, doux, llatteur, insinuant, triste, vehement, pathetique, solennel, terrible. 11 n'est quun moven de pai'venir a ce que I'on appelle V accent convenable; c'est de se penetrer Tivenient et pro- fondement des sentiments qu'on exprime. En general, ce qu'on sent bien, on le dit bien. De l attitude ; de T expression ; des gestes. Le gesfe, considere dans I'homme qui parle en public, comprend les attitudes, les mouTements ou gestes propre- ment dits, I'expression du visage. L'attitude de I'homme qui lit tout haut ou qui recite, ou qui improvise, doit etre simple et noble. On doit tenir la tete droite et dans une position naturelle ; coui'bee, elle doime un air bas ; haute, un aii* dedaigneux ; penchee, un aii' d'indolence ; roide et immobile sur les epaules, elle mai*que je ne sais quoi de mechant ou de stupide. Les gestes proprement dits, c'est-a-dire les mouvementa des bras et des mains, sont de trois sortes : les uns sont indicatifs, et designent le temps, le lieu, le nombre ; les autres sont imitatifs, et representent, par des signes pit- toresques, les personnes et les choses ; les derniers sont expressifs, et servent a manif ester les affections et les mouvements de lame, Bien loin de prodiguer les gestes, on doit en etre tres sobre : la plus exacte bienseance d'evra toujoui's les regler, meme dans I'expression des passions les plus vives ; on evitera avec soin tout ce qui aurait une ap- parence d'affectation ou un aii' theatral. Le visage est ie mii'oii' de 1 ame. C'est surtout par i'expression de la physionomie qu'on fait connaitre les 12 Lecture a Haute Voix. sentiments dont on est anime et qu'on pent les transmet- tre aux autres. La rongeur, la paleur, le mouvement des levres, le fronts le sourire, ont leur eloquence. Mais ce qui a le plus d'expression encore, ce sont les yeux. Naturellement, la joie les rend plus vifs, et la tristesse les couvre comme d'un nuage. On les voit en- flammes dans la colere, terribles dans la menace, severes dans les reproches, egares dans la frayeur, eleves dans I'admiration, baisses et comme obscurcis dans la honte. De plus, la nature leur a donne les larmes, ces fideles interpretes de notre coeur, qui tantot les mouillent douce- ment, tantot s'ouvrent impetueusement un passage, tantot tombent goutte a goutte, rares et brulantes. Les principaux defauts a eviter sont d'avoir les yeux effares, contraints, endormis, toujours fixes ou continu- ellement agites. En cberchant a donner de Vexpression a ses traits, on doit e\dter I'affectation, ou plutot on ne doit pas recher- cher cette expression : elle viendra naturellement, si I'on sent vivement ce qu'on dit ; sinon, les eiforts qu'on ferait n'auraient d'autres resultats que d'aboutir a d'odieuses ou ridicules grimaces. De la timidite et de V assurance. L'homme qui parle en public ou qui lit a haute voix doit montrer beaucoup de modestie, mais en meme temps une certaine assurance. II ne doit pousser a I'ex- ces ni la crainte de deplaire, qui paralyserait ses forces, ni le desir de plaire, qui le conduirait a I'affectation dans sa prononciation et dans ses gestes. Un pen de timidite, du reste, ne messied a personne, et a meme quelque grace dans la jeunesse. Les hommes les plus distingues et les plus surs d'eux-memes ne peu- Lecture a Haute Voix. 13 vent 6e def endre d'un leger frisson lorsqu'ils ouvrent la boiiche devant une assemblee nn pen nombrense ; ce mouvement de crainte dure pen et fait promptement place a une noble assurance. PREMIER DIALOGUE. PAULINE.— MAEIE (bonne de Pauline.) MARIE. Eh bien, mademoiselle, sept heures sont sonnees. H est temps de vous lever. PAULINE. Allons done, ma bonne, c'est impossible. II me semble que je viens de me coucher {elle hdille.) MARIE. Dix lieures de sommeil, c'est bien assez : debout ! de- bout ! voici vos bas et vos souliers. PAULINE. Laisse-moi encore quelques minutes ; mais non, puis- qu'il le faut absolument ! II vaut mieux ; maman serait fachee. MARIE. Voila une bonne pensee. Craignez-toujours d'offen- ser votre bonne mere ! Quelle robe mettrez-vous ? PAULINE. Cela m'est egal ; donne-moi celle que tu voudras. Premier Dialogue. 15 MARIE. Voila ! tout est pret ; j'ai mis de Teau dans la cuvette; voici vos articles de toilettes sur le lavabo ; ne perdez pas de temps. PAULINK. Ne crains rien, je n3 te ferai pas attendre ; d'ailleurs maman n'aime pas que je lambine en m'habillant. MARIE. C'est, en eifet une bien vilaine habitude. Desirez-vous que je vous coiffe ? PAULINE. Je te remercie ma bonne, je crois etre assez adroite main- tenant pour etre tout-a-fait independante de toi, grace a tes soins ; je t'ai donne de la peine assez longteinps. MARIE. C'est un plaisir de vous aider, ma chere enfant. Si vous etiez vaine comme tant de demoiselles, ce serait bien different. PAULINE. Ma bonne ! n'est-ce pas aujourd'hui ou demain que ma cousine arrive de Paris? MARIE. En effet, je I'avais presque oublie. EUe est attendue avec sa gouvernante. PAULINE. II me tarde de la voir, cette cliere cousine ; je serai bien aise de faire des promenades avec elle ; pour sa gouvernante, Mademoiselle B. je t'avouerai que j'ai uu peu peur d'elle. MARIE {riant). Quelle idea! Pourquoi done? 16 Premier Dialogue. PAULINE. Tu vas dire que je suis absurde ; soit, mais je ce sais pourquoi, je ne suis pas completement a mon aise en sa presence. Mon frere est-il leve ? MARIE. Mais oui, il y a longtemps. D travaiile au jardin avec le jardinier depuis 6 heures. Le voila qui arrive juste- ment. PAULINE. Et maman, I'as-tu deja vue ce matin ? MARIE. Oui, mademoiselle ; madame vous attend dans la salle a manger pour la priere en famille, avant de prendre le cafe. PAULINE. Marie, aide-moi ! que je la revoie tout de suite cette mere cherie. La, me voila prete ! merci, Marie. Ah ! a propos, n'oublie pas la toilette de mon serin ; mets sa cage au soleil. M'entends-tu ? MARIE. Tres-bien, mademoi'selle, nous allons nous occuper de de ce cbarmant chanteur. Deuxieme dialogue. MADAME DE NEUYILLE, ELEONOEE et AUGUSTE. ELEONORE. Bonjour, ma bonne mere ; comment as-tu dormi ? Comment te porteS-tu ce matin? MADAME DE NEUVILLE. On ne pent mieux, chere enfant, et toi ? ELEONORE. A merveille, je dors ton jours bien. AUGUSTE {riant). G'est la preuve d'une bonne conscience. ELEONORE. Bien, tu ne vas pas commencer tes taquineries avant lo dejeuner? MADAME DE NEUVILLE. Allons prendre un leger repas mes enfants ; il est liuit heures et demie. ELEONORE. Puis-je prendre du cafe ce matin maman ? 18 Deuxieme Dialogue. MADAME DE NEUVILLE. Tu peux te permettre ce petit extra de temps en temps ma fille ; cependant le lait vaut mieux pour toi. AUGUSTE. Et moi, qui suis un homme maman ; je peux prendre du cafe n'est-ce pas? ELEONORE {riant). Oui, un homme de douze ans .... II est amusant MADAME DE NEUVILLE. Auguste, il me semble que tu fais un repas bien solide. AUGUSTE. Sois tranquille bonne mere ; j'ai toujours faim, c'est ma specialite ; ce repas-ci ne m'empechera pas de prendre celui de onze heures. Mais regarde Eleonore, elle ne dit rien, mais n'en mange pas moins celle-la. ELEONORE. Quoi done! je n'ai pris qu'un oeuf, une tartine beun-ee et une toute petite tasse de cafe ! MADAME DE NEUVILLE. Allons mes enfants, pas de chicane ; venez faire une promenade au jardin ; il fait si beau temps. AUGUSTE. Tiens maman, voici ton chapeau et ton ombrelle. Marie ! veux-tu ton filet pour attraper des papillons et les ajouter a ta collection. ELEONORE. Non, merci, pas ce matin ; je vais cueiller des fleui'a Deuxieme Dialogue. 1^ pour remplacer celles qui sont dans les vases du salon. Oh maman, maman ! quel beau temps! MADAME DE NEUVILLE. N'oublions pas mes enfants que votre cousine arrive aujourd'hui. AUGUSTE. Par quel train arrivera-t-elle au village ? 'mADAME DE NEUVILLE. A deux heures moins un quart. La voiture est com- mandee pour une heure et demie. Iras-tu au devant de ta cousine Charles ? AUGUSTE. Je serai bien heureux de lui servir de chevaliei", ma mere ; il y a si longtemps que nous ne I'avons vue cette chere Pauline. Comme elle doit etre gi'andie et embellie depuis trois ans ! ELEONORE. Elle doit avoir a peu pres mon age, n'est-ce pas maman ? MADAME DE NEUVILLE. Oui, et on la dit charmante ; elle promettait d'etre jolie. Ses parents ont fait un long sejour a Londres pour des affaires de famille. AUGUSIE. Si je me le rappelle bien, n'etait-elle pas un peu manieree a I'epoque de sa dernieie visite ? MADAME DE NEUVILLE. Auguste, tu me surprends, tu as presque trop bonne 20 Deuxienie Dialogue. memoire. Oui, elle I'etait un peu ; mais c'est I'effet de I'education qu'elle re9oit a Paris. ELEONOKE. Toutes ces manieres peuvent etre charmantes dans un salon, je ciois ; mais cela doit etre tres genant, a la campagne, pour courir dans les bois. Je me souviens que notre cousine accrochait ses volants a tons les buis- sons, au desespoir de sa gouvernante. auguste. Tiens! maman, voila Pierre le jardinier. Je vous quitte, pour le rejoindre. II faut que je lui demande des graines pour semer dans mes plates-bandes. MADAME DE NEUVILLE. Auguste, prends ta soeur avec toi, pendant que je vais donner des ordres. Mais re^enez bientot, mes chers enfants. ELEONORE ET AUGUSTS. Tres-bien, maman, au revoir! LA RECREATION PERDUE. EKMANCE, JEANNE, ALICE, GABRIELLE, NELLY. ERMANCE. Ah; que j'ai du plaisir a nous voir reunies! JEANNE. Que j'aime le repos, les etudes finies ! ALICE. Employons .bien le temps et jouons de tout cceur. GABRIELLE. Oh! jouer, c'est pour moi le plus parfait bonheur ! NELLY. Mais a quel jeu, vojons? ALICE. Jouons a la sellette. JEANNE. Oh ! ma foi, non : ce jeu fatigue trop la tete ; II faut toujours chercher, mesurer ce qu'on dit. ALICE. Un mot piquant fait rire et souvent il vous nuit. 22 La Recreation Perdue. . GABKIELLE. Oh ! non, pas de sellette, il vaut mieux autre chose. NELLY. La valse, la polka, c'est ce que je propose. ERMANCE. La danse amuse peu dans les grandes chaleurs. JEANNE. Ma passion, a moi, c'est le jeu des couleurs. ' ALICE. C'est un jeu monotone et je ne I'aime guere. EKMANCE. Et bien! preferez-vous danser la boulangere? GABRIELLE. Non. NELLY. Non. ALICE. Ni moi non plus. ERMANCE. Ma foi, je ne sais pas — Par quel jeu nous pourrons nous tirer d'embarras. ALICE. Et si nous composions. . . . voyons. . . . une dinette ? JEANNE. Nous n'avons rien de pret. ERMANCE. Jouons a la cachet fe, GABRIELLE. Oh ! ce n'est pas facile .... et la permission ? . . . . C'est un jeu trop bruyant qui trouble la maison. La Beci'eation Perdue. 23 JEANNE Moi, je ne dis plus rien. ALICE. Ni moi. GABKIELLE. Ni moi. NELLY. ^ Silence I EEMANCE {avec ironie). Restons les bras croises . . c'est beaucoup mieux, je pensej GABRIELLE. Allo?is, ^rrangeons-nous ; nous avons vraiment Fair De ne j^as nous entendre. EEMANCE. Et je crois que c'est clair. JEANNE. Quand on est quatre ou cinq, rarement on s'accorde. Si, pour tout balancer, nous sautions a la corde ? GABRIELLE. Mais c'est un jeu d'hiver et puis c'est defendu. Plutot aux quatre coins. Alice, qu'en dis-tu ? ALICE. J'y consens volontiers : le temps s'envole et passe. Jouons, jouons, jouons ; prenez vite une place. . . . Eh ! vous ne bougez pas ? JEANNE. Ce jeu n'est pas joli! Mieux vaut mon beau chateau. TOUTES ENSEMBLE. Choisissons celui-ci. 24 La Recreation Perdue. GABKiELLE {avec irouie). Non, prenons nos cahiers, nos le9ons, notre ouvrage Cela nous recreera peut-etre davantage. ALICE. Tu te moques de nous. . . . ce n'est pas sans raison : En debats nous passons la recreation, Yoila les resultats du defaut d'harmonie. ERMANCE. * Au lieu de s'amuser, vous voyez, Ton s'ennuie ! JEANNE. C'est ainsi par son fait qu'on se rend malheureux. ALICE. Tres-bien philosophons : voila de jolis jeux! Cela sied a merveille a nos gouts, a nos ages. Encore deux de plus, nous serious les sept sages ! ERMANCE {a Jeanne, etonnee et contrariee). O mon Dieu ! qu'as-tu done ? JEANNE. EcQutez ! moi, j'entends De la cloche fatale, helas ! les tintements ; Le bruit croit . . c'est certain . . la chose est manifeste ; La cloche nous appelle, et c'est ce qui nous reste. GABRIELLE. Quand aussi pour jouer les instants sont si courts, Faut-il les employer a discuter toujours ? ALICE. Moi, qui de m'amuser avais si grande envie ! Je me rends au travail sans gout, sans energie. ERMANCE. Voila le triste effet de nos discussions. La Mere et V Enfant. 25 JEANNE. Taclions de profiler de ces bonnes le9ons. GABRIELLE. La Fontaine I'a dit : " Soyons moins difficiles ; Les plus accommodants, ce sont les plus habiles.'* Worms. LA MERE ET L'ENFANT. LA MERE. Enfant, regarde au ciel, la fut porte ton frere Par les anges qui me I'ont pris, Parce qu'il n'a jamais fait de peine a sa mere. l'enfant. Pour que I'an gc, mam an, ne vienne sur la terre M'enlever de tes bras cheris, Dis-moi comment on fait de la peine a sa mere. Leon Magnier. LES ORPHELINS. {Ballade.) Deja fuj^aient les gihoulees ; Les bourgeons verdissaienfc les bois ; Mais, durant la nuit, les gelees Gergaient la terra encor parfois. Au coin d'une roche isolee, Deux enfants, frere et sceur, un soir, L'une bien pale, desolee, L'autre calme, vinrent s'asseoir. LE FKERE. C'est qu'il est loin notre village ! Vois-tu I'eglise ? Que j'ai faim ! Comme je suib las du voyage ! Petite soeur, du pain! du pain! LA SCEUE. SToila, tiens, tiens ; tu peux tout prendre, Je n'ai pas encore faim, moi ! Jusqu'a demain je puis attendre, Car j'ai quatre ans de plus que toi. 1 Les Orvhelins. 27 LE FRERE. Mais, petite soeur, je t'en prie, Apprends-moi pour quelle raison Quand dort notre mam an clierie Nous courons loin de la maison. LA SCEUR. C'est que notre mere si bonne Dort pour ne point se reveiller, Et que nous n'ayons plus personne Qui pour nous puisse travailler. LE FRERE. Un sommeil sans fin ! LA SCEUR. Sous la terre, Maman dormira desormais, Tu sais, dans I'enclos solitaire. . . . LE FRERE. Ne la verrai-je plus jamais? LA SCEUR. Maman, aux lois de Dieu fidele, Aux chants des saints mele ses chants, Et nous aurons place aupres d'elle Si nous ne sommes pas mechants. LE FRERE. Petite soeur, je serai sage, Tu verras, je te le promets ! . . . . Mes yeux deja, comme d'usage, Me piquent! dis, si je dormais? 28 Au Jar din et dans la Basse- Cour, LA SCEUR. Oui, comme a toi, la nuit m'apporte Du sommeil ; oui, jusqu'a demain Dormons ; et puis, de porte en porta, Nous irons tendre notre main. Et lorsque reparut I'aurore, L lierbe, les bois etaient geles, Les orphelins dormaient encore lis ne se sont pas eveilles. Edouard d'Anglemont, AU JARDIN ET DANS LA BASSE-COUR. AUGUSTS, ELEONORE, PIEERE, JEANNE. AUGUSTE. Bonjour, Pierre, avez-vous les grames que vous m'avez promises pour senier dans mon jar din ? ELEONORE. Et du reseda et de I'beliotrope pour moi ? riERRE. Voici vos graines, Monsieur Auguste, et pour vous mademoirelle, je j^eux vous donner plusieurs varietes de tulipes, de liyacinthes et de jonquilles, mais le reseda est a peine en boutons et vous devrez avoir patience pour quelques jours. ELEONORE. Bien merci, Pierre, cela me suffira. Et les roses: en aurons-nous bientot? Au Jar din et dans la Basse- Cour. 29 PIERRE. Encore quelques journees de beau soleil comme celle- ci et le jardin ne sera quun immense bouquet de fleurs les plus varices. ELEONORE. Ah! tant mieux. Et les legumes, maman voudrait savoir s'ils seront abondants ? PIERRE. Je puis donner a madame des asperges et des epi- nards. II y a aussi, sous couches, de tres-beaux choux- fleurs et de la laitue superbe. ELEONORE. Maman sera bien aise d'apprendre tout cela. PIERRE. Je I'espere, mademoiselle. Et dans une huitaine de jours nous aurons aussi des petits pois. ELEONORE. Des petits pois ! Ah ! voila qui est delicieux. AUGUSTE {qui sourit). Vraiment ! je croyais mademoiselle au-dessus de cette faiblesse humaine, qui est appelee gourmandise. ELEONORE. Comment! tu ajDpelles les petits pois une gourman- dise? AUGUSTS. Qu'est-ce done ? dis-le moi ! ELEONORE. II n'y a que les sucreries et les friandises que Ton Domme ainsi. AUGUSTE. Par exemple! mais bref. — maman saura bien nous 80 All Jar din et dans la Basse- Cour. eclaircir sur ce point ; pas de discussions, allons plutot examiner les belles fleurs qui ornent si bien ce parterre. ELEONOSE. Oui, j'avais pense en cueillir pour les vases du salon ; mais elles sont si jolies la ; c'est presque dommage de les prendre. Nous taclierons de nous contenter, pour au- jourd'hui, d'une ou deux corbeilles de lilas. . AUGUSTE. Quelle profusion, et comme il embaume tout le voisi- nage ! En veux-tu du blanc ? ELEONOEE. Oui, mais menage-le ; maman dit que rien n'est plus precieux que ces fleurs delicates, que nous apprecions pourtant si peu, parce qu'elles ne sont pas rares. Cela suffira ; merci, mon frere. AUGUSTS. Passons maintenant a la basse-cour. Bonjour Jeanne, comment se portent vos pensionuaires? JEAXNE. Tres-bien, monsieur Auguste ; a I'exception de cette pauvre colombe de mademoiselle Eleonore .... ELEONORE {cLx^ec eiiipressement). Ell bien, Jeanne ! qu'a-t-elle ? ne peut-elle se consoler de la perte de son compagnon? JEANNE {tristement). Vous I'avez devine, mademoiselle ; c'etait trop pour elle ; elle est morte avant bier ; mais vous deviez vous y attendre, car il est rare qu'elles supportent la separation. ELEONORE (emue). Morte I ma jolie colombe blanche ! Et ce mechant Louis qui a tue I'autre ! . . . Au Jar din et dans la Basse- Cour. 31 AUGUSTE. Ne pleure pas, chere petite soeur ; il aura a faire a moi ce coquin-la. ELEONORE. C'est inutile: calme-toi. Le mal est fait ; mais je vais dire a maman de parler au garde-chasse pour quil prenne ses mesures de maniere a eviter un autre malheur de ce genre. JEANNE (souriant). Mademoiselle veut-elle voir les pigeons ? Elle pourra peut-etre faire un autre clioix, et duquel j'aurai un soin particulier. ELEONOEE. Vous etes bien bonne, Jeanne, j'accepte votre offre. Oh ! La jolie poule et le beau coq ! Auguste viens done voir ce singulier canard et ces oies. JEANNE. Prenez garde, elles ne sont pas toujours de bonno humeur. AUGUSTE. n n'y a pas de danger : les voila qui entre dans la mare. lis auront les pattes toutes sales. JEANNE {riant). Elles s'en soucient fort peu. AUGUSTE {regardant sa montre). Voila neuf heures passees. Eentrons vite ma soeur ; nous avons des devoirs a preparer. Au revoir, Jeanne. LE CONNETABLE DE BOURBON ET BAYARD. LE CO^'NETABLE. N'est-ce pas le pauvre Bayard que je vois au pied de cet arbre, etendu sur I'lierbe, et perce dun grand coup? Oui, c'est lui-meme. Helas ! je le plains. En voila deux qui perissent aujourd'hui par nos amies. Vandenesse et lui. Ces deux Fran9ais etaient deux ornements de leur nation par leur courage. Je sens que mon coeur est encore touche pour sa patrie. Mais avan9ons pour lui parler. Ah! mon pauvre Bayard, c'est avec douleur que je te vois en cet etat. BAYARD. C'est avec douleur que je vous vois aussi. LE CONNETABLE. Je comprends bien que tu es faclie de te voir dans mes mains par le sort de la guerre ; mais je ne veux point te traiter en prisonnier, je veux te garder comme un bon ami, et prendre soin de ta guerison, comme si tu etais mon proi^re frere. Ainsi tu ne dois point etre faclie de me voir. BAYARD. He ! croyez-vous que je ne sois point faclie d'avoir obligation au plus grand ennemi de la France ! Ce n'est Le Connetahle de Bourbon et Bayard. 33 point de ma captivite, ni de ma blessure, que je suis en peine : je meurs dans un moment, la mort va me delivrer de vos mains. LE CONNETABLE. Non, mon clier Bayard, j'espere que nos soins reussi- ront a te guerir. batard: Ce n'est point la ce que je cherche, et je suis content de mourir. LE CONNETABLE. Qu'as-tu done ? Est-ce que tu ne saurais te consoler d'avoir ete vaincu et fait prisonnier dans la retraite de Bonnivet ? Ce n'est pas ta faute, c'est la sienne ; les armes sont journalieres. Ta gloire est assez bien etablie par tant de belles actions. Les Imperiaux ne pourront jamais oublier cette vigoureuse defense de Mezieres contre eux. BAYARD. Pour moi, je ne puis jamais oublier que vous etes ce grand connetable, ce prince du plus noble sang qu'il y ait dans le monde, et qui travaille a decliirer de ses propres mains sa patrie, et le royaume de ses ancetres. LE CONNETABLE. Quoi ! Bayard, je te loue, et tu me condamnes ! Je te plains, et tu m'insultes ! BAYARD. Si vous me plaignez, je vous plains aussi, et je vous trouve bien plus a plaindre que moi. Je sors de la vie sans tache ; j'ai sacrifie la mienne a mon devoir, je meurs pour mon pays, pour mon roi, estime des ennemis de la France, et regrette de tous les bons rran9ais. Mon etat est digne d'envie. 34 Le Connetable de Bourbon et Bayard. LE CONNETABLE. Et moi, je suis victorieux d'un ennemi qui m'a outrage ; je me venge de lui ; je le chasse du Milanais ; je fais sentir a toute la France combien elle est malheureuse de m'avoir perdu, en me poussant a bout. Appelles-tu cela etre a plaindre ? BAYARD. Oui, on est toujours a plaindre quand on agit contre son devoir. II vaut mieux perir en combattant pour la patrie, que de la vaincre et de triomplier d'elle. Ah! quelle horrible gloire que celle de detruire son propre pays ! LE CONNETABLE. Mais ma patrie a ete ingrate apres tant de services que je lui avals rendus. Le roi m'a fait une injustice enorme. On m'a depouille de mon bien, on a detache de moi jusqu'a mes domestiques, Matignon et d'Argouges. J'ai ete contraint pour sauver ■ ma vie, de m'enfuir presque seul. Que voulais-iu que je fisse? BAYAKD. Que vous souffrissiez toutes sortes de maux plutot que de manquer a la France et a la grandeur de votre maison. Si la persecution etait trop violente, vous pouviez vous retirer ; mais il valait mieux etre pauvre, obscur, inutile a tout, que de prendre les armes contre nous. Votre gloire eut ete au comble dans la pauvrete et dans le plus miserable exil. LE CONNETABLE. Mais ne vois-tu pas que la vengeance s'est jointe a I'ambition pour me jeter dans cette extremite? J'ai voulu que le roi se repentit de m'avoir traite si mal. BAYARD. II fallait Ten faire repentir par une patience a toute Le Connetahle de Bourbon et Bayard. 35 epreuve, qui n'est pas moins la vertu d'un heros que le courage. LE CONNETABLE. Mais pviisque le roi etait si injaste et si aveugle par sa mere, meritait-il que j'eusse de si grands egards pour lui? BAYARD. Si le roi ne le meritait pas, la France entiere le meri- tait. La dignite meme de la couronne, dont vous etes un des heritiers le meritait. Vous vous deviez a vous- meme d'epargner la France, dont vous pouviez etre un jour roi. LE CONNETABLE. Et bien! j'ai tort, je I'avoue ; mais tu ne sais pas com- bien les meilleurs coeurs ont de peine a resister a leur ressentiment. BAYARD. Je le sais bien : mais le vrai courage consiste a resister. Si vous connaissez votre faute, hatez-vous de la reparer. Pour moi, je meurs, et je vous trouve plus a plaindre dans vos prosperites, que moi dans mes souffrances. Quand I'empereur ne vous tromperait pas, quand il vous donnerait sa fille en mariage, et qu'il i3artagerait la France avec vous, il n'effacerait point la taclie qui de- shonore votre vie. Le connetable de Bourbon rebelle ! ah ! quelle honte ! Ecoutez Bayard mourant comme il a vecu et ne cessant de dire la verite. Le connetable de Bourbon, prince francais, ne en 1490, mort en 1527, se comporta vaillamment a la bataille de Marignau 1515 ; peu apres il porta les armes contre sa patrie, et vainquit les Fran9ais a Rebec, oii Bayard, sur- nomme le chevalier sans peur et sans reproche, lui reprocha sa felonie. LE CHAT, LA VIEILLE SOURIS ET LA JEUNE. LE CHAT. Approche ton minois (visage) charmant, Viens, mon ange, que je te baise ; Oh ! que je t'aime tendrement ! Que puis-je t'offrir qui te plaise ? LA VIEILLE SOURIS. Fuis, mon enfant, fuis ce trompeur, Echappe aux pieges qu'il sait tendre. LA JEUNE SOURIS. Maman, il ne me fait pas peur : Son ceil est doux : sa voix est tendre. LE CHAT. Viens gouter ce sucre et ces noix, Gage de mon amour extreme. LA VIEILLE SOURIS. Fuis, te dis-je encore une fois. LA JEUNE SOURIS. Eh I pourquoi done le fuir ? il m'aime. Le Ghat, la Vieille Souris et la Jeune. 37 LE CHAT. Yiens ; rien ne doit t'intimider D'un tendre ami que peux-tu craindi*e ? LA VIEILLE SOURIS. L'hypocrite ! Comme il sait feindre ! LA JEUNE souras. Helas ! a quoi me decider ? LA VIEILLE SOURIS. Qne dis-tu ? tremble, malheureuse, Si vers lui tu fais un seul pas. LE CHAT. Laisse dire cette grondeuse, Mon amour, et viens dans mes bras. LA JEUNE SOURIS. M'y voila .... Dieux ! . . . . Je suis perdue ! O le monstre ! . . . . O la trahison ! . . . Ah ! je sens sa griffe ! . . . . II me tue ! . . , . Ah ! maman ! Vous aviez raison ! Andrieux. LE CONQUI^RANT ET LE VIEILLARD. LE CONQUERANT. Je me suis en chemin egare dans ce bois ; Guide-moi bon vieillard jusques a la sortie. LE VIEILLARD. Quittez votre coursier les cbemins sont etroits : Allons, et soutenez ma marche appesantie. LE CONQUERANT. Te serais-je inconnu ? LE VIEILLARD. Jamais je ne vous vis. LE CONQUERANT. A defaut de mes trais, tu connais men histoire ? LE VIEILLARD. Seigneur, le calme est grand sous le chaume oii je vis. LE CONQUERANT. Depuis vingt ans le monde est rempli de ma gloire ; C'est moi dont le courage a soumis tant d'etats ; Dont le nom celebre dans la paix, dans la guerre, Fait trembler I'univers. Le Conquer ant et le Vieillard. 39 LE VIEILLAED. Je ne vous connais pas, Mes bras sont las cle cultiver la terre. LE CONQUERANT. Tu ne me connais pas ! . . . . Pins d'un an s'est passe Que, subjuguant I'etat ou le sort te fit naitre, J'en ai chasse tes rois ; leur trone est renverse ! LE VIEILLAKD. Excusez, j'ignorais avoir change de maitre. LE CONQUERANT. Homme qui me confond, quel fut done ton clestin? LE VIEILLARD. Ne dans ces bois, jamais je n'en ai quitte I'ombre, Dans la paix, de mes ans j'ai vu croitre le nombre ; Une epouse et deux fils embellissent ma fin. Six chevres et nos bras voila notre richesse : Elle a toujours suffi, nous en benissons Dieu. Mais voici le cliemin ; Seigneur, si je vous laisse Pardonnez a mon age LE CONQUEEANT {emu). Heureux vieillard, adieu ! Beranger, ANNE DE BOULEN ET ELIZABETH SA FILLE. BOULEN. Je vais gouter en cor quelques moments bien doux : Embrasse-moi, ma fiUe, et viens sur mes genoux. ELISABETH. Ma mere, ce matin comme tu m'as laissee ! BOULEN. Quel souvenir amer revient a ma pensee. ELISABETH. Autrefois tu m'aimais, tu ne me quittais pas ; SouYent, devant les nuits, je dormais dans tes bras. BOULEN. Elle n'aura done plus une mere aupres d'elle ! ELISABETH. Pendant toute la nuit vainement je t'appelles. BOULEN. Ma fille, a chaque mots, veux-tu me dechirer? ELISABETH. Comme toi, maintenant, je ne fais que pleurer. BOULEN. Combien tous ses discours ont de graces et de cbarmes ! ELISABETH. Ma mere .... Anne de Boiilen et EUmbeth sa Fille. 41 BOrLEN. Quoi ! sa main vent essuyer mes larmes I ELISABETH. Mais d'oii vient ta douleur ? BOULEX. Tu le sauras un jour ! ELISABETH. Ne quitteras-tii pas ce triste et noir sejour ? BOULEN. Je sortii'ai ce soir. ELISABETH. All ! 3 'en suis bien contente ! BOULEN {a part). La mort qu'on me prepare est loin de son attente ! ELISABETH {regardant les chaines de sa mere). Ce fer est trop pesant ; il doit blesser tes mains. BOULEX. Je subirai bientot de i^lus cruels destins. ELISABETH. Quel est done le me chant qui peut causer ta peine ? BOULEX. Un puissant ennemi m'accable de sa haine ; Pour prix de ma tendresse il a proscrit mes jours. ELISABETH. Ell ! que n'appelles-tu mon pere a ton secours ? BOULEN. Ton pere ! ELISABETH. II te clierit, il viendra te defendre. BOULEN. Lui, tu le crois? 42 Dion de Syracuse, Pythias et Damon. ELISABETH. Mon pere ! Ah ! s'il pouvait m'entendre I On fait tout ce qu'il veut. BOULEN. Oui, je le sais trop bien. ELISABETH. AUons aupres de lui Tu ne me reponds rien ? BOULEN. Enfant n'herite pas du malheur de ta mere : Surtout, dans ses rigueurs, crains d'imiter ton pere. Andre Chenier {Henri VIII.) DION DE SYRACUSE, PYTHIAS ET DAMON. DION DE SYRACUSE. C'est etrange ! que vois-je ? Pythias de retour I C'est bien P^^thias. Je ne le puis croire. II vient au devant de la mortj pour sauver son ami. PYTHIAS. Oui, c'est Pythias. Je n'ai quitte le lieu de ma deten- tion que dans les vues de rendre au Ciel les voeux que je lui ai faits ; pour ranger mes affaires de famille selon les regies de la justice ; et pour prendre conge de mes enfants afin que je puisse mourir tranquille et content. DION DE SYRACUSE. Mais pourquoi es-tu revenu ? N'as-tu aucune crainte dc la mort? N'cst-ce pas alors folie de la chercher? Dion de Syracuse, Pythias et Damon. 43 PYTHIAS. Me Yoici de retour pour mourir quoique je ne merite pas la mort. L'lionneur me defend de laisser in on ami se sacrifier pour moi. DION DE SYRACUSE. Aimes-tu done ton ami j^lus que toi-meme? PYTHIAS. Non, je I'aime comme moi-meme ; mais je sais que je dois mourir plutot que mon ami, car c'est moi que tu as condamne au supplice. II ne serait pas juste que Damon souffrit la peine de mort qui n'a ete prononcee que contre moi. DION DE SYRACUSE. Pourtant ne dis-tu pas qu'il est aussi inique de to condamner que ton ami ? PYTHIAS. Ce n'est que trop vrai ; nous sommes tous deux inno* cents ; et il est egalement injuste de faire souffrir Fun ou I'autre de nous. DION DE SYRACUSE. Mais pourquoi done dis-tu qu'il serait inique de I'en- voyer a la mort a ta place ? PYTHIAS. II est egalement infame de condamner ou Damon ou moi - meme ; mais je serais tres-coupable de laisser Damon souffrir une mort violente que le tjran n'a preparee que pour moi. DION DE SYRACUSE. Ne parais-tu ici aujourd'hui qu'avec le desir de con- server la yie de ton ami en perdant la tienne ? 44 Dion de Syracuse, Pythias et Danion. PYTHIAS. Me voici de retour el en ta presence pour endurer une morfc que les tyrans ont coutume, d'infliger ; et concernant Damon, pour accomplir mon devoir en le delivrant d'un danger qu'il s'est attire par sa bonte envers moi. DION DE SYEACUSE. Eh bien, Damon, que je te parle. Ne craignais-tu pas reellement que Pythias ne revint jamais, et que tu ne fusses mis a mort pour lui ? DAMON. Je n'etais que trop sur du retour de Pythias ; et qu'il tiendrait sa ]3romesse aux depens de sa vie. Plut au ciel que ses parents et ses amis I'eussent retenu de force; il eut vecu pour etre la consolation et le bonheur des gens de bien ; et j'eusse eu ainsi la satisfaction de mourir pour lui. DION DE SYRACUSE. Quoi ? Ne cheris-tu pas la vie ? DAMON. Non ! Loin de la ! quand je vois et ressens le pouvoir d'un tyran. DION DE SYRACUSE. Tres-bien, alors ! Tu ne le reverras plus. Je vais te condamner a la peine capitale. PYTHIAS. Pardonne aux sentiments de Damon et a ceux d'un homme en presence de son ami mourant. Rappelle-toi que c'est moi que tu as condamne. Je viens me soumet- tre au chatiment pour en libcrer mon ami. Ne me refuse pas cette consolation a ma derniere heure. Dion de Syracuse, Fythias et Damon. 45 DION DE SYRACUSE. Je ne puis supporter la yue de rhomme, qui meprise la mort et defie mou pouToir. DAMON. Tu ne peux endurer la vertu. DION DE SYRACUSE. Non, je ne puis sou&ir cette liautaine et dedaigneuse vertu qui meprise la vie, qui ne craint nulle douleur et qui est insensible aux charmes de la ricliesse et du plaisir. DAMON. Tu vols cependant que c'est la vertu qui s'emeut aux preceptes de I'honneur, de la justice et de I'equite. DION DE SYRACUSE. Gardes, envoyez P^i^hias a la mort. Nous verrons si Damon insistera dans le mepris de mon autorite. DAMON. Pytliias, en retournant pour se soumettre a ta merei a merite la vie et il a droit a ton pardon ; moi, j'ai excite son indignation en me livrant en ton pouvoir pour le sauver. Sois done satisfait de ce sacrifice, et je cours a la mort. PYTHIAS. Attends, Dion ; souviens-toi que c'est moi seul qui t'ai offense ; quant a Damon, tu ne pourrais. DION DE SYRACUSE. Helas! quevois-je? qu'entends-je ? Oil suis-je? Que je suis miserable, et qu'ils sont nobles ! Je n'ai done rien su de la vertu jusqu'a present ? J'ai done passd ma vie dans les tenebres et dans I'erreur. Tout mon pouvoir et mes richesses ne suffisent pour engendrer Tamour. 46 Dion de Syracuse, Pythias et Damon. Je ne puis me flatter d'avoir fait un seul ami dans le cours d'un regne de treute aiis, et ponrtant ces deux particuliers dans leur vie privee s'aiment et sont heureux de prouver leur confiance mutuelle an prix de leur vie ? PYTHIAS. Comment pourrais-tu compter sur des amis, toi qui n'a jamais aime personne? Si tu avals aime et respecte les hommes, tu te serais assure leur amitie et leur estime; mais tu les as craints et oppresses, et ils te redoutent et te detestent de meme. DION DE SYRACUSE. Damon, Pytliias, veuillez m'admettre dans une si parfaite amitie. Je vous rends la vie et je vous comblerai de bierfs. DAMON. Nous n'avons nul desir d'etre enricliis par toi ; et pour ton affection nous ne pouvons I'accei^ter ou en jouir avant que tu ne deviennes meilleur et juste. Sans ces deux qualites, tu ne peux t'unir qu a des esclaves tremblants et de vils flatteurs. Pour etre clieri, et estime des hommes libres, nobles et genereux, tu dois etre bienveillant, vertueux et loj^al. Damon et P^'thias, amis celebres de I'antiquite, ont vecu au temps de Denys de Syracuse, vers 35, avant J. C. Apres avoir chasse, Denys de Syracuse, Dion usurpe le pouvoir, et ces deux amis sont a leur tour persecutes par le tyran. Ces deux noms out passe dans la langue comme symbole de I'amitie. L':^DUCATION. EMMA. —COEALY.— CLEMENTINE. Quinze a seize ans. EMMA. Ton esprit est mal fait : entre nous, tu raisonnes Contre le sentiment de beaucoup de jpersonnes. COEALY. Je I'ai dit et j'y tiens : oui, I'education Change pen nos penchants : c'est mon oiDinion. EINIMA. Mais peut-on refuser de croire a I'evidence ? Vois tons les changements survenus chez Hortense. CORALY. EUe etait curieuse, et son mauvais cote Est, quoi qu'on dise, encor la cui'iosite. e:vima. Et que dis-tu d'Ursule ? COEALY. En verite, gourmande ! En face de bons mets sa joie est toujours grande. CLEMEKTINE. Et Clorinde? 48 V Education. CORALY. Avouez avec sincerity Qu'au fond c'est bien toujours la meme vanitd. EMMA. Et Marie ? CLEMENTINE. Et Laura ? CORALY. Froides et dedaigneuses, Elles sont et seront toujours des orgueilleuses. EMMA. Tu refuses d'ouvrir les yeux a la clarte ? CORALY. Non mais je suis sincere et dis la veritd. EMMA. On se trompe et souvent on s egare ; Du nom de verite la faussete se pare. CLEMENTINE. II arrive parfois qu'on avance une erreur, Et puis on la defend avec trop de clialeur. Citons encor des faits et concluons ensuite. CORALY. Si je change d'avis, vous aurez du merits ! EMMA. Ecoute-nous bien calme, et tu nous rdpondras. CORALY. Seul, centre vous deux, je ne recule ]Das. CLEMENTINE. Olinde, il t'en souvient, etait d'une avarice A faire honte et mal : elle n'a plus ce vice, UEducation. 49 Et tout etre qui souffre et gemit, maintenant A des droits sur son coeur tendre et compatissant EMMA. Adele inclinait trop vers la coquetterie, Et la voila pourtant pleine de modestie. CLEMENTINE. Pour son peu de franchise on n'aimait pas Nancy ; De la douce candeur c'est un modele ici. EMMA. Ninette qui toujours etait tres-negligee, Ne la trouves-tu pas maintenant mieux rangee ? CLEMENTINE. Elvire etait menteuse et, je crois, ne Test plus. CORALY. Xies vices, selon vous, se changent en vertus. EMMA. C'est 9a, precisement ! Et quelle jeune fille Pourrait fermer son coeur aux voeux de sa famille, Aux conseils maternels de la direction, Aux exemples nombreux qu'offre la pension ? Le coeur comprend enfin la voix qui le dirige Et de tons ses defauts bien souvent se corrige. CORALY. On I'a difc mille fois, certes, ce n'est pas trop ; *' Chassez le nature!, il revient au galop." EMMA. Tu i^ersistes ? c'est fort ; et tu pousses la chose Jusqu'a I'entetement ; je n'en vois pas la cause. CLEMENTINE. La regie, comme on dit, pour citer comme toi, Malgre I'exception n'est pas moins une loi ; 50 L'Educalion. Et pour une, entre cent, dont la nature ardente Ne connait point le frein et reste violente, Combien n'en est-il pas chez qui les bons avis, L'exemple, le conseil produisent d'heureux fruits ? L'bomme dompte a la fin le tigre plein de rage ; II adoucit les moeurs de I'ours le plus sauvage ; Et parce qu'un coursier brise mors et liarnais, De rhabile ecuyer niera-t-on le succes ? Sans tes bonnes le9ons, ta petite servante, Bien sur, serait encore indocile et mecliante. Les qualites du coeur, les talents de I'esprit Sont les fruits des conseils dont on fait son profit. EMMA. Oui, Ton peut a son gre former son caractere ; On peut, selon le cas, I'arranger, le refaire. On me signale un vice, on me nomme un defaut, C'est une tache alors que j efface au plus tot. CLEMENTINE. L'arbre qui penclie trop par la main se redresse, Et Ton met a profit son age et sa souplesse. CORALY. Je me rends, je me rends. Oui, vous avez raison : Niez les doux bienfaits de I'education, II faut bien I'avouer, ce serait manquer d'ame ; Ce serait se couvrir de reproche, de blame ; Ce serait oublier, perdre le souvenir De tous nos bienfaiteurs, au lieu de les benir. Mes yeux s'ouvrent enfin, et je vois a cette heure Tout ce que Ton a fait pour me rendre meilleure. Tout ce que j'ai de bon, tout ce qu'on loue en moi, A I'education, c'est bien vrai, je le dois. J'avais jusques ici doute de sa puissance, Oui, I'education fait une autre existence. Worms, L'Epagneul et la FAUVETTE. {Le matin.) LA FAUVETTE. Bonjour, mon aimable Epagneul. l'epagneul. Bonjour, ma charmante Fauvette. LA FAUVETTE. Si matin, oil vas-tu tout seul ? l'epagneul. Et toi-meme, ou vas-tu seulette ? LA FAUVETTE. Moi, je vais a travers les champs Voler de feuillage en feuillage, Sauter, danser, et de mes chants Charmer les oiseaux du bocage. LEPAGNEUL. Dans les vallons, sur les coteaux, Moi, je vais aller a la chasse ; Messieurs les lievres et les perdreaux, Je ne vous ferai point de grace. LA FAUVETTE. Pourtant ma mere ne veut pas 52 L'Epagneul et la Fauvette. Que, sans elle, je fasse nn pas. Maman a tort, en clepit d'elle, Je vais on le plaisir m'appelle. l'epagneul. Mon pere m'avait defendu De sortir seul, mais il s'abnse ; II dit que c'est du temps perdu, Le bon temps, c'est quand je m'amuse. LA FAUVETTE. Adieu done, amuse-toi bien. l'epagneul. Et toi, ma chere, ne crains rieru (Le soir. ) LA FAITVETTE. Eh! bonsoir, mon jeune elegant. l'epagneul. Bonsoir, ma petite maitresse. LA FAUVETTE. Que vois-je d'oii vient ta tristosse? l'epagneul. Et toi d'ou vient cet air souffrant ? LA FAUVETTE. J'ai bien du chagrin, je t'assure. l'epagneul. Et moi done, j'ai bien des regrets. LA FAUVETTE. Conte-moi ta triste aventure. UEpagneid et la Fauveile. 53 LEPAGNEUL. Tu me diras la tienne apres. Dans la plaine, siir la montagne, J'ai longtemps battu la campagne, J'ai bien couru, mais je n'ai pris, Helas ! ni lievre ni perdrix, J'etais fatigue, tout en nage, J'avais faim. Aupres du village Je Yois un gros cliien qui soupait ; Dans un panier le drole avait Os de pigeon, os de poulet ; Je na'approche de la corbeille, Et puis je prends tout doucement Un petit OS ; mais le gourmand Me mord et m'arrache I'oreille. LA FAUVETTE. Que je te plains, mon jeune ami ! Mais, tiens, tu vas me plaindre aussi : Volant de bocage en bocage, J'avais fait un grand vo^'age ; Je m'endormis sur le gazon, Quand un mecbant petit garcon Me voit, m'attaque par derriere, Et, pour me tenir prisonniere, M'attaclie a la patte un cordon. " Fi, dit-il, la vilaine queue ! Ob ! celle de mon perroquet Est bien plus jolie, elle est bleue ; La tienne est grise et me deplait." Aussitot, malgre ma priere, II me I'arracbe tout entiere, Et puis le petit polisson, En me posant sur le gazon : 54 Le Service de I'Interesse. " Marchez, dit-il ; voyons, la belle. Si vous avez bonne fa9on."' Alors je casse la ficelle Et je m'envole a tire-d'aile. LEPAGNEUL. Ainsi sont punis les enfants Qui ne sont pas obeissants. LA FAUVETTE. Vraiment vous paiiez a merveille ; Mais il n'est plus temps a present ; Car qui nous rendra maintenant Moi, ma queue .... l'epagneul. Et moi mon oreille ? LE SERVICE DE L'iNTERESSK FKAN9OIS ET PIEEEE. FRANgOIS. Bonjour, voisin Pierre. J'aurais aujourd'hui trois ou quatre petites lieues a faire ; ne pourriez-vous pas me preter votre cheval ? PIERRE. Je ne demanderais pas mieux, voisin Fran9ois ; mais il faut que je porte trois sacs de ble au moulin tout a Vheure. Ma femme a besoin de farine ce soir. Le Service de V Inter esse. 55 FRANgOIS. Le moulin ne va pas aujourd'hui. Je viens d'entendre le meunier dire au gros Mathieu que les eaux etaient trop basses. PIERRE. Est-il vrai ? Voila qui me derange. En ce cas il I'aut que je coure a bride dbattue chercher de la farine a la ville. Ma femme serait d'une belle humeur, si j'y manquais. FRAN90TS. ■ Je puis vous sauver cette course. J'ai un sac tout pret de bonne mouture ; je suis en etat de vous preter autant de farine que vous en aurez besoin. PIERRE. Oh, cette farine ne conviendrait peut-etre pas a ma femme. Elle est si fantasque ! FRANCOIS. Quand elle le serait cent fois plus ! C'est du ble que vous m'avez vendu, le meilleur, disiez-vous, que vous eussiez recolte de votre vie. PIERRE. C'est d'excellent ble, tout celui que je vends. Voisin, vous savez, il n'y a personne qui aime a rendre service comme moi ; mais le cheval a refuse ce matin de manger le foin. Je crains qu'il ne puisse aller. FRANCOIS. N'en soyez-pas inquiet, je ne le laisserai pas manquer d'avoine en route. PIERRE. L'avoine est bien chere, voisin. FRANCOIS. H est vrai, mais qu'importe ? Quand on va pour de bonnes affaires, on n'y regarde pas de si j^res. 56 Le Service de rinteresse. PIERRE. Nous allons avoir du brouillard ; les chemins seront glissants. Si vous allicz vous demettre une jambe. FRANgOIS. II n'y a pas de danger ; votre clieval est sur. Ne paiiiez-vous pas tout a I'heure de le pousser vous-meme a bride abattue ? PIERRE. Oui, mais ma selle est en lambeaux, et j'ai donne ma bride a raccommoder, FRANgOIS. Heureusement j'ai une bride et une selle a la maison ? PIERRE. Votre selle n'ira jamais a mon clieval. FKANgOIS. Eh bien ! j'emprunterai celle de Martin. PIERRE. Bon ! elle n'ira pas mieux que la votre. FRANC;OIS. Je passerai chez notre ami Duclos, le valet d'ecurie du baron. II saura bien en trouver une qui convienne parmi vingt qu'a son maitre. PIERRE, Certainement, voisin, vous savez que personne n'est dispose comme moi a obliger ses amis. Vous auriez de to id mon cceur mon cheval ; mais voila quinze jours qu'il n'a ete pause. Son crin n'est pas fait. Si on le voyait une fois dans cet etat, je ne pourrais plus en avoir dix ecus quand je voudrais le vendre. Le Service de Clnteresse. 57 FRANyOIS. Un cheval est bientot pause, j'ai mon gar9on de ferme qui I'aura fait dans un quart d'heure. PIERRE. Cela pent etre ; mais a present que j'y pense, il a besoin d'etre ferre. FRAN901S. Eh bien ! n'avons-nous pas le marechal a deux portes d'ici ? PIERRE. Oui-da ! un marechal du village pour mon cheval ! Je ne lui confierais pas seulement mon ane. II n'y a que le marechal du roi, pour le bien ferrer. FRANCOIS. Justement mon chemin me conduit par la ville, devant 8a porte. PIERRE {apercevant au loin son valet, il I'appelle.) Joseph! Joseph! JOSEPH (s'avangant.) Que voulez-vous mon maitre ? PIERRE. Tiens, voila le voisin Francois qui voudrait emprunter mon cheval. Tu sais qu'il a une ecorchure sur le dos de la largeur de ma main. (II lui fait signe de ToeiL) Va tout de suite voir s'il est gueri. {Joseph sort en lui faisant signe quit a ete compris.) Je pense qu'il doit I'etre. Oh oui! Touchez la, voisin. J'aurai done le plaisir de vous avoir oblige. II faut s'entr'aider dans la vie. Si je vous avals refuse tout crument, eh bien ! vous m'auriez refuse a votre tour dans une autre occasion ; c'est tout simple, ce qu'il y a de bon avec moi, c'est que 58 Le Service de Vlnteresse. mes amis me trouvent toujours au besoin. (Joseph renlre. ) Eh bieii ! Joseph, I'ecorchure, comment va-t- elle? JOSEPH. Commet elle va, maitre ? Vous disiez la lai-geur de votre main, c'est de la largeur de mes epaules qu'il fallait dire. La paiivre bete n'est pas en etat de faire un pas. {Joseph sort). PIERRE. Ah, mon voisin, je suis bien fdche que les choses tour- nent de cette maniere. J eusse reellement aime vons obliger, mon cher rran9ois, en vous pretant mon cheval ; mais vous voyez I'impossibilite de la chose et j'en suis au desespoir. FEANgOIS. J'en suis aussi au desespoir pour vous, mon cher Pierre. Vous saurez que je viens de recevoir un billet de I'intendant de monseigneur, pour Taller trouver sur- le-champ. Nous faisons quelques affaires a nous deux. II m'avertit que si j'arrive a midi, il pent me faire adjuger la coupe d'une partie de la foret. C'est a peu pres cent louis que je gagnerai dans cette affaire, et quinze a vingt qu'il y aurait eu a gagner pour vous ; car je pensais vous employer pour I'exploitation. Mais PIERRE. Comment! quinze a vingt louis, dites-vous? FRANgOIS. Oui, peut-etre davantage ; cependant comme votre cheval n'est pas en etat de service, je vais tacher d'obte- nir le cheval de 1' autre charpentier du village. PIERRE. Vous m'offensez ; mon cheval est tout a votre service. Le Service de Vlnteresse. 59 (^A Joseph qui reparait.) Eh, Joseph ! Joseph ! va dire a ma femme quelle u'aura pas men cheval aujourd'hui ; que le voisin Fran9ois en a besoin, et que je ne puis refuser d'obliger mon meilleur ami. rRAN9ois. Mais comment ferez-vous, pour la faiine ? PIERRE. Oh ! nous pourrons bien nous en passer encore pen- dant quinze jours. FRANgOIS. Et votre selle qui est en lambeaux ? PIERRE. C'est de la vieille que je parlais, J'en ai une touto neuve avec la bride. Je serai ravi que vous en ayez Tetrenne. FRAN901S. Je ferai done ferrer le bidet a la ville ? PIERRE. \ Vraiment, j'avais oublie que le marechal notre voisin I'avait ferre I'autre jour pour essayer. II faut lui rendre justice, il s'en est tire fori, bien. FRAN901S. Mais le paiivre animal a une plaie si large sur le dos, comme dit Joseph. PIERRE. Oh ! je connais le drole. II se plait toujours a grossir le mal. Je parie qu'il n'y en a pas de la largeur du petit doigt. FRANgOIS. H faudrait done qu'il le pansat un peu ; car depuis quinze jours CO Le Service de VInteresse. PIERRE. Le panser ? Je voudrais bien voir qu'il y manquat un Beul jour de la semaine. ' FRAN901S. Qu'il aille au moins lui donner quelque chose a manger. Ne m'avez-vous pas dit qu'il avait refuse le foin ? PIERRE. C'est qu'il a ete rassasie d'avoine. Ne craignez pas, il vous portera comme un oiseau. Le cliemin est sec ; nous n'avons pas de brouillard ; le temps est superbe. Je vous souliaite un bon voyage et de bonnes affaires. Venez ; venez monter ; ne perdons pas un moment ! Je vous tiendrai I'etrier. FRANgOIS. Voisin, bien oblige. Gardez votre bien. Je puis re- mettre ma course a demain s'il le faut et d'ici alors, je pourrai me passer de votre service. Tout a Vheure : just now, presently. Je viens de : I have just etc. Bride dhattue : fall speed. On n'y regarde pas de si p?'es ; one is not so particular. De tout mon coeur : most willingly. Oui-da ! yes, indeed. Tiens : be- hold. Tout de suite: immediately. Touchez la: shake hands. Je suis bien fdche: I am very sorry. Sar-le- champ : without delay. A nous deux : together. II s'en est tire fort bien : he got out of it very well. ORGUEIL ET PARESSE. AUGUSTE. Regardez done, maman, quelle abondante neige. J'en etais tout couvert en venant du college ! Si j'allais m'enrhumer! ce serait amusant! Un rhume de cerveau rend fort peu seduisant ; On est rouge, les jeux vous sortent de la tete ; Puis, je dine demain chez ma tante Henriette. Le soir elle a du monde, on chantera, je crois. Dieu ! si le mal de gorge allait m'oter la voix! Quel desappointement! Dites, que deviendrais-je ? Ah ! I'ennuyeux hiver ! ah ! la maudite neige ! {apres une pause.) Quoi ! vous riez, maman ? ce n'est pas genereux, Quand la tete deja me fait un mal affreux, Quand chaque instant accroit la fievre qui me brule ! . . LA MERE. Oui, je ris, mon enfant, et je devrais plutot M'afHiger de te voir un si fatal defaut, Qui, comme avec raison dit ta marraine Ursule, Te rendra malheureux, et surtout ridicule. . . . AUGUSTE {avec etonnement). Ridicule ? LA MERE. Sans doute ; il est honteux, vraiment, Qu'un gar^on de douze ans, comme toi, cher Augusts, 62 Orgueil et Paresse. Avec ton teint de rose et ta sante robuste, Sans motifs serienx se plaigne constamment, L'ete, c'est clu soleil ; I'hiver, c'est la gelee ; Le jour est trop brillant, la nuit trop etoilee. Je finirai bientot par croire en verite, Que pour faire a ton gout une temperature, II faudrait que de Dieu la supreme bonte Daignat intervertir les lois de la nature ! Et que te manc^ue-t-il, reponds, pour etre heureux? N'as-tu pas tous les biens qui font aimer la vie ? Ne satisfais-tu pas ta moindre fantaisie ? Ne va-t-on pas fcrop meme, au-devant de tes voeux ? Et si Dieu, que toujours, I'ingratitude offense, Par quelque malheur vrai venait a te punir ; S'il voilait tout a coup sous un nuage immense, Le radieux soleil de ton bel avenir ; S'il t'otait la sante, la force, la richesse, Et te rendait semblable a ces infortunes Qui, courbes sous le poids d'une affreuse detresse, Cachent sous des haillons leurs membres decharnes, Quels mots emploierais-tu, mon enfant, pour te plaindre ? AUGUSTE. Mere, de tels malheurs, puis-je les craindre, Quand papa dit souvent qu'entre ses trois enfants II compte partager deux millions de francs ? LA MERE. C'est un tort. Sache bien que le souverain etre Nous prete ses tresors, dont il reste le maitre, Et qu'un mot de sa bouche, un signe de sa main, Du riche d'aujourd'hui fait un pauvre demain. Voila pourquoi, mon fils, je voudrais que tu misses Dans I'amour du travail le bonheur de tes jours, Au lieu de le placer dans les plaisirs factices. Orgueil et Pcn^esp^e. Qui n'ont rien de solicTes et nous trompent touiours. Te voila grand, mon fils ; bientot I'adolescence, Pour toi va succeder a la folatre enfance. Deux chemins s'offriront a tes pas desormais : Prends garde, clier enfant, de choisir le mauTais! Crois mon experience et surtout ma tendresse. Deux defauts te perdront : I'orgueil et la paresse : Tacbe d'en triompher. Va, tu le peux encor : Songe que le travail est la seule richesse Que ne ravissent pas les caprices du sort. Et que I'orgueil, reptile a la langue traitresse, Precipita jadis aux gouffres eternels Le plus beau, le plus pur des esprits immortels. Auguste medita pendant une semaine Les conseils de sa mere, et puis bientot se dit Qu'avec de la foiiune on se passe d'esprit, Et que I'etude etait une trop lourde cliaine. Jouet jusqu'a vingt ans de cette triste erreur, Auguste imprudemment s'engagea dans la route Pleine d'affeux perils, oil s'egare le coeur ; Mais sur ses jours, alors, fondit un grand malheur : Son pere, ruine par une banqueroute, Lui laissant pour tout bien des dettes a payer, Mourut de desesj)oir a la fleur de son age. Auguste, aneanti, sans forces, sans courage, Comprit avec effroi qu'il faudrait travailler Pour sauver des horreurs d'une longue misere Ses deux charmantes sceurs, sa bonne et sainte mere. Mais il etait bien tard pour qu'il put se plier Sous le joug du travail, quelquefois un peu rude. ' Pour qu'il ne blesse x^as, jeune il faut I'essayer, Et s'en faire une douce et facile habitude. Tout le temps qu'au college il avait demeure. 64 Le Passant et la Tourferelle. Le paresseux jeune liomme avait tout effleure, Sans rien approfondir, et ii'aurait pas su meme Au plus faible ecolier dieter le nioindre theme. Que faire, maintenant qu'arrivait le malheur? Mais apprendre un etat, dira-t-on. Quelle horreur ! Quoi ! dans ces lieux temoins de sa splendeur passee, Porter de I'ouvrier la blouse rapiecee ! Courber son front liautain sous le poids d'un etat ! Non ; Auguste aime mieux le kepi du soldat. Les larmes d'une mere infirme et malheureuse ^ Eesterent sans pouvoir sur cette ame orgueilleuse. II partit, mais charge de ce honteux mepris Qui, jusques au trepas, poursuit les mauvais fils. Enfants, fuyez I'orgueil ainsi qu'une vipere, Et, quelque rang que Dieu vous donne sur la terre, N'en soyez jamais fier ; car il depend de Lui De vous oter demain le bonheur d'aujourd'hui. Elise Moreau. LE PASSANT ET LA TOURTERELLE. LE PASSANT. Que fais-tu dans ce bois plaintive tourterelle ? LA TOURTERELLE. Je gemis : j'ai perdu ma compagne fidele. LE PASSANT. Ne crains-tu pas que I'oiseleur Ne te fasse perir comme elle ? LA TOURTERELLE. Si ce n'est lui, ce sera ma douleur. B. de Fourcroy. LE Mendiant et l'Oiseau. LE MENDIANT. Ou vas-tu done — petit oiseau Ainsi volant a tire-cVuUe ? Viens me chanter la ritowneUe. L'air est si pur, le ciel si beau ! l'oiseau. Je Tais chercher la nourriture Que Dieu me garde quelque part ; Mais toi, hate tes pas, vieillard: La nuit ramene la froidiu-e. LE MENDIANT. J'erre seul depuis ce matin, Et nul n'entend ma Toix qui pleure ; Tes chants pourraient me faire une heure, Oublier men triste destin. l'oiseau. Mais, dans cette saison cruel] e L'oiseau fait taire tons ses chants, Vois, la neige couTi-e les champs : Comment chanter ma ritournelle ? LE MENDIANT. Oiseau, tu vis en paix du moinsl La nuit, tu trouves un asile, 66 Le Mendiant et rOiseau. Et, le jour, la graine facile Qui doit suffire a tes besoina. Moi je frappe de gite en gite, Implorant et criant, helas! Et le soir quand je suis las, Je n'ai pas un toit qui m'abrite. l'oiseau. Du pauvre Dieu seul est I'appui ; C'est lui qui soutient ma faiblesse. Jamais sa bonte ne delaisse Quiconque espere et croit en lui. LE MENDIANT. Quand le printemps nous rend ses charmes, Oiseau, tu vis libre et joyeux ; Mais pour moi, pauvre, faible et vieux, Au monde il n'est plus que des larmes. l'oiseau. Dieu ne laisse pas avoir faim Une humble et faible creature : II me garde un grain pour pature, A toi, vieillard, un peu de pain. le mendiant. Oiseau, ce grain, Dieu te leiionne, Et des refus, tu n'en crains pas ; Trop heureux qui pent ici-bas Ne rien demander a personne ! l'oiseau. Ce grain, je le cherche, vieillard ; Comme toi je mendie et j'erre, Sans peine on n'a rien sur la terre, Et je ne dois rien au basard. Le Moineau et la Colombe. 67 LE MENDIANT. Mine par la faim et par I'age, Succombant a mon triste sort, Un soir on me tronvera mort A quelque cent pas du village. l'oiseau. - Je puis mourir loin de mon nid : Faut-il que je m'en epouvante ? Pauvre vieillard, espere et chante : Dieu seul est grand : qu'il soit beni ! if. A. Demille, LE MOINEAU ET LA COLOMBE. LE MOINEAU. Comment se fait-il done, ma soeur, Que Ton t'aime, qu'on me rejette ; Que Ton t'accueille avec douceui', Qu'avec humeur on me maltraite ? Cependant, je suis plus adroit ; Je puis, par mainte gentillesse, Charmer le maitre et la maitresse : J'ai cent fois plus d'esprit que toi. LA COLOMBE. C'est, mon frere, qu'on vous accuse D'etre un gourmand, d'etre un voleur ; Yous prenez ce qu'on vous refuse, Moi, ce qu'on m'offre de bon coeur. Vous avez plus d'esprit, mon frere, Plus d'adresse, plus de savoir ; Mais, lorsqu'on I'emploie a mal faire, D vaudrait mieux n'en point avoir. Grenus. LA VISITE. Mme. DELATOUK, LEONIE.— Puis MAKIE et Mlle. DUVAL. MME. DELATOUR. Je viens d'entendre la cloclie ; pourtant nos visiteuses n'arriveront que dans un quart d'heure. LEONIE. Oh, maman ! qu'il me tarde de revoir ma cousine. MME. DELATOUR. As-tu pris tes le9ons ce matin, ma fille ? LEONIE. Oui mais je dois avouer que j'ai ete distraite, et que je n'ai pas trouve les etudes tres-amusantes aujourd'hui. MME. DELATOUR. A quoi songeais-tu done ? LEONIE (emharrassee). D'abord a I'arrivee de ma cousine ; ensuite comment je I'entretiendrais pendant son sejour cliez nous, ma mere. MME. DELATOUR. Je regrette que tu n'aies pas profite davantage des le9ons excellentes de ton maitre, chere enfant. Fais en sorte d'eviter ces distractions a I'avenir. La Visite. 69 LEONiE {avec soumission). Oui, ma mere ; je sais bien que tu as toujours raison Mais lemotion etait plus forte que moi. MME. DELATOUR. Eappelle-toi qu'a ton age le temps est toujours precieux LEONIE. Comment pourrai-je m'occuper de mes etudes pendant le sejour de ma cousine ici ? MME. DELATOUK. Marie aura sans doute des devoirs a preparer pour sa gouvernante ; ainsi les matinees passeront d'une maniere utile, de pai*t et dautre. LEONIE (vivement). All! maman! j'apercois une voiture dans I'avenue. Ce sont elles ! Elles descendent de voiture ? Oh ! la toilette de Leonie — qu'elle est belle ! et moi qui suis en robe de percale. MME. DELATOUE. Bonjour, ma cbere Marie ; que je suis heureuse de te voir ! MAEIE. Vous etes bien bonne ma tante ; je suis ravie de me retrouver enfin pres de vous. Et la campagne est si delicieuse. LEONIE (accourant). Bonjour, ma cousine. (Elles sembrassent et causent.) MME. DELATOUR. Comment vous poi-tez-vous, mademoiselle ? Le voyage vous a-t-il fatigue e ? MLLE. DUVAL. Du tout, madame ; j'aime les voyages ; et du reste, la 70 La Visite. beaiite du pays que vous habitez suffirait pour faire oublier toute lassitude. MME. DELATOUR. J'ai lieu de croire que votre sejour parmi nous vous sera agreable ; cependant il faut un peu d'abnegation pour se plaire a la campagne. LEONIE. Oh, maman ! savais-tu que ma cousine frequente deja les bals et les concerts ? MLLE. DUVAL. Oui, les bals d'enfants sont tres a la mode a Paris. MARIE. Ma derniere toilette a coute deux cents francs, ma tante ; elle etait en gaze rose, lamee d' argent. MME. DELATOUR. Je vois bien, cbere enfant, que ta mere a toujours le gout de la toilette. MARIE. II faut bien faire comme tout le monde, n'est-ce pas, ma tante ? MLLE. DUVAL (souHant). Du moins comme le beau monde, ma clierie. MME. DELATOUR. Leonie, accompagne ces dames jusqu'a leur apparte- ment. LEONIE. Oui, maman. (A Mile. Duval) Voulez-vous monter, mademoiselle ? MLLE. DUVAL. Merci ; comme vous avez grandi, Leonie ! vous etes aussi grande que Marie, qui a deux ans de plus que vous. Singuliers en "al," Pluriels en " aux" 71 m:\ie. delatour. C'est que Leonie se couclie de bonne heure, made- moiselle; qu'elle ne frequente les concerts ; et surtout parce qu'elle ne porte pas de robes en gaze rose. MARIE {embrassant 3Ime. Delatour). Ah ! chere tante, vous jetez des pierres dans mon jar din. MME. DELATOUR. Nous dejeunerons bientot, Leonie, oil est ton frere ? LEONIE. II est alle au-devant de notre nouveau convive, son ami Paul ; ils seront ici dans quelques minutes. MME. DELATOUR. Tres-bien, ma fiUe. Eeviens bientot, car j'ai besoin de toi. SINGULIERS EN "AL/' PLURIELS EN "AUX." LA RISSOLE. Bonjour, mon camarade. J'entre sans dire gare, et cliercbe a m'informer Oil demeure un monsieur que je ne puis nommer. Est-ce ici ? MERLIN. Quel homme est-ce ? LA RISSOLE. Un bon vivant, allegre, Qui n'est grand ni petit, noir ni blanc, gras ni maigre, 72 SinguUers en " al," PlurieU en " aux." J'ai su de son libraire, ou souvent je le vols, Qu'il fait Jeter en moule un livre tons les mois, C'est un vrai Juif errant qui jamais ne repose. MERLIN. Dites-moi, s'il vous plait, voulez-vous quelque chose ? L'homme que vous chercliez est mon rnaitre. LA RISSOLE. Est-illa? MERLIN. Non. LA RISSOLE. Tant pis. Je voulais lui parler. MERLIN. Me voila ; L'un vaut I'autre. Je tiens un registre fidele Ou, chaque heure du jour, j'ecris quelques nouvelles. Fable, histoire, aventure, enfin quoi que ce soit, Par ordre alphabetique, est mis a son endroit. Parlez. LA RISSOLE. Je voudrais bien etre dans le Mercure ; J'y ferais, que je crois, une bonne figure. Tout a riieure, en buvant, j'ai fait reflexion Que je fis autrefois une belle action : Si le roi la savait, j'en aurais de quoi vivre. La guerre est un metier que je suis las de suivre, Mon capitaine, instruit du courage que j'ai, Ne saurait se resoudre a me doniier conge. J'en enrage. MERLIN. II fait bien : donnez-vous patience. . . . Singuliers en "al," Pluriels en " aux." 73 L\ RISSOLE. Mordie ! je ne samais avoir ma subsistance. MERLIN {apart). II est vrai, le pauvre liomme ! il fait compassion. LA RISSOLE. Or done, pour en venir a ma belle action, Yoiis saurez que to uj ours je fus homme de guerre, Et brave sur la mer autant que sur la terre. J'etais sur un vaisseau quand Euj^ter fut tue, l^t j'ai meme a sa mort le plus contribue : Je fus cherclie le feu que Ton mit a I'amorce Bu canon qui lui fit rendre I'ame par force. liui mort, les Hollandais souffrirent bien des mals f On fit couler a fond les deux vice-amirals. MERLIN. 11 faut dire des maux, vice-amiraux ; c'est Tordre. LA RISSOLE. Les vice-amiraux done ne pouvant plus nous mordre, Nos coui)s aux ennemis furent des coups /a^awa? ; Isous gagnames sur eux quartre combats nuvaux. MERLIN. II faut dire fatals et navals ; c'est la regie. LA RISSOLE. Les Hollandais reduits a du biscuit de seigle, Ayant connu qu'en nombre ils etaient inegals, Firent prendre la fuite aux vaisseaux principals. MERLIN. H faut dire inegaux, principaux ; c'est le terme. LA RISSOLE. Enfin, apres cela nous fumes a Palerme. 74 Singuliers en "al," Fluriels en "aux." Les bourgeois, a I'envi, nous firent des regaux ; Les huit jours qu'on y fut furent liuit carnavaux. MERLIN. II faut dire regals, carnavals. LA RISSOLE. Oh ! dame, M'interrompre a tout coup, c'est me chiffonner I'ame, Franchement. MERLIN. Parlez bien. On ne dit point navaux, Ni fataux, ni regaux, non plus que carnavaux ; Vouloir parler ainsi, c'est faire une sottise. LA RtSSOLE. Eh, mordie ! comment done voulez-vous que je dise ? Si vous me reprenez lorsque je dis des mah, Inegah, principals et des vice-amirals, Lorsqu'un moment apres, pour mieux me faire entendre, Je dis fataux, regaux, devez-vous me reprendre? J'enrage de bon coeur quand je trouve un trigaud Qui souffle tout ensemble et le froid et le chaud. MERLIN. J'ai la raison pour moi qui me fait vous reprendre, Et je yais clairement vous le faire comprendre. Al est un singulier dont le pluriel fait aux ; On dit : c'est mon egal et ce sont mes egaux. Par consequent, on voit, par cette raison seule LA RISSOLE. J'ai des demangeaisons de te casser la gueule. MERLIN. Vous? I Singuliei's en " al," Pluriels en "aux." 75 LA RISSOLE. Oui, palsandie ! moi. Je n'aime point du tout Qu'oTi me berne d'un conte a dormir tout debout. Lorsqu'on veut me railler, je doune sur la face. MERLIN. Et tu crois au Mercure occuper une place, Toi ? tu n'y seras point, je t'en donne ma foi. LA RISSOLE. Mordie ! je me bats I'oeil du Mercure et de toi, Et pour faire depit, tant a toi qu'a ton maitre, Je te declare, moi, que je n'y veux pas etre : Plus de mille soldats en auraient achete, C'etait argent comptant, car j 'avals leur parole. Adieu, pays ; c'est moi qu'on nomme la Kissole: Ces bras te deviendront ou fatals oufataux. MERLIN. Adieu, guerrier fameux par tes combats navaux. LA RISSOLE (apart). Adieu, je m'en vais boire avec mon caporaux', J'aurais dit tout a Theure avec mon caporal, C'est comme mon chapeau qu'il faut mommer chapal. BouraauLL UN AMI DANS L'INFORTUNE. MAXIME, LAUBEPIN. MAXiME {portant son mouchoir a ses yeux). Allons! pas d'enfantillage ! et dinons puisque diner il y a ! . . Ce que c'est que le fruit defendu ! j'ai moins faim que tout a I'heure ! Cette pauvre femme, que j'ac- cusais, cette portiere .... c'est un ange ! . . . . Enfin me voila toujour s assure de vivre jusqu'a demain . . . C'est quelque chose {Use leve). LAUBEPIN {d'un air consferne). Au nom du ciel, monsieur le marquis, comment ne m'avez-vous pas dit ? . . (S'avangant). Jeune homme, c'est mal; vous avez blesse un ami! vous faites rougir un vieillard ! MAXIME (emu). Monsieur ! LAUBEPIN {Vattirant sur sa poitrine^. Mon pauvre enfant ! Allons ! n'y pensons plus ! Dinez, mon ami, et dinez gaiement .... car Dieu merci, je vous apporte une bonne nouvelle. MAXIME (off rant une chaise a Lauhepin). Ball! LAUBEPIN. J'ai un emploi a vous offrir. J Un Ami dans VInfortune. 77 MAXIME. Un emploi? LAUBEPIN. Mais, dame ! je ne sais s'il vous agreera. Je suis arrive ce matin de Bretagne, comme vous savez, mon ami. II y a la, au fond du Morbihan, une famille tres-considerable et tres-opuleute, la famille Laroque d'Arz dont je possede toute la confiance. Les Laroque avaient depuis vingt ans, un bomme d'affaires, un intendant, nomme Yvart, qui etait un fripon. J'ai appris ces jours-ci que cet individu etait fort malade; je suis immediatement parti pour le cbateau de Laroque, et j'ai demande pour un ami a moi, que je n'ai point nomme, I'emploi qui, suivant toute apparence, allait devenir vacant. MAXIME. Mais tantot vous ne m'aviez pas dit un mot. . . . LAUBEPIN. D'abord, mon ami, j'avais a peine I'bonneur de vous connaitre, et je tenais a savoir, avant tout, quelle espece d'bomme vous etiez. Ensuite, c'est en rentrant cbez moi seulement quune lettre de mon excellente amie, madame Laroque, m'a appris le deces defiuitif du sieur Yvart. Maintenant, voici les conditions : vous serez uniquement connu dans le cbateau sous le mon de Maxime Odiot; vous babiterez un pavilion particulier. Quant a vos ap- pointements, ils seront regies cbaque annee de lacon a vous permettre de penser a la dot de votre soeur. Cela vous convient-il ? MAXIME. A merveille, et je ne sais comment vous remercier de votre prevoj^ante bonte ... . Seulement je crains d'etre un bomme d'affaires un peu neuf. 78 TJn Ami dans VInforlune. LAUBEPIN. N'etes-vous pas avocat, c'est-a-dire un peu propre a tout ? Et puis comme je I'ecris a madame Laroque, ce qui vous manque pent s'apprendre en deux mois, et vous avez ce que cinquante ans d'experience n'avait pu ap- prendre a votre predecesseur. ... la probite. . . . je vous ai vu au feu, j'en reponds. MAXiME (se I eve). Eh bien, Monsieur, je suis pret. LAUBEPIN. Pret a partir demain ? MAXIME. Demain ? LAfJBEPIN. Mon Dieu, il le faut, car ces gens la-bas ne sont pas capables a eux tous de faire une quittance. IMon ex- cellente amie madame Laroque en particulier est, en affaires, d'une enfance ... c'est une creole. MAXIME (vivement). Ah ! c'est une Creole ! LAUBEPIN (sechement), Oui, jeune homme, une vieille creole. De son cote, sa fiUe.... MAXIME. Ah ! elle a une fiUe ? LAUBEPIN. Oui, qui est plus jeune. MAXIME. Naturellement. LAUBEPIN. Au surplus, vous les verrez, vous les jugerez vous-meme. • Un Ami dans VInfortune. 79 MAXIME. Si je pouvais pourtant sans indiscretion vous deman • der, pour ma gouverne, quelques renseignements sur le caractere des personnes avec qui je vais me trouver en contact ? LADBEPiN {avec rherve). Mon Dieu, jeune bomme, I'article personnel est toujours fort delicat. Cependant, voyons.... H y a dans le chateau, en residence permanente, sans parler des voisins, des amis, il y a, dis-je, cinq personnes : d'abord, mon- sieur Laroque, le pere, celebre au commencement de ce siecle, en qualite de corsaire autorise, source de la for- tune.... aujourd'hui plus qu'octogenaire. . . . intelli- gence un peu tiottante ; ensuite. madame Laroque, sa belle-fille, veuve, Creole d'origine. . . quelques manies. . . mais belle ame; mademoiselle Marguerite, sa fiUe, Creole et bretonne. . . une petite tete, quelques chimeres, mais belle ame; puis, en sous-ordre, une madame Aubry, cousine au deuxieme degre, recueillie dans la maison, veuve d'un banquier decede en Belgique. . . esprit aigri; et enfin une demoiselle Helouin, institutrice, demoiselle de compagnie, esprit cultive .... caractere ... (// hesile et rejjrend.) Esprit cultive!.... c'est tout.... vous voyez MAXIME. Comment, mais sur cinq habitants il y a deux belles ames .... c'est une proportion magmfique ! LAUBEPIN. N'est-ce pas ? ah 9a ! Maxime, vous penserez a la dot d'Helene! MAXIME. Je ne penserai qu'a cela, Monsieur ! 80 Les Bamrdes. LAUBEPIN. Bien ! Aliens, bon courage, mon ami ! Demain matin je vous attends a dejeuner, et demain soir en route pour la Bretagne. (Serieux.) Mon enfant, je ne vous con- nais que depuis quelques heures, et je me porte votre caution, vous voyez: je reponds de vous. . . .a tous les points de vue: je n'aurai jamais a m'en repentir ? V MAXIME. Monsieur, j'ai fait, a la memoire de celle que j'avais connue trop tard, un serment que je tiendrai. J'ai jure de ne jamais commettre une action dont aurait pu rougir la sainte qui fut ma mere. LAUBEPIN. Je suis tranquille; a demain. MAXIME. A demain .... {FeuL) Intendant ! . . .allons frere, courage ! Odace Feuillet. LES BAVARDES. OEIANE, OKONTE ELISE. OEIANE. Monsieur, vous allez faire un souverain jugement^ Sans doute. OEONTE (a Oriane). Moi, madame ? En tout ce que vous faites, Vous n'avez point de ]oeine a montrerqui vous etes* On decouvre d'abord un merite si grand. . . . Les Bamrdes, 81 ELISE. Nous Savons bien, monsieur, que vous etes galant. On ne voit point d'ecrits comparables aux votres. Que d'eloges charmants cousus les uns aux autres 1 Vous louez avec grace, il le faut avouer. ORONTE (d Elise). D'agreables objets sont aises a louer. Vos manieres, voire air. . . . ORIANE. Brisons la, je vous prie ; La louange affectee est une raillerie . Tirez-nous seulement d'une grossiere erreur Qui me fait tons les jours brouiller avec ma soeur. Sitot qu'un mois commence, on m'apporte un Mercure. C'est mon plaisir d'elite et ma chere lecture; Et, depuis qu'il parait, ce qui m'en a deplu, C'est qu'il est trop j)etit et qu'on I'a trop tot lu. Mais un des plus charmants que Ton vous ait vu faire, C'en est un ou j'ai vu le grand art de se taire, Art qui pour notre sexe est plein d'utilite. Et dont ma soeur et moi nous avons profite. Nous avons toutes deux purifie nos ames D'un defaut qui partout deslionore les femmes; Et nous faisons un voeu, qui, sans doute, tiendra, De ne parler jamais que lorsqu'il le faudra. N'est-il pas juste aussi que les femmes se taisent? Leurs discours eternels fatiguent et deplaisent. Tout ce qui leur echappe est de si peu de poids Qu'un silence modeste est plus beau mille fois. S'il n'etait des rubans, des jupes, des dentelles, Tant que dure le jour, de quoi parleraient-elles ? Je seche de chagrin, lorsque j'entends cela. 82 Zes Bamrdes. ELISE. Et qui pourrait tenir a ces sottises-la ! Est-ce un si grand effort qu'etre femme et se taire, Qu'aucune autre que nous n'ait encore pu le faire ? Car, ma soeur, franchement, nous pourrions avouer, N'etait qu'il est honteux de vouloir se louer, Que Ton ne voit que nous se faire violence Et trouver du plaisir a garder le silence. Mais je ne comprends point par quelle injuste loi Vous pretendez, ma soeur, vous taire mieux que moi. Depuis six mois entiers que j'apprends a me taire, J'ai fait, pour reussir, tout ce que j'ai pu faire ; Et dans ce grand dessein je vous suis d'assez pres Pour devoir me flatter d'un semblable progres; Je consens, comme vous, que monsieur en decide. OEOI^TE. Moi, mesdames? ORIANE. Monsieur, soyez juge rigide. Ma soeur, me voila prete a vous faire un aveu: Que vous ne parlez point ou que vous j^arlez peu. Que vous avez sur vous un merveilleux empire; Que vous ne dites rien que vous ne ne deviez dire; Que le don de vous taire est I'effet de vos soins. Mais avouez aussi que je parle encor moins. Si ce n'est j^ar devoir, que ce soit par tendresse. ELISE. Sur tout autre sujet vous seriez la maitresse, Ma soeur; mais sur ce point ne me demandez rien. Je donneiais pour vous tout mon sang, tout mon bien; Mais je ne puis celer que la gloire m'est chere; Et quelle gloire encor ! Etre fille et se taire ! Souffrez-moi votre egale, et, par cette equite. . . . Les Bavardes. 83 ORI,\NE. Non, ma sceur, je ne jDuis souffrir degalite; Je parle moins que vous, j'en suis sure, ELISE. Au contraire, Si vous en jugiez bien, vous savez moins vous taire. OEIANE. Je vous appris cet art; sans moi vous I'ignoriez. ELTSE. Vous m'en avez appris ]3lus que vous n'en saviez. ORIANE. Monsieur est sur ce point plus eclaire que d'autres; Prions-le d'ecouter mes raisons et les votres. Nous verrons sur-le-champ votre doute eclairci. ELISE. J'en conjure monsieur. ORIANE. Je Ten conjure aussi. ORONTE. Je me fais un bonheur du desir de vous plaire; Mais comment, en parlant, montrer qu'on sait se taire ? ORIANE {a Oronie). Ecoutez mes raisons, et j'espere. . . . ELISE. Ma soeur, Qui parle la premiere a bien plus de faveur; Que dirai-je apres vous sur la memematiere? ORIANE. Lune de nous, ma sceur, doit parler la premiere; 'Et, par mon droit d'ainesse, il me semble devoir .... 84 Les Bacardes. ELISE. La qualite cVainee ici est sans pouvoir. {Files parlent ioides deux le plua vite quil leur est possible.) ORIANE. Quittez ropinion ou cette erreur vous jette; Une ainee en tous lieux parle avant sa cadette. ELISE. Je sais bien qu'en ton's lieux et qu'en toute saison C'est un droit de I'ainee, alors qu'elle a raison; Mais si j'ai raison, moi, qu'ai-je a faire de I'age ? ORIANE. Apprenez que sur vous j'ai ce double avantage Que I'age et la raison sont pour moi contra vous, Et que votre sottise excite nion courroux. Vous croyez que partout votre merite brilie. ELISE. Ah ! que par le babil vous etes encor fiUe, Ma sceur ! et que cet art que vous citez toujours A votre petulance offre un faible secours ! Vous me traitez de sotte, et, par ce que vous faites, Je vois qu'au lieu de moi c'est vous-meme qui I'etes. Et cependant, ma soeur, quoique vous le soj-ez, Je ne vous en dis rien, comme vous le voyez : Je sais dans quel respect la cadette doit ttre. ORIANE. L'ainee entre nous deux est aisee a connaitre. Vous avez quelque esprit, quelque rayon de feu: Mais, pour du jugement, \ous en avez si j^eu Qu'en voulant faire voir que vous savez vous taiie, Vous parlez aujourd'liui plus qu'i votre ordinaire. tLISE. Monsieur en est le juge, il n'a qu'a pronoucer. Le& Bamrdea. 85 ORIANE. J'ai la bonte pour vous cle ne pas Ten pressor. ELISE. Pour comble de bonte, faites-moi gi-ace eiitiere : Permettez qu'a monsieur je parle la premiere. orviA>:E. Vous, me faire I'affront de parler avant moi? Vous ne le ferez point, et j'en jure ma foi. ELISE. Ni vous non plus, ma sosur, et j'en jure la mienne; Je vous interromprai sans que rien me retienne. OKONTE (d Oridne). Madame ELISE. Non monsieur, je veux le premier pas. OLONTE {a Elise). Madame .... ELISE. Non, monsieur, je n'en demordi'ai pas. OEONTE (a Oriane). Si VOUS. . ORIANE. Je cederais a cette audacieuse ! OEONTE (a Elise). Croyez ELISE. J'obeirais a cette imperieuse ! OEONTE (a Oriane). Montrez-vous son ainee et considerez bien .... OEIANE. Pour la faire enrager je n'epargnerai rien. ^6 Les Bamrdes. ORONTE (a Elise). Montrez-vous sa cadette, et cherchez une voie .... ELISE. A la contrecarrer je mets toute ma joie. ORONTE. En vain cle vous juger vous m'imposez la loi: Que sais-je qui des deux parle le moins ? ORIANE ET ELISE. C'est moi. ORIANE. Et par de bonnes raisons je m'en vais vous I'apprendi'e. {A peine tune donne-t-elle a I'autre le teiiq^s d'acheter. ELISE. Et pour en etre instruit, vous n'ayez qu'a m'entendre. ORIANE. C'est moi qui la premiere ai forme le dessein ^ ELISE. J'ai pour les grands parleurs con9u tant de dedain ORIANE. De captiver ma langue et d'etre distinguee. ELISE. Que du moindre discours j'ai I'ame fatiguee. {Elles parlent en meine temps). ORIANE. Pour peu qu'on me frequeute, on admire cela. ELISE. Pour i)eu qu'on me regarde, on devine cela. ORONTE. Vous laisez-vous souvent de cette facon-la ? Tout franc, je ne vois goutte en toutes vos manieres. LHonneur et r Argent. 87 OKIANE. Je ne vous croyais pas de si courtes lumieres. ELISE. Cest pour un grand genie avoir peu de lumieres ORIANE. Pour juger qui de nous etait digne du prix, ELISE. Vous ne deviez pas craindre en me donnant le prix, ORIANE. Je ne sais que vous seul qui put s'etre mepris. ELISE. Que Ton vous soupconnat de vous etre mepris. OKIANE ET ELISE. Adieu, monsieur. BoursauU. L'HONNEUR ET L'ARGENT. GEORGE, RODOLPHE. GEORGE. .... En attendant, je n'ai plus de ressource; Comment vivre ? EODOLPHE. Eh ! parbleu ! n'avons-nous pas ma bourse ? GEORGE. Je n'emprunterai pas d'aussi pauvre que moi. RODOLPHE, Fi! le mot est vilain. Ce que j'ai, c'est a toi. •88 L'Honneur et f Argent. GEORGE. C'est assez pour toi seul, trop peu pour vivre ensemble. EODOLPHE. Puis, tu pourrais donner des lecons ce me semble. GEORGE. Des le9ons? RODOLPHE. De dessin. . . . GEORGE. Chez des particuliers. EODOLPHE. Oui; J3 puis te trouver quelques bons ecoliers. GEORGE. Des le9ons au cachet, ainsi qu'un maitre d'arme ! RODOLPHE. Eh! mais, je ne vois rien la dont Thonneur s'alarme. GEORGE. Etre salarie, moi ! donner des le9ons Respectueusement, a de petits gar9ons ; Preparer les pinceaux des jeunes demoiselles Dont je corrigerai les chastes aquarelles? — Aliens done ! RODOLPHE. Ah ! voila. Nous aimons les travaux 'Qui doivent faire un jour eclater les bravos: Quant a gagner son pain par un travail sans gloire, D'autant moins glorieux, d'autant plus meritoire, Fi ! c'est bon pour les gens mediocres. — Mon cher, Ecoute bien ceci: C'est I'orgueil qui te perd. GEORGE. Professeur de dessin ! expeditionnaire ! Pourquoi pas portefaix ou commissionnaire ? UHonneur et V Argent. 89 RODOLPHE. Eh ! ma foi, j'en connais qui te valent. — Entin, II faut prendre un parti sinon mourir de fain. GEORGE. Pourquoi me suis-je mis dans ce cas miserable? RODOLPHE. Eh quoi ! te repens-tu de ton acte honorable ? * I GEORGE (a fee eclat). \ Ah ! morbleu ! si c'etait a refaire ! RODOLPHE. Comment ! GEORGE. Mon Dieu ! j'etalerais ma honte effrontement Et je dirais: Messieurs, j'ai fait comme vous autres; Honorables faquins, place ! je suis des votres. Vous, monsieur, vous n'avez ni principe, ni foi, Et votre avancement est votre seule loi; Touchez-la ! — Vous, monsieur, a la fin de la lutte, Vous flattez la victoire et fletrissez la chute; So^'ons amis I — Salut, 6 pieux debauche, <5ue le mot effarouche, et non pas le peche ! Salut, 6 Turcaret ! f salut, 6 parasite, Qui souris des bons mots que Turcaret debite ! Banqueroutiers, valets, libertins, renegats, Fripons de toute espece et de tous les etats, Salut! nous nous devons un respect reciproque; * George a sacrifie sa fortune pour sauver I'honneur de son pere. f Turcuret. personnage de comedie, designele financier enrichi dont I'esprit et reducation ne sent pas a la hauteur de sa fortune. 90 L'Ronneur el V Argent. Nous comprenons I'esprit positif de lepoque, Nous des pieds-plats, — oui, des marauds, — d'accord; Mais le monde est a nous, car nous avons de Tor. RODOLPHE. Je ne prends ces propos que pour une boutade; C'est un signe pourtant que I'esprit est malade; Et, si tu ne prends garde a ces velleites, Tu descends le penchant qui mene aux lachetes. Songe a Raj^mond a qui tu refusais ta porte; II avait cependant une excuse plus forte: II fallait qu'il nourrit sa femme, au lieu que toi,> Tu vis seul, et Ton a toujours assez pour soi. All! j'aurais aujourd'hui beau jeu....mais, sois tranquille Je n'abuserai pas d'un triomphe facile. Je te veux seulement dire quelques mots francs, Dictes par I'amitie comme je la comprends. — Tu fis bien de payer les dettes paternelles: Mais cetait obeir aux regies eternelles; Tu serais miserable ayant autrement fait; Puis, du premier instinct, c'etait le prompt effet: Un sacrifice fier charme une ame hautaine. — Je ne meconnais point un acte noble en soi; Tu fis bien, mais beaucoup auraient fait comme toi. La vertu, qui n'est pas d'un facile exercice, C'est la perseverance apres le sacrifice; C'est, quand le premier feu s'est lentement eteint, La resolution qui survit a I'instinct, Et seule devant soi, paisiblc, refroidie, Par un monde oublieux n'etant plus applaudie, A travers les besoins, I'injure et le degout, Modeste et ferme, suit son chemin jusqu'au bout. Voila mon vrai heros ! voila mon bom me rare ! Ce n'est pas celui-la que I'amour-propre egare ! Anivee Inattendue. 91 B ne rougirait pas d'un hoiinete metier, Et croirait plus louable et meme plus altier, De vivre dignement de I'art que Ton enseigne, Que d epouser la dot de quelque vieille duegne ? J Fonsard. ARRIVEE INATTENDUE. Premier Tableau. NOEL, ADRIEN. ADRIEN. Me voila ! mon yieux Noel, je n'ai rien mange depuis vingt-quatre heures, vite une omelette ! (// pose sa cas-- quette siir le canape, a droite, puis descend en scene.) NOEL (petrifie en voyant Adrien). Ah! ADRIEN. Qu'as-tu done ? . . . . tu es tout tremblant .... Tu ne m'attendais done pas ? . . . . Je t'annoncais .... ( Voyant chanceler Noel et le racevant dans ses bras.) Eh bien ! Noel .... Noel .... reviens a toi. {Noel le regardant et cher- chant a le reconnaiire, il lid dit.) C'est bien moi ! NOEL {apres avoir sanglote). Oh! mon enfant, que je suis heureux! {II I'embrasse.) ADRIEN. Mais, Noel, ce saisissement .... Je ne comprends pas Mes deux lettres .... tu ne les as done pas re9ues ? I Duegne, vieille gouvernante chargee de Teducation d'une jeune personne, en Espagne. 92 Arrivee. Inattendue. NOEL. Rien. ... je n'ai rien re9u. ADRIEN. Ma lettre a du arriver hier. NOEL. Hier ! . . . . Depuis qu'on n' attend plus rien de toi, on n'envoie plus clierclier les lettres a la ville. ADRIEN. Mais vos autres lettres ? NOEL. Oh! celles-la elles viennent quand elles veulent. ADRIEN. - Et ma mere ? . . . . NOEL. Elle vous croit tou jours mort. ADRIEN. Mort! NOEL. Ah! la malheureuse, quel coup de foudre! Oh I Seigneur ! ADRIEN. Ainsi, elle n'est done pas preparee a mon retour ? NOEL. Est-ce que j'y etais prepare, moi ? . . . . Mais, j'y pense, quelqu'un t'a peut-etre vu entrer ici ? N'as-tu pas rencontre quelqu'un? ADRIEN. Personne .... J'etais meme inquiet de ce que vous ne veniez pas tous a ma rencontre. NOEL. A sa rencontre ! II est amusant ! Mais cette emotion est trop .... un autre a ma place en serait tout Arrivee, InaUendue. 93 eperdu .... Heureusement que j'ai de la tete ! Voyons, soyons prudent .... ces pauvres f emmes . . . elles en mourraient ! . . . il faut les amener, petit a petit, a cette idee. ... si douce ! mais trop douce All ! c'est que, vois-tu, elles n'ont pas mon energie elles ne pour- raient supporter comme moi ADRiEN {luiprenant les mains). Mon brave Noel, tu trembles pour ma mere .... elle est done bien malade, que le bonbeur de me revoir te parait si dangereux pour elle ? NOEL. Tres-malade Oh! je ne suis plus inquiet c'etait le chagrin .... le bonheur va la guerir , mais pour cela, il ne faut pas qu'il la tue du premier coup. Oh ! ce premier moment sera terrible ! . . . Je ne sais . . . je cherche .... Me voila aussi tourmente que le jour ou je lui ai appris votre mort. Elle est restee trois heures sans connaissance .... et pourtant je I'avais amenee tout doucement .... ADRIEN. Pauvre mere ! . . . . Oh ! quil me tarda de I'embrasser ! NOEL. Tais-toi done ! tu me fais peur. ADEIEN. Tu crois que la joie ? . . . . NOEL. Je crois qu'a votre vue elle tomberait morte .... voila ce que je crois. . . .11 faut absolument que votre soeur.. . . ADRIEN. Oui, Blanche nous aidera. Qu'il y a longtemps que je ne I'ai vue ! comme elle doit etre jolie a present. 94 ^ Arrivee Inattendue. NOEL. Elle etait jolie, et elle Test encore; mais depuis votre mort elle pleure tant ! ADRIEN. Cher 6 petite soeur ! Et mademoiselle de Pierreral ? NOEL. Elle est ici. ADEIEN. Mathilde est ici ! NOEL. Depuis votre mort elle n'a pas quitte la famille. ADEIEN. Oil! Noel, que je suis heureux! (// lui saute au cou et Vembrasse). Elle m'aime done toujours ? NOEL. Elle fait votre portrait et elle pleure ! va-t-elle etre contente ! . . . . Oh ! oui . .mais il ne faut pas I'epouvanter non plus, celle-la^ c'est un autre genre, elle deviendrait folle. Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! qu'est-ce que je vais f aire de mes femmes ? . . . . comment leur apprendre ? comment les avertir ?. . . je m'y perds, je n'y suis plus. . . je.... ADRIEN. C'etait pour eviter tout ce trouble, que je t'avais ecrit; en arrivant au Havre, j'ai su que la nouvelle de ma mort etait repandue dans le pays, et c'est toi que je chargeais de dire a ma mere .... NOEL (ecoulant). Chut!.... ADEIEN. Quel malheur que tu n'aies pas re9u cette lettre I NOEL. Silence done ! c'est elle ! I Arrivee Inattendue. 95 ADEIEN. Qui? NOEL. Madame. ADEIEN. Ma mere ! NOEL. C'est son pas fatigue et languissant .... elle s'arrete a laoitie de I'escalier . . . . c'est elle ! . . . . oii le cacher ? ADRIEN. Dans ma chambre. (// court vers la petite porte a gauche), NOEL. Madame a la cle....on n'entre plus dans cette chambre! ADRIEN. Sur le balcon .... NOEL. Dehors ! . . . . on vous verrait. Le verrou . . . . le ver- rou. . . .non. . . .cela I'inquieterait, elle insisterait pour entrer .... ah ! barricadons la porte .... vite, vite, aide- moi. (11 tire le canape de droite et le place devant la porte, aide d'Adrien, il met ensuite unfauteuil devant le canape). Deuxieme Tableau. BLANCHE, NOEL, puis ADRIEN (cache). NOEL. Ah! c'est vous, mademoiselle. {II epoussette les meubles en fredonnant.) BLANCHE. Pourquoi done t'enfermes-tu Noel ? 96 Arrivee, Inaf (endue. NOEL. Pourquoi ! c'est .... c'est pour empecher la poussiere de sortir. BLANCHE. La poussiere .... NOEL {apart). Qu'est-ce que je dis done? BLANCHE {allani prendre son ouvrage) Maman est allee a la messe avec Madthile .... Ellas n'ont pas voulu m'emmener .... J'y suis allee ce matin deja. Je croyais que maman serait trop souifrante et qu'elle ne pourrait pas sortir aujourd'liui. ... Oh! Noel, tu as raison, je la regardais tout a I'heure, elle est bien atteinte, ce chagrin I'a brisee. NOEL {ejDoussetant les meubles). Le chagrin .... oui . . . effectivement le chagrin {ilfredonne). Peuh! peuh! BLANCHE (s'arretant). Qu'as-tu done ? , . . . NOEL. Moi ? . . . . rien .... peuh ! peuh ! BLANCH^ (se retournant). Je te parle de mes inquietudes et tu ne m'ecoutes pas. NOEL. Si fait, mademoiselle, si fait Peuh ! peuh ! BLANCHE. En verite, je crois qu'il chante ! Toi, Noel, tu chantesi Mais qu'est-ce qu'il y a done ? {S'approchant de Nod). Noel, tu as I'air tout jeune ! . . . . Ce n'est pas naturel. . . . 11 est arrive quelque chose .... Mais qu'as-tu done, Noel ? NOEL. Je suis bouleverse, n'est-ce pas? J'ai la figure a I'envers? Arrivee Inattendue. 97 , . . . Je vous parais tout drole, cela doit etre. C'est que je viens d'eprouver une emotion, une impression, une commotion violente, et j'ai un peu de peine a me remet- tre. BLANCHE. Une emotion heureuse, car tu es tout content et tu chantes ! NOEL. Oui, mademoiselle. ... BLANCHE. Heureuse pour toi? NOEL. Pour moi et pour vous. BLANCHE. C'est vrai, c'est la meme chose, tu n'as pas d'enfant. NOEL. Je suis mon seul enfant, le fils de mes ceuvres. BLANCHE. Alors c'est un bonlieur qui nous arrive ? NOEL. Oui .... Oui .... un bonheur. BLANCHE. Lequel? NOEL. Devinez .... cherchez .... BLANCHE. Je n'ai pas besoin de cherclier. . . . mon frere?. . . . NOEL. C'est 9a, vous y etes. BLANCHE. On a de ses nouvelles ? NOEL. Allez, allez! 98 . Arrivce Inafiendue. BLANCHE. n n'est pas mort ? On s'etail trompe ? II est arrive au Havre? NOEL. Vous le savez done ? BLANCHE. Non, je I'ai reve. NOEL. Mademoiselle Blanche, vous avez de I'energie, du courage, du sang-froid. BLANCHE. Tu peux tout me dire .... Tu le vois, Dieu m'avait preparee a cette joie ? NOEL. Mors. ... si Dieu vous a preparee je n'ai plus rien a faire mais vous ne vous evanouirez pas ? BLANCHE. Moi ! II est ici. NOEL. H est ici. BLANCHE. Nous allons le revoir ? NOEI. Vous allez le revoir. BLANCHE (lombant a genoux). O ma mei'e ! ADRiEN {sortant de derriere le rideau) Pauvre petite soeur ! . . . . BLANCHE {regardant autour d'elle). Mais, s'il est ici, ou done est-il ? ADRIEN (descendu a droite). Blanche ! Annvee Inattendue. 99 BLANCHE {toujours d genoux lid tendoM les bras). Adrien ! . . . . viens, viens, je n'ai pas peur. ADEiEN {11 court d elle et la releve dans ses bras) Ma soeiu', ma chere Blanche quel bonheur ! (// la fait passer a sa gauche.) BLANCHE. oil ! maman, mamau quelle joie ! . . . . Un mois plus tard, Adrien, tu ne I'aurais plus retrouvee. Et Matliilde ! comme elle va reprendi-e courage ! Tu nous rends la vie a toutes les trois. Oh ! que Dieu est bon ? . . . . Mais Tegarde-moi .... C'est bien lui ! . . . . Noel .... Adrien ! .... Ah ! . . . . Us t'avaient done tue ces vilains sauvages? ADRIEN. Pas tout a fait .... J'avais trois balles dans le corps, j'etais sans connaissance .... Us m'ont pris mes habits et ils m'ont laisse la. . . . J'ai ete sauve par miracle. NOEL. Qu'est-ce que je disais ? un miracle ! ADRIEN. Une femme du pays m'a recueilli chez elle, j'ai et6 deux mois a me retablir .... BLANCHE. Pauvre fi-ere ! ADRIEN. Elle me soignait a sa facon ; pour tout traitement des pai'oles magiques. ^'a ete long ! BLANCHE. Et ton uniforme qu'on nous a renvoye ? ADRIEN. On I'a retrouve sur mon voleur qui, dans une melee ou nous avons perdu plusieurs des notres, a ete tue. 100 Arrivee Inattendue. NOEL. C'esfc bien fait! BLANCHE. On I'a pris pour toi ? . NOEL. H etait meconnaissable ? ADRIEN. H etait mort depuis quinze jours et comme il avait mon uniforme .... NOEL. Comme on a trouve sur lui votre passeport ' m BLANCHE. Les lettres de ma mere .... NOEL (a Adrien). La montre a votre chiifre .... ADRIEN. On a cru que c'etait moi. NOEL. C'est 9a!.... Permettez done... Je decouvre une chose (// pasne entre deux). BLANCHE. Quoi done ? NOEL. C'est que, depuis trois mois, c'est son voleur que nous pleurons ! . . . . Nous pleurons son voleur. BLANCHE {riant.) Son voleur ! . . . . ADRIEN. C'est vrai . . . c'est nouveau. Arrivee Inatlendue. 101 NOEL. C'est drole.... Je trouve cela drole. {lU rieat aux eclats). BLANCHE {les % liter wiupanl avec tristesse et allant a son fr ere?). Ah ! c'est mal ! Nous rions .... et niaman qui pleure encore ! ADRTEN. Ne pensons qu'a elle. ..Je vous conterai mes aventures quand elle sera la. NOEL. II faut absolument le caclier. II ne jDeut rester dans ce salon. BLANCHE {tendrement a Adrien). C'est le tien .... On y etait mieux pour penser a toi. NOEL. H nous faudrait la cle de cette chambre. BLANCHE. Maman Ta cliez elle. Non.... non, je me rappelle, hier elle I'a mise la-dedans. {Elle va la chercher dans an pupitre). La voila, nous sommes sauves. {Elle ouvre laporte de la chambre. — Adrien). Vite, en prison^ et ne bougez pas, monsieur. . . . vous resterez la, jusqn'a ce soir, sans boire ni manger ! . . . . ( Venant a Adrien). All! je parie que tu as faim ? ADRIEN. Non, je suis trop emu. BLANCHE. Tu vas dejeuner, cela t'occupera. ADRIEN. Dans une maison oii il n y a que des femmes il n'y a jamais rien a manger. BLANCHE. Mais nous ne sommes pas seules. 102 Arrivee Inatlendue, ADRIEN. Comment. BLANCHE. Nous avons ici un ami. ADRIEN (viveinenl). Octave ! ... .11 est avec vous? BLANCHE II ne nous quitte pas. ADRIEN. Pourqiioi done roiigis-tii ? BLANCHE. Je ne rougis pas. ADRIEN. Tu as rougi I . . . . Octave est amoureax de toi ! BLANCHE. Non .... viens. ADRIEN (bas a Noel). Ah ! . . . J'arrive a temps pour les benir. BLANCHE (a Adrien). Depeche-toi, maman va rentrer ! NOEL {regardant par lafenetre). Non, personne encore dans I'avenue ADRIEN (a la porte de sa chamhre). All ! ma chambre d'ecolier ! . . . . quelle symetrie ! mes livres, mes cartes, mes herbiers, cliaque chose est a sa place . . . . Je ne m'y reconnais plus .... Voyez-vous, ce vieux grondeur, comme il a bien vite profite de ma mort pour mettre en ordre mes affaires ! Mais, sois tranquille^ demain tu t'apercevras que je suis revenu. Et mes La Camtesse D'AiUreval. 103 etudes, on les a fait encadrer Quel honneur ! {Ilentre dans sa chambre). BLANCHE. C'est 9a. . . . admire-les. {Elleferme la porte). ADKIEN. Comment, tu m'emfermes ? BLANCHE. Sois sage Songe qu'il y a va de la vie de maman. Dans sa cliambre ! En voila de la joie. Mme. Emile de Girardin. LA COMTESSE D'AUTREVAL, NEE KeRMADIO, ET LEONIE DE LA VILLEGONTIER, SA NIECE. LA COMTESSE {tout 671 decachelant ses lettres). Jusqu'a Monsieur Charles, jusqu'aux domestiques qui veulent se donner de I'importance ! . . . . LEONIE. Oh ! mais .... une importance dont vous n avez pas idee LA COMTESSE (ouvraut une des lettres). En verite .... dis-moi done cela ? ( Vivement). Non, non .... tout a I'heure ! laisse-moi d'abord parcourir men courrier ! 104 La Gomtesse D'Autreval LEONIE. C'est trop juste ! je viens de lire le mien. (La Gomtessey a droite des speciaieurs, lit avec emotion et apart la lettre quelle vient de decacheter, tandis que Leonie, pres de la table a gauche, parcourt les jouniaux). LA COMTESSE. C'est d'elle ! . . . . Pauvre amie ?. . . comme elle tremblait en ecrivant! "Ma cheie Cecile, soyez benie mille fois ! Je reprends espoir depuis que je sais mon fils aupres de vous. Votre chateau, situe a deux lieues de la frontiere, lui permit d'attendre sans danger Tissue de ce proces fatal .... et d'ailleurs qui pourrait soupconner que le chateau de la comtesse d'Autreval recele un honime accuse de conspiration contre le roi ? Du reste, que vos opinions politiques se rassurent [S'interrompant). Est-ce que mon cceur a des oj)inions politiques ? . . . . [Reprenant). Henri n'est pas coupable; un malheureux coup de tete qu'il vous racontera lui a seul donne une apparence de conspirateur; mais cette apparence suffirait mille fois pour le perdre, s'il etait pris. D'un autre cote, Ton assure qu'on ne veut pas pousser jdIus loin les rigueurs, et Ion dit, mais est-ce vrai ? que le marechal commandant la division vient de partir pour Lyon aveo une mission de clemence " . . . . LEONIE (a droite, poussant un cri). Ah ! qu'est-ce que je lis ! LA COMTESSE. Qu'est-ce done ? LfeoNiE {montrant le journal). Encore une condamnation a mort ! LA COMTESSE. Ah mon Dieu ! La Comte^se D'Autreval. 105 LEONIE. " Le conseil de guerre, a Lyon, a condamne bier le principal chef du complot bonapartiste, M. Henri de Flavigneul, un jeune homme de vingt-cinq ans ! " LA COMTESSE. Qui heureusement s'est evade avec I'aide de quelques amis, m'a-t-on dit. LEONIE. Oui ! Oui!. . .je me rappelle maintenant. ..cette evasion qui excitait I'enthousiasme de M. Gustave de Ghgon. LA COMTESSE. Notre jeune maitre des requetes. LEONIE. n n'avait qu'un regret, c'est de n'avoir pas ete charge d'une pareille expedition ; c'est beau ! . . . c'est brave ! . . LA COMTESSE. H a de qui tenir. Sa mere, qui avait comme moi traverse toutes les guen-es de la Vendee, sa mere avait un courage de lion ! LEONIE. C'est pour cela que M. de Grignon parle toujours a table, d'actions heroiques. LA COMTESSE. Et le curieux, c'est que son pere etait, dit-on, peureux comme un lievre ! LEONIE. Vraiment ! . . . . c'est peut-etre pour cela que I'autre jour il est devenu tout pale quand la barque a manque de chavirer sur la piece d'eau ? LA COMTESSE {maut). A merveille ! vous allez voir qu'il est a la fois brave et poltron ! 106 La Comtesse D'AutrevaL LEONIE. Je le lui demanderai. LA COMTESSE. Y penses-tu ? LEONIE. Aujourd'hui, en dansant avec lui, car nous avons un bal, et un concert pour votre fete. . . et j'ai deja pense a votre coiffure, un azalea superbe que j'ai vu dans la serre et qui vous ira a merveille ! LA COMTESSE. Coquette pour ton compte .... je le concevrais ! mais pour ta tante ! . . . . LEONIE. C'est tout naturel ! . . . . vous, c'est moi ! tellement que, quand on fait votre eloge, ce qui arrive souvent, je suia tentee de remercier. {Se mettant a genoux pres du canape a droite oil est assise la Comtesse.) Aussi jugez de ma joie quand ma mere m'a permis de venir passer un mois ici, aupres de vous. ... II me semblait que rien qu'en vous regardant, j'allais devenir parfaite. . . . Vous souriez. . . . Est-ce que j'ai mal parle?. . . . LA COMTESSE. Non, chere fille, car c'est ton coeur qui parle. ... Si je souris, c'est de tes illusions ! c'est de ta candeur a me dire : je vous admire ! LEONIE. C'est si vrai ! A la maison Ton me raille parfois et Ton repete sans cesser Oh ! quand Leonie a dit 3fa tante, elle a tout dit ? On a raison La mode que vous adoptez, la robe que je vous vois, me semblent toujours plus belles qu'aucune autre. ... On dit meme, vous ne savez pas, ma tante, on dit r ue j'imite votre demarche et vos gestes .... c'est bien sans le savoir. Et quand vous La Comtesse UAutreval. 107 m'embrassez en m'appelant: Ma cliere fiUe! je suis presque aussi heureuse que si j'entendais ma mere ! LA COMTESSE {tembrossaiit). Prends garde ! . . . . prends garde .... il ne f aut pas ma gater ainsi .... j'aurai trop de chagrin de te voir partir Ce sera ma jeunesse qui s'en ira ! LEONTE. Mais vous etes tres-jeune, a vous toute seule, ma tantel LA COMTESSE. Certainement d'une jeunesse de . . . Voyons ? devine un peu le chiffre .... LEONIE. Je ne m'y connais pas ma tante ! LA COMTESSE. Je vais t'aider . . . Trente LEONIE. Trente LA COMTESSE. Allons, un effort .... LEONIE. Trente et un ! LA COMTESSE. On ne peut pas etre plus modeste ! . . . . J'acheverai done. . . . trente-trois ! Oui, cliere fille, trente-trois ans ! L'annee prochaine je n'en aurai plus que trente-deux. . . mais maintenant . . . voila mon chiffre! Hein! . . . quelle vieille tante tu as la ! . . . . LEONIE. Vieille ! . . . . chaque matin je ne forme qu'un voeu c'est de vous ressembler ! LA COMTESSE. Ce que tu dis la n'a pas le sens commun; mais c'est 108 La Comtesse D'Autreval egal, cela me fait plaisir. . . . Eh bien, voyons, mon dleve, car j'ai promis a ta mere de te faire travailler. . . . As tu dessine ce matin ? LEONIE. J'etais descendue pour cela dans ce salon, et devinez qui j'ai trouve tout a I'heure devant mon cbevalet, et regardant votre portrait? LA COMTESSE. Qui done ? LEONIE. Monsieur Charles. LA COMTESSE. Eh bien?.... LEONIE. Eh bien, ma tante, figurez-vous qu'il disait: C'est charm ant ! LA COMTESSE. Et cela t'a rendue f arieuse ! . . . . LEONIE. Certainement ! . . . . Un domestique ! est-ce qu'il doit savoir si un dessin est joli ou non ? . LA COMTESSE (riant). Oh ! petite marquise ! . . . . LEONIE. Ce n'est pas tout ! croiriez-vous, ma tante, qu'il chante ? LA COMTESSE. Eh bien, s'il est gai, ce gar9on ! Est-ce que Dieu ne lui a pas permis de chanter comme a toi ? LEONIE. Mais. . . . c'est qu'il chante tres-bien! Voila ce qui me revolte 1 La Comfesse D'Autreval 109 LA COMTESSE. All ! ah ! . . . . conte-moi done cela ! LEONIE. Hier, je me promenais dans le pare. En arrivant derriere la haie du bois des Chevreuils, j'entends une voix qui chantait les premieres mesures d'un air de Cimarosa, mais une voix charmante, une methode pleine degout. . . . Je m'approche. . . . c'etait monsieur Charles I LA COMTESSE. En verite! LEONIE {avec depit). Vous riez, ma tante; eh bien! moi, cela m'indigne. . . . Je ne sais pas pourquoi, mais cela m'indigne ! Comment distinguera-t-on un homme bien ne d'un valet de chambre, s'ils sont tons deux elegants de figure, de maniere .... car, remarquez, ma tante, qu'il est tout a fait bien de sa personne, et lorsqu'a table il vous sert, qu'il vous offre un fruit, c'est avec un choix de termes, un accent de bonne compagnie qui me mettent hors de moi .... parce qu'il y a de Timpertinence a lui a s'exprimer aussi bien que ses maitres: cela nous deconsidere, cela nous. . . . {avec impatience. ) Enfin, ma tante, je ne sais comment Yous exprimer ce que je ressens; mais moi, qui suis bienveillante pour tout le monde, j'eprouve pour cet insolent valet une antipathic qui va jusqu'a I'aversion, et si j'etais maitresse ici, bien certainement il n'y resterait pas! LA COMTESSE (gawient). La . . . . La . . . calmons-nous ! avant de le chasser, 11 faut permettre qu'il s'explique, ce garcon. (Elle sonne.) LEONIE. Est-ce pour lui que vous sonnez ma tante ? 110 Une Promenade en Carriole. LA COMTESSE. Precisement ! {A un domeslique qui entre.) Charles est-il la ? LE DOMESTIQUE. Oui, maclame la Comtesse. LA COMTESSE. Qu'il vieune. (Le domeslique sort.) LEONIE. Mais ma tante .... qu'allez-vou.s lui dire ? LA COMTESSE. Sois tranquille ! LEONIE. Je ne voudrais pas qu'il crut que c'est a cause de moi que vous le grondez ! LA COMTESSE {(jahuent). Pourquoi done? ne trouves-tu pas qu'il t'a manqud de respect ? ("Uu Duel en Amour," Scribe et Legouve.J UNE PROMENADE EN CARRIOLE. LEONIE, MARIE, AUGUSTS ET PAUL. LEONIE. Auguste! Paul! venez done nous trainer dans la carriole, Marie et moi. Maman nous I'a permis. AUGUSTE {tirant la carriole) J'accours mesdcmoiselles. J Une Promenade en Carriole. Ill LEONIE. Mais il nous faut deux chevaux; Paul venez done. MARIE. Oh ! jamais je ne monterai la-dedans. LEONIE. Tu es bien difficile; mais c'est charmant, je t'assure. C'est un peu dur il est vrai; mais cela donne des joues roses. MARIE. Je salirai ma robe ! LEONIE. Bah ! tu en mettras une autre. AUGUSTE. Ddpechez-vous, ma cousine, I'equipage vous attend. Paul est deja sous le harnais, et je vais m'y mettre. Y etes-vous. LEONIE. Viens done Marie; est-ce qu'on fait attendre ainsi des chevaux fringants ? MARIE. Allons, puisqu'il le faut absolument! Mais de grace messieurs, doucement; n'oubliez pas que je ne suis guere habituee a ce genre d'exercise. PAUL. No craignez pas, nous serous doux comme des agneaux, {Les deux gargons parlent au trot ; puis deplus en plus vite), MARIE {riant aux eclats), Auguste, Paul ! mais vous allez me briser les os I AiTfctez-vous ! A-t-on jamais vu courir ainsi ? LEONIE. " Tres-bien! bravo! encore! 112 Une Promenade en Carriole. AUGUSTE (s'arretant). Ouf! je suistontessouffle; savez-vous, mesdemoiselles que vous n'etes pas legeres ? Nous sommes tout en nage ; mais j'espere que vous appreciez notre devouement. MAKiE {saiUant a bas de la carriole). Votre devouement ! je m'en passerai a Tavenir. Belle promenade ! il me faudra bien huit jours pour me remet- tre. C'est sans doute Auguste qui a voulu a toute force nous mener au galop; aussi je n'en veux pas a monsieur Paul, mais je blame entierement mon cousin. AUGUSTE. Allons done ! tu prends quatre f ois autant d'exercice quand tu vas au bal, et tu n'es pas a moitie aussi jolie qa'a present. Vraiment, si tu pouvais te regarder a la glace maintenant, tu nous prierais de recommencer. MARIE {souriant). Flatteur, va ; je te connais! Et Leonie qui a Fair de trouver ce genre de course tout naturel. En fais-tu done souvent comme celle-la? LEONIE. Chaque fois que j'en ai I'occasion; car j'aime pas- sionnement tous les exercices violents — a cheval — a 4ne — en carriole : tout m'est egal. MAEIE. Oui, mais regarde dans quel etat je suis ! mes clieveux ■en desordre; ma robe abimee; que dira ma gouvernante? AUGUSTE. Qu'on s'amuse beaucoup plus a la campagne qu'a Paris. Allons, Paul, reconduisons notre equipage. Nous irons au pas cette fois, car si mademoiselle Marie est fatiguee pour rire, moi je le suis pour tout de bon. Hentrez, mesdaraes, 9 a ne coute rien. Une Promenade en Carriole. 113 MAEiK (hesitant). Si monsieur Paul me donnait sa parole d'honneur d'aller au pas, j'irais peut-etre. PAUL. Soyez tranquille, mademoiselle. AUGUSTE. Et mon lionneur a moi, on le compte done pour rien ? Mais que vois-je ? N'est-ce pas la le pauvre vieillard qui a ete recommande a maman, Leonie ? LEO^•IE. Lui-meme; et quel dommage ! je n'ai pas ma bourse. Et toi, Marie ? II a ete bien malade et se trouve sans ami. '' AUGUSTE, Tu te trompes, ma soeur, je vais le conduire chez ma- man qui le fera traiter selon le respect du aux malheureux. Attendez-moi ici quelques minutes. PAUL. {Ajyt^es avoir glisse une piece d' argent dans la main dupaum^e). Mesdemoiselles, en attendant le retour de notre ami, je vais vous trainer tout doucement. LEOXIE. Oil ! non, Paul, pas tout seul; je ne veux pas. MAEIE. Oui, monsieur Paul, attendez; il vaut mieux. Vous pourriez vous faire mal. LEONIE. Eh bien ! ma bonne petite cousine, te voila toute reveuse ! A quoi penses-tu done ? 114 Une Promenade en Carriole. MAKiE (reveuse). Je pense, ma chere amie, que Ton comprend mieux la charite a la campagne qu'a Paris. AUGUSTE (rejMrait en coiirant). Me voila, me voila. Ce pauvre homme ! etait-il content ? Je lui ai promis un bon repas. Et Paul qui lui a glisse une belle piece blanche dans la main a la sourdine. PAUL ihas). Chut ! Auguste, n'en parle pas. AUGUSTE. Je t'ai vu, n'aie pas peur. II n'en fait jamais d'autres, ce sournois. PAUL {embarrasse). Eh bien ! mon cher, ces demoiselles nous attendent. AUGUSTS. Nous sommes a vous, mes belles. {Riant). Au galop, Marie ? MARIE. Oh ! non, s'il vous plait. — Vous m'avez promis d'aller au pas. LEONIE. Voila la cloche qui nous api^elle ! Deja quatre heures? MARIE. Nous aurons a peine le temps de faire notre toilette. AUGUSTE. Tant mieux ; vous nous ferez grace de notre promesse. Hatons un peu le pas. (Lesjeunes gens se mettent a courir, et les peiiies filles rient aiix eclats. Apres avoir salue, its disparaissent chacun de leur cole. LA TABATIERE ET LA PIPE. DIALOGUE ENTRE UN PEISEUE et UN FUMEUK LE PEISEUE. Ma foi! je siiis tombe sur nne veine exquise; Quel bonlieur ! voulez-vous accepter une prise, Monsieur ? LE FUMEUE. Je vous rends grace. LE PEISEUE. Oh ! prenez, e'est du bon. LE FUMEUE. Fut-il meilleur encor, monsieur, je dirais non. LE PEISEUE. Moi, monsieur, si quelqu'un m'ouvrait sa tabatiere, J'y courrais, fallut-il traverser la riviere, Et, sur la rive amie attacbant mes regards, D'un penible trajet affronter les hasards. Qui ne ferait-on pas pour la moindre pincee, D'unepoudre qui sait rejouir la pensee. Que du grand Jupiter feconda le cerveau, Et dans I'Olympe obtint un triomphe si beau, Lorsqu'en eternuant, dans un moment de verve, Le dieu, pere des dieux, accoucha de Minerve .... 116 La Tabatiere et Ja Pipe. Goutez cela, vous dis-je; il est rape tout frais; La Givette . . . LE FUMEUR. Monsieur, je ne prise jamais. Au tabac cependant je sais rendre justice; Je fume. LE PRISEUR. Vous fumez, quel singulier caprice ! Quelle mode bizarre introduite chez nous ! La pipe ! LE FUMEUR. Eh! oui, la pipe; il n'est rien de si doux. LE PRISEUR. Je ne puis la sentir. LE FUMEUR. Et moi je la respecte. LE PRISEUR. La pipe ! LE FUMEUR. Elle vaut bien cette poussiere infecte, Qui de son alambic partout coule au hasard Et fait d'une voix d'homme une voix de canard, Je distingue un priseur a sa moindre parole. Toujours son vilain nez est la qui le desole. S'il perore, au moment oil je me sens touche, Une pause ! attendons que monsieur soit mouche. Parlez-moi de la pipe ! Oui, le mortel qui fume Conserve de sa voix le timbre et le volume: II ne vient pas toujours plus bruyant qu'un clairon, De ses eternuments ebranler un salon . . . La prise est le signal de notre decadence; Veut-on d'un diplomate eiichainer I'influence, Apprivoiser I'oi-gueil d'un fabricant de lois, Ou d'un juge au ton 7'ogue edulcorer la voix? I La Tabatiere et la Pipe. 117 ' Vient une boite cl'or de brillants enrichie, Et de leur probite la rigueur est flechie. ! Sur le coeur le plus ferme on ne peut concevoir \ Jusqu'ou va d'un present le magique pouvoir: '•. Qu'en dites-vous? J LE PRISEUR. j Monsieur, dans sa coupable ruse, Du talent d'eblouir le despotisme abuse, Je le sais, j'en conviens; mais, a bien regarder, | Les priseurs ne sont pas seuls a reprimander ; 1 II est chez les fumeurs i)lus d'une ame venale; ] Entre nous, sur ce point, la partie est egale; j Mais il faut etre juste et remarquer ici \ Le bien que d'une boite on peat tirer aussi; \ Car si la tabatiere a son tort politique, ! Quel beau role elle joue au foyer domestique ! Dans le meilleur menage un debat survenu ; Trouble un heureux accord longtemps entretenu, Le mari dans son coeur tout a coup se ravise : • ' ' Oublions tout, dit il, allons ! tiens ! une prise ! " Le couple de sourire, et prompte a s'apaiser, \ La querelle bientot finit par un baiser. . • Deux amis, des longtemps, se sont perdus de vue; ^. Un beau jour, les voila nez a nez dans la rue. 1 Tons deux ont tort : que dire, et comment s'excuser ? j La tabatiere s'ouvre, on se met a priser, ^ On rit, les deux amis se pardonnent sans peine; ; lis dineront ensemble un jour de la semaine, i Et, ce point convenu, chacunpart satisfait: \ La prise de tabac a produit son effet. Un epais prosateur, en pleine academic, Lourdement, sur un ton, sermonne et psalmodie. \ Et, sous I'oeil du public deroulant ses travaux, i D'un ennui solennel distille les pavots; i 118 La Tabatiere et la Pipe, On bailie. Encore un pen, I'auditoire sommeille. Tabatieres partout, et chacun se reveille, Non sans peine : ce n'est qu'en prisant coup sur coup. Qu'on acquiert le pouvoir d'ecouter jusqu'au bout. Au theatre, an barreau, la meme somnolence. Oui; mais la prise est la qui nous donne assistance: Contre la sotte prose et les vers ennuyeux La tabatiere est done d'un secours merveilleux. LE FUMEUR. Ce n'est rien a cote de la volupte pure Que la pipe aux fmeurs prodigue sans mesure. Le Turc, s'abandonnant a ses reves clieris, Deja croit habiter le sejour des houris; Ohaque bouffee ajoute a ce riant mystere. En est-il moins habile aux choses de la terre ? Kegardez ce sultan qui, la pipe a la main, Marquant nu janissaire un jour sans lendemain, Voit couler sans emoi le sang de ses victimes, Et, calme, du Coran recite les maximes. Eut-il pu supporter ce s]Dectacle de mort, Si dans sa longue pipe il n'eut fume d'abord? Un priseur trouve-t-il des ressources pareilles? Convenez-en, la pipe enfaute des merveilles. LE FRISEUR. Des merveilles, monsieur, dites-donc des horreurs. Nous preserve le ciel de ces rudes fumeurs! De sang, je I'avouerai, nous sommes plus avares; Mais pourquoi, i)armi nous, des usages barb(?-res ! LE rUMEUR. Barbares, dites-vous*! mais le grand Frederic Pumait, et n'etait i^as, je pense, un Alaric. La Tahatiere ei la Fijje. 119 LE PRISEUR. Vous vous trompez, monsieur; il prisait. LE FUMEUR. C'est vous-meme Qui vous trompez, Thistoire eclaircit ce probleme, II fumait. LE PRISEUR. E jDrisait; a pied comme a clieval, De tabac Frederic bourrait son nez royal. Ainsi Napoleon, revant a la victoire, Vidait sa tabatiere, et, res^m-ait la gloire: " Je vous tiens semblait-il dire aux soldats des rois, Comme cette poussiere, au bout de mes deux doigts." Quel priseur ! le canon grondait, la tabatiere Marquait cliacun des pas de sa course guerriere. En poudre au champ dhonneur il ne menageait rien, Et Vennemi fumait, comme on le pense bien. Quant a nous, eloigncs du fracas des batailles, Si nous fumons parfois au sein de nos murailles, La depense du moins ne pent nous alarmer, Et sans pipe il nous est loisible de fumer. Avouez-le, monsieur, c'est chose assez burlesque De voir des jeunes gens, d'allure soldatesque, Casquette sur I'oreille et barbiche au menton, La pipe au bee, marcher d'un air tout fanfaron, Et des degouts publics se I'aisant des trophees, Aux dames, en passant, adresser leurs bouffees. Oh ! vive le priseur ! prevenant et poli, D'egard pour le beau sexe il est tou jours rempli. Nos fumeurs iront-ils, dans leur humeur bizarre, Aux dames proposer la pipe ou le cigare ? Autant vaut leur offrir en echappe des flots, Ce betel degoutant si cher aux matelots. 120 La Tabatiere et la Pipe. Laissons a nos guerriers la pipe et la moustache; Le bourgeois n'en obtient que des airs de bravache. Qui de rhomme de guerre excitent le mepris Et de leur ridicule amuse tout Paris. Des cent mille travers que poursuit la satire, La rage de la pipe, a mes yeux, est le pire. Oui, si vous faites bien, vous y renoncerez, Et, tabac pour tabac, monsieur, vous imse^-ez. LE FUMEUR. Non, monsieur. Vous pouvez avoir raison sans doutc. Mais je ne suivrai point une nouvelle route; Ainsi probablement Font ordonne les dieux Vous prisez, moi je fume, et tout est pour le mieux. Paillet de PlomUeres, I f u:£goiste. Le morceau suivaut, qui est divise en deux parties est un chef-d'oeuvre. Dortigny est un liomme en place, riche et ego'iste. On vient de lui annoncer qu'un liomme pauvrement vein lui apporte des nouvelles d'un de ses proches parents, nomme Vangienne, qui s'etait etabli a la Guadeloupe, et dont il n'avait pas entendu parler depuis longtemps. Un monologue suit le deuxieme dialogue dont il forme une partie adherente. Premier dialogue. DORTIGNY, VANGLENNE. DORTiG-NY {apart). Ah ! mon Dieu ! quel messnger ! qu'il est sec! * (Haut.) Parlez, monsieur, qu'avez-vous a me dire ? VANGLENNE. Dieu soit loue ! mon cher cousin! Que j'ai du plaisir a vous revoir ! M'auriez-vous entierement oublie ? DORTIGNY. Quoi ! monsieur, vous seriez ? . . . . Je ne vous remels f pas. * Sec, thin. f Reniets, remember. 122 VEgoiste, VANGLENNE. Je m'appelle Vanglenne; je suis votre proclie parent. DORTIG^'Y. Je me souviens, monsieur, d'avoir eu un parent de ce nom; mais nous I'avons cru mort. VANGLENNE. II vit, helas ! et c'est moi. DORTIGNY. II y a si longtemps, monsieur, que vous me pardonnerez de ne point me raj)peler vos traits. VANGLENNE. Oh! Je vous reconnais bien, moi; mais je suis bien plus change que vous, et cela n'est pas etonnant. Les fatigues, les peines, les chagrins, le long sejour dans un climat etranger Mon son de voix, du moins. . . . DORTIGNY. Je ne disjDute point, monsieur, de I'identite. VANGLENNE. Je vous ai souvent presse dans mes bras; qu'il vous en souvienne, nous fumes amis. DORTIGNY. Amitid de college, d'enfance; mais a quoi cela revient- il, s'il vous plait ? Quels ordres, monsieur, avez-vous a me donner ? VANGLENNE. Je n'en ai ^Doint, mon cher cousin: le pauvre, helas, les re9oit et n'en donne pas. DORTIGNY {a part). Oh ! il va me demander de I'argent. VANGLENNE. J'etais etabli a la Guadeloupe. L'KgoUte. 123 DORTIGXT. A la Guadeloupe, soif,"^ monsieur. (A part.) Va, re- tourne aux antipodes. VANGLENNE. J'avais amasse quelque chose avec beaucoup de peine .... Daignez preter I'oreille a ma triste infortune. Ayant eu le mallieur de perdre ma femme et mon fils, et n'ayant plus rien qui m'attachat a un pays etranger, je resolus de revenir en France. L'amour de la patrie parlait vivement a mon coeur. C'est le dernier senti- ment qui s'eteigne ; il faut etre separe de sa patrie pour sentir combien elle acquiert de charmes dans I'eloigne- inent. DORTiGNY (a part). Quel insupportable debut ! VANGLENNE. Mon vaisseau, charge de ma petite fortune, a fait naufrage-\ sur les cotes d'Espagne; j'ai tout perdu; mon malheur est constate par les journaux: le brick la Licorne . . . Dix de mes compagnons de voyage se sont noyes en voiilant sauver les malheureux debris de leur fortune. DORTIGNY. Bs sont, apres tout, fort heureux: puisqu'ils n'avaient plus rien au monde, autant vaut .... YAXGLEXNE. Yous avez bien raison, ce ne sont pas les plus a plaindre, j'ai envie plus d'une fois leur sort. Je n'ai gagne Paris qu'avec des peines infinies. Si vous saviez ce que j'ai souffert en route ! Que I'infoi-tune traine apres sol d'humiliations ! jMais je me suis arme de Constance et de courage. J'arrive, et je m'informe de vous: avec quel * ISoit, be it so. t Faire naufrage, to be shipwrecked. 124 rEgoUe. plaisir j'apprends que vous possedez une heureuse aisance ! . . . . DOETIGNY. Qui vous a dit cela, monsieur ? VANGLENNE. Pardon. . . . mais cet ameublement, cet hotel, le luxe qui vous environne ... • DORTIGNY. He bien, monsieur, on est comme tout le monde. Vous avez I'admiration emphatique d'un nouveau debarque. VANGLENNE. Celui qui manque du necessaire fait malgre lui des remarques sur tout ce qui le frappe. II voit, il sent la distance extreme qui le separe de ceux qui sont heureux DORTIGNY. Mais, monsieur, permettez-moi de vous le dire, votre conduite est fort etrange. Yous vous introduisez ici par supercherie, vous prenez un faux nom, sous pretexte de nous apporter des nouvelles d'un parent; mais ce sub- terfuge est un mensonge malhonnete. VANGLENNE. J'ai cru, sous cet habit, qui ne revele que trop mon indigence, ne devoir point me faire connaitre a vos do- mestiques. C'est par discretion, mon cher cousin, par discretion, je vous I'assure, que j'ai use de ce moyen qui cachait ma detresse. DORTIGNY. Vous pouviez m'ecrire. VANGLENNE. Une lettre n'aurait jamais parld comme ma presence. J'ai con(;u plus d'esj^oir en venant vous supplier moi- nEgo'iste. 125 merne et vous exposer de vive voix ma douloureuse situ- ation. DORTIGNY. J'entends, vous m'avez choisi de preference pour reparer les torts des elements. Parce que le sort vous a fait mon cousin, vous ferez naufrage sur les cotes d'Espagne, et moi j'en serai responsable a Paris. Vous viendrez au bout de vingt ans me dire: Me voici, secourez-moi ! VANGLEXNE. Oui, j'ai cette priere a vous faire, je ne vous le deguise point. DORTlOl^Y. Vous avez done tout m^s sur le vaisseau ? VaNGLENNE. Helas! oui. DOHri'JNY. Cela est iori imprudent; mais vous le futes tou jours. . . Au reste,'^ ce qui est au fond de la mer ne pent i^as revenir sur I'eau a mon commandement, et, malgre tout le desir que j'en aurais, je ne puis vous le restituer. VAXSLENNE. Je le sais; mais je ne pretends point vous etre a charge, j 'implore seulement de I'emploi; pourvu qu'il ne soit pas avilissant, quel qu'il soit, je le prendrai. J'entends un pen les affaires; mon ecriture est convenable; on sera content de mon exactitude. J'aspire a un modique emploi dans vos bureaux; ou bien, daignez me recom- mander, et je serai bientot place. DORTTGNY. Bientot place ! mais vous ignorez done qu'il y a des * Au reste, besides. 126 L'Egoiste. surnumeraires qui attendent depuis plusieurs annees, qui sont recommandes de toutes parts et meme par des puissances ! On ne peut pas non plus, les tuer pour vous faire place .... Uun coup de pied * sur le pave de Paris, on fait naitre un regiment de commis, de secre- taires .... Les gens du nouveau monde ne doivent point oter le pain a ceux de celui-ci. VANGLENNE. Oh ! mon cousin, je demande un emploi qui ne nuise a personne : il y en a de tant de sortes ! Mais si le service se mesure au besoin, personne, en ce moment, n'est plus presse que moi. . . Non, je ne rougirai point d'en faire I'aveu. . . .Demain je manque de pain, si ce soir votre generosite ne me met a portee d'en gagner. Je n'ai que vous de parent dans cette immense ville, que je ne connais plus. Je consens a tout faire; mais, au nom de Dieu, soulagez-moi dans ce moment. DORTiGNY (apart). Me debarrasserai-je de lui en lui donnant une piece de cinq francs?. . . .Non! joli parent, par ma foi! (Ilaut) AUons, monsieur, on verra. Je parlerai, je vous le promets; rej^assez, repassez. VANGLENNE. Vous parlerez pour moi ? Vous me permettez de re- passer ? DORTIGNY, Je remuerai ciel et terre, et, s'il se pr^sente quelque chose, on vous le fera dire. VANGLENNE. Vous remuerez ciel et terre, et ? . . . . Mais il faut pour cela, monsieur, que vous sachiez mon adresse. * Coup de pied, kick. L'Fgoiste, 127 DOKTIGNY. Ah ! oui, oui, eli bien, voire adresse ? VANGLENNE. Kue de la Huchette, au Cadran-Bleu. DORTiGNY {apart). Quelle horreur ! Peut-on demeurer rue de la Huchet- te ! il ne sen ira pas ? VANGLENNE. Voulez-vous que je vous lecrive? DORTIGNY. Non, je la retiendrai bien. YANGLENNE. Aliens, je cesse de vous impoituner. {II ml ue com me pour s'en aller). DORTIGNY {a port) Enfin, m'en voild quitte'^ . ... II revient: ah ! quel sup- plice ! VANGLENNE. {reveiiant svr .^ts jfjos). Mais, monsieur, avant de sortir, j'ai une cliose a vous demander, et que vous pouvez m'accorder sui-le-chanap. DORTIGNY {acec humeur). Point de preambule, monsieur; voyons, de grace, finissons. YANGLENNE. Donnez-moi, je vous en supplie, I'adresse de ma cousine, de votre cbere soeur. DORTIGNY. II y a longtemps qu'on ne I'a vue ici, monsieur, elle me neglige ; d'ailleurs que pouvez-vous attendre d'elle ? Elle mene une vie obscure, elle est pauvre .... * M'en voila quitte, I am rid of him. 128 UEgoiste. VANGLENNE. Je vous demande son adresse avec la plus vive instance. DORTIGNY. Mon portier vous la donnera; je ne la sais point exactement. Mais j'ai quelques affaires pressantes en ce moment, vous voudrez bien .... VANGLENNE {mavche a reculons). Pardonnez a mes importunites. Je suis plonge dans le besoin le plus extreme .... Si vous pouviez faire en ma faveur le plus leger effort. . . je souffre. . . . {Doiiigni/ secoue la tete). Rien . . . AUons le vrai courage consiste a souffrir avec resignation; je suis homme et je conser- verai la dignite d'homme .... Je souliaite, monsieur^ que vous ne connaissiez jamais combien il est malheureux de tomber tout a coup dans I'indigenee. Je vous ai decele ma misere; mais, si vous m'etes secourable, du moins par vos recommandations, si vous ne me trompez pas dans la promesse que vous m'avez faite, vous n'aurez pas abuse du respect qu'on doit aux malheureux. Je me retire. {Dorligny pousse, pour ainsi dire Yanglenne hors de chez lui, tandis que Mulson entre ; de sorte que les deux personnages se rencontrent face a face. Mulson est un riche agent de change.) Deuxieme Dialogue. DORTIGNY, MULSON. MULSON (ft part). En croirai-je mes yeux ? Dourville a Paris? DORTIGNY (a part). Mes recommandations seraient, ma foi, bien placees ! je donnerai ordre qu'on lui ferme la porte. LEgoiste. 12^ MULSON (^regardant sorlir Vanglenne). C'est vraiment lui. DOLTIGNY. Vous venez me delivrer a propos. Que n'etes-vous. arrive il y a une demi-lieure ! MULSON {apart). On le congedie froidement; on le salue a peine. Me- serai-je trompe ? (^4 Dortigny en s'oppronhant). Con- naissez-vous cet homme qui sort de cbez vous ? DORTIGNY. Faiblement. MULSON. Oil ! je le vois bien. DORTIGNY. A combien le trois pour cent ? MULSON. A 77. Dites-moi : vous ne saviez done pas a qui voua parliez tout a I'lieure ? DORTIGNY. Pardonnez-moi. Et le quatre et demi?. . . . MULSON. A 104 fr. 95 .... Et vous ne reconduisez pas respectu- eusement un tel personnage ? DORTIGNY. Vous Youlez rire. MULSON. Non, parbleu* je ne ris pas; mais votre conduite envers lui a droit de m'etonner. Je mettrais ma main au feu que vous ne le connaissez pas. DORTIGNY. Je vous dis que je le connais. * Parhleu, forsooth. 130 UEgoide. MULSON. Et vous le traitez ainsi ! nn des plus riches particulier du pays V DORTIGNY. Vous avez des visions, mon cher Mulson; un agent de change devrait mieux se connaitre en hommes. N'avez- vous pas remarque son habit ? MULSON. ,, ,^. Oui, son habit m'a un peu surpris. Mais je sais que le personnage est original dans sa conduite, et cela n'em- peche point que, sous cet habit, ce ne soit le fameux Dourville, de la Guadeloupe. DORTIGNY {riant). Ah ! ah ! ah ! comme vous vous meprenez, mon cher ! Cet homme se nomme Vanglenne, et sa fortune est des plus minces. MULSON. Vanglenne ou Dourville, le nom n'importe: je connais rhomme et cet homme est opulent. DORTIGNY. Et moi, je vous dis que cet homme est dans I'indigenee la plus extreme. MULSON. Je soutiens, moi, le contraire. II a ete marie deux fois, il est veuf depuis dix-huit mois, n'a point d'enfants et jouit dune fortune immense. DORTIGNY. Que dites-vous ? une fortune immense et point d'en- fants ? MULSON. Oui, mon cher, point d'enfants et une fortune immense. Je I'ai vu, il y a trois ans, jDendant qiiatre mois a la Guadeloupe, et je vous reponds qn'il m'a recomm. UEgoUe. 131^ Mais il a baisse les yeux, je ne sais pourquoi, comme' pour ne pas me reconnaitre. DORTIGNY. Vous ne savez pas pourquoi ? Eh bien, je vais vous le dire: c'est que cet homme, riclie de vos liberalites, venait de me demander du secours. MULSON. II a pu vous demander du secours pour se divertir;; mais il est plus riche a lui seul que vous et tous vos. voisins. DORTIGNY. Faut-il VOUS dissuader entierement ? car cela m'impa- tiente a la fin.'^ Apprenez que cet homme est mont cousin, pour mon malheur, et qu'il me tombe sur les bras, arrivant en eflfet d'Ameiique apres vingt ans d'absence. MULSON. C'est votre cousin! Eh bien, il venait pour vous. eprouver. DORTIGNY. M'eprouver. MULSON. C'est dans son caractere. Dans sa vie, il a fait vingt iouTH f de cette espece, et tous plus plaisants les uns que- les autres. DORTIGNY. , En verite, mon cher Mulson, vous m'effrayez. MULSON. Je vous assure, sur mon honneur, que votre cousin* est le negociant de la Guadeloupe qui jouit du plus, grand credit. J'ai negocie dans son papier, papier dore^ ma foi. * A la fin, at last. f Tours, tricks. 132 L'Egoiste. DORTIGNY. Je frissonne, il avait done change de nom ? MULSON. H se nommait Dourville. Mais que fait le nom quand la personne est la meme ? DORTIGNY. Je le croyais mort depuis vingt ans; et revenir dans cet etat ! MULSON. II est d'un caractere enjoue, vif, aimant a causer des surprises, genereux, meme magnifique. DORTIGNY. Genereux, magnifique! MULSON. S'il a joue le tour plaisant de venir vous emprunter de I'argent sous un habit use, vous lui en aurez donne, et cela se sera termine de part et d'autre par de grands eclats de rire.* DORTIGNY. Mais je I'ai re9u un peu froidement. MULSON. J'en suis fache : il est infiniment sensible aux bons procedes comme aux mauvais. C'est un homme excel- lent pour ceux qu'il aime, mais terrible pour ceux qu'il n'aime pas. DORTIGNY. Mon cher Mulson, il faut ne vous rien d(^guiser : je ne lui ai pas fait I'accueil qu'il meritait. MULSON. Mais a votre age, est-ce qu'on ne devine pas un hom- me riclie ? Mais, quelque chose parle * Rire aux eclats, to burst out laughing. VEgoiste. 133 DOKTIGNY. De grace, hatez-vous de me reconcilier avec lui. MULSON. Je le verrai; je reviendrai ce soir; je ferai ce qui depend de moi. Adieu. DORTIGNY (seul). Juste ciel! un parent si riche et sans enfants ! Ai-je perdu sans retour mon heritage ? Comment reparer !. . . II faiat de la presence d'esprit, de la souplesse. Ah ! si j'avais pu soup9onner I'opulence de cet homme ! Assisa ma table, loge dans mon hotel, choye, fete, car esse ; je le tiendrais presentement dans mes filets Ah ! Fortune ! Fortune ! tu as pris plaisir a m'aveugler ce matin; mais je ne me tiens pas pour vaincu : non, tu ne m'echapperaa pas. UNE SCENE DE MOLIERE. XE IVIAITRE DE PHILOSOPHIE, MONSIEUR JOUR- DAIN, UN LAQUAIS. L£ MAiTRE DE PHILOSOPHIE {racGommodmit son collet). Venons a notre le9on. MONSIEUR JOURDAIN. Ah ! monsieur, je suis fache des couj^s qu'ils vous ont donnes ! LA MAITRE DE PHILOSOPHIE. Cela n'est rien. Un philosophe sait recevoir comme il faut les choses ; et je v£^is composer contre eux une satire du style de Juvenal qui les dechirera de la belle fa9on. Laissons cela. Que voulez- vous apprendre? MONSIEUR JOURDAIN. Tout ce que je pourrai ; car j'ai toutes les envies du monde d'etre savant; et j'enrage que mon pere et ma mere ne m'aient pas fait etudier dans toutes les sciences, quand j'etais jeune. LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Ce sentiment est raisonnable ; (nam, sine doclrind vita ^est quasi mortis imago). Vous entendez cela, et vous savez le latin, sans doute. i Une Scene dc Molierc. 135 MONSIEUR JOURDAIN. Oui : mais faites comme si je ne le savais pas. Expli- quez-inoi ce que cela veut dire. LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Cela veut dire que, sans la science, la vie est presgue une image de la mort. MONSIEUR JOURDAIN. Ce latin-la a raison. LA MAITRE DE PHILOSOPHIE. N'avez vous point quelques principes, quelques com- mencements des sciences ? MONSIEUR JOURDAIN. Oh ! oui. Je sais lire et ecrire. LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Par oil vous plait-il que nous commencions ? Voulez- vous que je vous apprenne la logique ? MONSIEUR JOURDAIN. Qu'est-ce que c'est que cette logique ? LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. C'est elle qui enseigne les trois operations de I'esprit. MONSIEUR JOURDAIN. Qui sont-elles ces trois operations de I'esprit ? LA MAITRE DE PHILOSOPHIE. La premiere, la seconde et la troisieme. La premiere est de bien concevoir, par le moyen des universaux ; la seconde, de bien juger, par le moyen des categories ; et la troisieme, de bien tirer une consequence parle moyen ■des figures: Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Baralipton, etc. * Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Baralivton, etc. Sont des mots qui n'ont de signiflcation en aucune langue, et que Ton employ ait comme moyen mnemotechnique pour retenir cer- taines regies tres-compliquees de la logique. 136 Tine Scene de Moliere. MONSIEUR JOURDAIN. Voila des mots qui sont trop rebarbatifs. Cette lo- .gique la ne me revient iDoint. Apprenons autre chose •qui soit plus joli. LA MAITRE DE PHILOSOJf-HIE, Voulez-vous apprendre la morale ? MONSIEUR JOURDAIN. La morale ? LA MAITRE DE PHILOSOPHIE. Oui. MONSIEUR JOURDAIN. Qu'est-ce qu'elle dit cette morale ? LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Elle traite de la felicite, enseigne aux hommes a mo- derer leurs passions, et. . . . MONSIEUR JOURDAIN. Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tout les. . . ; •et il n'y a morale qui tienne, je me veux mettre en colere tout mon soul, quand il m'en prend envie. LE MAITRE DE PHILOSOPHIE. Est-ce la physique que vous voulez apprendre ? MONSIEUR JOURDAIN. Qu'est-ce qu'elle chante cette physique? LA MAITRE DE PHILOSOPHIE. La physique est celle qui explique les principes des e, Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pre la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. " A ces mots on cria haro sur le baudet. Un loup quelque pen clerc prouva par sa harangue Qu'il fallait devouer ce maud it animal, Ce pele, ce galeux, d'oii venait tout le mal. Sa peccadille fut jugee un cas pendable ! 164 V Enfant d le Vieiliard. Manger I'herbe d'autrui ! quel crime abominable I Rien que la mort n etait capable D'expier son forfait. On le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou miserable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. La Fontaine. L'ENFANT ET LE VIEILLARD. Oh ! le lis est moins pur qu'un bel enfant candide Nouvellement tombe de vos mains, 6 mon Dieu I On sent bien qu'il vous quitte, et sur son front limpide On voit la trace encor de vos baisers d'adieux. Son bon ange gardien dans son ame nouvelle N'aper9oit nul point noir; tout est blanc, radieux; Jamais j)our s'envoler lange n'ouvre son aile, Et jamais il ne met la main devant ses yeux. Dans le coeur de I'enfant point de laves de flamme, Point de serpent cache qui jette son venin; Tout est candeur; mon Dieu! vous fites sa jeune ame Comme un calice d'or plein d'un parfum divin. Mais I'enfant devient homme, et le vice seveille; L'angc gardien s'endort ou bien remoiite au ciel; Sur le calice d'or rarement I'iiomme veille; II le laisse remplir de limon et de fiel. Puis il vieillit et voit ses passions eteintes; II se fait pur; sa main se leve pour bdnir; L'enfant et le vieiliard, ce sont deux clioses saintes; L'un vient de fermer Inile et I'autre va I'ouvrir. La Fete d'une 3Iere. 165 J'aime leurs clieveux blancs; j'aime leur tete blonde De notre pauvre terre ils ne sont qu'a moitie; ]ls ne toiichent en rien aiix i)assions du monde, L'un en est pur et I'autre en est purifie. Qu"il est doux, dans les jonrs de doute et de souffrance Ou Ton n'a foi qu'au vice, ou Ton pleure abattu, D'avoir un bel enfant pour croire a I'iunocence, Un pere en cheveux blancs pour croire a la vertu ! 3Ime. Ana'U Segalas LA FETE D'UNE MERE. Toi si bonne, toi si parfaite, Qui nous aime avec tant d'amour, Maman, c'est aujourd'hui ta fe*e. Pour tes enfants quel lieureux jour ! En ecliange de nos offrandes, De nos chants pour toi composes, De nos bouquets, de nos guirlandes, Donne-nous beaucoup de baisers. Pour toi cliaque jour, tendre mere, Nos voix invoquent le Seigneur; Mais, ce matin, notre priere Avait encor plus de ferveur. DieuTexaucera: sur ta vie II repandra tant de bienfaits, Tant de calme, o mere cherie, Que tu ne pleureras jamais. Puis, pour que tu sois satisfaite, Nous ferons si bien nos devoirs ! Nous dirons sans lever la tete, Notre priere tons les soirs. 1G6 La petite Fille et son Chat, Nous ne ferons plus de tapage Des que tu nous le defendras Et le plus bruyant sera sage Aussitot que tu le voudras. Embrasse-nous done, mere aimee, All ! presse-nous bien sur ton coeur; C'est notre place accoutumee, Dans la joie ou dans la douleur. Oil ! le coeur d'une bonne mere, C'est le bien le plus precieux, Le seul bonlieur que Dieu sur terre Laisse tomber du liaut des cieux. Elise Moreau. LA PETITE FILLE ET SON CHAT. Venez ici, minet; il faut que je vous gronde; Avancez pres de moi. On dit que sans pitid vous griffez tout le monde*; C'est tres-joli, ma foi ! D'ou venez-vous encore avec cet air sauvage, Et ce poil lierisse? Avez-vous de souris fait uii nouveau carnage ? Arrivez-vous blesse ? Ou bien sur mes caliiers, repandant I'ecritoire, Auriez-vous en courant Trace dans ses detours uiie riviere noire Sur mon beau papier blanc? Voyons, repondez-moi, je suis douce personne, Dites-moi vos mei'aits. •* Je ne gronderai pas, minet; je vous pardonne Ces terribles fortaits ! Epitaphe. 167 Eh qiioi ! pas un regard ! pas meme une caresse ? Yous etes im sournois. Moi qui vantais partout vos tours de gentillesse, Votre joli miiiois! Que vois-je pres de vous rouler dans la poussiere ! Ciel ! mon oiseau cheri ! Quoi ! vous avez tue d'une dent meurtriere Mon charmant favori ? Celui qui m'ega^'ait de son gentil ramage, Dont vous fctiez jaloux, A peri tristement enleve de sa cage ; All ! e'en est fait de vous ? Allez, ce trait cruel vous ravit ma tendresse ! Je voulais pardonner; Mais mon coeur attriste de votre humeur traitresse, Dit qu'il me faut condamner. Fuyez, fuyez bien loin, redoutez ma presence ; Je ne veux plus vous voir, Et de ne plus jamais juger sur Fapparence Je me fais un devoir. Mile Isahdle Bodier. Epitaphe. Ami passant, qui desires connaitre Ce que je fus: je ne voulus rien etre; Je vecus nul, et certes je fis bien; Car, apres tout, bien fou qui se propose, De rien venant et retournant a rien, D'etre ici-bas, en passant quelque chose. Piron. LES VERITES DE M. DE LA PALISSE. Messieurs, vous plait-il d'ouir L'air du fameux La Palisse ? II i)ourra vous rejouir, Pourvu qu'il vous divertisse. Bien instruit des le berceau, Ce chevalier, tant lionnete, N'otait jamais son chapeau Sans se decouvrir la tete. Ses valets etaient soigneux De le servir d'andouillettes, Et n'oubliaient pas les oeufs, Surtout dans les omelettes. II brillait comme un soleil; • Sa clievelure etait blonde; II n'eut pas eu son pareil S'il eut 6te seul au monde. II se plaisait en bateau, Et, soit en paix, soit en guerre, Lorsqu'il voyageait par eau, Ce n'etait jamais sur terre. Dans un superbe tournoi, Pret a fournir sa carriero, II parut devant le roi Et ne se tint pas derriere. VEnfant Gronde. 169 Monte sur un cheval noir, Les dames le reconnurent, Et c'est la qu'il se fit voir A tous ceux qui raper9urent. C'etait un homme de cceur, Insatiable de gloire. Lorsqu'il etait le vainqueur, II remportait la victoire. H fut, par un triste sort, Blesse d'une main cruelle; On croit, puisqu'il en est mort, Que la plaie etait mortelle. Regrette de ses soldats, II mourut digne d'envie, Et le jour de son trepas Fut le dernier de sa vie. H mourut un vendredi, Le dernier jour de son age; S'il fut mort le samedi, II eut vecu davantaR'e. I L'Enfant gronde. Je t'ai gronde ! . . . . trop fort peut-etre I Et je me sens tout soucieux, En voyant grossir dans tes yeux Ces deux larmes que j'ai fait naitre. Je m'etais trop vite irrite D'un tort pur de toute malice : 170 UEnfant Gronde. « C'est oubli, c'est legerete, Et ton coeur n'etait pas complice. Je t'aurai dit dans mon emoi, Quelque vive et dure parole .... Mon bon enfant que je desole, Va, j'en souffre encor plus que toi. Qu'il m'en coute d'etre severe ! Tache, ami, de te souvenir Du chagrin que se fait ton pere Quand il faut gronder et punir. Garde sa douloureuse image Dans ton petit coeur bien aimant; Si tu songes a ce moment, Tu seras toujours, toujours sage. Oh oui ! c'est la derniere fois Que tu fais mal et que je gronde ! Tu m'as bien compris, je le vois; Tu releves ta tete bonde. Tu t'elances sur mes genoux Yiens, viens! C'est moi qui te rappelle; Yite oublions notre querelle, Mon cher petit embrassons-nous ! V. de Lapradi Le travail joint a la gaite, Souffre et surmonte toutes clioses: La noiiclialante oisivete Se blesse sur un lit de rose. UN MORCEAU DE PAIN POUR UNE FLEUR. ■ XJn pauvre enfant de la Boheme, Pieds nus, suivait un sentier. Le mois da mai, le mois qu'on aime, Avait colore reglantier; II y cueillit une eglantine, Humide encor de gouttes d'eau. Quand, au bout du chemin, sur le seuil d un chateau, II vit une enfant blonde, a la tete lutine, Qui portait a ses dents blanches une tartine; Et le bohemien dit, en otant son chapeau: " Mignonne blanche et rose, Je suis pauvre et j'ai faim; Je vous offre une rose, Donnez-moi votre pain. Le ble pousse et se renouvelle, L'eglantine aime le ciel bleu. Le pain est bon, ma rose est belle, Echangeons ce qui vient de Dieu. Prenez la fleur que j ai cueillie Au buisson oii chantait un nid; Dans votre blanche main, que la Vierge benit. Cette rose des champs paraitra plus jolie ! Echangeons ce que Dieu tous les ans multiplie; Ou la charite vient, la souffrance Unit. Mignonne rose et blanche, Je suis pauvi'e et j'ai faim; 172 A ma Fille. Je vous oifre une rose, Donnez-moi votre pain." Les deux enfants firent rechange Du pain, cle la fleur, d'un regard; La fille avait les yeux d'un ange, Le garcon s'en souvint plus tard. II devint maitre de cliapelle, Grace aux efforts de son talent. Un jour qn'il revenait heureux, le cceur brulant, Cueillant dans le buisson une rose nouvelle, II vit sa bien-aimee: elle etait grande et belle . . . Tombant a ses genoux, il lui dit en tremblant: " Mignonne blanche et rose, Me voila riche enfin; Je vous offre une rose, Donnez-moi votre main." BarrilloL A MA FILLE. Tout enfant, tu dormais pres de moi, rose et fraiche Comme un petit Jesus assouj^i dans sa creche; Ton pur sommeil etait si calme et si charmant Que tu n'entendais pas I'oiseau chanter dans I'ombre; Moi, pensif, j'aspirais toute la douceur sombre Du mysterieux firmament. Et j ecoutais voler sur ta tete les anges; Et je te regardais dormir; et sur tes langes; J'effeuillais des jasmins et des ceillets sans bruit; Et je priais, veillant sur tes paupieres closes; Et mes yeux se mouillaicnt de pleurs, songeant aux choses Qui nous attendent dans la nuit Gagner son Fain. 173 tJn jour, mon tour viendra de dormir; et ma couche, Faite d'ombre, sera si morne et si farouche Que je n'enteudrai pas uon plus chanter I'oiseau; Et la nuit sera noire; aloi's. 6 ma colombe, Larmes, priere et fleurs, tu rendras a ma tombe Ce que j'ai fait pour ton berceau. V. Hugo. GAGNER SON PAIN. Qu'avais-je entendu dire? un mot tres-juste en somme: " Tant quon ne gagne pas sa vie, on n'est pas homme!" Et je voulais gagner mon pain. Oui, mais comment? " Je serais, si j'avais deux chevaux seulement, Le cocher dont le fouet claque dans la grand'rue. Je me ferais pecheur de thon et de morue Si j'avais seulement un bateau, recouvert D'une tente a festons, tout neuf et peint en vei*t !" Or, je me repetais un jour ces belles choses, Quand, sous un grand fagot de bruyere a fleurs roses, Pierre vint a passer, le petit paysan. Je dis: " Les belles fleurs ! " Et lui: " Ramassez-en! — Les portes-tu bien loin ? Qu'en fera-t-on, dis^ Pierre ? Je ne sais pas, fit-il, mais c'est de la bruyere; Je vais dans la colline; il en vient tant la-bas ! Je coupe la bruyere et je I'arrange en tas. Puis je fais des bouquets que le monde m'achete. — Si j'allais avec toi? " La chose ainsi fut faite. Nous partimes tous deux en vaillants journaliers. On eut beau me chercher dans mes coins familiers, Dans la niche du chien, pres du puits, sous la treille . . . , " Je vais vous ramener mon Jeannot par rpreille," 174 Trois Jours de Christophe Colomh. Dit grand-pere, qui crut m'avoir sans me cherclier Lorsqu'il vit le repas de midi s'approcher. Mais Pierre avait du pain, de I'eau pure et des pommes, Et nous mangions la-haut, tout seuls, comme des hommes! O souvenirs cliarmants ! quel poeme il ferait, L'homme reste naif qui vous raconterait ! Tout m'est encor present : mon compagnon qui chante, Le soleil inondait la colline pencliante, Nos outils, bientot lourds, oublies sur le sol, Pour quelque papillon trop brusque dans son vol, Les fagots commences, la bruyere fleurie Qui nous semble un vrai bois, plein de sauvageries Les betes qu'on poursuit d'uu regard attentif, Et I'orgueil d'etre la, seul, libre . . .un peu craintif ! Jean Aicard. TROIS JOURS DE CHRISTOPHE COLOMB. ' En Europe ? en Europe ! — Esperez ! — Plus d'espoir ! Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne un monde/' Et son doigt le montrait, et son ceil, pour le voir, Per9ait de Thoriozon I'immensite profonde. II marclie, et des trois jours le premier jour a lui; II marcho, et I'horizon recule devant lui; II marclie, et le jour baisse. Avec I'azur de I'onde L'azur d'un ciel sans borne a ses yeux se confond. II marche, il marclie encore, et toujours; et la sonde Plonge et rex^longe en vain dans une mer sans fond. Le pilote en silence, appuye tristement Sur la barre qui crie au milieu des tenebres, TroU Jours de Christophe Colomb. 175 Ecoute du roulis le sourd mugissement Et des mats fatigues les craquements funebre. Les astres de TEurope ont disparu des cieux; L'ardente croix du Sud epouvante ses yeux. Enlin I'aube attendue, et trop lente a paraitre, Blancliit le pavilion de sa douce clarte: Colomb ! void le jour ! le jour \ient de renaitre ! Le jour ! et que vois-tu?— Je vois I'immensite."' Le second jour a fui. Que fait Colomb? II dort; La fatigue Taccable, et dans I'ombre on conspire. " Perii-a-t-il ? Aux voix ! — La mort ! — la mort ! — la mort! Qu'il triomplie demain, ou, parjure, il expire." Les ingi'ats ! Quoi ! demain il aura pour tombeau Les mers oil son audace ouvre un cliemin nouveau ! Et peut-etre demain leurs flots impitoyables, Le poussant vers ces bords que clierchait son regard, Les lui feront toucher, en roulant sur les sables L'aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard 1 Soudain du haut des mats descendit une voix. " Terre ! s'ecriait-on, terre ! " terre ! .... 11 s'eveille: II court: oui, la voila, c'est elle, tu la vois. La terre ! . ..O doux spectacle 1 6 transports! 6 merveille O genereux sanglots qu'il ne peut retenir ! Que dira Ferdinand, I'Europe, I'avenir ! II la donne a son roi, cette terre feconde: Son roi va le payer des maux qu'il a souiferts: Des tresors, des honneurs en e change d'un monde, Tin trone, ah ! c'etait pen ! . . . . Que recut-il ? des fers ! CaHWiir Delamgne. DIEU CREATEUR. Ij'immense Etre i,iiconnu sourit. L'aube reveille Xe ciron, la fourmi, la fleur des pres, I'abeille, Les nids chuchotants, les hameaux, La foret aux profonds braiichages, les campagnes, L'Ocean, le soleil .derriere les montagnes, Mon ,ame .derriere les maux. Xi'Etre reve. Ilepiistruit le lis dans le mystere; ;Son doigt aide la taupe a faire un trou sous terre; II peint ;les beaux rosiers vermeils; Et la creation, sur gon travail courbee, iContemple; il fait, a^v^c I'aide d'un scarabee, L'admiratiqn.des soleils. Homines, vos grandg jaisseaux qui vont sous les etoiles, Embrassant les vqnts, dans leurs gouftres de voiles, Mon^tres qui s'imposent aux mers, Fatiguant de leurpoids la brise extenuee, Et trainant dans leurs flancs chacun une nuee Pleine de foudres et d'eclairs, Vos canons, vos soldats,.(J9iit la marclie olympique D'un coin de terre obscur fait une plaine epique, Vos drapeaux aux plis arrogrants, Vos bataillcs bi'oyant les.moissons, vos tueries, "Vos carnages, vos chocs, et ,vos cavaleries, Aigles, de, ces noirs ouragans, Apres la BataUle. 177 Vos regiments, pareils a I'liyclre qui serpente, Vos Austeiiitz tonnants, vos Lutzeu, vos Lepante, Vos lena sonnant du clairon, Vos camps pleins de tambours que la mort pale eveille, Passent pendant qu'il songe et font a son oreille Le meme bruit qu'un moucheron. V. Hugo. APRES LA BATAILLE. Mon pere, ce heros au sourire si doux, Suivi d'un seul liousard qu'il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait a cheval, le soir de la bataille, Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit II lui sembla dans I'ombre entendi'e un faible bruit. C'etait un Espagnol de I'armee en deroute Qui se trainait sanglant sur le bord de la route, Ealant, brise, livide, et mort plus qu a moitie, Et qui disait: "A boire ! a boire par pitie ! " Mon pere, emu, tendit a son housard fidele Une gourde de rhum qui pendait a sa selle, Et dit : " Tiens, donne a boire a ce i^auvre blesse." Tout a coup, au moment ou le housard baisse Se penchait vers lui, I'homme, une espece de Maure, Saisit un pistolet qu'il etreignait encore Et vise au front mon pere en criant: "Caramba! " Le coup passa si pres que le chapeau tomba Et que le cheval fit un ecart en arriere. *' Donne lui tout de meme a boire," dit mon pere. V. Hugo. LE RETOUR AU VILLAGE. Je vais revoir mon village, . ^ Les lieux que j'ai tant cheris, Et la montagne sauvage, Et les eglantiers fleuris. Douce treve Qu'un long reve Qui s'acheve Laisse encore a mes esprits. Je verrai la croix qui penche Au front des rochers alpins, Et les tapis de pervenche, Et les halliers d'aubepins, Et la mousse, Qui repousse Molle et douce A I'abri des noirs sapins. Je reverrai la bruyere Qui s'incline en gemissant, m Je reverrai la clairiere Ou le ruisseau va glissant. Et son onde Vagabonde Qui feconde Le pacage * verdissant. Charles Nodier. Pacage, liou do paturo. LA FILLE DE JAIRE. Elle etait morte, helas ! la brune jeune fille, Malgre son coeur si pur, malgre son front si beau, Comme une etoile meurt des que le matin brille; Et de vieux fossoyeurs preparaient son tombeau ! Et sa mere pleurait et priait a sa couche, Aupres de ce beau coi-ps, a cette heure si froid; L'ame en derniers soupirs s'ectiappait de sa bouclie, Comme d'un lutli brise la note qui decroit. Un homme vint portant au front une aureole, Que le riche incredule avait deja proscrit, Dont le pau\Te ecoutait la touchante parole, Et que ceux qui I'aimaient appelaient Jesus-Christ . . Et le pere priait et pleurait a sa porte; Et Jesus qui passait les benit de la main; Et le pere lui dit: " Seigneur, ma fille est morte; Morte ! et , si vous vouliez, elle vivrait demain. Vous pouvez faire encore que sa bouclie sourie, Kouvrir ses yeux au jour et son ame au bonheur; Entrez, et je ferai, divin fils de Marie, Du marbre de sa tombe un autel au Seigneur." C'etait bien une morte a sa coucbe liee, Une fleur abattue au-dessous du ciel bleu ! C'etait bien la statue oii l'ame est oubliee, A qui I'art donne tout, hors le souffle de Dieu. 180 Les Deux Routes. Eh bien ! le saint Apotre anima la statue; II fit rentrer son ame en son corps epuise; II rendit le parfum a la fleur abattue ; II rattacha la corde a ce beau luth brisd. Et cliacun le chanta dans son ame ravie, Implorant un rayon de ce divin flambeau; Alors il dit: " Croyez ! la foi, c'est I'autre vie, Qu'etouffe bien souvent le doute, autre tombeau." Puis il alia semer cette loi qu'on revere, Au-dessus de tout bruit faire entendre sa voix, Et remontant au ciel, en passant au Calvaire, Abriter ses bourreaux a I'ombre de sa croix. Alexandre Dumas fils. Les deux routes. II est deux routes dans la vie: L'une solitaire et fleurie. Qui descend sa pente cherie Sans se plaindre et sans soupirer. Le passant la remarque a peine, Comme le ruisseau de la plaine, Que le sable de la fontaine Ne fait pas meme murmur er L'autre comme un torrent sans digue, Dans une eternelle fatigue, Sous les pieds de I'enfant prodigue Roule la pierre d'lxion.'^' * Ixion, personnage mythologique condamne k tourner eternel- lement, altachc c\ une roule avec dcs serpents. Le poete paralt avoir confondu ici ce pevsoimaQC aw ec Swy2)he condamne ^rouler une grosse pierre au somir.et d'une montagne, d'oii elle retombait earis cesse. Leti Deux Routes. 181 Li'une est bornee et I'autre immense; L'une meurt ou I'autre commence ; lia premiere est la patience, Lia seconde est I'ambition Alfred de MusseL FIN. Table des Matieres. Preface 3 Introduction 5 Lecture a Haute Voix 9 Premier Dialogue 14 Deuxieme Dialogue 17 La Recreation Perdue 21 La Mere et I'Enfant 25 Les Orphelins 26 Au Jardin et dans la Basse-Cour 28 Le Connetable de Bourbon et BayarJ 32 Le Chat, la Vieille Souris et la Jeune 36 Le Conquerant et le Vieillard 38 Anne de Boulen et Elisabeth sa Fille 40 Dion de Syracuse, Pythias et Damon 42 L'fiducation 47 L'Epagneul et la Fauvette ^X Le Service de I'lnteresse ' 54 Orgueil et Paresse 61 Le Passant et la Tourterelle 64 Le Mendiant et I'Oiseau 65 Le Moineau et la Colombe 67 La Visite . . . . 68 Singuliers en " al," Pluriels en " aux " 71 Un ami dans I'lnf ortune 76 Les Bavardes 80 L'Honneur et 1' Argent 87 Arrivee inattendue 91 La Comtesse d'Autreval, nee Kerraadio, et Leonie de la Vil- legontier, sa niece 103 Une Promenade en Carriole 110 184 Ta.We des Matieres. La Tabatiere et la Pipe 115 L'Egoiste 121 Une Scene de Moliere 134 Histoire d'un petit Ramoneur 143 Priere du Dimanche 147 L' Ange Gardien 147 Chant des jeunes Israelites Exilecs 1'48 La Parabole du Samaritain 149 Le Chant des Anges 151 L'Amour de la Louange 152 Le Diaraant 153 L'Enfant et les Cerises 154 Le Vieillard et les trois Jeunes Hommes 157 L'Araignee et le ver a Sole 158 Le Chene et le Eoseau 159 Le Singe qui montre la Lanterne Magique 160 Les Animaux malades de la Peste 162 L'Enfant et le Vieillard 164 La Fete d'une Mere 165 La Petite Fille et son Chat 166 Epitaphe 167 Les Verites de M. de la Palisse 168 L'Enfant Gronde 169 Un Morceau de pain pour une Fleur 171 k ma Fille 172 Gagner son pain 173 Trois jours de Christophe Colom !> 174 Dieu Createur 176 Apres la Bataille 177 Le Retour au Village 178 La Fille de Jaire 179 Les Deux Routes 180 CATALOGUE OF STANDARD BOOKS IN FRENCH SOLD AT TEN CENTS PER VOLUME, OR 12 CENTS PER POST, BY WILLIAM R. JENKINS, Importer and Publisher of French Books, 850 SIXTH AVENUE, Corner 48th Street^ NEW YORK, ►•<-^»» > * BIBLIOTHEQUE lATIOHALE. Comprising a large Collection of Standard Works by French Authors, and Translations of the Classics into French, printed in large type, and convenient to the pocket. VOL AiiFiiRi. — De la Tyrannie 1 Arioste.— Koland furieux 6 Beaumarchais. — Memoires 5 Barbier de Seville 1 Mariage de Figaro 1 Beccaria.— Des Delits et des Peines : 1 Bergerac (Cyrano de). — (Euvres comiques 2 Berxardix de St. Pierre.— Paul et Yirginie 1 BoiDEAU. — Satires — Le Lutrin 1 L'Art poetique — Epitres, etc 1 BossuET — Oraisons f unebres 2 BouFFLERS. — (Euvres choisies 1 Brill at-Sayares'. — Phisiologie du Gout 2 Byron. — Le Corsaire — Lara, etc 1 Cazotte. — Le Liable amoureux 1 Ceryantes. — Don Quichotte 4 Cesar. — Commentaires sur la Guerre des Gaul es 1 Champort. — (Euvres choisies 3 Dupuis. — Origine de tous les cultes 3 CATALOGUE OF STANDAKD FKENCH BOOKS. Cornelius Nepos. — Vie dos Grands Capitanes Chapelle et Bachaumont. — Voyages amusants CiCERON. — De la Eepublique Catilinaires — Discours Condorcet. — Progres de I'Esprit humain Vie de Voltajre CORNEiLLE. — Cid — Horace Cinna — Polyeucte Eodogune— Le Menteur , . Courier (Paul Louis). — Chefs-d'oeuvres Lettres d'ltalie D'AiiEMBERT. — Destruction des Jesuites De rEncyclopedie Dante. — L'Enfer De Foe (Daniel). — Robinson Crusoe . . Demosthenes. — Philippiques et Olynthiennes Descartes.— Discours sur la Methode Desmoulins (Camille). — (Euvres D'HARiiEviiiiiE- — Le Vieux Celibataire Diderot. — Le Neveu de Eameau Romans et Contes Paradoxe sur le Comedien Melanges philosophiques DucLos. — Considerations sur les Moeurs f]piCTETE.^-]VIaximes £rasme. — Eloge de la Folie Fenelon. — De rf:ducation des Filles Telemaque FiiORiAN. — Fables Fontenelle. — Dialogues des Morts Histoire des Oracles LaPluralite des Mondes GcETHE. — Werther Herman et Dorothee Faust Goldsmith.— Le Vicaire de Wakefield 2 Gresset. — Vert- Vert — Le Mechant 1 Hamilton. — Memoires de Grammont 2 Homere. — L'lliade 3 L'Odyssee 3 Horace. — Poesies 2 Jeudy-Dugour. — Histoire de Cromwell 1 Juvenal. — Satires 1 La Boetie. — Servitude volontaire 1 La Bru YfeRE. — Caract^res 2 Lafayette (Mme.). — La Princesse de Cleves 1 La Fontaine. — Fables 2 Contes et Nouvelles 2 Lamennais. — Passe et Avenir du Peuple 1 Le Livre du Peuple 1 Paroles d'un Croyant 1 La Rochefoucauld. — Maximes 1 Le Sage. — Le Bachelior do Salamanque 2 Lo Diablo boiteux • • 2 Gil Bias 5 Turcaret — Crispin rival 1 CATALOGUE OF STANDARD FEENCH BOOKS. , VOL Le Tasse. — Jerusalem delivree 2 LiNGUET.— Memoires sur la Bastille 1 LoNGUS. — Daphnis et Chloe 1 Mably. — Droits et Devoirs du Citoyen 1 Entretiens de Phocion 1 Machiavel. — Le Prince 1 Maistee (Xavier de). — Voyage autour de ma chambre 1 Les Prisonniers du Caucase 1 Malherbe. — Poesies 1 Marivaux. — CEuvres 2 Marmontel . —Les Incas 2 Massillon. — Petit Careme 1 MiRABEAU. — Opinions et Discours 5 MOLIERE, — ^Le Medicin malgre lui— Le Mariage force — Le Si- cilien 1 L' Amphitryon — L'Ecole des Maris 1 M. de Pourceaugnac — Les Facheux — L' Amour Medecin 1 Tartuf e — Le Depit araoureux 1 Don Juan — Les Precieuses ridicules 1 Le Bourgeois gentilhomme 1 Le Misanthrope — Les Femmes savantes 1 Le Malade imaginaire — Les Fourberies de Scapin 1 L'£tourdi — Sganarelle 1 L'Ecole des Femmes 1 L'Avare — Georges Dandin 1 Montesquieu. — Grandeur des Eomains 1 Lettres persanes 2 O vide- — Metamorphoses 3 P;».scAii. — Pensees 1 Lettres provinciales ; 2 Perrault.— Contes 1 PiRON, — Le Metromanie 1 PiiUTARQUE. — Vie de Cesar 1 Prevost. — Manon Lescaut 1 Rabelais. — (Euvres 5 Racine. — Esther — Athalie 1 Andromaque — Les Plaideurs .'. 1 Phedre — Britannicus 1 Iphigenie — Mithridate 1 Regnard. — Le Joueur— Les Folies 1 Voyages 1 Le Legataire universel 1 Roland (Mme.). — Memoires ." 4 Rousseau. — Du Contrat social 1 £mile 4 De rinegalite 1 La nouvelle Heloise 5 Confessions 5 Saint-Real. — Conjuration contre Venise 1 Salluste. — Jugurtha — Catilina 1 Scarron. — Le Roujan Comique. 3 Le Virgile travesti 3 Schiller. — Les Brigands 1 Guillaume Tell 1 Sedaine. — Le Philosophe — La Gageure 1 Sevigne (Mme. de). — Lettres 2 CALALOGUE OF STANDARD FRENCH BOOKS. ^ ' vol' ■Shakespeare. — Hamlet 1 Romeo et Juliette — 1 Othello 1 Macbeth 1 Le Marchand de Venise 1 Joyeuses Commeres de Windsor 1 Le Roi Lear 1 La Tempete 1 Richard III 1 Les Songes d'une nuit d'ete 1 Sterne. — Voj-age sentimental en France 1 SuETONE. — Histoire des douze Cesars 2 Swift. — Voyages de Gulliver 2 Tacite — Moeurs des Germains 1 Tassoni.— Le Seau enleve 2 Vauban. — La Dime royale 1 Vauvenargues. — (Euvres choisies 1 YiRGiiiE. — L'fineide 2 Bucoliques et Georgiques 1 VOLNEY. — Les Ruines — La loi naturelle 2 Voltaire. — Histoire de Russie . 2 Histoire de Charles XII 2 Romans 5 Siecle de Louis XIV 4 Zaire — Merope 1 Mahomet — La Mort de Cesar 1 Xenophon. — Retraite des dix Mille 1 COLLECTION DE •' L'ECOLE MUTUELLE." 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