V |B^^v^^^ n '«**yw«^rt(««.vASv>.\\-sjv<\ - Class ^ 'PO g-aiSL Book^_ JDG Copyright N" COPYRIGHT DEPOSIT. i t\)t ^ilott Certes? of ^otiem îlanguage ttxt^y^oo^^ EDITED BY Adolphe Cohn, LL.B., A.M. Professor of the Romance Languages and Literatures in Columbia University AN ELEMENTARY FRENCH READER t^t ^il\)tt ^ttiti of spoDeru language ttxt^'^ooka AN Elementary French Reader BY / GASTON DOUAY Assistant Professor of the French Language and Literature Washington University, St. Louis, Mo. SILVER, BURDETT AND COMPANY NEW YORK BOSTON CHICAGO THE LIBRARY OF CONGRESS, Two CoHieâ Received SEP. 24 1901 Copyright entry CLASS^iOCXc. N». COPY a ^C^ \\ 3^ Copyright, 1901, By Silver, Burdett and Compa.ny À LA MÉMOIRE DE MON PÈRE Preface Many French Readers have been published during the last few years, in order to provide American students with attractive, well-graded short stories, written in simple lan- guage, thus facilitating a study which, in former years, was made unnecessarily difficult and unpleasant. Not many years have elapsed, indeed, since Fenelon's Aventures de Télémaque was the pièce de résistance among elementary French texts. A French Reader then was a mere com- pilation of extracts, taken chiefly from the classical period. Most of these extracts were less than a page in length, and were arranged without systematic plan. Selections of this nature, although providing models of style, could hardly be called ideal texts for beginners. When we examine the recently published text-books in modern languages we realize what a great change has taken place since then. Editors and publishers have vied with each other in the production of these books, and have made them attractive in contents as well as appearance. This is a great improvement, but the general tendency of making a study as entertaining as possible is legitimate only so far as it does not interfere with the final result to be attained, namely, a thorough knowledge of the subject studied. Of late, texts of a serious nature seem to have disappeared from our Readers, and the idea that great writers should be exiled from elementary books has ap- parently found some countenance. It is very hard to viii PREFACE see why it should be so, and why we should prefer, for instance, French translations of foreign fairy tales to orig- inal texts of Voltaire, George Sand, or any contempo- rary writer, provided these texts are judiciously chosen. Clearness being the chief characteristic of the French lan- guage, one has only V embarras du choix, among the great writers, in finding pieces suitable for beginners. With regard to beginners, we may say that the only stu- dents who really need a Reader are those who begin to study French two or three years before entering college, or those who have to take French at college ; younger pupils are likely to require different books. The high-school or college student, for whom the present book is chiefly intended, needs texts varied in tone. Be- sides the usual anecdotes from modern authors, he should read, in the early period of his instruction, a few pages from great thinkers and historians. Extracts from writers of the seventeenth and eighteenth centuries have been introduced here for that purpose. The French of that period does not differ materially from the French of to-day, except in that it is very much easier. The only extracts taken from writers of the seventeenth and eighteenth centuries are Nos. I, III, IV, VII, IX, X, XII, XVIII, and XX. Teachers who prefer to avoid classical texts with beginners may safely postpone the reading of those numbers until their students are a little more advanced. Remarks or suggestions which may improve this book will be considered by the editor a personal favor. Washington University, St. Louis, Mo. Contents PART I I. La France. (Based in part upon the series of Lavisse's " Histoire de France," in use in French public schools.) PART TT Page II. La Combustion, etc. . . Jean Mace . . . III. Le Chien Biifon .... IV. L'Avare . . . .... Molière .... V. Les Oiseaux George Sand . . VI. Une Histoire Effrayante Paul Louis Courier VII. Le Riche et le Pauvre . . Jean de la Bruyère VIII. Un Nez Gelé Alexandre Dujnas IX. L'Homme et l'Infini . . . Biaise Pascal . . X. La Mort de Madame . . Jacques-Bénigne Bossuet 35 55 58 (^S 71 76 79 '^Z 86 PART III XL Suzanne Anatole Fra7tce ... 93 XII. Dernière Campagne de Turenne Voltaire 106 XIII. Le Parapluie Guy de Maupassant . . 114 XIV. Ce qu'il en Coûte . . . Prosper Mériinée . . 126 XV. La Saint-Nicolas .... André Theuriet . . . 134 X CONTENTS XVI. La Vie de Salon en France P^^^ sous l'Ancien Régime . Hippolyte Taine . . 151 XVII. Une Maison de Pension à Athènes Edmond About . . . 161 PART IV— POESIES XVIII. Consolations à du Périer François de Malherbe 187 XIX. Le Vase Brisé Sidly Prtidliom7ne . 189 XX. Les Animaux Malades de LA Peste La Fontaine ... 191 XXI. L'Enfant Victor Hugo . . . 194 XXII. La Mort de l'Aigle . . José Maria de Heredia 196 NOTES 199 VOCABULARY ^ ...... 237 Première Partie An Elementary French Reader I LA FRANCE LES GAULOIS ET LES FRANCS Il y a deux mille ans/ la ^ France s'appelait la Gaule et ses habitants étaient les Gaulois. La Gaule avaijt pour limites la mer du Nord, le Pas de Calais,^ la Manche, l'océan Atlantique, la Méditerranée, les Pyrénées, les Alpes, le Jura et le Rhin. Elle était donc plus grande que la France. Mais elle n'était ni aussi bien cultivée, ni aussi belle, ni aussi riche que la France l'est aujourd'hui. Elle était à peu près couverte de* forêts où erraient des loups, des ours, et des bœufs sauvages. Les villages étaient le plus souvent cachés dans les forêts. Les maisons étaient en bois: la porte était l'unique ouverture par où l'on reçût ^ l'air et la lumière. Il n'y avait pas de^ véritables routes. Il y avait seulement de grands sentiers, comme ceux qu'on ' voit aujourd'hui dans les prairies et dans les bois. Les Gaulois étaient païens. Ils adoraient tout ce qui leur faisait peur ou leur semblait beau, comme le ton- nerre, les montagnes, les forêts. /■ AN ELEMENTAR Y ERENCH READER Leurs prêtres, qui s'appelaient les Druides, étaient plus instruits que le reste de la nation. Ils croyaient à^ l'existence d'un Etre suprême. Les Gaulois croyaient à l'immortalité de l'âme. Sûrs 5 de revivre, ils méprisaient la mort. Ils se faisaient souvent la guerre les uns aux autres^; mais quelquefois ils quittaient leur pays et ils allaient conquérir une terre étrangère. C'est ainsi qu'ils con- quirent une partie de l'Italie et faillirent prendre la ville lo de Rome (390 avant Jésus-Christ). Mais, plus tard, les Romains soumirent les Gaulois établis en Italie, et bientôt ils attaquèrent les Gaulois demeurés en Gaule. Jules César, célèbre général romain, conquit toute la 15 Gaule, de l'an 58 à l'an 50 avant Jésus-Christ. Vercin- gétorix, un Gaulois qui avait bravement défendu son pays, fut obligé de se rendre ^^ au vainqueur. Pendant plus de ^^ quatre cents ans la Gaule resta soumise aux Romains. 20 C'est pendant ce temps-là que le christianisme fut introduit dans la Gaule. Le christianisme fut d'abord persécuté; de nombreux martyrs versèrent leur sang pour la foi. A la fin, l'empereur romain Constantin s'étaiit converti ^^ au christianisme, la religion nouvelle 25 s'établit dans toute la Gaule. Vers l'an 400 après Jésus-Christ, l'empire romain fut attaqué par différents peuples barbares. Les Huns ravagèrent la Gaule et en furent chassés, mais les Francs, venus de la Germanie, qu'on appelle aujour- 30 d'hui Allemagne, s'y établirent. Les Francs avaient coutume de ^^ relever leurs chev sur le sommet de leur tête ; ils les y nouaient, pu' LA FRANCE 5 laissaient retomber par derrière, comme une queue de cheval. Leur visage était rasé, à l'exception de deux longues moustaches qui pendaient de chaque côté de la bouche. Ils étaient ^^ très braves: leurs armes étaient l'épée 5 et la francisque, hache à deux tranchants qu'ils lançaient de loin sur l'ennemi, et une sorte de lance terminée par des crochets recourbés et qu'ils appelaient hameçon. Les Francs étaient divisés en petites tribus, dont chacune avait son chef ou roi. Le roi n'était guère 10 supérieur au reste des guerriers francs. Le jour de son avènement, pour toute cérémonie, on le faisait monter sur un bouclier ou pavois, que quatre vigoureux guer- riers portaient sur leurs épaules. Pour toute couronne, il avait sa chevelure ^^ qui flottait sur son dos. 15 Obéi pendant la guerre, le roi n'avait guère d'au- torité pendant la paix. C'étaient ^^ les guerriers réunis en assemblée qui décidaient de toutes les choses impor- tantes. Parmi les premiers rois francs est Mérovée, qui a 20 donné son nom à la première famille royale française, la dynastie des Mérovingiens. Clovis, petit-fils de Mérovée, se convertit à la religion chrétienne et soumit toute la Gaule» Les descendants de Clovis se querellèrent entre eux ; 25 ils perdirent bientôt leur puissance et devinrent les rois fainéants. Alors les Francs se choisirent d'autres chefs, qui bientôt devinrent rois. En 752, Pépin le Bref fonda la seconde dynastie, à la- 3° quelle Karl ou Charles, fils de Pépin le Bref, fit donner le nom de Carlovingieime, 6 AN ELEMENTARY FRENCH READER Charles mérita le nom de Charlemagne ou de Charles le Grand,^" par ses victoires et par son bon gouvernement. Charlemagne aimait les savants et voulut s'instruire. Il ne sut jamais bien écrire, mais il lisait très bien. Il 5 parlait le latin, qui était la langue des Romains. Il vou- lait que ses peuples fussent ^^ instruits et fonda beaucoup d'écoles. ^^ Il en^^ avait une dans son palais, qu'il visi- tait souvent. Charlemagne conquit l'Allemagne, une partie de l'Italie 10 et de l'Espagne. En 8oo, il fut sacré empereur par le pape. Il mourut en 814. L'empire de Charlemagne ne dura pas longtemps après lui. En 843, il est partagé en trois parties: La France, l'Allemagne, l'Italie. Charles le Chauve régna »5 sur la France. Mais les rois carlovingiens deviennent aussi faibles que les derniers Mérovingiens. Ils ne savent pas dé- fendre le royaume contre l'invasion des Normands, peuple venu du nord de l'Europe et qui réussit à 20 s'établir au nord-ouest de la France. Les Francs se ^-^ choisirent encore une fois ^^ d'autres chefs. Hugues Capet devient roi de France en 987 et fonde la troisième dynastie, celle des Capétiens. LA FRANCE FÉODALE Hugues Capet et ses premiers successeurs ne furent 25 pas très puissants. Ils étaient les maîtres dans le duché de France ; mais les comtes de Champagne -^ étaient maîtres en Cham- pagne ; ceux de Flandre, en Flandre ; ceux de Toulouse, dans le comté de Toulouse ; ceux de Poitiers, en Poitou ; 10 les ducs de Normandie étaient maîtres en Normandie ; LA FRANCE ceux de Bourgogne, en Bourgogne ; ceux de Bretagne, en Bretagne. Ces comtes et ces ducs battaient monnaie à leur image; ils levaient des impôts, avaient des armées comme des rois. 5 Pourtant ils reconnaissaient que le roi était leur suze- raiîiy ou supérieur; eux^^ n'étaient que les vassaiix du. roi. Leur domaine s'appelait un Jief ou féod. Ils prê- taient au roi l'hommage, et lui juraient fidélité. Du mot féod sont venus ceux é^ féodalité Qt de régime lo féodaly par lesquels on ^^ désigne le gouvernement de ce temps-là. On appelle hommage la cérémonie par laquelle le vassal se reconnaissait Xhomme de son suzerain. Pour faire hommage à son suzerain, le vassal se pré- 15 sentait devant lui. Il retirait sa ceinture, ses éperons, se mettait à genoux et plaçait ses mains jointes entre les mains de son suzerain. Puis il prononçait des paroles par lesquelles il s'engageait à servir son suzerain envers et contre tous.^^ Alors le suzerain remettait au vassal 20 une motte de terre qui représentait le domaine du vassal. Le vassal semblait ainsi recevoir sa terre en présent^" de son suzerain ; mais le suzerain ne pouvait pas la reprendre, à moins que le vassal n'eût violé ses promesses et n'eût commis une trahison. 25 Les vassaux du roi avaient des vassaux à leur tour. La France était donc divisée en un grand nombre d'Etats, grands et petits. Tous ceux qui possédaient ces Etats sont ceux qu'on a plus tard appelés les nobles. L'Eglise possédait un grand nombre de domaines; les 30 membres de l'Eglise s'appelaient les clercs. Ceux qui n'étaient ni nobles ni clercs, s'appelaient serfs ou vilains. 8 AN ELEMENTARY FRENCH READER Le noble était le seigneur des serfs, dont les cabanes s'abritaient ^^ contre son château. Au dixième et au onzième siècle, les rois étaient si faibles qu'ils ne pouvaient défendre le royaume contre 5 les ennemis : ils ne pouvaient y faire régner l'ordre et la justice. Le seigneur protégeait contre les ennemis le serf qui, à leur approche, se réfugiait dans le château féodal. Le seigneur rendait la justice aux hommes qui dépendaient lo de lui ; mais il avait le droit de vie et de mort sur les serfs ; il disposait de leur travail et de leur argent. Il abusait souvent de ses droits et de sa force. Puis les seigneurs se faisaient la guerre ^^ les uns aux autres. Ils ravageaient les terres, brûlaient les cabanes. 15 II y eut, au dixième et au onzième siècle, d'effroyables misères, des famines, souvent causées par ces guerres. Pendant que Hugues Capet et ses premiers succes- seurs régnaient obscurément, leurs vassaux firent de grandes expéditions. En 1066, Guillaume, duc de Nor- 20 mandie, conquit l'Angleterre. Un grand nombre de chevaliers français partirent pour la première croisade et prirent Jérusalem en 1099. La royauté capétienne commence à se relever avec Louis le Gros, qui réprime les excès commis par ses 25 vassaux et favorise les coimmines. Dans ce temps-là, il arrive qu'en beaucoup d'endroits, des vilains s'associèrent entre eux et formèrent des com- munes. Une fois associés, ils résolurent de ne plus demeurer entièrement soumis à toutes les volontés de 30 leurs seigneurs, et ils obtinrent d'eux des chartes, c'est-à- dire des parchemins où le seigneur accordait des droits et des libertés aux communes. Ces vilains devinrent LA FRANCE alors des bourgeois et leurs villages des villes. Ce fut un grand progrès. Les villes n'étaient point bâties comme maintenant. Les rues y étaient si étroites que d'une maison à l'autre on pouvait presque se toucher ^^ la main. 5 Sur la place étaient la maison commune qu'on appelait aussi Xhôtel de ville^^ et le beffroi, qui était une tour où était suspendue la cloche de la commune. Dans la tour se tenait le guettetcr. Le guetteur sonnait la cloche pour convoquer les bourgeois aux assemblées où lo l'on délibérait sur les affaires de la commune. Il sonnait le soir le couvre feu, c'est-à-dire l'ordre d'éteindre toutes les lumières. Par un tintement précipité, il signalait les incendies. Enfin, quand la ville était menacée, il son- nait à toute volée ^^ pour appeler la milice aux armes. 15 Les milices communales servaient aussi hors des murs. Plus d'une fois elles ont vaillamment aidé les rois de France contre l'ennemi. Philippe- Auguste (i 180-1223) augmente le domaine royal de plusieurs provinces. Il remporte la victoire de 20 Bouvines sur l'empereur d'Allemagne. Louis IX ou Saint Louis (i 226-1 270) fait vénérer la royauté par ses vertus. Il fait une croisade en Egypte où il tombe entre les mains des infidèles, et une à Tunis, où il meurt. 25 Sous ses successeurs, plusieurs provinces importantes sont encore réunies au domaine royal. Philippe le Bel ^^ convoque, en 1302, les premiers états généraux. L'origine des états généraux remonte au temps des Francs. Bien avant le règne de Charlemagne, il y avait 30 souvent de grandes assemblées où les guerriers venaient de tous les points du pays. 10 AN ELEMENTARY FRENCH READER Au temps des premiers Capétiens, ces assemblées cessèrent, parce que la France était partagée en un grand nombre de petits états. Le roi de France réunis- sait autour de lui ses vassaux. Les ducs de Normandie, 5 de Bretagne, les comtes de Champagne et de Toulouse faisaient de même.^^ Il y avait plusieurs petites Frances et plusieurs petites assemblées. Au temps de Philippe le Bel, beaucoup de ces petits états avaient été réunis au domaine du roi, et la France 10 était redevenue un grand pays. Philippe le Bel ne rétablit pas les anciennes assem- blées, mais il enjoignit au clergé et aux nobles de choisir des députés et de les envoyer vers lui. Comme les communes étaient devenues très impor- 15 tantes, il enjoignit aux communes d'envoyer aussi des députés. La réunion des députés du clergé, de la noblesse, et des communes s'appelle les états généraux, parce que les trois états y sont réunis. Etat veut dire ^^ condition ; il 20 y avait l'état de clergé, l'état de noblesse, et le tiers état, ou troisième état, qui était l'état de bourgeoisie. En 1328, Philippe de Valois monte sur le trône; mais Edouard III, roi d'Angleterre, et fils d'une princesse française, lui dispute le titre de roi de France. La guerre 25 de cent ans commence. Les Français sont battus à Crécy (1346), puis à Poitiers (1356). Ces grands désastres sont réparés pendant le règne de Charles le Sage. Mais la France, sous le règne de Charles VI, qui de- vient fou en 1392, est assaillie par la guerre civile. Les 30 Anglais sont encore vainqueurs à Azincourt (141 5). Ils conquièrent presque tout le royaume. Charles VII, fils de Charles VL ne possédait plus que LA FRANCE ii quelques châteaux et quelques villes; mais le royaume, dans ce péril suprême, allait être sauvé par une jeune paysanne lorraine, Jeanne Darc. Les Anglais avaient mis le siège devant Orléans,^^ et la ville était sur le point de succomber. Mais Jeanne 5 Darc va trouver le roi et lui annonce qu'elle est envoyée par Dieu pour délivrer Orléans. Le roi lui donne la conduite d'une troupe d'hommes d'armes, et elle se rend à Orléans. Tout autour de la ville, les Anglais avaient établi des 10 forteresses, mais ils laissèrent passer Jeanne. Elle entra et la foule la salua de ses acclamations. Sa présence donna du courage aux défenseurs de la ville. Le siège durait depuis"" six mois : Jeanne livra trois combats aux Anglais, les battit trois fois et délivra Orléans en huit 15 jours. Alors elle alla chercher le roi à Tours, et elle le décida à marcher vers Reims. Après avoir encore battu les Anglais qui étaient maîtres des routes, Jeanne Darc arriva à Reims, la ville où étaient sacrés les rois de 20 France, et oij Charles VII reçut le sacre de l'archevêque. Jeanne Darc ne put prendre Paris et fut faite prison- nière par les Anglais qui la firent condamner à être brûlée vive à Rouen (143 1). Les Anglais furent définitivement chassés du royaume en 1453. 25 La royauté française devient très puissante. Louis XI (1461-1483), successeur de Charles VII, fut un prince habile, qui gâta ses qualités par des perfidies et de la cruauté. Il combattit pendant presque tout son règne ses vassaux révoltés : il l'emporta sur eux par la force 30 et par la ruse. A partir de Louis XI, les rois sont les maîtres en France. 12 AN ELEMENTARY FRENCH READER LA FRANCE MONARCHIQUE Les rois de France étant devenus très puissants veulent faire des conquêtes. Charles VIII et Louis XII font des guerres en Italie (1483-1615). C'est à cette époque que se font^^ les grandes dé- 5 couvertes maritimes. Christophe Colomb découvre l'Amérique. La bourgeoisie s'enrichit par le commerce et s'in- struit, grâce à l'invention de l'imprimerie par l'allemand Gutenberg. 10 François i^^ (1515-1547), successeur de Louis XII, continue les guerres commencées par ses prédécesseurs, ♦ s'empare du nord de l'Italie, mais il est bientôt obligé de combattre Charles-Quint,^^ roi d'Espagne et em- pereur d'Allemagne. Vaincu à Pavie, François i^'' perd 15 l'ItaHe. Au temps de François i^"" et d'Henri II, son succes- seur, des architectes construisent des ^châteaux dont les plus célèbres sont ceux du Louvre,^^ des Tuileries, de Chambord, de Blois, et de Chenonceaux. 20 La cour de France se tenait ^^ dans ces châteaux, qui ne ressemblent point aux châteaux féodaux. A la place des tours crénelées, sont d'élégantes tourelles ; de larges fenêtres remplacent les étroites ouvertures ; les grandes salles ne sont plus tristes et nues comme jadis, ^elles 25 sont ornées de sculptures et de peintures. Le château féodal était fait pour la guerre ; le château du seizième siècle, pour les fêtes et les plaisirs. Il y a alors en France de grands sculpteurs et de grands peintres; de grands écrivains, dont les plus 30 célèbres sont Rabelais et Montaigne. LA FRANCE 13 Comme ces artistes et ces écrivains imitent les artistes et les écrivains de l'antiquité grecque et latine, ce temps s'appelle la Reiiaissance, parce que l'antiquité semble alors renaître. Au temps où François i^'' régnait en France, un moine 5 allemand, du nom de Luther, se sépara de l'Eglise, et prêcha en Allemagne une doctrine nouvelle : le protes- tantisme. A la même époque le protestantisme fut prêché en France par Calvin. Il n'y eut point de grands troubles sous les règnes 10 de François i^' et de Henri II: mais les princes qui vinrent après furent très faibles ; les passions reli- gieuses s'enflammèrent: huit guerres civiles déchirèrent le royaume. On oubHait les plus simples préceptes de la morale : 15 des crimes furent commis par les deux partis. Les pro- testants s'appuyaient sur l'Angleterre, les catholiques s'appuyaient sur l'Espagne. On oubliait même les devoirs envers la patrie. Henri IV, héritier du trône de France, était protestant, 20 ce qui l'empêcha pendant plusieurs années d'être reconnu roi dans tout le royaume ; mais il vainquit ses adversaires et se convertit au catholicisme. Alors tous les révoltés se soumirent et la guerre civile cessa. Il chassa les Espagnols de son royaume, et accorda aux protestants 25 la liberté de conscience par l'édit de Nantes, en 1598. Aidé de son ministre Sully, il encouragea l'agriculture et l'industrie. Il mourut assassiné en 1610. Louis XIII, son successeur, après avoir eu de mau- vais ministres, appela dans ses conseils le cardinal de 30 Richelieu. Richelieu força les grands à obéir aux lois, et il fit 14 AN ELEMENTARY FRENCH READER punir *^ de mort même les plus nobles seigneurs, quand ils voulurent lui résister. Il laissa la liberté de conscience aux protestants, mais il leur enleva des privilèges qu'on leur avait donnés, et 5 tous les moyens de se révolter. Il créa une armée, une marine, et commença contre le roi d'Espagne et l'empereur d'Allemagne une guerre qui fut très glorieuse pour la France. Deux grands généraux français, Condé et Turenne, se couvrirent de gloire pen- lo dant cette guerre. Louis XIV (1643-1715) règne d'abord sous la tutelle de sa mère, Anne d'Autriche, qui a pour principal mi- nistre le cardinal Mazarin. A la mort de Mazarin (1661) Louis XIV gouverne 15 par lui-même et n'a plus de premier ministre.*^ Ses principaux ministres sont alors Colbert et Louvois. Colbert rétablit les finances, fait faire ** de grands pro- grès à l'industrie, institue de grandes manufactures, encourage l'agriculture en diminuant Içs impôts, favorise 20 le commerce en construisant des routes et des canaux. Il fait faire de grands progrès à la marine marchande et à la marine militaire. On peut dire que Colbert a fait, lui tout seul, la besogne de plusieurs ministres. Il tra- vaillait seize heures par jour.*^ 25 Louvois donne l'uniforme aux troupes françaises, fond des écoles pour l'instruction des officiers, met dans l'armée de l'ordre et de la discipline, crée l'Hôpital militaire des Invalides, et donne à la France des armées nombreuses. 30 Louis XIV veut agrandir son royaume par des con- quêtes ; il fait d'abord la guerre à l'Espagne, et conquiert plusieurs villes des Pays-Bas. Comme la Hollande veut LA FRANCE 15 l'empêcher de continuer ses conquêtes, il lui fait la guerre, mais l'Espagne et l'Autriche font alliance avec la Hollande, et Louis XIV est obligé de faire la guerre à une partie de l'Europe. Cette guerre se termine victo- rieusement pour la France en 1678 par la paix de 5 Nimègue/^ qui marque l'apogée de la grandeur de Louis XIV. Louis XIV ayant voulu continuer ses conquêtes pen- dant la paix, l'Europe presque entière se réunit contre lui et lui fait une guerre, terminée par la paix de Rys- 10 wick et d'où la France sort encore victorieuse mais ruinée. Enfin, le roi d'Espagne, Charles II, étant mort sans enfants en i/co, après avoir, par testament, désigné pour son héritier le duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, l'Angleterre, la Hollande, et l'Allemagne, inquiètes de 15 voir un prince français devenir roi d'Espagne, se réu- nirent encore une fois contre la France et commencèrent une guerre qui dura douze ans et pendant laquelle les armées françaises furent défaites presque partout. La France fut envahie, mais une dernière victoire de l'armée 20 française à Denain*' sauva le royaume. L'Europe, aussi bien que la France, était épuisée par ces longues guerres, et la paix fut signée à Utrecht et à Rastadt (1714). Le petit-fils de Louis XIV, Philippe V, demeura roi d'Es- pagne, mais la France fut obligée de céder plusieurs 25 colonies à l'Angleterre. Louis XIV croyait au droit divin des rois, c'est-à-dire qu'il croyait tenir son pouvoir de Dieu seul, et devoir compte de ses actes, non à son peuple, m.ais à Dieu. C'est pour cela qu'il garda pendant tout son règne la 30 direction générale des afi"aires publiques, dont il s'occupa toujours très régulièrement. 1 6 AN ELEMENTARY FRENCH READER Tous ses contemporains s'accordent*^ pour louer la noblesse de ses traits, sa démarche imposante, ses manières exquises : il était doué de toutes les qualités extérieures les plus appréciées par les courtisans. 5 Louis XIV n'est pas seulement célèbre dans l'histoire pour avoir été heureux dans la plupart de ses guerres, mais aussi parce que de grands écrivains et de grands artistes ont vécu de son temps et qu'il "*^ a été leur protecteur. 10 Les plus grands écrivains du siècle de Louis XIV sont Corneille et Racine, qui ont écrit des tragédies ; Molière, qui a écrit des comédies; Boileau, poète satirique; La Fontaine, qui a écrit des fables ; Descartes, grand philo- sophe ; Pascal, un grand savant en même temps qu'un 15 grand écrivain ; Bossuet, evêque de Meaux, prédicateur et historien. Mais l'orgueil de Louis XIV le perdit et lui fit^*^ faire de grandes fautes. En 1685 il révoqua l'Edit de Nantes, par lequel 20 Henri IV avait accordé aux protestants la liberté de conscience. Cet acte fut une faute politique aussi bien qu'une injustice. Les conséquences en furent désas- treuses pour la France: 250,000 protestants quittèrent le royaume. Parmi eux étaient des matelots, des soldats, 25 des magistrats, de riches industriels, des commerçants et d'excellents ouvriers. Ces fugitifs portèrent à l'étranger leur argent, leurs arts, les secrets de l'industrie française et la haine de Louis XIV. Louis XIV dépensa sans compter l'argent de ses 30 sujets: sa cour et les palais qu'il fit bâtir, surtout le palais de Versailles, coûtèrent des sommes énormes, qui s'ajoutèrent à celles qu'il fallut dépenser pour la LA FRANCE 17 guerre. Aussi, à sa mort, la France était complètement ruinée. Louis XV (17 15-1774) fut un prince égoïste, occupé uniquement de ses plaisirs, ne se souciant pas de ses devoirs. Ses guerres et ses dépenses renouvelèrent les misères des dernières années de Louis XIV. Les armées françaises, commandées par des généraux in- capables éprouvent presque partout d'humiliantes dé- faites. La Guerre de Sept Ans est particulièrement désastreuse : La France est vaincue sur terre et sur mer, et le traité de Paris (1763) lui enlève ses plus belles colo- nies, parmi lesquelles le Canada. Les Français perdent alors le respect et l'amour de la royauté, et de grands écrivains attaquent les abus poli- tiques. Montesquieu, Rousseau, et surtout Voltaire ré- pandent par toute l'Europe leurs idées de justice et de tolérance. La France, politiquement abaissée à cette époque, voit ses écrivains et ses philosophes acquérir, dans le monde entier, une influence plus grande que jamais. 11 y avait dans le royaume beaucoup de coutumes anciennes, qui avaient eu leur raison d'être ^^ autrefois, mais qui ne l'avaient plus. Par exemple, au temps où le seigneur défendait les paysans contre l'ennemi et où il jugeait leurs procès, on comprenait que le paysan payât les services qu'il recevait de son seigneur. Il les 25 payait en argent ou bien ^^ en travail : ce travail s'appelait la corvée. Mais au temps de Louis XV, les seigneurs ne défen- daient plus le paysan ; le plus souvent, ils ne résidaient pas sur leurs terres, et vivaient à la cour- Alors le 30 paysan trouva odieuse la corvée, et les écrivains en demandèrent la suppression. 20 1 8 AN ELEMENTARY FRENCH READER Tous les privilèges des nobles, qui remontaient aux premiers temps de la monarchie, étaient, au XVIIP siècle, surannés et injustes. Ainsi du temps où les rois n'avaient pas d'autres soldats que leurs vassaux, il était 5 juste que ceux-ci eussent ^^ le privilège de ne pas payer l'impôt en argent ; car ils payaient, comme on disait, l'impôt du sang. Mais depuis longtemps, les roturiers servaient ^* dans les armées du roi, et les nobles n'étaient plus obligés au service militaire. Il était donc naturel 10 que les nobles, qui possédaient une grande partie des terres, payassent l'impôt aussi bien que les roturiers. Ainsi l'on demandait qu'il n'y eût plus d'arbitraire, c'est-à-dire que le roi ne fût plus le maître de la con- science, de la liberté, de la vie de ses sujets. On deman- 15 dait aussi qu'il n'y eût plus de privilèges, c'est-à-dire que tous les Français eussent les mêmes droits et les mêmes devoirs. Louis XVI, qui succéda à Louis XV, avait de la bonne volonté et des vertus qui le faisaient aimer,^^ Aidé par 20 ses ministres il essaya d'abord de corriger les abus, mais on ne pouvait le faire sans priver les nobles de droits et de privilèges qu'ils possédaient^^ de père en fils depuis longtemps. Les privilégiés obtinrent du roi qu'il renvoyât ses 25 ministres ; mais, peu de temps après, le roi fut obligé de convoquer les ctats généraux. La Révolution française allait^" commencer. Louis XVI fit une guerre qui fut très populaire en France. Les Anglais possédaient dans l'Amérique du 30 Nord des colonies qui avaient à se plaindre de la façon dont les gouvernait l'Angleterre. Elles s'unirent et se révoltèrent en 1776 sous la conduite de quelques grands LA FRANCE 19 citoyens. Des volontaires partirent de France pour aller combattre dans les rangs des Américains. Parmi eux était La Fayette. LA RÉVOLUTION ET UEMPIRE A l'ouverture des états généraux Louis XVI était résolu à faire quelques réformes, mais les députés du 5 tiers état voulaient qu'on fît toutes les réformes qui avaient été réclamées. Ces députés n'admettaient pas que les trois ordres délibérassent séparément. Ils vou- laient que tous les députés, ceux de la noblesse, du clergé, de la bourgeoisie, se réunissent dans une même salle, 10 et tous ensemble, égaux entre eux comme les en- fants d'une même patrie, travaillassent à la réforme du royaume. Les députés du clergé et de la noblesse refusèrent de se rendre à leur invitation. Ceux du tiers état dé- 15 clarèrent alors qu'ils allaient commencer la discussion des réformes sans se préoccuper de ^^ l'absence des deux autres ordres. Mais le roi fit fermer et garder par des soldats la porte de la salle où ils voulaient délibérer. Bailly, 20 président du tiers état, protesta contre cette violence et, suivi de tous les députés, se rendit dans une salle du jeu de paume. '^^ Il monta sur une table. Les députés l'entouraient. Tous, pris d'un noble enthousiasme, les mains levées, jurèrent de ne pas se séparer avant d'avoir 25 fait une Constitution (20 juin 1789). Trois jours après, comme les députés du tiers état, rentrés dans la salle des états généraux, insistaient pour que les trois ordres délibérassent en commun, et non 20 ^-iA^ ELEMENJ'ARY FRENCH READER séparément comme le voulait le roi, celui-ci leur envoya le grand maître des cérémonies qui leur donna l'ordre de se séparer. Mirabeau, le plus illustre orateur du tiers état, s'écria alors : " Allez dire à ^^ ceux qui vous envoient 5 que nous sommes ici par la volonté du peuple, et que nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes." Cette énergie fit céder les privilégiés. Les députés de la noblesse et du clergé se réunirent à ceux du tiers état. Pour montrer qu'il n'y avait plus de différence entre les 10 députés des trois ordres, le nom d'ctats généraux, qui rappelait cette différence, fut aboli et remplacé par celui à' Assemblée nationale constituante, et l'on travailla en- semble à la Constitution. Mais les réformes commencées ensuite mécontentèrent 15 la cour et les privilégiés. La cour voulut résister, des émeutes éclatèrent, et le 14 juillet 1789, la forteresse royale de la Bastille fut prise par le peuple. C'est à ce moment-là que La Fayette proposa d'ajouter aux couleurs de la ville de Paris (bleu et rouge) le blanc, 20 qui était la couleur du roi. On fit alors des cocardes tricolores (bleu, blanc, rouge) qu'on distribua aux gardes nationaux nouvellement organisés. Telle est l'origine du drapeau français actuel. Les 5 et -6 octobre, une foule armée alla chercher à 25 Versailles le roi et sa famille, et les força à revenir à Paris. L'Assemblée suivit le roi. Le roi, ne se sentant plus libre, essaya de s'enfuir au mois de mai 1791. Il fut découvert en route, arrêté et ramené à Paris. L'Assemblée fit jurer à Louis XVI 30 d'observer la constitution nouvelle et se retira. La France doit de grands bienfaits à l'Assemblée con- stituante. Avant elle, tous les Français ne pouvaient LA FRANCE 21 point arriver aux honneurs : les plus hauts grades de l'armée, par exemple, étaient réservés aux nobles. Grâce à la Constituante, le plus humble soldat put arriver au commandement des armées. Avant la Constituante, tous les Français ne payaient 5 point l'impôt; elle répartit l'impôt ^^ entre tous. Ils n'avaient pas la liberté de conscience, c'est-a-dire qu'ils ne pouvaient pas adorer Dieu selon leur croyance ; la Constituante leur a donné cette liberté. Les Français n'étaient point Hbres de travailler comme 10 ils voulaient, car tous les ouvriers étaient groupés par corporations, et ces corporations avaient des règlements ; la Constituante a supprimé ces corporations et garanti la liberté du travail. Elle a supprimé les corvées et toutes les redevances féodales. 15 La Constituante ayant entrepris la tâche de tout réformer à la fois,^^ il lui était impossible de ne pas com- mettre de fautes. Elle a voulu imposer au clergé une constitution spéciale qui blessait les croyances catho- liques, et elle a suscité ainsi les passions religieuses. 20 Elle voulait conserver la royauté ; elle n'aurait donc pas dû tant l'ajfïaiblir et la rendre incapable de résister aux passions qui croissaient sans cesse. Toutefois elle a été la bienfaitrice de la patrie française. Quand la Constituante se sépara, une autre assemblée 25 se réunit ; elle s'appela Assemblée legislative. Le roi ne s'entendit pas longtemps avec elle, parce qu'il ne voulut pas sévir contre ^'^ les prêtres qui s'étaient montrés rebelles aux lois sur le clergé. Un grand nombre de nobles s'étaient réfugiés à l'étranger, beaucoup d'entre 3° eux préparant l'invasion de la France. Un général prussien, le duc de Brunswick,^^ publia même un violent 22 AN ELEMENTARY FRENCH READER manifeste dans lequel il menaçait de détruire Paris. Les passions furent plus excitées que jamais. Le lO août 1792, la foule envahit les Tuileries ^^ et s'en empara. Le roi et la famille royale furent enfermés dans la prison 5 du Temple. Quelque temps avant, le roi avait été forcé par le peuple de déclarer la guerre à l'Autriche, qui don- nait des armes aux émigrés et menaçait la France. L'Assemblée législative avait déclaré que la patrie était " en danger." On dressa sur les places publiques 10 des estrades ou des magistrats écrivaient les noms des volontaires venant s'enrôler. Une nouvelle assemblée se réunit en septembre 1792. On l'appelle la Convention nationale. Son premier acte fut d'abolir la royauté et d'instituer la république. Elle 15 met ensuite en jugement ^^ Louis XVI, qui est condamné à mort et exécuté. La mort de Louis XVI soulève toute l'Europe, qui est bientôt en armes contre la France. A toutes les fron- tières il y a une armée ennemie. La Vendée et la Bre- 20 tagne sont insurgées, et, à la frontière- du Nord, un traître, le général Dumouriez, passe à l'ennemi.^'' Mar- seille et Lyon s'insurgent à leur tour. Les Espagnols passent les Pyrénées. Les Autrichiens prennent Valen- ciennes. Toulon est livré aux Anglais. 25 Alors la Convention décrète la levée en masse,^^ et Carnot, un de ses membres, organise la défense et met sur pied ^^ un million d'hommes divisés en quatorze armées. Mais ni les généraux, ni les soldats n'ont assez d'expérience. Les défaites se succèdent''*^ d'abord. 30 C'est alors que les comités révolutionnaires organisent la Terreur^ à Paris et dans toute la France. Tous les suspects sont arrêtés, emprisonnés, jugés sommairement/ LA FRANCE 23 exécutés. La plus illustre victime fut la reine Marie- Antoinette. Pendant que se commettaient ces crimes/^ les armées françaises luttaient courageusement sur les frontières. Les soldats eurent beaucoup à souffrir. Sans expérience 5 de la guerre, mal équipés, mal vêtus, souvent sans sou- liers et sans pain, ils réussirent cependant, après les premières défaites, à remporter deux grandes victoires, celle de Valmy sur les Prussiens et celle de Fleurus sur les Autrichiens. 10 La Terreur finit en 1794, quand les hommes qui étaient les principaux auteurs des crimes, se furent ^^ fait périr les uns les autres. Alors la Convention nationale se retira ; elle laissa la place à un gouvernement composé d'un Directoire de 15 cinq membres, et de deux Assemblées chargées de faire les lois. Les armées de la République étant victorieuses par- tout, le Directoire fait la paix avec la Prusse et envoie contre l'Autriche le général Napoléon Bonaparte. 20 Bonaparte s'était fait connaître au siège de Toulon dont les Anglais s'étaient emparés en 1793. Il était alors commandant d'artillerie ; il fut fait général : il avait 24 ans.'^^ Envoyé en ItaHe en 1796, contre les Piémontais et les 25 Autrichiens, il battit en dix mois l'armée piémontaise et trois armées autrichiennes. Avec 55,000 soldats, il triompha de plus de 200,000 ennemis, en tua plus de 20,000, en prit plus de 80,000. Il livra douze batailles, qui sont autant de victoires, et plus de soixante combats, 30 et il revint en France avec la réputation du plus grand général de la République. 24 -4iV ELEMENTAR Y FRENCH READER Pour vaincre l'Angleterre, il fait en Egypte une expé- dition glorieuse mais inutile (1799). A son retour, il renverse le Directoire par un coup d'état"^ et prend le titre de premier consul. Il bat 5 l'Autriche à Marengo, fait la paix avec l'Angleterre, et commence l'organisation de la France nouvelle, créée par la Révolution. Bonaparte déploya autant de génie dans la paix que dans la guerre, et il organisa l'administration de la 10 France comme elle est encore aujourd'hui, mais il re- streignit de jour en jour les libertés publiques. En 1804 il fut proclamé empereur sous le nom de Napoléon i^''. L'Autriche et la Russie s'étant déclarées contre la 15 France, l'empereur les bat à Austerlitz (1805). L'année suivante Napoléon anéantit l'armée prussienne à léna et conquit presque tout le royaume de Prusse en sept jours. Il bat ensuite les Russes à Eylau et à Friedland. Enivré par tant de victoires, l'empereur s'abandonne 20 à son orgueil. Il partage l'Europe entre ses parents et ses généraux. Ne pouvant prendre l'Angleterre corps à corps, il veut ruiner son commerce, et pour cela il met tout le continent en état de blocus, c'est-à-dire qu'il ferme les ports européens aux navires anglais. Des 25 résistances se produisent, l'empereur les brise. Il dépossède ensuite la famille qui régnait en Espagne. Pendant qu'il fait la guerre dans ce pays, l'Autriche se déclare encore une fois contre lui. Napoléon est vain- queur à Wagram. L'Autriche traite de nouveau (1809). 30 L'empereur d'Autriche donne en mariage à Napoléon sa fille Marie-Louise. De ce mariage naît, l'année suivante, un fils, qu'on appela le roi de Rome. LA FRANCE 25 A ce moment l'empire français comptait 130 départe- ments; les rois d'Espagne, de Naples, de Westphalie; ceux de Bavière, de Wurtemberg, de Saxe, un grand nombre d'autres princes étaient vassaux de l'empereur. Aucun homme, depuis Charlemagne, n'avait eu pareille 5 puissance. Une grande faute commença la ruine de cet empire. Napoléon mécontenta la Russie et lui déclara la guerre. Il fut vainqueur encore et entra dans Moscou. Mais les Russes mirent le feu à la ville et Napoléon dut re- 10 partir pour la France pendant un hiver très rigoureux : il perdit en route presque toute son armée, qui se com- posait de 500,000 hommes, tant Français qu'alliés.'^^ Alors toute l'Allemagne se souleva, l'Europe se réunit contre la France, qui fut bientôt envahie. L'empereur 15 défendit le sol du pays pied à pied ; mais il n'était plus de force à lutter.'^ Paris fut pris. Les alliés recon- nurent pour roi Louis XVIII, frère de Louis XVI. On donna l'île d'Elbe à Napoléon, qui quitta la France (1814). LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE ET LE SECOND EMPIRE. L'empereur revint quelques mois après. Aussitôt l'Europe se réunit encore contre la France. Vaincu à Waterloo (18 15), l'empereur abdiqua, se livra à Angleterre, qui l'envoya en captivité dans l'île Sainte-Hélène ^^ où il mourut six ans après. 25 Louis XVIII, encore une fois rétabli sur le trône, après avoir donné aux Français une constitution appelée la Charte^ dut signer le traité de Paris, qui enleva à la 26 AN ELEMENTARY FRENCH READER France toutes ses conquêtes. Ce pays devenait plus petit qu'il n'était '^ en 1789. Louis XVIII était un prince habile et sage; mais ses amis voulurent rendre aux nobles leur privilèges 5 d'autrefois. D'anciens révolutionnaires et d'anciens offi- ciers de Napoléon furent jugés et condamnés à mort. Louis XVIII mourut en septembre 1824, et il eut pour successeur son frère Charles X. Ce roi voulait détruire tout ce qu'avait fait la Révo- 10 lution française. Aussi fut-il "^ bientôt très impopulaire. Au mois de juillet 1830, une grande insurrection éclata dans Paris, parce que le roi avait voulu enlever à la France ses libertés. Les insurgés furent victorieux et Charles X fut obligé de quitter la France. 15 Le duc d'Orléans, cousin de Charles X, fut nommé roi, sous le nom de Louis-Philippe. Son règne est sou- vent désigné dans l'histoire sous le nom de monarchie de juillet. Louis-Philippe était un prince ami de la Révolution, 20 mais il y avait en France beaucoup de personnes qui n'aimaient pas son gouvernement. Il y avait les parti- sans de Charles X, qu'on appelait les légitimistes ; les partisans de l'empire, ou bonapai'tistes ; il y avait aussi les républicains, qui voulaient la république. 25 Louis-Philippe fut vainqueur de plusieurs insurrec- tions. Mais, le 24 février 1848, les insurgés furent victorieux. La république fut proclamée. De 18 14 à 1848, la France s'est enrichie et repeuplée. Pendant cette période, l'Europe a presque toujours été 30 en paix. La France n'a fait que de courtes expéditions. Toutefois elle s'est emparée d'Alger en 1830, et, pendant le règne de Louis-Philippe, elle a fait la conquête de LA FRANCE 27 l'Algérie, et fondé plusieurs colonies en Afrique et en Océanie. En 1848 le suffrage universel fut établi. En décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l'empereur Napoléon, fut élu président de la République. Il ren- 5 versa ensuite par un coup d'état le gouvernement établi, et se fit élire ^° empereur en 1852 sous le nom de Napoléon III. Napoléon III restreignit la liberté en France. Sous son règne, l'industrie et le commerce furent prospères, 10 les villes s'embellirent. De nouvelles routes et de nouveaux chemins de fer furent construits. Un ingénieur français, Ferdinand de Lesseps, perça le canal de Suez, en Egypte. Pendant le second empire, la France fut souvent en 15 guerre : en Crimée, en Italie, en Chine, en Mexique. En 1866 la Prusse avait vaincu l'Autriche et les petits états allemands; elle dominait en Allemagne. Le gouvernement français lui déclara la guerre sans être prêt à la faire (1870). L'empereur fut fait prison- 20 nier à Sedan. A cette nouvelle, la république fut proclamée à Paris (4 septembre 1870) et l'on organisa le gouvernement de la Defense nationale. LA FRANCE REPUBLICAINE La France envahie résista encore pendant tout l'hiver. 25 Paris, réduit à la famine, capitula après quatre mois de siège. Une assemblée nationale, réunie à Bordeaux, fit la paix de Francfort, qui coûta à la France presque toute 28 AN ELEMENTARY FRENCH READER l'Alsace, une partie de la Lorraine, et cinq milliards ^^ de francs. Thiers, chef du pouvoir exécutif, afin de payer l'indemnité de guerre, fit un emprunt, qui fut couvert plusieurs fois.^^ 5 La RépubHque a été définitivement organisée par la constitution de 1875. La France s'est relevée très rapidement de ses dé- sastres. Elle s'est vue obligée d'adopter en 1872 le service miHtaire obligatoire pour tous, qui existait en Prusse 10 depuis soixante ans. La loi militaire de 1889, modifiant dans certains détails celle de 1872, établit que tout Français, âgé de 20 ans et reconnu propre au service, est appelé sous les drapeaux pour faire partie ^^ de Vannée active pendant trois ans. 15 Toutefois quelques soldats peuvent être renvoyés dans leurs foyers ^* après un an de service et restent à la dis- position du ministre de la guerre. Le temps de service est également réduit à un an en faveur des étudiants remplissant certaines conditions, des personnes qui con- 20 tractent l'engagement de servir dix ans dans l'instruction publique, et aussi en faveur de certaines catégories de jeunes gens (fils aînés de veuves, frères d'orphelins, etc.). A l'expiration de cette première période de trois ans, tous les Français font partie de la reserve de rarmee 25 active, pendant sept ans ; de V armée territoriale, pen- dant six ans ; de la reserve de V armée territoriale, pendant neuf ans; mais dans ces trois cas ils ne sont appelés qu'en cas de mobilisation ou pour de courtes périodes d'exercice. Les Français ne sont donc libérés définitive- 30 ment du service militaire qu'à l'âge de 45 ans. Sur le pied de paix ^^ l'armée active compte environ 500,000 hommes ; mais en cas de guerre, la mobilisation LA FRANCE 29 entière donnerait un total de près de quatre millions de combattants. La France a aussi perfectionné sa marine militaire. Le gouvernement de la République a rendu l'instruc- tion primaire "^^ gratuite et obligatoire. 5 Depuis 1870, la France a conquis de nombreuses co- lonies : la Tunisie, le Tonkin, le Soudan, le Congo, Mada- gascar, et d'autres parties du continent africain. Le territoire de la France se divise en 86 départe- ments. Chaque département se divise en arrondissemeîîtSy 10 chaque arrondissement en cantons, chaque canton en coîmmmes. On peut partager les pouvoirs publics en trois classes : le pouvoir législatif qui crée les lois, le pouvoir exécutif, qui les fait exécuter, et le pouvoir judiciaire, qui les fait 15 respecter. Le pouvoir législatif est représenté par deux assem- blées ayant les mêmes attributions, mais différant l'une de l'autre par leur mode d'élection : la Chambre des députés^' et le Sénat. 20 Les députés sont élus par tous les citoyens. Pour être électeur, il faut avoir au moins 21 ans,^^ jouir de ses droits civils et politiques (c'est-à-dire n'avoir pas subi de condamnation judiciaire) et être inscrit ^^ sur la liste électorale. Il y a un député par arrondissement. Les 25 arrondissements ayant plus de 100,000 habitants éhsent un député par 100,000 ou fraction de 100,000 habitants. Pour être député, il faut être âgé de 25 ans au moins. La Chambre se renouvelle intégralement tous les quatre ans.^^ 30 Les sértateurs ne sont pas élus directement par les citoyens, mais par les délégués des citoyens. Pour être 30 AN ELEMENTAR Y FRENCH READER sénateur, il faut avoir au moins 40 ans et jouir de ses droits civils et politiques. Le nombre des sénateurs est fixé à 300 pour toute la France. Le Sénat se renouvelle par tiers tous les trois ans : chaque sénateur siège donc 5 pendant neuf ans. Pour devenir exécutoire, une loi doit avoir été votée par la Chambre et par le Sénat. Le pouvoir exécutif est confié au Président de la Ré- publique, aidé du Conseil des Ministres, qu'il choisit lui- 10 même. C'est le Conseil des Ministres, représenté par son propre président, qui a la direction de la politique du gouvernement et en est seul responsable. Le Président de la République est nommé parla Chambre des députés et par le Sénat réunis en Congrès. Il est élu pour sept 15 ans. Il jouit de plusieurs prérogatives. C'est lui qui nomme à tous les emplois civils et militaires. Il a le droit de faire grâce aux condamnés. Il promulgue les lois par l'intermédiaire des ministres et des préfets (fonctionnaires qui représentent le gou- 20 vernement dans chaque département). Le pouvoir judiciaire est représenté par les tribunaux suivants : Les justices de paix ^^ dans chaque canton qui jugent les afi"aires de peu d'importance. 25 Les tribunaux de première instance ^^ dans chaque arrondissement jugeant les affaires importantes. Les cours d'appel dans les principales villes de France jugeant les appels des tribunaux inférieurs. Enfin la cour de cassation ^^ siégeant à Paris et chargée 30 d'annuler (casser) les jugements dans lesquels les pres- criptions de la loi n'ont pas été suivies. Il y a en outre en France d'autres tribunaux spéciaux, LA FRANCE tels que : les tribunaux de commerce chargés de juger les différends entre commerçants, les conseils de pru- d'hommes ^^ jugeant les contestations entre patrons et ouvriers, les conseils de préfecture pour les affaires administratives. 5 Les affaires criminelles sont jugées par les cours d'assises/^^ Il y a une cour d'assises par département. Ce sont les seuls tribunaux en France ayant un jury. Dans les autres tribunaux ce sont des juges et non des jurés qui se prononcent aussi bien sur la question de lo fait que sur la question de droit. L'organisation administrative et judiciaire de la France est encore aujourd'hui à peu près telle dans ses détails qu'elle a été établie par Napoléon i^"", qui lui-même s'était inspiré des réformes faites par les assemblées de la 15 période révolutionnaire. From Lavisse's Histoire de France. Deuxième Partie II LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION EX- PLIQUÉES A UNE PETITE FILLE Ne vous êtes-vous ^ jamais demandé, ma chère enfant, l'hiver, en chauffant vos petits pieds à la cheminée, ce que c'est que le feu, ce grand bienfaiteur des hommes ; le feu, sans lequel une partie de la terre serait presque 5 inhabitable pour nous, un bon tiers ^ de l'année ; le feu, sans lequel nous ne pourrions pas faire un morceau de pain, et nous mangerions la viande crue ; le feu, qui nous éclaire la nuit, et sans lequel il faudrait nous coucher avec les poules ; le feu, qui dompte les m.étaux, et sans 10 lequel nous n'aurions ni le fer, ni le cuivre, ni l'argent, ni rien de tout ce qui se fabrique avec eux; le feu, sans lequel, en un mot, l'industrie humaine ne serait pas de beaucoup au-dessus de celle du singe et du castor? Nous sommes si habitués au feu, nous autres,^ que 15 nous n'y faisons pas grande attention, et nous nous per- suaderions volontiers que les allumettes chimiques * ont existé de toute éternité. Mais les premiers hommes, plus voisins de cette grande découverte, par laquelle a commencé tout le reste, les premiers hommes traitaient 20 le feu avec plus de respect que nous. C'était pour eux une des grandes choses qui fussent au monde. Les anciens Persans en avaient fait un Dieu, et ils racontaient que Zoroastre,^ leur prophète, était allé le chercher au ciel, en passant par le sommet de l'Himalaya,^ la plus 36 AN ELEMENTARY FRENCH READER haute chaîne de montagnes du globe. Les anciens Grecs prétendaient que Prométhée l'avait dérobé aux dieux pour en faire cadeau aux hommes, ce qui revenait à peu près au même^ que le récit des Persans. Les Romains avaient \q\xx feu sacre ^ que les fameuses Vestales 5 étaient chargées d'entretenir perpétuellement, sous peine de la vie ^ pour celle qui l'aurait laissé éteindre. Au- jourd'hui nous n'y mettons pas tant de façons,^ et nous nous chauffons tout bonnement les pieds ^^ sans en demander davantage. Mais vous verriez une terrible 10 révolution sur la terre, si quelque Prométhée au rebours nous le dérobait un beau matin ^^ pour le reporter à ses anciens propriétaires : tout s'arrêterait dans l'industrie humaine, comme par enchantement, et il ne faudrait pas beaucoup d'années^ pour que nos pauvres petites so- 15 ciétés, dont nous sommes si fiers, changeassent de face de haut en bas.^^ Heureusement que je puis vous rassurer là-dessus. Le feu n'est pas un cadeau fait à l'homme qu'on puisse lui reprendre à volonté. Nous en savons sur son compte 20 plus long ^* que les anciens. C'est une loi de la nature qui existait avant l'espèce humaine, et qui existera encore, sans le moindre doute, alors qu'elle aura disparu. L'existence du feu est liée de la manière la plus intime à celle de ce grand roi du monde, l'oxygène. 25 Le feu, c'est la Fête du Mariage de l'oxygène avec les autres corps. Quand les rois se marient, quelles réjouissances ! quel tapage ! quelles illuminations ! N'était-il pas juste que le roi du monde eût aussi des réjouissances, et des illu- 3° minations pour célébrer ses mariages? Cela n'a pas manqué non plus. Les réjouissances, c'est la chaleur LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION 37 qui nous réjouit»; les illuminations, c'est la flamme qui nous éclaire. Seulement l'homme est, vis-à-vis de la nature, un sujet impérieux, comme ses rois, à lui,^^ n'en ont pas souvent, heureusement pour eux. Quand il a 5 besoin de chaleur et de lumière, il force le roi du monde à se marier, et il profite de la fête. Ce n'est pas plus malin que cela.^*^ Mais quoi ! me direz-vous, si je voulais faire du feu ^'^ avec des pierres, ou du fer, je n'en viendrais jamais à 10 bout.^^ Est-ce que l'oxygène ne se marie pas avec ces corps-là, et avec, tant d'autres qui ne valent rien pour faire du feu ? Vous m'avez dit que l'oxygène se rencon- trait presque partout. C'est précisément pour cela, ma chère enfant, que tous 15 les corps ne sont pas propres à faire du feu. Quand l'oxygène y est déjà, comme dans les pierres, par ex- emple, le mariage est fait, la fête ne peut pas recom- mencer. Les rois sont comme les autres.^^ Ils ne célèbrent qu'une fois les noces d'un mariage. Si vous 20 aviez été là, au moment où l'oxygène a fait son mariage avec les substances dont se composent les pierres, vous auriez vu une fête dont vous me diriez des nouvelles.-^ Je n'étais pas là*, moi non plus; mais les savants sont parvenus dans ces derniers temps ^^ à rompre les liens 25 qui unissent l'oxygène avec les substances primitives, dans quelques fragments de pierres. Ces substances redevenues Hbres, et par conséquent bonnes à marier, on a pu se donner, en petit,^^ le spectacle des fêtes d'un nouveau mariage. Je puis vous assurer que c'est à faire 30 frémir,^^ quand on se reporte à l'époque o\x ce mariage- là a dû se faire ^^ en grand. Pour le fer, c'est autre chose. 38 AN ELEMENTARY FRENCH READER Vous avez sans doute entendu parler de Louis XIV, ce roi si fier, qui se faisait appeler ^^ le Grand, et qui s'entendait comparer au soleil, sans sourciller.^^ Il paraît qu'un jour il s'avisa, on ne saurait trop dire ^" comment ni pourquoi, de se laisser marier avec Mme. de Mainte- 5 non, l'ancienne veuve d'un pauvre poète paralytique, qui s'appelait Scarron, et qui, en fait de poésies, n'avait guère attaché son nom qu'à des farces. Croyez-vous que, ce jour-là, on ait illuminé Versailles? Oh! que non pas ! ^^ c'était un mariage honteux, dont personne 10 ne devait rien savoir: la cérémonie s'est accomplie mystérieusement, et sans une chandelle de plus qu'à l'ordinaire. Je ne prétends pas dire ^^ que l'oxygène ait de ces faiblesses, ni qu'il se tienne ^^ plus honoré de se marier 15 avec un corps qu'avec un autre. Dans le monde des choses de Dieu, on ne sait rien de nos petits orgueils et de nos petites idées. Toujours est-il que ^^ le cher monarque a ses préférences, et que tous ses mariages ne se font pas de la même façon. Laissez sur la fenêtre, 20 pendant deux ou trois jours, vos jolis petits ciseaux, avec lesquels vous seriez bien embarrassée pour faire du feu. Cette vilaine tache rouge, écailleuse, que vous allez trouver,^^ et qu'on appelle de la rouille, savez-vous bien^^ d'où elle provient? De l'oxygène qui s'est marié 25 avec le fer dé vos ciseaux. Mais c'est le mariage de la veuve Scarron.^* Il s'est fait sans éclat et sans bruit, et les amateurs de fête, ou de feu, ont dû s'en passer.^ Il n'y avait là rien pour eux. La véritable raison de ses mariages incognito, je vais 3° vous la dire. C'est que ^^ l'oxygène, médiocrement attiré par le fer, qui n'est pas autant que d'autres dans ses LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION 39 bonnes grâces, s'unit trop lentement avec lui, trop lan- guissamment, pour ainsi dire. Quand vous allumez un morceau de papier, combien de temps met-il ^' à brûler? 5 — Une demi-minute tout au plus.^^ — Et votre tache de rouille, qui ne représente peut- être pas la centième partie du papier, combien a-t-il fallu de temps pour la produire? — Deux ou trois jours. 10 — Voilà pourquoi vous n'avez pas aperçu les ré- jouissances et les illuminations. Elles sont en raison de la quantité d'oxygène qui se marie à la fois. Quand cette quantité est trop petite, la fête est trop petite aussi, et nous échappe, comme de petits bouts de fil qu'on 15 vous mettrait délicatement, l'un après l'autre, sur le dos,^^ passeraient tous inaperçus, tandis que vous sen- tiriez très-bien un gros drap de lit qui vous tomberait sur les épaules. Et pourtant, qu'est-ce que ce gros drap de lit, sinon une grande quantité de petits bouts de fil? 20 Seulement ils vous arrivent tous d'un seul coup, comme les illuminations du mariage dans le papier qui brûle. Encore un peu de patience, et nous serons au bout. Qu'y a-t-il donc dans le papier qui plaise tant à l'oxy- gène, qu'il se marie si promptement et en si grande 25 quantité? Ce qu'il y a? Deux substances de haut parage, que le rôle important qu'elles jouent dans le monde met réellement à la hauteur d'une alliance royale, le char- bon ^^ et V hydrogène. 30 Grâce aux compagnies de gaz d'éclairage, tout le monde connaît aujourd'hui l'hydrogène ; tout le monde sait du moins son nom. Pour vous le dire en passant,*^ 40 AN ELEMENTARY FRENCH READER c'est le corps le plus léger que l'on connaisse, et de beaucoup. Il est quatorze fois et demi plus léger que l'air, qui n'est pourtant pas bien lourd, bien qu'en masse il ait aussi son poids. Le véritable domaine de l'hydrogène, c'est l'eau, oîi il 5 fait ménage ^^ avec l'oxygène, dans la proportion d'une livre contre huit. Mais hors de là, lui et le charbon sont en quelque sorte deux inséparables, qu'on rencontre in- variablexnent côte à côte dans toutes les substances végé- tales et animales. Dans le bois, la houille, l'huile, le 10 suif, l'esprit de vin, dans tout ce que nous appelons des combustibles, parce qu'on a donné le nom de combustion à ce mariage de l'oxygène avec les autres corps, l'hydro- gène et le charbon se tiennent renfermés, bien sages et bien tranquilles, comme deux enfants qui jouent à la 15 cachette ! ^^ Vous avez joué quelquefois à la cachette. Si quelque mauvais sujet ^^ était venu par derrière avec un tison allumé, qu'auriez-vous fait? Bon gré, mal gré, il aurait bien *^ fallu sortir, et se faire prendre.*^ Eh bien ! c'est ce qui arrive à nos deux amis, quand vous 20 approchez le papier du feu. La chaleur les force a partir, et l'oxygène, qui est toujours là, dans l'air, met la main sur eux. Crac ! ... les voilà mariés,^^ et une belle flamme jaillit en l'air, qui dure jusqu'à ce que tout soit parti. 25 L'hydrogène et le charbon, voilà donc les deux grands combustibles, les deux pères du feu, et comme la nature nous les a prodigués en quantités on peut dire inépui- sables, quand vous entendrez*^ les gens se lamenter, et raconter que le bois s'en va,^^ que la houille diminue, 30 que l'espèce humaine finira par ne plus savoir comment se chauffer, ne vous inquiétez pas le moins du monde.^^ LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION 41 Il y a dans un baquet d'eau plus d'hydrogène qu'il n'en faut pour faire ^^ un grand dîner. Il y a dans les carrières de Montrouge^^ autant et plus de charbon que dans les houillères de Saint-Etienne ; ^^ et quand on aura coupé 5 toutes les forêts des montagnes, ce qu'à Dieu ne plaise,^* savez-vous ce qu'on fera? Eh bien ! on brûlera la mon- tagne. Les montagnes du Jura,^'^ par exemple, pour prendre celles qui s'y prêtent le mieux,^^ sont de grands amas de charbon, sans qu'il y paraisse. Le tout ^^ est 10 de savoir le faire sortir de sa cachette ; mais cela se fera quand on voudra : on a fait déjà des choses plus difficiles. Quant à l'oxygène, que ^^ le charbon vienne d'une bûche ou d'un moellon ; que l'hydrogène sorte d'une chandelle, ou d'un verre d'eau, cela lui est parfaitement indifférent. 15 II ne tient qu'à la personne, et pas du tout à l'origine, et se marie aussi volontiers dans un cas que dans l'autre. Nous voilà revenus ^^ à la respiration, à laquelle j'ai toujours l'air de tourner le dos, et devinez comment nous y voilà revenus ! 20 Quand l'oxygène recueilli par le sang dans les pou- mons arrive avec lui aux organes, savez-vous ce qu'il y trouve? De l'hydrogène et du charbon. — Il se marie donc avec eux? 25 — Oui, ma chère enfant, et il n'entre même dans notre corps que pour cela. Voilà pourquoi, avant de vous expliquer la respiration, il a fallu vous expliquer le feu. Comme je vous le disais, c'est la même chose. Appelez l'air en vous avec le soufflet de la poitrine, ou chassez-le 30 sur le feu avec le soufflet de la cuisine, c'est toujours le roi que vous envoyez à la noce. 42 AN ELEMENTARY FRENCH READER II Nous tenons done maintenant le secret de la respira- tion : l'oxygène se marie dans notre corps avec l'hydro- gène et le charbon. Et pour quoi faire,^^ s'il vous plaît? — Apparemment pour faire du feu, puisqu'il ne se 5 marie pas sans cela.^^ — Maintenant, pourquoi fait-on du feu? Pour avoir chaud,^^ n'est-ce pas? Eh bien ! c'est pour cela que votre corps est chaud absolument comme le poêle de la salle à manger, on 10 l'oxygène de l'air se marie aussi avec l'hydrogène et le charbon du bois. La nature emploie précisément le même procédé pour chauffer au dedans les petites filles, que l'homme pour chauffer ses maisons pendant l'hiver. Supposez donc un petit poêle, avec des petits bras, 15 pour puiser à mesure ^^ dans le panier au bois, et des petites jambes pour aller le remplir quand il se vide : le feu y brûlera toujours, et il sera toujours chaud. Ce petit poêle, c'est vous ; et votre bouche est la petite porte par où entrent constamment, non pas le bois, 20 ce ne serait pas assez amusant, mais l'hydrogène et le charbon, sous forme de pain, de bouillon gras, de gâteaux, de confitures, et de toutes les bonnes choses que l'homme sait faire avec le sticre, la graisse et la farine. Il y a de l'hydrogène et du charbon, dans tout ce que nous man- 25 geons, mais ces trois corps-là sont, avec le vijt, ceux qui en contiennent le plus, et qui sont, par conséquent, nos meilleurs combustibles. — Quoi ! le vin est aussi un combustible? — Oui, mademoiselle.^ Seulement, dans le vin, ce qui 30 LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION 43 est bon à brûler se trouve ^^ mélangé avec beaucoup d'eau, ce qui nous empêche de^^ l'allumer. Mais si l'on retire une partie de cette eau, on a de l'eau-de-vie, qui s'allume déjà très-bien : si l'on retire encore de l'eau-de- 5 vie une partie de l'eau qui y reste, on a de l'esprit-de- vin, qui s'allume encore bien mieux.^^ Si vous avez jamais vu une lampe à esprit-de-vin, vous devez en savoir quelque chose. Jugez de là ^^ quel feu l'esprit-de-vin doit faire dans le corps, même quand il a beaucoup d'eau 10 à côté de lui, car il est bon^^ de vous dire que votre petit poêle est bien supérieur à celui de la salle à manger, et qu'il va chercher, pour les brûler, les plus petites par- celles de combustible, là où '^ l'autre serait quelquefois bien embarrassé pour les trouver. 15 Ce n'est pas tout, et j'ai de bien plus grandes merveilles à vous raconter. Que diriez-vous d'un poêle qui, hiver comme été, la nuit comme le jour, à la pluie comme au soleil, dans les glaces du pôle comme sous le soleil de l'équateur, saurait 20 se maintenir toujours dans le même état, ni plus chaud ni plus froid une minute que l'autre, qu'on ^^ y mette peu ou beaucoup de bois, à un moment donné,'^ et quelque- fois sans qu'on y mette rien du tout^^ pendant des jours entiers? Cela ^ vous paraîtrait digne des contes de 25 fées. Le corps de l'homme est pourtant un poêle de ce genre-là. Mais cela demande une petite explication préalable. C'est bien audacieux à moi,'"* pensez-vous,^^ de décider comme cela que, d'un bout de l'année à l'autre, et d'un 30 bout de la terre à l'autre, le corps humain ne soit jamais ni plus chaud ni plus froid que ne l'est le mien,^^ par ex- emple, ici en ce moment. Chaud et froid, c'est bientôt 44 AJV ELEMENTAR Y FRENCH READER dit; mais du plus au moins la différence exacte n'est pas facile à mesurer, pas facile surtout à conserver dans la mémoire, quand il s'agit de "'^ tant de corps répandus sur toute la surface de la terre. Ce qui est chaud pour l'un"^ d'une certaine façon n'est'pas toujours également chaud 5 pour l'autre, et en supposant qu'un seul et même '^ savant aille faire son inspection par toute la terre à la fois, qui pourrait jamais se rappeler, au mois de juillet, en tou- chant le corps d'un nègre, dans le Sénégal,^^ quelle était, au mois de janvier, le chaleur du corps d'un Esquimau, 10 dans le Groenland? Rassurez-vous.^^ Je n'aurais pas tranché si cavalière- ment la question si l'homme n'avait pas trouvé un moyen infaillible d'apprécier rigoureusement, et toujours de la même façon, quel est le degré de chaleur, ou, en d'autres 15 termes, la température d'un corps. Voyons d'abord quel est ce moyen. Cela nous détourne un peu; mais nous y sommes habitués maintenant; et d'ailleurs, si j'allais tout droit, vous ne pourriez plus me suivre. 20 Vous rappelez-vous avoir eu jamais bien froid? Les mamans ont beau soigner les petites filles,^^ une fois ou l'autre, cela finit toujours par arriver.^^ Ne semble- t-il pas alors que le corps se resserre sur lui-même, et ceux qui grelottent n'ont-ils pas l'air tout ratatinés? 25 Quand il fait bien chaud, au contraire, il semblerait que notre corps s'étale et s'épanouit, et que l'on tient plus de place ^^ qu'auparavant. Tous les corps en sont là.^^ La chaleur les étale, ou, pour dire comme les savants, les dilate ; le froid les resserre ou les contracte. Entre tous, 3° le mercure est un de ceux sur qui cette action du chaud et du froid se fait le mieux sentir, et l'on s'est adressé à LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION 45 lui pour faire le thermomètre, un instrument bien com- mode, dont vous entendrez parler tous les jours de votre vie. Le thermomètre, ou le mesitre-chaletiry consiste en une 5 boule pleine de mercure, et surmontée d'un petit tube de verre très effilé, dans lequel le mercure peut aller et venir. Quand le thermomètre est exposé au chaud, la chaleur fait tenir au mercure plus de place,^^ et il monte dans le tube. Quand le thermomètre est exposé au 'o froid, le mercure revient sur lui-même et descend dans le tube. Maintenant, faites fondre de la glace dans une de vos mains, et essayez de tremper le petit bout de l'autre dans une casserole d'eau bouillante. Vous trouverez une belle 15 différence de température entre les deux ! Cette diffé- rence de température, on est parvenu à la mesurer avec le thermomètre aussi exactement que votre maman mesure une pièce d'étoffe avec son mètre. Voici com- ment. 20 On entoure la boule de glace pilée, et, pendant qu'elle fond, on fait une marque au point oià s'est arrêté le mercure dans sa descente. On plonge ensuite le ther- momètre dans l'eau bouillante. Le mercure monte, monte, et s'arrête enfin à un point qu'il ne dépasse plus. 25 On fait une seconde marque à ce point, et l'on divise tout l'espace compris entre les deux marques en cent parties bien égales, indiquées par autant de petits traits, et que l'on appelle des degrés. Supposez un escalier partant de la cave, oià est la glace fondante, pour aller 30 au grenier, oîi est l'eau bouillante, et donnez-lui cent degrés.^*" Le mercure monte et descend cet escalier, selon que la température qu'il rencontre se rapproche de 46 AN ELEMENTAR Y FRENCH READER celle de l'eau bouillante, ou de celle de la glace fondante, et si vous voulez savoir au juste à quelle distance il est de la cave ou du grenier, vous n'avez qu'à compter les degrés. De là viennent ces expressions que vous en- 5 tendez bien souvent : haute température, basse tempéra- ture. Cela veut dire,^^ température avec laquelle le mercure monte ou descend son escalier. Sur le sol même ^^ de la cave, là oii la glace fond, il n'y a pas encore de degrés ; on a mis là : zéro?^ Puis on 10 compte I, 2, 3, 4, etc., jusqu'à 100, où l'on arrive au grenier, c'est-à-dire à l'eau bouillante. Naturellement, si le thermomètre est exposé à un froid plus grand que celui de la glace fondante, le mercure descendra plus bas que la cave. Aussi bien ^^ l'escalier 15 s'enfonce-t-il ^^ au-dessous, avec des degrés de même taille que les premiers, et l'on compte de nouveau: i, 2, 3, etc., à mesure qu'il descend, en ajoutant, pour distinguer ces degrés-là des autres : aiL-dessoits de zero. On peut aller comme cela jusqu'à 40; mais là, c'est fini. Le 20 mercure gèle. Il s'assied sur son dernier degré, et ne bouge plus. De même, si le thermomètre est exposé à une chaleur plus grande que celle de l'eau bouillante, le mercure montera au-dessus du grenier. Aussi l'escalier continue- 25 t-il plus haut, toujours avec des degrés de même taille, lOi, 102, etc., jusqu'à 350, si l'on veut; mais pas plus loin, par exemple.^^ Si la température haussait davan- tage, le mercure se mettrait à bouillir, et, ma foi ! adieu pour ^* les degrés. Il danserait si bien qu'il n'y aurait 30 plus moyen ^^ de rien distinguer, sans compter qu'il s'envolerait.^^ Maintenant, rien n'est plus facile que de se servir du LA COMBUSTION' ET LA RESPIRATION 47 thermomètre. On le place dans l'endroit dont on veut mesurer la chaleur, et le mercure monte ou descend de lui-même jusqu'à ce qu'il ait atteint le degré qui corres- pond à la température de l'endroit. C'est bien plus commode que le mètre de votre maman, qu'il faut pro- 5 mener ^"^ sur l'étoffe, et qui est toujours prêt à glisser, si on ne le tient pas avec soin. Les couturières seraient bien contentes d'avoir un mètre qu'il suffirait de poser sur l'étoffe, et qui se déroulerait tout seul pour s'arrêter ^^ juste à la mesure qu'on lui demande. Le thermomètre 10 fait un service de ce genre-là. Nous sommes aujourd'hui au 30 novembre. Je viens de le porter ^^ dehors: le mercure est allé se mettre sur le 2e degré mi-dessoîis du zéro. Cela m'apprend qu'il gèle. Mes doigts me l'avaient dit déjà; mais jusqu'à 15 quel point au juste, ils n'en savaient trop rien.^^^ Tout à l'heure,^^^ dans la chambre, le mercure était sur le 15^ degré au-dessus du zéro, grâce au poêle qui brûle tout doucement. Pendant l'été, il monte jusqu'au 25^, au 26^^ au 28^ degré. Je l'ai vu, l'été dernier, grimper jusqu'au 20 33 degré, à l'ombre, entendons-nous,^^^ car, au soleil, c'est bien autre chose. Ce n'était qu'un cri général ^^^ contre la chaleur. Les grandes demoiselles auxquelles j'essaye d'apprendre,^^* comme à vous,^^^ toutes sortes de choses, prétendaient qu'on ne pouvait plus travailler. Eh bien ! 25 je trouverais une chaleur encore plus forte, si je mettais le thermomètre dans mon corps. Rassurez-vous ; je n'y ferai pas de trou : le trou est tout fait. Je mettrai la boule dans ma bouche. Je n'ai presque pas besoin de regarder. Le mercure s'était déjà mis en route sur son 3° escalier, sitôt que la boule a été dans ma main ; main- tenant le voilà arrivé ^^^ au 37® degré ! 48 AN ELEMENTARY FRENCH READER Vous pouvez essayer sur vous-même, mais je vous préviens : il doit faire ^^^ un peu plus chaud chez vous ; ^^^ le mercure pourrait bien monter d'un degré de plus. Dans la bouche de votre grand-papa, je ne dis pas ^^^ 5 qu'il ne descendra pas d'un degré ; mais voilà tout. D'une bouche à l'autre, il y a, entre le 38^ et le ^^6^ degré, une petite place pour jouer ; mais il ne peut guère plus en sortir qu'une chèvre à l'attache ne peut dépasser le cercle que fait sa corde, en tournant autour du piquet. 10 Faites le tour de la terre ^^^ avec votre thermomètre, et promenez-le ^^^ dans toutes les bouches, vous trouverez partout le mercure à son poste. La corde qui le tient est un peu élastique, comme tout ce qui est en nous ; mais s'il franchit par hasard ^^^ sa limite d'un degré en 15 dessus, ou en dessous, ce sera tout aussi extraordinaire que de rencontrer un géant de 8 pieds, ou un nain de 3 pieds, ce qui se voit^^^ pourtant, bien que la règle pour la taille humaine soit de tourner autour de 5 pieds. Du moment qu'il y a^-^* en nous un feu toujours allumé, 20 il n'est plus difficile de comprendre comment notre corps s'entretient toujours chaud. Il est bien entendu, par ex- emple,^^^ que le feu devra être ^^^ plus vif en hiver qu'en été, et l'on n'a pas même besoin d'en être averti : la nature y a pourvu.^^'' Elle nous donne plus d'appétit quand il fait 25 froid que quand il fait chaud. Mais de l'hiver à l'été, la différence n'est pas assez sensible chez nous,^^^ parce que notre corps conserve les habitudes prises,^^^ et qu'il ré- clame assez volontiers la même ration quotidienne, même sans en avoir le même besoin. Pour se rendre bien 30 compte du rapport ^^^ qui s'établit entre le besoin intérieur de nourriture, c'est-à-dire de combustible, et la tempéra- ture extérieure, il faut mettre en regard l'Indou qui vit LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION 49 avec une pincée de riz par jour, entre le tropique et l'équateur, et l'Esquimau, qui, pour entretenir ses 37 de- grés de chaleur, au-delà du cercle polaire, dans un pays où les voyageurs européens ont vu le mercure geler, absorbe quelquefois dans une séance, ^^^ 10 et 15 litres 5 d'huile de baleine. C'est encore bien plus mauvais que l'huile de foie de morue, si vous en avez jamais bu ; mais, en revanche, c'est un parfait combustible, et les pauvres gens n'y regardent pas de si près : ^^ coûte que coùte,^^'^ il faut faire marcher le feu, et rondement. Et sans aller 10 ainsi aux extrêmes, un de mes amis^^^ me racontait, la semaine dernière, que dans le Portugal, le pays des oranges, il n'est pas rare de voir les messieurs et les dames, c'est-à-dire ceux qui peuvent manger à leur ap- pétit, dîner debout, en cinq minutes, avec un morceau de 15 pain et la première chose venue. ^^^ Tout cela va de soi,^^^ et, sans être bien malins,^'^''' nous en faisons autant. ^^^ Quand, au mois de janvier, nous aurons 12 ou 15 degrés au-dessous de zéro, je mettrai plus de bois dans mon poêle que je n'en mets aujourd'hui, 20 avec mes deux pauvres petits degrés de froid. Aussi bieh ^^^ ce n'est pas là qu'est le merveilleux.^^^ Le merveilleux, le voici. ^^^ L'Anglais s'en va dans l'Inde. Il y apporte son rosbif et son rhum, et bourre tranquillement son poêle, par une 25 chaleur de plus de 30 degrés, à peu près de la même façon qu'il le faisait dans son pays. Vous croyez qu'il va mettre le feu à la maison.^^^ Pas du tout. Envoyez le thermomètre aux informations dans sa bouche, il ne marquera que 37 degrés, ni plus ni moins que chez les 30 mangeurs de riz. Le poêle est plus intelligent que son propriétaire. Il ne brûle que juste ce qu'il lui faut d'hyr 4 50 AN ELEMENTARY FRENCH READER drogène et de charbon, et du reste il ne s'inquiète pas plus que s'il n'avait pas été mangé. — Mais ce reste, me direz-vous, s'il n'est pas brûlé, que devient-il ?-^^^ 5 L'hydrogène et le charbon que l'oxygène ne brûle pas dans le sang, le foie s'en empare et lui trouve un emploi dans la fabrication de la bile. Donc, plus il y a d'hydro- gène et de charbon sans emploi dans le sang, plus le foie fabrique de bile, et voilà tout. Une fois le corps à son 10 point de chaleur, on a beau y accumuler le combus- tible,^^* il n'y fera pas plus chaud. Seulement on aura taillé plus de besogne au foie, et c'est au pauvre diable à s'en tirer comme il pourra.^^^ Aussi qu'arrive-t-il à la longue ^^^ à nos grands mangeurs britanniques? Le fa- is bricant de bile qu'ils écrasent de travail, s'épuise et re- gimbe à la fin, et ils s'en retournent chez eux^^^ avec une maladie du foie. Voilà une première explication de ce merveilleux équilibre de température que l'imprévoyance humaine 2o ne peut heureusement parvenir à déranger. Mais le sang a encore une autre ressource pour se débarrasser de son trop-plein d'hydrogène et de charbon, et c'est ici surtout qu'éclate la prévoyance admirable avec laquelle toutes choses ont été arrangées en nous. On raconte 25 des loups que, quand ils ont sous la dent^^^ un morceau plus gros que leur appétit, ils vont enterrer dans un coin ce qu'ils ont de trop, pour le retrouver quand la faim sera revenue. Le sang a le même instinct. Ecoutez- bien, ceci est intéressant. 30 J'allume une chandelle. Dites-moi d'où provient cette flamme brillante qui va durer tant qu'il restera -^^^ un peu de suif au bout de la mèche. LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION 51 Pourquoi riez-vous? Je suis tout à fait dans le sujet. Nous savons, n'est-ce pas? que^^^ les corps qui brû- lent le mieux ^^^ sont ceux qui sont remplis d'hydrogène et de charbon. Le suif est donc un de ces corps-là. Et qu'est-ce que le suif, s'il vous plaît? 5 C'est la graisse du mouton, si vous ne le saviez ipas encore. Maintenant, qui a mis dans la graisse de mouton tant d'hydrogène et de charbon qu'elle soit bonne à faire des chandelles? 10 Le sang du mouton apparemment, puisque le sang est le fournisseur général du corps, de celui du mouton, comme du nôtre. Et comment le sang du mouton en avait-il une si grande provision? 15 Apparemment encore parce qu'il y en avait davan- tage dans ce que le mouton avait mangé que l'oxygène n'avait pu en brûler, et le foie en consommer. En effet, le mouton a des poumons et une fabrique de bile comme nous ; l'oxygène y fait le même métier que chez nous ; 20 ce qui se passe dans son corps, en fait de respiration, n'est que la reproduction fidèle de ce qui se passe dans le nôtre, et l'histoire de sa graisse est purement et sim- plement l'histoire de la nôtre. Or, croyez-vous que ce soit à notre intention ^^^ que 25 le sang du mouton dépose ainsi sa graisse par petites pelotes dans tout son corps, et qu'il travaille ainsi unique- ment pour avoir l'honneur de nous approvisionner de chandelles? Ce n'est pas probable. Je vous parlais du loup tout à l'heure ; ^^^ mais nous n'avons pas besoin 30 d'aller si loin. Dans bien des cabanes de paysans, il y a quelque part un vieux pot de terre où viennent s'en- 52 AN ELEMENTARY FRENCH READER tasser sou ^^^ à sou les économies de chaque jour, res- source extrême pour les grandes occasions. Qu'un méchant larron vienne à tuer^^^ le propriétaire et à mettre la main sur^^^ le magot, il gaspillera, en quel- ques heures de brillante orgie, le précieux trésor si lentement amassé en prévision d'obscurs besoins. Ainsi fait l'homme quand il tue le mouton, et qu'il prend sa graisse pour en faire des chandelles. Le sang du pauvre animal savait bien qu'il pouvait ^^' venir de mauvais jours,^^^ que l'herbe pouvait , manquer, le combustible envoyé dans le corps devenir insuffisant pour entretenir ses 39 ou 40 degrés de chaleur (c'est la mesure du mou- ton, qui est un peu plus chaud que nous). En consé- quence, il avait fait tout doucement ses provisions de combustible, placées bien à sa portée,^^^ et destinées à être brûlées à petit feu ^^^ dans les profondeurs des organes, aux heures de disette.^^^ Survient l'homme, le larron universel de la nature, qui en fait une belle flamme, sans calculer la dépense, et brûle en une soirée les longues économies de sa victime. Mais brûler pour brûler, ^^^ c'était toujours la destinée du suif; il n'y a de différence que dans la façon. C'est comme les gros sous ^^^ du paysan, qui avaient été mis là pour être dépensés plus tard, mais seulement d'une autre manière. Notez que 25 les soldats russes, qui sont venus chez nous ^^^ en 18 15, savaient très-bien rendre la chandelle à sa destination première. En leur qualité d'enfants ^^^ du Nord, habi- tués à faire feu de tout bois,^^^ tout ce qu'ils pouvaient voler de bouts de chandelles, ils le mangeaient,-^" pré- 30 férant brûler le suif à la façon du mouton: en dedans. La graisse est donc la caisse d'épargne du sang. Il y dépose ses économies, et sait parfaitement les retrouver 20 LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION 53 au besoin, témoin ^^^ ce porc gras dont parle Liebig, un célèbre chimiste allemand, lequel, englouti par un éboulement, fut retrouvé vivant au bout de i6o jours. De graisse, il n'en était plus question,^^^ par exemple : l'animal pesait 60 kilos de ^^^ moins. Nous en croirons 5 l'illustre savant sur parole.^^^ Mais il y aurait ^^^ quelques jours à retrancher du compte que ce serait encore un bel exemple de la ressource que le sang trouve dans la graisse, à défaut de nourriture ; car le porc avait certainement respiré d'un bout à l'autre de ces 160 jours, et pour avoir 10 marché,^^'^ selon toute probabilité, beaucoup plus douce- ment qu'à l'ordinaire, son feu d'hydrogène et de charbon ne s'était ^^* pas éteint une seule minute : cela, j'en suis parfaitement sûr. Bien lui avait pris à celui-là ^^^ d'avoir mis des provisions de côté, dans les jours d'abondance ; 15 et qui fut attrapé? Ce fut le maître du porc, qui se faisait fête à l'avance ^^^ de se tailler des tranches de lard ^^' dans ses magasins de combustible. Cette fois, maître porc ^^^ mangea lui-même son propre lard. Vous comprenez maintenant, je l'espère, par quelle 20 ingénieuse combinaison ce poêle merveilleux, qui s'ap- pelle un animal, ne brûle jamais trop de combustible, quelle que soit ^^^ la quantité qu'il en reçoit, et comment, en retour, il en a toujours assez. JEAN MACE. JEAN MACE (1815-1894) Ecrivain et homme politique français. Il débuta jeune dans la carrière de l'enseignement, et passa ensuite dans le journalisme. Républicain convaincu, il fut obligé de quitter cette dernière carrière 54 AN ELEMENTARY FRENCH READER après le coup d'Etat du 2 décembre 1851. Il alla s'établir en Alsace, et c'est là qu'il acquit la célébrité par les méthodes nou- velles d'enseignement qu'il appliqua au pensionnat de Bebberheim, et par une série d'ouvrages de vulgarisation scientifique, V Histoire d'une Bouchée de Pai?t, U Arith7nétique du Grand-papa^ Les Serviteurs de P Estomac, etc. En 1866 il fonda la "Ligue de l'Enseignement." Il fut élu sénateur le 8 décembre 1883. LE CHIEN 55 III LE CHIEN Le chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards^ de l'homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage redoutable à 5 tous les animaux, et cède dans le chien domestique aux sentiments les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire; il vient en rampant mettre aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talents ; il attend ses ordres pour en faire usage ; il le consulte, il Tinter- 10 roge, il le supplie ; un coup d'œil suffit, il entend les signes de sa volonté. Sans avoir,^ comme l'homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment; il a de plus que lui ^ la fidéhté, la constance dans ses affections : nulle ambition, nul intérêt, nul désir de ven- 15 geance, nulle crainte que* celle de déplaire; il est tout zèle, tout ardeur, et tout obéissance. Plus sensible^ au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitements ; il les subit, les oublie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davan- 20 tage : loin de s'irriter ou de fuir, il s'expose de lui-même^ à de nouvelles épreuves ; il lèche cette main, instrument de douleur, qui vient de le frapper ; '' il ne lui oppose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission. 25 Plus docile que Thomme, plus souple qu'aucun des 56 AN ELEMENTARY FRENCH READER animaux, non seulement le chien s'instruit en peu de temps, mais même il se conforme aux mouvements, aux manières, à toutes les habitudes de ceux qui le com- mandent: il prend le ton de la maison qu'il habite; 5 comme les autres domestiques, il est dédaigneux chez les grands, et rustre à la campagne. Toujours empressé pour son maître et prévenant pour ses seuls amis,^ il ne fait aucune attention aux gens indifférents, et se déclare contre ceux qui par état ne sont faits que pour impor- 10 tuner ; il les connaît aux vêtements, à la voix, à leurs gestes, et les empêche d'approcher. Lorsqu'on lui a confié pendant la nuit la garde de la maison, il devient plus fier, et quelquefois féroce ; il fait la ronde ; il sent de loin les étrangers; et pour peu qu'ils s'arrêtent^ ou 15 tentent de franchir les barrières, il s'élance, s'oppose, et, par des aboiements réitérés, des efforts et des cris de colère, il donne l'alarme, avertit et combat : aussi furieux contre les hommes de proie ^^ que contre les animaux carnassiers, il se précipite sur eux, les blesse, les déchire, 20 leur ôte ce qu'ils s'efforçaient d'enlever; mais content d'avoir vaincu, il se repose sur les dépouilles, n'y touche pas, même pour satisfaire son appétit, et donne en même temps des exemples de courage, de tempérance et de fidélité. 25 On sentira ^^ de quelle importance cette espèce est dans l'ordre de la nature, en supposant un instant qu'elle n'eût jamais existé. Comment l'homme aurait-il pu, sans le secours du chien, conquérir, dompter, réduire en esclavage les autres animaux? Comment pourrait-il 30 encore aujourd'hui découvrir, chasser, détruire les bêtes sauvages et nuisibles? Pour se mettre en sûreté, et pour se rendre maître ^^ de l'univers vivant, il a fallu com- LE CHIEN 57 mencer par se faire un parti ^^ parmi les animaux, se concilier avec douceur et par caresses ceux qui se sont trouvés^* capables de s'attacher et d'obéir, afin de les opposer aux autres. Le premier art de l'homme a donc été l'éducation du chien, et le fruit de cet art la con- quête et la possession paisible de la terre. BUFFON. GEORGES LOUIS LECLERC, COMTE DE BUFFON (1707-1788) CÉLÈBRE naturaliste français, né à Montbard, en Bourgogne. Il demeura pendant quelque temps en Italie et en Angleterre. Nommé en 1739 intendant du jardin royal, Membre de l'Académie Française et de l'Académie des Sciences, Buffon appartient à cette famille de savants et d'érudits dont les ouvrages sont non moins remarquables par leur qualités techniques que par leurs qualités littéraires. Ses principaux ouvrages sont: V Histoire naturelle^ Les Époques de la Nature^ Discours sur le Style. 58 AN ELEMENTARY FRENCH READER IV L'AVARE Harpagon. — Valère, aide-moi à ceci. Oh çà,^ maître Jacques, approchez-vous ; je vous ai gardé pour le dernier. Maître Jacques. — Est-ce à votre cocher, monsieur, ou 5 bien à votre cuisinier, que vous voulez parler? car je suis l'un et l'autre.^ Harpagon. — C'est à tous les deux.^ Maître Jacques. — Mais à qui des deux le premier? Harpagon. — Au cuisinier, lo Maître Jacques. — Attendez donc, s'il vous plaît. (Maure Jacques ôte sa casaque de cocher, et paraît vétîi en cuisinier?) Harpagon. — Quelle diantre de cérémonie est-ce là?^ Maître Jacques. — Vous n'avez qu'à parler.^ 15 Harpagon. — Je me suis engagé, maître Jacques, à donner ce soir à souper. Maître Jacques, à part. — Grande merveille ! Harpagon. — Dis-moi un peu : ^ nous feras-tu bonne chère? 20 Maître Jacques. — Oui, si vous me donnez bien de l'argent. Harpagon. — Que diable ! ' toujours de l'argent ! Il semble ^ qu'ils n'aient autre chose à dire : de l'argent, de l'argent, de l'argent ! Ah ! ils n'ont que ce mot à la 25 bouche, de l'argent ! toujours parler d'argent ! Voilà leur épée de chevet,^ de l'argent ! n AVARE 59 Valère. — Je n'ai jamais vu de réponse plus imperti- nente que celle-là. Voilà une belle merveille de faire bonne chère avec bien de l'argent ! C'est une chose la plus aisée du monde, et il n'y a si pauvre esprit ^^ qui n'en fît bien autant; mais, pour agir en habile homme, 5 il faut parler de faire bonne chère avec peu d'argent. Maître Jacques. — Bonne chère avec peu d'argent? yalère. — Oui. Maître Jacques, à Valère. — Par ma foi, monsieur l'in- tendant,^^ vous nous obligerez de nous faire voir ce 10 secret, et de prendre mon office de cuisinier; aussi bien vous mêlez-vous céans d'être le factoton. Harpagon. — Taisez-vous. Qu'est-ce qu'il vous faudra ? Maître Jacques. — Voilà monsieur votre intendant, qui vous fera bonne chère pour peu d'argent. 15 Harpagon. — Haye ! ^^ je veux que tu me répondes. Maître Jacques. — Combien serez-vous de gens à table? Harpagon. — Nous serons huit ou dix; mais il ne faut prendre que huit. Quand il y a à manger ^^ pour huit, il y en a bien pour dix. 20 Valère. — Cela s'entend.^* Maître Jacques. — Hé bien ! il faudra quatre grands potages 1^ et cinq assiettes. . . . Potages . . . Entrées. . . . Harpagon. — Que diable ! voilà pour traiter une ville entière. 25 Maître Jacques. — Rôt. ... Harpagon, lid mettant la main sur la bouche. — Ah ! traître, tu manges tout mon bien. Maître Jacques, — Entremets. . . . Harpagon, mettant encore la main sur la bouche de 30 maître Jacques. — Encore ? Valère, à maître Jacques. — Est-ce que vous avez 6o AN ELEMENTAR Y FRENCH READER envie de faire crever ^^ tout le monde? et monsieur ^^ a-t-il invité des gens pour les assassiner à force de man- geaille? Allez-vous-en lire un peu^^ les préceptes de la santé, et demander aux médecins s'il y a rien de plus 5 préjudiciable à l'homme que de manger avec excès. Harpagon. — Il a raison. Valère. — Apprenez, maître Jacques, vous et vos pareils, que c'est un coupe-gorge qu' ^^ une table remplie de trop de viandes ; que pour se bien montrer ami de 10 ceux que l'on invite, il faut que la frugalité règne dans les repas qu'on donne; et que, suivant le dire d'un ancien, il faut manger pour vivre ^ et non pas vivre pour manger. Harpagon. — Ah ! que cela est bien dit ! Approche, que je t'embrasse ^^ pour ce mot. Voilà la plus belle 15 sentence que j'aie entendue de ^^ ma vie : // faut vivre pour manger, et non pas manger pour vi. . . . Non, ce n'est pas cela. Comment est-ce que tu dis? Valère. — Qu'/'/ faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger. 20 Harpagon, à maître JacqiLes. — Oui. Entends-tu? i^A Valère?) Qui est le grand homme qui a dit cela? Valère. — Je ne me souviens pas maintenant de son nom. Harpagon. — Souviens-toi de m'écrire ces mots : je les 25 veux faire graver en lettres d'or sur la cheminée de ma salle. Valère. — Je n'y manquerai pas.^^ Et pour votre souper, vous n'avez qu'à me laisser faire ; ^^ je réglerai tout cela comme il faut. 30 Harpagon. — Fais donc. Maître Jacques. — Tant mieux ! ^4 j'en aurai moins de peine. VA FARE 6i Harpagon, à Valèî^e. — Il faudra de ces choses dont on ne mange guère, et qui rassasient d'abord ; quelque bon haricot bien gras,^^ avec quelque pâté en pot bien garni de marrons. ^^ Valère. — Reposez-vous sur moi. 5 Harpagon. — Maintenant, maître Jacques, il faut net- toyer mon carrosse. Maître Jacques. — Attendez ; ceci s'adresse au cocher. {Maître Jacqites remet sa casaque.) Vous dites. ... ? Harpagon. — Qu'il faut nettoyer mon carrosse, et lo tenir mes chevaux tout prêts pour conduire à la foire. . . . Maître Jacques. — Vos chevaux, monsieur? Ma foi ! ils ne sont pas du tout en état de marcher. Je ne vous dirai point qu'ils sont sur la litière : ^^ les pauvres bêtes n'en ont point, et ce serait mal parler ; mais vous leur 15 faites observer des jeûnes si austères, que ce ^^ ne sont plus rien que des idées ou des fantômes, des façons de chevaux. Harpagon. — Les voilà bien malades ! ^^ Ils ne font rien. Maître Jacques. — Et pour ^^ ne faire rien, monsieur, ^o est-ce qu'il ne faut rien manger? Il leur vaudrait bien mieux,^^ les pauvres animaux, de travailler beaucoup, de manger de même. Cela me fend ^^ le cœur, de les voir ainsi exténués. Car, enfin, j'ai une tendresse ^^ pour mes chevaux, qu'il me semble que c'est moi-même, quand je 25 les vois pâtir. Je m'ôte tous les jours pour eux les choses de la bouche ; ^^ et c'est être, monsieur, d'un naturel trop dur, que de n'avoir nulle pitié de son prochain.^^ Harpagon. — Le travail ne sera pas grand, d'aller jus- 3° qu'à la foire. Maître Jacques. - — Non, monsieur, je n'ai pas le cou- 62 AN ELEMENTARY FRENCH READER rage de les mener, et je ferais conscience "^^ de leur donner des coups de fouet, en l'état oii ils sont. Comment vou- driez-vous qu'ils traînassent un carrosse? Ils ne peuvent pas se traîner eux-mêmes. 5 Valère. — Monsieur, j'obligerai le^" voisin Picard à se charger de les conduire ; aussi bien nous fera-t-il ici besoin ^^ pour apprêter le souper. Maître Jacques. — Soit ! ^^ J'aime mieux encore qu'ils meurent sous la main d'un autre, que sous la mienne. 10 Valère. — Maître Jacques fait^^ bien le raisonnable ! Maître Jacques. — Monsieur l'intendant fait bien le nécessaire ! Harpagon. — Paix ! Maître Jacques. — Monsieur, je ne saurais souffrir ^^ 15 les flatteurs; et je vois que ce qu'il en fait,^^ que ses contrôles perpétuels sur le pain et le vin, le bois, le sel et la chandelle, ne sont rien que pour vous gratter et vous faire sa cour. J'enrage de cela ; et je suis fâché tous les jours d'entendre ce qu'on dit de vous ; car, en- 20 fin, je me sens pour vous de la tendresse, en dépit que j'en aie ; ^"^ et, après mes chevaux, vous êtes la personne que j'aime le plus. Harpagon. — Pourrais-je savoir de vous, maître Jacques, ce que l'on dit de moi? 25 Maître Jacques. — Oui, monsieur, si j'étais assuré que cela ne vous fâchât point. Harpagon. — Non, en aucune façon.** Maître Jacques. — Pardonnez-moi ; je sais fort bien que je vous mettrais en colère. 30 Harpagon. — Point du tout. Au contraire, c'est me faire plaisir, et je suis bien aise d'apprendre comme on parle de moi. IJA VARE 63 Maître Jacques. — Monsieur, puisque vous le voulez, je vous dirai franchement qu'on se moque partout de vous, qu'on nous jette de tous côtés cent brocards à votre sujet,^'"* et que l'on n'est point plus ravi que de vous tenir au cul et aux chausses,^*^ et de faire sans cesse des contes 5 de votre lésine. L'un dit que vous faites imprimer des almanachs particuliers,^' où vous faites doubler les quatre- temps^^ et les vigiles, afin de profiter des jeunes oii vous obligez votre monde ; ^^ l'autre, que vous avez toujours une querelle toute prête à faire à vos valets dans le temps 10 des étrennes ou de leur sortie d'avec vous,^^ pour vous trouver une raison de ne leur donner rien. Celui-là conte qu'une fois vous fîtes assigner le chat d'un de vos voisins, pour vous avoir mangé un reste d'un gigot de mouton; celui-ci que l'on vous surprit, une nuit, en 15 venant dérober vous-même l'avoine de vos chevaux ; et que votre cocher, qui était celui d'avant moi, vous donna dans l'obscurité, je ne sais combien de coups de bâton dont vous ne voulûtes rien dire. Enfin, voulez-vous que je vous dise?^^ On ne saurait ^^ aller nulle part, oii l'on 20 ne vous entende accommoder de toutes pièces.^^ Vous êtes la fable et la risée de tout le monde ; et jamais on ne parle de vous que sous les noms d'avare, de ladre, de vilain et de fesse-mathieu. Harpagon, en battarit maître Jacques. — Vous êtes un 25 sot, un maraud, un coquin et un impudent. Maître Jacques. — Hé bien ! ne l'avais-je pas deviné? Vous ne m'avez pas voulu croire.^* Je vous avais bien dit que je vous fâcherais de vous dire la vérité. Harpagon. — Apprenez à parler. 3° MOLIÈRE, 64 AN ELEMENTARY FRENCH READER MOLIÈRE (1622-1673) Jean-Baptiste Poquelin, qui prit plus tard le nom de Molière^ était fils d'un tapissier, titulaire de la charge héréditaire de valet de chambre du roi. Après d'excellentes études au collège de Clermont, abandonnant la carrière paternelle, il se fit comédien et organisa une troupe d'acteurs avec laquelle il se mit à voyager à travers la France. D'une activité infatigable, à la fois directeur, auteur, et acteur, Molière acquit ainsi une connaissance complète de l'art du théâtre. De plus, pendant les douze années qu'il consacra à voyager avec sa troupe dans toutes les provinces de la France, doué comme il l'était de la faculté d'observer et d'étudier les hommes, il recueil- lit dans les milieux si variés oii il vécut de précieux renseignements sur les vices et les travers de l'humanité. C'est ce qui explique la vérité et la profondeur des caractères immortels qu'il a créés. De retour à Paris, où il se fixa avec sa troupe, il donna, en 1659, Les Précieuses Ridicules, pièce qui obtint un très grand succès et rendit Molière désormais célèbre. Il obtint bientôt la protection de Louis XIV, grâce à laquelle il put résister aux ennemis que ses comédies lui avaient faits. Parmi ses nombreuses comédies, les plus célèbres sont : L' École des Femmes, Le Ta7'tuffe, Le Misan- tk7'0pe, L'Avare, Les Feîmnes Savantes, Le Bourgeois Gentilhoimne. LES OISEAUX 65 LES OISEAUX L'oiseau, je le §outiens, est l'être supérieur dans la création. Son organisation est admirable. Son vol le place matériellement au-dessus de l'homme, et lui crée une puissance vitale que notre génie n'a pu encore nous faire acquérir. Son bec et ses pattes possèdent une 5 adresse inouïe. Il a des instincts d'amour conjugal, de prévision et d'industrie domestique ; son nid est un chef- d'œuvre d'habileté, de sollicitude et de luxe délicat. C'est la principale espèce o\x le mâle aide la femelle dans les devoirs de la famille, et où le père s'occupe, comme 10 l'homme, de construire l'habitation, de préserver et de nourrir les enfants. L'oiseau est chanteur, il est beau, il a la grâce, la souplesse, la vivacité, l'attachement, la morale, et c'est bien à tort qu'on en a fait souvent le type de l'inconstance. En tant que l'instinct de fidélité 15 est départi à la bête, il est le plus fidèle des animaux. Dans la race canine si vantée, la femelle seule a l'amour de la progéniture, ce qui la rend supérieure au mâle ; chez l'oiseau, les deux sexes, doués d'égales vertus, offrent l'exemple de l'idéal dans l'hyménée. Qu'on ne 20 parle donc pas ^ légèrement des oiseaux. Il s'en faut de fort peu qu'ils ne nous valent; ^ et, comme musiciens et poètes, ils sont naturellement mieux doués que nous. L'homme-oiseau, c'est l'artiste. Puisque je suis sur le chapitre des oiseaux,^ je citerai 25 un trait dont j'ai été témoin et que j'aurais voulu racon- 5 66 AN ELEMENTARY FRENCH READER ter à Buffon/ ce doux poète de la nature. J'élevais deux fauvettes de différents nids et de différentes vari- étés, l'une à poitrine jaune,^ l'autre à corsage gris. La poitrine jaune, qui s'appelait Jonquille, était de ^ quinze 5 jours plus âgée que la poitrine grise, qui s'appelait Agathe. Quinze jours pour une fauvette (la fauvette est le plus intelligent et le plus précoce de nos petits oiseaux), cela équivaut à dix ans pour une jeune personne." Jon- quille était donc une fillette fort gentille, encore mai- 10 grette^ et mal emplumée, ne sachant voler que d'une branche à l'autre, et même ne mangeant point seule; car les oiseaux que l'homme élève se développent beau- coup plus lentement que ceux qui s'élèvent à l'état sau- vage. Les mères fauvettes sont beaucoup plus sévères 15 que nous, et Jonquille aurait mangé seule quinze jours plus tôt, si j'avais eu la sagesse de l'y forcer en l'aban- donnant à elle-même et en ne cédant pas à ses impor- tunités. Agathe était une petite enfant insupportable. Elle ne 20 faisait que remuer, crier, secouer ses plumes naissantes et tourmenter Jonquille, qui commençait à réfléchir et à se poser des problèmes, une patte rentrée sous le duvet de sa robe, la tête enfoncée dans les épaules, les yeux à demi fermés. 25 Pourtant elle était encore très petite fille,^ très gour- mande, et s'efforçait de voler jusqu'à moi pour manger à satiété, dès que j'avais l'imprudence de la regarder. Un jour, j'écrivais je ne sais quel roman qui me pas- sionnait un peu ; ^^ j'avais placé à quelque distance la 30 branche verte sur laquelle perchaient et vivaient en bonne intelligence mes deux élèves. ^^ Il faisait -^'^ un peu frais. Agathe, encore à moitié nue, s'était serrée et LES OISEAUX 67 blottie sous le ventre ^^ de Jonquille, qui se prêtait à ce rôle de mère avec une complaisance généreuse. Elles se tinrent tranquilles toutes les deux^* pendant une demi- heure, dont je profitai pour écrire ; car il était rare qu'elles me permissent tant de loisir dans la journée. 5 Mais enfin l'appétit se réveilla, et Jonquille, sautant sur une chaise, puis sur ma table, vint efi"acer le dernier mot au bout de ma plume, tandis qu' Agathe, n'osant ^^ quitter la branche, battait des ailes et allongeait de mon côté son bec entr'ouvert avec des cris désespérés. 10 J'étais au milieu de mon dénouement, et pour la pre- mière fois je pris de l'humeur contre Jonquille. Je lui fis observer qu'elle était d'âge à manger seule, qu'elle avait sous le bec une excellente pâtée dans une jolie soucoupe, et que j'étais résolue à ne point fermer les 15 yeux plus longtemps ^^ sur sa paresse. Jonquille, un peu piquée et têtue, prit le parti ^'' de bouder et de retourner sur sa branche. Mais Agathe ne se résigna pas de même, et, se tournant vers elle, lui demanda à manger avec une insistance incroyable. Sans doute, elle lui parla avec 20 une grande éloquence, ou, si elle ne savait pas encore bien s'exprimer, elle eut dans la voix des accents à dé- chirer ^^ un cœur sensible. Moi, barbare, je regardais et j'écoutais sans bouger, étudiant l'émotion très visible de Jonquille, qui semblait hésiter et se livrer un combat 25 intérieur fort extraordinaire.^^ Enfin elle s'arme de résolution ; vole d'un seul élan jusqu'à la soucoupe, crie un instant, espérant que la nourriture viendra d'elle-même à son bec ; puis elle se décide et entame la pâtée. Mais, ô prodige de sensi- 3° bilité ! elle ne songe pas à apaiser sa propre faim, elle remplit son bec, retourne à la branche et fait manger 68 AN ELEMENTARY FRENCH READER Agathe avec autant d'adresse et de propreté que si elle eût été déjà mère. Depuis ce moment Agathe et Jonquille ne m'impor- tunèrent plus, et la petite fut nourrie par l'aînée, qui s'en 5 tira bien mieux que moi, car elle la rendit propre, lui- sante, grasse, et sachant se servir elle-même ^^ beaucoup plus vite que je n'y serais parvenue. Ainsi cette pau- vrette^^ avait fait de sa compagne une fille adoptive, elle qui n'était encore qu'une enfant, et elle n'avait appris à 10 se nourrir elle-même que poussée et vaincue par un senti- ment de charité maternelle envers sa compagne. Un mois après, Jonquille et Agathe, toujours insé- parables, quoique de même sexe et de variétés différentes, vivaient en pleine liberté sur les grands arbres de mon 15 jardin. Elles ne s'écartaient pas beaucoup de la maison, et elles élisaient leur domicile de préférence sur la cime d'un grand sapin. Elles étaient longuettes, lisses, et fraîches. Tous les jours,^^ comme c'était la belle sai- son '^^ et que nous mangions en plein air,^* elles descen- 20 daient à tire-d'aile '^^ sur notre table, et se tenaient autour de nous comme d'aimables convives, tantôt sur une branche voisine, tantôt sur notre épaule, tantôt volant au-devant du domestique qui apportait les fruits, pour les goûter sur l'assiette avant nous. 25 Malgré leur confiance en nous tous, elles ne se lais- saient prendre ^^ et retenir que par moi, et, à quelque moment que ce fût de la journée, elles descendaient du haut de leur arbre à mon appel, qu'elles connaissaient fort bien et ne confondaient jamais avec celui des autres 30 personnes. Ce fut une grande surprise pour un de mes amis^" qui arrivait de Paris que de m'entendre^^ appeler des oiseaux perdus dans les hautes branches, et de les LES OISEAUX 69 voir accourir immédiatement. Je venais de parier ^^ avec lui que je les ferais obéir, et, comme il n'avait pas assisté à leur éducation, il crut un instant à quelque diablerie. J'ai eu aussi un rouge-gorge qui, pour l'intelligence et la mémoire, était un être prodigieux; un milan royal,^^ 5 qui était une bête féroce pour tout le monde, et qui vivait avec moi dans de tels rapports d'intimité qu'il se perchait sur le bord du berceau de mon fils, et, de son grand bec, tranchant comme un rasoir, il enlevait déli- catement et avec un petit cri tendre et coquet les mouches 10 qui se posaient sur le visage de l'enfant. Il y mettait tant d'adresse et de précaution qu'il ne le réveilla jamais. Ce monsieur était pourtant d'une telle force et d'une telle volonté, qu'il s'envola un jour après avoir roulé sous lui et brisé une cage énorme où on l'avait mis, 15 parce qu'il devenait dangereux pour les personnes qui lui déplaisaient.^^ Il n'y avait point de chaîne dont il ne coupât les anneaux fort lestement, et les plus grands chiens en avaient une terreur insurmontable. Je n'en finirais pas ^^ avec l'histoire des oiseaux que 20 j'ai eus pour amis et pour compagnons. A Venise, j'ai vécu tête-à-tête avec un sansonnet plein de charmes, qui s'est noyé dans le canaletto,^^ à mon grand désespoir ; ensuite avec une grive que j'y ai laissée et dont je ne me suis pas séparée sans douleur. Les Vénitiens ont un 25 grand talent pour élever les oiseaux, et il y avait, dans un coin de rue, un jeune gars qui faisait des merveilles en ce genre. Un jour il mit à la loterie '^* et gagna je ne sais combien de sequins.^^ Il les mangea dans la journée dans un grand festin qu'il donna à tous ses amis en 3° guenilles.^'^ Puis, le lendemain, il revint s'asseoir dans son coin, sur les marches d'un abordage, avec ses cages 70 AN ELEMENTARY FRENCH READER pleines de pies et de sansonnets qu'il vendait tout in- struits aux passants, et avec lesquels il s'entretenait avec amour du matin au soir. Il n'avait aucun chagrin, aucun regret d'avoir fait manger son argent à ses amis. 5 II avait trop vécu avec les oiseaux pour n'être pas artiste. C'est ce jour-là qu'il me vendit mon aimable grive cinq sous. Avoir pour cinq sous une compagne belle, bonne, gaie, instruite, et qui ne demande qu'à vivre un jour avec vous pour vous aimer toute sa vie, c'est vraiment trop 10 bon marché ! Ah ! les oiseaux ! qu'on les respecte et qu'on les apprécie mal ! GEORGE SAND. GEORGE SAND (i 804-1 876) Armandine Aurore Dupin, baronne Dudevant, connue sous le nom de Geoi'ge Sa?id, occupe une des premières places parmi les romanciers français du XIX^ siècle. Ses romans reflètent les idées ou les théories des artistes, écrivains, et hommes politiques qu'elle a fréquentés. Romantisme intransigeant, critique acerbe des institu- tions sociales, sociaHsme sentimental, amour vrai et sincère de l'humanité, toutes les idées, toutes les aspirations, toutes les chi- mères aussi qui se sont succédé en France dans le second tiers du XIX^ siècle se retrouvent dans l'œuvre de George Sand. Grande admiratrice de Jean-Jacques Rousseau, elle a su rendre d'une façon supérieure la poésie de la nature et les charmes de la vie rustique. Ses romans champêtres présentent une image idéahsée et cependant très simple et très vraie de la vie des paysans du centre de la France parmi lesquels George Sand a passé une partie de sa vie. Ses principaux ouvrages sont : Indiana^ Maiiprat^ Histoire de Ma Vie^ Consuelo, La Mare ati Diable, François le Champi, Le Marquis de Villemer. UNE HISTOIRE EFFRAYANTE 71 VI UNE HISTOIRE EFFRAYANTE (Lettre de Paul Louis Courier à sa cousine, Madame Pigalle.) ... Je disais donc que mes aventures sont diverses, mais toutes curieuses, intéressantes ; il y a du plaisir à les entendre, et plus encore, je m'imagine, à vous les conter. C'est une expérience que nous ferons au coin du feu, quelque jour.^ J'ai de quoi ^ vous amuser, et par 5 conséquent vous plaire, sans vanité, tout ce temps-là; de quoi vous attendrir, vous faire rire, vous faire peur,^ vous faire dormir. Mais pour vous écrire tout, ah ! vraiment, vous plaisantez: ^ Mme. Radcliffe ^ n'y suffirait pas. Cependant je sais que vous n'aimez pas à être 10 refusée et, comme je suis complaisant, quoi qu'on en dise,^ voici, en attendant, un petit échantillon de mon histoire, mais c'est du noir, prenez-y garde.'' Ne Hsez pas cela en vous couchant: vous en rêveriez, et pour rien au monde je ne voudrais vous avoir donné le 15 cauchemar. Un jour, je voyageais en Calabre,^ c'est un pays de méchantes gens, qui, je crois, n'aiment personne, et en veulent^ surtout aux Français, De vous dire pourquoi, cela serait long; suffit ^'^ qu'ils nous haïssent à mort, et 20 qu'on passe fort mal son temps ^^ lorsqu'on tombe entre leurs mains. J'avais pour compagnon un jeune homme d'une figure . . . ma foi, comme ce monsieur que nous vîmes au Rincy;^^ vous en souvenez-vous? et mieux 72 AN ELEMENTARY FRENCH READER encore peut-être. Je ne dis pas cela pour vous intéresser, mais parce que c'est la vérité. Dans ces montagnes, les chemins sont des précipices ; nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine. Mon camarade allant devant, 5 un sentier qui lui parut plus praticable et plus court nous égara. Ce fut une faute ; devais-je me fier à une tête de vingt ans? Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers ces bois, mais plus nous cher- chions, plus nous nous perdions, et il était nuit noire ^^ lo quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire. Nous y entrâmes, non sans soupçon; mais comment faire P^"^ Là, nous trouvons toute une famille de char- bonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier : ^^ nous voilà 15 mangeant et buvant, lui, du moins; car pour moi j'ex- aminais le lieu et la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien mines de charbonniers ; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal. Ce n'étaient que ^^ fusils, pistolets, sabres, couteaux, coutelas. Tout me 20 déplut, et je vis bien que je déplaisais aussi ! Mon ca- marade, au contraire, il était de la famille, il riait, il causait avec eux ; et, par une imprudence que j'aurais dù^'' prévoir (mais quoi! s'il était écrit ^^ . . .), il dit d'abord d'oti nous venions, où nous allions, qui nous 25 étions ; Français, imaginez un peu ! ^^ chez nos plus mortels ennemis, seuls, égarés, si loin de tout secours humain ! et puis, pour ne rien omettre de ce qui pourrait nous perdre, il fit le riche,^^ promit à tous ces gens, pour la dépense et pour nos guides, le lendemain, ce qu'ils 30 voulurent. Enfin, il parla de sa valise, priant qu'on en eût grand soin, qu'on la mit au chevet de son lit ; il ne voulait point, disait-il, d'autre traversin. Ah ! jeunesse ! ^UNE HISTOIRE EFFRAYANTE 73 jeunesse ! que votre âge est à plaindre ! ^^ Cousine, on crut que nous portions les diamants de la couronne. Le souper fini, on nous laisse; nos hôtes couchaient en bas, nous dans la chambre haute où nous avions mangé. Une soupente élevée de sept à huit pieds, où 5 l'on montait par une échelle, c'était là^^ le coucher qui nous attendait, espèce de nid dans lequel on s'introdui- sait en rampant sous des solives chargées de provisions pour toute l'année. Mon camarade y grimpa seul, et se coucha tout endormi, la tête sur la précieuse vaHse. 10 Moi, déterminé à veiller, je fis bon feu, et m'assis auprès. La nuit s'était passée presque entière assez tranquille- ment, et je commençais à me rassurer, quand, sur l'heure ^^ où il me semblait que le jour ne pouvait être loin, j'entendis au-dessous de moi mon hôte et sa femme 15 parler et se disputer; et, prêtant l'oreille par la cheminée qui communiquait avec celle d'en bas, je distinguai par- faitement ces propres mots ^* du mari : *' EJi bien ! enfifiy voyons, faut-il les tuer tous deux?'' A quoi la femme répondit : *' Oui.'' Et je n'entendis plus rien.^^ 20 Que vous dirai-je? je restai respirant à peine, tout mon corps froid comme un'^^ marbre; à me voir, vous n'eussiez su si j'étais mort ou vivant. Dieu ! ^" quand j'y pense encore ! . . . Nous deux presque sans armes, contre eux douze ou quinze qui en avaient tant ! Et 25 mon camarade mort de sommeil et de fatigue ! D'appe- ler, faire du bruit, je n'osais ; '^^ m'échapper tout seul, je ne pouvais ; la fenêtre n'était guère haute, mais en bas deux gros dogues hurlant comme des loups . . . En quelle peine je me trouvais, imaginez-le si vous pouvez. Au 3° bout d'un quart d'heure qui fut long, j'entends sur l'escalier quelqu'un, et, par les fentes de la porte, je vis 74 AN ELEMENTARY FRENCH READER le père, sa lampe dans la main, dans l'autre un de ses grands couteaux, il montait, sa femme après lui ; moi derrière la porte : il ouvrit; mais avant d'entrer il posa la lampe, que sa femme vint prendre ; puis il entre, pieds 5 nus, et elle de dehors lui disait à voix basse, m^asquant avec ses doigts le trop de lumière de la lam.pe : '' Douce- ment, va doucement." Quand il fut à l'échelle, il monte, son couteau entre ses dents; et, venu^^ à la hauteur du lit, ce pauvre jeune homme étendu offrant sa gorge 10 découverte, d'une main il prend son couteau et de l'autre . . . Ah ! cousine ... il saisit un jambon qui pendait au plancher, en coupe une tranche, et se retire comme il était venu. La porte se referme, la lampe s'en va, et je reste seul à mes réflexions. 15 Dès que le jour parut, toute la famille à grand bruit vint nous éveiller, comme nous l'avions recommandé. On apporte à manger : on sert un déjeuner fort propre, fort bon, je vous assure. Deux chapons en faisaient partie, dont il fallait, dit notre hôtesse, emporter l'un et 20 manger l'autre. En les voyant, je compris enfin le sens de ces terribles mots: Faut-il les tuer tous deux? Et je vous crois, cousine, assez ^*^ de pénétration pour de- viner à présent ce que cela signifiait. Cousine, obligez-moi : ne contez pas cette histoire. 25 D'abord, comme vous voyez, je n'y joue pas un beau rôle, et puis vous me la gâteriez. Tenez,^^ je ne vous flatte point; c'est votre figure qui nuirait à l'effet ^^ du récit. Moi, sans me vanter, j'ai la mine qu'il faut pour les contes à faire peur.^" Mais vous, voulez-vous con- 30 ter?^* prenez des sujets qui aillent à votre air, Psychê,^^ par exemple. PAUL-LOUIS COURIER. UNE HISTOIRE EFFRAYANTE n PAUL-LOUIS COURIER (1772-1825) NÉ à Paris, élevé en Touraine, il prit part comme officier d'artil- lerie aux guerres de la Révolution et de l'Empire, et se retira avant la chute de Napoléon dans son domaine de la Chavonnière, où il mourut assassiné. Pendant les dix dernières années de sa vie il ne cessa d'attaquer le gouvernement de la Restauration par des pam- phlets d'un style léger, vif, mordant, très travaillé, et donnant cependant l'impression du naturel. Les rares qualités de Courier en tant qu'écrivain sont dues en partie à sa connaissance appro- fondie du grec et des conteurs français du Moyen-âge. ^6 AN ELEMENTAR Y FRENCH READER VII LE RICHE ET LE PAUVRE Gito7i a le teint frais, le visage plein et les joues pen- dantes, l'œil fixe et assuré, les épaules larges, l'estomac haut, la démarche ferme et déhbérée. Il parle avec confiance; il fait répéter celui qui l'entretient, et il ne 5 goûte que médiocrement tout ce qu'il lui dit. Il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit: il crache fort loin, et il éternue fort haut. Il dort le jour, il dort la nuit, et profondément; il ronfle en compagnie. Il occupe à table et à la promenade plus de place ^ qu'un 10 autre ; il tient le milieu en se promenant avec ses égaux; il s'arrête, et l'on s'arrête ; il continue de marcher, et l'on marche ; tous se règlent sur lui. Il interrompt, il re- dresse ceux qui ont la parole ; ^ on ne l'interrompt pas, on l'écoute aussi longtemps qu'il veut. parler; on est de 15 son avis,'^ on croit les nouvelles qu'il débite. S'il s'assied, vous le voyez s'enfoncer dans un fauteuil, croiser les jambes l'une sur l'autre, froncer le sourcil, abaisser^ son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le relever ensuite, et découvrir son front par fierté et par audace, 20 II est enjoué, grand rieur, impatient, présomptueux, colère, libertin,^ politique, mystérieux sur les affaires du temps ; il se croit des talents et de l'esprit. Il est riche. PJiedon a les yeux creux, le teint échaufl*é, le corps sec et le visage maigre : il dort peu, et d'un sommeil fort 25 léger ; il est abstrait,^ rêveur, et il a, avec de l'esprit, l'air d'un stupide : il oublie de dire ce qu'il sait, ou de LE RICHE ET LE PAUVRE yj parler d'événements qui lui sont connus ; et s'il le fait quelquefois, il s'en tire mal; il croit peser à ceux à qui il parle; il conte brièvement, mais froidement; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire : il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis ; il 5 court, il vole pour leur rendre de petits services ; il est complaisant, flatteur, empressé. Il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur; il est superstitieux, scrupuleux, timide ; il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre ; il marche les yeux 10 baissés," et il n'ose les lever sur ceux qui passent. Il n'est jamais du nombre de ^ ceux qui forment un cercle pour discourir ; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit,^ et il se retire si on le regarde. Il n'occupe point de lieu, il ne tient point de place ; ^^ 15 il va les épaules serrées,^^ le chapeau abaissé sur ses yeux pour n'être point vu ; il se replie et se renferme dans son manteau; il n'y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être 20 aperçu. Si on le prie de s'asseoir, il se met à peine sur le bord d'un siège ; il parle bas ^^ dans la conversation, et il articule mal ; libre néanmoins sur les affaires pu- bliques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. Il n'ouvre la bouche que 25 pour répondre ; il tousse, il se mouche sous son chapeau ; il crache presque sur soi, et il attend qu'il soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c'est à l'insu de la com- pagnie ; il n'en coûte à personne ni salut,^^ ni compli- ment. Il est pauvre. LA BRUYÈRE. 78 AN ELEMENTARY FRENCH READER JEAN DE LA BRUYÈRE (1645-1695) NÉ à Paris, receveur des finances à Caen, La Bruyère, sur la re- commandation de Bossuet, fut chargé d'enseigner l'histoire au fils du Prince de Condé. Il resta quinze ans à Chantilly, près de son élève, très bien placé pour étudier à loisir la société de son temps. Son livre des Caractères est le résultat de ses observations; il place la Bruyère non seulement parmi les grands écrivains, mais aussi parmi les grands moralistes du siècle. UN NEZ GELE 79 VIII UN NEZ GELE Un jour, je me décidai à faire mes courses en me promenant. Je m'armai de pied en cap ^ contre les hos- tilités du froid ; je m'enveloppai d'une grande redingote d'astracan, je m'enfonçai un bonnet fourré sur les Oreilles,^ je roulai autour de mon cou une cravate de 5 cachemire, et je m'aventurai dans la rue, n'ayant de toute ma personne que le bout du nez à l'air. D'abord tout alla à merveille ; ^ je m'étonnai même du peu d'impression que me causait le froid, et je riais tout bas ^ de tous les contes que j'en avais entendu faire ; 10 j'étais, au reste, enchanté que le hasard m'eût donné cette occasion pour m' acclimater. Néanmoins, comme les deux premiers écoliers ^ chez lesquels je me rendais n'étaient point chez eux,^ je commençais à trouver que le hasard faisait trop bien les choses,'' lorsque je crus 15 remarquer ^ que ceux que je croisais me regardaient avec une certaine inquiétude, mais cependant sans me rien dire. Bientôt un monsieur, plus causeur, à ce qu'il paraît,^ que les autres, me dit en passant : Nofs ! Comme je ne savais pas un mot de russe, je crus que ce 20 n'était pas la peine ^^ de m'arrêter pour un monosyllabe, et je continuai mon chemin.^^ Au coin de la rue des Pois, je rencontrai un iostchik^'^ qui passait ventre à terre ^^ en conduisant son traîneau; mais, si rapide que 8o AN ELEMENTARY FRENCH READER fût sa course,^* il se crut obligé de me parler à son tour, et me cria : Nofs ! nofs ! Enfin, en arrivant sur la place de l'Amirauté, je me trouvai en face d'un motigick}^ qui ne me cria rien du tout, mais qui, ramassant une 5 poignée de neige, se jeta sur moi, et avant que j'eusse pu me débarrasser de tout mon attirail se mit à me débarbouiller la figure et à me frotter, particulièrement le nez, de toute sa force. Je trouvai la plaisanterie assez médiocre, surtout par le temps qu'il faisait,-'^ et tirant un 10 de mes bras d'une de mes poches, je lui allongeai un coup de poing qui l'envoya rouler à dix pas. Malheu- reusement, ou heureusement pour moi, en ce m^oment deux paysans passaient qui, après m'avoir regardé un instant, se jetèrent sur moi, et malgré ma défense me 15 maintinrent les bras, tandis que mon enragé mougick ramassait une autre poignée de neige, et, comme s'il ne voulait pas en avoir le démenti,^" se précipitait de nou- veau sur moi. Cette fois, profitant de l'impossibilité où j'étais de me défendre, il recommença ses frictions. Mais, 20 si j'avais les bras pris,^^ j'avais la langue libre :' croyant que j'étais la victime de quelque méprise ou de quelque guet-apens, j'appelai de toute ma force au secours. ^^ Un officier accourut et me demanda en français à qui j'en avais.^^ 25 ** Comment, monsieur ! " m'écriai-je en faisant un dernier effort et en me débarrassant de mes trois hom- mes, qui, de l'air le plus tranquille du monde, se remirent à continuer leur chemin, l'un vers la Perspective,^^ et les deux autres du côté du quai Anglais, "vous ne voyez 30 donc pas ^2 ce que ces drôles me faisaient?" — ** Que vous faisaient-ils donc?" — ''Mais ils me frottaient la figure avec de la neige. Est-ce que vous trouveriez UN NEZ GELE 8i cela une plaisanterie de bon goût, par hasard,^^ avec le temps qu'il fait?"^^ — "Mais, monsieur, ils vous ren- daient un énorme service," me répondit mon interlo- cuteur^^ en me regardant comme nous disons, nous autres ^^ Français, dans le blanc des yeux." ^^ — " Com- 5 ment cela? "'-^^ — "Sans doute, vous aviez le nez gelé." — " Miséricorde ! " m'écriai-je en portant la main à la partie menacée. — "Monsieur," dit un passant en s'adressant à l'interlocuteur, " monsieur l'officier, je vous préviens que votre nez gèle." — "Merci, monsieur," dit 10 l'officier comme si on l'eût prévenu de la chose la plus naturelle du monde. En se baissant, il ramassa une poignée de neige et se rendit à lui-même le service que m'avait rendu le pauvre mougick que j'avais si brutalement récompensé de son 15 obligeance. " C'est-à-dire, alors, monsieur, que sans cet homme ..." — " Vous n'auriez plus de nez," continua l'officier en se frottant le sien. "Alors, monsieur, permettez . . ." 20 Et je me mis à courir après mon mougick, qui, croy- ant que je voulais achever de l'assommer, se mit à courir de son côté, de sorte que, comme la crainte est naturelle- ment plus agile que la reconnaissance, je ne l'eusse pro- bablement jamais rattrapé si quelques personnes, en le 25 voyant fuir et en me voyant le poursuivre, ne l'eussent pris pour un voleur, et ne lui eussent barré le chemin. Lorsque j'arrivai, je le trouvai parlant avec une grande volubilité, afin de faire comprendre qu'il n'était coupable que de trop de philanthropie ; dix roubles que je lui 30 donnai expliquèrent la chose. Le mougick me baisa les mains, et un des assistants, qui parlait français, m'invita 6 82 AN ELEMENTARY FRENCH READER à faire ^^ désormais plus d'attention à mon nez. L'invi- tation était inutile ; pendant tout le reste de ma course je ne le perdis pas de vue.^^ ALEXANDRE DUMAS. ALEXANDRE DUMAS (1803-1870) Alexandre Dumas, généralement désigné sous le nom de Dîinias père, pour le distinguer de son fils, écrivain dramatique, naquit à Villers-Cotterets. Il écrivit seul ou en collaboration plu- sieurs centaines de volumes (romans, pièces de théâtre, récits de voyage, etc.). Doué d'une prodigieuse imagination, ses ouvrages sont remarquables plutôt par la verve, l'entrain, le mouvement, que par le style. Alexandre Dumas est un des créateurs de caractères les plus féconds du XIX^ siècle. Ses principaux drames sont : Henri HI et sa cour^ Aîitony, Richard Darliftgton, La Tour de Nesle, Mlle, de BelleTsle. Parmi ses romans, citons seulement: Le Comte de Monte-Ci'isto, Les Trois Mousquetaires, La Reine Margot. L'HOMME ET V INFINI 83 IX L'HOMME ET L'INFINI . . . Que l'homme contemple ^ donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté : qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent; qu'il regarde cette écla- tante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers; que la terre lui paraisse comme un 5 point, au prix du ^ vaste tour que cet astre décrit ; et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'un point très délicat à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre : elle se 10 lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes 15 au prix de /'a réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée. 20 Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré ^ dans ce canton détourné de la nature, et que, de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends * l'univers, il ap- prenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi- 25 même son juste prix. 84 AN ELEMENTARY FRENCH READER Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron^ lui offre dans la petitesse de son corps 5 des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs ^ dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces 10 en ces conceptions, et que le dernier objet oii il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pen- sera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais 15 l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible ; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, 20 dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ; et trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n'admirera que notre 25 corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même ' dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver? Qui^ se considérera de la sorte s'effrayera de soi- 30 même, et se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles ; et L'HOMME ET L'INFINI 85 je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption. Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant: 5 un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de com- ' prendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret im- pénétrable ; également incapable de voir le néant d'où il est tiré et l'infini oia il est englouti. 10 Que fera-t-il donc, sinon d'apercevoir quelque appa- rence du miheu des choses, dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin? Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches? L'auteur de ces 15 merveilles les comprend ; tout autre ne le peut faire. PASCAL. BLAISE PASCAL (1623-1662) Pascal est célèbre à la fois comme savant, comme penseur, et comme écrivain. Dès son enfance il donna des marques extra- ordinaires d'intelligence. A 16 ans il publiait un traité des sections coniques qui attirait l'attention des savants. Pascal est un des penseurs les plus profonds et les plus complexes qu'il y ait dans la littérature française. Il s'est révélé comme polémiste dans les Provinciales, œuvre dans laquelle il fait preuve des qualités les plus diverses : fine ironie, solide dialectique, et éloquence supérieure. Son style, surtout dans les Pensées, est à la fois d'un savant et d'un poète. Chateaubriand l'a assez bien caractérisé en l'appelant " effrayant génie." 86 AN ELEMENTARY FRENCH READER X LA MORT DE MADAME Considérez, messieurs, ces grandes puissances ^ que nous regardons de si bas. Pendant que nous tremblons sous leur main, Dieu les frappe pour nous avertir. Leur élévation en est la cause ; et il les épargne si peu qu'il 5 ne craint pas de les sacrifier à l'instruction du reste des hommes. Chrétiens, ne murmurez pas si Madame a été choisie pour nous donner une telle instruction. Il n'y a rien ici de rude pour elle, puisque comme vous le verrez par la suite,^ Dieu la sauve par le même coup 10 qui nous instruit. Nous devrions être assez convaincus de notre néant; mais s'il faut des coups de surprise à nos cœurs enchantés de l'amour du monde, celui-ci est assez terrible. nuit désastreuse ! ô nuit effroyable, oil retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, 15 cette étonnante nouvelle, Madame se meurt! Madame est morte ! Qui de nous ne se sentit frappé à ce coup, comme si quelque tragique accident avait désolé sa famille? Au premier bruit d'un mal si étrange, on accourt à Saint-Cloud ^ de toutes parts ; ^ on trouve 20 tout consterné, excepté le cœur de cette princesse. Par- tout on entend des cris ; partout on voit la douleur et le désespoir et l'image de la mort. Le roi, la reine. Mon- sieur,^ toute la cour, tout le peuple, tout est abattu, tout est désespéré ; et il me semble que je vois l'accompHsse- 25 ment de cette parole du prophète : ^' Le roi pleurera,^ LA MORT DE MADAME 8/ le prince sera désolé, et les mains tomberont au peuple de douleur et d'étonnement." Mais et " les princes et les peuples gémissaient en vain. En vain Monsieur, en vain le roi même tenait Madame serrée par de si étroits embrassements. Alors 5 ils pouvaient dire l'un et l'autre ^ avec saint Ambroise : Stringebant brachia, sed jam amiseram quant tenebani, " Je serrais les bras, mais j'avais déjà perdu ce que je tenais." La princesse leur échappait parmi des em- brassements si tendres, et la mort plus puissante nous 10 l'enlevait entre ces royales mains. Quoi donc, elle devait périr ^ sitôt! Dans la plupart des hommes, les changements se font^^ peu à peu, et la mort les prépare ordinairement à son dernier coup. Madame cependant a passé du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs. 15 Le matin elle fleurissait; avec quelles grâces, vous le savez : le soir, nous la vîmes séchée ; et ces fortes ex- pressions par lesquelles l'Ecriture sainte ^^ exagère l'in- constance des choses humaines, devaient être ^^ pour cette princesse si précises et si littérales. Hélas ! nous 20 composions son histoire de tout ce qu'on peut imaginer de plus glorieux ! Le passé et le présent nous garantis- saient l'avenir, et on pouvait tout attendre de tant d'excel- lentes qualités. Elle allait s'acquérir deux puissants royaumes ^^ par des moyens agréables; toujours douce, 25 toujours paisible autant que généreuse et bienfaisante, son crédit n'y aurait jamais été odieux; on ne l'eût point vue s'attirer la gloire avec une ardeur inquiète et précipitée; elle l'eût attendue sans impatience, comme sûre de la posséder. Cet attachement qu'elle a montré 3° si fidèle pour le roi jusques ^^ à la mort lui en donnait les moyens. Et certes, c'est le bonheur de nos jours, 88 AN ELEMENTARY FRENCH READER que l'estime se puisse joindre avec le devoir, et qu'on puisse autant s'attacher au mérite et à la personne du prince^^ qu'on en révère la puissance et la majesté. Les inclinations de Madame ne rattachaient pas moins forte- 5 ment à tous ses autres devoirs. La passion qu'elle res- sentait pour la gloire de Monsieur n'avait point de bornes. Pendant que ce grand prince marchant sur les pas ^^ de son invincible frère, secondait avec tant de valeur et de succès ses grands et héroïques desseins dans la campagne lo de Flandre, la joie de cette princesse était incroyable. C'est ainsi que ses généreuses inclinations la menaient à la gloire par les voies que le monde trouve les plus belles ; et si quelque chose manquait encore à son bonheur, elle eût tout gagné par sa douceur et par sa conduite. Telle 15 était l'agréable histoire que nous faisions pour Madame ; et, pour achever ces nobles projets, il n'y avait que la durée de sa vie dont nous ne croyions pas devoir être en peine.^^ Car qui eût pu seulement penser que les années eussent dû ^^ manquer à une jeunesse qui semblait si 20 vive? Toutefois c'est par cet endroit que tout se dissipe en un moment. Au lieu de l'histoire d'une belle vie, nous sommes réduits à faire l'histoire d'une admirable, mais triste mort. A la vérité, messieurs, rien n'a jamais égalé la fermeté de son âme, ni ce courage paisible qui, 25 sans faire effort pour s'élever, s'est trouvé par sa naturelle situation au-dessus des accidents les plus redoutables. Oui, Madame fut douce envers la mort, comme elle l'était envers tout le monde. Son grand cœur ni ne s'aigrit, ni ne s'emporta contre elle. Elle ne la brave 30 non plus avec fierté, contente de l'envisager sans émotion et de la recevoir sans trouble. Triste consolation, puisque, malgré ce grand courage, nous l'avons perdue! LA MORT DE MADAME 89 C'est la grande vanité des choses humaines. Après que, par le dernier effet de notre courage, nous avons, pour ainsi dire, surmonté la mort, elle éteint en nous jusqu'à ce courage ^^ par lequel nous semblions la défier. La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirée s et si chérie; la voilà ^^ telle que la mort nous l'a faite; encore ^^ ce reste tel quel va-t-iP^ disparaître, cette ombre de gloire va s'évanouir ! et nous Talions voir dépouillée même de cette triste décoration. Elle va descendre à ces sombres lieux,^^ à ces demeures souter- 10 raines, pour y dormir dans la poussière avec les grands de la terre, comme parle Job ; avec ces rois et ces princes anéantis, parmi lesquels à peine peut-on la placer, tant les rangs y sont pressés, tant la mort est prompte à remplir ces places. Mais ici notre imagina- 15 tion nous abuse encore. La mort ne nous laisse pas assez de corps pour occuper quelque place, et on ne voit là que les tombeaux qui fassent quelque figure.^^ Notre chair change bientôt de nature : notre corps prend un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien,''^^ 20 parce qu'il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps : il devient un je ne sais quoi,^^ qui n'a plus de nom dans aucune langue, tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funè- bres par lesquels on exprimait ses malheureux restes. 25 JACQUES BÉNIGNE BOSSUET. JACQUES BENIGNE BOSSUET (1627-1704) NÉ à Dijon, reçu docteur en théologie en 1652, Bossuet fut successivement évêque de Condom, précepteur du fils aîné de Louis XIV (le Dauphin), et enfin évêque de Meaux. A la fois 90 AN ELEMENTAR Y FRENCH READER orateur, historien, théologien, Bossuet n'a jamais été surpassé comme écrivain. D'une nature active et énergique^ il s'occupa beaucoup de controverse religieuse soit avec les protestants, soit avec les cathoHques mêmes (surtout avec Fénelon). Ses Oraisons funèbres et ses Sermons sont des modèles d'éloquence. Parmi ses nombreux ouvrages, citons: Discours sur V Histoire Uîiiverselle, Histoire des Variations des Églises Protestantes^ Élévations sur les Mystères, Politique tirée des propres paroles de VÉcritiire Sainte. Troisième Partie XI SUZANNE I. LE COQ Suzanne ne s'était pas encore mise à la recherche du beau. Elle s'y mit à trois mois vingt jours avec beau- coup d'ardeur. C'était dans la salle à manger. Elle a, cette salle,^ un faux air d'ancienneté ^ à cause des plats de faïence, des 5 bouteilles de grès, des buires ^ d'étain et des fioles de verre de Venise qui chargent les dressoirs. C'est la maman de Suzanne qui a arrangé tout cela en Parisienne entichée de bibelots. Suzanne, au milieu de ces vieille- ries, paraît plus fraîche dans sa robe blanche brodée, et 10 l'on se dit, en la voyant là : " C'est, en vérité, une petite créature toute neuve ! " Elle est indifférente à cette vaisselle d'aïeux, aux vieux portraits noirs et aux grands plats de cuivre pendus aux murs. Je compte bien que, plus tard, toutes ces an- 15 tiquités lui donneront des idées fantastiques et feront germer dans sa tête des rêves bizarres, absurdes, et charmants. Elle aura ses visions. Elle y exercera, si son esprit s'y prête, cette jolie imagination de détail et de style qui embellit la vie. Je lui conterai des histoires 20 insensées qui ne seront pas beaucoup plus fausses que les autres, mais qui seront beaucoup plus belles ; elle en deviendra folle.^ Je souhaite à tous ceux que j'aime un 94 AN ELEMENTAR Y FRENCH READER petit grain de folie. Cela rend le cœur gai. En atten- dant;^ Suzanne ne sourit même pas au petit Bacchus assis sur son tonneau. On est sérieux, à trois mois et vingt jours. 5 Or, c'était un matin, un matin d'un gris tendre.^ Des liserons ^ emmêlés à la vigne vierge encadraient la fenêtre de leurs étoiles ^ diversement nuancées. Nous causions comme des gens qui n'ont rien à dire. C'était une de ces heures où le temps coule comme un fleuve^ tran- 10 quille. Il semble qu'on le voie couler et que chaque mot qu'on dit soit un petit caillou qu'on y jette. Je crois bien que nous parlions de la couleur des yeux de Suzanne. C'est un sujet inépuisable. — Ils sont d'un bleu d'ardoise.^^ 15 — Ils ont un ton de vieil or et de soupe à l'oignon. — Ils ont des reflets verts. — Tout cela est vrai ; ils sont miraculeux. En ce moment Suzanne entra; ils étaient, pour cette fois, de la couleur du temps, qui était d'un si joli gris. 20 Elle entra dans les bras de sa bonne. La bonne de Suzanne est une petite paysanne qui vient de son village, oii elle a élevé sept ou huit petits frères, et qui chante du matin au soir des chansons lorraines. On lui accorda une journée pour voir Paris; 25 elle revint enchantée ; elle avait vu de beaux radis. Le reste ne lui semblait point laid, mais les radis l'émer- veillaient : elle en écrivit au pays.^^ Cette simplicité la rend parfaite avec Suzanne, qui, de son côté, ne semble remarquer dans la nature entière que les lampes et les 30 carafes. Quand Suzanne parut, la salle à manger devint très gaie. On rit à Suzanne ; Suzanne nous rit ; il y a tou- SUZANNE 95 jours moyen de s'entendre quand on s'aime.^^ La maman tendit ses bras souples, sur lesquels la manche du peignoir coulait dans l'abandon d'un matin d'été. Alors Suzanne tendit ses petits bras de marionnette qui ne pliaient pas dans leur manche de piqué. Elle écar- 5 tait les doigts,^^ en sorte qu' ^^ on voyait cinq petits rayons roses au bout des manches. Sa mère, éblouie, la prit sur ses genoux,^^ et nous étions tous trois parfaite- ment heureux ; ce qui tient peut-être à ce que ^^ nous ne pensions à rien. Cet état ne pouvait durer. Suzanne, 10 penchée vers la table, ouvrit les yeux, tant et si bien,^^ qu'ils devinrent tout ronds, et secoua ses petits bras comme s'ils eussent été en bois, ainsi qu'ils en avaient • l'air. Il y avait de la surprise et de l'admiration dans son regard. Sur la stupidité touchante et vénérable de 15 son petit visage, on voyait se glisser je ne sais quoi de spirituel.^^ Elle poussa un cri d'oiseau blessé. — C'est peut-être une épingle qui l'a piquée, pensa sa mère, fort attachée, par bonheur,^^ aux réalités de la vie. 20 — Ces épingles anglaises ^^ se défont sans qu'on s'en aperçoive, et Suzanne en a huit sur elle ! Non, ce n'était pas une épingle qui la piquait. C'était l'amour du beau. • — L'amour du beau à trois mois et vingt jours? 25 — Jugez plutôt: ^^ coulée à demi hors des bras de sa mère, elle agitait les poings sur la table et, s'aidant de l'épaule et du genou, soufflant, toussant, bavant, elle parvint à embrasser une assiette. Un vieil ouvrier rus- tique de Strasbourg (ce devait être^^ un homme simple, 3° la paix soit à ses os ! ) avait peint sur cette assiette un coq rouge. g6 AN ELEMENTARY FRENCH READER Suzanne voulut prendre ce coq ; ce n'était pas pour le manger, c'était donc parce qu'elle le trouvait beau. Sa mère, à qui je fis ce simple raisonnement, me répondit: 5 — Que tu es bête ! ^^ si Suzanne avait pu saisir ce coq, elle l'aurait mis tout de suite à sa bouche au lieu de le contempler. Vraiment, les gens d'esprit n'ont pas le sens commun ! — Elle n'y eût point manqué, répondis-je ; mais lo qu'est ce que cela prouve, sinon que ses facultés diverses et déjà nombreuses ont pour principal organe la bouche ? Elle a exercé sa bouche avant d'exercer ses yeux, et elle a bien fait! Maintenant sa bouche ex- ercée, délicate, et sensible, est le meilleur moyen de 15 connaissance" qu'elle ait encore à son service. Elle a raison '^^ de l'employer. Je vous dis que votre fille est la sagesse même.^^ Oui, elle l'y aurait mis comme une belle chose et non comme une chose nourrissante. Notez que cette habitude, qui existe en fait chez^^ 20 les petits enfants, reste en figure dans la langue des hommes. Nous disons goûter un poème, un tableau, un opéra. Pendant que j'exprimais ces idées, que le monde philosophique accepterait si e les étaient émises dans 25 un jargon inintelligible, Suzanne frappait l'assiette avec ses poings, la grattait de l'ongle, lui parlait (et dans quel joli babil mystérieux!), puis la retournait avec de grandes secousses. Elle n'y mettait pas^^ beaucoup d'adresse; non! et 30 ses mouvements manquaient d'exactitude. Mais un mouvement, si simple qu'il paraisse,'^^ est très difficile à faire quand il n'est pas habituel. Et quelles habitudes SUZANNE 9; voulez-vous qu'on ait à trois mois et vingt jours? Songez à ce qu'il faut gouverner de nerfs, d'os et de muscles pour seulement lever le petit doigt. Conduire tous les fils des marionnettes de Thomas Holden n'est, en comparaison, qu'une bagatelle. Darwin,^^ qui est un 5 observateur sagace, s'émerveillait de ce que les petits enfants pussent rire et pleurer. Il écrivit un gros volume pour expliquer comment ils s'y prenaient.^^ Mais je ne suis pas, heureusement, un grand savant. Je suis superficiel. Je ne fais pas des expériences sur 10 Suzanne, et je me contente de l'observer, quand je puis le faire sans la contrarier. Elle grattait son coq et devenait perplexe, ne con- cevant pas qu'une chose visible fût insaisissable.^^ Cela passait son intelligence, que d'ailleurs tout passe. C'est 15 même cela qui rend Suzanne admirable. Les petits enfants vivent dans un perpétuel miracle ; tout leur est prodige ; voilà pourquoi il y a une poésie dans leur re- gard. Près de nous, ils habitent d'autres régions que nous. L'inconnu, le divin inconnu les enveloppe. 20 — Petite bête ! ^^ dit sa maman. — Chère amie,^^ votre fille est ignorante, mais raison- nable. Quand on voit une belle chose, on veut la posséder. C'est un penchant naturel, que les lois ont prévu. Les Bohémiens^* de Béranger,^^ qui disent que 25 voir, c est avoir, sont des sages ^^ d'une espèce fort rare. Si tous les hommes pensaient comme eux, il n'y aurait pas de civilisation et nous vivrions nus et sans arts, comme les habitants de la Terre-de-Feu.^'' Vous n'êtes pas de leur sentiment ;^^ vous aimez les vieilles tapis- 30 series oij l'on voit des cigognes sous des arbres, et vous en couvrez tous les murs de la maison. Je ne vous 7 98 AN ELEMENTARY FRENCH READER le reproche pas, loin de là.^^ Mais comprenez donc Suzanne et son coq. — Je la comprends; elle est comme petit Pierre, qui demanda la lune dans un seau d'eau. On ne la lui 5 donna pas. Mais, mon ami, n'allez pas dire*^ qu'elle prend un coq peint pour un coq véritable, puisqu'elle n'en a jamais vu. — Non ; mais elle prend une illusion pour une réalité. Et les artistes sont bien un peu *^ responsables de sa lo méprise. Voilà bien longtemps qu'ils cherchent à imi- ter, par des lignes et des couleurs, la forme des choses. Depuis combien de milliers de siècles est mort ce brave homme ^^ des cavernes qui grava d'après nature ^'^ un mammouth sur une lame d'ivoire ! La belle merveille 15 qu'après tant et de si longs efforts dans les arts d'imita- tion, ils soient parvenus à séduire une petite créature de trois mois et vingt jours ! Les apparences ! Qui ne séduisent-elles pas? La science elle-même, dont on nous assomme, va-t-elle au-delà de ce qui semble? 20 Qu'est-ce que M. le professeur Robin trouve au fond de son microscope? Des apparences et rien que des ap- parences. "Nous sommes vainement agités par des mensonges" a dit Euripide. ... ^^ Je parlais ainsi et, me préparant à commenter le vers 25 d'Euripide, j'y aurais sans doute trouvé des significations profondes auxquelles le fils de la marchande d'herbes ^^ n'avait jamais pensé. Mais le milieu ^^ devenait tout à fait impropre aux spéculations philosophiques ; car, ne pouvant parvenir à détacher le coq de l'assiette, Suzanne 30 se jeta dans une colère qui la rendit rouge comme une pivoine, lui élargit le nez à la façon des Cafres, lui re- monta les joues ^^ dans les yeux et les sourcils jusqu'au SUZANNE 99 sommet du front. Ce front, tout à coup rougi, boule- versé, travaillé de^^ bosses, de cavités, de sillons con- traires, ressemblaient à un sol volcanique. Sa bouche se fendit jusqu'aux oreilles '^^ et il en sortit, ^^ entre les crencives, des hurlements barbares. 5 — A la bonne heure ! ^^ m'écriai-je. Voilà l'éclat des passions ! Les passions, il n'en faut pas médire. Tout ce qui se fait de grand en ce monde est fait par elles. Et voici qu'un de leurs éclairs rend un tout petit bébé ^^ presque aussi effrayant qu'une menue idole chinoise, lo Ma fille, je suis content de vous. Ayez des passions fortes, laissez-les grandir et croissez avec elles. Et si, plus tard, vous devenez leur maîtresse inflexible, leur force sera votre force et leur grandeur votre beauté. Les passions, c'est toute la richesse morale de l'homme. 15 — Quel vacarme! s'écrie la maman de Suzanne. On ne s'entend plus ^'^ dans cette salle, entre un philosophe qui déraisonne et un bébé qui prend un coq peint pour je ne sais quoi de véritable. Les pauvres femmes ont bien besoin de sens commun pour vivre avec un mari et 20 des enfants ! — Votre fille, répondis-je, vient de chercher ^''^ le beau pour la première fois. C'est la fascination de l'abîme, dirait un romantique ; ^^ c'est, dirai-je, l'exercice naturel des nobles esprits. Mais il ne faut pas s'y livrer trop tôt 25 et avec des méthodes trop insuffisantes. Chère amie, vous avez des charmes souverains pour calmer les douleurs de Suzanne. Endormez votre fille. L.ofC. \. ) 100 AN ELEMENTAR Y FRENCH READER 2. L'ETOILE. Suzanne a accompli ce soir le douzième mois de son âge, et, depuis un an qu'elle est sur cette vieille terre, elle a fait bien des expériences. Un homme capable de découvrir en douze ans autant de choses et de si utiles 5 que Suzanne en a découvertes en douze mois serait un mortel divin. Les petits enfants sont des génies mécon- nus ; ils prennent possession du monde avec une énergie surhumaine. Rien ne vaut cette première poussée de la vie, ce premier jet de l'âme. 10 Concevez-vous que ces petits êtres voient, touchent, parlent, observent, comparent, se souviennent? Con- cevez-vous qu'ils marchent, qu'ils vont et viennent? Concevez-vous qu'ils jouent? Cela surtout est merveil- leux qu'ils jouent, car le jeu est le principe de tous les 15 arts. Des poupées et des chansons, c'est déjà presque tout Shakespeare. Suzanne a une grande corbeille pleine de joujoux, dont quelques-uns seulement sont des joujoux par nature et par destination, tels qu'animaux en bois blanc 20 et bébés ^^ en caoutchouc. Les autres ne sont devenus des jouets que par un tour particulier de leur fortune : ce sont de vieux porte-monnaies, des chiffons, des fonds de boîte, un mètre, un étui à ciseaux, ^"^ une bouillotte, un indicateur des chemins de fer,^^ et un caillou. Ils 25 sont les uns et les autres ^^ pitoyablement avariés. Chaque jour, Suzanne les tire un par un de la corbeille pour les donner à sa mère. Elle n'en remarque aucun d'une façon spéciale, et elle ne fait généralement aucune SUZANNE lor distinction entre ce petit bien et le reste des choses. Le monde est pour elle un immense joujou découpé et peint. Si on voulait se pénétrer de cette conception de la nature et y rapporter tous les actes, toutes les pensées 5 de Suzanne, on admirerait la logique de cette petite âme; mais on la juge d'après nos idées, non d'après les siennes. Et, parce qu'elle n'a pas notre raison, on dé- cide qu'elle n'a pas de raison. Quelle injustice ! Moi qui sais me mettre au vrai point de vue, je découvre un 10 esprit de suite ^^ là où le vulgaire n'aperçoit que des façons incohérentes. Pourtant je ne m'abuse pas ; je ne suis pas un père idolâtre ; je reconnais que ma fille n'est pas beaucoup plus admirable qu'un autre enfant. Je n'emploie pas, 15 en parlant d'elle, des expressions exagérées. Je dis seulement à sa mère : — Chère amie, nous avons là une bien jolie petite fille. Elle me répond à peu près ce que madame Prim- rose ^1 répondait quand ses voisins lui faisaient un 20 semblable compliment: — Mon ami, Suzanne est ce que Dieu l'a faite: assez belle, si elle est assez bonne. Et, en disant cela, elle répand sur Suzanne un long regard magnifique et candide, oii l'on devine, sous les 25 paupières abaissées, des prunelles brillantes d'orgueil et d'amour. J'insiste, je dis : — Convenez qu'elle est joHe. Mais elle a, pour n'en pas convenir, plusieurs raisons 30 que je découvre mieux encore qu'elle ne le ferait elle- même. 102 AN ELEMENTARY FRENCH READER Elle veut s'entendre dire encore et toujours que sa^^ petite enfant est jolie. En le disant elle-même, elle croi- rait manquer à certaine bienséance, et ne pas montrer toute la délicatesse qu'il faut. Elle craindrait surtout 5 d'offenser on ne sait quelle puissance invisible, obscure, qu'elle ne connaît pas, mais qu'elle sent là, dans l'ombre, prête à punir sur les bébés les mamans qui s'enor- gueillissent. Et quel heureux ne le craindrait pas, ce spectre si 10 certainement caché dans les rideaux de la chambre ? Qui donc, le soir, pressant dans ses bras sa femme et son enfant, oserait dire en présence du monde invisible : "Mes cœurs,^^ oii en sommes-nous de notre part^* de joie et de beauté?" C'est pourquoi je dis à ma 15 femme: — Vous avez raison, chère amie, vous avez toujours raison. Le bonheur repose ici, sous ce petit toit. Chut ! Ne faisons pas de bruit: il s'envolerait. Les mères athéniennes craignaient Némésis,^^ cette déesse toujours 20 présente, jamais visible, dont elles ne savaient rien, sinon qu'elle était la jalousie des dieux, Némésis, hélas ! dont le doigt se reconnaissait partout, à toute heure, dans cette chose banale et mystérieuse : l'accident. Les mères athéniennes ! . . . J'aime à me figurer une d'elles 25 endormant au cri des cigales, sous le laurier, au pied de l'autel domestique,^^ son nourrisson nu comme un petit dieu. — J'imagine qu'elle se nommait Lysilla, qu'elle craig- nait Némésis comme vous la craignez, mon amie, et que, 30 comme vous, loin d'humilier les autres femmes par l'éclat d'un faste oriental, elle ne songeait qu'à se faire par- donner sa joie et sa beauté. . . . Lysilla, Lysilla ! avez- SUZANNE 103 vous donc passé sans laisser sur la terre une ombre de votre forme, un souffle de votre âme charmante? Êtes- vous donc comme si vous n'aviez jamais été? La maman de Suzanne coupe le fil capricieux de ces pensées. 5 — Mon ami, dit-elle, pourquoi parlez-vous ainsi de cette femme? Elle eut son temps comme nous avons le nôtre. Ainsi va la vie. — Vous concevez donc, mon âme, que ce qui a été puisse n'être plus? 10 — Parfaitement. Je ne suis pas comme vous qui vous étonnez de tout, mon ami. Et ces paroles, elle les prononce d'un ton tranquille, en préparant la toilette de nuit de Suzanne. Mais Su- zanne refuse obstinément de se coucher. 15 Ce refus passerait dans l'histoire romaine pour un beau trait de la vie d'unTitus,^"^ d'un Vespasien, ou d'un Alex- andre Sévère. Ce refus fait que Suzanne est grondée. Justice humaine, te voilà ! A vrai dire,^^ si Suzanne veut rester debout, c'est, non pas pour veiller au salut de 20 l'empire, mais pour fouiller dans le tiroir d'une vieille commode hollandaise à gros ventre ^^ et à massives poignées de cuivre. Elle y plonge ; elle se tient d'une main au meuble, et, de l'autre, elle empoigne des bonnets, des brassières, des 25 robes qu'elle jette, avec un grand effort, à ses pieds, en poussant de petits cris changeants, légers, et sauvages. Son dos, couvert d'un fichu en pointe, est d'un ridicule attendrissant ; '^ sa petite tête, qu'elle tourne par moments vers moi, exprime une satisfaction plus touchante encore. 30 Je n'y puis tenir.'^^ J'oublie Némésis, je m'écrie : — Voyez-la: elle est adorable dans son tiroir! 104 ^^ ELEMENTARY FRENCH READER D'un geste à la fois mutin et craintif, sa maman me met un doigt sur la bouche. Puis elle retourne auprès du tiroir saccagé. Cependant je poursuis ma pensée: — Chère amie, si Suzanne est admirable par ce qu'elle 5 sait, elle est non moins admirable par ce qu'elle ne sait pas. C'est dans ce qu'elle ignore qu'elle est pleine de poésie. A ces mots la maman de Suzanne tourna ses yeux vers moi en souriant un peu de côté, ce qui est un signe lo de moquerie, puis elle s'écria : — La poésie de Suzanne ! la poésie de votre fille ! Mais elle ne se plaît qu'à la cuisine, votre fille ! Je la trouvai l'autre jour radieuse au milieu des épluchures. Vous appelez cela de la poésie, vous?'^ 15 — Sans doute, chère amie, sans doute. La nature toute entière se reflète en elle avec une si magnifique pureté, qu'il n'y a rien au monde de sale pour elle, pas même le panier aux épluchures. C'est pourquoi vous la trouvâtes perdue,'^^ l'autre jour, dans l'enchantement 20 des feuilles de chou, des pelures d'oignon et des queues de crevettes. C'était un ravissement, madame. Je vous dis qu'elle transforme la nature avec une puissance an- gélique, et que tout ce qu'elle voit, tout ce qu'elle touche s'empreint pour elle de beauté. 25 Pendant ce discours, Suzanne quitta sa commode et s'approcha de la fenêtre. Sa mère l'y suivit et la prit dans ses bras. La nuit était tranquille et chaude. Une ombre transparente baignait la fine chevelure "'^ de l'aca- cia dont nous voyions les fleurs tombées former des traî- 30 nées blanches dans notre cour. Le chien dormait, les pattes hors de sa niche. La terre était trempée au loin d'un bleu céleste."^ Nous nous taisions tous trois. SUZANNE 105 Alors, dans le silence, dans l'auguste silence de la nuit, Suzanne leva le bras aussi haut qu'il lui fut possible, et, du bout de son doigt, qu'elle ne peut jamais ouvrir tout à fait, elle montra une étoile. Ce doigt, qui est d'une petitesse miraculeuse, se courbait par intervalles comme 5 pour appeler. Et Suzanne parla à l'étoile ! Ce qu'elle disait n'était pas composé de mots. C'était un parler obscur et charmant, un chant étrange, quelque chose de doux et de profondément mystérieux, ce qu'il 10 faut enfin pour exprimer l'âme d'un bébé quand un astre s'y reflète. — Elle est drôle, cette petite, dit sa mère en l'embras- sant. ANATOLE FRANCE. ANATOLE FRANCE (1844- ) M. Jacques-Anatole Thibault, connu sous le nom d'Ana- tole France, naquit à Paris en 1844. Il fut d'abord attaché à la bibliothèque du Sénat, puis écrivit dans les journaux Le Temps et Le Figaro. Une intelligente curiosité de la vie antique aussi bien que des choses les plus modernes, une heureuse fantaisie, jointe à une aimable ironie, une grande finesse de pensée et de style font de M. Anatole France un des écrivains contemporains les plus rares et les plus intéressants. Il a publié des nouvelles et des romans. Ses articles de critique littéraire ont été réunis en plusieurs volumes sous le nom de La Vie Littéj-aii^e. Ses principaux romans sont : Jocaste et le Chat Maigre., Le Crime de Sylvestre Bonnard, Le Livre de Mon Ami., Thaïs, Le Lys Rouge., V Ortne du Mail. io6 AN ELEMENTARY FRENCH READER XII DERNIÈRE CAMPAGNE DE TURENNE ; SA MORT Tandis que le roi ^ prenait rapidement la Franche- Comté,2 avec cette facilité et cet éclat attachés encore à sa destinée, Turenne,^ qui ne faisait que défendre les frontières du côté du Rhin, déployait ce que l'art de la 5 guerre peut avoir de plus grand et de plus habile. L'estime des hommes se mesure par les difficultés sur- montées ; et c'est ce qui a donné une si grand réputa- tion à cette campagne de Turenne. (Juin 1674.) D'abord il fait une marche longue et 10 vive, passe le Rhin à Philipsbourg, marche toute la nuit à Seintzheim, force cette ville, et en même temps il attaque et met en fuite Caprara, général de l'empereur,^ et le vieux duc de Lorraine Charles IV, ce prince qui passa toute sa vie à perdre ses états et à lever des 15 troupes, et qui venait de réunir^ sa petite armée avec une partie de celle de l'empereur. Turenne, après l'avoir battu, le poursuit, et bat encore sa cavalerie à Ladenbourg (juillet 1674) : de là il court à un autre général des Impériaux,^ le prince de Bournonville, qui 20 n'attendait que de nouvelles troupes pour s'ouvrir le chemin de l'Alsace; il prévient la jonction de ces troupes, l'attaque, et lui fait quitter le champ de bataille (octobre 1674). L'Empire rassemble contre lui toutes ses forces: 25 soixante-et-dix ^ mille Allemands sont dans l'Alsace ; DERNIERE CAMPAGNE DE TURENNE 107 Brisack et Philipsbourg étaient bloqués par eux. Tu- renne n'avait plus que vingt mille hommes efifectifs tout au plus.^ Le prince de Condé lui envoya de Flandre quelque secours de cavalerie; alors il traverse, par Tanne et par Béfort,^ des montagnes couvertes de neige ; 5 il se trouve tout d'un coup ^^ dans la haute Alsace, au milieu des quartiers des ennemis, qui le croyaient en repos en Lorraine et qui pensaient que la campagne était finie. Il bat, à Mulhausen, les quartiers qui ré- sistent; il en fait deux prisonniers. Il marche à Colmar, 10 où l'électeur de Brandebourg, qu'on appelle le grand électeur, alors général des armées de l'Empire, avait son quartier : il arrive dans le temps que ce prince et les autres généraux se mettaient à table ; ^^ ils n'eurent que le temps de s'échapper : la campagne était couverte de 15 fuyards. Turenne, croyant n'avoir rien fait tant qu'il restait quelque chose à faire, attend encore auprès de Turck- heim une partie de l'infanterie ennemie. L'avantage du poste qu'il avait choisi rendait sa victoire sûre : il défait 20 cette infanterie (5 janvier 1675). Enfin une armée de soixante-et-dix mille hommes se trouve vaincue et dis- persée presque sans grand combat ; l'Alsace reste au roi, et les généraux de l'Empire sont obligés de repasser le Rhin. 25 Toutes ces actions consécutives, conduites avec tant d'art, si patiemment digérées, exécutées avec tant de promptitude, furent également admirées des Français et des ennemis. La gloire de Turenne reçut un nouvel accroissement, quand on sut que tout ce qxi'il avait fait 3° dans cette campagne, il l'avait fait malgré la cour et malgré les ordres réitérés de Louvois, donnés au nom ^^ I08 AN ELEMENTARY ERENCH READER du roi. Résister à Louvois tout-puissant, et se charger de l'événement, malgré les cris de la cour, les ordres de Louis XIV, et la haine du ministre, ne fut pas la moindre marque de courage de Turenne, ni le moindre exploit de 5 la campagne. Il faut avouer que ceux qui ont plus d'humanité que d'estime pour les exploits de guerre gémirent de cette campagne si glorieuse : elle fut célèbre par les malheurs des peuples autant que par les expéditions de Turenne. 10 Après la bataille de Seintzheim, il mit à feu et à sang ^^ le Palatinat,^^ pays uni et fertile, couvert de villes et de bourgs opulents. L'électeur palatin vit, du haut de son château de Mannheim, deux villes et vingt-cinq villages embrasés : ce prince désespéré défia Turenne à un com- 15 bat singulier,^^ par une lettre pleine de reproches. Tu- renne ayant envoyé la lettre au roi, qui lui défendit d'accepter le cartel, ne répondit aux plaintes et au défi de l'électeur que par un compliment vague et qui ne signifiait rien. C'était assez le style et l'usage de Tu- 20 renne, de s'exprimer toujours avec modération et ambiguïté. Il brûla avec le même sang-froid les fours et une partie des campagnes de l'Alsace, pour empêcher les ennemis de subsister : il permit ensuite à sa cavalerie de ravager 25 la Lorraine. On y fit tant de désordre, que rintendant,^^ qui, de son côté, désolait la Lorraine avec sa plume,^' lui écrivit et lui parla souvent pour arrêter ces excès. Il ré- pondit froidement: "Je le ferai dire à l'ordre. "^^ Il ai- mait mieux ^^ être appelé le père des soldats qui lui étaient 30 confiés, que des peuples, qui, selon les lois de la guerre, sont toujours sacrifiés. Tout le mal qu'il faisait paraissait nécessaire ; sa gloire couvrait tout ; d'ailleurs les soixante- n ERNIE RE CAMPAGNE DE TU RENNE 109 et-dix mille Allemands qu'il empêcha de pénétrer en France y auraient fait beaucoup plus de mal qu'il n'en fit à l'Alsace, à la Lorraine, et au Palatinat. Telle a été depuis le commencement du seizième siècle la situation de la France, que, toutes les fois^^ 5 qu'elle a été en guerre, il a fallu combattre à la fois vers l'Allemagne, la Flandre, l'Espagne, et l'Italie. Le prince de Condé faisait tête en Flandre au jeune prince d'Orange, tandis que Turenne chassait les Allemands de l'Alsace. La campagne du maréchal de Turenne fut 10 heureuse, et celle du prince de Condé sanglante. Les petits combats de Seintzheim et de Turckheim furent décisifs : la grande et célèbre bataille de Senef ne fut qu'un carnage. Le grand Condé, qui la donna ^^ pen- dant les marches sourdes de Turenne en Alsace, n'en 15 tira aucun succès, soit que les circonstances des lieux lui fussent moins favorables, soit qu'il eût pris des mesures moins justes, soit plutôt qu'il eût des généraux plus habiles et de meilleures troupes à combattre. Le marquis de Feuquières veut qu'on ne donne à la bataille 20 de Senef que le nom de combat, parce que l'action ne se passa pas entre deux armées rangées, et que tous les corps n'agirent point; mais il paraît qu'on s'accorde à nommer bataille cette journée si vive et si meurtrière. Le choc de trois mille hommes rangés, dont tous les 25 petits corps agiraient, ne serait qu'un combat. C'est toujours l'importance qui décide du nom. Le prince de Condé avait à tenir la campagne,^^ avec environ quarante-cinq mille homm.es, contre le prince d'Orange, qui en avait, dit-on, soixante mille. Il at- 30 tendit que l'armée ennemie passât un défilé à Senef, près de Mons. Il attaqua une partie de l'arrière-garde, com- 1 10 AN ELEMENTAR Y FRENCH READER posée d'Espagnols, et y eut un grand avantage. On blâma le prince d'Orange de n'avoir pas pris assez de précautions dans le passage du défilé ; mais on admira la manière dont il rétablit le désordre, et on n'approuva 5 pas que Condé voulût ensuite recommencer le combat contre des ennemis trop bien retranchés. On se battit à trois reprises.^^ Les deux généraux, dans ce mélange de fautes et de grandes actions, signalèrent également leur présence d'esprit et leur courage. De tous les 10 combats que donna le grand Condé, ce fut celui ou il prodigua le plus sa vie et celle de ses soldats. Il eut trois chevaux tués sous lui. Il voulait, après trois attaques meurtrières, en hasarder encore une quatrième. Il parut, dit un officier qui y était, " qu'il n'y avait plus 15 que le prince de Condé qui eût envie de se battre." Ce que cette action eut de plus singulier, c'est que les troupes de part et d'autre,^^ après les mêlées les plus sanglantes et les plus acharnées, prirent la fuite, le soir, par une terreur panique.^^ Le lendemain, les deux 20 armées se retirèrent chacune de son côté, aucune n'ayant ni le champ de bataille, ni la victoire, toutes deux plutôt également affaiblies et vaincues. Il y eut près de sept mille morts et cinq mille prisonniers du côté des Français ; les ennemis firent une perte égale. Tant de 25 sang inutilement répandu empêcha l'une et l'autre armée de rien entreprendre de considérable. Il importe tant de donner de la réputation à ses armes, que le prince d'Orange, pour faire croire qu'il avait eu la victoire, assiégea Oudenarde ; mais le prince de Condé prouva 30 qu'il n'avait pas perdu la bataille, en faisant aussitôt lever le siège, et en poursuivant le prince d'Orange. On observa également en France et chez les alliés la DERNIERE CAMPAGNE DE TURENNE m vaine cérémonie de rendre grâce à Dieu d'une victoire qu'on n'avait point remportée : usage établi pour en- courager les peuples, qu'il faut toujours tromper. Turenne, en Allemagne, avec une petite armée, con- tinua des progrès qui étaient le fruit de son génie. Le 5 conseil de Vienne, n'osant plus confier la fortune de l'Empire à des princes qui l'avaient mal défendu, remit à la tête de ses armées le général Montecuculli,^^ celui qui avait vaincu les Turcs à la journée de Saint- Gothard,^" et qui, malgré Turenne et Condé, avait 10 joint le prince d'Orange et avait arrêté la fortune de Louis XIV après la conquête de trois provinces de Hollande. On a remarqué que les plus grands généraux de l'Empire ont souvent été tirés d'Italie. Ce pays, dans 15 sa décadence et dans son esclavage, porte encore des hommes qui font souvenir de ce qu'il était autrefois. Montecuculli était seul digne d'être opposé à Turenne : tous deux avaient réduit la guerre en art. Ils passèrent quatre mois à se suivre, à s'observer dans des marches 20 et dans des campements plus estimés que des victoires par les officiers allemands et français. L'un et l'autre jugeait de ce que son adversaire allait tenter par les démarches que lui-même eût voulu faire à sa place ; et ils ne se trompèrent jamais. Ils opposaient l'un à 25 l'autre la patience, la ruse et l'activité ; enfin ils étaient près d'en venir aux mains,^^ et de commettre leur réputation au sort d'une bataille, auprès du village de Saltzbach, lorsque Turenne, en allant choisir une place pour dresser une batterie,^^ fut tué d'un coup de canon 30 (27 juillet 1675). Il n'y a personne qui ne sache les circonstances de cette mort; mais on ne peut se dé- 112 AN ELEMENTARY FRENCH READER fendre d'en retracer les principales, par le même esprit qui fait qu'on en parle encore tous les jours.^^ Il semble qu'on ne puisse trop redire que le même boulet que le tua, ayant emporté le bras de Saint-Hilaire, 5 lieutenant-général de l'artillerie, son fils, se jetant en larmes auprès de lui : " Ce n'est pas moi, lui dit Saint- Hilaire, c'est ce grand homme qu'il faut pleurer," paroles comparables à tout ce que l'histoire a consacré de plus héroïque, et le plus digne éloge de Turenne. Il est très- 10 rare que, sous un gouvernement monarchique, o\x les hommes ne sont occupés que de leur intérêt particulier, ceux qui ont servi la patrie meurent regrettés du pub- lic ; cependant Turenne fut pleuré des soldats et des peuples. Louvois fut le seul qui ne le regretta pas : 15 la voix publique '^^ l'accusa même, lui et son frère, l'ar- chevêque de Reims, de s'être réjouis indécemment de la perte de ce grand homme. On sait les honneurs que le roi fit rendre ^^ à sa mémoire, et qu'il fut enterré à Saint- Denis,^^ comme le connétable Duguesclin ^^ au-dessus 20 duquel l'opinion générale l'élève autant que le siècle de Turenne est supérieur au siècle du connétable. Turenne n'avait pas eu toujours des succès heureux à la guerre ; il avait été battu à Mariendal, à Réthel, à Cambrai : aussi disait-il qu'il avait fait des fautes, et il 25 était assez grand pour l'avouer. Il ne fit jamais de con- quêtes éclatantes, et ne donna point de ces grandes batailles rangées,^^ dont la décision rend quelquefois une nation maîtresse de l'autre ; mais, ayant toujours réparé ses défaites, et fait beaucoup avec peu, il passa 30 pour le plus habile capitaine de l'Europe, dans un temps où l'art de la guerre était plus approfondi que jamais. De même, quoiqu'on lui eût reproché sa défection dans DERNIERE CAMPAGNE DE TU RENNE 113 les guerres de la Fronde,''^^ quoiqu'à l'âge de près de soixante ans l'amour lui eût fait révéler le secret de l'Etat, quoiqu'il eût exercé dans le Palatinat des cruautés qui ne semblaient pas nécessaires, il conserva la réputation d'un homme de bien,^'' sage et modéré, parce que ses 5 vertus et ses grands talents, qui n'étaient qu'à lui,^^ devaient faire oublier des faiblesses et des fautes qui lui étaient communes avec tant d'autres hommes. Si on pouvait le comparer à quelqu'un, on oserait dire que, de tous les généraux des siècles passés, Gonsalve de 10 Cordoue^^ surnommé le grand capitaine, est celui auquel il ressemblait davantage. VOLTAIRE. VOLTAIRE (1694-1778) NÉ à Paris, François-Marie Arouet, qui prit le nom de Voltaire^ a rempli, au 18^ siècle, la France et l'Europe entière de son nom. Écrivain brillant, doué au suprême degré d'un esprit clair et logique, il cultiva avec succès presque tous les genres littéraires, et fit preuve, durant sa longue carrière d'écrivain, d'une activité intel- lectuelle presque sans exemple. Il passa plusieurs années en Angleterre, puis en Prusse (à la cour de Frédéric II). Il prit une part considérable à la lutte philosophique qui devait aboutir à la Révolution française. Poursuivi pour ses opinions libérales, il fut plusieurs fois obligé de quitter Paris, et il finit par s'établir défini- tivement à Ferney, près de la frontière suisse ; il y passa les vingt dernières années de sa vie. La correspondance de Voltaire est probablement la plus variée et la plus étendue qu'aucun homme ait jamais entretenue. Parmi ses nombreux ouvrages, citons : Essai sur les Mœurs, Siècle de Louis XIV, Dictionnaire Philosophique ; ses romans : Zadig^ Candide^ Micromégasj ses tragédies : Zaïre, Me'rope. 8 114 AN ELEMENTARY FRENCH READER XIII LE PARAPLUIE Mme. Oreille était économe. Elle savait la valeur d'un sou et possédait un arsenal de principes sévères sur la multiplication de Targent. Sa bonne, assurément, avait grand mal à faire danser l'anse du panier ; ^ et M. 5 Oreille n'obtenait sa monnaie de poche qu'avec une extrême difficulté. Ils étaient à leur aise^ pourtant, et sans enfants ; mais Mme. Oreille éprouvait une vraie douleur à voir les pièces blanches^ sortir de chez elle. C'était comme une déchirure pour son cœur; et, chaque 10 fois qu'il lui avait fallu faire une dépense de quelque im- portance, bien qu'indispensable, elle dormait fort mal la nuit suivante. Oreille répétait sans cesse à sa femme : — Tu devrais avoir la main plus large,^ puisque nous 15 ne mangeons jamais^ nos revenus. Elle répondait: — On ne sait jamais ce qui peut arriver. Il vaut mieux avoir plus que moins. C'était une petite femme de quarante ans, vive, ridée, 20 propre, et souvent irritée. Son mari à tout moment se plaignait des privations qu'elle lui faisait endurer. Il en était ^ certaines qui lui devenaient particulièrement pénibles, parce qu'elles atteignaient sa vanité. 25 II était commis principal au Ministère de la Guerre, LE PARAPLUIE 115 demeuré là uniquement pour obéir à sa femme, pour augmenter les rentes inutilisées de la maison. Or, pendant deux ans il vint au bureau avec le même parapluie rapiécé, qui donnait à rire à ses collègues. Las enfin de leurs quolibets, il exigea que Mme. Oreille lui 5 achetât un nouveau parapluie. Elle en prit un de huit francs cinquante," article de réclame d'un grand magasin. Les employés, en apercevant cet objet, jeté dans Paris par milliers, recommencèrent leurs plaisanteries, et Oreille en souffrit horriblement. Le parapluie ne valait rien. 10 En trois mois il fut hors de service,^ et la gaieté devint générale dans le Ministère.^ On fit même une chanson qu'on entendait du matin au soir, du haut en bas de l'immense bâtiment. Oreille, exaspéré, ordonna à sa femme de lui choisir 15 un nouveau riflard, en soie fine, de vingt francs, et d'ap- porter une facture justificative. Elle en acheta un de dix-huit francs et déclara, rouge d'irritation, en le remettant à son époux : — Tu en as là pour cinq ans au moins. 20 Oreille triomphant, obtint un vrai succès au bureau. Lorsqu'il rentra le soir, sa femme, jetant un regard inquiet ^^ sur le parapluie, lui dit: — Tu ne devrais pas le laisser serré avec l'élastique, c'est le moyen de couper la soie. C'est à toi ^^ d'y 25 veiller, parceque je ne t'en achèterai pas un de sitôt. ^^ Elle le prit, dégrafa l'anneau et secoua les plis. Mais elle demeura saisie d'émotion. Un trou rond, grand comme un centime,^^ lui apparut au milieu du parapluie. C'était une brûlure de cigare ! 3° Elle balbutia : — Qu'est-ce qu'il a?^* Ii6 AN ELEMENTARY FRENCH READER Son mari répondit tranquillement, sans regarder : — Qui, quoi? Que veux-tu dire?^^ La colère l'étranglait maintenant; elle ne pouvait plus parler : 5 — Tu ... tu ... tu as brûlé . . ton . . . ton . . . parapluie. Mais tu ... tu ... es donc fou ! . . . Tu veux nous ruiner ! Il se retourna, se sentant pâlir. — Tu dis? — Je dis que tu as brûlé ton parapluie. Tiens!.., lo Et, s'élançant vers lui comme pour le battre, elle lui mit violemment sous le nez la petite brûlure circulaire. Il restait éperdu devant cette plaie, bredouillant: — Ça, ça . . . qu'est-ce que c'est? Je ne sais pas, moi ! Je n'ai rien fait, rien, je te le jure. Je ne sais pas ce qu'il 15 a, moi, ce parapluie ! Elle criait maintenant: — Je parie que tu as fait des farces ^^ avec lui dans ton bureau, que tu as fait le saltimbanque, que tu l'as ouvert pour le montrer. 20 II répondit: — Je l'ai ouvert une seule fois pour montrer comme il était beau. Voilà tout. Je te le jure. Mais elle trépignait de fureur, et elle lui fit une de ces scènes conjugales qui rendent le foyer familial plus re- 25 doutable pour un homme pacifique qu'un champ de bataille où pleuvent les balles. Elle ajusta une pièce avec un morceau de soie coupé sur l'ancien parapluie, qui était de couleur différente ; et, le lendemain Oreille partit, d'un air humble, avec lo l'instrument raccommodé. Il le posa dans son armoire et n'y pensa plus que comme on pense à quelque mauvais souvenir. LE PARAPLUIE 117 Mais à peine fut-il rentré, le soir, sa femme lui saisit son parapluie dans les mains, l'ouvrit pour constater son état et demeura suffoquée devant un désastre irréparable. Il était criblé de petits trous provenant évidemment de brûlures, comme si on eut vidé dessus la cendre d'une 5 pipe allumée. Il était perdu, perdu sans remède.^'' Elle contemplait cela sans dire un mot, trop indignée pour qu'un son pût sortir de sa gorge. Lui aussi il constatait le dégât, et il restait stupide, épouvanté, consterné. 10 Puis ils se regardèrent; puis il baissa les yeux; puis il reçut par la figure l'objet crevé qu'elle lui jetait; puis elle cria, retrouvant sa voix dans un emportement de fureur : — Ah ! canaille ! canaille ! Tu en a fait exprès ! ^^ 15 Mais tu me le payeras ! tu n'en auras plus ! ^^ Et la scène recommença. Après une heure de tem- pête, il put enfin s'expliquer. Il jura qu'il n'y comprenait rien ; que cela ne pouvait provenir que de malveillance ou de vengeance. 20 Un coup de sonnette ^^ le délivra. C'était un ami qui devait '"^^ dîner chez eux. Mme. Oreille lui soumit le cas. Quant à acheter un nouveau parapluie, c'était fini,^^ son mari n'en aurait plus. 25 L'ami argumenta avec raison : — Alors, madame, il perdra ^^ ses habits, qui valent certes davantage. La petite femme, toujours furieuse, répondit: — Alors il prendra un parapluie de cuisine,^^ je ne lui 30 en donnerai pas un nouveau en soie. A cette pensée, Oreille se révolta. 1 1 8 AN ËLEMENTAR Y FRENCH READER — Alors je donnerai ma démission,^'^ moi ! Mais je n'irai pas au Ministère avec un parapluie de cuisine. L'ami reprit: — Faites recouvrir celui-là, ça ne coûte pas très cher.^^ 5 Mme. Oreille, exaspérée, balbutiait: — Il faut au moins huit francs pour le faire recouvrir. Huit francs et dix-huit, cela fait vingt-six ! Vingt-six francs pour un parapluie, mais c'est de la folie ! c'est de la démence ! 10 L'ami, bourgeois pauvre,^^ eut une inspiration: — Faites-le payer par votre Assurance. Les com- pagnies payent les objets brûlés, pourvu que le dégât ait eu lieu ^^ dans votre domicile. A ce conseil, la petite femme se calma net; puis, 15 après une minute de réflexion, elle dit à son mari : — Demain, avant de te rendre à ton Ministère,^^ tu iras dans les bureaux de la Maternelle faire constater l'état de ton parapluie et réclamer le payement. M. Oreille eut un soubresaut.^^ 20 — Jamais de la vie ^^ je n'oserai ! C'est dix-huit francs de perdus, voilà tout. Nous n'en mourrons pas. Et il sortit le lendemain avec une canne. Il faisait beau ^'^ heureusement. Restée seule à la maison, Mme. Oreille ne pouvait se 25 consoler de la perte de ses dix-huit francs. Elle avait le parapluie sur la table de la salle à manger, et elle tournait autour, sans parvenir à prendre une résolution.^^ La pensée de l'Assurance lui revenait à tout instant, mais elle n'osait pas non plus affronter les regards rail- 30 leurs des messieurs qui la recevraient, car elle était timide devant le monde, rougissant pour un rien,^* embarrassée dès qu'il lui fallait parler à des inconnus. LE PARAPLUIE 119 Cependant le regret des dix-huit francs la faisait souf- frir comme une blessure. Elle n'y voulait plus songer, et sans cesse le souvenir de cette perte la martelait dou- loureusement. Que faire ^-^ cependant? Les heures passaient; elle ne se décidait à rien. Puis, tout à coup, 5 comme les poltrons qui deviennent crânes, elle prit sa résolution : — J'irai et nous verrons bien ! Mais il lui fallait d'abord préparer le parapluie pour que le désastre fût complet et la cause facile à soutenir."^*^ 10 Elle prit une allumette sur la cheminée et fit, entre les baleines, une grande brûlure, large comme la main ; pms elle roula délicatement ce qui restait de la soie, la fixa avec le cordelet élastique, mit son châle et son chapeau et descendit d'un pied pressé vers la rue de Rivoli, o\i se 15 trouvait l'Assurance. Mais à mesure qu'elle approchait, elle ralentissait le pas. Qu'allait-elle dire? Qu'allait-on lui répondre? Elle regardait les numéros des maisons. Elle en avait encore vingt-huit. Très bien ! Elle pouvait réflé- 20 chir. Elle allait de moins en moins vite. Soudain elle tressaillit. Voici la porte, sur laquelle brille en lettres d'or : " La Maternelle, Compagnie d'Assurances contre l'incendie." ^' Déjà ! Elle s'arrêta une seconde, an- xieuse, honteuse, puis passa, puis revint, puis passa de 25 nouveau, puis revint encore. Elle se dit enfin : — Il faut y aller pourtant. Mieux vaut plus tôt que plus tard.^^ Mais, en pénétrant dans la maison, elle s'aperçut que 30 son cœur battait Elle entra dans une vaste pièce avec des guichets tout autour ; et par chaque guichet on aper- I20 AN ELEMENTARY FRENCH READER cevait une tête d'homme dont le corps était caché par un treillage. Un monsieur parut, portant des papiers. Elle s'arrêta, et d'une petite voix timide : 5 — Pardon, monsieur, pourriez-vous me dire oii il faut s'adresser pour se faire remboursera^ les objets brûlés? Il répondit, avec un timbre sonore : — Premier,*^ à gauche. Au bureau des sinistres.*^ Ce mot l'intimida davantage encore ; et elle eut envie 10 de se sauver, de ne rien dire, de sacrifier ses dix-huit francs. Mais à la pensée de cette somme, un peu de courage lui revint et elle monta, essoufflée, s'arrêtant à chaque marché. Au premier, elle aperçut une porte, elle frappa. Une 15 voix claire cria : — Entrez! 42 Elle entra et se vit dans une grande pièce où trois messieurs, debout, décorés,^^ solennels, causaient. Un d'eux lui demanda: 20 — Que désirez-vous, madame? Elle ne trouva plus ses mots, elle bégaya : — Je viens . . . je viens . . . pour . . . pour un sinistre. Le monsieur, poli, montra un siège. — Donnez-vous la peine de vous asseoir; ^^ je suis à 25 vous 4^ dans une minute. Et, retournant vers les deux autres, il reprit la con- versation. — La Compagnie, messieurs, ne se croit pas engagée envers vous pour plus de quatre cent mille francs. Nous 30 ne pouvons admettre vos revendications pour les cent mille francs que vous prétendez nous faire payer en plus.4^ L'estimation, d'ailleurs ... LE PARAPLUIE I2i Un des deux autres l'interrompit: — Cela suffit, monsieur, les tribunaux décideront. Nous n'avons plus qu'à nous retirer. Et ils sortirent avec plusieurs saluts cérémonieux: Oh ! si elle avait osé partir avec eux, elle l'aurait fait ; 5 elle aurait fui, abandonnant tout ! Mais le pouvait- elle?^'^ Le monsieur revint et, s'inclinant: — Qu'y a-t-il pour votre service/^ madame? Elle articula péniblement: — Je viens pour . . . pour ceci. 10 Le directeur baissa les yeux, avec un étonnement naïf, vers l'objet qu'elle lui tendait. Elle essayait, d'une main tremblante, de détacher l'élastique. Elle y parvint après quelques efforts, et ouvrit brusquement le squelette loqueteux du para- 15 pluie. L'homme prononça, d'un ton compatissant: — Il me paraît bien malade.^^ Elle déclara avec hésitation : — Il m'a coûté vingt francs. 20 Il s'étonna: — Vraiment? Tant que ça? — Oui, il était excellent. Je voulais vous faire con- stater son état. — Fort bien ; je vois. Fort bien. Mais je ne sais 25 pas en quoi cela peut me concerner. Une inquiétude la saisit. Peut-être cette compagnie- là ne payait-elle pas les menus objets, et elle dit: — Mais ... il est brûlé . . . Le monsieur ne nia pas : 3° • — Je le vois bien. Elle restait bouche béante,^*^ ne sachant plus que dire ; ^^ 122 AN ELEMENTARY FRENCH READER puis, soudain, comprenant son oubli, elle prononça avec précipitation : — Je suis Mme. Oreille. Nous sommes assurés à la Maternelle ; et je viens vous réclamer le prix de ce 5 dégât. Elle se hâta d'ajouter dans la crainte d'un refus positif: — Je demande seulement que vous le fassiez recouvrir. Le directeur, embarrassé, déclara : — Mais . . . madame . . . nous ne sommes pas mar- 10 chands de parapluies.^^ Nous ne pouvons nous charger de ces genres de réparations. La petite femme sentait l'aplomb lui revenir. Il fallait lutter. Elle lutterait donc ! Elle n'avait plus peur ; elle dit: 15 — Je demande seulement le prix de la réparation. Je la ferai bien faire moi-même.^^ Le monsieur semblait confus : — Vraiment, madame; c'est bien peu. On ne nous demande jamais d'indemnité pour des accidents d'une si 20 minime importance. Nous ne pouvons rembourser, con- venez-en,^^ les mouchoirs, les gants, les balais, les savates, tous les petits objets qui sont exposés chaque jour à subir des avaries par la flamme. Elle devint rouge, sentant la colère l'envahir : 25 — Mais, monsieur, nous avons eu au mois de décembre dernier un feu de cheminée ^^ qui nous a causé au moins pour cinq cent francs de dégâts; M. Oreille n'a rien réclamé à la compagnie ; aussi il est bien juste qu'elle me paye mon parapluie ! 30 Le directeur, devinant le mensonge, dit en souriant: — Vous avouerez, madame, qu'il est bien étonnant que M. Oreille, n'ayant rien demandé pour un dégât de LE PARAPLUIE 123 cinq cent francs, vienne réclamer une réparation de cinq ou six francs pour un parapluie. Elle ne se troubla point et répliqua: — Pardon, monsieur, le dégât de cinq cent francs con- cernait la bourse de M. Oreille, tandis que le dégât de 5 dix-huit francs concerne la bourse de Mme. Oreille, ce qui n'est pas la même chose. Il vit qu'il ne s'en débarrasserait pas, et qu'il allait perdre sa journée, et il demanda avec résignation : — Veuillez me dire^^ alors comment l'accident est 10 arrivé. Elle sentit la victoire et se mit à raconter : — Voilà, monsieur ! J'ai dans mon vestibule une espèce de chose en bronze oii l'on pose les parapluies et les cannes. L'autre jour, donc, en rentrant, je plaçai 15 dedans celui-là. Il faut vous dire qu'il y a juste au- dessus une planchette pour mettre les bougies et les allumettes. J'allonge le bras, je prends quatre allumettes. J'en frotte une ; elle rate.^' J'en frotte une autre ; elle s'allume et s'éteint aussitôt. J'en frotte une troisième ; 20 elle en fait autant. Le directeur l'interrompit pour placer un mot d'esprit.^^ — C'étaient donc des allumettes du gouvernement. Elle ne comprit pas et continua: ■ — Ça se peut bien.^^ Toujours est-il ^^ que la qua- 25 trième prit feu et j'allumai ma bougie; puis je rentrai dans ma chambre pour me coucher. Mais au bout d'un quart d'heure, il me sembla qu'on sentait le brûlé. Moi j'ai toujours peur du feu. Oh ! si nous avons jamais un sinistre, ce ne sera pas ma faute ! Surtout depuis le feu 30 de cheminée dont je vous ai parlé, je ne vis pas. Je me relève donc, je sors, je sens partout comme un chien de 124 AN ELEMENTARY FRENCH READER chasse, et je m'aperçois enfin que mon parapluie briale. C'est probablement une allumette qui était tombée dedans. Vous voyez dans quel état ça l'a mis. . . . Le directeur en avait pris son parti ; ^^ il demanda : 5 — A combien estimez-vous le dégât? Elle demeura sans parole, n'osant pas fixer un chiffre. Puis elle dit, voulant être large : — Faites le réparer vous-même. Je m'en rapporte à vous.*"^ 10 II refusa : — Non, madame, je ne peux pas. Dites-moi combien vous demandez. — Mais, ... il me semble . . . que . . . Tenez,^^ monsieur, je ne veux pas gagner sur vous, moi . . . nous 15 allons faire une chose. Je porterai mon parapluie chez un fabricant qui le recouvrira en bonne soie, en soie durable, et je vous apporterai la facture. Ça vous va-t-il ? ^^ — Parfaitement, madame ; c'est entendu. ^^ Voici un 20 mot pour la caisse,^^ qui remboursera votre dépense. Et il tendit une carte à Mme. Oreille qui la saisit, puis se leva et sortit en remerciant, a}^ant hâte d'être dehors, de crainte qu'il ne changeât d'avis. ^'' Elle allait maintenant d'un pas gai par la rue, cher- 25 chant un marchand de parapluies qui lui parût élégant. Quand elle eut trouvé une boutique d'allure riche, elle entra et dit d'une voix assurée : — Voici un parapluie à recouvrir en soie, en très bonne soie. Mettez-y ce que vous avez de meilleur. 30 Je ne regarde pas au prix.^^ GUY DE MAUPASSANT. LE PARAPLUIE 125 GUY DE MAUPASSANT (1850-1893) NÉ en Normandie, Maupassant est un des principaux écrivains français du XIX^ siècle. Il obtint très vite une grande notoriété, grâce à ses nouvelles, dont la plupart sont de purs chefs-d'œuvre. Elles sont remarquables non seulement par le naturel, la clarté, et la fermeté du style, mais aussi par la vérité des caractères. Ses principaux ouvrages sont: Bel-Ami^ Notre Cœur, Pierre et Jean, Boule de Suif, Une Vie, etc. 126 AN ELEMENTARY FRENCH READER XIV CE QU'IL EN COÛTE DE SAUVER UNE TURQUE (RÉCIT D'UN JEUNE DIPLOMATE) Eh bien! vous saurez^, mesdames, que j'étais à Lar- naca^ en i8. . . Un jour, je sortis de la ville pour dessiner. Avec moi était un jeune Anglais très aima- ble, bon garçon, bon vivant,^ nommé sir John Tyrrel, 5 un de ces hommes précieux en voyage, parce qu'ils pensent au dîner, qu'ils n'oublient pas les provisions et qu'ils sont toujours de bonne humeur. D'ailleurs il voyageait sans but et ne savait ni la géologie ni la botanique, sciences bien fâcheuses dans un compagnon 10 de voyage. Je m'étais assis à l'ombre d'une masure, à deux cents pas environ de la mer, qui, dans cet endroit, est dominée par des rochers à pic. J'étais fort occupé à dessiner ce qui restait d'un sarcophage* antique, tandis que sir John, 15 couché sur l'herbe, se moquait de ma passion malheu- reuse pour les beaux-arts^ en fumant de délicieux tabac de Latakié.^ A côté de nous, un drogman ' turc, que nous avions pris à notre service, nous faisait du café. C'était le meilleur faiseur de café et le plus poltron de 20 tous les Turcs que j'aie connus. Tout d'un coup sir John s'écria avec joie: CE QU'IL EN COUTE 12/ — Voici des geas qui descendent de la montagne avec de la neige ; nous allons leur en acheter et faire du sor- bet avec des oranges. Je levai les yeux, et je vis venir à nous un âne sur le- quel était chargé en travers un gros paquet; deux es- 5 claves le soutenaient de chaque côté. En avant, un ânier conduisait l'âne, et derrière, un Turc vénérable, à barbe blanche, fermait la marche, monté sur un assez bon cheval. Toute cette procession s'avançait lentement et avec beaucoup de gravité. 10 Notre Turc, tout en^ soufflant son feu, jeta un coup d'œil de côté sur la charge de l'âne, et nous dit avec un singulier sourire : '' Ce n'est pas de la neige." Puis il s'occupa de notre café avec son flegme habituel. — Qu'est-ce donc? demanda Tyrrel. Est-ce quelque 15 chose à manger? — Pour les poissons, répondit le Turc. En ce moment l'homme à cheval partit au galop, et, se dirigeant vers la mer, il passa auprès de nous, non sans nous jeter un de ces regards méprisants que les 20 musulmans adressent volontiers aux chrétiens. Il poussa son cheval jusqu'aux rochers à pic dont je vous ai parlé, et l'arrêta court à l'endroit le plus escarpé. Il regardait la mer, et paraissait chercher le meilleur endroit pour se précipiter. 25 Nous examinâmes alors avec plus d'attention le paquet que portait l'âne, et nous fûmes frappés de la forme étrange du sac. Toutes les histoires de femmes noyées par des maris jaloux nous revinrent aussitôt à la mé- moire. Nous nous communiquâmes nos réflexions. 30 — Demande à ces coquins, dit sir John à notre Turc, si ce n'est pas une femme qu'ils portent ainsi? 128 AN ELEMENTARY FRENCH READER Le Turc ouvrit de grands yeux effarés, mais non la bouche. Il était évident qu'il trouvait notre question par trop inconvenante. En ce moment, le sac étant près de nous, nous le 5 vîmes distinctement remuer, et nous entendîmes même une espèce de gémissement ou de grognement qui en sortait. Tyrrel, quoique gastronome, est fort chevaleresque. Il se leva comme un furieux, courut à l'ânier et lui de- 10 manda en anglais, tant il était troublé par la colère, ce qu'il conduisait ainsi et ce qu'il prétendait faire de son sac. L'ânier n'avait garde de répondre^: mais le sac s'agita violemment, des cris de femme se firent entendre ^^ : sur quoi ^^ les deux esclaves se mirent à donner sur le sac 15 de grands coups de courroies, dont ils se servaient ^^ pour faire marcher l'âne. Tyrrel était poussé à bout.^^ D'un vigoureux et scientifique coup de poing il jeta l'ânier à terre et saisit un esclave à la gorge : sur quoi le sac, poussé violemment dans la lutte, tomba lourdement 20 sur l'herbe. J'étais accouru. L'autre esclave se mettait en devoir^* de ramasser des pierres, l'ânier se relevait. Malgré mon aversion pour me mêler des affaires des autres, il m'était impossible de ne pas venir au secours de mon 25 compagnon. M'étant saisi d'un piquet qui me servait à^^ tenir mon parasol quand je dessinais, je le brandissais en menaçant les esclaves et l'ânier de l'air le plus martial qu'il m'était possible. Tout allait bien, quand ce diable de Turc ^^ à cheval, ayant fini de contempler la mer et 30 s'étant retourné au bruit que nous faisions, partit comme une flèche et fut sur nous avant que nous y eussions pensé : il avait à la main une espèce de vilain coutelas. . . CE QU'IL EN COUTE 129 — Un ataghan? dit Châteaufort,^'' qui aimait la couleur locale. ^^ — Un ataghan, reprit Darcy, avec un sourire d'appro- bation. Il passa auprès de moi, et me donna sur la tête un 5 coup de cet ataghan qui me fit voir trente-six bougies, ^^ comme disait si élégamment mon ami M. le marquis de Roseville. Je ripostai pourtant en lui assénant un bon coup de piquet sur les reins,^^ et je fis ensuite le mouli- net de mon mieux,^^ fi-appant ânier, esclaves, cheval et 10 Turc, devenu moi-même dix fois plus furieux que mon ami sir John Tyrrel. L'affaire aurait sans doute tourné mal pour nous. Notre drogman observait la neutralité, et nous ne pouvions nous défendre longtemps avec un bâton contre trois hommes d'infanterie, un de cavalerie 15 et un ataghan. Heureusement sir John se souvint d'une paire de pistolets que nous avions apportée. Il s'en saisit, m'en jeta un, et prit l'autre qu'il dirigea aussitôt contre le cavalier qui nous donnait tant d'affaires.^^ La vue de ces armes et le léger claquement du chien du pistolet 20 produisirent un effet magique sur nos ennemis. Ils prirent honteusement la fuite, nous laissant maîtres du champ de bataille, du sac et même de l'âne. Malgré toute notre colère, nous n'avions pas fait feu, et ce fut un bonheur,'^^ car on ne tue pas impunément un bon 25 musulman, et il en coûte cher pour le rosser. Lorsque je me fus un peu essuyé, notre premier soin fut, comme vous le pensez bien,^^ d'aller au sac et de l'ouvrir. Nous y trouvâmes une assez jolie femme, un peu grasse, avec de beaux cheveux noirs, et n'ayant 30 pour tout vêtement qu'une chemise de laine bleue. Elle se tira lestement du sac, et, sans paraître fort 9 I30 AN ELEMENTARY FRENCH READER embarrassée, nous adressa un discours très pathétique sans doute, mais dont nous ne comprîmes pas un mot; à la suite de quoi ^^ elle me baisa la main. C'est la seule fois, mesdames, qu'une dame m'a fait cet honneur. 5 Le sang-froid nous était revenu cependant. Nous voyions notre drogman s'arracher la barbe comme un homme désespéré. Moi, je m'accommodais la tête de mon mieux avec mon mouchoir. Tyrrel disait : — Que diable faire de cette femme P^*" Si nous res- lo tons ici, le mari va revenir en force et nous assommera; si nous retournons à Larnaca avec elle dans ce bel équi- page, la canaille ^' nous lapidera infailliblement. Tyrrel, embarrassé de toutes ces réflexions, et ayant recouvré son flegme britannique, s'écria : 15 — Quelle diable d'idée avez-vous eue ^^ d'aller dessiner aujourd'hui ! Son exclamation me fit rire, et la femme qui n'y avait rien compris, se mit à rire aussi. Il fallut pourtant prendre un parti. Je pensai que ce 20 que nous avions de mieux à faire, c'était de nous mettre tous sous la protection du consul de France ; ma's le plus difficile était de rentrer à Larnaca. Le jour tom- bait,^^ et ce fut une circonstance heureuse pour nous. Notre Turc nous fit prendre un grand détour,^^ et 25 nous arrivâmes, grâce à la nuit et à cette précaution, sans encombre à la maison du consul, qui est hors de la ville. Le consul nous reçut fort mal, nous dit que nous étions des fous, qu'il fallait respecter les us et coutumes ^^ des 30 pays où l'on voyage, qu'il ne fallait pas mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce^^ . . . Enfin, il nous tança d'im- portance ; et il avait raison, car nous en avions fait assez CE QU'IL EN COUTE 131 pour occasionner une violente émeute, et faire massacrer tous les Francs ^^ de l'île de Chypre.^* Sa femme fut plus humaine ; elle avait lu beaucoup de romans, et trouva notre conduite très généreuse. Dans le fait,^^ nous nous étions conduits en héros de roman. 5 Cette excellente dame était fort dévote; elle pensa qu'elle convertirait facilement l'infidèle que nous lui avions amenée, que cette conversion serait mentionnée au Moniteur^^ et que son mari serait nommé consul général. Tout ce plan se fit en un instant dans sa tête. 10 Elle embrassa la femme turque, lui donna une robe, fit honte à M. le consul de sa cruauté, et l'envoya chez le pacha pour arranger l'affaire. Le pacha était fort en colère. Le mari jaloux était un personnage, et jetait feu et flamme.^' C'était une hor- 15 reur, disait-il, que des chiens de chrétiens empêchassent un homme comme lui de jeter son esclave à la mer. Le consul était fort en peine ; ^ il parla beaucoup du roi son maître, encore plus d'une frégate de soixante canons qui venait de paraître ^^ dans les eaux de Larnaca. Mais 20 l'argument qui produisit le plus d'effet,^^ ce fut la proposi- tion qu'il fit en notre nom de payer l'esclave à juste prix.*^ Hélas ! si vous saviez ce que c'est que le juste prix d'un Turc ! Il fallut payer le mari, payer le pacha, payer l'ânier, à qui Tyrrel avait cassé deux dents, payer 25 pour le scandale, payer pour tout. Combien de fois Tyrrel s'écria douloureusement: — Pourquoi diable aller dessiner sur le bord de la mer ! 42 — Quelle aventure, mon pauvre Darcy ! s'écria 3° madame Lambert, c'est donc là que vous avez reçu cette terrible balafre? De grâce,^^ relevez donc vos 132 AN ELEMENTARY FRENCH READER cheveux. Mais c'est un miracle qu'il ne vous ait pas fendu la tête! Julie, pendant tout ce récit, n'avait pas détourné les yeux du front du narrateur; elle demanda enfin d'une 5 voix timide : — Que devint la femme? — C'est là justement la partie de l'histoire que je n'aime pas trop ^^ à raconter. La suite est si triste pour moi qu'à l'heure*'^ q\x je vous parle, on se moque encore 10 de notre équipée chevaleresque. — Etait-elle jolie, cette femme? demanda madame de Chaverny. — Comment se nommait-elle? demanda madame Lambert. 15 — Elle se nommait Emineh. — JoHe? — Oui, elle était assez jolie, mais trop grasse et toute barbouillée de fard, suivant l'usage de son pays. Il faut beaucoup d'habitude pour apprécier les charmes d'une 20 beauté turque. Emineh fut donc installée dans la maison du consul. Elle était MingréHenne ^^ et dit à madame G . . ., la femme du consul, qu'elle était fille de prince. Dans ce pays, tout coquin qui commande à dix autres coquins est un prince. On la traita donc en princesse : 25 elle dînait à table, mangeait comme quatre; puis, quand on lui parlait religion, elle s'endormait régulièrement. Cela dura quelque temps. Enfin on prit jour pour le baptême. Madame G ... se nomma sa marraine, et voulut que je fusse parrain avec elle. Bonbons, cadeaux,"^' 30 et tout ce qui s'ensuit! ^^ . . . Il était écrit *^ que cette malheureuse Emineh me ruinerait. Madame G . . . disait qu'Emineh m'aimait mieux que Tyrrel, parce CE QU'IL EN COUTE 133 qu'en me présentant du café elle en laissait toujours tomber sur mes habits. Je me préparais à ce baptême avec une componction vraiment évangélique, lorsque, la veille de la cérémonie, la belle Emineh disparut. Faut-il vous dire tout? Le consul avait pour cuisinier 5 un Mingrélien, grand coquin certainement, mais admi- rable pour le pilaf.^^ Ce Mingrélien avait plu à Emineh, qui avait sans doute du patriotisme à sa manière. Il l'enleva, et en même temps une somme assez forte à M. G . . ., qui ne put jamais le retrouver. Ainsi le consul 10 en fut pour son argent,^^ sa femme pour le trousseau ^^ qu'elle avait donné à Emineh, moi pour mes gants, mes bonbons, outre les coups que j'avais reçus. Le pire, c'est qu'on me rendit en quelque sorte responsable de l'aven- ture. On prétendit que c'était moi qui avait délivré 15 cette vilaine femme que je voudrais savoir au fond de la mer, et qui avait attiré tant de malheurs sur mes amis. Tyrrel sut se tirer d'affaire ; ^^ il passa pour victime, tandis que lui seul était cause de toute la bagarre, et moi je restai avec une réputation de don Quichotte^* et la 20 balafre que vous voyez, qui nuit beaucoup à mes succès. PROSPER MÉRIMÉE. PROSPER MERIMEE (1803-1870) NÉ à Paris, il jouit dès sa jeunesse d'une situation indépendante qui lui permit de s'adonner à loisir à la littérature. Très répandu dans la société mondaine, familier des Tuileries, il obtint comme écrivain un très vif succès, justifié d'ailleurs par la qualité de ses ouvrages. Il écrivit surtout des nouvelles, où il fit preuve d'un grand talent de composition. Il s'occupa aussi de critique littéraire et écrivit quelques comédies. Parmi ses ouvrages se trouvent : L'Enlèvement de la Redoute, Mateo Falcone, Colomba, Carfnen, Le Théâtre de Clara GasuL Lettres à Une Tnco7imie. 134 ^^ ELEMENTARY FRENCH READER XV LA SAINT-NICOLAS — Monsieur le sous-directeur peut-il recevoir Mme. Blouet? demande le garçon de bureau,^ entr'ouvrant discrètement l'un des battants de la porte du cabinet. Le cabinet sous-directorial est une pièce spacieuse, 5 haute de plafond, sévère d'aspect, avec ses deux fenêtres garnies de rideaux de damas vert, son papier de tenture '"^ et ses fauteuils de drap du même ton, ses cartonniers^ et sa bibliothèque d'acajou. Le parquet, soigneusement ciré, reflète comme un miroir la froide symétrie de ce lo mobilier administratif, et la glace de la cheminée renvoie avec la même correcte fidélité l'image d'une pendule- borne^ de marbre noir, accostée de^ deux lampes de bronze et de deux flambeaux dorés. Tournant le dos à la cheminée, le sous-directeur, Hubert Boinville, travaille 15 penché sur le large bureau d'acajou encombré de dossiers.^ Il relève sa figure grave et mélancolique, encadrée d'une barbe brune où brillent çà'^ et là quel- ques fils gris, et ses yeux noirs au paupières fatiguées laissent tomber un regard indiffèrent sur la carte que lui 20 tend le digne et solennel huissier. Sur ce petit carré de bristol, il y a écrit à la main, d'une écriture vieillotte et tremblée : '' Veuve Blouet." ^ Le nom ne lui apprend rien, et, tout en rejetant la carte au miheu des dossiers, il a un geste d'impatience. LA SAINT-NICOLAS 135 — C'est une vieille dame, ajoute l'huissier, faut-il la renvoyer? — Faites-la entrer,^ répond-il d'un ton résigné. • Le garçon de bureau se redresse dans son habit à boutons de métal, disparaît, puis, au bout d'un instant, 5 introduit la solliciteuse qui, dès le seuil, ébauche une antique révérence. ^^ Hubert Boinville se soulève à demi et d'un signe froidement poli indique à la visiteuse un fauteuil où elle s'assied après avoir renouvelé sa révérence. 10 . C'est une petite vieille en pauvres vêtements noirs. La robe de mérinos a plus d'une reprise; elle est fripée et d'un ton verdâtre. Un voile de crêpe défraîchi, qui a déjà dû servir pour plus d'un deuil, pend misérablement de chaque côté du chapeau dénudé, et laisse voir, sous un 15 tour de faux cheveux châtains, une figure rondelette, ridée comme une reinette d'hiver, avec de petits yeux vifs et une petite bouche dont les lèvres rentrées tra- hissent l'absence des dents. — Monsieur, commence-t-elle d'une voix un peu es- 20 soufflée, je suis fille, veuve, et sœur d'employés qui ont fourni de bons et loyaux services, et j'ai adressé une demande de secours à la Direction générale .... Je désirerais savoir si je puis espérer quelque chose. Le sous-directeur a écouté ce début sans sourciller. ^^ 25 Il a entendu tant de suppliques analogues ! — Avez-vous déjà été secourue, madame? demande- t-il flegmatiquement. — Non, monsieur, jusqu'à présent j'avais pu vivre sans tendre la main.^^. . . J'ai une petite pension et . . . 3° ■^ — Ah! interrompt-il sèchement, dans ce cas je crains bien que nous ne puissions rien ^^ pour vous. . . . Nous 136 AN ELEMENTARY FRENCH READER avons à soulager beaucoup de personnes malheureuses qui n'ont pas même cette ressource d'une pension. — Attendez, monsieur ! s'écrie-t-elle désespérément, je n'ai pas tout dit. . . . J'avais trois garçons, ils sont 5 morts ; le dernier donnait des leçons de mathéma- tiques. . . . L'autre hiver,^* en allant du Panthéon ^^ au collège Chaptal, par une pluie battante,^^ il a attrapé un mauvais rhume qui a tourné en fluxion de poitrine et qui l'a emmené en quinze jours. . . . Ses leçons nous faisaient lo vivre, moi et son enfant, car il m'a laissé une petite-fille. Les frais de maladie et les frais mortuaires m'ont mise à sec.^" J'ai engagé mon titre de pension ^^ pour payer les dettes criardes. . . y^ Me voilà seule au monde avec la petiote,^^ sans un pauvre sou, et j'ai quatre-vingt-deux 15 ans. . . . C'est un grand âge, n'est-ce-pas donc?^^ Sous leurs paupières ridées les yeux de la vieille solli- citeuse sont devenus humides. Le sous-directeur l'a écoutée plus attentivement. Les intonations un peu chantantes et certaines locutions provinciales de la vieille 20 dame résonnent à son oreille comme une musique déjà entendue et jadis familière. Ces façons de parler ont un goût de terroir ^ qu'il croit reconnaître et qui lui cause une sensation singulière. Il sonne, demande le dossier de '' la veuve Blouet" et quand le solennel garçon de bu- 25 reau pose, d'un air important, la mince chemise ^^ jaune sur la table, Hubert Boinville compulse les pièces avec un intérêt visible. — Vous êtes Lorraine, madame? reprend-il en mon- trant à la veuve une figure moins fermée, où court un 30 faible sourire. Je m'en étais douté à votre accent. — Oui, monsieur, je suis de l'Argonne.^. . . Com- ment, vous avez reconnu mon accent? Je croyais bien LA SAINT-NICOLAS 13; l'avoir perdu après avoir si longtemps valte'^^ aux quatre coins de la France, comme un camp-volant!''^^ Le sous-directeur regarde avec compassion croissante cette pauvre veuve d'employé qu'un coup de vent a ar- rachée de sa forêt natale, et jetée dans Paris comme une 5 feuille sèche, après l'avoir longuement roulée par les chemins arides de la vie bureaucratique. Il sent peu à peu s'amollir son cœur de fonctionnaire, et répond, en souriant de nouveau : — Moi aussi je suis de l'Argonne, et j'ai vécu long- 10 temps près de votre village, à Clermont. . . . AUons,^^ madame, ayez bon courage. . . . J'espère que nous obtiendrons le secours que vous désirez. . . . Vous avez donné votre adresse? — Oui, monsieur, rue de la Santé, 12, près du couvent 15 des Capucins. . . . Bien des mercis ; je m'en vais con- tente de vos bonnes paroles, et contente aussi d'avoir retrouvé un pays. Et la vieille dame se retire après s'être confondue en révérences.^^ 20 Dès que Mme. Blouet a disparu, le sous-directeur se lève et va appuyer son front à la vitre de l'une des fe- nêtres qui donnent sur les jardins de l'hôtel.^^ Mais ce ne sont pas les cimes des marronniers à demi effeuillés qu'il contemple ; son regard, devenu rêveur, s'en va plus 25 loin. . . . Très loin, là-bas, vers l'Est, au-delà des plaines et des collines crayeuses de la Champagne, jusqu'à une vallée adossée à une grande forêt, avec une modeste rivière qui roule son eau jaune entre des files de peupliers, au pied d'une vieille petite ville aux toits de tuiles 30 brunes. . . . C'est là qu'il a vécu enfant, c'est là qu'il, reveaait 138 AN ELEMENTARY FRENCH READER chaque année aux vacances. Son père, greffier de la justice de paix,^^ y menait la vie étroite et serrée ^^ des petits bourgeois sans fortune. Elevé à la dure,^^ accou- tumé de bonne heure ^ au devoir strict et au travail 5 acharné, Hubert a quitté le pays à vingt ans et n'y est guère retourné que pour suivre le convoi de son père. Doué d'une intelligence supérieure et d'une volonté de fer, enragé travailleur,^* il a monté rapidement les degrés de l'échelle administrative. Etre sous-directeur à trente-huit 10 ans, cela passe dans le monde des bureaux ^^ pour un avancement exceptionnel. Austère, ponctuel, réservé et poli, à cheval sur les règlements,*^^ il arrive au ministère à dix heures, n'en sort qu'à six, et emporte du travail chez lui. D'une nature peu expansive ^' bien que sen- 15 sible au fond, il passe pour être très boittonne.^'^ ' Il va peu dans le monde,^^ et sa vie a été tellement prise par le travail qu'il n'a jamais eu le temps de songer au mariage. Son cœur a pourtant parlé une fois, dans l'Argonne, alors qu'il avait vingt ans, mais comme il n'était qu'un mince 20 surnuméraire^^ sans fortune, la fille qu'il aimait l'a dé- daigné, et s'est mariée richement avec un gros marchand de bois.*^ Cette première déception a laissé à Boinville une arrière-amertume que ses succès administratifs n'ont jamais complètement corrigée. Son esprit est resté teinté 25 de mélancolie, et, ce soir, après avoir entendu cette vieille femme lui parler de sa détresse avec cet accent du ter- roir*^ qu'on n'oublie jamais, il s'est senti envahi d'une tristesse rétrospective. Le front posé contre la vitre, il remue comme un amas 30 de feuilles mortes les lointains souvenirs de jeunesse, en- seveHs profondément dans sa mémoire, et le parfum des saisons passées au pays natal lui remonte doucement au cerveau. LA SAINT-NICOLAS 139 Il revient à son fauteuil, et prenant le dossier Blouet, il l'annote au crayon de cette mention marginale : " Situation digne d'intérêt. — Accorder." ^^ Puis il sonne le garçon et renvoie le dossier au sous-chef chargé des secours. 5 Le jour oii le secours fut accordé officiellement, Hubert Boinville quitta son bureau un peu plus tôt que d'habi- tude.^* L'idée lui était venue d'aller annoncer lui-même la bonne nouvelle à sa vieille payse. Trois cents francs, c'était une goutte d'eau à peine, 10 tombant du réservoir de l'énorme budget ministériel, mais dans le budget de la veuve, cette goutte devait se changer *^ en une rosée bienfaisante. Encore qu'on fût au commencement de décembre, le temps était doux, et Boinville fit à pied*^ le long trajet qui le séparait de la 15 rue de la Santé. Quand il arriva à destination, la nuit commençait à enténébrer ce quartier désert. A la lueur d'un bec de gaz placé près du couvent des Capucins, il aperçut le no. 12, au-dessus d'une porte bâtarde*^ percée dans un long mur de moellons. Il n'eut qu'à pousser 20 cette porte entre-bâillée et se trouva dans un vaste jardin, oii l'on distinguait, dans l'ombre, des carrés de légumes,*^ des touffes de rosiers, et çà et là des silhouettes d'arbres fruitiers.^^ Au fond, deux ou trois points lumineux éclairaient la façade d'un corps de logis en équerre.^*^ 25 Le sous-directeur se dirigea en tâtonnant vers le rez-de- chaussée et eut la chance de tomber sur^^ le jardinier en personne, qui le guida vers l'escalier menant au loge- ment de la veuve. Après avoir trébuché deux fois sur les marches bou- 30 euses, Boinville heurta à une porte, par-dessous laquelle I40 AN ELEMENTARY FRENCH READER filtrait une mince raie de lumière, et fut tout étonné quand, cette porte s'étant ouverte, il vit devant lui une jeune fille d'une vingtaine d'années que se tenait sur le seuil, levant sa lampe d'une main et regardant le visiteur 5 avec des yeux surpris. C'était une jeune personne vêtue de noir, à la physi- onomie vive et avenante. La lumière tombant de haut^^ éclairait à point ^^ ses cheveux châtains fi-isottants, ses joues rondes à fossettes, sa bouche souriante et ses yeux 10 bleus limpides. — Ne me suis-je pas trompé? murmura Boinville, est-ce bien ici que demeure Mme. Blouet ? — Oui, monsieur, donnez-vous la peine d'entrer.^ Grand'mère, c'est un monsieur qui te demande. 15 — Je viens ! répondit une voix grêle qui sortait d'une pièce contiguë ; et une minute après la vieille dame arrivait en trottinant, avec son tour de travers sous son bonnet noir, et achevant de dénouer les cordons d'un tabher de toile bleue. 20 — Sainte mère de Dieu ! ^^ s'écria-t-elle ébaubie en reconnaissant le sous-directeur, comment, c'est vous, monsieur? . . . Faites bien excuse,^^ je ne m'attendais guère à l'honneur de vous voir. . . . Claudette, ofi"re donc le fauteuil à monsieur le sous-directeur. . . . C'est 25 ma petite-fille, monsieur, tout ce qui me reste au monde. Hubert Boinville s'était assis dans un antique fauteuil de velours d'Utrecht, et d'un rapide coup-d'œil il avait examiné la pièce, qui paraissait servir à la fois de salon 30 et de salle à manger. Peu de meubles, un petit poêle de faïence blanche à dessus de marbre rouge ; à côté, une spacieuse armoire de village en chêne; au milieu, LA SAINT-NICOLAS 141 une table ronde recouverte de toile cirée ; des chaises de paille, et au mur deux vieilles lithographies coloriées de Boilly,^' le tout très propre et avec un bon petit air de campagne. Il expliqua brièvement l'objet de sa visite. — Ah ! mon brave monsieur,^^ bien des mercis ! ^^ s'ex- 5 clama la veuve, ... on a raison de dire : un bonheur n'arrive jamais seul. . . . Figurez-vous que la petiote a passé ses examens pour entrer dans les télégraphes, et, en attendant d'être placée,^^ elle fait par ci par là des enluminures. . . . Aujourd'hui elle a été payée d'une 10 grosse commande d'im^ages, et alors nous avons décidé que nous fêterions ce soir la Saint-Nicolas, comme au bon vieux temps . . . Vous vous souvenez? — Mais, grand'mère, interrompit la jeune fille en riant, monsieur ne sait pas ce que c'est que la Saint-Nicolas. 15 ... A Paris on ne fête pas ce saint-là ! — Si fait, ^ monsieur sait parfaitement ce que je veux dire.^^ — Il est du pays, Claudette, il est de Clermont. — La Saint-Nicolas ! reprit le sous-directeur, dont la figure triste s'épanouit, je crois bien ! ^^ . . . C'est au- 20 jourd'hui, en efi'et, le six décembre. . . . Cette date avait allumé toute une flambée de souvenirs d'enfance qui éclairaient joyeusement- son cerveau. A cette clarté, il revit la vaste cheminée paternelle, égayée pas les apprêts de la fête patronale ; ^^ il entendit la 25 musique sautillante des violons, allant par les rues cher- cher les filles pour le bal annuel ; et il se rappela ses émotions du lendemain, quand il courait pieds nus pour tâter dans l'atre ses sabots pleins de joujous que Saint- Nicolas, sur son âne, avait apportés nuitamment par la 30 cheminée. 142 AN ELEMENTARY FRENCH READER — Done, ce soir, continua avec volubilité la grand'- mère, nous avons résolu de ne manger rien que des plats du pays. Le jardinier d'en-bas nous a donné, en choux, navets, et pommes de terre, de quoi faire ^^ une bonne l potée ; ^^ ) dX acheté un saucisson de Lorraine, et quand vous êtes entré j'étais en train de préparer ^'^ un tôt-fait. — Oh! MVi tôt-fait! s'écria Boinville devenu plus ex- pansif, voilà bien vingt ans que je n'ai entendu pronon- cer le nom de ce gâteau d'œufs, de lait, et de farine, et lo plus longtemps encore que je n'y ai goûté. . . . Ses traits s'étaient animés, et la jeune fille, qui l'obser- vait à la dérobée,^^ crut voir passer une lueur gourmande dans ses yeux bruns. Tandis qu'il souriait, pensif, au souvenir de ces mets 15 du pays, la grand'mère et Claudette s'étaient retirées un peu à l'écart *^^ et paraissaient discuter avec vivacité une grave question. — Non, grand'mère, chuchotait la jeune fille, ce serait indiscret. 20 — Pourquoi, donc? '^ murmura la veuve. Je suis sûre que cela lui ferait plaisir. Et comme il les regardait intrigué, la grand'mère revint vers lui : — Monsieur, commença-t-elle, vous avez déjà été bon 25 pour nous, et si ce n'était pas abuser, j'aurais encore une faveur à vous demander. ... Il est déjà tard, et vous avez un bon bout de chemin à faire pour aller retrouver votre dîner.''^ . . . Vous nous rendriez bien heureuses si vous vouliez goûter de notre tôt fait. . . . N'est-ce pas, 30 Claudette? — Oui, grand'mère, seulement monsieur dînera mal,"^ et d'ailleurs il est sans doute attendu chez lui. LA SAINT-NICOLAS 143 — Non, personne ne m'attend, répondit Boinville, en songeant au restaurant où d'habitude il dînait solitaire- ment et maussadement, je suis libre, mais ... Il hésitait encore, tout en regardant"^ les yeux rieurs et printaniers de Claudette : puis, tout à coup, il s'écria 5 avec une rondeur dont il n'était pas coutumier: "^^ — Eh bien! j'accepte sans façon et avec plaisir! — A la bonne heure ! '^ fit la vieille dame toute ragaillardie A . . Claudette, qu'est-ce que je te disais? . . . Mets vivement le couvert,^^ puis tu iras chercher du 10 vin, tandis que je retournerai à mon tôt-fait. . . ." Claudette, vive comme un lézard, avait ouvert la grande armoire. Elle en tira une nappe à liteaux rouges, puis des serviettes. En un clin d'œil la table fut dressée. La jeune fille alluma un bougeoir et descendit, tandis 15 que la veuve, assise avec des châtaignes dans son giron, les fendait lentement et les étalait sur le marbre du poêle. — N'est-ce pas que la petite est preste et gaie? disait- elle au sous-directeur. . . . C'est ma consolation. ... 20 Elle réjouit ma vieillesse comme une fauvette qui chante sur un vieux toit. ... Et elle reprenait en secouant ses châtaignes : — Ce sera un maigre souper,^^ mais un souper offert de bon cœur, et puis ça vous rappellera le pays, nomme f 25 (n'est-ce pas?) Claudette était remontée, rouge et un peu essoufflée ; la bonne dame apporta X-d. potée fumante, embaumée, et on se mit à table. Entre cette brave octogénaire tout heureuse, et cette 30 jeune fille si rieuse et si naturelle ; devant cette nappe qui fleurait l'iris, dans ce milieu quasi campagnard, qui 144 ^^ ELEMENTARY FRENCH READER lui reparlait des choses du passé, Hubert Boinville fit honneur à X-a potce. Il se dégelait'^ peu à peu et causait familièrement, s'amusant aux saillies de Claudette et riant d'un bon rire enfantin aux mots patois dont la 5 grand'mère émaillait ses phrases. De temps en temps, la veuve se levait et allait à la cuisine surveiller son entremets. *^^ Enfin elle reparut, triomphante, tenant la cocotte^^ de fonte, d'où s'élevait le tôt-fait avec des bour- souflures brunes et dorées et une appétissante odeur de 10 fleur d'oranger.^^ Après vinrent les châtaignes grillées au four et encore toutes craquantes dans leur écorce fendillée et rissolée. La vieille dame tira du fond de l'armoire une bouteille Ôl^ jîgnolette, cette liqueur du pays fabriquée avec de l'eau-de-vie et du vin doux;^^ puis, 15 tandis que Claudette desservait,^^ elle prit machinalement son tricot et s'assit près du poêle, tout en jasant ; mais, sous l'influence d'une chaleur douce, jointe à l'action de la figiîolette, elle ne tarda pas à s'assoupir. Claudette avait posé la lampe au milieu de la table ; Hubert et la 20 jeune fille se trouvaient ainsi presque en tête-à-tête, et Claudette, naturellement gaie et enjouée, défrayait ^^ quasiment à elle seule la conversation. Elle aussi avait passé son enfance en Argonne, près d'une vieille tante, et elle rappelait à Boinville de menus 25 détails locaux dont la précision le remettait insensible- ment dans le milieu provincial d'autrefois. — Comme il faisait très chaud dans la chambre, Claudette avait entr'ouvert la croisée, et il arrivait ^^ des bouffées d'air frais, imprégnées de l'odeur maraîchère^' du jardin d'en 30 bas, où l'on entendait le glouglou d'une fontaine s'égout- tant dans une auge de pierre, tandis qu'au loin une cloche de couvent sonnait lentement X Angélus?^ LA SAINT-NICOLAS 145 Hubert Boinville eut tout à coup une hallucination. La fignolette lorraine et les yeux clairs de cette jolie fille qui évoquait pour lui les paysages forestiers de sa petite ville, y étaient pour beaucoup.^^ Il lui sembla qu'il avait reculé de vingt ans en arrière, et qu'il était trans- 5 porté dans quelque rustique logis de sa province natale. Ce vent dans les arbres, ce frais murmure d'eau vive^^ c'était la voix caressante de l'Aire ^^ et le frisson des futaies de l'Argonne ; cette cloche qui chantait là-bas, c'était celle de l'église paroissiale du bourg fêtant la 10 veillée de Saint-Nicolas. ... Sa jeunesse ensevelie pen- dant vingt ans sous les paperasses administratives,^^ sa jeunesse revivait dans toute sa verdeur, et devant lui les yeux bleus de Claudette riaient ^^ si ingénument, avec un éclat d'avril en fleur, que son cœur engourdi se réveillait 15 et battait un plaisant tictac dans sa poitrine. . . . La vieille dame s'était réveillée en sursaut et balbu- tiait des paroles d'excuse. Hubert Boinville se leva; il était temps de prendre congé. Apris avoir chaudement remercié Mme. Blouet et avoir promis de revenir, il 20 tendit la main à Claudette. Leurs regards se rencon- trèrent un moment et ceux du sous-directeur étaient si brillants, que les paupières de la jeune fille s'abaissèrent vivement sur ses rieuses prunelles azurées. Ce fut elle qui le reconduisit^* jusqu'au bas, et quand ils furent sur 25 le seuil, il lui serra encore une fois la main sans trouver rien à lui dire. ... Et cependant il avait le cœur plein, le sous-directeur, et quand il se retrouva seul dans le désert ténébreux de la rue de la Santé, il lui sembla qu'il entendait chanter dans le ciel tous les violons de la 3a Saint-Nicolas.^^ 10 146 AN ELEMENTARY FRENCH READER Hubert Boinville donnait de nouveau, comme on dit en style de bureaucratie, " une impulsion active et éclairée au service." La machine administrative avait recommencé à amonceler sur sa table la mouture quoti- 5 dienne des rapports petit ordre et des rapports grand ordi'e, des lettres au ministre et des projets d'arrêtés. Les séances du Conseil, les audiences, et les commissions ne lui avait pas laissé une heure pour aller rue de la Santé. Pourtant le souvenir de la soirée de la Saint- 10 Nicolas lui revenait souvent au milieu de son travail. A plusieurs reprises,^^ il avait été distrait dans la lecture d'un dossier par l'image rayonnante des beaux yeux de Claudette. Cette apparition voltigeait sur les paperasses comme un léger papillon bleu; le soir, quand le sous- 15 directeur rentrait dans son morne appartement de garçon,^" elle l'accompagnait et semblait le regarder railleusement, tandis qu'il tisonnait son feu qui brûlait mal. Alors il songeait à ce bon dîner dans la petite chambre campagnarde, où le poêle ronflait ^^ si joyeuse- 20 ment, à ce gai babil de jeune fille qui avait un moment ressuscité les sensations de sa vingtième année. Dans la régulière monotonie de sa vie affairée, où les intimités féminines tenaient si peu de place, la soirée de la rue de la Santé tranchait comme une éclaircie ensoleillée 25 au milieu d'une plaine brumeuse. Parfois, il regardait mélancoliquement dans la glace sa barbe déjà grison- nante ; il pensait à sa jeunesse sans amour, à sa maturité commençante et il se disait comme le bonhomme de La Fontaine :^^ " Ai-je passé le temps d'aimer?" Alors, il 30 était pris d'une nostalgie ^^^ de tendresse qui lui mettait l'esprit en désarroi, et il regrettait de ne s'être point marié. LA SAINT-NICOLAS 147 Un jour, par une sombre après-midi de la fin de dé- cembre, le solennel garçon de bureau entr'ouvrit discrète- ment la porte du cabinet et annonça: — Mme. veuve Blouet. Boinville se leva avec empressement pour recevoir la 5 visiteuse. Après qu'il l'eut fait asseoir, il lui demanda en rougissant des nouvelles de sa petite-fille. — Merci, monsieur, répondit-elle, la petite va bien/'^^ votre visite lui a porté chance. ^^^ . . . Elle sollicitait depuis longtemps une place dans les télégraphes. ... 10 Elle a reçu hier sa nomination et je n'ai pas voulu quitter Paris sans prendre congé de vous, et vous témoigner toute notre reconnaissance. La poitrine de Boinville se serra. — Vous quittez Paris? demanda-t-il ; ce poste est donc 15 en province ?^^^ — Oui, dans les Vosges. ^^* . . . Et naturellement j'ac- compagne Claudette. . . . J'ai quatre-vingt-deux ans, mon cher monsieur ; je n'ai plus grand temps à passer dans ce monde, et nous ne voulons pas nous séparer. 20 — Vous partez bientôt? — Dans la première semaine de janvier. . . . Adieu, monsieur, vous avez été très bon pour nous, et Claudette m'a bien recommandé de vous remercier en son nom . . . Le sous-directeur, interdit et absorbé, ne répondit guère 25 que par des monosyllabes. Quand la vieille dame fiit sortie, il resta longtemps accoudé sur son bureau, la tête dans ses mains. Cette nuit-là il dormit mal, et, le lende- main, il fut de très maussade humeur avec ses employés. Il ne tenait pas en place. ^*^^ Dès trois heures, il brossa 30 son chapeau, quitta le ministère et sauta dans une voiture qui passait. 148 AN ELEMENTARY FRENCH READER Une demi-heure après, il traversait tout frissonnant le jardin maraîcher ^^ du no. 12 de la rue de la Santé et il sonnait à la porte de Mme. Blouet. Ce fut Claudette qui vint lui ouvrir. A l'aspect du 5 sous-directeur, elle tressaillit, puis devint toute rouge, tandis qu'un sourire passait dans ses yeux bleus. — Grand'mère est sortie, dit-elle, mais elle ne tardera pas à rentrer, et elle sera si heureuse de vous voir ! . . . — Ce n'est pas Mme. Blouet que je désirais surtout 10 rencontrer, mais vous, mademoiselle. — Moi? murmura-t-elle, troublée. — Oui, vous, répéta-t-il brusquement. ... Sa gorge se serrait, il cherchait ses mots et les trouvait à peine : — Vous partez toujours au mois de janvier? 15 Elle répondit par un signe de tête ^^" affirmatif. — Ne regrettez-vous pas de quitter Paris? — Oh ! si . . . Cela me fait gros cœur ^^^ . . . Mais quoi? Cette place est pour nous une bonne fortune et grand'mère pourra au moins vivre en paix pendant ses 20 dernières années. — Et si je vous donnais un moyen de rester à Paris, tout en assurant le repos et le bien-être de Mme. Blouet? — Oh! monsieur! s'exclama la jeune fille dont le visage s'épanouit. 25 — C'est un moyen héroïque, reprit-il en hésitant ; vous le trouverez peut-être au-dessus de vos forces. — Je suis courageuse. . . . Dites seulement, monsieur. — Eh bien! mademoiselle ... Il s'arrêta pour re- prendre sa respiration; puis, très vite, presque rude- 30 ment, il ajouta: Voulez-vous m'épouser? — Mon Dieu ^09 . . . balbutia-t-elle, et l'émotion la laissa sans voix. LA SAINT-NICOLAS 149 Tout en exprimant une violente surprise, sa figure n'avait rien d'effarouché. Sa poitrine était agitée, ses lèvres restaient entr'ouvertes, mais ses grands yeux bleus humides brillaient d'un éclat très doux ! Quant à Boinville, il n'osait la regarder, de peur de 5 lire sur ses traits un refus humiliant. Pourtant, inquiet de son silence prolongé, sans relever la tête, il lui demanda : — Me trouvez-vous trop âgé? Vous semblez tout effrayée ! . . . 10 — Effrayée, répondit-elle ingénument, non, mais trou- blée et . . . contente ! . . . C'est trop beau ... Je n'ose pas y croire ! — Chère enfant ! s'écria-t-il en lui prenant les mains, croyez-y et croyez surtout que le véritable heureux, 15 c'est moi, parce que je vous aime ! Elle restait muette, mais dans le rayonnement de ses yeux il y avait une telle effusion de reconnaissance et de tendresse, qu'Hubert Boinville ne pouvait plus s'y mé- prendre. Il y lut sans doute qu'elle aussi se sentait 20 heureuse, et pour les mêmes raisons, car il l'attira plus près de lui. Elle se laissait faire, ^^^ et Hubert plus hardi, ayant levé les mains de la jeune fille à la hauteur de ses lèvres, les baisait avec une vivacité toute juvénile. ^^^ — Sainte mère de Dieu ! "^ s'écria la vieille dame, qui 25 arriva sur ces entrefaites. Ils se retournèrent, lui un peu confus ; elle, tout em- pourprée et radieuse. — Madame Blouet, dit enfin gaiement Hubert Boin- ville, ne vous scandaHsez pas ! — Le soir oià j'ai dîné chez 30 vous, saint Nicolas est descendu dans ma cheminée comme au temps où j'étais enfant, et m'a fait cadeau 150 AN ELEMENTARY FRENCH READER d'une femme. ... La voici,^^^ c'est votre petite-fille. . . Nous nous marierons ^^^ le plus tôt possible, ^^^ si vous le permettez. ANDRÉ THEURIET. ANDRE THEURIET (1833- ) NÉ à Marly-le-Roi, près de Paris, en 1833. Un des écrivains français qui ont le mieux senti et exprimé le charme de la nature, M. André Theuriet excelle aussi à rendre dans ses romans la poésie intime que renferme la vie de province en France. Très réaliste dans la description de certains milieux de la petite bourgeoisie, l'auteur n'en oublie jamais le côté poétique, et cela donne à ses romans un charme tout à fait personnel. Ses principaux ouvrages sont: Bigarreau^ A?nonr d'Aiitojnne^ Madetuoiselle Roche., Le Refuge, Villa T?-a7ig7iille. LA VIE DE SALON EN FRANCE 151 XVI LA VIE DE SALON EN FRANCE SOUS L'ANCIEN RÉGIME 1 Par instinct, le Français aime à se trouver en compa- gnie, et la raison en est qu'il fait bien qt sans peine toutes les actions que comporte la société. Il n'a pas la mau- vaise honte ^ qui gêne ses voisins du Nord, ni les passions fortes qui absorbent ses voisins du Midi. Il n'a pas d'ef- s fort à faire pour causer, point de timidité naturelle à con- traindre, point de préoccupation habituelle à surmonter. Il cause donc, à l'aise et dispos, et il éprouve du plaisir à causer. Car ce qu'il lui faut, c'est un bonheur d'espèce particulière, fin, léger, rapide, incessamment renouvelé et 10 varié, où son amour-propre, toutes ses vives et sympa- thiques facultés trouvent leur pâture ; et cette qualité de bonheur, il n'y a que le monde et la conversation pour la fournir. Sensible comme il est, les égards,^ les mé- nagements, les empressements, la délicate flatterie, sont 15 l'air natal hors duquel il respire avec peine. Il souffrirait d'être impoli presque autant que de rencontrer Timpoli- tesse. Pour ses instincts de bienveillance et de vanité, il y a de charmantes douceurs dans l'habitude d'être aima- ble, d'autant plus qu'elle est* contagieuse. Quand nous 20 plaisons, on veut nous plaire, et ce que nous donnons en prévenances, on nous le rend en attentions. En pareille compagnie, on peut causer ; car causer c'est amuser au- trui en s'amusant soi-même, et il n'y a pas de plus vif plaisir pour un Français. Agile et sinueuse, la conver- 25 152 AN ELEMENTARY FRENCH READER sation est pour lui comme le vol pour un oiseau ; d'idées en idées il voyage, alerte, excité par l'élan des autres, avec des bonds, des circuits, des retours imprévus, au plus bas, au plus haut, à rase terre ^ ou sur les cimes, 5 sans s'enfoncer dans les trous, ni s'empêtrer dans les broussailles, ni demander aux mille objets qu'il effleure autre chose que la diversité et la gaieté de leurs aspects. Ainsi doué et disposé, il était fait pour un régime qui, dix heures par jour, mettait les hommes ensemble : le 10 naturel inné s'est trouvé d'accord ^ avec l'ordre social pour rendre les salons parfaits. En tête de tous, le roi donnait l'exemple. Louis XIV avait eu toutes les qua- lités d'un maître de maison," le goût de la représentation et de l'hospitalité, la condescendance et la dignité, l'art 15 de ménager l'amour-propre des autres et l'art de garder sa place, la galanterie noble, le tact et jusqu'à l'agré- ment de l'esprit et du langage. "Il parlait^ parfaite- ment bien ; s'il fallait badiner, s'il faisait des plaisanteries, s'il daignait faire un conte,^ c'était avec des grâces infi- 20 nies, un tour noble et fin que je n'ai vu qu'à lui." "Ja- mais homme si naturellement poli, ni d'une politesse si mesurée, si fort par degrés, ni qui distinguât mieux l'âge, le mérite, le rang, et^^ dans ses réponses et dans ses ma- nières. . . . Ses révérences, plus ou moins marquées, mais 25 toujours légères, avaient une grâce et une majesté incom- parables. ... Il était admirable à recevoir différemment les saints à la tête des lignes de l'armée et aux revues. Mais surtout pour les femmes, rien n'était pareil. . . Ja- mais il n'a passé devant la moindre coiffe ^^ sans ôter son 30 chapeau, je dis aux femmes de chambre et qu'il connais- sait pour telles. . . . Jamais il ne lui arriva de dire rien de désobligeant à personne. . . . Jamais devant le monde LA VIE DE SALON EN FRANCE 153 rien de déplacé ni de hasardé, mais, jusqu'au moindre geste, son marcher,^^ son port, toute sa contenance, tout mesuré, tout décent, noble, grand, majestueux et toute- fois très naturel. — Voilà le modèle, et, de près ou de loin,^^ jusqu'à la fin de l'ancien régime, il est suivi. S'il 5 change un peu, ce n'est que pour devenir plus sociable. Au dix-huitième siècle, sauf dans les jours de grand apparat, on le voit, degré à degré, descendre de son piédestal. Il ne se fait plus ^* autour de lui de **ces silences à entendre marcher une fourmi." " Sire, disait 10 à Louis XVI un témoin des trois règnes, sous Louis XIV, on n'osait dire mot; sous Louis XV, on parlait tout bas ; ^^ sous Votre Majesté, on parle tout haut." — Si l'autorité y perd, la société y gagne ; l'étiquette, insen- siblement relâchée, laisse entrer l'aisance et l'agrément. 15 Désormais les grands, ayant moins souci ^^ d'imposer que de plaire, se dépouillent de la morgue comme d'un costume gênant et *' ridicule, et recherchent moins les respects que les applaudissements. Il ne suffit même plus d'être affable, il faut à tout prix^" paraître aimable 20 à ses inférieurs comme à ses égaux." '' Les princes français, dit encore une dame contemporaine, meurent de peur de manquer de grâces." **Jusques autour du trône," " le ton est libre, enjoué," et sous le sourire de la jeune reine/^ la cour sérieuse et disciplinée de Louis XIV 25 se trouve à la fin du siècle ^^ le plus engageant et le plus gai des salons. Par cette détente"*^ universelle, la vie mondaine est devenue parfaite. ** Qui n'a pas vécu ^^ avant 1789, disait plus tard M. de Talleyrand, ne connaît pas la douceur de vivre," Elle était trop grande, on n'en 30 goûtait plus d'autre, elle prenait tout l'homme. Quand le monde a tant d'attraits, on ne vit que pour lui. . . . 154 AN ELEMENTARY ERENCH READER ... En effet, dans aucun pays* et dans aucun siècle, un art social si parfait n'a rendu la vie si agreablcj Paris est l'école de l'Europe, une école d'urbanité, où, de Russie, d'Allemagne, d'Angleterre, les jeunes gens 5 viennent se dégrossir.^^ Lord Chesterfield ^^ dans ses lettres ne se lasse point de le répéter à son fils, et de le pousser dans ces salons qui lui ôteront '* sa rouille de Cambridge." Quand on les a connus, on ne les quitte plus, ou, si on est obligé de les quitter, on les regrette ro toujours. " Rien n'est comparable, dit Voltaire, à la douce vie qu'on y mène au sein des arts et d'une volupté tranquille et délicate ; des étrangers, des rois ont préféré ce repos si agréablement occupé et si enchanteur à leur patrie et à leur trône. ... Le cœur s'y amollit et s'y dis- 15 sout, comme les aromates se fondent doucement à un feu modéré et s'exhalent en parfums délicieux." Gus- tave III,''^^ battu par les Russes, dit qu'il ira passer ses vieux jours à Paris dans un hôtel sur les boulevards ; et ce n'est pas là une simple politesse ; il se fait envoyer 20 des plans et des devis. Pour être d'un souper,^^ d'une soirée, on fait deux cents lieues. Des amis du prince de Ligne ^*^ " partaient de Bruxelles après leur déjeuner, ar- rivaient à r Opéra de Paris tout juste pour voir lever la toile,^*" et, le spectacle fini, retournaient aussitôt à Bru- 25 xelles, courant toute la nuit." De ce bonheur tant recher- ché, nous n'avons plus que des copies informes, et nous en sommes réduits à le reconstruire par raisonnement. Il consiste d'abord dans le plaisir de vivre avec des gens parfaitement polis ; nul plaisir plus pénétrant, plus con- 30 tinu, plus inépuisable. L'amour-propre humain étant in- fini, des gens d'esprit ^^ peuvent toujours inventer quelque raffinement d'égards qui le satisfasse. La sensibiHté LA VIE DE SALON EN FRANCE 155 mondaine étant infini, il n'y a pas de nuance imper- ceptible qui la laisse indifférente. Après tout, l'homme est encore la plus grande source de bonheur comme de malheur pour l'homme, et, dans ce temps-là, la source toujours coulante, au lieu d'amertumes, n'apportait que 5 des douceurs. Non seulement il fallait ne pas heurter,^^ mais encore il fallait plaire ; on était tenu ^^ de s'oubHer pour les autres, d'être toujours pour eux empressé et dispos, de garder pour soi ses contrariétés et ses cha- grins, de leur épargner les idées tristes, de leur fournir des 10 idées gaies. "Est-ce qu'on était jamais vieux en ce temps-là? C'est la Révolution qui a amené la vieillesse dans le monde. Votre grand-père, ma fille, à été beau, élégant, soigné, gracieux, parfumé, enjoué, aimable, af- fectueux et d'une humeur égale,^^ jusqu'à l'heure de sa 15 mort. On savait vivre et mourir alors ; on n'avait pas d'infirmités importunes. Si on avait la goutte, on marchait quand même,^^ et sans faire la grimace ; on se cachait de souffrir par bonne éducation.^^ On n'avait pas de ces préoccupations d'affaires qui gâtent l'intérieur 20 et rendent l'esprit épais. On savait se ruiner sans qu'il y parût,^^ comme de beaux joueurs ^^ qui perdent sans montrer d'inquiétude et de dépit. On se serait fait porter demi-mort .à une partie de chasse. On trouvait qu'il valait mieux mourir au bal ou à la comédie, que 25 dans son lit entre quatre cierges et de vilains hommes noirs. On était philosophe ; on ne jouait pas l'austérité, on l'avait parfois sans en faire montre. ^'^ Quand on était sage, c'était par goût et sans faire le pédant*^' ou la prude. On jouissait de la vie, et, quand l'heure était 3° venue de la perdre, on ne cherchait pas à dégoûter les autres de vivre. Le dernier adieu de mon vieux mari 156 AN ELEMENTARY FRENCH READER fut de m'engager à lui survivre longtemps et à me faire une vie heureuse." . . . "... A la longue,^^ le simple plaisir cesse de plaire, et, si agréable que ^^ soit la vie de salon, elle finit par sem- 5 bler vide. Quelque chose manque, sans qu'on puisse encore dire clairement ce que c'est; l'âme s'inquiète, et peu à peu, avec l'aide des écrivains et des artistes, elle va démêler la cause de son malaise et l'objet de son secret désir. Artificiel et sec, voilà les deux traits du 10 monde,^^ d'autant plus marqués qu'il est plus parfait, et, dans celui-ci poussés à l'extrême,^^ parce qu'il est arrivé au suprême raffinement. — D'abord le naturel en est exclu ; tout y est arrangé, apprêté, le décor, le costume, l'attitude, le son de voix, les paroles, les idées et jus- 15 qu'aux sentiments. La rareté d'un sentiment vrai est si grande que, lorsque je reviens de Versailles, je m'arrête quelquefois dans les rues à regarder un chien ronger un os." L'homme, s'étant livré tout entier au monde, n'avait gardé pour soi aucune portion de sa personne, 20 et les convenances,*^ comme autant de lianes, avaient enlacé toute la substance de son être et tout le détail de son action. *' Il y avait alors, dit une personne qui a subi cette éducation, une manière de marcher, de s'as- seoir, de saluer, de ramasser son gant, de tenir sa four- 25 chette, de présenter un objet, enfin une mimique complète qu'on devait enseigner aux enfants de très bonne heure,*^ afin qu'elle leur devînt par l'habitude une seconde nature, et cette convention était un article de si haute importance dans la vie des hommes et des femmes de l'ancien beau 30 monde** que les acteurs ont peine aujourd'hui, malgré toutes leurs études, à nous en donner une idée."' — Non seulement le dehors, mais encore *^ le dedans était fac- LA VIE DE SALON EN FRANCE 157 tice; il y avait une façon obligée de sentir, de penser, de vivre, et de mourir. Impossible de parler à un homme sans " se mettre à ses ordres," et à une femme sans ** se mettre à ses pieds." Le bon ton^^ avait réglé d'avance toutes les grandes et petites démarches, la manière de se 5 déclarer à une dame et de rompre avec elle, d'engager et de conduire un duel, de traiter un égal, un subordonné, un supérieur. Si l'on manquait en quoi que ce fût^^ à ce code universel de l'usage, on était une " espèce." ^^ Tel homme de cœur et de talent, d'Argenson,^^ fut sur- 10 nommé " la bête," parce que son originalité dépassait le cadre convenu. '' Cela n'a pas de nom ; cela ne res- semble à rien," tel est le blâme le plus fort. Dans la conduite, comme dans la littérature, tout ce qui s'écarte d'un certain modèle est rejeté. Le nombre des actions 15 permises s'est restreint comme le nombre des mots au- torisés. Le même goût épuré appauvrit Pinitiative en même temps que la langue, et l'on agit comme on écrit, selon des formes apprises, dans un cercle borné. A aucun prix, l'excentrique, l'imprévu, le vif élan spon- 20 tané ne sont de mise.^^ ... . . . Sous ce régime continu de distractions et d'amuse- ments, il n'y a plus de sentiments profonds : on n'en a que d'épiderme ; ^^ l'amour lui-même se réduit ^^ à *' l'échange de deux fantaisies." Et comme on tombe 25 toujours du côté où l'on penche, la légèreté devient une élégance et un parti-pris.^^ L'indifférence du cœur est à la mode ; on aurait honte d'être vraiment ému. . . . Le caractère du siècle reçoit alors son trait final, et '' l'homme sensible " ^* apparaît. 3° Ce n'est pas que le fond des mœurs devienne différent ; elle restent aussi mondaines, aussi dissipées jusqu'au bout. 158 AN ELEMENTARY FRENCH READER Mais la mode autorise une affectation nouvelle, des effu- sions, des rêveries, des attendrissements qu'on n'avait point encore connus. Il s'agit de^^ revenir à la nature, d'admirer la campagne, d'aimer la simplicité des mœurs 5 rustiques, de s'intéresser aux villageois, d'être humain, d'avoir un cœur, de goûter les douceurs et les tendresses des affections naturelles, d'être époux et père, bien plus^*^ d'avoir une âme, des vertus, des émotions religieuses, de croire à la providence et à l'immortalité, d'être capable 10 d'enthousiasme. On veut être ainsi, ou du moins on a la velléité ^^ d'être ainsi. En tout cas,^^ si on le veut, c'est à la condition sous-entendue ^^ qu'on ne sera pas trop dérangé de son train ordinaire et que les sensations de cette nouvelle vie n'ôteront rien aux jouissances de 15 l'ancienne. Aussi l'exaltation qui commence ne sera guère qu'une ebullition de la cervelle, et l'idylle presque entière se jouera ^^ dans les salons. — Voici donc la littéra- ture, le théâtre, la peinture, et tous les arts qui entrent dans la voie sentimentale pour fournir à l'imagination échauf- 20 fée une pâture factice. Rousseau °^ prêche en périodes travaillées^^ le charme de la vie sauvage, et les petits- maîtres,^^ entre deux madrigaux, rêvent au bonheur de coucher nus dans la forêt vierge. Dans tous les détails de la vie privée, la sensibilité 25 étale son emphase. On bâtit dans son parc un petit temple à l'Amitié. On dresse dans son cabinet un petit autel à la Bienfaisance. On porte des robes à la Jean- Jacques Rousseau ^^ ''analogues aux principes de cet auteur." On choisit pour coiffure ''des poufs ^^ au 30 sentiment," dans lesquels on place le portrait de sa fille, de sa mère, de son serin, de son chien, tout cela " garni des cheveux de son père ou d'un ami de cœur." LA VIE DE SALON EN FRANCE 159 ... La sensibilité devient une institution. La parade sentimentale est complète, et jusque dans cette chevalerie restaurée, on retrouve une mascarade de salon. Néanmoins la mousse de l'enthousiasme et des grands mots laisse au fond des cœurs un résidu de bonté active, 5 de bienveillance confiante, et même de bonheur, à tout le moins ^^ d'expansion et de facilité. La simplicité rentre dans les manières. On ne met plus de poudre aux petits garçons, nombre de seigneurs quittent les galons, puis les broderies, les talons rouges,^'' et l'épée, 10 sauf lorsqu'ils sont en grand habit.^^ On en rencontre dans les rues " vêtus à la Franklin, en gros drap,^^ avec un bâton noueux et des souliers épais." Le goût n'est plus aux cascades, aux statues, aux décorations raides et pompeuses ; on n'aime que les jardins anglais. La 15 reine s'arrange un village à Trianon, ^^ où, *' vêtue d'une robe de percale blanche et d'un fichu de gaze, coifi"ée d'un chapeau de paille," ''^ elle pêche dans le lac et voit traire ses vaches. L'étiquette tombe par lambeaux, comme un fard qui s'écaille et laisse reparaître la vive 20 couleur des émotions naturelles. Mme. Adélaïde '^ prend un violon et remplace le ménétrier absent pour faire danser des paysannes. La duchesse de Bourbon sort le matin incognito pour faire l'aumône et *' chercher des pauvres dans leurs greniers." La Dauphine ^^ se jette à 25 bas de son carrosse pour secourir un postillon blessé, un paysan que le cerf a renversé. Le roi et le comte d'Ar- tois"^ aident un charretier embourbé à dégager sa charrette. On ne songe plus à se composer et à se contraindre, à garder sa dignité en toute circonstance, à 30 soumettre les faiblesses de la nature aux exigences du rang. l6o AN ELEMENTARY FRENCH READER . . . On ne cache plus ses larmes, on tient à l'honneur d'être. homme; on est humain, on se familiarise avec ses inférieurs. Un prince, passant une revue, dit aux soldats en leur présentant la princesse : ** Mes enfants,'^ voici 5 ma femme." On voudrait rendre les hommes heureux et jouir délicieusement de leur reconnaissance. Etre bon, être aimé, voilà l'objet d'un chef d'Etat, d'un homme en place. '^^. . . Des applaudissements éclatent au théâtre lorsqu'un 10 vers fait allusion à la vertu des princes, et, un instant après, quand une tirade exalte les mérites du peuple, les princes prennent leur revanche "^"^ de politesse en applau- dissant à leur tour. De toutes parts,^^ au moment où ce monde finit, 15 une complaisance mutuelle, une douceur affectueuse vient, comme un souffle tiède et moite d'automne, fondre ce qu'il y avait encore de dureté dans sa sécheresse, et envelopper dans un parfum de roses mourantes les élégances de ses derniers instants. TAINE. HIPPOLYTE TAINE (1828-1893) NÉ à Vouziers, élève de l'École normale, Taine renonça à l'en- seignement et se consacra à la littérature et à l'histoire. Son influence a été considérable, et il a inauguré en France une nou- velle méthode de critique littéraire, qui consiste à appliquer à l'étude de l'histoire et de la littérature les procédés des sciences naturelles. Aussi ses ouvrages sont-ils rempHs de faits que l'auteur sait grouper méthodiquement pour en tirer ses conclusions. Taine est un penseur non moins original que profond. Ses principaux ouvrages sont: De V Intelligence^ Histoire de la Littérature An- glaise^ Philosophie de V Art^ Essais de Critique et dHistoire^ Ori- gines de la France Contemporaine. MAISON DE PENSION A ATHENES i6l XVII UNE MAISON DE PENSION À ATHÈNES (RÉCIT D'UN JEUNE BOTANISTE ALLEMAND) Mes hôtes étaient de braves gens ' ; il s'en rencontre plus de trois dans la ville. Ils me donnèrent une petite chambre blanchie à la chaux,^ une table de bois blanc,^ deux chaises de paille, un bon matelas bien mince, une couverture et des draps de coton. Un bois de lit* est s un superfluité dont les Grecs se privent aisément, et nous vivions à la grecque.^ Je déjeunais d'une tasse de salep,^ je dînais d'un plat de viande avec beaucoup d'olives et de poisson sec; je soupais de légumes, de miel, et de gâ- teaux. Les confitures n'étaient pas rares dans la maison, lo et, de temps en temps, j'évoquais le souvenir de mon pays, en me régalant d'un gigot d'agneau aux confitures. Inutile de vous dire que j'avais ma pipe, et que le tabac d'Athènes est meilleur que le vôtre. Ce qui contribua surtout à m'acclimater dans la maison de Christodule," 15 c'est un petit vin de Santorin,^ qu'il allait chercher je ne sais oÎj. Je ne suis pas gourmet, et l'éducation de mon palais a été malheureusement un peu négligée, cepen- dant, je crois pouvoir affirmer que ce vin-là serait appré- cié à la table d'un roi : il est jaune comme le soleil, joy- ^o eux comme le sourire d'un enfant. Je crois le voir en- core dans sa carafe au large ventre,^ au milieu de la toile cirée qui nous servait de nappe. Il éclairait la table, 1 62 AN ELEMENTARY FRENCH READER, mon cher monsieur, et nous aurions pu souper sans autre lumière. Je n'en buvais jamais beaucoup, parce qu'il était capiteux ; et pourtant, à la fin du repas, je citais des vers d'Anacréon,-^^ et je découvrais des restes de 5 beauté sur la face lunaire de la grosse Maroula.^^ Je mangeais en famxille avec Christodule et les pension- naires de la maison. Nous étions quatre internes ^^ et un externe. Le premier étage ^^ se divisait en quatre chambres dont la meilleure était occupée par un arché- 10 ologue français, M. Hippolyte Mérinay. Si tous les Français ressemblaient à celui-là, vous feriez une assez piètre nation. C'était un petit monsieur de dix-huit à quarante-cinq ans, très roux, très doux, parlant beaucoup et armé de deux mains tièdes et moites qui ne lâchaient 15 pas son interlocuteur.^^ Ses deux passions dominantes étaient l'archéologie et la philanthropie : aussi était-il membre de plusieurs sociétés savantes et de plusieurs confréries bienfaisantes. Quoiqu'il fût grand apôtre de charité, et que ses parents lui eussent laissé un beau re- 20 venu, je ne me souviens pas de l'avoir vu donner un sou à un pauvre. Quant à ses connaissances en archéologie, tout me porte à croire ^^ qu'elles étaient plus sérieuses que son amour pour l'humanité. Il avait été couronné par je ne sais quelle académie de province, ^^ pour un 25 mémoire sur le prix du papier au temps d'Orphée.^'' Encouragé par ce premier succès, il avait fait le voyage de Grèce pour recueillir les matériaux d'un travail plus important : il ne s'agissait de rien moins que de déterminer la quantité d'huile consommée par la lampe de Démos- 30 thène pendant qu'il écrivait la seconde Philippique}'^ Mes deux autres voisins n'étaient pas si savants, à beaucoup près,^^ et les choses d'autrefois ne les souci- MAISON DE PENSION A ATHENES 163 aient guère. Giacomo Fondi était un pauvre Maltais employé à je ne sais plus '^^ quel consulat ; il gagnait cent cinquante francs par mois à cacheter des lettres. Je m'imagine que tout autre emploi lui aurait mieux convenu. La nature, qui a peuplé l'île de Malte pour que 5 l'Orient ne manquât jamais de portefaix, avait donné au pauvre Fondi les épaules, les bras, et les mains de Milon de Crotone ^^ : il était né pour manier la massue, et non pour brûler des bâtons de cire à cacheter. Il en usait cependant deux ou trois par jour: l'homme n'est 10 pas maître de sa destinée. Cet insulaire déclassé ^^ ne rentrait dans son élément qu'à l'heure du repas; il aidait Maroula à mettre la table,^^ et vous devinez, sans que je le dise, qu'il apportait toujours la table à bras tendu. Il mangeait comme un capitaine de Xlliadc^'^ et je n'oublie- 15 rai jamais le craquement de ses larges mâchoires, la dila- tation de ses narines, l'éclat de ses yeux, la blancheur de ses trente-deux dents, meules formidables dont il était le moulin. Je dois avouer que sa conversation m'a laissé peu de souvenirs : on trouvait aisément la limite de son 20 intelligence, mais on n'a jamais connu les bornes de son appétit. Christodule n'a rien gagné à l'héberger pen- dant quatre ans, quoiqu'il lui fît payer dix francs par mois pour supplément de nourriture. L'insatiable Mal- tais absorbait tous le jours, après dîner, un énorme plat 25 de noisettes, qu'il cassait entre ses doigts par le simple rapprochement du pouce et de l'index. Christodule, an- cien héros, mais homme positif,^^ suivait cet exercice avec un mélange d'admiration et d'effroi ; il tremblait pour son dessert, et cependant il était flatté de voir à 30 sa table un si prodigieux casse-noisette. Là figure de Giacomo n'aurait pas été déplacée dans une de ces boîtes 1 64 AN ELEMENTARY ERENCH READER à surprise,^^ qui font tant de peur aux petits enfants. Il était plus blanc qu'un nègre : mais c'est une question de nuance.^^ Ses cheveux épais descendaient jusque sur les sourcils, comme une casquette. Par un contraste assez 5 bizarre, ce Caliban ^^ avait le pied le plus mignon, la cheville la plus fine, la jambe la mieux prise ^^ et la plus élégante qu'on pût offrir à l'étude d'un statuaire ; mais ce sont des détails qui ne nous frappaient guère. Pour quiconque l'avait vu manger, sa personne commençait au lo niveau de la table ; le reste ne comptait plus. Je ne parle que pour mémoire du petit William Lobster. C'était un ange de vingt ans, blond, rose et joufflu, mais un ange des E^tats-Unis d'Amérique. La maison ^^ Lobster et Sons, de New- York, l'avait envoyé 15 en Orient pour étudier le commerce d'exportation. Il travaillait dans la journée chez les frères Philip ; le soir, il lisait Emerson ; le matin à l'heure étincelante o\\ le soleil se lève, il allait à la maison de Socrate tirer le pistolet. 20 Le personnage le plus intéressant de notre colonie était sans contredit ^^ John Harris, l'oncle maternel du petit Lobster. La première fois que j'ai dîné avec cet étrange garçon,^^ j'ai compris l'Amérique. John est né à Vandâlia, dans l'IUinois. Il a respiré en naissant cet 25 air du nouveau monde, si vivace, si pétillant, et si jeune, qu'il porte à la tête^ comme le vin de Champagne, et qu'on se grise à le respirer. Je ne sais pas si la famille Harris est riche ou pauvre; si elle a mis son fils au collège ou si elle l'a laissé faire son éducation lui-même. 30 Ce qui est certain, c'est qu'à vingt-sept ans il ne compte que sur soi, ne s'attend qu'à soi, ne s'étonne de rien, ne croit rien impossible, ne recule jamais, croit tout, espère MAISON DE PENSION A ATHENES 165 tout, essaye de tout, triomphe de tout, se relève s'il tombe, recommence s'il échoue, ne s'arrête jamais, ne perd- jamais courage, et va droit devant lui en sifflant sa chanson. Il a été cultivateur, maître d'école, homme de loi,"^^ journaliste, chercheur d'or, industriel, commerçant ; 5 il a tout lu, tout vu, tout pratiqué, et parcouru plus de la moitié du globe. Quand je fis sa connaissance, il com- ' mandait au Pirée ^^ un aviso à vapeur, soixante hommes et quatre canons ; il traitait la question d'Orient dans la Revue de Boston; il faisait des affaires avec une maison 10 d'indigo à Calcutta, et il trouvait le temps de venir trois ou quatre fois par semaine dîner avec son neveu Lobster et avec nous. Un seul trait, entre mille, vous peindra le caractère de Harris. En 1853 il était l'associé d'une maison de Phil- 15 adelphie. Son neveu, qui avait alors dix-sept ans, va lui faire une visite. Il le trouve sur la place Washing- ton, debout, les mains dans les poches, devant une maison qui brûle. William lui frappe sur l'épaule : il se retourne. 20 — C'est toi? dit-il. Bonjour, Bill, tu arrives mal, mon enfant.^^ Voici un incendie qui me ruine ! J'avais quar- ante mille dollars dans la maison ; nous ne sauverons pas une allumette. — Que vas-tu faire? demanda l'enfant atterré. 25 — Ce que je vais faire? Il est onze heures, j'ai faim, il me reste ^'^ un peu d'or dans mon gousset; je vais t'offrir à déjeuner ! Harris est 'un des hommes les plus sveltes et les plus élégants que j'aie jamais rencontrés. Il a l'air mâle, le 3° front haut, l'œil limpide et fier. Ces Américains ne sont jamais ni chétifs ni difformes, et savez-vous pourquoi? 1 66 AN ELEMENTARY FRENCH READER C'est qu'ils n'étouffent pas dans les langes d'une civilisa- tion étroite. Leur esprit et leur corps se développent à l'aise ; ils ont pour école le grand air,^^ pour maître l'ex- ercice, pour nourrice la liberté. 5 Je n'ai jamais pu faire grand cas^^ de M. Mérinay; j'examinais Giacomo Fondi avec la curiosité indifférente qu'on apporte dans une ménagerie d'animaux exotiques ; le petit Lobster m'inspirait un intérêt médiocre ; mais j'avais de l'amitié pour Harris. Sa figure ouverte, ses 10 manières simples, sa rudesse qui n'excluait pas la dou- ceur, son caractère emporté et cependant chevaleresque, les bizarreries de son humeur, la fougue de ses senti- ments, tout cela m'attirait d'autant plus vivement que je ne suis ni fougueux ni passionné. Nous aimons autour 15 de nous ce que nous ne trouvons pas en nous- Giacomo s'habillait de blanc parce qu'il était noir; j'adore les Américains parce que je suis Allemand. Pour ce qui est des Grecs,^^ je les connaissais fort peu après quatre mois de séjour en Grèce. Rien n'est plus 20 facile que de vivre dans Athènes sans se frotter *^ aux naturels du pays. Je n'allais pas au café, je ne lisais ni la Pandore^ ni la Minerve, ni aucun journal du cru,*^ je ne fréquentais pas le théâtre, parce que j'ai l'oreille délicate et qu'une fausse note m'offense plus cruellement 25 qu'un coup de poing: je vivais à la maison avec mes hôtes, mon herbier,^^ et John Harris. J'aurais pu me faire présenter au palais, grâce à mon passeport diplo- matique et à mon titre officiel. J'avais remis ma carte chez le maître des cérémonies et chez la grande maîtresse, 30 et je pouvais compter sur une invitation au premier bal de la cour. Je tenais en réserve pour cette circonstance un bel habit rouge brodé d'argent que ma tante Rosen- MAISON DE PENSION A ATHENES i6; thaler m'avait apporté la veille de mon départ. C'était l'uniforme de feu son mari,^ préparateur d'histoire naturelle à l'Institut philomathique^^ de Minden. Ma bonne tante, femme de grand sens, savait qu'un uniforme est bien reçu dans tout pays, surtout lorsqu'il est rouge. 5 Mon frère aîné fit observer que j'étais plus grand que mon oncle, et que les manches de son habit n'arrivaient pas tout à fait au bout de mes bras ; mais papa répliqua vivement que la broderie d'argent éblouirait tout le monde, et que les princesses n'y regarderaient pas de si près.^^ 10 Malheureusement la cour ne dansa pas de toute la saison. Les plaisirs de l'hiver furent la floraison des amandiers, des pêchers, et des citronniers. On parlait vaguement d'un grand bal pour le 15 mai, c'était un 15 bruit de ville, accrédité par quelques journaux semi- officiels ; *^ mais il n'y fallait pas compter.*^ Mes études marchaient comme mes plaisirs, au petit pas.'*^ Je connaissais à fond le jardin botanique d'Athènes, qui n'est ni très beau ni très riche ; c'est 20 un sac qu'on a bientôt vidé. Le jardin royal offrait plus de ressources : un Français intelligent y a rassemblé toutes les richesses végétales du pays, depuis les pal- miers des îles jusqu'aux saxifrages ducap Sunium.^^ J'ai passé là de bonnes journées au milieu des plantations de 25 M. Bareaud. Le jardin n'est public qu'à certaines heures: mais je parlais grec aux sentinelles, et pour l'amour du grec on me laissait entrer. M. Bareaud ne s'ennuyait pas avec moi; il me promenait ^^ partout pour le plaisir de parler botanique et de parler français. 3° En son absence, j'allais chercher un grand jardinier maigre aux cheveux écarlates, et je le questionnais en allemand : il est bon d'être polyglotte. 1 68 AN ELEMENTARY FRENCH READER J'herborisais tous les jours un peu dans la campagne, mais jamais aussi loin que je l'aurais voulu : les brigands campaient autour d'Athènes. Je ne suis pas poltron, et la suite de ce récit vous le prouvera, mais je tiens à la vie. 5 Au mois d'avril 1856, il était dangereux de sortir de la ville ; il y avait même de l'imprudence à y demeurer. Je ne m'aventurais pas sur le versant du Lycabète^^ sans penser à cette pauvre Mme. Daraud qui y fut dévalisée en plein midi.'^^ Les collines de Daphne me rappelaient 10 la captivité des deux officiers français. Sur la route du Pirée, je songeais involontairement à cette bande de vo- leurs qui se promenait^* en six fiacres comme une noce, et qui fusillait les passants à travers les portières. Le chemin du Pentélique ^^ me rappelait l'arrestation de la 15 duchesse de Plaisance ou l'histoire toute récente de Harris et de Lobster. Ils revenaient de la promenade ^^ sur deux chevaux persans appartenant à Harris : ils tombent dans une embuscade. Deux brigands, le pistolet au poing,^^ les arrêtent au milieu d'un pont. Ils regardent 20 autour d'eux et voient à leurs pieds, dans le ravin, une douzaine de coquins armés jusqu'aux dents qui gar- daient cinquante ou soixante prisonniers. Tout ce qui avait passé par là^^ depuis le lever du soleil avait été dé- pouillé, puis garotté, pour que personne ne courût don- 25 ner l'alarme. Harris était sans armes comme son neveu. Il lui dit en anglais : "Jetons notre argent; on ne se fait pas tuer pour vingt dollars." Les brigands ramassent les écus^^ sans quitter la bride des chevaux: puis il mon- trent le ravin et font signe qu'il y faut descendre. Pour 30 le coup^^ Harris perd patience: il lui répugne d'être lié ; il n'est pas du bois dont on fait des fagots.^^ Il jette un regard au petit Lobster, et au même instant deux • MAISON DE PENSION A ATHENES 169 coups de poing parallèles s'abbattent comme deux bou- lets rames ^"^ sur la tête des deux brigands. L'adversaire de William roule à la renverse ^^ en déchargeant son pistolet; celui de Harris, lancé plus rudement, passe par- dessus le parapet et va tomber au milieu de ses cama- 5 rades. Harris et Lobster étaient déjà loin, éventrant leurs montures à coups d'éperons.^^ La bande se lève comme un seul homme et fait feu de toutes ses armes. Les chevaux sont tués, les cavaliers se dégagent, jouent des jambes ^^ et viennent avertir la gendarmerie,^^ qui se 10 mit en route le surlendemain de bon matin.^^ Notre excellent Christodule apprit avec un vrai cha- grin la mort des deux chevaux ; mais il ne trouva pas une parole de blâme pour les meurtriers. " Que voulez- vous?^^ disait-il avec une charmante bonhomie: c'est 15 leur état." Tous les Grecs sont un peu de l'avis de^^ notre hôte. Ce n'est pas que les brigands épargnent leurs compatriotes et réservent les rigueurs pour les étrangers ; mais un Grec dépouillé par ses frères se dit avec une cer- taine résignation que son argent ne sort pas de la famille. 20 La population se voit piller par les brigands comme une femme du peuple ^^ se sent battre par son mari, en ad- mirant comme il frappe bien. C'est un fait tellement vrai, qu'à l'époque de mon ar- rivée, le héros d'Athènes était précisément le fléau de 25 l'Attique.'^ Dans les salons et dans les cafés, chez les barbiers oîj se réunit le petit peuple,^^ chez les pharma- ciens où s'assemble la bourgeoisie, dans les rues bour- beuses du bazar, au carrefour poudreux de la Belle- Grèce, au théâtre, à la musique du dimanche ^^ et sur la 3° route de Pâtissia, on ne parlait que du grand Hadgi- Stavros, on ne jurait que par Hadgi-Stavros ; Hadgi- I/o AN ELEMENTARY FRENCH READER Stavros l'invincible, Hadgi-Stavros l'effroi des gen- darmes/^ Hadgi-Stavros le Roi des montagnes ! On aurait pu faire (Dieu me pardonne !) les litanies d'Hadgi- Stavros. 5 Un dimanche que John Harris dînait avec nous, c'était peu de temps après son aventure, je mis le bon Christo- dule sur le chapitre d'Hadgi-Stavros. Notre hôte l'avait beaucoup fréquenté autrefois, pendant la guerre de l'in- dépendance, dans un temps où le brigandage était moins 10 discuté qu'aujourd'hui. Il vida son verre de vin de Santorin, lustra'^ sa moustache grise et commença un long récit entrecoupé de quelques soupirs. Il nous apprit que Stavros était le fils d'un papas ou prêtre de l'île de Tino. Il naquit, 15 Dieu sait en quelle année ; les Grecs du bon temps ne connaissent pas leur âge, car les registres de l'état civil '^ sont une invention de la décadence. Son père, qui le destinait à l'Eglise, lui fit apprendre à lire. Vers l'âge de vingt ans, il fit le voyage de Jérusalem et ajouta à 20 son nom le titre de Hadgi, qui veut dire'' pèlerin. Hadgi-Stavros, en rentrant au pays, fut pris par un pirate. Le vainqueur lui trouva des dispositions, et de prisonnier le fit matelot. C'est ainsi qu'il commença à guerroyer contre les navires turcs, et généralement contre tous 25 ceux qui n'avaient pas de canons à bord. Au bout de quelques années de service, il s'ennuya de travailler pour les autres et résolut de s'établir à son compte.''^ Il n'avait ni bateau, ni argent pour en acheter un; force lui fut'^ d'exercer la piraterie à terre. Le soulèvement 30 des Grecs ^^ contre la Turquie lui permit de pêcher en eau trouble.^^ Il ne sut jamais bien exactement s'il était brigand ou insurgé, ni s'il commandait à des voleurs ou à MAISON DE PENSION A ATHENES 171 des partisans. Sa haine pour les Turcs ne l'aveuglait pas à ce point ^^ qu'il passât près d'un village grec sans le voir et le fouiller. Tout argent lui était bon, qu'il vînt des amis ou des ennemis, du vol simple ou du glorieux pillage. Une si sage impartialité augmenta rapidement sa fortune. 5 Les bergers accoururent sous son drapeau, lorsqu'on sut qu'il y avait gros^^ à gagner avec lui: sa réputation lui fit une armée. Les puissances protectrices de l'insur- rection ^* eurent connaissance de ses exploits, mais non de ses économies ; en ce temps-là, on voyait tout en 10 beau. Lord Byron lui dédia une ode, les poètes et les rhéteurs de Paris le comparèrent à Ëpaminondas ^^ et même à ce pauvre Aristide. On broda pour lui des drapeaux au faubourg Saint Germain ; ^^ on lui envoya des subsides. Il reçut de l'argent de France, il en reçut 15 d'Angleterre et de Russie ; je ne voudrais pas jurer qu'il n'en a jamais reçu de Turquie : c'était un vrai pallicare ! ^^ A la fin de la guerre, il se vit assiégé, avec les autres chefs, dans l'Acropole ^^ d'Athènes. Il logeait aux Pro- pylées, entre Margaritis et Lygandas, et chacun d'eux 20 gardait ses trésors au chevet ^^ de son lit. Par une belle nuit d'été, le toit tomba si adroitement qu'il écrasa tout le monde, excepté Hadgi-Stavros, qui fumait son nar- ghilé '^ au grand air. Il recueillit l'héritage de ses com- pagnons et chacun pensa qu'il l'avait bien gagné. Mais 25 un malheur qu'il ne prévoyait pas vint arrêter le cours de ses succès : la paix se fit. Hadgi-Stavros, retiré à la campagne avec son argent, assistait à un étrange spectacle. Les puissances qui avaient mis la Grèce en liberté essayaient de fonder un royaume. Des mots 30 malsonnants venaient bourdonner autour des oreilles velues du vieux pallicare ; on parlait de gouvernement, 1 72 AN ELEMENTAR Y FRENCH READER d'armée, d'ordre public. On le fit bien rire en lui an- nonçant que ses propriétés ^^ étaient comprises dans une sous-préfecture.^^ Mais lorsque l'employé du fisc ^^ se présenta chez lui pour toucher ^^ les impôts de l'année, 5 il devint sérieux. Il jeta le percepteur à la porte,^^ non sans l'avoir soulagé de tout l'argent qu'il avait sur lui. La justice lui chercha querelle ; ^^ il reprit le chemin des montagnes. Aussi bien,^*" il s'ennuyait dans sa maison. Il comprenait jusqu'à un certain point qu'on eiàt un toit, 10 mais à condition de dormir dessus. Ses anciens compagnons d'armes étaient dispersés par tout le royaume. L'Etat leur avait donné des terres ; ils les cultivaient en rechignant, et mangeaient du bout des dents ^^ le pain amer du travail. Lorsqu'ils apprirent 15 que le chef était brouillé avec la loi, ils vendirent leurs champs et coururent le rejoindre. Quant à lui, il se contenta d'affermer ses biens : il a des qualités d'admi- nistrateur. La paix et l'oisiveté l'avaient rendu malade. L'air 20 des montagnes le regaillardit si bien qu'en 1840 il songea au mariage. Il avait assurément passé la cin- quantaine,^^ mais les hommes de cette trempe n'ont rien à démêler ^^*^ avec la vieillesse; la mort même y regarde à deux fois ^^^ avant de les entreprendre. Il épousa une 25 riche héritière, d'une des meilleures familles de La- conie,^^^ et devint ainsi l'allié ^^^ des plus grands person- nages du royaume. Sa femme le suivit partout, lui donna une fille, prit les fièvres et mourut. Il éleva son enfant lui-même, avec des soins presque maternels. 30 L'amour paternel donna un nouveau ressort à son esprit. Pour amasser à sa fille une dot royale, il étudia la question d'argent, sur laquelle il avait eu des idées MAISON DE PENSION A ATHENES 173 trop primitives. Au lieu d'entasser ses écus^^"* dans des coffres, il les plaça. Il apprit les tours et les détours ^^^ de la spéculation ; il suivit le cours des fonds publics ^^^ en Grèce et à l'étranger. On prétend même que, frappé des avantages de la commandite/^'' il eut l'idée de mettre 5 le brigandage en actions. Il a fait plusieurs voyages en Europe, sous la conduite d'un Grec de Marseille qui lui servait d'interprète. Pendant son séjour en Angleterre, il assista à une élection dans je ne sais quel bourg pourri ^*^^ du Yorkshire : ce beau spectacle lui inspira 10 des réflexions profondes sur le gouvernement constitu- tionnel et ses profits. Il revint décidé à exploiter les institutions de sa patrie et à s'en faire un revenu. Il brijla bon nombre de villages pour le service de l'oppo- sition : il en détruisit quelques autres dans l'intérêt du 15 parti conservateur. Lorsqu'on voulait renverser un ministère on n'avait qu'à s'adresser à lui ; il prouvait par des arguments irréfutables que la police était mal faite, et qu'on n'obtiendrait un peu de sécurité qu'en changeant le cabinet. Mais en revanche il donna de 20 rudes leçons aux ennemis de l'ordre en les punissant par oil ils avaient péché. Ses talents politiques se firent si bien connaître que tous les partis le tenaient en haute estime. Son conseils, en matière d'élection, étaient presque toujours suivis, si bien que,^*^^ contrairement 25 au principe du gouvernement représentatif, qui veut qu'un seul député exprime la volonté de plusieurs hommes, il était représenté, lui seul, par une trentaine ^^^ de députés. Un ministre intelligent, le célèbre Rha- lettis, s'avisa qu'un homme qui touchait si souvent aux 3° ressorts du gouvernement finirait peut-être par déranger la machine. Il entreprit de lui lier les mains par un fil 174 AN ELEMENTARY FRENCH READER d'or. II lui donna rendez-vous ^^^ à Carvati, entre I'Hy- mette ^^^ et le Pentélique, dans la maison de campagne d'un consul étranger. Hadgi-Stavros y vint, sans escorte et sans armes. Le ministre et le brigand, qui 5 se connaissaient de longue date,^^^ déjeunèrent ensemble comme deux vieux amis. Au dessert, Rhalettis lui offrit amnistie pleine et entière pour lui et les siens, un brevet de général de division, ^^* le titre de sénateur et dix mille hectares ^^^ de forêts en toute propriété. Le pallicare 10 hésita quelque temps, et finit par répondre non. ** J'au- rais peut-être accepté il y a vingt ans, dit-il, mais aujour- d'hui je suis trop vieux. Je ne peux pas, à mon âge, changer ma manière de vivre. La poussière d'Athènes ne me vaut rien ; ^^^ je dormirais au sénat, et si tu me 15 donnais des soldats à commander, je serais capable de décharger mes pistolets sur leurs uniformes, par la force de l'habitude. Retourne donc à tes affaires et laisse-moi vaquer aux miennes." Rhalettis ne se tint pas pour battu. Il essaya d'é- 20 clairer le brigand sur l'infamie du métier qu'il exerçait. Hadgi-Stavros se mit à rire, et lui dit avec une aimable cordialité : — Compère ! -^' le jour où nous écrirons nos péchés, le- quel de nous deux aura la liste la plus longue? 25 — Songe enfin, ajouta le ministre, que tu ne saurais ^^^ échappera ta destinée: tu mourras un jour ou l'autre de mort violente. — Allah Kerim ! répondit-il en turc. Ni toi ni moi n'avons lu dans les étoiles. Mais j'ai du moins un avan- 30 tage ; c'est que mes ennemis portent un uniforme et je les reconnais de loin. Tu ne peux pas en dire autant des tiens. Adieu, frère." MAISON DE PENSION A ATHENES 175 Six mois après, le ministre mourut assassiné par ses ennemis politiques ; le brigand vit encore. Notre hôte ne nous raconta pas tous les exploits de son héros : la journée n'y aurait pas suffi. Il se con- tenta d'énumérer les plus remarquables. Je ne crois pas 5 qu'en aucun pays les émules d'Hadgi-Stavros aient jamais rien fait de plus artistique que l'arrestation du Niebiihr, C'est un vapeur du Lloyd ^^^ autrichien que le pallicare a dévalisé à terre, sur les onze heures ^^^ du matin. Le Niebiihi' venait de Constantinople ; il déposa sa cargai- 10 son et ses passagers à Calamaki, à l'orient de l'isthme de Corinthe. Quatre fourgons et deux omnibus prirent les passagers et les marchandises pour les transporter de l'autre côté de l'isthme, au petit port de Loutraki, oii un autre bateau les attendait. Il attendit longtemps. Hadgi- 15 Stavros, en plein jour, sur une belle route, en pays plat et déboisé,^^^ enleva les marchandises, les bagages, l'ar- gent des voyageurs et les munitions des gendarmes qui escortaient le convoi. '* Ce fut une journée de deux cent cinquante mille francs ! " nous dit Christodule avec une 20 nuance d'envie. On a beaucoup parlé des cruautés d'Hadgi-Stavros. Son ami Christodule nous prouva qu'il ne faisait pas le mal par plaisir. C'est un homme sobre et qui ne s'enivre de rien, pas même de sang. S'il lui arrive 25 de chauffer un peu trop fort les pieds d'un riche paysan, c'est pour savoir oÎj le ladre a caché ses ecus. En gé- néral il traite avec douceur les prisonniers dont il espère une rançon. Dans l'été de 1854, il descendit un soir avec sa bande chez un gros marchand de l'île d'Eubée,^^^ 30 M. Voïdi. Il trouva la famille assemblée, plus ^'^ un vieux juge au tribunal de Chalcis, qui faisait sa partie de 176 AN ELEMENTARY FRENCH READER cartes ^^* avec le maître de la maison. Hadgi-Stavros offrit au magistrat de lui jouer sa liberté ; il perdit et s'exécuta de bonne grâce. Il emmena M, Voïdi, sa fille et son fils; il laissa la femme, pour qu'elle pût s'occuper 5 de la rançon. Le jour de l'enlèvement, le marchand avait la goutte, sa fille avait la fièvre, le petit garçon était pâle et boursouflé. Ils revinrent deux mois après, tous guéris par l'exercice, le grand air et les bons traitements. Toute une famille recouvra la santé pour cinquante mille 10 francs : était-ce payé trop cher? — Je confesse, ajouta Christodule, que notre ami est sans pitié pour les mauvais payeurs. '^^ Lorsqu'une ran- çon n'est pas soldée à l'échéance, il tue ses prisonniers avec une exactitude commerciale : c'est sa façon de pro- 15 tester les billets. Quelle que soit mon admiration pour lui et l'amitié qui unit nos deux familles, je ne lui ai pas encore pardonné le meurtre des deux petites filles de Mistra. C'étaient deux jumelles de quatorze ans, jolies comme deux petites statues de marbre, fiancées toutes 20 deux à des jeunes gens ^^^ de Léondari. Elles se res- semblaient si exactement, qu'en les voyant ensemble on croyait y voir double, et l'on se frottait les yeux. Un matin, elles allaient vendre des cocons à la filature ; elles portaient ensemble un grand panier, et elles cou- 25 raient légèrement sur la route comme deux colombes at- telées au même char. Hadgi-Stavros les emmena dans la montagne et écrivit à leur mère qu'il les rendrait pour dix mille francs, payables à la fin du mois. La mère était une veuve aisée, ^'^^ propriétaire de beaux mûriers, 30 mais pauvre d'argent comptant ^^^ comme nous sommes tous. Elle emprunta sur ses biens, ce qui n'est jamais facile, même à vingt pour cent^^^ d'intérêt. Il lui fallut MAISON DE PENSION A ATHENES 177 six semaines et plus ^^^ pour réunir la somme. Lors- qu'elle eut enfin l'argent, elle le chargea sur un mulet et partit à pied pour le camp d'Hadgi-Stavros. Mais en entrant dans la grande langada^^^ du Taygète, à l'endroit oii l'on trouve sept fontaines sous un platane, le mulet 5 qui marchait devant s'arrêta net ^^^ et refusa de faire un pas.^^^ Alors la pauvre mère vit sur le bord du chemin ses petites filles. Elles avaient le cou coupé jusqu'à l'os, et ces jolies têtes ne tenaient presque plus au corps. Elle prit les deux pauvres créatures, les chargea elle- 10 même sur le mulet et les ramena à Mistra. Elle ne put jamais pleurer ; aussi elle devint folle et mourut. Je sais qu'Hadgi-Stavros a regretté ce qu'il avait fait ; il croyait que la veuve était plus riche et qu'elle ne voulait pas payer. Il avait tué les deux enfants pour l'exemple.^^^ 15 Il est certain que depuis ce temps-là ses recouvrements se sont toujours bien faits, et que personne n'a plus osé le faire attendre. — Bnitta carognal^^'^ cria Giacomo en frappant un coup qui ébranla la maison comme un tremblement de terre. 20 Si jamais il me tombe sous la main je lui servirai une rançon de dix mille coups de poing qui lui permettra de se retirer des affaires. — Moi, dit le petit Lobster avec son sourire tranquille, je ne demande qu'à le rencontrer à cinquante pas de mon 25 revolver. Et. vous, oncle John? Harris sifflait entre ses dents un petit air américain, aigu comme une lame de stylet. — En croirai-je mes oreilles? ajouta de sa voix flûtée le bon M. Mérinay, mortel harmonieux. Est-il possible 30 que de telles horreurs se commettent dans un siècle comme le nôtre ! Je sais bien que la Société pour la 12 i;8 AN ELEMENTARY FRENCH READER moralisation des malfaiteurs n'a pas encore établi de succursales dans ce royaume : mais en attendant n'avez- vous pas une gendarmerie? — Certainement, reprit Christodule ; 50 officiers, 152 5 brigadiers ^^^ et 1250 gendarmes, dont 152 à cheval. C'est la meilleure troupe du royaume, après celle d' Hadgi- Stavros. — Ce qui m'étonne, dis-je à mon tour, c'est que la fille du vieux coquin l'ait laissé faire. 10 — Elle n'est pas avec lui. — A la bonne heure ! ^^^ Oîi est-elle? — En pension. — A Athènes? — Vous m'en demandez trop; je n'en sais pas si 15 long.^^^ Toujours est-il que ^^^ celui qui l'épousera fera un beau mariage.^^^ — Oui, dit Harris. On assure également que la fille de Calcraft n'est pas un mauvais parti. — Qu'est-ce que Calcraft? 20 — Le bourreau de Londres. A ces mots, Dimitri, le fils de Christodule, rougit jus- qu'aux oreilles. '* Pardon, monsieur, dit-il à John Harris, il y a une grande différence entre un bourreau et un brigand. Le métier de bourreau est infâme ; la profes- 25 sion de brigand est honorée. Le gouvernement est obligé de garder le bourreau d'Athènes au fort Pala- mède, sans quoi il serait assassiné ; tandis que personne ne veut de mal ^^^ à Hadgi-Stavros, et que les plus hon- nêtes ^^^ gens du royaume seraient fiers de lui donner la 30 main." Harris ouvrait la bouche pour répliquer, lorsque la sonnette de la boutique ^''^ retentit. C'était la servante MAISON DE PENSION A ATHENES lyg qui rentrait avec une jeune fille de quinze à seize ans, habillée comme la dernière gravure du Journal des modes. Dimitri se leva en disant: " C'est Photini ! " — Messieurs, dit le pâtissier, parlons d'autre chose s'il vous plaît. Les histoires de brigands ne sont pas faites 5 pour les demoiselles. Christodule nous présenta Photini comme la fille d'un de ses compagnons d'armes, le colonel Jean, commandant de place ^^^ à Nauplie. Elle s'appelait donc Photini fille de Jean, suivant l'usage du pays, où il n'y a pas, à 10 proprement parler, de noms de famille. La jeune Athénienne était laide, comme les neuf dixièmes des filles d'Athènes. Elle avait de jolies dents et de beaux cheveux, mais c'était tout. Sa taille épaisse semblait mal à l'aise ^^^ dans un corset de Paris. Ses pieds 15 arrondis en forme de fers à repasser ^^^ devaient soufirir le suppHce : ils étaient faits pour se traîner dans des ba- bouches, et non pour se serrer dans des bottines de Meyer.^*' Sa face rappelait si peu le type grec, qu'elle manquait absolument de profil. Elle était plate comme 20 si une nourrice imprudente avait commis la faute de s'asseoir sur la figure de l'enfant. La toilette ne va pas^'^^ à toutes les femmes : elle donnait presque un ridi- cule à la pauvre Photini. Sa robe à volants, soulevée par une puissante crinoline, faisait ressortir ^^^ la gauche- 25 rie de sa personne et la maladresse de ses mouvements. Les bijoux du Palais-Royal ^^^ dont elle était émaillée, semblaient autant de points d'exclamation destinés à signaler les imperfections de son corps. Vous auriez dit une grosse et courte servante qui s'est endimanchée 3° dans la garde-robe de sa maîtresse. Aucun de nous ne s'étonna que la fille d'un simple i8o AN ELEMENTARY FRENCH READER colonel fût si chèrement habillée pour passer son dimanche dans la maison d'un pâtissier. Nous con- naissions assez le pays pour savoir que la toilette est la plaie la plus incurable de la société grecque. Les filles 5 de la campagne font percer des pièces d'argent/^''^ les cousent ensemble en forme de casque et s'en coiffent aux jours de gala. Elles portent leur dot sur la tête. Les filles de la ville la dépensent chez les marchands, et la portent sur tout le corps. 10 Photini était en pension à l'Hétairie, C'est, comme vous savez, une maison d'éducation ^^^ établie sur le modèle de la Légion d'Honneur, ^^^ mais régie par des lois plus larges et plus tolérants. On y élève non seule- ment, les filles des soldats, mais quelquefois aussi les 15 héritières des brigands. La fille du colonel Jean savait un peu de français et d'anglais ; mais sa timidité ne lui permettait pas de briller dans la conversation. J'ai su plus tard que sa famille comptait sur nous pour la perfectionner dans les 20 langues étrangères. Son père, ayant appris que Chris- todule hébergeait des Européens honnêtes et instruits, avait prié le pâtissier de la faire sortir tous les dimanches et de lui servir de correspondant.^^* Ce marché ^^^ pa- raissait agréer à Christodule, et surtout à son fils Dimitri. 25 Le jeune domestique de place ^^^ dévorait des yeux la pauvre pensionnaire, ^^^ qui ne s'en apercevait pas. Nous avions fait le projet d'aller tous ensemble à la musique.^^^ C'est un beau spectacle, que les Athéniens se donnent à eux-mêmes tous les dimanches. Le peuple 30 entier se rend, en grands atours, dans un champ de pous- sière, pour entendre des valses et des quadrilles joués par une musique de régiment.^^^ Les pauvres y vont à MAISON DE PENSION A ATHENES i8i pied, les riches en voiture, les élégants ^^^ à cheval. La cour n'y manquerait pas pour un empire. Après le dernier quadrille, chacun retourne chez soi, l'habit pou- dreux, le cœur content, et l'on dit: "' Nous nous sommes bien amusés." 5 Il est certain que ?hotini comptait se montrer à la musique, et son admirateur Dimitri n'était pas fâché ^^^ d'y paraître avec elle ; car il portait une redingote neuve qu'il avait achetée toute faite ^^^ au dépôt de la Belle- Jardinière. Malheureusement la pluie se mit à tomber lo si dru qu'il fallut rester à la maison. Pour tuer le temps, Maroula nous offrit de jouer des bonbons : c'est un divertissement à la mode dans la société moyenne. ^^^ Elle prit un bocal dans la boutique, et distribua à chacun de nous une poignée de bonbons indigènes, au girofle, à 15 l'anis, au poivre et à la chicorée. Là-dessus, on donna des cartes, et le premier qui savait en rassembler neuf de la même couleur ^^^ recevait trois dragées de chacun de ses adversaires. Le Maltais Giacomo témoigna, par son attention soutenue, que le gain ne lui était pas indif- 20 férent. Le hasard se déclara pour lui : il fit une fortune, et nous le vîmes engloutir sept ou huit poignées de bon- bons qui s'étaient promenés ^^^ dans les mains de tout le monde et de M. Mérinay. Moi, qui prenais moins d'intérêt à la partie, je concen- 25 trai mon attention sur un phénomène curieux qui se pro- duisait à ma gauche. Tandis que les regards du jeune Athénien venaient se briser un à un contre l'indifférence de Photini, Harris, qui ne la regardait pas, l'attirait à lui par une force invisible. Il tenait ses cartes d'un air pas- 30 sablement distrait, bâillait de temps en temps avec une candeur américaine, ou sifflait Yankee Doodle, sans respect 1 82 AN ELEMENTARY FRENCH READER pour la compagnie. Je crois que le récit de Christodule l'avait frappé, et que son esprit trottait dans la montagne à la poursuite d'Hadgi-Stavros. Dans tous les cas,^^^ s'il pensait à quelque chose, ce n'était assurément pas à 5 l'amour. Cependant elle regardait mon ami John comme une alouette regarde un miroir.^^'' Elle ne le connaissait pas ; elle ne savait rien de lui, ni son nom, ni son pays, ni sa fortune. Elle ne l'avait point entendu parler, et quand même elle l'aurait entendu,^^^ elle n'était certaine- 10 ment pas apte à juger s'il avait de l'esprit. Elle le voy- ait très beau, et c'était assez. Les Grecs d'autrefois adoraient la beauté ; c'est le seul de leurs dieux qui n'ait jamais eu d'athées. Les Grecques d'aujourd'hui, malgré la décadence, savent encore distinguer un Apollon d'un 15 magot. La pluie ne se lassait pas de tomber, ni Dimitri de lorgner la jeune fille, ni la jeune fille de regarder Harris, ni Giacomo de croquer des bonbons, ni M. Mérinay de raconter au petit Lobster un chapitre d'histoire ancienne, 20 qu'il n'écoutait pas. A huit heures, Maroula mit le couvert ^^^ pour le souper. Photini fut placée entre Dimi- tri et moi, qui ne tirais pas à conséquence. ^'° Elle causa peu et ne mangea rien. Au dessert, quand la servante parla de la reconduire,^^^ elle fit un effort visible et me 25 dit à l'oreille : ^'^ ■ — M. Harris est-il marié? Je pris plaisir à l'embarrasser un peu, et je répondis : — Oui, mademoiselle ; il a épousé la veuve des doges de Venise.^^^ 30 — Est-il possible? Quel âge a-t-elle? — Elle est vieille comme le monde, et éternelle comme lui. MAISON DE PENSION A ATHENES 183 — Ne vous moquez pas de moi ; je suis une pauvre fille, et je ne comprends pas vos plaisanteries d'Europe. — En autres termes, mademoiselle, il a épousé la mer; c'est lui qui commande le stationnaire américain The Fancy. Elle me remercia avec un tel rayonnement de joie, que sa laideur en fut éclipsée, et que je la trouvai jolie pendant une seconde au moins. EDMOND ABOUT. EDMOND ABOUT (1828-1891) NÉ en Alsace, condisciple de Taine à l'École normale, il renonça comme lui à l'enseignement. Il se distingua surtout dans le jour- nalisme et écrivit plusieurs romans 011 il fit preuve de qualités bril- lantes. C'est un observateur ingénieux, un fin conteur et un bon écrivain. Ses principaux ouvrages sont : La Grèce Co7itemporaine^ Les Mariages de Paris, Le Roi des Montagnes, T Homme à r Oreille Cassée, Le Nez d''un Notaire. Quatrième Partie Poésies XVIII CONSOLATIONS À M. DU PERIER SUR LA MORT DE SA FILLE Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle, Et les tristes discours Que te met en l'esprit l'amitié paternelle L'augmenteront toujours? Le malheur de ta fille, au tombeau descendue s Par un commun trépas, Est-ce quelque dédale oii ta raison perdue Ne se retrouve pas? Je sais de quels appas son enfance était pleine, Et n'ai pas entrepris, lo Injurieux ami, de soulager ta peine Avecque^ son mépris. Mais elle était du monde, où les plus belle choses Ont le pire destin ; Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses, 15 L'espace d'un matin. . . . AN ELEMENTARY FRENCH READER . . . La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles; On a beau la prier,^ La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles, Et nous laisse crier. Le pauvre en sa cabane, oîi le chaume le couvre, Est sujet à ses lois; Et la garde qui veille aux barrières du Louvre N'en défend point nos rois. De murmurer contre elle et perdre patience Il est mal à propos ; ^ Vouloir ce que Dieu veut est la seule science Qui nous met en repos.* MALHERBE. FRANÇOIS DE MALHERBE (1555-1628) NÉ à Caen, protégé par Henri IV, il ne vint à Paris qu'assez tard. Son rôle, comme poète, fut d'épurer la langue et la poésie françaises, qui en avaient grand besoin à l'époque. Sa sévérité comme critique et ses scrupules parfois excessifs lui ont valu le nom de " tyran des mots et des syllabes." Il composa surtout des poésies lyriques, plus remarquables par la forme du vers que par l'inspiration. LE VASE BRISE XIX LE VASE BRISÉ Le vase où meurt cette verveine D'un coup d'éventail fut fêlé ; Le coup dut effleurer à peine. Aucun bruit ne l'a révélé. Mais la légère meurtrissure, Mordant le cristal chaque jour, D'une marche invisible et sûre En a fait lentement le tour. Son eau fraîche a fui goutte à goutte, Le suc des fleurs s'est épuisé ; Personne encore ne s'en doute, N'y touchez pas, il est brisé. Souvent aussi la main qu'on aime, Effleurant le cœur, le meurtrit; Puis le cœur se fend de lui-même, La fleur de son amour périt; Toujours intact aux yeux du monde, Il sent croître et pleurer tout bas Sa blessure fine et profonde, Il est brisé, n'y touchez pas. SULLY PRUD'HOMME. 90 AN ELEMENTARY FRENCH READER RENÉ FRANÇOIS ARMAND SULLY PRUD'HOMME (1839- ) NÉ à Paris en 1839, '^ ^ ^crit des poésies et des poèmes philo- sophiques remarquables par une tristesse intime et sereine, mais sans aucune amertume. M. Sully Prud'homme, en peignant les sentiments les plus déhcats et les plus cachés de la vie intérieure a fait preuve de finesse aussi bien que de profondeur. Ses principaux poèmes sont : Les Epreuves^ Les Solitudes^ Les Vaines Tendresses, La Jîistice, Le Bonheur. LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE 19] XX LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE Un mal qui répand la terreur, Mal que le ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom), Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,^ Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. On n'en voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie ; Nul mets n'excitait leur envie ; Ni loups ni renards n'épiaient La douce et l'innocente proie. Les tourterelles se fuyaient ; Plus d'amour,^ partant plus de joie. Le lion tint conseil, et dit : *' Mes chers amis, Je crois que le ciel a permis Pour nos péchés cette infortune. Que le plus coupable ^ de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux; Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents On fait de pareils dévouements. Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence L'état de notre conscience. 192 AN ELEMENTARY FRENCH READER Pour moi,^ satisfaisant mes appétits gloutons, J'ai dévoré force ^ moutons. Que m'avaient-ils fait? nulle offense; Même il m'est arrivé quelquefois de manger Le berger. 5 Je me dévouerai,^ donc, s'il le faut : mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi; Car on doit souhaiter, selon toute justice, Que le plus coupable périsse." " Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi ; 10 Vos scrupules font voir" trop de délicatesse. Eh bien ! manger moutons, canaille,^ sotte espèce, Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, seigneur, En les croquant, beaucoup d'honneur. Et quant au berger, l'on peut dire » 15 Qu'il était digne de tous maux, Etant de ces gens-là qui sur les animaux Se font un chimérique empire." Ainsi dit le renard ; et flatteurs d'applaudir.^ On n'osa trop approfondir 20 Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses : Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,-^^ Au dire de^^ chacun, étaient de petits saints. L'âne vint à son tour, et dit: **J'ai souvenance 25 Qu'en un pré de moines passant, La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense. Quelque diable aussi me poussant. Je tondis de ce pré la largeur de ma langue: Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net." 30 A ces mots, on cria haro ^^ sur le baudet. Un loup, quelque peu clerc, ^^ prouva par sa harangue LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE 193 Qu'il fallait dévouer ^* ce maudit animal, Ce pelé/^ ce galeux, d'où venait tout le mal. Sa peccadille ^^ fut jugée un cas pendable.^"^ Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait. On le lui fit bien voir. 5 Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. LA FONTAINE. JEAN DE LA FONTAINE (1621-1695) NÉ à Château-Thierry, il ne se fit connaître qu'assez tard. Il avait beaucoup lu les conteurs du Moyen-âge, qu'il imita souvent, ainsi que les fabulistes de l'antiquité, qu'il surpassa dans ses Fables. La Fontaine était un homme très bizarre : embarrassé devant les étrangers, distrait, rêveur, il ne sut pas conserver son patrimoine. Ses amis lui donnèrent l'hospitalité pendant presque toute sa vie. La plupart de ses fables sont de petits drames où les personnages sont présentés avec un art consommé. Comme écrivain, La Fon- taine est absolument unique : grâce, naturel, finesse, naïveté, il a possédé au plus haut degré ces qualités essentielles du genre litté- raire auquel il s'est consacré. 13 194 ^N ELEMENTARY FRENCH READER XXI L'ENFANT Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, 5 Se dérident soudain à voir l'enfant paraître. Innocent et joyeux. . . . ... Il est si beau, Tenfant, avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire. Ses pleurs vite apaisés, 10 Laissant errer sa vue étonnée et ravie. Offrant de toutes parts ^ sa jeune âme à la vie Et sa bouche aux baisers. Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime, Frères, parents, amis, et mes ennemis même 15 Dans le mal triomphants, De jamais voir. Seigneur, l'été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants. VICTOR HUGO. V ENFANT 195 VICTOR HUGO (1802-1885) NÉ à Besançon, Victor Hugo connut la célébrité comme poète presque au sortir de l'enfance. Génie fécond, il aborda presque tous les genres littéraires, avec un succès inégal. Comme poète lyrique il peut prendre place parmi les plus célèbres qui aient jamais existé. Mêlé aux luttes politiques aussi bien qu'aux luttes littéraires de la France, exilé de 1851 à 1870, "écho sonore" de tous les enthousiasmes, de toutes les illusions, de toutes les rancunes de sa génération, Victor Hugo domine toute la littérature française du XIX^ siècle. Chef de l'école romantique, il a fait usage dans ses poésies d'un vocabulaire d'une richesse extraordinaire. Ses princi- paux recueils de poésies sont : Odes et Ballades^ Les Orientales, Les Feuilles d'' A2itoin7ie, Les Chants du Crépuscule, Les Châti- ments, Les Co7ite?npiations, La Légende des Siècles. 196 AN ELEMENTARY FRENCH READER XXII LA MORT DE L'AIGLE Quand l'aigle a dépassé les neiges éternelles, A sa vaste envergure il veut chercher plus d'air Et le soleil plus proche en un azur plus clair Pour échauffer l'éclat de ses mornes prunelles. 5 II s'enlève. Il aspire un torrent d'étincelles. Toujours plus haut, enflant son vol tranquille et fier. Il monte vers l'orage oii l'attire l'éclair; Mais la foudre d'un coup a rompu ses deux ailes. Avec un cri sinistre, il tournoie, emporté 10 Par la trombe, et, crispé, buvant d'un trait sublime La flamme éparse, il plonge au fulgurant abîme. Heureux qui pour la Gloire ou pour la Liberté, Dans l'orgueil de la force et l'ivresse du rêve, Meurt ainsi d'une mort éblouissante et brève ! JOSÉ MARIA DE HEREDIA. JOSE MARIA DE HEREDIA (1842- ) NÉ en 1842 dans l'île de Cuba, il a écrit des sonnets dont la valeur plastique est sans précédent dans la langue française. Ces sonnets ont été recueillis en un volume sous le nom de Trophées. Notes and Vocabulary NOTES I. LA FRANCE. Page 3. — I. Il y a deux mille ans, tivo thousand years ago. 2. la, omit in translation. The definite article is used in French more frequently than in English. It is used before names of countries, before collective or abstract nouns, etc. 3. le Pas de Calais, the Straits of Dover. La Manche, the English Channel. Le Jura, a chain of mountains between France and Switzerland. 4. de, 7i)ith. 5. reçût, imperfect subjunctive. The subjunctive is required after superlatives or words of a sweeping sense, such as l'unique, le seul, le premier, etc. 6. de, the partitive de, du, de la, des, etc. [sofue or any), must always be expressed in French, and cannot be only understood, as in English. 7. on, used much more in French than the indefinite 07ie in English. Translate it generally by we, yon, they, followed by their verbal forms, or use the passive voice (the object of the French sentence becoming the subject of the English). Ex. : ceux qu'on voit, those tvhich are seefi, or those which we {yoii) see. Page 4. — 8. à, in. The general meaning of à is to or at. There is quite a difference between French and English in the use of prepositions. 9. Ils se faisaient souvent la guerre les uns aux autres, they zvere often at ivar 7vith one another. Reflexive and reciprocal verbs have the same form in French, the latter being often followed by l'un l'autre, or les uns les autres, to avoid confusion. Faire la guerre, to zvage war. 10. se rendre, to surrender. Certain verbs are often reflexive in French and not in English. The reflexive form is also very often used instead of the passive. 11. plus de, more than. 12. s'étant converti. Reflexive verbs require the auxiliary être. Sub- stitute the corresponding form of avoir for translation. 13. avaient coutume de, ^/j-^^/^i. 200 NOTES Page 5. — 14. Us étaient. Note the use of the imperfect indicative as descriptive past, and compare with the preterite (past definite), z. e., the narrative past, a fevi^ lines above : l'empire romain fut attaqué . . . , etc. 15. sa chevelure, his hair. Chevelure means head of hair; cheveu, single hair. 16. C'étaient, it was. The invariable pronoun ce, used impersonally, often precedes être in its different personal forms, and refers to something either just stated or explained by what follows. It is merely emphatic, and may frequently be omitted in translation. Ex. : C'étaient les guerriers . . . qui décidaient = les guerriers décidaient. Page 6. — 17. Charles le Grand. Latin : Carolus Magmis. 18. fussent instruits. Subjunctive after verbs expressing wish or desire. 19. beaucoup d'écoles, de required after adverbs of quantity. 20. en, omit in translation ; lit., of them. Numbers or adverbs of quan- tity not followed by the nouns they modify are preceded by en. 21. st.,\\t., for themselves. 22. encore une fois, once ?7iore. 23. Before the Revolution, France was divided into provinces, and not into départements. La Champagne was a province of the northeast ; la Flandre (Flanders), another of the north; la Normandie (Normandy), la Bretagne (Brittany), and le Poitou were provinces of the west; la Bourgogne (Bur- gundy) one of the east. Page 7. — 24. eux, they. Note the disjunctive pronoun used alone by way of emphasis. In that case the conjunctive form is understood. Ex. : eux, n'étaient que = eux, (ils) n'étaient que, i.e., as for them, they were only. 25. on. See p. 3, n. 7. 26. envers et contre tous, against anybody. 27. en présent, as a present. Page 8. — 28. s'abritaient. See p. 4, end of n. 10. 29. ils se faisaient la guerre. See p. 4, n. 9. Page 9. — 30. se toucher. See p. 4, n. 9 and 10. 31. hôtel de ville, city hall. 32. il sonnait à toute volée, he rang a full peal. 33. Philippe le Bel. Note the old form bel for beau, still in use now before nouns beginning with a vowel or h mute. Page 10. — 34. faisaient de même, did the same thing. 35. veut dire, means. Page 11. — 36. avait mis le siège devant, had laid siege to. 37. le siège durait depuis, the siege had been' lasting for. Page 12. — 38. se font. See p. 4, n. 10. NOTES 20I 39. Charles Quint. Charles V., emperor of Germany, also king of Spain (1500-1558). 40. Le Louvre, formerly the residence of French kings. Philip-Augustus began to build it in 1204. It is occupied now by a museum of arts. 41. se tenait. See p. 4, n. 10. Page 14. — 42. fit punir de mort, Jiad pimished with death. When faire is followed by an infinitive, it has almost the value of an auxiliary verb, and forms with the following infinitive a sort of verb-phrase. 43. premier ministre, Prime Minister. 44. fait faire. See same page, n. 42. 45. par jour, every day. Page 15. — 46. Nimègue, Nimeguen or Nymwegen, a town in Holland. 47. Denain, a town in the north of France. Page 16. — 48. s'accordent, «^r^^. 49. qu'il = parce qu'il. Que is often used to avoid the repetition of another conjunction. 50. lui fit faire de grandes fautes ; lit. : caused hi?n to make great mistakes, i. e., was the cause of great mistakes on his part. See p. 14, n. 42; p. 14, n. 44, Page 17. — 51. qui avaient eu leur raison d'être, which could have been accounted for. 52. ou bien, or else. Page 18. — 53. ç.Vi.ss^rA, should have. Note the subjunctive after the impersonal form: il était juste. 54. depuis longtemps, les roturiers servaient . . . , the plebeians had been serving for a long time . . . 55. qui le faisaient aimer, which made people love him. 56. qu'ils possédaient . . . depuis, which they had been holding . . . for. 57. diWa-it, was going to. Page 19. — 58. sans se préoccuper de, without paying attention to. 59. jeu de paume, tennis. Page 20. — 60. allez dire à, go and tell. Page 21. — 61. répartit l'impôt, assessed the taxes. 62. à la fois, at oitce. 63. sévir contre, to inflict punishment upon. 64. le duc de Brunswick (173 5-1806). Page 22. — 65. les Tuileries. A palace in Paris, now destroyed. Cath- erine de Médicis began the erection of this building after the plans of Philibert Delorme in 1564. 66. Elle mit ensuite en jugement, it then brought to judgment. 67. passe à l'ennemi, goes over to the enemy. 202 NOTES 68. levée en masse, gejteral levy. 69. met sur pied, raises. 70. se succèdent. See p. 4, n. 9. Page 23. — 71. pendant que se commettaient ces crimes, whilst these crimes were coni7nitted. See p. 4, n. 10. 72. se furent. See p. 4, n. 12. 73. il avait 24 ans, /^^ w^ïj- 24 years old. Page 24. — 74. coup d'état, a sudden and illegal act of the authority, usually bringing about a change of government. Page 25. — 75. tant Français qu'alliés, French and allies counted together. 76. il n'était plus de force à lutter, he coidd no longer hold his own. 77. Sainte Hélène, an island in the Atlantic ocean, west of Africa. Page 26. — 78. qu'il n'était. Here, ne is only expletive, and must be omitted in translation. The expletive use of ne is not regulated by very strict rules. In case of a comparison of difference, ne usually precedes the verb form in the second clause when that clause could be construed with a negation if placed first. 79. aussi fut-il, therefore he was. Note the inverted order. The subject often follows its verb after certain adverbs of circumstance, time, space, or manner. Page 27. — 80. se fit élire, had himself elected. See p. 14, n. 42. Page 28. — 81. cinq milliards, %oqq, 000, 000 francs. The word milliard is used instead of billion in speaking of money. 82. fut couvert plusieurs fois, zuas subscribed for several times over. 83. est appelé sous les drapeaux pour faire partie, is called to active service, and then belongs. 84. renvoyés dans leurs foyers, sent home. 85. sur le pied de paix, in time of peace. Page 29. — 86. instruction primaire, common school education. 87. la Chambre des Députés, corresponding to our House of Repre- sentatives, at Washington. 88. il faut avoir au moins 21 ans, one must be at least 21 years old. 89. inscrit, registered. 90. tous les quatre ans, every fourth year. Page 30. — 91. les justices de paix, the courts of the justices of the peace. 92. les tribunaux de première instance, the district iitferior cojtrts. 93. la cour de cassation, is the Supreme Court of France. Page 31. — 94. les conseils de prud'hommes, sort of boards of arbi- tration composed of employers and working men. 95. les cours d'assises, the coicrts of assizes, criminal coui^ts. NOTES 203 II. LA COMBUSTION ET LA RESPIRATION EX- PLIQUÉES A UNE PETITE FILLE. Page 35. — i. ne vous ëtes-vous. See p. 4, n. 12. 2. un bon tiers, fully one-third. 3. nous autres, omit autres in translation. Compare similar common English expressions, we (or you) fellows. 4. allumettes zhSsxao^^s, phosphorous matches. 5. Zoroastre, Zoroaster, the founder of the Parsee religion. 6. l'Himalaya, a chain of mountains in the north of India, supposed to be the highest in the world. Page 36. — 7. revenait à peu près au même, amounted almost to the same thing. 8. sous peine de la vie, under penalty of death. 9. nous n'y mettons pas tant de façons, we don^t make such a fuss about it. 10. nous nous chauffons tout bonnement les pieds, we simply warm our feet. Note the use of the article before parts of the body ; les pieds in- stead of nos pieds, the possessor being indicated by the dative form of the pronoun, nous. 11. un beau matin, one morning. 12. il ne faudrait pas beaucoup d'années, it would not take many years. 13. changeassent de face de haut en bas, to be completely altered. 14. nous en savons sur son compte plus long, we know more about it. Page 37, — 15. ses rois, à lui, his ozvn kings. 16. ce n'est pas plus malin que cela, that is all there is to it. 17. faire du feu, to make afire. 18. je n'en viendrais jamais à bout, I shojtld never succeed. 19. comme les autres, like other people. 20. dont vous me diriez des nouvelles, ofxvhich you might tell a tale. 21. sont parvenus dans ces derniers temps, have succeeded recently. 22. en petit, on a small scale ; en grand, on a large scale. 23. c'est à faire frémir, it is enough to make you shudder. 24. a dû se faire, must have taken place. Page 38. — 25. se faisait appeler, had himself called. 26. sans sourciller, as a matter of course. 27. on ne saurait trop dire, one hardly knows. 28. oh ! que non pas ! oh, dear ! no ! 29. je ne prétends pas dire, I do not mea?t. 204 NOTES 30. qu'il se tienne, that he considers himself. 31. toujours est-il que, however that 7nay be. 32. vous allez trouver, you %v ill find. 33. bien, often used for emphasis, meaning indeed, may often be omitted in translation. 34. la veuve Scarron. In France widows have sometimes their names preceded by the word " veuve." Ex. : Madame veuve X — . 35. ont dû s'en passer, had to do without it. 36. c'est que = c'est parce que. See p. 16, n. 49. Page 39. — 37. combien de temps met-il, how long does it take? 38. tout au plus, at most. 39. le dos. See p. 36, n. 10. 40. le charbon, carbon. Charbon really means charcoal, the French name for carbon being carbone. Charbon is used here in order to make a more vivid impression on the child's mind. 41. pour vous le dire en passant, let me tell you by the luay. Page 40. — 42. il fait ménage, he lives with. 43. qui jouent à la cachette, who play at hide-and-seek. 44. mauvais sujet, (5a^ (^ quite natural. NOTES 207 127= sans être bien malins, without being so very clever. 128. nous en faisons autant, we do the same thing. 129. aussi bien. See p. 46, n. 91. 130. le merveilleux, the tvonderful part. 131. le voici, is this. 132. mettre le feu à la maison, set the hanse on fire. Page 50. — 133. que devient-il ? zvhat becomes of it ? 134. une fois le corps à son point de chaleur, on a beau y accumu- ler le combustible, when the body has once reached its degree of heat, shovel the fuel in it as you please. 135. comme il pourra. See p. 40, n. 48. 136. à la longue, in time. 137. chez eux, home. 138. sous la dent, in their motith. 139. il restera (impersonal form). Page 51. — 140. nous savons, n'est-ce pas? que . . . , we know that . . . don't %ve ? 141. le mieux, best. Apply to superlative same remark as contained in p. 43, n. 67. 142. à notre intention, /^r tis. 143. tout à l'heure, y?^j-/ now. Page 52. — 144. sou, a coin worth 5 centimes (about i cent). 145. qu'un méchant larron vienne à tuer, if a wicked robber happens to kill ; lit. : let a wicked . . . 146. mettre la main sur, to lay hands on. 147. il pouvait (impersonal form). 148. mauvais jours, hard times. 149. à sa portée, within his reach. 150. à petit feu, by a slow fire. 151. aux heures de disette, i7t the time of need. 152. brûler pour brûler, to burn one zvay or another. 153. gros sous, coppers. Strictly speaking, gros sou is used for the 10 centimes, and petit sou for the 5 centimes coin. 154. chez nous [i.e., in France). 155. enfants, sons. 156. faire feu de tout bois, to make afire out of anything. This expres- sion also means in a general way, to make use of anything. 157. tout ce qu'ils pouvaient voler de bouts de chandelle, ils le mangeaient, they ate every bit of candle they could steal. Le refers to the indefinite tout. Page 53. — 1 58. témoin, as it is proved by. 2o8 NOTES 159. il n'en était plus question, it had entirely disappeared. 160. de. Omit this word in translating. 161. nous en croirons l'illustre savant sur parole, we shall take the eminent scientisfs word for it. 162. il y aurait, even if there were. 163. pour avoir marché, selon toute probabilité, although it had burned, in all likelihood. 164. s'était. See p. 4, n. 12. 165. bien lui en avait pris à celui-là, it had been well for that fellow. 166. qui se faisait fête à l'avance, who promised himself great pleasure beforehand. 167. lard, bacon (and not lard, which is in French saindoux). 168. maître porc, Mr. Pig. 169. quelle que soit, whatever be. III. LE CHIEN. Page 55. — i. attirer les regards, attract the attention. 2. sans avoir. Ail prepositions (except en) used before a verb require the infinitive, instead of the present participle as in English. 3. il a de plus que lui, he has also in addition. 4. que, except. 5. plus sensible, more feelingly alive. 6. de lui-même, of his own accord. 7. vient de le frapper, has just struck hint. Page 56. — 8. pour ses seuls amis,7^r his f-iends only. 9. pour peu qu'ils s'arrêtent, if they stop in the least. 10. hommes de proie, Imrglars, thieves. 11. on sentira, it zvill be understood. 12. se rendre maître, to conquer. Page 57. — 13. par se faire un parti, by winning the friendship. 14. se sont trouvés, happened to be. IV. L'AVARE. Page 58. — i. oh ça, here. 2. l'un et l'autre, both. 3. tous les deux, both. 4. est-ce là, is that. 5. vous n'avez qu'à parler, now, you may speak. 6. dis-moi un peu, now tell me. NOTES 209 7. que diable ! the dickens ! Many words, such as diable, Dieu, etc., are freely used in exclamations without any profane meaning. They are often the equivalent of: heavens ! dear me I goodness I and like expressions in English. 8. il semble (impersonal form). 9. épée de chevet, vade-mecum. Chevet means the head of a bed. Epée de chevet was a sword to be kept by the bedside, ready for emergency. Page 59. — to. il n'y a si pauvre esprit qui n'en fit bien autant, any fool could easily do it. 11. monsieur l'intendant. Monsieur is used as a mark of respect in titular address. 12. haye ! enough. 13. à manger, enough to eat. 14. cela s'entend, of course. 15. potages, soups ; assiettes, side dishes. Page 60. — 16. faire crever, to kill. Crever = to die (to-day used chiefly in speaking of animals). 17. monsieur, i.e., this gentleman (pointing to Harpagon). See p. 42, n. 64. 18. allez-vous-en lire un ^t.yx, just go and read. 19. c'est un coupe-gorge qu' . . . Note the inversion for emphasis ; une table is the subject of the sentence. Coupe-gorge, here : dangerous place. 20. que je t'embrasse, let ?ne ki^s you. 21. de, /;/. 22. je n'y manquerai pas, I will not fail. 23. me laisser faire, leave it to me. 24. tant mieux, so much the better. Page 61. — 25. quelque bon haricot bien gras, some fiiie, very rich steru. Haricot does not mean bean in this sentence. For instance, haricot de mouton, vnittoit stew. 26. pâté en pot bien garni de marrons, pâté in a jar chuck full of chestmits. 27. la litière, is the name given to the straw on which horses sleep in their stables. — être sur la litière, to be laid tip. 28. ce. See p. 5, n. 16. 29. les voilà bien malades ! 7mtch to be pitied they are. 30. pour, becatise. 31. il leur vaudrait bien mieux, it would be much better for them. 32. fend, breaks. 14 210 NOTES 33. une tendresse, for une telle tendresse. 34. la bouche. See p. 36, n. 10. 35. prochain, neighbor {in the sense of fellow being). Page 62. — 36. je ferais conscience, / would scruple, or / shotild have it on my conscience. 37. le, otir. 38. aussi bien nous fera-t-il besoin, and, besides, we shall need him. 39. soit, so be it. 40. fait bien le raisonnable, wants to seem reasonable, — fait bien le nécessaire, assumes an air of importance. 41. je ne saurais souffrir, I cannot bear. 42. ce qu'il en fait, the way he acts. 43. en dépit que j'en aie, in spite of myself . 44. en aucune façon, by no means. Page 63. — 45. 2iVO\x& sVi]ç.\.., about yoti. 46. de vous tenir au cul et aux chausses, to hold you up to ridicule. 47. vous faites imprimer des almanachs particuliers, you have special alma^tacs prijited. 48. quatre-temps, a period of three days of fasting prescribed four times a year by the Roman Catholic Church. Vigile, a fast day on the eve of certain holidays. votre vaonàç., your people. de leur sortie d'avec vous, when they leave you. voulez-vous que je vous dise ? let me tell you. on ne saurait, one cannot. See above, n. 41. accommoder de toutes pièces, tear into pieces. vous ne m'avez pas voulu croire. In modem French it would be better to say : vous n'avez pas voulu me croire. V. LES OISEAUX. Page 65. — i. qu'on ne parle donc pas, one ?mist not speak, then, lit. : let no one speak. This subjunctive is used instead of the third person singu- lar of the imperative of the English, v^rhich does not exist in French. The same tense is used in the first person singular in similar cases. See p. 60, n. 20. 2. il s'en faut de fort peu qu'ils ne nous valent, they come very near being our equals. 3. puisque je suis sur le chapitre des oiseaux, since I am talk- ing about birds. Page 66. — 4. Buffon, a celebrated French naturalist and writer (1707- 1788). See p. 57. NOTES 211 5. à poitrine jaune, with a yellow throat ; à corsage gris, with a gray breast. 6. de, by. 7. une jeune personne, a young girl. 8. maigrette, diminutive of maigre. 9. très petite fille, very much of a baby. 10. me passionnait un peu, rather absorbed me. 11. élèves, niirslings. 12. il faisait. Faire is used instead of être in connection with the weather : faire chaud, to be warm, etc. Page 67. — 13. le ventre, the breast. 14. toutes les deux, both. 15. n'osant. See p. 'Ji, n. 28. 16. plus longtemps, any longer. 17. prit le parti, made up her mind. 18. déchirer, to break. 19. se livrer à un combat intérieur fort extraordinaire, to be engaged in an imvard struggle most extraordinary. Page 68. — 20. se servir elle-même, help herself alone. 21. cette pauvrette, the poor little thing. 22. tous les jours, every day. 23. la belle saison, the summer. 24. en plein air, in the open air. 25. à tire d'aile, swiftly. 26. prendre. Note the infinitive used in the active voice instead of the passive : in English, to be caught. 27. un de mes amis, a friend of mine. 28. que de m'entendre, when he heard me. Page 69. — 29. je venais de parier, I had just wagered. 30. milan royal, the largest of the different species of kites. 31. qui lui déplaisaient, that he disliked. 32. je n'en finirais pas, I should never have done. 33. canaletto, Italian diminutive of canal. 34. il mit à la loterie, he bought a ticket in the lottery. 35. sequins. Sequin or zecchin, a coin used formerly in Italy whose value was about two dollars. 36. en guenilles, in tatters. 212 NOTES VI. UNE HISTOIRE EFFRAYANTE. Page Tl. — I. au coin du feu, quelque jour, some day by the fireside. 2. de quoi, enough. 3. faire peur, to frighten. ' 4. vous plaisantez, yoK do7i't mean it. 5. Mme. Radcliffe n'y suffirait pas. Even Mrs. Raddiffe coîild notdo it. Mrs. Radcliffe, an English novelist (1764-1823), whose gloomy novels had a great success in France in the beginning of the 19th century. 6. quoi qu'on en dise,yed. 12. sans tendre la main, withojit begging. 13. nous ne puissions rien, tve can do nothing. Page 136. — 14. l'autre hiver, last winter. 15. du Panthéon. The Panthéon, in Paris, formerly a church, is now used as a sort of memorial for celebrated men who are buried in its vaults. 16. une pluie battante, a pelting rain. 17. m'ont mise à sec, have left me zvithout money- 18. mon titre de pension. Government officials (fonctionnaires) are entitled to a pension (retraite) after a certain number of years of service, and after their death part of it is paid to their widows. 19. les dettes criardes, the most jcrgent debts. 20. la petiote = la petite. 21. n'est-ce pas done ? instead of n'est-ce pas. Provincialism. 224 NOTES 22. ont un goût de terroir. This expression is usually applied to the peculiar taste that certain wines have and which indicates their origin. 23. chemise, cover. A piece of thick paper, folded in the middle, and in which legal papers are kept. 24. l'Argonne. A hilly region in the northeast of France, between the provinces of Champagne and Lorraine. Page 137. — 25. valté. Provincialism: wandered. 26. camp-volant, lit. : flyvig camp. Government officials have to change their residence rather frequently, on account of promotions. 27. allons, %vell, nozv. 28. s'être confondue en révérences, having bowed agam and again. 29. qui donnent sur les jardins de l'hôtel, which open on the buildijig's gardens. Page 138. — 30. la justice de paix. See p. 30, n. 91. 31. serrée, very economical. 32. àladure, very strictly and frugally. 33. de bonne heure, early. 34. enragé travailleur, ve^y hard worker. 35. dans le monde des bureaux, amoitg the government clerks . 36. à cheval sur les règlements, holding fast to the rtiles and regulations. 37. peu expansive, reserved. 38. boutonné, lit. : buttoned up, i. e., mysterious. 39. dans le monde, in society. 40. surnuméraire. A sort of probationer, not holding a regular position as a clerk. 41. marchand de bois, lu?nber?nan. 42. accent du terroir. See note 22, above. Page 139. — 43. accorder, to be granted. 44. un peu plus tôt que d'habitude, a little sooner than usual. 45. devait se changer, was to be changed. 46. fit à pied, walked. 47. porte bâtarde, house door. 48. carrés de légumes, beds of vegetables. 49. arbres irmti&xs, f-uit trees. 50. un corps de logis en équerre, a building at right angles ivith the next one, and contiguotis to it. 51. de tomber sur, to ?neet with. Page 140. — 52. de haut,/r^7« above. 53. à point, most favorably. 54. donnez-vous la peine d'entrer, please come in. 55. sainte mère de Dieu! great heavens ! 56. faites bien excuse, please excuse me. NOTES 225 Page 141. — 57. Boilly (1761-1830), a French painter, whose principal works are popular scenes. 58. mon brave monsieur, my dear sir. 59. bien des mercis. (Provincialism) many thanks. 60. d'être placée, to have a situation. 61. si fait, yes i?ideed. 62. ce que je veux dire, what I mean. 63. je crois bien ! I shoidd say so ! 64. la fête patronale, the patron sainfs day. Each village or town in France celebrates once a year the " fête " of its patron saint. Page 142. — 65. de quoi faire, enough to ijiake. 66. potée, a dish made of cabbages and other vegetables, sausages and pork, boiled together in a big pot. 6"]. j'étais entrain de préparer, I was just preparing. 68. à la dérobée, by stealth. 69. à l'écart, aside. 70. pourquoi donc ? why so ? 71. vous avez un bon bout de chemin à faire pour aller retrouver votre dîner, you have quite a long way to go for your dinjier. 72. dînera mal, will have a poor dinner. Page 143. — 73. tout en regardant, while he looked at. 74. dont il n'était pas coutumier, which was tinusual for him. 75. à la bonne heure ! fît, that 's right, said. 76. regaillardie, cheered up. 77. mets vivement le couvert, set the table, quick. 78. un maigre souper, a poor supper. Page 144. — 79. il se dégelait, lit. : he thawed, i. e., he was more commicnicative. 80. entremets. The word " entremets " is used for sweet dishes, such as puddings, custards, etc. 81. cocotte, a sort of saucepan made of cast-iron. 82. fleur d'oranger, orange blossom. 83. vin doux, unfermented wine. 84. desservait, cleared the table. 85. défrayait, kept up. 86. il arrivait (impersonal). 87. l'odeur maraîchère, the smell of vegetables. 88 I'Angelus, a prayer announced by church bells, three times a day (morning, noon, and evening). Page 145. — 89. y , étaient pour beaucoup, had much to do tvith it. 90. eau vive, running water, 15 226 NOTES 91. l'Aire, a small river. 92. les paperasses administratives, the papers and documents of the administration. 93. riaient, smiled. 94. le reconduisit, accompanied hi77i. 95. la Saint-Nicolas. Note the article indicating that fete is under- stood. Page 146. — 96. à plusieurs reprises, several times. 97. appartement de garçon, hac/ielo7-\s apartment. 98. le poêle ronflait, the stove roared. 99. le bonhomme de La Fontaine (in the fable of Les Deux Pigeons). La Fontaine, the great fabulist (1621-1695). 100. nostalgie, home-sickness, sadness. Page 147. — loi. va bien, is well. 102. lui a porté chance, has brought her good luck. 103. en province, in the countty. The word "province," strictly speak- ing, is applied to towns and cities of France outside of Paris, while " la campagne " is applied to small villages. 104. las Vosges, a chain of mountains between the rivers Rhine and Moselle. 105. il ne tenait plus en place, he was restless. Page 148. — 106. le jardin maraîcher, the vegetable garden. 107. un signe de tête, a jtod. 108. c^\2,TS\ç.l3.\t ^xos ZCRMX, I am grieved at heart. 109. mon Dieu ! dear me ! Page 149. — 110. elle se laissait faire, she offered no resistance. 111. avec une vivacité toute juvénile, with all the eagerness of youth. 112. sainte mère de Dieu ! See p. 224, n. 55. Page 150. — 113. la voici, here she is. 114. nous nous marierons, %ve shall get married. Note the difference between marier : to officiate at a wedding, and se marier : to get married. 115. \t. ^hx^ \o\.^o's>s\\i\ç., as soon as possible. XVL LA VIE DE SALON EN FRANCE SOUS L'ANCIEN RÉGIME. Page 151. — I. l'ancien régime. Here régime means a system of government. L'ancien régime is the French monarchy before the Revo- lution. 2. la mauvaise honte, the bashfiUness. 3. les égards, personal attention. NOTES 227 4. d'autant plus qu'elle est, so much the more as it is. Page 152. — 5. à rase terre, close to the ground. 6. d'accord, in harmony. 7. maître de maison, host. 8. "il parlait . . ." The quotation marks indicate passages which have been taken from different writings (memoirs, letters, etc.) from persons familiar with the court and society life in France during the seventeenth and eighteenth centuries. 9. faire un conte, to tell a story. 10. et, both. 11. la moindre coiffe, the most indifferent woman. Page 153. — 12. son marcher, his walk. 13. de près ou de loin, nearly or remotely. 14. il ne se fait plus, there no longer take place. 15. tout bas, in a whisper ; tout haut, alotid. 16. ayant moins souci, less concerned. 17. à tout prix, at any price. 18. la jeune reine, /. i., noise, rumor. Bourgogne,/., Burgundy. brûler (v.), to burn. bourreau, m., executioner. brûlure,/, burn. bourrer (v.), to stuff, to cram, to fill. brumeux (adj.), hazy, misty. bourse,/, purse. brun (adj.), brown, dark. boursoufflé (adj ), swollen. brusquement (adj.), bluntly, sud- boursoufflure, /, puffiness, swell- denly, abruptly. ing. brutalement (adv.), brutally, rudely. VOCABULARY 245 Bruxelles, m., Brussels. bu, pa. part, of boire, bûche,/",, log. budget,/, budget. bureau, m., office, desk, bureaucratie,/, bureaucracy, bureaucratique (adj.), official. but, 7n., aim, end, object. buvant, près. part, of boire. ca (pron.), contraction of cela. cà (adv.), here ; oh — , tell me ; — et là, here and there. cabane,/, hut, cabin, cottage. cabinet, m., study, office, closet, cabinet. cachemire, w., cashmere. cacher (v.), to hide. cacheter (v.), to seal. cachette, /., hiding-place. cachot, VI., dungeon, cell. cadavre, w., corpse, dead body. cadeau, 7n., gift, present. cadre, /«., frame, limits. café, 771., coffee, coffee-house. Cafre, in., Kaffir. cage,/, cage. caillou, m., pebble. caisse, /, box, pay-office ; — d'é- pargne, savings-bank. Calabre,/, Calabria. calculer (v.), to calculate, to cipher. calmer (v.), to quiet. camarade, w.., friend, comrade, com- panion. camp, m., camp. campagnard (adj.), country, of the country. campagne, /, country, field, cam- paign. campement, m., camping. camper (v.), to encamp. canaille,/, scoundrel. canal, w., canal. candeur,/, candor, frankness. candide (adj.), candid, sincere, sim- ple-minded. canin (adj.), canine. canne,/, cane. canon, m., cannon. canton, in., district. caoutchouc, m., rubber. capable (adj.), able, capable. capitaine, m., captain, commander. capiteux (adj.), heady, intoxicating. capituler (?y.), to capitulate, to sur- render. capricieux (adj.), capricious. captivité,/, captivity. capucin, 7n., Capuchin friar. car (conj.), for, because. caractère, w., character, charac- teristic. carafe,/, decanter, carafe. cardinal, w., cardinal. caressant (adj.), caressing, winning, soothing, caresse,/, caress. cargaison,/, cargo, freight. carnage, ;;z., slaughter, carnage. carnassier (adj.), carnivorous, flesh- eating. carré, w., square, square piece, carrefour, w., cross-road, carrière,/, stone quarry, career, carrosse, 7n., coach, carriage, carte,/, card, cartel, th., challenge, cas, 171., case. casaque,/, long coat, livery. cascade,/, cascade, casque, 771., helmet, casquette,/, cap. cassation,/, annulment, quashing, casse-noisette, m., nut-crackers. casser (v.), to break, to quash, casserole,/, saucepan. castor, 771., beaver. 246 VOCABULARY catégorie,/, class. cerveau, m., brain, mind. catholique (adj.), Roman Catholic. cervelle,/, brain. cauchemar, m., nightmare. ces, pi. of ce, cet, cette. cause, /, cause, motive ; à — de. cesse,/, ceasing. on account of. cesser (v.), to cease. causer (v.), to cause, to produce, to cette. See ce. be the cause of ; to talk. ceux, pi. of celui. causeur (adj.), talkative. chacun (pron.), each, each one. cavalerie,/, cavalry. every one. cavalier, ;//., horseman, rider. chagrin, tn., grief, sorrow. cavalièrement (adv.), freely, flip- chagrin (adj.), sad, vexed. pantly. chaîne,/, chain. cave,/, cellar. chair,/, flesh. caverne, /, cavern, cave. chaise,/, chair. cavité,/, hollow, cavity. châle, m., shawl. ce (pron.), it, he, she, they ; ce qui. chaleur,/, heat, warmth. ce que, what, that which. chambre, /, room, chamber ; céans (adv.), here. femme de — , lady's-maid. ceci (pron.), this. champ, m., field. céder (v.), to yield, to give up, to Champagne,/, Champagne. give over. chance,/, chance, luck. ceinture,/, belt, girdle. chandelle,/, candle, tallow-candle. cela (pron.), that. changement, i?i., change, alteration. célèbre (adj.), famous, celebrated. changer (v.), to change; se — , to célébrer (v.), to celebrate, to com- change, to be changed. memorate. chanson,/, song. céleste (adj.), heavenly. chant, 7n., singing, melody. celle, fem. of celui. chanter (v.), to sing. celui (pron.), this, that, the one. chanteur, m., singer. celui-ci, this one, the latter. chanteur (adj.), singing. celui-là, that one, the former. chapeau, m., hat, bonnet. cendre,/, ashes. chapitre, ;;z., chapter. cent (adj.), hundred. chapon, ?fi., capon. centième (adj.), hundredth. chaque (adj.), each. centime, w., centime (j^^ of a franc). char, 7)2., car, chariot. centre, w , centre. charbon, w., coal, charcoal. cependant (conj.), however, mean- charbonnier, m., charcoal-burner. while. charge,/, load, burden. cercle, m., circle. charger (v.), to intrust, to give in cérémonie,/, ceremony. charge ; to load, to cover ; se — , cérémonieux (adj.), formal. to take charge, to undertake, to cerf, VI., stag. take upon oneself. certain (adj.), certain. charité,/, charity. certainement (adv.), certainly. charmant (adj.), charming, delight- certes (adv.), truly, indeed. ful. VOCABULARY 247 charme, m., charm. chevet, m., bedside, pillow. charretier, m., cartman, driver. cheveu, m., hair. charrette,/., cart. cheville,/, ankle. charte,/, charter. chèvre,/, goat. chasse,/, hunting. chez (prep.), at (or to) the house of. chasser (v.), to pursue, to expel, to among, with. hunt, to drive forward. chicorée,/, chicory. chat, m., cat. chien, m., dog, cock (of a firearm). châtaigne,/, chestnut. chiffon, ;;/., rag. châtain (adj.), auburn, nut-brown. chiffre, m., figure, amount. chestnut. chimérique (adj.), chimerical, fan- château, m., castle. ciful. chaud, m., heat. chimique (adj.), chemical. chaud (adj.), warm; faire — , to be chimiste, //?., chemist. warm. chinois (adj.), Chinese. chaudement (adv.), warmly. choc, VI., shock, clash. chauffer (v.), to warm. choisir (v.), to choose, to select. chaume, m., thatch. chose,/, thing. chauve (adj.), bald. chou, m., cabbage. chaux,/, lime. chrétien (adj.), Christian. chef, m., chief, head. christianisme, m., Christianity. chef-d'œuvre, m., masterpiece. chuchoter (v.), to whisper. chemin, ;//., way, road ; — de fer, chut ! (interj.), hush ! railway. ciel, m., heaven, sky. cheminée, /, chimney, fireplace. cierge, ?;/., taper, candle. mantelpiece. cigale,/, grasshopper. chemise,/, shirt, wrapper. cigare, m., cigar. chêne, m., oak. cigogne,/, stork. cher (adj. and adv.), dear. cime,/, top, summit. chercher (v.), to seek, to look for, cinq (adj.), five. to search ; aller — , to go and cinquante (adj.), fifty. fetch. circonférence, /, circumference. chercheur, m., seeker. circonstance,/, circumstance. chère, /, cheer, fare ; faire bonne circuit, m., roundabout way. — -, to feed well, to give good cheer. circulaire (adj.), circular. chèrement (adv.), dearly. cire, /, wax; — à cacheter, sealing- chérir (v.), to love, to cherish. wax. chétif (adj.), puny. cirer (v.), to wax. cheval, m., horse ; à — , on horse- ; ciseau, m., chisel ; ( pi.) scissors. back. citer (v.), to quote, to mention. chevaleresque (adj.), chivalrous. citoyen, w., citizen. chevalerie,/, chivalry. citronnier, m., lemon-tree. chevalier, m., knight. civil (adj.), civil. chevelure, /, hair (meaning only civilisation,/, civilization. the head of hair.) clair (adj.), clear. 248 VOCABULARY clairement (adv.), plainly, clearly. commande,/, order. claquement, m., clacking. commandement, ;;/., command. clarté,/, light. commander (v.), to command, to be classe,/., class. in command, to order. clergé, m., clergy. comme (adv.), as, like, as if, how. clin, w., wink; en un — d'ceil, in a comme (conj.), as, since. twinkling. commencement, m., beginning. cloche,/, bell. commencer (v.), to begin. cocarde,/, cockade. comment (adv.), how. cocher, vi., coachman. commenter (v.), to comment. cocon, in., cocoon. commerçant, m., merchant. code, m., code. commerce, 7?i., commerce, trade. cœur, ??t., heart. commercial (adj.), commercial. coffre, in., chest, trunk. commettre (v.), to commit, to per- coiffe,/, cap, hood. petrate, to intrust. coiffer (se) (v.), to put on (the commis, m., clerk. head). commission,/, committee. coiffure,/, headdress. commode,/, chest of drawers. coin, w., corner, remote corner. commode (adj.), convenient, handy. colère,/, anger; mettre en —, to commun (adj.), common. make angry. communal (adj.), of the town. colère (adj.), hasty, passionate, iras- commune, /., commune, township. cible. chartered town. collège, m., college, high school. communiquer (v.), to communi- collègue, în., colleague. cate, to be in communication. colline,/, hill. compagne, fem. of compagnon. colombe,/, dove. compagnie,/, company. colonel, m., colonel. compagnon, m., companion. colonie,/, colony. comparable (adj.), to be compared, colorier (v.), to color. comparable. colosse, m., colossus, giant. comparaison,/, comparison. combat, m., battle, engagement. comparer (v.), to compare. combattant, m., fighting-man, com- compassion,/, compassion, pity. batant. compatissant (adj.), compassionate, combattre (v.), to fight, to make of pity. war. compatriote, ?n., countryman, com- combien (adv.), how much, how patriot. many. complaisance, /, complaisance, combinaison,/, combination. kindness. combustible, m., fuel. complaisant (adj.), obliging, kind. combustion,/, combustion. complet (adj.), complete. comédie,/, comedy, theatre. complètement (adv.), completely, comité, m., committee. utterly. commandant, m., commander, ma- compliment, m., compliment. jor. componction,/, compunction. VOCABULARY 249 comporter (v.), to admit of, to per- mit. composer (v.), to compose ; se — , to be composed, to consist. comprendre (v.), to understand, to include. compte, m., account. compter (v.), to count, to include, to expect, to rely. compulser (v.), to go through. comte, m., count, earl. comté, m., county. concentrer (v.), to concentrate. conception, /., conception. concerner (v.), to concern. concevoir (v.), to conceive. concilier (v.), to conciliate , se — , to win. condamnation, /., sentence, judg- ment. condamner (v.), to condemn. condescendance, j^, condescension. condition,/!, condition. conduire (v.), to conduct, to drive, to take, to manage ; se — , to be- have, to act. conduite,/, conduct. confesser (v.), to confess. confiance, /., confidence, reliance, self-confidence. confier (v.), to intrust, to confide. confiture,/., jam. confondre (v.), to blend, to mistake (for). conformer (v.), to conform ; se — à, to conform to, to comply with, to submit to. confrérie,/, brotherhood. confus (adj.), confused, abashed. congé, m., leave. congrès, m., congress. conjugal (adj. ), conjugal, connubial. connaissance, /, knowledge, ac- quaintance. connaître (v.), to know. conquérir (v.), to conquer. conquête,/, conquest. consacrer (v.), to consecrate, to hallow. conscience,/, conscience. conseil, ?ri., advice, counsel, council, conséquence,/, consequence. conséquent, i»;?., consequent; par — , consequently. conservateur (adj.), conservative, conserver (v.), to keep. considérable (adj.), considerable, important. considérer (v.), to consider, to ex- amine, consister (v.), to consist. consolation, /., comfort, consola- tion, consoler (v.), to console. consommer (v.), to use up, to consume, constamment (adv.) constantly. constance,/, constancy, constater (v.), to verify, to ascer- tain, consterné (adj.), dismayed, constituer (v.), to constitute, constitution, /, constitution, constitutionnel (adj.), constitu- tional. construire (v.), to build, to con- struct. consul, m., consul, consulat, m., consulate, consulter (v.), to consult, contagieux (adj.), contagious, catching. conte, fn-, tale, story. contempler (v.), to gaze on, to con- template, to behold, contemporain {m. and adj.), contem- porary, contenance, /, countenance, bear> ing, demeanor. contenir (v.), to hold, to contain. 250 VOCABULARY content (adj.), glad, happy, satis- fied, pleased. contenter (v.), to satisfy; se — de, to be content with. conter (v.), to tell, to relate. contestation, /., contestation, dif- ference. contigu (adj.), adjoining. continent, w., continent. continu (adj.), continuous, unbroken. continuer (v.), to continue, to ex- tend, to go on with. contracter (v.), to contract. contraindre (v.), to constrain, to restrain. contraire (n. or adj.), contrary; au — , on the contrary. contrairement (adv.), contrary. contrarier (v.), to cross, to vex, to tease. contrariété,/', annoyance, vexation. contraste, w., contrast. contre (prep.), against. contribuer (v.), to contribute, to tend. contrôle, ///., control. convaincre (v.), to convince. convenir (v.), to agree, to grant, to acknowledge, to suit. convention,/, convention, decorum. conversation,/;, conversation. conversion,/, conversion. convertir (v.), to convert. convive, m., guest. convoi, w., convoy, funeral. convoquer (v.), to convoke, to sum- mon, to call together. copie,/., copy. coq, m., cock. coquet (adj.), nice, pretty, elegant. coquin, m., rascal. corbeille,/, basket. corde,/, rope. cordelet, m., string. cordialité,/, cordiality. cordon, m., string. Corinthe,/, Corinth, corporation,/, corporation, corps, ;«., body, corps; — à — , hand to hand. correct (adj.), correct, correspondre (v.), to correspond, corriger (v.), to correct, to reform, to soften. corset, m., corset. costume, vi , costume, dress. côte,/, coast, side, rib, hill ; — à — , side by side. côté, m., side, way, direction ; à — de, by the side of, along with; du — de, in the way of; de — , side- ways; mettre de — , to save. cou, m., neck. coucher (v.), to lay down to sleep; se — , to go to bed. coucher, m., bed, bedding, resting- place. coudre (v.), to sew, to stitch. couler (v.), to flow, to slip, to slide; se — , to creep, to steal. couleur,/, color. coup, ;;/., blow, stroke, hit, shot. coupable (adj.), guilty. coupe-gorge, m., cut-throat place. couper (v.), to cut, to cut down. cour, /, court ; faire sa — , to woo, to court, to pay one's court, to dance attendance. courage, ;//., courage. courageusement (adv.), courage- ously, gallantly. courageux (adj.), courageous. courber (v.), to bend. courir (v.), to run, to hasten. couronne,/, crown. couronner (v.), to crown, to award a prize. courroie,/, strap, thong. courroux, ;;/., wrath, ire. course,/, walk, visit/ errand. VOCABULARY 251 court (adj. or adv.), short. courtisan, m.^ courtier. cousin, m., cousin. couteau, vi., knife. coutelas, m., cutlass. coûter (v.), to cost. coutume,/., custom, habit, coutumier (adj.), customary. couturière,/., dressmaker. couvent, ///., convent. couvert, in., cloth, cover. couvert, pa. part, of couvrir. couverture,/, cover, blanket. couvre-feu, m., curfew. couvrir (v.), to cover. cracher (v.), to spit. craindre (v.), to fear. crainte,/, fear. craintif (adj.), fearful, timorous. crâne (w., and adj.), plucky, plucky fellow, craquer (v.), to crack', cravate,/, neck-cloth, necktie. crayeux (adj.), chalky. crayon, w., pencil, création,/, creation, créature,/, creature, being. crédit, m., credit. créer (v.), to create. [ments. créneler (v.), to make into battle- crepe, ni., crape, creux (adj.), hollow, sunken. crever (v.), to burst, to tear, to die. crevette,/, shrimp, cri, m., cry, scream, clamor, squeak, shriek, outcry, cribler (v.), to riddle, to pierce all over, crier (v.), to cry out, to call out, to shout, to scream, to shriek. crime, w., crime, criminel (adj.), criminal, crinoline,/, crinoline, crisper (v.), to shrivel, cristal, m,^ crystal. crochet, vi., hook. croire (v.), to believe, to think ; — à, to believe in. croisade,/, crusade, croisée,/, window, croiser (v.), to cross, to fold, croître (v.), to grow, to increase, croquer (v.), to munch, to eat. croyance,/, belief, cru (adj.), raw. cruauté,/, cruelty, cruellement (adv.), sorely, painfully, crut, prêt, of croire, cuisine,/, kitchen. cuisinier, in., cook, cuivre, in., copper, brass, cultivateur, m., farmer, cultiver (v.), to cultivate, to till, curieux (adj.), curious, singular, curiosité, /.J curiosity. daigner (v.), to deign, to condescend. damas, m., damask. dame,/, lady. danger, in., danger. dangereux (adj.), dangerous. dans (prep.), in. danser (v.), to dance. date,/, date. davantage (adv.), more, most. de (prep.), of, from, with. débarbouiller (v.), to wash the face of, to wash. débarrasser (v.), to rid, to free ; se — de, to get rid of. débiter (v.), to deliver, to utter. debout (adv.), upright, standing up. décadence,/, decay, decline, period of decline. décembre, m., December. décent (adj.), decent, proper. déception, /, delusion, disappoint- ment. 252 VOCABULARY décharger (v.), to discharge, to fire. dégeler (v.), to thaw ; se — , to thaw. déchirer (v.), to tear, to tear up. dégoûter (v.), to disgust, to make déchirure,/, rent, tear. disgusted with. décider (v.), to decide, to settle, to dégrafer (v.), to unclasp. induce ; se — , to make up one's degré, m., degree, step. mind, to determine. dehors, 7n., outside, exterior. décisif (adj.), decisive. dehors (adv.), outside. décision,/., decision. déjà (adv.), already. déclarer (v.), to declare, to proclaim. déjeuner (v.), to breakfast. décor, m., scenery. déjeuner, 7}i., breakfast. décoration, /., decoration, adorn- delà (prep.), beyond; au- — de, ment. beyond. découper (v.), to cut up, to cut out. délégué, 7n., delegate. découverte,/, discovery. délibéré (adj.), bold, resolute. découvrir (v.), to discover, to un- délibérer (v.), to deliberate. cover. délicat (adj.), delicate, dainty. décréter (v.), to issue a decree, to délicatement (adv.), delicately, decree. gently. décrire (v.), to describe. délicatesse,/, delicacy, scrupulous- dédaigner (v.), to scorn, to disdain. ness. dédaigneux (adj.), disdainful, scorn- délicieusement (adv.), delightfully. ful. délicieux (adj.), delightful, deli- dédale, zw.. maze. cious. dedans, m., inside, interior. délivrer (v.), to deliver, to free, to dedans (adv.), inside, within; là , rescue. in there. demande, /, request, demand, dédier (v.), to dedicate. claim. déesse,/., goddess, deity. demander (v.), to ask, to request. défaire (v.), to undo, to defeat. to demand, to require; se — , to défaite,/, defeat. ask oneself, to wonder. défaut, 7Ji., fault; à — de, for want démarche, /, gait, bearing, step, of. proceeding. défection,/, defection, disloyalty. démêler (v.), to make out, to find défendre (v.), to defend, to forbid; out, to discover. se — de, to refrain from. démenti, 771., contradiction. défense,/, defense. démence,/, insanity. défenseur, 7n., defender. demeure,/, dwelling. défi, fn., defiance, challenge. demeurer (v.), to dwell, to live, to défier (v.), to defy, to challenge. remain. défilé, m., pass, defile. demi (adj.), half; une minute, définitivement (adv.), definitively. half a minute ; à — , half. défraîchir (v.), to fade. demoiselle, /., young lady, unmar- dégager (v.), to clear, to disengage, ried lady. to free. dénouement, 77t., issue, end, de- dégât, ;//., damage. nouement. VOCABULARY 253 dénouer (v.), to untie. dent,y], tooth. dénudé (adj.), bare, départ, j?i., departure, département, ?n.^ department (a territorial division in France), départir (v.), to dispense, to bestow. dépasser (v.), to go beyond, to pass. dépendre (v.), to depend, dépense,/, expense, dépenser (v.), to spend, dépit,/!, spite, vexation. déplacé (adj.), out of place, im- proper, déplaire (v.), to displease. déployer (v.), to unfold, to display. déposer (v.), to lay down, to make a deposit. déposséder (v.), to dispossess, to strip. dépôt, jn., branch, store. dépouiller (v.), to skin ; to strip, to lay aside, to throw off, to plunder. dépouilles,/, (pi.), spoils, booty. depuis (prep.), since, from, député, m., deputy. déraisonner (v.), to talk nonsense. déranger (v.), to displace, to upset, dérider (se) (v.), to brighten up. dernier (adj.), last, dérober (v.), to steal, dérouler (v.), to unroll; se — , to unroll, derrière (prep, or adv.), behind, par — , from behind. des, contraction of de les. des (partit, art.) (pi.), some, any. dès (prep.), from, dès que (conj.), as soon as. désarmer (v.), to disarm. désarroi, m., confusion; mettre en — , to throw into confusion, désastre, m., disaster. désastreux (adj.), disastrous, descendant, w., descendant, scion. descendre (v.), to go down, to come down. descente,/, descent, going down. désert, w/., desert. désert (adj.), deserted, unfre- quented. désespéré (adj.), in despair, broken- hearted, desperate. désespérément (adv.), desperately. désespoir, w., despair. désigner (v.), to designate, to ap- point, to describe. désir, in., desire, wish. désirer (v.), to desire, to wish. désobligeant (adj.), disobliging, un- kind. désoler (v.), to desolate, to grieve, to lay waste. désordre, 771., disorder, disturbance. désormais (adv.), hereafter, hence- forward. dessein, ;;/., design, plan. dessert, m., dessert. dessiner (v.), to draw. dessous (adv.), beneath, below; au , below ; par , below. dessus, ;;/ , top, upper part. dessus (adv.), on, above, upon it; au , above ; là , about that, thereupon ; par , over. destin, m., fate. destination,/, destination. destinée,/, destiny, fate. destiner (v.), to destine, to design, to hold in reserve. détacher (v.), to unfasten, to take away. détail, ;;z., detail. détente,/, calm, lull. déterminer (v.), to determine. détourné (adj.), out-of-the-way. détourner (v.), to turn away, to take out of one's way. détresse,/, distress. détruire (v.), to destroy. 254 VOCABULARY dette,/, debt. deuil, ffi., mourning. deux (adj.), two. dévaliser (v.), to plunder, to rob. devant (adv.), before, in front. développer (v.), to unfold, to de- velop ; se — , to expand, to thrive. devenir (v.), to become. deviner (v.), to guess. devinrent, prêt, of devenir. devis, ;//., estimate. devoir (v.), to owe, to be obliged, must, ought. devoir, ?n., duty. dévorer (v.), to devour. dévot (adj.), devout, pious. dévouement, m., self-sacrifice. diable, ??i., devil ; pauvre — , poor wretch, poor fellow ; que — ! what the deuce ! the dickens ! diablerie,/, devilry, devil's trick. diamant, m., diamond. diantre (interj.), deuce. Dieu, w., God. différemment (adv.), differently. différence,/., difference. différend, t?i., difference, quarrel. différent (adj.), different, various. différer (v.), to differ, to be different. difficile (adj.), difficult. difficulté,/, difficulty. difforme (adj.), deformed, ugly. digérer (v.), to digest. digne (adj.), worthy. dignité,/, dignity. dilatation,/, dilatation. dilater (v.), to dilate, to expand. dimanche, ??i., Sunday. diminuer (v.), to diminish, to lower, to grow less. dîner (v.), to dine. dîner, m., dinner, diplomatique (adj.), diplomatic. dire (v.), to say, to tell; pour ainsi — , so to speak, as it were. dire, m., saying, words. directement (adv.), directly, directeur, ?n., director. direction,/, direction, management. directoire, m., directory, board of directors. diriger (v.), to direct; se — , to pro- ceed. discipline,/, discipline. discipliner (v.), to discipline. discourir (v.), discourse. discours, tn., discourse, speech. discrètement (adv.), discreetly. discussion,/, discussion. discuter, (v.), to discuss. disette,/, scarcity, want, disparaître (v.), to disappear. disperser (v.), to scatter, to rout. dispos (adj.), alert, in high spirits. disposer (v.), to dispose, to incline. disposition,/, disposition, disposal. disputer (v.), to dispute, to contend for ; se — , to quarrel. dissipé (adj.), dissipated. dissiper (v.), to dispel, to scatter; se — , to vanish. dissoudre (v.), to dissolve. distance,/, distance. distinctement (adv.), distinctly. distinction,/, distinction. distinguer (v.), to distinguish. distraction,/, diversion. distraire (v.), to separate, to dis- tract, to divert. distrait (adj.), absent-minded, heed- less. distribuer (v.), to distribute. dit, pa. part, of dire. divers (adj.), various, different. diversement (adv.), diversely. diversité,/, diversity, variety, divertissement, m., entertainment. divin (adj.), divine. diviser (v.), to divide. division,/, division. VOCABULARY 255 dix (adj.), ten. doux (adj.), sweet, soft, gentle, mild. dix-huit (adj.), eighteen. douzaine,/, dozen. dixième (adj.), tenth. douze (adj.), twelve. dix-sept (adj.), seventeen. dragée,/, sugar-plum, candy. docile (adj.), docile, obedient. drap, fu., cloth ; — de lit, sheet. doctrine,/., doctrine. drapeau, w., flag. doge, m., doge. dresser (v.), to raise, to set up, to dogue, m., mastiff, bulldog. lay out, to erect. doigt, m., finger. dressoir, m., dresser, serving table. doit, ind. près, of devoir. droit, m., right, law. domaine, tn., domain, estate, sphere. droit (adj.), right, straight. domestique, m., servant. drôle (adj.), queer. domestique (adj.), domestic, house- dru (adj.), thick. hold, tame. druide, m., Druid. domicile, m., residence, dwelling. du, contraction of de le. dominer (v.), to rule, to be pre- du (art.), some, any. dominant, to tower above, to dû, pa. part, of devoir. overlook. due, m., duke. dompter (v.), to subdue, to master. duché, m., duchy, dukedom. done (conj.), then, therefore. duchesse,/, duchess. donner (v.), to give. duel, m., duel. dont (pron.), of or from whom, of or dur (adj.), hard, obdurate. from which, by whom, by which. durable (adj.), lasting. whose. durée,/, duration. doré (adj.), gilt, golden. durer (v.), to last, to stay. dorer (v.), to gild. dureté,/, hardness, harshness. dormir (v.), to sleep. dut, prêt, of devoir. dos, t?i., back. duvet, 7)1., down. dossier, ?;?., notes, bundle of docu- dynastie,/, dynasty. ments, file. dot,/, dowry. double (adj. and adv.), double. E doubler (v.), to double. douce, fem. of doux. eau,/, water; de-vie, brandy. doucement (adv.), gently, quietly, ébaubi (adj.), wonderstruck. smoothly. éblouir (v.), to dazzle. douceur, /, sweetness, meekness. éblouissant (adj.), dazzling. gentleness, delight, charm. éboulement, m., falling in, landslip, douer (v.), to endow. landslide. douleur,/, pain, grief. ébranler (v.), to shake. douloureusement (adv.), painfully, ebullition,/, boiling, ebullition. dolefully. écailler (v.), to scale ; s'— , to peel doute, m., doubt ; sans — , undoubt- off. edly, doubtless. écailleux (adj.), scaly. douter(v.),todoubt;se—, to suspect. écàrlate (adj.), scarkt. 256 VOCABULARY écarter (v.), to remove, to disperse; effet, 771., effect; en — , indeed. s' — , to go away, to deviate. effeuiller (v.), to strip of its leaves. échange, m., exchange. efhlé, (adj.), slender, slim. échantillon, vi., sample, specimen. effleurer (v.), to graze, to touch échapper (v.), to escape, to slip lightly. away ; s' —, to escape, to break efforcer (s') (v.), to endeavor. loose. effort, 771., effort, endeavor. échauffer (v.), to heat, to inflame. effrayant (adj.), frightful. to overheat. effrayer (v.), to frighten, to scare; échéance /, expiration ; à 1' — , s' — , to take fright, to be scared. when due. effroi, 711., fright, dismay. échelle,/, ladder. effroyable (adj.), dreadful, horrible. échouer (v.), to fail. effusion,/, effusion, outpouring. éclair, vi., flash, flash of lightning. égal (adj.), equal. éclairage, m., lighting. également (adv.), equally, also, like- éclaircie,/., break, clearing-up. wise. éclairer (v.), to enlighten, to give égaler (v.), to equal. light to. égard, 771., regard ; à 1' — de, com- éclat, m., brilliancy, splendor, out- pared with, in regard to. burst. égarer (v.), to lead astray, to mis- éclatant (adj.), bright, dazzling, emi- lead. nent, conspicuous. égayer (v.), to cheer, to gladden. éclater (v.), to burst, to break out, église,/, church. to shine forth. égoïste (adj.), selfish. éclipser (v.), to eclipse. égoutter (s') (v.), to drip. école,/, school. Egypte,/, Egypt. économe (adj.), thrifty, sparing. élan, m., spring, bound, impulse. économie, /, thrift, economy ; élancer (s') (v.), to rush, to dash, to les — s, the savings. spring. écorce,/., bark, rind, peel, shell. élargir (v.), to widen, to stretch. écouter (v.), to listen. élastique, 771., elastic band. écraser (v.), to crush, to overwhelm. élastique (adj.), elastic. écrier (s') (v.), to cry out, to ex- électeur, 77t., elector, voter. claim. élection,/, election. écrire (v.), to write. électoral (adj.), electoral. écriture,/, writing, handwriting. élégamment (adv.), elegantly. écrivain, 711., writer. élégance,/, elegance. edit, 711., edict. élégant (adj.), elegant. Edouard, 771., Edward. élément, 771,, element. éducation,/, education, training. élévation, /, elevation, height, ex- effacer (v.), to wipe out, to rub out, altation. to erase. élève, PI., pupil. effarer (v.), to scare, to bewilder. élevé (adj.), high. effaroucher (v.), to scare. élever (v.), to raise, to rise, to rear, effectif (adj.), effective, available. to bring up ; s'— , to rise. VOCABULARY 257 élire (v.), to elect, to choose. elle (pron.), she, her, it. éloge, m., praise. éloigné (adj.), far, distant. éloigner (v.), to remove, to keep off, to divert. éloquence,/., eloquence. élu, pa. part, of élire. émailler (v.), to enamel, to be- sprinkle, to embroider, to be- deck. embarrasser (v.), to block up, to obstruct ; to embarrass, to puzzle ; être embarrassé, to be at a loss. embaumer (v.),to perfume, to smell sweet. embellir (v.), to improve, to beautify, to embellish ; s' — , to improve (in beauly). embourber (v.), to stick fast in the mud. embrasé (adj.), on fire, glowing, ablaze. embrassement, m., embrace. embrasser (v.), to embrace, to kiss, to encompass, to encircle. embuscade, 7n., ambuscade, am- bush. émerveiller (v.), to amaze ; s' — , to marvel, to wonder. émettre (v.), to issue, to utter. émeute,/, riot. émigrer (v.), to emigrate. emmêler (v.), to entangle. emmener (v.), to take away, to carry off. émotion,/., emotion. émouvoir (v.), to move. emparer (s') (v.), to take posses- sion, to seize. empêcher (v.), to prevent, to im- pede. empereur, m., emperor. empêtrer (v.), to entangle. emphase,/, emphasis, bombast, empire, ;«., empire, emploi, m., employment, situation, use. employé, m., clerk. employer (v.), to use, to employ. emplumer (v.), to feather. empoigner (v.), to clutch, to seize. emporté (adj.), hasty, quick-tem- pered. emportement, m., outburst. emporter (v.), to carry away; s' — , to fire up; 1' — sur, to get the better of, to prevail upon. empourpré (adj.), purple. empreindre (v.), to stamp, to im- press. empressé (adj.), eager, obliging. empressement, m., eagerness, cor- diality, assiduity. emprisonner (v.), to imprison. emprunt, m., borrowing, loan. emprunter (v.), to borrow. ému, pa. part, of émouvoir. émule, 171., rival, competitor. en (pron.), of or from him, her, its, them ; some, any. en (prep.), in, of. encadrer (v.), to frame, to encircle. enceinte,/, circuit, enclosure. enchantement, 7?i., enchantment, spell ; comme par —, as it were by enchantment. enchanter (v.), to bewitch, to de- light, to enthrall. enchanteur (adj.), enchanting, de- lightful. encombre, /, hindrance ; sans — , without any accident. encombrer (v.), to block up, to obstruct. encore (adv.), again, still, yet, once more ; — que, although. encourager (v.), to encourage, to stimulate. 17 258 VOCABULARY endimancher (s') (v.), to put on one's Sunday clothes, endormi (adj.), asleep, sleepy, endormir (v.), to send to sleep, to lull to sleep ; s' — , to fall asleep, endroit, w., place ; point, side. endurer (v.), to endure, to bear, énergie, yi, energy, enfance,/!, childhood, enfant, m. or f., child, enfanter (v.), to bring forth, to produce, enfantin (adj.), childish. enfermer (v.), to shut in, to lock up. enfin (adv.), finally, in short, at last, after all. enflammer (v.), to set on fire, to kindle. enfler (v.), to swell, to raise, to elate. enfoncer (v.), to sink down ; s' — , to sink, to plunge, to bury one's self, enfuir (s') (v.), to flee, to run away, to escape. engageant (adj.), engaging, enticing. engagement, f?t., engagement. engager (v.), to engage, to urge, to begin, to pledge, to pawn; s' — à, to promise to. engloutir (v.), to swallow up, to engulf. engourdir (v.), to benumb, enivrer (v.), to intoxicate, to en- rapture, enjoindre (v.), to command, to direct. enjoué (adj.), playful, lively, cheer- ful, enlacer (v.), to entwine, enlèvement, 7?i., carrying off. enlever (v.), to take away, to take off, to remove ; s' — , to rise, enluminure,/., illumination. ennemi, m., enemy, foe. ennemi (adj.), hostile, of the enemy. ennuyer (s') (v.), to be weary, to get tired. enorgueillir (v.), to make proud; s' — , to be proud (of). énorme (adj.), enormous. enragé (adj.), mad, rabid, enraged. enrager (v.), to go mad, to be enraged. enrichir (v.), to enrich; s' — , to grow rich. enrôler (v.), to enlist. enseigner (v.), to teach. ensemble (adv.), together. ensevelir (v.), to bury. ensoleillé (adj.), sunny. ensuivre (s') (v.), to follow. ensuite (adv.), after, afterwards. entamer (v.), to begin to eat. entasser (v.), to heap up, to accu- mulate. entendre (v.), to hear, to understand ; s' — , to understand each other ; — parler de, to hear of. enténébrer (v.), to darken. enterrer (v.), to bury in the ground, to bury. enthousiasme, m., enthusiasm. enticher (v.), to infatuate. entier (adj.), whole, entire. entièrement (adv.), entirely. entourer (v.), to surround. entre (prep.), among, between. entre-bailler (v.), to half open. entrecouper (v.), to interrupt. entrefaites (sur ces) (adv.), mean- while. entremets, m., side-dish. entreprendre (v.), to undertake. entrer (v.), to enter. entretenir (v.), to keep up, to pre- serve, to maintain, to talk with; s' — , to remain, to talk with. entr'ouvrir (v.), to half open. énumérer (v.), to enumerate. envahir (v.), to invade. VOCABULARY 259 envelopper (v.), to wrap up, to escalier, m., stairs, staircase. envelop. esclavage, m., slavery, bondage. envergure,/, spread of wings. esclave, m. or/, slave. envers (prep.), towards, to. escorte,/, escort, guard. envie,/, envy, desire, wish; avoir — , escorter (v.), to escort. to have a mind. espace, m., space. environ (adv.), about. Espagne,/, Spain. environner (v.), to surround. espagnol (adj. orn.), Spanish, Span- envisager (v.), to look at, to look iard. upon, to consider. espèce, /, species, kind; — hu- envoler (s*) (v.), to fly away. maine, mankind. envoyer (v.), to send. espérer (v.), to hope. épais (adj.), thick, dull. esprit, w., spirit; mind; wit. épanouir (s') (v.), to bloom, to ex- essayer (v.), to try. pand, to brighten up. essouffler (v.), to put out of breath. épargne,/, savings. essuyer (v.), to wipe. épargner (v.), to spare. est, m., east. épars (adj.), scattered. estimation,/, valuation, estimate. épaule,/, shoulder. estime,/, esteem. épée,/, sword. estimer (v.), to estimate, to value. éperdu (adj.), bewildered, dismayed. estomac, m., stomach, chest. éperon, m., spur. estrade,/, platform. épiderme, ;;/., scarf skin, skin. et (conj.), and. épier (v.), to spy, to watch. établir (v.), to establish, to settle. épingle,/, pin. étage, m., story, floor. épluchures,/ pi., pickings. étain, m., pewter. époque,/, time, period, epoch. étaler (v.), to spread out, to display; épouser (v.), to marry. s' — , to stretch oneself out. épouvanter (v.), to appal, to terrify. état, m., state, position, calling, busi- époux, m., husband. ness ; par — , by profession ; en — , épreuve,/, trial, test. able. éprouver (v.), to try, to experience. été, 771., summer. to feel. été, pa. part, of être. épuiser (v.), to exhaust ; s' — , to éteindre (v.), to put out, to extin- exhaust oneself, to wear oneself guish ; s' — , to go out. out. étendre (v.), to spread, to stretch, to épurer (v.), to purify, to refine. stretch out. équateur, m., Equator. étendue,/, extent. équilibre, m., equilibrium, balance. éternel (adj.), everlasting, eternal. équipage, m., equipage, equipment, éternité,/, eternity. plight. éternuer (v.), to sneeze. équipée,/, freak, frolic. étincelant (adj.), sparkling, glitter- équiper (v.), to equip, to fit out. ing. équivaloir (v.), to be equivalent. étincelle,/, spark. errer (v.), to wander, to ramble. étiquette,/, label, etiquette. 26o VOCABULARY étoffe,/, stuff, texture. exalter (v.), to extol, to exalt. étoile,/., star. examen, m., examination. étonnant (adj.), astonishing, won- examiner (v.), to examine. derful, amazing. exaspérer (v.), to exasperate. étonnement, w., astonishment, sur- excellence, /, excellence ; par — , prise. pre-eminently. étonner (v.), to astonish, to startle ; excellent (adj.), excellent. s' — , to be astonished, to wonder. excentrique (adj.), eccentric. étouffer (v.), to be suffocating. excepté (prep.), except. étrange (adj.), strange. exceptionnel (adj.), unusual. étranger, m., foreign lands ; stran- exception,/, exception. ger, foreigner. excès, m., excess. étranger (adj.), strange, foreign. exciter (v.), to excite, to rouse. étrangler (v.), to strangle, to choke. exclamation,/, exclamation. être (v.), to be. exclamer (s') (v.), to cry out. être, m., being. exclure (v.), to exclude. étrennes,/ pi., New Year's gift. excuse,/, excuse, apology. étroit (adj.), narrow, tight. exécuter (v.), to execute ; s' — , to étude,/, study. comply, to pay up. étudiant, m., student. exécutif (adj.), executive; le pou- étudier (v.), to study. voir — , the executive. étui, m., case, box. exécutoire (adj.), executory. Europe,/, Europe. exemple, m., example, instance ; européen (adj.), European. par — , for instance, indeed. eussent, pluperf. subj. of avoir. exercer (v.), to exercise, to practise. eut, prêt, of avoir ; y — , see y exercice, m., exercise, drill. avoir. exhaler (s') (v.), to be exhaled, to eux (pron.), them, themselves. evaporate. évangélique (adj.), evangelical. exigence,/, requirement, need. évanouir (s') (v.), to faint, to vanish. exiger (v.), to exact, to require. éventail, m., fan. existence,/, existence. éveiller (v.), to awake, to waken. exister (v.), to exist. événement, m., event. exotique (adj.), exotic. éventrer (v.), to rip open. expansif (adj.). expansive, commu- évêque, m., bishop. nicative. évidemment (adv.), evidently. expansion,/, expansion. évident (adj.), evident. expédition,/, expedition. évoquer (v.), to call up, to evoke. expérience, /, experience, experi- exact (adj.), exact. ment. exactement (adv.), exactly, accu- expier (v.), to atone for, to expiate. rately. expiration,/, expiration, end. exactitude, /., exactness, correct- explication,/, explanation. ness, punctuality. expliquer (v.), to explain. exagérer (v.), to exaggerate. exploit, >z., achievement, feat, ex- exaltation,/, exaltation. ploit. VOCABULARY 261 exploiter (v.), to work, to speculate faillir (v.), to be near, to be on the upon. point of. exportation,/., exportation, export. faim,/, hunger. exposer (v.), to expose. fainéant (adj.), lazy, sluggish ; les expression,/, expression. rois — s, the royal sluggards. exprimer (v.), to express. faire (v.), to make, to do, to create. exquis (adj.), exquisite. to cause to, to pretend; se — , to exténuer (v.), to debilitate, to get accustomed, to take place ; — weaken. peur à, to frighten. extérieur (adj.), outward, outer, ex- faisaient, 3rd pers. pi. imp. ind. of terior. faire. extraordinaire (adj.), extraordinary. faiseur, m , maker. uncommon. fait, w., fact; en — de, in the mat- extrême (adj.), extreme. ter of, in. fait, pa. part, of faire. falloir (v.), to be necessary. F fallu, pa. part, of falloir. fallut, prêt, of falloir. fable,/, fable, scoff. fameux (adj.), famous. fabricant, m., manufacturer, maker. familial (adj.), of the family. fabrication,/, fabrication. familiariser (se) (v.), to make one- fabrique,/, manufacture, factory. self familiar. fabriquer (v.), to manufacture, to familier (adj.), familiar. make. familièrement (adv.), familiarly. façade,/, front. famille,/, family. face, /, face, countenance, aspect ; famine,/, famine, starvation. en — de, opposite, in front of. fantaisie,/, fancy, whim. fâcher (v.), to anger, to vex ; se — , fantastique (adj.), fantastic. to get angry. fantôme, 7n., shadow, ghost. fâcheux (adj.), unpleasant. farce,/, farce, low comedy. facile (adj.), easy. fard, m., paint, rouge. facilement (adv.), easily. farine,/, flour. facilité,/, facility, ease. fascination,/, fascination. façon,/, fashion, manner, sort, way, faste, m., pomp, ostentation. mode, kind ; ceremony ; sans — , fatigue,/, toil, fatigue. without ceremony. fatiguer (v.), to tire, to weary. factice (adj.), artificial. faudra, fut. of falloir. factoton, or factotum, m., factotum. faudrait, cond. of falloir. jack-of -all-trades. faut, ind. près, of falloir. facture,/, invoice, bill. faute,/, fault, mistake. faculté,/, faculty. fauteuil, m., arm-chair. fagot, m., faggot. fauvette,/, warbler. faible (adj.), weak, feeble, faint. faux (adv.), false. faiblesse,/, weakness. faveur,/, favor. faïence,/, crockery, earthenware. favorable (adj.), favorable. 202 VOCABULARY favoriser (v.), to favor. fils, m., son. fée,/, fairy. filtrer (v.), to filter. fêler (v.), to crack. fin,/, end; aim, purpose, object. femelle,/, female. fin (adj.), fine, delicate. féminin (adj.), feminine. final (adj.), final, last. femme,/, woman, wife. finance,/, finance. fendiller (se) (v.), to crack, to split. finir (v.), to end. fendre (v.), to split; se — , to split. fiole,/, phial, bottle. fenêtre,/, window, window-sill. firmament, w., firmament, heavens. fente,/, chink, crack. firent, prêt, of faire. féodal (adj.), feudal. fit, prêt, of faire. fer, 7n., iron. fixe (adj.) fixed, steady. fera, fut. of faire. fixer (v.), to fix, to fasten, to set- ferme (adj.), firm, steady. tle. fermer (v.), to shut. flambeau, w., candlestick. fermeté,/, firmness. flambée,/, blaze. féroce (adj.), fierce, ferocious. flamme,/, flame. fertile (adj.), fertile, rich. Flandre,/, Flanders. fesse-mathieu, 7?i., skin-flint. flatter (v.), to flatter. festin, ?n., entertainment, feast. flatterie,/, flattery. fête, /., festival, feast, holiday, cele- flatteur, iti., flatterer, fawner. bration. fléau, m., curse, plague. fêter (v.), to observe, to celebrate. flèche,/, arrow. feu, m , fire ; faire — , to fire. flegmatiquement (adv.), phleg- feuille,/, leaf. matically. février, 7n., February. flegme, m., phlegm. fiacre, m., cab. fleur, /, flower ; en — , blooming. fiancer (v.), to betroth. in blossom. fichu, 7)1., neckerchief. fleurer (v.), to smell. fidèle (adj.), faithful, exact. fleurir (v.), to bloom, to flourish. fidélité, /, fidelity,' faithfulness, ac- fleuve, m., river. curacy, loyalty. floraison,/, blooming. fier (v.), to trust; se — , to trust. flotter (v.), to wave, to float. to rely. flute (adj.), fluted. fier (adj.), proud, haughty. fluxion,/, inflammation; — de poi- fierté,/, pride. trine, inflammation of the lungs, fièvre,/, fever. pneumonia. figure,/, face, figure. foi, /, faith ; bonne —, honesty, figurer (se) (v.), to picture to one- sincerity. self, to fancy, to imagine. foie, »?., liver. fil, 1)1., thread. foire,/, fair. filature,/, spinning-mill. fois,/, time; à la — , at once; file,/, row, file. une — , once. fille,/, girl, daughter. folie,/, folly, foolishness. fillette,/, young girl, lass. folle, fern, of fou. VOCABULARY 26z fonctionnaire, m., official, govern- fournir (v.), to supply, to provide. ment officer. fournisseur, m., purveyor. fond, ?n., bottom, back, end ; à — , foyer, m., hearth, home. thoroughly. fraction,/, fraction. fonder (v.), to found. fragment, m., fragment. fondre (v.), to melt; faire — , to frais, m. pi., expense, expenses. melt. frais (adj.), fresh, blooming, cool. font, ind. près, of faire. franc, m., franc (a unit of money ; fontaine,/, fountain. a little less than 20 cents). fonte,/, cast iron. Franc, m., Frank. force, /., force, strength, power, franc (adj.), frank, frankish. might; être de — à, to be capa- Français, m., Frenchman. ble of ; à — de, by dint of, by français (adj.), French. means of. France,/, France. forcer (v.), to force, to compel, to franchement (adv.), frankly. take by force. franchir (v.), to leap over, to clear, forestier (adj.), of forest, woody. to cross, to pass. forêt,/., forest. Francois, m., Francis. forfait,/, foul deed. frapper (v.), to strike, to hit, to forme,/, form, shape, figure. knock. former (v.), to form, to frame. frégate,/, frigate. formidable (adj.), formidable, dread- frémir (v.), to shudder. ful. fréquenter (v.), to frequent. fort, m., fort. frère, m., brother. fort (adj.), strong, intense, skilled. friction,/, friction, rubbing. important. friper (v.), to crumple, to wear out. fort (adv.), very, very much. frisotter (v.), to curl the hair. fortement (adv.), strongly. frisson, m., shivering, thrill. forteresse,/, fortress. frissonner (v.), to shiver, to shud- fortune,/, fortmie. der. fossette,/, dimple. frpid {m., or adj.), cold; avoir — , fou, m., lunatic, madman. to be cold. fou (adj.), crazy, insane, mad. froidement (adv.), coldly. foudre,/, lightning, thunder. front, 711., forehead. fouet, m., whip. frontière,/, frontier. fougue,/, fire, impetuosity. frotter (v.), to rub, to strike. fougueux (adj.) fiery, impetuous. frugalité,/, frugality. fouiller (v.), to search, to dig, to fruit, m., fruit. rummage. fugitif, m., fugitive. foule,/, crowd, mob. fuir (v.), to flee, to run away, to fouler (v.), to tread upon, to press. escape. four, m., oven. fuite, /., flight ; prendre la — , to fourchette, /, fork. take to flight. fourgon, m., wagon, truck. fulgurant (adj.), flashing. fourmi,/, ant. fumer (v.), to smoke, to steam. 264 VOCABULARY funèbres, î<^j.), funereal, mournful. Gaulois, 771., Gaul. fureur, /.^^ury, rage. gaz, 771., gas ; bee de — , gas burner, furieux |tej.), furious, mad. furtivenWi.; (adv.), by stealth. gas hght. gaze,/, gauze. fusil, 771. \^M'^. géant, 7/1., giant. fusilier (v. to shoot. geler (v.), to freeze. fussent, imp. subj. of être. gémir (v.), to moan, to wail, to fut, prêt, of être. lament. futaie,/., forest, wood. gémissement, 77i., groan, moan. fuyard, m., fugitive. gênant (adj.), troublesome, incon- venient, embarassing. gencive,/, gum. G gendarme, 771., gendarme. gendarmerie, /., police. gagner (v.), to gain, to earn, to win. gêner (v.), to hinder, to put out, to gai (adj.), cheerful. impede, to embarrass. gaiement (adv.), cheerfully. général (w. or adj.), general; en—. gaieté, /., merriment, mirth, cheer- generally. fulness. généralement (adv.), generally. gain, m., gain, winning. généreux (adj.), generous. gala, m., gala. génie, 771., genius. galanterie,/, politeness, gallantry. genou, 771., knee; se mettre à — x. galerie,/, gallery. to kneel down. galeux (adj.), scabby. genre, 771., kind, species. galon, ?n., lace. gens, 771. or / pi., people, folks ; galop, 7}i., gallop. jeunes — , young men, young gant, m., glove. people. garantir (v.), to guarantee, to vouch gentil (adj.), pretty, nice. for, to protect. géologie, f., geology. garçon, fn., boy, son. germer (v.), to shoot, to spring up ; garde, jh., guard. faire — , to give birth to. garde,/, guard, keeping. geste, 771., gesture. garde-rcbe,/, wardrobe. gigot, m., leg of mutton. garder (v.), to keep, to guard. girofle, 771., cloves. garnir (v.), to furnish, to provide, giron, 771., lap. to trim, to set off. glace,/, ice, mirror. garrotter (v.), to bind, to tie down. glisser (v.), to slip ; se — , to slip, to gars, w., lad. creep. gaspiller (v.), to waste, to squander. globe, m., globe; — terrestre, the gastronome, 7n., epicure. whole earth. gâteau, 7?z., cake. gloire,/, glory. gâter (v.), to spoil. glorieux (adj.), glorious. gauche (adj.), left. glouglou, 771., gurgle. gaucherie,/, awkwardness. glouton (adj.), greedy, gluttonous. Gaule,/., Gaul. gorge,/, throat. VOCABULARY 265 gourmand (adj.), greedy, glutton- grimper (v.), to climb. ous. gris (adj.), gray. gourmet, /«., gourmet, epicure. griser (se), (v.), to get tipsy: gousset, in., pocket. grisonner (v.), to grow gray. goût, m., taste. grive,/, thrush. goûter (v.), to taste, to relish, to Groenland, w., Greenland. approve of, to like. grognement, m., growling. goutte,/., drop, gout. gronder (v.), to scold. gouvernement, m., government. gros (adj.), big, fat, large. gouverner (v.), to govern, to con- grouper (v.), to group together. trol. guenille,/, rag, tattered rag. grâce, /., grace, gracefulness, par- guère (adv.), scarcely, hardly, but don, thanks ; — à, thanks to. little. gracieux (adj.), graceful. guérir (v.), to cure. grade, m., rank. guérison,/, cure. grain, m., grain. guerre,/, war. graisse,/, fat, grease. guerrier, ;«., warrior. grand, m., magnate, person of high guerroyer (v.), to make war. rank. guet-apens, w., snare, ambuscade. grand (adj.), large, great, grand, tall, treacherous scheme. big. guetteur, m., signal-man. grandeur,/, greatness. guichet, 77t., wicket, wind«w. grandir (v.), to grow, to increase. guide, 771., guide. grand'mère,/, grandmother. guider (v.), to guide, to direct. grand-papa, m^, grandpapa. grand-père, m., grandfather. gras (adj.), fat, greasy. H gratter (v.), to scrape, to scratch ; to wheedle, to flatter. habile (adj.), skilful. gratuit (adj.), gratuitous, free of habileté, /, cleverness, skill, in- cost. genuity. grave (adj)., grave. habiller (s') (v.), to dress. graver (v.), to engrave. habit, 771., clothes, coat. gravité,/, gravity. habitant, 77t., inhabitant. gravure,/, picture, engraving. habitation,/, habitation, dwelling. gré, m., will, pleasure, taste ; bon — , habiter (v.), to inhabit, to live in. mal — , willing or unwilling. habitude,/, habit, custom, practice ; grec (adj.), Greek. d' — , usually. Grèce,/, Greece. habituel (adj.), customary. greffier, m., clerk of the court. habituer (v.), to accustom, to use. grêle (adj.), shrill. hache,/, axe, hatchet. grelotter (v.), to shiver with cold. haine,/, hatred. grenier, m., attic, garret. hair (v.), to hate. griller (v.), to broil, to roast. hallucination,/, hallucination. grimace,/, grimace, wry face. hameçon,/, fish-hook. 266 VOCABULARY harangue,/, harangue, speech. horreur,/, horror. hardi (adj.), bold. horriblement (adv.), horribly. haricot, ;//., bean. hors (prep.), outside, out; — de là, harmonieux (adj.), harmonious. out of that; that excepted. hasard, m., chance. hospitalité,/, hospitality. hasardé (adj.), bold. hostilité,/, hostility. hasarder (v.), to risk, to venture. hôte, f?i., host, lodger, guest. hâte,/., haste, eagerness. hôtel, ?n., hotel, mansion. hâter (v.), to hasten ; se — , to hasten. hôtesse,/, landlady, hostess. hausser (v.), to raise, to rise. houille,/, coal. haut, m., height, top. houillère,/, coal mine. haut (adj.), high, lofty, upper; loud. huile,/, oil. hauteur,/, height. huissier, Jii., usher. héberger (v.), to lodge. huit (adj.), eight. hélas ! (interj.), alas! humain (adj.), human. herbe,/, grass. humanité,/, humanity. herbier, jh., herbal, herbarium. humble (adj.), humble. herboriser (v.), to herborize. humeur,/, humor, mood, ill-humor; héritier, m., heir. prendre de 1' — , to get out of héroïque (adj.), heroic. temper. héros, rn., hero. humide (adj.), humid, damp, moist. hésitation, /, hesitation. humiliant (adj.), humiliating. hésiter (v.), to hesitate. humilier (v.), to humble, to hu- heure,/, hour, o'clock; tout à 1'—, miliate. just now. hurlement, in., howling, shrieking. heureusement (adv.), fortunately. hurler (v.), to howl. happily. hydrogène, in., hydrogen. heureux (adj.), happy, fortunate. hyménée, m., marriage. heurter (v.), to knock. hier (adv.), yesterday. I histoire,/, history, story. historien, m., historian. ici (adv.), here. hiver, 7n., winter. idéal {m., or adj.), ideal. hollandais (adj.), Dutch. idée,/, idea. Hollande, /, Holland. idolâtre (adj.), idolatrous; fond to hommage, in., homage. idolatry. homme, m., man. idole,/, idol. honnête (adj.) honest. idylle,/, idyll. honneur, m., honor. léna,/, Jena. honorer (v.), to honor. ignorant (adj.), ignorant. honte,/, shame; faire —, to make ignorer (v.), not to know, to be (a person) ashamed. ignorant of. honteusement (adv.), shamefully. il (pron.), he, it. honteux (adj.), shameful, ashamed. île,/, island. hôpital, m., hospital. illumination,/, illumination. VOCABULARY 267 illuminer (v.), to illuminate. illusion,/;, illusion, delusion. illustre (adj.), illustrious, eminent. image,/', image. imaginable (adj.), imaginable. imagination,/"., imagination. imaginer (v.), to imagine, to fancy. imitation,/, imitation. imiter (v.), to imitate. immédiatement (adv.), immedi- ately. immense (adj.), immense. immensité,/;, immensity. immortalité,/!, immortality. impartialité,/, impartiality. impatience,/;, impatience. impatient (adj.), impatient, restless. impénétrable (adj.), impenetrable, inscrutable. imperceptible (adj.), imperceptible. imperfection,/;, imperfection. impérieux (adj.), lordly, imperious. impertinent (adj.), impertinent. impoli (adj.), uncivil, impolite. impolitesse, /, rudeness, impolite- ness. impopulaire (adj.), unpopular. importance, f., importance ; d' — , soundly. important (adj.), important. importer (v.), to be of importance. importun (adj.), troublesome. importuner (v.), to worry, to annoy. importunité,/., importunity. imposer (v.), to impose (on), to fill with respect. impossibilité, /, impossibility. impossible (adj.), impossible. impôt, f?i., tax. imprégner (v.), to impregnate, to imbue. impression,/;, impression. imprévoyance,/., want of foresight, thoughtlessness. imprévu (adj.), unforeseen. imprimer (v.), to print. imprimerie,/, printing. impropre (adj.), unfit. imprudence,/, imprudence. imprudent (adj.), imprudent. impudent, in., impudent fellow. impulsion,/, impulse, impulsion. impunément (adv.), with impunity. inaperçu (adj.), unseen, unnoticed; passer — , to be unnoticed. incapable (adj.), incapable. incendie,/, fire. incessament (adv.), unceasingly. inclination,/., inclination. incliner (v.), to incline, to bow ; s' — , to bow. incognito (adv.), incognito. incohérent (adj.), incoherent. incomparable (adj.), matchless, in- comparable. incomparablement (adv.), beyond comparison. inconnu (adj.), unknown. inconstance,/, inconstancy, fickle- ness. inconvenant (adj.), improper. incroyable (adj.), incredible. incurable (adj.), incurable, hopeless. Inde,/, India. indécemment (adv.), indecently. indemnité,/, indemnity. indépendamment (adv.), independ- ently. indépendance,/, independence. index, m., forefinger. indifférence,/, indifference. indifférent (adj.), indifferent. indigène (adj.), native, home-made. indigner (v.), to exasperate. indigo, ;«., indigo. indiquer (v.), to indicate, to show. indiscret (adj.), indiscreet. indispensable (adj.), indispensable, absolutely necessary. Indou, or Hindou, m., Hindoo. 26S VOCABULARY indulgence,/., indulgence. industrie, /, manufactures, indus- try. industriel, m., manufacturer. inépuisable (adj.), inexhaustible. infaillible (adj.), infallible. infailliblement (adv.), infallibly. infâme (adj.), infamous. infamie,/., infamy. infanterie,/, infantry. inférieur (adj.), inferior, lower. infidèle (n. or adj.), unbeliever, un- faithful. infini, m., infinity, the infinite. infini (adj.), infinite, unbounded. infiniment (adv.), infinitely. infinité, /, infinity, infinite number. infirmité,/, infirmity. inflexible (adj.), inflexible. influence,/, influence. information, /., inquiry, informa- tion. informe (adj.), shapeless, crude. infortune,/, misfortune. ingénieur, m., engineer. ingénieux (adj.), clever, ingenious. ingénument (adv.), ingenuously, artlessly. inhabitable (adj.), uninhabitable. inintelligible (adj.), unintelligible. initiative,/, initiative. injurieux, offending. injuste (adj.), unjust. injustice,/, injustice, wrong. inné (adj.), inborn. innocent (adj.), innocent. inouï (adj.), unheard-of, most won- derful. inquiet (adj.), anxious, restless, un- easy. inquiéter (v.), to disquiet, to alarm, to disturb ; s' — , to concern one- self, to care about. inquiétude,/, uneasiness, anxiety. insatiable (adj.), insatiable. inscrire (v.), to write down, to enter. insensé (adj.), absurd. insensiblement (adv.), insensibly, by slow degrees. inséparable (adj.), inseparable. insistance,/, persistence, insisting. insister (v.), to insist. inspection,/, inspection. inspiration,/, inspiration. inspirer (v.), to inspire ; s' — de, to be guided by. installer (v.), to install. instance,/, entreaty, instance. instant, ?n., instant, mom.ent. instinct, m., instinct, instituer (v.), to institute, to es- tablish. Institut, m., Institute. institution,/, institution. instruction, /, instruction, educa- tion. instruire (v.), to instruct, to educate, to teach ; s' — , to get educated. instrument, ?;z., instrument. insu (àl') (adv.), without the knowl- edge. insuffisant (adj.), insufficient, inade- quate. insulaire, m , islander. insupportable (adj.), unbearable. insurgé, m., insurgent. insurger (s') (v.), to rise in insur- rection ; être insurgé, to be in insurrection. insurmontable (adj.), insuperable. insurrection,/, insurrection. instruit (adj.), well educated. intact (adj.), intact, unharmed. intégralement (adv.), wholly, in its entirety. intelligence, /, intelligence ; en bonne — , on good terms. intelligent (adj.), intelligent. intendant, m., steward, manager. VOCABULARY 269 intention,/, intention. irriter (v.), to irritate, to anger ; interdire (v.), to forbid, to abash, to s' — , to grow angry. amaze. isthme, in., isthmus. intéressant (adj.), interesting. Italie,/, Italy. intéresser (v.), to interest; s' — , to ivoire, m., ivory. take an interest. ivresse,/, intoxication, rapture. intérêt, w., interest. intérieur (adj.), inward, inner. J interlocuteur, m., interlocutor. intermédiaire, m., medium. Jacques, m., James. interprète, m., interpreter. jadis (adv.), formerly. interroger (v.), to question. jaillir (v.), to flash, to burst. interrompre (v.), to interrupt, to jalousie,/, jealousy. break off. jaloux (adj.), jealous. intervalle, m., interval. jamais (adv.), ever, never; ne — , intime (adj.), intimate, close. never. intimider (v.), to intimidate, to jambe,/, leg. scare. jambon, in., ham. intimité,/, intimacy. Janvier, in., January. intonation,/, intonation. jardin, m., garden. intriguer (v.), to perplex, to puzzle. jardinier, m., gardener. introduire (v.), to introduce ; s' — , jargon, »?., jargon, gibberish. to get in. jaser (v.), to chatter. inutile (adj.), useless. jaune (adj.), yellow. inutilement (adv.), uselessly, in Jean, m., John. vain. jet, in., shoot. inutilisé (adj.), left unemployed. jeter (v.), to throw, to fling, to cast; invalide (adj.), infirm, invalid. se — , to rush. invariablement (adv.), invariably. jeu, in., play, playing. invasion, /. invasion. jeûne, in., fast, fasting. inventer (v.), to invent, to devise. jeune (adj.), young. invention,/, invention. jeunesse,/, youth, youthfulness. invincible (adj.), invincible. Job, m., Job. invinciblement (adv.), invincibly, joie,/, joy, gladness. inevitably. joindre (v.), to join, to unite. invisible (adj.), invisible. jointure,/, joint. invitation,/, invitation. joli (adj.), pretty. inviter (v.), to invite, to beg. jonction,/, junction, joining. involontairement (adv.), involun- joue,/, cheek. tarily. jouer (v.), to play, to stake, to ira, fut. of aller. counterfeit. iris, m., iris. jouet, m., toy. irréfutable (adj.), irrefutable. joueur, m., player. irréparable (adj.), irreparable. joufflu (adj.), chubby-cheeked. irritation,/, irritation. jouir (de) (v.), to enjoy, to possess. 2/0 VOCABULARY jouissance,/., enjoyment. joujou, m., toy. jour, m., day, daylight, daybreak; tous les — s, every day ; faire — , to be daylight. journal, ;//., newspaper. journaliste, m., journalist. journée,/., day, battle. joyeusement (adv.), cheerfully, joy- fully. joyeux (adj.), joyful, merry. judiciaire (adj.), judicial. juge, m., judge. jugement, judgment, trial, sen- tence. juger (v.), to judge, to pass sen- tence. juillet, w., July. jumeau, m. (/ jumelle), twin. jurer (v.), to swear. juré, m., juryman, juror, jury, m., jury. jusqu'à (prep.), until, up to, as far as, even ; — ce que, until. jusque (prep.), even, till. juste (adj. or adv.), just, right; au — , exactly. justement (adv.), just. justice,/, justice ; rendre la — , to administer justice. justificatif (adj.), vindicating, in proof. juvénile (adj.), juvenile. r (art.), for le or la. la (art.),/, the. la (pron.),/, her, it. là (adv.), there ; bas, yonder. lac, m., lake. lâcher (v.), to unloose, to release. ladre, m., stingy. laid (adj.), ugly, unsightly, homely. laideur,/., ugliness. laine,/, wool. laisser (v.), to let, to allow, to leave, to permit. lait, m. y milk. lambeau, m., shred, rag, piece. lame,/, slip, plate, blade. lamenter (v.), to bewail, to lament ; se — , to lament. lampe,/, lamp. lance,/, lance, spear. lancer (v.), to throw, to hurl. langage, m., language. langes, m. pi., swaddling-clothes. langue, /, tongue, language. languissamment (adv.), languidly. lapider (v.), to stone to death. laquelle. See lequel. lard, 7)1., bacon. large (adj.), wide, generous, liberal. largeur,/, breadth. larme,/, tear. larron, ;;/., thief. las (adj.), tired. lasser (v.), to tire out; se — , to get tired, to tire. latin {m. or adj.), Latin. laurier, 7n., laurel. le (art.), m., the. le (pron.), ?n., him, it. lécher (v.), to lick, lecon,/, lesson. lecture,/, reading. léger (adj.), light, slight. légèrement (adv.), lightly, incon- siderately. légèreté,/, lightness. législatif (adj.), legislative. légume, m., vegetable. lendemain, ??i., the next day, t/i ■; day after. lentement (adv.), slowly. lequel (pron.), m., whi-'h. les (art., pi.), the. les ipron.), them. lésine,/, stinginess. VOCABULARY 271 lestement (adv.), nimbly, cleverly. loger (v.), to lodge, to dwell. lettre,/, letter. logique,/, logic. leur (adj.), their. logis, in., house, home. leur (pron.), to them, them. loi,/, law. levée,/, raising, levy. loin (adv.), far, a great way off; lever (v.), to raise, to lift up, to de — ,from afar; plus —, further. levy; se — , to get up, to rise. lointain (adj.), remote, far off. lever, ;«., raising ; — du soleil, loisir, m., leisure. sunrise. Londres, m., London. lèvre,/, lip. long (adj.), long. lézard, w., lizard. longtemps (adv.), long, a long time. liane,/, bindweed. longuement (adv.), long, for a long libérer (v.), to liberate, to free. while, at length. liberté,/, liberty, freedom. longuette, dim. of longue. libertin (n. or adj.), free-thinker. loqueteux (adj.), all in rags. libre (adj.), free. lorgner (v.), to eye, to look at. lien, m., bond, tie, chain. lorrain (adj.), from Lorraine. lier (v.), to tie, to bind. lorsque (conj.), when. lieu, m., place, spot ; au — de, in- louer (v.), to praise, to eulogize. stead of. loup, in., wolf. lieue,/, league. lourd (adj.), heavy. lieutenant, in., lieutenant. lourdement (adv.), heavily. ligne,/, line. loyal (adj.), true, faithful, loyal. limite,/, limit, boundary. lu, pa. part, of lire. limpide (adj.), limpid, clear. lueur,/, glimmer, glare, dim light. lion, m., lion. lui (pron.), he, him, it, to him, to her. liqueur,/, liquor. to it. lire (v.), to read. luisant (adj.), shining, glossy. liseron, m., convolvulus. lumière,/, light. lisse (adj.), smooth, sleek. lumineux (adj.), luminous. liste,/, list, roll. lunaire (adj.), lunar, moon-shaped. lit, in., bed. lune,/, moon. litanie, /, litany. lustrer (v.), to give a gloss. liteau, m., stripe. lutte,/, scuiîfle, struggle. lithographie,/, lithograph. lutter (v.), to struggle, to contend. litière,/, straw. luxe, m., luxury. litre, in., litre (1.76 English pints). littéral (adj.), literal, exact. M littérature,/, literature. livre,/, pound. machinalement (adv.), mechanic- livrer (v.), to deliver, to deliver over, ally. to give, to give up. machine,/, machine, machinery. local (adj.), local. mâchoire,/, jawbone. locution,/, expression. mademoiselle,/, Miss. logement, m., lodgings. madrigal, m., madrigal. 2y: VOCABULARY magasin, m., store. magique (adj.), magic, magical. magistrat, ;«., magistrate. magnifique (adj.), magnificent, glori- ous. magot, VI., hoard, baboon. mai, m., May. maigre (adj.), lean, thin, meagre. main,/., hand. maintenant (adv.), now, at this time. maintenir (v.), to uphold, to sustain ; se — , to remain. mais (interj.), why. mais (conj.), but. maison,/, house, firm. maître, m.^ master. maîtresse,/', mistress. majesté,/, majesty. majestueux (adj.), majestic, stately. mal, m., ill, illness, evil, trouble. mal (adv.), badly. malade (adj.), ill, sick. maladie,/, illness, disease. maladresse,/, clumsiness. malaise, m., discomfort, uneasiness. mâle, w., male. mâle (adj.), male, manly. malfaiteur, w., evil-doer, malefactor. malgré (prep.), in spite of. malheur, m., woe, misery, misfor- tune. malheureusement (adv.), unfortun- ately. malheureux (adj.), unhappy, wretched, unfortunate. malin (adj.), sharp, knowing, clever. malsonnant (adj.), ill-sounding. Maltais, m., a Maltese. Malte,/, Malta. malveillance, /, malevolence, ill- will. maman,/, mamma, mother. mammouth, m., mammoth. manche,/, sleeve. mangeaille,/, food, victuals. manger (v.), to eat, to eat up, to squander away. mangeur, m., eater. manier (v.), to handle, to wield. manière,/, manner. manifeste, w., manifesto. manquer (v.), to fail, to miss, to be missing, to be lacking, to be want- ing, to run short. manteau, m., cloak, mantle. manufacture, /., factory, manufac- ture. maraud, m., knave. marbre, ;;?., marble. marchand, ;/z., merchant. marchand (adj.), trading, mercantile. marchandises,/ pL, goods, wares. marche,/, step, march. marché, w., market, bargain; bon — , cheap. marcher (v.), to march, to walk, to go, to go on. maréchal, m., marshal. marginal (adj.), marginal. mari, m., husband. mariage, ;/z., marriage, wedding. marier (v.), to marry, to join in wedlock ; se — , to get married. marine,/, navy. marionnette,/, puppet. maritime (adj.), maritime, naval. marque,/, mark. marquer (v.), to mark. marquis, m., marquis. marraine,/, godmother. marronnier,/, chestnut-tree. Marseille,/, Marseilles. marteler (v.), to hammer, to torment. martial (adj.), martial. martyr, ;«., martyr. mascarade,/, masquerade. masquer (v.), to mask, to hide. massacrer (v.), to slaughter. masse,/, mass, bulk, heap, body. massif (adj.), massive, solid. VOCABULARY ^71 massue,/, club. ménage, in., housekeeping, house- masure,/, shanty. hold. matelas, m., mattress. ménagement, m., caution, care, matelot, m., sailor, seaman. consideration. matériellement (adv.), materially. ménager (v.), to spare. maternel (adj.), motherly, maternal. ménagerie,/, menagerie. mathématiques, /. pi., mathemat- mener (v.), to lead, to take along. ics. ménétrier, m., fiddler. matin, w., morning. mensonge, m., lie, story. maturité,/, maturity. menteur, m., liar. maudit (adj.), cursed, confounded. mention,/, mention. maussade (adj.), sullen, cross. mentionner (v.), to mention, to maussadement (adv.), sullenly. speak of. mauvais (adj.), bad. menu (adj.), small. me (pron.), me, to me, myself. méprendre (se) (v.), to be mistaken. méchant (adj.), wicked, bad. mépris, in., scorn, contempt. mèche,/, wick. méprisant (adj.), scornful. méconnaître (v.), to misappreciate, méprise,/, mistake, error. to misjudge. mépriser (v.), to despise, to scorn. mécontenter (v.), to displease. mer,/, sea. médecin, m., doctor, physician. merci, m., thanks. médiocre (adj.), poor, indifferent, mercure, in., mercury. moderate. mère, /, mother. médiocrement (adv.), moderately, merinos, m., merino. hardly. mérite, m., merit. médire (v.), to speak ill. mériter (v.), to deserve, to merit. meilleur (adj.), better, best. merveille,/, marvel, wonder. mélancolie,/, melancholy, sadness. merveilleux (adj.), wonderful, mar- mélancolique (adj.), melancholy. vellous. dismal, doleful. mes, pi. of mon or ma. mélancoliquement (adv.), mourn- messieurs, pi. of monsieur. fully. mesure, /, measure ; à — , by de- mélange, m., mixture, mixing. grees ; à — que, in proportion as. mélanger (v.), to mix. mesurer (v.), to measure. mêlée,/, close fight, scuffle. métal, m., metal. mêler (v.), to mix ; se — de, to méthode,/, method. meddle with. métier,/, trade, business. membre, m., member. mètre, m., meter (about i yard 3^ même (adj.), same, self; lui , inches). elle , etc., himself, herself, etc. mets, m., dish. même (adv.), even; de — , in the mettre (v.), to put, to put on, to same way, likewise. place ; se — à, to begin, to set mémoire, m., memorial, memoir. about. mémoire,/, memory. meuble, in., piece of furniture. menacer (v.), to threaten. meule,/, mill-stone. 274 VOCABULARY meurt, ind. près, of mourir. meurtre, w., murder. meurtrier (adj.), killing, murderous. meurtrir (v.), to bruise. meurtrissure,/, bruise. microscope, m., microscope. midi, ?n., noon, south. miel, m., honey. mien (le) (pron.), mine. mieux (adv.), better ; le — , the best, mignon (adj.), pretty, delicate. milan, 7n., kite. milice,/, militia. milieu, m., middle, midst, middle term, medium, society, company. militaire, ;;z., soldier. militaire (adj.), military. mille (adj.), thousand. [lion). milliard, /;z., billion (a thousand mil- millier, m., thousand. mimique,/., mimicry. mince (adj.), thin. mine,/., look, bearing, appearance. minime (adj.), very small. ministère, m., ministry, cabinet, minister's offices. ministériel (adj.), ministerial. ministre, j?i., minister, member of the cabinet. minute,/, minute. miracle, fn., miracle, wonder. miraculeux (adj.), miraculous, mar- vellous. miroir, m., mirror. mis, pa. part, of mettre. misérable (adj.), wretched, miser- able. misérablement (adv.), miserably, wretchedly. misère,/, misery, distress. miséricorde,/, mercy. mobilier, m., furniture. mobilisation,/, mobilization. mode,/, fashion, mode. modèle, m., model, pattern. modération,/, moderation. modéré (adj.), moderate. modeste (adj.), modest, unassum- ing. modifier (v.), to modify, to alter. moellon, m., rough stone. mœurs,/ pi., morals, manners. moi (pron.), me, to me, myself, I. moindre (adj.), lesser, smaller, least. moine, m., monk, friar. moins (adv.), less, least; à — que , . . ne, unless; au — , at least; du — , at least, at any rate. mois, 7/1., month. moite (adj.), moist. moitié,/, half. moment, m., moment. monarchie,/, monarchy. monarchique (adj.), monarchical. monarque, Jii., monarch. mondain (adj.), worldly. monde, i?t., world, people, society ; tout le — , everybody. monnaie,/, money, coin. monosyllabe, m., monosyllable. monotonie,/, monotony. monsieur,/;?., gentleman, sir. Mister. montagne,/, mountain. monter (v.), to go up, to ascend, to mount. montrer (v.),J:o show. moquer de (se) (v.), to laugh at, to make sport of. moquerie,/, mockery, jeering. moral (adj.), moral. morale,/, morality, morals, ethics. moralisation,/, improvement. morceau, m., bit, piece. mordre (v.), to bite. morgue,/, haughtiness. morne (adj.), gloomy, dull. mort,/, death. mort, pa. part, of mourir. mortel, m., mortal. mortel (adj.), deadly, mortal. VOCABULARY 275 mortuaire (adj.), funereal. narine,/, nostril. morue,/, cod-fish. narrateur, m., narrator. mot, m., word. natal (adj.), native. motte,/, clod. nation,/, nation. mouche,/, fly. national (adj.), national. moucher (se) (v.), to blow one's nature,/, nature. nose. naturel, in., disposition, nature. mouchoir, ?;/., handkerchief. naturalness, native. moulin, w., mill. nature! (adj.), natural. mourir (v.), to die; se — , to be naturellement (adv.), naturally, of dying. course. mousse,/, froth, foam. navet, m., turnip. moustache,/, mustache. navire, ifi., ship, vessel. mouton, m., sheep, mutton. ne (adv ), not, no ; ne . . . pas, not, mouture,/, grinding. no ; ne . . . que, only, nothing mouvement, m., motion, movement, but, but. animation. né, pa. part, of naître. moyen, m., means, way. néanmoins (adv.), nevertheless, muet (adj.), dumb, speechless. however. mulet, ??i., mule. néant, ;«., nothing, nothingness. multiplication,/, multiplication. nécessaire (adj.), necessary. munition,/, ammunition. négliger (v.), to neglect. mur, m., wall. nègre, }?i., negro. mûrier, m., mulberry-tree. neige,/, snow. murmure, m., murmur, purling. nerf, ni., nerve. murmurer (v.), to murmur, to net (adv.), right off, plainly. grumble. nettoyer (v.), to clean. muscle, m., muscle, thew. neuf (adj.), nine. musicien, m., musician. neuf (adj.), new. musique,/, music. neveu, m., nephew. musulman (n. or adj.), mussulman. nez, m., nose. mutin (adj.), sprightly, mischievous. ni (conj.), neither, nor ; ni ... ni. mutuel (adj.), mutual. neither . . . nor. mystérieusement (adv.), mysteri- niche,/, dog-house, kennel. ously. Nicolas, 7n., Nicholas. mystérieux (adj.), mysterious. nid, in., nest. nier (v.), to deny. N niveau, m., level. noble, ?n., nobleman. naïf (adj.), artless, ingenuous. noble (adj.), noble. nain, m., dwarf. noblesse, /, nobility, nobleness. naissant (adj.), rising, just begin- dignity. ning to grow. noce, /, wedding-feast, wedding naître (v.), to be born. party. nappe,/, table-cloth. noir (adj.), black, dark. 276 VOCABULARY noisette,/., hazel-nut. nom, m., name. nombre, m., number. nombreux (adj.), numerous. nomination,/., nomination, appoint- ment. nommer (v.), to name, to appoint, to elect, to call ; se — , to be called. non (adv.), no, not; — pas, not. nord, m., north. normand (n. or adj.), Norman, Northman. Normandie,/., Normandy. nostalgie, /, nostalgia, homesick- ness. note,/, note. noter (v.), to note, to remark. nouer (v.), to tie, to knot. noueux (adj.), knotty. nourrice,/, nurse. nourrir (v.), to feed. nourrissant (adj.), nutritious. nourrisson, m., nursling. nourriture,/, food. nous (pron.), we, us, to us, our- selves. nouveau (adj.), new; de — , anew, over again, again. nouvel. See nouveau. nouvelle,/, news, intelligence. nouvelle, fem. of nouveau. nouvellement (adv.), newly. noyer (v.), to drown; se — , to be drowned. nu (adj.), naked, bare, nude. nuance,/, shade. nuancer (v.), to shade. nuire (v.), to injure, to do harm. nuisible (adj.), harmful, noxious. nuit,/, night. nuitamment (adv.), by night. nul (adj.), no, not one. numéro, m., number. obéir (v.), to obey. obéissance,/, obedience. objet, 7n., object, thing. obligatoire (adj.), compulsory. obligeance, /, obligingness. obligé (adj.), necessary. obliger (v.), to oblige, to compel, to call upon, obscur (adj.), dark, obscure, obscurément (adv.), obscurely, obscurité /., darkness ; dans 1' — , in the dark. observateur, m., observer, observer (v.), to observe, to keep ; faire — , to observe, obstinément (adv.), obstinately, obtenir (v.), to obtain, occasion,/, opportunity, occasion, occasionner (v.), to occasion, to bring about. occuper (v.), to occupy, to employ, to busy ; s' — de, to attend to. Océanie,/, Oceania, octobre, m., October, octogénaire, w., octogenarian, ode,/, ode. odeur,/, smell. odieux (adj.), odious, hateful, ceil, m., eye ; coup-d' — , glance, œuf, 7n., egg. offense, m., offence. offenser (v.), to offend. office, 171., position, place, officiel (adj.), official. officiellement (adv.), officially, officier, w., officer, offrir (v.), to offer, to hold out. oh ! (interj.), oh ! oignon, w., onion; soupe à 1' — , onion soup, oiseau, 771., bird, oisiveté,/, idleness, olive,/, olive. VOCABULARY 277 ombre,/., shade, shadow. ouest, m., west. omettre (v.), to omit, to leave out. oui (adv.), yes. omnibus, m., omnibus. ours, m., bear. on (pron.), one, people, they. outrage, m., outrage, insult. oncle, m., uncle. outre (prep.), besides, in addition ongle, TH., nail. to. onze (adj.), eleven. outre (adv.), further, beyond; onzième (adj.), eleventh. passer —, to go further; en — , opéra, fn., opera. besides. opinion,/., opinion. ouverture,/, opening, aperture. opposer (v.), to oppose. ouvrier, m., workman, artisan. opposition,/, opposition. ouvrir (v.), to open. opulent (adj.), wealthy, opulent. oxygène, m., oxygen. or, ;«., gold. or (conj.), now. P orage, m., storm. orange,/, orange. pacifique (adj.), pacific, peaceful. orateur, m., speaker, orator. païen {m. or adj.), pagan, heathen. ordinaire, m., custom, practice; à paille,/, straw. r — , as usual. pain, 7?i., bread. ordinaire (adj.), usual, ordinary. paire,/, pair, brace. ordonner (v.), to order, to command. paisible (adj.), peaceful, undis- ordre, i?i., order. turbed. oreille, /, ear; prêter 1' — , to lis- paix,/, peace. ten, to pay attention. palais, m., palace, palate. organe, ;;/., organ. palatin (adj.), palatine. organisation,/, organization. pâle (adj.), pale. organiser (v.), to organize. pâlir (v.), to grow pale. orgie,/:, revel. palmier, m., palm-tree. orgueil, m., pride, arrogance. panier, m., basket ; — au bois, Orient, w., Orient, East. wood-basket. oriental (adj.), oriental, eastern. pape, w., pope. originalité,/, originality. paperasse,/, old paper. origine,/, origin, descent. papier, t?t., paper. orner (v.), to adorn, to decorate. papillon, in., butterfly. orphelin, /«,, orphan. paquet, m., parcel, bundle. OS, ;/z., bone. par (prep.), by, through, with. oser (v.), to dare. parade,/, parade, show. oter (v.), to take away, to take off, parage, ui., degree, birth; de to snatch. haut — , of high degree. ou (conj.), or, either; — bien, or paraître (v.), to appear, to seem, to else. make one's appearance. oil (adv.), where, in which. parallèle (adj.), parallel. oubli, m., forgetfulness, oversight. paralytique (adj.), paralytic. oublier (v.), to forget. parapet, m., parapet. 2/8 VOCABULARY parapluie, m., rain-umbrella. parasol, m., parasol. parc, m., park. parcelle,/, part, particle. parce que (conj.), because. parchemin, m., parchment; pi., titles. parcourir (v.), to go over, to travel over. pardon, w., pardon. pardonnable (adj.), pardonable, ex- cusable. pardonner (v.), to forgive, to par- don. pareil, ?n., equal. pareil (adj.), alike, like, such. parent, m., parent, kinsman, relation. paresse,/., laziness, idleness. parfait (adj.), perfect. parfaitement (adv.), perfectly, cer- tainly. parfois (adv.), sometimes. parfum, m., perfume, fragrance. parfumer (v.), to perfume. parier (v.), to bet, to wager. parler (v.), to speak, to talk. parler, m., way of speaking, speech. parmi (prep.), among, amongst, of. paroissial (adj.), parish. parole,/, word. parquet, m., floor. parrain, m., godfather. part, /, share, part ; quelque — , somewhere ; nulle — , nowhere, anywhere ; à — , aside. partager (v.), to share, to divide. partant (adv.), therefore. parti, m., party, match, side, de- cision. particulier (adj.), peculiar, private, special. particulièrement (adv.), particu- larly. partie, /, part, game ; faire — de, to be a part of, to belong to. partir (v.), to set out, to depart, to go off, to begin ; à — de, from. partisan, m., partisan. partout (adv.), everywhere. parvenir (v.), to arrive, to succeed. pas, m., step. pas (adv.), not. See ne . . . pas. passablement (adv.), rather. passage, vi., passage, crossing. passager, ;;/., passenger. passant, ?n., passer-by. passé, fn., past. passeport, ?fi., passport. passer (v.), to pass, to pass by, to pass away, to go beyond, to cross, to spend ; se — :, to happen, to take place ; se — de, to do with- out. passion,/, passion. passionné (adj.), impassioned, pas- sionate. pâté, fn., pie. pâtée,/, paste, mess. paternel (adj.), paternal. pathétique (adj.), pathetic. patiemment (adv.), patiently. patience,/, patience. pâtir (v.), to suffer. pâtissier, m., pastrycook. patois, m., dialect. patrie, /, native country, country, fatherland. patriotisme, in., patriotism. patron, m., employer. patte,/, paw, foot, leg. pâture,/, food, nutriment. paupière /, eyelid. pauvre (adj.), poor. payable (adj.), payable. payement, m., payment. payer (v.), to pay. pays, m., country, home, fellow- countryman. . Pays-Bas, m. pi.. Low Countries, Netherlands. VOCABULARY 279 paysage, m., landscape, scenery, paysan, m.^ peasant, peccadille,/., peccadillo, péché, î?i., sin. pécher, (v.), to sin, to offend, to fail, pêcher (v.), to fish. pêcher, m., peach-tree. peignoir, w., dressing-gown, peindre (v.), to paint, to depict, peine, /., trouble, difficulty, grief; à — , scarcely. peintre, m., painter, artist, peinture,/, painting, picture, pelé (adj.), with its hair off. pèlerin, m., pilgrim. pelote,/, ball, pelure,/, peel, paring, penchant, m., inclination, pencher (v.), to incline, to lean, pendant (adj.), hanging, dangling. pendant (prep.), during; — que, while, whilst. pendre (v.), to hang, to hang down, pénétrant (adj.), keen, acute, sharp, pénétration,/, penetration, pénétrer (v.), to penetrate; se — , to impress one's mind, pénible (adj.), painful, péniblement (adv.), painfully, with difficulty, pensée,/, thought, penser (v.), to think, pensif (adj.), pensive pension, /, board, boarding-house, boarding school ; annuity, pen- sion, pensionnaire, m., boarder, percale, /!, cotton cambric, perceptible (adj ), perceptible. percer (v.), to pierce, to bore, to open. percher (v.), to perch, perdre (v.), to lose, to ruin ; se — , to lose one's way, to be lost. père, m.y father. perfectionner (v.), to perfect, to improve. perfidie,/, treachery, guile. péril, w., danger. période,/, period. périr (v.), to perish. permettre (v.), to permit, to allow. perpétuel (adj.), perpetual, end- less. perpétuellement (adv.), perpetu- ally. perplexe (adj.), perplexed. persan (w., or adj.), Persian. persécuter (v.), to persecute. personnage, m., personage. personne, /, person; (with ne) nobody, no one, anybody, any one. persuader (v.), to persuade, to con- vince. perte,/, loss. peser (v.), to weigh, to be a burden. peste,/, plague. pétillant (adj.), sparkling. petit (adj.), small, little, short. petit-fîls, m., grandson. petite-fille,/, granddaughter. petitesse,/, smallness. peu, w., little ; un — , a little, rather, somewhat. peu (adv.), little, few ; — à — , by degrees. peuple, m., people, tribe. peupler (v.), to people. peuplier, ?n., poplar. peur,/, fear, fright. peut, ind. près, of pouvoir. peut-être (adv.), perhaps. peuvent, ind. près, of pouvoir. peux, ind. près, of pouvoir. pharmacien, m., druggist. phénomène, 711., phenomenon. Philadelphie,/, Philadelphia. philanthropie, /, philanthropy. philomathique (adj.), philomathic philosophe, m., philosopher. 28o VOCABULARY philosophique (adj.), philosophical. phrase,/;, sentence. physionomie, /., physiognomy, countenance. pic, m,, peak ; à — , steep, perpen- dicular. pie,/, magpie. pièce, /, piece, bit, patch, room, paper, document. pied, ?n., foot, footing. piédestal, tn., pedestal. piémontais (adj.), from Piedmont. pierre,/, stone. piètre (adj.), paltry. piler (v.), to pound, to crush. pillage, m., plunder. piller (v.), to plunder, to ransack. pincée,/, pinch. pipe,/, pipe.^ piqué, m., quilting, piqué. piquer (v.), to prick, to sting, to nettle, to pique.' piquet, m., stake pirate, m., pirate. piraterie,/, piracy. pire, m., the worst. pire (adj.), worse. Pirée (le), m., Piraeus. pistolet, m., pistol. pitié,/, pity. pitoyablement (adv.), pitifully. pivoine,/, peony. place,/, place, square, situation, placer (v.), to place, to put, to in- vest. plafond, m., ceiling. plaie,/, wound, sore, plague. plaindre (v.), to pity, to lament; se — , to complain. plaine,/, plain. plainte, /, complaint, wail. plaire (v.), to please, to be pleas- ant ; se — , to take delight, to be delighted. plaisant (adj.), pleasant. plaisanterie,/, joke. plaisir, m., pleasure; faire — , to give pleasure, to please. plaît (ind. près, of plaire) s'il vous — , if you please, plan, m., plan, plancher, m., floor, ceiling, planchette,/, httle shelf, planète,/, planet, plantation,/, plantation, plat, m., dish. plat (adj.), flat, level, platane, m., plane-tree, platane, plein (adj.), full, pleur, m., tear, pleurer (v.), to weep, to weep for, to mourn. pleuvoir (v.), to rain, pli, m., fold. plier (v.), to fold, to fold up. plonger (v.), to plunge, to dip, to sink, to dive, plu (pa. part, of plaire.) pluie,/, rain, plume,/, feather, pen. plupart (la), /, most, the greatest part. plus (adv.), more, most; le — , the most ; ne — , no longer, no more ; non — , nor .... either; de — , more, further ; — ... — , the more . . . the more, plusieurs (adj.), several, plutôt (adv.), rather, sooner, poche,/, pocket, poêle, ??i:, stove, poème, ?n., poem, poésie,/, poetry, poem, poète, m., poet. poignée, m., handful, handle, fasten- ing. poing, m., fist ; coup de — , blow. point, m., point, speck (adv.), not. pointe, /, point, tip ; en — , ending in a point, pointed. VOCABULARY 281 pois, m., pea. poisson, m., fish. poitrine,/], chest, breast. poivre, m., pepper. polaire (adj.), polar. pôle, ;;/., pole. poli (adj.), polite. police,/., police. politesse,/, politeness, civility. politique,/"., policy, politics. politique (adj.), political, shrewd. politiquement (adv.), politically. poltron, m., coward. polyglotte (adj.), polyglot. pomme,/, apple; — de terre, po- tato. pompeux (adj.), pompous. ponctuel (adj.), punctual, exact. pont, m., bridge. populaire (adj.), popular. population,/, population. pore, m., pig. port, m., port, bearing. porte, /, door, gate. porte-monnaie, m., purse, pocket- book. portée, f., reach ; à sa — , within his reach. portefaix, m., porter. porter (v.), to carry, to bear, to wear. portière, /, window, door. portion, /., portion, part. portrait, m., portrait, picture. Portugal, 7?i., Portugal. poser (v.), to lay, to put down, to place. positif (adj.), positive. posséder (v.), to possess. possession,/, possession. possible (adj.), possible. poste, m., post. postillon, m., postilion. pot, m., pot. potage, m.f soup. potée,/, potful. pouce, m., thumb. poudre,/, powder. poudreux (adj.), dusty. poule,/, hen. poumon, m., lung. poupée,/, doll. pour (prep.), for, in order to, as for. pourquoi (adv.), why. pourra (fut. of pouvoir). pourrait (cond. of pouvoir). pourrions (cond. of pouvoir). poursuite,/, pursuit. poursuivre (v.), to pursue, to follow after. pourtant (conj.), nevertheless, though. pourvoir (v.), to provide, to supply. pourvu que (conj.), provided. poussée,/, pushing, growth. pousser (v.), to push, to urge on, to prompt ; — un cri, to scream. poussière,/, dust. pouvoir (v.), to be able, to be al- lowed, can, may. pouvoir, m., power. prairie, m., meadow, prairie. praticable (adj.), practicable, pass- able. pratiquer (v.), to practice. pré, m., meadow. préalable (adj.), previous. précaution,/, precaution. précepte, m., precept, rule. prêcher (v.), to preach. précieux (adj.), precious, valuable. précipice, m., precipice. précipitation, /, hurry, precipita- tion. précipité (adj.), hurried, hasty. précipiter (v.), to precipitate, to hurry, to hurl ; se — , to rush, to leap. précis (adj.), precise. précisément (adv.), precisely. 282 VOCABULARY précision,/., precision. prévenir (v.), to forewarn, to warn, précoce (adj.), precocious. to prevent. prédicateur, m., preacher. prévenu (adj.), prepossessed. préfecture,/., prefecture. prévision,/, prevision, anticipation. préférence,/, preference. prévoir (v.), to foresee. préférer (v.), to prefer. prévoyance,/, foresight. préfet, ?n., prefect. prier (v.), to pray, to beg, to ask. préjudiciable (adj.), injurious. primitif (adj.), primitive, early. premier (adj.), first. prince, 7n., prince. prendre (v.), to take, to capture, princesse,/, princess. to catch. principal (adj.), principal, chief. préoccupation, /, care, preoccupa- principe, rn., principle, element, be- tion. ginning. préoccuper (v.), to disquiet, to dis- printanier, of spring, youthful. turb ; se — , to be anxious. prirent (prêt, of prendre). préparateur, m., assistant. pris (pa. part, of prendre). préparer (v.) to prepare. prison,/, prison. prérogative,/, prerogative. prisonnier, m., prisoner, captive. près (adv.), near, near by ; — de, prit (prêt, of prendre). nearly ; à peu — , nearly, almost. privation,/, want, privation. prescription,/, prescription. privé (adj.), private. présence,/, presence. priver (v.), to deprive. présent, m., present, gift ; à — , now. privilege, m., privilege. at present. privilégier (v.), to privilege. présent (adj.), present. prix, 7?i., price, value. présenter (v.), to present, to hold probabilité,/, likelihood. out, to introduce. probable (adj.), likely, probable. préserver (v.), to preserve. probablement (adv.), likely, prob- président, ?n., president. ably. présomption,/, presumption. problème, m., problem. présomptueux (adj.), presumptu- procédé, m., process, proceeding. ous, over-bold. procès, m., law-suit. presque (adv.), nearly, almost. procession,/, procession. pressé, (adj.), pressed, crowded, in prochain, jh., neighbor. a hurry. proche (adj.), near. presser (v.), to press, to clasp. proclamer (v.), to proclaim. preste (adj.), nimble, quick. prodige, m., prodigy, wonder. prêt (adj.), ready. prodigieux (adj.), wondrous. prétendre (v.), to pretend, to intend. prodiguer (v.), to be lavish of. to claim, to maintain. produire (v.), to produce ; se — , to prêter (v.), to lend, to give ; se — , take place, to happen. to adapt itself, to lend one's self. professeur, m., professor, teacher. prêtre, m., priest. profession, /, profession. prévenance, /, obligingness. profil, m., profile. prévenant (adj.), kind, attentive. profit, m., profit, benefit. VOCABULARY 283 profiter (v.), to profit, to avail one's provj Jence,/, providence. self (of). pro-^ ince,/, province. profond (adj.), deep. provincial (adj.), provincial. profondément (adv.), deeply, pro- p-ovision,/, stock, supply ; pi., pro- foundly. visions. profondeur,/., depth. prude (adj.), prudish, prude. progéniture, /, progeny, offspring. prunelle,/, eye-ball, eye. progrès, m., progress. F-usse,/, Prussia. proie,/, prey. prussien (adj.), Prussian. projet, m., project, design, draught. pu (pa. part, of pouvoir). prolonger (v.), to prolong, to pro- public, m. or adj., public. tract. publier (v.), to publish. promenade, /., walk, walking. puis (adv.), then. outing. puiser (v.), to draw, to fetch. promener (v.), to take about ; se — , puisque (conj.), since, as. to walk. puissance, /, power; la toute , promesse,/, promise. omnipotence. Promethée, m., Prometheus. puissant (adj.), powerful, mighty; promettre (v.), to promise. tout , almighty. prompt (adj.), prompt, quick. puisse (subj. of pouvoir). promptement (adv.), promptly. punir (v.), to punish. promptitude,/, promptitude. purement (adv.), purely; — et sim- promulguer (v.), to promulgate. plement, simply. prononcer (v.), to pronounce, to pureté,/, purity. utter ; se — , to speak out, to de- put (prêt, of pouvoir). clare one's self. prophète, m., prophet. Q proportion,/, proportion. proposer (v.), to propose. quadrille, m., quadrille. proposition,/, proposal. quai, m., quay. propre (adj.), own, fit, clean, neat. qualité, /, quality. proprement (adv.), properly. quand (conj.), when, whenever. propreté,/, cleanliness. quant à (prep.), as for. propriétaire, m., owner, proprietor. quantité/, quantity. propriété,/, property. quarante (adj.), forty. prospère (adj.), prosperous, thriv- quart, m., quarter. ing. quartier, m., quarter. protecteur, m., protector, patron. quasi (adv.), almost. protection,/, protection. quasiment (adv.), almost. protéger (v.), to protect. quatorze (adj.), fourteen. protestant (n. or adj.), protestant. quatre (adj.), four. protestantisme, m., protestantism. quatre temps, m., ember days, fast- protester (v.), to protest. days. prouver (v.), to prove. quatre-vingts (adj.), eighty. provenir (v.), to proceed, to come. que (adv ), how, how much. 284 VOCABULARY que (interr. pron.), what. raison,/, reason; en — de, in pro- que (pron.), whom, that, which. portion to; avoir — , to be right. que (conj.), that, than, as, wh.^n; raisonnable (adj.), reasonable. ne . . . — (see ne). raisonnement, 771., reasoning, argu- quel (adj.), which, what, what a. ment. quelque (adj.), some, any, a few ralentir (v.), to slacken. (pi.), — ... que, whatever, what- ramasser (v.), to pick up, to take soever. up. quelquefois (adv.), sometimes. ramener (v.), to bring back. quelqu'un (pron.), some one, some- ramper (v.), to crawl, to creep, to body. fawn. querelle,/, quarrel. rançon,/, ransom. quereller (v.), to quarrel with ; rang, 771., rank. se — , to quarrel. ranger (v.), to put in order, to draw querelleur (adj.), quarrelsome. up. question,/., question. rapide (adj.), swift, rapid, quick. questionner (v.), to question. rapidement (adv.), swiftly, rapidly. queue,/, tail. rapiécer (v.), to patch. qui (pron.), who, which, that, what, rappeler (v.), to recall, to remind; whom. se — , to remember. quiconque (pron.), w^hoever. rapport, w., report, relation. quinze (adj.), fifteen ; — jours, fort- rapporter (v.), to bring back, to night. refer, to direct. quitter (v.), to leave, to part from. rapprochement, 771., drawing closer. quoi (interj.), what. rapprocher (v.), to bring nearer ; quoique (conj.), though, although. se — , to come nearer. quolibet, 771., jest, pun. rare (adj.), uncommon, rare, un- quotidien (adj.), daily. usual. rareté,/, scarcity, rarity. raser (v.), to shave. R rasoir, 771., razor. rassasier (v.), to satisfy, to satiate. raccommoder (v.), to mend. to fill. raccourci, 771., shortened, abridg- rassembler (v.), to assemble, to ment. gather, to call together. race,/, race. rassurer (v.), to reassure, to tran- raconter (v.), to tell, to relate. quillize. radieux (adj.), beaming. ratatiné (adj.), shrivelled. radis, 771., radish. ration,/, ration, allowance. raffinement, ?;z., refinement. rattraper (v.), to catch up, to over- raide (adj.), stiff. take. raie,/, line, streak. ravager (v.), to ravage, to plunder. railleur (adj.), bantering, jesting. ravin, w., ravine. railleusement (adv.), in a jesting ravir (v.), to enrapture, to delight. way. ravissement, m., rapture, ecstasy. VOCABULARY 285 rayon, m., ray. redresser (v.), to straighten, to rayonnement, m., radiancy, radi- redress, to correct. ance. réduire (v.), to reduce, to bring rayonner (v.), to irradiate, to beam. down, to compel. réalité,/., reality. réellement (adv.), really, actually. rebelle (adj.), rebellious. refermer (v.), to close again; se—, rebours, m., wrong way, contrary. to be closed. rebuter (v.), to repel, to spurn réfléchir (v.), to reilect, to ponder, away, to disgust ; se — , to be dis- to think. heartened. reflet, m., reflection, reflex. récent (adj.), recent, new. refléter (v.), to reflect. recevoir (v.), to receive, to get, to réflexion,/, reflection. admit, to accept. réforme,/, reform. rechercher (v.), to seek after, to réformer (v.), to reform. search out, to investigate. réfugier (se) (v.), to take refuge. rechigner (v.), to grumble. refus, m., refusal. récit, m., story, narration, recital. refuser (v.), to refuse. réclame,/, advertisement. regaillardir (v.), to cheer up. réclamer (v.), to claim, to demand. régaler (se), (v.), to treat one's to ask. self, to feast (upon). recommander (v.), to recommend. regard, m., look, glance ; en — , op- to request. posite. recommencer (v.), to begin again. regarder (v.), to look, to look at, récompenser (v.), to reward, to to consider. requite. regimber (v.), to resist; (speaking reconduire (v.), to take back, to of animals) to kick. show out. régime, m., rule, system, govern- reconnaissance,/, gratitude, thank- ment. fulness. région,/, region. reconnaître (v.), to recognize, to régir (v.), to rule, to manage acknowledge. registre, m., register. reconstruire (v.), to rebuild. règle,/, rule. recourber (v.), to bend round. règlement, m., rules, regulations. recouvrement, m., payment. régler (v.), to regulate, to order. recouvrer (v.), to re-cover. to settle; se — , to be regulated. recouvrir (v.), to cover, to re- guided. cover. règne, ni., reign. recueillir (v.), to collect, to gather. régner (v.), to reign, to rule, to reculer (v.), to go back. prevail. redevance,/, tenure. regret, m., regret. redevenir (v.), to become again. regretter (v.), to regret. redingote,/, frock-coat. régulier (adj.), regular. redire (v.), to repeat. régulièrement (adv.), regularly. redoutable (adj.), formidable, re- reine,/, queen. doubtable, dreaded. reinette,/, rennet apple. 286 VOCABULARY réitérer (v.), to repeat, to reiterate. rejeter (v.), to throw back, to fling back, rejoindre (v.), to rejoin. réjouir (v.), to rejoice, to cheer, réjouissance,/., rejoicing, relâcher (v.), to slacken, to relax, relever (v.), to raise, to raise up again, to pick up, to draw up ; se — , to rise again, to get up again, religieux (adj.), religious, religion,/, religion, creed, remarquable (adj.), remarkable. remarquer (v.), to remark, to notice, rembourser (v.), to redeem, to pay. remercier (v.), to thank, remettre (v.), to put back, to put on again, to deliver, to give, to send; se — , to begin again. remonter (v.), to go up again, to go back, to rise, to trace its origin back, remplacer (v.), to replace, to take the place of, to substitute. rempli (adj.), filled, full, remplir (v.), to fulfill, to fill, remporter (v.), to carry back, to win. remuer (v.), to move, to stir. renaître (v.), to be born again, to reappear, renard, m., fox. rencontrer (v.), to meet, to find; se — , to be found, to meet, rendez-vous, m., appointment, rendre (v.), to give back, to return, to render, to make, to do, to pay ; se — , to go, to repair. renfermer (v.), to shut up, to en- close, renouveler (v.), to renew ; se — , to be renewed, rente,/, income. rentrer (v.), to re-enter, to go in again, to draw in, to go home, to return. renverser (v.), to overthrow, to up- set. renvoyer (v.), to send back, to dis- miss. répandre (v.), to shed, to diffuse. reparaître (v.), to reappear. réparation,/, repair. réparer (v.), to repair, to mend. reparler (v.), to speak again. repartir (v.), to set out again. répartir (v.), to distribute. repas, m., meal. repasser (v.), to repass. répéter (v.), to repeat. repeupler (v.), to repeople. replier (v.), to fold up; se — , to coil one's self up. répliquer (v.), to reply, to rejoin. répondre (v.), to answer. réponse,/, answer. reporter (v.), to carry back, to take back ; se — , to go back. repos, m., rest, repose. reposer (v.), to rest, to abide ; se — , to rest, to be at rest, to rely. reprendre (v.), to take back, to recover, to resume, to reply. représentatif (adj.), representative. représentation, /, representation, display, show. représenter (v.), to represent, to picture. réprimer (v.), to repress, to check. reprise,/, darn. reproche, m., reproach, upbraiding. reprocher (v.), to reproach, to up- braid. reproduction,/, reproduction. républicain (n. or adj.), republican. république,/, republic. répugner (v.), to be repugnant. réputation,/., reputation. VOCABULARY 287 réserve,/., reserve, reserves. retomber (v.), to fall, to fall again. réserver (v.), to reserve, to keep. retour, m., return, winding. réservoir, m., reservoir. retourner (v.), to return, to go back, résider (v.), to reside, to dwell. to turn over ; s'en —, to go back ; résidu, ni., residue, residuum. se — , to turn round. résignation,/, resignation. retracer (v.), to recount. résigner (v.), to resign. retrancher (v.), to cut off, to take résigner (se) (v.), to submit one's off, to intrench. self, to be resigned. rétrospectif (adj.), retrospective. résistance,/, resistance. retrouver (v.), to find again, to rec- résister (v.), to resist. ognize. résolu (pa. part, of résoudre). réunion,/, reunion. résolurent (prêt, of résoudre). réunir (v.), to assemble, to gather. résolution,/, resolution. to join, to collect ; se — , to meet. résonner (v.), to resound, to ring. réussir (v.), to succeed. résoudre (v.), to resolve, to decide. revanche,/, revenge; en — , in re- respect, m., respect. turn. respecter (v.), to respect. rêve, m., dream. respiration,/, breathing. réveiller (v.), to awake, to rouse. respirer (v.), to breathe. révéler (v.), to reveal. responsable (adj.), responsible, revendication,/, claim. answerable. revenir (v.), to return, to come ressembler (v.), to resemble, to look back; — à soi, to come to one's like. self again, to recover one's self. ressentir (v.), to feel. revenu, m., income. resserrer (v.), to tighten, to con- rêver (v.), to dream. tract ; se —, to contract. révérence,/, courtesy, bow. ressort, m., spring, impulse. révérer (v.), to revere. ressource,/ resource, expedient. rêverie,/, revery, musing. ressusciter (v.), to revive. rêveur (adj.), dreamy, musing, pen- restaurant, w , restaurant. sive. restaurer (v.), to restore, to revive. revivre (v.), to live again, to revive. reste, m., rest, remainder, remains ; revoir (v.), to see again. du, au — , besides. révolter (v.), to rouse, to rebel. rester (v.), to stay, to remain. révolution,/, revolution. restreindre (v.), to restrict, to limit. révolutionnaire (n. or adj.), revolu- rétablir (v.), to re-establish, to re- tionist, revolutionary. store. revolver, m., revolver. retenir (v.), to withhold, to retain, révoquer (v.), to revoke. to keep back. revue,/, review. retentir (v.), to ring, to resound, to rez-de-chaussée, m., ground-floor. echo. rhéteur, m., rhetorician. retiré (adj.), retired. Rhin, m., Rhine. retirer (v.), to pull off, to get off, to rhum, fn., rum. take off ; se —, to withdraw. rhume, m., cold. 288 VOCABULARY riche (adj.), rich, wealthy. rouble, m., ruble (about 80 cents). richement (adv.), richly. rouge (adj.), red, flushed. richesse,/, wealth ; — s, riches. rouge-gorge, m., robin-redbreast. rideau, jn., curtain. rougir (v.), to redden, to blush. rider (v.), to wrinkle. rouille,/, rust. ridicule, m., ridiculousness. rouler (v.), to roll, to roll up, to ridicule (adj.), ridiculous. revolve. rien, w., nothing, anything. route, /, road ; en — , on the way ; rieur, m. (or adj.), laugher, laughing. se mettre en — , to start, to set merry. out. riflard, jn., (slang) umbrella. roux (adj.), red, red-haired. rigoureusement (adv.), rigorously. royal (adj.), royal. rigoureux (adj.), severe, hard. royaume, m., kingdom. rigueur,/., rigour, severity. royauté,/, royalty. riposter (v.), to reply, to retort. ruche,/, hive. rire (v.), to laugh;— de, to laugh rude (adj.), hard, severe. at. rudement (adv.), roughly. rire, m.., laughter. rudesse,/, harshness, roughness. risée,/, laughing-stock. rue,/, street. rissoler (v.), to brown. ruiner (v.), to ruin. rivière,/, river. ruse,/, artifice, deceit, trick. riz, m., rice. russe (adj.), Russian. robe,/, gown, dress, coat. Russie,/, Russia. rocher, m.^ rock. rustique (adj.), rustic. roi, m., king. rustre (adj.), boorish. rôle, m., part ; jouer un —, to act a part. S romain (n. or adj.), Roman. roman, m., novel, romance. sa (adj.), her, its, his. rompre (v.), to break, to break off. sabot, m., wooden shoe. rond (adj.), round. sabre, m., sword, sabre. ronde,/, round. sac, m., sack, bag. rondelet (adj.), plump. saccager (v.), to plunder, to ran- rondement (adv.), quickly. sack. rondeur,/, openness. sachant (près. part, of savoir). ronfler (v.), to snore. sacre, m., coronation, anointing. ronger (v.), to gnaw, to pick. sacré (adj.), sacred, holy. rosbif, m., roast beef. sacrer (v.), to crown, to anoint. rose,/, rose. sacrifier (v.), to sacrifice, to give up. rose (adj.), pink. sagace (adj.), shrewd, sagacious. rosée,/, dew. sage, m., wise man. rosier, w., rose-bush, rose-tree. sage (adj.), wise, discreet, well- rosser (v.), to thrash. behaved. rôt, m. y roast. sagesse,/, wisdom, good sense. roturier (m. or adj.), plebeian. saillie,/, sally. VOCABULARY 289 saint, m., saint. dais (ind. près, of savoir). saisir (v.), to lay hold of, to seize ; se — de, to seize, saison,/;, season. sait (ind. près of savoir), sale (adj.), dirty. salle, /., hall, room ; — à manger, dining-room, salon, m., parlor, drawing-room, saltimbanque, m., mountebank, clown, saluer (v.), to salute, to bow. salut, m., salute, bow, greeting, safety. sang, m., blood. sang-froid, m., coolness, composure, sanglant (adj.), bloody. sanguinaire (adj.), sanguinary, bloodthirsty. sans (prep.), without, but for. sansonnet, m., starling, santé,/;, health. sapin, m., fir, fir tree, sarcophage, m., sarcophagus, satiété,/;, satiety, satirique (adj.), satirical, satisfaction,/, satisfaction. satisfaire (v.), to satisfy, to gratify. saucisson, m., sausage. sauf (prep.), save, excepting. sauter (v.), to jump, to skip, to hop. sautillant (adj.), hopping, skipping. sauvage (adj.), wild, savage. sauver (v.), to save, to rescue; se — , to run away, savant, m., scholar, learned man. savant (adj.), learned, savate (adj.), old shoe, savoir (v.), to know. Saxe,/, Saxony. saxifrage,/., saxifrage. scandaliser (v.), to scandalize, to shock ; se — , to be scandalized. scène,/, scene. science,/, science. scientifique (adj.), scientific. scrupule, w., scruple. scrupuleux (adj.), scrupulous. sculpteur, m., sculptor. sculpture, f., sculpture. se (pron.), himself, herself, them- selves, itself, one's self, each other, one another. séance,/, sitting, meeting. seau, in., pail, bucket. sec (adj.), dry, dried, gaunt, spare. sèchement (adv.), drily, curtly. sécher (v.), to dry, to wither. sécheresse,/, dryness, aridity. second (adj.), second. seconde,/, second. seconder (v.), to second, to help. secouer (v.), to shake. secourir (v.), to help, to assist. secours, m., help, assistance, relief. secousse,/, shock, shake. secret, in., secret, secrecy. secret (adj.), secret. sécurité,/, security. séduire (v.), to seduce, to delude. seigneur, m., lord. sein, m., bosom, breast, midst. seize (adj.), sixteen. seizième (adj.), sixteenth. séjour, m., stay, residence. sel, m., salt. selon (prep.), according to ; — que, according as. semaine,/, week. semblable (adj.), like, similar. sembler (v.), to seem, to appear. Sénat, m., Senate. sénateur, m., senator. Sénégal, m., Senegal. sens, m., sense, meaning. sensation,/, sensation, feeling. sensibilité,/, sensibility, sensitive- ness, feeling. 19 290 VOCABULARY sensible (adj.), sensible, obvious, sensitive, feeling, sentence,/!, sentence, saying, maxim, sentier, m., path, footpath, sentiment, m., feeling, sentiment, sensation. sentimental (adj.), sentimental, sentinelle,/!, sentry, guard, sentinel, sentir (v.), to feel, to smell ; se — , to feel. séparément (adv.), separately, apart, séparer (v.), to separate, to part, to sever ; se — , to part, sept (adj.), seven. septembre, m., September, sequin, m., sequin, zecchin. serf, m., bondman, sérieux (adj.), serious, serin, m., canary bird, serrer (v.), to tighten, to press close, to press ; se — , to press close, to shrink, servante,/!, housemaid, servant, service, m., service, serviette,/, napkin, servir (v.), to serve, to attend, to be used; se — de, to use. ses (pi. of son or sa), seuil, m., threshold, door-sill, seul (adj.), alone, only, single, seulement (adv.), only, merely, but. sévère (adj.), severe, strict, sévir (v.), to act with vigor, to chastise. sexe, m., sex. si (conj.), whether, if; (adv.), so, so much, yes. siècle, m., century, age. siege, ;/z., siege, seat, siéger (v.), to sit. siffler (v.), to whistle. signaler (v.), to give a signal, to point out, to signalize, signe, m., sign. signer (v.), to sign. signification,/!, meaning, signir! -ca- tion. signifier (v.), to signify, to mean. silence, m., silence. silhouette,/!, silhouette, outline. sillon, m., furrow. simple (adj.), simple. simplement (adv.), simply. simplicité,/!, simplicity. singe, m., monkey. singulier (adj.), singular, peculiar. sinistre, m., disaster, casualty. sinistre (adj.), sinister, weird. sinon (conj.), otherwise, unless it be, except. sinueux (adj.), winding, sinuous. sire, m., sire. sitôt (adv.), as soon, so soon. situation,/!, situation, position. six (adj.), six. sobre (adj.), sober. sociable (adj.), sociable. social (adj.), social. société,/., society. sceur,/, sister. soi (pron.), one's self, himself, itself, soie,/, silk. soigné (adj.), neat. soigner (v.), to take care of. soigneusement (adv.), carefully. soin, m., care. soir, 7n., evening. soirée,/, evening, evening party. soit (conj.), either; — que, whether. soixante (adj.), sixty. sol, 7n., ground, soil. soldat, jjt., soldier. solder (v) to pay. soleil, m., sun ; au — , in the sun- shine. solennel (adj.), solemn. solitairement (adv.), solitarily, alone. solive,/, joist. solliciter (v.), to solicit. VOCABULARY 291 solliciteur, w., solicitor, petitioner. soumettre (v.), to submit, to con- sollicitude,/, solicitude. quer. sombre (adj.), gloomy, dark, dingy. soumis (pa. part, of soumettre). sommairement (adv.), succinctly, soumission,/, submission, submis- summarily. siveness, obedience. somme,/., sum. soupçon, m., suspicion. sommeil, m., sleep. soupe,/, soup. sommet, m., summit, top ; — de la soupente,/, loft. tête, crown. souper (v.), to sup, to take supper. son, m., sound. souper, m., supper. son (adj.), his, her, its. soupir, m., sigh. songer (v.), to think, to dream. souple (adj.), supple, pliant, yielding. sonner (v.), to ring, to sound, to souplesse,/, pliantness, suppleness. ring for. source,/, source, spring. sonnette,/, bell. sourcil, rn., brow ; froncer le — , to sonore (adj.), ringing. knit one's brow. sorbet, m., sherbet (water-ice). sourciller (v.), to knit one's brow. sort, w., fate. sourd (adj.), deaf, secret. sorte,/, kind, sort, species, manner ; sourire (v.), to smile. en quelque — , in a manner ; de — sourire, m., smile. que, so that ; de la — , in this way. sous (prep.), under, below. sortie,/, going out. sous-directeur, m., sub-director. sortir (v.), to go out, to get out, to soutenir (v.), to hold up, to sustain. come out, to proceed. to maintain. sot, m., fool. souterrain (adj.), underground. sot (adj.), foolish, silly. soutien, m , support. sou, m., sou. souvenance,/, remembrance. ^ souci, m., care. souvenir de (se), (v.), to remember. soucier (v.), to disturb; se — , to souvenir (se), (v.), to remember. care, to be concerned. souvenir, m., remembrance. soucoupe,/., saucer. souvent (adv.), often, frequently. soudain (adv.), suddenly. souverain (adj.), sovereign. souffle, m., breath. spacieux (adj.), spacious, roomy. souffler (v.), to blow, to breathe. spécial (adv.), special. soufflet, m., bellows. spectacle, m., sight, spectacle, per- souffrir (v.), to suffer. formance. souhaiter (v.), to wish. spectre, m., ghost. souiller (v.), to soil, to blemish, to spéculation,/, speculation. contaminate. sphère,/, sphere, orb. soulager (v.), to relieve, to alleviate, spirituel (adj.), spiritual, clever. to assist. witty. soulèvement, m., insurrection. spontané (adj.), spontaneous. soulever (v.), to raise, to stir up, to squelette, m., skeleton. lift up. stationnaire, m., guard-ship. soulier, m., shoe. statuaire, m., statuary. 292 VOCABULARY statue,/, statue. strict (adj.), strict, precise. stupide (adj.), stupid. stupidité,/, stupidity. style, m., style. stylet, m., stiletto. su (pa. part, of savoir). subir (v.), to undergo, to endure. sublime (adj.), sublime. subordonné (adj.), subordinate. subside, ??i., subsidy. subsister (v.), to subsist, to live. substance,/, substance. sue, m., juice, sap. succéder (v.), to succeed ; se — , to succeed one another, succès, 7)1., success. successeur, m., successor, succomber (v.), to fall, to succumb, to yield, succursale,/, branch, sucre, m., sugar. suffire (v.), to suffice, to be sufficient, suffoquer (v.), to suffocate, to be choked, suffrage, m., suffrage, suif, m , tallow, suite,/, rest, sequel, sequence ; tout de — , at once, suivant (adj.), following, suivant (prep.), according to. suivre (v.), to follow, sujet, m., subject, superficiel (adj.), superficial, superfîuité,/, superfluity. supérieur (adj.), upper, superior, higher. superstitieux (adj.), superstitious, supplément, fn., supplement, extra, supplice, m., torture, torment, supplier (v.), to entreat, to implore, supplique,/, petition, prayer. supposer (v.), to suppose, to imagine, suppression,/, suppression. supprimer (v.), to suppress. suprême (adj.), supreme. sur (prep.), on, upon, over, about. sûr (adj.), sure, certain. suranné (adj.), obsolete, antiquated. sûreté,/, safety. surface,/, surface. surhumain (adj.), superhuman. surlendemain, m., third day. surmonter (v.), to rise above, to surmount, to overcome. surnommer (v.), to surname. surnuméraire, m., supernumerary. surprendre (v.), to detect, to surprise. surprise,/, surprise. sursaut, m., start ; en — , with a start. surtout (adv.), above all, chiefly, especially. surveiller (v.), to watch over, to look after. survenir (v.), to arise, to come up. survivre (v.), to outlive, to survive. susciter (v.), to raise up, to stir up. suspect (adj.), suspicious, sus- pected. suspendre (v.), to suspend, to hang. sut (prêt, of savoir). svelte (adj.), slender. symétrie,/, symmetry. sympathique (adj.), engaging, con- genial. tabac, m., tobacco. table,/, table. tableau, m , picture. tablier, m., apron. tache,/, spot, stain. tâche,/, task. tact, m., tact. taille,/, size, shape, stature, height, waist. tailler (v.), to cut, to cut out. VOCABULARY 293 taire (se) (v.), to hold one's tongue, terreur,/, terror, dismay. to keep silent. terrible (adj.), terrible, awful. talent, m., talent. territoire, m., territory. talon, m., heel. territorial (adj.), territorial. tancer (v.), to chide. terroir, m.., soil. tandis que (conj.), while, whilst. testament, m,, will. whereas. tête, /, head ; — à —, alone to- tant (adv.), so much, so many, as; gether. much, as many, as long; en — têtu (adj.), stubborn. que, in so far as. théâtre, w., theatre, stage. tante,/, aunt. thermomètre, m., thermometer. tantôt (adv.), by and by, just now; tic-tac, m., ticking, pit-a-pat. — ... — ..., now . . . now. tiède (adj.), lukewarm, warm. tapage, w., racket, noise. tien (lej (pron.), yours, thine. tapisserie,/., tapestry, hangings. tient (ind. près, of tenir). tard (adv.), late. tiers (adj.), third. tarder (v.), to delay, to be long. tigre, /;z., tiger. tasse,/, cup. timbre, m., tone. tâter (v), to feel. timide (adj.), timid, bashful. tâtonner (v.), to grope one's way. timidité,/, timidity, bashfulness. teint, m., complexion. tintement, m., toll, tolling. teinter (v.), to tint. tirade,/, passage, tirade. tel (adj.), such; —que, such as; tirer (v.), to draw, to draw out, to — quel, such as it is. take, to pull, to pull out, to derive, télégraphe, m., telegraph. to shoot ; se — de, to get out of, tellement (adv.), so much, so. to come off. témoigner (v.), to testify, to express. tiroir, m., drawer. témoin, /«., witness. tison, m., firebrand. tempérance,/, temperance. tisonner (v.), to poke. température,/, temperature. titre, m., title. tempête,/, storm, tempest. toi (pron.), you (lit., thee). temple, in., temple. toile,/, linen ; — cirée, oilcloth. temps, m., time, weather. toilette,/, dress, dressing. tendre (v.), to stretch, to hold out. toit, m., roof. tendre (adj.), tender, loving. tolérance,/, tolerance. tendresse,/, fondness, love. tolérant (adj.), tolerant. ténébreux (adj.), dark, gloomy. tombeau, m., tomb. tenir (v.), to hold; se — , to stay, to tomber (v.), to fall, to fall down. keep, to be held ; — à, to care for. ton, m., tone, color. tenter (v.), to attempt, to try to. tondre (v.), to clip, to graze. terme, m., term, word. tonneau, m., cask. terminer (v.), to end, to finish. tonnerre, m., thunder. terre, /, land, earth , de — , earthen ; torrent, w., torrent. par—, à—, on the ground, on tort, m., wrong ; à — , wrongfully. land. tôt (adv.), soon, early. 294 VOCABULARY total, m., total, sum. trancher (v.), to cut, to decide, to touchant (adj.), affecting, touching. solve, to contrast. toucher (v.), to touch, to feel, to tranquille (adj.), quiet, peaceful. reach ; — à, to meddle with. tranquillement (adv.), quietly. touffe,/., tuft, clump. transformer (v.), to transform, to toujours (adv.), always, ever, still. change. tour, m., turn, round, front (of hair). transparent (adj.), transparent. tour,/, tower. transporter (v.), to convey, to carry tourelle,/, turret. away. tourmenter (v.), to torment, to travail, m., work. worry. travailler (v.), to work. tourner (v.), to turn, to turn out. travailleur, ;;/., worker. tournoyer (v.), to whirl round and travers, w., breadth; à — , through; round. en —, crosswise, across ; de — , tourterelle,/, turtle-dove. awry. tousser (v.), to cough. traverser (v.), to cross. tout, m.j everything, all ; du — , at traversin, m., bolster. all. trébucher (v.), to stumble. tout (adj. or pron.), all, the whole, treillage, m., trellis, latticework. any, quite. tremblement, 7n., trembling; — de tout (adv.), wholly, entirely, quite ; terre, earthquake. — à fait, quite ; — à coup, sud- trembler (v.), to tremble. denly. trempe,/, stamp, constitution. toutefois (adv.), however, still. tremper (v.), to soak, to dip. tragédie,/, tragedy. trente (adj.), thirty. tragique (adj.), tragic, tragical. trépas, m., death. trahir (v.), to betray. trépigner (v.), to stamp. trahison,/, treachery, treason. très (adv.), very, much. train, ?;;., way, course. trésor, m., treasure. traîneau, m., sleigh. tressaillir (v.), to start, to give a traînée,/, trail, train. start. traîner (v.), to drag, to draw; se — , tribu,/, tribe. to drag one's self along. tribunal, m., tribunal, court. traire (v.), to milk. tricolore (adj.), tricolored. trait, m., feature; dash, stroke tricot, in., knitting. trait, act, draught. triomphant (adj.), triumphant. traité, ?/?., treaty. triompher (v.), to triumph ; — de, traitement, ?«., treatment. to overcome. traiter (v.), to treat, to negotiate. triste (adj.), sad, gloomy. traître (n. or adj.), treacherous, trai- tristesse,/, sadness. tor, wretch. trois (adj.), three. trajet, m., distance, way. trombe,/, waterspout. tranchant (adj.), sharp. tromper (v.), to deceive, to delude; tranchant, w., edge. se — , to be mistaken. tranche,/, slice. s trône, m., throne. VOCABULARY 295 trop, m., excess. vaguement (adv.), vaguely. trop (adv.), too, too much, too many ; vaillamment (adv.), valiantly, gal- par — , rather too. lantly. trop-plein, m., overflow, excess. vain (adj.), vain ; en — , in vain. tropique, m., tropic. vaincre (v.), to defeat, to conquer, trotter (v.), to trot, to walk. to overcome. trottiner (v.), to amble along. vainement (adv.), vainly, in vain. trou, m., hole. vainqueur, m., conqueror, victor. trouble, m., disturbance, confusion. vainqueur (adj.), victorious. troubler (v.), to disturb, to upset, to vais (ind. près, of aller). put out ; se — , to be confused. vaisselle,/, plates and dishes. troupe,/, troop. valet, m., valet, manservant. trouver (v.), to find, to think ; se — , valeur,/, value, valor, gallantry. to happen to be, to be. valise,/, portmanteau, valise tube, m., tube. vallée,/, valley. tuer (v.), to kill. valoir (v.), to be worth ; — mieux, tuile,/., tile. to be preferable. Tunis,/, Tunis. valse,/, waltz. Turc, rfi. (or adj.), Turk, Turkish. vanité,/, vanity. Turquie,/, Turkey. vanter (v.), to praise ; se — , to boast, tutelle,/, guardianship. to brag. type, w., type. vapeur, m., steamer. vapeur,/, vapor, steam. u vaquer (v.), to attend. un (art. or adj.), a, an; one. varié (adj.), varied. uni (adj.), smooth, level. variété,/, variety. uniforme, m., uniform. vase, m., vase. unique (adj.), only, single. vassal, m., vassal. uniquement (adv.), only. vaste (adj.), vast, immense. unir (v ), to unite. vécu (pa. part, of vivre). univers, i?i., universe. végétal (adj.), vegetable. universel (adj.), universal. veille,/, the day before, eve. urbanité,/, urbanity. veillée,/, evening, evening party. usage, m., use, custom ; faire — de, veiller (v.), to sit up, to keep awake, to make use of. to watch ; — à, to attend to. user (v.), to use, to consume. veine,/, vein. utile (adj.), useful. velléité,/, vague desire. velours, i?i., velvet. V velu (adj.), hairy. vendre (v.), to sell. va (ind. près, or imper. of aller). vénérable (adj.), venerable. vacances,/ pi., holidays. vénérer (v.), to venerate, to revere. vacarme, m., uproar. vengeance, /, revenge, vengeance. vache,/, cow. venir (v.), to come. vague (adj.), vague, empty. Venise,/, Venice. 2g6 l^OCABULARY vénitien {?n. or adj.), Venetian. vent, m., wind. ventre, j?t., belly. verdâtre (adj.), greenish. verdeur,/, vigour. véritable (adj.), real, true, genuine. vérité, /., truth ; à la — , to say the truth. vermeil (adj.), red, ruddy. verre, m., glass. verrez (fut. of voir). verriez (cond. of voir). vers, 7fi., verse, line of poetry. vers (prep.), near, tow^ard, about. versant, w., side, slope. verser (v.), to pour out, to shed. vert (adj.), green. vertu,/, virtue. verveine,/, verbena, vervain. Vestale,/., vestal. vestibule, ?«., hall, vestibule. vêtement, m., garment, piece of clothing. vêtir (v.), to clothe. veulent (ind. près, of vouloir). veut (ind. près, of vouloir). veuve,/., widow. viande,/, meat. victime,/, victim. victoire,/, victory. • victorieusement (adv.), victoriously. victorieux (adj.), victorious. vide (adj.), empty, unoccupied. vider (v.), to empty; se — , to be- come empty. vie,/, life. vieil (form, of vieux before a vowel). vieille,/, old woman. vieille (adj.), (fem. of vieux). vieillerie,/, old thing. vieillesse,/, old age. vieillot (adj.), rather old, old-fash- ioned. viendrais (cond. of venir). Vienne,/, Vienna. vienne (subj. of venir), vierge,/, virgin. vieux (adj.), old. vif (adj.), alive; lively, animated, intense, brisk, sharp, vigile,/, vigil. vigne,/, vine. vigoureux (adj.), vigorous, sturdy, vilain, 7n., bondman, villein, scurvy fellow, vilain (adj.), ugly, unsightly, nasty, wretched. village, m., village, villageois, m., countryman, village people, ville,/, city, town, vîmes (prêt, of voir), vin, m., wine ; esprit de — , spirits of wine, alcohol, vingt (adj.), twenty. vingtaine,/, about twenty, vinrent (prêt, of venir), vint (prêt, of venir), violemment (adv.), violently, violence,/, violence, violent (adj.), violent, violer (v.), to violate, to transgress, violon ;«., violin, vis (prêt, of voir), vis-à-vis (prep.), opposite, towards, visage, m., face, countenance, visible (adj.), visible, obvious, vision,/, vision, dream, visite,/, visit, call, visiter (v.), to visit, visiteur, ?«., visitor, caller, vit (prêt, of voir), vital (adj.), vital. vite (adv.), quickly, vitre,/, pane of glass, vivace (adj.), vivacious, vivacité,/, vivacity, liveliness, vivant (adj.), alive, living, vivement (adv.), quickly. vivre (v.), to live. VOCABULARY 297 voici (adv.), here is, here are, this is. voie,/, way, course. voilà (adv.), that is, there is. voile, m., veil. voir (v.), to see, to perceive, to ex- amine ; faire — , to show. voisin (adj. or n.), near, neighbor. voit (3rd pers. sing. ind. près, of voir). voiture,/., carriage, cab. voix,/., voice. vol, m., flight, robbery. ^ volant, m., flounce. volcanique (adj.), volcanic. volée,/, peal. voler (v.), to fly. voleur, m., thief, robber. volontaire, m., volunteer. volonté,/, will. volontiers (adv.), willingly, readily, usually. voltiger (v.), to hover. volubilité,/, volubility. volume, m., volume. volupté,/, voluptuousness. voter (v.), to vote. votre (adj.), your. vôtre (le, la) (pron.), yours. voudra (fut. of vouloir), voudrais (cond. of vouloir), vouloir (v.), to wish, to want, to re- solve, vous (pron.), you, to you, yourself. voyage, m., travel, journey, voyager (v.), to travel, voyageur, m., traveller, passenger, voyons (près. ind. of voir), vrai (adj.), true, vraiment (adv.), truly, indeed, vu (pa. part, of voir), vue,/, sight, view, eyes, vulgaire (adj.), vulgar. y (pron.) to it, at it, by it, by them, to them, at them, y (adv.), there. yeux (pi. of ceil). zèle, m., zeal, zéro, ?n., zero. Zoroastre, m., Zoroaster. FOR THE STUDY OF ENGLISH English Language, Composition and Rhetoric. Elements of Language and Gf ammar . ( Based upon '' First Lessons in English,") Edited by J. M. Greenwood, A.M. 224 pp. . ,48 Studies in English Grammar. (Based upon " Lessons in English.") Edited by J. M. Greenwood, A.M. 240 pp 60 The English Language and Its Grammar. By Irene M. Mead. 280 pp . .68 English Composition. By Alfred H. Welsh, A.M., 206 pp. . , .60 Complete Rhetoric. By Alfred H. Welsh, A.M., 352 pp. . . 1.12 Essentials of English. By Alfred H. Welsh, A.M. . , , .90 The "Writer. By George L, Raymond, L.H.D., and George P. Wheeler, Litt.D., Princeton University. 216 pp 90 Sixty Composition Topics. With Hints. By Jessie Macmillan Anderson. 42 pp 36 A Compendium of English Grammar. By J. N. Eno, A.M. Flex- ible cloth. 34 pp . . .30 First Lessons in English. By Alfred H. Welsh, A.M 48 Lessons in English Grammar. By Alfred H. Welsh, A.M. . . .60 Select English Classics. Edited by James Baldwin, Ph.D. Uniform, cloth. Price of each, 72 cents. Six Centuries of EngHsh Poetry 308 pp. The Book of Elegies, . 304 pp. The Famous Allegories, . . 304 pp. Choice English Lyrics, 368 pp. Irving's Sketch Book, Edited by James Chalmers, LL.D. 386 pp., 60 cents. Studies in English Classics. Edited, with notes, by Homer B. Sprague, A.M., Ph.D. Uniform, cloth, 48 cents, paper, 30 cents each. Including : Shakespeare's The Merciiasit of Venice; Macbeth; Hamlet; Julius Caesar ; As You Like It ; The Tempest ; A Midsummer Night^s Dream ; Scott's The Lady of the Lake; Goldsmith's The Vicar of Wakefield. Milton's Select Minor Poems. Edited, with biographical sketch and notes, by James E. Thomas. The Silver Series of English Classics. Edited by Alexander S. Twombly, Professor F. L. Pattee, and other eminent authors. Uniform size ; paper lined with linen. With portraits. Prices from 18 cents to 36 cents. Including: Webster's First Oration on Bunker Hill Monument ; Macaulay's Essay on Milton ; Z)^ Çî^/wc^jf'j Revolt of the Tartars ; Sonthey^s Life of Nelson; Coleridge's The Rime of the Ancient Mariner; Addison's Sir Roger de Coverly Papers; Milton's Paradise Lost, Books I. and II.; Burke's Speech on Conciliation with the American Colonies ; Carlyle's Essay on Burns ; Tennyson's The Princess ; Macaulay's Essay on Addison ; Pope's Trans- lation of Homer's Iliad, Books I., VI., XXII., XXIV.; Shakespeare's Macbeth j Dry- den's Palamon and Arcite. Text-Books for Higher Grades At Introductory Prices. STUDIES IN CIVIL GOVERNMENT. By William A. Mowry, Ph.D. 96 cents. The spirit of the book is to teach government as it is. — The Nation. HINTS ON TEACHING CIVICS. By George H. Martin, A.M., Supervisor of Boston Schools. 48 cents. An aid to teachers in making clear the fundamental principles of Civil Government. THE ELEMENTS OF DESCRIPTIVE ASTRONOMY. By Herbert A. Howe, Professor of Astronomy in the University of Denver, Col. ^1.36. The most lucidly written text on the subject that I have seen. — F. C. Jordan, Instructor in Astronomy, Marietta College, Ohio. THE EARTH AND ITS STORY: A First Book of Geology. By Angelo Heilprin, Professor of Geology, Academy of Natural Sciences, Philadelphia, ^i.oo. It is clearly written, simple, and popular in the best sense of the word, and should attract many to the study of the science. — James Geikie, F.R.S., Murchison Professor of Geology and Alineralogy, University of Edinburgh, Scotland. AN ELEMENTARY COURSE IN GENERAL BIOLOGY. By Prof. J. H. Pillsbury. 60 cents. A text-book for High Schools, Academies, and Colleges. ELEMENTS OF PSYCHOLOGY. By Prof. Noah K. Davis, of the University of Virginia. ^1.80. HISTORICAL GEOGRAPHY OF THE UNITED STATES. By Townsend MacCoun, A.M. 43 colored maps, with text. 90 cents. HISTORICAL ATLAS AND GENERAL HISTORY. By Robert H. Labberton. Royal 8vo, with 198 maps. ^82.00. Such geographical pictures are the best and surest way of teaching history. — A. H. Sayce, Professor of History, Oxford University, England, INSTITUTES OF GENERAL HISTORY. By President E. Benjamin Andrews, D.D., LL.D., of Brown University. ^2.00. A HISTORY OF AMERICAN LITERATURE. By Fred Lewis Pattee, Professor of English and Rhetoric, Pennsylvania State College. ^1.20. This book cannot fail to help in putting our literature in the right light before young students. — Prof. Moses Coit Tyler, Cornell University. Address the Publishers for Descriptive Circular's and Illustrated Catalogue, SILVER, BURDETT AND COMPANY, BOSTON . . . NEW YORK . . . CHICAQO. Oct B seoi SEP 24 1901 LIBRARY OF CONGRESS 0003110015A