Ulrich Middeldorf LES JARDINS. POE ME. ru- .V JAwr/tw />!•/ 7 Mats lari jhi\>)Uu;uo loul:lo lou,vaiu Alloient calmer leur foudre et reposer leur gloire. Il existe un monument tres precieux du godt et de la forme des jardins romains, dans une lettre de Pline le jeune. On y voit qu’on y connoissoit deja Part de tailler les arbres, et de leur donner differentes figures de vases ou d animaux ; que Parchitecture et le luxe des edifices £toient un des principaux ornemens de leurs pares ; mais que tous avoient un objet d’utilite : ce qu’on a trop ou- blie dans les jardins modernes. a 2 NOTES Page 3, vers 6. Philippe rrC encourage; et mon sujet m’appetle. Philippe. Ce mot designe Monsieur, Frere du Roi, alors Monseigneur le Comte d’ Artois. Page 4, vers 9. Belceil tout h-la-fois magnifique et champetre. Belceil est un jardin magnifique de M. le Prince de Ligne. Page 4, vers 11. Tel que ce frais bouton , Timide ceoant-coureur de la belle saison , L’aimable Tivoli , d'une forme nouvelle Jj Fit le premier en France entrevoir le mndele. Le local de Tivoli se refusoit aux grands effet a pittoresques ; mais M. Boutin a eu en effet le merit n d’en tirer le meilleur parti possible, £t sur-tout d’ayoirl premier essaye avec succes le genre irregulier. Page 4, vers 15. Les Graces en riant dessinerent Montreuil. Montreuil, pres Versailles, appartient a Madan *oj Elizabeth, soeur dU Roi. Aupres de ee jardin, et sdus }k DU CHANT I. v meme nom, est celm de Madame la Comtesse Diane de Polignac, Dame d’Honneur de cette Princesse. Page 4, vers 16. Maupertuis, le Desert , Rincy , Limours . Maupertuis. Ce jardin, connu sous le nom de V Ely see, appartient a M. le Marquis de Montesquiou. Si de belles eaux, de superbes plantations, un melange heureux de collines et de vallons font un beau lieu, l’Ely- see est digne de son aimable nom. Le Desert. Ce jardin a ete dessine avec beaucoup de gout par M. de Monville. Rincy. Ce beau jardin appartient a Monseigneur le Due d’ Orleans. Limours. Ce lieu naturellement sauvage, a 6t6 tres embelli par Madame la Comtesse deBrionne, et a perdu un peu de sa rudesse, sans perdre son caractere. Page 4. vers 20. Semblable cl son auguste etjeune deite , Trianon joint la grace avec la majeste. Le petit Trianon, jardin de la Reine, est un inodele de ce genre. La richesse v paroit avoir ete tou- :ours employee par le gout. £ 3 fl NOTES Page 4, vers 23. Et t oi , (Pun Prince aimable 6 Vasyle fidelle ! Dont le nom trop modeste est indigne de toi. II s’agit du joli jardin de Bagatelle, qui a ete compose avec beaucoup de gout pour Monseigneur Ie Comte d’Artois, et qui a l’avantage de se trouver place au milieu d’un bois charmant, qui semble en faire partie. Le pavilion est d’une elegance rare. ( * ) Page 8, vers 3, Fortune Pulhavi , qui seul obtins des dieux Les charmes que le del partage a d’autres lieux . Magnifique jardin appartenant a la Princesse Cras- toryska egalement distinguee par son esprit, sa haute naissance et l’elevation de son ame. Ce jardin est pres de Cracovie en Pologne. ( * ) Je ri ai pu nomnier tous les jar dins agreable qui ont ete faits depuis quelques annees. II en est plu sieurs qui auroient merite de Vetre; et de ce nombre soni la Falaise, Morfontaine, Roissy, la Malmaison, agreabi par la beaute de ses bois , de ses eaux, de see cues et a sa situation . DU CHANT I. vii Page 20, vers 26. Je ne decide point entre Kent at le Notre. Kent, architecte e't dessinateur fameux en Angleterre, fat le premier qui tenta avec succes le genre libre qui commence a se repandre dans toute PEurope. Les Chi- nois en. sent sans doute les premiers inventeurs. Page 22, vers 24. Tour ehercher un ami qui me parte du amir, SC c. Ce vers, comme on sait, est de Racine. L’ Auteur en feit Papplkation aux charmes du genre irregulier et na- fciarel, qui, moins eblouissant au premier coup d’ceil, est sans doute plus varie et d’un interet plus durable Page 23, vers 3. Regardiez dans Milton , SCc. PTusieurs Anglow pretendent que c’est cette belle des- criptions du paradis terrestre, et quelques morceaux de Spencer, qui ont donne Pidee des jardins irreguliers; et quoiqu’il soit probable, comme je Pai deja dit, que ce genre vient des Chinois, j’ai prefere P autorite de Milton comme plus podtique. D’ailieurs j’ai cru qu’on verroit avec plaisir toute la magnificence du plus grand roi du naonde, tous les prodiges des arts mis en opposition aveo vtu NOTES les charmes de la nature naissante, et l’innooenee des premieres creatures qui l’embellirent, et l’interet des pre- mieres amours. Je n’ai ni traduit ni meme imite Milton, qui a du decrire Eden plus longuement que mob I NOTES d v SECOND CHANT. Page 35, vers 1. Il est des terns affreux ou des champs de leurs peres , Des proscrits sont jetes aux terres etr anger es. Mr. Thomas Weld Esquire, a fournit un etablisse- ment aux Religieux de la Trappe, sur ses terres a Lul- worth pres Wareham. Page 50, vers 1(T. Je fen prerids cl temoin jeune Potaveri. C’est Te nom d’un habitant d’O-Ta'iti, amene en France >ar M. de Bougainvilte, celebre par plus d’un genre dc X NOTES courage, et connu si avantageusement, et comme militaire et comme voyageur. Le trait que je raconte ici de ce jeune O-Taitien, est tres connu ettres interessant. Jen’ai fait que changer le lieu de la scene, que j'ai placee au jardin royal des plantes. J’aurois voulu mettre dans mes vers toute la sensibilite qui respire dans le peu de mots qu’il prononqoit en embrassant l’arbre qu’il reconnut, el qui lui rappeloit sa patrie. C’est O-Taiti, disoit-ilj et ei regardant les autres arbres, ce n'est pas O-Tditi. Ains ces arbres et sa patrie s’identitioient dans son esprit. J’a cru que ce trait si touchant et si nouveau pourroit fourni un episode heureux. Page 50, vers 18. Ou V amour sans pudeur rC est pas sans innocence . On a remarque, dans tous les peuples ou la societe ; fait peu de progres, une certaine innocence dans le mceurs, tres differente de la reserve et de la pudeur qi accompagnent toujours la vertu dans les femmes de nations civilisees. Dans Tile d’O-Ta'iti, dans la plupaj des autres lies de la mer du sud, a Madagascar, &c. k femmes marie es croient se devoir exclusivement a Ieui maris, et manquent rarement a la fidelite conjugale : ma, les filles n’y attachent aucune idee de crime, ni meme d honte. Elies ne s’assujettissent, ni dans leurs discours, j dans leur habiliement, ni dans leurs maniere?, a ee qi DU CHANT II. xi nous regardons comme des devoirs pour leur sexe* Mais chez elles c’est simplicite, et non corruption; elles ne meprisent point les regies de la decence ; elles les igno- lent. Dans ce pays la nature est grossiere, mais elle n’y est pas depravee: voila ce que j’ai essaye de rendre par ce vers. Page 55, vers 6. Que votre art les pr omette, et que V ceil les espere Promettre, c’est donner ; esperer , c'estjouir. Ce dernier hemistiche se trouve dans line epitre charmante de M. de Saint-Lambert; c’est par reminis- cence qu’il s’ est glisse dans mon ouvrage. . ; N ■ V . WV tfu. ■ ■ NOTES D U TROISIEME CHANT. Page 64, vers 27. 7* sais que dans Harlem plus d'un triste amateur Au fond de sesjardins s'enferme avec sa Jleur, Harlem est une ville de Hollande, ou se fait un grand commerce de fleurs. On sait a quel degre d’extra- vagance des amateurs ont porte dans ce genre Pamour de la rarete et des jouissances exclusives. Page 66, vers 22. * Jfu haut des vrais rochersy sa demeure sauvage , La nature se rit de ses rocs contrefaits, NOTES xiv D'un travail impuissant avortons imparfaits. En general, on ne pent bien imiter les rochers, pas plus que tous les grands effets de la nature. Elle ne per- met a 1’art de tenter des hardiesses, que lorsqu’il combat avec toutes les ressources du genie et de l’opulence. C’est ainsi que s’est forme d’apres les dessins de M. Robert, le superbe rocher de Versailles, dont 1’effet ne peut etre devine que par Pimagination, qui le fait voir d’avance coiffe de beaux arbres, et orne de ce que le terns seul peut lui donner de vraisemblance et de beaute. Page 66, vers 26. Aux champs de Midleton , aux monts de Dovedale , Whately, je te suis; viens, j y monte avec toi. Ce sont deux sites d’Angleterre, fameux par les formes pittoresques de leur chaine de rochers, decrits par M. "Whately, dont j’ai, ainsi que M. Morel dans son charm ant traite des jardins, emprunte quelques traits, tel que celui de la cabane et du pont suspendus sur des precipices. Mais j’ai tache d’exprimer d’une maniere qui m’appartint, les sensations que font naitre ces aspects effrayans. NOTES D U QUATRIEME CHANT, Page 90, vers 13. Imitez Le Poussin . Aux fetes bocaglros II nous point les bergers et les jeunes bergeres. Ce fameux tableau est sans doute le plus beau des tableaux de pavsages. Si Ton ne savoit d’ailleurs combieri rimagination de Poussin s’etoit nourrie des ouvrages des grands poetes anciens, ce tableau suffiroit pour le prouver. Presque toutes les odes voluptueuses d’ Horace ont le meme caractere. Partout au milieu des fetes et des plaisirs, ilmontre la mort dans le lointain. “ ELUez-voys, dit-il ; “ qui sait si nous vivrons demain ? Nous moyrrons; il “ faudra quitter cette belie maison, cette femme char- NOTES x'vi il mante j et de tous ces arbres que vcrus cultivez, Ie seu “ cypres suivra son maitre, helas ! trop peu durable. ” C’est cette meme philosophic, puisce dans Ies poete tnciens, qui dictoit a Chaulieu ccs vers pleins d'une $ douce melancolie : Muses, qui dans ce lieu champetre Avec soin me fites nourrir, Beaux arbres qui m’avez vu naitre, Bientot vous me verrez mourir. Ces contrastes de sensations moitie voluptueuses, moiti tristes, agitant l’ame en sens contraire, font toujours un impression profomde; et c’est ce qui m’a engag 6 a jetc au milieu des scenes riantes des jardins la vue melancc lique des umes et des tombeaux consacres a I’amitie qii la vertu. Page 91, vers 14. Voyez sous ces vieux i/s la tombe ou vont se rendre Ceux qui , courbes pour vous sur des sillons ingrats y Au sein de la misere esperent le trepas. Dans ces vers consacres aux humbles sepultures d< habitans de Ja campagne, j’ai imite quelques vers d rimetiere de Gray. DU CHANT IV. xvii Page 102, vers 21. Mats loin ces monumens dont la vieillesse feints. Imite mal du terns l' inimitable empreinte. M. de Chabanon, dans une epitre fort agreable, ecrite en faveur des jardins du genre regulier, a remarque avant moi, que les vieux monumens reveilloient des souvenirs } avantage que n’ont pas les ruines factices. Cette idee se trouve dans d’autres ouvrages, et particulierement dans celui de M. Whately : et d’ailleurs, elle est si naturelle; qu’elle etoit facile a trouver. Peut-etre n’etoit-il pas aussi a »e de la bien rendre, surtout apres M. de Chabanon; mais si je me suis rencontre avec lui, ce que j’ai tache ' d’eviter, je repete que ses vers oht ete faits avant les » miens. Page 106, vers 20. Toi t surtout , brave Cook , Sic. Tout le monde connoit les voyages instructifs et cou- ■ rageux du celebre et malheureux Cook, et I’ordre qu« fit donner notre jeune roi de respecter son vaisseau sur toutes les mers; ordre qui fait un egal honneur aux sciences, a cet illustre voyageur, et au roi dont il devenoit, off . pour ainsi dire, le sujet par ce genre nouveau de bien- ’aisance'et de protection. FIN . De rimprimerie de Ph. Le Boussonnier, No. 5. Hollen Street , Soho • PREFACE PlUsieurs personnes dS*n grand me rile ont ecrit en prose sur les Jardins. L’ Auteur de ce poeme leur a em- prunte quelques preceptes, et meme quelques descriptions. Dans plusieurs endroits il a eu le bonheur de se rencontrer avec eux • car son poeme a ete commence avant que leurs ouvrages parussent. II ne dissimulera pas que c’est avec la plus grande defiance qu’il livre a 1’ impression cet ou- vrage trop attendu, et surtout trop loue. L’indulgence extreme de ceux qui l’ont entendu, lui est un garant trop sur de la rigueur de ceux qui le liront. Ce podme d’ailleurs a un tres grand inconvenient, celui d’etre un poeme didactique. Ce genre est necessairement un pe.u froid, et doit le paroitre encore davantage a une nation qui ne supporte guere, comme on l’a souvent re- rnarque, que les vers composes pour le theatre, et qui sonc la peinture des passions ou des ridicules. Peu de person- nes, je dirois meme peu de gens de lettres, lisent les Georgiques de Virgile; et tou9 ceux qui connoissent la Langue Latinc, savent par coeur le quatrieme livre 1 l’Eneide. Dans le premier de ces deux poemes, le poete pait p , regretter que les bornes de son sujet ne lui permettent J ^ de chanter les jardins. Apres avoir lutte long-tems con, ^ les details un peu ingrats de la culture generale c m champs, il semble desirer de se reposer sur des obj', r plus rians. Mais resserre dans les limites de son suieti , s’en est dedommage par une esquisse rapide et charmar £ des jardins, et par ce touchant episode d’un vieilla, i fi : heureux dans son petit enclos cultive par ses mains. ^ Ce que le Poete Romain regrettoit de ne pouvoir fair, a , le pere Rapin 1’a 'execute. T1 a ecrit dans la laneue , & \ ' tl quelquefois dans le style de Virgile, un poeme en quati j f , chants sur les jardins, qui eut un grand succes, dans u ^ terns ou on lisoit encore les vers latins modernes. Soi ^ ouvrage n’est pas sans elegance ; mais on y desireroit plu j de precision, et des episodes plus heureux. Le plan de son poeme manque d’aiileurs d’interet e, de variete. Un chant tout entier est consacre aux e 3 ux un aux arbres, un aux fleurs. On devine d’avance ce Ions catalogue et cette enumeration fastidieuse qui appartien plus a un botaniste qu’a un poete: et cette marche me* thodique, qui seroit un merite dans un traite en prose, est un tres grand defaut dans un ouvrage en vers, ou i’esprit demande qu’on le mene par des routes un peu detournees, et qu’on ltii presente des objets inattcndus; PREFACE. in t)e plus, 11 a chante les jardins du genre regulier, et la nonotonie, attachee a la grande regularite, a passe du* 1 ujet dans le poeme. L’imagination, naturellement amie He la liberte, tantot se promene peniblement dans les lessins contournes d’un parterre, tantot va expirer au I >out d’une longue allee droite. Partout elle regrette la u eaute un peu desordonnee et la piquante irregularite de ' i nature. r ‘ ! Enfln, il n’a traite que la partie mechanique de I’art ir es jardins. II a entierement oublie la partie la plus es- 3ntielle, celle qui cherche dans nos sensations, dans nos rc ;ntimens, la source des plaisirs que nous causent les ^enes champetres et les beautes de la nature, perfection- • ri *es par Part. En un mot, ses jardins sont ceux de l’ar- " titecte; les autres sont ceux du philosophe, du peintre >or du poete. I,u ! Ce genre a beaucoup gagne depuis quelques annees ; si c’est encore un efifet de la mode, il faut lui rendre II ace. L’art des jardins, qu’on pourroit appeler le luxe P agriculture, me paroit un des amusemens les plus ' = nvenables, je dirois presque les plus vertueux des per- " J ‘ines riches. Comme culture, il les ramene al’innocence ’’ s occupations champetres ; comme decoration, il favo- e sans danger ce gout de depenses, qui suit les grandes J tunes ; enfin il a, pour cette classe d’hommes, le double P™ antage de tenir a la fois aux gouts de la vilie et a ceux la campagne. a 2 IV PREFACE. Ce plaisir ties particuliers s’est trouve joint a l’utjlite publique : il a fait aimer aux personnes opulentes le sejour de leurs terres. L’ argent qui auroit entretenu les artisans' du luxe, va nourrir les cultivateurj; et la richesse retourne 1 a sa veritable source. De plus, la culture s’est enrichie d’une foule de plantes ou d’arbres etrangers ajoutes aux productions de notre sol, et cela vaut bien tout le marbre que nos jardins ont perdu. Heureux s! ce poeme peut repandre encore da vantage des gouts simples et purs ) car comme 1’ Auteur de ce poeme l’a dit ailleurs: “ Qui fait aimer les champs, fait aimer la vertu ” Tel etoit l’avertissement mis a la tete des premieres editions de cet ouvrage, l’Auteur a cm devoir y ajouter ce qui suit. Quelques Litterateurs Anglois ont cru que j’avois pris l’idee, et plusieurs details de ce poeme dans celui qu’a compose sur le meme sujet Mr. Mason digne ami de Mr. Gray. C’est avec plaisir que je rends justice a quantite de beaux vers qui distinguent cet ouvraee; mais je de- clare que long-terns avant d’avoir lu le poeme de Mr, Mason j’avois compose le mien, et 1’avois recite dans plusieurs seances publiques de l’Academie Francoise et du College Royal auxquels j ’avois Phonneur d’appartenir. Cette nouvelle edition a ete retardee par des obstacles imprevus dont le detail est inutile. La foiblesse de mes yteux et de mes moyens m’ayant empeche de visiter, PREFACE, v nme je me l’etois promis, les plus beaux jardins d’An- terre, je n’en ai cite qu’un petit nombre, celebres par r beaute ou par les souvenirs qu’ils yappellent. Tels t Blenheim, Stow et le jardin de Pope, si heureux ppartenir a un homiue plein de gout, qui, en conser- tt religieusement la demeure et les jardins de ce grand ite, rend a sa memoire Phommage a la fois le plus ipie et le plus honorable. Les premiers monumens in ecrivain fameux sont sa maison qu’'il a batie, les dins qu’il a plantes, la bibliotheque qu’il a formde. sst la, si Ton croyoit encore aux ombres, qu’il faudroit ircher la sienne. fe ne dois pas oublier d’avertir que ce poeme ay ant publie en 1782, cette epoque a laquelle serapportent morceaux les plus distingues de l’ouvrage, m’a impost loi de re rien admettre qui lui fut posterieur, dans les iitions que j’v ai faites. Ainsi quand j ’ai parle des dins d’Allemagne, tout ce que j’en ai dit a du s’v rap- ‘ter. Je ne me suis permis que deux exceptions a cette te d’epoque, mais sans les blesser. Elies se trouvent is Fepisode de? Religieux de la Trappe, et dans quel- es vers sur le charmant jardin de la Colline. Dans ces ix passages j’ai use de ce privilege d’esprit prophetique ’on attribuoit autrefois aux poetes, et j’ai presente les :s qu’ils rappellent, non comme avenus, mais comme ivant arriverj et par la l’unite d’epoque se trouve lservde autant qu,’elle pouvoit l’etre. «3 P R E F A C E. vi Je crois que c’est ici le lieu de rapporter la reponse que j’ai faite dans la Preface de l’Homme des Champs, a Mr. de M. qui a regarde, comme peu interessant, le sujet du Poeme des Jardins. Cette allegation est tellement | importante que je ne dois pas perdre 1’occasion de re- produce les reflexions qu’elle a occasionnees. Mr. de M. veut-il dire que ce genre de poesie ne pent exciter ces sccousses fortes et ces impressions profondes reservees a d’autres genres de poesie? je suis de son avis. Mais n’y a-t-il qud ce genre d’interet ? Eh quoi ! cet art charmant, le plus doux et le plus naturel et le plus vertueux de tous ; cet art que j’ai appele ailleurs le luxe de l’agriculture, que Les poetes eux-memes ont peint comme le premier plaisir du premier homme ; ce doux et brillant emploi de la richesse des saisons et de la fecondite de la terre, qui charijie la solitude vertueuse, qui amuse la vieillesse de- trompee, qui presente la campagne et les beautes agrestes avec des couleurs plus brillantes, des combinaisons plus heureuses, et change en tableaux enchanteurs les scenes j de la nature sauvage et negligee, seroit sans interet ! Mil- ton, le Tasse, Homere, ne pensoient pas ainsi, lorsque, dans leurs poemes immortels, ils epuisoient sur ce sujet les tresors de leur imagination. Ces morceaux lorsqu’on les lit, retrouvent ou reveillent dans nos cceurs le besoin des plaisirs simples et naturels. Virgile, dans ses Geor- giques, a fait d’un vieillard qui cultive auborddu Galese le plus modeste des jardins, un episode charmant, qui ne PREFACE, vii manque jamais son effet sur Ics bons esprits, et les ames sensibles aux veritables beautes cle Part et de la nature. Ajoutons qu’il y a dans tout ouvrage de poesie deux sortes d’interet, celui du sujet et celui de la composition. C’est dans les poemes du genre de celui que je donne au public, que doit se trouver au plus haut degre Pinteret de la composition. La, vous n’ofTrez au lecteur ni une action qui excite vivement la curiosite, ni des passions qui ebran- lent fortement l’ame. II faut done suppleer cet interet par les details les plus soignes, et par les agremens du style le plus brillant et le plus pur. C’est la qu’il faut que la justesse des idees, la vivacite du coloris, l’abondance des images, le cliarme de la variete, l’adresse des contrasted, une harmonie enchanteresse, tine elegance soutenue, at- tachent et reveillent continuellement le lecteur. Mais ce merite demande l’organisation la plus heureuse, le gout le plus exquis, le travail le plus opiniatre. Aussi les chcfs- d’oeuvres en ce genre sont-ils rares. L’Europe compte deux cents bonnes tragedies : les Georgiques et le poeme de luicrece, chez les anciens, sont les seuls monumens du .second genre; et tandis que les tragedies d’Ennius, de Pacuvius, la Medee meme d’Qvide, ont peri, Pantiquite nous a transmis ces deux poemes, et il semble que le genie de Rome ait encore veille sur sa gloire en nous conservant ces chefs -d’ oeuvres. Parmi les modernes nous ne connoissons guere que les deux poemes des Saisons, ^jiglois et francois, l’Art poetique de Boileau, et l’admi- a 4 P R E F A C E. ■viii cable Essai sur Thcmme de Pope, qui aient obtenu et conserve une place distinguee parmi les ouvrages de c genre de poesic. Un auteur justement celebre, dans une epltre imprime •long-terns apres des lectures publiques de quelques par- ties de cet ouvrage, a pani vouloir deprecier ce genre de composition. II nous apprend que le sauvage lui-memei chante sa maitresse, ses montagnes, son lac, ses foretsj ,sa pcche et sa cliasse. Quel rapport, bon Dieu ! entre la chanson informe de cc sauvage, et le talent de rhomma qui sait voir les beautes de la nature avec Pceil exerce da l’observateur, et les rendre avec la palette de rimaginaj lion ; les peindre, taatot avec les couleurs les plus riches! tantot avec les nuances les plus fines ; saisk cette corres4 pondance secreite, mais eter^elle, qui existe entre la nature phisique et !a nature morale, entre les sensation; deThomme et les ouvrages d’un Dieu; qtielquefois sortii heiyeusemeht de »on sujet par des episodes qui s’elevent jusqu’a Pintercpde h trageuie, ou jusqu’a la majeste de 1 'epopee ! C’est ici le lieu de repondre v a quelques cri- tiques, au moind rigoureuses, qu’on a fairer da Poeme dys Jardins. Peut-ctre est-il perm is., apres quinze ans de silence, de elite cher detruire I s impression facheuse que ces critiques out pu fatre. Les uns Uti on; reproche le 4 -• taut de plan. Tout homme de gout sent d’abord, qu'il etoir impossible de presenter uh plan parfaiu'ment n-gulier, eh tracant. des jardins (font IX P R E F A C E. Pirregularite pittoresque et le savant desordre font un des premiers charmes. Lorsque Rapin a eerit un poeme lafin sur les jardins reguiiers, il lui a ete facile de presenter dans les quatre chants qui le eomposent, 1°. les fleurs, 2°. les vergers, 3°. les eaux, 4°. les forets. T1 n’v a a cela aucun merite, parce qu'il n’y a aucune difficulte. Mais dans les jardins pittoresqucs et libres, ou tons ces objets sontsouvent meles ensemble, ou il a falu rcmonter aux causes philosophiques du plaisir qu’exite en nous la vue de la nature embellie et non pas tourmentee par Part ; ou il a falu exclure les alignemens, les distributions sy- metriques, les bcautes compassees; un autre plan etoit necessaire. L’autcur ado^c montre, dans le premier chant, Part d’emprunter a la nature et d’emplcyer heureusement les riches materiaux de la decoration pittoresque des jar- dins irreguliers, de changer les paysages en tableaux ; avec quel soin il faut choisir Pemplacement et le site, prohter de ses avantages, corriger ses inconveniens; ce qui dans la nature se prete ou resiste a l’imitation ; enfin la distinction des diflerens genres de jardins et de pav- sages, des jardins libres et des jardins reguiiers. Apres ces lecons gene rales viennent les dilferentes parties de la composition pittoresque des jardins ; ainsi le second chant a tout entier pour objet les plantations, la partie la plus importante du pavsage, et la beaute des perspectives et des vues etrangeres qui dependent de Partifice des plan- v tauons. Le troisieme renfermc des objets dont chacun a 5 PREFAC E. x ji’auroit pu remplir un chant sans tombcr clans la sterilile Jet la monotonie ; tels sont les gazons, les fleurs, les rochers et les eaux. Le quatrieme chant, enfin, contient la distribution des diderentes scenes majestueuses ou touchantes, volup- tueuses ou severes, melancoliques ou riantes; Fartifice avec lequel doi vent etre traces les senders qui y condui- sent; enfin ce que les autres arts, et particulierement 1’ agriculture et la sculpture, peuvent ajouter a Tart des pavsages. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que, sans* que F Auteur se le soit propose, ceplan accuse de desordre se trouve etre parfaitement le merae que celui de l’Art poetique, si vante pour sa regularite. En efTet Eoileau, dans son premier chant, traite des talens du poete et des regie® generates de la poesie ; dans le second et le troi- sieme, des chiTerens genres de poesie, de Fidylle, de Fode, de la tragcdie, de l’cpopee, &c. , en donnant, comme j’ai eut soin de le faire, a chaque objet une eten- due proportionnee a son importance ; enfin le quatrieme pliant a pour objet la conduite et les mocurs du poete, et le but moral de la poesie. Des critiques plus severes encore .ont reproche a ce pee me le defaut de sensibilite. Je remarquerai d’abord que plusieurs poetes ont eie cites comme sensibles, pour en avoir imite differens morceaux. Des personnes plus Indulgentes ont cru trouver de la sensibilite dans les re- grets que 1c petite a donne a la destruction de Fancier^ P 11 E F A C E. xi pare de Versailles, auquel il a attache des souvenirs de de tout ce qu’ofiroit de plus touchant et de plus majes- tueux un siecle a jamais memorable j dans la peinture des. impressions que fait surnous l’aspect desruines, morceau alors absolument neuf dans la poesie franqoise, et plusieurs fois imite depuis en prose et en vers. Elies out cm en trouver dans la peinture de la melancolie, naturelje- ment amenee par celle de la degradation de la nature vers la fin de l’automne. Elies ont cru en trouver dans cette plantation sentimentale qui a su faire des arbres jusrqu’alors sans vie, et pour ainsi dire sans memoire, des monumens d’amour, d’amitie, du retour d’un ami, de la naissance d’un fils ; idee egalement neuve a l’epoque ou le Poeme des jardins a ete compose, et egalement imitee depuis par plusieurs ecrivains. Elies ont cru en trouver dans Phommage que P Auteur a rendu a la memoire du celebre et malheureux Cook, Elies en ont trouve, enfin, dans l’episode touchant de cet Indien qui, regrettant, au milieu des pompes de Paris, les beautes simples des lieux qui Pavoient vu naitre, a Pas- pect imprevu d’un bananier ofFert tout -a- coup a ses yeux dans le jardin des plantes, s’elance, l’embrasse en fondant en larmes, et, par une douce illusion de la sensibilite, se croit un moment transporte dans sa patrie. D’ailleurs il est deux especes de sensibilite. L’une nous attendrit sur le malheur de nos egaux, puise son interet dans les rapports du sang, de l’amitie qu de Pamour, et PREFACE. xii peint les plaisirs ou les peines ties grandes passions qui font ou le bonheur ou le malheur des hommes. Voila la seule sensibilite que veulent reconnoitre plusieurs ecrivains. II en est une beaucoup plus rare et rion moins precieuse, C’est celle qui se repand, comme la vie, sur tovrtes les parties d’un ouvrage ; qui doit rendre interessantes les choses les plus etrangeres a l’homme; qui nous interesse au destin, au bonheur, a la mort d’un animal, et memc d’une plante; aux lieux que I’on a habites, ou l’on a ete eleve, qui ont ete temoins de nos peines ou de nos plaisirs ; a l’aspect melancolique des ruines. C’est elle qui inspi- roit Virgile lorsque, dans la description d’une peste qui moissonnoit tous les animaux, il nous attendrit presque egalement, et sur le taureau qui pleure la mort de son frere et de son compagnon de travail, et sur le laboureur qui laisse en soupirant ses travaux imparfaits. C’est elle encore qui l’inspire, lorsqu’au sujet d’un jeune arbuste qui prodigue imprudemment la luxuriance prematuree de son jeune feuillage, il demande grace au fer pour sa frele et delicate enfance. Ce genre de serisi- bilite est rare, parcequ’il n’appartient pas settlement a la tendresse des affections sociales, mais a une surabondance de sentiment qui se repand sur tout, qui anime tout, qui s’interesse a tout ; et tel poete qui a rencontre des vers tragiques assez heureux, ne pourroit pas ecrire six lignes de ce genre. PREFACE. xiii Des personnes, d’ailleurs tres estimables, ont fait a ce erne un reproche peut-etre encore plus serieux. C’est i n’avoir ete ecrit que pour les riches. Ainsi l’on s’est | me contre cet ouvrage cle l’interet qu’inspire la pau- ! ete, et on a pretendu que 1’ auteur avoit donne despre- ■ptes inexecutables pour elle. S’il s’agit de la pauvrete bsolue, eile a autre chose a faire que d’embcllir des pay- .ges. S’il s’agit de la mediocrite, je repondrai que j’ai 1 des jardins charmans, du genre que je recommande, ont la depense etoit tres inferieure a celle qu’ont neces- te des jardins beaucoup plus magnitiques et moins agre- bles. La plus grande partie de ces preccptes, avant pour bjet le plus heureux emploi des beautes de la nature, eut etre executee avec les moyens les plus mediocres, Drsque la situation et les accidents du paysage favorisent out du proprietaire. D’ailleurs, comment peut-on. giner qii’un poete, pour qui la campagne a eu-tant attraits, qu’elle a ^te l’objet d6 ses trois premiers ou- tages, ait dedaigne les hommes utiles a qui Ton doit ses ichesses ? Au reste il suffiroit pour toute reponse de citer es vers du premier chant : u Mais, ce grand art exige un artiste qui pense , “ Prodigue de gSnie et non pas de depense . ” On m’a accuse aussi d’avoir exige du decorateur des ardins l’imitation des grands effets de la nature, et par- itulierement des mpntagnes, et Ton a oublie que j’ai dtt itt parlant dqs montagnes factices : xiv PREFACE. “ Une humble monticule “ Vent Sire pit toresque, et n'est que ridicule. ” A l’egard des rochers, on trouvera ma reponse dans cos vers : u Du haut des vrais rochers , sa demeure sauvage , “ La nature sc rit de ces rocs contrefaits , “ /)’w« travail impuissant avortons imparfaits. ” S’il sagit de cp qu’on appclle des batimens ou des fabri- ques, le grand luxe des jardins d’aujourd’hui, on peut se rappeler les vers suivans : Maisj'en perrnets V usage, et j* en prose r is Vabus. “ Barniissez des jardins tout cet amas corf us “ D' edifices divers prodigues par la mode , ( * Obelisque , rotonde , et Jciosk et pagode ; “ Os batimens Romanis, Qrecs, Arabes , Chinois , iX Chaos d' architecture, et sans but et sans choix , “ Dont la profusion sterilemeni feconde, “ Enferme en un jar din les quatre parts du monde. ’ ' J’avois egalement proscrit une manie plus ficUcule, celle des mines factices, en disant : “ Mais loin ces monumens, dont la ruine feinte “ Imite mal du terns V inimitable empreinte; “ Tons ces temples anciens recemment contrefaits , “ Ces debris dun chateau qui id exista jamais, “ Ces vieux ponts nes d'hier, et cette tour gothique - ■ Ay ant V air delabre , sans avoir V air antique ; “ Simulacre hideux, artifice grossier: PREFACE. XV “ Je crois voir cet enfant tristement grimacier, “ Pour voir sa reno?icule y avant laube s’eveille; “ D'une anemone unique adore la merveille , “ Et d'un rival heureux enviant le secret, t( Achete au poids de V or les t aches d'un ceillet: il LaisseZ’lui sa manie et son amour bizarre; 11 Qu’ il possede en jaloux et jouisse en avare. ” Je pourrois done appliquer a ces critiques qui ont pre- sndu etre d’un avis different du mien, en disant en prose e que j’ai dit en vers, ce vers heureux de 1’Epitre des isputes : “ Soutenant contre vous ce que vous avez dit. ” Mais si j’ai ^u proscrire les fantaisies couteuses et de nauvais gout, je n’ai pas du exclure ce que la richesse >eut ajouter a la decoration des jardins, pourvu qu’on ’emploie avec gout et avec sobriete. J’ai done donne des jreceptes pour le§ fortunes mediocres, comme pour les grandes ; et j’ai Iaisse a tout le monde le droit de faire u 5 , jardin agreable, sans statue, sans fabrique, et sans tout c f luxe qui n’est point a la portee de la mediocrite, mai ^ qui donne a l’opulence la facilite d’ employer les artiste F d’une maniere utile pour eux, et honorable pour elle. K Enfin, vingt editions de ce poeme, des traductions Ai- v lemandes, Polonoises, Italiennes, deux Angloises en vers, repondent plus que suffisamment aux critiques les plus severes. L’ auteur ne s’est pas dissimule la defectuosite de plusieurs transitions froides ou parasites ; il a corrige ces defauts dans cette edition, qu’il a augmentee de plu- sieurs morceaux et de plusieurs episodes interessans, qui dcnneront un nouveau prix a cet ouvrage. C’est surtout pour annoncer cette edition avec quelqu’avantage, qu’il a | t&che de refuter les critiques trop rigoureuses que ce poeme a essuyees. On a vu que dans la preface de THomme des champs j’avois deja refute quelquesunes de ces critiques ; qu’il me soit permis de repondre aux principales objections que l’on a faites sur cette nouvelle production. On m’a reproche, com me une chose fort grave, de n’avoir pas annonce dans les premiers vers le plan de cet ouvrage. On pourroit refuter d’un mot cette critique, en observant que le legislateur de la poesie frantjoise dans le plus regulier, et le plus justement celebre des poemes didactiques n’a presente aucun plan. Cette autorite est tenement respectable que je n’en connois pas qu’on puissfi PREFACE. Xvii lui opposer : mais ce qui est bien plus extraordinaire, c’est que des censeurs bien plus severes encore ont pretendu que ceplan n’existoit pas, parce qu’il n’etoit pas annoncoeme. Cette settle exposition doit suffire a ceux qu r il dest pas impossible de contenter. On a pretendu que ces divisions ne tenoient pas esgen- iellement les unes awx autres; si on a voulu dire que :hacune pouvoit etre traitee separement, on a eu raisoo, ans rien prouver contre le plan de T auteur. Yirgile au~ oit pu faire un poeme stir -les vignes, un autre sur les noissons, d’autres encore sur les vergers, et sur les abeilles, luoique ces objets puissent se separer; cela ne prouve ioint qu’il ait eu tort de les reunir dans ses Georgiques. C’est surtout du quatrieme chant que Ton a dit qu’il oit etranger a I’ouvrage ; mais quand on a intitule un 'Oeme I’llomme des champs, on a le droit d’y rassern- XV111 PREFACE. ler tout ce que le titre peut admettre, et le poete c , petre ne devoit pas y etre oublie. Si j’avois omis , derniere partie, n’entendez-vous pas les critiques s’et Quoi ! vous parlez de Part de se rendre heureux i les champs, d’en perfectionner la culture, d’en cbs j les beautes et les richesses, et vous oubliez celui v. , changer' Vous oubliez les Virgiles, les Thomson; Gesners qui ont fait des peintures si interessantes, j deiicieuses, que sans elles il sembleroit manquer qut t chose a la nature ' C’est faire injure a la fois a la ( pagne et a la poesie. Au lieu de multiplier ainsi ces sortes de critiques, i je crois avoir prouve 1* injustice, sans etre aigri contre J j auteurs, peut-etre eut-il ete plus equitable, et plus na de remarquer que tous les chants de ce poeme sont i faitement distincts les uns des autres, et que le sujt est absolument neuf dans toutes les langues, et part lierement dans la notre. Au reste, je ne suis pas etonne de la sdverite avec quelle cet ouvrage a ete traite par une partie de la soc On salt que les derniers ouvrages d’un auteur sont : jours l’objet de la critique; mais par une sorte de c< pensation, les premiers obtiennent alors un degre d’est qu’on leur avoit refuse a leur premiere apparition, n’est point un effet de la justice, ni de la bienveillai c’est la malveillance au contraire qui des premiers out ges d’un ecrivain fait les accusateurs des derniers PREFACE. xix mble que dans i’empire des lettres, les premieres pro- ictions naissent desheritees, jusqu’a ce qu’un nouvel 1 tvrage Ieur ait rendu le droit d’ainesse. Lorsque la tra- :( iction des Georgiques parut, elle fut accueillie par une ule de critiques. La publication du Poeme des Jardins s ndit a cet ouvrage une estime qu’on ne lui accordoit 1 le pour la refuser au poeme qui le suivit. L’envie aime ! trouver la degeneration et l’affoiblissement du talent, i ms les nouveaux ecrits d’un auteur qui a quelque cele- f ite. L’ Homme des champs, a son tour, valut au poeme ( li l’avoit precede cette sorte d’indulgence malveiliante. ui-meme a besoin d’etre suivi d'un autre ouvrage con- < imne, par sa nouveaute, a reunir sur lui toute la severity i 3s critiques. i On a souvent observe qu’un des grands malheurs de ! literature, et de ceux qui la cultivent, c’est l’animosite f ui marche toujours a leur suite. Ce qu’il y a de plus 1 eplorable, c’est qu’on la rencontre le plus souvent dans eux qui courent la meme carriere. Malheur a ceux dont c imagination peut descendre des objets les plus eieves si ux tracas des petites passions, indignes d’un homme de > ettres. Je crois voir ces mouches brillantes de toutes lefc 5 ouleurs de la lumiere, qui apres s'^tre jouees aux rayons ; .u soleil, descendent dans la fange, et salissent elles- aemes tout ce qu’elles touchent. L’abeille ne fait que de 1 a cire et du miel, et ne se repose que sur des fleurs. b XX PREFACE. Au reste si Ton a pu diminuer le foible merite d ouvrages, on n’a pu me priver du plaisir extreme qi goute en le composant. Mon imagination entoure tout ce que la nature a de plus doux, de plus brilla de plus riche, s’est reposee avec delices surles idees solantes qu’elle inspire. Voila la jouissance que t< monde m’envie, et la seule qu’on ne puisse m’oter. On pardonnera cette justification de l’Homme Champs au souvenir des ressources, et des consol;, que je lui ai dues dans Padversite. La plupart des a, arts qui se montrent coinme un luxe, et un amuse se presentent dans un jour de malheur avec mom decence. La poesie est amusante dans les terns de ] perite, vertueuse dans les terns de depravation, et cu noble au gracieux, les passages sans nombre Tinteressent toujours. Simple et grand, fort et doux* llhiissez tous les tons, pour plaire a tous les gouts, a, que le peintre vienne enrichir sa palette ; l>ue l’inspiration y trouble le poete; lue le sage, du calme y goute les douceurs; li’heureux, ses souvenirs; le malheureux, ses pleurs. i Mais l’audace est commune, et le bon sens est rare, ulieu d’etre piquant, souvent on est bizarre. ■lardez que, mal unis, ces effets differens I'Je forment qu’un chaos de traits ineoherens; ^es contradictions ne sont pas des contrastes. D’ailleurs, a ces tableaux il faut des toiles vastes. N’allez pas resserrer dabs des cadres etroits )es rivieres, des lacs, des montagnes, des bois. On rit de ces jardins, absurde parodie Des traits que jette en grand la nature hardie, Ou i’art, invraisemblable a la fois et grossier, Einferme en un arpent un pays tout entier. 16 LES JARDINS, Au lieu de cet amas, de ce confus melange, Variez les sujets, ou que leur aspect change. Rapproches, eloignes, entrevus, decouverts, Qu’ils offrent tour a tour vingt spectacles divers, Que de 1’eflfet qui suit, I’adroite incertitude Laisse a l’ceil curieux sa douce inquietude ; Qu’enfin les ornemens avec gout soient places, Jamais trop imprevus, jamais trop annonces. Surtout du mouvement : sans lui, sans sa magie, 1 L’esprit desoccupe retombe en lethargie; Sans lui, sur vos champs froids mon ceil glisse au h; - i Des grands peintres encor faut-il attester Part ? Voyez-les prodiguer, de leur pinceau fertile, De mobiles objets sur la toile immobile, L’onde qui fuit, le vent qui courbe les rameaux, Les globes de fumee, exales des hameaux, Les troupeaux, les pasteurs, et leurs jeux et leur da i! Saisissez leur secret, plantez en abondance Ces souples arbrisseaux, et ces arbres mouvans, , Dont la tete obeit a l’haleine des vents ; Quels qu’ils soient, respectez leur flottante verdure^ Et defendez au fer d’outrager la nature. Voyez-Ia dessiner ces chenes, ces ormeaux } Voyez comment sa main, du tronc jusqu’aux rameai Des rameaux au feuillage augmentant leur souplesse Des ondulations leur donna la mollesse. Mais les ciseaux cruels. . . . Prevenez ce forfait, Nymphes des bois, couret. Que dis-je ? e’en est fait CHANT I. n .’acier a retranche leur cime verdoyante; ? n’entends plus au loin, sur leur tete ondoyante, e rapide Aquilon legerement courir, iremir dans leurs rameaux, s’eloigner et mourir. roids, monotones, mortar, du fer qui les mutile, s semblent avoir pris la roideur immobile. Vous done, dans vos tableaux, amis du mouvement, ) vos arbres laissez leur doux balancement. [u’en mobiles objets la perspective abonde : laites courir, tomber et rejaillir cette onde. ous voyez ces vallons, et ces coteaux deserts ; •es differens troupeaux dans les sites divers nvoyez, repandez les peuplades nomb reuses, a, du sommet lointain des roches buissonneuses, i: vois la chevre pendre; ici, de mille agneaux ii’echo porte les cris de coteaux en coteaux. >ans ces pres abreuves des eaux de la colline, louche sur ses genoux, le bceuf pesant ruminej andis qu’impetueux, fier, inquiet, ardent, et animal guerrier qu’enfanta le trident, Meploie, en se jouant, dans un gras paturage 1 vigueur indomptee et sa grace sauvage. !,ue j’aime et sa souplesse et son port anime ; pit que dans le courant du Heuve accoutume n frissonnant il plonge, et luttant contre l’onde, atte du pied le flot qui blanchit et qui gronde ; pit qu’a travers les pres il s’echappe par bonds; Mt que, livrant aux vents ses longs crin« vagabonds. 18 LES JARDINS, Superbe, l’ceil en feu, les narines fumantes, Beau d’orgueil et d’amour, il vole a ses amantes : Quand je ne le vois plus, mon ceil le suit encor. Ainsi de la nature epuisant le tresor, Le terrein, les aspects, les eaux, et les ombrages Donnent le mouvement, la vie aux pay sages. Voulez-vous mieux encor fixer l’oeil enchante H Joignez au mouvement un air de liberte. Et laissant des jardins la limite indecise, Que P artiste P efface, ou du moins la deguise. Ou l’oeil n’espere plus le charme disparoit. Aux bornes d’un beau lieu nous touchons a regret: Bientot il nous ennuie, et meme nous irrite. Au dela de ces murs, importune limite, On imagine encor de plus aimables lieux, Et Pesprit inquiet desenchante les yeux. Quand toujours guerroyant vos gothiques ancetres Transformoient en champ clos leurs asiles champeti Chacun dans son donjon, de murs environne, Pour vivre surement, vivoit emprisonne. Mais que fait aujourd’hui cette ennuyeuse enceinte^ Que conserve Porgueil et qu’inventa la crainte? A ces murs qui genoient, attristoient les regards, Le gout prefereroit ces verdoyans remparts, Ces murs tissus d’epine, ou votre main tremblantc Cueille ou la rose inculte, ou la mure sanglante. Mais les jardins bornes m’importunent encor. I Lgin de ce cercle etroit, prenons ejifin l’essor ■ r 1 . 19 CHANT iFers un genre plus vaste et des formes plus belles, Dont seul Ermenonville offre encor des modeles. |Les jardins appelloient les champs dans leur sejour; Les jardins dans les champs vont entrer a leur tour. Du haul de ces coteaux, de ces monts d’ou la vue D’un vaste paysage embrasse 1’etendue, La nature au genie a dit: “ Ecoute-moi. ‘ Tu vois tous ces tresors; ces tresors sent a toi. 4 Dans leur pompe sauvage et leur brute richesse, j 1 Mes travaux imparfaits implorent ton adresse.J* Elle dit. II s’elance, il va de tous cotes :Eouiller dans cette masse ou dorment cent beautesj |Des vallons aux coteaux, des bois srla prairie, [i retouche, en passant, le tableau qui varie. il sait, au gre des yeux, reunir, detacher, Eclairer, rembrunir, decouvrir ou cacher. [1 ne compose pas ; il corrige, il epure, 11 acheve les traits qu’ebaucha la nature. Le front des noirs rochers a perdu sa terreur^ La foret egayee adoucit son horreur ; Un ruisseau s’egaroit, il dirige sa course; 11 s’empare d’un lac, s’enrichit d’une source. Il veut; et des sentiers courent de toutes parts Chercher, saisir, lier tous ces membres epars., Qui, surpris, enchantes du nceud qui les rassemble, Forment de cent details un magnifique ensemble. Ces grands travaux peut-etre epouvantent votre art. Ilentrez dans nos vieux pares, et voyez d’un regard B 20 LES JARDINS, Ces riens dispendieux, ces recherches frivolcs, Ces treiilagcs sculptes, ces bassins, ces rigoles. Avec bien moins de frais qu’un art minutieux N’orna ce seul reduit qui plait un jour aux yeux, Vous allez embellir un paysage immense. Tombez devant cet art, fausse magnificence, Et qu’un jour, transformee en un nouvel Eden ; La France a nos regards ofFre un vaste jardin ; Dans mes leqons encor je voudrois vous apprendrr L’art d’avertir les yeux, et l’art de Ies surprendrc. ' Mais avant d^ dieter des preceptes nouveaux, Deux genres, des long-tems ambitieux rivaux, Se disputent nos voeux. L’un a nos yeux presente D’un dessin regulier l’ordonnance imposante, Prete aux champs des beautes qu’ils ne connoissoien l D’une pompe £trangere embellit leurs appas, Donne aux arbres des loix, aux ondes des entraves, Et, despote orgueilleux, brille entoure d’esclaves : Son air est moins riant et plus majestueux; L’ autre, de la nature amant respectueux, L’orne, sans la farder, traite avec indulgence Ses caprices charmans, sa noble negligence, Sa marche irreguliere, et fait naitre avec art Les beautes, du desordre, et meme du hasard. Chacun d’eux a ses droits ; n’excluons l’un ni 1’ai Je ne decide point entre Kent et le Notre. L’un, content d’un verger, d’un bocage, d’un bois, Dessine pour Je sage, et l’autrepour les rois. CHANT I. 22 ! Jes rois sont condamnes & la magnificence; ;)n attend autour d’eux 1’ effort de la puissance; On y veut admirer, e'nivrer ses regards Des prodiges du luxe, et du faste des arts. L’art peut done subjuguer la nature rebellc ; dais e’est toujours ea grand qu’il doit triompher d’elle. j »on eclat fait ses droits; e’est un usurpateur Pui doit obtenir grace, a force de grandeur. Loin done ces froids jardins, colifichet champetre, "msipides reduits, dont l’insipide maitre, jVous vante, en s’admirant, ses arbres bien peignes, ;aes petits salons verds, bien tondus, bien soignes ; >on plan bien symetrique, ou, jamais solitaire, Llhaque allee a sa sceur, chaque berceau son frere ; |3es sentiers ennuy£s d’obeir au cordeau, ■ Son parterre brode, son maigre filet d’eau, |3es buis toumes en globe, en piramide, en vase, ! Et ses petits bergers bien guindes sur leur base. |Laissez-le s’applaudir de sen luxe mesquin; Je prefere un champ brut a son triste jardin. I Loin de ces vains apprets, de ces petits prodiges, Venez, suivez mon vol au pays des prestiges, A ce pompeux Versaille, a ce riant Marli, Que Louis, la nature, et 1’art ont embelli. C’est la que tout est grand, que l’art n’est point timide ill La tout est enchant^ ; e’est le palais d’Armide ; j C’gst le jardin d’Alcine, ou plutot d’un heros , Noble dans sa retraite, et grand dans son repos, B 2 m LES JAR DIN $, ■ x Qui cherche encore a vaincre, a dompter des obstacle^ Et ne marche jamais qu’entoure de miracles. Voyez-vous et les eaux, et la terre et Ies bois, Subjugues a leur tour, obeir a ses loix ; A ces douze palais d’elegante structure. Ces arbres marier leur verte architecture, Ces bronzes respirer, ces fieuves suspendus, En gros bouillons d’ecume a grand bruit descendus, Tomber, se prolonger dans des canaux superbes, Ea, s’epancher en nappe, ici, monter en gerbes, Et dans 1’air s’enflammant aux feux d’un soleil pur, Pleuvoir en gouttes d’or, d’emeraude et d’azur? Si j’egare mes pas dans ces bocages sombres, Des Faunes, des Sylvains en ont peuple les ombres ; Et Diane et Venus enchantent ce beau lieu; Tout bosquet est un temple, et tout marbre est un dieu Et Louis, respirant du fracas des conquetes, Semble avoir invite tout l’Olympe a ses fetes. C’est dans ces grands efifets que l’art doit se montrer. Mais l’esprit aisement se lasse d’ admirer. J’applaudis l’orateur dont les nobles pensees Roulent pompeusement, avec soin cadencees : Mais ce plaisir est court. Je quitte l’orateur Pour chercher un ami qui me parle du coeur. Du marbre, de 1’airain qu’un vain luxe prodigue, Des ornemens de Tart, l’oeil bientot se fatigue; Mais les bois, mais les eaux, mais les ombrages frais, Tout ce luxe innocent ne fatigue jamais. CHANT I. S3 Aimez done des jardins la beaut£ naturelle; Dieu lui-meme aux mortels en traca le modele. Regardez dans Milton, quand ses puissantes mains Preparent un asile au premier des humains, Le voyez-vous tracer des routes regulieres, Contraindre dans leur cours des ondes prisonnieres ? Le voyez-vous parer d’etrangers ornemens L’enfance de la terre et son premier printems ? Sans ccntrainte, sans art, de ces douces premiees La nature epuisa les plus pures delices. Des plaines, des coteaux le melange charmant, Les ondes a leur choix errantes mollement, Des sentiers sinueux les routes indecises, Le desordre enchanteur, les piquantes surprises, Des aspects ou les veux hesitoient a choisir, Varioient, stispendoient, prolongeoient leur plaisir Sur l’email veloute d’une fraiche verdure, Mille arbres, de ce? lieux endoyante parure, Charme de l’odorat, du gout et des regards, Elegamment groupes, negligemment epars, Se fuyoient, s’approchoient, quelquefois a leur vue Ouvroient dans le loirjtain une scene imprevue; Ou, tombant jusqu’a terre, et recourbant leurs bras, . Yenoient, d’un doux obstacle, embarrasser leurs pas 5 Ou pendoient sur leur tete en festons de verdure, Et de fieurs, en passant, semoient leur chevelure. Dirai-je ces forets d’arbustes, d’arbrisseaux, Entrelagant en voqte, en alcove, en berceaux £ 3 n LES JARDINS, Leurs bras voluptueux ct leur tiges fleuries ; C’est la que les yeux pleins de tendres reveries, Eve a son jeune epoux abandonna sa main, Et rougit comme l’aube, aux portes du matin. Tout les felicitoit dans toute la nature, Le ciel par son eclat, l’onde par son murmure. La terre, en tressaillant, ressentit leurs plaisirs j Zephir aux antres verds redisoit leurs soupirs ; Les arbres fremissoient, et la rose inclinee Versoit tous ses parfums sur le lit d’hvmenee. O bonheur ineffable ! 6 fortunes epoux ! Heureux dans ses jardins, heureux qui, comme vous, Vivroit, loin des tourmens ou. l’orgueil esi en proie, Riche de fruits, de fieurs, d’innocence et de joie ! Ah ! si la paix des champs, si leurs heureux loisirs N’6toient pas le plus pur, le plus doux des plaisirs, D’ou viendroit sur nos cceurs leur secrete puissance? Tout regrette ou cherit leur paisible innocence. Le sage a son jardin destine. ses vieux ans; Un grand fuit son palais pour sa maison des champs j Le poete recherche un bosquet solitaire ; A son triste bureau, le marchand sedentaire, Lasse de ses calculs, lasse de son comptoir, D’avance se promet un champetre manoir, Reve ses boulingrins, son verger, son bocage, Et d’un verger futur se peint deja l’image; Que dis-je! au doux repos, invitant de grands cceurs, Un jardin quelquefois fut le prix des vainqueurs. CHANT I. 25 IA, le terrible Mars, sans glaive, sans tonnerre. Las de l’ensanglanter, fertilise la terre ; Au lieu de ses soldats, il compte ses troupeaux, Au chene du bocage il suspend ses drapeaux ; Sur ses foudres eteints je vois s’asseoir Pomone, Pales ceint en riant les lauriers de Bellone ; Et l’airain desormais fatal aux daims legers, A rendu les echos aux chansons des bergers. Tel est Blenheim, Blenheim la gloire de ses mahres Plein des pompes de Mars, et des pcmpes champetres. Envain ce nom fameux atteste nos revers, Monument d’un grand homme il a droit a mes vers. Si des arts createurs j’y cherche les prodiges, Partout l’ceil est charme de leurs brillans prestiges, Et 1 ’on doute, a 1’ aspect de ces nobles travaux, Qui doit frapper le plus, du peuple, ou du heros. Si j’y viens des vieux terns retrouver la memoire, Je songe 6 Rosamonde, a ta touchante histoire ; X)e Rose, mieux que toi, qui merita le nom ! Envain de la beaute le ciel t’avoit fait don, Tendre et fragile fieur, fietrie en ton jeune age, Tu ne vecus qu’un johr, ce fut un jour d’orage. Dans ce nouveau dedale ou te cacha Merlin, Ta rivale, en fureur, penetre, un fil en main, Et livrant Rosamonde a sa rage inhumaine, Ce qui servit 1’ amour, fait triompher la haine. Ah! malheureux objet, et de haine et d’amour, Tu n’es plus; mais ton ombre habite ce sejour; b 4 26 LES JARDINS, Chacun 'vient t’y cherchcr, de tous les coins du mondej Chacun grcssit de pleurs le puits de Rosamonde; Ton nom remplit encor Ie bosquet enchante ; Et pour comble de gloire, Adisson ta chante. Mais ces tendres amours et ce-aecit antique, Qu’ont-ils de comparable au vceu patrictique Qui grave sur Pairain, par un don glorieux, Acquitta de Malbrough les faits victorieux ! Je ne decrirai point ce palais qui presentc La solide beau'e de sa masse imposante, Et promet de porter aux ciecles a venir, D’un bienfait immortel, Pimmortel souvenir; Ni ces riches tapis ou combattent entre elles, La palme de Blenheim, et la palme d’Arbelles; Ni du triomphateur le bronze colossal, Du prodige de Rhode audacieux rival; Nice pont, monument de tendresse et de gloire, Que Phymenee en deuil, ofTrit a la victoire ; Ce pont, digne de Rome, et tel que dans son seia Aurcit pu s’epancher l’urne immense du Rpiin. Ah ! dans cette h^ro'ique et riante retraite, O champs ! d’autres beautes frappent votre pcste, Assez long-terns de Part les fastueux apprets, Et le bronze immobile, et les marbres muets, De tant d’autres vainqueurs furent le prix vulgaire; II faut d’autres honneurs a ce foudre de guerre. Par tm don plus nouveau, mais non moins solennel* Crand Comme ses desseins, et comme eux etemel> n CHANT T. La nature elle-meme, avec ^Magnificence, Consacre le bienfait et la reconnoissance : Dans un jardin superbe, a feter un heros Elle-meme elle invite, et la terre et les Hots; Pour chanter ses exploits, les bois ont leurs Orphees, Leur ombrage est son dais, leurs festons ses trophees. Le ciel a son triomphe enchame les saisons, De leurs fruits, tous les ans, son char regoit les dons : Tous les ans, de leurs fleurs les brillantes premices Eeviennent de son front parer les cicatrices. L’ete conte a l’ete, le printems au printems, Sa journee immortelle et ses fails eclatans: La veillee en redit l’histoire triompbante: Le hameau les apprend, la bergere les chante, Point de terme au bienfait, un peuple genereux Paiera le sang du pere a ses derniers neveux; Et sur eux Cendant sa longue bienfaisance, Ccmme le ciel punit, Albion recompense. Ah ! pour comble d’honneur, puisse un Spencer nouveau Par un chant de famille honorer son tombeau. Malbrough ! Spencer ! i’honneur du moderne Elisee ! Malbrough en est l’Achiie, et Spencer le Musee. Mais dans la douce paix des bois elvsiens Malbrough, heureux Blenheim, regrette encor les liens ; Tant ce prix glorieux fut cher a sa grande ame ! Vous done, fiers de leurs noms, vous que leur gloire enflame, Vous serez dignes d’eux, vous serez les Spencers Qui cherissent les arts, et commandent aux mers j B 5 2$ LES J ARB IKS, Bienfaitrice severe, Albion vous contemple, Salaire des vertus, Blenheim en doit l’exemple; Oui, s’il ne reproduit un exemple si beau, Le temple de la gloire en devient le tombeau. Mais que dis-je? aux talens, au vieil honneur fidele, Blenheim au monde encor en ofTre le modele ; L’immortelle Uranie en habite les tours; La, de plus d’une etoile, Herschel traqa le corn's; Herschel qui de Newton aggrandit Inherit age, Un jour, peut-etre un jour, par un nouvel hommage, Malbrough, astre nouveau, prendra sa place aux cieux, Herschel lui marquera son chemin radieux; Jadis craint sur la terre, aujourd’hui sur les ondes, ,Ses feux a vos vaisseaux montreront les deux mondes : Mais quels lieux verront-ils ? quel climat recule, Ou du fameux Malbrough le nom n’ait pas vole, Et ne se mele pas sur ces plages lointaines, Aux grands noms desCondes, aux grands nomsdesTurennes? A ces noms mon cceur bat, des pleurs mouillent mes yeux ; O France 1 6 doux pays ! berccau de nos ayeux, Si je puis t’oublier, si tu n’es pas sans cesse Le sujet de mes chants, l’objet de ma tendresse, Que de te voir jamais, je perde le bonheur, Que mon nom soit sans gloire, et mes chants sans honneur ! Adieu Blenheim : Chambord a son tour me rappelle, Chambord, qu’obtint, pour prix de sa palme immortelle, Ce Saxon, ce hdros adopte par mon roi, Par qui Blenheim, peut-etre, envia Fontenoi. CHANT I. 29 La, ne s’elevcnt point des tours si magnifiques, D’aussi riches palais, d’aussi vastes pordques; Mais sa gloire l’y suit ; mais a de feints combats, Lui-meme, en se jouant, conduit ses vieux soldats ; Tels au bord du Lethe les heros du vieil age, De la guerre, dit-on, aiment toujours l’image, Et dans ces lieux de paix trouvant les champs de Mars, Dardent encor la lance, et font voler des chars. Fltt DU PREMIER C II A NT. • ' - * ' ■ . • V- , ; . . ■ I ■ ' LES JARDINS. POE ME. CHANT SECOND. Oh ! si j’avois ce luth dont le charme autrefois Entrainoit sur l’Hemus ies rochers et les bois, Je le ferois parler $ et sur les paysages Les arbres tout a coup deploiroient leurs ombrages. Le chene, le tilleul, le cedre et 1’ or auger En cadence viendroient dans mes champs se ranger. Mais 1’ antique harmonie a perdu ses merveilles ; La lyre est sans pouvoir, les rochers sans orcilles ; L’arbre reste immobile aux sons les plus flatteurs, Et l’art et le travail sont les seuls enchanteurs. Apprenez done de l’art quel soin et quelle adresse Prete aux arbres divers la grace ou la richesse. Par ses fruits, par ses Heurs, par son beau vetement, L’arbre est de nos jardins le plus bel ornemenu 33 LES J AH DINS, Pour mieux plaire a nos veux combien il prend de form La, s’etendent ses bras pompeusement informes; tige ailleurs s’elaece avec legerete ; Ici, j’aime sa grace, et la, sa majesty. II tremble au moindre souffle, ou contre 1^ tempete Itoidit son tronc noueux et sa robuste tete ; Eude ou poli, baissant ou dressant ses rameaux, Teritable Protee entre les vegetaux, Jl change incessamment, pour orner la nature, Sa taiile, sa couleur, ses fruits et sa verdure. Ces effets varies sont les tresors de l’art, Que le gout lui defend d’employer au hasard. Des divers plants encor la forme et l’etendue, Sous des aspects divers viennent charmer la vue. Tantot un bois profond, sauvage, tenebreux, Epanche une ombre immense; et tantot meins nombre Un plant d’arbres choisis forme un riafit bocage; Plus loin, distribues dans un frais paysage, Des groupes elep-ans frappent l’ceil enchante : Ailleurs, se conuant a sa propre beaute, Un arbre seul se montre, et seul ornq la terre. Tels, si la paix des champs peut rappeller la guerre, Une nombreuse armee etale a nos regards Des bataillons epais, des pelotons ipars ; Et la, fier de sa force et de sa renopimee, Un hires seul avance ; ei vaut seul une armee. Tous ces plants differens suivent diverses loix. Pans les jartlms de Tart, notre luxe autrefoh CHANT II. 33 ^Oes arbres isoles dedaignoit la parure : [Is plaisent aujourd’hui dans ceux de la nature. iPar un caprice heureux, par de savans hasards, Leurs plants desordonnes charmeront nos regards. Qu’ils different d’aspect, de forme, de distance ; |Que toujours la grandeur, ou du moins l’elegance, .Distingue chaque tige, ou que l’arbre honteux Se cache dans la foule et disparoisse aux yeux. Mais lorsqu’un chene antique, ou lorsqu’un vieil Arabic, Patriarche des bois, leve un^front venerable, Que toute sa tribu,,se rangeant a l’entour, S'ecarte avec respect, et compose sa cour; Ainsi, l’arbre isole plait aux champs qu’il decore. Avec bien plus de choix et plus de gout encore, Les groupes offriront mille tableaux heureux. |D’ arbres plus ou moins forts, et plus ou moins nombreux .Formez leur masse epaisse, ou leurs touffes legeres? De loin l’ceil ^ime a voir tout ce peuple de freres. C’est par eux que 1’on peut varier ses dessins, Rapprocher, et tantot repousser les lointains, Separer, reunir, et sur les paysages Etendre, ou replier le rideau des ombrages. Vos groupes sont formes : il est terns que ma voix A connoitre un peu d’art accoutume les bois. Bois augustes, salut ! Vos voutes poetiques N’entendent plus le Barde et ses affreux cantique«; Un delire plus doux habite vos deserts; Et vos antres encor nous instruisent en vers. 34 LES JAKDINS, Vous inspirez les miens, cmbres majestiteuses ! SoufTrez done qii’aujourd’hui mes mains respectueuses Viennent vous embe’lir, mass sans vous prefaner; C’es: de vous que je veux apprendre a vous orner. Les bois peuvent s’offrir sous des aspects sans nombr Ici des troncs presses rembruniront leur ombre : La, de quelques ravons egayant ce sejour, Formez un doux combat de la nuit et du jour. Plus loin, marquaht !e sol de leurs feuilles legeres, Quelques arbres epars joueront dans les clairieres, Et flottam 1’un vers 1’autre, et n’osant se toucher,, Paroitront a la fois se fuir et se chercher. Ainsi le bois par vous perd sa rudesse austere : Mais n’en detruisez pas le grave caractere. X)e detaiis trop frequens, d’objets minutieux, iN’allez pas decouper son ensemble a nos yeux. Qu’il soit un, simple et grand, et que votre art lui lais: Avec toute sa pompe, un peu de sa rudesse. Montrez ces troncs brises ; je veux de noirs torrens Dans les creux des ravins suivre les dots errans. Du terns, des eaux, de l’air n’effacez point la trace, De ces rochers pendans respectez la menace, Et qu’enfin dans ces lieux empreints de majesty Tout respire une male et sauvage beaute. Mais tel est des humains l’instinct involontaire, Le desert les efTraye. En ce bois solitaire Placez done, s’il se peut, pour consoler le coeur, L’asile du travail ou celui du malheur, CHANT II. 35 II est des terns affreux ou des champs de leurs peres, Des proscrits sont jettes aux terres etrangeres : Ah! plaignez leur destin, mais felicitez-vous; De vos riches tableaux, le tableau le plus„doux, A ces inforiunes vous le devrez peui-etre. Que dans l’immensite de votre enclos champetre Un coin leur soit garde ; donnez a leurs debris, Au fond de vos forets, de tranquilles abris ; A vos palais pompeux opposez leurs cabanes, Peuples par eux, vos bois ne seront plus profanes, Et leur touchant aspect consacrera ces lieux. Mais surtout si l’exil, de leur cloltre pieux A banni ces reclus qui sous des loix austeres, Derobent aux humains leurs tourmens volontairei, Ces enfans de Bruno, ces enfans de Ranee Qui tous, morts au present, expiant le passe, Entre le repentir et la douce esperance, Vers un monde a venir prennent leur vol immense, Accueillez leur malheur, et que sous d ’humbles toits, Paisible colonie, ils habitent vos bois. A peine on aura su le sort qui les exile, Vos soins hospitaliers et leur modeste asile, Des hameaux d’alentour, femmes, enfans, vieiliaxds, Vers ces hotes sacres courront de toutes parts : La richesse v viendra visiter l’indigence; L’orgueil l’humilite, le plaisir la souffrance; Vous-meme abandonnant pour leurs apres forets, Lt vos salons dords et vos ombrages hrais, 36 LES JARDINS, Viendrez au milieu d’eux dans une paix profonde^ Desenchanter vos coeurs des voluptes du monde : Loin de ce monde ou regne un air contagieux, Yous aimerez ce bois sombre et religieux, Ses pales habitans, leur rigide abstinence, Leur saint recueillement, leur etemel silence ; Et la beche a la main, la penitence en deuil Anticipant la mort, et creusant son cercueil. La terre sentira leur presence feconde; Pour vous, pour vos moissons, vers le maitre du monde Ils leveront leurs mains ; vous devrez a leurs voeux, Et les biens-d’ici bas, et les tresors des cieuxj Et lorsqu’a la lueur des lampes sepulcrales, De silences profonds, coupes par intervalles, Du sein de la foret, leurs nocturnes concerts, En sons lents et plaintifs, monteront dans les ajrs, Peut-etre a ces accents vous trouverez des charmes ; j Vous'envierez leurs pleurs, vous y joindrez vos larmes$| Et le corps sur la terre, et 1’ esprit dans le ciel, Vps voeux iront ensemble aux pieds de 1’ Etemel. Ainsi votre for£t prend un aspect moms rude ; Vous charmez son efFroi, peuplez sa solitude, Animez son silence, et gorttez a la fois, Les charmes d’un bienfait, et le charme des bois 5 Mais sans nuire a sa pompe egayez sa tristesse. Le bocage moins tier, avec plus de mollesse D^ploie a nos regards des tableaux plus rians*, V«ut un site agreable ct des contours Hans j CHANT II. 31 Fuit, revient, et s’egare en routes sinueuses, Promene entre des fleurs des eaux voluptueuses * Et j’y crois voir encore, ivre d’un doux loisir r Epicure dieter les leqons du plaisir. Mais e’est peu qu’en leur sein le bois ou le bocage Renferment leur richesse elegante ou salvage ; Dans 1’art d’orner les champs, comme dans nos ecrits, A la variete le gout donne le prix ; Cette variete, seduisante deesse, Qui flattant de nos cceurs l’inconstante foiblesse, Un prisme dans les mains, colore 1’univers, Et fait, d’un seul tableau, mille tableaux divers. Dans vos heureux travaux rendez-lui done hommagej Le chef-d’oeuvre des dieux vous en ofTre 1’image. Regardez cette tete ou la divinite Semble imprimer ses traits; quelle variete ! Des sentimens du coeur majestueux theatre Le front s’epanouit en ovale d’albatre ; Et doublant son eclat par un contraste heureux, 5’entoure et s’embellit de l’ombre des cheveux. L’oeil ardent reunit des faisceaux de lumiere ; Deux noirs sourcils en arc protegent sa paupierej Et la levre ou s’empreint la rougeur du corail, De la blancheur des dents releve encor I’email. Le nez dans sa longueur, dessinant le visage, 5 ar une iigne droite avec art le partage. Tandis que deployant ses contours gracieux, ^a joue au teint vermeil s’arrondit a nos yeux. C 3$ LES JARDINS, Voyez le pied, la main dont la structure etale De ses deists varies la longueur inegale ; Voila votre modele. Heureux imitateur, Suivez dans ses desseins la main du Createnr ; Et d’objets en objets promene dans l’espaee, Que l’oeil toujours jouisse, et jamais ne se lasse. N’allez done pas des bois symetrisant les bords, D’un coup d’ceil uniforme attrister les dehors. Que vos murs de verdure et vos tristes charmilles, Ne cachent point aux yeux leurs nombreuses families. Je veux les voir; je veux dans ces bocages verds, Sous leurs divers aspects, voir ces arbres divers: Les uns tout vigoureux et tout frais de jeunesse, D ’autres tout decrepits, tout noueux de vieillesse; Ceux-ci rampans, ceux-la, fiers tyrans des forets, Des tributs de'la seve epuisant leurs sujets: Vaste scene ou des moeurs, de la vie et des ages, L’esprit avec plaisir reconnoit les images. Pres de ces grands effets, que sont ces verds rempai Dont la forme importune attriste les regards, Forme toujours la meme, et jamais imprevue ? Riche variete, delices de la vue, Accours; viens rompre enfin J’insipide niveau, Brise la triste equerre et l’ennuyeux cordeau : Par un melange heureux de golfes, de saillies, Les lisieres des bois veulent etre embellies. L’oeil qui des plans traces par l’unitormite Se fatigue et s’elance a leur extremite, CHANT II. 39 Se plait a parcourir, dans sa vaste etendu?, De ces bords ondoyans la forme inattendue ; II s’egare, il se joue en ces replis nombreux ; Tour a tour il s’enfonce, il ressort avec eux ; Sur les tableaux divers que leur chaine compose De distance en distance avec plaisir repose ; Le bois s’en aggrandit, et dans ses longs retours Varie a chaque pas son charme et ses detours. Dessinez done sa forme, et d’abord qu’on choisisse JLes arbres dont le gout present le sacrifice. Mats ne vous hatez point ; condamnez a regret : Avant d’executer un rigoureux arret, Ah ! songez que du terns ils sont le lent ouvrage, Que tout votre or ne peut racheter leur ombrage, Que de leur frais abri vous goutiez la douceur. Quelquefois cependant un ingrat possesseur, Sans besoin, sans remords, les livre & la coignee; Renverses sur le sein de la terre indignee, Ils meurent ; de ces lieux s’exilent pour toujours La douce reverie et les discrets amours. Ah ! par ces bois sacres, dont le feuillage sombre Aux danses du hameau preta souvent son ombre; Par ces domes touffus qui couvroient vos ayeux, Profanes, respectez ces tronctf religieux ! Et quand l’age leur laisse une tige robuste, Gardez-vous d’attenter a leur vieillesse auguste. Trop tot le jour viendra que ces bois languissans. Pour ceder leur empire a de plus jeunes plants, c 2 40 LES JARDINS, Tomberont sous le fer, et de leur tete altiere Verront l’antique honneur fletri dans la poussiere. O Versaille ! 6 regrets ! 6 bosquets ravissans, Chefs-d’oeuvre d’un grand roi, de le Notre et des ans La hache est a vos pieds, et votre heure est venue. Ces arbres dont l’orgueil s’elancoit dans la nue, Frappes dans leur ratine, et balan 9 ant dans Pair Leurs superbes sommets ebranles par le fer, Tombent, et de leurs troncs jonchent au loin ces routes Sur qui leurs bras pompeux s’arrondissoient envoutes: IIs sont de units ces bois, dont le front glorieux Ombrageoit de Louis le front victorieux : Ces bois ou celebrant de plus douces conquetes, Les arts voluptueux multiplioient les fetes ! Amour, qu’est devenu cet asile enchante Qui vit de Montespan soupirer la fierte ? Qu’est devenu l’ombrage ou si belle et si tendre, A son amant surpris et charme de P entendre, La Valiere apprenoit le secret dc son coeur, Et, sans se croire aimee, avouoit son vainqueur > Tout perit ; tout succombe ; au bruit de ce ravage, Vovez-vous point s’enfuii les hotes du bocage ? Tout ce peuple d’oiseaux, fiers d’habiter ces bois, Qui chantoient leurs amours dans l’asile des rois, S’exilent a regret de leurs berceaux antiques. Ces dieux, dont le ciseau peupla ces verds portiques, D’un voile de verdure autrefois habilles, Tout honteux aujourd’hui de se voir depouill^s, CHANT II. 41 Pleurent leur doux ombrage ; et, redoutant la vue, Venus meme une fois s’etonna d’etre nue. Croissez, hatez votre ombre, et repeuplez ces champs, Vous, jeunes arbrisseaux ; et vous, arbres mourans, Consolez-vous. Temoins de la foiblesse humaine, Vous avez vu perir et Corneille et Turenne : ! Vous comptez cent printems, helas ! et nos beaux jours S’envolent les premiers, s’envolent pour toujours. Mais tandis que ma voix deploroit ces ravages, Quel bruit vient consoler l’ami des vieux ombrages? Que beni soit ton art, toi qui dans leur langueur Sut des plants d£crepits rammer la vigueur ! A peine un frais enduit couvre un bois sans ecorce ; Le sue regene re reprend toute sa force ; II court, il pousse en l’air de nouveaux rejetons; Rend aux bosquets leur ombre, au printems ses festons Des arbres long -terns nuds admirent leur parure, Leur front chauve a repris sa verte chevelure, Et joint avec orgueil, gr&ce a tes soins puissans Les charmes du jeune age, et l’honneur des vieux ans. Heureux done qui jouit d’un bois forme par l’age ; Mais plus heureux celui qui crea son bocage ! Ces arbres, dont le terns prepare la beaut6, II dit comme Cyrus: u C’est moi qui les plantai. ’* De leur premier printems il goute les delices, De leur premier bouton il benit les premices ; Ainsi naquit Pearfield, tel de ses bois nouveaux Le feuillage naissant se pencha sur les eaux. c 3 42 LES JAR 1MNS, Telle au sortir des mains dont est sorti le monde, Jadis Eve se vit, et s’admira dans Tonde. Le jeune plant counit ombrager les vallons, Ilabiller les rochers, et Hotter sur les monts ; Et her de sa beaute, content de son ouvrage, Son heureux createur reva sous son ombrage. Au lieu de vous trainer sur les dessins d’autrui, Voulez-vous done creer et jouir comme lui ? Suspendez vos travaux impatiens d'eclore, Meditez-les long-tems, meditez-les encore. Tel qu’un peintre, arretant ses indiscrets pinceaux, D’avance en sa pensee ebauche ses tableaux, Ainsi de vos dessins meditez l’ordonnance. Des sites, des aspects connoissez la puissance, Et le charme des bois aux coteaux suspendus, Et la pompe des bois dans la plaine etendus; Ainsi que les couleurs et les formes amies, . Connoissez les couleurs, les formes ennemies. Le frene aux longs rameaux dans les airs elances, Repousseroit le saule aux longs rameaux baisses. Le verd du peuplier combat celui du chene : Mais l’art industrieux peut adoucir leur haine, Et, de leur union mediateur heureux, Un arbre mitoven les concilie entr’eux. Ainsi, par une teinte avec art assortie, Vernet de deux couleurs eteint Tantipathie. Tu connus ce secret, 6 toi dont le coteau, Dont la verte colline offre un si doux tableau> CHANT II. Qui des bois, par degres, nuancant la verdure Surpassa le Lorrin, et vainquit la nature. Toi qui, de ce bel art nous enseignant les loix, As donne le precepte et Fexemple a la fois ; Ah! puisses-tu long-tems jouir de tes ouvrages, Et garder dans ton coeur la paix de tes ombrages ! Je ne sais quel instinct me dit que quelque jour Entraine, malgre toi, de tes champs a la cour, Tes mains cultiveront une plante plus chere. Puisse etre cet enfant Fimage de son pere, Et que jamais n’arrive a cette tendre fleur Le souffle de la haine et le vent du malheur. Acheve cependant d’embellir tes bocages. Et vous qu’il instruisit dans l’art des pay sages, Observcz comme lui tous ces difterens verds, Plus sombres ou plus gais, plus fonces on plus clairs. Remarquez-les surtout, lorsque la pale automne, Pres de la voir fietrir, embellit sa couronne. Que. de variete, que de pompe et d’eclat ! Le pourpre, F orange, l’opale, Fincarnat De leurs riches couleurs etalent Fabondance. Helas ! tout cet eclat marque leur decadence. Tel est le sort commun. Bientot les Aquilons Des depouilles des bois vont joncher les vallons ; De moment en moment la feuilie sur la terre, En tombant, interrompt le reveur solitaire. Mais ces mines meme ont pour moi des attraits. La, si mon cccur nourrit quelques profonds regrets^ c 4 u LES JARDINS, Si quelque souvenir vient rouvrir ma blessure; J’aime a meler mon deuil au deuil de la nature, De ces bois desseches, de ces rameaux fletris, Seul, errant, je me plais a fouler les debris. Ils sont passes les jours d’ivresse et de folie; Viens, je me livre a toi, tendre melancolie; Viens, non le front charge des nuages aftreux Dont marche enveloppe le chagrin tenebreux, Mais 1’oeil demi-voile, mais telle qu’en automne A travers des vapeurs un jour plus doux rayonne: Viens, le regard pensif, le front calme, et les yeax Tout prets a s’humecter de pleurs delicieux. Ainsi je nourrissois mes trisxs reveries, Quand de mille arbrisseaux les families fleurle* Tout a coup m’ont offert leur plant voluptueux; Adieu vastes forets, cedres majestueux, Adieu pompeux ormeaux et vous chenes augustes. Mo ; ns hers, plus elegans ces modestes arbustes, M’appellent a leur tour. Venez peuple enchanteur! Vous etes la nuance entre l’arbre et la fleur; De vos traits de heats venez orner la scene. Oh ! que si moins presse du sujet qui m’entrame. Vers le but qui m’ attend je ne hatois mes pas, Que j'aurois de plaisir a diriger vos bras! Je vous reproduirois sous cent formes fecondes ; jSla main sous vos berceaux feroit rouler les ondesj En domes, en lambris j’unirois vos rameaux; MojJemeat enlaces autour de ces ormeaux, 45 chant rr. Vos bras serpenteroient sur leur robuste ecorce, Embleme de la grace unie avec la force : Je fondrois vos couleurs, et du blanc le plus pur, Dii plus tendre incarnat jusqu’au plus sombre azur. Del’oeil rassasie variant les delices, Vos panaches, vos fleurs, vos boules, vos calices, A l’envi s’uniroient dans mes brillans travaux, Et Van-IIuysum lui-meme envieroit ines tableaux. Pour vous, a qui Ie ciel prodigua leur richesse, Menagez avec art leur pompe enchantcresse : Partagez aux saisons leurs brillantes faveurs; Que chacun apportant ses parfums, ses couleurs, Reparoisse a son tour, et qu’au front de l’annee, Sa guirlande de fleurs ne soit jamais fanee. Ainsi votre jardin varie avec le terns ; Tout mois a ses bosquets, tout bosquet son printems; Printems bientot fletri ! Toutefois votre adresse Peut consoler encor de sa courte richesse. Quo par des soins prudens tous ses arbres plant.es, Quand ils seront sans fleurs, ne soient pas sans beautes. Ainsi l’adroite Egle, prolongeant son empire, An declin des beaux ans sait encor nous seduire. cicl meme, malgre l’inclcmence de Pair, N’a pas de tous ses dons desherite l’hiver. Alors, des vents jaloux defiant les outrages, Plusieurs arbres encor retiennent leurs feuillages. ^ oyez 1’if, et le lierre, ct le pin resineux, Ee houx luisant at me de ses dards epineux, c 5 46 LES JARDINS, Et du laurier divin l’immortelle verdure, Dedommager la terre et venger la nature. Voyez leurs fruits de pourpre, et leurs glands de corail Au verd de leurs rameaux mtler un vif email. Au milieu des champs nuds leur parure m’encjiante, Et plus inesperee en parolt plus touchante. De vos jardins d’hyver qu’ils ornent le sejour. La, vous venez saisir les rayons d’un beau jour. La, l’oiseau, quand la terre ailleurs est depouillee, Vole, et s’egaie encor sous la verte feuillee, Et trompe par les lieux, ne connoit plus les terns, Croit revoir les beaux jours, et chante le printems. Toutefois de vos plants quels que soient les prodiges, L’habitude souvent en detruit les prestiges, Et le triste degout les voit sans interet. N’est-il pas des moyens dont le charme secret Vous rende leur beaute toujours plus attachante? Oh ! combien des Lapons l’usage heureux m’enchante! Qu’ils savent bien tromper leurs hi vers rigoureux ! Nos superbes tilleuls, nos ormeaux vigoureux, De ces champs ennemis redoutent la froidure : De quelques noirs sapins l’indigente verdure Par intervalle a peine y perce les frimats ; Mais le moindre arbrisseau qu’epargnent ces climats Par des charmes plus doux a leurs regards sait plairej Plante pour un ami, pour un fils, pour un pere, Pour un hote qui part emportant leurs regrets, II en re^oit le nom, le nom cher a jamais. CHANT II. 47 Vous, dont un ciel plus pur eclaire la patrle, Vous pouvez imiter cette heureuse Industrie : Elle animera tout ; vos arbres, vos bosquets Des Iors ne seront plus ni deserts, ni muets 5 Us seront habites de souvenirs sans nombre, Et vos amis absens embelliront leur ombre. Qui vous empeche encor, quand les bontes des dieux D’un enfant desire comblent enfin vos voeux, De consacrer ce jour par les tiges naissantes D’un bocage, d’un bois ? . . . Mais tandis que tuchantes, Muse, quels cris dans l’air s’elancent a la fois? 11 est ne l’heritier du sceptre de nos rois ! II est ne ! Dans nos murs, dans nos champs, sur les ondes, Nos foudres triomphans l’annoncent aux deux mondes. Pour parer son berceau c’est trop peu que des fleurs ; Apportez les lauriers, les palr.ies des vainqueurs. Qu’a ses premiers regards brillent des jours de gloire; Qu’il entende en naissant l’hymne de la victoire ; C’est la fete qu’on doit au pur sang des Bourbon. Et toi, par qui le ciel nous fit cet heureux don, T01 qui, le plus beau noeud, la chaine la plus chere Des Germains, des Francois, d’un £poux et d’un frere, Les unis, comnie on voit de deux pompeux ormeaux Une guirlande en fleurs enchainer les rameaux, Sceur, mere, Spouse auguste, enfin la destinee Joint an deuil du trepas les fruits de rhymenee, Et m'lant dans tes veux les Iarmes et les ris, Quand tu perds une mere, elle te donne un fils. 4 . 8 - LES JARDINS, D’autres, dans les transports que ce beau jour inspire, Animeront la toile, ou le marbre, ou la lyre; Moi i’humble ami des champs, j’irai dans ce sejour Ou Flore et les Zephirs composent seuls ta cour, J'irai dans Trianon: la, pour unique hommage, Je consacre a ton fils des arbres de son age, Un bosquet de son nom. Ce simple monument, Ces tiges, de tes bois le plus cher ornement, Tes yeux les verront croitre, et croissant avec elles. Ton fils viendra chercher leurs ombres fraternelles. Enfin vous jouissez, et le coeur et les yeux Cherissent de vos bois l’abri delicieux. Au plaisir voulez-vous unir encor la gloire ? Voulez-vous de votre art remporter la victoire ? Dija de nos jardins heureux decorateur, .Ajoutez a ces noms le nom de createur* Voyez comme en secret la nature fermente ; Quel besoin d’enfanter sans cesse la tourmente, Et vous ne l’aidez pas ! Qui sait dans son tresor Quels biens a l’industrie elle reserve encor? Comme l’art a son gre guide le cours de Tonde, II pent guider la seve ; a sa liqueur feconde Montrez d’autres chemins, ouvrez d’autres canaux. I3aris vos champs enrichis par des hymen6 nouveau^, J^)es sues vierges encor essavez le melange; De leurs dons mutuels favorisez l’echange. Combien d’arbres, de fruits, de plantes et de fleurs, Dont l’art changea le gout, les parfums, les cculeurs ! CHANT II. 45 La peche a du sa gloire a ces metamorphoses ; D ’un triple diademe ainsi brillent les roses ; De son panache ainsi l’ocillet s’enorgueillit. Osez; Dieu fit le monde, et l’homme l’embellit. Que si vous n’osez pas essayer ces conquetes, Combien sous d’autres cieux de richesses sont pretes ! Usurpez ces tresors. Ainsi le fier Romain, Et ravisseur plus juste, et vainqueur plus humain, Conquit des fruits nouveaux, porta dans l’Ausonie Le prunier de Damas, l’abricot d’Arm^nie, Le poirier des Gaulois, tant d’autres fruits divers ! C’est ainsi qu’il falloit s’asservir l’univers. Quand Lucullus vainqueur triomphoit de l’Asie, I/airain, le marbre et l’or frappoient Rome eblouie ; Le sage dans la foule aimoit a voir ses mains Porter le cerisier en triomphe aux Romains. Et ces memes Romains n’ont-ils pas vu nos peres, En bataillons armes, sous des cieux plus prosperes Aller chercher la vigne, et vouer a Bacchus Leurs etendards rougis du nectar des vaincus ? Du fruit de leurs exploits leurs troupes echaufiees Rapportoient, en chantanf,ces precieux trophees. Du pampre triomphal ils couronnoient leurs fronts ; Le pampre sur leurs dards s’enlaqoit en festons. Tel revint sur son char le dieu vainqueur du Gange. Les vallons, les coteaux celebroient la vendange ; Et par tout ou coula le nectar enchante, Coururent le plaisir, i’audace et la gaiete. 50 LES JARDINS, Enfans de ces Gaulois, imitons nos ancetres ; Disputons, enlevons ces depouilles champetres. Voyez dans ces jardins, fiers de se voir soumis A la main qui porta le sceptre de Themis, Le sang des Lamoignons, l’eloquent Malesherbes Enrichir notre sol de cent tiges superbes, Nourrissons inconnus de vingt climats divers, De la cime des monts, de la rive des mers, Je vovage, entoure de leur foule choisie, D’Amerique en Europe, et d’Afrique en Asie. Tous, parmi nos vieux plants charm£s de se ranger, Cherissent notre ciel ; et l’heureux Stranger, Des bords qu’il a quittes reconnoissant l’ombrage, Doute de son exil a leur touchante image, Et d’un doux souvenir sent son cceur attendri. Je t’en prends a femoin jeune Potaveri. Des champs d’O-Ta'iti, si chers a son enfance, Ou l’amour sans pudeur n’est pas sans innocence, Ce sauvage ingenu, dans nos murs transport^, Regrettoit dans son coeur sa douce liberte, Et son lie riante, et ses plaisirs faciles. Ebloui, mais lasse de l’eclat de nos villes, Souvent il s’ecrioit : “ Rendez-moi mes forets.*' XJn jour, dans ces jardins ou Louis a grands frais, Des quatre points du monde en un seul lieu rassemb Ces peuples vegetaux surpris de croitre ensemble, Qui, changeant a la fois de saison et de lieu, Yiennent tous a l’envi rendre hommage a Jussieu. CHANT II. $£ L’Indien parcouroit leurs tribus reunies, Quand tout a coup, parmi ces vertes colonies, Un arbre qu*il connut des ses plus jeunes ans, Frappe ses yeux. Soudain, avec des cris percani II s’elance, il l’embrasse, il le baigne de larmes, Le couvre de baisers. Mille objets pleins de charmes, Ces beaux champs, ce beau ciel qui le virent heureux, Le fleuve qu’il fendoit de ses bras vigoureux, La foret dont ses traits percent l’hote sauvage, Ces bananiers charges et de fruits et d’ombrage Et.le toit paternel, et les bois d’alentour, Ces bois qui repondoient a ses doux chants d’ amour, 11 croit les voir encor, et son ame attendrie, Du moins pour un instant, retrouva sa patrie. Quels que soient vos bosquets, vos bois et vos vergeri, Enfans de votre sol ou des champs etrangers, L’art brillant des jardins, s’il veut long -terns nous plaire* Exi»e encor de vous un soin plus necessaire. Quelquefois en plantant, des ar istes sans art, Entr’eux et la campagne eLvent un rempart ; Leurs arbres sont un voile et non une parure ; Vous, sachez avec gout disposer leur verdure : Que vos arbres divers adroitement plantes, Des plus vastes lointains vous livrent les beautes; Par elles de vos pares augmentez I’etendue, Possedez par les yeux, jouissez par la vue; Eh! qui peut dedaigner ces aspects abondan* En tableaux varies, en heureux accidens 1 52 LES JARDINS, Par eux 1’osil est charme, la campagne cst vivante. La, d’un chemin public c’est la scene mouvante, C’est le boeuf matinal que suit le soc tranchant, C’est le fier cavalier qui, distrait en m archant, Du coursier, dont sa main abandonnoit 1’ allure, A l’aspect d’un passant, releve l’encolure; C’est le pieton modeste, un baton a la main, A qui la reverie abrege le chemin; C’est le pas grave et lent de la riche fermiere, C’est le pas leste et vif de la jeune laitiere, Qui l’habit retrousse, le corps droit, va trottant, ' Son vase en dquilibre, et chemine en chantant; C’est le lourd chariot dont la marche bruyante Fait crier le pave sous sa charge pesante ; Le char leger du fat qui vole en un instant, De 1’ ennui qui le chasse a l’ennui qui l’attend. Regardez ce moulin ou tombent en cascades, Sur l’arbre de Ceres les ondes des Nayades, Tandis qu’au gre d’Eole, un autre avec fracas, ■ Tourne en cercles sans fin ses gigantesques bras. Plus loin c’est un vieux bourg que des bois environ] La, de leurs longs crenaux les cites se couronnent, Et le docher ou plane un coq audacieux, Court en sommet aigu se perdre dans les cieux. Plus heureux, si de loin commande au paysage Quelque temple fameux, monument du vieil age, Dont les royales tours se prolongent dans 1’air, Royaumont, St. Denis, ou lc vieux Westminster, CHANT II. 53 Ou dorment confondus le guerrier, le poete, Les grands hommes d’etat, et Chatam a leur tete, L’eloouent Westminster ou tout parle a i’orgueil De grandeur, de neant, et de gloire et de deuil. Oublirai-je ce de.uve et ses bords et ses lies ? Et si la vaste mer entoure vos asiles, Quel tableau peut valoir son courroux, son repos, Et ses vaisseaux lointains qui volent sur les dots ? O Nice ! heureux sejour, montagnes renommees, De lavande, de thym, de citron parfumees ; Que de fois sous tes plants d’oliviers toujours verds, Dont la paleur s’ unit au sombre azur des mers, J’egarai mes regards sur ce theatre immense ! Combien je jouissois i soit que l’onde en silence Mollement balancee, et roulant sans efforts, D’une frange d’ecume allat ceindre ses bords; .Soit que son vaste sein se gondat de colere, J’aimois a voir le dot, d’abord ride legere, De loin blanchir, s’ender, s’allonger et marcher, Bondir tout ecumant de rocher en rocher ; Tantot se deplover comme un serpent dexible, Tantot tel qu’un tonnerre, avec un bruit horrible Precipiter sa masse, et de ses tourbillons ])ans les rocs caverneux s’engloutir ies bouillons. Ce mouvement, ce bruit, cette mer turbulente Roulant, montant, tombant en montagne ecumante Eriivroient mon esprit, mon oreille, mes yeux, Et le soir me trouvoit immobile en ces lieux. 54 LES JARDJNS, Done, si ce grand spectacle entoure vos domaines, Montrez, mais variez ces magnifiques scenes, Ici que la mer brille a travers les rameaux ; La, dans l’enfoncement de ces profonds berceaux Comme au bout d’un long tube, une voute la montres * Au detour d’un bosquet ici l’oeil la rencontre. La perd encor, enfin la vue en liberte Tout a coup la decouvre en son immensity. Sur ces aspects divers fixez Toeil qui s’egare ; Mais il faut I’avouer; e’est d’une main avare Que les hommes, les arts, la nature et le terns Sement autour de nous de riches accidens. O plaines de la Grece ! 6 champs de 1’Ausonie ? Lieux toujours inspirans, toujours chers au genie ; Que de fois, arrete dans un bel horizon, Le peintre voit, s’enflamme, et saisit son crayon, Dessine ces lointains, et ces mers, et ces lies, Ces ports, ces monts bnilans et devenus fertiles, Des laves de ces monts encor tout menatjans, Sur des palais detruits d’autres palais naissans, Et, dans ce long tourment de la terre et de l’onde, Un nouveau monde eclos des debris du vieux monde ! 1 H£las ! je n’ai point vu ce sejour enchante, Ces beaux lieux ou Virgile a tant de fois chante ; Mais? j’en jure et Virgile, et ses accords sublimes, J’irai de l’Apennin je franchirai les cimes; J’irai, plein de son nom, plein de ses vers sacres- Les lire aux memes lieux qui les ont inspires. CHANT II. , $5 Vous, au lieu des beautes qu’etalent ces rivages, N’avez-vous au dehors que de froids paysages ? Formez-vous au dedans un asile enchanteur; Tel le sage dans lui, sait trouver son bonheur. A vos scenes donnez l’air piquant du mystere; Que votre art les promette, et que Foeil les espere. Promettre c’est donner, esperer c’est jouir. D’un vain luxe, non plus, n’allez pas m’eblouir, L’utile a sa beaute, gardez-vous de 1’exclure. La richesse du luxe appauvrit la nature : Ses plants infructueux un moment flattent l'ceil ; Mais Vertumne et Pales exiles par l’orgueil, Maudissent ces bosquets et ces fleurs inutiles. He leur fecond domaine, usurpateurs steriles ; Bientot le soc vengeur y revient sur leurs pas, ,Et Ceres, en triomphe, a rep*is ses etats. Plantez done pour cueillir. Que la grappe pendante, La peche veloutee et la poire fondante, Tapissant de vos murs l’insipide blanchcur, H’un sue delicieux vous offrent la fraicheur. Que sur l’oignon du Nil, et sur la verte oseille, En globes de rubis descende la groseille. Que l’arbre o(Tre a vos mains la pomme au teint vermeil, Et l’abricot dore par les feux du soleil. A cote de vos fleurs aimez a voir eclore, Et le choux panache que la pourpre colore, Et les navets sucres que Freneuse a nourris; Pour qui mon dur censeur m’accusa de mepris : $6 LES JARDJNS, Ma muse aux dieux dcs champs ne fit point cette inju a Hote aimable des bois, ami de la nature, L’art des vers orne tout'et ne dedaigne rien ; Tout plait mis a sa place ; aussi gardez-vous bien 1 D’imiter le faux gout qui mele en son ouvrage L’inculte, l’elegant, le peigne, le sauvage ; Que tout soit pres de vous , fraicheur, graces, attraits,' ! Et qu’ailleurs au hasard ddsordonnant ces traits, La nature reprenne une marche plus fiere. Enfin, pour vous donner un conseil moins vulgaire, Toujours Part de planter ne dicte pas des loix Pour les vergers du sage, et les jardins des rois. II est des lieux publics ou le peuple s’assemble, Charme de voir, d’errer et de jouir ensemble ; Tant l’instinct social dans ses nobles desirs, Veut, comme ses travaux, partager ses plaisirs. La, nos fibres regards ne soufFrent point d’obstacle: , Ils veulent embrasser tout ce riche spectacle ; Ces panaches flottans, ces perles, ces rubis, L’orgueil de la coiffure, et l’eciat des habits: Ces voiles, ces tissus, ces etoffes brillantes, Et lcurs reflets changeans, et leurs pompes mouvantes : Tel, si dans ces jardins ou la fable autrefois A cache des heros, des belles et des rois, Dans la tige des lys, des oeillets et des roses, Les Dieux mettoient un terme a leurs metamorphosesjt T out a coup nous verrions par un contraire efTet, S’animer, ?e mouvoir 1’hyacintlie et l’ceillet, CHANT II. 5Y Le Ivs en blancs atours, la jonquille dor£e, Et la tulipe errante en robe bigarree. Tels nous plaisent ces lieux ; aux champs elisiens, Tel Paris reunit ses nombreux citoyens, Au retour du printems, tels viennent se confondre Au pare de Kensington les tiers enfans de Londre ; Vaste et brillante scene ou chacun est acteur, Amusant, amuse, spectacle et spectateur. Muse, quitte un instant les rives patemelles ; Revole vers ces lieux que tu pris pour modeles : Chante ce Kensington qui retrace a la fois, Et la main de le Notre, et les pares de nos rois, Ou dans toute sa pompe un grand peuple s’etale. A peine 1’alouette, a la voix matinale, A du printems dans l’air gazouille le retour; . Soudain, du long ennui de ce pompeux sejour, Ou la vie est souflrante, ou des foyers sans nombre, Melant aux noirs brouillards leur vapeur leme et sombre, Par ces canaux fumeux elances dans les airs, S’en vont noircir le ciel de la nuit des enfers; * Tout sort : de Kensington, tout cherche la montagne, La splendeur de la ville etonne la campagne ; Tout ce peuple pare, tout ce brillant concours, Le luxe du commerce, et le faste des cours ; Les harnois eclatans, ces-coursiers dont Paudace, Du Barbe gdnereux trahit la noble race, Mouillans le frein d’ecume, inquiets, haletans, Pleins des feux du jeune age, et des feux du printems; D 2 LES JARDINS, 5S Le hardi cavalier, qui plus prompt que la foudre, Part, vole et disparoit dans des torrens de poudre ; Les rapides wiskis, les magnifiques chars, Ces essaims de beautes dont les groupes epars, Tels que dans l’Elisee, a travers les bocages, Des fantomes legers glissent sous les ombrages, D’un long et blanc tissu rasent le verd gazon ; L’ enfant, embleme heureux de la jeune saison, Qui gai comme Zephir, et frais comme l’Aurore, Des roses du printems en jouant se colore ; Le vieillard dont le cceur se sent epanouir, Et d’un beau jour encor se hate de jouir ; La jeunesse en sa fleur, et la sante riante, Et la convalescence a la marche tremblante, Qui pale, et foible encor, vient sous un ciel vermeil, Pour la premiere fois, saluer le soleil. Quel tableau varie ! je vois sous ces ombrages, Tons les etats unis, tous les rangs, tous les ages; Ici marche entoure d’un murmure d’ amour, Ou Porateur celebre, ou le heros du jour ; La, c’est le noble chef d’une illustre famille, Une mere superbe, et sa modeste fille, Qui melant a la grace un trouble interessant, Semble rougir de plaire, et plait en rougissant ; Tandis que tressaillant dans Tame matemelle, L’orgueil jouit tout bas d’etre eclipse par elle. Plus loin un digne Anglois, bon pere, heureux epoux, Charge de son enfant, et her d’un poids si doux, CHANT II. 59 Le dispute aux baisers d’une mere cherie, Et sembie avec orgueil l’offrir a la patrie. Voyez ce couple aimable enfonce dans ces bois, La, tous deux ont aime pour la premiere fois, Et se montrent la place ou dans son trouble extreme, L’un d’eux, en palpitant, prononqa : je vous aime. La, deux bons vieux amis vont discourant entr’eux; Ailleurs un etourdi qu’emporte un char poudreux, Jette, en courant, un mot que la rapide roue Laisse bient6t loin d’elle, et dont Zephir se joue. On se cherche, on se mele, on se croise au hasard ; On s’envoye un salut, un sourire, un regard; Cependant a travers le tourbillon qui roule, Plus d’un grave penseur isole dans la foule, Va poursuivant son reve; ou peut-etre un banni, A l’aspect de ce peuple heureux et reuni, Qu’un beau site, un beau jour, un beau spectacle attire, Se souvient de Longchamps, se recueille et soupire. FIN DU SECOND C&ANT. * .. 7 LES JARDINS POE ME. CHANT TROISIEME. J E chantois les jardins, les vergers ct lcs bois, Quand le cri de Bellone a retenti trois fois. A ces cris, arraches des foyers de leurs peres, Nos guerriers ont vole sur des mers etrangeres, Et Mars a de Venus deserte les bosquets. Dieux des champs ! Dieux amis de l’innocente paix, Ne craignez rien. Louis, au lieu de vous detruire, Veut sur des bords lointains etendre votre empire j II veut c^u’en liberte, les heureux Pensylvains Puissei.i. cueillir les fruits qu’ont cultives leurs mains. Et vous, jeunes guerriers qu’ admire tin autre monde* Je ne puis vers York, sur les gouffres de l’onde Suivre votre valeurj mais pour votre retour Ma muse des jardins embcllit le sejour. B 4 62 LES JARDINS, Deja j’ordonne aux fleurs de croitre pour vos tetes; Pour vous de myrtes verds des couronnes sont pretes. Je prepare pour vous le murmure des eaux, Les tapis des gazons, les abris des berceaux, Ou mollement assis, oubliant les alarmes, . . > Tranquilles vous direz la gloire de nos armes, Tandis qu’entre la crainte et l’espoir suspendus, Vos enfans fremiront d’un danger qui n’est plus. Achevons cependant d’orner ces frais asiles. Jadis dans nos jardins les sables infertiles, Tristes, sees, et du jour reflechissant les feux, Importunoient les pieds, et fatiguoient les yeux. , Tout etoit nud, brulant; mais enfin l’Angleterre Nous apprit Part d’orner et d’habiller la terre. Soignez done ces gazons deployes sur son sein. Sans cesse l’arrosoir ou la faulx a la main, Desalterez leur soif, tendez leur chevelure. Que le roulant cylindre en foule la verdure. Que toujours bien choisis, bien unis, bien serres, De l’herbe usurpatrice avec soin delivres, Du plus tendre duvet ils gardent la finesse ; Et quelquefois enfin reparez leur vieillesse. Reservez toutefois aux lieux moins eloignes, Ce luxe de verdure et ces gazons soignes. Du reste composez une riche pature, Et que vos seuls troupeaux en fassent la culture. Ainsi vous fprmerez des nourrissons nombreux, Des engrais pour vos champs, des tableaux pour vos yeux CHANT III. <53 Ne rougissez done point, quoique l’orgueil en gronde, JD*ouvrir vos pares au boeuf, a la vache feconde, Qui ne degradent plus ni vos pares, ni mes vers. Sur le clirnat encor reglez vos plans divers. ^N’allez pas des gazons prodiguer la parurc Aux lieux ou la chaleur devore la verdure, La terre s’en attriste, et de ces pres fletris, Les yeux avec regret parcourent les debris. Ah ! quand le ciel brulant seche nos paysages, Que ne puis-je, Albion, errer sur ces rivages Ou la beaute foulant le tendre dmail des flours, Fromene en p^ix ses yeux innocemment reveurs ! Belle et fraiche Albion, fille aimable des ondes Qui nourris tes tapis de leurs vapeurs fecondes : La, m6me dans 1’ete, l’horison le plus pur D’un rideau nebuleux voile encor son azur; Par un soleil plus doux les plantes epargnees, D’une pluie insensible en tout terns sont baignees Sa secrete influence en nourrit la fraieheur ; L’herbe tendre y rena'it sous la main du faucheur, Et I’Angfois serieux, a son ciel charge d’ombres, Doit des gazons plus gais, et des pensers plus sombres* Quelque soit le clirnat, dans vos jardins rians, C’est pen de deployer ces tapis verdoyans; 11 en faut avec gout savoir choisir les formes. Crajgnez pour eux l’ennui des cadres uniformes, Ln d^insipides ronds, ou d’ennuyeux carres, & ne veux point les voir tristement resserres : ' D 5 64 LES JARDIN-S, Un air de liberte fait leur premiere grace. Que tantot dans les bois, dont l’ombre les embrasse, D ’un air mysterieux ils aillent se cacher, Et que tantot les bois les reviennent chercher. Telle est d’un beau gazon la force simple et pure. Voulez-vous mieux l’orner? Imitez la nature. Elle emaille les pres des plus riches couleurs. Hatez-vous j vos jardins vous demandent des fleurs. Fleurs charmantes ! par vous la nature est plus belle ; Dans ses brillans travaux Fart vous prend pour modele Simples tributs du cceur, vos dons sont chaque jour OlTerts par Famifie, hazardes par F amour. D’embellir la beaute vous obtenez la gloire; Le laurier vous permet de parer la victoire ; Plus d’un hameau vous donne en prix a la pudeur; L’autel memfc ou de Dieu repose la grandeur, Se parfume au printems de vos douces olfrandes, Et la Religion sourit a vos guirlandes. Mais c’est dans nos jardins qu’est votre heureux sejour. Filles de la rosee et de l’astre du jour, Venez done de nos champs decorer le theatre. N’attendez pas pourtant qu’amateur idolatre, Au lieu de vous jeter par toulTes, par bouquets, J’aille de lits en lits, de parquets en parquets, De chaque fleur nouvelle attendre la naissancc, Observer ses couleurs, epier leur nuance. Je sais que dans Harlem plus d’un triste amateur Au fond de ses jardins s’enferme avec sa Heur, CHANT III. Pour voir sa renoncule avant Paube s’eveille, D’une anemone unique adore la merveille, Ou, d’un rival heureux enviant Ie secret, Achete au poids de Por les taches d’un ceillet. Laissez-lui sa manie et son amour bizarre ; Qu’il possede en jaloux, et jouisse en avare. Sans obeir aux loix d’un art capricieux, Fleurs, parure des champs et delices des yeux, De vos riches couleurs venez peindre la terre. Venez ; mais n’allez pas dans les buis d’un parterre Renfermer vos appas tristement relegues. Que vos heureux tresors soient partout prodigues ; Tantot de ces tapis emaillez la verdure; Tantot de ces sentiers egayez la bordure ; Serpentez en guirlande ; entourez ces berceaux ; En Meandres brillans courez au bord des eaux, Ou tapissez ces murs, ou dans cette corbeille Du choix de vos parfums embarrassez Pabeille. Que Rapin, vous suivant dans toutes les saisons, Decrive tous vos traits, rappelle tous vos noms ; A de si longs details le Dieu du gout s’oppose. Mais qui peut refuser un hommage a la rose, La rose, dont Venus compose ses bosquets, Le printems sa guirlande, et l’amour ses bouquets, Qu’Anacreon chanta, qui formoit avec grace Dans les jours de festin la couronne d’ Horace, La rose au doux parfum de qui l’extrait divin Goutte a goutte verse par une avare main, 66 LES J A RD INS, Parfiime, en s’exhalant, tout tin palais d’Asie, Comme un doux souvenir remplit toute la vie ? Mais ce rjant sujet plait trop a mes pinceaux Destines a tracer de plus males tableaux. Cette variete, eharme de la nature, Dont ma muse tantot vous tragoit la peinturej, Et dont elle dictott les charmantes lemons, Pour un autre sujet demande d’autres tons. O vous, dont je foulois les pelouses rieuries, II faut done vous quitter agreables prairies. Un site plus severe appeile mes regards. Vovez de loin ces rocs confusement epars- De nos jardins voues a la monotonie, Leur sublime aprete jadis etoit bannie. Depuis qu’enfm le peintre y prescrivant des loix, Sur l’arpenteur timide a repris tons ses droits. Nos jardins plus hard is de ces effets s’emparent. Mais de quelque beaute que ces masses les parent^ Si le sol n’offre point ces blocs majestueux, De la nature en vain rival presomptueux, L’art en voudroit .tenter une infidelle image. Du haut des vrais rochers, sa demeure sauvage, Ea nature s-e rit de ces rocs contrefaits, D’un travail impuissant avqrtons imparfaits. Loin'de ces froids essais qu’un vain effort etale, Aux champs de Midleton, aux monts de Dove dale, Whately, je te suis; viens, j’y monte avec toi, Queje m’y sens saisi d’un agreable effroil CHANT III. 67 Tous ces rocs variant leurs gigantesques cimes, Vers le ciel elances, routes dans des abimes, L’un par l’autre appuyes, Tun sur 1’autre etendus, Quelquefois dans les airs hardiment suspendus, Les uns tailles en tours, en arcades rustiques, Quelques-uns a travers leurs noiratres portiques Du ciel dans le lointain laissant percer 1’aziMF, Des sources, des ruisseaux le cours brillant et pur. Tout rappelle a l’esprit ces magiques retraites, Ces romantiques lieux qu’ont chantes les poetes. Heureux si ces grands traits embellissent vos champs ! Mais dans votre tableau leurs tons seroient tranchans. C’est la, c’est pour dompter leur inculte energie, Qu’il faut d’un enchanteur le charme et la magie. Cet enchanteur, c’est l’artj ses charmes, sont les bois. II parley les rochers s’ombragent a sa voix, Et semblent s’applaudir de leur pompe etrangere. Quand vous ornez ainsi leur secheresse austere, Variez bien vos plants. Offrez aux spectateurs Des contrastes de tons, de formes, de couleurs. Que lee plus beaux rochers sortent par intervalles. N’interromprez-vous point ces masses trop egales ? Cachez ou decouvrez, variez- a la fois Les bois par les rochers, les rochers par les bois. N’avez-vous pas encor, pour former leur parure, Des arbustes rampans l’errante chevelure ? J’aime a voir ces rameaux, ces souples rejetons, Sur leurs .arides jtea serpents ep festonj. 6 $ LES JARDINS, J’aime a voir ieurs fronts nuds, et leurs tetes sauvages Se coiffer de verdure, et s’entourer d’ombrages. C’est peu. Parmi ces rocs un vallon precieux, Un terrein moins ingrat vient-il rire a vos yeux ? Saisissez ce bienfait ; deployez a la vue L’un sol favorise la richesse imprevue. C’est un contraste heureux; c’est la steril^te Qui cede un coin de terre a la fertilite. Ainsi vous subjuguez leur apre caractere. Non qu’il faille toujours les omer pour vous plaire j Votre art, qui doit toujours en adoucir l’horreur, Leur permet quelquefois d’inspirer la terreur. Lui-meme il les seconde. Au bord d’un precipice L’une simple cabane il pose l’edifice: Le precipice encore en paroit agrandi. Tantot d’un roc a l’autre il jette un pont hardi. A leur terrible aspect je tremble, et de leur cime L’ imagination me suspend sur l’abime. Je songe a tous ces bruits du peuple repetes, Le voyageurs perdus, d’amans precipites; Vieux recits, qui charmant la foule emerveillee, Les credules hameaux abregent la veillee, Et que reffroi du lieu persuade un moment. Mais de ces grands efiets n’usez que sobrement. Notre coeur dans les champs a ces rudes secousses Prefere un calme heureux, des emotions douces, Moi-meme je le sens, de ia cime des monts 5’ai besoin de descendre en mes rians vallons. CHANT III. 69 Je les omai de fleurs, Jes couvris de bocages ; II est terns que des eaux roulent sous leurs ombrages. . Eh bien ! si vos sommets jadis tout depouilles Sont, grace a mes leqons, richement habilles, O rochers ! ouvrez-moi vos sources souterraines, Et vous, fleuves, ruisseaux, beaux lacs, claires fontaines, Venez, portez par-tout la vie et la fraicheur. Ah ! qui peut remplacer votre aspect enchanteur ? De pres il nous amuse, et de loin nous invite ; C’est le premier qu’on cherche, et le' dernier qu’on quitte Vous fecondez les champs ; vous repetez les cieux ; Vous enchantez l’oreille et vous charmez les yeux. Venez : puissent mes vers, en suivant votre course, Couler plus abondans encor que votre source, Plus legers que les vents qui courbent vos roseaux, Doux comme votre bruit, et purs comme vos eaux ? Et vous qui dirigez ces orides bienfaitrices, Respectez leurs penchans et meme leurs caprices. Dans la facilite de ses libres detours, Voyez l’eau de ses bords embrasser les contours. De quel droit osez-vous, captivant sa souplesse, De ses plis sinueux contraindre la motlesse ? Que lui fait tout le marbre ou vous l’emprisonnez ? Voyez -vous, les cheveux aux vents abandonnes, Sans gene, sans appret, sans parure etrangere, Marcher, courir, bondir la fol&tre bergere ? Sa grace est dans l’aisance et dans la liberte. Mais au fond d’un serail contemplez la beaute : TO LES JARDINS, Enrain elle eblouit, vainement elle etalc De ses atours captifs la pompe orientale ; Je ne sais quoi de triste, empreint dans tous ses trait*, Decele la contrainte et fletrit ses attraits. Que l’eau conserve done la liberte qu’elle aime, Ou changez en beaute son esclavage meme. Ainsi malgre Morel, dont l’ek piente voix De-da simple nature a su plaider les droits, J’aime ces jeux ou l’onde en des canaux pressdt Part, s’echappe et jaillit avec force elancee. A l’aspect de ces dots qu’un art audacieux Fait sortir de la terre et lance jusqu’aux cieux, L’homme se dit: “ e’est moi qui creai ces prodiges. ** L’homme admire son art dans ces brillans prestiges ; Qu’ils soient done d£ployes chez les grands, et les rois Mais, je le dis encor; loin du luxe bourgeois Dont le jet d’eau honteux, n’osant quitter la terre, S’eleve a peine, et meurt a deux pieds du parterre. C’est peu: tout doit repondre a ce riche ornement; Que tout prenne a l’entour un air d’enchantement. Persuadez aux yeux que d’un coup de baguette Une Fee, en passant s’est fait cette retraite. Tel j’ai vu de Saint-Cloud le bocage enchanteurj L’oeil de son jet hardi mesure la hauteur; Aux eaux qui s,ur les eaux retombent.et bondissent, Les bassins, les bosquets, les grottes applaudiss6nt; Le gazon est plus verd, l’air plus frais ; des oiseaux Le chant s’anime au bruit de la chute des eaux, CHANT III. n Et les bois inclinant leurs tetes arrosees, Semblent s’epanouir a ces donees rosees. Plus simple, plus champetre, et non moins belle aux yeux, La cascade ornera de plus sauvages lieux. De pres est admiree et de loin entendue Cette eau toujours tombante et toujours suspenduej Variee, imposante, elle anime a la fois Les rochers, et la terre, et les eaux, et les bois. Employez done cet art; mais loin Parchitectur* De ces tristes gradins, ou tombant en mesure, D un mouvement egal, les dots precipites Jusque dans leur fureur marchent a pas comptejs. . La variete seule a le droit de vous plaire. La cascade d’ailleurs a plus d’un caractc-re. II faut choisir. Tantot d’un cours tumultueux L’eau se precipitant dans son lit tortueux, B ourt, tombe et rejaillit, retombe, ecume et gronde ; Tantat avec lenteur developpant son onde, ; Sans colere, sans bruit un ruisseau doux et pur S’epanche, se deploie en tin voile d’azur.^ L’oeil aime a contempler ces frais amphitheatre®, Et l’or des feux du jour sur les nappes bleuatres, Et le noir des rochers, et le verd des roseaux, Et l’eclat argent^ de l’ecume des eaux. | Consultez done PefTet que votre art veut produire; I Et ces Hots, toujours prompts a se laisser conduire, ! Vont vous oltrir, plus lents ou pluyimpctueux, Des tableaux gais ou fie,rs ; grands ou voluptueux. 72 LES JARDINS, Tableaux toujours puissans ! Eh ! qui n’a pas de l’ond Eprouve sur son coeur l’impression profonde? Toujours, soit qu’un courant vif et precipite Sur des cailloux bondisse avec agilite, Soit que sur Ie limon une riviere lente Deroule en paix les plis de son onde indolente ; Soit qu’a travers les rocs un torrent en courroux Se brise avec fracas ; triste ou gai, vif ou doux Leur cours excite, appaise, ou menace, ou caresse. De Venus, nous dit-on, Fecharpe enchanteresse Renfermoit les amours, et les tendres desirs, Et la joie, et Fespoir, precurseur des plaisirs. Les eaux sont ta ceinture, 6 divine Cybele 1 Non moins imperieuse elle renferme en elle La gaiete, la tristesse, et le trouble et l’effroi. Eh ! qui Fa mieux connu, Fa mieux senti que moi ?* Souvent, je m’en souviens, lorsque les chagrins sombre Que de la nuit encore avoient noircis les ombres, Accabloient ma pensee et fletrissoient mes sens, Si d’un ruisseau voisin j’entendois les accens, J’allois, je visitois ses consolantes ondes. Le murmure, le frais de ses eaux vagabondes Suspenddient mes chagrins, endormoient ma douleur, Et la serenite renaissoit dans mon coeur. Tant du doux bruit des eaux l’influence est puissante I Pour prix de ce bienfait, toi dont le cours m’encha El j Ruisseau, permets que Fart, sans trop Penorgueillir, T’embellisse a nos yeux, si Fart peut t’embellir. CHANT III. 73 tJn ruisseau sieroit mal dans une vaste plaine; Son lit n’ y traceroit qu’une ligne incertaine. Modestes, an grand jour se montrant a regret, Ses dots veulent baigner un bocage secret. Son cours orne les bois ; les bois sont ses delices. La, je puis a loisir suivre tous ses caprices, Son embarras charraant, sa pente, ses replis, Le courroux de ses dots par 1’obstacle embellis. Tantot dans un lit creux, qu’un noir taillis ombrage, Cachant son onde agreste et sa course sauvage, Tantot a plein canal present ant son miroir, Je le vois sans Pentendre, ou Pentends sans le voir. La, ses dots amoureux vont embrasser des lies. Plus loin, il se separe en deux ruisseaux agiles, Qui, se suivant Pun V autre arec rapidite, Disputent de vitesse et de limpidite ; Puis rejoignant tous deux le lit qui les rassemble. Murmurent enchantes de voyager ensemble. Ainsi, toujours errant de detour en detour, Muet, bruyant, paisible, inquiet tour a tour, Sous mille aspects divers son cours se renouvelle. Mais vers ses bords rians la riviere m’appelle. Dans un champ pfus ortvert, noble et pompeux tabteau, Son onde moins modeste en larges nappes d’eau Roule, des feux du jour au loin etincclante ; Tile laisse au ruisseau sa gaiete petulante, Et son inquietude et ses plis tortueux. Sen lit, en longs courans, des vallons sinueux E 74 LES JARDINS, Suivra les doux contours et la molle courbnre. Si lc ruisseau des bois cmprunte sa parure, La riviere aime aussi que des arbres divers, Les pales peupliers, les sautes demi-verds Ornent souvent son cours. Quelle source fe con de De scenes, d’accidens ! La, j’aime a voir dans l’onde Se renverser leur cime, et leurs feuillages verds Trembler du mouvement et des eaux et des airs. Jci, le flot bruni fuit sous leur voute obscure. La, le jour par filets peneire leur verdure. Tantot dans le courant ils trempent leurs rameaux, Et tantot leur racine embarrasse les fiots. Souvent d’un bord a l’autre etendant leur feuillage, Ils semblent s’elanccr et changer de rivage. Ainsi 1’arbre et les eaux se pretent leurs secours : L’onde rajeunit l’arbre, et 1’arbre orne son cours; Et tous deux, s’alliant sous des formes sans nombre, Font une echange aimabl^ et de fraicheur et d’ombre 'Sachez done les unir; ou si, dans de beaux lieux, La nature sans vous fit cet hymen heureux, Kespectez-la. Malheur a qui feroit mieux qu’elle Tel est, cher Watelet, mon coeur me le rappelle, Tel est le simple asile ou, suspendant son cours, Pure comme tes mocurs, fibre comme tes jours, En canaux o mb rages la Seine se partage, Et visite en secret la retraite d’un sage. Ton art la seconda ; non cet art imposteur, Des lieux qu’il croit orner hardi profanaxeur ; CHANT III. 75 Digne de voir, d ’aimer, de sentir la nature, Tu traitas sa beaute comme une vierge pure Qui rougit d’etre nue, et craint les ornemens. Je crois voir le faux gout gater ces lieux charmans. Ce moulin, dont le bruit nourrit la reverie, N’est qu’un son importun, qu’une meule qui crie; On l’ecarte. Ces bords doucement contournes, Par le fleuve lui-meme en roulant faconnes, S’alignent tristement. Au lieu de la verdure Qui renferme le fleuve en sa molle ceinture, L’eau dans des quais de pierre accuse sa prison ; Le marbre fastueux outrage le gazon, Et des nrbres tondus la famiile captive Sur res saules vieillis ose usurper la rive. Barbares, arretez, et respectez ces lieux. Et vous, fleuve charmant, vous, bois delicieux, Si j ’ai peint vos beautes, si des mon premier age Je me plus a chanter les pres, l’onde et Pombrage, Beaux lieux, ofFrez long -terns a votre possesseur L’image de la paix qui regne dans son coeur. Au defaut des courans formes par la nature, L’art pourra vous preter son heureuse imposture Sans doute; mais cet art veut un ocil exerce. Que les flots bien conduits, que leur cours bien trace M’oiTrent de la riviere un portrait veritable; Son lit, ses eaux, ses bords que tout soit vraisemblable, De ta riviere ainsi le cours fut faqonne, O toi, d’un couple auguste, asile fortune, $ 2 Delicieux Oatlands ! ta plus riche parure, Ce n’est point ton palais, tes fleurs et ta verdure, Ni tes vastes lointains, ni cet antre charmant Qui d’une nuit arabe oflfre 1’enchantement ; Mais ces superbes eaux, qu’en un fleuve factice, Ee gout fit serpent er avec tant d’ artifice. L’ccil charme s’y meprend; dans ces nombreux detours i De la Tamise encor il croit suivre le cours, Et par l’illusion d’une savante optique, Qui confond les lointains dans sa vapeur magique, D'un vieux pont suspendu sur ce fleuve royal, Montre de loin la voute embrassant ton canal ; Tant l’art a de pouvoir, et tant la perspective Qui prete a vos tableaux sa beaute fugitive, Par sa douce feerie et ses charmes secrets, Colorant, approchant, eloignant les objets, De son brillant prestige embellit les campagnes, Comble ici les vallons, la, baisse les montagnes, Deguise les objets, les distances, les lieux, Et pour mieux les charmer en impose a no.s yeux f Autant que la riviere en sa molle souplesse D’un rivage anguleux redoute la rudesse, Autant les bords aigus, les Jongs enfoncemens Sont d'un lac etendu les plus beaux ornemens. Que la terre tantot s’avance au sein des ondes ; Tantot qu’elle ouvre aux flots des retraites profondes ; Et qu’ainsi s’appellant d’un mutuel amour, Et la terre et les eaux se cherchent tour a tour. CHANT III. 77 Ces aspects varies amusent votre vue. L’ceil aime dans un lac une vaste etendue. Cependant oflrez-lui quelques points de repos. Si vous n’interrompez l’immensite des flots, Mes veux sans interet glissent sur leur surface. Ainsi, pour abregerdeur insipide espace, Ou qu’un frais batiment, des chaleurs respecte, Sc presente de loin dans les flots repete; Ou bien faites eclore une lie de verdure. Les lies sont des eaux la plus riche parure. Ou relevez leurs bords, ou qu’en bouquets cpars, Des masses d’arbres verds arretent vos regards. Par un contraire’eflet si vous voulez l’etendre, Aux bords trop exhausses ordonnez de descendre ; Ou reculez vos bois, ou commandez que l’eau Se perde en un bosquet, tourne au pied d’un coteau. A travcrs ces rideaux ou l’eau fuit et se plonge, L’imagination la suit et la prolonge. Ainsi votre ceil jouit de ce qu’il ne voit pas ; Ainsi le gout savant prete a tout des appas, Et des objets qu’il cree, et de ceux, qu’il imite Rcsserre, etend, decouvre, ou cache la limite. Du frais miroir des eaux, de leurs nombreux reflets Sachez aussi connoitre et saisir les effets. Quelle que soit leur forme, etang, lac ou riviere, Qu’il soit pour vos bosquets un centre de ltimiere, Un foyer eclatant d’ou les rayons du jour P£netrcnt doucement dans les bois d’alentour; E 3 7$ lES JAR-DINS, Et de Ponde au bocage, et du bocage a l’ondc, Prominent, en jouant, leur lueur vagabonde. L’ceil aime a voir glisser a travers les jrameaux, Et leur clarte tremblante, et leurs jours inegaux. La, leur teinte est plus claire, ici plus rembrunie, Et de leurs doux combats resulte l’harmonie. Or maintenant, que l’art dans ses jardins pompeux Insulte a mes travaux : dans mes jardins heureux Par tout respire un air de liberte de joie ; La pelouse riant e a son gr 6 se deploie ; Les bois independans relevent leurs rameaux; Les fleurs bravent l’equerre, et l’arbre les ciseaux ; L’onde cherit ses bords, la terre sa parure; Tout est beau, simple et grand : c’est Part de la nature Que dis-je! vos travaux sont encor imparfaits, Ces etangs sont deserts, et ces lacs sont muets; Eh bien ! pour animer leur surface immobile, L’art vous presente encor plus d’un moyen utile. Pourquoi sur ces Hots morts ne deployez-vous pas Le flottant appareil des rames et des mats ? Leur aspect vous amuse, et des barques legeres Votre ocil de loin poursuit les traces passageres. Zephire de la toiie enfle les plis mouvans, Et chaque banderole est le jouet des vents. Faites plus : que la tanche et la perche et P anguiUe, "Y propagent en paix leur nombreuse famille. Donne^-leur quelques soins ; que docile a vos loix, Leur troupe familiere accoure a votre voix. CHANT III. 19 Joignez-y ces oiseaux qui d’une rame agile, Navigateurs ailes fendent Ponde docile. A leur tete s’avance, et nage avec fierte Le eigne au col superbe, au plumage argen f e, Le eigne a qui Perreur preta des chants abatable*, Et qui n’eut pas besoin du mensonge des fables. A sa suite un essaim de ces oiseaux rameurs, Tous differens de voix, de plumage, de mccurs, Fend les eaux, bat les airs de ses ailes bruvantes; Tout jouit, tout s’anime, et les eaux sont vivantes. Et si des faits anciens, des traits miraculeux, ’Des amours, des combats, ou vrais ou fabuleux, Crees par les romans, ou vivans dans Phistoire, D’un ruisseau, d’une source ont consacre la gloirfi; De leur antique honneur ces flots enorgueillis, Par d’heureux souvenirs sont assez embellis. Quel coeur, sans etre £mu, trouveroit Arethuse, Alphee, ou le Lignon: toi surtout, toi Vaucluse, Vaucluse, heureux sejour, que sans enchantement Ne peut voir nul poete, et surtout nul amant ? Dans ce cercle de monts, qui, recourbant leur chaine r Nourrissent de leurs eaux ta source souterraine, Sous la roche voutee, antre mysterieux, Ou ta Nymphe, echappant aux regards curieux, Dans un goufTre sans fond cache sa source obscure, Combien j’aimois a voir ton eau, qui, toujours pure, Tantot dans son bas$in renferme ses tresors, Tant6t en bouillonnant s’dleve, et de ses bords E 4 SO LES JARDINS, Yersant parmi des rocs ses vagues blanchissantes, J)e cascade en cascade au loin rejaillissantes, Tombe et roulc a grand bruit ; puis, calmant son courroux, Sur un lit plus egal rtrpand des dots plus doux, Et sous un ciel d’azur coule, arrose et feconde Le plus riant vallon qu’eclaire l’oeil du monde ! Mais ces eatix, ce beau ciel, ce vallon enchanteur, Moms que Petrarque et Laure interessoient mon ccerir. La voila done disois-je, oui, voila cette rive Que Petrarque charmoit de sa lyre plaintive ! Ici Petrarque a Laure exprimant son amour, Voyoit naitre trop tard, mourir trop tot le jour. Retrouverai-je encor sur ces rocs solitaires Le leurs chifTres unis les tendres caracteres ? Une grotte ecartee avpit frappe mes yeux-; Grotte sombre, dis-moi si tu les vis heureux, M’£criois-je ! un vieux tronc bordoit-il le rivage? Laure avoit repose sous son antique ombrage. Jc redemandois Laure a l’echo du vallon ; Et l’echo n’avoit point oublie ce doux nom. Partout mes yeux cherchoient, vovoient Petrarqueet Laure, Et par eux ces beaux lieux s’embellissoient encore. Ah! si dans vos travau x est toujours respecte Le lieu par un grand homme autrefois habite, # Combien doit l’etre un sol embelli par lui-meme! Daijs ces sites fameux e’est leur maitre qu’on aime. Eh ! qui du Tusculum de Porateur romain, Uu Tivoli si cher au Pindare latin, CHANT III. Si Auroit ose changer la forme antique et pure ? Tout ornement l’altere, et Part lui fait injure. Loin done I’audacieux qui pour lc corriger, Prophane un lieu celebre en voulant le changer. Le grand homme au tombeau se plaint de cet outrage, Et les ans seuls ont droit d’embellir son ouvrage, Gardez done d’attenter a ces lieux reveres; Leurs debris sont divins, leurs defauts sont sacres. Conservez leurs enclos, leurs jardins, leurs murailles ; Tel on laisse sa rouille au bronze des medailles ; Tel j’ai vu ce Twicknham dont Pope est erdateur: Le gout le defendit d’un art profanateur ; Et ses maitres nouveaux, reverant sa memoire, .Dans P oeuvre de ses mains ont respecte sa gloire. Ciel ! avec quel transport j’ai visits ce lieu Dont Mindipe est le maitre, et dont Pope est le dieu ? Le plus humble reduit avoit pour moi des charmes. Le voila ce musee ou l’oeil trempe de larmes, De la tendre Helo'ise il soupiroit le nom. La, sa muse evoquoit Achille, Agamemnon, Celebroit Dieu, le monde, et ses loix eternellcs, Ou les regies du gout, ou les cheveux des belles. Je reconnois l’alcove ou jusqu’a son reveil, Les doux reves du sage amusoient son sommeil. Voici le bois secret, void l’obscure allee, Ou s'cchaulToit sa verve en beaux vers exhalee. Approchez, contemplez ce monument pieux, Ou pleuroit en silence un fils religieux. e 5 82 LES JARDINS, La, repose sa mere, et cles touflfes plus sombres .Sur ce saint mausolee ont redouble leurs ombres. La, du Parnasse Anglois le chantre favori Se fit porter mourant sous son bosquet cheri; Et son ceil que deja couvroit l’ombre eternelld, Vint saluer encor la tombe maternelle. Salut, saule fameux que ses mains ont plante ! Helas ! tes vieux rameaux dans leur caducity, Envain sur leurs appuis reposent leur vieillesse; Un jour tu periras, ses vers vivront sans cesse. Console-toi pourtant ! celui qui dans ses vers, D’Homere le premier fit ouir les concerts, Bienfaiteur des jardins ainsi que du langage, Le premier sur les eaux suspendit ton ombrage. A peine le passant voit ce tronc respecte, La rame est suspendue et l’esquif arrete : Et meme en s’eloignant, vers ce lieu qu’il adore Ses regards prolong^ se retournent encore. Mon sort est plus heureux ; par un secret amour, Pres de ces bois sacres j’ai fixe mon sejour. Eh ! comment resister au charme qui m’entraine ? Par plus d’un doux rapport mon penchant m’y ramene. Le chantre d’Hion fut embelli par toi, Virgile moins heureux fut imite par moi. Comme toi je cheris ma noble independance; Comme toi des forets je cherche le silence. Aussi, dans ces bosquets par ta muse habites Viennent errer sou^ent mes regards enchants : CHANT III. 83 J’y crois entendre encor ta voix melodieuse; J’interroge tes bois, ta grotte harmonieuse ; Je plonge sous sa voute avec un saint eflfroi, Et viens lui demander des vers dignes de toi. Protege done ma muse, et si ma main fidele, Jadis a nos Francois te montra pour moclele, Inspire encor mes chants; e’est toi dont le flambeau Guida l’art des jardins dans un chemin nouveau; Ma voix t’en fait 1’hommage, et dans ce lieu champetre Je viens t’offrir les fleurs quo toi-meme as fait nattre FIN DU TROISIEME CHANT, ' ■ ■ «* ' < V T'./ * » \ I '-XKi *t> ) LES JARDINS. POE ME. CHANT aUATRIEME. Non , je ne puis quitter le spectacle des champs. Eh ' qui dedaigneroit ce sujet de mes chants ? II inspiroit Virgile, il seduisoit Ilomere. Ilomere, qui d’Achille a chayite la colere, Qui nous peint la terreur attelant ses coursiers, Le vol sifflant des dards, le choc des boucliers, Le trident de Neptune ebranlant les murailles, Se plait a rappeller, au milieu des batailles, Les bois, les pres, les champs ; et de ces frais tableaux, Les riantes couleurs delassent ses pinceaux. Et lorsque pour Achille il prepare des armes, S’il y grave d’abord les sieges, les alarmes, Le vainqueur tout poudreux, le vaincu tout sanglant, Sa main trace bientdt d’pn burin consolant 16 LES JARDINS, La vigne, les troupeaux, les bois, les paturages : Le heros se revet de ces donees images, Part, et porte a travers les aiFreux bataillons L’innocente vendange et les riches moissons. Chantre divin, Je laisse a tes muses altieres Le soin de diriger ces phalanges guerrieres ; Diriger les jardins est mon paisible emploi. Deja le sol docile a reconmi ma loi, Des gazons l’ont couvert, et de sa main vermeille Flore sur leur tapis a verse sa corbeille, Des bois ont couronne les rochers et les eaux. Maintenant, pour jouir de ces brillans tableaux, Dans ces champs decouverts, sous ces obscures voute D’agreables senders vont me frayer des routes. Des scenes a ma voix naitront de toutes parts ; Pour les orner enFin, j’y conduirai les arts; Et le ciseau divin, la noble architecture Vont de ces lieux charmans achever la parure. Les sentiers, de nos pas guides ingenieux Doivent, en les montrant, nous embellir ces lieux. ' Dans vos jardins naissans je defends qu’on les trace. Dans vos plants acheves l’oeil choisit mieux leur plac Vers les plus beaux aspects sachez les diriger. Voyez, lorsque vous-meme aux yeux de l’etranger I Vous montrez vos travaux, votre art avee adresse Va chercher ce qui plait, £vite ce qui blesse. Lui decouvre en passant des sites enchantes, Lui reserve au retour de nouvelles beautes, CHANT IV. t De surprise en surprise et l’amuse et l’entraine, D’une scene qui fuit fait naitre une autre scene, Et toujours remplissant ou piquant son desir, Souvent pour raugmenter, differe son plaisir. Eh bien ' que vos sentiers vous imitent vous-meme. Dans leurs formes encor fuyez tout vain systeme, Enfant du mauvais gout, par la mode adopte. La mode regne aux champs, ainsi qu’a la cite. Quand de leur symetrique et pompeuse ordonnance Les jardins d’ltalie eurent charme la France, Tout de cet art brillant fut prompt a s’eblouir : Pas un arbre au cordeau n’osa desobeir j Tout s’aligna. Par tout, en deux rangs etalees, S’alongerent sans fin d’eternelles allees. Autre terns, autre gout. Enfin le pare anglois D’ une beaute plus libre avertit le francois. Des lors on ne vit plus que lignes ondoyantes, Que sentiers tortueux, que routes tournoyantes. Lasse d’errer, envain le terme est devant moi; II faut encor errer, serpenter malgrd soi, Et maudissant vingt fois votre importune adresse, Suivre sans cesse un but qui rectile sans cesse. Evitez ces exces ; tout exces dure peu. De ces sentiers divers chaque genre a son lieu. L’un conduit aux aspects dont la grandeur frappante I)e loin fixe mes yeux et nourrit mon attente. I.’ autre m’egarera dans ces reduits secrets Qu’un art mysterieux semfile voiler expres. 8 $ LES JARDINS, Mais rendez naturelce dedale factice; Qu’il alt l’air du besom, et non pas du caprice. Que divers accidens rencontres dans son cours Les bois, les eaux, le sol commandent ces detours. Dans lehr forme j’exige une heureuse souplesse. Des longs alignemens si je hais la tristesse, Je hais bien plus encor le cours embarrasse D’un sentier qui, pareil a ce serpent blesse, En replis convulsifs sans cesse s’entrelace, De detours redoubles m’inquiete, me lasse, Et sans variete, brusque et capricieux, Tourmente et le terrein, et mes pas, et mes yeux. II est des plis heureux, des courbes naturelles Dont les champs quelquefois vous offrent des modeles. La route de ces chars, la trace des troupeaux Qui d’un pas negligent regagnent les hameaux. La bergere indolente, et qui dans les prairies Semble suivre au hasard ses tendres reveries, Vous enseignent ces plis mollement onduleux. Loin done de vos sentiers les contours anguleux. Surtout, quand vers le but un long detour nous mene, Songez que le plaisir doit racheter la peine. Des poetes fameux osez imiter l’art. Si leur muse en marchant se permet un ecart, Ce detour me rit plus que le chemin Iui-meme. C’est Nisus defendant Euryale qu’il aime, C’est au tombeau d’Hector son Andromaque en pleurs Qu’ainsi votre art m'egare en de douces erreurs. CHANT IV. 8.0 Des plus rians objets 6gayez le passage, Et qu'au terme arrives, votre art nous dedommag© Par d’aimables aspects, de riches ornemens, De ce vivant poeme episodes charmans. Ici, vous m’offrirez des antres verds et sombres, Qu’habitent la fraicheur, le silence et les ombres. L’imagination y devance les yeux. Plus loin, c’est un beau lac qui reflechit les cieux. Tantot, dans le lointain confuse et fugitive, Se deploie une immense et noble perspective. Quelquefois un bosquet riant, mais recueilli, Par la nature et vous richement embelli, Plein d’ombres et de fleurs, et d’un luxe champetre, Semble dire : “ Arretez ! ou pouvez-vous mieux etre ? ” Soudain la scene change; au lieu de la gaiete, C’est la melancolie et la tranquillite ; C’est le calme imposant des lieux ou sont nourries La meditation, les longues reveries. La, l’homme avec son ccEur revient s’entretenir, Medite le present, plonge dans l’avenir, Songe aux biens, songe aux maux epars dans sa carriere Quelquefois, rejetant ses regards en arriere, Sc plait a distinguer dans le cercle des jours Ce peu d’instans, helas ? et si chers.et si courts, Ces fleurs dans un desert, ces terns ou le ramena Le regret du bonheur, et metne de la peine. Craignez done d’imiter ces froids decorateurs Qui ne veulcnt jamais que des objets flatteurs. 90 LES JARDINS, Jamais rien de hardi dans leurs froids paysages j Partout de frais berceaux et d’elegans bocages ; Toujours des fleurs, toujours des festons ; c’est toujours Ou le temple de Flore, ou celui des Amours. Leur gaiete monotone a la fin m’importune. Mais vous, osez sortir dela route commune. Inventez, hasardez des contrastes heureux ; Des efFets opposes peuvent s’aider entr’eux. Imitez Le Poussin. Aux fetes bocageres, Jl nous peint les bergers et les jcunes bergeres, Les bras entrelaces, da-nsant sous des ormeaux, Et pres d’eux une tombe ou sont ecrits ces mots : Et mot je Jus aussi pasteur dans V Arcadie. Ce tableau des plaisirs, du neant de la vie, Semble dire : “ mortels, hatez-vous de jouir; “ Jeux, danses et bergers, tout va s’evanouir; ,l Et dans I’ame attendrie, a la vive allegresse Succede, par degres, une douce tristesse. Imitez ces eflfets, En de rians tableaux, Ne craignez point d’offrir des urnes, des tombeaux ; D’ofirir de vos douleurs le monument fidele. Eh ! qui n’a pas pleure quelque perte cruelle ? Loin d’un monde leger, venez done a vos pleurs, Yenez associer les bois, les eaux, les fleurs. Tout devient un ami pour les ames sensibles; Deja pour l’embrasser de leurs ombres paisibles, Se penchent surja tombe, objets de vos regrets, L’if, lc sombre sapinj et toi, triste cypres, CHANT IV. 91 Fidele ami des morts, protecteur de leur cendre, Ta tige chere au coeur melancolique et tendre, Laisse la joie au myrte et la gloire au laurier j Tu n’es point i’arbre heureux de l’amant, du guerrier, Je le sais ; mais ton deuil compaiit a nos peines. Dans tous ces monumens point de recherches vaines. I^ouvez-vous allier, dans ces objets touchans, L’art avec la douleur, le luxe avec les champs ? Surtout ne feignez rien. Loin ce cercueil factice, Ces urnes sans douleur, que pla^a le caprice. Loin ces vains monumens d’un chien ou d’un oiseau : C’est profaner le deuil, insulter au tombeau. Ah ! si d’aucun ami vous n’honorez la cendre, Voyez sous ces vieux ifs la tombe ou vont descendre Ceux qui, courbes pour vous sur des sillons ingrats, Au sein de la misere esperent le trepas. Rougiriez-vous d’orner leurs humbles sepultures ? Vous n’y pouvez graver d’illustres avantures, Sans doute. Depuis l’aube, ou le coq matinal Des rustiques travaux leur donne le signal, Jusques a la veillee, ou leur jeune famille Environne avec eux le sarment qui peliile, Dans les memes travaux roulent en paix leurs jours ; Des guerres, des traites n’en marquent point le cours; Naitre, souffrir, mourir c’est toute leur histoire. Mais leur coeur n’est point sourd au bruit de leur memoire. Quel homme vers la vie, au moment du depart, Ne se tourne, et ne jette_un triste et long regard, F 92 LES JARDINS, A Pespoir d’un regret ne sent pas quelque charme, Et des ycux d’un ami n’attend pas quelque larme 2 Pour consoler leur vie honorez done leur mort. Celui qui de son rang faisant rougir le sort, Servit son Dieu, son Roi, son pays, sa famille, Qui grava la pudeur sur le front de sa fille, D*une pierre moins brute honorez son tombeau ; Tracez-y ses vertus et Ies pleurs du hameau : Qu’on y lise : CLgit le bon jils , le bon pere , Le bon epoux. Souvent un charmc involontaire Vers ces enclos sacres appellera vos yeux. Et toi qui vins chanter sous ces arbres pieux, Avant de les quitter, Muse, que ta guirlande Demeure a leurs rameaux suspendue en oftrande. Que d’autres dans leurs vers celebrent la beaute ; Que leur muse, toujours ivre de volupte, Ne se montre jamais qu’un myrte sur la tete, Qu’avec ses chants de joie et ses habits de fete; Toi, tu dis au tombeau des chants consolateurs, Et ta main la premiere y jeta quelques flours. Revenons, il est terns, sous de plus gais ombrages. L’ architecture encore au fond de ces boeages M’attend, porn les orner d’edifices charmans. Ce ne sont plus du deuil les tristes monumens ; Ce sont d’heureux reduits, dont la riche parure, D’arbres environnee, embellit leur verdure. Mais j’en permets l’usage, et j’en pros»cns I’abus. Pannrssez desJardins tout cet amas cxmfiis CHANT IV. 93 D’edifices divers, prodigues par la mode, > Obelisque, rotonde, et kiosk, et pagode, Ces batimens Romains, Grecs, Arabes, Chinois, Chaos d’ architecture, et sans but, et sans choix, D : ont la profusion sterilement feconde Enferme en un jardia les quatre parts du monde. Dans Stow, je l’avouerai, l’art plus ingenieux, Et choisit mieux leur forme et les disposa mieux. Je crois en admirant leur pompeuse richesse, Ou voyager dans Rome, ou parcourir la Grece. Mais les Grecs, les Romains et les ages passes, Seuls dans ces grands travaux ne sont pas retraces. Non, ces lieux embellis par vous par vos ancetres, O couple vertueux ! me parlent de leurs maitres. Ces murs que la concorde honora de son nom, Me peignent de vos coeurs la touchante union. Qui peut voir, sans songer a vos vertus publiques, Ce monument sacre des vertus Britanniques ? Salut, temple des arts, temple de l’amitie. . . Mais quoi ! je n’y voit point 1’autel de la pitie ! Qui pourtant mieux que vous sentit ses douces flames ? Ah ! s’il n’est dans ces lieux, son temple est dans vos &mes. Envain votre Elisee, aimable et doux abri, Croit etre du bonheur le sejour favori. II n’est point confine dans cet etroit asile, II vous suit aux hamaux, a la cour, a la ville; Et faisant des heureux sans craindre des ingrat3, Le bonheur est partout ou s’adressent vos pas. f % 94 LES JARDINS, Quels que soient leur grandeur, leur nombre, leur figu Des batimens divers que la forme soit pure. N’y cherchez pas non plus un oisif ornement. Et sous l’utilite deguisez l’agremenf. La ferme, le tresor, le plaisir de son maitre, Reclamera d’abord sa parure champetre. Que 1’orgueilleux chateau ne la dedaigne pas; II lui doit sa richesse ; et ses simples appas L’emponent sur son luxe, autant que l’art d’Armide Cede an souris naif d’une vierge timide. La ferme ! A ce nom seul, les moissons, les vergers, Le regne pastoral, les doux soins des bergers, Ces biens de Page d’or, dont l’image cherie Plut tant a mon enfance, &ge d’or de la vie, Reveillent dans mon cceur mille regrets touchans. Venez de vos oiseaux j’entends deja les chants ; J’entends rouler les chars qui trainent 1’abondance, Et le bruit des fleaux qui tombent en cadence. Ornez done ce sejour. Mais, absurde a grands frais, LJ’allez pas eriger une ferme en palais. Elegante a la fois et simple dans son style, La ferme est aux jardins ce qu’aux vers est l’idylle. Ah ! par les dieux des champs, que le luxe effronte De ce modeste lieu soit toujours rejete. N’allez pas deguiser vos pressoirs et vos granges. Je veux voir l’appareil des moissons, des vendanges, Que le crible, le van ou le froment dore Bondit avec la paille et retombe epure, CHANT IV. 95 La herse, les traineaux, tout I’attirail champetre, Sans honte, a mes regards, osent ici paroitre. Surtout, des animaux que le tableau mouvant, Au dedans, an dehors lui donne un air vivant. Ce n’est plus du chateau la parure sterile, La grace inanimee et la pompe immobile : Tout vit, tout est peuple dans ces murs, sous ces toils. Que d’oiseaux diflerens et d’instinct et de voix, Habitans sous l’ardoise, ou la tuile, ou le chaume, Famille, nation, republique, royaume, M’occupent de leurs moeurs, m’amusent de leurs jeux A leur tete est le coq, pere, amant, chef heureux, Qui, roi sans tyrannie, et sultan sans mollesse, A son serail aile prodiguant sa tendresse, Aux droits de la valeur joint ceux de la beaute, Commande avec douceur, caresse avec fierte, Et fait pour les plaisirs, et 1’ empire, et la gloire, Aime, combat, triomphe, et chante sa victoire. Vous aimerez a voir leurs jeux et leurs combats, Leurs haines, leurs amours, et jusqu’a leurs repas. La corbeille a la main, la sage menagere A peine a reparu ; la nation legere, Du sommet de ses tours, du penchant de ses toits, En tourbillons bruyans descend toute a la fois ; La foule avide, en cercle, autour d’elle se presse; D’autres toujours chasses et revenant sans cesse, Assiegent la corbeille, et, j usque dans la main, Parasites hardis, viennent ravir le grain. f 3 So LES JARDINS, Soignez done, protegez ce peuple domestiquf. Que leur logis soit sain, et non pas magnifique. Que leur font des reduits richement decores, Le marbre des bassins, les grillages dor£s ? Un seul grain de millet leur plairoit d’avantage. La Fontaine l’a dit. O veritable sage ! La Fontaine, e’est toi qu’il faudroit en ces lieux ; Chantre heureux de l’instinct, ils t’inspireroient mieux. Le paon, fier d’etaler l’iris qui le decore, Du dindon rengorge l’orgueil plus sot encore, Pourroient a nos depens egayer ton pinceau. La, de tes deux pigeons tu verrois le tableau, Et deux coqs amoureux, a la discorde en proie, Te feroient dirent encore : “ Amour ! tu perdis Troie. * Ainsi nous plait la ferme et son air anime. Dans cet autre reduit, quel peuple renferme De ses cris inconnus a frappe mes oreilles ? La, sont des animaux, etrangeres merveilles ; La, dans un doux exil vivent emprisonnes Quadrupedes, oiseaux, l’un de 1’ autre etonnes. N’allez pas rechercher les especes bizarres. Preferez les plus beaux, et non pas les plus rares. OfFrez-nou9 ces oiseaux qui, nes sous d’autres cieux, Favoris du soleil, brillent de tous ses feux, L’or pourpre du faisant, Pemail de la pintade, Logez plus richement ces oiseaux de parade ; Eux-memes sont un luxe ; et puisque leur beaufe Rachete a vos regards leur inutilite, CHANT IV* 9 7 De ces captifs brillaas que les prisons soient belles. Surtout, ne m'offrez point ces animaux rebelles, De qui l’orgueil s’indigne, et langiiit dans nos fers. Eh ! quel ceil sans regret peut voir le roi des airs, L’aigle, qui se jouoit au milieu de l’orage, Oublier aujourd’hui dans une indigne cage La fierte de son vole, et Peclair de ses yeux ? Rendez-lui le soleil et la voute des cieux: Un etre degrade ne peut jamais nous plaire. Tandis que deployant leur parure etrangere, Ces hotes differens semblent briguer mon choix, Mon odorat charme m’appelle sous ces toits Ou, de meme exiles et ravis a leur terre, D’etrangers vegetaux habitent sous le verre. Entourez d’un air doux ces freles rejetons. Mais vainqueur des climats, respectez les saisons ; Ne forcez point d’eciore, au sein de la froidurc, Des biens qu’a d’autres terns destinoit la nature. Laissez aux lieux fletris par des hivers constans Ces fruits d’un faux ete, ces Heurs d’un faux printems; Et lorsque le soleil va murir vos richesses, Sans forcer ses presens, attendez ses largesses. Mais j’aime a voir ces toits, ces abris transparens Xfceceler des climats les tributs differens, Cet asile enhardir le jasmin d’lberie, La pervanche frileuse oublier sa patrie, Et le jaune ananas, par ces chaleurs trompe, Veus livrer de son fruit le tresor usurpe. f 4* SS LES JARDINS, Tel nous plait Trianon ; tel Paris nous etale Des deux mondes rivaux la pompe vegetale. Tel formant une cour a Pepouse des rois, Kew, des plants etrangers, a rassemble le choix ; A ces sujets nouveaux leur reine vient sourire ; Chacun, comme Albion, benit son doux empire, Et retrouvant ici son climat, sa saison, Pardonne son exil, et cherit sa prison. Motivez done toujours vos divers edifices, Des animaux, des fleurs, agreables hospices. Combien d’autres encore, adoptes par les (ieux, Approuves par le gout, peuvent charmer nos yeux? Sous ces saules que baigne une onde salutaire, Je placerois du bain 1’asile solitaire. Plus loin, une cabane ou regne la fraicheur Offriroit les filets et la ligne au pecheur. Vous voyez de ce bois la dopce solitude; J’y consacre un asile aux Muses, a l’etude. Dans ce majestueux et long enfoncement, J’ordonne un obelisque, auguste monument; II s’eleve, et j’ecris sur la pierre attendrie: A nos braves marins mourans pour la palrie. Quelques pleurs, en passant, s’echappent de vos yeiix. La-haut e’est une tour ou Part ingenieux Eieve et fait jouer ces tablettes parlantes, Qui des faits confies a leurs feuilles mouvantes, Se transmettent dans Pair les rapides signaux. Jndignee a Paspect de ces couriers nouveaux, 99 CHANT IV. La deesse aux cent yeux, aux cent voix infideles, A brise sa trompette, et replie ses ailes. Ainsi vos baiimens, vos asiles divers Ne seront point oisifs, ne seront point deserts. Au site assortissez leur figure, leur masse. Que chacun avec gout etabli dans sa place, Jamais trop resserre, jamais trop etendu, Laisse briller la scene, et n’y soit point perdu. Sachez ce qui convient on nuit au caractere. Un reduit ecarte, dans un lieu solitaire, Peint mieux la solitude encore et l’abandon. Montrez-vous done fidele a chaque expression. N’allez pas au grand jour oflTrir un hermitage ; Ne cachez point un temple au fond d’un bois sauvage; Un temple veut paroitre au penchant d’un coteau ; Son site aerien repand dans le tableau L’eclat, la majeste, le mouvement, la vie ; Je crois voir un aspect de la belle Ausonie. Par un contraire effet, vous cacherez au jour L’asile du silence, ou celui de l’amour; Ainsi- de Radzivil se derobe le temple ; L’oeil de loin le devine, et de pres le contemple, Dans son ile charmante, abri voluptueux. La tout est frais, riant, simple, majestueux ; Au dedans, un jour doux, le calme, le mystere, I.es traits cheris du dieu qu’en secret on revere ; Au dehors les parfums de cent vases divers, Lu nuage odorant, exhales dans les airsj 200 LES JARDINS, Ce beau lac dont l’azur reflechit son porlique, Ces restes d’un vieux temple, et cette voute antique Qui voit d’heureux troupeaux dormir aux memes lieux Ou leur sang autrefois eut coule pour les dieux; L’heureuse allegorie, et la fable et l’histoire, Tout ce qui plait aux yeux, et parle a la memoire. La nature et les arts, le genie et le gcrut, Tout sert a Tembellir, lui-meme embellit tout. Heureux quand Radzivil daigne en orner les fetes, Et vient au dieu du temple assurer des c-onquetes. Telle est des batimens la grace et la beaute. Mais de ces monumens la brillante gaiete, Et leur luxe moderne, et leur fraiche jeunesse, Dun auguste debris valent-ils la vieillesse ? L’aspect desordonne de ces grands corps epars, Leur forme pittoresque attache les regards ; Tar eux le cours des ans est marque sur la terre ; Detruits par les volcans, ou 1'orage ou la guerre, IIs instrument toujours, consolent quelquefois. Ces masses qui du terns sentent aussi le poids, Enseignent a cedcr a ce commun ravage, A pardonner au sort. Telle jadis Carthage Vit sur ses murs detruits Marius malheureux, Et ces deux grands debris se consoloient entre eux. Liez done a vos plans ces venerables restes. I Et toi qui m’egarant dans ces sites agrestes; * Bien loin des lieux frayes, des vulgaires chemins, f Par des sentiers nouveaux guides l’art des jardins, CHANT IV. 101 o soeur de la Peinture, aimable Poesie, A ces vieux monumens viens redonner la vie ; Viens presenter au gout ces riches accidens, Que de ces lentes mains a dcssine le terns. Tantot, c’est une antique et modeste chapeile, Saint asile ou jadis, dans la saison nouvelle, Vierges, femmes, enfans, sur un rustique autel Venoient pour les moissons implorer 1’Eternel. Un long respect consacre encore ces mines Tantot, c’est un vieux fort, qui du haut des collines Tvran de la contree, efTroi de ses vassaux, Portoit jusques au ciel 1’orgueil de ses creneaux ; Qui, dans ces terns affreux de discorde et d’alarmes, Vit les grands coups de lance et les nobles faits d’armes De nos preux Chevaliers, des Ba'iards, des Henris; Aujourd’hui la moisson flotte sur ses debris. Ces debris, ,eette male et triste architecture, Qu'environne une fraiche et riante verdure, Ces angles, ces glacis, ces vieux restes de tours, Ou l’oiseau couve en paix le fruit de ses amours, Et ces troupeaux peuplant ces enceintes guerrieres, Et l’enfant qui se joue ou combattoient ses peres; Saisissez ce contraste, et deployez aux yeux Ce tableau doux et fier, champetre et belliqueux. Plus loin, une abbaye antique, abandonnee, Tout a coup s’offre aux yeux de bois environn.ee. Quel silence ! C’est la qu’amante du desert La meditation avec plaisir se perd 102 LES JARDINS, Sous ces portiqu.es saints, ou des vierges austeres, Jadis, comme ces feux, ces lampes solitaires Dont les mornes clartes veillent dans le saint lieu, Pales, veilloient, bruloient, se consumoient pour Dieu. Le saint recueillement, la paisible innocence Semble encor de ces lieux habiter le silence. La mousse de ces murs, ce dome, ceite tour, Les arcs de ce long cloitre impenetrable au jour, Les degres de l’autel uses par la priere, Ces noirs vitraux, ce sombre et profond sanctuaire Ou peut-etre des coeurs en secret malheureux A l’inflexible autel se plaignoient de leurs noeuds, Et pour des souvenirs encor trop pleins de charmes, A la religion cleroboient quelques larmes ; Tout parle, tout emeut dans ce sejour sacre. La, dans la solitude en revant egare, Quelquefois vous croirez, au declin d’un jour sombre, L’une Heloi'se en pleurs entendre gemir 1’ ombre. Mettez done a profit ces restes reveres, Augustes ou touchans, profanes ou sacres. Mais loin ces monumens dont la mine feinte Imite mal du terns 1’inimitable empreinte, Tous ces temples anciens recemment contrefaits, Ces restes d’un chateau qui n’exista jamais, Ces vieux ponts nes d’hier, et cette tour gothique, Ayant I’air delabre, sans avoii: l’air antique, Artifice a la fois impuissant et grossier. Jc crois voir r „et enfant tristement griraacier, CHANT IV. 103 Qui jouant la vieillesse et ridant son visage, Perd sans paroitre vieux, les graces du jeune age. Mais un debris reel interesse mes yeux. Jadis contemporain de nos simples aieux, J’aime a l’interroger, je me plais a le croire. Des peuples et des terns il me redit l’histoire. Plus ces terns sont fameux, plus ces peuples sont grands Et plus j’admirerai ces restes imposans. O champs de l’ltalie ! 6 campagnes de Rome, Ou dans tout son orgueil git le neant de l’homme f C’est la que des aspects fameux par de grands noms, Pleins de grands souvenirs et de hautes lemons, Vous offrent ces objets, tresors des paysages. Voyez de toutes parts, comment le cours des ages Dispersant, dechirant de precieux lambeaux, Jetant temple sur temple, et tombeaux sur tombeaux, De Rome etale au loin la ruine immortelle ; Ces portiques, ces arcs, ou la pierre fidelle Garde du peuple roi les exploits eclatans ; Leur masse indestructible a fatigud le terns. Des fleuves suspendus ici mugissoit l’onde ; Sous ces portes passoient les depouilles du monde ; Partout cdnfusement dans la poussiere epars, Les thermes, les palais, les tombeaux des Cesars; Tandis que de Virgile, et d’Ovide, et d’ Horace, La douce illusion nous montre encor la trace. Heureux, cent fois heureux, l’artiste des jiqrdins, Dont l’art peut s’emparer de ces testes divins ! 104 LES JARDINS, Deja la main du terns sourdement le seconder Deja sur les grandeurs de ces maitres du monde La nature se plait a reprendre ses droits. Au lieu meme ou Pompee, heureux vainqueur des roi$. Etaloit tant de faste, ainsi qu’au jour d’Evandre, jLa flute des bergers revient se faire entendre. Voyez rire ces champs au laboureur rendus, Sur ces combles tremblans ces chevreaux suspendus, L’orgueilleux obelisque au loin couche sur l’herbe, L’humble ronce embrassant la colonne superbe ; Ces forets d’arbrisseaux, de plantes, de buissons, Montant, tombant en grappes, en toufles, en festons, Par le souffle des vents semes sur ses ruines, Le iiguier, P olivier, de leurs foibles racines Achevent d’ebranler Pouvrage des Romains; Et la vigne flexible, et le lierre aux cent mains, Auteur de ces debris rampant avec souplesse, Semblent vouloir cacher ou parer leur vieillesse. Mais si vous n’avez pas ces restes renommes N’a'tez-vous pas du moins ces bronzes animes, Et ces marbres vivans, deites des vieux ages, Ou Part seul fut .divin et for^a les hommages ? Je sais qu’un gout severe a vouiu des jardins Exiler tous ces dieux des Grecs et des Romains. Et pourquoi ? Dans Athene et dans Rome nourrie, Notre enfance a connu leiir riante feerie. Ces dieux n’etoient-ils pas laboureurs et bergers ? Pourquoi done leur fermer vos bois et vos vergers ? CHANT IV. 105 Sans Pomone, vos fruits oseront-ils eclore ? De l’empire des fleurs pouvez-vous chasser Flore ? Ah, que ces dieux toujours enchantent nos regards ! L’idolatrie encore est le culte des arts. Mais que 1’art soit parfait; loin des jardins, qu’onchasse Ces dieux sans majeste, ces deesses sans grace. A chaque deite choisissez son vrai lieu. Qu’un dieu n’usurpe pas les droits d’un autre dieu. Laissez Pan dans les bois. D’ou vient que ces Naiades, Que ces Tntcns a sec se melent aux Driades? Pourquoi ce Nil envain couronne de roseaux, Et dont l’urne poudreuse est l’abri des oiseaux ? Otez-moi ces lions et ces tigres sauvages: Ces monstres me font peur, meme dans leurs images ; Et ces tristes Cesars, cent fois plus monstres qu’eux, Aux portes des bosquets, sentinelles affreux, Qui tout hideux d’effroi, de soupqons et de crimes, Semblent encor de l’oeil designer leurs victimes, De quel droit s’ofirent-ils dans ce riant sejour? Montrez-moi des mortels plus chers a notre amour. En des lieux consacres a leur apotheose, Creez un elysee ou leur ombre repose. Loin des profanes yeux, dans des vallons couverts De lauriers odorans, de mvrtes toujours verds, En marbre de Paros offrez-nous leurs images. Qu’une eau lente se plaise a baigner ces bocages, Et qu’aux ombres du soir melant un jour douteux, Diane aux doux rayons soit l’astre de ces lieux. 106 LES JARDINS, Leur tranquille beaute sous ces dais de verdure, De ces marbres cheris la blancheur tendre et pure, Ces grands hommes, leur calme et simple majeste, Cette eau silencieuse, image du Lethe, Qui semble pour leurs coeurs exempts d’ inquietude, Rouler l’oubli des maux et de l’ingratitude, Ce bois, ce jour mourant sous leur ombrage epais. Tout des manes heureux y respire la paix. Vous done, n’y consacrez que des vertus tranquilles. Loin tous ces conquerans en ravages fertiles : Comme ils troubloient le monde, ils troubleroient ces lieu Placez-y les amis des hommes et des dieux, Ceux qui par des bienfaits vivent dans la memoire, Ces rois dont leurs sujets n’ont point pleure la gloire. Montrez-y Fendlon a notre oeil attendrij Que Sully s’y releve embrasse par Henri. Donnez des fleurs, donnez; j’en couvrirai ces sages Qui, dans un noble exil, sur des lointains rivages Cherchoient ou repandoient les arts consolateurs. Toi surtout, brave Cook, qui, cher a tous les coeurs, Unis par les regrets la France et l’Angleterre; Toi qui, dans ces climats ou le bruit du tonnerre Nous annoncoit jadis, Triptoleme nouveau, Apportois le coursier, la brebis, le taureau, Le soc cultivateur, les arts de ta patrie, Et des brigands d’Europe expiois la furie; Ta voile en arrivant leur annontjoit la paix ; Et ta voile en partant leur laissoit des bienfaits. CHANT JV. 167 Re^ois done ce tribut d’un enfant de la France. Et que fait son pays a ma reconnoissance ? Ses vertus en ont fait notre concitoyen. Imitons notre roi, digne d’etre le sien. Helas ! de quoi lui sert que deux fois son audacc Ait vu des cieux brulans, fendu des mers de glace; Que des peuples, des vents, des ondes reverb, Seui sur les vastes mers son vaisseau fut sacre; Que pour lui seul la guerre oubliat ses ravages ? L’ami du monde, helas ! meurt en proie aux sauvage§. Au bord d’une eau limpide, en des bosquets fleuris, Melez done son image a ces bustes ch^ris ; Et que son doux aspect, ses malheurs et vos larmes A ces lieux enchantes pretent de nouveaux charmes. Mais e’est peu d’enseigner l’art d’embellir les champ.s, II faut les faire aimer, et peut-etre en mes chants, Bien mieux qu’un froid precepte, une histoire touchantc Rendra plus cher encor les travaux que je chante. Ces doux soins qui du sage occupent les loisirs, Quelquefois les rois meme ont goute leurs plaisirs. C’est toi que j’en atteste, o vieihard magnanime ! Toi ne du sang royal, modeste Abdolonime. Obscur et retire dans son paisible enclos, Entre son doux travail et son heureux repos, Le vieillard oublioit le sang q.ui le fit naitre ; Nul sejour n’egaloit sa demeure champetrc; . D un cote c’est Sidon, et son port, et ses mers, -De 1' autre, du Libanies cedres toujyurs verds, 108 LES JARDINS, Dont les sommets pompeux, disposes en eta ge, Levoient cime sur cime, orabrage sur ombrage. Au rianc de la montagne un fertile coteau, Vetu d’un verd tapis, s’etendoit en plateau: Et dela deux filets d’une onde cristalline, Tomboient, en murmurant, le long de la colline. Au centre du jardin, vers le soleil naissant, Un vallon fortune se courboit en croissant ; Zone delicieuse en tous terns ignoree, Et du Midi brulant et du fougueux Boree. Dans le fond, les sapins, les cypres fastueux, En cercles dessinoient leurs rangs majestueux j Mille arbres odorans y versoient sans blessure, Le nard le plus parfait, la myrrhe la plus pure. Au devant, s’avancoient, deployant leur tresor, Le citron orgueilleux de son ecorce d’or, Et la rouge grenade, et la figue mielleuse, Et du riche palmier la datte savoureuse. Au tour, de beaux rochers, des marbres d’un blanc pui D’autres veines d’argent, d’or, de pourpre, et d’azur Charmoient plus ses regards dans leurs masses rustique Que ceux dont l’art jadis decoroit ses portiques. Sur leurs flancs ondoyoient des arbrisseaux en fleur, Difterens de parfums, de forme, de couleur. La rose les paroit, et sur l’eau qui murmure, De vieux saules penchoient leur longue chevelure. Plus loin c’est un troupeau, qui, content sous ses loix, | Lui peignoit l’origine, et les devoirs des rois. CHANT IV. 109 Les premiers souverains furent pasteurs des hommes, Se disoit-il souvent, mais dans l’age ou nous sommes Quels sages envieroient ces illustres dangers ? II disoit ; et content du sceptre des bergers II soignoit tour a tour ses troupeaux et ses plantes ; Son fils le secondoit de ses mains innocentes, L’un est majestueux encor dans son declin, Sa barbe a flots d’ argent se repand sur son sein, Sur son teint vigoureux une male vieillesse N’a point decolore les fieurs de la jeunesse. Sa marche est assuree, et son auguste front Du terns et du malheur semble braver l’affront. Son fils est dans sa fleur, mais de 1’ adolescence, Les traits deja plus murs s’eloignent de l’enfancej La rose est sur sa joue, et d’un leger coton, Le duvet de la peche ombrage son menton, Son air est doux, mais fier, et de sa noble race, Je ne sais quoi de grand conserve encor la trace. Tous deux, lorsque le soir temperoit les chaleurs, Au repos de la nuit abandonnant leurs fieurs, Quelquefois de l’empire ils lisoient les annales Et du peuple, et des grands les discordes fatales ; Comment au bruit confus de mille affreuses voix Le crime ensanglanta la demeure des rois, Et du trone brise fit tomber leurs ancetres. Le vieillard les pleuroit, mais sous ses toits champetres Tranquille, il etoit loin d’envier leur splendeur, 'I el n’etpit point son filsj un instinct de grandeur G 110 LES JARDINS, Quelquefois dans son ame eveilloit un courage, Au dessus de son sort, au dessus de son age. Mais l’exemple d’un pere arretant son essor, A son labeur champetre il se plaisoit encor. Tel un jeune arbrisseau qui sur les vastes plaines, Doit deployer un jour ses ombres souveraines, Dans un antique bois qu’a foudroye le ciel Foible se cache encor sou's l’abri paternel. Au centre du jardin est un autel champetre, La, tous deux des saisons ils adoroient le maitre, Un soir apres avoir fini leurs doux travaux, Desaltere leurs fleurs, taille leurs arbrisseaux, Au pied de cet autel couronne de guirlandes, Tous deux agenouilles presentoient leurs oftrandes. L’air etoit en repos, les rayons du soleil, Glissant obliquement de I’occident vermeil Peignoient au loin les mers de leur pourpre flottante Les vaisseaux de Sidon dans leur voile ondoyante, A peine recueilloient quelque souffle de vents j La vague, avec lenteur. rouloit ses plis mouvansj Enfin tout etoit ealme, et la nature entiere, Sembloit avec plaisir ecouter leur priere. Chaque voeu vers le ciel s’eleve en liberte ; Par les voutes d’un temple il n’est point arrelt? j Et les fruits parfumes, les fleurs et la verdure Formoient, de mille odeurs l’encens de la nature. I^e vieillard le premier au maitre des humains Levoit en suppliant ses venerables mains ; CHANT IV. Ill II prioit pour ses fruits, pour son fils, pour l’empire; Sur ses levres erroit un auguste sourire ; Son fils l’accompagnoit de ses timides vceux; JLeurs voix montoient ensemble a l’oreille des Dieux. Soixante ans de vertu recommandent le pere ; L’ innocence du fils protege sa priere. Un si touchant spectacle attendrissoit le del ; Et dans le meme instant au pied du meme autel, Tout rOlympe attentif contemploit en silence Le malheur, la vertu, la vieillesse et l’enfance. Voila que tout-a-coup resonne aux environs L’eclatante trompette et les bruyans clairons. Une troupe guerriere entoure cette enceinte ; Le jeune Abdolonime a tressailli de crainte, Mon fils, dit le vieillard, ne t’epouvante pas ; Lorsque l’orgueil arme rassemble ses soldats, Le riche peut trembler, mais le pauvre est tranquille. II dit; reste a l’autel, et demeure immobile. Mais la trompette sonne une seconde fois, Et l’echo route au loin prolonge dans les bois. C’est le vainqueur de Tyr, c’est lui, c’est Alexandre. Fatigue de marcher sur des palais en cendre, Eflroi du tr6ne, il veut en devenir 1’appui, Et ce caprice auguste est digne encor de lui. Des portes du jardin les pilastres rustiques, N’offroient point des palais les marbres magnifiques, D’un simple bois de chene ils etoient fa^onnes. Ces lieux d’un verd rempart etoient environnes, G 2 112 LES JARDINS, Et le murier inculte, et la blanche aubepine, Ensemble composoient leurs murs tissus d’epine, Alexandre s’arrete, et ce triomphateur, Qui des plus fieres tours abaissa la hauteur, Contemple avec respect cette foible barriere ; II laisse hors des murs sa cohorte guerriere ; II porte dans 1’ enceinte un pas religieux, Et craint de profaner le calme de ces lieux. A peine il les a vu, ses passions s’appaisent, Son orgueil s’attendrit, ses victoires se taisent, Et sur ce coeur fougueux, sur ce tyran des rois, Ea nature un instant, a repris tous ses droits. II cherche le vi^illard, il le voit, il s’approche: Ce lieu me fait, dit-il, un trop juste reproche; “ Il me dit que j’ai trop meconnu le bonheur; * ( A terrasser les rois je mettois mon honneur. “ Je vais jouir enfin d’un charme que j ’ignore. €t Ton sang regna jadis, il doit regner encore, <( Sors de l’obscurite ; les peuples et les rois, t{ Sont toujours criminels d’abandonner leurs droits. “ Ne me refuse pas cette nouvelle gloire, i( C’est le prix le plus doux qu’attendoit ma victoire; li Viens done ; tout te rappelle au rang de tes ayeux, “ Tes vertus et ton peuple, Alexandre et les dieux. “ Ainsi ta main toujours dispose des couronnes, “ Aux uns tu les ravis, aux autres tu les donnes, “ Repondit le vieillard, et de tes fieres loix “ Ee plus obscur reduit ne peut saurer les rois. CHANT IV. 113 Eh bien ! a mes destins je suis pret a souscrire; “ Pour le rendre a mon fils, je reprends mon empire, “ Toi, si tu peux des champs gouter encor la paix, (t Contemple cet asile, et conqois mes regrets, “ Permets done qu’en ces lieux le sommeil des chaumieres (t Pour cette nuir du moins ferme encor mes paupieres Et qu’en ce doux abri prolongeant mon sejour, “ Je derobe aux grandeurs le reste d’un beau jour; “ Demain a mes devoirs je consens a me rendre. ** Cette noble fierte plait au coeur d’ Alexandre; Mais durant leurs adieux, le fi's dans le jardin Ayant cueilli des fleurs qu’emrelasse sa main, A ces lauriers cruels qu’ensanglanta Bellone, Demande a marier sa modeste couronne. Le heros lui sourit, et ce front triomphant, Se courbe avec plaisir sous la main d’un enfant. II le prend, il l’embrasse, et fixant son visage, Dans ses destins futurs aime a voir son ouvrage. II part enfin, s’ 61 oigne, et s’arrache a regret A ce couple innocent qu’il envie en secret. II s’eloigne indigne de sa grandeur cruelle, Qui traine le ravage et le deuii apres elle ; Prend pitie de sa gloire, et sent avec douleur Qu’il a conquis le monde, et perdu le bonheur. Mais ce jour le console, il eprouve en lui-meme Ce plaisir pur qui fuit l’orgueil du diademe, Qu’ ignore la victoire, et quitte ces beaux lieux, Fier d’un plus beau triomphe et plus grand a ses yeux. 314 LES JARDINS, Le vieillard tout Ie soir suit sa tache innocente, Tl court de fleur en fleur, erre de plante en plante, Se hate de jouir, et dans le fond du coeur Recueille avidement un reste du bonheur. A peine l’horison avoit rougi l’aurore, Que pressant dans ses bras cet enfant qu’il adore: Je vais regner, dit-il, et ce terrible emploi, Mon fils, apres ma mort retombera sur toi Que je te plains ! Ces bois, ces fleurs sujets fidelles, Ne m’etoient point ingrats, ne m’etoient point rebelles, Qu’un sort biefi different nous attend aujourd’hui ! Viens done, 6 cher enfant ! viens, 6 mon doux appui I .Du malheur de regner, viens consoler ton pere. Et vous objets charmants, toi cabane si chere, Vous, que je cultivois, vergers delicieux, Arbre que j’ai plante, recevez mes adieux. Helas ! coulant ici mes heures fortunees, Heureux, par vos printems je comptois mes annees; Ces fastes valoient bien les annales des rois, Puisse du moins 1’empire etre heureux sous mes loix, Et me dedommageant de vos pures delices, Par le bonheur commun payer mes sacrifices. II dit ; promene encor ses regards attendris Sur ses bois, sur ses fleurs, ses sieves cheris, Et part environne d’une brillante escorte; Mais du palais a peine il a touche la porte, Mille ressouvenirs se pressent sur son coeur, Dans un confus transport de joie et de douleur, CHANT IV. 115 En silence il parcourt le sejour de ses peres Temoin de leur grandeur, temoin de leurs misere«. Leur ombre l’y poursuit; il pense quelquefois, Entendre au tour de lui leur gemissante voix j Mais les flots d’un vin pur, et le sang des victimes Achevent d’efifacer la trace de ces erimes. Il regne ; l’equite preside a ses projets ; Son sceptre est moins pesant, cheri par ses sujets; Cependant quelquefois, loin du monde profane, Il revient en secret visiter sa cabane ; llevient s’asseoir encor au pied de ses ormeaux, De ses augustes mains emonde leurs rameaux ; Et s’occupant en roi, se delassant en sage, D’un bonheur qu’il n’a plus adore encor i’image. !'I N T DU QVATRIEME CHANT.