X* 'K DUKE UNIVERSITY LIBRARY The Glenn Negley Collection of Utopian Literature ^ 3 jjjLy^' ^^y^^' k^^-l5^ ^^ O-l 4 oW IB 'i.^'' cCcw> Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from Duke University Libraries http://www.archive.org/details/relationduvoyageOOervf RELATION D U Y A G E D E LISLE DEUTOPIE. A DE LFT, Chez Henry vanRhin Mar- chand Libraire & Imprimeur. M. DCC. XI. LE TT RE De TAuteur de cette Relation a un Ami. M O N S I E U R, Up droit ajfe'z^par ojotre Lettre que ma KeUtion du Voyage de rifle d' Eutopic ne njous a pas dcpltl ; Ihi- tention quefai cu en ^ous la commu- niquant a ete de ^'ous cdifier.cn ^vous faifant connoitre avec quelle purcte CCS Pcuplcs eloigncT^ pratiquent Ics preccptes de I Evangile , & comment lis s acquitent dcs devoirs indijp en- fables de la Religion, Vous croyex. que celafera utile au Public j 6f m(jy jejuis perjuade du contraire. On aura beau dire que ces Pcuplcs bons Catho^ liques viruent de telle maniere ^ les chofcs ironttoujours leur train ; (§p- malgre tout ce quonpourra dire de leur picte^^dontjefuis le Temoin ocu- Lettre de TAuteur aun Amu Idire^ les Ca^tholiques de nos climats ^ivront totij ours comme iis ontfait^ & mci KeUtion fir a. comme une tym- bale qui hdttra. Va^ir fiins rien effe- £iuer, Vous ^ouleT^cependant que je ^ous em-voye cette KeUtionpar ecrit ; je ne fqaurois rien refufir a un hon Amy sje vous lenvoiroi done ^ en luy di/kntce que dit Horace a fin Li^re: Alle'z^y courcT^y^olei^; maisfiou^enex^ ^ous quand (vous fiervireT^ d' envelo- pes aupoiojre ^ al encens ^ que vous gemircT^ ^ regrettercT^ mon Qahinet ouvous eticT^kr ahri de lafityre (d^ du mepris ije luifimhaite un meiUeur fiort S'&fivous mencroye-x^^ vous ne la communiquereT^au a desgenspieux &fiages , qui la liront anuecplaifir (^ ^vec edafication, Je fiiis ^ Monsieur^ Votre tres-humble & obeif- ' fant Serviteur ^ E. R. V. F. L, RELATION ' VOYAGE D E L EUTOP IE. CHAPITRE PREMIER. N dit , &: Poll a toujours die , que PItalie etoit le Paradis Terreftre des liommes ^ ou on lie manquoit de rien pour la commo- dite de la vie j ou Pair qu'on y refpire contnbue beaucoup a la fante des corps, auffi-bien que Pabondance des biens de la terre , qui toujours fertile produit plus qu*il ne faut pour entre- tenir&nourririesHabitans. On peuc lire dans les Auteurs qui en ont fait la defcription , les grands avantages que A :2 Relation les Peuples en retirent : je me contente de dire que c'eftleplusagreable pays qu'on puiffe habiter. Mais fi nous comparons TEutopie avec elle , je croi qu'ellene lui cede enrien: Elleeft'fi- "tuee dans TAmerique , un peu plus bas que la Guinee , ou il y a encore quel- queslfles inconnues, 6cdont on fera bien-tolt mention dans la carte. Cet- te Me approche duTropique du Ca- pricorne,ou I'on reffcnt beaucoup plus de chaleur que de froid nnais les va- peurs d'un grand nombre de rivieres , dont elle eft entrecoupee , modere teUement ces chaleurs qu'elles n'in- commodent pas Pete ,& fervent beau- coup pour moderer les rigueurs de rhyver. Tout ycroit en abondance. La vous verrez des forefts de grena- diers , qui divertiflent lavueparreckt cbloiiillant de leurs fleurs,& qui flatent le gout par la douceur de leurs fruits. Dans un autre endroit on aperc^oit des oliviers plantez au niveau , utiles pour la promenade Scpour la viedeshom- nies : \qs vignes fexvent d'ornemeiis de I* Eutopic, j' aux coteaux ^ recreent la vuc par la poLirpre de leurs raifins , ^ rempliirent les muids de leur liqueur : des vergers chargez de fruits dans Tautomne , ne fervent pas peu a lacommodite dela vie : les paturages prefque toiijours verds engraillent les troupeaux , qui fervent de nourriture aux Habitans de cette Ifle. Quoyque les Forefts ne foient pas en grand nombre , cepen- dant elles fourniflent aflez de bois , &: pour les batimens,6^ pour cliailcr le peu de froid qu'on y rellent Thy ver. On ne voir point chez les Particuliers de ruches de mouches a miel , les ar- bres creux ou elles fc retirent en decou- lentenfi grande abondance , qu'il fu- plee au fucre qui eft aiffez rare dans cette I fie. Enfin pour ne point faire line defcription ennuyeufe &: lallante , il luffit de dire , que s'il eut plu au fou- verain Maitre de l*Univers de placer le Paradis Terreftre dans cette Ifle , elle en auroit eii tous lesagremens &; les avantages. Comme j'ai fouventpar- couru toute fon etendue ^ fa longueur^ Aij if Relation dc fa largCLir ^ elle peut avoir trente lieucs de long , 6c quinze de large : elle n*a aucunport facile a aborder, 6c ce fat un effet de la Providence que j'y arrivai , apres avoir ete pres de cinq jours le jouet des flots , appuye fur le bout d'un mats dont je me faifis. Apres unrude naufrage, jeme trouvai enfin a fes cotes-, Scfentantle fable du bout despieds, je quitai cemats 3 & mar- chant, quoyque foiblement dans les eaux qui n'etoient pas bien profondes, ie montai le rivao-e fatiG;ue du chemin 6>caftoibH par la faim , je me repoiai un pcu de tems fur Therbe , &l je m'en- - c'etoit un venerable vieillard a che- veux blancs , mais encore viTOureur pour fon age j rien de plus aftable que lui , rien de plus charitable : on ne voyoit pas dans fa chambre ^Q,^ meu- bles magnifiques &: fomptueux , ces hautes-lices eclatantes , ces cabinets ^ ces bureaux de la nouvelle inven- tion, qui font plutoft des marques de la fuperbe du Pafteur , que de fa pietc &:de fon zele pour lefalut desames. Je ne remarquai dans fa chambre que A^^ eftampes qui reprefentoient au nature! la PafTion duSauveur, &lesMyfteres de la Religion qu'il avoir toujours de- A iij ^ S 'Relation vant ks> yeux , & plus encore dans le coeur : fon lit etoit un efpece de torn- beau fort fimple 3 mais au bout de fon batiment, il y avoit une grande ialle deftinee pour les pauvresdefaParoif- fe qu'il recevoit chez , lui lorfqu'ils e- toient malades , avec une bonte pater- nelle , & leur donnoit tous les fecours dont ils avoient befoin durant leur maladie. Quoyque le Village fiit aflez grand , je m'etonnois comme il pou- voit fubvenir aux neceffitez de ct^ pau- vres malades i je voulois m'eclaircir la* defllis ; mais voyant le befoin que j*a- yois de prendre quelque nourriture pour foutenir mon eftomach encore Foible , il me prevint : Je voi bien ( me dit-il ) que vous examinez avec curio- iite mon petit appartement, fans pen- ier que dans I'etat ou vous eces , il vous faut prendre quelque bouillon pour vous fortifier apres de filongues fatigues ^ il fait mettre la table , un bon confomme me remit en vigueur &: en etat de prendre des nourritures plus fortes. Le Pafteur. prit fon repas fruga. def Eutopic. ;r' Icment; & s'il pafla un peu fon ordinai- re , ce ne fat qa\in eftet de fa charite qui le porta a me bien recevoir. Aprcs le repas , il me condaifit dans la cham- bre de fes malades : Voila ( me dit-il en fouriant ) mes liautes-lices ^ mes cabi- nets d'Allemagne , mes lits magni- fiques : pour nous autres Curezde I'Eu- topie, nous eftimons plus lamoindre a'dion de charite que tousles meubles les plus precieux. L'Apotre S. Paul di- foit autrefois que tousceux qull avoir converti etoient autant de pierres pre- cieufes qui devoient compoferlacou^ ronne dans le Ciel i de meme ces nm-' lades que nous recevons chez nous, &; dont nous avons un foin tout particu- lier , feront toute notre gloire apres le tombeau. Notre entretien auroit d'*vre plus long-tems , fi la vifite de fon Evcque ne nous eut interrompu ; apres une conference de trois heures , pen- dant lefquelles je repofai un peu , ce bonPafteurme prefenta a ce venera- ble Prelat , qui m*embralla avec unc cliaate de Pere , &:m'emmena avec lui A ill] S Relation dans la ville de Macarie , fon Siege Epifcopal ^ ou j'ai vecu pres de dix ans: ^ pendant ce terns je donnai toute mon application , non pas a connoitre a fond le gouvernement politique que 3'ai fouvent admire , 6c qui a ete un fujet de mes reflexions , mais a m'e- claircir entierement du gouvernement Ecclefiaftique , qui m*a paru fi bien re- gie 5 que je fouhaiterois de tout mon coeur que la Religion desCatholiques toute fainte , toute augufte , toute ve- nerable , fut obfervee dans I'Europe ^ commeelle eft pratiquee dansPEuto- pie. CHAPITRE 11. Oic on dkrlt -phis en faniculierV ijle d'Eutope _, fes Ville s (^ fes Fleuves. MAcarie eft une Ville fituee au centre de cetteIfle,ou demeu-^ rent les Senateurs qui reglent 6c gou* de I' Eutopic. ft vernent cette petite Republique -, & ou refide ordinairement TEveque qui conduit avec une charite paternelle foil troupeau , & regie avec bcaucoup de prudence & de lagefle ce qui regar- de I'Eglife. Cette Ville eft fituee dans une vallce riclie dc abondante , elle eft fpaticufe 6^ renferme un grand nom- bre d^Habitans : il eft vrai que les ba- - timens n*y font pas bienmagnifiques, mais les maifons etant routes baties en droite ligne & uniformes , ne laiflenc pas de donner de I'agrement a la vue. Je ne f(jai fi c*eft leur piete ou I'amour de la croix qui a contribue a la batir de la maniere qu'elle eft : ileft conftant que toutes les rues font une figure de la croix , & reprefentent par leur dif- pofition Pinftrument denotrefalutiil y aune grande rue tiree au niveau , qui commeiKjant a un bout de la Ville , continue jufqua I'autre extremite : plus de cinquante autres petites fort droites la traverfenr en plufieurs en- droits , lefquelles font encore coupees par d'autres rues fur le meme modeleii '10 RelatioiT de forte que de quelqueendroit qu'- on confidere Petendue 4e la Ville , on? la voit partagee en croix. II y a du cote de I'Orient une atitre ViUe a Tex- tremite de I'lllebatie de meme, que les Habitans, appellent Eufepole , ouil y a un Eveque iufFragant de celui de Macarie. DucotedeTOccident , il y a une autre Ville qu'on nomme Theo- time, qui a auffi fon Eveque foumis a celui de la Capitale de I'lfle : il y a quantite de rivieres , dont il feroit inu- tile de parler. Les deux plus confidera- bles font celles qui partagent.cette Ifle en une efpece de croix : la principale qui coule d'un bout a Tautre dePlfle s'appelle la Commode : I'autre un peu moins confiderable^ qui traverfe fa lar- geur fe nomme la Paifible , a caufe que le courant de k^ eaux n*eft pas fi ra- pide que celui de Tautre riviere. Quoy qu'il n*y ait quetroisVillesconfidera- bles,ily a cependant des Bourgades qui pourroient bien pafier pour Villes. Les Villages font a trois quarts delieue lesuns des autres i Scccmmelepays eft de V Eutopic, /X fort fertile &: aboiidant , on a ete obli- ge de les multiplier autant qu'on a pii , pour ne point laifler aucune terre en friche , comme il y en avoit beaucoup- dans le commencement de lliabita- tion de cette Ifle -, ce qui fait que tout y efl: cultive prefentement,6^riflefort- peuplee. Si c'etoit I'endroit de vouS: parler de Torigine de ce peuple , je pourrois en dire quelque chofe s mais^ puis-je mieux faire que d'en parler prefentement? J'ai a decrire le regie- ment Ecclefiaftique de I'Eutopie que je me fuis propose feul dans cette Rela^ tion ', il eft neceflaire apres avoir decric en general le pays , de dire Torigine de. ce peuple : il y a quelque chofe de mer- veilleux dans' I'accroifTement de cette nation \ c'eftun peuple qui a commen- ce par foixante perfonnes 3 6^ comme- le peuple Juif defcendoit d\in feul Abraham , les Eutopiens defcendent tous d'un feul homme. Un pere de fa- mille ayant dix enfans mariez qui a- voient chacun leur famille , tout bon- marchand qu'il etoit en France , £6 3:^ Relation dansuneVille fort peuplee, ayanreir des pertes con{iderables,pour ne point IbufFrir la confufioii dans /a patrie , exhorta fes enfans , qui avoient eu part a fa difgrace , a chercher une meilleu- re fortune dans les Indes : il s'embar- qua,commeles plus anciens du Pays me Tont dit , avec quelques Miflion- naires, parmi lefquels il y avoit un Eve- que & route ia famille , qui faifoit en- viron foixante perfonnes. Mais par un malheur imprevd , lorfqu'ils etoient pres des Indes^leur vaifleau fut empor- te par la violence d'une tempete fur les cotes d'Eutopie : ils echaperent tous Iieureufement , c'etoit Pete ^ ilstrou- verenta Tentree de cettelfle tant de fruits & de fi bon gout ^ qu'ilsreprirent leurs forces en fe raflafiant de ces mets delicieux. Lebled quils avoient dans leur Vaifleau , n'etoit que mouille par leseauxde laMer : on le retira dans Tetat ou il etoit -, on le fit fecher , 6c on le conferva pour f:?mer a Tautomne. Quelques provifions de vivres & de bifcuits qu'ils avoient encore fansetre dc I' Etitopie, Jj r-cndommagez. par les flots de la Mer, 6c qa*on lauva affez en bon etat dunau- frage, leur fervircnt de nourriture avec ce qu'ils purent tronver de fruits de garde dans I'Eutopie, jufqu'a la recolte des Bleds de Tannee fuivante. lis avan- cerent plus avant dans I'lfle , & le Pere de famille trouva a propos de s'y eta- blir : les MiHionnairesn'ayant plus de Vailleau pour aller au lieu ouils etoient envoyez , demeurerent avec toute cet- te grande famille j &: jetterent les fon- demens de cette Eglife qui eftaujourw d'hui fi bien reglee & fi augmen- tee 5 en deux cens cinquante ans qu'on compte maintenant dans cette Ifleplus de quarante mille Habitans > mais leur fort n'eft point egal , quoi . qu'ils foient tous originaires d'une me- me famille, be qu'ils foient etablis dans un bon Pays, il faut y travailler pour vivre commodement : il y a des vieil- lards, des malades&: des enfans orphe- lins, qu'on affifte avec un tendrefle pa- ternelle , comme nous verrons dans la fuite de cette Relation. Mais comme '/v^ Relation je n'ai entrepris de la faire , que pour ndonnerune idee du gouvernement de I'Eglife , telle qu'elle eft auJDurd'liui dans I'Eutopie ; je commencerai par reducation des jeunes enfans que I'on deftine au miniftere des Autels. CHAP IT RE III. I)e I' education des jeunes Clercs. COmme c'eft une chofe dc la der- niere confequence de bieii cle- ver lesenfatis que Pon deftine pour le fervice de I'Eglife 3 tous Ics Curez des Paroifles , exceptezceux de la Campa- gne , font de leur maifon Paftorale une efpece de petits Seminaires , ou I'on re- •^oit les jeunes gens a I'agC de vingt ans, apres avoir fait leur Philofophie. Le iiombre eft fixe a dix , qui rendent fer- vice a la Paroifle , ^ aufquels on enidi- ^ne la Theologie jufqu'a vingt-cinq ans. Ces Clercs joints avec quatrePre- tres au plus., vivent en commun chez de V Eutdpie. if \q Pafteur : ceux qui ont quelque bieii payent une penfion modie|ue pour quclques annees ? & les pauvres font entretcnus auxdepeiis de laCommu- nautc : Icur emploi eft d'etadier,d^eii- feigner les principes de laReligion aux enfans , 6c de chanter aux offices de TEglifeaux jours deftinez. Commele chant de I'EgUle n'eft qu'une chofe ac- ceffoire a la Religion , qui eft tres-utile pour elever les ames desfideles a Dieu, & pour y exciter tantot des fencimens de charite 6c d'amour de Dieu 3 tantot pour faire naitre en nos coeurs un re- gret fendble de nos pechez : on ne choifit pour ce noble emploi que les plus vertueux , fans confiderer ni les grofTes voix ni les foibles^ les bonnes mceurs^clavertudeces jeunes Clercs les font recevoir pour les premiers "Chantres :Un des Pretrcs prefide a la veriteau choeur,quand on faitPOffice^ mais on a crii que c'etoit une chofe bicn au deffous de leur caradere , que de les attacher a un emploi , dont les jeunes Clercs peuvent s^acquicer , peiu- x6 delation dant que les Pretres font Occupez atra- "vailler au falut des ames. L'etude, le chant & la priere font toute lear occu- pation durant cinq ansj &l enfuite ceux qu'on volt difpofez pour le miniftere dePEglile, pafTent dans leSeminaire dd'Eveque encore pour autantd'an- nees. Outre Tetude qui eft leur princi- 'paie occupation , ils paffent ce terns a catechifer & inftruire les jeunes en- fans dans les Paroifles ou on les en- voye. On ne les ordonne Pretres qu'a trente ans , 6c Pon ne fe contente pas d'un peu d'exterieur , mele fouvent d'liypocrifie , nidePergo de Pecole , pour les admettre a un miniftere qui fait trembler les Anges. II faut une vertufolide&eprouveedurantdix ans pour monter a un degre ft fublime , & qui femble etre eleve au deffus des for- ces humaines. Get age eft un terns ou Pon reflent un plus rude combat de la part des paffions 3 Sc auquel chaque Clerc en'particulier pent examiner ft le Ciel Ta favorife du don de la conti- nence 5 pour ne point s'engager dans une de r Eutopic. i/ line occafion prefqu'lnevitable de toni- ber dans le precipice. Combien en voyons-nous ailletirs qui, depourviis (Xqs biens de fortune, & n'ctant plus en ctat d'aprendre un metier pourlubfi- fter, s*cn2:atrentaveu2;lenicnt dans ce Miniftere li iacre , fans oler declarer a leurs Direfteurs la paffion qui les agite, 6c qui eft (i opofee a la faintete de Tern- ploi redoutable qu'ils entreprennenc. Cela n'arrive pas dans TEutopie , on a pourvii a cet inconvenient terrible 5 comme on a un foin tout particulier des ParoilTes dela Campagne , on y met auffi de bons fujets •, on prend fou- vent de ces Clercs, qui ont ete nourris & elevez dans TEglife, pour aller fervir ces Paroilles par leur chant & par une ccole qu'ils tiennent avec beaucoup d'afliduite : lorfque par leur propre a- veu , ils fe fentent un panchant pour Ic mariage, on ne les eftime pas moins , be on leur donne dans le Village ou ils fontenvoyez , une penfion raifonna- ble fans cafuel ^ car on ne f^ait ce que c'eft que cafuel dans cet Ifle , comme B jt^ Relation nous dirons dans la fuite. Leur ecole 6c lapenfiondedeuxcens livres qu'on leur donne, fuffit pour fubfifter honne- tement. Quoique Dieu ne les ait point apele a une plus haute dignite, ils font contens de leur fort j 6c fe fauvent dans leur etat mediocre , qui pafle dans cet- telfle pour uii milieu entrel'etat Ec- clefiaftique 6c celui de Laique : cela fait que les Cleres qui n^ont pas de bien d'ailleurs, choififTent cet etat medio- cre plutot que de s'engager temerai- rement dans leSacerdoce fi oppofe a kurs inclinations interieures , prefe^ rant le falut de leurs ames a un hon^ neur & a un intereft qui ne dure qu'au-^ tant que la vie. Ces Cleres Laiques , <]ue Ton apelle dans certaines Proving ces ( Magifier) font fort honorez dans TEutopie : ils font tous bons Philofo- phes 6c bons Theologiens , capables de faire beaucoup de bien dans une Pa- roifle,6c par Pexemple de leur vie quoi-v que mariez , ^ par leur chant qui edi- fie, 6c par leur capacite a bien inftruire la jeunefle. II eft vrai que ce nom de. de I' Eutopic. i^ Magifter ajene fcai quoidebas dans FEurope ; mais il n'cn eft pas de meme dans cecte Ifle , ou ils font fouvent plus utiles que les Pretres( qui le font enga- c:ez aveucrlement dans un fi fiint Mi- iiiftere , contre la volonte de Dieu , 6c contre les reproches de leurs confcien- ces ) que Ton voit , helas i trop fouvent etre le fcandale &: Toprobre de TEglife" parleur viepeu reglee. Ilmeparutce- pendant , lors que je fis reflexion fur^ cette coutume de n'admettre au Sa- cerdoce que les Clercs agez de trente ans , que c'etoit trop attend re ^ 2c voici Tobjedion que je me faifois. La vie eft courtefme diiois-je a moi-meme) on a befoin dans I'Eglifc de bons fujets , qui feroient d'autant plus de fruits , qu'ils travailleroient plus long-tems : vingt-cinq ans fuffiroient ( ce me ftm- ble ) pour ctre en etat d'enirer dans ce facre Miniftere. J'etois tout occu- pe de cette penfee, lorfqu'un Ami que je rencontrai, m'ayant vii reveur, m'en demanda la caufe : je la lui dis fincere- ment,& voici commeil me parla. La; j2# Relation vie eft coiirte , il eft vrai i mais doit-on mefurer iin Miniftere fi redoutable par la diiree de la vie ? Helas i nous ne coniptons pas dans cette Ifle les an- nees qu'un Pretre employe a rendre fervice a TEglife • niais nous comptons & pefons le zele , la charite & le defin^ tereflement , avec lequel il rend ce fervice. Souveht un miniftre du Sei- gneur fera plus de fruits en deux ans^ & convertira plus d'ames , qu'un autre ne feroiten cinquante ans : d'ailleurs le bien que feroit un Pretre depuis vingt- cinq ans jufqu'a trentc ^ eft-il a compare/ aux malheurs qui peuvent arriver ^ qui arrivent quelquefois , en elevant un jeune Iiomme tout plein de (qs paflions , &: fans experience , a une dignite qui fait trembler ? Lorfque Saiil etoit agite de Ton demon qui le rendoit furieux j David avecfiharpe calmoit (qs fureurs : & c'eft ce que nous pretendons faire en employant nos jeunes Clercs a chanter les divins Can- tiquesque S. Auguftin appelle Cantica jidelia, Cantiques qui font germer les de V Eutopic. 2Jt femences de la Foi dans le cocnr des Fi- deles i Cantiqucs qui chaflent le de- mon , lorlqu^on en eft agite i Cantr- ques enfin qui infpirent des fentimens de piete & de devotion. Quoi ! nn - jeune liommc fortanc de Tecole en- core tout plein deTamour defoi-me- me 6c enBc de fa vaine fcience , fera eleve a la dij^nire la plus fainte 6c la plus venerable -, on le verra tenir la place de Dieu ians avoir la icience des Saints qui eft bien difFerente de celle de I'ccole ? Nous nefommes pas dans ces fentimens ; je veux bien qu'il s'Qn ' trouve parmi un nombre quelques- uns , que le bon naturel & la grace du Scimeur rendent fai2;es avant le terns h mais une hirondelle ne fait pas leprintemps , 6c nous ne devons ricn changer de nos regies 6c de nos maxi- mes furcefujet: Vous ferez bien plus fiirpris , quand je vous dirai que dans I'Eutopie , on ne permet pas a aucun Pretre de confefter avant quarante ans 3 mais nous refervons cetre matie- reaunautre chapitre. Convaincu par ^-2 Relation ^ ' de fi fortes raifons, je fis a cet amrune inftance qui me paroiiToit aflez proba- ble: Comment v.oulez-vous , lui dis-je , que des parens, qui fefont fouvent e* puifez pour avancer un jeune liomme^ puiflent payer une penfion li long-tems dans une Gommunaute , cela epuife- roit les families , &: chacun criroit ^ s'eleveroit contre une loi fi fevere ? Vous allez trop vite , me dit-il : ne fca- vez-vouspas 6^ne Tavez-vous pas apris denos habitans,que ceux qui ontun peu de bien ne la payent que deux ans h & enfuite vivent aux depens des Com- munautez/oit dans celles des Pafteurs, ou dans celles des Eveques? Jamais les; Curez n ont plus de dix Clercs avec eux ^^ quatre Prerres zelez. L'on a trouve le moyen d'etablir un fond: pour leur fubfiftance ♦, mais comme le. moyen ^ dont on s'eftfervi^ demande ini€ grande difcuffion , permettez que nous en failions un Chapitre particu- lier. ( de lEutopier zf. CHAP I TRE IV. Om I'on marque les fonds etahlis ^our la fuhfiflance des Commu- natctez^ COmmenos Peres avoientbien da la piece , ils avoient fait de gran- des fondations Scpendant leur vie, 5c apres leur mort. Cette multiplicite d'ofiices particuliers accabloient telle-. nient les Pretres & lesEcclefiaftiques^ qu'ils ne pouvoient s^acquiter de leurs- obligations, qu'enchantant avec pre- cipitation , 6c d'une maniere indigne de la Majefte de Dieu. Les La'iques en etoient fcandalifez , 6c les Pretres me- me convaincus dela maniere fainte a-, vec laquelle on doit chanter les lolian-. ges du Seigneur , avoiioient fincere- ment qu'il valoit mieux retrancher tout ce qui etoit au de-la des Offices ordinaires , qui fe chantoient avec edi- iication des peuples ^ 6c beaucoup de.- 24- Relation profit fpirituel des Miniftres qui s*'ert acquicoient en confcience&: avecmo- defbie &: o-ravire. Outre cela on remar- quoit le plus fouvent que ces fonda- tions acquitees Ics Feftes & Diman- dies , ne lailloient prefque pas de terns aux Pafteurs pourinftruire les Peuples 3ue Dieu leur avoit confiez , &: dont ils evoient rendre compte devant foil Tribunal redoutable apres la mort. Toucliez de toutes ces raifons , on tint un Conciledans PEutopie fort celebre, outous les gensfc^avans&vertueux fe trouverent. Apres avoir implore les graces du S. Elprit par une Mefle (o- ]emnelIequ*on clianta dans la Cathe-* drale de la ville de Macarie , & que Von en fut venu aux avis ^ on ordonna a lapluralite des fuffrages, qu'on ne fe- roitdorenavant que Poffice ordinaire de TEglife , ^ que les revenus des fon^ dations etant mis en mafle , ferviroienc pour fonder les Communautez des Pa- roifles. Ondonnoitquatre cens Uvres aux Pretres 3 deux cens livres aux Clercs, huit cens livres aux Curez. Dc forte de I'Eutopie. 2/ forte que dans une Paroifle , il faloic troiiver quatre mille quatre cens livres pour entretenir la Communaute du Pafteur qui avoir dix Clercs&q^uatre Pretres qui rendoient fervice , loir en chantant rOffice^ foit en adminiftrant les Sacremcns, ou en inftruifant les Pa- roiiTiens. Si les fondations ne fuffifoienc pas , on y fupleoit par une taxe volon- taire qui ctoic peu de clioie 3 car afin de ne point charger trop les Paroif- fiens , on avoitrciinipar ce mcme re- glcment les petites ParoilTes aux gran- des,enJdedomagcant^durant la vie leu- lement ,lesCurezqui avoient desPa- roi{Ies de petites etendue j de forte que routes les Paroifles etant fort grandes &: bien peuplees , les plus riches ne payoient,pour fupplcer a ce qui man- quoit a la made des fondations , que quarante fols par an. Les Habitans dc cette I lie m'ont a voile bonnement , qu'il Icur coiitoit bcaucoup davantage, quand ils etoient obligez de payer uii caluel exorbitant. Je paye quarante fols tous les ans { me difoit un ami U C 26 Relation li'y a pas long-tems) en dix ans ce font .deux piftoles 3 moyennant quoi je fuis exempt de tout ce qu*on appelle cafuel dans TEurope. O Ciel ! qui a invente ce mot ? Quoy ! il faut que les Miniftres de Jefus-Chrift venerables & parleur caradere &: parlesemploisfacrez qu'- ils exercent , foient reduits a trouver leur fubfiftance parmi les morrs ? Ou en fommes-nous ? Cettepenfeefeulea paru (lindigne de ces dignes Miniftres, iqu'elle a oblige les habitans d'Eutopie a faire un fond plus que fuffifant pour entrerenir ces Communautez compo- fees,comnie j'ai die , de quinze perfon- hts toutes zelees pour la maifon du Seigneur. Les habitans de cette Ifle n'ont point eu de peine a fe foumet- tre a un reglement li fige &: fi judi- cieux : car fi on reg-arde le temporel , li y a beaucoup a gagner : luppole qu'un Plabitant des plus riches paye en dix ans environ vingc livres ; il ne faut qu'un mort en fa famille pourle compenfer au double de ce qu*il a paye toits les ans j mais fi nous confiderons cle PEutopie. 2^ 1e fpiritael , qui eft la feule cliofe qu'on doit pefer dans la Religion , combien d'avantage en redre-t*on ? Rien ne fe vend dans I'Eglile , &: tout fe fait d'une maniere defintereifec 6^ di2:ne de U grandeur du SouVerain Eftre ^ qui ne regardc qu'avec horreur ces ames baC io^s dc mercenaires, qui ne le fervent que par intereft. On fait tout gratif dans TEglife : Les Mellesfe difent par devotion ; on adminiftre les Sacre- mens fins filaire 5 on y enterre les morts fmsaucune vuc d'uno-ain indi^ gne d*un Prctre , la Paroiile mcme fournitles cierges dans les fepultures. On n'y voit pas ces combats de Be- deaux , quienlevent 'Sc derobent ( pour ainfidire ) les cires , pour defFendre les interefts de Icurs Maitres, lorfqu'a pei- ne on a dit les dernieres prieres pour le repos des ames pour lefquelles on prie. On n'y fait point parade d'un grand nombrede flambeaux, quatre cierges a P Autel , & autour du corps du def. 'funt , fuffifent pour la pompe funebre , qui eft (comme dit S.Au2;uftin) plu^ 2S delation toftla confolation des vivans, que l4 foulagementdesmorts. On met toute fa confiance dans le lacrifice qu'on y offre 5 dans les prieres des Fideles qui affiftent aux funerailles , 6c dans le chant des faints Pretres qui en font la Geremonie fans intereft. Pour moi j'a^ youe quej'etois edifie lorfque j'enten- 4ois chanter une Mefle des Morts avec tant de modeftie & de devotion , qui f)aroi(roic fur le vifage de ceux qui ^ a chantoient : au lieu que j'etois quel- quefois fcandalise dans l'Europe,quand je voyois les faces de ces Pretres mer- cenaires ( pardonnez-moice terme)qui fontretentir leurs grolTes voix dans le Choeur , qui font a la verite entendues des hommes ^ mais qui ne vont pas fou- vent jufqu'aux oreilles de Dieu, parce^ que leur bouche chante lans la partici- pation du cocur ; & cQ,t encens de prie- res ^comme de mauvaifeodeur, n'eft pas porte par les Anges jufqu'au Tro- iiede Dieu. II n'eftpas befoin parnii ces peuples d'Eutopie de faire de^ fcillets de mort 3 chacun court aux fu- de I' Eutopic, i'^ nerailles lorfqu^on fcait que quclque Paroiffien eft alle paroitre devanc Dieu 5 tout le monde s'inrcrefle &: court au facrifice &: auxpriercs que I'E- glife fait pour le repos de Tame de ce- lui qui a pafse des niiferes de cette vie a une plus* heureufe ; &; pour ne point interrompre le commerce des Mar- chands, ^ detourner les Artifans de leur travail ordinaire , j'ai rcmarque une bonne coucume de cette Ifle , on' faitces fortes de ceremonies toujours de grand matin ou fur le foir,atin que tous les Paroiffiens , 6^ ceux qui ont la: devotion de prier pour les morts ^ puiC fent s'y trouver 5 he que toute TEglife ailemblee puifle faire une fainte violen- ce a la mifericorde du Seigneur, pour avancer le repos bienlieureux de celui pour qui on adrefle ^ts prieres. Nous a- vons une efpece de tableau de cette de- votion pour la priere des morts dans lesconfeffionsde S. Auguftin Quand les habitans d'Oftie eurent appns la mort de famte Monique,quoiqu*etran- gere a leur egard^ils prirentun foin C lij ^0 Relation particulier de {^s funerailles : ils s*a£- femblerent& vinrcnt enfoule pour les celebrer avec piete 5 on n'y park point de cafiiel ny d'intereft : la charite feule leur fait faife cetce ceremonie ^ fans que faint Aiiguftin s'en foit mele. Voi- ladela manierc que toutfe fait dans TEglifc d'Eutopie > fans intereft : il eft yrai , 6c ii le faut avoiier , que ce n'a pas .ctefans peine qu'on a etabliun fond fuffiiant pour les Communautez des Pretres,en mettanten mafletoutes Ie&: fondations. Les parens desFondateurs ont un peu crie d'abord i mais entre les raifons qu'on a deja aportees^ on leur a fait voir que ces fortes de fondations etoient oposces a un article de notre Religion , qui eft la communion des Saints. Tons les Sacrifices ( leur a-t-on dit ) toutes les prieres, les jeunes , &: les autres oeuvres de charite qui fe fonti dans I'Eglife entrent dans fon trefor ' fpiritueh &: c'eft a Dieu feul d'en appli- quer le merite , felon les regies inviola- J bles de fa Juftice. Ainfi ne dites pas : yoilaun Service que I'ondit pour Ta*! def Eutopic. j/ me de mon pere , ou pour un tel de mes parens : ce Sacrifice eft un bien fpintuel ^ public auqucl vos parens auront part, fiDieu le veut amfi ,^ s'lls en ontbeibin. D'aiUeurspour les perfua- der davantage, on les prit par Pendroit qui les renoit plus au cocur^en leur mon- trant claircment que les ames de leurs peres profiteroicnt davantage des prie- res & des iacrifices qui feroient tous ap- pliquez en general , que fi on acquitoit leur fonJation en particulier. Voulez- vous ( leur dit-on ) que de voire fonda- tion il n'y ait que Tame de celui qui I'a^ faite qui en retire tout le merite ? Sup- pose que cela fe faile felonies ordres immuables du Seigneur , on vous prou^ vera encore que Pame du Fondat^ur y perdroitbeaucoup. Pour un Sacrifice que l*on ofFre deux ou troisfois Tan^au- quel il auroit feul part , il feroit prive des merites dun nombre infini de Sa- crifices qui fe font tous les jours dans rEglife, & qui entrent dans la commu- nion Aqs Saints , aufquels tous les Fide- les ont part. Balancant ainii le profit C iiij 5^2 Relation ipirituel des ames de leurs peres , & voyant plus d'avantage de Tautre co- te j cesfondations,par un confentement unanime de toute I'Eglife d'Eutopie , furent mifes en fond pour la fubfiftan- ce des Pretresde chaque ParoiflCj fans autres obligations que d'ojEFrir a Dieu les iacriiices & les prieres ordinaires pour tous les Fideles en general. J'ai fait une longue digrelTion qui femble- 3:oit etre hors de fa place , puifqu'il ne s'agiflToit, felon letitre dece chapitre, quedesfondsqu'ilafalu trouvcr pour Ja fubfiftance des communautez des Paroifles.-maisiletoitnaturel, ^ c'e- toit une fuite neceflaire^ en rapportant de quelle maniere on a etabli ces fonds, de dire que tout fe faifoit gratuitement dans I'Eglife d'Eutopie^ qu'on n'y par- loit point de cafuel ^ ni de fondations , ni de retribution pour la fepulture des morts , ni d'aucun intereft pour Pad- miniftration des Sacremens. Mais au- paravant de finir ce chapitre , il faut que je raporte une chofe particuliere , & qu'on auroit peine a croire. Un des. de I'Eutopie. ^ Senateurs de I'Eglife, qu'on appelle or- dinairement Marguilliers dans I'Euro- pe, m'a aflure ( & c'etoit un lionime de probite) qu'ala fin de Tannce les qua- tre mille quatre cens livres pour la iub- ififtance des Pretres etant payees , il reftoit encore de la maffe des fonds,&: de ce qu'on levoic fur lesParoiffiens, qui etoit peu dechofepour cliaquepar- ticulier, plus de deux mille livres pour affifter les pauvres ^ ce qui n'eft pas dif- ficile a croire , ayant eii la precaution de faire les ParoilTes tres-grandes , afin que la fomme qu'on devoit repartir fur tous les Paroifliens , flit moins grande &nioins a charge: ce fondement eta- bli vous pouvez conjedurer , ou pour mieux dire etre convaincus, avec quel definrereflement tout fe fait dans TE- glife d'Eutopie. G iiij j;^ Relation: CHAPITRE V. Du chant dc tEglife ^ des perfonnes qui y font onployees , S" dcs jours deflinez^ four cette divine occupation, Es peiiples d'Eutopie etant perfua- 'dez que le chant de TEcrlife ne contnbue pas peu a exciter 6c entre- tenir dans les ccrurs des Fideles le feu facrederamour deDieuj & ayant lu jdans les confeffions de Saint Auguftin quels mouveniens de piete il forma dans f on ame ao:itee des troubles des paflions, ont un ioin tout particulier de faireen forte que les Miniftres deje/lis- Chrifts'acquitentde ce noble emploi avec toute la modellie & toute la de- cence qu orrdoit apporter a une adion fi fublime ^ fi relevee , & qui approche de (I pres Inoccupation toute fainte des Anges &: des Bienheureux. Les Pfeau- v^^^ ( dit S. Cliryfoftome ) font comme line divine trompette qui anime au de I'Eutopie, jf combat les Fideles, qui les rejoliit dans leurs tribulations , qui les confolc dans leurs peines , 6c qui les enleve jufqu'au Ciel,^&: les unit aux cliocurs celcftes qui chantent eternellement les loiianges du Seigneur icommeces peuples con- noiifentlafoibleflede lliomme, dont Pefprit ne pent pas toujours etre atta- che a Dieu , fans qu'il ne fe glifie quel- que relikhement , ils ont retranche6c abregeparTautorite de leursEveques alTemblez I'Office de TEglife , mais ils ont conipense ce retrancliement par une occupation toute fpirituelle. Les Matines qu*on y cliante les Dimanches & les Feftes ne contiennent jamais plus d\ui Nodurne , & c'eft comme un de- lafTement de Tefprit apres une medita- tion ferieufe. Le Pretre qui doit prefi- der a ce chant , accompagne des autres Miniftres , etant entre dans PEghfe , 6c apres avoir adore le Sacrement de nos Autels , Ht tout haut dans un lieu ele- ve un fujet de meditation lur le Myfte- re dont on celebre la Fefte , ou fur TE- vangile du jour, ou fur quelqu'autre^ j6 Relation matiere de piece. Apres avoir par une meditation d'une demi heure echauflfe &: ranime ( pour ainfi dire ) Tamour de Dieu dans leurs coeiirs , tout pleins de ce feu facre , ils chantent ces divins Cantiques , 6<: donnenttant de devo*- tion & de piete , Ojue je peux avoiier , que jen'ai jamais fenti tant de defir de me donner enticremenc au Seigneur ^ que lorfqiie j'entendois les Pieaume's d'un fi faint Roi chantez avec tant de zele 6c de fer veur. Les Marines dc Lau- des ne durent jamais qu'une heure , done la meditation qui les precede eft comme une fainte preparation pour mieux s'acqiiiter de cet emploi tout divin. Mais que cette heure eft biefi employee i Qu'elle attire de benedi- ctions du Ciel ! Que ce chant touche d'ames • Quand j'entendois chanter ces faints Mimftres du Seigneur , je m'imaginois etre deja paravance dans le Ciel. Helas » ( cKfois-je en moi-m8- me ) chante-t-on ces divins Cantiques dans PEurope d'une maniere fi tou- chante?y eft-on embrase de ramourde del'Eutopie. i^y Diea,comme on eft dans PEutopie,. quand on les entend chancer ? Se ienc- on plus porce vers Dieu , en entendant cette divine tempefte qui nous excite a combattre avec un courage invincible pour les interefts de Jeliis-Chrift ? En vericebien loin d'etre edifie du chant de I'Eglife dans TEurope, il fait fouvent pitie : on ie precipite , & Pon voudroit avoir iini lorfqu'on Ie commence ^ fans confiderer qu'on fait fur laterre ceque font les Bienheureux dans Ie Ciel , 6c que par notre chant plein de zele nous attirons fur nous 6c fur nos freres fes benedictions , fes o-races 6c fes faveurs : i6c en eftet je confidere Ie chant de I'E- glife comme un faint apprentilTage de roscrcice iacre, 6^ del'occupation rou- te divine qui doit occuper les ames Bicnhcurcufcsdurant rcternite. Com- me les chofes les plus faintes tombent peuapcu ,lorlqu'elles fonttrop com- munes, non point par leur nature qui efttoujourslamcme, mais par la foi- LlcHe de I'hommc , on aeuun foin tout parciculier de bien menager les jours :^^ Relation ' kle devotion & du ehant de I'Eglife.On chante dans les Cathedrales I'Office comme dans PEurope j mais comme nous dirons dans la fiiite les Chanoines fontroLis venerables vicillards qui ont blanchi dans le niiniftere de PEglifej &: qui comme les cygiies chantent avec d'autantplus de melodie & d'edifica- tion qu'ils approchent du tombeau. Dans les Paroifles, comme il y a beau- coup d'autres foins qui occupent les Pretres,il n'y en a jamais qu\ui fcul comme ceux quiprefidoient autrefois au chant portoient de petites baguet- tQs^^ alloient de cotez 6c d'autres pour avertir doucement &: fans bruit ceux qui detonnoient , fans chappes &: ians D ^\^2 . Relation batons d'argent^ on a apporte quelque remedea ce defaiit ^ le loin qu'on a eii de difpofcr ics Clercs au commence- ment , au milieu & a la fin du Chocur , toiijoursattentifsau chant qui fe fait avec beaucoup de modeftie & d\ui ton fort regie , a fait que la marche des Chappiers dans le Chocur a paru inu- tile aux Eutopiens , perfuadez quails font que ce n'eft pas le faifte pompeux des ornemens qui attire & touche le coeur de Dieu , mais la devotion & la ferveur avec laquelle on chante (qs loiiangesi 6cen effet tout doit etre pro- pre dans PEglife , mais fimple &: fans fafte , le chant n'etant agreable a Dieu com me un encens precieux qui s'eleve avec une bonne odeur jufqu'a fon tro-^ lie , que lorfqu'il fort d'une bouche fainte & d 'un cocur anime de Pefprit du Seigneur r fans cela le chant accompa- gne de beaux ornemens n'eft qu\m vent qui frappe l*air 6c neva pas plus loin. Je faifois reflexion il n'y a pas lone-tems liir la conduite de ces peu- pies 6c iur les raifons qu'ils ont eues de de I'Eutopie, ^^ retranclier prcs de la moitie deTOf- §ce divin dans les ParoiiTes^ayanc com- pose ce retranchement par des medi- tations ferieufcs 6c fpirituelles. Pour^ quoi ( me dilois-je amoi-meme ) clian^ ger un ordre etabli depuis fi long., tems ? Nos Peres n'etoient-ils pas plu.s iages que nous , ou le fommes-nous plus qu'eux ? Ne devons-nous pas fui- vreleurs traces ? lis etoient tous ^ens de bien &: vertueux. Il eft vrai , mais dans ces fiecles lieureux outre le long Office del'Eglile les Miniftres du Sei- gneur s'appliquoient encore a la me^ ditation.de la Loy : ils en etoient tout penetrez 5 & cet Office de I'Eglife ^\ longqu'il fut,n'etoit pour eux qu*un delailement de leurs fcrieufes medita- tions ; mais aujourd'Iiui qu'on nedon- ne prefque rien a I'efprit , &: qu'on cliante ces divins Cantiques fouvent parune malheureufehabitude,prefque fans piete 6c fans devotion, les habitans d'Eutopie n'ont4ls pas bien fait de donnerunepartie a la meditation, &: unepartie au chant de TEglifc qui fe ^^ delation fait avec beauconp plus cl'edification'^. apres ( comme dit le Prophete ) que le feu facre de Pamour dc Dieu s'eft e- ciiauffc dans le coeur ? On peut confi- derer en eiffet Toraifon mentale,^: le chant qui eft une priere vocale , com- me un compose de corps & d^ame. L'Oraifon de Tefprit en eft comme Tame, 6cle chant comme le corps: 6c le moyen d'animer ce chant fi divin de foy-meme, fi le coeur n'eft echaufFe au- paravant par la priere de Tefprit qui le doit preceder 6c Taccompagner autant <}u'il dure ? Quel efFet produit le chant fans Pefprit ? Que fait la lettre 6c les mots prononcez fans en etre touche dans le fond de I'ame ? On a cru dans cette Ifle qu'il y avoit une fi grande neceffite d'unir les fens des paroles que Tefpric comprend,6<: dont il eft touche, avec ces m ernes paroles que la houche prononce , qu'ils ont mieux aime abre- gerPOfficequede le chanter fans at- tention : Le plus ou le moins ne fait rienal'egard deDieu c]ui regarde les coeurs , & nojn pas la longueur de TOf- de I* Eutopic: ^.f ficerOn ne voit pas chez eux ces Cliaiii- trcs mercenaires qui n*entretiennent leurs groilcs voix que par Ty vrognerie & la dcbauche , dont les mocurs font li peu reglees qu'ils ne meriteroient pas d'avoir la dernicre place parmi les Laiques : Bien loin de penctrer le fens desPfcaumes qu'ils chantent, a peine peuvent-ils prononcer avec gravitc des paroles fi fainrcs. II vaudroic bien mieux n'entendre que ces foibles voix ,. nuiisanimees de I'efpric de Dieu , que d^entendre mugir ( pour ainfi dire ) ces gros Chantres , dont le tonnerre dc la voix fort pkitoft deleur large poi- trine^que de leurs cocurs rctreflls a Te- gard de Dieu dont ils chanrent les lotianges avec fi peu d'attention : com- mecespeuples lont juftcment perfua- dez que ceux qui chantent plus liaut dans I'Eglife nefont pas toujours ceux qui fe font entendre duCiel,ils ne clioi- fillent que les plus vertueux pour ce no- ble emploi , gens mortifiez ^ qui infpi- renrdela devotion au moment qu'ils rommencent un Pfeaume. Je nc fcai '^6 Relation de quelle maniere s'eft glifse dans TEut rope d'employer a uii oeuvre fi, iainte &fi venerable des gens qui ^ ayant a ^ peine les premiers principes du Chri- ftianifme Texercenc Q-rolFierement 6c d'une maniere baile , be cela a caufe qu'ils ont une grofle voix •, mais le Sei^ gneur des Armees qui demande le coeur & non pas la voix , fe met-il en peine que les loiianges foient cliantees dans Ion Eglife par fes enfans avec des voix de tonnerre , pourvii qu'ils les chantent avec un cocur droit & fince^- re : cet abus ne regne pas dans TEuto- pie,oiionne choifit queles plus Iion- neftes gens pour ces forces d'emplois ^ fi leurs voix ne fe font pas bien enten- dre des liommes , leurs coeurs orient bien haut dans le Ciel , 6c leurs foupirs entrecoupez montent jufqu'au trone de Dieu , qui repand (qs benedidions 6c ((ds graces fur ceux qui chantent (qs loiianges avec un coeur contrit 6c liumilie : Voila en quel fentiment font les peuples d*Eutopie a Tegard du chant de I'Eglife : mais voyons com- de l' Eutopic. ^^■ ine ils paflent les jours deDimanches &Feftes. CHAPITKE VI. JDc quelle maniere les Hahitans de cctte ifle celcbrent les Diman- chcs d^ les leftcs. Icu ayant doiine a Tliomme fix jours pour travailler , 6c s'ecanc refcrve le leptieme , afin que les horn- mes qui ie connoiilent puflent s'occu^ per durant ce faint Jour au cuke du Seieneur , 6c le confacrer tout entier a fon fervice : On a eu un foin tout partis culier dans TEutopie de reniployer dans des oeuvres faintes 6c conlacrees au fouverain Etre. Lorlque je voyois ces Habitans occupez dcpuis le matin jufqu'au f 3ir , foit dans rEglire,ou dans leurs families a des exercices pieux 6c qui infpiroient de la devotion, je be- niflois mon naufrage 6c rendois mais ces repas font des repas de chari- te ^ tels que faifoient autrefois Ies pre- miers Chretiens 3 chacun en fort avec 1^ meme innocence qu'il y eft alle, fans de I'Eutopie. /^ violer les reg;les de la fobriete , &c fans parlerd'autrecholbquede ce qui re- garde les bonnes moeurs, 6c de tout ce quipeutles rendre bons Chretiens: il faut cependant avouer ( autrement ma Relation ne feroit pas fincere ) que les gens qui n*ont pas les commoditez chez eux pour recevoir Icurs amis vontr quelquefois au cabaret 3 mais jamais les jours depiete 6c de devotion h on leur a pcrmis d*autant plus volontiers , qu'ils ont reprefente qu'ils fecompor- teroient dans ceslieux publics avec au- tant de modeftie 6c de prudence que slls etoient chez eux , 6c que ce n'etoit quele defaut des meubles neceflaire^ qui leur faifoit demander cette per- miffion : 6c en effet ils fortent de ces lieux dangereux avec autant de mode- ration qu\m Bourgeois fort de chez fon ami qui lui a donne un repas. J'ai fouvent admire la bonte des mocurs des habitans d^Eutopie, 6c malgre mon > aplication 6c les reflexions que j'ai fai- tes,je ne pouvoisenpenctrer la caufe, un hazard me la fit connoitre ^ j'entrai ifo Relation un jour cliez un Bourgeois de mes ^- niis , ou je vis cinq ou fix enfans ^ j*em- brafTai celui qui me fembloit etre foil aine 3 je fus fort furpris quand il me d;t que ces enfans n'etoient pas les fiens,^ que ceux que je voyois vivoient chez Ini en echange d'un pareil nombre qu'il avoir donne a ce meme ami pour mieux clever dans la crainte deDieu*: eette bizarerie & cet ufaeie d'elever les enfans liors de chez leurs parens m.fi paruc fi etrange que je voulus m*en e- claircir 5 6^ voici ce qu'il me dit de VcL dUcation des enfans dans TEutopie : cela paroitra furpre-nant , mais il me convainquic par de fi fortes raifons ", que je me laifiai perfuader que cette Goutume avoir les utilitez. Qiioique cette matiere ait quel que raport au bonreglement de PEglife de ces Peu^ pies, elle en eft un peueloignee : ce- pendant je croi que cette digreffion ne lera point defagreable au Ledcnr 3 dc qu*elle lervira pour le delaiier. . de I'EutoJJie. 6lt CH A P I TRE VIL I)e I' education, dcs Enfans d*Eutop€. Ous avionsfmc dit ce Bourgeois) line jeiineilepcu rcglee dans les premieres annees de notrc etablifle- iiienc dans cette Ifle > 6c fi ion deres;Ie- menieuc continue., a peine verrions- ^nous quelqae marque du Chriftianif- me , que vous voyez prefenrement eta- bli avec tant de piece : on y donnoic tous fes (oins • on enfeignoit aiix jeunes gens les principes de la Religion avec affiduite j on veilloit iur leur conduite , •6c cela fans pouvoir venir a bout de cet- te jeuneflenicorrigible : on prevoyoit cepcndant les mallieureitfes iuites , &: cliacun etoit convaincu que li on laif- foit croj tre le vice , il n'y auroit plus de remede ^ &: que la Religion comberoit peu a peu par le libertinage des enfans j onfit plufieurs affemblees pour reme- dier a ce inal nailTant &: pour en clier- 62 Relation cher la caufe , mais en vain. Apres tant -d'aflemblees inutiles ^ nn vieillard fe leva & parla en cetce maniere : MeC fieurs , je voi rembarras ou vous ttQ,s>^ 6c ou nous fommes tons pour mieux re- gler la jeunefle qui commence a fe cor- rompre dans cette We '-> depuis que nous nous ailemblons je me fuisapli- que a en connoirre la cauie , & voici mapensee : il faudroit qu'a Tage de cinq ou fix ans les enfans fuflent elevez ailleurs que cliez leurperc, 6c que pour eviter de payer des penfions, qui pour- roienc etre a charge aux families, on fit des echanges de ces memes enfans ^ tel qui en auroit trois les envoiroit cliez un ami qui lui en donneroit autant a elever avec beaucoup de foin. A cetce propofition chacun eclata de rire^ 6c le bon Vieillard auroit pafse pour un Yifionnaire 6c pour un cerveau demon- te par le grand age,s'il n'avoit apuye fa propofition par des argumens fi folides, que peu a peu on fe laifla perfuader qu'il n'avoit point tout-a-fait tort. Voi- ci ce qu'il die dans une afl^emblce fort de tEuiopie. 6^ celebre: fi je n'avois a combattre que Jes lentimcns de la nature , qui a impri- me dans les peres un amour &: une ten- dreile H violente pour les enfans , j'au- rois garde un rilenceeternel,& j'avouc- rois iincerement que Tcloquence la plus fublime n'aura jamais aflez de for- ce pour etablirunreglement auquel je vous exhorte de travailler, afin qu'ii reiiinfle pour le bien de notre jeunelFe , &:pour empccher ia corruption ^ qui pourroit eteindre en elle Pamour de Dieu qui eft Pame de notre Religion^: Mais etant I'avocat de la raifon & le defFenfeur de la verit^ que dois-je craindre ? Si je m*expofea paroitre ri- dicule , ce he fera qu'a Tegard de ceux que I'amour paternel aveugle , & qui obfcurcit tellement les lumieres de la raifon, qu'ils ne lapeuvent ecouterfans s'elcver d'abord contre ceux qui la pro- tegcnt : Je fuis pere com me vous , Mefl fieurs , 6c je connois tropprelentement les fautes que j*ai faites dansl'educa- tion de mes enfans 3 on les cleve dans Jafamille5& Tamour paternel qui ne ■6^ Relation .pent jamais fe demcntir , fe faifant trop .connoitre a cette jeuneile produit des efFecs funcftes : Les jeunes gens font trop perfuadez de ramour indulgent rles Peres , pour en craindre les chad- .niens loriqu'ils commettenc quelque faute^Sc c'eft ce qui Icur donne la li- bertedefelicencier. Outre cela la fa- '!miliarite avec laquelle ils vivent cliez leurs parens leur faic perdre peu a peu Je refpecl: ^ la crainte enfuite fe diilipe 5 ^ n'ayant plus de frein qui puifle les retenir dans leur devoir, en quel de- fordre ne fe precipitent pas les jeunes gens ? Helie ecoit un'hommede bien,le -Pretre du Seigneur 5LeIe pour mainte;- nir ks Loix 3 cependant la tendrelle paternelle Taveug^la d'une telle ma- mere, quelimpunite de ces indignes enfans leur attira unefin malheureule , 6c caufa une raott funefte a ce pere trop indulgent, qui ne les avoit point chatie dans leurs dereglemens j d^ou vient aujourd'hui que les enfans ont (i peu ( je ne dis pas de refped pour leurs parens ) mais cIq foumiffion a leurs or- dres ? de I' Eutopic. Sf dres ? D'oii vient qu*ils les meprifent fouvent & quells ne les regardent que comme des Etrangers ? en voici la rai- fon:ils fe font accoiitumcz des leurs tendres annees a converfer avec eux , ils en one etc fouvent carellez, &: par cette familiarite ils ont reconnu le foi- ble de leurs parens, 2<: ces impreffions de jeunefle s'augivicntant de jour en jour apres la defobeiflance, lemepris fe glitic infenfiblement , 6c I'arbre e- tant devenu grand il eft impoflible de le redreHer. Voila la fource nialheu- reufe de la corruption de notre jeu- nefle '•> cependant on y pent remedier en tranfplantantces jeunes plantes de bonne hciire , qui changeront de natu- re ctansdansune terre etrangere : les donnant a clever a un ami qui donne- roit par echange les fiens , en eviteroit tous les inconveniens qui peuvent ar- river j rien ne fe palleroit qui tendit a la corruption des mocurs^on ne fouftri- roit rien dans les en fans de cequ'un pe- reaveugle de Mainour patcrnc! pouroit exeufcr jainfilesenfans toujours dans F . ^^ Relation le devoir deviendroient honneftes gens J ^ lorfqu'ils feroient dans un age ou ils feroient capables de connoicre- le bien d'avec le mal , ils rentreroient chezleursperesdansun etat parfait f alorsils fcauroientce qu*ils doivent a Dieu ^ a leurs parens &. a leur patrie , 6c fuivant les faintes regies qu'ils auroient iuccees avec le lait , ils continueroient le cours de la vie dans une grande foii- niiffion aux ordres de ceux qui leur one donne la vie , qu'ils employeroient uri- lement & d\me nianiere qui feroit plaifir aux peres. Retranchez done , Mellieurs , cette coutume dangereufe d'elever les enfans en la maifon pater- nelle , 6c vpus verrez les avantages que yousretirerez de votre Ordonnance , 6c qui paroirront dans la luite des terns plus clairs que le jour 5 mais fur tout , que les enfans uniques qu'on eleve a- vecune tendrelle criminelle, ^ dont jious voyons tous les jours des exem- pies funeiles , dont les parens fembla- bles aux finges les etoufftnt pour les trop embrailer , foient eloignez des dc I' Eutopic, 6/ leurenfancc delamailon de ceux qui leur one donne la vie : ces peres coiitri- biient beaucoiip a les corrompre par cet amour nacurel , qui n'etant point partage fcmble fe renfermer tout eiiT tier dans leur idole i permettez-moi ce mot :ils font un Dieu de leur enfant ^ les fautes les plus criantes ne font que bagatelles ^ ainfi que peut-on elperer d 'un enfant qu'on eleve fi mal ? Quel progresfera-t-ildans la vertu & dans les bonnes moeurs ? L'argent ne lui manque point pour fatisfaire ks> paC iions ; toujours dans les jeux, &: dans unemallieureufe habitude demal fai.^ re, quelle cfperance peut-on conce- voirdureftedefavie ? J'ai plus de foi-^- Xante ans,maisje j5eux rendre ce te^ moignage , & mes Contemporains pourront vous le temoigner , que les plus debauchez de PEutopie, ii bien reglee qu'elle foit , ont toujours ete cesi enfans uniques ^ qui ayant ete corroni- pus d es leur jeunefle par une trop gran- deindulo;ence de leurs peres, fe font enfin laiflez aller aux plus grands de- Fij ^S 'Relation fordi*es qui caufent le Icandale de no- tre Eglife , d'ailleurs fi bien reglee 6c li faince. Voila , Meffieurs , ce que j'a- vois a dire toucliant reducation des cnfans , vous en ordonnerez ce qu'il vous plaira : Sur tout , je vous prie de faire attention que cela regarde d*aC fez pres le bien de TEglife 6: du Public, pourmieux pefervosfufFrages,6c de ne les pas donner du bonnet 6c a veue de clocher, mais de fuivre la raifon , Inex- perience , & les mouvemens de votre confcience. Toute P AiTemblee donnoit d'abord dans les fenrimens de ce venerable Vieillard ,6c fans doute on auroit fait un decret abfolu toucliant I'echange des enfans pour le bien de leur educa- tion ;, fi un autre Vieillard venerable,6c par fes cheveux blancs , 6c encore da- vantage par fi probite , ne s'etoit leve (Scoposcaux leritimensde celui qui a- voit parle le premier 3 6c voici en abre- ge la harangue : Je fiistrop perfiiade, Meffieurs, que les premieres impreffions qu'on nous del* Eutopic. ^p donne d*une affaire s'cffacent avec bcaucoup de peine de Pefprit luimaiii^ le genie de I'homme eft comme une ta^ - ble poIie,les premiers caracleres qu'on y grave y demeurent, 8c quoique le bu- rin y fafle quelque changeiTjent,cepen- dantony voir couj ours quelque reftc de ce qu'on a voulu efFacer : on a apor- te tant de raifons pour vous perfuader cet echangedes enfans , que je doutc fort de les pouvoir effacer de votre memoire ^ niais pour avoir le malbeur deparlerle dernier, dois-je pour cela trahirle bien public, Sc ne point de-» fendreTamour paternel que Pon accu-- ie & que Ton condamne avec peu de juftice? Dois-je me taire, lorfqu'il s*^a* git d'un reglement qui regarde toute TEutopie ? Dois-iedonner tefte baifsee dans les fentimens d'un particulier , quand il s'agit du bien Public ? Non , non, Meflienrs, il fnut tout balancer dans ces fortes de reglemens , voir le fort 8c le foible , les utilitez ^ les defa- vantages qui en pourront revenir ; ^ aprescelaonpourraftatuer i:L faireun ;^o Relation jufte decret.Qiielles pcines ne fouiffrenr point les parens pour iiibvenir aux be- foins deleurs families ? On les voit oc- cupezjour &nuic, touioLirs dans I'em- barras ; &ce qui donne le mouvement a tons fes loins , eft ians doute I'amour paternel qui les fait agin Voulez-vous priver ces m ernes peres, toujours occu- pez de leur travail , du foulagement 6c de la confolation qulls trouvent dans le terns des repas avec leur petite fa- mille qui leur fliit plaifir , & qui les del Jailentde I'accablement qu\ine infinii re d'affaires leur a caufees?Nem'avoue- rez-vouspas, Meflieurs, que reducai tion desenfansdemande bien du foia| bien des veilles, &c bien des peines \ comment voulez-vous qu\m pere e- trangerqui eleve les enfans d'un ami puiflfe & veiiille fe donner tant de foins pour des enfans quineletouchent que de bien loin ? Si un pere aveugle de I'a- mour naturel fait bien des fautes dans Teducation de fes enfans , combien un- etranger en fera-t-il par la negligence' ^parlepeud'attache qu'il aura pour de I'Eutopie: ^rl^' ces enfans qu*il eleve ? Il les regardera comme des enfans qui nele touclieiit" en aucLine maniere , fans Ibuvenc fer mercre beaucoup en peine de leur con- duite. S'ilenfautvenira Texperiencej,' n*en verrons nous pas de ces enfans- echangez auflimal injftruits que les au- tres ? Balancez done , Medieurs , les maux quepeut produire I'amour aveu- gle d'un pere ^ mais n'oubliez pas en meme terns ceux que rindifference d*un pere etranger peut produire :ce n'eftpasla coutumedans cette Ifle de donner des nourrices etrangeres aux enfans,inais quand la foiblefle ou queU qiiemcJadiede la veritable mere em- peche qu'elle ne les nourrille au fortir de fon fein, & qu'on eft oblige pour conferverla merede hazarder les en- fins a la nourriture d'un lait* qui ne leur eft point naturel , combien en ar- rive-t-il d'accidens ? Supose que les en- fans n'en foujfFrent rien , Pamour ma- ternel n'eft-il ponit partage entre la mere & la nonrrice ? En efFet,les enfans ont fouvent plus de tendreile pour ^2 Rclatiort cclles quiles ont allaitez que pour cch les qui Ics ont enfantez. Que dirons^ nous de ccs pcres etrangers qui au* roienc eleve les enfans de Icurs amis ? L'amour de ces enfans ne feroit-il point partage ? Ne verrions-nous pas iouvenc qu'ils auroient plus de pan- ehant pour ceux dont ils auroient recu leur education , que pour leurs verita- blesperes? Ainfi ce fcroit contribuer au peu d'amour que les enfans ont pour leurs parens , & renverfer Tordre de la nature : On veut eviter un mal , mais fans y penfer on s'engage infeniible- ment dans un plus grand. L'amour des enfans enters leurs peres contribuc beau coup a la vie civile , & ce lien fi c- troit qui unit les parens enfemble joint auffi les amis &: les Marchands dans leurnegoce. Voulez-vous, Meflieurs , rompre ce lien ? Voulez-vous faire du monde un cahos 5c une confufion e- tran2:e ? L*amour des enfans a I'endroic de leurs parens eft bien foible, Texpe- rience ne nous Taprend que trop >& vous voulez cependant encore TafFoi* bhr- dd t Eulopre. ^» blir encore da vantage par un proiec inoiii & tout-a-faic extraordinaire. Voila , Mellicurs , les raifons que j'a- vois a voiis dire pour le bien public ^ vous en ordonnerez ce qu'il vousplaU i-a. Apres avoir balance les raifons de Tun &: de I'autre , on cucillit les voix ^ les iufFrages furentfort partagez i dc forte qu'on ne piit rien decider ce jour- la ; mais dans la premiere aflemblee qui fe tint peu de terns apres on ordon- «a que les enfans uniques feroient ab- lolument elevez dans une famille e- trangere , pour les garantir des fu- neftes effets que caufe ordinairemenc I'amour aveugle des peres & nieres i qu a 1 '(igard des autres enfans on ne faifnt point de loy ladeflus 3 qu'on exhortoit feulement les parens de les elever ailleurs que chez eux , ^ que fe- lon les a vantages qu'on retireroit dans lafuitedecette education etrano-cre, on en pourroit faire une obligation par un arreft univerfel : ce decret quin'im- f ofoit dc loi , ni d obligation a perfon- G I 7^ Relation l^me , mais qui exhortoic feulement de fe ' fervir de ces echanges pour le bien des families &: Tavantage des enfans, fit un ii bon efFct dans nocre Ille qu'il y a peu de Peres aujourd'iiui qui ne donnent {qs enfansaelevera leurs amis , 6c qui lie retirent tous les jours de nouveaux iiijets de joye d'une coutume fi utile. Vous avez demeure ailez long-tems dans I'Eutopie pour connoitre a fond le bon reglement des fimilles. Vous voyez ( me dit cet Ami ) .comme la jeu- nefle y eft bien reglee ^ S. Cliryfoftome difoit autrefois que les mailonsdes par- ^ticuliers etoient autant d'Eg-lifes , rant ony remarquoit de piete 3c de vertu dans les peres & les enfans : Nous pou- vons, graces au Ciel, dire lameme cbo- fe de nos families , la charice en eft comme Tame j la crainte de Dieu y inainnent tout lemonde dans fon de- voir ; le relped qu'on a pour ces peres errangers ne fert pas peu pour bien re- l^lerlaieunellejon y fait la priere du -foir & du^matin quand on ne peut aller a I'Eglife : ce qui caufe le dereglemenr de PEutopie, ^f t3es enfaiiseft ordinairement roifivetcj leperedefamilleaun foiii tout parti- CLilier de lesoccuper j routes les heures- font remplies de telle maniere qu'il iic refte aucuii vuide durant le jour ; les jeux innocens aufquels on occupe la jeuneiTe dans le terns de la recreation , la delaflent de ^^s occupations^ les jeux publics font tellement dcffendus dans cettellle qu'il n'yenapasun feul : de certains faineants, qui etant corrom- pus ne cherclient qu'a corrompre les autres , & fur tout la jeunefle , s'etoient ingerez d'ctablir des jeux publics , fous pretexte que ces jeux etoient innocens, &ne fervoient que pour delaflerun pea les efprits > mais les Senateurs de la Rc- publique voyant les dangereufes con- fequences de c^s etablillcmens perni- cieuxs*y oppoferent , 6c par la rigueur^ des chatimens aufquels ils condamne- rent ces libertins qu'ils apelloient les pedes publiques , &: par leur vigilance a cxtirper les racines de ces maux ^ en forte que depuis ce tems-la perfonne n*a ose y penfer > en cfFet , quand il n*y G ij p'o Relation .auroit que la perte du terns que Tom pafle dans ces fortes de jeux , ne feroit- ce pas une railon luffifante pour les de- fendre abfolument dans une Republic •que chrecienne ? Mais combien d'au- tres vices attirent^ls apres eux ? les blafplicnies , les querelles , les debars , \qs meurtres meme , ne iont^ils pas iouvent autant d'effets malheureux t^ui naiiTent dans ces lietix empoifonnez •& coniacrez a I'ennemi de notre ia- lut ? Ceux quigouvernent notre Repu- blique ont ete teliement convaincus des de ford res qui peuvent naitre , 6c qui naiflentle plus fouvent de ces jeux publics , que par un Arreft autentique , ils ont condamne a dix ans de prifon, 8c a une amende pecuniaire to us ceux qui tiendroient ces jeux publics 5 &: dans Cv^t Arreft on les traite comme des ex~ communiez,6ccomme des lupofts du •demon J dont il le fert pour s'introdui- re dans le monde Chretien afin d'y re- gner. Notre jeuneffen'ayant pas I'oc- cafion de fe corrompre dans ces lieux 4a'>gereux , 6c fe trouvant plus fouvenc detEutopIe. ' f^ i I'Eglife qu'aux jeux, faut-il s*cconiier qii'ellefoicfi bien reglee?D'ailleursces peres ecrangers , perfuadez qu'ils font qu'on a beaucoup de foin de leurs en- fans , le donnent rout enticrs a veiller far la condiiite des enfans de leurs a- mis 3 ricn ne leur ecliape de tout ce qui fe paile a la mailon , tout y eft regie ie^ Ion les maximes de I'Evano-ile : comme ces peres de families ont beaucoup' d'occupation pour leur negoce &: leurs affaires particulieres qui pouroieiit les d'etourner du foin deTeducation des' enfans , ils ont un 2;rand lecours de la' part des Maitres d'Ecole , qu'on ne re-^ ^oit qu'apres avoir etc bieti examinez , &: pour leurs bonnes moeurs &: pour la' eapacire i car ces fortes d'emplois ne font pas donnez a ceux qui ayant per- du le terns de leur jcuneire,^ menc une vie peu reglee , tachent de trouver de- quoi vivre dans le travail d une ecolc a» laquelleilsontrecours au defaut d'un metier : Nous ne choififlons ici pour uii emploide la derniere confequence que les plus vertueux des Clercs ^ que ia Giij '/

ofFrantce divin Sacrifice fans intereft , fe difpenfent fouvent de I'ofFrir, n'en retirant aucune retribution ? Mais qu*- on raifonneroit mal fi on avoit d'eux cettQ indigne pensee. Eft^ce qu'un gain . ^^ R'elation^ fordide aiiroit plus de force fur les coeursdeces vertueuxPretres que I'a- mour de Dieu qui les prefle ? Eft^ce qu'une vile aumone qu'on donne aux autres Miniftresferoitpliis d'efFet que la grace du Seigneur qui les porte a s'approcher de TAutel^pour y recevoir des benedidions du Ciel infinimeiit plus grandes & plus precieufes ? Nan ^ non , fans doute i & s'il y a des Pretres dansl'Europe aveugles jufqu'au point que i'attaclie a Targent les fafle mon- ter a TAutel , cela n'arrive point dans cette Ifle \ le pur arnour de Dieu , 6c les avantages de PEglife portent ces faints Pretres a ofFrir &: renouveller fouvent le Myftere de notre Redemption : ce font des perfonnes toutes confacrees au cuke du Seigneur , qui par leur ex- terieur expriment en quelque maniere le Myftere adorablequ'ilsrenouvellent j(i fouvent ; ils font mortifiez,iTjodeftes, &de la derniere humilite : quand ils ne diroient rien , ils preehent avec plus deforce que s'ilsemployoient les pa- roles les plus perfuafives. . Revetus des dc I'Eutopie. i?jr liabits Sacerdotaux ils montent a I'Au- tel avec une modeftie d'Anges ^ rien de plus recueilli ^ rien de plus attentif an Myftere qu'ils vont celebrer,6cqui fait trembler lesPuiflancesdu Ciel : la de- votion qui paroit peinte iur leur vifage infpirelapiete dansles cocurs les plus endurcis. Jc n'etois pas bien pieux ( je I'avouc) quand je fliis a.rrive dans cette Ifle ; niais le moyen de nc point chan- ger quand on voir les Pretres du Sei- gneur fi recuiiiUis a TAutel , qu'ils lem> blent etre lesAno-es duDieu des Ar- 'mees , & autant de Media teurs entrele Createur dePunivers 6c les hommes ? Onnefcauroit exprimer combien de benedictions celeftes ils attirent fur le peuple par les facrilices offerts avec tant de charitc & d'aniour de Dieu. Helas ! ou en lommes-nous dans I'Eu- Tope?Voit-on ces dignesSacrificateurs? Voit-on ces Pretres mortifiez monter a TAutel du Seigneur ? Le befoin d'une retribution mcrcenaire , plutoft que rainour de Dieu, ne les porte-t-il point a fe revctir des habits facrez , tout op- S6 Relation pofez a la difpofition de leurs coeiirs t Helas ! je le dis , & je devrois me taire 5 mais peut-on caclier ce qui paroit tous les jours a nosyeux ? Qu'on ne croye pas queceioicuneenvie de medire 6c de fatyrifer qui me fait parler^ Dieu m'eft temoin que ce n'eft que la dou- leurdont j'aile coeur perce qui m'ou- ■vre la bouche,&: qui me fait dire ce queje voudroistaire: maisle moyende cacher des dereglemens fi manifeftes/ Qiiand je voyois dans TEurope uii Pre- tre frise 6c poudre , d'un air tout mon- dain , avoir la temerite & Peffronterie de fe placer au milieu du Createur 6c de {qs creatures pour en etre le Media- teur , je tremblois pour luy , 6c j'appre- hendoisavec jufteraifon que la colere d\m Dieu juftement irrite par les pe- chez 6c du Sacrificateiir ^ du Peuple , ne tomba plutoft fur le Mediateur que fur ceux qu'il vouloit reconcilier avec le Seigneur. Vous le fcavez ( grand Dieu ) 6c vous fondez les ftcrets de mon coeur : Vous fcavez , dis-^je , que je n'avance rien pour diminuer I'lion- M de I'Euiopie, S^ neur & le refpect aveugle qu'oii doit avoir pour une dignite qui donne de Tenvie aux Anges , n'y ayant rien de plus releve & de plus iublime. La Rela^ tion que je fais de la piece des Pretres d'Eutopie iVeft que pour donner a nos Miniftres une haute idee de leur etat, ^cpourles exhorter a correfpondre a la faintete qu'une condition {\ elevee au-delTus des autres demande d'eux. Pourrencrer eneux-mcmes qu'ils jet- tent les yeux fur les dignes Pretres de cette Ifle : pouflent-ils la debauche juil tiu*au moment quePaiguilled'unehor- loge ,&non paslacrainte deDieu les empcche de boire davantage / Ont- ils des commerces criminels, &: s'ap- proclient-ilsdePAutel pour lesmieux cacher fous le voile trompeur d'une pietc iainte / Cherchent-ils a manger les bons morceaux , &: a employer les aumones &. le bien du Crucifix a des ufagesillicitcstk: tout-a-fait profanes? LesPrccrcsde cette Ifle font de vcri-. tables Pretres; ils s'abftiennent quel- quefois de dire la Iainte Meffe ^ mais ce S'S ^elatio)i ii'effc que pour mieux fe rectieillir &c pour s'aprocher de I'Autel avec plus de ferveur 6c de devotion : perfoiine ^n'eft fcandalise quand un Pretre s'e- lois^ne de PAurel pour quel ques jours 5 perfonne n'en murmurc 3 perfonne eiv- fin ne lui en fait un procez \ on a trop d'eftime pour ces faints Pretres , 6c Ton eftperfuadequ'ilsont de trop bonnes raifons & des motifs trop purs , pour x^u'il y ait quelqu'un affez tcmeraire qui condamne leur conduite , quand ils s'abftiennent quelquefois d'offrir le Sacrifice adorable de notre Redem- ption. Juge-t-on de la bonte & de la vertu d'un Chretien par les frequentes communiom ? 11 eft vrai que ce de- vroit etre un prejuge de fes bonnes mocursimaisenfins'il etoit permis de juger ( I'Apotre le deflfend) notre juge- ment ne feroit-il pas mieux etabli iur les bonnes moeurs & fur une conduite irreprochable,que fur cts marques ex*, terieures de piete qui fervent fouvent de mafque pour tromper les peuples?Nous ii'eftimons pas dans i'Eutopie les Mini^ ftres del' Eutopic. S^ ftres de rEgHfe par les Sacrifices fre- quens qulls ofFrent au Seigneur , &: nous ne diminuons point Teftime &: le refpeA que nous devons avoir pour leur dignite ,.lorfqu'ils s'abftiennenc quelquefois d'offrir a l^Autel le Sacri-^- fice, qui eft le plus agreable ati Souve- rain Eftre , quoiqull foit toujours a- vantageux de Toffrir le plus (ouvenc que I'on peut 5 mais nous les eftimons par leur vie bien reglee, & I'edificariorr qu'ils nous donnenr par leurs bonnes mocurs les met a I'abri de tout ce qu*oii peut dire. lis loutiennent parfaitement bien la qualite de Mediateurs entre Dieu 6c les liommes ^ quand on les voit dire la MelFe , il femble qu'eux- mcmes ticnnent la place de Jefus- Chrift, 6c qu'ils font autant de vidi--^ mes qui s'ofFrentpour le falut des Peu- pies tant lis font mortifiez:il eft vrai que dans ce Sacrifice Jefus-Chrift s'of- freafonpere &renouvelle d\ine ma- niere non ran2;lante le Sacrifice qii'il a ojfFert fur le Calvaire pour le falut die^ tous les homnies \ mais ces di2:nes Mi- ' H ^«., "Relation niftres font tellemenc penetrez de Pa--, mour de Dieu & de celui de tous leurs freres , qu'ils paroiflent etre unis au Sauveur du nionde & s*ofFrir avec lui comme autant de vidimes pour obte- nir line efFufion de graces abondantes iur le peuple Chretien pour lequel ils prient. Faut-il s*etonner qu'a Texem^ pie ^^^ Pretres , les Catlioliques d'Eu- topie ayent tant de piete a la fainte Mefle ? lis font tout penetrez du My- ftere qu*on y renouvelle ,.& entrent dans les memes fentimens de ces fain- tes femmes qui affifterenta la paflion du Sauveur fur le Calvaire : un torrent de larmes decouloit de leurs yeux , &; ces Peuples pleurent interieurement & compatiffent aux douleurs du Fils de Dieu : ces faintes femmes avec un coeur contrit 6c humilie avoient tou- jours les yeux colez ( pour ainfi dire ) iitr le venerable inftrument de notre falut ;& lesEutopiens toiijours atten- tifs a la grandeur du Myftere , ne de- tournent jamais la vue du lieu facre ou ce Sacrifice fe fait &s'acheve : Elles Cr de I' Eutopic, pf toient penetrees de ramour tendre &: renfible qu'elles avoienc pour le Fils de Dieu attache a la Croix : & les Peuples de cette Ifle pour fuivre leurs traces font tout en Dieu par un excez d'a- mour qui regne avec empire fur leurs coeurs i 6c penetrez de ces motifs fi preflans entendent la Meile avec la derniere devotion. lis tachent d*atti- xer fur eux une partie de cette fource de graces qui s'eft repanduc fur tous Iqs hommes , & qui fe repand encore furtouslesFideles,en renouvellant le Myftere de la Redemption, d'ou de- coulent toutes les benedidions du Ciel fur ceux qui y affiftent avec des fenti- mens de pieteSc dignes de la grandeur de Dieu. Mais avoiions la verite , voit- on dans PEurope ces dignes Catholi- ques aflifter a ce redoutable Myftere avec tant de devotion ? Ce n'eft point a moi qui fais cette Relation fincere de ce que j'ai vu pratiquer dans PEutopic^ de juger mes freres : Dieu feul connoit: la difpofition des coeurs : mais en veri^ tc, quand je voi des gens, qui en fe Hij 'y2 Relation trompant eux-memes , fe croyent fau£ fement etre les enfans de Dieu 6c dit Dieu des Armees,qui pent par le moin- dre fouffle les rediiire au neant , affifter a ce redou table Myftere com me s'ils •affiftoient a une comedie , ou a quel que rendez-vous : quand je les voi , dis-je , tourner la tefte de cote & d'autre ians piete , fans attention au Myftere , fans flechir les o-enoux devant ce Etieu for*- jmidable qui doit condamner un jour €es impietezjje doute fort en quel rang je les dois mettre. De leur donner le nom de Chretiens , ils en font tout-a^ fait indignes. Quel nom leur pourroit- on donner ? Je n'^ofe dire mon fenti- ment. Mais pourquoi trahir laverite? Pourquoi laifler ces laches Chretiens dans un airoupifrement criminel? Pour- quoi ne les point reveiller dans leur fommeil ietargique ? Helas • on a beau fairejemonde fera toujours opose a la Religion , be quoiqu*on puille dire ces Chretiens, dont reiprit eft tout rempli des maximes pernicieufes de ce iiecle , affifteront toujours a la faivite de PEufopie, ^ • Mefle comme lesbourreaux de Jefus- Chrift ^ mettant pour un moment le genoiiil en terre, plutoft pottr fe moc- quer cLu Sauveiir que pour radorerrje voudrois de tout mon coeur que ce^ gens fans piete euflent vu une feule fois lespeuples d'Eutopie durant la MelTe^ je fuis bien convaincu quails change- roient de conduite,comme j'ai change moy-meme, ediiie que j'etois de^ leur modeftie ^ de leur piete , ^ de Tatten- tion avec laquelle ils y affiftoient ^ 6c en effet la reflexion qu'un Chretien doit faire , eft de fe perluader que pour s'acquiter du precepte de I'Eglife, on doit employer le terns precieux qu'on paffedans une action fi fainte avec Ic dernier menagcment 6c une entiere at- tention a tout ce que fait le Miniftre du Seigneur a TAutcl. Scs pas , ^ tou- res fQs adions faintes font autaut dc fymbtJes myfterieux qui rappellenten notre memoire ce qu'unDieu hommc a fait & fouflfert pour le falut de tous les hommes. Mais il me femble que j'ai parle affcz de cettematiere. Si le doigt fvf.' Relation du Tout-puiflant ne toucKe cqs Catlidi liques peu zelez pour leur falut^ &: s'il nelesporte aimiter la piete des peu* pies d*Eutopie , c*eft en vain qu'on leur donnera des avis falutaires. 7 _ . ^ ^ CHAPITRE IX. Des Predications^ S^des Predicateurs \ , dc I'jJIe d' Eutopic, DAns le commencement de la Re- publique de cette lile , les MiC Honnaires etant pleins de Pefprit de Dieu , s^acquitoient de ce noble em,, ploi de la predication avec tant de zele & de charite que tous les habitans en etoient fi toucliez , que fans autre Te- cours , les fideles fe portoient d'eux* memes a aimerDieu, a fe detacher des vanitez du monde, 6c a obferver avec grand foin la Loi du Seigneur : mais comme les chofes les plus faintes dege- nerent inlenfiblement lorfqu'elles ne font point foutenues par Tefprit de de I'Eutopie. ^f: Dieu & le fecours du Ciel' ; apres la mort de ces MKTionnaires , precieufe devant le Seigneur, il fe glifla un cer- tain abus dans radminiftracion de la,, parole de Dieu qui auroit cause de grands.defordres , fi les Eveques zelez & les Senateurs de la Republique ne s*yfuflent opofez de bonne Iieure, be n^eufTent coupe les racines d'un mal li dangereuxron voyoit de jeunes Pre^ tres , portant le nom d'Abbez, nouveL lenient fortis des maifons faintes eta- blies pour leur education \ mais dont Texade pratique des vertus , genante pour eux , les avoit rebutez : On les voyoit , dis-je , paroitre en public, plus apretez dans les vetemens de leut mi- niftere que les femmesde Theatre 3 6c d*un air faftueux plein de prefomption fe nieler d'enfeigner de venerables vieillards qui avoient blanchi dans les exercices de piete , pendant que leur viedonnoit du fcandale, 6c que leurs paroles compafsees tendoient plutofk a etablir leur vaine reputation , qu*a au- gmenter le Royaume de Dieu. Durant ^ ' Relation- ie terns que ces fortes de Miniftres-prel clioient dans TEutopie , cette premiere ferveur de nos Peres , que nous avions fuccee avec le lair , s*evanouiiroi& dc jour en jour j&s'ilseaflent continue , au lieu du Chriftianifine qui fubfiftoit dans fa derniere perfection , on ne ver- roit plus aujourdliui que fon phanto- me,&qu'une image groffierc & con- fufe. Les Eveques zelez pour le bieii dePEglife,& penetrez jufqu'au cosur des mauvais e£Fets des difcours trop e~ tudiez de ces Predicateurs mondains &:peu Apoftoliques , ^ffemblerent un Concile:ou on agita plufieurs queftions- 6c comme on m'en a faitun recit fince- re 5 & que d'ailleurs il me paroit tres^ utile , je ne ferai pas fache de raporter toutes (it's, queftions de la nianiere qu'- elles ont etc proposee^. Dans ce celebre Concile conipo- fe de vcnerables Vieiilards , iur le vifi- ge defqitels on voyoit je ne f^ai quoi dc irifte & d'accablant i on commenca par une queftion quifembloit etre op- pose a la Religion : Ow denianda d'a^ bord df fEutopie, ^^ l^drd s'il etoit expedient de prficher : Toute rAflemblee fe recna fortement centre cette propofition. Quoi ! vou- lez-vous ( dit^on ) laiffer les Peuples dans Tignorance de la Loy ? Voulez- vous qu'ils foient Chretiens de nom , fans connoitre a quoi les engagent les preceptes duDieu qu'ils adorent / La parole du Seigneur , dit S. Cliryfofto- me , eft commc un fieuve qui doit tod- jours couler : Suppose que peu de o;ens puifent deces eaux falutaires, qui re- jailliiTent jufquM la vie eternelle , faut- il pour cela arreter le cours de ce fleu- ve facre / Peut-etre s'en trouvera-t-il quelqu un qui puifera^lorfqu'on y pen- fera le moins avec la cruclie de la foy , cts eaux facrees qui pourront le con- vertir & purifier enftiite les taches de fon ame. Pour moy ( dit un S. Pretre ) je fuis tellement perfuade de la force &:dela vertude la parole deDieu^ qui eft comme un glaive a deux tranclians, qu'il taut abfolument , ou qu'il y ait de Tobftacle de la part des Auditeurs , qui vont fouvent a la predication comme a I ^^ "Relation nn fpeAacIeprophane , fans ladilpofi- tion qu'ils lont obligez d'aporter pour entendre avec fruit la parole du Sei- gneur j ou que les Predicateurs trop vains ^ fe prechant plutoft eux-memes que le faint Evangile ^ mettent comme line barriere ^ un obftacle tout-a-faic oppose a Peffufion des graces de Dieu : c'eftcequ'il nous faut examiner dans ^^.tto, Ailemblee. Chacun a fon fenti- ment: Si les Predicateurs, fait par un vil intereft , ou par vanite alterent la parole de Dieu , &: \.q,s> Oracles lacrez , le rendant des Ouvriers confuiibles de la vigne du pere de famille , je fuis aufli perfuade que Ics Auditeurs ne pechent pas nioins , lorlque portez par une vai- ne curiofite, ou quelquefois par des motifs criminels , ils ont la temerite a- vec ces difpofitions peu cliretiennes d*entendre la parole de la Vie. Ainfi , Medieurs , il nous faut remedier aux dereg-lemens des uiis , & ne pas oublier les autres ^ afin que Dieu beniilant les Predicateurs, 6c aprouvant les faintes Ciifpofitions des Fideles qui les ecou- del'Eutopie, f^ tent /repandent fur eux le torrent de {qs graces 5 qu'on voye revivre chez nous rEfpric du Seigneur qui anima nos Peres , &: qui a confer ve allez long-^ terns la Religion dans fa purete , par le zele6<:ledefintereflementde nos pre- miers Predicateurs de I'Evangile. Voi- Ici ce qu'on die d'abord dans ce Conci- le : Et quand on vint a cucillir les voix les uncs apres les autres , chacun dit fon fcntiment , & I'apuya par un dif. cours peu long a la verite ^ mais fort 6c patetique. Celui qui parla le premier parut un peu outre , mais on i'excula* facilement a caufe de fon zele pour la. dcfenfe de la Religion : Ne devons-r nous pas etre furpris ^ dit-il , & faifis du dernier etonnement quand nous voyons les Predicateurs precher toute autre chofe que TEvangile ? Saint Paul fe glorifioit autrefois de ce qu*il nepre- clioit que Jcfus-Chrift crucilie,non pas -avec des termes perfuafifs , mais avec la vertu du Seigneur qui operoit des miracles , qui avoient bien plus de for- ce pour pcrfuader les Auditeurs , que 3&0 'Relation Jes termes choifis que ces nouveaux Predicateurs empruntent d\ine elo-^ oquence toute pi-x^phane. Qiiand vous vous les entendez , MeffieurSj faire une :defcription d\ine Dame a fon desha- tiller , devant Ion miroir 2c fa toilette ^ •environnee d'une troupe de fiUes de •chambre , qui a plus de loin d'arrenger i^s^ cheveux j;&: de bien tirer fa coifRu re , que d'aller a la Mefie ^ de placer a- vec juftefle fes mouches 3 de ie vctir plutoft comme une comedienne,' que comme nne Dame chretienne ^ direz- vous que c'eft precher PEvangile / Ces xlefcription^peuvent etre utiles, mais ^uparavant ilfaut jetter les fondemens duChriftianifme : on doit expliquer les Oracles facrez de I'Ecriture Sainte , & prendre occafion de ce qu'on a expli- , que^pour invediver contre les vices qui xegnent le plus dans le fiecle. S*il eft fait mention des vertus de quelques igrands Hommes de PAncien Tefta- iiient ou duNouveau, le Predicateur -doit fe fervir adroitement des exem-i jlesdenos Peres, pour porter fesAu-.J etc PEutcrpie. Jas (fiteurs a prariquer ces memes vertus; Comment vcut-on perfuader des An- diteurs pea inftruits des principes dit Chriftianifme , en leur faifant (imple- ment la defcription d'une verru oit d'an vice.Ml fant d'abord leur expli- quer la Religion par Texplication de I'Ecriture j & la connoiflance de fa faintete gravee bien avant dans les coeiirs de^ Chretiens , fuffiroit leule pour les detacher de tous les aniuie- mens du nionde ^ 6c de tout ce qui peuc les eloigner de Dieu : c'eft battre Tair de crier en vain comme on fait dans les chaires contre les vices, fi Pon ne fupo- , fe qiie ceux i qui Ton parle , f^achenc bien la Religion qu'ils fuivent. Mais, helas ! qu'il y a fouvent d'ignorance dans Pefprit des Auditeurs, a laquelle cependant on n'aporte aucunremede : on les croit bien inftruits dans les my- fteres de la foi,lorfqu*ils ont encore be- foin de lait & d'une nourriture propor- tionnee a la capacite de leurs efprits>. Pourquoi done contre les vices faire mal a propos des jnvedives , qu'on entcnd Jo 2 Relation fans j(e corriger^parce que Ic cocur n*eft pasgagnepar des motifs plus relevez , qui donnent une idee de la Religion , qui a plus de force pour convaincre les eiprits , que ces vaines exagerations de la laideur du vice / Cependant ces jeu- nes Predicateurs pleins d'orgucil & d'ambition donnent la - dedans , & croyent avoir bien prcchc, lorfqu'avec des termes bien clioifis , ils ont fait une belle peinture d'un vice : fans connoi- rre quel eft Pemploi d'un veritable Mi- niftre de I'Evangile , ils donnent des aplaudiflemens a ce vain Predicateur ^ qui a eu plus de defir de fe faire un nom dans le monde , que d'augmenter le^ iiombre des enfans de Dieu dans le Ciel. Ou en fommes-nous , Meflieurs ^ devons-nous nous actacher plutoft aux beaux termes qu*aux myfteres 6^ aux maximesde I'Evangile /Quand on eft | perfuade de la verite qu'on prechc, fe met-on en peine de lafarder & de lui donner des ajuftemens empruntez, qui la defigurent plutoft que de lui donner 4e Teclat / La v^rite toute nue , 6c fans^ de ['Eutopic. 10 J ces vains ornemens d'une eloquence prophane, ne paroiL--e!le pas aiTez belle d'elle-meme pour nous porter a Pal- mer / Exilons pour toiijours de I'lfle d'Eutopie cette vaine eloquence qui ne doit etre recuc que dans les aflfaires qui regardent la Republique. Ayonc une populace a maintenir dans le de- voir , 6c qui fe mutine fort fouvent , on a befoin de cette eloquence du fiecle pour calmer ces efprits turbulents qui pouroient exciter quelque delordre y s'ils n'etoient retenus par une perionne d'autoriteSc de poids, qui apaife par. fon difcours fort 6c patetique ces peu- ples emus , &prefts d*en venir a une fe- dition : mais pour ce qui regarde les Predicateurs , ont-ils befoin de tartt d'art 6cd'artiiice / II ne s^agit que de raporter {implement les veritez reve- lees par le Saint-Efprit , 6c d*en tirer une morale forte , pour regler felon les .maximes de I'Evangile les moeurs des Fideles. Hugues de faint Vidor, dont nousavons ici lesOuvrages, ne dit-il pas que la predication de TEvapgile I ui] Jo^ Relation doit etfe fans ornemens & tout-a-fait iimple / Poiirquoi done chercher ces vains agremens qui defigurent la ve- rite,bien loin de lui donner quelque grace /Pourquoifuivreles traces d'un Ciceron ou d'un Demoftene,quand on eft oblige de fuivre le ftyle de Jefus* Chrift / Y a-t-il rien de plus fimple que PEvangile / Le fils de Dieu en qui fe trouvent tous les trefors de la fageile divine , ^eloquence la plus fublime , &: la charite la plus parfaite, a-Ml preche fon Evangile de lanianiere qu'on fait aujourd'hui/Iln'ya rien de plus Am- ple que ces termes 5 &: c'eft cette fim- plicite qui a touche 6c converti tant de Peuples differens : mais on peut dire a- vecjuftc raifon, que les Predicateurs de nos j-ours , avec leurs termes choifis & emphatiques , ne font qu'ebaucher les veritez qu'ils annoncent , 8c qu'ils travailleroient en vain pendant plu- Heurs fiecles pour toucher tant foit peu Tame d'un Chretien engage dans quel- que mauvaife habitude. J'aurois quan- tite d'autres chofes a vous dire, mais jp de I' Eutopic. lof m*etendrois trop ^ &c quoique le zele de la Religion me porce a parler da- vantage , la prudence qui m'apprcnd que je dois laifler aflez de terns aux per- fonnes allemblees pour dire leurs fenti- mensdansiaviiedeDieu, 6c pourre- trancherunabusquiferoit capable de renverfer les folidesfondemens de la Religion,m'impole le filence. Un autre parlaainfi : L'Apotre faint Paul nous aprend,Meffieurs, que les Predicateurs dc TEvangile font les Ambafladeurs de Jefus Clirill. Un Ambafladeur reveta du caradere defon Roi ou de Ion Prin- ce qui Pa eleve a ce noble emploi, ne doit-il pas foutenir ce glorieux caracte- re &: par fa prudence &: par fa fennete? Ne doit-il pas s'exprimer avec les me- mes termes Sedans iememe feiis que s'eft explique fon Prince ? Ne doit-il pas entrer dans {^s interefts ? Faut-il qu'il fe regarde lui-meme ^ 6c qu'il tra- liiHe lachemenc les interefts de fon Roi pour recevoir les vains aplaudiftemens d'une nation etrangere , ou il ne doit ueiiieurerquepeude terns ? Voila ju- joS Relation ftement rimage de ces vains Piedicax teurs , de ces Apotres mercenaires, qui annoncent TEvangile par intereft ou= par line vaine gloire qui.les poUede : Tout pleins deleurs paflions, ils trahif^ fent les interefts de leur divin Maitre pour plaire au monde , qui eft cette na- tion etrangere & rebelle a fonSouve- rain : ils la flatent dans fa rebellion ^ ils deguifent la vertu, 6^ donnent d*autres couleursaux vices que celles qui leur font naturelles • ils flatent lespecheurs dans leurs dereglemens : c'eft un plaifir deles voir apres avoir preche contre lesiniquitez du fiecle^ fi pour les re- mettre de leurs fatigues, on leur don- neunrepasrc'eft dans cette occafion qu'ils fe dementent eux-memes,6cforit le contraire de ce quails ont avance dans leurs fermons. Ne peut-on pas dire avec jufte raifon que cefont au- tant d'indignesprevaricateurs de I'am- baflade de leur.Souverain, qui lesaen- voyez ? ( je me tronipe |ils fe font inge- - rez par intrigues, & par des voyes quel- quefois crimmeiles dans un.miniftcre de I'Eutopie. lo^ qui fait trembler lesAnges3 & dont ce- pendant qq,^ vains Predicateurs ne font aucunement touchez : comment vou- lez-vous quails touchent les autres ? eux-memes font dans le dernier egare* ment. Par une eloquence molle & la- dle, ils entretiennent leurs Auditeurs. dans leurs habitudes criminelles i ils les confirment dans le vice par une con- duite toute mondaine; ils les ekwnent de Dieu,dont ils font les AmbaiTadeurs^ par le peu de vertu 6c de piete qu'on re- marque eneux : apres cela voulez-vous que leurs parolesyfi bien compaftees, faflent le moindre efFet fur les cceurs d'un Auditoire, qui examine avecdes yeuxjaloux laconduitedeceux qui le prechentj s'lls decouvrent par le moin- dre endroit quelque defaut du Predi- cateur , e'en eft fait 3 il a beau dire ^ il a beau precher ^ fes paroles font moins: d'efFet que celles d'un monteur de Theatre , qui fait le Roi fur la fcene, &: qui eft cependant un miferable quand ileftparmilepeuple. Heft doncde la derniere coniequence, Mcflieurs , de- X^S" Relation^ n'admettre a ce divin emploi que der Guvriers de la probite defquels on foitaflure, qui ayent blanchi dans le ininiftere de TEglife , 6c dont la vie 6c les mocurs aient toujours ete irrepro^ ehables. Voila ee que j'avois a dire fur cette matiere.' confiderez, je vous prie, que ce que vous ordonnerezcontribuc- ra beaucoup au bon reglemenc dpno- treEglife^que tous les gensdebieri fou* liaitentde voirerabli. Enfin lin autre reprit la parole , & s'explicjua en ces termes: Un Predicateur dc|)it etre un liomme d'oraifon r6c comme faint Au- guftin nous le dit fort bien , tin Predi- cateur doit prier auparavantque d'en- feigner : dc en efFet , dit ce S. Docleur , ilne doitfaire fortir defa bouche que cequ'il a puise dans la priere 3 il doit etre rempli auparavant de repandre fur les autres les eaux falutaires de la paro- le deDieu. Si fon coeur eft fee 6cvuide de ces divines fources que Fon ti'ouve dans I'oraifon, comment les pourra-t-il repandre fur ks Auditeurs?Si fon coeur ell.plein des vanitez^du fiecle^comment de I'Eutopie, jtof pourra-t-il en detacher, par fes foibles paroles 6c par les figures de rethoricjue, les cocurs des Chretiens qui y font peut-etre moins attachez que lui ? Si enfinilne recherche en prechant que les fades aplaudilTemens des Auditeurs plutoft que le falut de leurs ames , ne fauciroit' il pas un miracle pour que fes rermes fi bien choifis puflent arracher de fes Auditeurs la vaine gloire, qui eft I'ennemie juree de notrelalut/Lacapa- cite d'un Predicateur eft quelque cho- fe ', mais a moins qu'il n'ait une vertu eprouvee, &qu'il ne preche plus par fa vie que par (qs paroles , elle doit paC fer dans les efprits pour un empeche- nient au progrez de TEvangile. Je fuis il perfuade qu'il doit y avoir une allian- ce fi etroite entre la priere & la predi- cation , que Tune fans Pautre ne fera jamais aucun fruit dans I'Eglife. Com- -me le terns fe pafloit a dire k^ fenti- mens , &: que d'ailleurs il faloit conclu- xe &: faire quclques reglemens , il n'y ■eiit plus que deux venerables Pafteurs qui parlerent dans cette fainte aflera- ilo ' Relation ^blee. Les autres donnerent leiirs flif^ frages fans apuyer leurs fentimens pair aucunes preuves , parce que le terns preffoit. Le premier park en ces ter- mes : Te conviens, A4effieiirs, de tout ce qu'on t, dit touchanr les Predicatenrs , & Pon ne fcauroit parler plus jufte qu'- on a fait fur une matiere de confequen^ ce : maisil me femble que de toutes les qualitez qu'oii fbuhaite trouver dans ceshommesfublimesjon a pafse fous iilence celle qui meparoit la plus ef- fentielle. Tout ce qu'on a dit eft bon 5 mais il faloit fpecifier le tems & Page -que ces Miniftres de la parole de Dieu devroient avoir pour commencer un emploi fi redoutable 6c fi dangereux pour les Predicateurs memes. Le Sau- Teur du monde n'a commence qu'a trente ans a precher fon Evangile 3 il etoit cependant un homme Dieu , en qui Pombre meme du peche ne fe pou- voit rencontrer 3 il etoit la fagelTe eter- . iielle^quinepeut cure fulceptible des aflauts que livre la vaine gloire a cqs jeunes Predicateurs , qui fe melenc de tEutopie. 2 it d'enfeignerles autres, he n*ont point encore la verm lolide, qui met a i'abri de fes traits empoifonncz. On ne pou- voir rienreprocherau Vcrbe fait hom- me , comme on peut reprocher aux Predicateurs d'anjourdliui 3 ce qu'on apelle foiblelle luimaine , ce nom in- vente pour coLivrirfouvent de grands pechez^ne pouvoit etre reniarquedans la conduite de cet homme Dieu : inca- pable qu'il ctoit de donner le moindre fujet aux critiques de blamer {qs moeurs innocentes & toutes pures , il ne com- menca qu'a trenre ans a prccher {on Evangile. Apres I'exemple d\m Dieu doit-on fouffrir dansTEutopie ces jeu-. nes eventez qui , fans ecre tout remplis de I'efprit de Dieu & de la connoiUnn- ce de (^'^ Oracles facrez 5 fans avoir Id Ics monumens des faints Peres , & fans avoir blanclii fur leurs livrcs ^ qu'ils n'ont fouvent vii que par le couvert ofentavec efFronterie citer dans leurs lermons lesfentimens de ces premiers Membres de I'Eglife , qui font les te- moins fideles de faDodrine. Pour moi ^1^ Relaiion j'avoue que qiiand j'entens un jciine Predicateur a Tage^devingt-fix ou de vingt-fept ans , qui ne fait que de fortir de Tecole , cicer un faint Auguftin ^ dont \qs, Ouvrages demandent plus de quinze ans pour les bien lire , & plu s de vingt ans pour entrer dans le fens de ce faint Pere , je ne peux que je -ne me mette en colere contre ce jeune teme- raire qui , plein de vanitc , a TefFronte- rie de citer des Ouvrages qu'il n'a pas 111 , & qu'il n'a pu lire. Je vous prie , Meilieurs,demarquerrage& le terns auquel les Predicateurs doivent ie me- ler d'un eniploi ii faint \ & qui fait trembler , non pas ces jeunes gens a- veuglez de leur merite imaginaire,mais \qs gens de probite &: de vertu qui en connoiflent le fardeau 6c le danger. Le dernier qui parla dans cette illuftre af- femblee , ne fut pas ecoute avec moins d*attention , parce que tout ce qu'il dit n'etoit fonde que fur Texperience. On a^ dit-il, epuife la matiere fur les ver- tus que doit avoir unDodleur de TE- vangile, mais on n'a point fait de refle- xion de I'Eutopie. IT^ xioii furun defordrc altez commun qui regne dans notre lile : comme la ville de Macarie eft la plus celebre Sclaplus confiderable de I'Eutopie , il s'y trouve des gens fcavans 6c pieux qui y pre- client avec edification des Peuples, & y augmentent par Icurs inftrudions fa- lutaires 6c ediiiantes le Royaume de* I'Eglile. Je ne Icai fi ce que je dois a- vancer eft connu^ je ne le croi pourtanc pas •, la vigilance de iios laints Eveques auroit fait des ftatuts centre ce defor- dre naiflant , ^\ cela etoit venu a leup connoiflance. Onpunitles voleurs de grands cliemins3 mais je ne voi pas qu*- on ait parle dans cette Aflemblee de ceux qui volent fans honte les tra- vaux des autres i ils meritenf d'etre reprimez , pour avoir fait venir de notre Ville capitale des manufcrits de fermons qu'ils achetent descopiftesr Quelles benedidions peut repandre le Seigneur iurunindigneMiiiiftre de fk parole^qui ne la prcche que de memoi- re fans que le coeur parle ? qui peuc ctre a la verite recho d'un faint liom-^ K Sf'i'-f 'Relation me , mais qui n'en prononce que les^ ,mots fans en avoir la vertu &: le zele : quand j'entens ces Predicateurs pla- giaires,il me femble que j'entens un ccolier qui recite fa lecon 3 point de iiiouvemens , point de zele , tout eft froid^Scl'on fort de ces fermons peu animez comme on y eft entre : quoique felon lereGilementde notreEsiliie, on Be doive dans les fermons qu'expliquer TEcriture fainte &: en tirer une forte morale 3 cependant ces paroles facrees qu*ils fe melent d*expliquer apres un autre , ne touchent point le coeur , par- cequ'cllesnefortent pas de leur pre- miere fource. Si je n'avois crainte de fcandalifer rAflemblee , que ne dirois- je pas de q^s Predicateurs qui ont pre^ clie en un meme lieu , mais a difFerenS' terns, les memes predications quiimet- toient alagene&poufToient a bout la patience des Auditeurs ? Quels debars ne fe font point emus entre ces plagiai- res , qui croyoient avoir feuls ces ma- nufcrits frippez ? Helas ? j'en ai etc te~ moin trop fouvent 3 cette comedie s'eft joiiee chcz moi •, & pour pacifier le dif-^ ferent de ces Predicateurs , qui fe trai^ toient d'une maniere indigne, fe re- prochant avec crop peu de charite d'a- •voir vole impunement les fermons qua- ils debitoienr , je leur dis en riant qu'ils. avoienc tous deux raifon. Vous voyez par la,Me(rieurs , quel abus peut le giiil ierdansl^Eglifed'Eutopiej fi Ton per-^ met a des cjensjirnorans , d*ai11eurs 1^- fd\(^.s & parelleux^de prccher les ouvra-- 2:es des irens de bien & de vertu. Helas! ces indio-nes echos de qqs dig-nes Mi- nilrres de la parole du Seigneur,nefonc quebattreinutilement Tair, fans per- fuaderny toucher les coeurs : mais ce <[ui eft de la derniere confcquence, &: qui peut caufer Aqs niaux dansl'Eglife, aufquels on auroit de la peine a reme- dier , eft que ces fortes de Predicateurs donnent aux Fideles du des-out de la parole de Dieu , & que ce degout feul peut contribuer au relacliement de la morale chretienne ^ & donner lieu aux perfonnes peu reglees de reftei'' dans Iciir ignorance affedee , qui les confir- Kij tiS Relation me dans le vice fans aucun remords de confcience. Apres que tout le monde- .edt parle on cueillit les voix , 6c voict ce qui fut ordonne a la pluralite des^ fufFrages. De crainte cependant que lesLaiques nefuflent fcandalifeZj on! exprima en Latin ces Reglemens : STAT U: T A UNANIMl Eutopias confenfu approbata de Concionatoribus. Anno no Domini 15 04* T. NULL VS concionator ^a JuoE^ fifcopo approbatus , ante annum quadragefimtim prafumat Mvangelium publico ccetu explicare. 11. 2T ISl bonumteftimoniumhaheat fo- rk^ (^ virtutibus fioreat , drceatur a con- iione. 111. PORT ET ^ut concionator difidt de I'Eutopie. 117* frius in onttione^ longapatrum lecHone ^ feria meditatione , quidquid doHurus eji Chriflianam flchem , alio qu in fi v annus ^ ^futilcm venetur gloriolam apud imperii tam plebcm ^ ohmutefcat potius , quam adultcret J^erhuni Dei. 1 V. SUB gravibrcs pcenis inhihet tota Bu- topi^ Ecclejia ^ ne qurs ineruditus ^ cra0 ingenii ^ aliemis concivnes manufcripta^^ furetur impunk. Quicunque hujiM fiirti confcius d^ conviiius ^ tota vita taceat in Ecclejia Dei , nee audeat unquam verba facere apud poptilum fub pc^na intey^icli ^ fufpenjionis. Voilcl quels furent les Reglemensdc cette Afleniblec , qui firent rant d'et- fet J que depuis on n'a plus encendu ces faux echos quibattcnt vainement Tair ians toucher les coeurs ny perfuader les clprits : ces jeunes Predicareurs out garde le filence , & out tache de s'in^ ftruire eux-m ernes auparavant d'eiv feigner les autres : Tous les Predica-. teurs qui preclient a preicnt ,.& depuis II 2 KcLition plus d'lin fieclc dans cQ.tiz Eglife V ionf gens d'oraifon 6c de priere , qui puifcnc ' dansTEcricure Sainre^cdans les Peres lafource deccs divines eaux , afin d'en arrofer les cocurs alrerez, des Fideles c]ui courent a ces eaux falutaires , com~ me le cerf prellc dc la foif. Depuis ce Reglenient fi utilea I'Eglife d'Eutopie, quel changcment n'a-t-on point vii dans la conduite de ces Peuples?Qiiel- les vertus n'y pratique t-on point Y Quelle attache a Dieu ne fait-on pas paroitre dans toutes les occafions/ He- las ! me difoit Pautre jour un bon habi- tant denies amis J'ai oiii dire a mon ayeul , que fon pere avoit vu depuis ce Reglement , les Eutopiens changef de la nuit au jour j tant il eft vrai de dire qu'on ne fcauroit trop prendre de foin a bien choifir les Predicateurs, qui font Tame de la Religion, &: qui donnent le mouvement a ce grand Corps de I'Ei glife : Si cette ame eft malade \ ^\ la gra- ce de Dieu ne Ta^Fifte dans les obfta- cles qu'ellemet a fan eftufion toute di- vine^fi la vaine gloirc Tengourdit; (poujf de l*Eufropie. i\^. ainfidire) quel niouvcment peut-elle donnera ce grand Corps ? Comment rexciter a mettrela main a Tocuvre^ lorrqu'elle meme eft accablee de fes propres maux ? Comment le porter i; pratiquer les vertus cliretiennes,quan auf- quels ils fe laiftent aller tous les jours ? de quelle . manicre condamneront-ils Ics ornemens vains ii faperflus des fern- dc I' Eutopic. jt2^ Hies mondaines, pendant que leur tefte artificiellement blanchie, 6c tons leurs habillemens , montrent la meme vani- te ? S'lls font Jes Medecins des ames, ils doivcnt les guerir de leurs maladies , beaucoup plus dangereufes que celles du corps : La medecine demande route la vie de riiomme pour bien connoitre ranatomicdu corps humain, be pour penetrer les can fes des maladies que le Medecin ne fcait guerirque par une longne experience , qui vient fouvenc trop tard. Quelle comparaifon y a-t-il entre les maladies du corps & celles de Pame ? la meme qu'il y a entre le Ciel & la Terre. II faut , dit faint Auguftin,* dans le livre de la Penitence , qu*uiT Confeflcur ait une grande difcretion , &: une prudence a Tepreuve pour exa- miner la qualite du crime , le lieu , le tems,l'habitude, la dignite des per- Xonnes, leur age : enfin il doitexaminei" fi ce font des perfonnes eclairees ou ignorantes qui le confeilent ^ quelle a ete la violence de la tentation qui les a portez a pecher : il y a encore un nom^. > 72^ Relation l)re infini de circonftancesdont ils Tont obligez de s'eclaircir auparavant d'im- f)ofer les mains fur les penitens , 6c de es reconcilier a I'Erfife. L'on icait ibien que quandlaint Paul exhorceTi- niothee de nepas impoler les mains fur qui que ce foit avectantde precipita- tion ,decrainte de participer aux pe- chez des autres,fes paroles s'enrendent cle rordination des Pretres ^ mais ne peut-on point les appliquer aux Con- feileurspcommefi cet Apotre leur di- ibit : Prenez garde, dignes Mmiftres de Jefus-Chrift , de ne pas fi-toft impo-^ ier les mains-furies pecheurs^ balancez bien auparavant 5 fondez lesctxurs de ros Penitens-, voyez s'ils font veritable- xiient contrits , de crainte de partici- per aux pecliezde ceux a qui vous ac- cordez trop legerement Tabfolution de leurs fautes. Que ces paroles font formidables !& qu'elles devroient de- tourner beaucoup de ces Miniftres fa- CTez d'un emploi fi faint , 6c qui fait trembler, lorfqu'a peine fe connoiflant cux-mcmes, & ce qui fe pafTe dans leur de^VEutopie, j^^K ihceriear,ils femclent fans capacite , & fans line longue experience de fon- der tant dedifferens replis de la cohi fcience des aurres i Qu'il y a fujet de craindre qa'ils ne participent fans y penfer aiix pechez de leurs penitens , aufqiiels ils impofenc fi-tot les mains t' Si lesMcdecins font des fautes, elles ne regardenc que le corps : Si un Con- feileuren fait dans le tribunal de la pe- nitence , clles regardent les ames qu'il perd par une lache complaifance, 6c que. le Seigneur dont il tient la place redeniandera de (es nianis au jour de* fcs vengeances : Si I'on confidere uit Confefl'eur comnie un Juge Souverain^ dont les Arrefts font confirmezdeDieit meme , quelle capacite ne doit jl point- avoir ? Si la diverfite desLoix donnc quelquefois tant d^embarras aiix Juge^ de la terre , & ont fouventtant de pei-^ ne a connoitre le veritable point de Kqaite pour ne point commettredin-; juftice i quelle peine ne caufe point i un Confedeur la diverfite des fenti- mens dans la morale? Qiielle experieiu '^26 'Relation cenefaut-il pas quil ait pour ne point- faire un faux pas & une mecliante d«- marclie dansla diredion des ames?Les dons de la grace font difFercns \ Dieu conduit par des routes quelquefois tou- tts oposees les ames a une vertu folide ^ il eprouve les uns par la fecherefle & les tentacions ^ de forte qu'ils netrou- vent dans le cheminde la vertu que des epines 6c des ronces : il attire les au- tresparPodeur defesparfunis ^ &• les comblant de les benedictions celeftes,il Jeur fait gouter dans I'exercice des ver^ tus chretiennes tant de douceurs fpiri- Huelles, que c'eft avec beaucoup de pei-« ,Be que^pour fatfsfaire aux befoins de la nature, ils interrompent de terns en t^ixis leurs pieufes occupations. Quelle fagefle , quel difcernement ne doit point avoir unConfelleur pour connoi- treles voies difFerentesparlefquelles le Seigneur conduit les ames?Ne doit-il pas etre un homme d'oraifon , & tou^ jours attache a Dieu ? Sa converfation, pour me fervirdes termes de faint Paul, aoit etre plutoft dans le Ciel que fur \pie: 7j^ tin Sacrement fi venerable ! Mais cela B'arrive que tres-rarement de la pare de CQS ConfeilcLirs de I'Europe done j'aiparle-.ilsfont trop politiques pour laifTcr echaper de leurs mains I'liomma de qualitc qui fournic a Papointement. Dois-je le dire ( mon ami ) & ne me fe- ra-t-on point paflcr pour un critique trop outre, fi j'ofe avancer que leurs confeflionnaux fontmaintenant aprix? Mais le moyen de cacher une verite fl connuc ? Quel abus • Miniftres de Je- fus-Chrift , qui avez en vos mains les clefs de la vie & de la mort ; qui liez 6c deliez , &: qui ouvrez le Ciel & le fcr^' mcz par I'autorite quele Dieu du Ciel &: de la Terre vous a donnee 5 devez- vous vous fervir de cette divine autorii re pour augmenter vos revenus, 6c les m^etsdelicats de votre table? Devez- vous abufer de votre pouvoir qui vient d*en-hautpourflater le riche dans fes defordres , 6s: garder une morale fevere iiTco-arddumallieureux , qui nc vous clonne rien a la verite , mais qui rait ce qu'il peut pour s'acquiter des devoirs Mij J^e Relation du Chriftianifme ? Pardonnez-moi , nion ami ^ cette efFufion de mon cocur qui femble etre centre les regies d'une nmple Relation i je prie le Seigneur , que les Confeileurs laches &: intereflez en profitent ; & que rentrant en eux- memes ^ ils donnent gratis ce qu'ils ont re<^u gratis. CHAPITRE XI. Des Pajleurs d^ Curez^ de I'lJIe d'Eutopie. Orfque j'etois dans I'Europe , & que j'afTiftois aux Offices divins ^ ctant encore jeuneje voyois toujours les Curez afiez affidus a entonner le. Deus in adjutoriiim , &; meme qui e- toientjalouxde commencer lesMati* lies 6c les autres Heures canoniales ^ commeun droit qui leur appartenoit: Je fus fort furpris dansrEutopie,quand j.e vis leur peu d'affiduite a i'Office , ou les Pafteurs fe trouvoient rarement j je de I' Eutopk , . X^4' ne les voyois que les Dimanches & les bonnes Feftes : comment^ difois-je en nioi-meme,eft^ce que les Curez de cet- te lile font moins zelez pour le fervice deDieuque ceux de PEurope ? D*ou vient cette negligence ? Je voi toutes chofes fi bien reglees dans l^Eutopie ^ &: les Curez qui en font les Chefs, ne donnent point Texemple a toutce qui fe fait' de bien ? c'eft un paradoxe pour moiquejene fcaurois developer. J'e- tois dans cette pensee peu favorable aux Curez de cette Ifle Jorfque la ren* contre d'un liomme de bien me deve- lopa ce paradoxe quejenecomprenois pas fil s'apelloit Agatonpliile : je Ta. vois converse allez long-tems pour Ic connoitre a fond j &: lui ayant marque la peine ou j^etois ^ voici ce qu'il me dit pour m'oter d'embarras : Vous fca- vez trop que le chant del'Eglife n'eft qu'une chofe accelfoire a la Religion -5. ilfertbeaucoup ,comme vous pouvez le fjavoir parvous-memc , pour exci- ter dans les coeurs des Fideles le feu fa- ere de la charite & de Tamour de Dieu , 1^2- Relation- Biais comme nous avons des Officiers- fubalcernes qui peuvent exciter ce me- me feu par leur chant , qui fe fait avec beaucoup de modeftie , ^ infpire de vrais fentimens de piete , nous avons cruavecjufEeraifony que les Pafteurs- s*en pouvoient difJDenfer le plus fou- vent , &: qu'il fuffifoit pour eux d'y af- iifter les bonnes Feftes, etant d'ailleurs H occupez durant la femaine , qu'a pei-^ neleurrefte-r-il letemsdeferepoferde leurs o-randes fati2:ues.^ Comment I'en^ tendez-vous vous autres Europeens ? croyez-vous qu\in Cure s'acquite de fon employ redoutable de Pafteur^ quand il aflifteaux Marines & aux au-> tres Heures , quand il chante unegran- de Mefle fondee ^ quand il fait les ce- remonies de I'enterrement d'un riclie , negligeant celui d'un pauvre , auquel il envoye fes Pretres , qui ne s'acquitent de cet employ charitable , que comme d^s mercenaires ? Nous fommes bien eloiraez de ces fentimens. Du tems de faint Paul , n'y avoit-il pas difFerens cmplois dansrE2;life naiflante ? Et Cicq . de I'Eutopie, i^j grand Apotre s'etoitarrete a chanter comme font vos Curez , auroit-il con- vert! tant de monde^ & auroit-il en- fante tant de Chretiens a Jefus-Chrift? C'eft tin abus efFroyable qui regne par- mi vous , de croire qu'un Cure en loir quite pour direuni)^/// in adjutoriu7n. Gombieny a-t-il d'autres. obligations plus preflantes 6c beaucoup plus necef- iaires ? On court chez vous apres les^ Cures J on les refufe icy , parce qu'qn en connoit le pefant fardeau. Le foin: des ames que le Sauveur du monde a rachetees par fon fang ^ & doijt les Pa- fteurs font chargez , ne doit-il pas etre^ prefere au chant de I'Eglife qui , queU. que faint qu'ilfoit,n'eft rien en com- paraiibn deceque vautune ame qui a tant coiite ! Combien de veilles coute- t-elle a un veritable Pafteur pour la conferver dans Tinnocence ? Combien faut-il qu*il efliiye de travaux pour la gagner a Dieu / A quel danger ne doit- il point s'expdfer pour retirer les liber- tins du vice I Combien dlnjures faut-il- qu'il fouffie quelquefois pour reconci- f^-^ Relation ^^ lier les ennemis?Enfin a quel danger nei s*expofe-c-il pas poar ramener labrebisl- ^garee dans le bercail / Les menages - mal reglez i les enfans mal infbruits par les mauvais exemples de leurs parens , luy donnent-ilsle terns dechanter?Les pauvres , dont il doit avoir un foin pa- rernel ^ permettent-ils qu'il foit au Ghoeur , pendant que tant de foins & fi preflans , ledoivent occuper entiere- menta pourvoir , foit par lui-meme,ou par la charite des Fideles,a la neceflite deces pauvres qui orient / Helasiqu'on connoit peu la charge accablante d'un Pafteur , & que peu de gens en ont une i?eritable idee , telle qu'on devroit avoir \ Et pour vous le faire mieux com- prendre, faifons la peinture de vos Cu- rez de rEurope,&: celle de nos Pafteurs Offices divins ( au moins les plus ze- lez ) : mais fupofe qu'ils foient les plus affidus a ['Office , le ion verain Pafteur des ames demande-t-il cela d'eux/ Eft- ce qu*ils font Curez pour faire ce que doit faire un Chantre , incapable d'au- trescliofes / Ils demeurent tranquiles chezeux , ils ne connoiflent des ma- lades que ceux qui font au-defllis du commun,aufquelsils portent le faint Viatique 3 ce cjui arrive rarement^ par- ce que le nombre des pauvres furpafle beaucoup celuy des perfonnes riches , 6c qu'on ne les voit point adminiftrer les Sacremens de I'Eglife aux pauvres. Les voit-on toujours occupez aux be- f jins preffans de leurs Paroiifes ? Con- noillent-ils leurs oiiailics \ eux qui en doivent repondre devant Dieu ? lis de l*Eutopie. x^^ vivent dans un profond rCpos , fans le mectre en peine de Tetat de leurs Pa- roifles. Leurs Vicaires en ont route la peine , 6c leur tranquilite n'efbtroublee que lorfqu'il s*agit de recevoir les droits d'un enrerrement , auquel ils n'ont point affifte. Quand faint Paul dit que le Prctre doit vivre de I'Autel , ne fuppofc-t-il pas que ce Pretre ou ce Pafteuryrend quelque fervice ? pre^ tend-il que ces Pafteurs, fans travaillei* jour &: nuit pour le falut des ames , aient droic,par le nom feul de Cure,aux aumones des Fideles , qui contribuenc charitablement a la fubfiftence des Pa- fteurs 8^ des Prccres de leurs Paroifles , pour avoir offert leurs facrifices & leurs-' prierespourle repos des ames de leurs parens / Quand le Pafteur n*a rien fait^' & qu'ii demeure tranquile cliez lui pendant Penterremcnt d\in homme au-delTbus ducommun ^ il lui fiiut ies droits. O Ciel ! ou en fommes-nous / Qiiand un Cure fe facrifie pour le bieu defaParoi{Ie,qu'il eft toujours occu^ pe , qu'il veille j qu'il agit, & qu'il vifite Nij fSjf, Relation ies Oiiailles j comme ii ne peut etre ^artage 6c fe trouver en meme terns dans des oecupations difFerentes, il eft 3ufte qu'il perc^oive les emolumens &: ies aumones que lesFideles donnent auxPafteurs^en vue des grandes fati- gues qu'ils efluyent pour procurer le ialut de Jeurs ames j mais quand ce5 'PafteursfelaifFentaller &: s'abandon- 4ient a une moleile criminelle en la perfonne d'un Cure , quelle ombre de Juftice y a-t-il d*exiger des droits qui nc lui font dus que lorfqu'il travaille^C qu'il s'ofFre au Seigneur comme une vidime pour le bien de fon troupeau,6c jion pas parce qu'il porte le nom de Cure / lis ont leurs Vicaires, difent-ils^ &ces Vicaires travaillant jour & nuit pour le fervice des Paroiffiens , il n'im- porte pas que les Sacremens foient ad- miniftrez , 6c que les enterremens ie faflent par eux , ou par des Pretres a leurs gages. Belle raifon pour couvrir ieur negligence 6c leur injuftice » Les Paroiffiens nepayent-ils pas cesVicai- xes ^ exceptc de petics emolumens de l^Eutopie, /^f qa*ils leur cedent : lesFideles dWe' Paroille ne recompenlent-ils pas ces- mcmes Vicaires qiiand ils adminiftrent* les Sacremens , ou qu'lls rendent quel- qu'autrcs fervices / Les g^ges des Vi- caires , & leurs petits reventis , ne vien- nent done point des Curez qui ton- dent letroupeau, pendant que les au- tres en ont tout le poids & toute la^ charge ; mais f(^avent-ils bien ces Pa- fteurs , pourquoy on leur a permis d'a- voir des Vicaires / cela n*a commence' d'abord que dans les Villes bien peu- plees , lorfque fes Curez,avec tout leui:r' zele^nepouvoient fatisfaire feuls aux befoins prefTans de leurs Paroifles r comme il pouvoit arriver que pendant' qu'ils etoient occupez a porter le Via- tique a quelque malade , un autre mo- ribond auroit befoin en meme terns de-" ce fecours falutaire ; 6c ainfi les Curez- ne pouvant fe partager & fe trouver ea difterens endroits tout a la fois; , pour eviter cqs inconveniens dangereux, on- leur a donne des Vicaires pour fupleer aieur defaut , mais non pas pour favo- Niij. 'xjo delation. rifer leur negligence &: leur peu de ze- lepour le falut des ames , que Dieu a conjfiees a leiirs foins & a leur vigilan- ce, dontil leur ferarendre un compte: jigoureux au jour de fes vengeances. Les Vicaires font tres-bien etablis , & Tont d'une grande utilite dans les Pa- roifles 3 mais ils ne doivent etre em- ployez que lorfque le Pafteur lui-me- me eft occupe d'ailleurs ; hors cela le Cure eft oblige en confcience d'admi- niftrer les Sacremens 4 it^ Ouailles , &; de confacrer fes momens les plus pre- cieux pour le falut de fon troupeau •, & jc'eft cette divine occupation qui luL idohne un droit legitime a ce qu'on ap- pelle cafuel : mais quand ce Paflieur, jnalgre lesremords de fa confcience, fe iaifle aller a une indolence heureufe fe- lon le monde , mais criminelle devant le fouverain Pafteur j pendant que fon Vicaire fue fang &; eau pour Tadmini- ftration des Sacremens , 6c en vifitant les maladesavec beaucoup de charite 6c de zele ^ peut-il en verite demander des droits qui ne lui font accordez clia- de I'Eutopie: tft ritablcment que lorfqu'il travaille le premier, 6c fon Vicaire en fecond , ^ dans un cems oii lui-meme etant oc- ciipc5 , il ne pent fatisfaire a tons les be- ibinsdelaParoiile / Scavez-vous bien pourquoy cesPafteurs preferent TOf- fice divin a leurs devoirs eilentiels?c'eft que Tencensqu'on fait fiimer les bon- nes Fcftes devanc les Autels,efl: de meilleure odeur que la paille ou un pauvre moribond rcpofeil'ecole &: la chappe qui les diftinguent , leur plai- fent beaucoup davantage que la puan- teur d\uie chaumiere , ou ils ne refpi- reroient point un fibonair. D'ailleurs il faudroit faire Paumone, & affifter ce' pau vre malade reduit a la derniere ne- ceflice^^c. c'eft ce qu'on evite autant qut onpeut. N'a-t-on pas lieu de dire fans exagerer ny outrcr les chofes , que ces Pafteurs pofledent les Cures ( comme ditS. Gregoire dansle onzieme livre de fes morales ) pour vivre plus aise- ment & dans la moleffe ? Ils renverfent autantqu'ileftcn eux,les principes de la morale de J,C. Chercliez,dit-iljpre- N iiij XJ2 delation mierement le Royaume de Dieu , & les autres chofes vous feront donnees comme un furcroit. Par un renverfe- ment horriblCjils n'ont en vile d*abord cjue les biens temporels 3 ils enjoliit lent , mais fort fouvent aux depens des biens celeftes , qu'ils font en danger de perdre,a cauie de leur peu de zele pour le bien fpirituei de leurs Paroilliens : Semblablesencelaaces peuples grof. iiers qui avoient ete raflafiez par la multiplication des cinq pains , qui ne fuivoient point le Sauveur a caufe de i'^s miracles prodigieux^ ^ defa dodri- jtietoute celefte, mais parce qu'ils a- voient ete raflafiez : ces Pafteurs fui- vent le Sauveur du monde , parce qu'ils font raflafiez des gros revenus de leurS' Cures , fans etre penetrez des obliga- tions indifpenfables des Pafteurs , qui- devroient fe donner tout entiers aux fbinsde leurs troupeaux. En veriteles Peres del'Eglife ontgrand tort de nous faire trembler, lorfqu'ils nous font une peinture naturelle du pefant fardeau eela charge paftorale , lorfqu ils noust dd tEutopie. if}: mettent devant les yeux les foins , les veilles , les fatieues , les inquietudes &:, les dangers memes auxquels s'expo- fent les Pafteurs , lorfqu'ils acceptent> tin emploi fi formidable. En ftippofant. qu'ils foientappellez de Dieu a ce mi- ni(1:ere,oufont-ilsparoitre ces foins ? Ou font ces veilles 6c ces fatigues / Ne: les voit-on pas au cantraire dans une- mallieureufe indolence & criminelle? devant le Seigneur / Leur Deus in a(L jutoriumlQs garantira-t-il de la frayeur- dontilsferont faifis au Jour du Juge- ment deDieu/Seront-ils auili tranquiles? qu*ils font, au jour de fes vengeances.^ En feront-ils quites pour dire qu'ils one affifte aux Offices divins, 8c qu'ils one cliante fes loiianges / Le Dieu des Ar^ mees ne leur pourra-t-il pas faire ce reproclie ? Je vous ay etablis pour avoir foindesbrebis queje vous ay confiees : vousenavezprisla toifon 3 vous avez vecugraflementaux depens de votre troupeau j rien ne vous a manque dan^ la vie, mais quel droit a viez- vous de^ tondre ce troupeau^ vous qui n'avez. jf^ Relation jamais rien fait ,ou du moins peu de chole , pour le condiiire dans mes voyes ? Vous avez aflifte aux Offices divins , etoit-ce ce que je deman- dois de vous / Que diriez-vcus d'un Bergerqui, negligeant le foin de (on. troupeau , fe contenreroit de le diver- tir par le fon agreable de fon chaku meau ? N'a-t-il pas d'autres occupa- tions plus necellaires &: plus prellantes^ Ne faut-il pas qu'il veille jour & nuic pour eloigner le loup de fon pare ? Ne^;. doit-il pas vifiter ce meme troupeau, & reconnoitre les brebis malades , 6^ ap- porter les remedes convenables a leurs . maladies ? N'eft-il pas oblige de les conduire dans de bons paturages pour les engraifler ? A-t-il les bras croifez ^ ,, quand il s*agit de reprimerla brebis > infolente quiinfulte la plus foible ^ En feroit-il quite quand il diroit a fon mai- tre qu'il a divertifesbrebisparrharmo- nie douce 6c agreable de fon chalu- meau 5 Croyez-vous que je vous ex- cufe , lorfque vous me dites pour vous juflifier 5 que vous avez cbantq me?^- de I' Eutopic , jff Ibuanges > c'etoit bien fait : mais vous etes -vousacquitez de ce noble exer- cice pour Tamour de moy ^ Je connois le fond de wos ames : combien de fois vous etes-vous emportez contre mes Miniftres fubaltcrnes , pour avoir etc prevenus dans le commencement de quelque ceremonie publiquejaloux de maintenirun droit imamnairedeCurel comme fi la qualite dePafteurconfi- jftoit ellentiellement a commencer un Office, auquel j'ai employe autrefois les moindres Officiers de monEglile. Si le zele de me fervir vous apelloit aux Offices divins , c'etoit un zele jnal re- gie jce zele vous devoit appeller ail- leurs 5 ce pauvre moribond avoir be- foin de votre lecours , il faloit y cou- rir 3 ce mallieureux avoit befoin de vo- tre aumone pour fe conferver la vie , il faloit tout quiter pour le foulager au plutoft i un autre preft de fairenaufra- ge , etant au bord ciu precipice , avoit befoin de votre main pour Pempeclier de fe perdre 3 vous deviez courir & vo- Icr pour I'arreter dans un danger ine- '^f6 Relation vitabk fans votre fecours. Voila ce que je demande d'un- Pafteur , 6c non pas le chant qui eft la moindre 6c derniere partie de ics obligations , 6c dont ce- pendant voiis avez fait le principal ; au lieu que ce n'eft au plus que TaGcefloire de votre emploi : Ne vous trompez pas J je tireray vengeance de votre pen dezelepourle falut des ames , auquel vous deviez vous facrifier tout entiersi Voila ce que leDieu deTUnivers dira un jour a cesPafteurs negligens qui y ufurpantl'employ deChantre, aban- donnent des obligations eflentielles^Si qui font de la derniere confequence. Je vous ai fait , mon ami , une pein^ ture grofliere de vosPafteurs de^Eu- rope,furle^ecit que m'en ont fait nos Peres. Je I'interrompis icy , pour luy dire que j'etois fache qu'il eut une idcfe fi peu avantageufe de notre Euro- f)e au fujet ^ts Pafteurs ? qu'a la verite e portrait qu*^il venoit de faire tomboic fur quelques-uns 3 mais que le grand nombre de nos Ouvricrs dans la vigne du Seigneur , etoient gens , non-ieule- deTEutopie, j^j-y ment d'uiie profonde erudition, mais encore d'une vertu lolide , d'une pie- ce cxemplaire, d'un defintereflement parfait , & d'lui zele infatigable pour le falut des ames , dans les villes com- ma dans les campa^nes ^ & avec tout cela d'une fimplicite 6c d'une modeftie a ne fe prevaloir jamais de leur merite: J'ajoiitai que nos Prelats , plus diftin- guez par leurs rares talens que par leur dignite , etoient les fources de ces bon- nes qualitez dans leurs Pafteurs*, inven- ta;is chaque jour de nouveaux moyens de les rendre parfaits ^ 6c ne leur don- «ans jamais aucun rang dans PEglife, qu'aprfes s'etre afliirez par eux-memes^ ic de leur fcience & de la purete de leurs mocurs. Je me fentois beaucoup d'emulation a m'ctendre fur les tra- vaux continuels 6c fructueux de nos Miniftres Evangeliques , pour le de- rromper de Ton opinion ^ mais comme je ne voulois rien perdre de ce qu'il luy reftoit a me dire , je le laiffai continues A la bonne lieure,me dit-il, que les jchofes foicnt comme vous Pavancez^ jfS delation vous trouverez plus agreable le tableati' que je vais vous faire des Pafteurs de notre Ifle 3 il eft tout different de celuy que je viens de vous depeindre , & vous y remarquerezles veritablescaracleres qui font le bon Pafteur 6v qui le diftin- guent du mercenaire. Mais avant de parlerdeleurzele ardent, de leur fo- Jide piete, &; du defintereflement qu'ils font paroitre dans leur miniftere , il faut vous apprendre comment ils par- tagent leur tems. Ne vous ferais-je point ennuyeux ? Non 5 luy dis-je j au contraire vous me faites un plaifir fin- gulier. Vous f^aurez done que leur tems eft fi bien remply , qu'a peine leur enrefte-t-ilpourfubvenir aux befoins de la nature. II vous fera facile d'eii juger par la maniere dont tous les jours de la femaine font reglez :leDimanr^ cheefttoutemploycaprier, a confef- fer &: a inftruire les Fideles , mais d'une maniere fainte , comme faifoient au- trefois leso-randsHommes des fiecles paflez : ilsexpliquentPEcriture Sainte felonies fentimens des Peres j 6c com- de tEutopie. jf^ " me j'ay dit aillears , ils paraphrafent uri livre de TAncien ou du Nouveaii Te- ftament de fuite , fans jamais interrom- prc leiirs interprerations , qii'ils ne Talent fini : ils en recoinmencent uri autre enfuite^tirant toiijours de leurs^ explications de fortes morales. No^ , Pafteurs tout accablez qu'ils font d'oc- cupations difterentes dans ce jour con- facre tout entier a la piete, trouvent cepcndant un peu de terns pour aflifter a I'OiTice divin , mais ils ne font pas dans des fentimens fi grofliers , que de croire que le falut des ames , pour le- quel ils travaillent fans relache en ce 'faint Jour ,nefoit a preferer au chant de I'Eglife quelque faint qu'il foit : Les heurcs du matin du Lundy font em^ ployees apres la Mefle a vifiter les ma-. lades de leurs Paroifles ^ a confoler ceaxquine font point en danger de la. vie • a lear donner des motifs les plus touchans pour les porter a fouifrir leur intirmiteavec patience, & a faire une offrande a Dieu des peines qu'ils iouf- frent : les autres malades qui font en ^i6o XeJation 'danger font toute leur attention , per- fiiadez qu'ils font que les derniers mo- -inens de la vie des Chretiens font de la derniere confequence. lis ne fe con- -'tentent pas de leur adminiftrer eux- •memes les Sacremens , ils-veillent fans 'Cefle,6c tachent de les alTifter jufqu- ^ux derniers foupirs de la vie : cette charite pour les malades , eft en tout terns preferee a routes les autres occu- pations. L'apres-midy du meme jour iepafleen partiedans une conference de piete duPafteur avec fes Pretres^ qui luy font un fidele rapport des plus prelTans befoins de la Paroifle, & qu'on met en ecrit ^ afin que rien ne s'echape, Gn delibereenfemble des moyens les plus convenables pour y fubvenir , 6c pour empecher qu*ils ne s'augmentent. Le Mardy apres s'etre acquite de fes devoirs particuliers ^ ce Pafteur vigi- lant vifite un quartier de fa Paroifle , pour mieux connoitre en detail ce qui fe pafle dans chaque famille -, de forte qu'il connoit parfaitement fes Oiiail- ks , leur conditite & leurs occupations. S'il de I' Eutopic. i^t S-'il y a quelque menage mal regie, il y remedie au plutoft. 11 y a un jour de- ftine pour donner audience aux pau- vres honteux de fa ParoilTe , qui lui de- , clarenc leurs befoins, & lorfqu'il eft perfuade de teur mifere cachee,il pour- voit a leur neceflite , & par lui-meme ^, 6c par les aumones de fes Paroiffiens. Un autre jour les Senateurs de la Ville tiennent une ailemblee chez lePafteur, . pour conferer enfemble touchanc les ' moyens les plus convenables pour trouver un fond^ afin de fecourir les mi- ferables qu'ils confiderent 6c aimenc comme leurs frercs. Sa maifon eft ou-.'" verte un autre jour de la femaine a rou- tes les perlonnes qui viennenrconfulter' Icur Cure fur leurs difpolition^ inte- rieures , afin qu'il leur donne avec cha^ rite des avis felon qu'il lejuge a pro- pos, par rapport a ces mcmes difpofi- tions. D'autres viennent chez luy dans unjotir marque pour le prier de vou- loir bien etre arbitre de leurs diffe- ren-siilles accommode, 6c fa charite^ incpuifible empeche que fes Paroif- O xSz 'Relation fiens ne fe ruinent en Procez. Aprend- il qu*il y a quelque inimitie dans fa Pa- roifle 3 il court auffi-toft , il s'emprefle , & ne fe donne aucun repos qu'il n'aic remis bien eniemble ces ennemis prets aeclater,& qu'il n'ait entierement e- touffe cecce inimitie naiflante.Voilales {^imx:^^ dc charitables occupations de lips Pafteurs 5 mais ils ne reflemblenc pas a ces flambeaux qui , eclairant les autres , fe confument eux-memes : ces occupations laborieufes font foutenues parunefolidepiete^parunzele du fa- lutdesames, anime del'EfpritdeDieu, &par iefeufacredela cliarite qui les devore , pour ainfi dire . Ils fe confide- rent dans leurs emplois , comme les Cooperateurs de JemsXlirift ; ils fup- pleent,felon les fentimens de TApotre, par leurs peines 6^ leurs fatigues a ce qui femble manquer ala Paffion du Fils de Dicu. Ce font gens d'oraifon & de retraite, qui puifent fur le Tliabor les inftrudions fiintes qu'ils communis quentenfuitea leurs troupeaux 5 gens mortifiez done Texterieur fcul touchs de I'Eiitopie, jSj les coeurs ; gens qui fe confacrent com- me autant de vidimesinnocentes pour Je bien temporcl & fpirituel de leurs Oiiailles ; gens qui , comme le bon Pa- fteur , veillent jour & nuit aucour de Jeurs bergeries , & empechent que le Joup ne devore quelqu'une deleursbre- bis. Etanc ainfi occupez , jugez s'il leur peuc refter aflez de terns pour aflifter iouvent aux chants del'Eglife. Et en efFet , eft-il jufte que ces Palleurs zelez negligent les principales obligations de leur employ pour racceflbire, J'ap- pelle ce chant un accefToire, puifque I'Es-lifed^Occidents'eftconferveedans lapuretedesmocurs, 6c dans une foy iincere prcs de quatre fiecles , fans le fecoursde ce chant. II xi'a commence que du terns de S. Ambroife , lorfqu'il jetoit injuftement pcrfecute par I'lm^ peratrice Eudoxia. N'eft-ce done pas une gloire bien grande pour nos Pa- fteurs d'avoir fuivi cqs traces ancien- nes , preferant au chant des Paroifles , des emplois bien plus charirables be plus nobles que ce meme chanty qui eft jS^ Relation la moindre partie de la ReIigion,& que vos Curez de TEurope confiderenc ce- pendant comme une partie efTentielle ae leur miniftere ? Vous vovez bien ( mon amy ) que vous aviez grand tort . vicediviii^ comnicjedemeurois a I'E- veche ,}e confiderois cettcEglife com- me ma Paroifle j j'y allois fort fouvenr, &: fur-tout les boiinesFeftes.j'etois fort furpris quand je voyois tant de venera- bles Vieillards qui faifoient TOffice^ ourEvequedulieuaffiftoicle plus fou. vent , autant que fon grand age 6c que fa fante , aidee de fon zele,Iepouvoient permettre. Je n'y voyois pas de ces jeunes Clianoines , com me j'avois vu dans PEurope,qui partagent adroite-. ment leur tems , 6c qui en donnent une partie a Dieu , 6c Tautre aux divertifle- mens. D'ou vient ( difois-je a mon ami) cette etrangediverfitc ? Eft-ceque I'E- glifed'Eutopieeft autre que celle dest i66 Relation Gatholiques de TEurope ? Je iiYvois que des Vieillards tout caflez ^ cepen-" dant combien voyons-nous dans nos climats de ces jeunes Chanoines^qui ont pour tout merite Taumuce qu'ils portent avec le furplis , dont la moitie eft d'un point de grand prix^qui leur fait lever la teft:e beaucoup plus haut que celle des fimples Pretres , qui n'ont point les revenus de leurs prebendes/ Je ne voyois dans les Catliedrales de cette lile que des Chanoines qui , fans ces ornemens fuperflus , chantoient les Iouan2:esdu Seiraeuravec une mode- ftie d'Anges , & un zele qui penetroit k Ciel par ia ferveur : je les comparois aux cygnes ^ qui ne cliantent jamais Benefices font chez nous une reconv^ penfe des travaux que cqS' dignes Pa- iteurs ontloufFerts pour le falut de leurs'^^ Oiiailles, queron ne donne jamais par ' faveur a des gens qui n'ont rendu au-' cunfervice arEglife^ &: qui font fou- vent incapables de luy en rendre. Quel* abus ! II eft vray qu'il faut moms de ca- pacite. pour chanter les loiianges du Dieu des Armees , mais du moins faut- ildu zele 6c de Pamour divin pour le bicn acquirer de ce noble employ. Et Gommenteft-ce que Ton connoitra ce zele&: cet amour, que par les autres emplois que ces Chanoines auront ed auparavant? D'ailleurs, quelle appa-/ rencededonner par faveur, 6c a tare- commandationdes amis puiilans, des* emplois qui doivent etre deftinez pour la recompenfe de ces flints Pretres qui, s'etant coniacrez conmie des viclimes au lervice du Seigneur , troiivent enfin dans leur vieilleile une retraite tran- , quille, 6c un employ qui ne fert pas peii ' i pour les bien difpofer a finir heureufe- ment de l* Eutopic. i6) ment la carrierede la vie. Dites-moy fincerement , n'ctes-vous pas edifie du chant de nos Chanoines ? II eft vray qu'il ii*eft pas foutenu par une mufique fade 6c ennuyeufe , mais par une pro- fonde piece &: par une ferveur Angeli- que : il femble quand ils chantenc ces divins Cantiques , qu'ils foient par a-* vance dans leCiel 3 leurs corps tien- nentalaTerre, mais leurs ames font unies aux Chcxurs des Anges , & en- traincnc , pour ainfi dire , les coeurs de ccux qui les entendenc chanter avec tant de zele & de piete : comme ce font des Prerres tout-a-fait morts au monde,ilsn'ambitionnent pas de do- miner fur qui que ce foit -, I'Eveque foul eft le maitre de tous les Benefices 6C des emplois : jamais on ne voit de pro- cez entre les Chapitres 8c les Paroif- (qs 5 8c s'il arrive quelque difficulte pour maintenir les droits des uns 6c des autres , les Senateurs de I'lfle ne mettent jamais la main aTencenfoir; ils en laiifent le jugement a I'Eveque du lieu , qui fans Official & fans Greffier ^ P j^o delation regie feul toutes ces difficultez J point d'appel comme d'abus chez nous, ce qui fomente les vices des Pretres peu reglez dans TEurope ^PEveque eftle jiiaitre abfolu dans toutes les affaires qui regardent PEglife. Mais ne paflbns pas ce que jeme luis propose de vous ilire de nos Chanoines , pour lefquels on doit avoir une veneration toutepar- ticuliere. Au commencement de la fondation de notre Republique , 6c en meme terns de notre Egliie, il s'etoit glifTeun certain abus qui auroit produit de malheureufes fuites , fi nos Sena- teurs conjointement avec nos Eveques, & les plus confiderables de notre Ifle , lie s*y etoient oppofez. Quelques Cha- pitres /& d*autres perfonnes elevees au-deflus du commun , s'etoient attri- buez le droit de nommer aux Benefices a charges d'ames •, la faveur avoir gran- de part a ces fortes de nominations : on nommoit des Pretres indignesd'oc- cuper ces divinsemplois:cbacun crioit^ on voyoit le defordre cro'itre de jour en jour s & file Giel n'eiit inlpire de te- detEutopie. lyt nir uii Concile fur ce fujet , notre Egli- fe feroit maincenant dans un etat auffi pitoyable,qu*eftceIlede PEurope par ce droit de Patronage particulierrcom- mc Taftaire etoit delicate, & a laquellc bien des gens prenoient part,comme y etant intcrellez , on nomma dans cetteilluftre AfTemblee des Orateiirs, qui n'etoient point fufpeds a Tun & a I'autre party : Pun pour foutenir dans ce Concile le droit des Patrons , & I'au- tre pour prouver que ce droit de Patro^ nagen'etoit qu'une ulurpation fur ce- luy des Fideles , qui fe choififlbient au commencement de TEglife des Pafteurs avecPapprobation des Eveques qui les confirmoient : ce n'etoit gueres le lieu de parler de ce droit de nommer aux Benefices , n'ayant en vue que de de- crire la fiintete de nos Chanoines dans cechapitre. Je ne fc^ay fi c'eft par une infpiration du Ciel , que je fuis infenfi- blement tombe fur cette matiere , ou fi voulant montrer leur detachement pour toutes les cliofes du monde^ la luite de ma Relation a demande dq pij ■x^2 'Relation -moy, que je fifle voir combien ils 'ie jnettent peu en peine de maintenir un xlroit^ que les autres defendent avec •clialeur , centre les anciennes coutu- aiies de i'Eglife. Qu'importe comme cela foit arrive , les Harangues de Tun &: de I'autre de ces deux Orateurs , ne .feront pas defagreables. HARANGVE 'Quiprouve le J)roit de Patronage. CEffieurs, ce n'eft pas mon deffein d'entrer bien avant dans I'ori- gine du droit de Patronage , ny de jiiarquer quelle en a etc la fource & le f rincipe iNousenavons appris fi peu Jecliolespar le peude livres que nos rpcrcs ont apportez de I'Europe , qu'on nepeut ftatuer rien de folide par les ^ecrits de quelques Auteurs particu- jiers, qui n'ont point allez d autorite pour donner des Loix a notre Eglife ii'Europie : Nous ne les connoillbns que dcf Eutopic. j/^ par leurs noms ; & fouvent voyons- nousdans leurs livres^ qu'ils font des propoficions contradicloires & entie- remenc opposees. Que pcuc-on ordon-- ner,dans une matiere qui regarde tanc^ de Particuliers & deCommunautez,fur les fentimens de ces Jurifconfultes qui' le contredifent fort louvent ? Men def- iein eft de vous faire voir & de vous' prouver que vous n'avez point d*au- tresre2:lesa obferveravec la derniere- equite , que celles que la nature a gra^ vees dans nos cocui*s en naiflant , & que- nous lifons dans nosLoix fi bien eta- blies , qui ont maincenu le bon ordre dans notre gouvernement jufqu*au: }ourd1iuy : La premiere de ces Loix qui eft toute naturelle , ne commande- t-ellepasqu'onrende a un cliacun cc qui luy appartient ? Pourquoy le Tout- puiflant a-t-il etabli la Juftice/ Pour- quoy a-t-il grave dans le coeur de riiomme ce defir naturel de tenir la balance jufte dans les differens des particuliers ^ pour ne la faire pancher que du cote ou Tcquite rentraine par Piij 1^^ jR.elation fon juftepoids >N'eft-cepas pour em- pecher ces injuftes ufurpations des" biens d'autruy ? ce droit de Patronage Be doit-il point etre confidere comme un patrimoine legitime que nos peres ont acquis par Iesaumones&: les libe- ralitez qu'ils ont faites a nos Eglifes ? Sans leur fecours & leur charite ine- puifable , beaucoup d'Eglifes feroient aujourd'huy defertes , ou pour mieux dire ^ n'auroient jamais ete etablies : le Ckrge 6c les Membres les plus illuftres 4^ notre^epublique qui nous ont pre- cedez ,en ont vu mieux que nous les confeqilences 5 & c'eft ce qui les a por- tez a accorder le droit de Patronage a ces peribnnes qui , par une cHarite veri- tablement chretienne , fe font privecs elles-memes&leursheritiers de quel- que bien temporel pour fatisfaire d leur devotion,6c a procurer la gloire de Dieu J en dottant les Eglifes qui n'a- voient pas aflez de fonds pour entrete-^ nirlesMiniftres du Seigneur : pourquor vouloir ravir & enlever a leurs defcen- jans un droit fi legitime , & acquis pat de P Eutopic, i/f Hiiecliarite fi heroique & ficliretien- ne ? Si qiielquemalhcureux qui ne fui- vroic pas d'autres loix que la paffioii d'amalfer du bien, enlevoit a ces di- gnes Patrons un bien particulier qu'ils auroient lierite de leurs peres & de leursayeux, la violence qu'on leur fe- roit, en leur enlevant par force leur pa- trimoine , crieroit fans doute vengean- ce ^ &: dans cette occafion vous vous^ donneriez tous les mouvemens poffi- bles pour maintenir & conferver les poflefleurs legitimes en la poffeflion de leurs biens^& pour reprimer Taudace temeraire d'un injufte ufurpateur. Le draitde Patronage eft-il moin sun bien. qu'une terre & un fond 2 pourquoy done veut-on aujourd'huy en priver & depoltillerceux a qui il appartient a- vec tantde juftice?On vous voitaflis^ Mellieurs , fur les tribunaux^ pourfaire regner avec autorite la Juftice , qui fe- roic foiblefans votre folideappuy : ce- pendant on met en deliberation une- ehofe qui ne fouf&e aucune difficulte y^ c*eft un droit de Patronage , n*eft-ce^ P iiij >7^ ' ^el^tion pas aflez dire , que c'eft un Droit , pour ctreperfuadequ'on ne peut en priver le legitime poflefleur , fans bleffer la Juftice 5 & que ceux qui rendroient un Arreft {i peu equitable , qui oteroit in- juftementaux particuliers ce qui leur -appartient depuis Porigine de notre E- •glife , agiroientcontre les mouvemens -de leurs confciences ? J'efpere ^ Met iieurs , que ces raifons vous detourne- ront du deflein qu'on a dans TEutopie de faire un changement fiinoui dans la nomination des Benefices ^ qui ne fe peut faire fans une injuftice^, qui retom- Jberafurautant de perfonnes illuftres^ qu'il y a de Patrons cliez nous , qui ont toujours use de leur Droit avee beaucoup de prudence > & avec la dei*- aiiere equitd de I* Eutopic. ^77'^ HARANGVE Centre le Droit de Patronage. ON pent cntrevoir^ Meflieurs,. dans le raifonnement qu'on vient de faire avec autant d'induftrie , que crcloquence, la craintequ'on a de rap- peller routes cliofes a Pancien ufage j mais comme iiotreEglile ne s'eft main- tenue dans fa purete , que par I'atta- chement aux regies inviolables des an-- ciens Canons deTEglife univerfelle,ne devons-nous pas fuivre les traces de nos peres qui , conduits par ces faintes maximes ,ont fait depuis rant d*annees de fi beaux Regleniens , qui font com^ me autant de boulevarts folides , qui bnt mis notre Eglife d'Eutopie a Pabry de routes les nouveautez qui ont cause dans TEurope tant de relachemens ? Les Ap6tresn*ont-ilspas etc choifis de Jefus-Chrift meme, pour aller precher fonEvangilepar route la Terre 3 8c a^ Zy'S Relation pres que le Sauveur du monde fut re- toiirne dans le fein du Pere Eternel , d'ofi il etoit ford pour fe revetir de notre mortalite , & pour efFacer les pe- chez du monde par fa more , n-appre- nons-nous pas que le Condle, ou TaC femblee de ces memes Apotres, choifit faint Mathias en la place de Judas ? Apres la mort des Apotres , precieufe devant Dieu , THiftoire ne nous ap- prend-elle pas que les premiers Chre- tiens choifiiroient avec lesEveques de cliaquelieuleurs Pafteurs^ fuivant les dodes enfeignemens de S. Paul ? Il n'y a point de Pafteurs qui aient le droit & Tautorite d'enfeigner, a moins qu'ils ne foient envoyez , & qu'ils n'ayent leur million. Les Apotres ont ete en- voyez par Jefus-Chrift meme, 6c par Tautorite qu'il leur a donnee, ils ont envoye d'autres Pafteurs qui leur ont HiccedeiScainfi d@fiecle en fiecle, & demain en main , Tautorite de donner- la miffion aux Pafteurs &: aux Predica- teurs del'Evangileaete toujoursenla puiffance des Ev^?jues ^ fuccefleurs des de I'Eutopte. 1^7^; Apotres , qui ont feuls le droit de mifl iion. II y a deux chofes a confiderer dans les Benefices , le fpirituel 6c le temporel : Si nous regardons le fpiri. tuel , ou le droit d'ordonner & d'en- voyer preclier I'Evangile , 6c de choifir des Pafteurs , TEveque avec les pre- miers Fidcles avoit feul le droit d*or. dination 6c de miffion. L'ailemblee des premiers Chretiens n'etant, pour ainfi dire, qu*une approbation du clioix des. Eveques : ou fi vous voulez que les peu- ples euflent le droit de choifir des Pa- fteurs , leur choix n'avoit aucun poids , iiy aucune autorite fans I'approbation des Eveques. Ce droit d'impofer les mains , 6c ce pouvoir de faire des Pre- tres,6c de choifir des Pafteurs^ eft pafl[e immediatement de Jefi.is-Chrift aux Apotres, 6c fucceffivement aux Eve- ques : Si nous confiderons le temporel des Benefices, il faudroit f^avoirbien. peu PHiftoire Ecclefiaftique , pour n*e- tre pas entierement perfuade que tout le temporel de TEglife, ne vient que des aumones desFideles, qui etoient 'jt^'o Relation partagez en quatre parties , dont 1*E- veque feul avoit la difpenfation i il en etoit I'Intendanc ScTEconome, & les faifoit diftribuer par les Diacres qui etoient etablis 6^ ordonnez de I'Eve- <]ue pour fervir a PAutel , 6c pour c^t employ de charite. Cebiende I'Eglife ctant autrefois en commun , & TEve- que en ctant feul difpenfateur , a^t-il change de nature, lorfque la cupidite desMiniftresde I'Eglife en a caufe le partage , pour avoir lieu de vivre en particulier plus a leur aife ? Non , fans doute,il eft toujours le meme : mais ce malheureux partage a caufe tant de dilgraces a I'Eglife , par Tabus que les particuliers ont fait de ces biens , qu'il eft de la derniere importance de re- monteralafource.Dour retablirles cho- ks dans la fituation de leur premiere origine. Nous avonsdaiis TEutopiepeu d'Hiftoriens qui en traitent ^mais nos peres en ont apporte aflez de TEurope, pour nous inftruire parfaitement des maximes des premiers Chretiens. De leur terns non-feulement les biens de dc I'Entopie, j^t I'Eglife etoient en commun , mais en- core ceux des particuliers. Les chofes font changees , me clira-t-on, ce ne font plus des bieiis communs 3 chaque Benefice a fes revenus 3 qui luy font at- tachez en parti culler : pourquoy inno- ver aujourdliuy, & mcttre le trouble dans I'Eglife ? Mais quoy • repondrais- je , le zele de nos faints Evcques pour retablir dans ce fiecle le bon ordre 6^ la difcipline de I'Eglife ^ doit-il ceder aujourd'huy a la cupidkc des fiecles f)allez ^ Laillez , fi vous voulez , les :>iens de I'Egliie partagez comme ils font , qu'ils demeurent infeparables des Benefices J aufquelson les a atta^ chez : mais faites moy voir quel droit a un Laique fur le fpirituel &: fur le tem- porel de ces Benefices ? Je n'entreprens point dedifputer icy fur les droits des Rois 6c des Princes des autres parties du monde j elles ont leur jurifpruden- ce , qui donne a Dieu ce qui appartienc a Dieu , & a Cefir ce qui appartient a Celar : mais pour nous , qui vivons dans une llcpublique nouveliement e- iSi Relation tablie , nous devons afpirer & fouliait- ter avec iin zele veritablenient chre- tien,queles cliofes foient en regie 5 & ellesn'yferont jamais qu'en remontant a la lource 6c a Porigine de la million des Pafteurs. Le droit de Patronage , dit-on 5 eft un bien acquis par la charite & les aumones des predecefleurs: pour- quoy vouloir priver leurs defcendans d*un droit dont ils ont legitimement terite / II eft vray , Meffieurs , qu'on a permis dans notre etabliilement ces lortes de dons conditionnels , qui n'e- toient pas en ufage dans les premiers fiecles de PEglife : on donnoit alors des biens,& Pon faifoit des aumones aux Eglifes,maisfansferienreferver ^ c'e- toit un don pur 6c fimple qui n'impo- foitaucunc charge a ces memesEgli- fes. Donnerfous quelque obligation, c'eftdonner d'unemain & retenir de Pautre ce qu'on a donne ,&: PofFran- de qu'on fait a Dieu de (qs biens , doit etre entiere 6c faiis referve ^ autrement cetteoffrandepourroit pailer pour un traite & un marche que Pon feroit de? Eutopic. /c?^ avec Dieii 3 ce qui ferort tout-a-fait indigne de la Majefte du Tout-puifl iant 6c de la piece des Fideles : car quelle comparaifon y a- til entre le Createur de TUnivers &: la creature ? & quelle temerite a un Chretien de faire a Dieu un don decette nature ? N'eft-ce pas s'egaler en quelque ma- niere au Souverain Maitre du monde, par un traite bas 6crampant , qui fenti- roit fort le paganifme / II faut donner a Dieu 3 que dis-je / il faut luy rend re par line ofFrande volontaire une partie des biens que nous pofledons par fa libera- lite jfi nous ne fommes pas aflez par- faits pour luy ofFrir le tout : point de traite done avec le Createur j point de marchez ; point de conditions. S'il a la bontederecevoir une partie des biens qu*il nous a donnez, 6c Ci TofFrande que nous luy en faifons , eft comme un en- cens precieux qui monte jufqu'a fon trone-; que notre ambition , 6c le defir de placer des Sujets, fouvent indignes , fur les chaires des Pafteurs , n'arrete pas au milieu de fa courfe I'odeur de aS^ Relatiofi cetencens^quifedilTipanten Pair par le vent de notre orgueil , n'eft compte pour rien devant Dieu, qui pefe tout au poids da Sanctuaire. Je fais un facrifice au Seigneur d'un tel bien , a condition que j'entreprendray fur ks droits , que je nommcray des Pafteurs , que j'auray droit de prefider dans une telle Eglife , & d'y faire mettre mon blazon &: mes armoiries. O Ciel ! quelle ambition ! TEglife de Dieu n'appartient plus a Dieu, elle appartient au Patron. N'eft- eepass'elever au-deffus de Dieu me- me 5 & attirer fa colere &: fon indigna- tion par une ofFrande fi intereflee & a ambitieufe ? Mais ce n'eft pas encore le plus grand mal que produitle droit de patronage : combien de fois avons- nous vii au commencement de I'eta- bliiTement de notre Eglife des Pafteurs n^mmez par ces Patrons , qui ctoient comme autant de loups cachez fous des peaux de brebis ? Pafteurs muets 6c ienorans qui , connus par le dereg-le- ment de leur vie^auroient a penie trou- ve place parmy les Laiques : la chair & le de tEutopie. jSf le fang avoient foil vent part a cq:s ele- (3:ions '; des amis de bouteille ne fcr- voientpas peu a introduirefurtivemenc des Pretresindignes dans des emplois toLitdivins. Enfin, jele dis les larmes aux yeux, Seles foupirs dans le coeur, des courrifixns faifoienc autrefois , ce quedevoicnc faire lesEveques, 6c in- troduifbientdans les Benefices desper- fonnes qu'ils avoient des raifons ie- creces de proteger. Qviel abus ! Heft vray quelenombrede cesPaftenrs in^ triis , n'etoit pas bien grand dans notre Ifle \ cependant fiTon n'eiit retranche kmalJLifquafa racine,par les inter- dits & les fufpenfions , en quel etat fe- roit aujourd'huy notre Religion ? ce qui eft arrive une fois,peut arriver tons les jours , ck nous mettre dans le meme danger ou ont etc nos peres , de voir la Religion cbrctiennetomber en deca- dence par le mauvais choix desPafteurs mcrcenaires^ qui avoient foin de ton- dre le troupeau, 6^ de fe vetir de fa lai- ne fans luy rendre aucun fervice. Rap- pcUons, Meffieurs, routes chofes a Tan- i^6 delation cien ufagC , & que rEveqiie feul qui- connoitlesPretres &: ies Clercs, difl pofe entierement de tous les Benefices de foil Diocefe : il faut procurer le bien public aux depens du particulier ; les Patrons perdrontun droit : Que dis-je? Ilsneferontque reftituer ce qu'ils ont ufiirpe iiir les Chefs des Eglifes , qui originairenient ont toujours etc les^ maitres de fe choifir des coadjuteurs , pour foutenir leur zele, & travail ler de concert avec eux au falut des ames : Que la forced la generofite chretien- ne vous bouclie les oreilles , pour ne point entendre lesinjuftes cris des per- fonnes intereffees , 6c vous fafle fouler auxpieds le refpedhumain, quand il s'agit de maintenir Tbrdre que le Sau- veur du monde a etably dans fon Egli- ie^& par luy-meme, 8c par (t^ Apo- txts. Vous remettrez par ce moyen les chofes dans Tetat ou elles doivent etre , 6c votre Reglement contribuera beaucoup a nous faire eviter ces pro- motions aux Benefices , tout-a-faie funeftesalapiete des Fideles ,a la pu~ de tEutopie: y i^Y pete dbs moeurs & ala morale cKre- tienne. Lesdeux Oraceiirs ayant ainfi par-- le , on cueillit les fufFrages de toute TAflemblee , lefquels; a ['exception de ceux qui etoient les plus intereflez , tendoieAttousarappeller toutes cho~ {qs, a Tancien ufage : & pour eviter les^ troubles & les brigues qu'on failoic dans ces fortes d'eledions , lorfqu'elles depend oient encore des Fideles,dont la charite avoit un peu degenere de celle de leurs Peres : TAlIemblee jugea a propos que I'Eveque feul, aide de fon Confeil , nommeroit a tous les Bene- fices de ion Diocefe. Ainfi pour le bien delapaix,6cpour lebon ordre de TE- gliredel'Eutopie^les Chapitres 6c les particuliers fiicrifierent a Dieu ce droic de Patronage ; & cela d'autant plus vo- lontiers , que la plufpart reffentoient je ne fcay quels remords de confcience , d'avoir nomme aux Benefices des gens qui les avoient trompez par leur hypo- crifie &: par un exterieur faint & diC fimule. L'Ordonnance de ceSynode, jSS Relation -qui donne felon Tufage ancien la nolrr- ruination de tons les Benefices aux Eveques , a produit tant de bien dans notre Ifle , que depuis les chofes one 'toiij ours etc de mieuxen mieux dans Botre Eglife , &: font enfin dans Tetat parfait , ou on les voit aujourd'huy. Mais apres une fi longue digreffion , revenons a nos Chanoines ; comme ce font des Miniftres qui fe font confu- aiiez pour le falut des ames , & qui font la plufpart tout caflTez de vieillefle , il etoit bien jufte que ne pouvant plus vivre dans une Communaute , ils euC lent quelque foulagement pour con- ierver le peu de fante qui leur refte 5 ils viventenparticulier dans des mai^ fons qui appartiennent a leurs Cliapi- tres ^ be ont leurs revenus feparez aflez confiderables pour fubvenir aux be- foins delavie, qui font d'autant plus grands , que la foiblefle de leur age a- vance demande plus de chofes pour fe foutenir 3 cependant ces illuftres Vieillards ne s'epargnent pas ; ils veu- lent finir leur carriere de la meme ma- de lEutopie. i^p niere qu'ils Pont commencee 5 ils peu- vent a peine fe foutenir a Taide d'un baton , & cependant le zele de la mai- fon de Dieu les devore encore: On les voit plus allidus a I'Office, que ne font les jeunes Chanoines pleins de fante & de vigueur dans PEurope. Il eft vray qu'ils n'ont point d'autre occupation 5 iTiaisn*eft-elle pas encore bien penible pourdes gens qui fe font facrifiez aux interefts de Jems-Chrift , 6c au ialut des ames ? Qiiand vous les voyez fur leurs fieges , leur efprit eft dans le Cieh flails formentcomme faint Paul des defirs ardens d'etre delivrez de ce corps mortel , pour vivre avec le Sau- vcur du monde de la vie des bienheu- reux. Vous etes edifie fans doute de Tideequeje vous donne de ces pieux Serviteurs de Dieu : Vous ne le ferez pas moins du nouveau fujet dont je ¥ais vous entretenir. Sfy Kelatiom CHAPTTKE XI I L Des Proce.ffton$ qui fe font, dans - tEutope. QUoyque I'ufage des Proceffions foit fort ancien dans TEglife, 6c qu'elles aient ere etablies pour une bonne fin^cependantcomme les clio- fes les plus faintes degenerent fort fou- vent, fi les Prelats de cctteipeme E- glife ne les maintiennent,6c ne les con* fervent par leur autorite dans les bor- nes de leur premier etabliflement , iL arrive qu'clles tombent peu a peu , &: que ce qui etoit venerable & tres-utile dans Ion origine j devient mepriiable , ou du moins inutile , lorfqu'on n'ap-r per^oit plus rien que Tecorce dans une cliofe faintement etablie qui ne confer- ve plus Tefprit de la premiere ferveur ^ cequeje dis eft vrai en general,aregard de tout ce qu'il y a de plus facte dans TEglife i on peut dire qu*il Teft encore de 1^ Eutopic:. i^Jb davantage au fujet du pieux etablifle* nient des Proceffions. Quand j'etois dans TEurope , je ne faifois pas beau-, coup d'attention for cellcs que j*y voyois folemnifer : j'etois fpedateur comme lesautres ; entraine par la cou- tume , 6c applique a conidderer la bon- ne mine & Texterieur compose du Cler- ge , & a remarquer ceux qui avoient le rabat mieux tire,& le furplis plus riche & plus magnifique ^ fans examiner a fond quel devoit etre I'eiprit & la dif- pofition fainte-de ceux qui devoient compoferces Proceffions. Je me met- tois en baye , ou aux feneftres avec les Dames quand les Proceffions paflbienr, & j*ecoutois cliacun dire fon mot fur chaque Pretre : plufieurs cliofes y four- niflbient matiere de risee 5 mais fur tout lorfqu'il arri voit quelque different pour le pas parmy le Clerge ou les Of- ficiers de Juftice ^ on etoit bien plus at- tentif a voir ce qui fe pafToit , 6c a en- tendre ce qui fe difoit , qu*a prier Dieu, ^qu'a honorer les Reliques des Saints f[u'on porce dans ces faintes ceremo- 'T9'2 Relation: nies. Ces fortes dedifFerens nous fai- foient eclater de rire aux depefts de ces Litigieux , & nous otoient le pea de piete que nous avions ; fuppose que nous en euflions alors. Helas \ j'ay bieii change de fentimenc a I'egard des Pro- ceffions , quand je les ay vu faire dans TEutopie : liormis celles des Diman- ches & Feftes , qui fe font aux Melles Paroifliales , on n'enfait gueres d'ex- traordinaires dans certe Ifle, Les habi- tans ont recours a ce remede faiutaire , commenos Peres les premiers Chre- tiens ont fait, lorfque la colere de Dieu juftementirritecontrefes enfans leur envoyoit quelque fleau , pour les faire rentrer en eux-memes , & pour les por- ter a la penitence. Durant dix ans que j'ay demeure dans cette Ifle , je n'ay vu faire que quatre Proceffions confidera- bles. Dix'huit mois apres que j'y fus arrive , I'Ifle d'Eutopie fut agitee d'un tremblement de terre aflez grand , & qui dura pres de fix femaines. Les Eve^ ques toujours zelez pour le falut des peuples , ordonnerent dans les trois , Diocefes dc uEuthpie, Tfj Diocefes des prieres publiques, qui de- voient commencer par des Proceffions generales dans les Villes 6c dans la Campagne. Comme j'etois accoutume dans PEurope a rcgarder les Procef- fions du haut d'une maifon , je croyois faire dememe dans rEutopie ;j'avois unechambre placee juftement fur une rue , par oii elle devoit pafler. L'heure venue , 6c les premieres croix paflant^ je m'avancay a une de mes reneftres pour la voir commodement j mais Pen ne m'etit pas fi-toft apperc^u , que deux- Huifliers des Senateurs de la Riepubli- que entrerent tout d'un coup dahs ma chambre ^ 6c d\ine maniere aflez brufl que , me prirent 6c me conduifirent de- vant les Senateurs qui,ayant appris que je demeurois a I'Eveclie . me renvoye- rent a mon Eveque ;, 6c luy demande- rent juftice de Pimpiete quei*avois faic paroitre dans une fl fainte aeremonie. L'Eveque ne me dit rien alors , pour ne point interrompre la Procellioni il pro- mitfeulement auxOfficiers des ^ena- teurs qu'il en feroit juftice jil me com- R jp^ Relation nianda enfiiite de marcher en rang a- vec les autres. Lorfque je me rappelle encore la crainte dont je fiis laifi , il me iemblequeje refTens dans le fond de moname quelques reftes des moiive- mens de ma frayeur i je craignois quel- que chatiment public, pour une faute que je croyois tres-legere, & que ces Senatcurs faifoient pafler pour une des plusgrandes: je vous diray ce qui en arriva, quand jevous auray conte de quelle maniere ie failoit cette ProceC- iion. Le Clerge , comme ailleurs, mar- choit le premier , precede Aqs croix ^ mais fans pompe , fans appareil , 6c fans ornemens magnifiques : comme c'etoit une Proceffion qui devoir avoir routes les marques 6cles carafteres d'une veri- table penitencejon fe fervoit desmoin- dres ornemens ; on n'y voyoit point de difpute pour le pas ny pour le rang j les Senateurs revetus d'habits les plus fim. pies , marclioient indifteremment avec la populace 3 les hommes les premiers 5 6v:enfuitelesfemmes6cles enfans 3 on y chantoit un Mifercre d'unconlugu- de I' Eutopic. jpf bre , qui auroit pu toucher les coeurs les plus durs ^ la pluiparc etoient nuds pieds , & ie frappoient la poicrine pour marquer combien etoit grand leur re- pentir : Enfiii on ne voyoit par tout que des marques evidentes d'une peniten- ce fincere. Quoyque les liabitans de cetcelfle/ufTenttres-bien reglez dans leurs moeurs ^ cependant^dansune con- fcience timoree, ils croyoient s'etre at- tirez par quelque crime Tindignation du Cicl j les larmes decouloient de leurs yeux 3 leurs paroles etoient en- trecoupees , &: ne s'exprimoient que par des foupirs & des fanglots. II faut avolier la verite , je n'etois gueres tou- che quand je vis fortir de la Cathedra- le les croix , &: les premiers qui les de- voient fuivre j jem'imaginois voir nos Proceilions de l'£urope,accompagnees de pompe & de magnificence i mais fore fouvent fans piete , &. fans aucune marque du defir qu*on devroit avoir d'appaifer la colere de Dieu, qui prend juftementen mainle foiiet pour nous chatier 3 je changay bien de lentiment. Rij ipS 'Relation quand je vis les Senateurs de llfle mS- lezavec la populace, fans diftindion ^ fans robes, & fans garderaucun rang > avec des habits de penitens, commeles derniers de nos habitans : ce fpedacle me fit une fainte impreffion, & me fit rentrer enmoy-meme.Le premier mo- tif que j'avois eii , quand je me mis fur ma feneftre pour voir cette ceremonie, n'etoit que de contenter mes yeux & ma curio fite , comme j'avois fait autre- fois en Europe : mais quand les Huif- iieurs m'eLirent fait defcendre, & que je fus oblige de fuivre les autres, les lar- rnes que je voyois repandre de tous c6- tez toucherent enfinmoncoeur, & je pleuray comme eux , non pas a la ma- niere des femmes qui pleurent par compagnie, maisparce que I'exemple d€s plus illuftres de cette Ille en habits de penitens, fit naitre dansmonamc im regret ienfible demespechez, qui futfuivi de mes pleurs. Quelle diffe- rence, helas! entre cesProceffions, & celles de I'Europe , qui me fembloient jreprefenter letriomphe d'un Cefar ou dc I'Eutofie. i^^^ cf un Pompee dans Rome? Je iVy Voyois quefafte , ambition , contentions poui? le rang , vaine curiofite dans les fpeda^ teurs i impiete dans les Dames clire- tiennes , & prefque point de ce refpecl> religieux qui devroit accompagner uno fi fainteceremonie: je fisunvoeu alors de decnre les moeurs de ces faints liabi-^ tans , be la piete qu'on voit eclater dans la moindre de lears ceremonies ; &: je formay le deflein de faire cetteRela-? tion ,queje compris devoir etre utile aux Catholiques de nos climats : mais voyant a mon retour les moeurs des ha- bitans de TEurope encore plus corronv pucsqu'elles n'etoient a mon depart, jecriis que ma peine ne produiroit aa- eun efFetj &: je pris le party de me taire^ & de me difpenfer moy-meme de mon voeu. J'ay etc long-tems ferme dans cette derniere refolution j mais enfin un de mes Amis, peut-etre infpiredu Giel , m'a tellement importune , que je me fuis rendu a fes follicitations , & luy ay donne cette Relation. Je prie le Seiy gneur qu'elle fafle autant de fruit , que R iij 2^S 'Relation larealitedontj'ay ece temoin oculai- re , & qui m'a fait fentir en moy-meme de fi faintes impredions. Mais revenons a la peine a laquelle on me condamna, pour m'etre inno- cemment expofc a ma feneftre pen- 'dant la Proceflion. Apres qu'elle fut finie , TEveque qui m'aimoit m'envoya querir J me fit une ievere reprimande , &: fit venir deux Senateurs des plus no-^ tables de la ville de Macarie. Comme c'etoit un fait qui regardoit I'Eglife , la chofe etoit entierement de ia feule competence : Neanmoins comme je demeurois a TEveclie , & que tout le 4iionde etoit perfuade qu*il me confide- roit , il craignit avec jufte raifon,que le bruit ne fe repandit dans la Ville , qu'il n'avoit pas rendu juftice dans le fait qui me regardoit ; ce fiit pour cetterai- fon qu*il voulut avoir deux Senateurs pour temoins de fa conduite. Ces Mef. iieurs me queftionnerent en prefence de l*Eveque , & me demanderent de quelle Religion j'etois , ne pouvant s'imaginerquejefufleCatholique i & dc I' Eutopic, Tpg iliiis la caution de Monfieur I'Evcque, qui les afltira que je I'etois , ils n'en au- roientrien crii. Il feroit ennuveux de rapportcr icy toutcs lesqueftions qu'oii mc (ic touchanc les Proceflions de I'Eu- rope , auiquellcs j'aurois bien voulu me' diipenfer de repondre , pour fauver Plionneur demaPatrie , mais il fallut parler , pour me purger de I'impiete dont on m'accufoit , &: leur rapporter /inceremenc tout ce qui fe pratique clans nos Proceflions. Je leur dis done , que dans cette ceremonie tout-a-faic venerable 3 on ne voyoit que le Clerge marcher en rang , 6c enfuite les Offi- ciers de Juftice , &; que le refte du peu- ple etoit en haye^ou aux feneftres,pour en etre les fpedateurs, fans entrer dans Pefprit 6c I'intention de I'Eglife , qui ordonne ces ceremonies pour le bien des Fideles , ou pour eloigner un fleau qui les afflige, ou pour rendre graces au Ciel des biens qu*on a re^us du Sou- verain Etre. Je penfois , leur dis-je , ctrc encore en Europe : Je n'avois pas encore viivos Proceflions, qui fe font Ruij :joa Relation d'une maniere bien plus fainte, & par des motifs bien plus relevez : II eft vray que j'ay caufe quelque fcandale aux liabitans de votre Ille , mais ce fcanda-. Je peut etre excufable a caufe du peu d'experience que j'avois de la maniere fainte avec laqueile vous pratiquez ces ceremonies , ignorant entierement les motifs dans lefquels on doit entrer , en affiftant a vosProceflionsJe vous afliire qu'ayantvii la ferveur & la devotion de ceux qui y ont affifte , j'ay etele pre- mier a condamner ma lachete 6c mon ignorance. Si pour reparer la faute publique que j'ay faite, vousm'obligez a quelque penitence , vous ne ferez quo cej'ay deja fait dans lefond de mon ame. Le fouvenir feul de cet egare- nient me confond, 8c me porte a vous en demander une peine proportionnee a la grandeur de la faute que j'ay com^ mife , plutoft par ignorance que par impiete. Apres avoir donne des mar- ques de Petonnement 6c de la furprife que mon recit de nosProceffions avoic it^ufe dansleur efprit , ils me dirent ea foupirant. Helas \ ce font nos freres ,. i Dieu ne plaife que nous les condam- nions : mais nous Ibmmes entierement- perfuadez que lapompe Sc la magni- ficence dc vos Proceflions ne touche guereslecocurdeDieu : le jeune doit, les preceder 3 les pleurs 6c les prieres^ les accompagner 3 & enfin le chant de. rE2;life kmubre 8c trifle en doit etre le plus bel ornement. Apres m'avoir ainli parle d\ui ton qui marquoit la douleur dont ils etoient penetrez du peu de pie- te qu*on fajt paroitre en Europe dans de fi faintes ceremonies , ils confulte- rent enfemble quelle penitence ils pou- voient m'impofer , felon la volonte & I'avis de Monfieur TEveque ^ & ce ne flit que ma qualite d'Etranger ^ mon ignorance de la coutume dulieu •, le regret que je marquois d'avoir commis . la faute , qui etoit pour eux tres-fcan- daleufe , qui m'exempta du chatiment public , & de Texcommunication pour un certain terns : J'en fiis quite & ab-^ fous pour quelques jeiines que Ton m'impofa,, 8c dont je me fuis acquit^ 20T delation fidellement : On voit par ma disgrace combien on a de foin dans cette Ifle de punir la moindre faute,dans cette cere- monie qui ne fe fait que pour appaifer le Seigneur irrite contre fon peuple ^ dans laquelle cependant on Tirrite en- core davantage par le fafte , I'impiete , Tirreverence , & les autres pechez , qui ne paroijffent que crop aux yeux du Pu- blic. CH AP I TRE XIV. I)es Jeunes de I'Eglifi d'Eutopie: LA premiere fois que jefds a con- fefle dans I'Eutopie , je fixs fort ilirpris lorfque mon Confefleur me fie connoitre que je n*avois jamais jeiine felon Tintention de I'Eglife. Quoyque le ConfelTeur foit oblige a un fecret inviolable , je ne croy pas que le Peni- tent contra£te cette obligation avec la meme rigueur , fur tout quand les ex^ hortations du ConfelTeur peuvent edi- de P Eutopic: soj: fier & faire connoitre avec combien d'exaditude on doitpratiquerun pre- cepte fi utile. Je rapporteray done fans fcrupule ce qu'il me dit touchant le jedne commande : Mon frere , me dit'il , d\in ton grave & touchant, fc^a- vez-vous bien pourquoy la fainte prati- que du jedne a etc etablie dans TEgli- fe ? Le voicy. Le pcuple Juif , etoit un peuple grollier , qui ne s'attachoit qu'a la lettre de la Loy , fans entrer dans Teiprit de cette meme Loy : cependant tout groffiers & charnels qu'ilsfullent, ils mortifioient leurs corps ^ & affli^ geoientleurs amesparunjainequidu«» roitd'unfoiraPautre, felon le prece- pte qu'en avoit fait le Seigneur : vous m'avoiierez que les Chretiens /invent une Loy beaucoup plus parfaite que celle des Juifs , quin'en ctoicque I'om- bre&: la figure ^ leur jedne done doif etre audi plus parfait be plus religieux : cependant ou voyons-nous cette per- fection / II doit etre laborieux 6c ac^ compagne de peines • autrement cq n*eft pas un jedne, mais une delicateile^ 20'^ RelatioTT Guundefirde fe conferver la vie , fuJi vant en cela plutoft les preceptes d'hy> pocrate , que ceux de Jefus-Chrift. Gombieny a-t-.il de Chretiens qui ob- fervent lejeunederEglife par ce der- nier motif,au lieu de le faire pour mor- tifier la chair, & detruire en nous le vieil Adam, 6c les paflions qui font toui. jours rebelles a I'eiprit de DieupQuand vousfaitesun double repas a niidy ce n'eft pas obferver le jeune , c'efl f^ire une tranfpofition de mets. Ne fcavez- vous pas que les premiers Chretiens ne faifoient qu'un repas le jour , & cela apres \qs Vefpres ? Les collations que Fon fait ne font pas d*un ufage bien an^ cien 5 dans leur origine- elles n'etoient que des conferences faintes & edifian- tes , que faifoient les premiers Chre- tiens dans leurs Ailemblees : mais com- me Phomme a un panchant qui Ten- traine vers le mal , on a fiibftitue en la place de ces collations ou conferences ^irituelles^ des collations corporelles, qui n*etoient point en ufage dans les premiers fiecles de TEgliftt Ce n'efl pas de I'Eutopie. 2of 'la coutiime dans cecce Ifle , d'augmen- terauxjoursde jeuneslesrepas du mi- dy ; il eft vray qu'on y tolere une foible collation, qu'on n'aurqit point toleree, Cl notre climat etoit auUi tempere que rEurope. Les grandes chaleurs qui caufent un grand epuifement des eC prits vitaux par la fueur , ont ere caufe qu'on a fourfcrt icy I'uiagedes colla- tions : mais cette permiilion n'a ete accordeepar nosPrelats, qua condi- tion de fuppleerpar les aumones a tout ce qui pourroit manquer a la perfe- diondujeunerchacuncompte en fon menage la depenfedechaque jour, &c taclie d'epargner fur le repas du foir dequoy faire des aumones aux pauvres. Le jeune fans aumones eft plutoft une avarice qu'une mortification de la chair. Je vous parle du fond de mon cocur , mon cher frere , 6c felon ce que je penfe de Tobligation quontlesFi- deles d'obferver avec beaucoup de foin les jeiincs de PEglife : mais de la manie- redontjevous entends parler, il faut croire qu'il y a bien du relacliemenc 20 6 K:elation dans I'Europe pour ce qui regarde c^^ te divine obfervancedujeune, qui eft tres-utile pour fe conferver dans le chemin de la vertu , par la grace de Dieu que nous attirons iur nous , en morcifiant nos fens. Je voy allez dans les Peres de rEglile ;, que nos Miffion- naires ont apportez icy , de quelle ma- niere on doit obferver le jeune 3 mais auparavant de vous donner Pablolu- tion , je voudrois bien vous entendre dans un entretien j venez demain me voir; vous f^avez ma demeure, vous m^eclaircirezfans doute d'un fait que je ne connois pas aflez. Je me retiray du confeffionnal , & le lendemain je ne manquay pas de Paller trouver : apres Tavoir falue, j'entray dans fachambre, .&: etant affis tous deux ^ il commenca le premier a me parler. Je voy dans nos cartes , me dit~il , que T'Europe eft la partiedumondela plus peuplee &: la plus Catholique, felon le peud'Hifto- riens que nous avons : II faut vous I'a- vouer , j'ay beaucoup d'inclination pour ce pais ; & parce que nos peres en deVEutopie, 2or font fortis , & parce qu'il y a beaucoup de Provinces Catholiques. Mais he- las • je voLis ay entendu a demy mot , & je Grains fort que la morale des Euro- peensnefoitbiendecLiicde la purete Ats premiers Chretiens, 6c fur-tout a regard du jeiine. Dites-moy de quelle maniere Tobferve-t-on chez vous/Vol- cy ce que je luy repondis : Comme je ne fuis que Laique , quoyque j'aie eii dansmajeuneife quelque teinture des Lettres , ce n'etoit pas a moy d'exami, ner la maniere dejeuner chez les peu- pies d'Europe ; cependant je vous rap^ porteray ce que j'en fcjay : Je commen- cer^y d'abord par les perfonnes les plus parfaites de nos climats , qui ap- prochent un peu plus que les autres de Tobiervance etroite du jeune de nos premiers Chretiens: Je vous parleray enfuite des perfonnes qui tiennent un certain milieu dans leur maniere de jcuner i & enfin je vous feray remar-, querlesabusqui regnent parmy ceux qui, mangeant peu^croyent que le vin, ou d'autres liqueurs plus forte, dont ils '2^0 Relatioft ^ie rempliirent dans ces jours confacrex a la penitence J ne rompent point, ou pour mieux dire , ne violent point le -jeune. Commencons par les premiers > Les plus parfaits cle PEurope ne font a la verite qu'une legere collation lefoir; iTiais au repas du midy ils augmenterit quelque chofe au-dela de leur ordinal- Te i de forte qu'au lieu de faire comme dans d*autres terns deux repas petits & ■moderez,ils en font un qui,avec la col- lation du foir,les egale^a peu pres tous diffipe Ics nuages epais de la concupifcence 3 eteint les flames cri- m2 'Relation minelles des pafllons , 8c fait enfin eck> ter ^cbrillerla liimiere pure &: chafte de la continence. Que Taveuglement de vos Compacriotes eft grand5.de vou, loirignorertous les avantages que les Fideles retirent du jeune ! Vous pou- vez avoir remarquequelque petite aU teration fur les vifages de nos Catholic ques apres la fain te Quarantaine 5 mais Ji vous pouviez voir le fond de leurs amesa laFefte de Paque,que vous trou- yeriez de vertus, dont apeineconnoif* iez-vous les noms \ Pourquoy croyez-. vous que la Religion fe maintienne cheznous dans fa purete ? j'en actribue €n partie la caufe a I'obfervance du jeu- ne, qui attire Hir chaque particulier les graces du Ciel , dont les Fideles etant comblez,marchent a pas degeant dans laLoy du Seigneur. Si la Providence permet que vous retournicz un jour dansvotre Patrie, faites un recit fin- cere de la maniere dont nous obfervons le jeune que I'Eglife nous commande.- Maisdites-moy, eft-il vray que certains delicats^quin'ont de Religion qu'au- d^ I'Eutopie. zl-^ mnt qu'elle paroit fur les levres , man^ gent de la viande en Careme ? L'Euro^ pe , lay dis-je, eft pleine de qq^ fortes de gens ; j'en ay vu meme qui font gloire deleurimpiete , & qui croyent fe dir ftinguer par lade la canaille. Helas • pauvre diftindion , me repondit ce faint Preire. Quoy • doit-il y avoir de k diftinclion entre les Fideles / Les ri- ches ne font-ils pas obligez a ce pre^ cepte , auffi-bien que les pauvres ? Y a^ t^Ideux mefiires & deux poids dans rAilemblee des Enfans de Dieu: Je vay vous dire une chofe furprenante ^ qui eft arrivce du terns de faint Chryfofto- me J mais que nousavons vuc encore de nos jours. Il y a pres de quarante ans que le Ciel parut ctre irrite contre nousil'ete fut fibrulant , que le bled prefque tout verd fut delleiche jufl qu'a la racine ^ en forte qu*on enre- cucillit dans notre Ille , qu'autant qu'il en falloit pour un mois : il y en avoic encore quelque peu dans les greniers j mais on le vendoit a un prix fi exceffif , qu'il etoit impoilible que les pauvres en 2/xf Relation' achctaiTent : On ne manqua pas , com^ me vous pouvez croire , de les affifter^ niais avec cts aumones , ils foufFroienr encore beaucoup. Nos Senateurs prie- rent les Prelats de permetcre aux pau- vres de manger de la viande crois jours- de la femaine duranr le Careme , cette annee ieulement : c^s Pafteurs toujours charitables, &prevenansdans les be- foins des malheureux^accorderent cet- te grace d'autant plusvolonciers, qu'il y avoir une elpece de neceffite de le permettre ? mais ces pauvres pleins de 2ele pour la Loy de Dieu & de fon E- glire,s*opiniatrerenttellemennt a fui- vre les couttimes de leurs Peres Ci fain- rement ecablies ^ & cemoignerent rant d*horreur, quand ils virent les bouclie- ries ouvertes dans un fi faint Temps, qu'on flit oblige de les refermer , & de donnerauxmaladesles viandes qu'on avoir mifes en vence , uniquement pour foulager les pauvres dans un befoin fi preffant. Nos Catholiques , mon cher Monfieur , doivent etre plutoft con- -4^ninez de trop de rigueur dans Tob- de rEutopie. 21 fr fervance du jeime ^ que de trop de mo-- lefle. lis ne mandient point des Mede- cins flateurs des atteftations d*une ma- ladie imaginairc , pour avoir lieu de violer les lainres regies de TEglife, per- fuadez que ces atteftations mandiees ne les rendroient pas moins coupables. Toutenotre peine eft d'arreterle zele de nos Catholiques, & de moderer Tex- cez de leurs mortifications , qui pour- roieiitincommoder notablement leur fante. En voila affez pour vous donner une idee de la maniere qu*on obferve le jeune chez nous 5 faites-y reflexion , & venez un de ces jours acliever votre confeffion. ApresTavoir remercie de ks avis charitables , je fus le voir le Di- mancbefuivant^&j'achevay ma con- feffion 5 & tout contrit que j'etois, je ne reciis Tabfolution qu'au prix d'une ru- de penitence , pour avoir cpelquefois viole le jeune. 'ziS Relation^ GHAPITRE XV. Des Religicux d'Eutofie. COmme retabliflement de cette Ifle n'eft pas bien ancien , & que^ TEutopie eft Lui endroit fepare du refte du monde , les Ordres Religieux nes'y^ font pas multipliez comnie dans TEiu rope ; 6c je croy qu'il ne s'y en feroit ja- mais etably ^ fi deux RcligieitK zelez,^ qui pratiquoient les Regies de leurs Fondateurs a la lettre •, ne fe fuflent tfouvez dans la compagnie des Mif- iionnaires qui ont jette les premiers fondemens de I'Eglife d'Eutopie : I'un de ces Religieux etoit de TOrdre de S. Benoift, 6c lautre fuivoic la Regie de S. Bernard ^ ils vccurent quelque terns avec les Precres , 6c ne furent pas inuti- les dans les Gommencemens de cette Egli(e naiiTante : Mais voyant que Dieu repandant fes bencdidions furElle, le nombre des Pretres 6c des Fideles s'augmen- dcl'Eutopie. 21/ s^augmentoic vifiblement , & que leur fecoLirs n'etoit plus fi neceffaire qu'il Tavoit ete au commencement i le defir de la retraice 6c de lafolitude leur fit choifirun lieu ecarte pour continuer a obferver les regies qu'ils avoient fait voeu de lliivre. On ne fcauroit dire le nombrc des perfonnes zelees qui les al- lerent voir cians leurs petices cliaumie- res : Taufterite de leur vie > le travail manuel aiiqael s*occupoient ceux qui a- voient eu la devotion de le joindre a ces faints Religieux ^ qui fuivoient avec la derniere exactitude la Resile de leurs Fondateurs ; leur defintereflement^leur charite qui eclatoit en donnant leur jfii- perflus aux pauvres du lieu ou ils Iiabi- toientileur habit fimple6c modefte y leur ferveur ; leur mortification j leur pietc , & Tamour du filence 6c de la re- traite ; toutes ces vertus attirerent tanc de monde dans ces nouvelles folitudes, qu'on acompte deslescommencemens plus de cent Religieux dans chaqae Convention pour mieux dire, dans cha- quc Hermitage. Comme on me faifoic T 2i8 'Relation un grand eloge de ces faints Solitaires,,- je fiis curieax , avec lapermiflion de M. TEveque que j'obtins facilement, de vi- siter ces deux Monafteres ; l\in eft a i^rextremite dc cette Ille dans un bois :fort epais , au milieu duquel on voit de petites cellules le long d\ui champetre qu'onleura donne a defricher, qui a> environ quatre arpens d'erendue. Mais comme le nombre des Religieux s'eft augmente notablement , leur jardin^ comme j*ai pd remarquer,contient pre- fentement iept ou huit arpens de terre: ce font des Religieux qui loivent la Re- sle de S. Benoift.etablisducotedel'O- rient aupres de la mer,& aux confins de I'Ifle d'Eutopie , eloignez des Villes , & n'ayant pour voilins que quelques Villa- ges aflezbien peup!ez,mai!j avec lefquels ijsn*ontaucun commerce. Ce que j 'ay remarque de particulier eft , que tous ces Religieux ne font point Pretres,fui- vanten cela la Regie d^ leurPatriar- che 6c Fondatcur, qui ditau chapicre foixancieme: Si quelqu'un de TOrdre des Precres demande d'etre re^ii au de lEuiopie. 2ip Monaftere, qu'on ne luy accorde pas fi- toft : Si toutefois il perfifte dans la de- mande , &:c. qu'oii luy accorde nean- moinsdetenir rang apres I'Abbe, de donner les benedidions & dire les Mef- ies.Ec fi on a quelque deference pour lui dans le Monaftere a raifon de fon Or- dre , qu'ii con fid ere le rang qu*il dcvoit tenir quand il eft enrre,& non celuy qui luy eft donne par rcfped pour le Sacer- doce. Voila ce que me fit lire I'Abbe dans fa Regie, pour ie difculper de Tob- jedion que jeluy avoisfaite, rrouvant extraordinaire que fes Religieux ne fuf^ fent point Pretres comme dans TEuro-. pe. Pourquoy , luy dis-je , vous ecarter de la conduite de vos Freres ? Vos Reli- gieux etant Pretres attireroient plus de benedidions du Ciel fi.ir notre Ifle , par les Sacrifices qu'ils ofFriroient tous les jours , & par les fervices qu'ils pour- roient rendre aux Paroilles voifines de votre etabliilement , en prechant &: confeflant quand les Pafteurs feroient malades,&: hors d'etat de fatisfaire a leurs devoirs : vos Religieux leur fe-» 220 Relation rbient d*nii grand fecours. Voila com- mejeraifonnois^ mais PAbbe plein de I'efprk de Dieu, avoit bien d^autres fen- timens i & pour me les faire connoitre , voicy ce qu'il me ditiNous ne nous fom- inies.point ecartez de la conduite de nos Freres de TEurope ^ ce font eux qui ont tranfgrelse la Regie de notre faint Pa- triarche : Vous avez lu que ce S. Hom- me veut qu*on donne la premiere place 3pres PAbbe a un Pretre , que la piete & le defir du falut ont attire & fait en- trerdans notre Ordre 36c celaa caufe de la dignite de fon Sacerdoce : II s'en- fuit de la que les autres Religieux n'e- toient point Pretres , autrement S. Be- noift notre Fondateur auroit mal rai- fonne, & on ne pourroit point I'excufer d'avoir commis une injuftice manifefte, d^accorder a un Pretre recu depuis peu dans le Monafl:ere,le fecond rang a cau- fe de fon Sacerdoce., fi les autres Reli- gieux Pavoientete. Quand vous dites qne nos Religieux etant Pretres ren- droient de grands fervices aux habitans de notre Ifle^en prechant Sccpnfeflknt^ de I' EutQpie. 22rx helas ! vous connoiffe^ mal Ics defleins de notre Fondatear , 8c vous n'entrex C^ueres dans resfentimens^ ton jours ju- fles & equirables : ce grand Saint n*a- voit en vue , lorfqu'il a inftitue fon Or- dre , que de batir dans des lieux retirez des cellules , oil les pecheurs pouvoienc trouverunazile 8c une demeure trail. quile , pour y eflEicer par leurs larmes , leurs gemiJ(Iemens,&: par une longue pe- nitence, les pechez commis depuis leur Bapteme : Et a proprement parler , nos retraites& nos folitudes n'ont etc qu*- im fupplement de la penitence publi- que \, qu'on faifoit autrefois dans la pri- mitive Eglife,ou les pecheurs pouvoient en fecret & fans confufion , purifier par lesrigueursde la penitence, quiduroit autantquela vie,les tacliesdu peche, qui attiroit fur eux la colere de Dieii. Suppose que des ames innocentes fe foient retirees autrefois dans nos Gom- munautez , pour eviter la contagion da monde ^ en les elevant aladignitedu Sacerdoce , n'eft-ce pas les remetcrc dans le nieaie danger, que la grace du Tiij 222 delation Seigneur leur a fait eviter ? Nous avoirs chez nous des pecheurs , qui ont pris rhabit de faint Benoift pour pleurer le refte de leur vie les fautes pafsees ;Nous avons auffi des Religieux dont le coeur eft pur devant Dieu, & qui par une gra- ce extraordinaire fefont confacrez au Seigneur des leur jeunefle^ 6c avant d'a- voir ete corron^pus paries maximes cri- minellesdufiecle. Peut-on de ces pe- cheurs , qui ont befoin de pleurer leurs propres fautes,en faireparle Sacerdoce des Mediateurs enrre Diea hi. les horn- mes ? N'ont-iis pas encore befoin de Mediateurs eux-memes pour faire leur paix avec leDieu du Ciel, qu*ils ont ou- trage par leurs pecheZjayant viole tant de fois fes Commandemens ? Comment pourroient-ils appaifer un Dieu jufte- nient irrite contre leurs Freres , eux qui n'ont paint encore expie leurs propres fautes paries larmes d\me fincere peni- tence? Nos premiers Fondateurs n*ont- ils pas eu raifon d'eloigner de TAutel des Religieux qui,comme le Publicain, ncledoivent regarderquede loin, en dc ['Eutopic, 22 J frcippant Icurs poirrines , preffez du re- gret de leiirs pechcz ? Quant a ceux qui le font retirez chez nous pour eviter la corruption du monde,&:pour fe mettre aTabry defes inliiltes dangereufes, ne feroit-ce pas une elpece de cruaute de la part d\in Abbe ^ d^engager ces bons Religieux dans Ic commerce du mon- dc , en Ics elevant au Sacerdoce, & leur permettant de prccher 6c de con feller ? lis ont fait le mondepar une in{[3iratioii toute divine^ & I'Abbe s'oppofant,pour ainfi dire , aux volontez du Ciel , les y engageroit de nouveau ; le motif en fe- roit bon a la verite , mais qui pourroit repondre du fucces ? Je n'ay jamais cii de commerce avec nosFreresdel'Eu- rope^mais nous aprenons par quelques^ uns de leurs Hiiloriens, que la chiite &: la decadence de notre Ordre , fi flo- riflant autrefois , n'efl: venue , & n'a etc causee que parce que nos Abbez ont etc trop faciles a lailler entrer dans le Sacerdoce des Religieux qui n'avoient quite le monde 6^ embrafse la folitude , que pour y pleurer leurs pechez : ces T iiij , 22^ AelatiGn 1 Religieux Pretres encore foibles dans la pratique des vertus de leur etac ^ fe font melez d'enfeigner les autres^ d'e- crire ^ precher , confeiler : 6c il eft arri^ ve de la que ces occupations exterieu- xes,ont peu a peu donne du degout pour les faintes pratiques de leur vocation 5 elles leur iont devenues a charge ; 6c fous pretexte d'etre utiles aux Fideles , lis font rentrez dans le monde plus que jamais. Les viGtes pailives &: actives ont tellement etouffe & eteint le zele ar- dent qu'ils avoient de fe fanclifier,qu'ils font devenus peu a peu comme ces flam- beaux qui , eclairant les autres , fe con- fument eux-memes : apres une filon- gue experience quej'ay du danger ou s'expofent les Religieux qui fe melent d'enfeigner les autres, condamnerez- vousmaconduite, fi bien appuyee fur Tautorite de notre Pere faint BeDoift,6c fur la pratique des premiers fiecles de notre etablilTement , quand je ne per- mets point le Sacerdoce a des Reli2;ieux qui ne font entrez dans ceMonafterc, que pour faire penitence & pleurer leurs de- I'Eutopie, 2Zf pechez ? Nous ne fommes a charge a perfonne , la Republique a bien voulu nous donner quelques arpens de terre pour y habiter : Nous y avons bati nos petites cellules ^ le travail de nos mains nous donne dequoy iubfifter de legu- mes 6c de pain ^ vous avez mange avec nous,&: vous eres temoin de la maniere fobre & penitence dont nous vivons : Nos batimens fe reflentent fort de Tan- tiquitcdcs Monafteres : Nous n'avons pas eu befoin de reforme depuis notre ctabliflement J &j*enattribue la caufe a notre retraite , au filence , & fur tout aTeloignement du commerce du mon* de. Nos Religieux etans Pretres au- roient eu un pretextefpecieux de violer fouvent la Regie de nos faints Fonda- teurs i ce qui auroit cause d'abord le re- lachement de la difcipline Monaftique^ I'efprit de Religion fe feroit dillipe i le commerce du monde, qui a desmaxi- mcs routes oposees a celles des Cloitres, auroit repandu fon poifon dans les occurs de nos Religieux ^ la cellule leur feroit devenue'a charge j un Abbe ea* 126 Keldtion fuite auroic beau faire pour maintenir la Regie, on ne l^obferveroit qu'avec cha- grin ,& il pafleroic luy-mcme dansPef- prit de fes Religieux pour un liomme levere & intraitable : au lieu que n'e- tans point Pretres , ils n'ont aucune oc- cafion de violer la Regie : tantot occu- pez a loiter Dieu dans lesheures defti- nees pour laPialmodie &: I'Office Ai-. vin ; tantot accablez fous lepoids du travail manuel , ils nepenfent non plus au monde , que s*il n'y enavoitplus : c'eft le feul moyen , dont nos Peres plus faints que nous, fefontheureufement fervis , pour maintenir dans les Reli- gieux cet efprit de retraite,quiefl: I'ame de la Religion , & fans laquelle toutes \ts autres vertus fe diflipent en pen de terns , comme les feux folets, qui voltii gent quelques momens en Pair , &: dif paroiflent auffi-toft.Voilace que me dit ce faint Abbe , d-'une maniere fi perfua- iive , que je me rendis facilement,& en- tray dans (es fentimens,qui me parurent fort juftes. Le terns d'affifter a TOflice Tappella au Choeur. II m'auroit die de fEutopie, 22^ bien cl*autres chofes j mais quoyqu^il ne m'ait entretenu , que pour juftifier fa conduite a Tegard de fes Religieux qu'il n'elevoit point au Sacerdoce , je recon- iiuspard*autres voies ce qui ie palFoic dans le Monaftere. La.modeftie de TAbbe Pempecha fans doute de me di- re ce qui pouvoit luy atrirer quelque loiiange. J'appris d'un vieux Domefli- que age de prcs de quaere- vingt ans, les vertus de chaque Religieux en particu- lier,&: le rcglement general de la Com- munaute, Ilcommenca d'abordparle reglemenc general, 6c enfuice defcendit dans un detail fort exad & tout-a-faic fincere : Si depuis huit jours que vous ctes icy Je n*avois vu en vous des mar- ques d'une veritable pieteje n'aurois garde de vous reveler les fecrets de i'interieur de la maifon 5 \^^ gens du monde ne goiitent point les chofes du Ciel J toujours attachez par un noeud indifToluble aux chofes temporelles , ils n'aiment point a entendre parler des merveilles 6c des eiF«ts prodigieux que la grace de Dieu opere dans les ames 22^ Relation de ceux qui le fervent en efprit & en ve- rite : mais com me on m'a dit que vous etiez Etranger,5c confidere de nos Pre- lats , j'ay era avec jufte raifon que je pouvois vous faire confidence de tout ce qui k pafle dans la maifon 5 vous en ferez edifie •, 5c fi quelque jour la Provi- dence vous fait retourner dans votre Patrie,lerecit que vous pourrez faire des Religieux d'Eutopie,ne fera pas de- fagreable auK ames chretiennes qui ne recherchenr que Dieu. Notre Abbe eft un faint 3 il vit de la meme maniere que ks Religieux i il ne fe diftingue point par un train magnifique , mais par fes vertus ^ & quoyque les aumones qu'on nous fait foient tres-confiderables,il ne thefaurife pointy a la fin de chaque an- nee il donne ce qui refte de la depeiife aux pauvres du Diocefe : comme il eft fort retire, il ne connoit pas bien les ve- ritabies pauvres ^ c'eft pourquoy , per- fuade que Monfieur I'Eveque les con- noit mieux que luy^ il luy envoye des fommes confiderables, que le travail de nos Religieux produitjauili-bien que de tEutopie. 22p les aumones qu'on nous fait ^ & notre faint Eveque diftiibue avec beaucoup d^economie aux pauvres qu'il connoit , ce que notre Abbe luy a mis entre les mains. Je ne fcay ii le bruit qui eft vena jufqu'a notre Monaftere vient de vous j mais fi ce bruit etoit veritable , cela ne feroit pas honneur a TOrdre de faint Benoift : On dit que dans I'Europe ^ on n'entend parler que des Procez de nos Religieux. Je fuis un Domeftique fans litterature ^ mais inftruit depuis foixan- te ans par Texemple de nos Peres , je ne puis que jene condamne une conduite ll peu charitable & fi peu religieule. Quoy ! des gens qui ont renonce an monde &c aux biens temporels , dans la feule vuc d'acquerir les biens du Ciel , plaident pour unemottede ten'e, ou pour un droit imaginairc/ Ce n'eft pas a moy d-en juger , Dieufeul en ferale Ju- ge ^ mais fuivant la Regie de S. Benoift, que je fcay prefque route entiere , je dois conclure que ces pauvresReligieux font dans le dernier danger de fe per- dre j tout ignorant que je fuis, Dieumc 2p Relation fait entrevoir que ce n'eft pas la la veri- table conduite des Solitaires , qui doi- vent demeurer dans leurs cellules le Breviaire en main, ou TEcriture Sairite, & ne jamais paroitre dans les Cham- bres des Parlemens , cliargez de facs de procedure. Si faint Paul , qu'on nous lifoit il n'y a pas long-tcms dans une conference de piete , defiend aux Eve- ques de recevoir un Miniftre dans TE- glife qui foit litigieux , quoyqu'il n'ait pas renonce au monde par les voeux comme les Religieux 3 que diroit ce grand Apotre, fi par un miracle nou- veau il revenoit au monde, &c qu 'en- trant dans les Parlemens , il appertjut vingt Procureurs des Communautez de differentes Provinces , plus inquiets de rifliie de leurs Procez , que de s'acquit- terdes oblig;ations de leurRerfe ? Ce n'eft pas a moy qui uiis le dernier de cette Communaute de raifonner la- delTus : je vous diray feulement que nos Religieux tout-a-fait morts au monde y ont en horreur Tombre meme des Pro- cez, comme entierement oppofez a Pet de I'Eutopie. 2^1 pric de notre Fondateur faint Benoift. Nos Religieux aimenc mieux entrete- iiir la Communaute par le travail de leurs mains , que par des Procez , fuf- fenc-ils incentezavec Juftice. Monfieur i'Abbevous a fait voir routes les cellu- les : vous avez vu leurs difFerentes occu- pations : les uns , comme vous avez pu' remarquer ^ font occupez a coppier les livres de plein chant , pour fournir aux ParoifTes qui en manquent. Autrefois quand nous n*avions point encore la commodite de Pimprellion , ils cop- pioientles livres des faints Peres, que nos premiers Miffionnaires avoient ap- portez avec eux : D'autres font des pa- niers d'ozier que I'on vend au profit du Monaftere ; plufieurs font occupez a d'autres ouvrages , dont on tire le moyen de faire f ubfifter les Relip-ieux : Notre jardiil qui a une grande eten- duc,&: qui eft fort bien cultive par les peines qu'ils prennent , nous fournit prefque route Tannee des lec^umes , qui lont notre nourriture ordinaire ^il fe- roic trop cnnuyeux de vous faire un de- 2^2 ' Relafion nombremenc dcs metiers clifferens,auf- quels font occupez nos Solitaires 3 il fuffit de vous dire , qu'il ii'y en a pas un feul qui ne gagne dequoy vivre par le travail de fes mains ; ce qui eft beau- coup plus noble &: plus conforme aTin- ftitut de nos Religieux , que de pafler le terns dans une oifivete dangereufe pour le falut : Pavantage qu*on retire decesfaintes occupations eft , qu'elles cloignent les Religieux de I'amour du monde qu'ils ont quite , les attachent plus etroitement a Dieu ,& empechent les murmures indifcrets,qui ne trouvent ordinairement leur origine que dans Toifivete : ce n'eft qu*un meme efprit de charite qui unit 6c enchaine , pour ainfl dire,nosReligieuxenfemble jils ne fe voyent qu'une fois la femaine , & ne converfent I'unavec I'autre que par un defir de s'animer par de faints entre- tiens i fervir Dieu de la maniere la plus parfaite. : leurs converfations font tou- tes faintes j be comme il fort desetinceU les de feu lorfqu'on entrechoque des pierres , de meme de leurs entretiens naiflent de I'Eutopie, 2^j naiffent denouvelles flames decharite Scd'amour deDieu, qui fervent a les animerdavantageafinir la carriere de la vie dans robfervance de leur Regie : Voiis ne ftj^auriez croire combien on a vii d'efpeces de miracles , opcrez par pkifieurs Religicux qui font mores en odeur de faintete : mais je les pafle fous iilence,Dieu fcul en eft le temoin,quoi- que les hommes incredules les faflent pailer pour des reveries de certains vi- iionnaires. Helas ! pldt a Dieu, me dit-^ il , en finiiUmt fa narration , que tous vos Monafteres de TEurope fuiviflentla Regie de leur Fondateur, vous en ie- riezplusedifiez, & beaucoup de Lai- ques {e convertiroient par le feul exem- pie de leur defmtereiTement , & de la laintete de leur vie. Mon bonFrere, luy dis-je , vous nieces informe de la fi- tuation de votre Communauteen Eu- rope ^ que par les endroits qui formenc votre prevention contreEUe, par rap- port a ce qu*ils peuvent avoir de mau- vais, 6c fans avoir confidere ce qu*ils one de bon : ou bien vous la regardez enca- V . 5^^ Relation refurlepieddu relachement qu'elle ^ eu le malheur de foufFrir un terns \ mais dontelleeft aujourd'huy tellement e- loignee , qu'en me faifant le portrait de laregularite de votre Maifon, vous y avez compris toutes celles que vous a- vez en Europe. Je ne Icay que trop,que vos plaintes peuvent toniber fur plu- fieurs de nos Communautez Monafli- ques,mais nullement fur cellesdont vous portez le nom :Je vous diray au contrai- re, que jamais cet ordre n'a etc dans une plus grande fplendeur 3 par fa re~ gularite qui lesrend Texemple de tous \qs autres 3 par fa retraite , que !e Sacer- doce n'a nullement alteree ; par fa clia- rite , qui fait retentir Tair chaque jour de mille benedidions de la part des pau- vres 5 par fon zele^ etant nuit & jour ap~ plique a la meditation , au f icrifice, & a la loliang-e du Seigneur , d*une maniere qui fait redification detout le people-, par fa mortification : Si jamais vous paf. liez en Europe , vous retrouveriez cliez vos Freres, votre jeune d*Eutopie dans route fa feverite^ k enfin par fa fcienc e. de I' Eutopic. 2^f dont la fublimice 8c la profondeur n'eft pas ree^ardee fans une grande jaloufie delaparcdes ennemis de la verite, 6c des deftrucleurs dc la Foy de Jefus- Chrift. C'eft un bonheurpour TEglife Earopeenne^que vos Religieux fe foient appliquez aux iciences \ cetce etude les a rcmplis dela vraie liimiere dc I'Evan- gile , ^ Dieu s*en fere pour la defenie de fa Foy , fouvent attaquee par de faux Prophcres , des loupsaftamez, qui fe- roient ravis que votre lUuftre Commu- naute ftit dans la decadence que vous- vous imaginez , pour n'etre plus empe- chez d'aiiouvir leur cruaute du fang de nos troupeaux : vous ne feriez pas moins edifie de Paufteritc de leur vie folitaire, . queles habicans d'Eutopielefont de la votre. CebonFrere meparut charmcj. demon entretien^ il nVembraflli cordia- Icment ; me die qu'il ne parleroit d'au- trechoie dans lafuite a tousceux de fa Maifon , & me remercia mille fois : je le remerciay aufli de la bonte qu'il avoir eu^ de me dire beaucoup de chofes que j'ignorois. Je fus enfuite faluer M. I'Ab- Vij 2^6 Relation be , 5c je pris conge de lay avec les inc- niesremercimens. Je fortisdu Monafte- re plein de rEfpric de Dieu , qui s'etoic communique a moy , ou par Texemple de cQs bons Religieux ^ ou par leufs prieres , aufquelles je nVetois recom- niande. Six mois apres je vifitay le Mo- jiaftere de TOrdje de laint Bernard a i'autre extremice de Plilei mais comme c'eft a peu pres le meme efprit ^ la me- Bie Regie que ces Religieux oblervenr , il feroit inutile derepeter icy les vercus qu'ils y pratiquent j il fuffit de dire, que fijefus touche julqu'au fond de Tame au fortir d'un de ces Monafteres , je ne le fus pas moins au fortir de Tautre. 'U^ « ll. . ■■■■■■, ■ . . — U J !■■ I ■■ nil. 1 ^ CHAPITRE XVI. Oil on voit comme I' Auteur de cette Rela^ tion efl revenu en Europe. Ne efpece de miracle m'a fait a- border aux cotes de cette Ifle. U0 efFet de la Providence m'en a fait fortir &retourner en ma Patrie. La benedi- dion du Ciel qui favorife ordinaire- de lEUiopie. 2^/" ment les botis, avoir tellement miilti- plie les Habitans de cette Ifle, qu'elle parat d'une trop petite etendue pour contenir un fi grand peuple. Les Eve- ques&lesSenareurss'aflemblerentpku fieursfois pour prendre les moyens les plus jufles pour dccharger TEutopie du grand nombre de fes habitans •, afin que lorfqu'ils feroient ctablis ailleurs , on putentretenirun commerce avec eux. Apres plufieurs delleins, on n'en trouva point de meilleurs que de conftruire quelques vailleaux pour tranfporter dans les autres Ifles voifincs une efpece de colonic. On voyoit dans quelques vieilles cartes que nos premiers Miilion- naires avoient apportees, qu'il devoit y avoir quelques Ifles voifines encore inconnucs. Les vailleaux etant ache- vez , pres de deux mille jeunes ma- riez avec leurs families, diipofez 6c rout prefts dialler etabiir leur fortune ail- leurs, fetrouverentau lieu ou lesFon- dateursdel'lfle avoient ete jettez par latcmpefte. Quoyque cet endroit eut etc auparavant difficile a aborder^il dc-^ 2^S Relation vint un port aflez commode par les tra^ vaux qu'on fit pour cette navigation. On ne fc^auroit dire les larmes qu'on re- pandit a ce trifle departs on n'entendoic queplaintesScgemillemenspar tout le rivage:onne voyoit qu'embraflfemens des peres & des enfans qui etoient fur le point de fe fcparer : mais enfin apres avoir pafTe quelquesjourafe dire adieu, le vQnt etant favorable , on fe mit eii mer , 6^ moy avec cette colonic. J*avois eu bien de la peine aobtenirdeMon- fieurPEvequelapermiffionde me reti- rer : mais I'amour de la Patrie furmon- ta tous les obftacles ; 6c quoyqu*il eut pour moy unetendrefle depere, il me permit de m'embarquer avec les autres. Il nous donna fi benediction, &: nous fit fournir routes fortes de vivres pour la navigation,& une fomme aflez conllde- rableenefpecesd'or 6c d'argent ayant cours en Eutopic, mais tout-a-fait in^^ connues dans les autres Pa'is. Quand je devrois interrompre le recit de notre navigation pour un moment, il faut que je dife de quelle maniere les pieces de. de I' Eutopic. 5/^ monoie etoient faites j comme cela eft aflez pardcLilier , on ne fera point fache de le fcavoir ; on lit d'un cote des pieces ces paroles :Unicuiqtie mandavit de pro- ximo fuo. Et de Pautre, on ne voit qu'une croix avec ces motsiSaiutis anchora j de forte qu'on peut voir que tout infpire la piete dans cette Ille jufqu'aux pieces de monoie ^ qui nous commandent par un langage muet dene nous point trop at- tacherarargent,mais d*en affifter les pauvresdansieurneceflite, & de nous attacher a la croix de jefus-Chrift com- me a Pancre de nctre falut. Mais reve- nons a notre depart d'Eutopie : Le cems etoit fort ferein quand nous en parti- nies ^ cependant apres avoir fendu les flotsfixou fept heures aflez heureuie- ment , un vent furieux s'eleva 6^ fepara nosvaiflfeaux ^celuy dans lequel j*etois arriva un peu delabre au Port Royal de la nouvclle France. Les plus confidera- bles du vaifTeau furcnt faluer le Gouver- neur du lieu-i'etois avec euxril nous re- ciit fort bien ; & aprcs luy avoir dit qui rousetions,&le fujet pourquoy nous ^2^0 R elation de t En topic. venions , il dilperia ceux du vaifleait dans difFerentes habitations de la nou- velle France , ou ils fe font tous fort bienetabli^rComme je reftay pres de fix nioisaveceux , j'appris de quelques Matelots que les aiitres vaiileaux e- toient abordez a d'autres cotes , ou ils n'etoient pas moins bien que nous. Quand je partis de ces cotes, le bruit couroitqu'onalloitentretenir commer- ce avec les habitans d'Europie ? &, je croy meme qu'il eft etably prefente- ment i car le Gouverneur en avoir trop d'envie. Ayant trouve enfin la commo- dite d'un vaiileau quipartoit pour Mar- ieille , apres avoir embralse mes amis , & leur avoir dit adieu, jem'embarquay^ & fans avoir fouffert aucune difgrace fur mer , ou du moins fort legere , je re- las ma Patne 6^ mes Amis. F I N. LES AVANTURES D E JACQUES SADEUR DANS LA DECOUVER.TE ET LE VOIAGE D E LA TERRE AUSTRALE. CONTENANT Zes Coutttmes (^les Mceurs des Aujltx^ liens yUur Religion ^leurs Exercices^ leurs Etudes , let^rsGuerres -/les Ani^ maux paniculters a ce Pais, & toutes les'Rarete^curieufes qui s'y irouvent. A PARIS, Chez Claude Ba r b i n , au Palais , Cut le fecond Perron de laSainte Chapelle, M. D C7 X C 1 1. ^vcc Privilege dpi 7\^y^ A PARIS, RUE S. JACQUES, :liez JEA^^ GUIGNARD, dcvam la Rue du Platre , a Plmage S. Jeau. PREFACE, Uoi-QiiEles avan- tnvQ^ furprenantes d€Sadeur,&]ade- couverte du Pais dont on va lire les particularitez foient quelque chofe^de fort extraordinaire ; le Le- (Sleur n'aura pas beau coup de peine a y ajouter foi, quand il Ijaura que depuis deux cens ans onparle d'u^ ne Terre Auftrale incon- a 11 PREFACE. nue. II aura feulement lieu de s'etonner qu'on ait ete fi long-tcms fans la decou- vrir,le Monde etant plein de Pilotes fi habilcs, & de Voiagcurs fi curieux , & il jugera avec aflez de fonde- ment que ceux qui ont en- trepm de faire cette decou- verte ont peri dans le voia- ge , ou ont ete tuez par les Habitans de cePai*s,apres y avoir penetre , comme Tauroit ere Sadeur lui-me- me, fans les prodiges de bravoure &c de courage qu il fir paroitre aux yeux des Auftraliens , en com- PREFACE. battant centre des Ani- maux d'une grandeur 8c d'une force monftrueufe, ce qui charma tcllemenc ces Peuples naturellement fort braves, quils lui ac corderent Ic privilege de demeurer avcc eux ^ contre les Loix les plus folcmnel- lesde leurPais. La NaiflTance de Sadeur, fon education , (cs maL heurs,&: fes naufragespa- foitront a tout le monde^ commelcs ejfFetsd'une de- ftineequi fembloit ne la- voir fait naitre que pour le conduire dans cetre Terrc a iij PREFACE. inconnue, dont nous n*a- vons ed aucune Relation veritable avanc lui- II eft vrai que Magellan s'eft attribue Thonneur d*a- voir decouvert cc Pais Tan 15ZO. fous le nom de Terra del fkego ^ Terre de feu ^ Mais les Holiandois nous ont montre tres-claire- ment qu il n avoit vu que certaines Ifles qui depen- dent plutot de r Amerique, que de la Terre Auftralc. , Marc Paul Venitien a joiii audi affez long-tems de la gloire de cetre de~ couvcjrte, lorfquaiant ete PREFACE. jettepar la Tempetc beau- coup au dela de Tlfle de la^a , furnommee la Gran-^ de; il decouvrit le Rouu- me de Malemr, laprovin^ ce de Bceach , I'ilk de Petan^ &:un autre ifle^ qu il nom- ma Petite la^a ; mais les Hollandois qui font eta- blis en la Grande la^ay & qui en font tout le Com-- merce^afTurent par toutes leurs Relations , que tous les Pais que ce Piloteavus, ne font autre chofe qu*un amas de plufieurs Illes ^ qui netiennent paraucun en- droit au Continent de la a iiij PRE FACE. TerreAuftrale^Sc cela eft d'autant plus vrai-fembla- ble que Fernandes Gale go aiant parcouru toute cetce vafte Mer , depuis le De^ troit de Magellan jufques aux Moluques , rapporce qu il eft rempli d*une fi prodigieufe quantite d'If« les, qu'il y en a compte plusdemille. II eft encore vrai qu*cn comparant la Defcription que nous a fait de laTerre Auftrale Fernandes de ^tr , Portugais^avec celle qu'on va lire, on eft oblige d*a- yoiier qu il faut qu il en ait PREFACE. decouvert quclquc chofes Car nous lifons en fa hiii- tieme Requefte au Roi d'Efpagne, que dans les decouvcrtes qu'il fit Tan i6io. de la Terre Auftralc, il trouva un Pais bcaucoup plus fertile & plus pcuple que tous ceux de TEurope; quelcsHabitans y etoieni: plus gros & plus grands que les Europeens •, qu*ils vivoient bien plus long- temps qu eux : Et Loiiis Pa^s de Torres , qui etoit Amiral de la Flote de Fer- nandeSjConfirma auCon^ feil d'Efpagnc la verite de "PREFACE. la Relation de Quir,ajou- tant que lair etoit fi lain en ce Pais 3 & fi conforme au temperament de Thomme, qu'on y dormoit egale- mtnt au Solei! & a la Lune, fur la Terre ^ non-{euIe- ment fans aucune incom- modire^ mais encore avec plaifif J que les fruits y e- toient fi excellens quon. n y recherchoit point d au- tre nourriture, qu'on y bu- voit d une liqueur plus a- greable que le vin; qu on n y connoiffoit point 1 ufa^ ge des habits, & que les Sciences naturelles y e- PREFACE. toient fore cultivecs. Mais avec tout cela^ il faut de^ meurer d'accord qu'ils n'a- voient qu une connoiflan- ce fort (uperficielle de cc pais • &C que cc qu ils en ont dit ne pouvoit fervir qu a exciter la curiofite qu'on avoit deja de le connoitrc, bien loin dc pouvoir la fa-^ lisfairc. C'eH done a Sadeur,dont on va lire la Relation , a qui on aura toute Tobligation de la decouverte de cette Terre. Et jc ne doute point que bien des Gens ne foient furpris de ce que le T KEF ACE. - Horn d'un Homme a qui onefl:firedevsble,eftde- meure juiqu'a prefent in- connu , aufli-bien que le de'tail de ies de'couvertes • Mais cette furprife ccfTera fans doute lors qu on /jau- ra que les Memoires fur lefquels cette Relation a e'te compoiec, one tou- jours e'te enfermez dans le Cbinet dun Grand Mini- itre , d'ou on ne les a pu avoir qu'apres fa more. Sk. TABLE DES CHAPITRES. CHAPITRE I. De Itt naiffince de Sadeurl g^ defon education. Pag. i. CHAPITRE II. Vti Voidze de Sadtur au Roiitume de Congo. 2^ CHAPITRE IIL D€s accidens qui condmfireni; Sadeur en U Terre Au^ ftrde. 55 CHAPITRE IV. T>0/crtptton de U Terre Au^ ftrde. Carte Geographique de hdite Terre. 8i CHAPITRE V. T)e h conHitutton des ^u^ ftrdiens , ^ de lews Con- tumes. II} CHAPITRE VL I)e Id Keligion des Aufira^ Ums^ 159 »ta-f< CHAPITRE VU Dujentitnentdes AuBraliens touchdnt cette vie. 175 CHAPITRE VIII. ^ T>es Exercices des Auflra^ liens. ioj IP—— I I I I I 'm il« l i 1 ' ■ I 1 CHAPITRE IX. ^ De U Langue Auflrdienne^ & des Etudes des Aufira^ liens. ti6 CHAPITRE X. Ves Animcmx de U Terre %Auftrale» 251 CHAPITRE XI pe qui/e trou^ent dans U Terre Auftrde. 144 CHAPITRE XH. Des Guerres ordindres des Auflrdiens. ^$% CHAPITRE XIII. Du retour de Sadeur ;u/Z ques 4 I'ljle de ^ada^ ga/car. 2.99 CHAPITRE XIV. Dufejour de Sadeur en Cljle de Maddgdfm^ 3 ^o VOIAGE VOIAG E LA TERRE AUSTRALR CHAPITRE PREMIER. De Id ndijfmce de Sudeur ff^ de /on education. 'rTnT(TiV Ta TaVj ^^ lOMME il mVft im. C || poflible de fairc reflc^ lil^^i xion fur coutes Ics avan- mrcs de ma vie^ dins admirer A t. VoUge ta variete prodigieufe des eve- nemens dont elle a ete remplie, j'ai cru que j'en devois faire un recueil & en marquer toutes les p articular itez les plus coii- fiderables ^ car encore que je n'aye aucun nioien de les en- voier en mon pais , &: que je ne voie aucune apparence d'y retourner , je crois neanmoins ne pouvoir niieux faire que de lesreduire par ecrit^ afin de les repafler plus fouvent par ma niemoire pour ma fatisfadion particuliere. J'ai recju un memoire d'un Pcre Jeliute de Lifbonne en Portugal, lors que j'etois a ViL lafranca, qui contient manaiC lance 6c les avantures de mes premieres amices conime je yais les decrire. -de h Tent Auftrde. 5 Moil pere s*appelloit Jacques Sadeiir 6c ma mere Guillemct- te Itin 5 Tun &: Tautre etoicnc de Cbatillon fur Bar du rellorc de Rethel en Champagne Pro- vince de France. Mon pere f^avoic plufieurs fecrecs dans les Mathematiques , dclqucls il eftoit plus redevable a la bontc de Ion genie , qu*aux pre^ ceptes d'aucun maitre. Il ex^ celloit paraculierement aux in« ventions pour feciliter le tranC port des gros fardeaux. Mon- fieur de Vaure qui avoir alors Quelque intendance fur la Mari- ne, Taiant connu, Pattira a Bor, mouronsdonc torn trois enfemhU. Ce font Ics dcrnicres paroles qu'il pronon^a , apres quoi il ferma les yeux 8c niourut. On die quM s'etoit fignale en plu- fieurs occafions dans ce voiaee, mais il attira i'admirarion de tout le monde dans cette ex- trcmite,. Tous ceux qui le vi- rent expirer ne pouvoicnt me reo;arder fans etre touche de compaffion : Pauvre rejetton j, AibiQWt-Ws^quepeux tu devenir^ feux tu avoir quelque bonheur en ce monde , hant la caup fie - nej}e de la niort de ceux qui t'ont donne la vic> Qaelqucs-uns croioient que je ne pourrais pas luy {iirvivre de beaucoup apres les violeiis efforts qua javois efluie dans un n^ufra- ge prefque CGtifomme : Mais helas, je ne faifois encore que commencer une tragedie qui dure deja depuiscinquante-cinq ans avec tant & de fi etranges eataftrophes qu'on ne pour- roit jamais fe les figurer dans toute leur etendue , quand je les pourrois moi - meme routes raconten La chaleur du feu me donna aflez de force pour me plaindre & pleurer d*un ton qui fit connoitre que j*e- tx)is llors de danger, Un habitant du Pais f^avoic fiiffiiamment du Franc^ois pour entendre ce qui fe paiToit 5 §c le fbuvcnir qu'il avoit d'un fils^ unique qui lui etoit mort de- puis peu a qui je rcflemblois ,, k porta a me demander : on de h T^rre AufiraU. Ii reprefenta a Monfieur de Sarre que cette occafion etoit tres-- favorable pour moi ^ & qu'il ne la pouvoit reflifcr fans s'em . baraffer & me mcttre en un danger evident. II m'accorda done plutot par la neceffite qui le contraignoit que par au- cune autre confideration. Get homme me pnt d'abord en la place de Ton fils , be la femmc aiant oiii le recit de ce qui s'etoit paire,,m'embrafla 6c me re^iit avee beaucoup de caref- fcs. Monfieur de Sarre & quel- ques uns dQs plus qualifiez du vaifTeau connoiflans qu'ils e- toient proche de Saint Jac» qucs , prirent la rcfolution d'aller vifiter TEglife qui eft Gonfacree a Dieu fous le nom de cc Saint J £c ils trouverenc is Vohge par bonheur des Marclian(!^ de connoiflance qui les equL f)erent & qui .leur donnerent e moyen de retourner hon- necemem a Oleron. Monfieur dc Sarrene tarda gueres apres fbn arrivee a faire le detail de fcs avantures , 6c a decrire le naufra2:e dontil avoit echa- pe • niais fa fcmme &t quel- que-tems fansy faire reflexion, parce que la joie de rcvoir fbn mari delivre des dan2:ers d*un fi lono; 6c d'un fi facheux voiage, rbGCupoictoute entiere dans ces premiers momens de Ibn retour. Quelque-tems a- pres J elle pria fon mari de lui repeter iliiftoire de fbn Haufrage , &: elle ne pouvoir eefier d'admirer Tamour con- jj-igal £c paternel de mes pa- de U Tern AuHvde. i| rCns qui les avoit reduits a une more volontaire. Au lieu de concevoir dePindignacion pour moi , elle me prit en telle af- feclion , fur tout apres avoir appris que fon mari etoit moii parrain, qu'elle le prefloit con- tinuellement de trouver le moicn de me ravoir. II s'em- barqua done vingt-deux mois apres Ion retour, hL il vint en quinze jours a Camarinas, ou U me trouya ea tres- bonne difpofition , age environ de trente mois, cheri e^alemcnt du pere & de la mere que je croiois raes parens. Sitot qu'il leur eut declare les railbns de fa venue, &: le deflein qu'il a- yoit de leur paier m^ penfioa a proportion du tems qa*il$ iif ayoi^c garde j ces bouacs 41 Voioig^ gens s*ojEFenferenc fort & fe determinerent a ne ie pas dc- faifir de moi. Monfieur de Sarre alleguoit ion droit de pa- rain , &: PEfpagnol infiftoit lur la donacion & fiir Ja poiTeC fion. La caufe fut agitee de- vant les Juges de Camarinas : qui Taiant decidee en faveur de mes nourriciers, Monfieur de Sarre le refolut de peur d*a- yoir fait un voiage a fa confu- fion 5 de nf enlever & de fu'ir a la faveur du vent qui etoit a- lors favorable : il entra bruC quement avec un valet dans la maifon oil j'etois 3 be ne vbiant qu\uie fervante qui me tenoit,il m'arrachade les bras ^ &c g^-gna la barque qui ^toit 'difpolee a faire voile. La crainte que j*eus 8c ies deUterre Auflrde. if cris que je poufTai , me firenc tomber claiis une efpece de pa- moifon , dont je ne fus pas plutot revenu , qu'on me trou- va dans une fort g-rofle fievre, Mon nourricier averti & jufte- ment irrite de cet attentat , courutavec quelques uns defes gens au port , oil voiant que nous etions hors d'attaque , ils firent une decharge qui don^ na occaflon a un vaiffeau Por^ tugais qui alloit au Sud , de de- charcrer une volee de canon avec tant de malheur pour iious , qu*un boulet fraca{Ia la planche de fleur d'eau de no- ire vaiffcau, 8c le coula a fonds,, non fans quelque regret de .caufer la mort a des perfonnes qu'ils ne connoiflbient pas„ Ceux de la rade voians ccc ac^ v6 V'iage cident prircnt ia fiiite , & les Portugais envoirrent deux cha- loupes pour dcher de fauver ceux qui pcnflbienc 3 mais quclque diligence qu'ils pu- rent faire , ils ne fauverent qu*ua valet qui I'^avoit mieux nager que le^ ancres • or com- me je flocois far les eaux a la faveur de Ja paille du ber- ceau oil j'etois , il arriva auffi que je fus recueilli. Je fremis aecrire ce qu'on ne fc^auroic lire fans me confiderer com- me une elpece de vipere qui femblois ne vivre que pour caufer la mort a ceux qui tra- vailloient davanta2;e a me con- ferver la vie 3 les Portugais craio-iians un jutle rcproche de Icur crime , le mirent prom- Cement en plcine mer : 6c trouvanc dehTerreAtifirale. 17 trouvaiit que j'avois encore de Ja vie, lis eirrent pitie de nioi, & me confierent anx foms d'lu xie matrone Portiignife qui fe trouva dans ce vaffleau. ElJe temoigna beaucoup de defir de me fervir, jurqu'dcequ^elle cut, reconnu que j'erois des deux fexes, je veux dire her. maphrodice : car depuis cette connoiiTance , cetce femme con^iit rant d'averfion pour moi, qua peine pouvoic-eJIe me regarder : & comme ma tievre s^augmentoir-, ma mort etoit inevitable fans les foins particuliers du valet de Moiu fieur de Sarre -en pourroit Eroire que Dieu ne Pavoit ^onlerve que pour me foula- p fi j'avois ece en quelque :^5on utile a fon fervice. Etant B if Vokge arrive a Leiria if me conduL fbit de porte en porte , &: me recommandoit avec autant de tendrejGTe que fi j'eufle ete ion enfant Les Portugais bien- aifes de s^etre dechar^ez de nous pour plulieurs railbns ^^ partirent a Tinf^u de cet hom- me y qui etant ayerti qu'il trouveroit plus d'afliftance au^ grand Hopital de Lifbonne que dans Leiria , fe refolut de m'y porter.. II fut re(^u avec d'autant plus d'humanite, qu*oir^ le reconnut Francjois 3 mais a: peine fuc-il arrive, qu'il fe lentit iaifi d'ime fievre mor- telle qui Temporta au feptie-. me jour , qu'il mourut entre les bras d\m Jefiiite auquel il communiqua toutes les partis culaxitez que je viens de rag=- de h Terre Aufinle. \<^ porter , & que j'ai apprifes par le moyen d'un memoirc que ce meme Jefiiite me don- na quinze ans apres , comme j^ai dit ci-defTus. Lc pauvre mourant au lieu de regretter foil malheur,&: de me detet ter moi qui en etois la caufe , ne ceflbit de me recomman- der a ceux qui rafliftoient a- vec plus d'empreflement que fi je lui eufle appartenu, J'ai f^u que les Peres Jefuites a^ vertis de rous les maux dont j-avois etc la caufe jufques la 5. iirent une deliberation fort {e- rieufe liif ce qtte ]e devois etre,. &: que le refiiltat fut ^. qull faloit avoir un foin particu- lier de connoitre mes incli- nations , afin de regler (ur cda mou fexe,. A peine eus-je Bij 10 VoUge atteint Page de cinq ans , qu'ils en connurent alTez pour juo-er que je devois ecre eleve par- mi les liommes. lis virent que j'avois dii penchant a la devou tion , & jugerent que fi mon cfprit etoit cultive , il ne pro- niettoit rien de mediocre. lis me prefenterent a la Comtefle de Villafranca en ma huitieme annee, apres avoir fait le reck de mes trifles avantures. Cette Dame qu*on pouvoit avec juC ticQ, comparer aux plus illuC- tres de routes celles qui Tone precedee , me recent avec tant de tendrefle , qu'elle voulut qu*on me traitat , 6c qu'on m'enfeignat comme le Comte fon fils age lors de neuf ans». Bien que je portafle les cou. leurs , je n'avois autre- obliga^ de h T^ne Aujlrde. ir lion que celle de luy tenir compagnie en ^^^^ Etudes : ^ j'appris avee lui les langues La- tine, Grecque , Franc^oiie, Ita- licnne &: les principcs de TA- friquaine , la Geometrie , la Geographie, la Philofopliie & THiftoire d'Efpagite, avec la Ghronologie. La. Comtefle qui me temoignoit les nieaies a£. feclions que fi j'avois ete de i(^s proches, apprenant que je fervois beaucoup au progrez du Comte, voulut qucje quiu tafle les couleurs entrant en Philofophie : & I'aiant achevee, on trouva bon de difpoferle Gomte a de^ Thefes publiques dans rUniverfite de Gonim- bre , ou je fus oblige de ha- ranguer ic de faire Touverture de la dilputc. Plus de quixizc a Vokge jours avant notre depart, j'eus refprit tellement agite que je defleichois vifiblement ^ tan- tot le fang me glacoit, comme fi j'eulle etc a la veille de fbufFrir Ic dernier fiipplice ^ tc le coeur me palpitoit , com- me ii j'eufTe ere fiir le point d'etre precipite 5. tantot Yon me voioit palir , 6c incon- tinent apres rougir. Ce qui m'etoit le plus facheux dans cette fiiite d'accidens , c*eft'" que toutle monde croioit qu'ils ri'etoient caufez que par la^ crainte que j'avois de parokre- en public. Je ne dis rien des fonges,,des fpedres &c de mille chofes femblables qui me me- Bai^oient fans ceffe d'une ex=- treme dclblation. Sitot que j^eus appns que le Comte etoiC:: ie U Terre Aufirde. 25-. refolu d'aller par mer^toutce^ qu'on m'avoit dit dcs malheurs qui etoient arrivcz (ur Teau a ma confidcration ^ me frappa reipric d'nne m.aniere fi vive ^ que je croiois qu'il n'y avoic aucun milieu entre m'embar- quer & perir; Je fis done en forte qu'on m'accordat que je ferois le voiage par terre avec une partie de fon train 3 mais que les precautions fervent de peu pour combattre notre defunee » ce queje cherchois avec plus d'emprefTementpour €viter le mal dont j'etois me-^ nace, fut juftement ce qui me ie r en dit inevitable. Je faifbis tant d'adieux quelques jours avant mon depart, qu'on m'eC timoit ridicule : 6c la Comteffe me vciant plcurcr a ks gieds ^, S^ VoUgd me traita de foible & d'efFe^- mine. Le Comte avec quij'e- tois familier comme avec uii frere , me dit un jour xSadeur^ nous voulti^vous quitterl vouf neies plus voiis -mcme ^ quejl* €6 qui vous tourmente > je crojs' qut votes roulez^quelque dejfein fanitulier dans voire efprit y ia crainte de paroitre en public tiefl pas capable de vous ayter ^une telle force que votis en per^ diez^ le fens commun, Monfieur^ Itii dis-]e : Si Dieu me fait la' ^race de retourner , faurai fujet a av oiler la foihlejje de mon ef-* frit 5 mats accorde^moi la fa» veur de fufpendre votrejuq^ement jufqu*au retour, Gette reponfe donna tant de fiirprife an jeit. ne Seigneur, qu'il protefta ou <|u'ilneme quitteroit pointy ,oa de UTerreAufirde. tj que jc lie ferois pas le voiagc. Pourie T;£?/<«rgtf^repondiswje, corn- me il s'agit de voire honneur , je ie ferai on je mourai en c hem mi four votM accompagner fur i'cau^ S*il netoit qneftion que de ma vie je I ahatidonnerois avcc plaijir , mats defouffrir que la v&tre foit 0xposee , je ferois homme a mepor^ ier a quelque extremite violent e fluibt que de vous oheir : ce dil^ cours joint a I'affcdioa qu'il a^ voir pour moi^fit qu'il ne die plus rien , 6c nous partimes le jourfuiyant. II fautfe fbuvenir que Pliilippes 1 1. Roi de Ca- ftille aiant pris pofTcffion du Roiaunie de Portuo-al Tan mil cinq ccns quaere - vingts - un , eleva pluficurs Families pour foiitenir ccrte illuftre Conque- i;q avec plus de facilite •, rune C 26 Voiage de ccllesqu'il rendit pluspuiC» fante fut la Seigneurie de Vilk-r. Franca , non fans la jaloufie de plufieurs qui s'cftimoient au- tant &c plus qu elle. Comme il ell plus facile de conquerir des Terres que des Coeurs, plu^ jieurs Portugais demeurerent fi atcachez a la famillc de Bragan-, ce qu'ils ne cherchoient que le nioien de fecoiier le joug des Caftillans,8c de couronner le Due de cette Maifon : bienque lePais flit enrierement foumis a I'obeifrance des Rois d'Efpa* gne , les Revokes fecretces des Particuliers eftoienc fort fre- quences , & la Mer n'eftoit pas fans Ecumeurs qui faifoient voir en routes les rencontres qu'ils avoient de Taverfion pour la domination Efpagnole, Sc qu*ils de h Terre Auflrale, 1 7 He pouvoicnt fupporter Ics Creatures du Roy d'Efpagne. On f(^eut rembarquement du Cotiire qui fuc J.e quinzicme May de Tannee mil fix ecus vingt-ti'ois , be deux Vaiflcaux Parrifaiis de Bragance fc refb^ lurenr de Tenlever : ils attaque-- rent a cet efFet deux Voiles qui Tefcortoient vers les Cotes de Ternais, mais elles foutin-; rent leur choc avec tant de vi- gueur , que Pattaque ne fut qu'a leur coiifufion , & a la gloire da Comte^jefuivois de loin avec le train qui alioit par terre , 8c je n'apper(^eus aucune clioie d(? ce qui s'etoit pafle jufques a ce que les Enncmis nous diftin-- guants par les couleurs ecla- taiit^^s du Conite mircnt a terre one trentaine de Moufquecai- it Vokge res qui firent leur decharg^ d'une embufcade , 6c tuerent un page, deux Valets, &: le che- valfur lequcl j'etois monte, Le refte etant incapable de (q defendre , prit la fuice au grand galop , 6c je me trouvay ftul abandonne a la difcretioii riifois je m*y attachai plutot par iin efForc &: un inftind naturel que par aucun eiFet de raifon- nement & de conduite ^ je ne puis dire le temps queje reflai de la forte y parce que j'etois trouble, & lans aucun juge- nient, je dirai feulement que je fus apper^u a la faveur de la Lune,d\m Vaifleau qui voguoir yers le Sud , 8c qui dec;:clia uae Chaloupe pour reconnoitre cc que je pouvois errc : Quand on eut vu que j*etois un homme qui periflbit , on me tira , & on me porta au VaifTeau , a peine fus-je rentre en moi-ineme^ qu'on me prit pour un Portu- gai^jScomie tarda pas acoix-. ie h Terre Auftrale 51 Tioitre qu*on ni'avoit veu d Lifbonne , & que j'ctois au ler- vice de la Maifon de Villa- Francaj Ic Capirame du VaiC {eau ordonna qu'on cut un foin particulicr de ma pcribnne, . parce qu'il avoir beaucoup d'o- bligation a cette illuftre Mai- fon 3 je ne fus pas long-temps fans recouvrer une pleine fan- te, 6c aufli-toft jc conjurai !a Compagnie de fe decharger de moi a quelque prix que ce fur- jc fis le recit de routes les diC graces qui m'etoicnt arrivecs iiir les caux , 6c je n'obmis rieii de ce qui pouvoit faire com- prcndre que cec Element m'e- toit extremement fatal j mais plus je trouvois de railbns pour les y obliger , plus je me ren- dois ridicule aupres d'euxj je C iiij ji Voiagi crus done que je ne devois paS infifter davantage , & qu'il va- loic mieux que je m'abandon- nafTe au cours de ma deftinee. Le Capicaine me dit que le reC ped & la recomioiflance qu*il avoit pour la Maifon ou ii m'a- voit toiijours vu,robligeoient a me garder jufques a ce qu*il put me rcndre a la ComtefTe , a- joutaat qu*il eftimoit cetce ren- contre plus heureufe que ton* tes !es autres fortunes qu'il pou-^ voir faire dans fbn voia2:e. J*apris a meme-temps que les Vaifleaux liir lefquels nous e- tions, appartenoient a des Mar- cliands Pormgais qui alloient aux Indes Orientaies. II arfiva que peu de temps apres le pre- mier Secretaire du Vaifleau Eomba fort malade ^ c*eft pour^* de hTerre Aufirale. i^ quoi on me pria d'exercer la Charge. Levent nous futJi favorable, que chacun difbic hautement que c'etoit moi qui portois bon- heur au Vaifleau. Nous arri- vames pleins de vie & de iante a !a Ligne le quinzieme Juiller, &: le premier Sepcembre au Roiaume de Congo , ou nous mouiUames Tancre le fix a Ma- nin2;a. Nous n*avions aucun autre malade que notre Secre- taire dont I'indifpofition s^aug- mentant de jour en jour , le Me- decin jugea qull fatloir lui don-, ner quelque repos {iir terre. Tons Ics Capitaines &: les Pi!o- tes jugerent a meme-remps qu*il ne falloit pas s'expofer adou- bler le Cap de Bonne-Efpcran- ce pendant les approches dc j4 VoUge llEquinoxe: Ce qui fit quVf! refolut de demeurer en ce Porr jufques au mois deDecembre^ tantpour retablir notre mala- de,que pour eviterle danger. Nous rencontrames trois Por^ tugais a Maninga qui enten- doienc la Langue da Pais ,. & qui nous racontoient tant de raretez de ce Roiaume , que nous ne pouvions aflez les ad^ mircr: c'etoit^a les entendre ^ nn vrai Paradis Terreftre , rem-- pli de tout ce que Thomme f(^auroit jamais defirer pour la £inte ,, pour les commoditez ^ &. pour les plaifirs de la vie, fens aucune neceffite de culti- ver la terre 5 en quoy elle eft bien difFerente de la notre , qui eftfouvent ingrate^apresmille travauxj, £c toujours expolee de hterre Auflrde. ^| Snx rigueurs des mauvaifes fai^ fbns» Uinclinarioii naturelle que j*ai toujoLirs eue de connoitre les merveilles dc la nature , fai^ ibit que je recevois un plaifir tres^fenuble a les ecouter, 8c 3ue je nf ecartois quelquefois e nos Mcirchands pour aller reconnoitre dans lePaisIave- rite des chofes qu*on nous en contoit. Voici un abrege de ce quej'y remarquai. Ce P.U3 n'cft pas habite a moitie pres comnic le Portu- gal , ti je ne f^ai fi cela ne vient point du peu d'inclinacion , be de la difEcuke qu^on y a d*en- gendrer. Les hommes y font entierement nuds , {{ ce n'eft depuis quelques annees qu'il &*en trouve quelques .uns qui |5 VoUge commencent ^ a Pimitation dfes Europeens , a couvrir ce qu'ori appelle honteux. II eft con- ftant que rabondance de leur contree les reiid ne^ligeiis , pa- reiTeux^^fimples&uupides: a- pres les avoir quelque temps confiderez,je fus force de re- connoitre 5 que Piiomme natu- rellement devcnoit pareiTeux quatid il ne maiiquoit de rien- que Toifivete le rendoit fern- blable aux betes, qu'il falfoit neceflairement qu il fuft exer- ce , qu'il prccendit 6c qu'il aipi- rat a quelque chofe , 6c qu'aufl iit-tot qu*^!! ne demandoit plus rien , il devcnoit comme iiifen- fible ^ fins adion : la terre de ces quartiers , for |:out entrc les rivieres du Zair 6c de Cari- 2a produit des fruits en abon« de h Terre Auflrak. 57 dance ^ fans qu'on fe metre en peine de la labourer, Sc ces Fruits font fi delicats & fi nour- riflans qu'ils raflafient pleine- ment ceux qui en nmangent: Teau meme de certaines fon^ taines a je ne f(jai quoi de de- licieux & de flicculent qui fa- tisfait en la beuvant ^ nous y fiC mes un fejour aflez confidera- ble^mais fans aucune depenfe, rant parce que le Peuple me- prife le gain , que parce que la Campagne nous fourniflbit en abondance tout ce que nous fouhaittions ^ les maifons -font fi peu neceflaires en ce Pais qu*on n'y entre prefque point, & comme les nuits ont route la douceur qu'on pent defirer , on fe porte mieux de coucher de^ Iiors , que d'etre renfcrirx : on 3S Voiage ne f^ait pas meme fe fervir ic lie 5 & a la referve de quelques inatelats pour Ics moins robu- iles ^ il n*eft perfbnne qui ne dorme fur la platre terre 5 tou< tes ces confiderations me fai- ibient concevoir un Pcuple qui ti^etant point oblige de travail, ler, vit avec quelque juftice dans une oifivete qui le rend pelant, negligeant, endormi^ dedaigneux , fans exercice , 2c fans adion. Notre Capitaine m*accorda, & a trois de notre Compagnie de rnonter par le Zair jufques au Lac du meme nom •, nous eumes route le plaifir dc route la (atisfadion poffible dans ce voia2;e. Voici une partie des remarques les plus confidera* blcs que je fis alors , autant que d^ la Tern Auflrde. 39^ tna memoire pent me les four- nir. Nous arrivamescn vingt- quatrejoursarembouchure du Lac, nous le parcourumes en dix , &: nous nous rcndimes a la Flotce en ving-t. Le Fleuve Za'ir n'eft pas rapide, &: comme nous avions quatre bons Ra- meurs , nous pouvions faire fans peine quinze 6cdix.huit lieues par jour •, il eft conftant cepen- danc que nous n*en fifiiies ja- inais plus de huit en allant, d'ou il eft aife de voir combien fe troiTipent les Geographes qui metcent le Lac Zair a trois cens lieues de la Mer. Cc qui nous pbligeoit a de fi pctites jour- nees etoic la quantite des curio- fitez qui fe prefentoient {ans ceffe a nos yeux,en fruits, fleurs 5 poiffons 5c animaux pri-t 4^ Votage vcz-nousne pouvions prefqui remarquer un endroit dans de vaftes prairies de fbixante 6c de quatre-vingts lieues de lon- gueur , qui ne fut enrichi d'une tapiflerie merveilleufe de fleurs qui pafTeroient pour rares daiis \qs plus beaux parterres de TEu- rope : je ne pouvois voir fou- ler aux pieds tant de miracles de la nature fans indignation j mais la grande quantite etoit caufe qu*on n'en faifoit pas plus d*eftime que de nos margueri- tes champecres : a peine y a-t-il un arbre qui ne porte quelques fruits precieux , & incompa- rablement meilleurs que tous ceux que nous connoiffions , & la nature les a tellement accom- modez a laportee des Hcibitans, ^u'gn les pent cueiUirfans in- commadite de h Terre Juftmle. 41 Commodite &: fans danger ^ nous ne vivions d'aucunc autre nour- riture que de cellc-la , 2c nous ne defirlons rien davantage : notre maitre Pilote Scbaftiano Deles, Iiomme d*une grande experience, voianc que nous nous etonnions de ce que on alloit jufques aux Indes pour en tranfporter dcs delicatefles ^ Aqs curiofitez qui n'appro- choient pas de celles que nous experimentions en ce Pais, nous die qu'il etoit de ces fruits com- me des viandes bien cuittes^ bien aflaiibnnees , qui ne peu^ vent fe coiiferver quatrc jours avec leur gout ordinaire 3 cela nVobligea d'cn faire I'cxperien- ce,& je vis qu'cn cffcton ne les pouvoit garder lone;"t:emps ians corruption : il eft vrai qu'cn' D 42. Voiage les mangeanton connoit qu'ils font parfaitemeiic ciiits , nour^ riilans , &: conformes a refto- mach • bien eloignez en cela^ des notres qui nuifcnt toujours pliTs qu'ils ne proficent , &: qui caufcnt au moiiis autanc d'a- mercume au coeur , que de dou-^ ceur a la bouche. C'eft ce qui fait qu*ils peu- vent fe conierver a caufe de; leur erudite qui combat la cha-^ leur naturelle , au lieu que ceux dc Manicongo etant parfaite. mcnt cuits fe corrompent en peu de temps ^ aufli la nature y a-t-elle pourvu de telle forte qu'il ea meurit tous \qs jours fiiffiiamment, 6c \qs arbres y font toujours chargez de fleurs^. dc boutons,6c de fruits, done Iqs uns font verds, les autrea. deUTiYn Aujlrde. 4j font mcurifTans, &: les aurres propres a manger. Entre la grande qnancite de f)oi{rons que j'ai rcmarque dans eZair,j'en vis dedeux fortes qui me (iirprirentje pourrois nommcr les uns amphibies, puis qu'ils approclicnt en quelque chofe 'dc nos gros chicns bar- bets , dc que fortant aflez facile- rncnt de i'eau ^ ils fautent pre!'- que Gomme les renards • avec ectre difference, que Icurs pa- tes font larges comme les pieds de nos canards , &: celles de dc- vant font deux ou trois fois plus courtcs que celles de derrierer ils out tant d'inclinaticn pour riiornme qu'Us le chcrchcnr, 6c s'offi-Lnt a lui cbmrne aurant de vidimes,il arrive meme queL qucfois qu'ils fautent dans les D ij 44 VoiAge bacteaux , & qu'ils viennent aur pieds des Mattelots pour les ca- refler a la fa^on des cliiensj e'eft ce que je vis de mes yeux, 6^ je voulus mal a un Rameur qui en aflomma un a mes pieds^ les naturels du Pays les appel- hnt Cadzeich , &: ieur chair reiFembie a nos Loutres d^Elpa^" gne. Les aucres poijGTons que j'ad- niirai font volans , & nous pour^ rions les appeller des paons marins ^. mais beaucoup plus beaux ,6c d*une couleur plus e- ckcance que les terreftres ^ c'elt. niremenr qu'ils nagent au fonds cie Teau 5 on les voir prefque toil jours a fleurs^leur plumes. paroilFent veritd)lement com^ me les ecailles de poiiTons^mais ay.ec une direr lite de verd ,.da ie hTerre Aufirde. 45 bleu , de jaune , & de rouge tachete , qui ravit les yeux de ceux qui les confiderent . ceux queje vishorsde I'eau me pa. roifloienc comme de crraiides aigles avec deux ailes , chacune de cinq ou fix pieds • on auroic eru qu'ils aiSedoient de fe faire voir & admirer ,tant6t ilscara^ coUoient a Tentour du batteauj tantot ilsfe repofoient visiUvis de ceux qvii les regardoicnr^fe rournant &retournant de tou- tes les fa(jons , avec des queues qui ebloiiiflbient nos yeux. Les rivages etoient pleins de plu« fieurs fortes d*animaux , mais les plus communs & les plus char- mans refTembloientanos moui tons de Leiria ,, excepte que nous en voyions preique de tou^ tes les couleurs, je veux dire d\in rouge , d'lin verd , dun jaune,ac d'un bleu fi eclatant que notre pourpre & notre foie lamicux preparee n*en appro, die pas 3 je m'informai pour^ quoi on nc failbic aucune em^ plette de tant de fi brillantes j raretez,&: on me die que ces couleursnaturellesie diflipoienc avec la vie de ces animaux. Etant arrivez au Lac nous emploiames dix jours a le par- courir ,6c conndines que fa Ion. gueur etoit environ de foixante iieueSjScla largeurde quaran^. te^nous vimes la ibrtiedu Ni- ger qui eft belle , aflez fpacieu^ fe , & aflez profonde pour por^ ter un Vaijlleau 3 mais elle fe perd bien-tot dans les monta^ gnes de Benin 3 nous nous arre- ^ t&iies iur le Nil 5 qui lie cede de hTerre Auflrde. j^f rienau Niger enfon comment cement : & s'il continue avcc lagravite dont il fort , 6c avan., ce environ trois lieues 3 il n'y a auciine difficulte a defcendre dans la mer Mediterranee , Sc ainfi la communication des deux Mers eft tres-commode par cec endroit. Je nVinformai avec beaucoup de foin ou etoient les Croco- dilles que les Hiftoriens mec tent en grande quantite en ces quartiers 5 mais on ne put pas meme deviner ce que je vou* lois dire , ce qui me fit croire que ce ne font que des conres faits a plaifir : s*il eft vrai de dire qu'il eft permisaceux qui one £iitde loiifTS voiao;es d'enfaire accroireaux autresquine com noiirent que le lieu de Icur naii% 4^ Voiage j&nce • il eft encore plus vrafi d'ajdurer qu'ils jfe prevalent rant de certe licence quails n*af- fedent prefque que des fidions. La raifon eft qu'il arrive fou- vent qu'on fait de tres . grands chemins fans voir autre chofc que quelques Ports , ou on nc repofe qu*un moment, & ou les facheufes incommoditez qu'on y (oufFre donnent tant d*ennuis & de latitude qu'oii ne penfe qu*a prendre quelque fouxagement iCcpendant com. me on eft per&ade qu'il faut dire quelque nouvcaute quand on vient de loin ^ plus les efprits font fiibtils , plus ils en inven- tcnt,6ccomme il n*eft,perfbn. ne qui puifTe leur concredire, en re(joit avec plaifir , & on de^ l^Q avec cmprefTement leurs^ inventions de UTnre Aufirde. 4!? inventions , comme dQs veri . tez. Nous paflamcs enfuite dans une petite Ifle qui eft au milieu du L^c ^ qui appartient au Roi de Jaflaller , qui fc dit aufli Roi du Lac : les Naturels du Pais la nomment Zafla, &: le Roi y tient une FortereflTe qu'on cfkL me beaucoup en ce PaVs ^ bien- qu*a la verite ce (bit tres-pcu de chofe en comparaifon de nos Forts de TEuropc. Nousfiimes enchantezdes que nouscdmes* mis pied a terre dans la plaine , &on n*y fc^auroit rien defirer pour le plaifir general de tou^ les fens , fi ce n*eft que Todeur des Iierbcs aromatiques y fuc un peu moms forte 3 les fruits y font fi beaux , fi delicats , & eu fi.grande quautite , que la beau. E ^o VoUge te jointe a Tabondance nous cauloic de I'ennui : mais ce qui nous lurprit plus que tout le reftc , & dont je n*avois pas oiii parlcr , fut une fource que nous troQvames plus douce que no- ire hypocras, 8c qui rejouit& fortific plus que notre vin d'EC pagne 3 nous raiibnnames aficz long-temps fur les caufes d*ou pouvoit provenir une fi agrea- ble liqueur, & nous concliimes que comme tout etant embau- me deflus cette campagne , le dedans de la terre le dcvoit etre auITi , &; que fi Ton trouvoit des fources de tres^mauvais gout, c'^etoit une fi.iite neceflaire qu'on en put trouvcr de tres- jciouces &: tres agreabJes : nous en bcuvions avec un plaifir que je nc pui^i expliquer , 8c un cha- ie U Terre Auftrxle. jt cun fouhaitoit de pouvoir eta. blir (a demeure en ce lieu , lors <]u'un namrel du Pais vint avec empreflemenc nousavercir que cette boiflbii caufoit la more a ceiix qui en beuvoient avec ck- ces: nous ne fumes pas lon<^- irelnps a eprouver la vcrite dc ce qu*il nous difoit ^ car nous tombames dans un fi grand af- foupiflemenc , qu*il fallut que •nous nous couchaffions fur la place, oil nous demeuramcs endormis plus de quinzc heu- res : ce (bmmcil cependanc n*eut aucune mauvaife (iiice , &: nous nous levames auffi 2;ais &: auffi fains que nous etions au- paravant • les uns attribuoienc ce long fommeil a la trop gran- ■ de quantitc des odeurs qui nou^ avoient appefanti la tece ^ £c les E u $1 Voiage aiitres croyoieat que cette de- licieufe boUron que nous a- vions prife en avoit ete la caufe, De cette Ifle nous voulumes allcr voir la fource de la Rivie- re de Cuama , que nous trou- vaines etroite , 6c incapable de porter aucun batteau • peu de temps apres nous decouvrimes les fources du Lac, 6c nous comptames plus de deux cens ruifleaux qui tombent des Mon- tagnes qui font vis-a-vis le Midy, &: que les Eipagnols ont appel- lees Montagnes de la Lune,'-par- ce que Vafco de Gama qui dou- bla le premier leCap de Bonne- Efperance Tan mil quatre cens nonante . fept pour decouvrir les Ides Oricntales , voyant que la Lune qui etoit du cote de ces Montagnes , paroiiTok comn^e de UTerre AuBr^le 53 fi elle en eut touche les poinrcs, leur donna cc nom,les Naru- rels du Pa'is les nommencMon- tagncs d*Ors , c'eft-d^dire d'eau, a caufe de Tabondance dcs eaux qui en decouknt conti-- nuellement. Ceux qui confon. dent Ic Lac Zembre avec le Zair parlent fur des rapports fort defcdueux 3 on nous alTeu- ra qu'il etoit de Pautre cote de CCS Montagnes eloigne de plus de cinquante lieUes du Zair. La plus^part des Hifloriens' placcnt quantite de monftres en cQs Quartiers 3 niais c'eft fans autre fondement que le recit de ceux qui les ont inventez , tou^ tes nos recherches ne fervirent^ qu'a trouver I'origine d'une Na- tion voifine , que les Europecns appellcnt Gaffres, & les Natu-' E iij j4 P^oUge rels du Pays Tordi ^ Nous ap^ primes done qu'un liomme du Pays aiant eleve une petite Ti grelTe , devint ii familier avec cette bete qu*il Taima charnel- Icment, 6c commit un crime infame avec elle , dont il vint un animal demi-homme 6c de- nii bSte, Monftre qui a donne lorigine a ces Sauvagcs qu*on He pent humanifer. Une preu- ve tres-vraifemblable de cQttQ Hiftoii^e , c^eft qiie leur tcte &: leurs pieds ont de grands rap- ports avec ceiix des Tigres , &c lenrs corps memefonten quel- ques endroits marquetez de caches , parciiles a cellcs de ces animaux. Nous retournames par la Ri . viere de Cariza , 8c nous demeu* rames vingt jours fur la route de h Terre AuHrde. 5; avec CCS memes diver tiiremens que nous avions recus liir Je FleuveZair,excepte que tout ce que nous voyions en rcvcnanr nous etant devenucommun ex ' citoit moins nos admirations qu'au commencement. CHAPITRE III. Des accidens qui conduijt^ rent Sadeur en U Terre AuHrde. A U SSI -tot que nous fu- mes de retour on fit voile avec un vent & une Mer autant favorable que nous les pou- Vions fouhaiter^ nous arrivames E iiij y4 V^okgi en huir jours au Cap de Bonne. Efperance , ou nous ne voulii- mes pas fejourner, de peur de perdre i'occafion du bon tems^ qui eft fort rare enret endroit, nous etions parvenus a la vue, du Port Dananbolo de Tlfle. Madagalcar , lorfqu'une Bon- nace entiere nous arreta plus de quarante-fix heures en la meme place, aprescette Bon- nace un vent d'Eft agita fi fort la Mer , & nous poulla avec tant d'impeaiofite qu'il rompit nos cordages, & nous jetta plus de mille lieues du cote de i'Oueft, plufieurs virent quelques Ifles a Ja droite ^vers le Norr, & les prirent pour cellesqu'on nom- ine de laTrinite • ce fut-la qu'un rocher afleur d'eau fendit notre- Vaiflcau en deux parties , & que. de la Terre Aujlrde. )j nous nous trouvames tous ex- pofez a la merci du plus impi- toiable de tousles Elemens:Je n'ai jamais pu fcavoir ce que devinrent les autres Navires^ni quelle fut la fortune de mes Compagnons de naufrage^par- ce que nous ctions dans une nuit fort obfeure, & que je ne penfai qu'aux moiens de me iauver. Mon autre naufrai^e m*avoit donnd de rexpericnce & de la confiance ^ j'avois cher- clie une planche legere a ma- nier ^ . & jc I'avois prcparee du- rant Ics dangers de la tcmpete, je dirai a ma confufion , qu'e- tant eloigne des approches de la mort^.j'ai to ii jours fait pa- rol tre beau; oup d'indifference pour la vie 3 mais dans lesdan-^ gers evidcns je n'ai jamais ere jS P'otAge capable d'aucune autre penfee que de celle de me {auver , je flotai durant plulleurs heures a la faveur de mon appui avec une agitation & un boulleverfement auquel je ne f^aurois penfer fans fremir. Tantot Timpetuofite ^Qs ondes m'enfon^oit , tantot la peianteur des flots me ren- verfoitjjerefiftai neanmoins af. fez long-temps 4 ces violentes agitations ,jufques a ce qu*aiant enfin perdu 6cla eonnoiflancc & le fentiment , je ne fcjai bon- xiement ni ce que je devins , ni- par quel moien je fus prelerve de la mort : il me fouvient feu. lemeiit que revenant a moi,, j'ouvris les yeux , & trouvai la Mer calmee ^ j'apper^us une Ifle fort proche,& je fentis mes mains fi collees a mon ais de la Terre Auflrde. 59 qu'a peine je les pus detacher^ &: les doigts m'en font reftez courbez , fans que j'aie pu ja- mais les redreuer par aucun moien : la vue de cette' lile m'encouragea beaucoup , 6c en. fin etant venu a bord, je me trainai fous un arbre fans penfer a aucune autre chofe , finon que je ne pouvois plus vivre que pour languir , & etre plus long- temps a monrir. Je trouvai fous cet arbre deux fruits de la grof- feur, &prefcjue de la couleur de nos Grenades , avec cette difference que le gouft m'en parut plus delicat , plus fiibftan^: €iel , &: plus nouriffant ^ aiant mange le premier, mon coeur fe fortifia & fe rejoUit , & aiant encore mange lefecond.je me trouvai pleinement raffafie^; &0 Koiai mais comme j'etois tellement briie que j'avois une peine ex- treme a me Ibutenir , ie nf eten J dis , 8c je m*endormis d'un fi profond fommeil queje fus an moins vingt quatre heures fans me reveiller : apres ce fommeil je me trouvai tout a fait delafle^ je vis que mes^ habits etoienc fees , & le beau Soleii qui luifoit m'anima d'un certain courage qui me rempliflbit d'efperance^ Je rencontrai deux- autres fruits que jemahgeai,& m'etant ap- plique a chercher relevation' duSoIeil,jejugeaiqu€ je pou^ vois etre au trente-troifiime degre de Latitude Auftrale-^ mais je ne pus rien connoitre de la Longitude. Aiant encore pris quelque reposjeme refo-i liis d*avaneer dans cet^*e Ifle de ia Terre Auflrde. ^i pour deeouvrir s'il n'y avoit point d'Habitans : J'y vis effe- divement quelque apparence de chcmins 3 mais ils condui- foient dans des brouflaillcs fort epaiires , &: on n*y pouvoit pall fer fens fe baifler^ ce qui me donnoit d'etranges penfees : aiant rencontre un arbre plus haut que les aurres, )e crus qu'en y montant je pourrois ap. percevoir quelque chofe 5 mais comme je montois , j'entendis un grand bruit, &:je visa mS- me temps deux prodigieufes betes volantes qui vinrent fur cet arbre, 5c qui m'obligerent de deicendre beaucoup plus vi- te que jen'etois monte. Qu'oi^ ne s'etonne point du nom de Bete que )e donne ici a des 01- feaux ^ ieur groflTeur etoit fi de? 4t dotage mediree, que j'en fus efFraie^ &: je parle comme je penfois alors : Je me jetcai done a terre avec une extreme viteiTe , 6c je ii'y fus pas long temps fans en- tendre descris fi efFroiables que je penfois a tous momens que j'allois etre devord Enfin je rentrai en moi - meme , be fai- iant reflexion for la mifere oh je me voiois reduit , je concius qu'il valoit mieux perir bien- tot que de chercher a languir davantage • apres tout difois je c'eft une neceffite que je periile d'une fa(^on ou d*une autre , 6c je ne puis eviter un danger que pour retomber dans un plus ■^rand. Je me levai done entiere- ment refolua la mort, 6c me jrefTouvenant que mon Pere 6c de UTern AuflraU. 6% ma Mere avoienc expire fur k bord de la Mer,je nVavan^ai vers le riyage,otij*avois laifle ma planchc. A peine eus-je quitce ma place , que je fas fui- vi d\in fi grand nombre d*ani- maux qu'il me fuc impoflible de les diftinguerj favpis cepen. dant le jugcment aulli encier qu*on peut Favoir en pareille occafionril me femble que je vis certaines efpeces de che-j vaux • mais avec des tetes poin- tues,&: des pactes qui finiffoient en grifFes 3 ]e ne puis dire fi c'e- toic ces betes qui etoienc venues fondre lur Farbre ou j*etois Je crois cependantqu'elles avoienc des plumes & des ailes-je vis certaines efpeces de gros cliiens, ,& plufieurs autres fortes d'anu inaux qui n'ont rien de fembl^. 64 Vaidge bleaccux que nous voions en Europe 5 ils firent de grands cris fi-tot qu'ils m'apper^iircnt^lis s'avancerent vers moi en redou- blant leurs cris j je me refolus done a defendre ma vie. Je pris ma planche , avec laquelie je me mis a faire en .queique fa- ^on i'exercice, la tournant & retournaut , ce qui les rendoit fort attentifs, julquesace que deux des plus groiles Beces s*c- tant approcheespour me join-' dre , j*en atteignis une ^ &: la frapai (1 rudement qu'elle re- tourna vers les autres animaux : a ion approche, ce ne futque hurlemens ^ je fus {aifi d*ane ex- treme crainte par le redouble, ment des cris efFroiables que j'encendois, je pris au plutoc trois fruits de Tarbre done 3'ai | pai'lcj dehTern Auflmle. 6j parle, &c me jettai dans Pcau avec ma planche: opres avoir naci:e line diftance alTez raiibii- nable pour me croire hors de danger, |e tournaiJes yciix dii cote de Tlfle , Sc je vis fur le rivao;e ceo-rand nombred'ani- mauxque je ruiois^une partie fe mit promptement a la nage, Sc me' pourluivic avec tant de vigueur6ctant de legerete qu'ils ne furent pas long^temps a iiVapprocher 3 comme '^e vis que je ne pouvois leur echaper- je me tournai contre eux, 6c leur prefentai le bout de ma planche ^ avec un fiiccez affez heureux- car a m.efure qu'ils s'eforc^oient d*en prendre &: d'en mordre le bout , ils la poul' foient , & me faifoicnt avanccr autant qu'eux : ce manege con- 66 VoUge tinua jufques a ce que j'arrivai fur une efpece dlfle a fleur d'eauquife trouva flotante,& qui m'emporta avec aflez de vicelTe pour oter les moiens a mes Ennemis de me joindre ^ ils me fuivoient cependant avec un courage, ou plutot avec une rage qui s'augmentoit , d'autant plus qu*ils defcfperoient davan- tage de me pouvoir atteindre : Enfin moil Ifle etant venue i s*arreter tout d'un coup , ils eu- rent encore le temps de me ra- proclier : je ne f<^avois plus ou j'en etois , & je faifois d'mutiles reflexions pour deviner la caufe de I'immobilite de llfle , dont le mouvement m'avoit ete fi favorable 5 lors que je vis qua - rre de ces gros animaux volans dont J ai parle , qui venoient aii de U Terre Aufirde. 67 fecours des autres. Quand je les vis precsafondre fur moi, je me couvris de ma planche pour eviter Icurs premieres at. taques, qui furent fi rudes , que d*un coup de bccq ils la perce- rent : ce fut alors que mon Ifle fe dreflant tout a coup avec une extreme impetuofite me fecoUa, Seme jettaaplus de cinquante pas d'elle 3 ]e crus alors que c*e- toit une efpece de Baleine done quelquesNaturaliftes font men. tioD , & que Tun de ces mon^ ftrueux oifeaux s*etant mis fur fon dos avoit enfoncc {ts grif- fes dans fa chair 5 elle s*clevi , ce me femble,de plusde cent coudees hors de Teau ,avec un bruit auffi terrible que celui de nos tonnerres, CcttefecoujQTeme boulcver^ F ij 68 Voidge fa ceilement Teipht, que je ne f^ai ce que je devins alors ^ mes doigcs crochus furent caufc que je ne quiccai point ma planche s ^tantun pcu revenuimoi, je vis encore la bete qui bondif- foit , & qui jettoit de Teau par les nafeaux , avec des fiflemens horribles. Enfin elle s'enfoncja tout-a- fait dans la meri les oifeaux qui me pourfuivoient s*ccoienc retirez, ainfijeme trouvaifeul au milieu des eaux ^ fans autre fecours que celui d*un mori ceau de bois , Sc fans autre pen- fee que celle de la mort , a la. quelle je voiois bien que je ne pouvoisi cchaper. J'ctois fi a* hatu des fatigues que j'avoisi eucs , & fi incommode de I'eau » que j'avois avalce , qu'on ne. deUTerretAuftrale. €§^ croiroit jamais qii'un homme. £uc capable dc refifter a rant, de mauxj dans cet etat je me: fouvins de mcs fruits , & j*en mangeai deux , apres quoi je. me fencis tout abatu dc fom«^. meil , & je fus oblige a me rcn- verfer fur ma planche , le vifa- ge contreJeCiel,pour ctre en: quelque facon hors du dan- ger d'etre fufFoquc dcs eauXj, je fcrmai les yeux^ & je ne f^ai combien de temps je de- meurai en cette pofture, je. m'cveillai excite paries raions. qu'un Soleil fort cclattantdar- doit fur mon vifage , 8c je trou^ vaique j*etois pouffc d'un^ vent;^ de Nord-Oueft avec beau-, coup de vitefle , bien que la^ Mer ne fur pas fort agitce:Je. featis alors mon coeur & mon. 70 P'oUge cfprit dans une affiete fort trtn- quille, & peu de temps aprcs je me trouvai aflez proche d'u- neTerre oil Ic vent me pou fla- mes doigts crochus ctoient fi collez a ma planche que j'eus de la peinca les detacher pour mooter fur le rivage. Mes ha- bits ctoient (i pefants de Teau dont ils ctoient penctrez,quc jc ne pouvois prcfque les por- ter. Il'agication de la Mer &: Peau falce que j'avois bue' m'avoient tellcment charge la tfite que j'ayois peine a me fou- tenirjj'ctois comme un horn- me que Texccs du vin . ou plu^ iieurs tours ontctourdi,& ren- du incapable de faire un pas d propos: Tout ce que je pus fai^ re futde me trainer jufqu'a une certaine diftance , ou je me cow* de laTerre Auflrde. 73 chaij je m'cndormis aufG tor^ &mon fommeil rctablit en quelque fa^on mon ccrveau^ & defleicha mcs habits , que jc froraipour les rendre moins in- commodes : je mc (ouvios que ^'avois encore un fruit de ceur dont j'ai paric , & Taiant man- ge ,je connus quelc dcfaut de Douriture ^toit la principale caufc de mon extreme foiblef. fe : j'avan^ai done dans Tlflc pour chercher qnelque chofr, ti aprds avoir march^ deux cents pas ou environ , je trouvai plufieurs arbres , mais je n'y apper^us aucun fruit : je torn- bai alors dans une profonde reverie , pendant laquelle je ne laiflbis pas de tofiijours avan- cer, & comme j'allois la t6re baiflce je vis a terre deux fruits jL Voingr qui ecoient couvcrts de quel- ques feuilles , je !es pris comme un prefent du Ciel , &aprcs en avoir mange un,je fcntis une cercaine force qui m'encoura- gea d'avanccr chcmin, 6c de confidcrer !e lieu oil je pouvois ctre , qui ccoit environ 13J. degrez Auft^al 5 je voiois plu- iieurs Signes qui me faifoient croireque laTerre ferme n'c- toit pas beauGoup eloignder Teau fe trouvoic fore douce 5. les vents foufloieni du Sud, 8c je fes remarquois fort cntre- coupez, je (entois meme ccr- taines vapeurs extraordinaires, en un moc ^je me flitois que je voiois quelque apparence de. Pais : a force d*avancer je trou- vai un arbre cjiargc de gtos, fruits 3 done ies branches cw toiehc de la Terre Aujirak. 7 j toienc abaiflees jiifques a rerre, Ja place etoic rapiflce d'un co- loris de diverfes fleurs tres- belles , ^i parfumce d'odeurs trcs - agreables : aufli tot que j'eus mange de ces fruits je tombai dans un grand affbu- pi{Iemenc,&: j'ccois abbatuda telle forte, que j'appercevois tout ce qui fe paffoit aurour de moi fans remarqucr rien de di- ftind. Peu de temps apres j*eHtendis plufieurs hurlemens de beccs qui me femblerente^ trc fort pres de m^oi, & pref- qu*auffi-t6t j'en apperc^us fepr, qui ccoicnt de la grolTeur &: de Ja couieur de nos gros ours, a. la referveque chaquepacce me paroiffoitaiiffigroffe quetouce la tece. Elies s'approcherenc de moi,& s'en retirer€ntDlu- G ' 74 VoUge liLurs fois fans mc toucher- niaisenfin elles commencerenc roue d^ bon a vouloir me de- vorer, & j'ecois dcja tout ea fang iors que deux gros oifeaux de la forme de ceux done j'ai parleci dcffus^vinrent fondre forces animaux^&ies oblige- renc a prendre la fuice , 6c a s'aN lercacherdans les cavernesles plusproches : Les oifeaux les y pourfuivircnt , mais nVn aiant pu attraper aucun,ils revio- rcnt a mui ^ & apres m'avoir donnequelques coups de grif- fes , il y en cut un qui m*empoi^ gna de fes deux fer res , & m'en- ievaforchaucenrair. Laccin^ tare de pkiileurs doubles que j'avois autour de rnoi me fauva ia Vie, 6^: empecha que je ne fuileperce jufques auxencrail- ie h Terre Auflr^le. 7 j les Je nelailFois pas touccsfoii de foufFnr des » maux etroia- ' -bles. Apres un afTez long che- min ces animaux s^arrecercnr fur un rocher,au celuiqui mc portoic fe dcchargca, ^i aulf?* roc fon coaipagnon m'empci. gna a peu pres de la mcme ma- niere qu'avoic faic Taucre : La douleurqu*il me caufa m*etant enfindevenue infuportable, 6':: m'aianc jette dans unc efpccc de deferpoir, je mejetrai bruf- quemenrafon col,& je crou, vai afTez de forces dans men defcfpoir pour lui arracher les yeux a belles denes , il romba en meme temps dans Teau , & aiant lache pnfe, il me laiila, 6c je monrai audi toe i\\r ion dos. Son Coir.pagnon qui a- voicpns ledevanrpour fc.idrc G y y6 Voiitge Tair s'etant app^r^u que I'au^* tre ne fuivoic p,is , ^ nous aiant vus fur I'eau, rebroufla che- min , & fondic fur moi avcc une impetuofitc epouvencablej il fe percha (ur mes epaules , 6C uie lan^ades coups qui me de- voicnc ecre tous morcj^ls, s'ils avoienr poric. J*avois toujours garde un petit poignard a ma ceinture que j*enfon qui elfc dehterre Akfirde. io§ de n'avoir aucun excez de froL dure en Hiver , ni de chaleur en Ete, ou pliitot de n*avoir proprement jamais ni Hiver ^ ni Ete. Je ne doute pas que cetce pro- pofition ne doive furprendre ^ lesGeographes, qui aiant divilc la Terre en deux Parties egales par la Ligne qu'ils nomment Equinoxiale, mettent autant de chaleur 6c de froidure d'un co- te que d'autre : Fondez fiir ce principe que la proximitc ou Teloignement du Soleil caufenc TEte ou THiver (iir la Terre. II y a cependant des Gcographes qui one corrii^e cette erreur, $c qui fans avoir aucune con* noiAance de la Terre Aujftrale one remarque que fi ce prin- cipe etoic veritable J il faudroic no Voiage qu'il fit toujours plus chaud cn Guinee dc aux Moluqucs , qu'en Pormgal &: en Italic j parce que le Soleil n*cn eft jamais fi eloi- gne 5 ce qui eft pourtant con- traire aux experiences de tous ceux qui ont voiage en ces Pais- la 5 lefqucls aiTurent que les plus grandes chaleurs arrivent tou- jours au temps de la Canicule, & les plus grands froids lorfque le Soleil eft dans les fiornes du Verleau 6c des Poiflons , quoi- qu il Ibitbien plus eloigne de la Terre quand il eft en celui du Capricorne. Il eft done con- ftant que THiver 6c TEte arri- vent univerlcUement par toute la Terre en meme-temps, bien qu'avec une grande difference, ielon les diffcrentes fituations des Pays. Je dis bien plus , la deUTerreAuflrde. iii proximite du Soleil contribue fi peu a la chalcur de la Terre, que fi on y prend garde on trouvera qu*au temps qu'il en eft le plus proche, c'eft alors qu'on en reffent moins Pardeur^ on fcaic en Europe que les chaleurs de May 2c de Juin font bien moindres que celles de Juillet &: d'Aouft ^ on eft fou- ventgele au moisdejuin, lorC que Ic Soleil eft en fa plus gran- de elevation , & on brule en Juillet , quand il s*eft deja bien eloio;nc : c'eft done autre chofe que fa proximite qui echauflfe la Terre : il arrive meme que fouvent en fon entiere abfence, a fi^avoir la nuit , la chaleur eft beaucoup plus grande que le jour en fa prefence. Pour rcvenir a la Terre Au- iiz VoUge ilrale, on ne f^ait ce quec'eft que la pluie en ce PaysJa , non plus qu'en Afrique. Les Ton- iierresne s'y font jamais enten- dre , &: ce n'eft que fort rare*. inent qu*on y void quelques le- geres nuees. II n'y a ni mou- dies , ni chenilles , ni aucune autre forte d'infedes. On n'y void ni araignees , ni ferpens, iii aucune bete venimeule 5 en un un mot , c'eft une Terre qui renferme des delices qui ne le rencontrcnt point en aucune autre part ^ be qui eft exempti^ de toutes les incommoditcz qui ie trouvent par tout ailleurs. CHA- dehTerreAufirale, 113 CHAPITRE V. De Id conflitution des Atf;^ ftrdiens ^ ^ de lews Coiltumes, TO us Ics Auftraliens ont les deux {qxqs , &: s'll arri~ vequ'un enfant naifleavcc lui ieul , ils rcn^uffcnt comme un monftre.ils font fort le2;ers &: fort adifb, leur chair eft d'une couleur qui tire plus fur le rou- ge que for le vermeil ^ leur hau- teur eft communement de huit pieds , ils ont le vifage medio- crement Ions; le front large, les yeux a fleur de tete , la bou- che tres-petite, les levres plus K TT4 VoUge rouges que le corail , le nez plus long que rond , la barbe be les chevcux toujours noirs,&: qu'ils ne coupent jamais, parcequils croifTejit tres - peu ^ leur men- ton eft tendu 6c recourbe , lair cou delie , & leurs epaulcs grofles &: clcvees ^ ils ont des mammelles fort petites , be fort bas placees , plus rouges que vermeilles ^ leurs bras font ner~ veux , leurs mains larges & Ion- gues- ils ont la poicrine fort elevee , le ventre plat , &: qui ne paroitque tres-peu en leur grolTefle , les hanches Kautes , les cuifles larges , &: les jambes longues. lis font fi accoutumez a aller tout nuds , qu'ils croient qu'on ne peut parler de fe cou- vrir , fans fe declarer ennemi de la nature , & prive de raifon. deUTcne Auflrale. ii; lis font obligcz de prefcnter au iTioins un x^nfant au Heh , niais ils Ics produifeiit d'une manicre fi fccrctte que c*eft un crime parmi cux de parlcr dc la conjondion neceflaire a la propagation des hommcs. Dans tout le temps que j'y ai eteje n'ai pvivenira bout de connoitre comment la genera- tion s'y fait. J'ai iculemcnt re- marque qu'ils s'aiment tous d*un amour cordial, 5c qu*ils n*aiment perfbnne Tune plus que I'autre. Je puis afleurcr qu'cn trt nte ans que j'ai ere par- mi eux, je n*y ai remarque ni querelle, ni animofite. lis ne f^avent ce que c'eft que le mien & le tien , tout eft commun entre eux , avec une bonne foi, &un des-intereflement qui me K ij ii6 VoUge charmoit d'autant plus que' je iVavois jamais rienvu deiem--.| blable en Europe. , ' J'ai toujours etc aflez libre a dire ce que je penfois^ mais ]q le fus un peu trop a declarer tout ce qui me choquoit dans kurs manieres ,.tant6t a un fre- re , tantot a un autre , jufques ai vouloir appuier par raifons les fentimens que j'avois ^ je parlois. de leurnudite avec certains ter- mes d'averiion qui les clio- quoient extremement. Je vou^-i lus un jourarrecer unfrere,&. Fexciter a ce que nous appellons. jplaifir^ je lui demandois avec iin certain empreflement ou e- toient les Peres des Enfans qui vcnoient au monde ^ & je difois que je trouvois ridicule le filen- ce qu lis afFedoient de garder: deUTtYYeAuftrale, uj iiir ccla : ces difcoiirs , &: queU ques aiitres femblables donnc- rent je ne £cav qu'elle horreur pour moi aux Auftraliens , 6c plufieurs aiant foutcnii que je n'etois qu'un demi-homme a» voicnt Gonclu qu*il faloit le de- faire de moi^ce qui icroit in- feilliblement arrive fans Tafli- ftance d'un venerable Vieillard,. Maitre du troifiemeOrdre dans- le Hcb y nomme Sua'ins., J'ai feu que ce digne liomme defenait plufieurs fois ma caufe aux AC femblees du Hab , parce qu'il avoit ece' tenioin oculaire du» combat dont jai parle dans le Chapitre troifidme ► mais com- me il vit que je eontinuois de tenir des difcours quiicandali^ foienties Freres • il me prit un. j^ur en mon particulier , & ma ii8 FoUg^ die , d'mi ton fort froid & forC grave • On ne doute plus que tu ne jois un Monfire ^ton efprit malm , ^ tes difcouts mfolens t'ont fait connoitre ^ dctefter des notres : On penfe ily a lonz^ temps a fe defatre de tot , ^ n'etoit I'aUion que tu as faite a nos yeux , tu aiirois ete mis a mort peu de temps aprh ton ar^ rivee : Dis - mot franchement qui tu es ^ ^ canime^it tu es venu id. L'epouvante que ces paroles me caufereiit , jointe a robligation que je lui avois , fit. queje luideclarai ingenuemeiic: quel etoic mon Pays, 6c que je^- lui racontai les avantures qui^ m'avoient conduites ou j'e- tois. Le vieillard temoignantvivoir: pitie de moi, m'aflura que fi- de U Terre Aufirde. 1 1 p je me montrois a Pavcnir plus recenu en mes manieres &: en ines difcours, on oublieroit Ic p^fle. II ajoiita qu'il vivroic encore deux ans pour me liTp-. porter:& que comme fbn Lieu- tenant etoit jeune , il me choi- firoit en fa place. Jejf- nerai toute la fatisfadion cjue tu pourras fouhaiter , pourveu que tu {bis|7difcret. Je lui proi- mis une fidelite inviolable 5 je lui jurai que je voulois ctre uniquement attache a lui : 6c je lui proteftai que je ferois deformais tellement far mes gardes , que je n'ofFenferois plus perlbnne. Le .vicillard ac. cepta toutes mes propoficions-, & me promit qull me fervi'u roit de pere tant que je m'ac- quitterois des promefles que je lui venois de faitQ -^ Et four ^mmcncer le commerce des enj- Uctum que je veux noiier avcc Re h Terre Auftrde. m tm , contiiiua t - il , tu f^auraf quaiant vu ton combat , je ns fus quk -peine etre perfuade que tu tie fuffes quun demi - homme^ Je vis enfuite que tu avors tou - ics les marques d'un homme en^ tier ^ un front large ^ un vi- fage long j fai encore remarque que tu raijonnois en plufieurs 'que Fhomme ne fuc pas par- fait, parce qu'il ne poflede pas ce riche trefor de lumie- re ? II faut done etablir ce qui conftitue la nature 6c la pcr- fedion de Thomiiie : Sc lors- qu'on en fera demeure d'ac- cord^ on pourrajuger infoilli. dehTerreAufirde. 117 blemenc de ceux qui font par^ faits 5 & de ceux qui Ibnt defcc-^ tueux. Tu raifonnes juftc , re- prit le Vicillard ^ je te preuds done par tes prjncipes. Tu T^ais allurement que I'homme com-, prcnd deux chofes, un corps plus parfait que ceux des autres animaux ^ & un efprit plus eclair re 3 la perfection du corps em- porte tout ce que le corps doit & pcut contenir (ans aucune difformite 3 6c ceile de Tefprit exige des connoiflanccs qui s'e- tendent (iir tout ce qui pcut etre connu, ou du moins une faculte de raifbnner qui puilTe conduire a cette etendue de connoiilance. Dis-moi done , de grace , n*y a-t-il pas plus de perfection d pofleder fcul tout €e qui compofe un corps hu- L iiij lit Fokge main , qu a n'en avoir que la moitie ? Or , il eft conftant que Ics deux (o^yiQs font neceflliires pour la perfedion d*un horn- me enticr : J'ai done raifon de dire que ceux qui n*cn ont qu*un feul font imparfaits. Je re- pondis a cela^ que nous de- vions confidercr iliomme com- me les autres animaux au re- gard de fon corps, 6c que com- me un animal ne peuc etre ap- pclle imparfait en fon elpece, parce qu'il n'a qu'un (exe, de meme on ne pent raifonnable- ment dire que I'liomme foit imparfait, parce qu'il n*en a aulfi qu'un 3 "qu*au conrraire la confufion des fexes dans une meme perfonne devroit plutot SajGTer pour une choie mon- rueufe , que pour un degre de de hTeYfe tAHflriiU • ri^ perfection. Ton railonnemenr^ repondit-il , vous luppofe jufte- ment tels que je vjlix prelumer que vous etes , c'cft-a-dire , des betes y & ii on ne peut pas tout- a-fait dire que vous le Ibyez, c'eft qu'il vous refte plufieurs marques d'luimanite 3 &: com- me vous fcmblcz tenir une e{l pecede milieu cntre riiomme 6c la bete , je crois que je ne vous fais point de tort , en di- lant que vous etes des demi- hommes. Quant a ee que m dis,ajouta-t-il,que nous fommes fembJables a la bete pour ce qui regarde le corps ^ c'eft une tres- grande erreur de diftinguer, comme tu fais, Telprit de I'hom- me d'avec Ton corps j Punion de cz^ deux parties eft telle, que Tune eft abforbee dans Tautre t t^o VoUge En forte que routes les puiidan- ces imagmables ne li^auroienc rien tirer de riiomme , non pas mdme dc fon corps , qui nc Ibit tellement de rhomme qu'il ne puifTe jamais convenir a la bete^ & par confequent riiomme , eii tout ce qui lui apparticnt , eft abfolument diftin parler fans horreur • notre a-^ mour n'a rien de charnel , ni de brutal ^nous nous liiiRfons plei- de la Terre Auflrde. i j j nement a nous-memes , &; nous ji'avons befoin de rien pour e* tre heureux,&: vivre contens, comme nous faifons. Je ne pouvois entendre par- ler cet homme, fiuis penfcr a ce grand principe de notre Phi- lofbphie 3 que plus un etre eft partait, moins il a befoin de ie- cours etrangers dans fon a- dion. Je faifois reflexion iur la ma- niere d'agir du fouverain etre, jc voiois bien que la creature i5e pouvoit mieux lui reflem- bier qu en agiiliint fcule com*, me lui en {^s produdions, &: ou une jaclion qui fc faifoit par k concours de deux perfonnes, ne pouvoit etre auffi parfaite que celies qui fe faifoient par u;i ou eft rhomme? repeta-t-il jufques a trois fois j jc lui dis que les Loix- du Pays le portoient ainfij' §c que ce n'etoit pas fans fonde^ nient , puifque le pere etant k principale cauie de la general tion, c'etoit a lui qtie le fruit qui en provenoit devoit pritici- palement deUTcfre^Auftrde. 137 pdlemcnt appartenir. Parlons avec ordre fiir cetce matiere , me diwl , ai as avance que le pere & la mere agiffoienc cnfemble pour produire, tii m*as fait compreiihdre que Tac- tion fe paflbit dans la mere , d'ou eft-ce done que tu coil- clus que le pere doic etre ree;ar- de comme eaule principale ? S'll y a de la primaute ^ pour- quoi Tattrihuc-t-on au pere,puiC que tout fe pafle chez la mere? ne leroit-il pas plus railbnnable d<^ regarder ce pretendu pere comme une caufe etrangere , 6-^ la mere dans laquelle le fait tout, &: fans laquelle tout feroit' impoffible , comme la caufe na> turelle ^premiere ? Mais dii~ moi ,de grace, cette mere crt- elle fi attachecaeePere qu'eL- M i^H Voiage le ne puiile s'unir a quelqu'au tre homme ? Je lui repondis avec V vine grande fincerite ^ que non feulement cela etoit pofll- ble, mais encore qu*on le voioic arriver tres-fouvent. Si cela eft^ repliqua-til en m'interrompant, , on ne pent jamais etre afFiire que celui qui prend le titre de pere le foit efFedivement y rien n'eftdonc plus ridicule quede le regarder conime la principa- le caule qui ait concouru a pro. duire Pcnfant, puis qu'il eft tou. jours incertain qu'il ait e» aucu- ne part a- fa produdion , £c Ton ne pent, fans injuftice^ravir cette qualite a celle des deux perfbn- nes que vous nommez la mere, pour dire les- chofes comme dies font :Je me fentois ebran-> le par la difcours de ce Vieil-v dehTerreAuflrde: 139 lard , &: bien que je ne piifle confentir a ks raifons qui rcn- verfbient routes nos Lorx , je ne* pouvois m'empficher d'y faire mille reflexions , &: d'avouer qu'on traittoit avec trop de fe- verite un fexe d qui route la nature a tanc d^obligatrons 3 mes penfees me fourniiroieiit alors cent raifons pour appuier celles de ce vieux Philofophe , & je iTie voiois force de croire que ce grand empire que riiomme avoit uilirpe f Lir la femme^ecoic plutot PefFetd'une odieufe ty-- rannie, que d'une autorite le- gitime. La premiere pc/rtie de ma propofition etant ainfi vuidce,^ nous entrames dans la feconde, qui regardoit le raifonnement d^sEu^ropcens^ maismonVicil- M \i 1 40 Voiage lard n'en park que par maniere d'aquit, penfant m'avoir poufle a bout mr la premiere. . Je ne doute plusaprefent de ce que font les Europeens , me dit-ily c*eft un point qui eft pleine- ment eclairci. Cependarit a- joiita-tJl , comme on ne peut nier que tu n'aie fait paroitre quel que chofe d'extraordinai- re, fbit pour ton courage , foit. pour ton raifonnement , i\ faut. que je f^ache d'ou cela peut provenir : je ralTeurai que ce. qu'il avoit vu dc moi dans le. combat, dontil avoit ete' te, moin , avoit etc plutot I'efFet de mon defefpoir que de' mon courage 3 qu'on n*avoit. point d'oifeaux a combattre.. chez-nous , mais que Ics horn- mesy combattoient jufques a. deUTerreAuHrde' 141 s^entre-tnaflacrer & s*entr'e- gorger les uns les autres. II en eft juftemenc comme des Fondins * , diul , 6c comme j'en fiis demeure d'accord , il ajou- ta , il y a aflex de temps que tu demeuresavec nous pour nous connoitre , 6c pour etre perfiia- de de la fagefle de notre con- duite : ce mot d'homme,qui emporce par une lixite neceflai- re , la raifon 6c Thumanite ,nous oblige a Tunion, qui eft telle parmi nous , que nous ne f^a^ vons pas meme ce que c'eft que divifion 6c difcorde 5 il faut done que tu avoues, ou que nous fommes plus qu'hommeSy ou que vous etes moins qu'hom- mes, puifque vous etes fi eloi- * Sfpeces de Barbares dont le Fdyi Gorifnc de cclai des ^nfir^lienf^. M iij I41 Voidgi gnez de notre perfedion, Je repondis a cek , qu'on ne pou- voir nier que les divers climats nc contribiialTcnt beaucoup aiix differentes inclinations de leiirs Habitans • qu'il arrivoic de la,. que les uns etoicnt plus empor- rez,les autres plus tranquilles^ ks uns plus pefans , les autres plus legers , laquelle diverfitd de temperamens etoit la cauie ordinaire des div^ifions^ des guerres , & de routes les autres diflenfions qui armoient les hommes les uns contre les au- tres : mais il le mocqua de ccitQ raifon , foutenant qu'un hom- me veritablement homme , ne - pouvoit jamais eeiler d'etre ihomme, c'eft-a-dire , humain^, raifonnable , debonnaire, fans paffion 3 parce. que c'eft eii ce deU Terre Auflrde. 145-: point que confifte la nature de lliomme ,.6c que comme le So- leilne pouvoit etreSoleil qu'il n'eclairat , aind riiomme ne pouvoit ctre homme qu'il ne difFerat effenticUement des be- tes, en qui la fureur, la gour- raandife, la cruaute , &: les au-. tres vices & paffions, font com- me une fuite de leur nature im- parfaite bi defedueufe 5 que celui qui etoit fujet a ees mcmes- defFauts n'etoit done qu'une image vaine & trompeufe de Thomme , ou pliitot une verita- ble bete. J'avoue que je ne pouvois- entendre ce difcours fans admi- ration, 6c que rien ne m'avoic jamais tant edifie 3 que cette purece de Morale , inlpiree par les feulcs lumieres de la nature ^^44 Voiugi &: de la raifon. Mon Philofo-' phe m*aiant interroge enluite' fiir le raifbnnement que je fai- fois paroitreje lui repondis qu'effedivemcnt mon eQ)rit a- voit ete cultive par TGCude, & qu*on n'avoit rien obmis de tout ce qui pouvoit fervir a former le jugement dans le fbin qu'on avoit cii de mon education y fiirquoi il me demanda fi on ne prenoit pas egalement le raeme ibinpour tout lemonde: 6clui aiantrepondu qu'il y avoit beau, coup a dire , il conclut a Ion ordinaire que cette irregularitd caufoit neceflairement plufieurs deibrdres , Jes difputeSj.les cha- grins , les qucrelles • parce que celui qui en f^ait moinsie voianr au delTous de celui qui en f^ait davantage: y. s^eftime d'autanc p jus deUTtrre Aufirah, 14^^ plus malheureux que la naiflan- ce les fait tous femblablcs, & •qu'il n'a pas tenu a eux qu'ils ne iiirpaflafleiit ceux a qui ils ic trouvent beaucoup inferieurs. Quant a nous, ajodta-r-il,nous feifons profeffion d'etre ec^auK en tout. Notre gloire confiftc .a paroitre tous femblables, & a etre elevez avec les memes fouis, &: de la meme facoix Toute la difference qu'on y trouve n eft que dans les divers exercices aufc^uels nous nous .app]iquons,afin de trouver les uns 6c les autres , les diverfes inventions dont les dccouver- tcs peuvent contribuer a I'utilite commune. Apres cela il me paria des habits , qu'il nommoit hi's^ luperfluitez des Europeens, & je Taflcurai qu'on avoit au- N 146 y^oUge tant dliorreur parmi eux de voir une pcrlonnefans habits, qu'on en a de la voir habillee parmi les Auftraliens ^ j'alleguai pour raifons de cet ufage la pti- deur , la risiueur des faifons , & la coutume, A ce que je puis comprendre ,me dit-il , la Coii- tumc fait tant d'effort fur vos eiprits qu*on croit neceflaire tout ce qu*on pratique de naiC fance , & qu on ne le peut chan- ger fans fe faire une auffi gran, de violence que fi Ton (e chan- geoit foi-meme. Je repartis , en infiftant fiir la raifon des divers climats,6c lui disqu'il y avoit des Pays parmi les Europeens ou il faifoit un froid abfolument infiipporcable a des corps qui ctoient beaucoup plus delicats que ceux des Auftraliens 5 qu'il ie U Terre Auflrde. t 47 y avoic meme des hommes qui en mouroient, &: qu*il etoit im- poflible d'y fubfifter fans ctrc convert 3 enfin je dis que la fou blefle de la nature de Tun &: dc Tautre fcxe etoit telle qu'on ne pouvoit fe voir^ nud (^\\s rougir de confufion , 6c fentir Aq:% e* motions que la pudeur m'obli- geoit de pafler fousfilence. II y a de la fuite en tout cc que tu avances, repondit-il ^ niais d'ou cette coutume^peu^, elle etre venue ? Comment s'eft* il pii faire que tout un monde ait embraflc ce qui d fi con- traire a la nature ? Nous nailTons tons nuJs,&:nousne pouvons nous couvrir , fans croire qu'ii fbit honteux d*etre vus tels que nous fbmmes. Quant ace que tu dis de la rigueur di^^ faifoits N n 1 4 g VoUge je ne puis & ne dois pas meme y aJDuter foi •, car fi le Pays eft ii inlupportable, qui cftxc qui peut obliger celui qui fcait rai- fonner a en faire (a Patrie ? Ne faut-il pas etre pis -que bete pour faire foil fejour dans des lieux done Fair eft mortel encertai- ncsfaifons? La nature faifant un animaji lui donne la liberte du niouve- ment pour chercher fon bien^ ^ fuir fon mal : Quand done il s'opiniatre a dcmeurer ou il eft menace de toutes parts , 6c ou il fautquil fok dans unc gehe cx)ntinuelle pour (e conferver , il fautqu'il ait tout-d-fait perdu le fens s'il en a jamais eii: Pdur ce qui eft de la foiblclTe que tu nommes pudeur Je n*ai ricn a dire , puifque tu conviens avec deU Terre Aufirale. 149 tant dc fincerite de ce defaur ^ c'eft efFedivement une o;rande CI? foiblefle que de ne ie pouvoir re2;ardcr les iins les autrcs , fans reirentir les moiivemens bru- taux dont tu m'as parle. Les be- tes fe voient concinuellemenr, & cette vue ne leur caufe aucu^ ne alteration. Comment done, vous qui vous croiez d\in ori* dre bien fiiperieur a elles , etes- vous plus fragiles qu'elies ne font. D*ailleurs , il faut que vous .. aiez la vdc beaucoup plus foi- ble que les animaux , puiique vous ne pouvez voir a iravers une fimple couverture , ce qui eft delTous , & qu'il s*en trouve parmi eux qui ont les yeux aC lez penetrans pour voir a tra- vers une muraille ce qui eft der- riere,. Tout ce que je puis juger N iij. j'jo Vouge de cenx de ton Pays , par ce qne tu m'en apprens , c'eft quails peuvent avoir quelques etin« celles dc railbn, mais qu*elles font fi foibles , que bien-loin de les eclairer , elles ne leur fervent qu*a les conduire pins {iirement dans I'erreur. S*il eft vrai que leur Pays foit inhabitable ^ a fnoins quails ne fe fervent d'ha^ bits & de couvertures, en y de- meurantils font juftement com- me ceux qui au lieu de s'eloi- gner d'un danger evident , rai- fbnneroient beaucoup afin de trouvcr mille prefervatifs pour s'en mctcre a couvert fans le fuir. Que s'll eft vrai que Ics habits les rendent fages a la vue les uns des autres, je ne f^ai a qui les comparer qu'a de petits enfans qui ne connoiC- de U Tent Auflrale. 1 51 fent plus un objet aufli-tot qu'il eft voile. Pourmoi jecroibicn plutot que c'eft la difformite qui a fait inventer parmi vous les habits, & que c'eft-elle qui les y au- torile , &: qui l^s y conlerve. Car il n'y a rien de plus beau dans riiomme que rbomme meme, lors qu'il eft fans de- fauts , & qu'il a routes les qua- litez naturelJes qui eoncourcnt d fon enriere perfection. J'ecoutois cet homme plu- tot comme un Oracle , que comme un Philoiophe, bL tou- tQs les propofitions qu'il avan- ^oit me paroiflbient appuices fur des raifonnemens invinci- bles. II n*en dit pas davanta- ge touchant cet article ^ &: ians me laifter le temps de lui ricn N iiij fjt Voiage lepondre , il palTa a celui de ravaricc- Je VIS tres-bien qu*il n'eir connoi libit Us fe trouvent par Tetas de UTerre AuftraU. 157 dc leux* vie ordinaire elcvez a un point de vertu oii nous ne f^aurions atteindre que par les plus grands efforts de nos plus nobles idees ; Notre Morale la plus pure ne peut rien conce^ voir de plus raifonnable , ni de plus exad que ce qu'ils prati- quent, comme naturcUement fans regies, &: fans preceptes , cptce union que rien ne peut alterer, ce detachement de tous les .biens , cette piurete inviola- ble • enfin cct attachenient fi e- ti*oit a la r.iiibn qui les unit en- ti''cux,6v les porce tous- a tout ce qu'il y a de meilleur & de plus jufte, ne pcuvent etre que les truits d'une vertu conlbmmee, au dela de laquelle on ne peut rien concevoir de plus parflur. Nous autres au contraire , a ij^ Voiage combien de vices & cTimper-. fcdions ne fommes-nous pas fiijets > Cette foif infatiable des richefTes, ce^ difTenfions con- tinuelles, ces trahifons noires, ces confpirations fanglantes & & CCS boucberies efFroiables par lefquelles nous nous egor- geons les uns les autres tous les jours , ne nous forcent-el- les pas de reconnoitre que nous nous conduifons bien plus par la paffion que par la rai- fbn ? Et dans cet etat ne fe- roit-il pas i fbu baiter qu\m de ces hommes que nous croions barbarcs, vint nous defabuier &c parut avec tant de vertus quells pratiquent par Ics leules vues de la lumicre naturelle, pour confondre la vanite que oous tu'ons de nos prcten- de U Terre AuJIrak. 1 59 dues connoiflaiiccs , avec leC 4^uelles toutefois nous ne laifl ions pas de vivre comme des betes. CHAPITRE VL De U Religion des Auf- trdiens. C'EsT le fujet le plus de- licat & le plus cache ^\ fbit parmi les Auftraliens que celui de la Religion ^ c'efl: -un crime inoui que d*en par- Icr , loit par difpute , foit par forme d'eclairciflement : il n*y a que Icurs meres qui avec les premieres connoiffances leur infp Irene celle du Haab , c*eft- i6o Vol age a-dire I'IncomprehenJtble. lis croient que cet etre incom- |)xelienfible eft: par tout , & ils ont pour lui toute la vene- ration imaginable ^ mais on re- commande avec erand foin aux jeunes gens de fadorer toujours fans en jamais parler, & on leur perfuade que c'eft: Toffencer par Tendroit le plus fenfible que de faire de &$ divines perfedions le iujet de Jeurs entretiens • de forte qu^on peut dire que leur grande Religion eft: de ne point par- Jer de Religion. Comme j'a- vois etc eleve dans des ma- ximes bien difrerentes de cel- les-ci , je ne pus goiiter un cultelans ceremonies, nim'ac- commodcr d'une Refcion ou je ri'cntendois jamais parler de Dieu: de h Terre Auflrde. j 6\ Dieu : cek me caula bcaucoup d'inquietude pendant un tems j mais enfin je decouvrismes pci- nes a mon vieux Philofophe^ Icqiiel m'aiant oili me tira par la main , me conduifanc dan^ line allee , & me die d'un air fort grave : fcroit-t-il bien poll fible que vous leriez plus hom- me enlaconnoiflance duHaab qu'en vos autres adions 3 ou- vres-moi done ton coeur, he je te prornets de ne te rien caclier. Je fus ravi d^avoir rencontre une occaidon auffi- favorable que celle-la pour apprendre le detail de la croian- ce de ces Peuples. Je dis- done a mon vieillard le mieux qu'il me fut poflible , que nous a- vions deux fortes de connoiC lanc-es de Dieu en Europe 3 O T6t Voiage Tune naturelle, 8c Taiitre qbS furpajGTe la nature. La nature nous fait connoitre \m Etre fbuverain , TAuteur &: le Con- fer vateur de toutes chofes. Gette verite eclate a mes yeux , sjoutai-je 3 fbit que je confidere la Terre, fbit que je regarde les Cieux, fbit que je fafle re- flexion fiir moi-meme. Auffi- tot que je vols des ouvrages qui n'ont pu etre faits que par une caufe fiiperieure , je fins oblige de reconnoitre 6c d'adorer un Etre qui n'a pd ea*e fait &: qui les a faits : &c quand je me confidere moi- meme , je fuis affure que com- me je ne puis etre fans avoir commence ,.il s'enfiiit que pas une perfbnne femblable a moi na pu etre fans commence-. de U Teite AuUrde. 1 6 j merit 5 & confequemment il fciiit que je remonte a un pre- mier Etre , qui n'aiant point eu de phncipe foit Torigine de tous les autres. Lors que ma raiibn m'a conduit a ce pre- mier principe , je conclus c- videmment qu'il ne peut etre borne ^ parce que les limites liippofent de neceffite une pro-- dudion &: une dependanee. Le vieillard ne fouffrit pas que j'etendifTe davantage nioii clilcours y &: nVinterrompant a ces dernieres paroles , 'i\ me dit avec plufieurs marques de fatisfadion , que fi nos Euro- peens pouvoient former ce rai- fonnement, ils n'etoient pas tout a fait depourvus des plus folides connoilHinces. ]'ai tou- jour s forme ce raifonncmcnt O ii r64 VoUgt Gomme tu viens de I'expliquer^, ajouta-t-il 36^ bien que le chc- niin qu'il faut faire pour ar- river a la verite par ces fortes de reflexions ibit extremement long , je fiiis perfuade qu'il eft. failable : j'avoue cependant. que les grandes revolutions de. plufieurs milliers de fiecles peuvent avoir caufe de grands, changemens dans ce que nous voions 5 mais mon efprit ne me permet pas,ni d'y conce- voir une eternite , ni d*y com- prendre une production gene- rale ians la conduite d*un {bu~ verain Etre qui en foit le fiu preme moderateur. C*eft s'a- buier fbi - meme que de laiC kc errer fon imagination par- mi d(^s milliers de revolu- tions, & de rappoxter tout ce de la Terre Aufirak. i6fy qiie nous voions a dcs ren- contres fortuites qui , n'aient eu aucuns autres principes qu'un mouvement local 6c le choc de plufieurs petits corps :. c'eft la s'embaraflTer en des difficultez qu'on ne reloudra jamais, &:fe mettre en dan2;er de commettre un blafpheme execrable. :. c'eft donner a la creature ce qui n*appartient qu'au Createur : c*eft par con- fequent paier d'une ingrati- tude infiipportable celui a qui nous avons' Toblieiation de tout ee que nous lommes. Quand meme on pourroit conccvoir que I'eternite deces petits corps eft poflible , puis qu'il eft cer- tain que ?autre opinion eft au moins autant , pour nc pas dire plus probable que celle- O II] i66 Foiage la 5 c*eft s'expoler a un Critue" volontaire que de la iaifler pour admettre des corps {ans icndment 6c incapables d'au- eune connoiflance. Ce furenc ces eon {] derations qui nous obligcrent il y a environ qua- rance - cinq revolutions ,,a lup- pofer ce premier de tous les Ecres, &: a Tenfeigner comme le fondement de tous nos prin- cipes, fans qu'bn ait ibufFerr depuis qu'on parlat d'aucune dodrine qui put donner attein- te a cette grande verite. J'e- coutois le difcours de cer homme ^vec toute Fattention^ dont je fiiis capable ^ la grace avec laquelle il parloit & le poids qu'il donnoit a fes pa- roles, ne me perftadoient pas moins que (qs railbns : mais la Terre Auflrak. 1 67 comme je vis qu'il ecoit fiir le point de me faire quelque nouvelle queftion, je pris lar parole , 6c je lui dis,que qnand meme on pourroit accorder Peternite a ces petits corps done nous parlions , on ne pron- veroit jamais qu'ils aient pd diflinguer cc monde , be le diverfilier comme nous voions qu'il Teft maintenant , fiiivant ee principe inconteftable : que ks chofes demeurant les memes , ne feuvent rien faire qui foit dif^ ferent d*elles memes, Ainfi cqs atomes n'aiant aucune dif- ference "entr'eux que celle dcs nombres & de la plura- lite , n*auroient pii faire au plus que des mafles informes &: de meme qualite qu'cux, Ce qui caufe plus de difficulte- i€8^ Foiage a- certains efprits, reprir-il^' e'eft la graiide abftractioii de eet Ecre des Etres y qui ne fe decoLivre non plus que s'il n^etoit pas 3 mais je trouve que eette raifon ne peut avoir de force, parce que nous en a- vons plufieurs autres qui nous obligent a croire qu'il effc trop au defliis de nous pour fe manifefter a nous autrement que par fes ouvrages. Si ia conduite pouvoit etre particu- Here, j'aurois peine a me per- luader que ce file la fienne, puis qu'un Etre univerfel ne doit agir que d\ine maniere univerlelle. Mais s'il eft vrai^ repliquai- je, que vous ne revoquez point en doute ce premier 6c Ibuve- rain principe de toutes chofes^ pourquoi deUTem Auflrde. 169^ pourquoi n'avez-vous pas eta- bli une Religion pour riiono- rerpLesEuropeens qui le con- noiiTent comme vous ont leurs hcures reglees pour Tadorcr , ils ont leurs prierespour Fin- voquer leurs loUanges pour le glorificr^ & les commandemcns pour les garden Vous parlez donclibremcntduHaab , dit-il en m'interrompanttoiii lans dou- te,luirepondis-je,5cil eft le fujct de nos plus agreables &: de nos plus neceflaires entretiais 5 car nous ne devons trouver rien de plus agreable que de parlcf* de celui duquel nous dependons abfblumcnt pour la vie &: pour la mortjrien n*eft auffi plus jufte &: plus neceflaire, puis que ce ifeft que par-la que nous pou- vons exciter notre reconnoil- P 17 o VoUge lance & nos rclpecls envers luu Rien ii'eft plus raiibnnable que cela, rcpartit-il^ mais vos lentimens fbnt-ils les memes touchant cet ecre incompre-r henfible?!! en eft peu,luidis-. je 5 qui ne penfent la meme cho^ le en tout ce qui regarde fes tbuveraines perfedions^ Parle- moi poiitivement & clairemenr, reprit-il avec precipitation ^ les railbnnemens que vous faites for ce premier Etre fonc-ils lem- t>lables ? Je lui avoUai de bonne foi , que les lentimens etoient fort partagez dans les conclu- jdons que chacun droit fouvent des memes principes^ ce qui caulbit plufieurs conteftations fort aigrcs , d*ou nailToient Ibu- vent des haines tres-enveni-* mccs , &: quelquefois meme delaTerre Aujirak, ly^r des guerres langlantes , be ci au- trcs fuites non moins funcftes. • Ge bon Vieillard repliqua avec beaucoup de naivete que ii j'avois repondii d'une autre ma-. nJere, il n'auroit pas parle da- Vantage, & aiu'oit eii le dernier mepris pour moi • etant,difoit~i!^ trcs-aflure que les hommes ne pouvoient parler d'une cliofe iricomprehenfible , quails n'en eujfTent des opinions fore diffe- rentes, 6c mieme tout-a-fait con~ -traires. 11 faut etre avcng-Ie ^ a)outa-t-ii , pour ignorer un pre- mier Principe, mais il fautctre uifini comme lui pour en pou~ voir parler cxactcment • car puifque nous reconnoifTons qu il eft incomprehenfible , il ^'cnfiiit que nous ne pouvonsen parler que par conjecture , tc qu(? tout ce que nous en pou-^ vons dire , peut bien contenter les curi.cux , mais ne f<^aaroit fa- ci^faire les perfonnes raifbnna* bles; Et nous aimons mieux nous taire abfolumert que de ^ous expofer a dcbicer quantite de faufTctez toucliant la nature d'un Etre qui eft fi fort au deC- ius de la portee de nos e/prits, Nou$ nous affemblons dpnc au Hab,feulement pour r^connoi-, ' tre la fupreme Grandeur , &: i)our adorer fa fouveraine Puifl knee : Nous laiflbns a un cba- cun la liberie d*en penfer ce qu^il voudra ^ mais nous nous faL fbns une Loi inviolable de n*eii jamais parler^de peur de nous engager par nos difcours dans dcs erreurs qui pourroient Tof^. fcnier, Je JaiiTe xxs. S^avans 4 de U feni Aufirale, tyy juger d*une conduitc auflj ex- traordinaire qu'eft ccUe dc ne parler en auciinc manicre de Dieii. Tout ee que j*cn fuis dire , c'eft qu'elte feur iniprime un refped admirable pour Ics chofes Divines 5 6c produit eru tre-eux uric union dont nc^us nc voions point d'exemple parmi nous. Comrrie j^ voiois bien que ilieure du Haab nous al- Joit obliger a nousfeparcr , je k prclTai de me dire quels etoient les fentimens des Auftraliens touchant la nature de Pamc ^ fl m'expliqua done leu^s fenti^ mens fiir ce fujet , mais il le fit d*une maniere fi relevee qne je nepus retenir ce qu'ilmedir^ quoi qu*en Pecoutantje com- priiFe en quelque facjon toutes fcs idees, p iij ^^^ ,Voiage L'eiTentiel ac ]^^^^^ opinionr roucliant cette matlere , Z^^^^^ que je puis m'en rcfsouyenii'V xoule fur la dodrine d-un Genie univerfel qui le communique par parties a chaqueParticulier^ &: qui a la vertu lors qu*un ariij- jmalmeurt de fe confer ver,ju(l ques a ce qu'il foit communi- que a un autre : Tellement que ce Genie s'eteintenla mort de ^et animal , lans cependant etre detruit , puis qu'il n'attend que 4ie nouveaux organes, 6c la difl pofition d'une nouvelle machi- ne , pour fe ralumer , comme je rexpliquerai plus amplement lorlbue je parierai de leur Phi^ iDlophie. ie Uterre Aufirde. i^j GHAI>ITRE VIL Dufentiment des AHjlrdiem touchant cette n/ie. JE n'ai que trois chofcs a re- marquer fur le fentiment des Auftraliens touchant la vie. pre- fente. La premiere en rcgarde le commencement • la feconde,.. la iiiite 3 6c la troifieme, la fin : Lcur manicre de rccevoir la^ Tie , de la conferver, &: de la finir. J'ai deja dit de quelle manie- re les Auftraliens vienncnt au monde 3 mais comme c*eft un des principaux points de cette Hiftoire , je crois etre oblige i. P iiij I?* yoiage en dire encore quelqtie chov fe. lis ont line fi grande averfion pour tout cc qui regarde cqs premiers commencemens de la 'vie, qu'un an ou environ aprcs mon arrivee^deuxFreres m'en aiant entendu dire quelque chole ^ ils fe retirerent de moi avec autant de fignes d'^hor- reur que fi j^euffe commis quel- que grand crime. Un jour que je m*en decouvxis a mon vieux Philofophe , aprcs m*avoir fait quelque cenlure liir ce fujet, il cntra dans un long difcours , 6c m'etalla pluiieurs preuves pour m*obliger a eroire que les en- fans venoient dans Icurs entrail- les , comme les fruits viennenc fur les arbres ^ mais comme il vit que toutes ik-s railbns ne fai- dehTerreAuflrale. ify (bicnc aucune impreflion fiir mon efpric , & que je ne me pouvois empecher de iburire, il me quitta fans achever, me rcprochant que mon incrediu Jite venoit de la corruption de mes mceurs, II arriva une autrefois, envi- ron fix moisapres mon arrivee, que les careffcsextraordinaires dcs Freres me cauferent queL que mouvement derede done quclques-uns swapper (jurent,& qui en furent fi fort Icandalifez, qu*ils me quittcrent, le cocur plein d'mdignation : desJors je devins odieux a^tout le mon- de,comme j'ai deja dit, & ils m^auroient infailliblement faic perir , fans Taffiftance particu- liere du Vieillard dont j'ai par^ Cependant en trente-deuf^r annees que j'ai demeure parmi eux,je n'ai pu eoiinoitre ni quand, ni comment s'y fait la generation : Quoi qu'il en foit on ne voit a leurs enfans ni rou- geolles, ni verolles , ni autre^ fcmblables accidensaufquelsles Europeens font fiijets. Auffi-tot qu'un Auflralien at concu il quitte fon appar ce- ment, Scfe tranlporteau Heb,. ou il eft re^u avec des tenioi- gnages de bonte extraordinai- res, 3c ou il eft nourri^ians etre' oblige a travailler. lis ont un' certam lieu eleve fiir lequel ils montent pour rendre leur fruit qu*on recoit fur des feuilles de Bals y apres quoi la mere le frend,le frotte avec cesfeu'iL hs 5 6c I'allaite ^ians qull paroiCi^ de U Terre Auflrale. 179 fe qu'elle ait foiiffert aucune douleur. lis n^ fe fervent point de Janges, de bandes, ni de ber- CcdUX : Le lait que la mere leur donne eft fi nourifsant qu'il leiir" fuffit pour tout aliment pendant deux annecs ^ & les excremens qu'ils jettent font en fi petite quantite,qu'on diroit qu'ils n'en rendent point. lis parlent or- dinairement a huit niois ^ il^ raarchent a un an ^ & a deux on les fcvre. lis commcncent a raifonncr a trois ans : Et auffii- tot que la mere les quitte,le pre^ mier Maitre de la premiere ban- de leur apprend a lire , & leur donne en meme-temps les pre- miers elemens des connoiiG&n^ ees plus avancees. lis demeu- jieni: ordinairement trois ans (bus la conduite de ce breiiiief Maitre, & paflent enfuite fbu's la difcipline du fecond ,qui leur enfeigHie recrititre , &; demeit're avec eux pendant qiiatre ans,. &ainfides autfes a proportion jufques a trente-cinq ans -, aiti quel age ils font conferhmez en tour^s fortes de fdeileesyfans que rbn reitiarque jamais au- cune difference entre-eux,foit par la eapacite , foit par le ge- nie 5 ou le f(javoir. Lors qu'ilis^ ont ainli acheve le cours de routes leurs etudes ,jlspeuvenr ctre choifis pour Lieutenaits y c'eft_a-dire pour remplir la pla- ce de eeux qui veuJent fortir de lajivie. J'ai parie au Chapitre cin- quieme de leur humeur melee 4'vine certaine douceur pleina- de UTerre Aujirde. iSr ^e gravite qui forme le temj)e- r^ment des hommesles pIusraL fbnaables, & les plus proprcs a la focietd Us font forts , robu- ftes&vigoureux^Sc leur faiite n'eft jamais alteree par la moin, ^re maladie. Cetce conftitutioa admirable vienc fans doute de leur naiflance Sc de Texcellente nourriture qu'ils prennenttou^ jours avec moderation^ comme nos maladies font routes desfoi^ tQs de la corruption du fano- dont nous fommes formez , & d^ Texces des mauvaifes viandes qui nous fervent de nourriture. En efFet nos parens nous corner niuniqucnt ordijiairement tous \qs defauts qu'ils en put contra^ ctez par leur vie deredee ^ leur intemperance nous remplit d\ir ne abundance d'humeurs luperA^ flues qui'iiGu^ tuent, quelqtie* robuftes qire ridiis {?>idiis , fi^ nous ne noil's p'urge0hstri^s-i0ijt^ vent 2 Ce fdrit les clialeuri ex-; ceffives qu*ils' allu'ment dans* kurfang par leurs debaudhes, qui nous caxifent ces ebullitions, ' & tous ces auttes-mdux files' &; degoutans qui nous ceuvr erit ^ fouvent tout le corps ; Leur bile' nous donnedes difpoficiohsa la colere, leur lubriciteaugmciit'e nptre eoncupifcence ^ eri un mot ik nous font tels qu*ils font^ parce quils ne icauroicnt nous donnerque ce*qu'ils ont. Les Auftraliens font exempts ' de toutes ces paffions, parcc ter ce qu'on connoic inevita-^ blc. Pouvoir etre fans voir la mort, c'eft pouvoir vivre {am fc connoitre, puis que la mort eft inieparable de iiDus - me- mes, & que nous voir en rou- tes nos parties c*eft ne voir rien que de mortel. Pouvoir craindre la mort , c'cft pou- voir accorder deux chofes con- tradidoires, puis que craindre liippofe un doute de ce qui arrivera, 6c que nous fcavons cjue la mort arrive inciubita-. blement : c'eft encore pis de prendre des prefer vatifs pour" la detourner , puis que nous fommes afTurcz que cela eft inipojfTible. Je repliquai que jTous pouvions avec juftice- (Craindre non la mort mais {qs-- idd Terre Auflrale. 1 9r approches : &: que les prefer^ vatifs etoient utiles , puis qu'ils pouvoienc au moins nous en e- loigner pour un terns. Fort bien , repartit-i! ^ maisne vois^ tu pas que la neceffite de mou- rir etant indilpenfable, Ion eloi. gnemcnt ne peut nous cauler qu'une luitc de peines, de cha- gnns & d'ennuis. Je lui re- pondis que ces raiibns auroient beaucoup plus de poids parmi les Europeens que chez eux^ oil ils ne fcavent ce que c'eft que fouffirir , au lieu que la vie des Europeens n'ctoit qu'u- ne chaines de fbufFrances 6c de mileres. Quoi done , dit-il , avez-vous d'autres infirmitez que celles d'etre mortels & de vouscon- nalcre mourans. ipi Parage Je rafliirai qu'on mouroit fbuvent plufieurs fois aupara- vant que d'achever de mourir, & que la more n'aFrivoir aux Europecns qu'a force de ma^ ladies qui les abattoient &: les faifbientenjfrndefaillir.Cetrerd- i ponle fuc pour lui an miflere :- 1 &z comme je m'efFor^ai de lui * faire comprendre nos goutes^,. nos migraines, nos coliques,. je vis qu'il n'entendoit pas ce I que je voulois dire 5 il faluc | done pour me faire entendre,, que je lui expliquafle en parti- culier quelques-unes des dou- leurs que nous foufFrons ^ 8c comme il m*entendit, il ajou- | ta :.feroit-il poiTible qu'on put J aimer une telle vie ? je repon- dis que non leulement on Tai- moit, mais encore qu'oa em- ploioit de h Terre Auflrde. 1 9 1 ploioic routes cholcs pour la prolonger : d'ou il prit unnou- veau liijet de nous condam- ner d'inlcnfibilite ou d'excra- vagance • ne pouvant, difoit- il, comprendre qu'un homme raifonnablc , afTure de la mort, qui fe voioic tous les jours mourir a force de Ibuffran. c^s^ &c qui ne pouvoit pro. longer ia vie fans une conti- nuelle langueur , put ne pas {buhaiter la mort commc Con plus grand bien, Nos £nitimcns font bien e- loigncz des votres , ajouta-t-il : aullitot que nous fommes ca- . pabies de nous connoitre, com- me nous fommes obligez de nous aimer, dc que nous nous confiderons commc les vi6ti- mes neceffaires d'une caufe (u^ R 194. Votage perieure qui peat a tons mo^ mens nous detruire, nous faL ions fort peu de cas de notre vie, Sc nous ne la regardons que comme un bien etranger que nous ne pouvons pofTedcr qu'en fuiant. Le terns pen^ dant lequel nous en jouilTons nous eft a charge , parce qu'il ne fert qu'a nous faire regrets ter un bien qu'on nous ote plus facilement qu*on ne nous le donne, Enfin nous nous ennuions de vivre, parce que nous tfofbns nous attach er a nous-memes de toute la ten- dreile que nous pourrions a- voir , pour ne pas foufFrir de trop gj-andes violences quand nous ferons oblieez de nous quitter. Je lui dis a .cela que la raifoi^ de h Terre Auflrde. 19; nous apprenoit que Tetre e- toit toujours preferable au neanc , 8c qu^il valoit mieux: vivre , quand cc ne leroit que pour un jour, que de ne vivre pas : furquoi il me rcpondic qu'il faloic diftincruer deux cho- Ics dans notre ecre • Pune cffc' Texiftence generale qui ne pe- rit point, Tautre eft cette e- xiftence particuliere , ou cec ctre individucl qui peric La premix^re eft meilleure que Ja privation: &: c'eft ce qu'oa- doit ablblument entendre ^ quand on dit que Tetre eft preferable au neanr. La fe- conde eft fouvent pire que la privation , fur tout fi x^ie eft accompagnee d*une connoiC iance qui ne tende qu'a nous rendre mallieurcux. IS^ VoUge Je repartis que fi Tetre en general eroit meilleur que le non ecre,il s'enfuivoit que Te^ tre en particulier valoit mieux que {a privation • mais il me fetisfir en me propofant Pe- xemple meme dc i'ecat ouj'a- vols etc. Dis-^moi de grace , nie dit-il, quand m te con- Cderois Icul dans ces lieux dont cu nous as parle, envi* ronne de routes parts de la mort, pouvois-tu croire'alors que ta vie fdt.ua bien,&reC timois-tu plus que le neant ? N'eft-il pas vrai que tcs con- noiilanccs ne.fervoient qu'a te rendre milcrable ^ ^ que tu aurois pfefere d'eiTe infenfi- ble aux fentimens que tu avois de ta miferc ? II ne lerc done a rien de vouloir foutcnir que de h Terre Auflrale. 1 97 Connoitre eft un bicn , puis que la connoiflancc qui m'af- flig£ noil leulement ne nVeft pas un bien , mais encore un mal a'autant plus fenfiWe que jc le connois micux. C'cfl de ce principe que fuit notre ve- ritable mifere, de connoitr^e ce que nous fommes bL ce que nous devrions etre 5 nous 1<^4- vons que nous Ibnimes des ctres nobles , cxcellens , en un mot , dignes d'une eternelle durce • & nous voions qu*a- vcc touce norre noblelTe & notre excellence noits depcri- dons de mille creatures qui font beaucoup au dellous de nous. Voila ce qui eft cau- ie que nous ne nous regai*- dons que comme des etres qu'on n'a clevez que pour Its R iij 19^ Vokge rciidre plus malheureux^ & ce qui fait que nous aime- xions mieux n'etre point du tout , que d'etre tout enfem- ble 6c li excellens & fi mile- rabies. Nos ancetres etoient telle- ment convaincus de cette ve- rite , qu'ils chcrchoient la mort avec le plus grand emprefle- ment du monde : &: comme nos pais devenoient deierts , j on trouva des raifons pour convaincre ceux qui reftoient , de s'epargner durant quclque terns • on leur remontra qu'il ne faloit pas rcndre inutile , une fi belle & fi grande Terre: que nous faifions un orncment de cet Univers , 6c que nous dcvions cndurcr la vie quand ce ne feroit que pour com- de h Terre Auflrate. 199 pkirc au fouverain Maitre qui nous Tavoit donnce. Quel que tcms apres, pour remplaccf ccux qui avoient cherche Icur rcpos dans unc mort volon- rairc, tous ceux qui rcftoicric s'obligerent de prcfentcr jut qu'a '^trois cnfans aux Hcbs. Tout le pais aiant ete ainfi repcuple , on publia qu on ac. corderoit deformais la pcrmiC fion du grand repos a qui- conque prcfcnteroic un hom- me au Heb , foit que ce fut fon propre fils ou quclqu*autre qui voulut bien lui fervir de Lieutenant & occuper fa pla- ce ^ niais on dclibera en me- me tems,que perfonne ne pour- roit demander cecte permifl fion qu'il n'eut au moins cent ans , ou qu'il ne fit paroin*e R liij 20 o Foiage quelque blejGTure qui TlnconT- modac extraordinairemencLor^ qu'il achevoit ecs mots , nous fumes joints par deux freres , dont je fus tres - fache : car je n'avois jamais trouve mon vieiL lard ii bicn difpole a me de- eouvrir les mifteres de routes Jes chofes lur lei'quelles je lui demandois quelque eclaircill fement. Au refte ^ il ne fe fait point d'aflemblee au Hab , ou ii n'y ait vingt ou trente perfonnes qui dcmandent la libertc de letourncr au repos^ 6c on ne la refufe a qui que ce fbit quand on a de juftes raifons pour la demander. Lors que quelqu\ui a obtenu fon con- ge pour (brtir de la vie , il prelcnte Ton Lieutenant qui doit de h Tern Aup^ale. ibi iavoir an moins trcntc-cinq ans. La Compagnie le recoit avec joie, 6c on lui donne Ic nom du vieillard qui veut ccfler de vivre. Ccla etant fait, on lui reprefente les belles adions de fbn predecefTeur, Scon lui dit qu'on eft aflfure qu'il ne degenerera pas de la verm de celui dont il va remplir la place. Cette ceremonie ^tant achevee , le vieillard vient gaie- nient a la table des fruits du repos , ou il en mange jufqu*a bait d'un vilage ferain 6c riant. Lors qu'il en a mange quatre,. fon coeur fe dilate , fa rate s'e- panoiiit r de forte que la joie extraordinaire qu'il relTent lui fait faire plufieurs extravao;an- ces , comme iont celles de lau- ter^^de danfer 6c de diretoutes^ %oi Vokge fortes de fotcifes aufquelles les freres ne font point de refle- xion , parce qu'elles ne partent d'un homme qui perd la rgiu fon.On lui prefcnte encore deux autres fruits qui alterent tout a fait fon cerveau 3 alors fon Lieutenant avec un autre le conduifent au lieu qn'il s'eft choifi quelque terns auparavant pour iepulaire : 6c la ils lui donnent deux autres fruits qui le plongent clans un fbmmeil eterneJ, lis ferment enfiiite foil rombeau, & s*en retournent ea- conjurantle fouvcrain Erre d'a- vancer les bicnhcureux momens aufiucis ils doiventjodir dure- pos pareil a celui deleurfrere, Vo^Ia comme naiflenr, vivent 6c meurent les Auflraliens. dekTerreAufirde. 105 CHAPITRE Vlir. Des Exercices des Au2 -J firdiens. LEs Auftraliens Gomptent leurs annees dcpuis Ic pre- mier point du Solftice du Capri- come jufques a la revolution du merne point , & ils en jugent cxadement par Tombre /i'une pointe attach ee centre iinc mu- raille, 6: oppcfee dircdeirient au Midy : Lorfque cctte ombre eft parvenue au point le plus bas qui efl: marque dans tous leurs appartemens , ils rccon^ xioifTent que i'annee eft finie, Depuis ce Solftice jufques a 204 Vol age TEquinoxe de Mars , ils compe- tent un Sueb^o]x un iTioisiDe- puis I'Equinoxe de Marsjufques au Solftice de ?Ecrevice~ , ils comptent un autre mois. De- puis ce temps jufques a I'aiitre Equinoxe un troifieme mois , 6c le quatrieme s*etend depuis cQt Ee]uinoxe jufqu'au Solftice du Capricorne , de Ibrte qu*ils n'ont ainfi que quatre mois en Tannee : ils nomment Suem , ce que nous appellons femaines , &ils en comptent aurant que de Lunaifons 3 ils divifent les jours qu'ils nomment Suec en trois parties 3 Mure , le jour commen- ^ant 'yJDurc , le jour avance 3 6c Spure ^ le jour finiflantrils ne font aucune divifion de la nuit^ parce qu'ils la paiTent dans un profond fommeil,qu'i!s fepro-^ deUTerre ttAuflrde. %o$ lemblent fc difputer I'avantage de Teclat de la variete des cou- leurs, &: des charmcs de To- deur. dehTerre^ujlrde, 209 deur. Lcurs allces y font d'une longueur a pertc de vvie , & d'une proprcte a Jaquellc on ne f^auroit ricn ajoiirer. Tout ccla ell entrc-coupe de mille pieces d'cau toutes differences , qui forment des baffins , des-canaux, des cafcades, 6c tout ce que' rArt peuc inventer pour le plai- fir des fens 3 fi bien que cesjar^ dins font reelleincnt tels que ilous nous en figurons quelquc- fois en idee jlorfque nous laif- fons agir notre imagination au ■gre de nos defirs,. Le dernier tiers du jour eft deftine a trois fortes d'cxerci-- ces fort divertiflans. Le pre-, mier confifte a faire pai'oitre ee qu'ils ont invente ae nou- veau , ou a repecer ce cu'on a deja fait voir auparavant : mais • S no Voiage rl ne fe palTe guere {ans qu'on propofe quelqu'mven4 tion nouvelle ^ &i le nom de €cux qui en font les Auteurs effc ecrit dans le Livre des Curiofi- tez pLibliques, ce qu'ils eftU nient le plus grand honneun qu*on puille recevoir parmi eux. En trente-deux ans quQ j'ai demeure dans le Pays j'eu! ai remarque plus de cinq millev qui pafleroient pour autant de; prodigesparmi nous. Le fecond exercice confifte: a nianier deux fortes d'Armes,, dont les unes ont beaucoup de rapport a nos Hallebardes, 6c, les autres a nos tuyaux d'orguesp lis manient celles-la avec une: grsnde agilite , mais non pas cependant avec toute la dexte~- nite que j'ai remar quee en Eu*. dehferre Aujimle. in rope : Icurs Hallebardcs font fi grolles be fi fortes qu'elles peii- vent percer ficilement fix hom- mcs enfcmble^ ce font des pie- ces de bois fac^onnces ^ trem- pees dans une cau de Mer , melee de quclques aiitres dro- gues qui les endurcit, & les rend en meme-temps plus le- geres. L'autre forte d'Armes que j*ai comparees aux montres de rios Orgues , font compoiees de dix ou douze tuiaux , qui ont certains rellorts au bout, lef^ quels Ciant lac]:iez poullent des bales avec tant d'impcmofire qu'ellcs percent cinq 5c fix hommes d'un ccup • I'afdon de ce rcflort eft fi rapide & {i prompte qu il eft impofiible de s'to garantir , 6c que i'on eft 2 1 1 * Voiage pliitot frape qu'oii n'a penfe a^. parer le coup. All refte , ils jettent leurs Hal- lebardes de trente ou qiiarante pas , 8c de quinze coups ils n'en manqueront pas deux a fraper Jiu blanc. Mais leur force eft encore plus prodigieufe que leur adreC fc 3 car ils portent, fans aucmv effort , les fix Sc fept quintaux,, ^ arrachent avec facilite des iirbres que nous ne pourrions pas meme remiier 3 je me fou- viens d'en avoir vu un qui aiant perce de fa Hallebarde qua- tre demi hommes , comme ils nous appellent, les portoic. fur Tune de (qs epaules fiifpen- dus a la meme Hallebarde, deux, devant, 8c deux derriere. Le.tr.Qifieme exercice con. dehTevve AuSlvdc- ixy fifte a jetter avec la main ccr- taines bales de trois on quarre groflenrs difFerences^ ilsjcttcnc les unes en Pair , Ics autres cen- tre des buts,6c quclqiiefois ils fe les jettent Tun centre Tautre : celles qu'ils jettent en Tair doi- vent fe choquer en un certain point marque , pour etre bieii jettees ^ &: pour celles qu ils jet- tent contre un but, elles doivent . pafler par un trou qui eft au but, ce quells font fouvent dix 6c douze fois de liiite. Ge qui eft plus remarqua- ble dans ces exercices , c'eft qu'ils les font d'un air gai , bien que grave &: majeftueux , fans aucun defordre, ni aiicune al- teration. Les bales qu*ils fe jettent Tun contre Tautre font fembla* 1^4 VoUge Mes a celles de nos jeux de Paiu me, fi cc n'eft qu elles font plus douces , 6c nioins dangereufes : Tadrefle de celui qui les jette eonfifbe a frapper celui contre lequel il joue, 6c celui-ci de foil cote met toutefon adrefle a eviter le coup qu'on lui porte^ le plaifir de les voir eft fi grand ^u'il n'eft rien qu'on nequitte pour avoir ce divertillemenr, Tantoc ils fautent en cabrioL lant , pour donner lieu a la bale de pafler : Tantot ils fe con- tournent 6c fe courbent de tant de fac^ons qu'il n'eft Dan- feur de corde , ou Voltigeur parmi nous qui approche de leur agilite ^ quand celui qui jette les bales en lance troisou quatrc de fu re coup fur coup^ c*eft une chofe admirable a voir^ de U Tene Aufirde. z Xf que le manege de celui qui Ics revolt , lequel le courbe a Tune, fe plic pour Tautre , re(^oit 2c rejette la troiileme dc la qua- tneme de i^s mains , & quel- quefois de fes pieds 3 ce qui fe fait prefqu'au meme inftant ^ car conime les bales font tou- jours jettees parfoitcment droit, c'eft une neceffite ou que tous les coups portent , ou que celui qui eft le but ait une adrefle ex- traordinaire pour les eviter & les detourner. J'ai ete cftime aficz adroit en Portugal ^ mais ileftvrai que je paroifTois forr pe{antparmi les Auftraliens,8c fi ce n'eut ete que je m'excu- fois fur le erand nombre de plaies que j'avois rec^ues^jau- rois fait pafler ma Nation pour tout4-fait lourde & grofliere.. zj:6 Vohge CHAPITRE IX. De U Langue Aufirdienne C# des. Etudes dcs Aup trdiens. LE s Auftraliens fe fertrent de trois fa(^ons d'expliquer leurs penfees comme en Euro- pe 3 a f^avoir , des fignes, de la voix 6c de rdcriture. Les iignes leur font fort familiers , & j'ai remarque qu'ils paifent' plufieurs heures enfemble ians le parler autrement. lis ne parlcnt que lors qu'il eft neceflaire de lier un dif- cours be de faire une lonOTC iiite de propofitions. Tous- leurs de U Tme AUUrde. iij leurs mots font mdnorilla-* bes , -& leurs conjugaifon^' font toutes -lemblablcs : 'par cxcmple , af fignifie aimer ^ & voici comme ils le conju- guent au prefent: la , pa ^ ma ^ jiiime, tu aimek, il aime. Ila^- ppa ^ mma-^ nous aimons^vous- aimez, ils aiment. lis n'ont qu'un preterit que nous ap- pellons parfait : Iga , fga , mga , j'ai aime, tu .as' Sfime y&c. llg4 , mmga , lYous^ avons aim^ , vous avez aihi'ie , &c. Le futur c'eft Ida , pda , mda y j'aimerai , tu aimeras -, &c. H'day • ppda , mrnda , nous aimeroiis* ^ V.0U s ainierbz , &C'; Travi^ilter , eji languc Auftralicnne c'eft 7r/\y lis le conjuguent ainll;- lu , -pu , »2«,, je rravaille, tu- ■ travaille^ ^ 11 ci^avaiUe-i ku'^p^ ^ T 2i8 Kohcre ^^u , nous travaillons. vous travaillez , ils travaillenc , y &q ainfi des autres terns. ' i lis n*ont aucune declinaifbn • i)i meme aucun article & tres* peu de tioms. lis expriment Ics chofes fimples par une feu^ le voielle : & celles qui font compofees , par les voielles qui iignifient les principaux d'en^ tre les corps fimples dont elles ibnt compofees. lis ne recon- AoilTent que cinq corps fim^ pies, dont le premier &cle plus ;ioble eft le feu qu'ils appel- lent d'une feule lettre u4. le fccond eft Tair qu'ils appellent i. le troifieme eft le fel qu'ils nommentO. le quatrieme Teau nommee /. &c le cinquieme la terre appellee ;^. Xq^^s kurs adjectifs .& k]xn ie h Terre Auftrale. 1 19 cpichetes fe marquent par une ieule confbne done ils ont m% bicn plus grand nombre que Ics Europeens. Chaque con- fbne fignifie une qualite qui convient aux chofes fignifiees par les voielles ^ ainfi 2^ vcuc •dire clair : C. chaud ; D. defa- greable : F, fee • 6c luivant ces explications, ils forment fi par- faitement leurs noms , qu'en les entendant on con^oit aufl iitot la nature de la chole qu*ils noinment. lis appelicnt par exemple, les etoiles ^^^,moc qui fait entendre tout d'un xoup les deux corps fimples- dont ellcs font compofees , dc qu*elles font avec ce!a lumi- ncules. lis appellent Ic Soleil ^alf , les oifeaux Oef: ce qui marque tout a la fois qu*iis T ij pL ^%o Voiage lone d'lme matiere ieclie quante &. aerieniie. Us nom- menr Phomme Vex^: ce qui fignifie mie lubftance partie acricnne , paitie terreftre , ac-- compagnee d'humidite 3 & ain- 11 des autres chofes. L'avan- tage de cetce hc^on de parlei' eft qu*oii devient Phloilbphe en apprenantj les premiers mots qu'on prononce, ^ qu'oa ne pent nommer aiicune chofe en ce pais , qu on n expiique fa nature en meme terns • ce qui pafleroit pour miraculeux ^ fi on ne fcavoit pas le (ecrec de leur alphabet & de la com- pofition deleurs mots. J? Si leur facon de parleir. eft* fi admirable , celle d'ecrire. Ke^ft encore davantao-c. lis n'ont que dQs points pour .expliquer. de U Terre Asfirale. ni kurs voielles , 6c ces points ne fe diftinguent que par Iciir Situation j lis ont cinq pla- ces : la fuperieure fignifie Vj : la fuivante Tf^&c. pai^ excmple , J a Et bien quil nous femble que la difbindion en foit aflfex difficile , I'iiabitudc qu*ils en ont la leur rend tres-aifee. lis ont trente-fix confones, dont vingt-quatre font tres - rcinar- quables ^ ce font de petits traits qui environnent \cs points, 8c qui fignifient par la place qu'ils occupent ^ par e-xemple , %B \ air clair , C — - T iij 211 Voiage can chaude , Ij^- • eau froide , KL i terre humide ^ AF! feu fee , eS! air bJanc ^ &: ainfi des autres. lis en ont encore dix-huit ou dix-neuf^. mais nous n'avons aucune con- fone en Europe qui les puifle expliquer. Plus on confiderera cette fa^on d'ecrire , plus on y trou^ vera de fecrets a admirer. Le. B. fignifie clair, le C. chaud , r^. froid ^ L^ humide , F- fee, S. blanc', iv. noir , T, verd, X). defagreable , P. doux , Q^ plaifant, R. amer, A/, fouhai- table 5 G. mauvais , z. haut, //. bas , /. confone , rouge , ^. joint avec / , paifible. Aufli- tot qu'ils pix:)noncent un mot ^ ils connoiflent la namre de la chofe qu'il fignifie 5 comme de U Terre Aufimk, i£j />, on entcnd auffi-totune pomme douce & defirable , Jx^ un fruit mauvais & delagrdiblc : ^ ainfi du reftc. Quand on enfeigne un en- fant , on lui explique la fignU fication de tous les elemens & la nature de toutcs les ehofes qu'il profcre : ce qui eft un avantage merveilleux , tant pour les particuliers que pour Ic public ^ puis qu'auflT-^tot qu'ils fcavcnt lire ,c'eft-a-dire , com- munement a trois ans , ils comprcnnent en meme tQ.\ns tout ce qui convient a tous les ctres. lis f^avent lire parfai- tement a Paire de dix ans , & ils connoinent tous les lecrets de leurs lettres a quatorze. lis f^avent toutes les difficultex T ill} 2^14 ' Voiage de la Philofophie a vingt : 8c depuis vingt juiqu'a vingt-ciiiq ils s'appliquent a la contem-^ plation des Aftres^ & ils di-: vifent cette etude cri troisi parties ^ la premiere eft de la revolution des Aftres qui com- prend leurs annees :1a iecon^^ de de leurv diftindion , &: la troifieme de leurs qualitez i. avcc des raifbnnemens qui font tout autres que ceux que Ton fait en Europe for eette ma-, tiere. Mais comme ce iiijet eft purement philofophique y ce n'eft pas ici le lieu d'en parler plus en detail. Ils s'occupent depuis vingt^ cinq jufqii'a vingt-huit ans a la. connoiflance de leur iiiC- toire 3 &: ce n*eft qu'en ce feul goint qu'ils font paroitre une de hTerre Aufirde. tif foibleffe d'elprit femblable a celle dcs autres peuples , tant pour Taiuiquite jufqu'a laquel- ie ils font . remonter leur en- gine, que pour les chofes fa- buleufes qu'ils racontent des premiers hommes dont ils di^ lent etre defcendus. Ilscomp- tent plus de douze mille revo- lutions de folftices depuis le commencement de leur Re- publique. Us dcbitent qu'ils tirent leur origine du Haab , ou d'une Divinite qui d'un feul Toufle produifit trois hom- mes defquels tous les autres font venus. Ils ont de vieilles ecorces qui contiennent huic mille revolutions de leur hif- toire, 6^ elle y eft ecrite en forme d'annales. Le refte eft compris dans quarante - huic ii6 yokge Volumes d*une groflcur prodL gieufe^ mais tout ce qui y eft rapporte a plus Tair de Prodis ges que d'Eveiiemcns HiftorL ques , & eft plutot merveilleux que croiable ^ car fi tout ce qu - ils racontent etoit vrai , les Etoi- les fe icroient multipliees des deux tiers : le Soleil feroit 2;roiIi de la moitie ,, 6c la Lune fort diminuee ylaMer auroit chan^ ge de place, &il feroit arrive' mille autres chores pareilles qui font hors de toute appa- rence. Pour ce qui eft de nous , its ne nous font commencer que cinq mille revolutions apres eux, 6c Torigine qu*ils nous donnent eft tout-a-fait ridicule- car ils difent qu'un Serpent d'u- Begrofleur demeiiiree, 6c am- dehTerreAuJirale. 227 phibie , qu'ils nomment Ams , s'^etant jette fur une fcmme pen- dant fon fommeil , & en aiant joiii , {ans lui faire aucun autre mal^ cette femme fe reveilla fur la fin de Tadion , de laquel. le elle eut tant d'horreur qu'el- le fc precipita dans la Mer 5 le Serpent fe jetta auffi-tot dans Teau apres elle, &: la foutenanr toujours, la porta jufqu a une Ifle voifine,ou touchee de I'a- mitie de cet Animal , &: fe re- pentant de fon propre defef- poir,elle refolut de fe confer- ver la vie ,& chercha , dans ce lieu delert , tout ce qui pouvoit lui fervir d'alimens 6c de nour- riture 3 le Serpent de fon cotq lui apportoit tout ce qu'il trou- voit. Enfin cette femme accou- chade deux Enfans^Tun male iiS ' VoUge' 6c Tautre femelle ^ le Serpent' redoubla alors fes foins , ne cet {ant d'aUer &: de venir pour trouverde quoinourrir la mere &les enfans-.Quand les fruits ordinaires lui manquoient, il prenoit des poifTons, &: quel- quefois de petits animaux , qu'il leur apportoit ^ a mefiire que ces deux enfans croiflbient , ils faifoient paroitre de plus grands _iignes de malice , 6c de plus grandes marques de brutal ire, ee qui caufa tant de triftefle 6c de chagrin a la mere qu*e!le en devint inconfolable. Le Ser- pent s'apper(jeuc de les ennuis, ^ penfant qu'ellc regrettoit fon Pays 5 apres avoir fait fon poll fible pour la confoler , (ans rieii avancer, il lui fit plufieurs fii. gnes pour lui faire entendre deUTerreAufirak. iz9 que fi elle vouloic rerourner a- i^ec les fiens , il Taflifteroit en [on rerour, conlme il Tavoic ?jdee a & venue. Cette femme fe jecca dans I'eau , plutot a deC fein d*eprouver la volonte du Serpent, que pour aucune auyre conlideration : au meme in- ftant , le Serpent fe mit a la na- ge , le plac^a fous fon eftomach, 6c la porta en peu d*heures en Ion Pays • apres quoi il repafia pour joindre les deux petits, qui etant devenus grands, s'accou- plerent,&multiplierent beau- coup , ne vivans que de challe &: de peche ,comme des betes carnacreres : Tllle etant deve- nuc , par la liiite , trop pcuplee, iis trouverent le moien de paC. ler en d'autres Pays, 6c de les r^mplir de leu^s produclions^ ,ajo Voiage avec toiT3 les delbrdres que nous experimentons. Voila rorigine que les Auftraliens nous donnent^ mais revenons a eux. Lors qu'ils font parvenus ^ Tage de trente ans ., ils ont per- -miffion de raifonner fiir routes fortes de matieres , excepte fur celle du Haab , c'eft-a-dire , de la Divinite. Quand ils ont en- viron trente-cinq ans, ils peu- vent etre Lieutenans dans les Hebs 5 &: faire un Corps de Fa^ niille avec les autres Freres , dans un appartement fepare j apres vino;t-cinq autres annees ils peuvent retourner au Heb, pouryfervir a I'inftrudion de la JeuneiGTe 3 mais ils obfcrvent ordinairement en cela le rancr de Tanciennete , fi ce n*efl: que deUTerreAuflrak. ijnc ^uelque Vieillard cede voloa^ tiers la place a un autre. C H A P I T R E X. De$ Jnimaux de U Terre tAuftrde. IL n'y a perfbnne pour peu verfe qu'il ibit en ]a con- noiflance des Pays , qui ne f^a- che que Ics Animaux y font auf^ fi differents que les Terres qui les portent. L'Anglecerre n'a point de Loups • &: les Serpens ne fcauroient vivre fur la Terre de rirlande , quelque part me- me qu*elle foit tranfportee. Le Bois des Forets de ce me- me Pays ne foufFre ni Vers , ni Arai2:nees : Les Ifles Orcade^ n'ont point de Mouches^ la Candie ne porte aucun Animal venimeux 3 le venin meme tranfporte aux Ifles de la Trini- te perd fi. malignite, 6c ii'eft plus mortel quand il y eft. Ceft une choie ajGTeitree- qu'C les gros Animaux ne font pas toujoiirs les plus incommodes- les mqnues vermines que. les Auftraliens ne peuvent conce-^ voir, 6c qui n'ont rien de rare que la vie , font rant de defor- dre en plufieurs endroits de rEurope,quelles caufent fbu- vent la fterilite , la peft^ , 6c ^ d'autres maux auffi confidera- bles , comme on peut le prou- ver par une infinite d'experien* : ces 3 c'eft pourquoije dois met- tle ail nombre des plus gi-ands biens de UTr/re Aufiralf. 235: biens des Auftralicns , I'avanta- ge qu'ils ontd*ctre ablblument exempts de toutes fortes dlu-^ ledes. II ne fe trouve chez eux au- ciTiie bete venmieufe en quel- que endroit quecefoitjauHi le coLichent-ils tres-fouvent fur la^ terre nue , non fciilement i:iDS aucune incommodite , mais me- me avec plaifir. Ceft dc Ud auffi en partie qu'ils ont un G o;rand nombre de fruits egrale- ment delicieux & beaux, lis ont garde ailez Ion<^^ temps trois fortes d'Animaux a quatre pieds,^ils engardent encore en certains endroits ^ je pourrois comparei" les moin- dres a nos Singes , excepte que leur face n'eft pas velue • leur ycux font a fleur de tete, leurs V- 254 * Vomge oreilles font afTez loneues ; ils ont la bouche 6c le nez de for- me humaine , les pates plus lon- gues , avec cinq doigts , dont ils tiennent & portent tout ce qu'ils veulent avec autant de fa- eilite que des hommes ^ ils ibnt fort adifs, & ils font quantite de tours qui demandent autant d'adrefle que d'agilite. Uami- tiequ'ils ont pour Tliomme eft telle qu'ils meurent de faim & d'ennui quand ils font obligezr. d'en etre eloignez : Lors qu'ils font en la prefence de quelqu - un • ils ne ceffent de lui donner quelque divertiflement par leurs tours : On les a bannis de plufieurs Sezains, a caufe qu'ils €toient trop importuns , parti- culicrement dans leHab 3 com- me. on, ne pouvoit ks empe-^^ de UTerre AufiraFe. t]f eher d'y aller qu'on ne les re- tint enfermes,&: qu'onaielcs tronvat mourans au retour , anfl fi on ne pouvoit les y laifler venir lans s'expofer a une diC tradion continuelle, &: a Ja profanation d*un lieu fi vene- rable. Les Animaux de la fcconde forte ont quelque eonformite avec nos Pores ^ mais leur poil eft doux comme de la foie , 6c leurs mufeaux font de la moitie plus longs : On les nomme Hums , ils ont rinftinci de foiiir & renverfer la terre en lio-nes droites avec autant &: plus d'a- drejQTe que ne font nos meil- leurs Laboureurs - ils n'onc be- ibin d'aucun Condufteur pour ^ommencer , continuer ^ & finir leurs raies ^ on les a cepcndant 23^ Voiage detruits dans la plupart des' Sezains, a caufe des ordures qn 'lis y ameneiit , 6c parce qu'ils^ x\Q font utiles que fept ou huir jours de Tannee • il faut les tenir cnfermez le refte du temps, ou^ ibufFrir des degats &: des income; moditez tres-facheufes. La troifieme forte d'Animaux a du rapport a nos Dromadaiw res , fi cen'eft que leur tete ap- proche plus de celle des Che- vaux- Techine de leur dos eft. enfoncee par tout, Seles cotes qui s*elevent par dejfltis font uiie efpece de coeur , dont la^ pomte eft en bas , & deux hoin^ mes couchez peuYent tenir fa- cilement dans le creux de def- ills : on les nomme Su'efSf^ih portent fans peine huit hommes - dece Pays, qui pejfent au moins. dchTene Auflfde. 2.37^ douze Europeens , 6c on s'eii fert de meme pour tranfportcr les fardeaux les plus peians , &: les autres choles necellaires dans ie commerce de la vie. Outre ces Animaux on y trou- ve quatre fortes d'Oifeaux qui meritent nos reflexions : tes premiers fo nomment Effs 3 ils voltigent comme les Poules pri- vees , 6c ils font de leur groC four 3 leur couleur eft d'un in- carnat channarvt • cependanc on commence a les bannir des Sczains, parce qu'ils caufenc beaucoup de defordre dans les Parterres 6c les Jardins. Lesfoconds^cles troifiemcs font fcmblables a nos Tarins 6c a nosMej[ano;es, mais ils fontun- peuplus gros,6c u pnvez qu*il les faut fouyent chaiTer de del- y ^ 2j8 VoUge lus les Perfonnes, & lenr voisi eft fi douce qu'on Ja prefere aux plus beaux Concerts de Mu- fique 5 lis voltigent avec les Freres , &: les fuivent par tout 5 ils entrent meme dans le Hab^ ou ils caulent une certaine dou- ceur d'efprit par leur gafoiiille- ment qu'ils appellent Pacd ^ G*eft-a-dire , divertiflemcnc de Beatitude : lis ne mangent ja- mais qu'avec les Freres , & ils ne prennnent aucun repos qua- ils ne fbient iiir eux : Us ont cet- te propriete de fentir de fort' loin les Oifeaux carnaciers , 6c de piquer les Freres pour lesa- vertir 3 en un mot, c'eft une des plus agreables & des plus utiles recreations de ce Peuple. Les quatriemes Oifcaux font de la grofleur de nos Boeufs ^. de h Terre Auflrale. 139 lis ont une longue tete qui finit en pointe, &: un becd'un grand pied , Icquel eft plus affile que l*acier eguife. lis ont de vrais yeux de boeuf qui fortenc de leur tece, deux grandes oreilles, des plumes roufles & blanches , un cou un peu delie^mais fort large, un corps long de douze pieds, & large de quatre , avec une queue de plumes grandes, &: recourbee 3 un eftomac fbus leurs plumes a Tepreuve des coups 8c dur comme fer, A(^%- pattes plus menues que groC les,finiflanten cinq cffroiables ferres capables d*enlever faci- lement un poids de trois cens Jivres. Ces horribles betes fe nomment urqs U. elles ne vi- vent que de proie. Elles font. 2^40 VoUge en certain terns une guerre fi cruelle aux Auftraliens, qu'eU las en enlevent quelque fois quatre ou cinq cents en un jour. Aufli-tot qu'elles ont goii- te de la chair humaine , Tavi- dite qu'elles ont d'en .avoir s'augmente , 6c il n'eft ni ftra- tageme , ni invention dont el- les ne fe fervent pour en atraper: tantot elles font en embulca- de, tantot elles fondent de la moienne, resiion de Tair douze &c quinze enfemble •, 6c fe jettant a travers les amies des Auftraliens, elles nemanquent gueres a enlever chacun k leur. Comme cqs animaux font les plus grands ennemis qu'aient . les Auftraliens • ils ont fait ;6c font encore tous les jours des chofcs dehterre Aufirde. t^i choles inconcevables pour Ics externiiner 5 julqu a detruire dcs Ifles enrieres de trence &: tren-- te-cinq lieucs de circuit , tc raler dcs moiitasiiies d'une CI? lieue de hauteur pour les chad fer . mais quoi qu'ils aient fait &: quoi qu ils faflcnt , je nc vois aucunc apparcncc qu'ils puifl fcnt s'cn deUvrer : car les Ifles font en fi grande quantite en ce pais, 6c elles y font plei- nes de rochers Ci elevez,qu'il eft impoffible d*en venir a bout ^ mais nous parlerons plus amplement dc ces oi- feaux dans le chapitre flii- vant. Je ne puis m^empecher de dire ici, que bien loin que les Auftralicns mangent de la X ^^1. Vohge chair , ils ne fcauroient fcule- meiit concevoir comment un- homme en pent manger 5 les raifons qu'ils alleguent de cela font 3 premieremenc, que cet- te forte de nourriture ne pent compatir avcc Tliumanite qui doit cere naturellcment tres-e- loignee de la cruaute. Secondc- ment, que la viande des ani- maux aiant beaucoup de rap- port avec celle des hommes , celui qui pent bien manger de la chair de ceux-la, manp;cra ians difficulte de la chair de ceux-ci. Troifiemement , que la digeftion en ell: trop dan- gereule , 6c qu*on ne peut man- ger la chair d'un animal fans .fw revetir de fes inclinations. Quacnemement , que la chair de U Terre Aufirale. 1 4 5 (Tune brute eft tellement mo- difiee a cette brute , qu'on ne peut s'en nourrir ians lui dc- vcnir fcmblable a proportion qu*on en mange. Cinquicme« ment qu'une bete eft que!- que chofe de ft bas, qu'il van- droit mieux qu'un homme ne fut point du tout , que dc communiquer de la Ibrte a- vec elles. Au refte, les Auftraliens ne deteftent pas moins les poiiTons que les animaux terreftres. On en voit fort peu chez eux , parce que les oifeaux de proie dont je viens de parler s*en nourriilent ^ leur font une guerre perpetuelle. Pour moi^ je n'y en ai jamais vu d'autres que certaines fortes d^anguilles X ij ^44 VoUge dc trois & de quatre amies d^ long : & certains petits pattus qui reflemblent aflez a nos pores-epics, d*un noir luiiant .^omme cbene. CHAPITRE XI. pe quije trou^ent dans U Terre Aufirale. CEux-Ia (q trompent e- •trangement, qui s'imagi- nent que TEurope eft un Pai's qui n'a auciin befoin de fes yoifins. Les nouvelles commo- ditez que le commerce avec f iVfie 5c avec VAmerique nous de la Tirre Jufirde. Z45 a apportees depuis cent aiis, en Ibnt urie preuve bicn ecr- caine : &: on ne pcuc pas doiv tcr que fi elle pouvoic corcu muniquer avec ies AuftralicnSy die n'en retirat des avanca2;es tout autrenient conriderables Je ne veux leiilement parler ici que de quatre dc c^s avant^- ges qu'clle en reccvroit tres*' mhiilliblemcnt. Entre Ies animaux done j'ai parle, ies Hfims rendroient de^ lervices ineftimables , puis quils cxemteroient Ics liomnnes des pejnes extraordinairesqu'ilfaut avoir pour bbourer la terre 3 mais Ies Snefs feroient encore d'une bien plus grande utilite r ee font des betes plus douces que Ies baufs Ies plus trails- X iii 1^6 VoUge bles, & elles font d'un entre» tien fi facile , que deux livres dlierbes les nourriflent plus de trois jours. Elles peuvent meme demeurer un jour fans manger ^ Sc dans les voiages les plus difficiles, elles font dix-huit & vingt lieues tout d une traite lans qu'il {bit be- foin de s'arrecer pour les re- pa itre, II eft aife de com prendre Tutilite que les marchands re^ tireroient de ces animaux i ils ne feroient pas la dixiem.e par- tie de la depenfe qu*ils font oblige z a faire pour le tranfl port de leurs marchandifes : deux de ces animaux portent la charcrc d\in 2:rand chariot tire a fix chevaux. Les Auftra^ de U Tern Aufirde. i 47 liens qui iVont bcibui d'aucun traficfont cxcufables ci'cn fairc fi pea d'etat • mais Ics Euro- peens trouveroient leur comp- tc a en faire venir, m£me a quelque prix que ce fut. Mais rien de tout cela n'ap- proche de I'utilite que les Eu- peens pourroient titer des oi- leaux carnaciers dontvj'ai par- le : car ces animaux qui font fort cruels etant fauvages , peuvent s'apprivoiler comme nos animaux les plus domef- tiques. Lots que j'arrivai dans la Terre Auilrale, on en con- fervoit encore dans le Sezala qui portoient un homme avcc plus de facilite • qu'un chcval d'Efpagne ^ on les monte au defaut de leurs ailes, 6c les plumes de leur dos fervent X liij d'mi touffin fore Commode.. II ne faut fimplement que leiir attacher une fillelle au^ bee , pour les conduire ou & com— me Ton veut 5 on fait ainil quarante &. einquante lieues tout d'une traite : &: apres s'etre repofe environ deux heures pour les repaitre , on en fait encore autant ^ de for- te qu'on peut faire en un jour cent lieues fans aucune incom-- modlte y fans crainte &c ians danger , fans fe mettre en pei^ Be ni des ruilleaux , ni des ri- vieres 5 ni des bois , ni des montagnes , ni d^aucune mau- vaife rencontre. Deux raifons. ont oblige les Auftralieiis a s'en defaire , qui n'ont aucun lieu en Europe 3 la premiere^ c'efl: qu'ils font d'une ardeur de h Tene Aujirale. i^f extreme pour la conjondion charnelle : ce qui etoit caufe qu'un male portoit quelque fois celui qui le montoic dans line Ifle ou i\ fentoic quelque femelle, &: I'Auftralien y etoic devore par les oiieaux fauva- ges. La feconde eft qu'ils ic pcrluaderenc que ces oileaiix privez attiroient fur leur Terre les autres qui leur caufplent de fi grands defordres. Ces confiderations n'auroienc point de lieu a I'egard des PaisSep- tentrionaux, ou Ton ne tranfl porteroit que ceux de ces oifcaux qui j feroienc apprivoi- fez , & oil il n'y en anroit point de fauvages. Voila ce que j'ai remarque de plus con- fiderable touchant les animaux de la Terre Auftrale 3 quaix 2JO Voiage aux fruits qu'cUe porte , ils lurpafTent tout ce qu'on peuc imagincr de beau &: de deli- ^eux 5 mais outre leur bcaute & leur delicatefle, le fruit da repos a dcs proprietcz que nous appellons miraculeufcs 5 le fommeil qu'il procure pour tant de terns qu'on veut, &: toutes les plaies que Ion jus guerit en tres-peu de terns, me portent a croire qu*il n'y a aucun mal en Europe contre lequel il ne put ecre un re- mede tres-ibuveraio. J'ai f^u que ce fut par fon moien qu'on guerit toutes mes blcf- fiires a mon arrivee • & aiant re^u enfiiite en plufieurs com- bats quantite de coups, dont Iqs uns ni'avoient fait de gran- des plaies, & les autres m'a- de UTerre Aujlrde. i^i voient fracafTe Ics os, j*ai tou^ jours ete parfaicement retabli en trois jours. Ce qui etant ainfi, on abregeroitce nombre fans nombre de drones & de remedes qui coutenc d cher en Europe , & qui tuent la plupart des malades a qui on les donne. J'etois fujet a plufieurs foi- blelfes pendant mon fejour dans le Pormgal , &: les effroiables fecoufles que j'avois IbufFertes fiir la mer m'avoient beaucoup afFoibli ^ cependant etant ar- rive en ce pais, & y vivant des fruits qui lervent de nour- riture,je dois dire que je n'ai pas fenci la moindre foiblefle, ni la plus legere infirmite : & bienque i'eloignement de mon pais , joint a des coutumes tou« %]£ Vomge tQ.s extr^ordinaires que j'ctoi<^ oblige dc pratiquer , me don^ naffent pluficurs ennuis 5 auC li-tot que je mangeois un fruit de repos mes reiTentimens s'a- douciilbient, mon coeur reve- noit , & je me ientois dans tine fituation de corps & d'eC. prit , qui me rendoit ii con-, tent que je ne pouvois defirer quo! que ce ibit. De quel prix> ne feroient pas de tels fruits en Europe ou la triftefTe tue la plupartdes hommes, & ou \qs chagrins eaufent des Ian- gueurs qui font pires que la- more > Mais que peut-on s'imaginer' de plus fouhaitable que de vivre fplendidemcnt 6c tres-delica- cement fans faire aucune dd penfe, puis qu'il ne faudroic: dehterreAuflrde. ijf pour cela qu'avoir trois ou quatre de ces fruits, plus de- Iicats 5c plus appetiflans que nos viandes les plus fucculen- tes & les mieux aflaifbnnees , & boire d'uiie efpece de nec- tar naturel qui coule par ruiC feaux en ce paTs, ou chacuii peut s'en raflaffier fans ecre oblige ni a labourer la terre , ni a cultiver des arbres. J'ai adn'iire cent fois com- me la nature donne en le jouanc,&: ineme avec profu^ fion en ce pais, les cliofes done elle eft fi avare chez nous, Mais je ne f^aurois pafier fbus filence cetce abondance de fin Criflal qui s'y rencontre, 6c que les Auftraliens f^avent tail- Icr 5c pofer I'un fiir Tautre jivec tant de proprete 6c d'a^- iy4 VoUge drefTe , qu'on a de la peine a eil trouver Ics jointures : Ce Cri- ftal eft fi tranfparentqu'on n'eii pouroit pas diftinguer les pores, n les riches Figures de diverfes couleurs que Ta Nature y for- me , ne les faifoient connoitre. Mais ce qui pafle , a mon fens, toutcequ'on peutvoir de plus prodigieux au monde, c'eftun Hab qui fe void dans le Sezain de Huf^ lequel eft d*une feule piece deCriftal,ce qui ne s*eft pu faire qu a force de piquer ^ de taillcr dans un gros Ro- cher tout de cette matiere : ce merveilleux Hab furpafle les ordinaires en hauteur 8c en Ur- geur , car il eft haut de 20©. pieds, &: large de 150. Les Fi- gures dont le Criftal eft entre- mele font plus grandes que les, deUTerre AuJJrale. i$$ ^utres,Scon void bienqu'elles font de toute leur longueur (ans aucune piece rapportee : On nVa afleure qu'on avoit deja delibere pluueurs fois s*il ne valoit pas mieux le detruire que de le conferver , parce qu il ren- te la curiofite de ceux qui en font eloignez^&qu'il caufe de la diftradion a ceux qui s'y af- lemblent j cependant il lubfifte encore, & j*ai peine a croire qu'on puifle fe refoudre a de- truire une piece fi riche 6c ll rare. Tout ce que je trouvede plus difficile en cela a l*e2;ard des Europeens , c^eft: de pouvoir communiquer 5 6c avoir com- merce avec ces Peuples : 6c a- pres y avoir bien fait reflexion j*y vois des difficukez inllirmon- ij6 VoUge ! stables- car comme ils ne £o\x^ Jkaittenc rien , & qifils n*ont be- fbin de rien , il n*y a pas d'appa- rence qu'on les puilTe attirer par Tamorce dii gain , de la recom- penfe, ou du plaifir ^ ni vaincre i etrange averfion qu'ils ont pour nous , & qui eft telle qu'ils ne peuvent entendre parler de nous fans temoigner la pallion 'quails ont de nous detruire. D'ailleurs tout ce que nous por- tons aux Terres nouveilement decouvertes , 8c ce qui nous a procure quelquc acces aupres de leurs Habitans , pafle dans Teftime des Anftraliens pour des bagatelles & des jouets d'en- fant ^ lis regardent toutes nos ctoffco comme nous confide- rons les toiles d'Araignees^ ils ne fcavent ce que fignifient les noms de hTerre Aufirale. 157 noms d'or &: d'aro-enc : en un iliot , tout ce que nous croions precicux pafTc chez-eux pour ridicule : il ne nous rcfteroit plus que la voie des Amies pour nous Faire une entree chez eux par la force ouverte •, mais ils ont en cela un avantage lur nous , qui rendroit tous nos ef- forts inutiles- car la Mcrcft fl pen profonde en ces Pais, qu'el- le ne peut porter un Bateau a deux ou trois lieues cle leurs bords , fi ce n'eft par quelques detours particuliers , ou il y a des veines cl'eau qu'on ne peut Gonnoitre fans une longue ex-- perience. Outre cela, ils ont des Gardes fi exads iiir les riva~- gcs,quil o(l inipoffible- de les' liirprendre , ni mSme de les at- raquer avec eipcrance de fuc^ Y 158 Voiage ces 5 conime on vcrra dans la fuite. CHAPITRE XII. Des Cuerres ordinnires des Auflrd'uns. C*EsT im ordre conflant en ce monde qu*on ne pent avoir de bien fans peinc% ni le confervcr fans difficulte • ainfi on ne doit pas etre iurpris queles Auftraliensfoient obli- gcz quelqucfois a foiitenir de grandes Guerres , pour defen- dre tin Pais dont leurs Voifins connoifTant les avantages font tons ]eurs efforts pour y pene- trer. Les plus redoutables de ces ?c del^Terre Aufirale. i;9 Voifins font les Fondins , People fier & belliqucux , qui eft coiU jours prcft a fairC' irruption du core qu'on les attend Ic moins : Ce qui obl'ge les Auftraliensa avoir pkifieurs millicrs d*hom- mes contimiellenicnt en garde fiir les'Montaones ^ fur les ri- vagesde la M c'cft-a-dirc,vidoire,vu doire : Cependant les quinzc cents tenoicnt ferine comme un rocher , faifant front de routes parts, inais les Fondins lesenvi- ronnercnt enfin, 6c en firent une epou van table boucherie. Cependant le jour commen- ca, & une partie des Fondins s'etant opiniatre au combat centre Ics cjuinze cents Auftra- licn.s,allumerent de grands feux autour d'eux pour les bruler , ou du moinspour lesempecher de fuir ^ mais le refte des Au- ftraliensquiaccouroientde tou- tes parts formerent enfin un gros de vingt-cinq mille hom- mes , avec lefquels j'etois , &: s^etant partagez en trois Corps^ 1^4 Vokge le plus petit qui etoit de cinq i fix mille,tacha de gagner le paC fagepar oulesFondins etoienc entrez : les Fondins qui avoient apprehende ce deiTein , y a- voient laiile vino-t niiUe hom- mes pour le garder , 6c ees vingt mille hommes donnerent avec tant de furic fiir les Auftraliens pendant cinq heures entieres,. qu*ils les auroient tous defaits, . fans an renfort de trois mille qui fiirvint, & foiitint le combat cinq autres heures , avec un car- nage horrible de part & d'au^^. tre. Cependant les deux autres Corps combattoient avec la meme vigueur contre le refte des Fondins , Sc la boucherie fut ii grande en cet endroit, que le ehamp de bataille droit plein d'une efpece de mortier copoie deUTerre Aufirale. 165 d ver en dix ans , mais encore qu'ils n'auroient jamais ofe entreprendre. Voiia ce que j'ai vu des combats des AuC- ttaliens contre les Fondins. Outre ces ennemis, les Auf- tra'iens ont encore a com- battre ceux qu'Us nomnjent Aa- ij 284 Voidge monftres marins : car c'eft ainfi qu*ils appellentles Europeens, parce quails ne connoiflent point leur pais , & qu'ils ne Ics voient jamais venir que du Gote de la mer fur des vaifl icaux. lis ne leur donnent done point d'autre nom que eelui de monftres marins, monftres inconnus ou demi- Iiommes. Le vieillard Philo- ibphe qui m*etoit fi fort ami & qui fe plaifoit a m'entendre' parler de mon pais , un peu^ avant qu'il fut forti de ce mon- de, me difoit qu*il avoit vu aborder aflez proche de leur Continent des gens faits a peu pres comme ceux dont je lui parlois • qu'il avoit admire la labnque de leurs vaifleaux ; qu'il avoit toujours Ibuhaite de la Tene tAufirde. 2 ? j d' avoir quelque eclairciflemcnc touchant le Pais de ces demi-. hommes , & qu'il trouvoic beau- coup de rapport entre ce que je lui en difois , & ce qu'il en avoir criS. II me conta qu*entre autres combats quails avoient eus avec ces demi-hommes , ils avoient eu un jour affaire a des Gens fi determuiez qu'ils avoient ete trois jours entiers a fe rendre maitres de lept grands Vail- feaux fur lefquels ils etoient venus 3 je vis leurs VaifTeaux fur le fable , car les Auflraliens con* fervent tous ceux qu'ils pren- nent,comme desTrophees de leur valeur,&: des Monumens de leurs Vidoires. Dans le temps que j'arrivai ehez eux 5 il n*y avoit pas flxv A a iij 2?85 Voiage mois qii'ils avoient defait une Fiotte cntiere , & je vis pendus aux Matsdes Vaifleaux pluficurs corps, entre lefquels je recon- nus des Porcugais , des FraiKjois,; & desElpagnoIs a Jeurs habillc- inens qui s'etoient confervez. Mon Vieillard qui fut Ipeda- teur du combat qui fe fit aiors, m'affura qu'apres cequej*avois fait contre Ics Oifeaux fiiuvag^cs, il n'avoit rien vu de pareil 3 car le Pilote aiant decouvert quel- ques veines d'eau affcz profon- des aborda jufques a demie heu- re des cotes , ou n'aiant pas trou-- ve deux pieds d'eau , il fut con- traint de s'arreter. II fit auffi-tot inettre pied a terre a loco. hom« lines pour reconnoitre le Paisrlls entrerent avec une inrrepidite cxi:xaordinaire , Sc forcerent fa^- de UTerre Auflrde. zSj cilement les Gardes de k Mer^ qui de leur cote arborerent auC fi-c6t le fignal j mais les Enne^ mis s'etant jettez dans le pre- mier Quartier d'unSczain qu'ils rencontrerenr , 6c s'etant mis d le piller , on redoubla tellement les fignaux, qu'avant que Jes Europeens eufTent aclieve le burin qu'jls vouloient faire , plus de 8000. Auftraliens parurent iiir le bord de la Mer • on leur rira plufieurs volees de Canon de defTus les VaifTcaux , mais il y eut tres-peu de coups qui por- terent. Cependant les Auftra- liens entourerent ceux qui e- toient defcendus dans une mai- fon qu'ils avoient forcee , &c dx-^ns laquelle ils fe deffendirenr quelque temps • mais en fin il fakit luccomber a la multitude xS8 VoUge qui les accabloit de routes partSj, dc il n'en echappa pas un qui put porter des nouvelles a la Flote. Les Auftraliens firent en- fiiite un detour aflez long pour aller boucher Tentree aux Vaifl feaux • ce qu'ils fijavent faire fi adroitement par certains mon- ceauxde terre dont ils remplifl fent les avenues, qu'il leur eft abfblument impoffible de paC fer. Apres cela on entreprit de les aborder , mais les Europeens & fervirent fi bien de leur Ca- non &:de leurs Amies en cettc rencontre que de 8000. Auftra- liens qui vinrent a Tabordage, il y en eut plus de fix niille. tuez avanc qu'aucun d*eux fuc monte fur les Vaifleaux , Sc mon Vieillard m'avoiia qu'ils n'a- ^oient jamais cprouvp tant de bravoure deUTerreaAuflrde, 189 travoure dans aucun dcs Ennc- iiiis^donc ils cufTenc etc acca- quez 3 ncanmoins coiiimc Ics fecoLirs vcnoienc dc toutcs part^ aiix iVuftraliens , ils rccommen- ccrcntunefccondcattaque avee 12000. hommcs qui furcnt trcs- bien recus dcsEuropccns,i>on pas touccsfois avec autaiic 4e: pcrte que les, premiers. lis ^^ borderent les VailTeaux avec un courage &: uiic fierce furpre- nance : Ccpendant comme le^ Europeens les tiroient a brulcr? pourpoinc, lis en avoient deja tue pres de 4000. lors qu'il ar-. riva aux Auftraliens un renforc de 10000. hommes tous frais^leC quels crouvanc les Enneniis jTea creus d'une fatigue incroiablc les defirent avec beaucoup de facilitcj ils avoient encore {iu* Bb ±90 J^^'oUge leurs Vaifleaux 3000. Soldats, & autant de Matelots^qui furent tous egorgez en moins d'uae beiire. Mais les combats ordinaires que les Auftraliens ont contra les Oifeaux , defquels nous a- vons parle, les embaraiTent bien davantage , parce que venant &c retournant par Tair , il n'y a aucunmoien de les arreter,ni .de les detruire. lis combattent de trois facons contre ces ef- froiables betes, parce qu*ils eu font atcaquez de trois manieres difFerentes • car tantot ces Oi- jeaux fe couvrent a la faveur des arbres , tantot ils s*elevent dans Fair a perre de vue pour fondre for leur proie en un inftantj les petits Oifeaux dont j*ai parle ies fentent de tres-loin , Sc ik dehTerreAufirale. 191 s'ecrient d'une fa(^on trifte 6c empreflee , jufques a donner pluficurs coups dc bccq pour obli2;er les Auftraliens a fc meu tre fur leurs gardes : cepcndanc nonobftant touted leurs precau- tions CCS Animaux font fi fiib- tils 6c fi adroics qu'ils ne man- quent prefque jamais leur coup. II me fouvient qu'allant un jour au Hab en la compagnie de mon Philofophe , &: de trois au- tres,armez a notre ordinaire^ c!eft-a-dire, avec nos Hallebar. des , nos Caiques & nos CuiraC fes ^ a peine eufmes-nous fait la moitie du chemin que nos pe- tits Oifcaux cofni'nencerent a crier d*mie manicre effraiante, voltigeant autour denous d*une fac^on inquiette , pour nous doii- ner a connoitre le danger oil Bb ij %Qi Votaze nous etions • en citet nous vi- mcs auffi-tot ilx de ces Oifcaux qui nous attaquercnt avec beau- coup clc fane : Nous nous preC- fiimes Fun contre i'autre ^ nous nous Gouvrlmes de nos Armes, ^nous nous dilposames a parer les coups-, une de cescpouvan- tables betes s'.ctant jetcee fur ma Hallebarde I'enleva de mes jnains avec une force a laquel.- le il n'y a point d'hommc qui puifTc refifter. Les cinq au- tres embarafloient fi fort mts Compagnons qu*ils avoient une peine incrx)iable a s'en defen'-, dre , & a peine eus-jc tourne la tete pour vQir cominenc je pourrdis le^ fecourir , que jefus enlevcy&j^aurois efte aflu're^ ment perdu fije n'eufle etc ie,- coiiru par cinq autres Freres deUTerre Aufirak, i^j qui mc dcgagcrcnt des Icrres de I'Oifcau qui me tenoic • pluiicurs autres Frcrcs etant cnc;orc vc- nus.a norrc fccours^Ies Oilcaux s'cnvolerenr. Mais ce qu'il y a de bien plu.^ terrible, c eft que ces efFroiables bcces s'afltmblcnt quel quefo is .au nombre de qiiatre & cinq cents , compoianc une efpece .de Corps d'Armcie,. ou il fenr- .ble qu'elles obfervent quel que forte, de diicipiine pour com- . batre les Auftralien^. Elles cam. .•pent par tout indifFeremment oil elles trouvcnt de quoi fe rc- paitre. . Les Auflraliens dcs Quar- ^ tiers fe. cantonnent alors dans Jeurs Maifbns, &pcrlbnne n'o- ,ie fbrtir3 ^^^ plante le fjgnal pour faire connoitre rEnnemi, Bb ,>j 2-94 ^ ^ chacun fe tieot fur fes gardes. La regularity qu'ils obiervent alors pour les combatre eft beaucoup plus exade que celle qu'ils gardent centre les Foil^ dins ^ ils fepreflent les uns con- tre les autrcs , ils hnt un quar- xe fort egal qui fait front de tous les cotez -, ils ont leurs far-. bacanes,dont j*ai parley enfin ils s'arment de Hallebardes ic de coutelas • fi-tot que les Oi- feaux appercjoivent TArmee qui vient contre eux , ils leTe- parent tous, volans Fun d'uii' cote , Sc Tautre de Tautre , & la pliipart s'elcvent a perte de vue ^ mais ce n'eft que pour fe reunir bien-tot, 6c fondre. tous enfemble fur les Auftra- liens, qui nonobftant routes leurs gardes 5 6c toutes leurs dc- delaTerre AuBrde. 195 fenfcs , perdent toujours qucL ques-uns dcs leurs dans ces pre- mieres actaques. Je me fliis crou» Ve a trois de ces combats ^ nous perdimes au premier fix honu mes , au fecond huit , Sc au der-=. nier trois ^ 6c aux trois combats enfemble nous ne tuames que iept de ces Oifeaux : II eft im-. poflible d'expliq\ier Timpetuo-. fite avec laquelle ils fondent iiir \qs hommes, & la violence des^ coups de bee qu'ils leur por- tent. Je vis une action au der^ nier combat oii j'afliftois qui merite d'etre racontee : un Urg cnleva la Hallebarde de mon Compagnon, un autre Urg le faifit en meme-temps de fa per- fonne^je voulus le defendre a- vec ma Hallebarde, mais uii Hoifieme Urg me rarracha,^ Bb iiijs t<)6 Vomge mon Voifin s'actaclia a cclui <]u'on cnlcvoit , &: le memc Oi- icau les foiilevoit Tun & I'au- , tre ^ un troifieine cmbrafla le fecond , mais un autre Urg fe lan^a terriblement centre lui, & comme il Penlevoit je m'ar- tachai a lui pour Je retenir - mais nous aurions ete infailli- bleinent perdus tous quatre, H a force de coups on n'eut enfin aflTomme un de ces Oifeaux , caip les autres quitterent leur prife au meme uiftant , £c nous trou- vames un dQs Auftraliens qu'ils lacherent etrangle , & mort , a force d'avoir cte fcrre. On a obferve que lors que la Mer continue a etre orageu- ie cuiq ou fix jours de luite, ces Oiieaux entrent dans une elpe- ce de rage, parce qu'ils ne peu- de la Terre Aujirale. 297 vent prendre les poiirons ne- cellaires a Icur nourriture. J'ai deja die que les Auftraliens ont fait &c font encore tous les ans des efforts cxtraordinaires pour detruire ces effroiablcs Ennc- mis- ilsont rafc trois Ifles tres^ confiderables dc deux lieutis de longueur en trente ans , & ils travaillcnt maintenant a la def- trudion d'lmc autre qui eft a fix lieucsdeleurs Pais. Le temps Je plus commode pour cela eft leTropique du Capricorne , ou ijs commencent leurs travaux, quells continueiit jufques a TE- quinoxe de Mars , auquel temps les Oifeaux commencans a en- trer en chaleur font plufieurs menaces, mais fins effet,jufl ques a ce que le Soleil entre an Signe du Taureau 3 car c'eft. agS Voiage alors qu'ilsviennenten troupes attaquer lesAuftraliens avec tanr de rage &: d'impetuofite , que quoi qu'on fafle pour fe defcn- drc , il faut fe relbudre a per- dre plufieurs homines. La cha- leur dc cet horrible combat dure quelqucfois fix heures en- tieres ians aucun relache dit- rant trente jours , & apres ce temps lis s'en vont peu a peu jufques au mois d'Odobre , ou ils reviennent commencer les memes combats avec la meme fureur. de UTerre Aujirak. 299 CHAPITRE XIIL Du retour de Sudeurjufqu^s a rjjle de Madagafcar. J*EcRis ce qui fuit deride de Madagafcar , 8c je com- mence a me flatter que cette Hiftoire pourra aller avec moi jufques a mon Pais. II eft aifc de juger par tout ce que j'ai dit de l^incompatibi- lice des Auftraliens avec les Peu« pies de I'Europe , que je ne de- voisla confervation de ma vie qu'a Paction de defefpcre que jefis paroitre en arrivant dans la Terre Auftrale , a la violence continuclie que je me. faifois 300 VoUge pour me conformer a Icur ma- nicre de vivrc , 6c aux foin? qiie prit de moi le Vieillard qui me Icrvit de Proteclcur. Gepen- danc comme la Nature ne fe :peut detruire , quclqucs precau- tions que je priirc,jl m'cchapoic toiijours ^quclques paroles , ou quel ques actions qui me fai- foient connoitre poiu: ce que j'etois. Pendant tout le temps que mon vieux PhUolbphe vc-. cut il iit cent Harangues pour arreter Ics delTeinsquelesFre- res formoient de fe dcfiiire di? moi 3 il depeignoit mon combat comme iin pi*odige inouT, ]e- quel ieul me rendoit di^ni^ dQ leur protection , nonobftant tous mes dcfouts • il ibutenoit que puis qu'on m'avoit accorde la vie, bien«qu'on connut que de la Tcrre Anjlrde. j ox je n'etois point du Pais, on ne pouvoit mc Totcr fans injuftice pour cies dcfaurs qui prove-' noicnt de ma nature 3 il ajou- toit qu'apres tout, puifque j'e- tois Etrangcr , on ne pouvoit me condamner fans entendre cc que je pouvois dire pour ma juftification 3 quand il voulut fe retircr de cctte vie il redoubla its^ prieres & Ics railbns poui* Ics obliger a me conferver , il me nomma pour tenir fa place^ apres une exhortation vraiment paternelle qu'il me fit , 6c tous les Freres m'accepterent d*uii commun confcnrement 3 enfia on me fupporta jufques a la Guerre des Fbndiiis , dont j*ai parlc^atimaiperte fut refolue ^arretee, ■> : Les chefs d'acculation qu'oj:ii 1 ¥ota,ge forma centre moi fe peuvent reduire a cinq principaux. Le premier fut que je n'avois point combatu avec les autres, puiC que je n*avois produit aucune oreille des Fondins .^ Le deuxie- me, que j'avois temoigne de la doulcur en voiant la deftruclion' deleurs Ennemis ^ Le troifieme, que j'avois embrafle une Fon- dine^ Le quatrieme,^que j'avois mange des viandes des Fon- dins 3 Et enfin le cinquieme, e j'ai fait para kredeja compiiC ;iion poiir d'autres moi-mcmes^ fl jene Pavoispas fak jedevrois pafler pour denature ^ 6t votre jaifon li pure £<: H clair-voiante 50g Voiage me tr Oliver oit^avec juftice,cou* pable de barbarie 8c de cruaii- te. Si un An ftr alien fe trouvoic par malheur cntre les Fondins ne feroit-il pas excuiable fi dans line guerre centre la propre Nation . il temoio-noit de Thiu manite & de la bienveillance enversfesFreres? All refte , ne croiez pas que je veuille me fervir de ces rai- -ions pour vous porter a me pro- longer la vie , je liiis ravi de me retirer,& je ne vou^ demande qu'un delai de pen de jours , feulement pour avoir le terns de vous marquer que ce pauvre Ecranger que vous avez bien voulu iiipporter , n'eft pas in- grat des bienfaits qu'il a re(^us de vous. dehTene Auflrde. jo/' On fbrtic du Hab a la ma- rl icre accoiicumee fans m'avoir donne aucune rcponlc, & ainfi jc vis bien que je n'avois plus dc reflource que dans rinduftrie avcc laquelle je devois clier- cher quelque moien de retoui- ner en mon Pai's. Dans cette penfee , toutes les avanrures de mon premier voiage qui m'a- voient porte dans le lieu ou j'e- tois,me paflerenc par Teljprir^ j*avois fans ccfFe devant les yeux cette planche qui m'avoit ete fi favorable -il me fembloit que li je pouvois me derober a la vue des Auflraliens mon faluc & mon rctour etoient afleurez, Enfin apres avoir roule dans ma tti(^ une infinite de defTeins &; dc moiens, voici la refblution qu-e je pris 5 6c que j'executai. Jc Cc ij 3o8 Voiage fis line, corde clc Tecorce de I'arbre. nonime Schueb , je la frotai du jus du fruit du Rcpos, mele avec un peu d'eau de la Mer , ce qui la rcndit dure com- me le fer 3 je la frotai cnfuite d'un autre jus qui la rcndit fle- xible , &: enfin j 'en fis une elpe- ce de filet que j'etendis fur un arbre ou les Urgs avoicnt cou- tume de le pcrcher 3 je ne ceC- ibis H'aller &: de venir attendant avcii impatience le {\k.C(z^ que je xxkQ. promcttois de mon defl lein. Enfin nics petits Oifcaux m'aiai:it avcrti de me retircr Je y'ls deuxUr2;s fort elevez dans jair ^.lefqucls vinrent juftemcnt s'abatre iur i'arbre 011 j'avois rendu mon filet , & il y en cut un des deux qui s'vprit par le irautdelapate. de h Terre At^flrde. jcg Les Frcres qui le vircnt ain- fi arrcte couroicnt dcja a lui pour Pailbmnier , mais je les priai de ne lui pomt rouehcr, be de mc laiirer foire , les nfleu- rant qu'ils verroicnt bien-tot quelque chofe de plus furpre- nant que ee qu'ils voioienr. Ma bete fe voiant ainfi prifc fit pendant deux jours fort la niauvaife lorfque je voulois en approcher- mais enfin voiant qu'il n'y avoir nulle apparence d'echaper , &: la flum la prellant elk commen^a a s'adoucir , &: a fbuffrir que. j'en approchafle pour lui donner a manger: com- me j'etois le feul qui la (ervoit elle ne tarda pas a me tcmoi^ gner plufieurs marques de re-^ connoiflance- je la flattois, 6c die le fouiFroic , je levois fe^i Cc iij 3JD FoUge groires pates , je confiderois fes-- gnffcs , j'ouvrois meme fbn bee, , dc je montois iiir Ion das ^ enfiii j*en faiibis tout c^ que je vou- Jois • je me dis done pour lors a moi-meme , ne fe pourroit-il pas faire que comme je ne Hiis arrive en ce Pais que par la per- fecution de ces betes , j'en piifle ibrtir par leur fecours ? j*e/pe- rois tout de mon Oifeau , & mon elf)erance fe fortifioit a mefiire qu'il redoubloit les marques de ion amitie envers moi. Gependant on park de ma conduitc au Hab avec eloge, & vo ant ou'on en etoitetonne, jc pris la parole, &je dis que je €ommen(^ois a me regarder comme une perlbnne qui cefl foit d'etre ^ que c'etoit la cou- tume dc ceux de nbtre Nation^,. de h Tcrre Aujirde. 3 1 1 : Jorfqu'ils etoient lur le point de moLirir , de vivre dans une gran- derctenue,que mon eiprit ne me pcrmectoit pas detre le me- me que j'avois etc, fbachont que j'allois cefler d'etre dans peu de terns 3 que j^occupois les momens qui me rcftoicnt^a me- diter une derniere aftion qui devoitles edifierbeaucoupplus que la premiere. Ces raifons iatisfirent beaucoup l^Affem- blce , & il y fut refolu qu'on me laifleroit finir comme je vou- drois , fans parler davantagc de moi, ni de mes a£lions, puill que je devois deja etre cenle du nombre des morts ^ on y nom» ma meme mon Lieutenant , &c on ne me regarda plus que comme un mourant libre de fi~ jiir la vie comme i\ voudroic 31 1 Voiage Cette Ordonnance me donna, tant de confolation que je crus alors ma delivrance tres-affu- ree. Je paflbis prefqne tout le jour aupres de mon Oifcau , &: je n'obmetcois rien pour lui te- moigner routes les marques poll fibles de bienveillance. Je m'ap- per^us un jour qu'il avoir peine d fe Ibutenir , Sc je trouvai que la corde qui Tarretoit le tenoic fi fcrre qu^elle avoir coupe la pcau de fa pare , 8c etoir entree bien avanr dans la chair j la plaie etoittres-confiderable^Sc je chcrchai aufli-rot tous les moiens polTibles de le fbulager^ j'y verlai du jus d'un fruit prcu pre aconfohder la plaie, je \q bandai proprement,& je iis tluit qii^'e;i hvut jouis elle fut par- de laTerre AuflraU. 515 parfaitement gueric. Son incli^ riation alors s'augmcnta telle- ment pour moi , qu^il ne poiu voitplus Ibuffrir qiicje m eloi- gnalTe de lui, 6c moi rccipro, quementjen'etois content que lorfque j*etois aupres de lui : je ^ lui laifTai pcu a pcu la libcrte d*aller feul j mais au lieu de pen- fer a prendre la fuite , il flijfoic de continuels efforts pour me fuivre par tout 3 je voulus voir hW pouroit me porter en volant, & je trouvai qu'il le faifoit avec l^laifir, & avec une legerete iurprenante. Mors je fis une ceinture de plufieurs feuilles que jefrotai du jusdu fruit da Repos, pour la rendre impene-^ trable a Teau . je fis enfuite une efpece d*echarpe creufe , & aiant rcmpli Tune U Tautre' dos^ Dd 314 ^otx^e fruits les plus nourinants da Pais, & de quelques boutcilles de la liqueur qu*oii y boit ,avec quoi je mis auffi le Mauufcrit de cetce Hiftoirc i Je bouchai le tout tres-proprement 3 Sc le cei- gnis au tour cfe moi Je lis encore une petite va- life que je remplis de fruits pour la nouriture de ma bete, & Faiant proprement liee iiir Ibri dos , je me refolus de partir h. nuit fuivante, qui etoit le quin- zieme du Solftice du Capricor., ne , trente cinq ans 6c quelques mois apres mon arrivee dans la Terre Auftrale , & le cinquante« feptieme de mon age. Afin done que mon Oifeau j)ut plus aifement prendre foa ^ol^ je le fis monter fur un ar- te 5 Q% n\*ctant ajufte au de-» dehTerre Auflrak. iij fauc de fes ailes, je commencai par I'elevCr fort hauc en Tair^ dans la crainte que j'avois d'e-, tre appei'^d des Gardes de la Mer • mais le grand froid de la moienne Region de Tair m'o- bligea bien-tot a defcendre ui^ peuplusbas. Cependant il y avoit bien deja fix heures que nous erions en chemin • niais foit que ma bete fe fentit encore de ia blefl fure, ou que le long rcpos qu- elle avoit cu Teut rendue plus- pefante, je m'appercus qu'elle fatiguoitextremement, & qu'- ,elle n'en pouvoit plus. Je fis done en forte qu'elle s'abatit fiir I'eau , & comme elle enfon (^oir ,trop,je defcendis de deflus pour lafoiilager, f^achant bieii que ma ceincure me foutiav ji^ Voiage droit , & me mettroit Iiors de danger : Ce pauvre Animal crai- gnanc alors que je ne perifie , ou que je ne voulufle le quitter, fe mit a crier , 3c a tourner au tourde moi avecune agitation qui m^r quoit fa peine dc Con in- quietude 3 mais comme j'etois encore plus fatigue que lui , j'appuiai ma tete (ur fcs plumes, &lui aiant donnc des fruits de la valife , Ic fommeil m*abatit cntierement, &l je dormis tres- profondement: je trouvai le jour tres-beau & tres-ferain a mon reveil^je fis encore manger mon Oileau , ^ aiant q.uffi pris ma refection, je xemontai deC ius aflez leg;er-ement , a deflein d'avancer chemin^ mais queL ques efforts qu'il fit il ne put .jamais prendre fon vol,parp^ Ae h Terre Aujlnk. 317 que la pefanteur etrangere de mon corps rcnfoncoit trop dans Tcau ^ il falut done , boii Et que du cote de la IVIer la Nature les avoic munis de tant de bancs de fa- ble , qu'on n'y pouvoit ab or- der , fans une experience de plufieurs annees : II ajouta qiie leur Pais avoir environ fix mil- le Heucs de tour^que le Gouver- nementy ecoit AriftocratiquC) qu'on y elifoit de trois ans en trois ans fix Gouyerneurs : Le pre- deUTeneAuflrde. 357 premier pour la Mer du Nord Le fecond pour la Mer Auftra- le. Letroifieme pour le Mont Harnor. Le quatrieme pour le Mont Canor: Et les deux au- tre5 pour le refte du Pais 3 que ces Gouverneurs avoient puifl lance de vie & de mort fiir tous les Peuples de leur departe- ment , de quelque condition qu'ils fuflentj Q^'au refte, on y cultivoit la Terre, on femoit & on moiflbnnoit comme en Europe ♦, Que les Animaux dont on fe fervoit pour labou- rer etoient de la 2:rofreur des Elephans ^ Qjl'cn genei*al les peuples de ce Pais aimoient 3iiieux leur liberte que leur vie^ \yl -it«r J3 J mwDym. TM^: \t