DUKE UNIVERSITYLIBP./.RY DURHAM, N. C. ^ecà Lo7\jL^^^ /^ 1^ /^ ^^A<.g^ c>^ ^o 9. LETTRES SLR L'AMÉRIQUE DU NORD, On trouve à la mcme Librairie : DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE, par Alexis de Tocqueville , 4^ édit., 2 vol. in-8, ornés d'une carte. Prix : i5 fr. MARIE OU L'ESCLAVAGE AUX ÉTATS-UNIS , par Gustave de Beaumoni , 3' édit,, 2 vol. in-8. Prix : i5 fr. PARIS. IMPRIMERIE DE BOURGOGNE ET MARTIiMET, nip dti Colombior, 30. LETTRES SUR L'AMÉRIQUE Dl NORD, PAR MICHEL CHEVALIER. VVKC UNE cabth: «es KTAIS-UN.S DAMÊB.gr.. TOME DEUXIÈME. LIBRAIRIE DE CHARLES GOSSELIIS ET VA ■^, RUE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS. >ï DCCC XXXVI. 'tn, 3 \f\ z XXI. LES BATEAUX A VAPEUR DE L OUEST. Nouvelle-Orléans, 8 janvier i835. Un des points par lesquels nos sociétés mo- dernes diffèrent le plus des sociétés antiques , est sans contredit la facilité des voyages. Voyager n'était possible autrefois qu'au patricien. Pour voyager alors , même en philosophe , il fallait être riche. Les commerçants allaient en caravanes payant tribut aux Bédouins du désert, aux Tar- tares des steppes, aux petits princes perchés comme des vautours dans leurs châteaux bâtis aux défilés des montagnes. Alors , au lieu de la diligence anglaise ou de la chaise de poste qui brûle le pavé, la litière ou le palanquin de lu vieille Asie , conservés encore par l'Amérique es- pagnole; ou le chameau, ce navire du désert y ou encore les quatre bœufs attelés au char tran- lU 1 S18328 2 LES BATEAUX A VAPEUR DE l'oUEST. quille et lent; et pour le commun des citoyens ou pour les guerriers au corps de fer, le cheval. Alors, au lieu des somptueux paquebots ou des bateaux à vapeur, vrais palais flottants, la barque étroite et fragile poursuivie par les larrons sur les rivières, par les pirates sur les mers, et dont la vue arrachait à l'épicurien Horace son excla- mation de peur : Illi robur et œs triplex Circàpecius eraU Alors les routes étaient des sentiers étroits, escarpés, dangereux par les malfaiteurs, par les monstres des bois et par les précipices. Il fallait traîner àvèé §0î litî loiïg attirail de bagage, de provisions, de valets et de gardes. De loin en loin le voyageilr reposait sa tête chez les hôtes dont ses ancêtres lui avaient légué l'amitié ; car alors point de ces hôtels confortables où, moyerïnaïit son argent , chacun peut s'entourer dés jouissancéâ de la vie et obtenir les soins empressés de servi- teurs attentifs. S'il y avait quelque gîte public , c'était quelque sale réduit à la façon des caravan- sérails d'Orient, asiles misérables et nus où l'on tlë trouve que l'eau et les quatre murs, ou dans le Style des hôtelleries de l'Espagne ou de l'Amérique da Sud, ce qui est le juste-milieu entre un cara- vansérail et une étable. Alors l'immense majorité des hommes, qui était esclave de nom et de droit, LETTRE XXI. à était de fait attachée à !a glèbe, enchaînée au sol à cause des difficultés de locomotion. Améliorer les communications, c'est donc tra- vailler à la liberté réelle, positive et pratique; c'est faire participer tous les membres de la fa- mille humaine à la faculté de parcourir et d'ex- ploiter le globe qui lui a été donné en patri- moine; c'est étendi-e les franchises du plus orand nombre autant et aussi bien qu'il est possible de le faire par des lois d'élection. Je dirai plus, c'est faire de l'égalité et delà démocratie. Des moyens de transport perfectionnés ont pour effet de ré- duire les distances non seulement d'un^point à un autre, mais encore d'une classe à une autre classe. Là où le riche et l'homme puissant ne voyaient qu'avec une pompeuse escorte, tandis que le pauvre, qui va de son village au village voisin, se traîne solitairement an milieu de la boue, des sables, des rochers et des broussailles, le mot d'égalité est un mensonge; l'aristocratie y crève les yeux. Dans l'Inde et en Chine, dans les pays mahométans, dans l'Espagne à demi arabe et dans son Amérique , r.eu importe que le pays s'appelle république, empire ou monarchie tempérée. Le cultivateur ou l'ouvrier ne peut y être tenté de se croire l'égal du guerrier, du brahmine, du man^ darin, du pacha ou du noble dont le cortège l'é- elabousse ou le renverse. Malgré lui, le voyant venir, il s'arrête saisi d'une crainte respectueuse , t^r^ 8328 4 LES BATEAUX A VAPEUR DE l'oUEST. et s'incline servilement à son passage. Au con- traire, dans la Grande-Bretagne, en dépit des privilèges magnifiques et de l'opulence des lords, le mechanic et le laboureur qui peuvent aller au bureau prendre leur ticket pour voyager en chemin de fer, pourvu qu'ils aient quelques shellings dans leur poche , et qui ont le droit, en payant , d'être assis dans la même voiture , sur la même banquette , côte à côte avec le baronnet ou le duc et pair, sentent leur dignité d'homme, et comprennent, à toucher du doigt, qu'entre la noblesse et eux il n'existe pas d'abîme infran- chissable. Par ce motif, on me ferait difficilement croire aux projets tyranniques d'un gouvernement qui se vouerait avec ardeur à percer son territoire et à diminuer les frais et la durée des transports. N'est-il pas vrai que le long des grands chemins, des canaux et des fleuves, les idées circulent en même temps que les marchandises, et que tout commis- voyageur est plus ou moins mission- naire? Les hommes dominés par les convictions rétrogrades le savent bien. Ils n'ont garde , ceux- là, de favoriser les entreprises de communication : ils redoutent un ingénieur des ponts-et-chaus- sées presque à l'égal d'un éditeur de Voltaire. Comme il est incontestable que l'un des premiers chemins de fer d'Europe a été établi dans les pro- vinces autrichiennes; comme l'administration im- LETTRE XX f. ^ pcriale a ouvert de belles chaussées d un bout à l'autre de ses possessions, et qu'elle encourage les bateaux à vapeur du Danube , j'ose en conclure que M. de Metternich vaut mieux que la réputa- tion qu'on lui a faite sur la rive gauche du Rhin. Vous savez qu'au contraire, pendant le court ministère de M. de Labourdonnaye , en 1 829, les études et plans de certaines routes projetées en Vendée disparurent sans qu'on ait pu les retrou- ver depuis. Il y a quelques mois , dans l'un des États Hbres et souverains de la confédération ré- publicaine du Mexique , celui de Puébla , dont la législature a toujours possédé, il faut le dire, une colossale réputation d'ignorance et d'obscu- rantisme, les élus du peuple, animés d'une sainte colère contre des mécréants, presque tous étran- gers, qui ont poussé l'esprit d'innovation sacri- lège jusqu'à établir une diligence entre Mexico et Véra-Cruz , et à réparer la route entre ces deux villes , les ont frappés d'une taxe annuelle de 720,000 fr., et leur ont défendu en outre de percevoir aucun péage sur le territoire de l'Etat. Il y a un pays où un simple perfectionnement des moyens de transport par eau a opéré une révolution qui se poursuit encore , et dont les conséquences sur le balancement des pouvoirs dans le Nouveau-Monde sont réellement incal- culables. C'est la grande vallée du Mississipi , qui avait déjà été conquise sur les Peaux-Rouges 6 LES BATEATTX A VAPEUR DE l'oUEST. et les bétes fauves avant les travaux de Fulton, mais qui, sans cet homme de génie, ne se fût jamais couverte d'États riches et populeux. Après que la conquête du Canada eut mis fin aux brillants mais stériles tours de force des Fran- çais sur roiiio et le Mississipi , les Anglo- Améri- cains , alors sujets du roi de la Grande-Bretagne, commencèrent à s'y répandre. Les premiers co- lons s'établirent dans le Rentucky, et prirent pos- session du sol par l'agriculture. Ils eurent bien- tôt effacé de ce côté les traces légères que nos Français, à peu près exclusivement chasseurs, y avaient laissées de leur passage. Au lieu d'une race svelte, inquiète et sans industrie , comme celle que les Français avaient produite en se croisant avec les Indiens, les nouveaux venus, évitant le mélange, procréèrent une population laborieuse et énergique qui, sur ce sol fertile, acquit, à l'exemple de toutes les productions de la nature, ces proportions gigantesques, caracté- ristiques du Kentuckien, du Teiinesséen, et du Yirginien de l'Ouest, aussi bien que des arbres de leurs foréls. Sans se séparer un instant de leurs fusils, qu'il y a quarante ans l'on portait sur l'épaule à l'office divin dans Cincinnati même, ils défrichèrent de belles fermes pour eux et leurs pullulantes familles. Ils eurent à traver- ser des jours bien difficiles; dans mainte ren- contre avec les Indiens quih dépossédaient de LETTRE XXI. 7 leurs bois, plus d'un mari, plus d'un père, tom^ bèrent sous la balle des Peaux-Rouges , furent réduits à la plus horrible des servitudes, ou fu- rent traînés au lamentable supplice du poteau. Le nom des Blue-Licks sonne encore dans le Rentucky , comme chez nous celui de Waterloo. Avant la décisive victoire des Bois- Abattus ( Fal- len Timber), remportée par le général Wayne, deux armées des États-Unis vinrent successive- ment , sous le commandement des généraux Harmer et Saint -Glair, essuyer de sanglantes défaites (1). Gn trouve aujourd'hui les éloquents rapsodes de cette longue lutte entre les hommes blancs et les hommes rouges, dans les cabarets {bar-rooms) des hôtelleries de l'Ouest. En 181 1 pourtant,quoiqueleredoutableTécum- seh et son frère, le Prophète, n'eussent pas encore été vaincus par le général Harrison, l'Américain avait étendu son domaine incontesté sur les plus riches cantons de l'Ouest. Çà et là des villages étaient construits : il n'était pas de foret qui de loin en loin n'offrît quelque clairière au centre de laquelle un squatter ou un acquéreur plus légal avait entassé destroncsd'arbres en forme de mai- son (log'house). Sur la rive gauche de l'Ohio, le (i) Le général Harmer fut ballu en 1790. L'année d'après cyt lieu la défaite du général Saint-Clair sur les bords de la Miami. La victoire dû général Wayne date de 1794. Celte guerre eut lieu tout entière sur le territoirç de l'État actuel d'Ghio. 8 LES BATEAUX A VAPEUR DE l'ouEST. Rentucky et le Tennessee étaient admis au rang: des États (1) : le W est-Virginia s'était peuplé. Un courant d'émigration avait transporté sur la rive droite d'industrieux fils de la Nouvelle-Angle- terre ; et , grâce à leurs efforts , l'État d'Ohio s'é- tait constitué, et avait près de 250,000 habitants. Ceux d'Indiana et d'IUinois , alors simples Terri- toires , donnaient de belles espérances. Le traité de 1803 avait ajouté à l'Union notre Louisiane, qui comptait déjà un État et plusieurs Territoires organisés, avec une population totale de plus de 1 60,000 âmes. L'Ouest tout entier réunissait alors près d'un million et demi d'habitants. Pittsburg et Cincinnati étaient des villes importantes. L'Ouest avait donc fait des progrès rapides ; mais isolé qu'il était du golfe du Mexique par les marécages et les détours du Mississipi , des cités de l'Est par les sept ou huit crêtes successives qui forment les Alléghanys ^ manquant d'issues et de débouchés , ses progrès allaient s'arrêter. L'embryon ne pou- vait plus se développer que péniblement, faute de canaux par lesquels il pût recevoir la vie et la rendre à son tour. De tous côtés aujourd'hui l'on a percé ou l'on perce des communications entre les fleuves de l'Ouest et le Uttoral de l'Est, sur lequel sont si- tuées les métropoles commerciales, Boston, New- (i) Ils comptaient ensemble 700,000 habitant*. LETTRE XXI. îf York, Philadelphie, Baltimore, Richmond, Char- îeston. Alors il n'en existait pas une seule pratica- ble en toute saison , et les capitaux étaient encore trop rares pour qu'on osât en entreprendre. Tout le commerce de l'Ouest se faisait alors par rOhio et le Mississipi. C'est encore et ce sera probablement toujours la voie la plus naturelle et la plus économique. Les farines et les salaisons de l'Ouest descendaient avec les voyageurs dans des bateaux plats , semblables à ceux qui amè- nent à Paris les charbons de la Loire. Les mar- chandises de l'Europe et les denrées des Antilles remontaient lentement à la voile et à la rame , dans des barques qui restaient en route cent jours au moins, quelquefois deux cents. Cent jours, c'est à peu près la durée d'un voyage de New- York à Canton par le cap Horn : c'est îe temps qui a suffi pour que la France fût deux fois conquise , une fois par Napoléon , ime autre fois par les alliés! Aussi le commerce de l'Ouest était fort limité. Les habitants de l'Ouest, séparés du reste du monde, avaient la rudesse des bois. C'est dans ce temps que naquit le dicton popu- laire qui représente le Rentuckien comme un composé du cheval et du crocodile : half-horse, half-alligator. Le nombre des barques qui fai- saient le voyage une fois par an , monter et des- cendre les fleuves, n'excédait pas dix; elles jau- geaient cent tonneaux en moyenne. D'autres 10 LES BATEAUX A VAPEUR DE l'oUEST. bateaux plus petits, de trente tonneaux moyen- nement, faisaient le commerce de détail sur les eaux de l'Ouest. Il y avait, en outre , des bateaux plats qui ne remontent jamais. Le prix du transport de la Nouvelle-Orléans à Louisville ou à Cincinnati était de six, sept et même neuî cents par livre anglaise (1)(700 fr. à 1 100 fr. par ton- neau). Aujourd'hui la traversée de Louisville à la Nouvelle-Orléans se fait ordinairement en huit ou neuf jours à la descente, en dix ou douze à la remonte. Le transport est souvent au-dessous d'un demi-cent par hvre, de la Nouvelle -Orléans à Louisville ou à Cincinnati (60 fr. par tonneau). En 1811 , le premier bateau de l'Ouest, bâti par Fulton, partit de Pittsburg pour la Nouvelle- Orléans; il portait le nom de cette dernière ville. Mais telles sont les difficultés de la navigation du Mississipi et de l'Ohio, telle était l'imperfection des premiers bateaux, qu'il s'écoula près de six ans avant qu'un steamboat remontât enfin, non pas à Pittsburg, mais deux cent cinquante lieues plus bas, à Louisville. Ce premier voyage (i) Au prix de 700 fr., le transport par eau de la Nouvelle- Orléans à Louisville ét.iit plus cher que sil eût élé effcclué par le rouI;ige onlinairc de France, l^a clislance parcourue clanl, avec tous les délours des fleuves, d'environ cinq ccnl cinquaulc lieues de posle, uu parcours de la même longueur sur nos roules coulerait de55o à 600 fr. En ne Icuant compte que de la distance parterre, qui est de deux ceutqualre-vingt-troii lieues, ce serait environ 3oo fr. LETTRE XXI. H fut exécuté en vingt-cinq jours; il fit grand bruit dans l'Ouest ; on donna un banquet solennel au capitaine Shreve, qui avait résolu le problème. Ce fut alors seulement que la révolution fut consommée dans l'Ouest , et que les barques aux cent jours de voyage furent détrônées. Dès 1818 le nombre des bateaux à vapeur était de vingt avec un tonnage de 3,642 tonnes; en 1819, il en avait été bâti depuis l'origine quarante, dont trente-trois seulement étaient en activité; en 1 82 1 , soixante-douze faisaient le service. Dans la même année, le Car of Commerce remonta de la Nou- velle-Orléans à Shav^nee-Town , un peu au-des- sous de Louisville, en dix jours. En 1825, après quatorze ans de tâtonnements et d'expériences, on fut enfin fixé sur les proportions des bateaux et des machines (1). En 1827,1e Técumsth re- monta de la Nouvelle-Orléans à Louisville en huit jours et deux heures. En 1829, le nombre des bateaux était de deux cents, avec un tonnage de 35,000 tonneaux. En 1832, il y en avait deux cent vingt,jaugeant40,000tonneaux. Aujourd'hui ils sont au nombre de deux cent quarante, me- surant ensemble64,000 tonneaux (2). D'après les renseignements qui m'ont été donnés par des personnes versées clans la matière, le commerce auquel ils servent d'iriterniédiaire ne s'é^ève pas à (\) Voir la Note i à la tin du Vcîuroe. (a) Voir la Note 2 à la un du Volume. 12 LES BATEAUX A VAPEUR DE L OUEST. moins de 1 40,000 tonneaux, en ne comptant que celui qui s'opère entre la Nouvelle-Orléans et le haut pays. Le commerce intermédiaire entre les bassins de l'Ohio , du Tennessee et du haut Mis- sissipi forme une autre masse considérable. Pour avoir une idée des affaires qui se traitent sur les eaux de l'Ouest, il faudrait faire encore entrer en ligne de compte 160,000 à 180,000 tonneaux de provisions et objets divers qui descendent à la Nouvelle -Orléans en bateaux plats (Jlat bouts). C'est énorme assurément, et pourtant ce n'est qu'une parcelle de ce qui, selon toute probabilité, sillonnera dans vingt ans les fleuves de l'Ouest ; car sur le canal Érié, qui, comparati- vement au Mississipi et à l'Ohio, n'est qu'une ligne secondaire, sur un seul point, à Utica, il est passé, en 1833 , dans une saison de sept mois et demi, 420,000 tonnes. Telle est l'influence des communications où le bon marché se combine avec la célérité (1). Au Mexique, où la nature a tant fait, et où en re- vanche les hommes font si peu de chose, dans ces contrées dont les ressources naturelles sont (i) Le transport sur nos cananx est à fort bas prix. Le fret proprement dit , indépendament des droits (qui sont peu élevés chez nous en comparaison de ce qu'ils sont en Angleterre, par exemple), y coûte un centime et demi à deux centimes par tonne et par kilomètre. C'est le double sur les canaux des États-Unis, mais cet avantage des canaux français est balancé par une déses- pérante lenteur. LETTRE XXI. 13 peut-être décuples de celles des États-Unis, mais où l'homme est cent fois moins actif et moins industrieux , tous les transports se font à dos de mulet ^ quelquefois à dos d'homme, même dans les plaines. Aussi la masse annuelle des transports, en montant de Véra-Cruz , qui est le port prin- cipal du pays, à Mexico, la capitale, est au-dessous de 6,000 tonnes; à la descente, c'est moins encore. Les bateaux à vapeur de l'Ouest ressemblent aux bains Vigier sur la Seine. C'est une vaste maison avec un rez-de-chaussée et un premier étage (1). Deux grandes cheminées en forme de colonnes lancent une fumée noire et des milliers d'étincelles. D'une troisième cheminée s'échappe avec frémissement un nuage blanchâtre ; c'est le dégagement de la vapeur. A l'intérieur, ils ont cette apparence de coquetterie qui caractérise les bâtiments américains en général. Au dedans ils sont meublés avec éclat. Ils sont vraiment beaux à voir. Leurs petits volets verts et leurs fenctres bien encadrées, se détachant du fond blanc de la charpente ^ auraient fait soupirer d'envie Jean- Jacques. Leur capacité est quelquefois de 500 à 600 tonneaux, plus ordinairement de 200 à 300. (i) VHomer, bateau renommé, ouvrage de M. Beckwith, de Louisville, l'un des plu» habile» conslructeurs de l'Ouest, a ua étage de plus, 14 LES BAEEAUX A VAPEUH DE L*OUEST. Leur longueur varie communément de trente- cinq mètres à cinquante. Malgré leurs dimensions et le luxe de leurs aménagements , ils s'établissent à peu de frais; aujouixl'hui, avec leur machine et leur ameublement, les plus forts bateaux coûtent au plus 40,000 dollars (213,000 fr.) (1). Un joli bateau de trente-cinq mètres de long, jaugeant légalement cent tonnes et pouvant en porter cent cinquante, ne coûte que 7^000 à 8,000 dollars. On estime que les grands bateaux coûtent par tonneau de capacité légale 500 fr., et les pe- tits 400 (2). Mais si ces constructions élégantes coûtent peu, il faut dire aussi qu'elles né durent guère. Quelle que soit l'attention qu'dn apporte au choix des matériaux et à leur conserva- tion , il est rare qu'un bateau de l'Ouest aille au- delà de quatre à cinq ans. Dernièrement un vieux capitaine, me parlant d'un bateau à la construction duquel il avait apporté tous les soins imaginables, me disait avec un profond soupir : « Il est mort à trois ans [She diedat threeyears). » Cette magnifique végétation de l'Ouest^ ces arbres si vigoureux, si droits, près desquels nos chênes (i) Un bateau de même force coûterait chez nous 5oo,ooo fr. Ce bas prix, dans TOdest, s'esplique par le bon marché des bois, par l'imperfection des machines à vapeur que l'on n'a pas inté- rêt à avoir meilleures, parce que Ton s'inquiète peu d'économi^;er le combustible, et aussi par l'habilelé des ouvriers; les Améri- cains excellenl à travailler le bois. (a) Voir la Mole 5 à la fin du Volume. LETTRE XXI. J5 d'Europe ressembleraient à des nains, grandis ra- pidement sur l'épaisse couche de terreau déposée aux temps diluviens par les fleuves de la grande vallée, donnent un bois dont la durée est préci- sément en rapport avec le temps qu'ils ont mis à pousser. Là aussi se vérifie ce principe, si exact à l'égard de la gloire des hommes et de la splen- deur des Empires , que le temps ne respecte que ce qu'il a fondé. Le nombre des personnes que transportent ces bateaux est considérable ; ils sont presque toujours encombrés, quoiqu'il y en ait, comme THenij Claj, rUonier et le Meditenanean , qui comptent deux cents lits. Je me suis trouvé, moi soixante-douzième, sur un steamboat qui était disposé pour trente cahin-passengers. Un voyage sur les fleuves était autrefois une expédi- tion d'Argonautes; aujourd'hui c'est l'affaire du monde la plus aisée. Les prix sont fort réduits; on va de Pittsburg à la Nouvelle-Orléans pour 50 dollars (266 fr.), tout compris; de Louisville à la Nouvelle-Orléans, pour 25 dollars; c'est à raison de 25 à 30 centimes par lieue. C'est bien autrement modique pour la classe nombreuse des mariniers qui conduisent les bateaux plats au bas pays, et qui ont à remonter seuls de la Nou- velle-Orléans; on les entasse au nombre de cinq à six cents quelquefois, sur un étage séparé du bateau, l'étage inférieur ordinairement; ils ont là 16 LES BATEA^UX \ VAPEUR DE l'oUEST. un abri, un cadre où ils dorment, et le feu, moyennant quatre à six dollars jusqu'à Louis- ville. Ils sont astreints à donner un coup de main toutes les fois qu'il y a du bois à cbai- ger. La rapidité avec laquelle ils voyagent main- tenant n'a pas peu contribué à étendre le commerce de l'Ouest. Ils peuvent aujourd'hui faire trois ou quatre expéditions par saison au lieu d'une seule, circonstance importante dans un pays qui manque de bras. A la descente, la place qu'ils remplissent à la remonte, est occupée par des chevaux et du bétail qu'on mène au Sud, et par des esclaves, bétail humain qui va engrais- ser de ses sueurs les terres du Sud, remplacer le déchet des sucreries de la Lousiane , et faire la fortune des planteurs de coton. La Virginie est le principal foyer de cette traite ; la terre natale de Washington, de Jefferson, de Madison, est de- venue, me disait avec douleur un autre de ses enfants, la Guinée des États-Unis (1). Si beaux que soient ces bateaux, si grands que soient les services qu'ils rendent à l'Amérique , une fois la première curiosité satisfaite, le séjour en est peu attrayant pour quiconque a de la cul- ture dans l'esprit et dans les manières. Il y a peu (i) Il se lait, dans la capitale même des États-Unis, à Was- hington , un grand commerce d'esclaves ; c'est le principal mar- ché pour les nègres de la Virginie et du Marjland destinés k aire amenés au Sud. LETTRE XXL 17 d'Européens et même d'Américains des métropo- les de l'Est^ qui, au sortir de ces casernes flottantes, ne seraient pas disposés, dans le paroxysme de leur mauvaise humeur, à certifier conforme, sauf erreurs ou omissions, le compte que madameTrol- lope a rendu de la sociabilité des gens de l'Ouest. C'est que dans l'Ouest il y a une égalité qui n'est pas de l'égalité pour rire, de l'égalité sur le pa- pier. Tout homme qui a sur les épaules un ha- bit médiocrement propre y est un gentleman; tout gentleman en vaut un autre, et ne suppose pas qu'il doive se gêner pour son égal. Il s'occupe de lui-même et nullement d'autrui; il n'attend aucun égard de son voisin, et ne soupçonne pas que celui-ci puisse désirer de lui la moindre at- tention. Dans cette rudesse, remarquez-le, il n'y- a pas le plus léger brin de méchanceté ; il y a au contraire un naturel qui désarme. Cet homme de rOuest est rude, mais il n'est point hargneux. Il est susceptible , fier de lui-même, fier de son pays, il l'est à l'excès, mais il l'est sans fatuité et sans affec- tation. Écartez l'enveloppe de vanité et d'égoisme, et vous trouverez chez lui un bon fonds d'obli- geance et même de générosité. Il est grand calcu- lateur, et cependant il n'est point froid ; il est ca- pable d'enthousiasme. Il aime l'argent de passion, et il n'est point avare, il est souvent prodigue. Il est brusque et raide, parce qu'il n'a pas eu le temps d'adoucir sa voix et d'assoupHr son geste. S'il est II. 2 18 LES BATEAUX A VAPEUR DE lWeST. grossier, ce n'est pas qu'il se complaise dans la grossièreté; il aspire à devenir un homme de bonne compagnie, et voudrait déjà passer pour tel; mais il a dû beaucoup plus s'occuper de cul- tiver la terre que de se cultiver lui-même. Il est na- turel que la première génération de l'Ouest porte l'empreinte des durs travaux qu'elle a si opiniâ- trement poursuivis. Cependant si ces réflexions sont consolantes pour l'avenir, elles ne sauraient faire que présentement la vie des bateaux à va- peur de rOhio et du Mississipi ait des charmes pour quiconque attache du prix à des mœurs po- licées et prévenantes. En outre, le voyage sur le Mississipi est plus dangereux qu'une traversée sur l'Océan, je ne dirai pas d'Europe aux États-Unis, mais d'Europe en Chine. Vous y avez le danger des explosions de machines à vapeur, celui des incendies, et, à la remonte, celui des arbres de dérive dont le tronc s'est fixé par les racines au fond du lit, et qui pré- sentent leur pointe à fleur d'eau aux bateaux as- cendants. Vous y avez à redouter encore le choc de votre bateau, pendant l'obscurité d'une nuit de brouillard, contre un autre bateau marchant en sens contraire, sans compter l'inconvénient de s'engraver sur les bancs de sable. Joignez à cela la monotonie du cours du fleuve^ la solitude de ses rives plates et boueuses, l'aspect sale de ses eaux jaunâtres, les étranges habitudes d'une moi- LETTRE XXI. 19 tié des voyageurs entassés avec vous dans la même cage, et vous concevrez que ce soit à la longue une pénible corvée. Aussi les planteurs de la Loui- siane qui, pendant les chaleurs de l'été, vont chercher au Nord un air plus frais et plus pur que celui de la Nouvelle-Orléans, ont soin d'effectuer par mer leurs migrations périodiques, abord des beaux paquebots qui croisent sans cesse entre leur capitale et New-York. Les explosions de machines sont fréquentes , soit à cause de la maladresse des mécaniciens , soit à cause de la mauvaise confection des chau- dières. Elles sont toujours accompagnées d'acci- dents graves, parce que les bateaux sont surchar- gés de monde. Il y a quelques jours, sur un seul bateau, le Majestic ^ soixante personnes ont été ainsi tuées ou blessées. Toutefois ces affreux dé- sastres sont inconnus à bord des bateaux très bien commandés, là où les armateurs ne cher- chent pas à faire d'économies sur le prix des mé- canismes et sur le salaire des mécaniciens (1). Une loi analogue aux ordonnances en vigueur chez nous est indispensable dans l'Ouest. D'un autre côté, la loi, pour être exécutable, devrait être une pour tous les points d'une même navigation, ce (i) Un bon mécanicien (enginéer) gagne, furies grands ba- teaux de l'Ouest , loo dollars (5ôo fr.) par mois. Il y en a deux par bateau. En France, uu ouvrier de la môme force gagnerait 3 à 4 fr. par jour^^ 20 LES BATEAUX A VAPFFR DE l'oUEST. qui ne saurait être que si elle était faite par le Congres. Or les idées dominantes ne permettent pas au Congrès de s'en occuper; on crierait qu il empiète sur les droits des États particuliers, qu'il les dépouille de leur souveraineté. Un seul État, la Louisiane, a passé une loi à ce sujet; mais cette loi est vicieuse, et je suppose d'ailleurs qu'elle est comme non avenue. Elle aurait dû être préven- tive et imposer des mesures de précaution, des épreuves pour le personnel et le matériel ; elle n'est que répressive , et se borne à menacer d'une peine grave, amende et prison, tout capitaine à bord duquel un accident arriverait, stipulant une pénalité spéciale pour le cas où, au moment fatal, il aurait été jouant à quelque jeu de hasard. Il y a bon nombre d'exemples d'incendie à bord des bateaux à vapeur. Plusieurs ont péri ainsi corps et biens, quoique le fleuve ne soit pas large (l). On cite entre autres la catastrophe de la Branclywine, qui fut consumée près de Mem- phis, avec tout son monde, environ cent dix personnes, en avril 1832. En matière d'incendie, les Américains sont d'une insouciance unique (2), aussi bien dans leurs maisons de New-York que (i) Sa largeur ordinaire est de 800 à 1,200 mètres, ou quatre fois celle de la Seiue. Mais il est iiicomparablcmenl plus pro- Ibnd quelle. Après qu'il a reçu l'Oliio, il a très fréquemment ùo :i l\o mètres doau , et habituellement 20 mèlres. On u"a pas idée , en Europe , de la fréquence et de l'elen* LETTRE XXI. 2t sur leurs steamhoats du Mississipi. Ils fument nonchalamment au milieu de balles de coton à demi ouvertes, dont le bateau est comblé; ils em- barquent de la poudre sans plus de soin que si c'était du mais ou du bœuf salé (1), et laissent tranquillement des objets empaquetés dans de la paille , à portée du torrent d'étincelles que vo- missent les gueules des cheminées. ^ Les accidents causés par les bois de dérive, con- nus sous le nom de logs , snags , sawyers , selon les diverses positions qu'ils affectent dans le lit du fleuve , ont été extrêmement fréquents. On tâche d'y remédier en renforçant l'avant des ba- teaux et en y établissant une épaisse cloison {l:>ulk head), qui double la coque à une petite dis- tance de la proue. Le gouvernement fédéral a deux bateaux destinés à débarrasser, par un mécanisme ingénieux, le cours du Mississipi et de TOhio des bois qui l'obstruent. Les États riverains, qui n'ont cependant que de très légères taxes, n'ont pas fourni un centime pour cet objet essentiel. L'appareil du capitaine Shréve, établi sur les deux due des incendies en ce pays. Les dernières nouvelles de Char- leston nous apprennent que trois cents maisons viennent d"j cire la proie des flammes. A New-York et à Philadelphie , il se passe rarement un jour sans que l'on sonne la cloche dularme. (i) Il y a deux ou (rois ans, l'un des deux Sénateurs de la Louisiane au Congres , M. Johnstou , a péri, avec beaucoup d'au- tre» passagers , sur la Rivière Rouge , à bord du bateau à Tapeur la Lionne f où Ton avait embarqué de la poudre qui prit feu. . 22 lES BATEAUX A VAPEtfR DE l'oTTEST. bateaux du gouvernement fédéral, T Hélio-polis et V Archimède^ a beaucoup dégagé le chenal; mais il reste à faire encore. Sous beaucoup de rapports, l'on pourrait, au moyen de dépenses bien dirigées, diminuer les chances d'accident. On a aujourd'hui l'expé- rience du fleuve; il y a maint ingénieur, aux États- Unis, qui sait manier ce puissant piire des eaux. Pour le maîtriser ainsi queses affluents, il ne fau- drait pas d'énormes sommes. Malheureusement le gouvernement fédéral, qui ne sait que faire de son argent (car les douanes lui produisent au- delà de ses besoins, et il a maintenant un excédant de plus de 1 1 millions de dollars) (1), est arrêté là encore par une doctrine dont le parti démo- cratique s'est épris, on ne sait pourc|uoi. On in- terdit au gouvernement fédéral de s'immiscer dans les travaux publics qui s'exécutent sur le territoire des États particuliers. Ainsi , quoique toute la fédération soit intéressée à l'amélioration de la navigation sur les fleuves de l'Ouest, le gouvernement fédéral n'y peut procéder qu'avec timidité et lenteur. Le prédécesseur du général Jackson, M. Adams, était un chaud partisan de l'intervention de l'autorité fédérale dans les tra- vaux publics {internai impro^ement). Il pen- sai^;, comme M. Clay et d'autres hommes d'un (i) Voir la'Kotc 4 à la un des deux grands bassins intérieurs du Mississipi et du Saint-Laurent, qui courent, l'un du nord au midi vers le golfe du Mexique, l'autre du midi au nord vers la baie à laquelle il donne son nom ; 2° à l'extérieur, du côté de l'est , d'un système de moindres bassins qui se déchargent dans l'Atlantique, et dont les principaux sont ceux du Connecticut , de l'Hudson, de la Délaware, de la Susquéhannah ; du Potomac, du James- River, du Roanoke, de la Santée, de la Sa- vannah, de l'Alatamaha. Les monts Alléghanys, que l'on appelle l'épine dorsale (bacÀ-6one) des Etats-Unis, à cause de leur forme régulièrement allongée dans le sens du continent, constituent 30 LES VOIES DE COMMUNICATION. une séparation naturelle entre les deux grands bassins intérieurs et le système des petits bassins de la côte orientale. A l'ouest, les vallées du Saint- Laurent et du Mississipi sont bordées par la Cordillière mexi- caine, qui prend le nom de Montagnes Ro- cheuses i^Rocfy Mountains), Au pied de cette chaîne s'étendent de vastes solitudes dépourvues de végétation, et que Ton représente comme de- vant rester toujours inhabitables pour l'homme , à l'exception de quelques oasis. En ce moment, la population anglo-américaine est presque toute à gauche du Mississipi. Il n'y a sur la rive droite qu'un État , l'un des moins importants de la Confédération, le Missouri, et un Territoire , celui d'Arkansas, qui doit, avant peu, être admis au nombre des membres de l'Union (1). La chaîne des Alléghanys est peu élevée ; elle atteint à peine la hauteur des Vosges, tandis que les Rocky Mountains dépassent les Pyrénées , et même les Alpes. Le système des Alléghanys, quoiqu'il n'atteigne qu une faible hauteur, repose sur une base fort large, environ 60 lieues à vol d'oiseau. Consi- déré dans son ensemble, il se compose d'une série de sillons séparés par autant de crêtes, et ()) Vwiri U Note C à U 0a du Volume. LETTRE XXII, 31 s'étendant uniformément d'un bout de la chaîne à l'autre, depuis les côtes de la Nouvelle-Angle- terre, où les montagnes sont baignées par la mer, jusqu'au golfe du Mexique, à l'approche duquel elles s'abaissent graduellement. Ces alter- natives de sillons et de crêtes forment sur la sur- face terrestre des rides disposées parallèlement les unes aux autres, et que l'on peut suivre sur lé terrain , sauf quelques interruptions , sur une longueur de quatre à cinq cents lieues. Les forma- tions géologiques sont disposées assez exacte- ment suivant ces rides, pour de longs intervalles; toutefois cette règle n'est pas absolue, car l'on voit assez souvent la même couche passer d'une ride à l'autre, en coupant la première sous un angle toujours très aigu. Malgré leur caractère général de régularité, les sillons compris entre ces rides ne sont pas des bassins hydrographiques, des vallées, quoi- qu'on leur en donne quelquefois le nom. Les fleuves, au lieu d'avoir leur lit creusé entre deux crêtes successives et d'aller ainsi jusqu'à la mer, affectent plutôt de passer d'un sillon à un autre , en profitant des endroits faibles des crêtes et en s'y faisant jour. Ces trouées sont d'un précieux avantage pour les communica- tions. Elles permettent aux routes , aux canaux et aux chemins de fer de tourner, en suivant les bords des fleuves, des hauteurs qu'il leur eût 32 LES VOIES DE COMMUNICATION. été presque impossible de franchir. De tous les passages de ce genre, le plus intéressant est ce- lui que le Potomac s'est ouvert à Harper s Ferry, à travers la crête appelée Montagne Bleue (^Blue Iiicige)yet que Jefferson, dans son enthou- siasme virginien , disait mériter le voyage à tra- vers l'Atlantique. Le territoire américain peut donc être partagé, sous le rapport hydrographique, en deux ré- gions distinctes, Tune à l'est, l'autre à l'ouest des Alléghanys; ou en trois, savoir: V la vallée de Mississipi ; 2° la vallée du Saint-Laurent avec les grands lacs; 3° le littoral de l'Atlantique. Cet immense pays peut aussi être divisé en Nord et Sud. Il a deux capitales commerciales, New -York et la Nouvelle - Orléans , qui sont comme les deux poumons de ce grand corps, comme les deux pôles galvaniques du système. Entre ces deux divisions, Nord et Sud , il existe des dissemblances radicales sous le rapport poli- tique et sous le rapport industriel (1). La consti- tution sociale du Sud se fonde sur l'esclavage; celle du Nord sur le suffrage universel. Le Sud est une immense ferme à coton avec quelques accessoires, tels que le tabac, le sucre, le riz. Le Nord sert au Sud de courtier pour vendre ses produits et pour lui procurer ceux d'Europe; de (1) Voir lettre xiy, tom. i. matelot pôur lui conduire son colon au-delà des mers; de fabritlâiU pour tous les ustensiles de ménage et d'agriculture^ pour les cotton- gins (1) et pour les machines à vapeur de ses su- creries, pour les meubles et les étoffes, et poin- tons les objets de consommation courante. Il l'alimente de blé et de salaisons. Il suit de là qu'aux États-Unis les grands tra- vaux publics doivent avoir pour objet : l"* De relier le littoral de l'Atlantique avec les pays situés à l'ouest des Alléghanys, c'est-à-dire •de rattacher les fleuves tels que l'Hudson, la Susquéhannah, le Potomac , le James-River, ou les baies , telles que celle de la Délaware ou de la Chésapeake, soit avec le Mississipi ou son affluent rOhio, soit avec le Saint-Laurent ou les grands lacs Érié et Ontario', dont le Saint-Laurent porte les eaux à la mer ; 2" D'établir des communications entre la val- lée du Mississipi et celle du Saint-Laurent , c'est- à-dire entre l'un des grands affluents du Missis- sipi, tels que l'Ohio, l'Illinois , ou la Wabash, avec le lac Érié ou le lac Michigan , qui, de tous les grands lacs dépendant du Saint-Laurent, sont ceux qui s'avancent le plus vers le sud ; 3" De faire communiquer entre eux le pùîe (1) C'est le nom de la machine qui sert à séparer le colon des gf&lnes dont il est mêlé et qui aulrelois claicnt péniblement tlirécs à main d'homme. II. 3 34 LES VOIES DE COMMUNICATION. nord et le pôle sud de l'Union , New-York et la Nouvelle-Orléans. Indépendamment de ces trois grands systèmes de travaux qui, en effet, sont en construc- tion et même en partie exécutés , il existe des groupes secondaires de lignes de transport ayant pour objet, soit de faciliter l'accès des centres de consommation, soit d'ouvrir des débouchés à certains centres de production; de là résultent deux autres catégories : la première embrasse les divers ouvrages , canaux ou chemins de fer, qui partent des grandes villes comme centres , et rayonnent en tous sens autour d'elles ; la seconde comprend les travaux exécutés pour desservir certains cantons houillers. § r. Joignes allant de test à V ouest des Jlléghanys. Les travaux dont on s'est à peu près exclusi- vement préoccupé dans les métropoles des Etats* Unis, qui ont absorbé et absorbent encore la majeure part de l'aUention des hommes d'Etat, des économistes et des hommes d'affaires, sont ceux qui ont pour objet de nouer des communi- cations entre l'Est et l'Ouest. lETTRE XXII. 35 Il y a sur le littoral de l'Atlantique quatre mé- tropoles qui se sont long-temps disputé la su- prématie : ce sont Boston, New-York, Philadelphie et Baltimore. Toutes les quatre ambitionnaient le privilège du commerce avec les jeunes États qui s'élèvent sur les fertiles domaines de l'Ouest. Elles ont lutté avec des succès divers, et toujours avec une rare intelligence. Mais elles n'étaient pas également partagées en avantages naturels. Boston est trop au nord; il n'a pas de fleuve qui lui permette d'étendre les bras au loin vers l'Ouest ; il est cerné de tous côtés par un sol montagneux, à travers lequel toute communication rapide est difficile, tout travail dispendieux. Philadelphie et Baltimore sont bloquées par la glace à peu près tous les hivers; et cet inconvénient suffit pour compen-^ ser, au détriment de Baltimore (1), sa plus grande proximité del'Ohio, sa latitude plus cen- trale , la beauté de sa baie , longue de près de cent lieues, et bordée d'affluents innombrables la Susquéhannah, le Potomac, le Patuxent, le: Rappahanock, etc. Philadelphie est une ville mal posée ; Penn fut séduit par la beauté dui Schuykill et de la Délaware. Il lui sembla (i) Au moyen des bateaux à vapeur brise-glaces , cet inconvé- nient sera désormais singulièrement atténué dans les hivers or» dihaires. as ÎM VOIES DE (JOMMUNldAtïÔff. qu'âne ville bâtie dans la plaine crune lieue dé large, qui s'étend entre leurs eaux, y développe- rait admirablement la régularité de ses rues; qu'elle serait pourvue de magasins aux abords faciles, où des milliers de bâtiments pourraient à la fois charger et décharger. Il oublia d'assurer à sa ville un vaste bassin hydrographique ^ ca- pable de consommer les produits qu'elle eut tirés du dehors, et de lui expédier en retour les fruits de sa culture. Il ne fit pas reconnaître la Délav^^are, qu'il prit pour un grand fleuve , et qui ne l'est malheureusement pas. S'il eut fondé la ville de r amour fraternel aux bords de la Susquéhannah, elle eût pu long-temps soutenir la lutte contre New-York. Nev^-York, voilà la reine du littoral ! Cette ville occupe une île allongée entourée par deux fleu- res (la rivière du Nord et la rivière (1) de l'Est )^ où des navires de tout tonnage et en nombre in- fini peuvent venir à quai. Son port est à l'abri des gelées, excepté dans les hivers exceptionnels. Il est accessible , par tous les vents , aux petits navires; sauf par les vents de nord-ouest, il est toujours ouvert aux bâtiments les plus forts. New^-York a surtout l'inappréciable bonheur d'être assise sur un fleuve pour qui un cataclysme jîierveilleux et unique a creusé , au travers des (0 La rivière de l'Est est plutôt un bras do mer entre la terre in nie et la lon^rue île. LETTRE XXII. 3/ montagnes primitives , un lit uniformément pro- fond^ sans écueils, sans rapides, presque sans pente, qui coupe en ligne droite la masse la plus solide des Alléghanvs. La marée, faible comme elle est sur ces côtes (1), remonte l'Hudson jus- qu'à Troy, à 60 lieues de l'embouchure. Telle est la beauté du lit de ce fleuve , que l'on arme des baleiniers (2) à Pougkeepsie et à Hudson , qui sont, l'un à 30, l'autre à 45 lieues au-dessus de New- York, et que, sauf quelques courtes époques d'é- tiage, des goélettes, tirant 3 mètres d'eau, peu- vent, par toute heure de la marée, remonter à Albany et àTroy (55 et 57 lieues). Nev^-York est douée en outre d'avantages spé- ciaux sous le rapport de la population qui l'ha- bite. Colonie hollandaise dans l'origine , puis conquise parles Anglais, et voisine de la Nouvelle- Angleterre, elle offre un mélange des solides qua- lités du type saxon, du calme hollandais, et de la sagacité entreprenante des Puritains. Cette (i) A New-York, et en général sur toute la côte de rAllanliqne jusqu'en Floride, la marée n'est que de i'",5o à 2'". Elle est plus considérable au nord ; à Boston, elle est deo'^.ôo; sur les côtes de la Nouvelle-Ecosse et du New-Erunswick, dans la baie de Fundy, elle est de 10, i5 et même 20 mèli-es. A Brcs:!: elle est de 7 mètres ; à Sainl-Malo , de i5 mètres ; à Granviile de 14 mètres. (2) On sait que de tous temps les Anglo-Américains se sont adonnés à la pêche de la baleine. Le tonuage de leurs bàtiraenl§ baleiniers s'élève à i3o,0QO tonneaux , 38 LES VOIES DE COlMMUiyrCATION. race croisée s'entend admirablement à utiliser tout ce que la nature a fait pour sa ville. A peine la guerre de l'Indépendance était-elle finie, que déjà les grands citoyens qui en avaient assuré le succès par leur patriotisme et leur cou- rage, préoccupés des richesses enfouies dans cet Ouest, alors inhabité, projetaient les moyens de s'en rapprocher par des canaux. S'il est vrai que la Prusse, du temps de Voltaire, ressemblât à deux jarretières posées sur le sol de l'Allemagne, du temps de Washington et de Franklin , il n'y a pas plus de cinquante ans , les Etats-Unis pouvaient être comparés à un étroit ruban jeté sur le litto- ral sablonneux de l'Atlantique. W ashington pro- jetait alors le canal, qui depuis a été commencé, d'après les plans de Fun de nos compatriotes, le général Bernard, et qui va chercher l'Ouest en remontant le Potomac; mais faute de capi- taux et d'hommes de l'art, ce qui de nos jours est devenu un bel et long canal, fut alors borné à quelques écluses autour des petites et des grandes chutes du fleuve (^little falls et great fàlls). A la même époque , les Pensylvaniens faisaient de vains efforts et dépensaient inuti- lement des sommes assez considérables pour canaliser le Schuylkill et le rattacher à la Sus- quéhannah. Dans l'État de New-York, on prélu- dait , par de petites coupures , quelques barrages et qiielques écluses, à de plus vastes concep- LETTRE XXII. 39 tions(l). Les travaux entrepris alors et pendant les quinze premières années du xix* siècle, ne purent être menés à fin , ou furent sans résultats. Un seul ouvrage de quelque étendue fut , à cette époque, convenablement achevé ; c'est le canal de Midd- lesex qui part de Boston pour rejoindre, après un parcours de douze lieues, le fleuve Merri- mack au-dessus de Lowell (2). La guerre de 1812 trouva les États-Unis sans canaux, et à peu près sans bonnes routes. Ils ne connaissaient ^ en fait de communications , que la mer, leurs baies et les fleuves qui s'y jettent. Une fois bloqués par les flottes anglaises, ils ne purent plus communiquer, non seulement avec l'Europe et l'Inde, mais même entre eux, du Nord au Sud^ d'État à État, de ville à ville, de New-York à Philadelphie, par exemple. Leur commerce fut anéanti , et la source de leurs capitaux tarie. La banqueroute les frappa comn>e l'ange extermina- teur^ sans épargner une famille. (i) En 1792, rÉtat de New-York autorisa deux compagnies qui se proposaient, l'une de lier le lac Sénéca au lac Ontario l'autre d'opérer une jonction semblable entre l'Hudson et le lac Champlain (Tune FFestern, et l'autre Northern Inland Lock Na- vigation Company). Ces compagnies firent des travaux de peu d'importance. (2) Il est dû à M. Baldwin , père de M. L. Bald^v^in, aujour- d'hui Tun des plus habiles ingénieurs des États-Unis, qui a construit le bassin fermé de Charlestown près de Boston, et celui de Norfolk. iO LES VOIES DK COMMUjNJCxiTiON. PREiMIERE HGNE. Canal Erië, La leçon fut dure^ mais elle ne fut pas perdue. Les Américains, il faut leur rendre cette justice^ savent profiter des enseignements que la Provi- dence leur donne, surtout lorsqu'ils les ont payés cher. Le projet d'un canal entre New-York et le lac Erié; qui avait été déjà discuté avant la guerre, fut vivement repris après la paix. Un homme d'État, dont l'Amérique du Nord devra éternelle- ment bénir la mémoire, deWitt Clinton, sut faire partager à ses compatriotes sa noble confiance dans l'avenir de son pays, et, le 4 juillet 1817^ le premier coup de pioche fut donné. Malgré les si- nistresprédictions d'hommes renommés pour leur sagesse et leurs services^ malgré les avis du patriar- che vénéré de la démocratie, de Jefferson lui- même, au dire de qui il fallait attendre un siècle pour oser tenter vm pareil travail j malgré les remontrances "^de l'illustre Madison, qui écrivit qu'il y aurait folie à l'État de New-York d'entre- prendre , avec ses seules ressources , un ouvrage pour lequel tous les trésors de l'Union ne suffi- raient point, cet Etat, qui alors ne comptait pas une population de treize cent mille âmes, com- njenra uii canal long de cent quarante-six lieues LETTRE XXll. 41 et demie (cle 4,000 m.); huit ans après, en 1825^ il l'avait achevé avec une dépense de 45,000,000 ou 307,000 fr. par lieue. Depuis lors , il n'a pas cessé d'y ajouter des ramifications dont le réseau est presque terminé aujourd'hui. Cet Etat pos- sédera, dans le courant de 1836, deux cent qua- rante-sept lieues de canaux et dix-huit lieues de rigoles ou étangs navigables^ le tout exécuté aux frais de l'État, au prix de 65,000,000 fr., soit 263,000 fr. par lieue de canal. Les résultats de ce travail ont dépassé toutes les espérances. La canalisation de l'Etat de New- York ouvrit un débouché aux fertiles cantons de l'ouest de l'Etat, jusqu'alors sans lien avec la mer et avec le monde. ]^e littoral des lacs Erié et Ontario se couvrit aussitôt de riches cultures et de belles villes. Jusqu'au fond du lac Mi- chigan , le silence des forets primitives fut in- terrompu par la hache des colons venus de New- York et de la Nouvelle-Angleterre. L'État d'Ohio^ que baigne le lac Erié, et qui n'avait de commu- nication avec la mer qu'au loin^ du côté du Sud, par leMississipi, en eutune autre, courte et rapi- de, par New-York, avec l'Atlantique. Le Territoire deMichigan se peupla; il a aujourd'hui 100,000 habitants, et va passer au rang d'Etat. La circula- tion du seul canal Erié a excédé 400^000 tonnes en 1834, et aura dû approcher de 500,000 en 1835. Avec un tarif modéré^ les péages des canaux 42 LES VOIES DE COMMUNICATION. de l'État de New-York produisent près de 8 mil- lions. La population de la ville de New-York s'est accrue de 80,000 âmes en dix ans, de 1820 à 1830 (1). New-York est devenu le troisième, si- non le second port de l'univers , et la cité la plus peuplée du Nouveau -Monde. Quant à l'illustre Clinton, il vécut assez pour voir le triomphe de ses plans, mais non pour recevoir l'éclatante récom- pense que lui réservait la reconnaissance de ses compatriotes. Il mourut, le 11 février 1828, à l'âge de cinquante-neuf ans. Sans cette mort pré- maturée , il eût probablement été élu à la pré- sidence. Le canal Erié ne suffit plus au commerce qui vient s'y précipiter. Vainement les éclusiers , at- tentifs nuit et jour au cornet des bateliers , font la manœuvre des portes avec une célérité qui accuse la lenteur des nôtres. Il n'y a plus assez de place dans le canal, dont au reste les dimensions sont étroites(2). L'impatience du commerce, pour (i) L'accroissement de New-York est de plus en plus rapide : de i83o à i835, le chiffre de la population est monté de 200,000 à 270,000. (2) Il y a 12 mètres de large à la ligne d'eau et i^jSo de pro- fondeur d'eau. Les écluses y ont 27™, 45 de long et S", 66 de large. Le caudl du Languedoc a 20 mètres de large et 2 mètres de profondeur, avec des écluses de 55 mètres sur 1 1 mètres au milieu, et 6'°,5o aux extrémités. Le canal de Bourgogne a i3'°,5o de large et i°*,6o de profondeur; ses écluses ont 5o mètres sur 5™, 20. Le canal du Berry, l'un de nos canaux à LETTRE XXII. 43 qui le temps est de l'argent, ne se contente plus d'une rapidité quadruple au moins de celle qui est usitée sur nos lignes navigables. Les mar- chandises de toute valeur et de tout poids, ainsi que les voyageurs, affluent à tel point, que, pour le transport des voyageurs seuls, en concurrence avec X^^packet-boats, des chemins de fer s'établis- sent sur les bords du canal. Il y en a un d'Albany à Schénectady, qui a six lieues et demie de long, et a coûté, quoique d'une exécution inférieure, la somme de 4 millions. Un second, qui sera achevé en i836, continue de Schénectady à Utica; il aura trente-et-une lieues et demie (1). Un troi- sième se construit de Rochester à Buffalo, par Ba- tavia et Attica; il aura une trentaine de lieues. Il est probable qu'avant peu, d'un bout à l'autre du canal, la ligne sera complète. Il se prépare une entreprise plus vaste : une compagnie, autorisée depuis trois ans, va enta- mer, au printemps prochain, l'exécution d'un che- min de fer de New-York au lac Erié, en traversant petite section, a lo mètres de large sur i™5o de profondeur, avec des écluses de 3o-46 sur 2-,7o. La plupart des canaux an- glais atteignent à peine les dimensions du canal du Berry. (i) La législature de l'État de New- York l'a autorisé sous la condition expresse qu'il ne ferait dautre transport que celui des voyageurs et de leur bagage personnel. Malgré cette clause restrictive . quand la souscription fut ouverte pour l'exécuter , on trouva sept capitaux pour un : le capital requis était de 2,000,000 doll.i les souscriptions s'élevèrent à 14,000,000, 44 LES VOIES DE COMMUNICATION. ies comtés méridionaux de l'État de New-York. A cause des circuits nombreux auxquels la com- pagnie s'est astreinte, afin d'éviter des terrasse- ments coûteux ; cet ouvrage aura 190 lieues en- viron (1). Pendant ce temps, le Comité des canaux de l'Etat ne s'endort pas. Il vient de décider, à la date du 3 juillet, que toutes les écluses du canal seraient doublées, afin que les bateaux attendis- sent le moins de temps possible; et que les di- mensions en largeur et profondeur du canal se- raient agrandies de 50 p. 100 au moins, ce qui lui donnera une section plus considérable dans le rapport de 1 à 2 1/4; on pourrait dès lors y employer de plus grands bateaux, les mouvoir avec plus de vitesse, et, peut-être les remorquer à la vapeur. On estime que la dépense sera de cin- cjuante-cinq à soixante»cinq millions de francs. Enfin , pour maîtriser de plus en plus le com- merce de l'Ouest, et pour mieux percer son pro- pre territoire, l'État de New-York va entreprendre un nouvel embranchement au canal Erié (si l'on peut qualifier d'embranchement un ouvrage dont le développement total sera de 49 lieues), qui le mettra en communication avec l'Ohio. Il partira de l'importante ville de Rochester, la cité des meuniers, suivra la vallée de la rivière Génesée (i) Voir la Note ;; à la fin du Vulume. tÊÏTRî: XXÎÎ, 4S sV^leVànt ainsi cle 298 mètres, et i^edesdènflra de 24 mètres pour atteindre à Olédn la rivière Allé- ahany, cent treize lieues au-dessus de e-.on con- fluent avec le Monongahéla à Pittsburg. D'Oléan à Rochester, le canal proprement dit aura qua- rante-deux lieues. L'Alléghany n'est naturelle- ment navigable que pendant quelques mois de Tannée. La distance totale de New-York à Pitts- burg par cette ligne sera de trois cent dir.-huit lieues. Aussitôt qu'il n'y eut plus de doutes sur le ra- pide accomplissement du canal Erié, Pbiladelphie et Baltimore sentirent que New-York allait deve- nir la capitale del'Union.L'esprit de rivalité excita chez elles l'esprit d'entreprise. L'une et l'autre voulurent avoir aussi leur route vers l'Ouest; mais Tune et l'autre avaient de grands obstacles naturels à surmonter. Grâce à l'Hudson , qui s'est frayé un passage au cœur de la région des mon- tagnes, la plus grande difficulté d'une communi- cation entre l'Ouest et le littoral de l'Atlantique, celle de franchir les crêtes des Alléghanys, se trou- vait vaincue pour New-York. Entre Albany, où commence le canal Erié, et Buffalo, où il débou- che dans le lac, il n y aplus de hautes montagnes. Le service que l'Hudson a ainsi rendu à New- York , Baltimore ne peut l'attendre du Pa- tapsco, ni Philadelphie de la Délaware. Ni l'une ni l'autre de ces villes ne saurait d'ailleurs abor- 46 LF.S VOIES DE COMMUNICATION. der rOuest par le bassin des grands lacs autre- ment qu'à l'aide d'un long circuit; elles en sont trop loin. Il leur faut ainsi faire grimper leurs tra- vaux au niveau de cimes plus élevées, et les faire descend re ensuite plus bas , afin de les nouer à rohio. DEUXIÈME LIGNE. Canal de Pensylvanie. Ce que l'on appelle canal de Pensylvanie est une ligne longue de cent cinquante-huit lieues et un quart , partant de Philadelphie et se termi- nant à Pittsburg sur l'Ohio. Il fut commencé ^ concurremment avec d'autres ouvrages, aux frais de l'État de Pensylvanie, en 1826. Ce n'est pas absolument un canal. De Philadelphie^ un chemin de fer de trente-trois lieues (Columhia Railroad) va rejoindre la Susquéhannah. Au chemin de fer succède un canal de soixante-huit lieues et demie qui remonte^ en longeant la Sus- -quéhannah d'abord, et la Juniata ensuite, jus- qu'au pied des montagnes à Hollidaysburg. Pour passer d'Hollidaysburg à l'autre revers des mon- tagnes, on a établi un chemin de fer de quatorze lieues et un quart ( Portage Railroad) , avec de grands plans inclinés, dont la pente dépasse quelquefois un dixième (1), ce qui n'empêche (i) Le maximum des pentes que radministratiou des Ponts-et- LETTRE XXII. 47 point les voyageurs cVy circuler. De Johnstown , extrémité occidentale de ce chemin de fer, un second canal de quarante -deux lieues s'étend jusqu'à Pittsburg. Cette ligne a l'inconvénient d'exiger trois transbordements^ l'un à Columbia, à l'extrémité du chemin de fer qui part de Philadelphie ; le deuxième et le troisième aux deux extrémités du chemin de fer du Portage. On peut en éviter un, au moyen de deux canaux établis par des com- pagnies, dont le premier, canal du Schuylkill, est latéral à la rivière du même nom (1); et dont l'autre^ canal de l'Union, opère la jonction entre le haut Schuylkill et la Susquéhannah. Par cette ligne, la distance de Philadelphie à Pittsburg est de cent soixante-douze lieues et un quart , c'est-à- dire de quatorze lieues plus longue que par le chemin de fer de Columbia. Le canal de Pensylvanie, commencé en 1826, a été terminé en 1834. L'État de Pensylvanie y chaussées autorise aujourd'hui est de j^^. Dans les éludes des grandes lignes, exécutées en France aux frais de l'Etat, on s'est généralement tenu au-dessous de 777 ; c'est aussi le maximum adopté sur le beau chemin de fer de Londres à Birmingham. Les pentes du chemin de fer de Paris à Saint-Germain ne dépassent pas TizZ' (1) C'est plutôt une canalisation de la rivière. On navigue tantôt dans le lit du fleuve, tantôt dans un canal proprement .dit, creusé sur les bords. Ce système est très fréquemment pratiqué aux États-Unis. 48 tÈJi VOIES M éÔMMtîÇlCATÏÔI^f. a joint tm système de canalisation qui ombrasse toutes ies rivières importantes de l'État , et par^ ticulièrement la Susquéhannah , avec ses deux grandes branches du nord et de l'ouest ( North- Branch et JFest-B rancit) , ainsi que des travaux préparatoires à un canal qui doit relier Pittsburg à Érié, sur le lac du même nom, ville fondée jadis par nos Français du Canada, et appelée par eux Presqu'île. En résumé, la Pensylvanie a exé- cuté deux cent quatre-vingt-neuf lieues et demie de chemins de fer et de canaux, dont quarante- sept lieues et un quart de chemins de fer, et deux cent quarante-deux lieues et un quart de canaux, moyennant une dépense de 123 millions (1), qui se répartit ainsi : Moyenne générale par lieue 424^000 fr. Coût d'une lieue de chemin de fer. 587,000 Coût d'une lieue de canal 392,000. C'est beaucoup plus cher que les travaux de l'État de New-York , quoique les dimensions des ouvrages soient les mêmes , et que les difficultés naturelles ne fussent pas beaucoup plus grandes d'un côté que de l'autre. Ce résultat vient de ce que les travaux ont été mal conduits en Pensylva- nie. Les Pensylvaniens ont manqué d'un Clinton pour les diriger. Les maximes d'une économie mal entendue, imposées aux Commissaires des ca- (i) Non compris le service des intérêts desemy-Tunts contracte'* pour les travaux publics. LETTrxî: XXI f, 49 naiix par la législature, ne leur permii-ent pas de s'assurer les services d'ingénieurs capables. En résumé, pour avoir voulu épargner, tous les ans, quelques milliers de dollars en honoraires, on a dépensé des millions à, refaire ce qui avait été mal fait, ou à mal faire ce que des gens plus ha- biles eussent bien confectionné à plus bas prix. TROISIÈME LIGNE. Chemin de fer de Ballimore à VOhio. Baltimore pouvait , encore moins que Phila- delphie, penser à un canal continu jusqu'à l'Ohio. Voulant, dans l'origine, éviter les transborde- ments qui s'opèrent sur le canal de Pensylvanie, les Baltimoriens se décidèrent à un chemin de fer qui devait s'étendre de leur ville à Pittsburg ou à Wheeling^ et dont la longueur devait être de cent lieues. Il est maintenant achevé sur un dé- veloppement de trente-quatre lieues, et aboutit à Harper's Ferry sur le Potomac. Il a été entrepris par une compagnie qui paraît avoir renoncé à le pousser plus avant. Il doit se lier désormais au canal de la Chésapeake à l'Ohio , dont je dirai \m mot tout à l'heure, comme le chemin de fer de Columbia, en Pensylvanie , se lie au canal laté- ral à la Susquéhannah qui le continue de Co- lumbia à HolHdaysburg. Il est probable qu'à l'ap- 50 LES VOIES DE COMMUNICATION. proche de la crête des Alléghanys , le canal qui , lui aussi, devait être poursuivi à tout prix , cédera à son tour la place au chemin de fer, malgré les plans primitifs, jusqu'en bas du versant occi- dental des montagnes, et qu'ainsi les choses au- ront lieu, dans le Maryland, à peu près comme en Pensylvanie (1). QUATRIÈME LIGNE. Canal de la Chésapeake à POhio, La pensée qu'avait nourrie Washington d'éta- blir un canal latéral au Potomac, que l'on pro- longerait un jour à travers les montagnes jusqu'à rOhio , fut reprise aussi quand l'État de New- York eut appris à l'Amérique qu'elle était mûre pour les plus gigantesques entreprises de travaux publics. M. John QuincyAdams, alors Président des États-Unis, favorisa ce projet de toutes ses forces. A cette époque, il n'était pas encore admis en principe que le Gouvernement fédéral n'a pas le droit de s'immiscer dans les travaux pu- blics. La vieille idée que caressait Washington , de faire de la capitale politique de l'Union une grande cité, souriait aussi à M. Adams et à ses amis. Le canal de la Chésapeake àl'Ohio fut donc (i) Voir U Note 8 à la fin du Volume. LETTRE XXIT. 51 résolu, et une compagnie fut autorisée à cet effet. Le Congrès vota une souscription d'un million de dollars (5,333,000 fr.). La ville de Washing- ton, sans commerce, sans industrie, avec sa po- pulation de 16,000 habitans, souscrivit pour la même somme. Les petites villes du district fédé- ral , Alexandrie et Georgetown, qui, à elles deux, avaient aussi 16,000 habitans, fournirent ensemble un demi -million de doU. Les États de Virginie et de Maryland, versèrent, l'un 250,000 dollars, l'autre 500,000. Il y eut pour 600,000 doll. de souscriptions particulières. Les travaux commencèrent le 4 juillet 1828. L'an- née prochaine, au moyen d'une somme d'environ douze miUions de francs, que l'État de Maryland vient de pi:éter à la compagnie , ce bel ouvrage serapoussé jusqu'au pied des montagnes, au sein des gîtes charbonniers de Cumberland. Il aura alors une longueur de soixante-quatorze lieues trois quarts, et aura coûté 33,000,000 fr., soit par lieue 442,000 fr. L'exécution en est hardie, et supérieure à celle des canaux précédents. Ses dimensions sont plus considérables que celles ha- bituellemment usitées, dans le rapport de 150 à 100; ce qui lui donne une section plus grande dans le rapport de 225 à 100. S2 ÎKS VOÏKS DE tOMMUNtCATlOî^. ClNQUlîiAfË LIGNE. Canal du James-River au Kanawha. Enfin, l'État de Virginie , jadis le premier de la confédération , aujourd'hui tombé au quatrième rang et dépassé par l'Ohio, qui n'existait pas lors delà guerre de l'Indépendance, s'est piqué d'hon- neur et a résolu de profiter des enseignements qui lui étaient descendus par degrés des Etats du Nord. Une compagnie , dont les ressources se réduisent à peu près aux souscriptions de l'Etat et de Richmond , sa capitale, va y ouvrir un ca- nal de l'Est à l'Ouest. Le James-River, l'un des af- fluents de la baie de Chésapeake, est praticable pour des bâtiments de 200 tonneaux jusqu'au pied du plateau sur lequel Richmond est déli- cieusement situé. A l'est des montagnes, le canal, parti de Richmond, longera le cours du James- River. Il descendra, à l'ouest, le long du Ka- nawha, l'un des affluents de l'Ohio, et y débou- chera , à Charlestown , où commence la navigation à vapeur. On traversera la crête des Alléghanys tiu moyen d'un chemin de fer d'une soixantaine de lieues. Il y en aura environ cent de canal proprement dit. L'État de la Caroline du Sud , ému par Texem- j)le des Virginiens, s'occupe d'un immense che- LETTRE XXII. 53 niiii de fer qui irait de Charlestovvn à Cincinnati sur rOhio ; mais l'on n'en est encore qu'aux études. Les habitants de Cincinnati sont enthou- siastes de cette idée (1). la Géorgie rêve aussi un grand chemin de fer qui rattacherait la rivière Savannah au Mississipi , à Memphis (Tennessee); mais ce n'est encore qu'un projet très vaporeux (2). La Caroline du Nord ne fait rien et ne projette rien. Si jamais elle s'enrichit, ce ne sera pas qu'elle aura saisi la fortune à la course, ce sera que la fortune sera venue la chercher dans son lit. SIXIÈME LIGNE. Canal Richelieu. Les Canadiens établissent, sur leur territoire, un canal qui complétera une autre communica- tion entre l'Est et l'Ouest , c'est-à-dire entre l'Hudson et le Saint-Laurent, entre New -York et Québec. La grande fissure en ligne droite, qui forme à l'Hudson un si beau Ht, entre New-York et Troy, s'est prolongée beaucoup au-delà. Elle se continue, toujours dirigée au nord, jus- qu'au Saint-Laurent^ par le lac Champlain, qui occupe une longue et étroite dépression an (t) Voir la Note 9 à la fin du Volume. (9) Voir la Note 10 à la fin du Volume, 54 LES VOIES DE COMMUNICATION. milieu des montagnes , et par la rivière Riche- lieu. Entre le lac Champlain et l'Hudson, l'on n'a à traverser qu'une crête élevée de 39'",75 au- dessus de l'Hudson , et de 16",45 au-dessus du lac. La rivière Richelieu, qui sort de l'extré- mité opposée du lac, et qui se décharge dans le Saint-Laurent , est interrompue par des rapides. On y achève, sur une longueur de quatre lieues trois quarts, un canal latéral établi sur de belles dimensions (1), qui sera livré au com- merce avant un an; il aura coûté 1,870,000 fr., ou 394,000 fr. par lieue. La distance de New- York à Québec, par les canaux et les fleuves, sera de cent quatre-vingt-dix lieues. Un chemin de fer, actuellement en construc- tion, qui part de Saint-Jean, où commencent, du côté du lac , les rapides de la rivière Richelieu , et qui doit se terminer au village de la Prairie, sur le Saint-Laurent , vis-à-vis de Montréal, après un parcours de six lieues et demie, fera, pour cette dernière ville , ce que le canal précédent doit faire pour Québec. Il coûtera très peu , en- viron 123,000 fr, par lieue, ou en tout 800,000 fr. L.a distance de New- York à Montréal sera ainsi ae cent quarante-cinq lieues. (>) lia 19"», 5o de large à la ligne d'eau , i",8o de profondeur. Les écluses ont 36"", 5o de long sur y^'jao de large. Il doit être praticable pour les goélettes du lae. LETTRE XXII. 55 §11. Communications entre la vallée du Mississipi et celle du Saint-Laurent. Il n'existe entre ces deux vallées aucune chaîne de montagnes. Le bassin des grands lacs , dont les eaux réunies forment le Saint-Laurent , n'est séparé du bassin du Mississipi que par un con- trefort des Alléghanys, descendant de l'est à l'ouest, dont la plus grande hauteur au-dessus des lacs est à peine de 1 50 mètres, et qui s'abaisse rapidement vers l'ouest, au point de ne plus être élevé , sur les bords du lac Michigan , que d'un petit nombre de mètres. Durant la saison des pluies qui gonflent les ruisseaux et emplissent les marais du point de partage , nos Français du Canada passaient en pirogue du lac Michigan dans la rivière des Illinois (1). Ce contre-fort oc- cupe en largeur ce qui lui manque en hauteur. Ce n'est point une crête, c'est un plateau qui se confond graduellement par des pentes douces avec les plaines qui l'entourent. Son faîte aplati est rempli de marécages, et offre ainsi de grandes (i) Uft suivaient la mière des Plaines. 5(> LES VOIES DE C0M3IUNlC.iT10I\'. facilités d'alimentation pour les canaux qui au- raient à le traverser. Vers Touest, là où il est à peu près au niveau du sol , il offre souvent le caractère général d'aridité qui appartient aux Prairies avec lesquelles il se confond. PREMIÈRE LIGNE. Canal àf Ohio. Entre les deux vallées il n'y a d'achevée encore qu'une grande communication. C'est le canal de l'État d'Ohio qui traverse cet État du nord au sud , et s'étend de Portsmouth sur le fleuve Ohio, à Cléveland, petite ville toute neuve, née aux bords du lac Érié depuis l'établissement du canal. Il a cent vingt-deux lieues de long, et a coûté 22,720,000 fr., soit 186,000 fr. par Heue.Ce prix est très bas; cependant toutes les écluses sont en pierre de taille. Il est vrai que le terrain était éminemment favorable. Cet ouvrage a été exécuté aux frais de l'État d'Ohio qui l'entreprit à la même époque où la Pensylvanie et Baltimore se jetaient , à la suite de New-York , dans les travaux publics. Ce jeune État, avec sa population de cultivateurs, qui ne comptait pas dans son sein un seul homme de l'art, dont les citoyens les plus éclairés n'avaient jamais vu d'autre canal que celui de Nev^-York LETTRE XXI 1. 57 au lac Elrié^ a pu, avec l'aide de quelques ingé- nieurs de second ordre empruntés à l'État de New --York, exécuter un canal plus long que le plus long canal de France, avec plus d'intelligence et d'habileté que n'en a déployé la Pensylvanie, malgré les lumières dont Philadelphie abonde. Il y a, dans cette population agricole de l'Ohio, presque toute originaire de la Nouvelle -Angle- terre, un instinct des affaires, une sagacité pra- tique et une aptitude à faire tous les métiers sans les avoir appris, que l'on chercherait en vain dans la population anglo-germanique de la Pen- sylvanie. Les législateurs, sous la direction de qui se sont exécutés les travaux publics dans l'un et l'autre État, étaient, comme cela se ren- contre ordinairement aux États-Unis, l'image par- faite de la masse qui les avait nommés, avec ses quaUtés et ses défauts. Les Commissaires des canaux de l'État d'Ohio joignaient à un beau dés- intéressement un bon sens admirable ; c'est à eux que doit revenir la majeure part de la gloire d'a- voir conçu le canal d'Ohio ;, de l'avoir tracé et fait exécuter. C'étaient des avocats et des agricul- teurs, qui se mirent à faire des canaux tout natu- rellement , sans efforts, et sans soupçonner qu'en Europe on n'ose se charger de pareils travaux, à moins de s'y être préparé par de longues études scientifiques. Aujourd'hui, dans cet État, établir des canaux n'est plus un art, ce n'est qu'un mé- 58 LES VOIES DE COMMUNICATION. tier. La science de la canalisation s'y est vulga- risée. Le premier venu, dans les bar-rooms^ vous exposera, en prenant un verre de whiskey, com- ment s'alimente un point de partage et comment se fonde une écluse. Tous nos mystères des Ponts- et-Chaussées sont ici tombés dans le domaine pu- blic, à peu près comme les méthodes de la géo- métrie descriptive que nous retrouvons dans les ateliers , où elles se perpétuaient par tradition , bien des siècles avant que Monge ne leur donnât la sanction de la théorie. J'ai déjà dit que les États d'Ohio, d'Indiana et d'Illinois, formaient un grand triangle, tout en- tier compris dans la vallée du Mississipi, à l'ex- ception d'une étroite langue de terre qui borde les lacs, et appartient, par conséquent, au bassin du Saint-Laurent. La pente générale du terrain y est du nord au sud ; les cours d'eau y sont gé- néralement dirigés dans ce sens ; c'est particuliè- rement vrai pour les grands affluents de l'Ohio et du Mississipi. Cette disposition des vallées se- condaires n'est pas moins favorable que la con- figuration et l'humidité du plateau , qui sépare les deux bassins , à la création de beaucoup de voies de communication, de canaux surtout, entre l'Ohio ou le Mississipi, et les lacs d'autre part. LETTRE XXII. ^^ DEUXIÈME LIGNE. Canal Miami, L'État d'Ohio a exécuté un canal qui, partant de Cincinnati sur l'Ohio, va au nord jusqu'à Day- ton, sous le nom de canal Miami. Il a vingt-six lieues et demie de long, et coûte 5,227,000 f., ou 1 97,000 fr. par lieue. A l'aide d'une donation de terres de la part du Congrès, à laquelle l'Etat ajoutera ses propres ressources, on le prolonge jusqu'à la Rivière Folle {Mad Rii^er), et de là jus- qu'à Défiance, sur la Maumée, jadis forteresse bâtie par le général Wayne, à la suite de sa cé- lèbre victoire contre les Indiens. La Maumée, que les Français appelaient Miami des lacs, est l'un des principaux tributaires du lac Erié; l'Etat d'Ohio se propose de la canaliser. De Dayton à Défiance, le canal aura cinquante lieues et un quart. La dépense est estimée à 1 1 millions^ ou à 219,000 fr. par lieue. TROISIÈME LIGNE. Canal de la TVabash. L'État d'Ohio et celui d'Indiana ont entrepris de concert, moyennant une donation de terres 60 LES VOIES DE COiUMUjVICATlOJN'. de la part du Congrès (1), un canal qui joindra la Wabash , l'un des affluents de l'Ohio , avec la Maumée. La majeure partie du canal s'étendra parallèlement aux deux rivières, ou dans leur lit. L'ouvrage aura en tout quatre-vingt-quatre lieues, dont cinquante-quatre dans l'État d'In- diana, et trente dans celui d'Ohio. Une tren- taine de lieues du contingent de l'Indiana sont déjà exécutées latéralement à la Wabash. L'Ohio n'a pu ouvrir encore les travaux sur son terri- toire. Par suite d'un mauvais système de délimi- tation (2), la Maumée, dont tout le cours est dans l'Etat d'Ohio , aurait son embouchure sur le (i) Le système de ces donations en faveur des travaux publics, consiste généralement à diviser le terrain à droite et à gauche de la ligne du canal à établir, en sections d'un mille (1,609™) ^^ long sur cinq (deux lieues) de profondeur. De deux sections du même côté, le donataire en prend une ; l'autre reste la propriété des Etats-Unis. On fait la même opération sur chaque rive. En outre , il arrive quelquefois que le Congrès accorde aux États qui exécutent des travaux publics, un certain nombre d'acres à choi- sir dans le domaine fédéral situé sur leur territoire. (2) Il n'est personne qui, en jetant les yeux sur une carte des États-Unis, n'ait été frappé de ces frontières en lignes droites, perpendiculaires les unes aux autres , qui terminent l'un ou plu- sieurs côtés de la plupart des États. Ce système de limiter un territoire par les méridiens et les parallèles, est absurde. 11 exige une quantité infinie de travaux géodésiques qui n'ont pas é!é faits et ne le seront pas de long-temps. Les méridiens et les parallèles peuvent servir à diviser le ciel ; pour la terre , il n'y a de limites raisonnables que le cours des fleuves ou la ligue du versant des eaux dans les chaînes de montagnes. LETTRE XXIt. Gî sol du futur Étal de Michigan. L'État d'Oliio ré- clame contre cette disposition. Le Michigan tient bon. Des deux côtés on a voté des fonds pour les frais de la guerre, et l'on a armé. 11 y a même eu un commencement d'hostilités entre les deux puissances; l'intervention du gouvernement fé- déral a pourtant décidé les parties à un armistice. Dans cette querelle, l'Ohio a pour lui la raison; mais le Michigan invoque en sa faveur le texte formel des lois. Il est probable que le Congrès, en élevant le Michigan au rang d'État, lui enlè- vera le lambeau de terre que l'Ohio veut avoir , et qu'il lui importe tant de posséder (1). Dans l'incertitude, l'Ohio a sursis à l'exécution de ses travaux de canalisation, qui donneraient à l'em- bouchure de la Maumée une importance qu'elle n'a pas encore. QUATRiiiME LIGNE. Canal Mich'.^iVri. Il est question , depuis long-temps, d'un canal qui, de Chicago, à l'extrémité méridionale du lac Michigan , irait vers la rivière des Illinois , et se terminerait au point où commence la navigation à la vapeur sur ce beau cours d'eau , c'est-à-dire (i) Voir la Noie 1 1 à la l[in du Volume. 62 LES VOIES DE COMMUIVICATION. au pied de ses cataractes. Le canal serait, dit-on, fort aisé à établir ; moyennant une tranchée de T'^jôO au maximum, le bief de partage pour- rait être abaissé au niveau du lac Michigan , qui alors servirait de réservoir au canal. Il aurait trente-cinqlieues delong;il traverserait ce terrain plat ou légèrement ondulé, dépourvu d'arbres, qui porte encore le nom de Prairies que lui donnè- rent les colons français du Canada. Il est ques- tion de le creuser sur des dimensions plus consi- dérables que celles des canaux ordinaires des Etats-Unis, afin qu'il soit accessible aux bâtiments à voile qui naviguent sur les lacs , ou même aux bateaux à vapeur. C'est un des plus utiles ouvrages qu'il y ait à entreprendre dans le monde entier (1). CINQUlilME LIGNE. Le canal que l'Etat de Pensylvanie a commencé entre l'Ohio et la ville d'Erié, sur une longueur de quarante-et-une lieues et demie , et pour l'alimentation duquel il a déjà exécuté des tra- vaux préparatoires considérables, autour du petit lac Conneaut, créerait une autre communication par eau très courte, entre le bassin du Mississipi et celui du Saint-Laurent. (i) Voir la Note 12 à la fin du Volume. LETTRE XXII. 63 LIGNES DIVERSES. Enfin, deux canaux, dont la construction va commencer, doivent lier le canal d'Ohio avec les travaux de l'État de Pensylvanie à Pîttsburg, et, par conséquent, ouvrir des relations nouvelles entre le Mississipi et le Saint-Laurent. L'un est le canal du Beaver et du Sandj\ il commence au confluent du Gros -Beaver {Bi§ Beaver^ avec rohio , suit rOhio jusqu'àrembouchure du Petit- BesiY er ÇLittle Beauer), remonte la vallée de celui- ci, passe dans la vallée du Sandy, et la suit jusqu'à ce qu'il rencontre le canal d'Ohio à Bolivar. Il aura trente-six lieues et un quart. De Bolivar à New- York, on estime qu'il y a , par le canal d'Ohio, le lac Erié,le canal Erié et l'Hudson, trois cent quatorze lieues. Moyennant le nouveau canal , il n'y aura plus que deux cent cinq lieues de Bolivar à Phila- delphie , c'est-à-dire à la mer. L'autre est le canal du Mahoning. Il partira d'Akron sur le canal d'Ohio , suivra la vallée du Petit- Cuyahoga, puis celle du Mahoning, l'un des affluents du Gros-Bea ver, et enfin le Gros-Beaver lui-même jusqu'à rOhio. Ce canal aura à peu près trente-six lieues de long. D'Akron au fleuve Ohio, la distance sera de quarante-six lieues et demie. Le terrain peu accidenté du massif des États d'Ohio^ d'Indiana et d'iUinois, ne se prête pas 64 LES VOIES DE dOMMtJNICiATIÔJN^, * moins à l'exécution des chemins de fer qu'a celle des canaux. Les capitaux étant rares sur ce sol à peine défriché, il s'y est présenté jusqu'à ce jour, en matière de travaux publics, peu de compagnies sérieuses. Toutefois, les compagnies financières qui ont précédé partout celles des canaux et chemins de fer, commencent à y pro- spérer et à s'y asseoir; leur succès présage le dé- veloppement des autres. A défaut des compa- gnies , les États sont là pour se charger des plus vastes entreprises. L'Américain de l'Ouest n'est pas moins entreprenant que celui de l'Est. En ce moment, je ne connais qu'un chemin de fer en construction au - delà de l'Ohio , et il ne paraît pas que les travaux y soient poussés avec activité : c'est celui qui doit aller de Dayton sur le canal Miami, à Sandusky, sur la baie de ce nom dans le lac Erié. Il aura soixante-et-une lieues et demie. Beaucoup d'autres ont été projetés. La législature d'ïndiana en fait étudier un qui tra- verserait cet Etat du sud au nord, depuis New- Albany sur l'Ohio, vis-à-vis deLouisville, jusqu'au lac Michigan, en passant par Indianapolis (1). Le canal de Rochester à Oléan (2) établira aussi une jojiction entre la vallée du Mississipi et celle du Saint-Laurent. (i) Voir la Noie i3 à la fin du Volume. ;2) Voir jîlus haut . j^agc 44- ■^ LETTRE XX f(, 65 Améliorations apportées au cours du Mississipi , de rOhio et du Saint-Laurent. Alix travaux compris dans cette division se rattachent naturellement ceux qui ont été exécu- tés dans les lits des fleuves eux-mêmes. Le Mississipi est , sous le rapport de la naviga- bilité , le beau idéal des fleuves. Depuis Saint- Louis jusqu'à la Nouvelle-Orléans^ sur une dis- tance de quatre cent cinquante lieues, il y a toute l'année de l'eau pour des bateaux à vapeur de trois cents tonneaux. Il roule ses eaux sales et boueuses dans un fossé toujours profond, mal- gré ses nombreux circuits , large communément de 800 à 1,000 mètres, quelquefois agrandi par des îlots plats et boisés. Le chenal y est libre de bancs de sable. Il offre cependant des dangers redoutables au marinier inexpérimenté : ce sont les arbres de dérive dont il a déjà été fait men- tion (1) , et pour l'enlèvement desquels le gou- vernement fédéral tient en activité deux bateaux à vapeur, V Héliopolis et VArchimède^ d'une con- struction toute particuHère , à l'aide desquels on les arrache et on les débite, à la scie , en tronçons in offensifs. Le capitaine Shiève, qui a le comnianderaent (l) Lellré \\\. 66 LES VOIES DE COMMUNICATION. de ces bateaux à vapeur , et qui en a inventé le mécanisme, a été chargé aussi d'établir dans rOhio quelques barrages submersibles , à pierre perdue, qui y ont en effet élevé le niveau de l'eau, fort basse tous les ans pendant un long étiage. Il est actuellement occupé, avec une flottille de bateaux à vapeur, à rouvrir le lit de la Rivière- Rouge, l'un des grands affluents du Mississipi (rive droite) , que des radeaux de bois de dérive ont encombré sur une distance de près de soixante lieues. A Louisville, l'Ohio, dont la pente est ordi- nairement fort douce , descendant de 7'",46 dans l'espace de 3,200 mètres , se trouve im- praticable pour les bateaux à vapeur, excepté à l'époque des plus hautes eaux. Le canal de Louisville à Portland a été établi par une com- pagnie, pour tourner cette cataracte. Il a 3,200 mètres, et a coiàté 4 millions. Il reçoit les plus grands bateaux à vapeur (1), moyennant un droit de péage qui , pour YHeJuy-Clay, est de 906 fr. 35 c; et, pour YUncle-Sam , de 1,000 fr. 32 c. On a proposé au Congrès de l'acheter et d'y (r) 11 y a 15°*, 32 de largeur au plafond ; la largeur à la ligne d'eau varie avec la hauteur de l'Ohio. A fleur de terre, le canal, qui est très profond ( 12'", 76) , a 61 mètres de large. Les écluses, au nombre de trois, ont 55'", 4» sur i5'",22. ha Méditer ronean est le seul de tous les bateaux à vapeur de l'Ouest qui ue puisse pas y eutrer. LETTRE XXII. 67 rendre le passage gratuit. L'importance de la na- vigation de rohio justifierait cette dépense. Le Saint-Laurent diffère essentiellement du Mississipi. Au lieu d'eaux bourbeuses , il épanche des flots d'un bleu invariablement limpide. Le Mississipi traverse un pays uniformément plat, inhabité et inhabitable, dont le sol n'est que du sable , ou plutôt de la boue détrempée par les débordemens du fleuve; où l'on cher- cherait vainement une pierre grosse comme le poing ; où, toutes les cent lieues à peine, apparaît un monticule à l'abri des inondations, sur le- quel des populations blêmes luttent sans succès contre les émanations pestilentielles des marais d'alentour : le Saint-Laurent sillonne une contrée accidentée, montagneuse, escarpée même, fer- tile dans les fonds, salubre partout, et parsemée de florissants villages qui attirent de loin les regards du voyageur, avec leurs maisons blanchies à la chaux une fois Fan, et leurs églises à la française dont les clochers sont recouverts de fer-blanc. Le Mississipi a, comme le Nil, son débordement annuel. Il en a même deux; mais celui du prin- temps est de beaucoup le plus considérable. Le Saint-Laurent , grâce à l'immensité des lacs qui lui servent de réservoir et de régulateur, se tient toujours au même niveau; les variations extrêmes y sont de 50 centimètres. Le Saint- Laurent , par la beauté de ses eaux ^ par leur vo^ 68 tES VOIES DE COMMUICICA'ï'IÔîr. lume prodigieux , parle pays qu'il arrose, parles groupes d'îles dont il est parsemé^ doit être aux yeux d'un artiste le plus admirable fleuve de l'univers; mais aux yeux d'un commerçant son mérite est moins qu'ordinaire. Sous seseaux trans- parentes se cachent mal de nombreux écueils. La navigation y est interrompue parles cataractes du Niagara d'abord , et ensuite , depuis sa sortie du lac Ontario jusqu'à Montréal^ par un grand nombre de rapides, plans inclinés ou rochers. Il n'y a qu'un Indien ou un Français qui osent le descendre sans interruption sur leur pirogue, à partir du lac Ontario. Les plus forts bateaux à vapeur du monde échoueraient, sur quelques points ;, à le remonter. L'esprit d'émulation qui s'est emparé de tous les États de l'Union américaine, s'est étendu à la population anglaise qui, laissant aux Français le bas du fleuve, s'est établie dans le Haut-Canada. Les habitants de cette province ont pensé que, si la chauie interrompue par les cataractes et les rapides pouvait être renouée , une foule de pro- duits agricoles qui s'écoulent vers le Mississipi ou vers les canaux de la Pensylvanie et de New- York , auraient un débouché plus commode par le Saint-Laurent , et que les étoffes et les qniji- cailleries anglaises, en entrepôt à Montréal et à Québec, choisiraient de préférence la même joute pour aller t^'oll^ er les États de l'Ouest. Un LETTRE XXII. C9 premier canal (canal Welland) a donc élé exé- cuté autour des chutes du Niagara , à l'effet de rétablir la communication entre le lac Érié et le lac Ontario. Il a onze lieues et un quart; sans compter huit lieues de rigoles navigables. Il est praticable pour les goélettes de 100 à 120 tonneaux, qui font le commerce des lacs, et a coûté 1 1,000,0001., fournis presque en totaUté par la province du Haut-Canada ; le Bas-Canada et la Métropole y ont contribué pour une faible part. Puis on a fait une étude du cours du fleuve, et l'on a reconnu que les passes impraticables à la remonte pour des bateaux à vapeur tirant 2'",70, ou 3 mètres d'eau, ne formaient en tout que treize lieues , réparties , à peu près par portions égales, entre les deux provinces. Le Haut-Canada, qui compte à peine 250,000 habitants, sans villes importantes, sans capitaux, a fait tracer sur la plus grande échelle (1) les plans d'un canal latéral au fleuve , le long de chacun des rapides, et en ce moment il en exécute à ses frais la portion qui le regarde. Cet ouvrage sera navigable pour des bateaux à vapeur d'un tirant (i) Les écluses auront 61 mèlres de long et iG"',70 de large; le canal aura 42'", 5o de large à la ligne d'eau et 5 mètres d'eau. Les écluses du canal Calédonien ont 52'",4o de long et 12"^, 20 de large ; il a 57 mètres de large et 6'", 80 de profondeur. Le canal d'Amsterdam au Hclder a 58 mètres de large et 6'", 20 de pro- fondeur. 70 LES VOIES DE COMMUNI CATION. d'eau de l'^^lO et du port de 500 tonneaux. J'y ai vu les travaux en pleine activité sur une longueur de quatre lieues €t demie, le long des rapides du Long-Saut, près Cornwall. On estime qu'il coûtera 1,500,000 à 1,600,000 francs par lieue. La population française du Bas-Canada , ab- sorbée dans des querelles politiques dont on ne peut prévoir l'issue , néglige ses intérêts maté- riels pour poursuivre des intérêts chimériques de nationalité. Il n'a rien été décidé, quant à la prolongation , sur le territoire de cette province , des magnifiques travaux exécutés par celle bien moins riche du Haut-Canada. § HL Communication le long de t Atlantique. PREMIÈRE LIGNE. Cabotage intérieur par les Baies et par les Lagunes qui bordent la nier. Si l'on examine le littoral des États-Unis de- puis Boston jusqu'à la Floride, on reconnaît qu'il y a lieu à une navigation presque continue^ LETTRE XXII. 71 courant comme la côte du nord -nord -est au sud-sud-ouest; au nord, par les baies ou par le lit des fleuves ; au sud , par une série de lagunes allongées ou par les passes comprises entre la côte ferme et la ceinture d'îles basses , qui est jetée en avant du Continent. Les isthmes qui existent entre les baies, les fleuves, et les lagunes, sont constamment étroits, constamment déprimés. De Providence (dix-sept lieues au sud de Bos- ton ) à New-York , on a la baie de Narragansett et le détroit de la Longue- lie, faisant en tout soixante-douze lieues. De là, pour gagner la Dé- laware, on s'avance jusqu'au fond de la baie du Raritan, à New-Brunswick , et l'on trouve devant soi l'isthme qui compose l'État de New-Jersey, pays plat, d'environ 12 mètres d'élévation seule- ment, et large de quatorze à seize lieues. Cet isthme est aujourd'hui traversé par un beau canal (canal du Raritan à la Délaware ) ( 1 ) , praticable pour les caboteurs , long de dix-sept lieues , avec une rigole navigable de dix , tout récemment exé- cuté, en moins de trois ans, par une compagnie, moyennant une dépense de 12,000^000 francs, soit 706,000 fr. par lieue. Cet ouvrage se termine à Bordentown , sur la Délaware. De là on descend jusqu'à Délaware- (i) Il a de i8 à 22'" de large et 2™ d'eau. Il est à deux che- mins de hallage. Les écluses y sont bien construites et trè» rapi= dément manœuvrées. î^2 LES VOIES DE COr>rML'KlCATIO?r. City^ vingt-huit lieues et demie au-dessous de Bor- dentowu , et seize lieues et demie au-dessous de Philadelphie. Là, l'isthme qui sépare la Délaware de la Chésapeake , est coupé par un canal , dont le point de partage n'est qu'à e3"\60 au-dessus de la mer ; c'est le canal de la Délaware à la Chésapeake j exécuté, comme le précédent, à l'usage des caboteurs, et dans les mêmes dimen- sions. Il a coûté extrêmement cher, près de qua- torze millions. vSa longueur est de cinq lieues et demie, ce qui porte la lieue à 2,545,000 fr. Une fois entré dans la Chésapeake , on peut la descendre jusqu'à Norfolk, environ quatre-vingts lieues. De là, pour communiquer avec les lagunes et les passes qui bordent la Caroline du Nord, la Caroline du Sud et la Géorgie, on a étabh divers travaux dont le principal est le canal du Dismal- Swamp, long de huit lieues et un quart : c'est un canal à point de partage, dont le bief supérieur n'est qu'à cinq mètres au-dessus de la mer. Il est, comme les précédents, établi pour les goélettes du cabotage. Il a quatre lieues et demie de ri- goles navigables et d'embranchements. Les ouvrages faits pour continuer cette com- munication au-delà des lagunes qui commu- niquent avec le canal du Dismal-Swamp^ n'ont pu être menés abonne fin. Au midi delà Chésapeake, la ligne est donc fort incomplète. On va cepen- dant de Charleston à Savannah en bateau à va- LETTRE XXÎI. 73 peur, par les laguiieset les détroils compris eiUre le continent et les îles basses, où se cultive le fa- meux coton longue-soie. DEUXlîiME LIGNE. Communication du ISord au Sud par les inctiopoiej du littoral. Parallèlement à la précédente communication, qui est destinée aux marchandises encombrantes, il en existe une autre située un peu plus à l'inté- rieur, à l'usage des voyageurs et des marchandises précieuses, le long de laquelle la vapeur tend à devenir le moteur unique, soit par terre, soit par eau : par terre, au moyen des chemins de fer; par eau, à l'aide des steanihoats. On va de Boston à Providence sur un chemin de fer de dix-sept lieues , qui a coûté 8,000,000 , ou^ par lieue, 471 ,000 fr. De Providence à New- York, les bateaux à vapeur transportent les voya- geurs en quinze à dix-huit heures. Il en existe même aujourd'hui qui font le trajet en douze heures {\q Lexijigton). Pour passer de la baie de Narragansett dans le détroit de la Longue-Ile, il faut doubler un cap appelé Pointe-Judith, où la mer est habituellement houleuse. Afin de l'évi- ter, on établit en ce moment un chemin de fer de 74 LES VOIES DE COMMUNICATION. vingt-une lieues de long, qui longe la baie et le détroit, depuis Providence jusqu'à Stonington. Un troisième chemin de fer, que l'on s'apprête à construire, et dont l'utilité n'est guère démontrée, car, dans le détroit de la Longue-Ile, les bateaux à vapeur ont une vitesse de six lieues à l'heure , partirait d'un point situé sur la Longue -Ile, vis-à-vis de Stonington, et se prolongerait jus- qu'à Brooklyn , en face de New- York. Il aurait trente-quatre lieues et demie. On va de IN ew- York à Philadelphie en se rendant d'abord, par eau, à South-Amboy, dans la baie du Raritan (onze lieues). Là commence un chemin de fer qui traverse l'isthme jusqu'à Bordentown, et longe ensuite la Délaware jusqu'à Caniden, vis-à-vis de Philadelphie. Pendant l'été, les voya- geurs s'arrêtent à Bordentown , et terminent le voyage en bateau à vapeur. Pendant l'hiver , la Délaware gèle; c'est le temps où le chemin de fer sert sur toute son étendue à la foule qui va et vient entre la métropole commerciale et la mé- tropole financière des États-Unis, entre l'Entre- pôt et la Bourse de l'Union entre le Nord et le Sud. Un bateau brise-glaces met alors en quelques minutes, sur le quai de Philadelphie, les voya- geurs descendus à Camden. Ce chemin de fer a coûté 12,250,000 fr. Sa lon- gueur est de vingt-quatre heues et un quart ; c'est LETTRE XXII. 75 par lieue 505,000 fr. Il n'a qu'une voie de posée sur la majeure partie de sa longueur. J'ai trouvé à Philadelphie beaucoup de person- nes qui se souvenaient d'avoir mis deux longues journées^ quelquefois trois, pour aller à New- York. Aujourd'hui,c'est une affaire de sept heures, que l'on réduira bientôt à moins de six. Deux chemins de fer se rattachant à un groupe différent , et qui sont, l'un livré à la circulation , l'autre à demi construit, compléteront, à quel- ques lieues près , une autre ligne , toute par terre, de New-York à Philadelphie. Le premier va de Philadelphie à Trenton sur la Délaware (dix lieues et demie); le second s'étendra bientôt de Jersey -City sur l'Hudson, vis-à-vis de New- York, à New - Brunswick (onze lieues et un quart). Si donc l'on posait des rails entre New- Brunswick et Trenton (onze lieues), sur la plaine, parfaitement de niveau, où s'élèvent ces deux villes, la communication entre Philadelphie et New-York serait complète; mais , jusqu'à pré- sent , l'Etat de New-Jersey s'y est opposé , parce qu'il a vendu par une loi le monopole du trans- port entre Philadelphie et New- York, à la com- pagnie d'Amboy à Camden , et qu'il en retire de gros profits, 160,000 fr. par an au moins. De Philadelphie à Baltimore, on descend la baie en bateau à vapeur jusqu'à New-Gastle. On tra- verse l'isthme sur un chemin de fer de gix lieuea 76 Li:S VOIES DE COMMUiXICATlON. et demie de long, qui se termine à French-Town, re sur la baie deChésapeake, où l'on trouve un aiit bateau à vapeur, qui dépose les voyageurs à Bal- timore, huit à neuf heures après qu'ils ont quitté Philadelphie. Le chemin de fer de New-Gastle à French-Towna coûté 2,130,000, soit, par lieue, 328,000 fr. La gelée suspendant la navigation, pendant une portion de l'hiver, sur la Chésapeake et la Déla- Avare, on a pensé qu'il serait utile d'avoir un che- min de fer continu de Philadelphie à Baltimore, li en résulterait aussi une économie de temps, car la route actuelle est un peu sinueuse. Diverses compagnies se sont mises à exécuter les diverses parties d'un chemin de fer de Phikulelphie à Bal- timore, par Wilmington sur laDélaware, et Havre- de-Grâce , ville fondée jadis par les Français sur la Susquéhannah , près de son embouchure (]ans la Chésapeake. La distance totale ne sera que de trente-sept lieues et un quart, au lieu de quarante-six que l'on parcourt aujourd'hui. On ira de Baltimore à Philadelphie en cinq à six heures, au lieu de huit à neuf qu'il faut actuellement. D'autres compagnies ont entrepris une ligne rivale, qui s'embrancherait sur le chemin de fer de Philadelphie à Columbia, près de Parksburg, à dix-huit lieues de Philadelphie, traverserait la Susquéhannah sur le pont de Port -Déposit, deux lieues au-dessus de îlavre-de-Grâce. De LETTRE XXir. 77 itavre-de-Grâce à Parksbiirg, la distance serait de treize lieues et un quart. Cette ligne aurait sept lieues et un quart de plus que la précédente. Elle aurait aussi l'inconvénient d'obliger les voyageurs à passer sur le plan incliné par lequel le chemin de fer de Columbia descend au niveau de Phila- delphie^ et pour lequel les Philadelphiens, plus soucieux de leur vie que le reste des Américains , éprouvent une répugnance ^qui tient de l'hor- reur (1). Pour continuer de Baltimore au Sud, plusieurs voies se présentent; on peut prendre le bateau à vapeur de Norfolk, qui, en dix-huit ou vingt heures, franchit les quatre-vingts lieues delà Ché- sapeake; de Norfolk, un autre bateau à vapeur remonte plus rapidement encore le James-River jusqu'à Richmond; le voyage , de cinquante-cinq lieues environ, s'accomplit en dix heures. On peut aller plus directement de Norfolk au Sud par un chemin de fer dirigé sur Weldon, aux bords du Roanoke, qui aura trente-et-une lieues, et dont plus des deux tiers sont déjà livrés à la circulation. On peut aussi aller de Baltimore à Washington (i) Cette aversion des Philadelphiens a donné naissance à un projet de chemin de fer {West- Philadelphia Hailroad) qui tournerait le plan incliné étirait rejoindre le chemin de Colum- bia h une dislaace de quatre lieues environ de Philadelphie. La penle du plan incliné serait répartie sur tout l'intervalle, ce qui produirait une inclinaison moyenne d'environ i pour loo, donl rçApériince a démoiitré qu'il n'v avait pas jieu à s'i^nVayer. n LES VOIES DE COMMUNICATION. par un embranchement du chemin de fer de Bal- timore à rohio. De Washington , par le Potomac, on gagne, en bateau à vapeur, un petit village, distant de Frédéricksburg de six lieues. De là, un chemin de fer^ dont la construction est en pleine activité, s'étendra incessamment jusqu'à Rich- mond. Il aura vingt-trois lieues trois quarts, et ne coûtera guère que 140,000 fr. par lieue, avec son matériel et ses magasins. De Pétersburg, à huit lieues et demie de Richmond , part un chemin de fer de vingt-quatre lieues , qui atteint le Roanoke à Blakely près de Weldon , et qui s'étend même quelques lieues plus loin , par l'embranchement de Belfield. La lacune entre Richmond et Péters- burg ne tardera pas à être remplie. Le chemin de fer de Pétersburg, plus court que la route de poste, suit à peu près l'un des anciens sentiers des Indiens , circonstance étrange que m'a rapportée l'habile ingénieur qui l'a cons- struit, M. Robinson. Il se déroule presque con- stamment au niveau du sol, sans terrassements, à travers les plaines sablonneuses, incultes et entrecoupées de flaques d'eau stagnante, dont la mer est uniformément bordée depuis la Chésa- peake jusqu'à la pointe de la Floride, et que la fièvre désole tous les étés (1). C'est le pays le (i) 11 est assez curieux que cette fièvre soit surtout redoulable hors des centres de population et après ie coucher du soleil. Aux euvirons de Gliarlestou , tout blanc qui passe une nuil à la cam* LETTRE XXII. 79 mieux disposé du monde pour des chemins à or- nières, je ne dis pas chemins de fer, car, là particulièrement, on les construit presque en- tièrement en bois. Sa surface est naturellement nivelée; son fond sablonneux offre une excel- lente base à la charpente sur laquelle reposent les rails. Les forets, vierges encore, de pins et de chênes, dont il est recouvert, présentent à qui veut en prendre, et en quantité inépui- sable, les matériaux essentiels à la construction d'un ixdlroad. Mais si le sol est parfaitement en mesure, l'homme ne l'est pas aussi bien. Dans ces régions pauvres, les populations sont fort clairsemées; il n'y a que de petits villages çà et là sur le bord des ruisseaux. Les grands centres, dans lesquels :>euls on peut trouver des capitaux,' n'y existent pas. L'intervention des capitalistes du Nord y est donc indispensable. L'argent de Philadelphie a été pour une bonne part dans l'é- tabUssement des chemins de fer de Pétersburg au Roanoke et dePûchmond à Frédéricksburg. Sans lui, jamais la lignè^ du Nord au Sud ne pourra traverser l'État de la Caroline du Nord, qui est l'indigent de la Confédération, et rejoindre les pagne est à peu près certain .le prendre la fièvre. On y est peu ou point exposé en restant à la ville. Geite maladie diffère com- plèlement à cet égard le la fièvre jaune , qui ne se prend ordinai- rement que là où !.. populaiiou est agglomérée ; quand la iVou- Telle- Orléans esl infestée , à un quart de lieue de là Oû ne court aucun danger. 80 LES VOÎES DÉ COMMÙIVlCAflO^. travaux achevés ou projetés dans la Caî'oline du Siicî et la Géorofie. Il existe donc une énorme lacune de cent trente lieues, depuis le Roanoke jusqu'à Char- leston, métropole de la Caroline du Sud^ ou, au moins, de cent dix lieues jusqu'à Columbia(l), capitale du même État. De Charleston part un chemin de fer de cinquante -quatre lieues trois quarts, qui traverse la zone inculte et fiévreuse des sables et des forets de pins, pour atteindre la région cotonnière. Il se termine à Hambourg sur la rivière Savannah, vis-à-vis d'Augusta (Géorgie), qui est le plus grand marché intérieur des cotons. Y compris un matériel considérable, il coûte moins de 120,000 fr. par Heue. 11 a cela de parti- culier, que, toutes les fois qu'il a fallu l'élever au- dessus du sol, au lieu d'entasser des remblais, on a eu recours à une charpente. Ce chemin , ainsi perché sur des échasses, à des hauteurs de cinq et sept mètres, laisse certainement à désirer sous le rapport de la sécurité publique; mais il fallait le faire et le terminer avec un capital très borné, et on y a réussi. Les recettes sont déjà assez con- sidérables pour ])ermettre de substituer succes- sivement à de frêles étais , l'appui plus solide de terres transportées. Une autre circonstance, plus remarquable en- vi) Il sera f.!cil(? crélahlir un onibrancliemonUle Colunibla au clu'Uiiu clc ici- Je ClniU'stou à Aiignsta ; il a clé cUidic. LETTRE XXII. 81 core, c'est qu'il a été construit dans tous ses dé- tails par des noirs presque tous esclaves. Ce chemin de fer fut entrepris pour faire déri- ver vers le marché de Charleston une partie des cotons qui descendaient la rivière Savannah, et qui alimentaient le marché de la ville de ce nom. Il a pleinement rempli l'attente de ses fonda- teurs. D'Augusta part un autre chemin ( Georgia Railroad) tout récemment commencé, qui tra- versera, en se dirigeant sur Athènes, quelques uns des districts les plus fertiles en coton 5 il doit avoir quarante - six lieues. Pour continuer la ligne du Nord au Sud, ou de Boston à la Nou- velle-Orléans, il faudrait que ce chemin de fer fût prolongé dans la direction de Montgomery (Alabama). A Montgomery, l'on s'embarque sur les bateaux à vapeur de la rivière Alabama, qui transportent les voyageurs et les cotons à Mobile. Entre Mobile et la Nouvelle-Orléans, il existe un service régulier de bateaux à vapeur par la baie de Mobile, la baie de Pascagoula, le lac Borgne et le lac Pontchartrain. Les deux dernières lieues, du lac Pontchartrain à la Nou- velle-Orléans, se font en un quart d'heure, sur un chemin de fer que la législature de la Loui- siane, dans son mauvais français, appelle chemin a coulisses. Telle est, avec ses lacunes, la ligne du Nord au II. G 82 LES VOIES DE COMMUN IC ATI OIT. Sud, la plus avancée aujourd'hui. Elle ne restera pas la seule; à mesure que la civilisation se raffer- mira du côté de l'Ouest et que les capitaux s'y multiplieront, de nouvelles lignes seront créées, s'écartant de plus en plus du littoral. Le chemin de fer de Baltimore à l'Ohio, qui, en réalité, n'est qu'un chemin de fer de Baltimore à la jonction du Potomac et du Shénandoah, se lie, par son extrémité occidentale, à Harper's Ferry, avec un chemin de fer presque terminé aujourd'hui^ qui va treize lieues plus loin, à Winchester, en suivant le fond de l'un de ces sillons longitudinaux, qui séparent les crêtes suc- cessives des Alléghanys, d'un bout de la chaîne à l'autre. Celui de ces sillons où est situé Win- chester, est Tun des plus réguliers et aussi l'un des plus fertiles. Il est célèbre sous le nom de Foliée de Virginie. Ainsi, quoique le chemin de fer de Winchester n'ait été établi que pour rap- procher du marché de Baltimore les produits agricoles de Winchester et des environs, il pour- rait bien devenir un jour la tète d'une grande communication du Nord au Sud par la Vallée. Un chemin de fer est déjà autorisé dans cette direction, de Winchester à Staunton, sur une longueur de trente-sept lieues environ. Une autre ligne du Sud au Nord , destinée peut-être à venir s'embrancher avec celle qui partirait du Nord en suivant la Vallée de Virginie, LETTKE XXIT. g3 a été projetée à la Nouvelle-Orléans, autorisée par la législature de la Louisiane, et ne peut manquer de 1 être par celles des autres États qu'elle traverserait. Il s'agit d'un chemin de fer de plus de deux cents lieues, qui remonterait de la Nouvelle-Orléans, vers le Nord, jusqu'à Nash- ville, capitale de l'État de Tennessee. On assure que les mesures sont prises pour que les travaux soient ouverts dans quelques mois. Ce chemin de fer ne prétend à rien moins qu'à faire con- currence à la magnifique ligne fluviale du Missis- sipi et de l'Ohio, pour le transport des voyageurs et des balles de coton. § IV. Communications qui rayonnent autour des Métropoles. PREMIER CENTRE. Boston. De Boston partent aujourd'hui trois chemins de fer, dont le premier, long de dix lieues et un quart, se dirige sur la ville manufacturière de 84 LES VOIES DE COMMUNICATION. Lowell, devenue ainsi un faubourg de Boston; et le second^ long de dix-sept lieues trois quarts, sur Worcester, centre d'un canton agricole. Le premier a coûté 780,000 francs, et le deuxième 450,000 fr. par lieue. Le troisième est le chemin de Boston à Providence déjà cité comme l'un des anneaux de la grande chaîne entre le Nord et le Sud. Le chemin de fer de Boston à Lowell fait con- currence au canal de Middlesex. Celui de Boston à Worcester est destiné à être prolongé jusqu'au fleuve Hudson. On le terminerait vis-à-vis d'Al- bany; il se lierait aussi à un chemin de fer de treize lieues qui va être construit entre West- Stockbridge et la ville d'iïudson située sur le fleuve, douze lieues au-dessous d'Albany. Il deviendrait, pour Boston, un chemin de fer de l'Ouest ( Western Railroad) ; c'est en effet le nom que l'on donne au prolongement. Une com- pagnie est autorisée à exécuter la portion com- prise entre Worcester et Springfield, qui aura vingt et une lieues et demie (1). Le trajet total de Boston à Albany serait d'environ soixante- cinq lieues. Un autre chemin de fer [Eastejn Railroad)^ de treize lieues et demie, va être incessam- ment établi par Lynn, célèbre par ses fabriques (i) Voir la Noie ^l\ à la fin tlu Volume. LETTRE XXII. 85 de souliers, Salem, petite ville qui fait un grand commerce avec la Chine, et par Beverley, Ipswich et Newbury - Port , vers Portland, capitale du Maine, et l'extrémité nord de l'Union. DEUXIÈME CENTRE. New-York. Autour de New- York on compte, l^le che- min de fer, de six heues et demie, qui va à Paterson, ville très manufacturière, bâtie aux chutes de la Passaïc; S*" celui de New-Brunswick , dont il a été déjà question, qui dessert divers pointsintéressants,entreautresNewark, et amène sur les marchés de New- York les provisions d'une portion du New-Jersey; 3° le petit chemin de Harlaëm, à peu près exclusivement à l'usage des promeneurs; 4° celui de Brooklyn à Jamaïca (cinq lieues\ sur la Longue-Ile, destiné, soit aux voyages d'agrément, soit à l'approvisionnement de New-York. TROISIÈME CENTRE. Philadelphie. Il y a autour de Philadelphie, indépendam- ment des deux grands chemins de fer de Co'- 86 LES VOIES DE COMMUNICATION. lumbia et d'Amboy à Camden, mentionnés plus haut : 1° celui de Trenton; 2" celui de Norris- town et Germantown, destiné aux promeneurs et à desservir quelques manufactures , entre autres celles de Manayunk : il a six lieues et un quart de long; 3° celui de Westchester, qui est un embranchement de trois lieues et demie au Columhia Railroad^ et qui sert à approvisionner les marchés de la ville. Il y a en outre dans la ville même, entre ses divers quartiers, quelques chemins de fer posés au niveau des rues , notamment dans Broad-Street et TVillow-Street ^ sur lesquels on n'emploie d'autre force motrice que celle des chevaux. QUATRIÈME CENTRE. Baltimore. Outre le chemin de Baltimore à l'Ohio et l'embranchement de Washington, Baltimore va avoir un chemin de fer dirigé sur la Susquéhan- nah, vis-à-vis de Columbîa, par York, dont la longueur sera de vingt-quatre lieues. L'objet de ce chemin est de disputer à Phila- delphie le commerce de la vallée de la Susqué- hannah. Le canal de la Pensylvanie, avec ses ramifications nombreuses , est une canalisation LETTRE XXII. 87 complète, en amont de Columbia , de ce fleuve et de ses affluents. Au-dessous de Columbia, la Susquéhannah présente des rapides et des écueils qui y rendent la navigation impossible , excepté à la descente pendant les grandes crues. Les né- gociants de Philadelphie , craignant que tous les travaux exécutés à grands frais par la Pensylva- nie ne tournassent bien moins à leur profit qu'à celui des Baltimoriens, ainsi que ceux-ci s'en vantaient hautement, se sont long-temps opposés, soit à ce que l'on achevât la canaHsation de la Susquéhannah, de Columbia à l'embou- chure, soit à ce que l'on autorisât le passage en Pensylvanie d'un chemin de fer de Baltimore à Columbia. Leur opposition a pourtant été vain- cue. Le canal et le chemin de fer ont été concé- dés sur le sol pensylvanien , autant que besoin serait. La compagnie du chemin de fer, à qui l'Etat de Maryland vient de prêter une somme d'environ 6,000,000 francs , pousse vivement ses travaux. CINQUIÈME CENTRE. Charleston. Il a été fait quelques petits canaux pour faci- liter les abords de Charleston par l'intérieur des terres. Ce sont des ouvrages en mauvais état et sans importance. 88 LES VOIES DE C03IMUNICATI0IN'. SIXIÈME CENTRE. Nouvelle- Orléans. Autour de la Nouvelle-Orléans , on compte , indépendamment du petit chemin de fer de deux lieues, qui va du Mississipi au lac Pontchartrain , celui de Carrolton qui, lorsqu'il sera achevé, sera un peu plus long , et deux petits canaux qui vont de la ville au lac. Il a été exécuté aussi quelques coupures entre les lagunes et dans les marécages du Bas-Mississipi. Ces canaux, creusés dans la boue, ont présenté d'assez graves diffi- cultés d'exécution. Ils n'offrent d'intérêt ni par leur étendue , ni par leurs résultats. SEPTIÈME CENTRE. Saratoga. Les eaux de Saratoga, dans l'État de Nev^- York, reçoivent, pendant deux ou trois mois de l'été, un nombre immense de visiteurs qui s'y succèdent par essaims. 11 n'y a pas de bourgeois un peu aisé à Philadelphie, à New-York et à Baltimore, qui ne se croie obligé d'y venir avec sa femme et ses filles passer vingt-quatre ou qua- rante-huit heures au milieu de la cohue endi- LETTRE XXII. 89 manchée qui encombre les hôtels , et visiter le champ de bataille où capitula l'armée anglaise aux ordres du général Burgoyne. Il existe en ce moment deux chemins de fer qui mènent à Sara- toga ; l'un^ de huit lieues et demie, qui s'embran- che près de Schénectady sur celui de Schénectady à Albany; l'autre, de neuf lieues trois quarts, qui part de Troy sur l'Hudson. Lorsque la saison est passée , ils servent à transporter à l'Hudson des bois de construction et de chauffage. § V. Travaux établis autour des mines de charbon. Les mines de charbon bitumineux du comté de Chesterfield, près de Richmond, en Virginie, sont liées au James-River par un petit chemin de fer praticable pour les chevaux seulement, qui a cinq lieues et un quart de long , et a coûté 200,000 fr. par lieue , matériel compris. Une fois rendus au fleuve , les charbons sont distribués sur tout le Httoral, en concurrence avec les houilles bitu- mineuses d'Angleterre et de la Nouvelle-Ecosse. Les gîtes d'anthracite de Pensylvanie ont donné lieu à une masse de travaux beaucoup plus considérable. Aujourd'hui , tout le long du littoral, on n'em- 90 LES VOIES DE COMMUNICATION. ploie plus guère d'autre combustible, pour les usages domestiques et pour les manufactures, qvie l'anthracite qui existe exclusivement dans un district assez borné de la Pensylvanie , parmi les montagnes situées entre la Susquéhannah et la Délaware. 11 dégage une chaleur plus vive et plus soutenue que celle du bois , qui d'ailleurs devenait cher, et convient mieux aux hivers ri- goureux que l'on rencontre en Amérique par la latitude de Naples. Il l'emporte de beaucoup sur la houille bitumineuse, qui est presque la seule connue chez nous. Il brûle sans fumée; il est beaucoup plus propre qu'elle , il ne graisse pas les tentures et ne noircit pas les tapis. Rien n'est plus aisé que d'entretenir un feu d'anthracite; un foyer chargé deux ou trois fois par vingt-quatre heures ne s'éteint jamais , même pendant la nuit. Les do- mestiques, dont il épargne le travail, le préfèrent ; et, en cette matière comme en plusieurs autres, aux États-Unis, leur avis est plus puissant que celui des maîtres. Son seul inconvénient est de répandre quelquefois une légère odeur sulfu- reuse. On s'en sert aussi avec succès sous les chaudières, et l'on commence même à le substi- tuer au bois sur les bateaux à vapeur. L'extraction d'anthracite est donc considé- rable. Divers canaux et chemins de fer ont été exécutés ou s'exécutent pour le conduire des mines aux centres de consommation. LETTRE XXII. 91 Les lignes principales établies ou s'établissant pour desservir ces mines sont : 1° Le canal du Schuylldll, qui mène à Phila- delphie les produits des mines voisines des sources du Schiiylkill. Son développement , de Philadel- phie à Port -Carbon, où il comînence, est de quarante -trois lieues et demie. Il a coûté en tout, avec des écluses doubles le plus souvent, 16,000,000 fr., soit 372,000 fr. par lieue. U donne 20 à 25 p. 0/0 de revenu net, et transporte 400,000 tonnes par an. 2° Le canal du Lehigh , qui amène à la Déla- ware les produits des mines situées aux sources du Lehigh. Il a dix-sept lieues et demie de long et a coûté 8,300,000 francs, ou par lieue 474,000 fr. 3» Le canal latéral à la Délaware; il part d'Eas- ton , au confluent du Lehigh , et se termine à Bristol, à la tète de la navigation maritime. Il conduit à Philadelphie les charbons qui ont des- cendu le canal du Lehigh. Il a vingt-quatre lieues de long , et a coûté 7,600,000 fr. , ou 3 1 6,000 fr. par lieue. Cet ouvrage a été exécuté par l'État de Pen- sylvanie. Il a été compté plus haut parmi les tra- vaux de cet État. 4° Le canal Morris, qui part du même point d'Easton et doit se terminer à Jersey-City, vis-à- 92 LES VOIES DE COMMUlVICATIOir. vis de New -York. Il sert à approvisionner le marché de New-York des charbons du Lehigh. Il se distingue en ce que la majeure partie des pentes y est rachetée, non comme à l'ordinaire par des écluses, mais par des plans inclinés, dont le plus considérable a une élévation de SO^jôO, et dont la manœuvre est très simple. L'ouvrage a quarante-huit lieues et demie, non compris deux lieues qui restent à faire du côté de Jersey- City. Il coûte 226,000 fr. par lieue, environ il,000,000fr. en tout. S"" Le canal de l'Hudson à la Délaware qui mène dans la baie de Rondout, sur l'Hudson, près de Kingston, trente -six lieues au-dessus de New-York , l'anthracite des mines voisines de la Haute -Délaware. Ce charbon, arrivé des mon- tagnes à Honesdale par un chemin de fer de six lieues et demie, entre là dans le canal, qui a quarante-trois lieues. Le chemin de fer a coûté 1,600,000 fr. , ou 250,000 fr. par lieue, avec son matériel. Le canal a coûté 12,600,000 fr. , ou 293,000 fr. par lieue. 6° Le chemin de fer de Pottsville à Sunbury , qui doit conduire au Schuylkill canalisé les pro- duits des mines situées dans le massif des mon- tagnes , entre la Susquéhannah et les sources du Schuylkill. Il est remarquable par des plans in- clinés d'une extrême hardiesse ; la pente de LETTRE XXir. 93 quelques uns est de 25 et de 33 p. 0/0; ils sont desservis par des moyens ingénieux et économi- ques. La longueur de ce chemin est de dix-sept lieues trois quarts. Il coûtera environ 6,000^000 f., soit 338,000 fr. par lieue (1). 7° Le chemin de fer de Philadelphie à Reading, aujourd'hui en construction, qui fera concur- rence à la canalisation du Schuylkill. Il aura vingt-deux lieues trois quarts , et coûtera , avec le matériel, 350,000 fr. par lieue environ. On se propose de le prolonger jusqu'à Pottsville; la distance de Pottsville à Reading est de quatorze lieues. On aurait alors un chemin de fer continu de cinquante-cinq lieues, entre Philadelphie et le centre de la vallée de la Susquéhannah. Outre ces sept grandes lignes, diverses com- pagnies de mines ont établi une multitude d'au- tres chemins de fer de moindre importance , qui viennent s'y embrancher. Il en avait été créé, à la fin de 1834, soixante -six lieues au prix de 6,000,000 fr. ; ce qui, joint aux deux cent vingt- trois Heues , et aux 71,300,000 francs des sept communications précédentes , donne un total de deux cent quatre-vingt-neuf lieues, et de 77,300^000 fr. ; et, déduction faite du canal latéral à la Délav^are, que j'ai déjà porté en ligne de (i) Ce chemin de fer n'aboutit pas directement à Pottsville; il s'embranche , à une lieue environ de cette ville , sur le Mount Carbon Rallroad. 94 LES VOIES DE COMMUNICATION. compte , deux cent soixante - cinq lieues , et G9,700,000 francs. La masse de tous les travaux que je viens d'é- numérer , en ne comptant que ceux qui sont maintenant terminés ou en cours actif d'exécu- tion, forme un total de douze cent dix lieues de canaux et de sept cent trente-deux lieues de che- mins de fer, ayant coûté en tout 600 millions. Si Ton y ajoute divers travaux isolés, tels que le che- min de fer d'Ithaca à Oswégo (New-York) , qui est achevé; ceux de Lexington à Louisville et de Tuscumbia à Décatur (Alabama), et divers tra- vaux de canalisation dans la Nouvelle- Angleterre , en Géorgie , en Pensylvanie, etc. , on arrive à un total définitif de treize cent vingt-et-iine lieues de canaux et de huit cent deux lieues de chemins de fer, et à une dépense de 637 millions (1). Ainsi l'impulsion est donnée ; le mouvement va toujours s'accélérant; le territoire se perce de toutes parts. Si je voulais citer tous les chemins de fer qui s'étudient maintenant , qui sont auto- risés ou vont l'être par les législatures, pour les- quels des souscriptions ont été remplies ou vont s'ouvrir , il me faudrait nommer toutes les villes de l'Union. Une ville de dix mille âmes qui n'a pas son chemin de fer se regarde elle-même avec ce sentiment de honte qu'éprouvèrent nos pre- (i) Voir la Noie i5 à la fin du Volume. LETTRE XXII. 95 miers parents dans le paradis terrestre, lorsque, après avoir goûté le fruit de l'arbre de la science, ils s'aperçurent qu'ils étaient nus. Je n'ai parlé ici que des voies de communica- tions perfectionnées , canaux et chemins de fer , et non des routes ordinaires. Si j'avais eu à expo- ser ce qui a été fait sous cet autre rapport, j'aurais cité avant tout la grande entreprise de la Route- Nationale^ appelée aussi /?owfe de Cuniberland , qui, partant de Washington ou plutôt de Cum- berland sur le Potomac, va rejoindre l'Ohio à Wheeling, et s'étend de là vers l'Ouest , à travers le cœur des États d'Ohio, d'Indiana, d'Illinois, jusqu'au Mississipi. Elle a été tout entière établie aux frais de la Fédération. Il y a été alloué jus- qu'à présent vingt-huit millions et demi. Com- mencée dès 1806, elle est actuellement à peu près finie jusqu'à Vandalia dans l'IlHnois. Une contes- tation survenue entre les deux États d'Illinois et du Missouri, a fait ajourner les travaux au delà de cette ville. De Washington à Vandalia, il y a 325 lieues , et 270 de Cumberland à Yandaha. La doctrine de l'intervention du gouvernement fé- déral dans les travaux publics (1) ayant le des- (i) On conteste au gouvernement fédéral le droit d'interve- nir dans les travaux publics, non parce que c'est un gouverne- ment, mais parce que Ion prétend que la Constitution ne lui a pas formellement reconnu ce droit. Dans les États particuliers , la doctrine de lintervention du gouvernement local dans les travaux publics ne fait pas question. 96 LES VOIES DE COMMUNICATION. SOUS depuis l'avènement du général Jackson à la présidence , le Congrès a offert la propriété de la Route-Nationale aux États particuliers dont elle traverse le territoire. Ils l'acceptent à condition qu'elle sera préalablement mise dans un parfait état d'entretien. Divers États ont aussi fait des dépenses consi- dérables pour l'amélioration de leurs routes. La Caroline du Sud, par exemple, a consacré à cet usage une somme de six à huit millions. Les travaux publics des États-Unis sont généra- lement exécutés avec économie; les prix que j'ai cités l'attestent, car ils sont moins élevés que ceux d'Europe , quoique la main d'oeuvre coûte ici de deux à trois fois plus cher que sur le vieux Continent. Les canaux entrepris par les États sont pourtant passablement construits. Leurs dimensions , moindres que celles des nô- tres^ sont plus grandes que celles des canaux an- glais; les écluses y sont presque toujours en pierres de taille (1). Les ponts, pontceaux et aqueducs sont habituellement en bois , sur piles et culées en maçonnerie commune. Les barrages des rivières sont constamment en bois. (i) Sur plusieurs canaux conslruils par des compagnies, et sur quelques uns de ceux des Etats, les écluses sont moitié en pierres , moitié en bois. Ces écluses mixtes (composite loks) sont économiques, d'un entrelien aisé, et pourraient être avanta- geusement employées ailleurs. Il existe aussi beaucoup d'écluses entièrement en bois. LETTRE XXII. 97 Les chemins de fer des États , ceux de Pensyl- vanie surtout , ont été établis à grands frais. Us sont à double voie^ avec des ponts en maçonne- rie et quelques souterrains. Leurs rails sont en- tièrement en fer, reposant sur des dés en pierre. La compagnie du chemin de fer de Lowell a voulu , elle aussi , que son ouvrage fût construit de la manière la plus permanente. Elle a déployé un luxe de granit, que je crois superflu^ sinon nuisible. Le chemin de fer de Baltimore à l'Ohio est aussi à deux voies. Sauf une courte dis- tance, il est sur bois. Dans les États du Nord, et près des grandes villes, la plupart des Railroads ont un rail tout en fer et des terrassements préparés pour deux voies , avec une seule voie posée. Tels sont les chemins de fer de Boston à Worcester et à Providence, d'Amboy à Camden. Tel sera celui de Philadelphie à Reading; mais ils reposent sur des traverses en bois, ce qui, indé- pendamment du bon marché , présente beaucoup d'avantages sous le rapport de la conservation du matériel et de la douceur des mouvements , et aussi pour la rapidité des réparations. Dans le Nord, les chemins de fer destinés à une moindre circulation ou éloignés des grandes villes , et en général tous ceux du Sud , sont à une seule voie sans préparation pour une seconde, et ont pour rails des pièces de bois longitudinales, recouvertes IL 7 98 LES VOIES DE COMMUNICATIOJS'. d'une bande de fer de cinq centimètres de large sur quinze millimètres d'épaisseur. Sur presque tous les chemins de fer améri- cains , il existe des pentes plus fortes que celles qu'en Europe l'on est disposé à fixer comme maxirna. Une pente de 35 pieds par mille an- glais (à peu près sept millimètres par mètre) pa- raît modérée aux ingénieurs américains. Une pente de cinquante pieds (près de dix millimètres par mètre) ne les effraie point (1). L'expérience a démontré qu'en effet ces inclinaisons, dont la dernière est double du maximum des Ponts-et- Chaussées (cinq millimètres par mètre), n'offrent aucun danger pour la sécurité publique. Il est vrai qu'elles diminuent la vitesse , à moins que l'on n'ait recours sur quelques points à une loco- motive de renfort, et qu'elles augmentent les frais de traction ; mais les Américains estiment que ces inconvénients sont plus que compensés par la réduction des dépenses de premier établisse- (i) Je ne parle pas ici des plans inclinés usilés dans le? chemins de fer des montagnes, qui sont plus hardis que les 7nonfrtg-»es russes les plus rapides. Dès que l'on voulait faire passpr un chemin de fer dans ces lieux escarpés, il était fort difficile d'éviter de grandes pentes. H j a , d'ailleurs, «eus le rapport des frais de traction , (peaucoup plus d'avantage, en pareil cas, à construire, une série de plans inclinés, raccordés par des portions de clicn)în à peu près de niveau, qu'à distribuer la pcnle uniformément sur tout le parcours. LETTRE XXtI. 99 mçnt. Les cpw-bes y sont aussi plus roides ; sur le chemin de fer de Baltimore à l'Ohio, où cependant le service est fait par des locomotives, il y çn a plusieurs dont le rayon est de 120 à 150 mètres; en conséquence l'on ne s'y meut qu'avec une vitesse moyenne de quatre et demie à Cinq lieues àl'heure; c'est deuxfois moins qu'àLi- verpool, mais c'est deuxfois et demie plus qu'en diligence sur une route ordinaire. En général , pourtaîit, les ingénieurs américains font tous leurs efforts pq^r éviter les courbes de moins de 300 mètres de rayon. En France, les Ponts-et- Çhaqssées, dans leurs études des grandes lignes, §e sont imposé le minimum de 800 mètres. îl y a cependaiit des chemins de fer américains Pli l'or, a renchéri p^cpre sur les prescriptions ç|e la science eurppéenne. Sur le chemin de fer de Boston à Lowell, le rayon minimum est de 9i4 mètres, pt le tiiaxùmm des pentes de moins de 2 millimètres. Sur celui de Boston à Provi- dence, il n'y a pas de rayon de moins de 1,800 wètres. La vitesse eii usage sur les chemins de fer Wéricains est tout aussi variable que leur mode deconstruction, et que leurs conditions d'inclinai- son et de eontournevnent. Sur le chemm de fer de Boston à Lowell, on vpyage à très peu près à rai- son dedixlieues à l'heure; c'est à raison de huit sur ceux de Boston à Providence et à Worcester. Sur 100 LES VOIES DE COMMUNICA.TION. le chemin de fer d'Amboy à Camden, la vitesse moyenne a été réduite à six lieues; elle n'est que de cinq à cinq et demie sur celui de Charleston à Augusta; j'ai dit qu elle était moindre encore sur celui de Baltimore à FOhio. Une des plus grandes économies obtenues ici dans la construction des chemins de fer , résulte de l'emploi du bois dans rétablissement des ponts et pontceaux. Les Américains sont maîtres passés en fait de ponts de bois. Les ponts si vantés de la Suisse ne sont, en comparaison des leurs, que de lourdes et grossières charpentes. Les ponts amé- ricains ont des arches ou travées de 35 à 70 mè- tres (1); et ils sont non moins curieux par leur bas prix que par leur hardiesse. Celui de Columbia, sur la Susquéhannah, a 2^000 mètres de long, et coûte, tout compris, 700^000 francs; il a dou- ble voie pour les voitures et charrettes, double trottoir pour les piétons, et il est couvert. En gé- néral , un pont à double voie et couvert coûte pour la superstructure^ c'est-à-dire non compris la maçonnerie des piles, 200 à 350 fr. le mètre courant, selon les localités et la confection du travail, soit 40,000 à 70,000 fr. pour un pont de 200 mètres, qui chez nous serait construit en pierre de taille, et reviendrait à 1,200,000 fr. ou 1,500,000 fr. La maçonnerie est ordinairement (i) Le pont du Schuylkill , à Piiiladelpliie, à 92^,75 de por- tée eu nue seule arche. LETTRE XXII. 101 faite en moellon ou en pierre de taille à peine dé- grossie, et;, dès lors, est très peu chère. Trois systèmes de charpente dominent pour les ponts : l'un est dû au charpentier Burr ; le second au co- lonel Long ; le troisième, qui est le plus neuf, le plus intéressant et le plus convenable pour les chemins de fer, en raison de sa fixité, à M. Ithiel Town. Ils sont tous remarquables en ce qu'ils n'exigent presque pas de fer. On rencontre pour- tant sur les chemins de fer des États-Unis quelques ponts en pierre de taille. Tel est celui du Patapsco (Thomas Fiaduct) sur le chemin de Baltimore à Washington, tout en beau granit, long de 214", et qui n'a coûté que 650,000 fr. , quoiqu'il soit à deux voies et élevé de 20 mètres. La plus grande difficulté que les Américains aient rencontrée dans l'exécution des voies de communication , n'a peut-être pas été de se pro- curer les capitaux nécessaires, mais bien de trou- ver des hommes en état de diriger les travaux. Sous ce rapport encore, l'État de New- York a rendu àl'Union un service signalé. Les ingénieurs, qui s'étaient formés dans la construction du canal Érié, ont répandu partout les fruits de l'expé- rience qu'ils y avaient acquise. M. B. Wright, le plus distingué d'entre eux, et aujourd'hui encore le plus actif (1) des ingénieurs américains, malgré (i) En ce moment, M. Wright, malgré ses soixante-cinq ans, dirige à la fois, personnellement, le chemin de fer tîe Hi^rlaëni 102 LES VOIES JDÎÈ COMMUNICATION. soh grand âge, a pris part à la direction d'une inconcevable quantité d'entreprises. Son nom est associé à rétablissement des canaux de la Chésa- peake à l'Ohio, de la Délaware à la Chésapeake, de l'Hudson à la Délaware , de Virginie, du Saint- Laurent , et même du canal Welland , à ceux des chemins de fer de Harlaem et de New-York au lac ferié. Depuis une dizaine d'années, les ingénieurs capables ont commence à se multiplier aux Etats- Unis, et ont écrit sur le sol du pays la preuve de leur savoir. Le général Bernard n'y a pas peu contribué en apportant avec lui dans le NouveaU- Mônde, et en propageant par son exemple, tes méthodes les plus avancées de l'art européen. M. M. Robinson, élève, lui aussi, de la science française, et qui excelle dans Fart d'établir à bon marché des ouvrages solides et de bonne appa- rence , a fourni les plans du Portage Ravir oàd ^ et à construit les chemins de fer de ChesterEeld, de Petersburg au Roanoke, du Petit-Schiiylkill, de à New-York ; le grand cLeinin de fer de Kcw-York au lac Érié ; là grande communicalion, par canal et par chemin de fer, du James-River au Kahawlia (Virginie) ; les travaux du Saint-Lau- rent, dans le Haut-Canada, trois cents lieues pins au nord, et enGn le chemin de fer de la Havane aux Guines, dans l'île de Cidja. Tous ces ouvrages réunis forment un développement total dé trois cent quatre -vin "gis iieties. Les ingénieurs améri- cains les plus distingues ont toujours plusieurs travaux à la fois 60US leur direction , mais en moindre quantité. Ou conçoit qu'ils seniourent, autant que possible, de collaborateurs iustiuits cl iutelligenls qui font une graude partie de la besogne. LETTRE XXII. 103 Winchester à Harper's Ferry. Il achève mainte- nant ceux de Pottsville à Sunbury, de Philadel- phie à Reading, de Frédéricksburg à Richiïiond. Le major Mac Neill vient de finir le chemin de fer de Boston à Provi lence, et travaille à ceux de Stonington et de Baltimore à la Susquéhannah. M. D. Douglass, après avoir fait le canal Morris et le chemin de fer de Brooklyn à Jamaïca, prépare, pour la campagne prochaine, la mise en construc- tion des waterworks de New^-York. M. Fessenden, qui met la dernière main au Worcester Railroad, va être chargé du Western et de VEastern Rail- road ^ à droite et à gauche de Boston. M. J. Rnight^ qui est le principal ingénieur du chemin de fer de Baltimore à l'Ohio^ s'occupe des moyens de lui faire franchir les AUéghanys. M. Canvass White, qui vient de mourir, avait contribué à la création du canal de Louisville à Portland , et avait tout récemment terminé le beau canal du Raritan à la Délaware. M. H. Allen a établi le chemin de fer de Charleston à Augustâ. M. Jervis a exécuté celui de Carbondale à Honesdale, et dirige aujourd'hui une partie des grands travaux de canalisation de l'État de New- York. Pour suppléer à la pénurie d'hommes de l'art que l'esprit d'entreprise réclame en nombre tou- jours croissant , le gouvernement fédéral autorise les officiers du génie et les ingénieurs géographes {to^ographkal'engineers) à entrer au service des 104 IFS VOltS DE COMMUN IC4TI0îf. compagnies. Il les emploie directement lui-même a faire des études et à rechercher des tracés, ou à construire des ouvrages pour son compte; de sorte que le général Gratiot, commandant en chef du génie, fait aussi l'office d'un directeur-général des ponts et chaussées. Les colonels des géogra- phes , Abert et Rearney, prennent une part ac- tive aux travaux du grand canal de la Chésapeake à rOhio, dont le gouvernement féaéral est le plus fort actionnaire. Le capitaine TurnbuU dirige le canal de Georgetown à Alexandrie; le capitaine Delafield, les travaux de la Route-Nationale, et le capitaine Talcott, le perfectionnement de l'Hud- son. Le colonel Long passe de tracé en tracé, et étudie tantôt la ligne de Savannah à Memphis, tantôt celle de Portland (Maine) à Québec et à Montréal. De leur côté, les architectes se font ingénieurs; ainsi, M. W. Strickland , de Phila- delphie, et M. Latrobe, de Baltimore, dirige- ront les travaux des nouveaux chemins qui vont s'établir entre leurs deux villes ; et même de sim- ples négociants prennent sur eux la responsabilité de vastes ouvrages, comme M. Jackson, de Bos- ton , qui est de fait ingénieur en chef du chemin de fer de Lowell. C'est un beau spectacle que celui d'un jeune peuple exécutant, dans le court espace d'une quinzaine d'années, une masse de communica- tions dont les plus puissants empires de l'Eu- LETTRE XX JI. 105 rope, avec une population triple et quadruple, se fussent effrayés. Ce que la prospérité publi- que y a gagné et continuera à y gagner , est incalculable. La politique n'a pas moins à en attendre. Ces communications multipliées et ra- pides contribueront au maintien de l'Union, plus encore que la balance de la représentation na- tionale. Lorsque New -York ne sera plus qu'à six ou huit jours de la Nouvelle-Orléans , non seulement pour une classe riche , voyageant sui- vant un mode privilégié (1 ), mais pour tout bour- geois , pour tout ouvrier, il n'y aura plus de sé- paration possible. Les grandes distances auront disparu , et ce colosse, dix fois plus vaste que la France, maintiendra son unité sans effort (2). Il m'est impossible de ne point reporter ma pensée sur l'Europe, et de ne pas faire une com- paraison peu favorable aux grandes monarchies qui la couvrent. Les partisans du principe mo- narchique soutiennent qu'il a tout autant de puissance pour le bonheur et la grandeur des peuples, et pour le progrès du genre humain, que le principe d'indépendance et de self-goueriiment qui domine de l'autre côté de l'Atlantique. Pour mon compte je suis tout porté à le croire. Il faut pourtant que l'on en administre des preuves matérielles, si l'on veut que la conviction opposée ( i) Voir la Noie 16 à la fin du Volume. i'i) Voir la Note 17 à la fin du Volume, 106 LES VOIES DE COMMUIVICATION. ne fasse plus de prosélytes. C'est par les fruits aujourd'hui que l'arbre doit se juger. Les gou- vernements européens disposent des trésors et des bras de plus de 250 millions d'hommes , c'est- à-dire d'une population vingt fois plus grande que ne l'était celle des États-Unis lorsqu'ils ont commencé à exécuter leur système de communi- cations. Le pays qui réclame leurs soins n'est pas quatre fois aussi étendu (1) que celui qui est actuellement couvert par les États et les Territoires organisés. Les milliards qu'ils se pro- curent si aisément pour la guerre^ c'est-à-dire pour détruire et pour tuer^ ne leur manqueraient pas pour des entreprises créatrices. Ils n'ont qu'à vouloir, et toutes les nations européennes se con- fondront tellement d'intérêts, de pensées et de sentiments, seront tellement rapprochées et mê- lées , que l'Europe tout entière sera comme une seule nation ^ et qu'une guerre européenne sera réputée sacrilège à l'égal d'une guerre civile. En ajournarit plus lon^-temps ces utiles travaux, ne donneraient-ils pas raison à ceux qui prétendent que la cause des rois est inconciliable avec celle des nations ? (i) En comptant tout le nord de l'Europe et tous les pays de l'ouest de l'Oural. XXIÎI. LE TRAVAIL. Lancaster ( Peusjlvanie) , 20 juillet i855. îi il y a de succès , il h'y à de bonheur que par là spécialité. Homme ou peuple, si vous voulez réussir, gardez-vous de prétendre à toiit savoir et de tout entreprendre. La nature humaine est finie ; limitez-vous comme elle dans vos désirs et dans vos efforts. Sachez vous contenter et vous contenir ; c'est la loi de la sas^esse. Si ces préceptes sont justes, les Américains sont des gens au moins à demi sages, car ils les pratiquent au moins à demi. En général , l'Américain sait peu se contenter; sa notion de légalité, c'est de n'être l'inférieur de personne; mais il n'aspire à monter que siiivaht une ligiië. Son moyen unique, comme kon unique peiisée, c'est la domination du monde matériel, c'est 108 LE TRAVAIL. l'industrie dans ses diverses branches; ce sont les affaires, c'est la spéculation, le travail, l'ac- tion. A son unique objet tout pour lui se subor- donne : l'éducation et la politique , la loi de la famille et celle de l'Etat. Tout, depuis la religion et la morale jusqu'aux usages domestiques et aux détails de la vie ; tout, dans la société américaine, est combiné et ployé suivant la direction qui con- verge le mieux vers le but commun de chacun et de tous. Si la règle générale souffre des exceptions, elles sont peu nombreuses et tiennent à deux causes : premièrement, la société américaine, si absorbée qu'elle soit dans sa spécialité, ne doit pas rester à jamais emprisonnée dans ce cercle, et contient déjà le germe des destinées, quelles qu'elles puissent être , qui lui sont réservées pour les siècles à venir; secondement, la nature humaine, quoique finie, n'est pas exclusive, et nulle force au monde ne saurait étouffer ses pro- testations contre l'exclusivisme des goûts , des institutions et des mœurs. La spéculation et les affaires , le travail et l'ac- tion, voilà donc, sous diverses formes, la spé- cialité que les Américains ont choisie et à laquelle ils se vouent avec une ardeur qui tient de l'a- charnement. C'était celle qu'ils devaient adopter, celle que leur avait assignée le doigt de la Provi- LETTRE XXIIT. 109 dence, afin que la civilisation fut, dans le plus bref délai possible, mise en possession d'un continent. Je ne puis sans douleur penser qu'il y eut un moment où la France semblait appelée à partager la gloire de cette grande niission avec les deux peuples, entre lesquels Dieu l'a placée, aussi bien sous le rapport du caractère et des institutions que sous celui de la position géographique; avec les Anglais et les Espagnols. Tandis que l'Espa- gne, alors reine du monde, envahissait l'Amé- rique du Sud et le vaste empire du Mexique, y civilisait, le sabre à la main, la population in- dienne, et y bâtissait des villes monumentales qui témoigneront de son génie et de sa puissance bien des siècles après que les déclamations de ses détracteurs seront tombées dans l'oubli , tandis que l'Angleterre posait de chétives colonies sur la plage aride de l'Amérique du Nord, la France explorait la gigantesque vallée du Père des eaux , et s'emparait du Saint-Laurent, près de qui notre Rhin , tranquille et fier ^ n'est qu'un ruisseau mo- deste ; nous couronnions de fortifications le ro- cher à pic de Québec, nous bâtissions Montréal, nous fondions la Nouvelle-Orléans et Saint-Louis, et , çà et là , nous défrichions les riches plaines de l'IlUnois. De l'Amérique duNord, nous possédions alors la portion la plus fertile, la plus belle, la mieux arrosée, la mieux taillée pour recevoir un superbe empire en harmonie avec nos sentiments 110 tK TRAVAIL. d'unité. Nos i^gétiieurs, avec une sagacité qu'au- jomd'i;^iii les Âmçricains admirent^ avaient mar- qué par un fortin les positions les plvis propres à recevoir de grandes villes. C'est ainsi que notre dvapeau flottait à Pittsburg (alors fort Duquesne), à Pétroit, à Chicago, à Érié (alors Presqu'île), à Kingston (alors fort Frontenac), à Michilli- piackinac, à Ticondéroga, à Vincennes, au fort dç Chartres, à Péoria, à Saint-Jean, tout comme dans les capitales du Canada et de la Louisiane. Alors notre langue pouvait préteiidre à être la langue universelle. Le nom français avait alors de belles chances ppur devenir le preniier, non seulement, comme celui des Grecs, dans le monde çles idées , p^^r la littérature çt les arts, mais av^ssi , coinme le nom ror^ain , dans le monde matériel et politique, par le nombre des hommes qui eussent été fiers çle le porter, par l'immensité du territoire q\^ç Sc^ domination eut couvert. Loiiis XIV, aux JQurs de son apothéose, dans l'Olympe qu'il s'était bâti , rêvait ce noble avenir pour son peuple et ppur sa race. Dans l'exalta^ tion d'un snblime orgueil , il croyait lire c^s triomphes sur les pages dn destin. H ^e nous reste plus à nous, qui ne sommes séparés de lui que par un siècle, il ne nous reste plus, hélas ! qn^ des regrets amers çt impuissants. Les Anglais nous onç chassés à toujours, non seulement d'Amé- rique, mais aussi des Indes-Orientales, où le LETTRE XXIII. 1 1 1 Grand-Roi nous avait aussi installés. Nos des- cendants du Canada et de la Louisiane se dé- battent vainement contre le déluge britannique qui les ensevelit. Notre idiome se noie dans le même débordement; les noms mêmes de nos villes et des régions que nous avions explorées se défigurent dans l'âpre gosier de nos heureux rivaux, et se teutonisent au point d'être mé- connaissables. Nous avons oublié nous-mêmes qu'il fut un temps où nous pouvions prétendre à devenir les rois du Nouveau-Monde. Nous n'avons plus souvenance des hommes généreux qui se dévouèrent pour nous en assurer la domi- nation. Pour que le nom de l'héroïque La Salle ne pérît pas , il a fallu que le Congrès américain lui érigeât un petit monument, dans la rotonde du Capitole, entre Penn et John Smith. Nous n'avons pas eu une pierre pour lui dans nos innombrables sculptures; uos peintres ont couvert de couleurs des toiles qu'une lieue carrée contiendrait à peine, et il n'a pas eu les honneurs d'un coup de pinceau. Pendant ce temps, des colosses, récemment apparus en Europe, nous défient, nous coudoient et nous pressent. En vain les efforts du second Charlemagne nous avaient rendu la capitale du premier César français et les plus belles provinces de Clovis; capitale et provinces nous ont été ravies presque aussitôt. Un pas de plus en ar- rière et nous sommes refoulés à jamais parmi It2 LE TRAVAIL. les peuples secondaires, les peuples vieillis, les peuples déchus, sans successeurs pour recevoir et dignement porter l'héritage de la gloire de nos pères. Qu'a-t-il donc fallu pour faire rétrograder ainsi une grande nation , pour la dépouiller de son avenir? Il a suffi, sous notre monarchie ab- solue, qu'il se trouvât un prince comme Louis XV, qui, du Grand-Roi son aïeul, ne voulut accepter que les vices; il a suffi que, pendant cinquante ans , la France servît de marche-pied et de jouet à l'infâme égoïsme de ce prince, à la honteuse impéritie de ses familiers. Les gouvernements sans contrôle peuvent, dans un court espace de temps, enfanter des prodiges, mais ils sont exposés à de cruels retours. Que fût-il arrivé si, au lieu d'être vaincus par les Anglais, nous eussions été lein^s vainqueurs? A juger, par les Canadiens et les Créoles de la Louisiane, de ce qu'eût été le peuple de la Nouvelle-France, la rapidité et l'audace du mou- vement civilisateur y eussent considérablement perdu. Lorsqu'il s'agit de vaincre des nations sur les champs de bataille, le Français peut en- trer dans la lice, la tête haute ; pour dompter la nature, l'Anglais vaut mieux que nous. Il a une fibre plus rigide, des muscles mieux nourris; physiquement , il est mieux constitué pour le travail; il le pousse avec plus de méthode et de persévérance; il s'y plaît, il s'y entête. Si dans LETTRE XXIir. 1 13 SOU œuvre, il rencontre un obstacle, il l'attaque avec une passion concentrée, dont, nous Fran- çais, nous ne sommes susceptibles que contre un adversaire sous foiTlie humaine. Avec quel zèle et quel entraînement l'Anglo- Américain remplit sa tâche dépeuple défricheur! Voyez com me il se fraye sa voie à travers les rochers et les précipices; comme il lutte corps à corps contre les fleuves, contre les marécages, contre la forêt primitive ; comme il détruit le loup et Tours; comme il extermine l'indien qui, pour lui, n'est qu'une autre bête fauve! Dans cette bataille contre le monde extérieur, contre la terre et l'eau, contre les montagnes et contre un air empesté, il semble plein de cette im- pétuosité avec laquelle la Grèce se précipitait sur l'Asie à la voix d'Alexandre; de cette au- dace frénétique que Mahomet sut inspirer à ses Arabes pour la conquête de l'empire d'Orient ; de ce courage délirant qui animait nos pères, il y a quarante ans, lorsqu'ils se ruaient sur l'Eu- rope. Aussi , sur les mêmes rivières où nos co- lons s'abandonnaient, en chantant, au canot d'écorce du sauvage, ils comptent, eux, des flottes de superbes bateaux à vapeur. Là où nous fraternisions avec les Peaux-Rouges , couchant avec eux dans les bois , vivant comme eux de notre chasse , voyageant à pied à leur manière , par des sentiers escarpés, l'opiniâtre américain H. 8 t 14 Ï^E TRAVAIL. a abattu les arbres antiques, promené la cbarrue, enclos les terrains, substitué les meilleures races bovines de l'Angleterre aux cerfs de la forêt, établi des fermes, de florissants villages et d'o- pulentes cités , creusé des canaux et des routes. Ces cbutes d'eau que nous venions admirer en amateurs du pittoresque , et dont nos officiers mesuraient la bauteur au péril de leur vie , ils les ont dérobées au paysage et enfermées dans les réservoirs de leurs moulins et de leurs fabri- ques. Si ces pays fussent restés français, la po- pulation qui s'y fiit développée eût été plus gaie que l'américaine; elle eût mieux joui de ce qu'elle eût possédé; mais elle eût été entourée de moins de ricbesses et de comfort, et des siècles se fussent écoulés avant que Tbomme eût été en di'oit de se dire le maître, sur la même étendue de sol que les Américains ont asservie en moins de cinquante ans. Si l'on récapitule les actes passés à cliaque session des législatures locales, on verra que les trois quarts au moins ont pour objet les banques qui créditent le travailleur; la création d'églises nouvelles, qui sont les citadelles où veillent les gardiens de l'esprit du travail; les moyens de communication, routes, canaux, cbemins de fer, ponts, bateaux à vapeur, qui facilitent au pro- ducteur l'accès du marché; l'instruction pri- maire à l'usage de l'ouvrier et du laboureur; ou LETTRE XKjn. Ht divers règlements commerciaux ; ou l'incorpo*- ration de villes et de villages , ouvrages de ces hardis défricheurs. Il n'y est point question d'une armée; les beaux-arts n'y figurent jamais, même pour mémoire; les établissements littéraires et les hautes études scientifiques y sont rarement honorés d'un souvenir (1). Les lois tendent par-dessus tout à favoriser le travail^ le travail matériel, le travail du mo- ment. Dans les États un peu anciens, elles sont habituellement empreintes du respect de la pro- priété, parce que le législateur sent que le plus grand encouragement à donner au travail con- siste à le respecter dans ce qui en est le fruit. Elles sont particulièrement conservatrices de la propriété foncière, soit par réminiscence des lois féodales de la mère-patrie, soit aussi parce que l'on a tenu à conserver quelque élément stable au milieu de Finstabilité de toute chose; cepen- dant les lois s'inquiètent généralement beaucoup moins qu'en Europe de ce qui est droit acquis. Malheur aux existences en repos ou actuellement improductives, pour peu qu'elles puissent être accusées de s'appuyer sur le monopole et le pri- vilège! Le droit qui précède ici les autres, qui les efface tous, est celui du travad : le repos n'a pas encore droit de cité. C'est ainsi qu'excepté en matière de crédit public , où les Etats et les (i) Voir la Noie i8 à la fin du Volume. 116 LE TRAVAIL. villes se piquent du plus grand scrupule à rem- plir leurs engagements, dans tout débat entre le capitaliste et le producteur, c'est ordinairement le premier qui a tort (1). Tout est ici disposé pour le travail : les villes sont bâties suivant la méthode anglaise ; les hom- mes d'affaires , au lieu d'être dispersés par la ville, occupent un quartier qui est exclusive- ment à eux , où pas une maison ne sert à l'habi- tation, où tout est bureaux et magasins. Les courtiers, les agents de change, les avoués, les avocats, y ont chacun leur cellule, les négociants leurs comptoirs. Les banques et les compagnies de toute nature y tiennent leur office ; les mar- chandises emplissent , de la cave au grenier, tous les édifices des rues adjacentes. A toute heure du jour, un négociant n'a que quelques pas à faire pour en rejoindre un autre, pour s'abou- cher avec un homme de loi ou un courtier. Ce n'est point comme à Paris, où l'on perd un temps précieux à courir l'un après l'autre. Paris est la cité commerciale la plus mal arrangée de l'univers. Nevv^-York est cependant moins bien ordonné que Londres ou que Liverpool. Il n'y (i) Dans quelques États nouveaux, commein Kentucky et l'Illi- nois, il a été passé, aux époques de crises commerciales, des lois qui intervenaient enlre le débiteur et le créancier, et qui trai- taient fort cavalièrement ce dernier. Elles avaient pour objet d'a- journer le paiement des dettes. LETTRE XXIII. 117 existe rien dans le genre des grands docks ou du Cornm ercial-Ho use ( 1 ) . Les mœurs sont celles d'une société travail- lante et agissante. A quinze ans , un homme entre dans les affaires; à vingt et un, il est établi, il a sa ferme, son atelier, son comptoir ou son cabi- net, son industrie enfin quelle qu'elle soit. C'est aussi l'âge où il prend femme; à vingt- deux ans, il est père de famille, et, par conséquent , il a un puissant aiguillon pour s'exciter au tra- vail. Il n'y a ici de considération que pour celui qui a une profession , et, ce qui est à peu près la même chose ^ qui est marié; pour l'homme enfin qui est membre actif, directement utile de l'or- ganisme social , qui contribue pour sa part à augmenter la richesse publique, en créant, soit des choses, soit des hommes. L'Américain est élevé dans cette idée , qu'il aura un état , qu'il sera agriculteur, artisan, manufacturier, com- merçant, spéculateur, médecin, homme de loi ou d'église, peut-être tout cela successivement, et que , s'il est actif et intelligent , il arrivera à l'opulence. Il ne se conçoit pas sans profession, lors même qu'il appartient à une famille riche , car il ne voit point de gens de loisir autour de lui. L'homme de loisir est une variété de l'espèce humaine dont l'homme du Nord, l'Yankée, ne (i) Voir tom. j, psg. ^5, 118 LE TRAVAIL, soupçonne pas Texistence; puis il sait que, riche aujourd'hui, son père pourra être ruiné demain. Le père d'ailleurs est dans les affaires, selon l'usage, et ne se dessaisit pas de sa fortune : si le fils en veut avoir une présentement, qu'il se la fasse! Les habitudes sont celles d'un peuple exclusi- vement travailleur. Du moment où il se lève , l'Américain est au travail. Il s'y absorbe jusqu'à l'heure du sommeil. Il ne permet point aux plai- sirs de venir l'en distraire; les affaires publiques seules ont le droit d'enlever quelques moments à ses affaires privées. L'instant des repas n'est point pour lui un délassement où il retrempe son cer- veau fatigué, au sein d'une intimité douce. Ce n'est rien de plus qu'une désagréable interrup- tion à sa besogne; interruption qu'il accepte, parce qu'elle est inévitable, mais qu'il abrège le plus possible. Si la politique ne réclame point, le soir, son attention; s'il n'est convoqué à au- cune délibération, à aucune prière, il reste chez lui, pensif et l'œil fixe, récapitulant les opéra- tions du jour, ou préparant celles du lendemain. Il cesse ses ti-avaux le dimanche, parce que la religion le lui ordonne ; mais elle lui prescrit aussi spécialement, pour ce jour-là, de s'abstenir de tout amusement, de toute distraction^ musique, cartes, dés ou billard, sous peine de sacrilège au premier chef. Le dimanche, un Américain n'ose- LETTBE XXIII. î 19 Tiiit pas recevoir ses amis. Ses domestiqiies refu- seraient de s'y pi éter; c'est à peine si, ce jour-là , il peut obtenir d'eux qu'ils le servent lui-même à table à l'heure qui leur convient. Il y a quelques jours, le maire de New-York fut accusé par un journal d'avoir traité, le dimanche, certains nobles ilnglais venus d'Europe, dans leur yacht , pour donner à la démocratie américaine une étrange idée des goûts britanniques. Il s'est em- pressé de faire publier qu'il connaissait trop bien ses devoirs de chrétien pour fêter ses amis le jour du sabbaÛL. Rien n'est donc plus lugubre que le septième jour dans ce pays, x^uprès d'un pareil dimanche , le travail du lundi est un passe-temps délicieux. Abordez un négociant anglais le matin dans son comptoir , vous le trouverez raide et sec, ne par- lant que par monosyllabes; accostez-le à l'heure du courrier, il ne fera aucun frais pour vous dis- simuler £on impatience; il vous éconduira, sans prendre toujours garde de le faire poliment. Le même homme, le soir dans son salon, ou l'été à sa maison de campagne, sera plein d'empresse- ment et d'urbanité. C'est que l'Anglais divise son temps et ne fait qu'une chose à la fois. I.e matin, il est tout aux affaires ; les affaires lui sortent par tous les pores. Le soir, c'est l'homme de loisir qui se repose et jouit de la vie; c'est \e gentle- man qui a sons les yeux, pour façonner ses ma- 120 LE TRAVAIL ilières et s'instruire clans l'art fie dépenser noble- ment son revenu, le parfait modèle de l'aristo- craiie anglaise. Le Français moderne est un mélange indéter miné de l'Anglais du matin et du soir. Le matin, un peu Anglais du soir , et ie soir passablement Anglais du matin. Le Français vienx-modèle était l'Anglais actuel du soir; ou plutôt disons, pour rendre à chacun ce qui lui appartient , que c'est ce Français, dont le type se perd chez nous, sur qui , à beaucoup d'égards , s'est moulée l'aristo- cratie anglaise. L'Américain des États du Nord ou du Nord- Ouest, celui dont la nature domine aujourd'hui dans l'Union , est un homme d'affaires en per- manence : c'est toujours l'Anglais du matin. On trouve beaucoup d'Anglais du soir dans les plan- tations du Sud; on commence à en rencontrer quelques uns dans des métropoles du Nord. Haut, mince et dégagé dans sa taille, l'Américain semble bâti tout exprès pour le travail matériel. Il n'a pas son pareil pour aller vite en besogne. Nul ne s'assimile plus aisément une pratique nou- velle; il est toujours prêt à modifier ses procédés ou ses outils, ou à changer de métier. Il est mé- canicien dans l'âme. Chez nous , il n'y a pas d'é- lève des hautes écoles qui n'ait fait son vaudeville, son roman ou sa constitution monarchique ou ré- publicaine. Il n'y a pas de paysan du Clonnecticut LETTRE XXJII. 121 OU du Massachusetts qui n'ait iiîvcnté sa ma- chine. Il n'y a pas d'homme un peu considérable qui n'ait son projet de chemin de fer, son plan de village ou de \ille, ou qui ne nourrisse inpetto quelque grande spéculation sur les terres inon- dées de la Rivière Rouge, ou sur les terrains à co- ton de FYazoo ou du Texas, ou sur les champs à blé de riUinois. Colonisateur par excellence , l'A- méricain-type, celui qui n'est pas plus ou moins européanisé, l'Yankée pur, en un mot, n'est pas seulement travailleur, c'est un travailleur ambulant. Il n'a point de racines dans le sol; il est étranger au culte de la terre natale et de la maison paternelle; il est toujours en humeur d'é- migrer, toujours prêt à partir, avec le premier bateau à vapeur qui passera , des lieux même où il est installé à peine. Il est dévoré du besoin de locomotion ; il ne tient pas en place ; il faut qu'il aille et qu'il vienne, qu'il agite ses membres et tienne ses muscles en haleine. Quand ses pieds ne sont pas en mouvement, il faut qu'il remue les doigts ; que , de son inséparable couteau , il taille un morceau de bois, rogne le dos d'une chaise ou écorne une table ; ou, encore, qu'il oc- cupe ses mâchoires à presser du tabac. Soit que le régime de la concurrence lui en ait donné l'habi- tude, soit qu'il se préoccupe outre mesure de la valeur du temps, soit que la mobilité de tout ce qui l'entoure et de sa propre personne tienne 122 LE TRW AIL. son système nerveux dans un ébranlement per- pétuel, soit qu'il soit sorti ainsi fait des mains de la nature, il est toujours affairé , toujours pressé^ excessivement pressé. Il est propre à tous les tra- vaux, excepté à ceux qui exigent une lenteur mi- nutieuse. Ceux-là lui font horreur : c'est sa con- ception de l'enfer. « Nous naissons à la hâte , dit )) un écrivain américain, nous faisons notre édu- » cation à la course ; nous nous marions à la vo- » lée; nous gagnons une fortune d'un coup de )^ baguette, et nous la perdons de même pour la » refaire et la défaire dix fois, toujours en un clin » d'oeil. Notre corps est une locomotive allant à » raison de dix lieues à i'heure; notre âme, une )) machine à vapeur à haute pression ; notre vie » ressemble à une étoile qui file, et la mort nous » surprend comme un éclair (1) » « Travaille, dit au pauvre la société américaine ; travaille, et à dix-huit ans, tu gagneras plus, toi, simple ouvrier , qu'un capitaine en Europe (2). Tu vivras dans l'abondance, tu seras bien vêtu, bien logé, et tu feras des économies. Sois assidu au travail, sobre et religieux , et tu trouveras une com- pagne dévouée et soumise; tu auras un foyer do- mestique , mieux pourvu de comfort que celui de ri) Voir la Note 19 à la fin du Volume. (2) Ea ce momcut le salaire d'un ouvrier maçon est de 9 fr. 55 cent, à Philadelphie et a New-York ; à ooo joms de travail, ce serait 2,800 ir. LETTRE XXIII. 123 beaucoup de bourgeois en Europe. D'ouvrier, tu deviendras maître ; tu auras des apprentis et des serviteurs à ton tour; tu trouveras du crédit à pleines mains; tu passeras fabricant ou gros fer- mier; tu spéculeras et tu deviendras riche ; tu bâtiras une ville et tu lui donneras ton nom ; tu seras nommé membre de la législature de ton État, ou aider m an de la métropole, puis membre du Congrès; ton fils aura autant de chances pour être nommé Président que le fils du Président lui-même. Travaille , et si la chance des affaires tourne contre toi et que tu succombes, ce sera pour te relever aussitôt ; car ici la faillite est considérée comme une blessure dans une ba- taille; elle ne te fera perdre ni l'estime, ni même la confiance de personne , pourvu que tu aies été toujours rangé et tempérant , bon chrétien et époux fidèle. » « Travaille, dit-elle au riche , travaille sans ja- mais songer à jouir. Tu accroîtras tes revenus sans accroître tes dépenses. Tu augmenteras ta fortune, mais ce ne sera que pour multiplier les moyens de travail en faveur du pauvre , et pour étendre ta puissance sur le monde matériel. Que ta tenue soit simple et austère. Je te permets , pour ton intérieur, de beaux tapis , de l'argenterie à foison, les plus beaux linges de la Saxe et de l'Ecosse; mais ta maison, à l'extérieur, sera sur le modèle de toutes celles de la ville ; tu n'auras 124 LE TE A V AIL. lù livrée, ni luxe de chevaux; tu n'encourageras pas le théâtre qui relâche les mœurs; tu fuiras le jeu; tu signeras les articles de la Société de Tem- pérance; tu t'abstiendras même de la bonne chère; tu donneras l'exemple de l'assiduité à l'Eglise; tu afficheras sans cesse le plus profond respect pour la morale et la religion ; car le culti- vateur et l'ouvrier qui t'entourent, ont les veux sur toi, prennent modèle sur toi, et te reconnais- sent encore de fait pour arbitre des mœurs et des coutumes, quoiqu'ils t'aient enlevé le sceptre de la politique. Si tu te laissais aller à jouir^ si tu te li- vrais au faste, à la dissipation et aux plaisirs, ils lâcheraient, eux aussi, la bride à leurs passions, nécessairement grossières, à leurs violents appé- tits. C'en serait fait du pays, c'en serait fait de loi-méme. » Il est possible d'imaginer divers systèmes d'or- ganisation sociale également propres en théorie à favoriser le travail. On peut concevoir une so- ciété constituée pour le travail, sous l'influence du principe d'autorité , c'est-à-dire d'association hiérarchique; on peut en concevoir une autre sous les auspices du principe de liberté ou d'in- dépendance. Pour organiser à priori, en vue du travail, un peuple déterminé, il faut, sous peine de tomber daiis le roman , consulter ses circon- stances de territoire et d'origine, savoir par où il a passé et où il va. Avec le peuple des États-^ LETTRE XXI il. 125 Unis, rejeton de la race anglaise, et imbu de protestantisme jusqu'à la moelle des os, le prin- cipe d'indépendance, d'individualisme , de con- currence enfin ^ devait réussir. L'âme fortement trempée des Puritains, qui sont les ultras du pro- testantisme , ne pouvait manquer de s'en ac- commoder admirablement. Voilà pourquoi les fils des États de l'Est, fondés par \e^ pèlerins (1;, ont joué le premier rôle dans la prise de posses- sion de l'immense vallée du Mississipi. La civilisation de l'Ouest (2) est née du con- cours occulte et silencieux de deux ou trois cent mille jeunes cultivateurs partis, chacun pour son compte , de la Nouvelle-Angleterre, quelquefois avec un petit nombre d'amis, souvent seuls. Ce système n'aurait pu réussir avec des Français. L'Yankée, seul avec sa femme au milieu des bois, peut se suffire à lui-même. Le Français est éminemment social; il ne supporterait pas l'iso- lement au sein duquel l'Yankée vit à l'aise. Ce- lui-ci se passionne, tout seul, pour l'œuvre qu'il a conçue et qu'il s'est imposée. Le Français ne peut se passionner pour une entreprise indus- trielle qu à condition d'être avec d'autres hom- (i) On désigne par ce nom (PUgrim-Fat/iers) les Puritains exilés qui vinrent s'établir à Boston et dans le pays d'alentour. (2) Je parle ici principalement du Nord-Ouest, c'est àdire de la portion de l'Ouest où l'esclavage n'existe pas. (Voir lettre x, tome I. ) 126 LE TRA.yAïL. mes, dont le concours soit évident et palpable, ou plutôt il n'est pas apte à se passionner pour un travail matériel, car il réserve ses affections et ses sympathies pour ce qui est vivant. Il lui est absolument impossible, à lui, d'être amou- reux d'un défrichement, d'éprouver pour le suc- cès d'une manufacture les mêmes transports que pour le salut d'un ami ou le bonheur d'une maîtresse; mais il est susceptible de s'y appli- quer avec ardeur, si ses passions caractéris- tiques, sa soif de la gloire et son émulation, sont excitées par le contact humain. S'il s'a- gissait de coloniser avec des Français, il fau- drait donc peu compter sur les tentatives indi- viduelles. En toute chose le Français a besoin de sentir légèrement le coude du voisin, comme dans une ligne de bataille. Sur une terre à coloniser, on peut jeter des Américains isolés ; ils y forme- ront une multitude de petits centres qui, s'élar* gissant chacun de son côté, finiront par embrasser un grand cercle. S'il s'agit de Français , on doit porter avec eux sur la terre nouvelle un ordre social tout fait , des liens sociaux tout établis , ou, au moins , un cadre régulier d'ordre social et des points d'attache pour les liens sociaux; c'est-à- dire qu'il leur faut, dès l'abord, le grand cercle avec son centre unique bien apparent. Le Canada est à peu près la seule colonie que nous ayons fondée exclusivement avec des Fran- LETTRE XXlIf. 127 çais (I). On y transporta une organisation sociale complète. Une fois le pays reconnu, la flotte royale y débarqua des seigneurs à qui le roi avait octroyé des fiefs. Ils étaient suivis de vassaux qu'ils avaient pris en Normandie et en Bretagne, et à qui ils distribuèrent des terres. Elle y déposa en même temps un clergé régulier et séculier doté, lui aussi, d'amples domaines territoriaux^ et qui de plus préleva la dîme. Puis vinrent des mar- chands et des compagnies à qui des privilèges étaient accordés pour la traite des pelleteries et pour le commerce. En un mot, les trois or- dres, clergé, noblesse et tiers-état, furent im- portés, tout d'une pièce, de la vieille France dans la nouvelle. La seule chose que les colons laissè- rent derrière eux fut la misère du plus grand nombre. Le système était bon pour l'époque; le principe d'ordre et dliiérarchie qui y présidait, sous la seule forme possible alors, était en har- monie avec le caractère du peuple. Ce qui l'atteste, c'est que, sous ce régime, auquel les cinglais con- quérants n'ont rien changé, le Canada a fleuri, et la population s'y est multipliée au sein d'une douce aisance. Je n'ai vu nulle part rien qui offrît mieux l'image de Xaiirea medlocritas que les jolis villages des bords du Saint-Laurent. Ce n'est pas l'ambitieuse prospérité des Etats-Unis, c'est quel- (i) Dans la Louisiane , à S;iint-Domingue et dans les îles , la mâsge de la populallou était forœée de noirs. 128 Lï TJl.iVAIL. que chose de beaucoup plus modeste; mais s'il y a moins d'éclat, en revanche il y a plus de contentement et de bonheur. Le Canada m'a rap- pelé la Suisse : c'est la même physionomie de satisfaction calme et de jouissances paisibles. On parierait du Canada , s'il n'était pas à côté du co- losse anglo-américain; on citerait ses dévelop- pements, sans les prodiges des Etats-Unis. On ne serait pas fondé à prétendre que les pro- grès du Canada se sont réalisés en dépit du mode de colonisation; la discussion entvele parce que et le quoique est aisée à terminer dans ce cas. Tout ce que le système primitif avait d'onéreux, subsiste encore intact, et la population ne s'en plaint pas. Les redevances seigneuriales, la dîme, le droit de mouture, le four banal, y sont actuel- lement en pleine vigueur; et, chose incroyable, rien de tout cela ne fissure dans l'interminable liste de quatre-vingt-treize griefs, récemment dressée par les Canadiens contre le régime qui les gou- verne. En France , Dieu merci , il n'y a plus de sei- gneurs, de vassaux ni de dîmes; les trois ordres sont abolis : il n'y a même plus de royauté abso- lue; mais nous avons un gouvernement à trois têtes qui dispose de ressources bien autrement inépuisables, de moyens d'action bien autrement énergiques. Ce pouvoir central, le seul qui subsiste maintenant , doit faire intervenir sa direction là LETTRE XXIII. 129 OÙ autrefois la royauté et les divers ordres impo- saient la leur. Nous ne fonderons de colonie ni à Alger ni ailleurs, à moins que le gouvernement ne se charge d'y remplir, sauf les modifications exigées par le progrès des temps et par les circon- stances, le rôle que jouèrent au Canada la no- blesse et le clergé. Les intermédiaires qui exis- taient autrefois entre la royauté et la masse de la nation ont disparu. Une partie de leurs préroga- tives peut et doit être remise au peuple, ainsi qu'il a déjà été fait à l'égard de l'administration intérieure du pays ; car la nation , devenue plus éclairée et plus apte à se diriger elle-même, na pas besoin , au même degré que par le passé , d'une règle venue d'en haut. Cependant, la ma- jeure partie des prérogatives des anciens pou- voirs doit aller grossir celle du pouvoir central, et non point être annulée purement et simplement. Avec nous, Français, tels que nous sommes au- jourd'hui, il convient, pour le bien général, que le gouvernement ait la meilleure part dans l'hé- ritage des influences du passé, surtout en matière de colonisation. Rien n'est plus difficile que de coloniser; c'est une création tout entière. Le propre d'une colonie, c'est d'être mineure; aux Etats-Unis, où le self-govemment a été poussé jusqu'à la dernière limite , les colonies continen- tales, qu'on appelle Territoires, sont traitées comme mineures jusqu'à ce qu'elles aient réuni II. 9 i30 LE TRAVAlt. une population de C0,000 âmes; or, à tout mi- neur un tuteur est indispensable. Sans doute un gouvernement qui veut coloni- ser peut rechercher le concours des capitalistes: mais on se méprendrait si l'on en attendait, relati- vement à Alger, de grands efforts et de grands résultats. En fait de compagnies , nous ne sommes pas beaucoup plus avancés aujourd'hui que du temps de Louis XIV : peut-être le sommes-nous moins; je cherche vainement en France quelque chose qui puisse être comparé à nos ci-devant compagnies des Indes. Je ne veux pas faire le métier de prophète, en- core moins celui de prophète de malheur; d'ail- leurs, à la distance où je suis d'Alger, je n'en dois parler qu'avec une extrême réserve. Je suis ce- pendant persuadé qu'avec le système de laisser- faire ou de ne rien faire, adopté par le gouver- nement, nous ne sommes pas en chemin d'y implanter une population française. Et pourtant, jusqu'à ce qu'il y ait 200,000 ou 300,000 Fran- çais, notre domination n'y sera qu'éphéuière, à la merci d'un vole inopiné des Chambres, ou d'un caprice ministériel, ou d'un bruit de guerre; et qui pis est dans ce siècle positif, Alger nous coûtera beaucoup sans nul retour. Si je ne m'abuse complètement, ce qui se dé- verse à Alger, avec lesystème des émigiations individuelles, doit être, sauf un petit nombre LETTRE %XUi. ï3î d'exceptions, le rebut de nos grandes villes, tl f faudrait la fleur de nos campagnes et dé nos ateliers, de jeunes cultivateurs ou de robustes bii*- vriers comme ceux qui, le mousquet à la main, font la gloire de nos armées: ceux-là auraient la force et la volonté de s'emparer du sol, comme s'en empare la civilisation, par la culture et le travail. Nos honnêtes campagnards et nos ou- vriers intelligents sont sourds à l'appel des com- pagnies; ils ont de bonnes raisons pour ne pas croire aux promesses des spéculateurs. Ils né se déplaceiontj pour aller asseoir avec eux la do- mination française sur le sol de l'iVfrique, que lorsqu'un gouvernement éclairé les y appellera non vaguement, mais nominativement, les y conduira et les y installera lui-même. Tous les ans, deux milliers environ de soldats quittent la Régence (car c'est encore la Régence!) pour rentrer dans leurs foyers et redevenir ou- vriers et paysans. Quelle fostune ne serait-ce pas pour Alger, si l'on pouvait les y retenir, ou s'ils voulaient y retourner, après être venus en France prendre femme! Avec l'ambition d'arriver à la propriété dont tout homme est possédé aujour- d'hui, il ne serait pas impossible de les y résoudre en leur donnant des terres, des outils, des mai- sonnettes, que l'armée aurait bâties elle-même. Distribués dans de grandes fermes ou dans des villages, autour desquels chacun d'eux aurait son 132 LE TRAVAIL. champ, et qu'au besoin protégerait l'inexpugna- ble blockhaus, ils formeraient un noyau que la population française irait bientôt grossir, et dont l'existence enhardirait les compagnies à tenter en- fin des entreprises sérieuses. Si on leur laissait leur fusil et leur uniforme , ils constitueraient une milice aguerrie qui ne craindrait pas les Bédouins, et que les Bédouins redouteraient. Qui pourrait trouver mauvais qu'Alger, conquis par notre ar- mée, en devînt le patrimoine? Nos soldats ont payé Alger au même prix que les premiers sett- lers américains ont acheté l'Ouest, c'est-à-dire de leur sang. XXIV. L ARGENT. Sunbury (Pensylvanie), 3i juillet i835. Dans une société vouée à produire et à trafi- quer, l'argent doit être vu d'un autre œil que chez des peuples à l'esprit militaire ou nourris d'études classiques et de spéculations savantes. Chez ces derniers, l'argent doit être réputé, théoriquement au moins , un vil métal. L'honneur et la gloire y sont de plus puissants et de plus habituels mobiles que l'intérêt; c'est la monnaie dont beaucoup de gens se contentent, la seule que plusieurs ambi- tionnent. Dans une société travaillante , l'argent , fruit et objet du travail, ne sent pas mauvais; la richesse d'un homme est la mesure de sa capacité et de la considération que ses concitoyens lui ac- cordent. Quelle qu'en soit la cause , il est certain qu'ici 134 LAKGENT. l'argent n'est pas ce qu'il est chez nous, qu'il pèse là où chez nous il n'a pas de poids; qu'il inter- vient franchement là où chez nous il se cache. Déjà, en Angleterre, j'étais étonné de voir de nonihreux écriteaux dans les docks, par exemple, menacer d'amende les délinquants à certaines rè- gles de police, avec promesse de moitié poni-îedé- nonciateur.Le sang bouillonnerait dans nos veines si un préfet de police offrait ainsi une prime à la dénonciation. Ici l'on fait comme en Angleterre : on use même plus souvent encore de ce procédé. Lorst[u'un crimeestcommis, l'autorité s'empresse de faire afficher que 100 ou 200 dollars seront comptés à qui en dénoncera ou en livrera les au- teurs. J'ai vu, à Philadelphie, !e gouverneur de Pensvlvanie et le maire de la ville rivaliser de pro- messes et en chéiir l'un sur l'autre. Un assassinat avait été commis dans une élection préparatoire; le maire et le gouverneur s'efforçaient de prou- ver, par l'élévation de leur offie, Fun^ que le parti de l'Opposition, auquel il appartenait, était innocent dsLi meurtre, l'autre, au contraire, que c'était ce. parti qui l'avait provoqué. Dans certains cas d'incendie et d'empoisonnement, la prime a été portée à 1,000 doll. Il faut dire qu'en Angle- terre, Londres excepté, et ici, il n'y a pas de police organisée comme chez nous; iliy est donc indis- pensable que les citoyens la fassent eux-mêmes. Ici, la règle est que tout se paie. Les musées LETTRE XX [V. 135 gratuits et les institutions gratuites de hraut ensei- gnement sont inconnus. On ne connaît pas da- vantage ces fonctions gratuites qui détournent un citoyen de ses affaires, et le mettraient, s'il voulait lidéLnnentles remplir, dans l'impossibilité de subvenir à l'entretien de sa famille. Les fonc- tions municipales des campagnes ne sont pas sala- riées, parce cpi'elles réclament peu de soins et de temps, et parce que l'bomme des campagnesa plus de moments disponibles que Fhabilant affairé des villes. Mais dans les villes, les fonctions publiques sont soldées dès qu'elles deviennent un peu ab- sorbantes. On fait graud usage aux États-Unis du salaire journalier, fort usité aussi en Angleterre. Les membres du Congrès sont payés à raison de 8 dollars par jour. Lorsqu'un comité d'enquête législative prolonge ses opérations au-delà de la session , le salaire est continué sur le même pied. Les législatures de tous les États sont rétribuées au jour. Les Commissaires des canaux, qui sont en général des hommes notables, c'est-à-dire riches, sont presque tous traités de même : on leur tient compte de leurs jours de service ; pour eux, c'est un simple remboursement de leurs frais. Ceux d'entre eux qui sont en permanence touchent ce- pendant un salaire annuel. D'autres fonctions se soldent par un prélèvement d'honoraires dans chaque affaire; c'est ainsi que se paieut en tota- lité au en partie les procureurs des États , les* 136 l'argeî^t. juges de paix, les aider men de certaines villes. Les officiers publics et fonctionnaires réguliè- rement occupés, tels que les gouverneurs des États et les maires des villes importantes , re- çoivent un traitement annuel. Les Commissaires des banques de l'État de New-York sont dans le même cas. Il est convenu ici que tout tra- vail doit être assimilé au travail industriel et payé de même. L'assimilation est parfaite entre la marchandise intellectuelle et la marchan- dise matérielle, entre le capital et le talent, les écus et la science. Cette habitude met tout le monde à Taise; elle facilite, abrège et sim- plifie les relations. L'on n'éprouve nul embarras pour demander un service, dès qu'on sait qu'on aura à le payer. Tout se règle d'ailleurs ronde- ment et sans difficulté, parce que, dans une so- ciété qui travaille bien et beaucoup, on a le moyen d'être large. Si l'on récompense par l'argent, on punit aussi par l'argent. On sait qu'en Angleterre un procès en adultère ruine le coupable au profit du mari offensé. Ici le même usage serait consacré si l'a- dultère n'était extrêmement rare. La loi améri- caine est très sobre de peines corporelles en fait de simples délits, mais elle multiplie l'amende. Sur la plupart des ponts de bois est écrite la défense de les traverser plus vite qu'au pas, sous peine d'une amende déterminée de 2 ; 3 ou LETTRE XXIV. 137 5 dollars (1). Lorsqu'un homme est prévenu ou même accusé d'un crime, faux, incendie ou meurtre, on s'assure, non de sa personne, mais de sa bourse; c'est-à-dire qu'au lieu de l'arrêter, on lui fait donner caution pour une somme lais- sée à la discrétion de l'autorité judiciaire. L'an- née dernière, à Nashville, pendant qu'une Con- vention refaisait la Constitution de l'Elat de Tennessee, un des membres de cette Assemblée, général de milices, comme il y en a des milliers dans les campagnes, homme d'une grande for- tune, et partant fort respectable^ se prit de querelle avec un journaliste de l'endroit, et le menaça de lui faire éprouver la justesse de sa ca- rabine. En effet, quelques jours après, il la lui déchargea dans le corps à bout portant, dans le bar-room d'une hôtellerie du lieu. La justice, sai- sie de l'affaire , se contenta de demander caution au général ; moyennant donc le dépôt de quelques milliers de dollars, il resta en pleine liberté, et continua de siéger dans la Convention (2) et (i) Les peines corporelles , aulrcs que la prison , sont fort employées dans les Él.ils du Sud à légard des esclaves. Elles consistent dans une certaine quantité de coups de fouet, dont le nombre est écrit à l'entrée des ponts, par exemple sur l'écrileau indiquant l'amende dont les blancs sont passibles. (2) J'apprends qu'il vient d'être contlamué à de modiques dommages-intérêts pour tout châtiment. La victime a survécu à Tassçissinat, 138 L ARGENT. cle participer à la rédaction de la Constitution de l'État. Tant de ménagements à l'égard d'un assas- sin, et ceux que je vois prodiguer à des incendiai- res et à des faussaires, rappellent les temps de barbarie où les crimes se rachetaient à prix d'ar- gent. Mais, d'un autre coté, n'est-il pas barbare de . sévir contre de simples délits ou contre des délits spéciaux comme ceux de la presse, par la brutale méthode de rincarcération ? L'arrestation préven- tive n'est-elle pas, dans beaucoup de cas, une rigueur odieuse et inutile? A une époque dont les mœurs douces repoussent tout ce qui sent la violence, et où le travail devient la loi com- mune , n'est-il pas plus humain et plus moral de punir celui qui enfreint les lois , par l'amende, c'est-à-dire par un prélèvement sur son travail passé ou futur? On conçoit, d'après ce qui pré- cède, c|ue l'emprisonnement pour dettes ré- pugne aux Américains. Une clameur générale s'est en effet soulevée contre cette peine. La plus grande partie des États l'ont supprimée; les au- tres ne tarderont pas à suivre (1). La sanction des lois , des règlements et des plus (i) On raconte qu'un chef indien visitait les prisons dt; Ualli- mor* , et s'informait avec curiosité tics causes de la délention de chaque prisonnier; quand il fut arrivé à la cellule d'un dé- tenu pour dettes cl qu'on lui eut expliqué que cet liomine était là jusqu'à l'acquittement de ce qu'il devait , il s'écria : « Muis où sont doue les caslois dont il puisse ramasser les fourrures ? » LETTRE XXIV. 139 simples ordonnances de police, est donc ici une sanction d'argent. Si un magistrat a suffisante raison de croire qu'un homme a des projets de désordre ou des idées de violence contre tel ou tel de ses concitoyens, au lieu de le faire arrêter préventivement, il l'oblige à fournir caution en argent de sa bonne conduite. C'est, au fond, Tu- sage anglais que nous avons dernièrement vu ap- pliqué par le Spea/œrâe la Chambre des Commu- nes, afin d'empêcher un duel entre lord Althorp et M. Shiel ; avec cette différence, cependant, que, pour obliger \e ministre whig et le membro, il landais à rester tranquilles (^Âeep thepeace), le Spea/îer\es a emprisonnés. En pareil cas, ici, l'on n'emprisonne qu'une somme d'argent. C'est par l'argent qu'on oblige aussi les Compagnies à observer les clauses de leurs chartes. C'est par l'argent que les magistrats eux mêmes sont rap-- pelés àla pratique de leur devoir. Pour remédiera l'excessif morcellement administratif des six Etats de la Nouvelle-Angleterre, c'est encore l'argent que l'on a fait intervenir. Dans cette partie de l'Union , l'entretien des routes est habituelle- ment à la charge des communes. On conçoit que, dans ce système , il suffirait d'une commune ré- fractaire pour gêner la circulation dans tout un État. Il a donc été stipulé par la loi que toute conunune serait pécuniairement responsable des accidents; qui ai'riveraient aux voyageurs sur son 1 40 L ARGENT. territoire; il n'est pas rare de lire dans les jour- naux que telle commune a été condamnée par les tribunaux à 500 ou 1,000 dollars de dommages- intérêts envers un voyageur qui a versé sur une de ses routes ou l'un de ses ponts. Tout récem- ment la ville de Lowell (Massachusetts) a eu à payer 6,000 dollars (32,000 fr.) à deux voya- geurs qui s'étaient ainsi cassé la jambe. Le juge a voulu que les plaignants fussent remboursés non seulement de leurs frais de maladie, mais aussi des bénéfices probables qu'ils eussent réali- sés par leur industrie pendant la durée de leur traitement. Chez nous, aujourd'hui encore, ce n'est point l'argent, c'est l'honneur que l'on met toujours en avant. Si l'on admet que la base des monar- chies soit l'honneur, et que l'on organise tout sur ce principe immatériel, rien de mieux! Quoique la raison ne soit pas dans l'absolu , et que tout ce qui est absolu soit éminemment imparfait et tran- sitoire, le principe absolu de l'honneur vaut sous tous les rapports, en logique, en morale, en pra- tique, le principe absolu de l'argent. Il s'harmo- nise beaucoup mieux avec notre généreuse nature française; mais il faudrait que l'honneur fut réel, que la considération fut incontestée. Il foudrait que le pouvoir, qui en est le distributeur, fût honoré et considéré lui-même. Si l'autorité suprême est vilipendée, honnie, LETTRE XXIV. J^j les fonctions publiques sont un titre, non au res- pect, mais à l'insulte. Si la défiance envers le pouvoir est admise en principe, si elle est consa- crée par les habitudes modernes de législation et d'administration, n'est-il pas vrai que vos pré- tendus salaires en considération sont dérisoires et que votre système repose sur un gros contre- sens? Ah! si la royauté trônait encore, toute- pu.ssante, dans la magnificence de Versailles parmi son armée de gardes étincelants d'or et d'acier, au milieu de la plus brillante cour dont l'histoire ait consacré le souvenir, entourée du prestige des arts empressés à l'adorer ; ou si le prince, sauveur de la patrie, mis sur le pavois par la victoire, datait encore ses décrets au monde du palais des rois ses vassaux, ou du Schœnbrunn des Césars terrassés ; s'il faisait et défaisait les rois comme aujourd'hui un ministre les sous-préfets • M, sur un mot de sa bouche, les vieux soldats' marchaient fièrement à la mort; si la terre s'incli- naît devant lui , s'il était l'oint du Seigneur, l'élu et 1 Idole du peuple ; ah! si vous aviez encore la mo- narchie de Louis XIV ou de Napoléon, vous seriez bien-venus à parier de considération etd'honneur ' Etre signalé par un geste royal, était alors une distinction éminente. La faveur du prince atti- rait alorsla confiance ou les hommages extérieurs des populations. Les préséances étaient dignes denvie du temps des pompes de Versailles, ou , ï 42 L ARGENT. lorsqu'aux Tuileries l'on était exposé à se perdre dans un embarras de rois. Que signifient-elles, qui peut s'en soucier aujourd'hui que la vie du prince a été noyée dans le prosaïsme universel ; aujourd'hui que les cérémonies publiques sont abolies; aujourd'hui qu'il n'y a plus de cour, plus de costumes? Les titres ont été profanés par l'impéritie et la sottise de ceux qui avaient à en soutenir l'éclat, ou ternis par le venin d'une ja- lousie bourgeoise. Vos cordons, vous avez été obligés de les semer sous les pieds des chevaux. Le système d'honneur est ruiné. Pour le relever solidement, il faudrait une révolution, non pas sur le patron de celle de juillet , mais luie im- mense révolution de la taille de celle qui a mis trois siècles à mûrir, depuis Luther jusqu'à Mi- rabeau, et qui, mûre enfin, a pendant cinquante ans bouleversé les deux mondes ; une révolution , au nom du principe d'autorité, pareille à celle que nos pères accomplirent au nom de la liberté. Parmi les mots attribués à ^I. de Talleyrand , on cite celui-ci : « Je ne connais pas un Améri- cain qui n'ait vendu son chien ou son cheval. » Il est certain que les Américains sont l'exagéra- tion des Anglais , que Napoléon appelait un peuple marchand. L'Américain est toujours en marché. Il en a toujours un qu'il vient d'enta- mer , un autre qu'il vient de conclure, et deux ou trois qu'il rumine. Tout ce qu'il a , tout ce LETTRE XXIV. 143 qu'il voit , est , dans son esprit , marchandise. La poésie des localités et des objets matériels, qui couvre d'un vernis religieux les lieux et les choses , et les protège contre le négoce , n'existe pas pour lui. Le clocher de son village ne lui est rien de plus qu'un autre clocher^ et, en fait de clocher , pour lui, le plus beau, c'est le plus neuf, le plus fraîchement peint en blanc et en vert. Pour lui une cascade , c'est de l'eau motrice qui attend sa roue hydrauhque, un water-power; un vieil édifice, c'est une carrière de matériaux, fer , pierres et briques , qu'il exploite sans re- mords. L'Yankée vendra la maison de son père , comme de vieux habits, vieux galons. Il est dans sa destination de pionnier de ne s'attacher à aucun lieu, à aucun édifice , à aucun objet, à aucune personne, excepté à sa femme, à qui il est indissolu- blement lié^ la nuit et le jour, depuis le moment du mariage jusqu'à ce que la mort l'en sépare. Au fond de tous les actes de l'Américain il y a donc de l'argent ; derrière chacune de ses pa- roles, de l'argent. Ce serait cependant se tromper que de croire qu'il ne sache pas s'imposer de sacrifices pécuniaires. Il a même l'habitude des souscriptions et des dons volontaires; il la pra- tique sans regrets, plus souvent que nous, et plus largement aussi ; mais sa munificence et ses largesses sont raisonnées et calculées. Ce n'est ni l'enthousiasme ni la passion qui délient les cor- 144 l'argent. dons de sa bourse; ce sont des motifs politiques ou de convenance; c'est le sens de l'utile, c'est la conscience de l'intérêt public qui implique, il le sent, son intérêt privé de simple citoyen. L'A- méricain admet donc volontiers des exceptions à sarèsle de conduite toute commerciale.il donne de l'argent, il se met en course ; il assiste à quel- ques séances de comité , il rédige à la volée un avis ou un rapport. Il se transporte même de sa personne, en grande hâte, à Washington, pour présenter au Président des résolutions , ou , à la cité voisine , pour assister à un banquet ou à une assemblée, d'où il s'empresse de revenir; mais il tient , dans ce cas , à ce que le caractère exceptionnel de ses démarches et de la cause qui les provoque soit très net. Il veut que l'intérêt pubHc soit bien positivement en jeu. Il tient surtout à ce que le sacrifice en soit un d'argent seulement, une fois pour toutes, et à ce que son temps soit respecté. A tout ce qui est affaires privées, à tout ce qui exige du temps , de l'assiduité, il applique le principe du négoce , rien pour rien. Il paie le travail privé d'autrui avec des dollars, et il entend que l'on en use de même avec lui , parce que les compliments lui semblent chose trop creuse pour être mis en balance avec un service positif, et que les dis- tinctions, telles que les préséances, sont incon- nues chez lui j incompréhensibles pour lui. C'est LETTRE XXIV. 145 à ses yeux un principe fondamental que tout travail doit porter son fruit. L'idée de salaire et celle de fonction sont si intimement liées dans son esprit , que l'on voit dans tous les almanachs américains le chiffre des appointements à côté du nom du fonctionnaire. Il pense que l'on ne vit pas de pain sec et de gloire. Il songe au bien- être de sa femme et de ses enfants, ^à celui de ses vieux jours à lui-même, et, si on lui disait qu'il y a des pays où il est permis d'en faire abs- traction pour plaire à son voisin ou pour mé- riter les politesses des magistrats, le fait lui pa- raîtrait grotesque. En France nos mœurs sont celles d'une société de désœuvrés, dont les instants n'ont aucun prix, et où l'on ne peut faire un meilleur usage de son temps que d'obliger son prochain. A part les pré- jugés d'un libéralisme étroit, dont nous sommes dominés, mais qui ne peuvent empêcher notre nature de percer, les attentions d'un supérieur nous transportent ; les distinctions nous enivrent. Il y a vingt ans, les Français exposaient leur vie pour un bout de ruban. Tels nous avons été, tels nous continuerons d'être. Nous ne serons jamais faits à l'Américaine ; je suppose même que le temps n'est pas loin où les Américains se transformeront jusqu'à un certain point dans notre sens ; mais ne pourrions-nous, ne devrions-nous pas modifier II. 10 146 l'argent. aussi nos idées jusqu'à un certain point d'après leur expérience ? Notre système de fonctions gratuites suppose que la France possède un nombre assez considé- rable de gens à grande fortune et à éducation large , pour laisser une certaine latitude au gou- vernement ou aux corps électoraux dans leurs choix. Cela n'est point. La France est un pays pauvre. L'accroissement des richesses dans quel- ques centres commerciaux, épars çà et là sur le globe , et dans presque toute l'Angleterre , et le raffinement de la civilisation qui en a été la con- séquence, ont singulièrement étendu le cercle des objets de première nécessité pour toutes les classes. Vous êtes gêné aujourd'hui avec le re- venu qui vous faisait opulent il y a cent ans , et riche il y en a trente. Transportez donc ma- dame de Sévigné, avec ses dix mille livres de ren- tes, au milieu des bals d'Almack , ou même dans nos salons parisiens ! La classe la mieux pourvue, dans les trois quarts de la France, en est cependant aux dix mille livres de madame de Sévigné. Je ne dis pas où en est la multitude qui s'agite autour de cette aristocratie ; l'idée seule de tant de misère fait frémir. Abstraction faite de Paris et de quatre à cinq métropoles, les riches sont en si petit nombre en France qu'on pourrait les compter. Ils ne forment pas classe. En fait de classes répandues sur tout le territoire, nous LETTRE XXIV. 147 n'en avons aucune qui s'élève au-clessus de la médiocrité, de l'aisance. Parmi les gens aisés ^ il est vrai que les hommes de loisir abondent, et il semble que le gouvernement n'aurait entre eux que l'embarras du choix. Malheureusement, ces hommes de loisir, par cela seul qni\ sont et ont toujours été de loisir, qu'ils ont été élevés dans des idées et dans une atmosphère de loisir , sont hors d'état d'administrer et de réglementer les intérêts devenus dominants aujourd'hui, ceux de Tindustrie et du travail. L'éducation littéraire est commune parmi eux; mais l'éducation lar- gement entendue y est extrêmement rare. Les hommes de cette classe ont très peu vu; ils savent Rome et la Grèce, ils ignorent l'Europe actuelle et , à plus forte raison , le Monde actuel ; ils sont étrangers aux faits présents et positifs de la France elle-même. On concevrait les avocats du système des fonctions gratuites^ s'ils étaient partisans de l'a- ristocratie, s'ils tenaient à écarter de l'adminis- tration du pays les hommes de talent pauvres , et à confisquer toute l'influence au profit des riches : mais au contraire , ce sont des apôtres du libéralisme , des défenseurs de l'égalité. Amis sincères du pauvre, j'en suis persuadé, ils se sont mis en tête que le meilleur procédé d'amélio- ration populaire consistait dans la réduction des dépenses publiques; pour eux, toute réduo- 1 48 l'argent. tion cl-àppointements est une victoire ; toute suppression une glorieuse conquête. C'est ainsi qu'ils ont été tout fiers , lors de la discussion de la loi municipale ; d'y faire insérer un article por- tant que les maires ne pourraient rien recevoir des communes , à quelque titre que ce fût. Les villes principales étaient dans l'usage d'allouer à leurs maires des indemnités poar frais de représenta- tion et autres objets. C'était juste, non seulement parce que dans les grandes villes les fonctions de maire sont difficiles à remplir^ absorbent toute l'activité d'un homme et ne lui laissent pas le temps de vaquer à ses affaires, mais aussi parce qu'en fait ces fonctions obligent les titulaires à mille dépenses, dont nos économiseurs parlemen- taires , dans leur empyrée métaphysique , ne se doutent nullement. Cet amendement était déplo- rable le lendemain d'une révolution qui s'était accomplie malgré ce qui reste en France de grande propriété , et qui , par conséquent , écartait nécessairement des emplois publics la plupart des riches; il l'était, dans un temps de crises terri- bles où les fonctions municipales, dans nos gran- des cités , telles que Lyon , Marseille , Rouen , Bordeaux , exigeaient à tout prix des hommes de tête et de cœur. Nos rogneurs de budget l'ont emporté cependant, et, si l'on ne trouve plus personne (1) dans nos villes pour se charger des (i) Voir la Note 20 à la fin du Volume. LETTRE XXIV. 149 fonctions'municipales, si les préfets sont obligés de les colporter pour les offrir à tout venant y c'est à eux que la responsabilité en revient pour la meilleure part. Les traitements élevés répugnent à la démo- cratie parce qu'elle ne les conçoit pas. L'ouvrier, qui gagne 500 dollars, se croit généreux envers un fonctionnaire à qui il en octroie 1,500 ou 2,000; tout comme nos bourgeois à 10,000 fr. de rentes ne comprennent pas qu'à Paris un fonctionnaire, qui reçoit 12,000 ou 15,000 fr., ne soit pas satisfait. Les Américains s'étaient per- suadés qu'il pourrait chez eux, comme ailleurs, y avoir deux monnaies, l'argent et la considération publique. Sur l'autorité de Franklin , ils avaient supposé qu il leur serait facile de trouver des fonctionnaires capables, en leur offrant, pour principal salaire, l'honneur. Ils se sont trompés. Chez eux, les fonctions publiques ne sont point un titre au respect; tout au contraire (1). Comme elles ne sont rétribuées ni en considération, ni en écus, ce n'est plus qu'un pis-aller. A l'excep- tion d'un très petit nombre de places que l'appât du pouvoir fait rechercher encore, malgré les déboires dont il faut acheter le plaisir de com- mander et d'avoir des inférieurs , elles ne sont courues que par la portion flottante de la popu- (i) Voir tome i, lettre xix, pages 325-26. 150 l'argent. lation , qui n'a pu prospérer dans l'industrie et qui se meut de carrière en carrière. Ce n'est même pas, à proprement parler, une profession; c'est un emploi provisoire pour les gens déclassés. Dès que Ton a trouvé mieux dans le commerce et les entreprises, on remercie l'Etat. L'école de Westpoint fournit tous les ans à l'armée une qua- rantaine de lieutenants; un tiers environ donnent leur démission avant deux ou trois ans de ser- vices, parce que la solde des officiers, quoique plus considérable que chez nous, est encore fort modique, relativement aux bénéfices d'un négo- ciant ou d'un ingénieur. Les fonctions publiques, en général, sont plus aisées à remplir aux États-Unis qu'en France.Toute question à résoudre embrasse une plus grande complication d'intérêts chez nous que chez eux, et exige plus de connaissances. Les attributions du gouvernement sont , en France y bien autrement étendues et variées. L'employé, chez nous, est astreint à apporter à son travail plus de soin que^ l'on n'en exige ici. La moyenne des salaires améri- cains est cependant bien supérieure à la notre. Quand le Congrès et les Etats particuliers auront besoin d'hommes capables pour fonctionnaires , ils feront comme les négociants américains à l'é- gard de leurs commis , ils les paieront. Le Con- grès a eu récemment l'occasion de sentir qu'il lui fallait de bons officiers de marine, et il LETTRE XXIV. 151 vient d'augmenter les appointements de ce corps (1). On peut même dire que les fonction- naires, qu'ils traitent avec une excessive lési- nerie, sont en petit nombre (2). Au ministère des finances , à Washington , sur cent cinquante- huit employés , il n'y en a que six qui touchent moins de mille dollars (5,333 fr.); il est vrai qu'il n'y en a que deux qui en aient plus de deux mille (10,666 fr.); c'est la doctrine de l'égahté ap- pliquée aux traitements. Comme les subsistances usuelles, c'est-à-dire le pain, la viande, les salai- sons, le café, le thé, le sucre et le chauffage, sont généralement à plus bas prix aux États-Unis qu'en France, et surtout qu'à Paris, un traite- ment de 1,500 à 2,000 dollars suffit, dans la plupart des cas, à entretenir une famille dans l'abondance et le comfort. L'employé qui, à Paris, reçoit 2,500 à 3,000 fr., vit de la plus stricte économie s'il est célibataire , et de privations s'il est marié. A Washington ou à Philadelphie, il aurait 6,000 fr. et vivrait dans une aisance sans éclat à coup sûr, sans aucun luxe extérieur, mais fort ample. Il n'y serait pas , comme il l'est chez (i) Voir la Note 2i à la fin du Volume. (2) Ce sont , dans la plupart des États , les gouverneurs , et par-dessus tout, les ministi*es du gouvernement fédéral. Ces derniers ne reçoivent que 6,000 doll. (52, 000 fr.) , sans loge- ment ni autres accessoires ; et ils sont astreints par l'usage à une certaine représentation. (Voir la Note 22 à la firt du Volume, ) 152 l'akgejvt. nous, au supplice de Tantale; car l'existence fastueuse des privilégiés des capitales européennes est inconnue aux États - Unis. A Paris , l'em- ployé est éclaboussé par l'équipage d'un homme qui dépense 100,000 fr. ; à Philadelphie , il cou- doierait sur le trottoir un opulent capitaliste, qui n'a pas de voiture, parce qu'il n'en saurait que faire, et qui, avec un revenu de 30,000 ou 60,000 dollars, n'en peut dépenser que 8 à 10,000 au plus. Le rapport des existences , qui est à Paris de un à quarante, n'est plus ici que d'un à huit. Ici, l'existence du négociant le plus riche, celle de l'employé et celle de l'ouvrier ou du fermier, sont parfaitement comparables. C'est pour tous le même cadre, pour tous les mêmes habi- tudes. Tous ont des maisons semblables et sur le même plan. Il n'y a de différence qu'en ce que l'ime aura cinq à six pieds de plus de façade et un étage en sus; mais la distribution et le sys- tème d'ameublement sont identiques. Tous ont des tapis de la cave au grenier; tous dorment dans un grand lit à colonnes du même modèle , au milieu d'une chambre sans cabinets , sans al- côve , sans double porte et aux parois nues ; seu- lement les tapis de l'un sont grossiers , ceux de l'autre sont du plus beau tissu , et le lit du riche est en acajou, tandis que celui du Mechanic est en noyer. D'ordinaire la table de tous est servie de même; c'est le même nombre de repas; ce sont LETTRE XXIV. 153 à peu près les mêmes plats. C'est au point que , si mon palais français avait dû prononcer entre le dîner d'un hôtel de grande ville (à l'exception de Boston, New-York, Philadelphie et Baltimore), et celui de certaine taverne d'ouvriers, dans la campagne, où j'avais pour voisin le maréchal fer- rant du lieu, les bras retroussés et le visage noir, je crois, en vérité, qu'il se fût prononcé pour le second. Voilà spécialement pour le Nord (1) et avant tout pour la Nouvelle- Angleterre , patrie de r Yankee. Dans le Sud , l'existence du planteur sur ses domaines s'élargit de tout ce qui est re- tranché au commun des hommes, qui est esclave. Au Nord, cependant, depuis quelques années, le commerce ^ qui a entassé les hommes dans les vill(3s, a aggloméré aussi les capitaux et créé de grandes fortunes. L'inégalité des conditions com- mence à s'y faire sentir; le style des nouvelles mai- sons de Chesjiut-Street , à Philadelphie, avec leur premier étage en marbre blanc, est une atteinte à l'égalité. La même innovation se manifeste à New-York. La tendance anti-démocratique du commerce perce au grand jour. Il m'arrive souvent ici de me sentir humilié de ce que j'entends rapporter du misérable esprit qui anime une portion de notre commerce et qui nous déconsidère parmi les peuples les mieux disposés à nous estimer et à nous aimer, comme (0 Voir la Note aS à la fin du Volume. 154 l'argent. ceux de l'Amérique du Sud. Je m'en console toujours par cette réflexion que, si au dehors nous donnons quelquefois lieu de croire que nous sommes une nation sans foi ni loi, les preuves abondent au dedans que nul peuple n'est plus riche en désintéressement et en vertu. Dans quel pays du monde y eut-il jamais des magistrats plus purs ? Même , en ce siècle de dé- fiance universelle, le soupçon n'a pas osé s'at- taquer à eux. Avec quelle impartialité la justice n'est-elle pas rendue chez nous par des juges à 1,200 fr. d'émoluments, avec des présidents à 1,800 francs, et par des conseillers à 3,000 francs. Si de la magistrature nous passons à l'armée, nous trouvons des officiers qui n'ont de l'or et de l'argent que sur leurs épaulettes, et qui restent imperturbablement honnêtes et dévoués ; je ne dis rien de leur courage, le INIonde entier sait qu'en penser. Voyez encore notre marine qui, dans tous les ports étrangers, rétablit l'honneur de notre pavillon, non par les fêtes somptueuses qu'elle donne , mais par sa tenue et sa discipline , en attendant qu'elle ait l'occasion de réaliser les espérances de Navarin; et nos ingénieurs civils et militaires , par les mains de qui passent des sommes énormes , et qui se contentent de leur modeste pitance, sans avoir même le mérite de résister à la tentation^ car ils ne la conçoivent pas; et) même dans les administrations civiles, cette LETTRE XXIV. 155 foule d'employés modestes qui n'ont pas^ comme d'autres, les charmes économiques de l'étude pour adoucir leur pauvreté , ou les impressions profondes d'une grande éducation pour leur faire dédaigner l'appât des transactions véreuses, et dont cependant la probité ne trébuche pas. Tous rament avec conscience à travers une so- ciété dont le luxe et les séductions vont tou- jours croissant, sans jamais se laisser dériver contre 1 ecueil de la corruption. C'est là une des gloires de la France, gloire dont elle n'est pas assez fière. La question est de savoir pourtant, non si cela est honorable, mais si cela peut durer, s'il ne se prépare pas des événements, s'il ne se développe pas au sein de la société de nouveaux usages et des idées nouvelles, qui, d'ici à peu de temps, rendront cet état de choses impraticable. La grande révolution, qui est en train depuis trois cents ans et qui a changé la foi religieuse d'une partie du monde, a saisi enfin, par la po- litique et la philosophie, la France, qui lui avait échappé du temps de Luther et de Calvin. La réforme, s'étendant de plus en plus, a envahi l'aspect matériel de la société. Le travail sous toutes les formes, fécondé par la révolution intellectuelle, va enfin porter, en abondance et pour tous , les fruits qu'il ne donnait autre- fois qu'en petit nombre et pour une imperceptible 156 l'argent. minorité. Le cercle de la richesse va s'élargir au décuple, celui de l'aisancs au csntuple. Il suffil; d'ouvrir les yeux pour voir venir des quatre points cardinaux un nouvel ordre de choses , où l'agriculture , les manufactures et le commerce , infiniment plus actifs et mieux combinés que ne pouvaient le supposer nos pères, seront aussi infiniment plus productifs, et où une répartition plus équitable des produits appellera Fuiimense majorité, sinon la totalité du genre humain , aux joies de la consommation. Mais cette révolution industrielle et matérielle ne réagira-t-elle pas sur la morale? Le jour où il sera possible à tous de s'élever par le travail à la richesse ou à l'aisance, l'abstinence et la pauvreté resteront-elles de si hautes vertus, si essentielles à montrer au monde? Pourra-t-on continuer d'en faire, aux serviteurs de l'Etat, une loi perma- nente? Sera-ce raisonnable ? sera-ce possible? Les fonctionnaires ne forment pas un ordre de moines, vivant solitairement, détachés désintérêts et des affections de cette terre-, ce sont des hommes du monde, à goûts mondains. Us ont une femme et des enfants, pour qui ils veulent du bien-être, et ils ont droit à l'obtenir tout aussi bien que le négociant, le banquier, le notaire, le maître de forges , le médecin, l'avocat, le peintre, le com- positeur , ou le vaudevilliste. La France, je le répète^ est un pays pauvre. LETTRE XXIV. 157 Excepté dans nos grandes villes et dans quelques départements du Nord, où la richesse publique s'est développée , et où le luxe et la consommation ont suivi la même loi ascendante, la situation de la plupart des fonctionnaires publics est encore tolérable. Avec leurs appointements de 1,500 fr. 2,000 fr., 3,000 fr., ils sont, dans beaucoup depro- vinces , au niveau de tout le monde. Ils ne s'aper- çoivent de leur pénurie que lorsqu'ils sortent de leur milieu habituel, et surtout lorsque, mettant le nez hors du territoire, ils se trouvent en contact avec la race anglaise. Mais quand l'on aura dé- veloppé, en France, les intérêts matériels; quand, parla constitution du crédit pubhc et privé, par l'établissement des voies de communications nouvelles , par la réforme de l'éducation ^ on aura dirigé les esprits vers l'industrie agricole, commerciale et manufacturière; quand Ton aura multiplié les sources de la richesse , et qu'un grand nombre sera admis à y puiser, de quel droit et sous quel prétexte alors imposerait-on aux fonctionnaires, pour euxet pour les leurs, une exi- stence de sacrifices? Tel qui, aujourd'hui, se ré- signe à une vie gênée , voudra alors de l'aisance et du comfort. Il faudra alors, ou convenablement rétribuer les fonctionnaires, ou se contenter, dans les services publics , du rebut de toutes les pro- fessions. L'élite de la jeunesse française se dis- pute encore les places modiques d'ingénieurs 1 58 L*ARGENT. civils OU militaires de l'État, et fait huit ans de noviciat dans les collèges , l'École Polytechnique et les écoles d'application , pour atteindre le grade de lieutenant d'artillerie ou du génie , ou celui d'aspirant -ingénieur des ponts-et-chaus- sées ou des mines , avec des appointements de 1,500 à 1,800 francs, et la perspective de 6,000 à 8,000 francs, après vingt-cinq ans de labeurs. Que demain l'industrie prenne un rapide essor , et les plus capables de ces jeunes gens déser- teront le service de l'État , une fois leur éduca- tion terminée , comme ici les meilleurs élèves de Westpoint. Ils embrasseront la carrière indus- trielle , à moins que l'État ne se décide à les trai- ter mieux pour les retenir près de lui. Ces idées de parcimonie sont nées chez nous au sein d'une réaction contre le principe d'autorité, réaction qu'avaient légitimée les fautes des dépo- sitaires du pouvoir. Puisque ceux-ci affectaient de croire que les peuples avaient été créés tout exprès pour leur fournir la matière gouver- nable et taillable, le public a eu raison de les trai- ter à son tour comme des excroissances parasi- tes. Tout ce qu'il leur retranchait était autant de pris sur l'ennemi. La condition actuelle des fonctionnaires, sous le rapport matériel comme sous le rapport moral , est donc l'un des effets d'une crise révolutionnaire qui, je le crois, touche à son terme. Lorsque la société aura re- LETTRE XXIV. 159 pris sa marche régulière, lorsque les gouvernants auront prouvé qu'ils sont dignes d'être à, la tête des peuples , les gouvernés leur rendront leur confiance , et mettront fin à leurs actes de re- présailles. On pourrait croire que chez un peuple profon- dément absorbé dans les intérêts matériels, tel que celui-ci, les avares doivent abonder. Il n'en est rien. Il n'y a jamais de lésinerie chez l'homme du Sud; il y en a quelquefois encore chezl'Yankée; mais nulle part, au Midi ou au Nord, on ne rencontre cette sordide avarice dont les exem- ples sont fréquents en Europe. L'Américain a une idée trop élevée de la dignité humaine pour consentir à se priver, lui et les siens, de ce comfort qui adoucit les frottements de la vie intérieure. Il respecte trop sa personne pour ne pas l'entourer d'un certain culte. Har- pagon est un type qui n'existe pas aux Etats- Unis, et cependant Harpagon n'est pas à beau- coup près l'avare le plus misérablement crasseux qu'offre la société européenne. L'Américain est dévoré de la passion de la richesse^ non parce qu'il trouve du plaisir à entasser des trésors, mais parce que la richesse est de la puissance , parce que c'est le levier avec lequel on maîtrise la nature. Je dois aussi faire amende honorable aux Amé- ricains sur un point essentiel. J'ai dit que toute 160 L^ARGENf. affaire était pour eux une affaire d'argent ; or, il y a une sorte d'affaire qui, pour nous , peuple à affections vives ^ peuple aimant, peuple géné- reux, a principalement ce caractère mercan- tile , et qui ne l'a point du tout pour eux ; c'est le mariage. Nous achetons notre femme avec notre fortune, ou nous nous vendons à elle pour sa dot. L'Américain la choisit ou plutôt s'offre à elle pour sa beauté, son intel- ligence et ses qualités de cœur : c'est la seule dot qu'il recherche. Ainsi, pendant que nous fai- sons matière à trafic de ce qu'il y a de plus sacré , ces marchands affectent une déHcatesse et une élévation de sentiments qui eussent fait hon- neur aux plus parfaits modèles de la chevalerie. C'est au travail qu'ils doivent cette supériorité. Nos bourgeois de loisir ne pouvant augmenter leur patrimoine , sont obligés , au moment où ils prennent femme, de supputer sa dot, afin de savoir si son revenu joint au leur suffira aux dé- penses du ménage. L'Américain , ayant le goût et l'habitude du travail, est assuré de subvenir amplement , par son industrie, aux besoins de sa famille, et se trouve dispensé de ce triste calcuL Est-il possible de douter qu'une race d'hommes qui réunit ainsi à un haut degré les qualités les plus contradictoires en apparence^ soit réservée à de grandes destinées? XXV* LES SPÉCULATIONS. ■ Johnstowû (Pensylvanie) , 4 août i835. L'aspect que présentent en ce moment les Etats-Unis est éminemment propre à rassurer les amis de la paix sur la possibilité d'une rup- ture entre ce pays et la France. Aujourd'hui les Américains de tous les partis agissent dans leurs affaires privées comme des gens bien convaincus qu'aucun malentendu ne viendra jeter la pertur- bation dans le commerce. Celui qui eût débar- qué à New-York, à Boston ou à Philadelphie, le jour oùl'on y annonçal'effet produiten France par le message du général Jackson , et qui aurait fait l'Épiménide jusqu'à présent , ne reconnaîtrait plus l'Amérique. A l'inquiétude a succédé la confiance la plus illimitée. Tout le monde spécule et l'on spécule sur tout. Les plus audacieuses entre- il. Il 162 LES SPÉCULATIONS. prises n'effraient pas; toutes trouvent des sous- cripteurs. Du Maine à la Rivière -Rouge, les Etats-Unis sont devenus une immense rue Quin- campoix. Jusqu'à présent tout le monde est en bénéfice, ainsi qu'il arrive toujours tant que la spéculation est ascendante. Comme à argent fa- cilement gagné personne ne regarde, la consom- mation est énorme , et Lyon s'en ressent. Je dis que l'on spécule sur tout; je me trompe. L'Américain, essentiellement positif, ne spécu- lera jamais sur les tulipes, même à New- York, quoique les habitants de cette ville aient du sang hollandais dans les veines. Les objets principaux de spéculation sont les mêmes qui occupent ordi- nairement l'esprit calculateur des Américains, c'est-à-dire les cotons, les terrains de ville et de campagne, les banques, les chemins de fer. Les amateurs de terrains se disputent, à l'ex- trémité nord, les forets de pins riches en bois de construction (1), à l'extrémité sud, les marécages du Mississipi , les terres à coton de l'Alabama et de la Rivière-Rouge, et, bien loin à l'ouest, les terres à blé et les pâturages de l'Illinois et du Michigan. Les développements inouïs de quelques (i) Pour doaner une idée de l'aveugle fureur des spécula- tions sur les terrains boisés du Maine , un plaisant a prétendu que les pauvres de la ville de Bangor s'étant échappés un mo- ment de l'hôpital, avaient réalisé chacun un bénéfice de 1800 dollars avant qu'on eût pu les rejoindre. LETTRE XXV. J63 Villes neuves ont tourné les têtes, et l'on se rue sur les localités avantageusement situées, comme si, avant dix ans, trois ou quatre Londres autant de Paris, et une douzaine de Liverpool devaient étaler sur le territoire américain leurs rues, leurs monuments, leurs quais encombrés de magasms, leurs ports hérissés de mâts. A New-York on a vendu des lots (1) pour une po- pi. ation de deux millions d'habitants, à la Nou- velle-Orléans pour un million au moins. On a distribué, en emplacement de maisons, des ma- rais pestilentiels, des rochers à pic. En Loui- siane les terrains mouvants, repaires sans fond des alligators , les lacs et les cyprières de la Nou- velle-Orléans , qui ont dix pieds d'eau ou de vase, et ICI le lit de l'Hudson qui en a vingt, trente cinquante, ont trouvé de nombreux acheteurs. Prenez la carte des États-Unis, placez-vous au lac Ene,qui, il y a vingt ans, était une solitude: remontez-le jusqu'à sa pointe occidentale; de là passez au lac Saint-Clair; du lac Saint-Clair pous- sez au nord, traversez le lac Huron; allez en- core , entrez dans le lac Michigan , et avancez au sud jusquà ce que l'eau vous manque • vous trouverez une petite ville appelée Chicago, un des postes que nos Français avaient établis lors Un î!t!T "' T '7° '"''""' '"' -Pl--en.s de maisons. Î64 LES SPÉCULATIONS. de leurs infatigables excursions au nord de l'A- mérique. Chicago paraît appelé à posséder un jour un commerce étendu; il sera à la téta d'un canal qui liera le Mississipi aux lacs et au Saint- Laurent; mais aujourd'hui, Chicago a deux ou trois mille habitants à peine. Chicago a derrière lui des terres d'une admirable fertilité ; mais ces terres sont encore incultes. Néanmoins le ter- rain à dix lieues à la ronde s'est vendu , revendu et vendu encore par petits lambeaux, non pas à Chicago , mais à New- York, qui, par la route ac- tuelle , en est à huit cents lieues. Il y a dans le commerce, à New- York, des morceaux de pa- pier qui figurent des lots de ville à Chicago pour trois cent mille habitants. C'est plus que n'en compte aujourd'hui aucune ville du Nouveau- Monde. Il est probable que plus d'un acquéreur de ces chiffons s'estimera heureux si , quand il ira examiner son acquisition , il ne la trouve recou- verte que de six pieds d'eau du lac. Les spéculations sur les chemins de fer ne le cèdent guère à celles des terrains. L'Américain a une passion pour les chemins de fer; il les aime, ainsi que le disait Camille Desmoulins de lui- même par rapport à Mirabeau , comme un amant aime sa maîtresse. Ce n'est pas seulement parce que le suprême bonheur consiste, pour l'Améri- cain , dans cette précipitation qui dévore le temps «et annule l'espace; c'est aussi parce qu'il sent, LETTRE XXV. 16S lui qui raisonne toujours, que ce mode de com- munication est parfaitement adapté à l'immen- sité de son territoire, à son littoral aplati, et à la configuration peu accidentée de la grande vallée du Mississipi, et parce qu'il trouve dans ses forets primitives une profusion de matériaux , qui lui permet de les exécuter à bon marché. On multiplie donc les chemins de fer en con- currence des fleuves et des canaux , en oppo- sition les uns aux autres. Si les travaux aujour- d'hui en construction s'achèvent (et je crois qu'ils s'achèveront), il y aura, dans deuxans, trois routes distinctes dé Baltimore à Philadelphie, sans comp- ter l'ancien grand chemin , savoir deux par che- mins de fer exclusivement , la troisième par ba- teau à vapeur et chemin de fer. Celle des trois qui gagnera une demi-heure sur ses rivales sera à peu près sûre de les ruiner. Le mode de création des banques, univer- sellement adopté ici (c'est le même pour toutes les entreprises d'utiUté publique lorsqu'elles sont livrées à l'industrie particulière), consiste dans l'autorisation donnée par la législature d'ou- vrir des livres de souscription dans un lieu pu- bUc, où tous ont la faculté de venir s'inscrire moyennant un versement préalable de cinq, dix ou vingt pour cent. Le jour de l'ouverture des livres est une solennité. Chez nous, on fait queue à la porte des théâtres; aux États-Unis, 166 LES SPÉCULATIONS. cette année, on faisait queue, avec une anxiété profonde , à la porte des sanctuaires où les livres de souscriptions aux banques étaient déposés. A Baltimore, les registres ont été ouverts pour la création d'unebanque nouvelle (merc/iû^/z^^ ' hank\ au capital de deux millions (on compte ici par mil- lions de dollars); la souscription s'est élevée à près de cinquante. A Charleston , pour le même capital de deux millions, la souscription a été de quatre-vingt-dix; et comme, à Charleston, le versement préalable exigé par la loi était, cette fois , de vingt-cinq pour cent, l'à-compte versé en monnaie courante, monnaie de papier, il est vrai, mais qui vaut le pair, a fait la somme de vingt-deux millions de dollars (environ cent dix-huit millions de francs), ou onze fois le capi- tal requis. Cette rage pour les actions de banque s'explique aisément. La plupart des banques ici sont des établissements irresponsables de fait, qui ont le privilège de battre monnaie avec du papier. Les actionnaires des banques touchent des intérêts de huit, neuf, dix et douze pour cent (1) sur des capitaux que, par des combinai- sons ingénieuses, ils peuvent se dispenser de (i) Il y a des compagnies financières qui distribuent des di- videndes sur le pied de 20 p. 100. Tel a été le cas , il y a quel- ques jours, pour V Atlantic Insurance Company de New-York. Les banques proprement dites n'atteignent jamais ce chiffre, (Voir tome i, page 58. ) LETTRE XXV. 167 posséder, et cela dans un pays où sont cotés à 110 et 115 les 5 pour 100 de Pensylvanie ou de New- York et les 6 de l'Ohio. Les 6 pour cent de l'Etat d'Ohio! qu'en penseraient, s'ils re- venaient au jonr^ les héros du fort Duquesne La plupart de ces spéculations sont impru- dentes, plusieurs sont folles. La hausse d'aujour- d'hui peut et doit être suivie d'une crise demain . De grandes fortunes et en grand nombre sont sorties de terre depuis le printemps; d'autres y rentreront peut-être avant la chute des feuilles. L'Américain ne s'en inquiète pas. Pour chatouiller sa fibre robuste, il lui faut des sensations vio- lentes. L'opinion publique et la chaire inter- disent à son organisation vigoureuse les satisfac- tions sensuelles, le vin , les femmes, le déploie- ment d'un luxe princier; les cartes et les dés lui sont défendus; l'Américain demande donc aux affaires les émotions fortes dont il a be- soin pour se sentir vivre. Il s'aventure avec délices sur la mer mouvante des spéculations. Un jour^ la vague le pousse jusqu'aux nues; il savoure à la hâte cet instant de triomphe. Le lendemain il disparaît entre les crêtes de la lame; il ne s'en trouble pas; il attend avec flegme, et se console dans l'espoir d'un meil- leur avenir. Et d'ailleurs, pendant qu'on spé- cule, que les uns s'enrichissent et que les autres se ruinent , les banques naissent et distri^ 168 LES SPÉCULATIONS. buent le crédit, les chemins de fer elles canaux se déroulent, les bateaux à vapeur se lancent de leurs chantiers sur les fleuves, sur les lacs, sur l'Océan; la carrière va toujours s'élargissant pour les spéculateurs, pour les chemins de fer, les canaux, les bateaux à vapeur et les ban- ques. Quelques individus perdent, mais le pays gagne; le pays se peuple, se défriche, se déve- loppe, le pays marche. Go aheacll (1) Si le mouvement et la rapide succession des sensations et des idées constituent la vie, ici l'on vit au centuple; tout est circulation, tout est mo- bilité et agitation frémissante. Aux expériences succèdent les expériences; aux entreprises, les entreprises. La richesse et la pauvreté se suivent à la piste et se délogent tour à tour. Pendant que les grands hommes du jour détrônent ceux de la veille, ils sont déjà à demi renversés par les grands hommes du lendemain. Les fortunes durent une saison; les réputations, la durée d'un éclair. Un irrésistible courant entraîne tout, broie tout, et remet tout sous des formes nouvelles. Les hommes changent de maison , de climat , de mé- tier, de condition, de parti, de secte (2); les (i) En avant, marche! Cette locution a été mise à la mode par le colonel Grockett, rude personnage de l'Ouest, qui est membre du Congrès. Le fils d'un de ses voisins lui ayant écrit pour lui demander l'autorisation d'épouser sa fille, on assure que Grockett lui envoya cette réponse laconique : Go aliead! (2) On change ici de religion pour beaucoup de motifs di- LETTRE XXV. Ï69 États changent de lois, de magistrats , de consti- tution. Le sol lui-même, ou tout au moins les édifices, participent à l'instabilité universelle (1). L'existence d'un ordre social au sein de ce tour- billon semble un prodige, une anomalie inex- plicable. On dirait que formée d'éléments hété- rogènes que le hasard a juxtaposés, et dont chacun suit un orbite que modifient seulement son caprice et son intérêt, cette société, après s'être élevée un instant jusqu'au ciel comme une Tcrs, Il n'est pas rare de voir des Américains, devenus riches , changer de secte, et embrasser, par exemple , celle de l'épisco- palisme anglican , qui est réputée la plus fashlonable de toutes. Au reste, le passage d'une secte à l'autre ne peut être, aux États- Unis , un acte aussi grave qu'on est porté à le supposer dans les pays catholiques. Toutes les sectes protestantes diffèrent peu les unes des autres, moins assurément qu'un janséniste d'un moliniste, qu'un jésuite d'un gallican. Il faut pourtant ex- cepter l'anglicanisme , qui a un caractère propre, une disci- pline et une liturgie à part, ainsi q-::e les deux sectes peu nom- breuses des unitairicns , qui nient la divinité du Christ, et des universalistes , qui ne croient pas à la réprobation. (i) Les maisons américaines sont en général peu élevées et très légèrement construites. Leurs murailles n'ont qu'une épais- seur et demie de brique, quelquefois une seulement; ainsi, quand l'alignement des rues change , ce qui a fréquemment lieu à New-York , par exemple , on les avance ou on les recule Baus inconvénient ; souvent même on les exhausse. Dans la campagne, il y a beaucoup de maisons en bois. Celles-ci .se transportent sur des roues à des distances assez considérables. Je me suis trouvé arrêté, étant en diligence, entre Troy et Albany, par une maison de plus de quarante pieds de façade qui voya- geait ainsi. 170 LES SPÉCULATIONS. trombe, doit inévitablement retomber à plat , réduite en poudre; telle ne sera pourtant pas sa destinée. Au milieu de ce système mobile, il y a un point fixe; c'est le foyer domestique, ou, pour parler plus clairement, le lit conjugal. Une sentinelle austère, âpre quelquefois jusqu'au fanatisme^ écarte de ce point sacré tout ce qui pourrait en troubler la fixité; c'est le sentiment religieux. Tant que le point fixe jouira de son inviolabilité, tant que la garde qui y veille per- sistera dans sa rigoureuse vigilance^ le système pourra, sans danger sérieux, faire de nouvelles pirouettes et subir de nouveaux changements à vue; il pourra être battu par la tempête; mais, en vertu de son élasticité et à l'aide de son point d'attache', il n'éclatera pas et surnagera. Il pourra même se fractionner en groupes divers presque indépendants les uns des autres; mais il se ré- pandra sur la terre, il croîtra en étendue, en res- sources, en énergie. L'influence de la démocratie est si universelle en ce pays , qu'il était tout simple qu'elle vînt lever la tête au milieu des spéculateurs. Il y a donc eu des coalitions d'ouvriers qui ont voulu participer aux bénéfices , et pour leur part ils ont demandé diminution de travail, accroisse- ment de salaire. Le second point était juste, car, dans la hausse générale, toutes les denrées, tous les objets de consommation ont augmenté de LETTRE XXV. 171 prix. Ici la coalition n'est point timide; elle a d'abord l'habitude anglaise de discourir sur la place publique et de faire des processions. De plus, la classe ouvrière sent sa force , son em- pire , et sait en faire usage. Les divers corps de métier se sont assemblés à New-York, à Phila- delphie et ailleurs. Ils ont délibéré publiquement et ont exposé leurs prétentions. Les femmes ont eu leurs meetings aussi bien que les hommes. Celui des couturières de Philadelphie a eu de l'éclat; il était présidé par un économiste, M. Ma- thieu Carey, qu'assistaient^ comme vice-prési- dents , deux ecclésiastiques. Parmi les réclama- tions , l'on a remarqué celle des garçons bou- langers, qui, en vertu des droits de Thomme et de la sainteté du septième jour, ne voulaient pas faire de pain le dimanche. Les princi- paux corps de métier ont décidé que tout tra- vail resterait suspendu jusqu'à ce que les maîtres (1), si ce nom peut s'appliquer ici au- trement que par dérision, eussent accédé à leur ultimatum. Afin que nul n'en ignorât ;, ils ont fait publier leurs résolutions dans les journaux , signées du président et des secrétaires du mee- ting. Ces résolutions déclarent que ceux des ou- vriers qui refuseraient de s'y conformer auraient à subir les conséquences de leurs refus. Les con- (i) Ce mot n'est pas en usage ici. On se sert de celui (!>»»•« pi oyer ( employeur ), 172 LES SPÉCULATIONS. séquences ont été que les ouvriers réfractai res qui s'obstinaient à travailler ont été chassés de leurs chantiers à coups de bâtons et de pierres , sans que l'autorité ait cru devoir donner signe de vie. La conséquence est qu'en ce moment ^ le long du canal du Schuylkill ;, inie poignée de bateliers empêchent les bateaux chargés de char- bons de descendre à Philadelphie , les tiennent en embargo , interrompent ainsi l'une des bran- ches les plus fructueuses du commerce de la Pen- sylvanie, privent d'emploi les mariniers et les bâtiments de Philadelphie , qui distribuent le précieux combustible sur le littoral de l'Union , et exposent les mineurs à être congédiés. La mihce les regarde faire; le shériff reste les bras croisés.. Si la minorité des bateliers persiste, car ces désordres sont l'ouvrage d'une faible mino- rité, il est à craindre qu'une bataille ne s'engage entre eux et les mineurs (î). A Philadelphie la conséquence a été encore que les charpentiers , pour amener à composition quelques entrepre- neurs récalcitrants, ont mislefeu à plusieurs mai- sons que ces entrepreneurs bâtissaient. Cette fois l'autorité s'est émue, le maire a fait placarder un avis par lequel, considérant qu'il y a des rai- sons de croire que ces incendies sont Fœuvre de la malveillance , il offre mille dollars de récom- (i) Voir la Note 24 à la fm du Volume. LETTRE XXV. i73 pense à qui en signalera les auteurs. Mais il est trop tard. La municipalité, clans le but, dit-on, de gagner quelques votes à la cause de l'Oppo- sition qu'elle soutient, au lieu d'interposer sa médiation entre les ouvriers et les maîtres, s'était empressée, dès les premiers jours, de don- ner raison aux premiers en souscrivant d'emblée à toutes leurs conditions pour les travaux de la ville (1). Le philosophe, pour qui le présent n'est qu'un point, peut en retournant ces faits y trouver matière à se réjouir. Les ouvriers et les domes- tiques vivent en Europe dans une condition de dépendance presque absolue qui n'est commode qu'à celui qui commande. Légitimistes, républi- cains, juste- milieu, tous agissent, à l'égard de l'ouvrier qu'ils emploient ou du domestique qui les sert , comme si c'était un être d'une nature inférieure , qui doive au maître tout son zèle et tous ses efforts, sans qu'il lui soit dû en retour rien de plus qu'un maigre salaire. Il est permis , il est beau d'appeler de ses vœux des combinaisons sociales qui établissent une proportion plus équitable entre les droits et les devoirs. En Amérique, le principe absolu de la souveraineté du peuple ayant été appliqué aux rapports du maître et du serviteur , du bourgeois et de l'ou- (i) Voir la Note 25 à la fin du Volume. 174 LES SPÉCULATIONS. vrier, rindustriel, le fabricant et l'entrepreneur, à qui les ouvriers font la loi , cherchent autant que possible à se passer d'eux, et substituent de plus en plus la puissance des machines à la force de l'homme; ainsi les travaux industrie Isle plus pénibles pèsent de moins en moins sur l'espèce humaine. Le maître à qui ses domestiques obéis- sent quand il leur plaît, et qui paie cher (1) pour être mal servi et servi de mauvaise grâce , fa- vorise, autant qu'il est en lui, les mécaniques et les appareils qui simplifient la besogne, afin d'économiser le travail et les serviteurs. Il y aurait en ce pays une étude curieuse à faire , non seulement sur les grands mécanismes industriels , mais aussi sur les outils à la main et sur les ustensiles de l'économie domestique. Ces ustensiles, ces outils, ces mécanismes, in- fluent puissamment sur la liberté pratique du plus grand nombre ; c'est par eux que la classe la plus nombreuse s'affranchit peu à peu d'un joug qui tend à l'écraser et à la flétrir. Sous ce rapport donc, ce qui se passe ici entre le maître et le domestique , le bourgeois et l'ou- vrier, contribue à hâter un avenir qu'un ami de l'humanité doit appeler de tous ses vœux. (i) Daas la plupart des provinces de France, les gages an» nuels d'un domestique sont de 60 à 80 fr. par an ; ici , c'est 5o à 60 fr. par mois , et un domestique en France fait l'ouvrage de deux ici. LETTRE XXV. 175 Mais si la satisfaction philosophique est ample, la satisfaction matérielle et présente manque presque absolument. Pour quiconque n'est pas ouvrier ou domestique , pour quiconque surtout a goûté de l'existence des classes cultivées d'Eu- rope, la vie pratique et réelle^ la vie en chair et en os , se compose d'une série de tiraillements, d'incertitudes, de déplaisirs, je dirais presque d'humiliations. L'indépendance des ouvriers est quelquefois la ruine des chefs d'industrie ; l'indé- pendance des domestiques entraîne la dépendance des femmes , les relègue dans leur ménage à des occupations fort peu en harmonie avec l'éduca- tion soignée que beaucoup d'entre elles ont reçue, et les y tient clouées depuis le jour de leur ma- riage jusqu'à celui de leur mort. Lorsque la force novatrice , à qui rien ne fait contre-poids, agit avec un grand excès d'énergie , c'est au détriment de toutes les classes sans ex- ception. Alors, non seulement l'existence des classes qu'en Europe on appelle supérieures, et qui ici doivent prendre un autre nom, est dé- pouillée de mille petites jouissances qu'il est convenu de mépriser dans les livres et dans les discours d'apparat, quoique chacun les estime fort dans la réalité; mais encore la machine so- ciale se détraque , le malaise devient général , les exigences démesurées de celui que j'appellerai l'inférieur, pour parler à l'européenne, retom- 176 LES SPÉCULATIOIVS. bent lourdement sur lui. En ce moment, par exemple, les sybarites de Philadelphie qui tien- nent à avoir du pain frais le dimanche ne sont pas les seuls qui souffrent ou soient menacés de souffrir. Si les prétentions exagérées des ou- vriers continuaient, on verrait les commandes diminuer; le travail serait moins en demande. Les spéculations, si le travail ne les consolide pas , doivent crever comme des bulles de savon ; et si la réaction arrive, l'ouvrier, qui économise peu, la ressentira plus vivement que tout autre. ■^. xx\u LES EAUX DE BEDFORD. Bedford-Springs (Pensylvanie), 7 août i835. Me voici aux eaux de Bedford; c'est un des lieux de plaisance des États-Unis. Il y a trois jours à peine que j'y suis , et je me hâte de fuir. Il faut que les Américains , et , encore plus les Américaines , s'ennuient bien profondément chez eux, pour qu'ils consentent à échanger le calme et le comfort de leur foyer domestique contre le bruit sans gaieté et la misère prosaïque d'un pareil séjour. Il semble que dans les pays vraiment démo- cratiques , comme ici les Etats du Nord , il ne peut rien exister dans le genre des eaux d'Europe ; vous verrez qu'à mesure que l'Eu- rope se démocratisera , si tel est son destin , vos délicieux rendez -vous d'été seront profanés , et II, 12 178 LES EAUX DE BEDFORD. perdront tout leur charme. L'homme est exclusif par nature. Il y a bien peu de plaisirs qui ne cessent de l'être du moment où ils sont accessibles à tous , et par cela seul. A Saratoga , à Bedford , l'Américain s'ennuie parce qu'il sent qu'il y a vingt mille pères de famille, dans Philadelphie et New- York, qui peuvent, tout aussi bien que lui, si l'en- vie leur en prend, et elle leur prend en effet, se donner la satisfaction d'y amener leurs femmes et leurs filles, et, une fois là, de bâiller sur une chaise dans la galerie, pehdâiit tout le jour; d'aller les armes à la main (je parle du couteau et de la fourchette) enlever leur part d'un mauvais diner; d'étouffer le soir dans la cohue d'une réunion dansante, et de dormir, s'il est possible, au mi- lieu du vacarme, sur un grabat, dans une réson- nante cellule en planches de sapin. L'Américain traverse , sans y regarder, les magnifiques paysa- ges qui bordent l'Hudson, parce qu'il est, lui six- centième ou millième, sur le bateau à vapeur. Franchement, je deviens Américain sous ce rap- port , et je n'ai bien admiré le panorama de West- Point et des Highlajids (1), que lorsque je me suis trouvé, seul, dans ma barque sur le fleuve. La démocratie est trop nouvelle venue sur la terre pour avoir pu encore organiser ses plaisirs et ses joies. Tous nos plaisirs actuels d'Europe (i) On appelle ainsi les montagnes qui bordent THudson du côté de West-Point et aii-Uessùs. LETTRE XXVÏ. f79 sont fondés sur l'exclusion ^ sont aristocratiques comme l'Europe elle-même , et, par conséquent, ne sauraient être à l'usage de la multitude. 11 fau- dra donc que, sous ce rapport, tout comme en politique , la démocratie américaine fasse du neuf. Le problème est difficile; mais il n'est pas insoluble, car autrefois il fut résolu chez nous. Les fêtes religieuses du catholicisme étaient émi- nemment démocratiques : tous y étaient appelés, tous y prenaient part. A quels transports de joie et d'enthousiasme l'Europe tout entière ne se li- vrait-elle pas, grands et petits, nobles, bourgeois et serfs; lorsque, du temps des croisades, on cé- lébrait par une procession et par un Te Beum la victoire d'Antioche ou la prise de Jérusalem ! Aujourd'hui même , dans nos provinces du Midi, où la foi ne s'est pas éteinte, il existe encore des cé- rémonies vraiment populaires; telles sont les fêtes de Pâques avec les représentations de la Passion exposées dans les églises, et les processions avec leur déploiement de croix et de bannières, leurs confréries de pénitents, au froc pointu et aux robes ondoyantes et leurs longues files d'enfants et de femmes; avec les saints et les saintes qui y figurent en grand costume et les reliques qu'on y promène pieusement; et enfin , avec la pompe militaire et civile qui s'y mêle, malgré l'athéisme de la loi. C'est le spectacle du pauvre, spectacle qui lui laisse des souvenirs meilleurs et plus vifs 180 LES EAUX DE BEDFORD. que ne font au faubourien de Paris les drames atroces du boulevard et les feux d'artifice de la barrière du Trône. Déjà ici, dans les États de l'Ouest en particu- lier, la démocratie commence à avoir ses fêtes où sa fibre est remuée , et dont elle savoure les émotions avec délice : ce sont des fêtes reli- gieuses , ce sont les camp-meetings des Méthodis- tes, où la population se porte avec ardeur, mal- gré les remontrances philosophiques des autres sectes plus bourgeoises, qui blâment leurs chaleu- reux élans et leurs allures déclamatoires; malgré le caractère convulsionnaire et hystérique des scènes du banc d'anxiété^ ou plutôt à cause de ce caractère. Dans les anciens États du Nord , il y a les processions politiques, pures démons- trations de partis le plus souvent , mais qui ont cela d'intéressant que la démocratie y prend part, car c'est le parti démocratique qui or- ganise les plus brillantes et les plus animées. Après les camp-meetings , les processions politi- ques sont les seules choses, en ce pays, qui ressem- blent à des fêtes. Les banquets de parti, avec leurs discours et leur déluge de toasts, sont gbxés, si- non repoussants ; et, par exemple^ je n'ai rien vu déplus souverainement disgracieux qu'un ban- quet offert sur la pelouse de Powelton, près de Philadelphie, à la population tout entière, par J'Opposition^ c est-à-dire par la bourgeoisie. LETTRE XXVr. Î8Ï A Philadelphie, je m'arrêtais involontairement pour regarder passer les arbres gigantesques {pôles) qui faisaient leur entrée solennelle sur huit roues, pour être plantés par la démocratie la veille des jours d'élection. Je me souviens de l'un de ces hickory-poles (1) qui s'avançait la tête garnie de son feuillage frais encore, au son du fifre et du tambour, précédé par des démocrates en rang, sans autre distinction qu'une des petites branches de l'arbre sacré à leur chapeau. Il était traîné par huit chevaux dont les harnais étaient chargés de rubans et de devises. Achevai sur l'arbre lui-même, une douzaine à^ jackson-men , de la plus belle eau^ l'air satisfait et triomphant d'avance, agi- taient des drapeaux en l'air, en criant : Huzzah for Jackson ! Cette promenade de Yhickoij n'est elle-même qu'un détail à côté des scènes processionnelles que j'ai vues à New- York. C'était pendant la nuit qui suivit la clôture des élections, où la victoire s'était prononcée pour le parti démocratique (2). La procession avait un quart de lieue de long. Les démocrates marchaient en bon ordre et aux flambeaux ; il y avait des ban- nières plus que je n'en vis en aucune fête reli- gieuse, toutes en transparents, à cause de l'obs- (i) Vhickory est fort en honneur parmi les démocrates, parce que le surnom populaire du général Jackson est Old Hickory. (2) Voir la Lettre xvi , t. 1. 182 LES EAUX DE BEDFORD. çurité. Sur les unes étaient inscrits les noms des confréries démocratiques , Jeunes démocra- tes du 9^ ou du W ward (quartier); les autres étaient couvertes d'imprécations contre la Ban- que des États-Unis; ISick Biddle et OUI Nick (le diable) faisaient les frais de rapprochements plus ou moins ingénieux ; c'était le pendant du Libéra nos a malo. Puis il y avait des por- traits du général Jackson à pied et à cheval; il y en avait en uniforme de général et çx\Tennessee fariner i^i) , la fameuse canne d'/z /c/o/j à la main. Ceux de Washington et de Jefferson^ entourés de maximes démocratiques, se mêlaient à une masse d'emblèmes de tous les goûts et de toutes les couleurs. Dans le nombre figurait un aigle, non en peinture, mais un véritable aigle vivant, attaché par les serres ^ au milieu d'une couronne de feuillage, et hissé au bout d'un bâton, à la fa- çon des étendarls romains. L'oiseau impérial était porté par un robuste matelot, plus satisfait que ne le fut jamais échevin admis à tenir l'un des cordons du dais, dans une cérémonie catholique. Du plus loin que j'aperçus les démocrates s'avan- cer, je fus frappé de la ressemblance de leur fa- randole avec le cortège qui accompagne le viati- que , à Mexico ou à Puébla. Les Américains por- teurs de bannières étaient aussi recueillis que les (i) Le Fermier de Tennessee t k caase des p^ppriétéi da général JacksoQ dans cet État. î.|!;ttre XXVI. 1§3 Indiens Mexicains porteurs de fallots sacrés. La procession démocratique avait d'ailleurs ses re- posoirs tout comme une procession catholique; çl|e s'arrêtait devant les maisons des jackson^ men^ pour faire retentir l'air de sesbravos(c/ieer^); elle stationnait à la porte des chefs de l'Opposi- tion, pour y lâcher trois, six ou neuf grognements Çgroa/is). Si ces tableaux rencontraient leur pein- tre, on les admirerait au loin , à l'égal des triom- phes et des sacrifices que les anciens nous ont laissés en marbre et en bronze. Car c'est plus que du grotesque à la façon des scènes immortali- sées par Rembrandt : c'est de l'histoire, et de la grande; ce sont des épisodes d'une merveilleuse épopée qui laissera au monde de longs souvenirs, celle de l'avènement de la démocratie. Et pourtant, comme fêtes et cérémonies, ces processions politiques sont bien inférieures aux reuwals qui ont lieu dans les camp-meetings. Toute fête où les femmes ne figurent point n'est qu'une demi-fête. Pourquoi vos cérémonies cons- titutionnelles sont-elles si complètement dépour- vues d'attrait ? Ce n'est pas seulement parce que ceux qui y figurent sont des bourgeois, fort hono- rables assurément, mais peu poétiques, et que l'éclat des costumes et le prestige des beaux-arts en sont bannis; c'est plus encore parce que les femmes n'y ont pas et ne peuventy trouver place. Un bopime d'esprit a dit que les femmes n'é^ 184 LES EAUX DE BEDFORD. talent pas poètes , mais qu'elles étaient la poé- sie même. Je me souviens de ce qui, dans ma ville de province, faisait le charme et l'éclat des processions. Nous ouvrions de grands yeux quand s'avançait la robe rouge du premier pré- sident; nous admirions les épaulettes et l'habit brodé du général, et plus d'une vocation mili- taire s'est décidée ce jour-là ; nous regardions venir de loin , par-dessus les têtes , le cortège épis- copal ; nous nous jetions machinalement à ge- noux lorsque le dais, s'approchant avec son es- corte de lévites, nous montrait Tévéque , vieillard vénérable , la mitre sur le front , le Saint-Sacre- ment entre les mains ; nous portions envie à la gloire des jeunes hommes qui étaient, pour un jour, saint Marc ou saint Pierre; plus d'un grand garçon eut abdiqué ses quinze ans, dont il était fier, pour être admis à l'insigne honneur d'être l'un de ces petits saint Jean vêtus d'une peau de mouton; mais la foule entière suspendait son souffle, quand on apercevait parmi la forêt de bannières , entre les surplis et les aubes des prê- tres, à travers les frocs pointus des pénitents et les baïonnettes delà garnison, une de ces jeunes filles en robe blanche qui représentaient les saintes femmes et la Mère des Sept-Douleurs ; ou celle qui , chargée de chaînes d'or, de rubans et de perles, figurait l'impératrice à côté de son em- LETTRi: xxvr. 185 pereiir (1); ou celle qui, en sainte Véronique, dé- ployait le voile dont fut essuyé le visage du Sauveur montant au Calvaire; ou celles enfin, tout émues encore , qui avaient été le matin confirmées par monseigneur. De même, c'est parce qu'il y a des femmes aux camp-meetings, et qu'elles y sont actrices au même rang que les plus fougueux prêcheurs, c'est pour cela seul que la démocratie américaine y accourt. Les camp-meetings^ avec leurs pythonisses délirantes, ont fait le succès des Méthodistes, et leur ont attiré, en Amérique , une église plus nombreuse que celles des sectes qui fleurissent le plus parmi la race anglaise en Europe (2). Des tournois supprimez les femmes, et il ne reste plus qu'un assaut de maîtres d'armes. Des camp-meetings, enlevez le banc cT anxiété, faites disparaître ces femmes qui palpitent, crient et se roulent à terre, s'accrochent, pâles et échevelées, l'œil hagard, aux ministres qui leur soufflent l'esprit saint, ou celles qui saisissent au passage, à la porte des tentes, le pécheur endurci afin de l'attendrir; vainement la scène se passera au (i) C'est un des souvenirs de l'empire Romain, qui en a laissé de très profonds dans nos départements du Midi. (2) Les deux sectes les plus nombreuses aux États-Unis, son^ celles des Méthodistes et des Baptisles (ou Anabaptistes) relies comprennent ensemble plus de la moitié de la population. Les Baptistes ont un langage exalté comme celui des Méthodistes. (Voir la Note 26 à la fin du Volume. ) 186 LES EATJX DE BEDFORD. milieu d'une foret majestueuse, pendant une belle soirée d'été, sous un ciel qui ne craint point la comparaison avec celui de la Grèce ; vainement vous serez entouré de tentes et de chariots nom- breux qui vous rappelleront le train d'Israël à la sortie d'Egypte; vainement les feux allumés au loin, entre les arbres, vous montreront les prêcheurs debout, gesticulant au-dessus de la foule; vainerçHEut l'écho des bois vous renverra les éclats de leur voix retentissante ; ce sera un spectacle dont vous serez rassasié au bout d'une heure ; tandis que les camp-meetings , tels qu'ils sont, ont le don de retenir les populations de l'Ouest pendant de longues semaines. On en a vu qui duraient un mois entier. J'admets que les camp-meetings et les proces- sions politiques ne sont encore en Amérique que des faits exceptionnels. Un peuple n'a de carac- tère complet que lorsqu'il a ses fêtes nationales et ses plaisirs , son art , sa poésie enfm , à lui. A cet égard, la nationalité américaine ne sera pas aisée à constituer. L'Américain manque d'un passé à qui demander des inspirations. En quittant la vieille terre d'Europe et en rompant avec l'An- gleterre , ses pères laissèrent derrière eux toutes les chroniques, toutes les légendes, toutes les traditions , ce qui fait la patrie, cette patrie qu'on n'emporte pas à la semelle de ses souliers. L'A- méricain s'est donc appauvri en idéalité de tout I.ETTRE XXVI. 187 ce qu'il a gagné en richesse matérielle. Mais, avec la démocratie , il y a toujours de la ressource en fait d'imagination. Je ne prétends pas dire com- pient la démocratie américaine suppléera au défaut de passé et de souvenirs, pas plus que je ne me charge de déterminer comment elle s'imposera à elle-même un frein, et préviendra ses propres écarts. Je suis cependant convaincu que l'Amérique aura ses cérémonies, ses fêtes, son art, tout comme je suis persuadé qu'elle s'or- ganisera régulièrement; car je crois à l'avenir de la société américaine, ou, pour mieux dire, du commencement de société qui grossit à vue d'oeil, à l'Est et encore plus à l'Ouest des Alléghanys. En France, depuis plus d'un siècle, nous som- mes à batailler contre nous-mêmes pour nous cjépouiller de notre originalité nationale. Nous essayons de nous faire raisonnables sur le modèle de ce que nous croyons être le type anglais (1), et, à notre exemple, les peuples de l'Europe mé- ridionale se torturent pour prendre un air calcu- lateur et parlementaire. L'imagination est traitée comme la folle du logis. Les nobles sentiments, l'enthousiasme, l'exaltation chevaleresque, ce qui fit la gloire de notre Fronce, ce qui valut à l'Es- pagne la moitié de l'univers, tout cela est dédaigné, est bafoué. Les fêtes pubhques et les cérémonies (i) Voir la Note 27 à la fin du Volame. 188 LES EAUX DE BEDFORD. populaires sont devenues la risée des esprits forts. Nous faisons des efforts inouïs pour nous amai- grir l'esprit et le cœur, conformément aux pres- criptions des Sajigrados de la religion et de la politique. En matière de fêtes nationales, nous avons mis les populations à la portion congrue. Pour dépouiller notre existence du dernier ves- tige de goût et d'art , nous avons poussé l'abnéga- tion jusqu'à échanger la majestueuse élégance des costumes que nous avions empruntés aux Espa- gnols , lorsqu'ils donnaient le ton à l'Europe , con- tre la défroque des Anglais^ que l'on peut qualifier d'un mot, c'est qu'elle est assortie au climat de la Grande-Bretagne. Passe encore si nous n'avions fait que jeter comme un inutile bagage nos tour- nois, nos carrousels, nos jubilés, nos fêtes reli- gieuses et notre luxe vestiaire! Malheureusement nous sommes remontés jusqu'à la source de toute poésie sociale et nationale, jusqu'à la religion, et nous avons voulu la tarir. Nos mœurs et nos coutumes retiennent à peine un léger ver- nis de leur grâce tant vantée. La politique est abandonnée au positivisme le plus aride. Ce se- rait à désespérer du génie national si, de temps à autre, des élans et des explosions ne révélaient qu'il sommeille, mais qu'il n'est pas mort ^ et que le feu sacré couve sous la cendre. Certes, la France et les peuples de l'Europe méridionale dont elle est le coryphée, doivent LETTRE XXVr, 189 de la reconnaissance à la philosophie du xviiie siè- cle. C'est elle qui a été notre protestantisme, c'est- à-dire qui a relevé chez nous l'étendard de la li- berté, ouvert la carrière à l'esprit humain, et constitué la personnalité. Avouons cependant que, par cela seul qu'elle est irréligieuse , elle est inférieure au protestantisme allemand, anglais et américain. Les écrits des apôtres de cette grande révolu- tion dureront comme monumentsiittéraires, mais non comme leçons de morale, car tout ce qui est irréligieux n'a qu'une valeur sociale éphémère. Plaçons au Panthéon les restes de Voltaire et de Montesquieu, de Jean- Jacques et de Diderot; mais , sur leurs monuments , déposons leurs ou- vrages couverts d'un voile. Apprenons au peuple à bénir leur mémoire; mais ne lui enseignons pas leurs systèmes, et empêchons qu'ils ne lui soient enseignés par de serviles continuateurs que ces grands écrivains désavoueraient s'ils reve- naient habiter cette terre; car les hommes de cette trempe sont du siècle présent, quelquefois du siècle à venir, et jamais du siècle passé. En retour de ce que l'on nous enlevait, on nous a dotés du régime parlementaire. On a supposé qu'il satisferait à tous nos besoins, qu'il comble- rait tous nos vœux dans l'ordre moral et dans l'ordre des idées , tout comme dans l'ordre maté- riel. Dieu me garde d'être l'ennemi du système 190 LES EAUX DE BÈDFORD. représentatif! Je crois à sa durée ^ quoique je doute que nous ayons encore découvert la formé sous laquelle la nature française et celle des peu- ples méridionaux pourront s'en accommoder; mais quelle qu'en soit la valeur politique, on con- viendra qu'il ne remplace pas, qu'il ne remplacera jamais à lui seul tout ce dont les réformateurs nous ont dépouillés. Il a ses cérémonies et ses fêtes; mais cela respire un parfum de procès- verbal dont nos sens sont révoltés. Quoiqu'il ait, jusqu'à un certain point, ses dogmes et son mysticisme, il n'a point prise sur nos imagina- tions. Il n'a pas le don de remuer nos coeurs. Il laisse donc en dehors les trois quarts de notre existence. Je comprends qu'ici l'on ait espéré faire du gouvernement représentatif la pierre angulaire et la clef de voûte de l'édifice social. Un Américain de quinze ans est raisonnable comme un Français de quarante. Puis la société y est mâle; la femme, qui, en tout pays, est un être peu parlementaire, n'y exerce point d'empire : il n'y a pas de salons aux États-Unis. Cependant, ici même , ce régime n'existe plus, dans sa pureté primitive , que sur le papier. Le champ religieux, passablement rétréci, il est vrai, y est d'ailleurs resté ouvert à l'idéalité humaine, et l'imagination y trouve pâture tant bien que mal. Mais, chez nous, il faudrait être fanatique du représentatif pour songer à en faire LETTRÉ Xivi. 191 le pivot de notre vie sociale. Nous avons tous une jeunesse , Dieu merci ! Chez nous , les femmes sont une puissance fort réelle^ quoiqu'il n'en soit point parlé dàiis là Charte ; et notre ca- ractère national a beaucoup de traits féminins; je ne dis pas efféminés. Vous auriez beau décimer la France et n'y laisser que les bourgeois ayant passé la quarantaine, ce qui a le sens rassis^ ce qui est bien désillusionné, c'est-à-dire bieii dé- poétisé^ vous arriveriez à peine à avoir une société qui se contentât des émotions constitutionnelles. Voilà pourquoi la France est le théâtre d'une lutte incessante entre l'âge mûr et la vieillesse d'un côté, et de l'autre les jeunes gens qui trouvent leur lot trop mince. La jelmesse accuse Géronte d'étroitesse, de pusillanimité, d'égoïsme; Géronte se plaint de l'ambition effrénée qui dé- vore les jeunes gens et de leur indomptable tur- bulence. La jeunesse moderne a perdu le sentiment du respect dû à la vieillesse , ce qui est un grave symptôme de décadence sociale. Aigrie par le mécontentement , la jeunesse en est venue à ce point, qu'elle méprise l'expérience; elle se croit supérieure aux hommes blanchis dans le gouver- nement des choses humaines; elle persiste opi- niâtrement dans cette erreur funeste, quoique la démonstration du fait de son infériorité lui ait été administrée durement. Ses levées de boucliers 192 LES EAUX DE BEDFORD, finissent toujours par des défaites; elle ressai- sirait demain l'influence politique, à la faveur d'une révolution nouvelle , qu'après-demain elle en serait de nouveau dépossédée ; parce que la jeunesse, qui, en effet, est aujourd'hui supé- rieure à l'âge mûr et à la vieillesse dans beaucoup de branches des connaissances humaines, qui sait mieux la physique, la chimie, les mathématiques, la physiologie , qui est plus versée dans les théo- ries d'économie politique , est et sera inévitable- ment toujours en arrière en ce qui concerne la science la plus difficile de toutes , celle qui est le fondement de toute pratique, la science du cœur humain. Si mal fondées cependant que soient les prétentions de la jeunesse à mettre la main sur le gouvernail, il n'en est pas moins vrai que si l'on voulait réduire la vie publique au déroulement monotone des formes constitu- tionnelles, on aurait indéfiniment à lutter contre ses énergiques protestations et contre la résis- tance plus ou moins ouverte de tout ce qui, comme elle, porte un cœur ayant besoin de battre, de tout ce qui vit en imagination autant que dans le monde des intérêts. Il n'y a de bon gouvernement que celui qui satisfait à la fois au besoin d'ordre, de régularité, de stabilité et de prospérité matérielle , dont se préoccupent l'âge muret la vieillesse, et qui, en même temps, sait suffire à la soif de sensations LETTRE XXVI. 193 vives ; de mouvement grandiose et d'idées bril- lantes dont sont tourmentées la jeunesse et cette portion nombreuse de la société qui est toujours jeune ou toujours mineure. En regard de leur Parlement, les Anglais ont leurs immenses colo- nies sur lesquelles ils s'épanchent à travers les mers. Les Anglo- Américains ont l'Ouest, et aussi l'Océan , comme la Grande-Bretagne. Ce double envahissement de l'Orientde notre pla- nète par les pères, et de l'Occident par les fils émancipés, est pourtant un drame colossal et sublime. Supposer que nous Français , à qui il faut, pour nous sentir vivre, une action gi- gantesque, qui offre aux uns un rôle en vue de l'univers , aux autres un spectacle de prodi- ges, nous nous résignerons à être indéfiniment emprisonnés sur notre territoire^ sans autre but d activité que de faire ou de regarder fonction- ner les rouages de la machine parlementaire, ce serait vouloir qu'un homme de goût se crût en paradis dans cette bicoque de Bedford. "• 13 XXVII. L*AUTOHITÉ ET LA LiBERTl^. Rîçhmond, iQ août i§3|. Richmond est ime ville admirablement posée sur le penchant d'une colline que baigne le James-River. Son capitole avec ses colonnes en briques recouvertes de plâtre, avec son archi- trave et sa corniche de bois peint, fait de loin un effet que le Parthénon Ini-même, aux temps de Périrlès, ne devait pas surpasser; car le ciel de la Virginie, lorsqu'il n'est pas assombri par Feuragan ou voilé par la neige , est aussi beau que celui de l'Attique. Richmond a son port pli s voisin que le Pirée ne l'était d'Athènes, ce qui ne l'empêche pas de s'appuyer sur les cas- cades du James-River. Richmond m'a ravi, dès le premier instant, par son site enchanteur et par l'humeur cordiale de ses habitants. Il ma plu 196 l'autoritjï et la liberté. par son ambition , car il prétend à devenir une métropole, et il y travaille par les grands éta- blissements qu'il fonde ou aide à fonder, canaux, chemins de fer, distributions d'eau, moulins immenses, fabriques à qui la cataracte du fleuve fournira de la force motrice à discrétion. J'y trouve des Français chez qui cinquante ans de séjour loin de leur pays et quatre-vingts ans d'âge n'ont pas refroidi l'amour de la patrie , et qui ont conservé , au milieu de la simplicité des mœurs américaines", cette fine fleur d'ur- banité dont chez nous la graine se perd tous les jours. Je suis allé hier, pour la seconde fois, rendre visite à des canons et à des mortiers, pré- sent de Louis XVI à l'Amérique luttant pour son indépendance. Au Capitole, à côté de la statue de Washington , j'ai trouvé le buste de Lafayette. J'entends parler de Rochambeau et de d'Estaing comme on fait de vieux amis dont on s'est sé- paré hier. Il me semble par moments que j'ai été miraculeusement transporté non en France, mais sur la frontière. Mon amitié pour Richmond n'est pourtant pas aveugle. Les fondateurs de la ville neuve y ont tracé des rues de cent pieds de large comme les routes à la Louis XIV; mais au moins dans nos routes , au milieu des larges fondrières de droite et de gauche, il y a un filet de pavé ou de chaussée praticable. Les rues du Richmond neuf n'ont ni LETTRE XXVII. 197 pavé , ni éclairage. Ce sont , à l'époque des pluies, des marécages dangereux , où il est , dit-on , arrivé plusieurs fois que les vaches, à qui l'autorité municipale laisse la liberté de circulation, ont subi le destin du sire de Ravenswood dans le Kelpie. Richinond a aussi quelque chose de l'as- pect de Washington; sauf le quartier marchand, ce n'est ni ville, ni campagne; ce sont des maisons distribuées d'après un plan fictif, entre lesquelles il est presque impossible de reconnaître aucun alignement, et de retrouver les rues K, F ou D, auxquelles on vous renvoie; car c'est l'al- phabet qui a fourni à Richmond les noms de ses rues, comme à Philadelphie l'arithmétique. L'é- chiquier de Richmond a cependant, sur celui de Washington, cet avantage qu'il est moins vaste et qu'il doit plus vite se remplir, tandis que Washington, avec son plan tracé pour un million d'habitants , n'en aura pas quarante mille d'ici à cinquante ans peut-être. Il y a à Richmond quelque chose qui me dé- plaît beaucoup plus que la boue sans fond de ses rues, qui me choque plus que les rudes manières des Virginiens de l'Ouest (1 ) que j'y ai rencontrés durant la session de la législature de l'Etat ; c'est l'esclavage. La moitié de la population y est noire ou mulâtre. Physiquement le noir est bien traité (j) Voir la j^îoU 5»6 à la Cw du Volumt, 198 l'autorité et la liberté. en Virginie, par humanité le plus souvent, et aussi parce qu'il est devenu un bétail que Ton élève pour l'exporter en Louisiane; mais si ma- tériellement le noir n'a point à se plaindre, mo-^ ralement il est traité comme un bipède étranger à la nature humaine. Libre ou esclave , on lui interdit tout ce qui peut lui donner l'idée de là dignité de l'homme. Il n'y a d'éducation ni pour l'esclave, ni pour l'homme de couleur libre. Là loi classe parmi les crimes l'enseignement le plus élémentaire donné à un noir ou à un mulâtre. L'esclave n'a point de famille; il n'a pas même le droit de pécule. Le blanc sait que l'esclave à prêté l'oreille au mot de liberté que tout pro- clame sur cette terre ; il sait qu'il couve en secret la vengeance, et que dans les cabanes des noirs on raconte les exploits et le martyre de Gabriel, chef de complots anciens, et de Turher, héros d'une insurrection plus récente (1). Les mesures de précaution que cette pensée inspiré aux blancs glacent d'épouvante l'étranger. Richmond est fameux par son marché de tabac et de farine. La farine de Richmond est recherchée à Rio-Janeiro comme à New- York, et (i) En août 1 801, une troupe de noirs du comté de Soulliamp- ton se souleva à lituprovîsle et massacra plusieurs familles blanches, sans disliuclion dàge ni île scse. L'alarme se répandit dans II! pajs. On se crut menacé dune ineu, dégagea les serfs de ia glèbe, Lesprin- LETïKE XXIX. 28'5 cipes émancipateurs de la révolution française n'étaient que les préceptes du christianisme pra- tiqués par des gens qui n'étaient pius chrétiens, et les révolutionnaires décernèrent au Christ lepithète, glorieuse à leurs yeux, de sans-culotte. Ainsi , pour que les efforts de la bourgeoisie en faveur du peuple fussent énergiques et soutenus, il faudrait qu'ils fussent dirigés par une inspira- tion religieuse. Pour que les prolétaires fussent sûrement retirés de leur infériorité, il faudrait que la religion les eût solidement posés à ce niveau de moralité auqiiel nous les avons vus maintes fois , par un élan sublime , s élever pour un in- stant. Or, la bourgeoisie est peu croyante. Si dans les rangs supérieurs de cette classe la philoso- phie anti-religieuse du xvnf siècle perd aujour- d'hui de ses prosélytes, elle les retrouve au double dans les rangs subalternes. L'incrédulité a baissé d'un cran : son troupeau a perdu en quahté, mais il a augmenté en quantité. L'irréhgion travaille les prolétaires des villes, les dispose à la révolte, et les rendrait mcapables de supporter régulière- ment la liberté. Quand nous aurons des routes, quand les écoles auront appris à lire à tout le monde, ce qui ne tardera pas, vous verrez, si dès à présent vous n'y prenez garde, l'irréligion envahir nos campagnes et les infester. Le christianisme, ou au moins le catholicisme^ semble à la veille d'éprouver chez nous une déser- 286 AMÉLIORATION SOCIALE. tion générale. Et pourtant combien nous sommes loin d'avoir tiré des principes chrétiens^ que l'on affecte de considérer comme épuisés, tout ce qu'ils renferment d'éléments de liberté et de bonheur pour les masses '.Nous, Français, nous sommes un peuple très chrétien en ce sens que nous croyons à l'unité de la famille humaine, et nous le témoi- gnons par notre bienveillance envers toutes les nations; mais il semble que nous dépensions à l'extérieur toute la chaleur que le christianisme a développée en nos âmes. Nous, les apôtres de la fraternité des peuples , nous n'avons pas encore fait pénétrer dans les relations de classe à classe le principe de la fraternité des hommes. Nous, bourgeois, fils d'affranchis, nous croyons que les prolétaires, fils d'esclaves, sont d'une autre nature que nous. Nous avons encore au fond du cœur un reste de vieux levain païen. Nous ne professons plus, avec Aristote, qu'il y a deux na- tures distinctes , la nature libre et la nature es- clave; mais nous faisons tout comme si nous étions nourris de cette doctrine. Nous ne sommes encore ni les pères ni les frères aînés des paysans et des ouvriers. Dans l'ensemble de nos relations avec eux, nous sommes toujours leurs maitres^ et leurs maîtres exigeants. Et malheureusement, tandis que la société, tourbillonnant à l'aventure , et courant des bor- dées sans boussole, est exposée à des catastrophes LETTRE XXIX. 287 qu'une direction religieuse aurait seule pouvoir de prévenir, la religion ne se met aucunement en mesure de reprendre son empire et de ressaisir le gouvernail. Au milieu des peuples qui se précipi- tent en avant à tout hasard , le catholicisme se tient immobile, silencieusement enveloppé dans son manteau, les bras croisés et l'œil fixé vers le ciel. L'Eglise a supporté avec une héroïque rési- gnation toutes les angoisses de la tourmente ré- volutionnaire : elle s'est laissée fouetter de verges comme le Juste ; elle a , comme lui , été mise sur la croix , et de là elle n'a ouvert la bouche que pour prier Dieu en faveur de ses bourreaux. Mais les souffrances du Juste ont sauvé les faibles et ont changé le monde; aucun signe n'indique encore que les souffrances récentes du catholicisme doi- vent rien sauver. Nous ne voyons pas que , du tombeau où on l'avait jeté, le croyant mort, il ait rapporté aucune pensée de réorganisation pour l'humanité qui en a soif. L'Église romaine est ce qu'elle était il y a quatre siècles; mais, depuis lors, le monde est devenu tout autre; il vaut virtuellement mieux, et il s'est dégagé du passé avec la ferme volonté de n'y point revenir. Si la civilisation doit se constituer sous une nouvelle forme , comme tout annonce qu'elle s'y prépare, la religion, qui est le commen- cement et la fin de la société, la base de l'édifice et la clef de la voûte, la religion doit pourtant se :288 AMÉLIORATION SOCIALE. renouveler aussi. Serait-ce donc la première fois que le christianisme aurait plié ses formes et sa règle aux instincts et aux tendances des peuples qu'il avait à moraliser ? Certes, nous ne nous rallierons jamais, nous Français, à aucune des variétés du protestantisme; il est trop sec et trop froid pour nos cœurs passion- nés ; il est trop étroit pour nos âmes expansives. Je ne demande pas mieux que d'admettre que notre séparation du catholicisme n'est qu'une querelle de famille qui se terminera par un étroit embrassement; mais pour que l'on se rap- proche, il faudra qu'il fasse la moitié du chemin. Ce ne sera point le catholicisme du concile de Trente qui aura le don de nous émouvoir et de courber nos intelligences. Il faudra qnune branche nouvelle sorte du tronc de Jessé , et que le souverain pontife, prenant à la main ce divin rameau en signe de réconciliation, s'avance vers le siècle, entouré de son Sacré-CoUége ; il faudra qu'à la face du monde, lui, le représen- tant d'une dynastie de dix-huit siècles , il tende la main aux puissances nouvelles contre lesquelles les foudres du Vatican sont venues se briser en éclats, et qui aujourd'hui le bravent et l'in- sultent, à la science et à la presse; il faudra qu'il reconnaisse les droits de l'industrie, sur qui a pesé jusqu'à ce jour l'anatlième lancé contre la matière; il fau(h'a qu'il pro jlameque les peuples LETTRE XXIX, 289 sont arrivés à leur majorité, et qu'il leur offre une Charte qui constitue une catholicité plus large, une église véritablement universelle, et qui consacre les droits que la personnalité hu- maine est en mesure d'exercer aujourd'hui. 11 faudra qu'il secoue cette éternelle enveloppe d'austérité lugubre , dont le catholicisme dut se couvrir dans des temps de misère et de dou- leurs, avant que le travail n'eût multiplié la source des joies de ce monde et n'eût légitimé le plaisir. Il faudra enfin qu'il annonce cette pa- role mystérieuse que le monde attend, qui doit consacrer l'union de l'Occident et de l'Orient, et l'harmonie des deux natures. A ce prix, le genre humain criant Dieu le veutl tomberait aux ge- noux du successeur de saint Pierre , et lui de- manderait sa bénédiction. A ce prix, le catholi- cisme redeviendrait ce colosse d'autorité qu'il fut dans le passé, car il redeviendrait ainsi ce qu'il fut du temps où nos pères reconnaissaient en lui le bienfaiteur des hommes. Ici, la reUgion a présidé à l'exaltation des classes inférieures. Le mouvement démocratique des États-Unis a son point de départ dans le pu- ritanisme. Les Puritains vinrent en Amérique, non pour chercher de For, non pour conquérir des provinces , mais pour fonder une église sur le principe de l'égalité primitive. Us étaient de nou- veaux Juifs, comme je l'ai dit. Ils voulaient se M. 19 â90 AMELIORATIOÏ*^ SOCIALE. gouverner d'après les lois de Moïse. Dans rori- gine, ils absorbèrent complètement la cité dans l'église; ils se partagèrent en congrégations reli- gieuses, où tous les chefs de famille étaient égaux, conformément à la loi mosaïque, qui étaient présidées par les anciens ( elders) et par les saints ^ et où toutes les distinctions terrestres étaient, les unes abolies, les autres comptées pour rien. Un de leurs premiers soins fut de fonder, sous l'in- spiration de leurs croyances, des écoles où tous les enfants étaient élevés ensemble et de la même manière. Quoique inégalement riches , ils adop- tèrent tous la même vie. Les travaux matériels auxquels ils furent obligés de se livrer en com- mun pour se défendre de la faim et des sauvages, fortifièrent leurs habitudes et leurs sentiments d'égalité. Or, c'est la Nouvelle- Angleterre, exclu- sivement habitée par les fils des Puritains, et où leurs traditions et leur foi se sont conservées in- tactes , qui a été et qui est encore le foyer de la démocratie américaine. Aussi la démocratie américaine est parvenue à se constituer. Au contraire, en 1793, tous nos efforts pour en établir une en France auraient été vains, lors même que nous eussions été pro- pres à vivre démocratiquement , parce que nous avons voulu la fonder sur l'absence de tout sen- timent religieux, sur la haine de la religion. Les sentiments et les mœurs doivent préparer LETTRE XXIX. 291 et inspirer les mesures d'amélioration sociale; les lois doivent les formuler et les prescrire. La politique et la religion doivent donc , dans cette œuvre difficile, se donner la main. La politique doit, tout aussi bien que la religion, se transfor- mer pour le progrès de la civilisation, pour le sa- lut du monde. J'admire les résultats que le régime politique des États-Unis a produit en Amérique. Il me pa- raît cependant impossible que les institutions au moyen desquelles l'amélioration populaire s'est réalisée ici, parviennent à s'acclimater chez nous. Entre la politique et la religion qui conviennent à un peuple, il existe des conditions naturelles d'harmonie. Le protestantisme est républicain. Le puritanisme est le self-goi^emment absolu en religion ; il l'engendre en politique. Les Provin- ces-Unies étaient protestantes; les États-Unis sont protestants. Le catholicisme est essentiellement monarchique ; dans les pays qui sont catholiques, au moins par le souvenir , par les habitudes et par l'éducation, sinon par la foi, une démocratie régulière est impraticable. L'anarchie des ci-de- vant colonies espagnoles prouve suffisamment à quels amers regrets s'exposent les peuples cathoHques lorsqu'ils veulent s'appliquer les for- mes politiques des populations protestantes. Abstraction faite des nécessités de notre ca- ractère national façonné par le catholicisme , ce 292 AME'LIORATfON SOCIALE. serait se tromper que de croire que Ton agran- dirait en France le domaine de la liberté , et que l'on ferait du gouvernement populaire en éten- dant la prérogative du corps électoral et des as- semblées qui émanent de l'élection, ou même en élargissant le cercle des électeurs. Le corps élec- toral, tel qu'il est et tel qu'il sera pendant long- temps encore, ne représente qu'une partie de la nation , la bourgeoisie. L'immense majorité na- tionale n'est pas représentée; nos paysans et nos ouvriers ne votent pas et ne peuvent point voter. Adopter le suffrage universel, ce serait faire des- cendre la dignité électorale à leur niveau, qui est aujourd'hui bien bas, et non les élever eux-mê- mes. Déjà beaucoup d'hommes impartiaux re- connaissent que les électeurs à 200 fr. ne for- ment point un corps plus libéral, plus disposé au progrès réel, que ne l'était celui des électeurs à cent écus. Ils avouent que les communes ne sont pas mieux administrées aujourd'hui que du temps où les conseils municipaux étaient choisis par le roi ou par ses délégués. En augmentant les pouvoirs du corps électoral et ceux de la Chambre qui en est le produit, on inféoderait la France à la bourgeoisie , c'est-à- dire à luie classe dont je reconnais les solides qualités, mais qui a le défaut d'être peu suscep- tible d'inspirations généreuses en faveur des masses. La bourgeoisie a, tout autant que l'aris- LETTRE XXIX. 293 tocratie , l'esprit exclusif de caste ; elle l'a plus calculateur et plus mesquin. Elle a de moins que l'aristocratie , la prévoyance politique , qui pré- vient les explosions et les orages par des conces- sions faites à propos. Il nous faut en France, dans l'intérêt de tous , un pouvoir arbitre suprême entre la bourgeoisie et les classes populaires. Sans l'intervention de la royauté, la bourgeoisie ajournerait peut-être in- définiment l'amélioration du sort des masses, et les pousserait à la révolte. C'est à la royauté que doit appartenir l'honneur d'élever les classes labo- rieuses à un meilleur sort, après avoir rempli la pé- rilleuse mission de les contenir dans l'ordre. Ne fut- ce pas elle qui autrefois affranchit les communes? Sans la royauté, les masses finiraient par vaincre la bourgeoisie et par la mettre sous leurs pieds. Otez la royauté et ses lieutenants de Paris au 6 juin, et de Lyon, aux journées d'avril, et dites à qui serait demeurée la victoire ? Dans nos pays d'Europe, où il existe de grandes villes^ toute bourgeoisie qui viendrait à manquer de l'appui d'un roi ou d'une aristocratie , serait ex- posée à un sort pire que celui de la bourgeoisie américaine (1). (i) Et, par exemple, si la bourgeoisie anglaise ne s'empres- sait pas de renforcer le pouvoir royal de tout ce qu'elle paraît vouloir ravir à l'ansiocralie , elle paierait cher le plaisir d'avoir humilie cette fière noblesse. 294 AMÉLIORATION SOCIALE. Si nous avions une aristocratie à coté ou au- dessus de la bourgeoisie, on pourrait espérer que le balancement de ces deux classes et leur rivalité fourniraient aux intérêts populaires une occasion pour se mettre en saillie, tout comme en Angle- terre la lutte entre la royauté et les barons a fini par l'institution d'un parlement avec une chambre des communes, c'est-à-dire, par l'émancipation de la bourgeoisie. Si nous étions encore de fervents catholiques , il serait permis d'espérer que l'intervention du pouvoir spirituel obtiendrait, moitié de gré, moi- tié de force, Tassentiment de la bourgeoisie et des autres pouvoirs à tout ce qui est nécessaire pour affranchir les masses de leur abrutissement , de leur misère et de leur ignorance. Nous n'avons plus d'aristocratie ; le pouvoir spirituel est mis à l'écart ; il ne reste plus debout qu'un pouvoir à qui confier la cause de la majo- rité numérique : c'est la royauté. Il n'y a même plus de royauté possible en France que celle qui s'érigera en tutrice ferme et dévouée du peuple. On se récria beaucoup , lorsqu'à propos de quel- ques paroles de Joséphine au Corps-Législatif, Napoléon fit publier dans le Moniteur que les membres de ce corps n'étaient point les repré- sentants du peuple , que le peuple n'avait qu'un représentant, l'Empereur. Je ne prétends point que Napoléon ait dit ce qui était; mais je n'hé* LETTRE XXIX. 295 site pas à affirmer qu'il dit ce qui aurait dû être. La bourgeoisie est représentée aujourd'hui par la Chambie des députés, et dans les grandes villes et les départements, par divers conseils électifs. La royauté doit représenter les classes inférieures. Si toutes les classes étaient et pouvaient être représentées dans les assemblées délibérantes, que d'ailleurs nous fussions propres au self-go- vernment^ et que dans la lutte acharnée des intérêts divers nous pussions nous passer d'un pouvoir modérateur fortement organisé, je com- prendrais que la prérogative royale fut restreinte, car le roi ne représenterait alors , en temps de paix, que la menue police des rues; mais si tout ce qui ne vote pas dans les collèges ne peut être représenté que par la royauté ; si les classes ainsi mineures ont de justes griefs à articuler, de lon- gues réclamations à faire valoir, une éclatante réparation à attendre, il est indispensable que la prérogative de la royauté soit fort large vis-à-vis du corps électoral, et des assemblées grandes ou petites qui en émanent. Il semble aujourd'hui que, toutes les fois que l'on réclame en faveur du pouvoir royal , on prêche la cause du despotisme. C'est la faute de la royauté^ surtout dans les pays de l'Europe mé- ridionale, la France comprise. Le spectacle des abus scandaleux éclos à l'ombre de la royauté en France et en Espagne, fit oublier ses services pas- 296 AMELIORATION SOCIALE. ses , et inspira aux philosophes du xviii* siècle une haine violente qu'ils firent aisément partager aux peuples opprimés. La révolution française fut le fruit de cette haine. Les excès de la révolution sont loin de nous ; mais la doctrine de la révolution est restée pres- que intacte dans ce qu'elle a de dissolvant comme dans ce qu'elle a de généreux; nous en avons re- tenu un principe désorganisateur , qu'un hono- rable philanthrope a naïvement résumé en ces mots, « qu'un gouvernement est un ulcère. » Les meilleurs esprits en sont pénétrés , et y cèdent à leur insu. On l'importe sans s'en douter jusque dans l'administration des affaires publiques. Les hommes le plus occupés de conservation ne le sont que par réflexion et de second mouvement; de premier jet nous sommes tous révolutionnai- res; notre premier instinct, c'est qu'un gouver- nement est un ulcère. La crise de juillet a été en France un coup porté au pouvoir royal, qui l'avait stupidement provo- qué ; elle a placé l'autorité entre les mains d'hom- mes qui, en haine des tendances coupables de la Restauration, avaient propagé pendant quinze ans la théorie àw. gouvernement-ulcère. Elle a eu pour effet immédiat de mettre cette théorie provisoi- rement à la mode. La Chambre des députés est composée en majorité d'hommes élevés dans ces idées, qui n'ont pu , en quatre ou cinq ans, en se- I>ETTJIE XXIX. 297 couerrinfliience; d'ailleurs, depuis le 7 août, elle a quelque raison de se considérer commele premier pouvoir de l'État; elle épie donc d'un œil jaloux et soupçonneux tous les pas du gouvernement, et tend à rétrécir le rayon dans lequel le mouvement lui est permis. Les députés les plus dévoués à sou- tenir la royauté contre l'anarchie , multiplient , sous les pas de ses agents, les dispositions régle- mentaires et les formalités inventées par des hommes étrangers à la pratique des affaires, en vue de se garder des empiétements d'un pou\îpir inepte et malveillant ou supposé tel. L'autorité, resserrée chaque jour dans des limites de plus en plus étroites , finirait, si l'on continuait à la pres- ser ainsi, par être emmaillottée comme une mo- mie égyptienne dans ses bandelettes. La Chambre des députés n'est pas seule à s'é- vertuer à mettre le pouvoir central dans une che- mise de force : ce n'est peut-être pas elle qui y travaille le plus activement. Le gouvernement, tout le premier, fait sur lui-même , avec une ré- signation candide, l'application des doctrines po- litiques de la fin du siècle dernier : on dirait qu'il accepte la qualification à' ulcère. Il est prêt à se réduire et à s'effacer, toutes les fois qu'il s'agit de ses prérogatives les plus précieuses, de celles qui touchent aux intérêts les plus vitaux du pays, aux améliorations positives et directes qui lui at- tireraient les bénédictions des peuples. Il est plein 298 AMÉLIORATION SOCIALE. de défiance en lui-même. Dans les cas difficiles , il recule devant une décision, et s'estime heureux d'en laisser la responsabilité à l'autorité législa- tive : par le fait, il convie les chambres à admi- nistrer, quoique entre elles et lui il soit convenu qu'elles ne doivent aucunement s'immiscer dans l'administration. Les grandes institutions gouvernementales, telles que le Conseil d'État , la Cour de Cassation et la Cour des Comptes , suivant les mêmes erre- m{3nts, se font aujourd'hui un point d'honneur de contribuer pour leur part à multiplier ce que Ton suppose être garantie et contrôle , et ce qui n'est en réalité qu'entrave à l'action libre du gou- vernement. Ces grands corps s'appliquent en toute loyauté à rogner les prérogatives ministé- rielles , sans crainte de hérisser de délais et d'em- barras la marche des affaires privées et publiques ; ils appliquent au gouvernement ce principe de la Constitution des États-Unis, que tous les pouvoirs qui n'ont pas été expressément accordés à l'auto- rité par la loi, ne sauraient lui être reconnus; tandis qu'en France il est indispensable de pro- céder d'après le principe contraire, que tous les pouvoirs qui n'ont pas été formellement retirés à l'autorité lui appartiennent en plein. Sans doute l'autorité royale , par les ministres ses délégués , serait coupable de s'arroger le droit de prononcer sur tout et d'intervenir partout^ LETTRE XXIX. 299 de sauter par-dessus les formes prescrites par des règlements salutaires; mais elle ne l'est pas moins toutes les fois qu'elle s'abstient là où agir est pour elle un droit et un devoir, ou lorsqu'elle tait bon marché de la prérogative qui lui est conhee. L'abnégation est une vertu qui sied très b.en à un moine dans le désert; elle n'est point de mise en politique, surtout chez nous. De la part de l'autorité, le suicide est un acte tout aussi reprehensible, tout aussi criminel que la violence la plus flagrante contre la liberté (1). Le peuple trançais ne s'accommodera jamais d'un simulacre de gouvernement. Il veut être bien gouverné, mais II a besoin de l'être beaucoup. La faiblesse est ce qu'il supporte le moins dans ses chefs. Les hommes médiocres qui, dans leur folle vanité, osent aspirer à présider aux destinées de trente- trois millions d'hommes, et qui, une fois parve- nus, rabaissent le pouvoir à leur taille et le laissent démanteler, ne mériteraient-ili pas, chez nous, detre accusés d'attentat contre l'ordre social, tout aussi bien que des révolutionnaires effrénés ou des contre-révolutionnaires en démencePTout comme ceux-ci et ceux-là, ne compromettent-ils pas la paix publique, ne minent-ils pas les fonde- ments de la prospérité et delà sécuritéde la patrie P 11 ny a cependant pas heu à s'alarmer déme- (i) Voir la Noie 49 à la fia dq Volume, 300 AMÉLIORATION SOCIALE. sûrement en France de Textrême diffusion des principes révolutionnaires et de leur empire abso- lu sur beaucoup d'hommes éininents, ni de l'abais- sement actuel de l'autorité royale. Il est impos- sible que nous ne soyons pas imprégnés d'idées révolutionnaires, à la suite d'une longue lutte contre une royauté qui était à Fétat de conspira- tion permanente contre les libertés nationales. Il était inévitable que la royauté nouvelle ^ inau- gurée sur les débris d'une royauté incorrigible , fut d'abord refoulée dans une étroite préroga- tive. Le peuple, dans sa colère, avait traîné le sceptre et le bandeau royal dans le ruisseau; com- ment ces augustes insignes n'en porteraient-ils pas les marques ? Mais aujourd'hui que la liberté vient de remporter un triomphe définitif, parce qu'il n'a été souillé d'aucun excès, et que le cri du sang ne s'élève plus contre elle , les passions révolutionnaires doivent se calmer, les idées de défiance excessive contre le pouvoir doivent se dissiper et faire place à celles d'un contrôle éclairé et d'un concours cordial. La cause a dis- paru; l'effet doit aussi disparaître. Déjà une foule de bons esprits commencent à se dire qu'à force de vouloir mettre l'autorité dans l'impossibilité de faire le mal, on la rend incapable de faire le bien ; que les affaires d'un grand peuple passionné pour l'unité ne peuvent se passer d'une direction su- prême, imprimée par le pouvoir que l'on appelle tETTHE XXIX. 301 avec raison et intention le gouvernement ; que la royauté a plutôt besoin d'être rassurée et en- couragée que d'être contenue ; que la puissance bien constatée aujourd'hui des peuples, et les conquêtes de l'intelligence humaine ne permet- tent plus à un homme de quelque sens, prince ou ministre, de songer en France à un gouver- nement de violence, sans publicité ni contrôle. Ils sentent que désormais le scandaleux abus qu'en d'autres temps des princes ont fait de leur autorité, est devenu impossible ; qu'après les vertes leçons que la royauté a reçues et les calices d'amertume qu'on lui a fait avaler jusqu'à la der- nière goutte de lie , le retour des Charles IX et des Louis XV n'est pas plus à craindre que celui des Robespierre et des Marat. Combien existe-t-il de familles régnantes qui n'aient pas été visitées par l'assassinat ou par l'exil ? Quel est le souverain à qui les souvenirs de la place de la Révolution, du palais de Paul I", d'Holyrood et de Sainte-Hélène, de Gand et de Cadix, n'aient pas donné le cauchemar? La res- ponsabilité royale n'est pins un vain mot; lais- sons les rois en courir les chances. L'autorité monarchique se réhabilite d'ailleurs par ses actes. Tous les hommes impartiaux sont frappésdesaméliorationsopéréesparcertainsgou- vernements d'Allemagne quenous étions habitués ^ qualifier d'absolutistes, et à regarder comme 302 AMELIORATION SOCIALE. des suppôts d'asservissement et d'obscurantisme. Le principe républicain a produit les États-Unis, mais il a enfanté aussi ces misérables républiques de l'Amérique espagnole. Si le principe exclusif de centralisation royale a créé l'Espagne et le Por- tugal modernes, c'est lui aussi qui a fait la Prusse actuelle, dont les développements intellectuels et matériels pourraient presque soutenir la compa- raison avec ceux de l'Union américaine. Chez nous, qui sommes mixtes par notre origine et par la situation géographique de notre France, qui participons par notre caractère aux natures les plus opposées , une monarchie tempérée où h. part de la royauté sera large , nous fera jouir des avantages de l'un et de l'autre régime , et nous préservera des chances funestes auxquelles sont exposés ceux qui se tiennent dans les extrê- mes. Le pouvoir royal, rendu à la sagesse par les solermels enseignements de la Providence , rap- pelé au sentiment de ses devoirs envers le peuple par l'épouvantable courroux du peuple soulevé, régénéré dans son sang par l'intronisation d'une autre dynastie qui tient au passé par ses tradi- tions et à l'avenir par ses intérêts , et, enfin , sti- mulé parle double aiguillon de la publicité et du contrôle , doit être en mesure chez nous d'entre- prendre la réforme sociale. La royauté nouvelle , née du besoin de la conciliation , peut accomplir cette réforme sans briser d'existences, par une LETTRE XXIX. 303 méthode un peu lente peut-être , mais sûrement et irrévocablement. Il lui appartient de provoquer les améliorations déjà réalisables (1) , d'en méditer ou d'en mûrir d'autres, et de les mettre en prati- que dès que le progrès de la moralité publique y aura préparé les esprits. Elle est admirablement placée pour réchauffer et développer tous les ger- mes de bonnes institutions épars dans notre lé- gislation et dans nos règlements administratifs (2), pour retoucher à nos lois (3) d'une main pru- dente et ferme; pour diriger du côté du progrès la masse des forces publiques ; pour monter sur ce diapason la Aaste et puissante machine de la centralisation 5 pour appeler au grand œuvre le concours de tous les hommes supérieurs ; pour coordonner et soutenir les efforts que les bons citoyens sont prêts à faire et font déjà, afin d'at- teindre ce b]it (4). (1) Voir la Lettre xxvui. (2) Voir la Note 5o à la fin du Volume. (3) Voir la Note 5i à la fin du Volume. (4) Les caisses d'épargne, les salles d'asile, les comices agri- coles, etc., ont été créés par des particuliers amis du bien pu- blic. Une loi récente a élevé les caisses d'épargne au rang d'in- stitutions publiques sans les priver du zèle des citoyens, (Voir la Note 52 à la fin du Volume.) Les comices agricoles et les fermes- modèles reçoivent aussi les encouragements de l'autorité cen- trale ou dé['artemenlale. Les sociétés industrielles, sur le mo- dèle de celles de Nantes et de Mulhouse, mériteraient d'exciter davantage la sollicitude du gouvernement et des localités. (Voir la Note 55 à la fin du Volume.) 304 AMELIORATION SOCIALE. Si l'on admet que telle est en France la mission du pouvoir royal, il s'ensuit nécessairement que nous devrons modifier notre pratique du système représentatif. Chaque année, pendant les six mois les plus favorables au travail de cabinet , les Ministres du Roi sont tenus sur la sellette par la Chambre des Députés. Tout leur temps est absorbé à préparer des discours et à en dire , ou à confé- rer en conseil sur les incidents de la polémique parlementaire. Il ne leur reste plus un instant pour l'administration; et comme la Chambre n'administre pas, et que le pays s'administre peu lui-même, la marche des affaires reste sus- pendue et tous les intérêts du pays sont en souf- france. En Angleterre, les longues sessions n'ont pas d'inconvénient, parce que les conseillers de la couronne n'administrent pas le royaume : l'administration est laissée aux localités, ou est confiée à des commissions indépendantes, ou en- fin elle réside dans les Chambres qui y vaquent régulièrement, à des heures données, soit en réunion générale , soit dans des comités spéciaux. Chez nos voisins, les débats parlementaires à effet forment l'accessoire du système. Les hop mes qui y brillent ne sont pas les hommes les plus utiles et les plus actifs du parlement ; ils appa- raissent de temps à autre pour réveiller l'atten- tion publique tandis que d'autres font les affaires. Ch'.'z nous^ la Chambre djes députés n ayant rien LETTRE XXIX. 305 autre pour s'occuper, se plaît dans ces discus- sions où de grands orateurs luttent corps à corpsy Elle recherche les scènes de pugilat parlementaire entre d'habiles et vigoureux athlètes. Ce sont des représentations dramatiques dont le public n'est pas moins avide qu'elle, mais qui, si elles dis- traient le pays, ne le rendent ni meilleur ni plus éclairé, ni plus riche, et consomment sans profit les efforts et l'intelligence des hommes su- périeurs. Sous la restauration , ces habitudes répondaient à un besoin de résistance opiniâtre contre une royauté qui méconnaissait les droits de la nations Désormais elles ne répondraient plus qu'à un besoin de taquinerie , qui est peu vif dans le pays. Si elles offrent quelque satisfaction à la passion de la liberté, ce ne peut être qu'à celle d'une liberté négative et impuissante. La liberté active, la liberté féconde, celle que la France réclame aujourd'hui, n'a rien à attendre d'un régime qui consacre à côté du gouvernement un pouvoir purement et simplement constitué pour l'annuler, et qui place l'État dans la position de ce char des sculpteurs, qui est tiré en sens contraire par deux vigoureux attelages. Cette liberté s'organisera chez nous, comme partout ailleurs, par le déve- 1 oppement graduel des institutions locales et mu- nicipales, et pas autrement ; tout comme le prin- cipe d'autorité 5 qui est l'autre moitié de la Vie n, 20 306 AMÉLIÔRATÎOÎÎ SOCIALE. politique des peuples, ne répandra sur la France Jes bienfaits que l'on est fondé à espérer de lui que lorsqu'il aura au centre du pays une existence plus ample et plus indépendante. Sous l'influence du protestantisme et de la ré- publique , le progrès social s'est opéré par le procédé du morcellement poussé à sa limite ex- trême , l'individualisme ; car protestantisme , ré- publicanisme et morcellement, c'est tout un. Les individus se sont déliés les uns des autres ; cha- cun a isolé sa personnalité pour la renforcer ; ou si Ton s'est associé, l'on n'a constitué que des . associations restreintes , sans aucun lien entre elles. La république des États-Unis se subdivise in- définiment en républiques indépendantes de di- vers ordres. Les États sont des républiques dans la fédération ; les villes sont des républiques dans l'État une ferme est une république dans le comté. Les compagnies de banques, de canaux , de chemins de fer , sont autant de républiques distinctes. La famille est dans la cité une répu- blique inviolable; chaque individu est, à lui tout seul , une petite république dans la famille. La seule milice qui soit effective, se compose de compagnies de volontaires qui n'ont aucun rap- port entre elles. L'organisation religieuse du pays ressemble à son organisation politique et civile. Les diverses sectes sont indépendantes LETTRÉ XXIX. 307 Jes unes des autres, et la plupart texident à se dé- composer indéfiniment en fractions complète- ment isolées. Notre génie national veut au contraire qu'en France on agisse principalement sous l'invocation des principes d'association et d'unité, qui sont caractéristiques du catholicisme et de la mo- narchie (1). La France est la plus belle unité politique et administrative qu'il y ait au monde. Nos existences individuelles ont besoin d'être enchevêtrées les unes aux autres. Nous aimons l'indépendance, mais nous ne nous sentons vivre que lorsque nous faisons partie d'un tout. La solitude nous accable; la personnalité de l'An- glais ou de l'Américain peut se soutenir seule; la nôtre a besoin d'être classée dans un fais- ceau. Pour les Français, peuple éminemment sociable , comment le procédé de l'association ne serait-il pas le meilleur? Mais il faut que l'asso- ciation soit hiérarchique; avec nous, l'association républicaine dégénère en anarchie (2). Je conclus : Si j'avais à définir les conditions les plus favorables au progrès en France , je dirais qu'elles consistent à l'entreprendre sous (i) C'est ainsi que lorsqu'on a voulu organiser sérieusement les caisses d'épargne , on les a toutes reliées entre elles par le Trésor : on en a fait un tout parfaitement an, sans cependant porter la moindre atteinte à leur indépendance indifiduelle, (2) Voir la Note 54 à la fin du Volume. 308 AMÉLIORA.TION SOCIALE.' l'inspiration religieuse, à en confier Taccomplisse- ment dans la plupart des cas, aux pouvoirs con- stitués, central et locaux, et avant tout,à la royau- té; à l'opérer principalement au moyen d'institu- tions empreintes du double caractère d'unité et d'association hiérarchique, immédiatement com- prises dans le giron de la grande association, qui est l'État, ou à l'ombre de puissantes associations secondaires qui , elles-mêmes , seraient toutes rat- tachées à l'État. Plus nous nous rapprocherons de ces conditions normales et plus le succès sera éclatant; plus tôt nous aurons le bonheur de voir cette chère France, prospère au dedans, reprendre dans l'univers la haute position qu'elle doit y occuper. XXX. L ETAT-EMPIRE. Albany (New-York) , ii septembre i855. Il y a aux États-Unis deux types bien caracté- risés, TYankée et le Virginien (t), dont jusqu'à présent le balancement a produit la vie de l'Union . Un troisième surgit dans l'Ouest, qui paraît de- voir être l'arbitre et le lien des deux autres , s'il sait lui-même conserver son unité, ce qui ne sera pas très aisé , car l'Ouest compte des Etats à es- claves, et des États où l'esclavage est interdit. Provisoirement cette haute fonction de modéra- teur est remplie par la réunion des États connus sous le nom d'États du Milieu ou du Centre ^ qui, géographiquement, forment l'intermédiaire entre les deux extrémités du littoral de la Confédéra- (i) Voir Lettre x , tom. i. 310 l'etat-empire. tion; ou plutôt elle appartient maintenant à l'Etat de New- York, qui est le plus important, non seulement des États du Milieu, mais de l'Union tout entière (1). Pour servir de lien entre deux types, il est nécessaire d'en porter en soi les qualités princi- pales; l'État de New-York doit donc combiner la largeur de vues du Sud avec l'esprit de détail du Nord. Pour être, même à demi , la personnifi- cation de l'unité dans le grand corps de la con- fédération américaine, il est indispensable de posséder soi-même à un haut degré le sentiment de l'unité. Pour avoir le don de centraliser l'Amé- rique, même fort imparfaitement, il faut être doué du génie de la centralisation. Depuis quelque temps , en effet, on a signalé dans l'État de New- York un caractère de grandeur, d'unité et de centralisation qui lui a valu la qualification d'^- tat-Empire (Empire-State). Quoiqu'il soit le plus proche voisin des six États de la Nouvelle-Angle- terre^ quoiqu'il touche à trois d'entre eux et qu'il soit devenu la résidence de beaucoup de leurs enfants , il a su s'affranchir de l'esprit de morcellement extrême qui distingue les Yankees , ou, pour mieux dire, il a su le contre-balancer (i) Autrefois le premier Etat du milieu était celui de Pensyl- vanie. Le Congrès résidait originairement à Philadelphie. La Pensylvanie reçut alors la qualification de Clef de la voûte fédérale {Key-Stonc- State). LETTRE XXX. 31 1 par un développement proportionnel de Fesprit d'unité. L'Opposition, qui a le dessous dansles conseils législatifs de cet État, et qui en a de l'humeur, cherche à faire honte aux populations de la cen- tralisation qui commence à étendre son réseau sur elles. « Vous êtes menés, dit-elle , par la Ré- gence (\) d'Albany; une demi-douzaine d'amis de M. Van-Buren, recevant la consigne du gou- verneur Marcy, vous font mouvoir comme des marionnettes. » L'Opposition exagère. Il est cer- tain pourtant que l'organisation de cet État , et surtout les habitudes administratives qui y ont été établies depuis quelques années sous l'in- fluence de M. Van-Buren , et qui font précédent pour l'avenir, ont un cachet de centralisation dont les partisans de l'indépendance individuelle illimitée ont droit de s'alarmer, mais dont les hommes sages doivent s'applaudir ; car c'est pré- cisément par là que l'État de New-York est de- venu supérieur aux autres ; c'est par là seulement qu'il maintiendra sa supériorité. En combinant ainsi avec la force d'expansion, qui domine par- tout ailleurs dans l'Union américaine , upe force de cohésion suffisante , on a donné à la constitu- (i) Albany Regency. Albany, capitale de l'État de New- York, a été fondée par des Hollandais , et le nom de Régence est em- ployé dans les Pays-Bas pour désigner les autorités des \illes ; c'est ce à quoi l'Oppositioa fait allusion. 3 1 2 l'état - EMPI RE . tion de cet État une élasticité, qui, pour les peuples comme pour les individus, est la condi- tion d'une longue et prospère existence. Inorganisation des écoles primaires et de l'in- struction publique en général y est centralisée. La plupart des États de l'Union ont une caisse de l'instruction primaire; dans les États de la Nou- velle-Angleterre, le revenu de cette caisse est réparti entre toutes les communes, qui en dis- posent à leur gré sans que l'État ait le droit d'exercer aucun contrôle réel et d'imposer aucune condition. L'État de New-York procède plus im- périalement: il oblige les diverses communes à fournir elles-mêmes une somme au moins égale à la subvention publique, sinon la subvention n'a pas lieu (1). Cette méthode, que nous commen- çons à employer en France dans beaucoup de cas et sous beaucoup de formes^ tant en matière de travaux publics que d'instruction élémentaire, est bien préférable à celle du Connecticut, par exemple , qui distribue annuellement aux locali- tés, dans le même but, la même somme que l'État (i) Il est même stipulé que la subvention de l'Etat sera tout catièrc destinée à rétribuer les maîtres d'école. L'allocation des communes qui, d'après la loi , doit être au moins égale à la subvention , reçoit la même destination ; en outre les parents aisés, dont la liste est dressée par un comité local, ont à payer au maître les mois d'école de leurs enfants. Les dépenses maté- rielles sont entièrement à la charge des localités. (Voir la Note 65 à la fia du Volume. ) LETTRE XXX. 313 de New- York (500,000 fr. environ), sans qu'il lui soit rendu compte de l'emploi de la subvention , sans même que FÉtat puisse vérifier si réellement elle a été consacrée à l'enseignement primaire. En 1 834 , les écoles primaires de l'État de New- York ont été fréquentées par 54 1 ,40 1 personnes : or, le nombre des enfants de cinq à seize ans existant dans l'État n'est que de543,085. Les frais réunis ont été de 7,000,000 fr., dont 4,000,000 ont été employés à payer les maîtres d'école. Chez nous, il y a quatre ans, la somme totale four- nie à l'instruction primaire par l'État, les dé- partements et les communes, n'était que de 4,000,000 fr. Aujourd'hui, grâce aux efforts de M. Guizot, cette somme s'élève à douze millions environ. En y comprenant quelques autres res- sources, le budget de l'instruction primaire doit atteindre quatorze millions. Ce n'est pourtant encore que le triple du chiffre qu'il atteint dans l'État de New-York , qui est seize fois moins peuplé que la France. Le nombre des enfants qui fréquentent les écoles, en France, est de 2,450,000, c'est-à-dire du treizième de la popu- (i) L'état de nos écoles présente cette circonstance afûij»eante cfiie le nombre des filles qui les fréquentent est beaucoup moindre que celui des garçons; sur a, 45o,ooo élèves, 825.000 seulement sont des Biles. C'est un mal qui réclame un prompt remède. Dans aucun pays du monde TinQuence de la mère de famille sur les enfants n'est aussi importante qu'en FranceJ 314 L ETAT-EMPIRE. lation, ou trois fois moindre proportionnelle- ment que dans l'État de New-York(l). Toutes les écoles primaires de l'État de New- York, au nombre de plus de dix mille, ressor- tissent d'un comité spécial composé principale- ment des premiers fonctionnaires de l'État et dont le secrétaire d'État (2) est le membre le plus actif. Ce comité pourvoit à l'instruction des maîtres d'école, se fait rendre un compte détaillé de la tenue des classes et choisit les livres élé- mentaires. A cet égard, la Virginie, l'Ohio et quelques autres États de l'Union, sont entrés dans un système analogue; mais l'État de New- York a cela de particulier qu'il possède en outre un Conseil Universitaire dont les membres , ap- pelés Régents de l'Université y sont nommés , au nombre de vingt-quatre, parla législature, et de qui relève la presque totalité des soixante-huit écoles supérieures appelées Académies. L'État compte aussi sept collèges, dont l'un est qualifié d'Université de New-York , qui cor- respondent , d'un peu loin il est vrai , aux univer- sités d'Angleterre et d'Allemagne avec leurs quatre facultés. La surveillance que le gouvernement de l'État de New-York exerce sur les Académies est fort (i) V ir la Note 56 à la fin du Volume. (2) C'est le premier fonctionnaire de l'État après le gouver- ueur ; tout le travail des bureaux repose sur lui. LETTRE XXX. 315 bornée, quant à présent. Elle se réduit à une visite annuelle faite par un ou plusieurs Régents de rUnwersité; mais l'État pourra étendre son in- fluence, quand il le voudra, par le moyen de subventions déjà en usage. En 1834, ces subven- tions se sont élevées à la somme totale de 64,000 fr. Le nombre des élèves fréquentant les Académies a été, pendant la même année, d'un peu plus de 5^,000 pour une population d'environ 2,100,000, soit deux élèves et demi par mille âmes. En France , avec une population de 33 mil- lions, l'on compte dans les collèges 80,000 élèves; c'est aussi deux élèves et demi par mille âmes. La conclusion de ce rapprochement serait qu'aux États-Unis, où le besoin de l'instruction élémen- taire est universellement senti, le désir d'une édu- cation quelque peu relevée est proportionnelle- ment moins général que chez nous ; car le nombre des familles aisées en état de la payer est beau- coup plus considérable aux États-Unis qu'en France. A ce compte, nous reprendrions, jus- qu'à un certain point, en matière d'enseigne- ment secondaire, l'immense avantage que les Américains, ceux au moins de l'Élat de New- York et des États voisins, ont sur nous en fait d'enseignement primaire (1). Le même esprit d'unité et de centralisation a (i) Vc»r la Note 67 à la fin du Volume. 316 I. ETAT-EMPIRE . dicté un règlement général sur les banques y fort remarquable en principe, susceptible d'acquérir une grande valeur pratique, et qui n'a son ana- logue dans aucun des autres Etats de l'Un ion , ni dans aucun pays du monde. Ce règlement, appelé ^^cte du fonds d'as- surance (^Safety-Fund'Act) y crée une caisse destinée à subvenir aux engagements des ban- ques qui viendraient à faillir. A cet effet , le 1 "janvier de chaque année, chacune des banques de l'Etat verse, dans une caisse spéciale, une somme égale à 1/2 p. 100 de son capital, jus- qu'à ce que la somme de ses versements s'é- lève à 3 p. 100 dudit capital. Lorsque le fonds d'assurance aura été entamé , il devra être re- mis à son niveau naturel par le même pro- cédé. Les banques sont placées , avec la caisse d'assurance , sous la surveillance de trois Com- missaires nommés, l'un par le gouverneur et le sénat, les deux autres par les banques (1). Ces Commissaires visitent, au moins trois fois par an, toutes les banques de l'État, examinent leurs opérations, et s'assurent que chacune d'elles s'est conformée aux clauses de sa charte. A chaque instant, sur la demande de trois banques, ils sont tenus de soumettre à une investigation spéciale toute autre banque par elles désignée , (i) Dans rassemblée générale des banques chacune d'elles a autant de voix qu il y a de fois 5,ooo doll. dans son capital réel. LETTRE XXX. 317 et , en cas de contravention , ils doivent la faire fermer par la Cour de Chancellerie ( Court oj Chancery ). Cette loi contient diverses clauses combinées de manière à faciliter aux Commissaires l'exer- cice de leurs fonctions, et à empêcher qu'ils ne soient trompés; les Commissaires sont investis du droit de se faire présenter tous les livres, d'interroger tous les employés des banques sous la foi du serment. Ils touchent un salaire de 2,000 doll. sur la caisse d'assurance. Les di- recteurs et employés de banques qui feraient un faux rapport à la législature, produiraient de fausses pièces ou dénatureraient les écritures, avec intention détromper les Commissaires, sont passibles de trois à dix ans de prison. La loi ré- duit à 6 pour 100 le taux de l'escompte pour les effets à moins de soixante-trois journées; elle fixe aussi une limite aux émissions de billets, ainsi qu'aux prêts et escomptes ; il est statué que les billets en circulation ne pourront dépas- ser le double du capital réel, et que les prêts et escomptes n'iront pas au-delà de deux fois et demie le même capital. Il s'en faut que cet ar- ticle ait été rigoureusement observé jusqu'à présent. Le nombre des banques existant dans l'État est de quatre-vingt-sept, dont soixaute-dix-sept seulement sont soumises aux dispositions du 3 1 8 l'état-ëmpire. Safety-Fund-Act', les autres avaient été instituées avant le 2 avril 1829 , date de la loi. Comme , à l'exception d'une seule, Manhattan-Bank ^ qui a été autorisée à perpétuité , elles auront toutes be- soin de faire renouveler leur charte d'ici à dix ans, elles seront bientôt rentrées toutes , moins une, sous l'empire de la loi commune du Safetf-Fund- Act. Le capital réuni des quatre-vingt-sept ban- ques de l'État s'élève à 168,000,000 fr. L'actif de la caisse d'assurance approche aujourd'hui de trois millions. La somme annuelle des prêts et escomptes effectués par les banques de l'État de New- York, en la supposant quadruple de celle des effets en portefeuille, serait actuellement de 1,500 millions de francs, indépendamment des opérations des trois succursales de la Banque des États-Unis, que l'État possède à New-York , à Buffalo et à Utica. Pour la ville de New- York seule, elle s'élèverait à 940 millions, c'est-à-dire au double des opérations actuelles de la Banque de France. Mais rien n'a autant contribué à attirer à l'État de New -York sa réputation impériale ^ que l'énergie qu'il a déployée pour Canaliser son territoire. Toutes les ressources de l'État y furent consacrées ; toutes les volontés de ses ci- toyens , réunies en un faisceau , convergèrent pendant huit ans vers l'accomplissement de cette grande œuvre. Malgré les prédictions les plus si- LETTRE XXX. 319 nistres, malgré les remontrances des hommes les plus vénérés de toute l'Union , Fassurance de ce jeune État ne se troubla pas un seul instant. Le plus beau succès couronna ses efforts : com- mencé en 1 8 1 7, le grand canal fut achevé en 1 825. L'Etat de New- York possède un grand nom- bre de canaux faisant une longueur totale de 247 lieues 1/2, et ayant coiité soixante-cinq millions (1). Ils ont été exécutés aux frais de l'Etat, qui s'est procuré la majeure partie des fonds par voie d'emprunt. Un seul est encore à terminer; c'est le canal Ghénango, qui sera achevé dans le courant de 1836. La Hgne centrale de ces travaux est le grand canal Erié , sur lequel viennent s'embrancher tous les autres, et qui traverse l'État dans sa plus grande dimension. Il part d'Albany et deTroy, à la tête de la navigation du fleuve Hudson , et se termine à Buffalo sur le lac Erié. Parmi les autres, les plus remarquables sont : le canal Champlain qui, avec le lac du même nom et la rivière Richelieu, complète la communication par eau entre l'Hudson et le fleuve Saint -Laurent, entre New- York et Québec; le canal Os wégo, qui relie le canal Erié au lac Ontario , et le canal Ghé- nango, qui doit opérer la jonction entre le canal Erié et la Susquéhannah, fleuve principal de (i) Y compris ce qu'exigera l'achèvement du canal Chénau go. 320 LETAT-EMPIRE. la Pensylvanie. Les autres , fort courts , ratta* chent à ce système un grand nombre de petits lacs disséminés dans le nord-ouest de l'État de New-York. Le grand canal Erié, le plus important de tous ces ouvrages, est généralement d'une construc- tion simple , peu large et peu profond. Mais si , comme objet d'art, il est médiocrement intéres- sant^ comme artère commerciale, il est prodi- gieux. A voir nos canaux , sur lesquels des barques massives sont halées péniblement par un homme qui chemine lentement, on n'a pas une idée de ce qu'est ce grand canal de 146 lieues et demie, avec la flotte de barques couvertes , élégantes et légères, qu'y font glisser de vigoureux attelages. A chaque instant les bateaux se croisent, et le cor du batelier avertit l'éclusier de se tenir prêt. A chaque instant le paysage varie; tantôt on fran- chit une rivière sur un aqueduc, tantôt l'on tra- verse de grands villages tout neufs, beaux comme des capitales, et dont toutes les maisons, avec leurs portiques à colonnes, ont au dehors l'air de petits palais : c'est admirable d'animation et de variété (1). (i) Le voyage dans les bateaux du grand canal serait charmant et presque poétique , n'étaient les tourments d'une longue nuit passée en compagnie de cinquante personnes dans une chambre de trente pieds de long sur dix de large et six de haut, sur des couchettes de dix-huit pouces de largeur , disposées en Ai ois jél âges, sur la hauteur de la chambre. LETTRE XXX. 32 î Il est transporté actuellement sur le canal Erié 430,000 tonneaux pesant de marchandises diverses, et sur le canal Champlain 307,000 ton- neaux, avec un tarif très modéré. Le produit des péages atteint maintenant huit millions. En France, ceux de tous les canaux possédés par l'État et de toutes nos rivières ne donnent que 3,726,000 francs (1). L'État de New- York comptait en 1817, lors- qu'il commença son grand canal, 1^250,000 ha- bitans, disséminés sur une surface qui est à peu près le quart de celle de la France. Pendant que de graves publicistes discutaient en Europe s'il était convenable qu'un gouvernement se fît en- trepreneur de travaux publics , et que les gou- vernements les plus puissants prêtaient scrupu- leusement l'oreille au débat, afin de savoir s'ils avaient le droit d'enrichir les peuples par des travaux créateurs, eux qui n'avaient jamais douté qu'ils n'eussent celui de dépenser des milliards d'argent et des millions d'hommes à dévaster l'Europe, les modestes autorités de cet empire en miniature résolvaient la question, sans se douter qu'elle pût embarrasser ailleurs d'aussi grands potentats. L'État de New- York s'est fait entrepreneur de travaux publics et s'en est bien trouvé. Après les avoir exécutés, il les a exploit (i) Voir la Note 58 à la fin du Volume. II. 21 322 L ETAT-EMPIRE. tés pour son compte , et s'en est trouvé mieux encore. Le revenu de ses canaux a déjà suffi ^ conjointement avec quelques allocations assez modiques, pour amortir près de la moitié de la dette contractée pour leur construction. Aussi le brillant résultat du canal Erié a été, aux États- Unis , le signal des plus vastes entreprises de tra- vaux publics pour le compte des États. La Pen- sylvanie , l'Ohio, le Maryland, la Virginie et lln- diana, ont suivi l'exemple de New- York et se sont décidés à ouvrir, à leurs frais, sur leur territoire , des communications de toute espèce j au risque d'encourir la disgrâce des économistes timorés de l'Europe. ^:: L'État de New-York a même poussé plus loin son intervention dans les travaux publics : dans toutes les chartes qu'il accorde à des compagnies de cheminfe de fer, il se réserve le droit de les exproprier après dix ans de jouissance j moyen- nant des conditions réglées dans la charte elle- même , et qui , de la part de l'État , soitt vraiment libérales : il leur rembourserait leurs frais de premier établissement ou d'amélioration ; et com- pléterait tous les dividendes jusques au taux de 10 pour cent, dans le cas où ils n'auraient pas atteint ce chiffre (1). (i) Plusieurs États se sont ainsi expressément réservé le droit d'acquérir les chemins de fer et canaux concédés à des com- pagnies. Les bases de l'expropriation qu'ils ont posées dans ce LEtTRE XXX. 323 Ainsi ^ TÉtat de New-York, dans son humeur impériale, a posé la main sur l'instruction publi- que j sur les banques et sur les voies de commu- nication, pour les centraliser : c'est un fait entiè- rement consommé à l'égard des travaux publics. îl est encore loin d'avoir affermi le principe d'unité dans les écoles, et surtout dans les banques; mais il y marche graduellement et d'un pas silr. Comme je l'ai déjà dit, la centralisation est entrée dans les habitudes administratives de l'État plus ayant encore que dans les actes de la législature; c'est une garantie que les lois d'tmité n'y resteront pas sur le papier. Les leçons de l'État de New- York profitent à ses voisins. Gomme lui , ils se centralisent en eil- globant dans la sphère des attributions de l'État , les écoles , les banques et les travaux publics. Ils voient par son exemple que l'esprit d'entreprise individuelle n'a rien à souffrir de ce que le gou- vernement soumette à son contrôle et à son au- torité ces trois grands ressorts de la prospérité nationale, et même de ce qu'il les fasse jouer di- rectement pour son compte; car nulle part, aux cas sont moins favorables presque partout qu elles ne le sont dans l'État de New- York. L'État du Massachusetts a cependant adopté les mêmes , en étendant à vingt ans le délai de dix ans , pendant lequel la jouissance de l'ouvrage est assurée à la com- pagnie. L'État de New-Jersey a stipulé qu'il pourrait acquérir divers ouvrages à un prix qui , est-il dit , ne pourra dépasser les frai» de premier établissetoent. 324 LETAT-EMPIRÊ. États-Unis , l'esprit d'entreprise n'est plus vigou- reux et plus clairvoyant qu'à New- York. Malgré le Safety-Fund-Jct , il n'y a nulle part un pareil nombre de demandes en autorisation pour des banques. Malgré les lois universitaires de l'État, nulle part les établissements d'éducation ne se multiplient plus rapidement. Nulle part il n'y a plus de chemins de fer en train. L'État de New- York compte trente-deux lieues de canaux et quarante de chemins de fer, exécutées par des compagnies. Soixante à quatre-vingts lieues de chemins de fer sont en construction, et une com- pagnie s'est organisée pour construire un chemin de fer de New-York au lac Érié , par le sud de l'État (1 ) , sur une longueur de 190 lieues (2). Il serait vraiment trop fort qu'un pays comme la France , où l'on se pique d'apprécier à leur va- leur l'unité et la centralisation;, fût moins hardi que ces petites républiques nées sous l'influence du principe d'individualisme, et que nous tardas- sions plus long-temps à prendre un parti impérial à l'égard des institutions de crédit, des travaux publics , et de l'enseignement industriel qui nous est indispensable. Il ne s'agit pas seulement d'accroître la richesse du pays. Il y a d'autres raisons , de la nature la plus élevée , pour que les gouvernements moder- (i) Le canal en traverse le nord. (2) Voir plus haut. Lettre xxn, page 44' LETTRE XXX. 325 nés interviennent dans les institutions d'intérêt matériel, et étendent ainsi leur direction sur l'in- dustrie. Le progrès de la civilisation consiste sous le rapport individuel en ce que chacun devient de plus en plus apte à porter le poids de sa person- nalité. L'ordre social, ayant ainsi des garanties in- dividuelles de plus en plus fortes, semble avoir moins besoin de garanties légales et publiques : à cet égard pourtant il y a lieu à une distinction essentielle. Lacivilisationdépouillegraduellementrhomme des habitudes grossières et des penchants brutaux de la vie sauvage. Il y a dans le Deutéronome beaucoup de défenses et de prescriptions qui, de nos jours, seraient parfaitement superflues. Le genre humain n'a même guère plus besoin qu'on lui enseigne l'article du Décalogue : Homicide pointue seras. Le licteur et le bourreau perdent de leur importance sociale; le constable , le shé- riff et le directeur du pénitencier sont à la veille de les remplacerpartout, il faut l'espérer. L'ordre public a commencé, et continuera de plus en plus à se passer de l'assistance du glaive; et, sous ce rapport, la raison individuelle substitue heu- reusement sa sanction volontaire à la sanction impérative des pouvoirs poHtiques et à la con- signe de la force armée. L'entendement humain se cultive; les senti- 326 LETAT-FMHïlE. ments s'élargissent et s'épurent : cependant, leç passions élémentaires et primordiales sont tou- jours les mêmes. Elles se combinent dans un or- dre différent, et s'appliquent à cj'autres objets; mais si ejl^s se sont tempérées , c'est seulement dans quelques forrnes extérieures; si ellea se sb,x\% polies , c'est uniquement à la surface ; le fond est: resté tout aussi âpre, tout aussi brûlant qu'il l'é- tait autrefois (1). En politique surtout , la jalov^sie et l'ambition existent au même degp chez ï\om, que chez les Romains et les Grecs. Elles n'ont plus le poignard à la m^in ; elles ne répandent plus le poison y elles n'ont mémp plus recours à l'inter- médiaire des sicaires et des Locustes ; mais elles ne sont ni moins injustes, ni moins insatiables, ni moins acharnées que dans Ips temps ^nciens^ Elles n'assassinent plus le corps , elles s'attaquent à l'honneur; la calomnie leur tient lieu de stylet, et les sert tout aussi bien que le suc des plantes vénéneuses; la çiviUsation leur fournit mille nou- veaux moyens de s'assouyir. Eljes sopt plus vives et plus remuantes que jamais; elles fermentent au fond de beaucoup de plus de poitrines; elles intriguent autant qu'à toute autre époque , et se soucient aussi peu de tx'oubler la paix publique et de bouleverser l'État. (i) Madame de Slaël a dit : « Bizarre destinée de l'espèce hii- » maine , condamnée à rentrer dans le même cercle par les |)as' ') sÎQnS) tandis qu elle avance toujours dans la carrière des idées ! » LETTRE XXX. 32 Je ne crois pas que Sylla et Marius , César et Pompée, se soient plus cordialement détestés que le général Jackson, président des États-Unis, et le président delà Banque des État-Unis, M. Biddle. Si l'on voulait rechercher les types de Gain et d'Abel parmi les hommes d'État des temps mo- dernes, on pourrait en dresser une liste d'ef- frayante longueur. A cette force dissolvante, qui augmente au lieu de diminuer, en raison du nombre croissant des individus admis à l'influence politique, il est in- dispensable d'opposer des éléments de cohésion doués d'une activité et d'une intensité égales. C'est pour cela que pour l'avenir, tout comme pour le passé, l'existence d'une société implique une religion. Lors même que la religion ne répon- drait pas aux fibres les plus délicates et les plus vivaces du cœur humain , lors même qu'elle n'of- frirait pas à l'imagination un champ immense où celle-ci puisse circuler sans péril; lors même qu'elle ne serait pas indispensable à la paix de la con- science et à l'harmonie de la famille, il ne serait pas possible de se passer d'elle , car elle est aussi une nécessité politique. On a eu raison de dire que si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer. Une institution unique ne suffirait pas à régler les passions à tout instant et partout, à moins qu'elle ne suivît les hommes dans tous leurs mou- vements, qu'elle n'eut le contrôle de tous leurs 328 l'état-empire. actes, qu'elle ne les enlaçât dans leurs quatre membres, c'est-à-dire , à moins d'être despotique, à l'image des théocraties du passé. Il ne faut donc pas espérer que la religion parvienne jamais seule, dans nos pays de liberté, à contre-balancer les passions humaines et à les retenir dans les limites où elles concourent au progrès social ; ou , du moins , si elle y réussit dans l'un des deux hémi- sphères de la société, la famille, elle y échouera toujours dans l'autre qui est l'Etat. C'est pour cela que le moyen-âge a posé un principe salutaire en distinguant le pouvoir tem- porel du pouvoir spirituel , et en leur donnant à chacun une existence forte et indépendante. Depuis lors toutes les tentatives qui ont eu pour but de confondre ces deux pouvoirs , ou , ce qui revient au même, de se passer de l'un d'eux, ont été sans succès; elles ont, en général, abouti à une tyrannie (1). (i) J'ai déjà dit que lorsque les Puritains débarquèrent dans la Nouvelle-Angleterre, ils voulurent avant tout établir unesociété religieuse. Ils s'organisèrent d'après la loi de Moïse. La sociélé politique n'exista point de fait, quoiqu'il y eût un gouverneur nominal pour représenter l'outorité temporelle , ou fut absorbée dans l'Église ; la commune fut confondue dans la Congrégation. Ils en vinrent en peu de temps à un régime qui ressemblait à celui des jésuites au Paraguay, avec cette seule différence, que chacun y avait sa part de tyrannie. Les lois bleues du Counecticut sont restées comme un monument de l'extravagance de cet ordre de choses, où la vie était emprisonnée dans les règlements les plus étroitement vexatoires. Les habitants delà Nouvelle-Angle- LETTRE XXX. 329 Un pouvoir temporel muni d'une ample pré- rogative est donc indispensable aujourd'hui en- core, dans l'intérêt de la liberté elle-même. D'un autre côté, il est impossible de ne pas reconnaître que la tendance de la civilisation est d'enlever à la royauté ses anciens attributs, en totalité ou en partie. A cet égard notre siècle a une volonté bien arrêtée. La résistance des rois aux efforts de ceux qui voulaient les dépouiller, a même exas- péré les esprits au point qu'il s'est formé un parti, celui des républicains, dont l'unique objet est l'abolition complète et radicale de la royauté, et que la singulière doctrine de l'inutilité et même du danger de tout pouvoir a trouvé de chauds et nombreux sectateurs. Les peuples ont raison de vouloir que les rois déposent ou restreignent leur vieille prérogative ; les gouvernements héritiers de la conquête doi- vent abdiquer ce que leur autorité a eu de brutal et de violent. Il serait prématuré de dire que la paix universelle va luire sur la terre ; il ne l'est pas d'affirmer que la guerre ne sera plus qu'un fait terre furent donc bientôt contraints de renoncsr à leur gouver- nement mosaïque , et . sans séparer parfaitement la politique de la religion , ils reconnurent à chacun des deux pouvoirs une existence propre. Ils ne constituèrent pas solidement le pouvoir politique hors de la commune; mais ils eurent une organisation communale qui, précisément, parce qu'elle avait pour point de départ l'organisation religieuse , et qu'elle ne s'en distinguait qu'incomplètement , fut forte et compacte quelquefois à l'excès. 330 L ÉTAT-EMPIRE. secondaire et accidentel dans la vie des peuples. L'industrie , q'est-à-dire l'art de créer la richesse , de multiplier le bien-être et d'embellir le globe , demeure du genre humain , passera désormais avant l'iart de tuer et de détruire. L'épée cesse d'être le premier symbole du pouvoir. Mais l^s rois ont raison à leur tour de se refu- ser à laisser réduire leur puissance à un vain si- mulacre. Indépendamment de toute ambition personnelle , ils voient , de la hauteur où ils sont placés, que le jiiaintien de l'ordre social exige ^J^solument la présence d'un pouvoir digne de ce nom. Ce qui prouve qu'ils voient juste , c'est que les hommes de tous les partis qui sont arrivés au gouvernement j pendant nos crises révolution- naires, ont tous été du même avis sur cette ques- tion , quelle qu'eût été à cet égard leur opinion ^îitérieure : c'est le seul point sur lequel ils aient été unanimes. C'est qu'en effet , en même temps que l'on ôte aux gouvernements, il faut leur donner. La guerre n'est plus le principal but de l'activité avouée des peuples ; l'emploi de la force brutale est de moins en moins nécessaire à la conservation de là société ; réduisons donc successivement d'une main sure celles des prérogatives de l'autorité qui lui donnent le caractère exclusivement guerrier, et qui thettent notre vie et notre liberté à la discr-étioh de ses agents armes ! Puisque l'industrie LETTRE XXX, 331 occupe une place de plu^ en plus grande dans Texistence individuelle et publique des nations, faisons-Ja de plus en plus entrer dans le cercle de l'action gouvernementale , en classant parmi les attributions du gouvernementles trois ressorts du mouvement industriel, les banques, les voies de communication et les écoles; à condition, bien entendu, que le gouvernement soit en mesure d'user pour le bien général du droit nouveau dont on l'investirait en échange du droit ancien dont il se serait démis. Les banques, les voies de communication et les écoles, sont des instruments de gouvernement qu'il y a beaucoup d'inconvénients à laisser com- plètement en dehors du cercle de l'influence des pouvoirs publics; il p-'y en a pas à les y incorpo- rer partiellement, de manière ^ rie point étouffer l'esprit d'entreprise individuelle. L'autorité publique exercerait alors des fonc- tions directrices conformes aux tendances des populations. Elle présiderait aux faits les plus importants de lepr activité ; elle mériterait réellement alors le nom de gouvernement ; elle posséderait un nouveau mode d'action coer- citif et répressif, qui est le seul compatible avec les progrès de l'esprit de liberté. Au lieu d'avoir prise sur le corps et sur le sang , elle au- rait prise sur le travail et sur la bourse de l'homme. Un nouveau degré d'inviolabilité serait acquis à 332 LETAT-EMPIRE. la personnalité humaine , sans que Fordre social cessât d'être suffisamment garanti. Par là enfin , Tavénement politique de l'indus- trie serait consommé. Au lieu d'être une cause d'instabilité, une fois assurée de son rang et affer- mie dans son assiette , l'industrie remplirait constamment, dans la mesure qui lui est propre, un rôle conservateur. Tout est mûr pour cette transfiguration poli- tique. Il y a quarante ans, les peuples voulaient marcher au progrès par le renversement de l'ordre ancien. La haine a cessé d'être leur prin- cipale conseillère ; leur fureur de démolition s'est calmée; ils songent beaucoup moins à secouer le joug des tyrans^ beaucoup plus à s'affranchir de la misère et de l'ignorance. La route de la liberté qui est préférable pour l'Europe, et qui y serait préférée aujourd'hui, est celle qui passe par l'ai- sance, l'éducation, le travail. Ceux qui furent les chefs temporels et spirituels des peuples recon- querraient bientôt leur rang, si, dépouillant les sentiments d'alarme dont les avaient remplis d'horribles imprécations contre le dernier des rois et le dernier des prêtres, ils voulaient, sa- vaient et osaient se mettre à la tête d'un grand mouvement dans ce sens ; car les populations les y suivraient avec ravissement. Par quelle fatalité hésiteraient-ils encore? LETTRE XXX. 333 Je ne sais si je m'abuse, mais il me semble que l'exemple en cela doit venir de la France. Ce n'est pas elle qui a le plus de trésors en caisse; ce n'est pas elle qui compte le plus de soldats sous ses drapeaux , le plus de bâtiments dans ses ports, le plus de canons dans ses forteresses ; mais c'est elle qui a la pensée la plus intelligente et le cœur le plus baut placé ; c'est d'elle que le monde est habitué à recevoir îe mot d'ordre. Londres, avec ses milliers de vaisseaux, pourrait être en feu, sans que l'univers non -britannique s'en émût autrement que comme d'une lamentable infortune arrivée à un étranger; une simple émeute dans Paris a son contre-coup au bout de l'univers. La crise de Juillet a enfanté la Ré- forme ; la Réforme n'eût jamais produit Juillet. C'est que la France est le cœur du monde. Les affaires de la France sont les affaires de tous; les intérêts qu'elle épouse ne sont pas ceux d'une ambition égoïste; ce sont ceux de la civilisation. Quand la France parle, on l'écoute, parce que les sentiments qu'elle exprime ne sont pas seule- ment les siens à elle, ce sont ceux du genre hu- main. Quand elle agit, on l'imite, parce qu'elle ne fait que ce que tous ont besoin de faire. La France a été la première à introniser la li- berté sur le continent européen ; c'est à elle à ré- habiliter le principe d'autorité^ aujourd'hui que le temps en est venu. Elle a protégé les peuples 334 l'état-èmpirè. quand il le Mkit; il lui ajDpartieht de protéger les rois, îion par la force de lepée, quoiqu'elle ne doive point briser la sietine , qtii à accompli tant de prouesses au seul pt-ofit de la civilisation : ce serait un sacrilège; mais par la sagesse et la moralité des règles nouvelles qu'elle fera passer dans l'art de gouverner, par là fécondité dès attributions nouvelles dont elle investira lé pouvoir. XXXI. SYMPTOMES DE RÉVOLtJtlÔTT. Baltimore, 25 septembre i855. Il y a deux ans, M. Clay commença un discours au Sénat des États-Unis par ces mots, restés célè- bres de ce côté de l'Atlantique : ce Nous somme^ au milieu d'une révolution. » C'était à l'époque où le général Jackson venait , par un acte d'au- torité inouï dans les annales de l'Union améri- caine , par un vrai coup d'État , dé trancher contre la Banque une question que ses propres amis au Congrès et ses ministres eux-mêmes se refusaient à résoudre. Beaucoup d'autres depuis ont répété ces paroles. En dernier lieu , après les scènes de meurtre , de torture et de destruction qui ont signalé les États-Unis dans lés États à esclaves et dans ceux où l'esclavage n'est pas re- connu , dans les campagnes et dans les villes , à 326 SYMPTOMES DE RÉVOLUTïOlV. Boston , la ville républicaine par excellence, aussi bien qu'à Baltimore , à qui certains excès san- glants, commis en 1812 à l'occasion. de la giiene contre l'Angleterre^ ont valu le nom de H^îo/j- Town (ville de l'émeute), les bons citoyens se disaient avec douleur en s'abordant les uns les autres : « Nous sommes au milieu d'une révo- lution. » Il faut reconnaître à l'honneur de la race an- glaise, qu'elle est, plus que toutes les autres, im- prégnée du sentiment du respect à la loi. Jusqu'à ces derniers temps , les Anglo-Américains se sont montrés, sous ce rapport, ce qu'ils sont sous beaucoup d'autres, des Anglais renforcés. Il y a des peuples qui ne comprennent la loi que sous la forme vivante , c'est-à-dire qu'autant qu'elle est personnifiée dans un homme. Ils savent obéir à un chef, ils ne peuvent se faire à respecter uiîe lettre morte. Avec eux , la gloire et la prospérité de l'État dépendent médiocrement de la qualité des lois, beaucoup de la qualité des hommes chargés d'en être les interprètes. Chez eux, l'em- pire grandit et déchoit tour à tour , selon que le souverain , quel qu'en soit le titre, est un homme supérieur ou un personnage vulgaire. Tel parait être en général le caractère des nations asiati- ques. L'Anglais est moulé sur un type tout diffé- rent. Il lui coûte peu de s'incliner devant un texte; il ne se prête que de mauvaise grâce à LETTRE XXXI, 337 s'incliner devant un homme. Il n'a pas besoin qu'un homme vienne lui enjoindre d'observer la loi; il sait lui-même , sans effort et d'instinct, s'y conformer. Ceci revient à dire que l'Anglais a en lui le principe du self-govemment ; ceci rend compte du succès que ce système politique a eu aux États-Unis où la race anglaise s'est plei- nement développée suivant sa nature. Malheureusement, le sentiment de respect à la loi semble s'effacer chez les Américains. Ce peu- ple , éminemment pratique à d'autres égards , a fait ou s'est laissé faire en politique de la théorie à perte de vue, de la logique quand même; il n'a reculé devant aucune des conséquences du prin- cipe de la souveraineté populaire , du moins tant que ces conséquences le flattaient ; comme s'il y avait au monde un principe, un seul, même celui de la charité chrétienne ;, qui fut susceptible d'être indéfiniment passé au laminoir sans pro- duire en dernier résultat l'absurde pur et simple. On est donc arrivé à nier , aux États-Unis , qu'il y eiit aucun principe de justice vrai en lui-même et par lui-même, et à admettre que la volonté ac- tuelle du peuple était nécessairement et toujours la justice; on y a posé en fait l'infaillibihté du peuple à chaque instant et en toute chose, et par là on a ouvert la porte à la tj-rannie d'une minorité turbulente qui se dit le peuple (1). (i) On a remarqué que tous les désordres commis à New-York, II, 22 338 SYMPTOMES DE RIÉVOLUTION. L'intervention de cette justice prétendue po- pulaire, s'exerçant ah irato par les mains de quel- ques furieux, qui s'intitulent les légitimes suc- cesseurs des hommes courageux du Tea-Party (1) de 1773 , est une calamité au sein d'un pays où il n'y a d'autre garantie de la paix publique que le respect à la loi, et où le législateur, supposant l'or- dre , n'a pris aucune mesure contre le désordre. Elle a en outre l'inconvénient d'être le plus sou- vent injuste. La plupart des hommes qui ont été pendus ou battus de verges , ou torturés de vingt façons (2) atroces dans le Sud, comme étant des aholitionistes j c'est-à-dire comme cherchant à soulever les esclaves contre leurs maîtres , n'é- taient, selon toute apparence, que des hommes à Philadelphie et à Baltimore, étaient l'ouvrage d'une poignée d'hommes suivis d'une bande d'enfants semblables à ce type de dépravation prématurée , connu chez nous sous le nom de gamin de Paris. Il est fort rare qu'il y ait eu plus de cent personnes prenant une part active aux dévastations. Souvent il n'y en a pas eu la moitié. (i) On désigne ainsi les Bostoniens qui allèrent, en plein midi, sous les yeux du gouverneur anglais et de la garnison an- glaise , jeter à la mer le thé amené à leur port. Ce fut le début de la révolution américaine. (2) Un journal de Virginie rapportait qu'un abolilioniste , étant tombé entré les mains d'un comité de vigilance , fut dépouillé, étendu à plat ventre, et que, sur son dos nu , les exécuteurs pro- menèrent à plusieurs reprises un chat qui s'accrochait avec ses griffes dans la chair du patient. Un journal de JNew-York rap- portait ce fait sans d'autres commentaires que d'agréables plai- santeries. LEîTRi: XXXI. 339 peu soigneux de cacher dans leurs discours l'horreur que leur inspirait l'esclavage. Il est même douteux que les prétendus complots^ à propos desquels on a sommairement exécuté noirs et blancs y aient eu une existence réelle et sé- rieuse. H n'en a été jusqu'à présent administré aucune preuve qui pût être admise par une cour de justice. A Baltimore j lors des dévastations du mois dernier , qui ont duré quatre jours, cette soi-disant justice a été injuste jusqu'à la stupi- dité. L'émeute , là , voulait punir , disait-elle , les fripons qui avaient indignement abusé de la cré- dulité du pauvre dans l'affaire de la banque de Maryland. Il est en effet de notoriété publique , à Baltimore, que la banqueroute d^ cet établisse- ment est frauduleuse; que, la veille dû jour où elle suspendit ses paiements , cette banque, afin d'attirer dans ses coffres les épargnes de l'ouvrier, offrait de gros intérêts pour les dépôts, grands ou petits^ qui lui seraient confiés; mais il était aussi de notoriété publique que les méfaits de cette banque étaient ^l'œuvre d'un certain Évan Poultney , qui était à lui seul la banque tout en- tière. Au lieu d'aller venger sur lui la ruine de l'ouvrier , la spoliation de la veuve et de l'orphe- lin, l'émeute alla demander raison, à qui? aux syndics de la faillite nommés par le tribunal. Ce ne fut que le troisième jour que l'émeute s'avisa de rendre visite à Poultney ; mais lui , sans se dé- 340 SYMPTOMES DE RÉVOLtfTÏO]^. concerter, se prit à dire en soupirant qu'il était un pécheur , qu'il était bien coupable envers son prochain! Il se frappa la poitrine en signe de re- pentir, et, dans un jargon puritain, s'accusa lui- même plus haut que les démolisseurs. Ceux-ci ébahis, comme Orgon, de tant de sainteté^ firent comme lui des excuses à Tartufe, essuyèrent avec soin l'entrée de sa maison et ses escaliers de marbre blanc qu'ils avaient salis, et allèrent sac- cager la maison du maire, parce que la veille un faible détachement de milice, spontanément assemblé, avait fait feu sur eux dans un cas de légitime défense , non sans s'être tenu long-temps immobile sous une grêle de pierres. Ces désordres sont effrayants par leur carac- tère de généralité ; ils le sont parce qu'ils éclatent à toute occasion ; ils le sont d'autant plus que leur gravité est moins sentie. Il se rencontre peu de voix pour les flétrir, il s'en trouve beaucoup pour les excuser. Un des défauts de la démocratie consiste en ce qu'elle est oublieuse du passé et peu prévoyante de l'avenir. Aussi telle émeute qui , en France , serait un coup de mort vour les affaires, n'empêche ici personne d'aller à la Bourse, de spéculer, de remuer des dollars et d'en gagner à foison. En s'accostant le matin, on se demande et on se donne les nouvelles. Ici 1 on a pendu un noir, ailleurs on a fustigé des blancs ; à Philadelphie, dix maisons ont été LETTRE XXXI. 34 f démolies; à Buffalo, à Utica, des gens de cou- leur ont été rossés à coups de bâton. Puis l'on passe au prix du coton et du café , aux arrivages de farine, de planches et de tabac, et l'on s'ab- sorbe dans ses calculs pour tout le reste du jour. Je suis stupéfait de voir comment le mot de lé- galité tombe à plat lorsqu'un bon citoyen l'in- voque ; le règne de la loi semble fini , nous voici sous le règne de Xexpediency^ c'est-à-dire de la convenance passagère. Adieu les règles de la justice, les grands principes de 1776 et de 89. Vive l'intérêt du moment, interprété par je ne sais qui, pour le succès de je ne sais quelle petite intrigue de politique ou de négoce î Cinq hommes, cinq blancs, ont été pendus à Vicksburg sans forme de procès : c'étaient des joueurs, vous dit-on, c'était le fléau du pays. Les citoyens les plus respectables de Vicksburg ont coopéré à leur exécution. — Mais la loi qui garantit à tous vos concitoyens le jugement par jury; mais cette vieille équité saxonne dont vous vous vantez? — Aucun tribunal n'eût pu nous en délivrer; la morale et la religion prononçaient contre eux; c'est cet arrêt qu'à défaut d'autre nous avons exécuté; il y avait nécessité. Expe- diencyl — En Virginie, des voyageurs venus des États du Nord ont été, sous les plus légers prétextes, pour des commérages de diligence, pour des discours de cabaret, traînés devant dt 342 SYMPTOMES DE RÉVOLUTION. soi-disant comités de vigilance , puis battus, goudronnés et emplumés (1). D'autres, dont tout ie crime était d'avoir par mégarde, dans la poche de leur manteau j des papiers qu'il a plu à quelque maître d'esclaves de qualifier ^abolitionistes , ont été arrêtés par des énergu- mènes et pendus comme des émissaires de ré- bellion. Qu'avez- vous fait de l'article de la Con- stitution qui garantit aux citoyens d'un Etat protection dans les autres États ? — Si nous in- sistions sur ces faits de détail, nous compromet- trions l'union du Nord avec le Sud. Expediency ! — Vous, négociants de New- York, voici que les planteurs d'une paroisse de la Louisiane ont mis à prix la tête de l'un de vous (2) parce qu'il est, disent-ils, un abolitioniste ^ un amalgamateur. Votre susceptibilité nationale, si vive à l'égard de la France , ne se réveillera-t-elle pas à ce der- nier trait d'audace? — Notre commerce avec le Sud fait la moitié de la prospérité de New- York. Expediency! — Vous, gens de la Nouvelle-An- gleterre ; vous , citoyens de la ville qui a été le berceau de la liberté américaine; vous, fils des pèlerins qui s'exilèrent en Hollande d'abord, et ensuite sur les plages arides du Massachusetts , (i) Cette punition populaire, fort en vogue aujourd'hui, cou- «iste à arroser le patient de goudron et à le coutrir ensuite de plumes. (2) M. Arthur Tappan, LETTRE XXXI. 343 plutôt que de faire plier leurs opinions sous le joug des Stuarts; vous, si orgueilleux de vos li- bertés, comment abdiquez-vous la plus précieuse de toutes, celle de la presse, aux mains d'un maître de poste (1) ? — Toujours la même ré- ponse : Expedlency ! — 11 semble qu'aux États- Unis il n'y ait plus, en politique^ de principes que sauf le bon plaisir des passions, et que les lois n'y aient de valeur qu'autant qu'elles ne con- trarient pas les intérêts. Quand un État se sent blessé par une loi de tarif, il la proclame nulle ^ arme sa milice^ achète de la poudre et jette le gant au Congrès. Quand un autre État, comme rOhio, est mécontent de la ligne qu'on lui a as- signée pour frontière, il déclare la guerre au Michigan, son voisin, pour reculer ses limites de vive force. Quand les fanatiques du Massachu- setts, dans leur sauvage intolérance, se sentent offusqués de la présence d'un couvent catholique^ dont les religieuses se vouent à élever de jeunes filles , sans distinction de religion , ils le saccagent, y mettent le feu, et le couvent brûle à la vue d'une ville de 70,000 âmes , sans qu'une goutte d'eau y soit jetée pour l'éteindre , sans qu'il se trouve un jury pour condamner les auteurs de ce lâche at- tentat. Quand un gouverneur de Géorgie ren- contre un magistrat intègre qui s'interpose entre (i) Voir la Note 69 à la fin du Volume. 344 SYMPTOMES DE RÉVOLUTION. la cupidité des blancs et de pauvres Indiens que l'on est impatient de dépouiller, il le dénonce à la législature et réclame une loi qui fasse du juge consciencieux un criminel d'État (1). Et, je le ré- pète, ce qui est un symptôme plus funeste que ces actes eux-mêmes, si multipliés qu'ils soient, c'est qu'ils ne produisent pas de sensation. Ici, à New- York, le sac des églises et des écoles des noirs était unspectacle que l'on contemplait, où les négo- ciants de la ville allaient en passant chercher une minute de distraction; on criait kourrah quand un pan de muraille tombait avec fracas. A Baltimore , une foule nombreuse battait des mains sans s'in- quiéter de qui on démolissait la maison , et des dames émues agitaient leurs mouchoirs en l'air. Autre symptôme plus effrayant encore : le courage civil, cette vertu des Hampden, cette gloire de la race anglaise, qui brilla d'un éclat si pur aux États-Unis, tant que vécurent les hommes de qui l'Union tient son indépendance, paraît mo- mentanément s'éteindre; je dis momentanément, car il y a chez la nation américaine un fond d'énergie qui ne peut manquer de se ranimer un jour et de réagir. La presse qui, sauf un petit nombre d'exceptions honorables, ne pos- sède pas et ne mérite pas, aux États-Unis, la considération qui l'entoure en France, la presse (i) C'est ce qui a eu lieu il y a un an, de la part du gouver- neur actuel de la Géorgie, M. Lumpkin. LETTRE XXXI. 345 qui, ici, est si outrageusement violente et brutale contre les membres du Congrès d'opinion adverse, est au contraire plus que réservée envers la masse. La presse américaine est libre en ce sens qu'elle ne paie ni cautionnement ni timbre; mais elle est dépendante d'une opinion publique absolue, capricieuse et peu éclairée dans son despotisme. Cette opinion publique démocratique veut que l'on flatte ses passions du moment, et n'entend pas qu'on lui fasse la morale. C'est un maître à qui l'on déplaît aisément , et qui témoigne vite son déplaisir. Le journaliste américain n'ignore pas qu'à la moindre hardiesse on le quittera. Depuis les derniers événements, ce n'est pas la seule crainte qui le préoccupe: il sait que s'il prenait envie à l'un de ses ennemis de le signaler comme abolitioniste , par exemple, il serait très aisé d'ameuter sur le port trente Irlandais et autant de polissons des rues , qui viendraient piller et démolir sa maison, goudronner, emplumer et exiler sa personne (1), sans que l'autorité s'inter- posât. Il est donc démesurément circonspect. En un mot, il y a maintenant aux États-Unis un com- mencement de terreur. Les hommes courageux (i) Un journaliste de Boston vient, il y a quelques jours, d'être ainsi chassé de la ville par une émeute, pour cause d'abo- litionisme. Il y a deux mois environ que , pour avoir déplu à une compagnie de milice, un journaliste de la Nouvelle-Orléans a été frappé du même ostracisme . 346 SYMPTOMES DE RÉVOLUTION. et dévoués à la cause des lois n'ont pas de point d'appui dans la presse; et là où l'autorité serait disposée à leur en fournir un, il se trouve insuf- fisant, soit que l'autorité ait peur, soit qu'elle veuille ménager ses intérêts de parti , soit qu'elle n'ait à sa disposition aucun moyen efficace de répression matérielle. Il ne reste plus au petit nombre de bons citoyens que la situation de leur pays alarme vivement, d'autres ressources que de s'unir en associations patriotiques , et de se for- mer en compagnies de milices y de créer enfin une garde nationale sous la forme qu'autorisent les lois et les usages du pays. Ils sentent qu'il le faut, et cependant ils hésitent, parce qu'ils craignent d'organiser ainsi la guerre civile. Les Baltimo- riens paraissent pourtant déterminés à en essayer. On parle aussi d'une loi qui rendrait les com- munes responsables des dévastations qu'elles auraient laissé commettre dans leur sein. Cette loi, si elle ne prévenait pas complètement les désordres , car ici l'impôt est principalement supporté par les riches, aurait au moins l'avan- tage d'en réparer les effets matériels. La génération actuelle des États-Unis, nourrie dans les affaires, vivant dans une atmosphère d'intérêts, si elle est supérieure à la génération révolutionnaire en intelligence commerciale et en audace industrielle , lui est bien inférieure en courage civil et en amour du bien public. Chose LETTRE XXXI. 347 déplorable à dire! Dernièrement, quand Balti- more eut été pendant quatre jours à la merci du génie de la destruction , quand la sécurité de la ville eut été vainement promenée du maire au shériff, du shériff au commandant de la milice, quand les prisons eurent été forcées, le maire et les miliciens pillés, quand le sentiment générai eut enfin réveillé celui de l'ordre , il ne se trouva personne, dans cette ville de cent mille âmes, qui pût ou qui osât se mettre à la tête du mouve- ment. Quand les citoyens les plus recomman- dables et les plus intéressés à la tranquillité pu- blique furent réunis en meetings à la Bourse, cette montagne en travail n'accoucha que de longs considérants avocassiers sur les avantages de l'ordre, et d'une kirielle bavarde de résolutions qui ne résolvaient rien. Il fallut, ô honte! qu'un vieux débris de l'Indépendance, un vieillard de 84 ans , qui s'était retiré du Congrès pour aller terminer en paix sa longue carrière , sentît , à ce spectacle , son sang demi-glacé par l'âge bouillon- ner dans ses veines et monter à son front, et qu'il se levât pour rendre du cœur à cette foule d'hommes jeunes et vigoureux qui laissaient leur ville subir le despotime d'une bande d'ivrognes et de gamins. Il fallut que ce vieillard indigné, interrompant la lecture des résolutions intermi- nables, s'écriât énergiquement : « Danmyour ré- solutions] (au diable vos résolutions!) Donnez- 3i8 SYMPTOMES DE RÉVOLUTION. moi une épée et trente hommes, et je vous ré- ponds du bon ordre! — Comment, général Smith, lui dit lun des irrésolus faiseurs de j^éso- lutions, vous tireriez sur vos concitoyens? Ceux qui viennent, au mépris des lois, chasser leur voisin de sa maison, la saccager, et réduire sa femme et ses enfants à la misère, ceux-là ne sont pas mes concitoyens, » répondit le général Smith. Ces paroles, que tous pensaient et que nul n'osait dire, furent accueillies par un tonnerre d'applaudissements. Le vieux sénateur fut nommé par acclamation commandant de la force pu- blique, et peu de jours après il fut élu maire. Depuis lors Baltimore est tranquille. Mais lors- qu'on réfléchit que l'ordre n'a pu se rétablir dans une grande et florissante cité que parce qu'il s'est rencontré là un vétéran que la mort avait par hasard épargné, et qui a trouvé en lui- même assez d'énergie pour venir ^ un pied dans la tombe, enseigner une dernière fois par son exemple à ses concitoyens, les traditions des beaux jours delà liberté américaine, n'est-on pas forcé de répéter avec M. Clay : « Nous sommes au mi- lieu d'une révolution ? » M. Clay n'a pas été faux prophète, car les évé- nements qui se sont succédé depuis qu'il pro- nonça ces paroles , annoncent qu'une crise est imminente. Le système américain ne joue plus régulièrement. Au Nord, l'extension illimitée du Lettré xxxï. 349 droit de suffrage, sans la création d'aucune insti- tution politique régulatrice, a rompu tout équi- libre. Au Sud, la vieille base empruntée aux so- ciétés d'avant J.-C, sur laquelle on a voulu élever au xix^ siècle un ordre social nouveau , s'agite et menace de bouleverser l'œuvre à demi achevée desimprévoyantsbâtisseurs.Dansl'Ouest, une population sortie de terre sous l'empire de circonstances sans pareilles dans les fastes du monde, affecte déjà des prétentions de prépon- dérance, disons mieux, de domination sur le Nord et le Sud. Partout les relations établies par l'ancien pacte fédérai viennent se heurter contre des incompatibilités. La rupture de l'Union , dont l'idée seule eût fait frémir il y a dix ans, qui était rangée parmi les choses infâmes qu'il n'est pas permis de nommer, la rupture de l'Union a été appelée sans que la foudre soit tombée sur la tète du sacrilège. Maintenant c'est un lieu commun de conversation. Or la rupture de l'U- nion, si elle avait lieu, serait la plus complète des révolutions possibles. Quels doivent être les caractères de cette révo- lution que l'on sent venir? A quelles institutions donnera-t-elle le jour? Qu'est-ce qui doit périr dans cette liquidation? Qu'est-ce qui doit grandir dans ces orages? Qu'est-ce qui doit s'y tremper pour résister ensuite à l'action des siècles? Je ne me sens pas le don de prophétie, et je n'essaierai 350 SYMPTOMES DE REVOLUTION. pas de pénétrer le mystère des destinées du Nou- veau-Monde. Il y a cependant en moi une convic- tion : c'est qu'un peuple qui possède Ténergie et l'intelligence dont sont doués les Américains; un peuple qui a, comme ils l'ont, le génie du travail, qui^ comme eux, combine la persévérance avec l'esprit de ressources, qui est essentiellement méthodique et rangé , et qui , à défaut de croyances bien vives, est du moins imbu jusqu'à la moelle des os d'habitudes religieuses^ un tel peuple ne peut être né d'hier pour disparaître de- main. La nation américaine, malgré ses défauts originels, malgré les lacunes nombreuses qu'une croissance précipitée et une éducation superfi- cielle ont laissées dans ses idées, ses coutumes et ses sentiments, est vraiment grande et forte. Pour de telles nations, les plus violentes tem- pêtes sont de salutaires épreuves qui les for- tifient, de solennels enseignements qui éclairent leur esprit^ élèvent leur âme et affermissent leur moralité. XXXII. LA BOURGEOISIE. Baltimore, 8 octobre i855. La société américaine se compose d'éléments autres que ceax de la société européenne en gé- néral, et française en particulier. En analysant celle-ci, on y trouve au premier rang une ombre d'aristocratie , comprenant les débris des grandes familles de l'ancien régime échappés à la tour- mente révolutionnaire, et la progéniture de la noblesse impériale, qui semble, elle aussi, sépa- rée de ses pères par des siècles. En dessous, s'étend une bourgeoisie nombreuse, en deux parties fort distinctes : l'une, la bourgeoi- sie active, embrasse le commerce, l'industrie, la classe bien rare encore des industriels agricoles ou propriétaires producteurs, les gens de loi et les 352 LA BOURGEOISIE. professions libérales; Fautre, désignéequelquefois sous le nom de bourgeoisie oisive (1), est formée des détenteurs inactifs du sol , gens qui tirent de leurs terres , par l'intermédiaire de leurs fermiers ou colons partiaires, un revenu de 2,000 à 7 ou 8,000 fr. , sur lequel ils vivent sans pouvoir l'ac- croître, et même sans y songer sérieusement; la classe peu considérable des rentiers s'y joint comme un appendice. Ces deux sections de la bourgeoisie diffèreiit essentiellement l'une de l'autre, en ce que la pre- mière travaille, tandis que consommer et jouir sont toute la vie de la seconde. L'une augmente son avoir, et peut par conséquent se tenir tou- jours au-dessus du flot, et maintenir son niveau, sinon le hausser; l'autre, comme l'a dit M. Laf- fitte, successivement transportée par le temps dans une société à la richesse de laquelle chaque jour ajoute quelque chose, se trouve chaque jour relativement plus pauvre , et doit décroître. Elles diffèrent par leur origine : l'une est pkis es- sentiellement tiers-état; l'autre a des prétentions nobiliaires ; elle est la progéniture ou au moins l'héritière et la continuatrice de la petite noblesse des campagnes. Sous la restauration , elles ont différé d'opinion politique : l'une siégeait princi- (i) Je me servirai quelquefois de ce mot, sans y attacher aucun sens flétrissant ; il ne m'a pas été possible d'en trouver un autre qui exprimât n)iei]x Ja conditioii dp celle classe. LETTRE xxxir. 353 paiement au côté gauche, l'autre préférait le côlé droit. Aujourd'hui^ la première accepte sans ré- serve la dynastie nouvelle; la seconde, plus diffi- cile à contenter en fait de garanties d'ordre , et prompte à s'alarmer sur toute violation du droit ancien, conserve encore de secrets penchants pour l'antique légitimité. Sous le rapport reli- gieux, celle-ci est sceptique, et croirait volon- tiers que la philosophie voltairienne et les théo- ries de l'opposition de quinze ans sont le necplus ultra de l'entendement humain ; celle-là^ ébranlée dans sa foi, garde cependant le feu sacré du sen- timent religieux , repousse les conceptions dés- organisatrices du xviif siècle, et dédaigne les élucubrations des publicistes libéraux de la res- tauration. La première se pique de positivisme et n'a que des préoccupations matérielles; la se- conde s'inquiète davantage des grands principes conservateurs de la société ^ mais se refuse à re- connaître les intérêts nouveaux qui doivent en- trer en partage avec ceux du passé. Ces deux fractions de la bourgeoisie ne sont cependant pas séparées autant que je l'indique ici ; elles se mêlent et se croisent. Une grande portion de la bourgeoisie participe de l'une et de l'autre, et se porte alternativement de chaque côté, selon le temps et les circonstances. Toutefois, pour èîre souvent confondus dans la même personne, Its deux intérêts n'en sont pas moins distincts. II. 23 354 LÀ ^OURGÊOÎStE. Là base de la pyramide est occupée par les pâysahs et par les ouvriers; elle se siibdivîse en deiix portidhs : l'une adriiisé à la propriété ; l'au- tre qui ri'y est point arrivée encore, quoiqu'elle f aspire impàtieintllent. D'tiii côté, la classe dés artisans et des petits cultivateurs; de l'autre, les prolétaires. Atijourd'hui , il est universellement reconnu ijué la bourgeoisie domine eh France. L'aristo- cratie est rëpoussée du pOutdir oti se tient écar- tée. Lés àftisaiis et les petite ciiltivâteUrs com- mehceiit à peiné àletët' la tête. Lés prolétaires né compterit point. Dans les États du Nord de l'Union américaine, la société est beaucoup moins complexe qu'en France. En faisant abstraction de la caste des gens dé cdùléùr, il n y existe que deux classes : la bdurgeoisië et la démocratie. Ces deux intérêts qui chez nous sont en lutte, Un seul a xine exis- tence publique, c'est celui du travail. La bourgeoisie s'y composé d'industriels, de commerçants, d'avocats, dé liiédecins. Les agri- culteurs ne sont pas dans ses rangs en nombre appréciable, non plus que les hommes voués exclusivement à la culture des sciences , des let- tres et des arts. Là démocratie comprend les Jarmers et les mechanicSf les cultivateurs et les artisans. En général, le cultivateur est le propriétaire de sa LETTRE XXXlî. 355 terre.  rOuest, c'est une régie qui ne soiilfre pas d'exception. La grande propriété territo- riale n'existe pas dans le Nord et le Nord- Onest, au moins comme classe (1). Il n'y a pas, à proprement parler, de prolétaires, quoi- qu'il y ait des journaliers, et que les villes et méine les champs aboildent de maiiteiivres dé- pourvus de capitaux. Ce sont véritablement des apprentis, des étrangers fort souvent, qui dé- butent chez l'artisan dans la ville, ou chez le cul- tivateur dans la caiiipagne, et qui deviennent à leur tour artisaiis et cultivateurs, et souvent^ de là, riches industriels, spéculateurs opulents. Entre ces deux classes , bourgeoisie et démo- cratie , il n'y a d'ailleurs aucune ligne de démar- cation , car les efforts de quelques coteries pour établir des classifications de salons et installer des supériorités de fashion , méritent à peine d'être signalés^ et n'ont qu'une valeur négative comme protestations timides et souvent gauches contre les abus de l'égalité. La bourgeoisie et la démocratie ont les inémes habitudes domestiques (i) Il reste quelques familles de grands propriétaires vivant sur leurs domaines. Dans FÉtat de New-Yorlc, par exemple, on trouve uu cerlain nombre de personnes possédant de grandes étendues de terrain. Il y a aussi des gens qui acîièteut à bas prix des terres incultes pour les revendre plus tard ; mais ce sont des spéculations sur les terres identiquement semblables à des spé- culations sur le sucre et le café, et qui ne peuvent être considé- rées comme constituant une classe de grands propriétaires. 35() LA BOURGEOISIE. et le même genre de vie, votent ensemble et sur le même pied, et ne diffèrent un peu sérieuse- ment que par le culte qu'elles suivent ou par le banc qu'elles occupent à l'église. On peut avoir une idée assez exacte des rapports habituels de ces deux classes en Amérique, par les relations qui existent aujourd'hui en France entre la riche bourgeoisie et les débris de l'aristocratie. L'influence politique est aujourd'hui tout en- tière aux mains de la démocratie américaine, tout comme chez nous elle appartient maintenant à la bourgeoisie. La bourgeoisie américaine n'a de chances d'arriver au pouvoir que temporaire- ment, par suite de divisions accidentelles au sein de la démocratie, en ralliant à elle une portion considérable des artisans et des cultivateiu's, ainsi qu'il arriva au commencement de 1834, après les attaques du général Jackson contre la Ban- que; tout comme l'aristocratie en France ne peut relever, non pas sa bannière (elle n'en a pas en propre), mais celle de la légitimité, cpi'autant que l'impéritie du gouvernement susciterait de nouveaux orages, et inspirerait des alarmes sur la sécurité publique aux classes bourgeoises qui le soutiennent de toutes leurs forces. Dans les États du Sud, la présence de l'escla- vage produit une société différente de celles du Nord; la moitié de la population y est composée de prolétaires dans toute l'acception i\u mot; LETTRE XXXll. 357 c est-à-dire d'esclaves. L'esclavage appelle néces- sairement la grande propriété , qui est l'aristo- cratie de fait. La grande propriété s'est mainte- nue dans le Sud, même avec l'habitude de l'égal partage, quoiqu'elle ait été singulièrement amoin- drie. Dans le Sud, entre ces deux extrêmes, est une classe moyenne formée, comme notre bourgeoi- sie , de deux éléments , les travailleurs et les oi- sifs, l'intérêt nouveau et l'intérêt ancien. Le com- merce , l'industrie et les professions libérales d'un côtéj de l'autre, les propriétaires fonciers, dans le genre de nos propriétaires campagnards du Midi et de l'Ouest, vivant sur leurs terres du re- venu qu'y produit la sueur de leurs esclaves, n'ayant point le goût du travail, et n'y ayant point été préparés par l'éducation , ne partici- pant à l'exploitation routinière de leurs domaines que fort indirectement; gens incapables de se retourner si l'esclavage était aboli, tout comme nos propriétaires seraient hors d'état de se faire une existence si leurs propriétés leur étaient ravies. On conçoit que la loi de l'égal partage a dû nuiltiplier cette classe de propriétaires sans in- dustrie; elle est nombreuse dans les anciens États du Sud, Virginie, Carolines, Géorgie, et aussi en Louisiane; les temps d'arrêt qu'ont d'abord éprouves ces Etats, tandis que le Nord marchait 358 LA EOUIIGEQISIE. en avant sans gêne, et l'extension que prenait cette classe , sont deux faits corrélatifs qui s'expliquent l'un l'autre. Mais on ne la retrouve pas dans les nouveaux États du Sud. La généra- tion nouvelle du Sud, dévorée, comme celle du Nord, delà passion d'acquérir, est devenue indus- trieuse comme les Yankees. La culture du coton lui offre une belle carrière; dans l'Alabama et le Mississipi, la terre à coton est, comme partout dans l'Ouest , à fort bas prix. La traite intérieure fournit en abondance des esclaves que, grâce au crédit, on paie sans peine, lorsque l'on n'a point de patrimoine , pourvu que l'on ait des amis. Les fils de famille des anciens Etats du Sud, au lieu de rester à végéter sur un lambeau de la propriété paternelle, avec une poignée d'esclaves, liquident leur avoir, l'augmentent par des em- prunts qu'ils sont assurés d'acquitter prompte- ment, et vont établir dans le Sud-Ouest des plan- tations de coton, sortes de manufactures agricoles, les unes grandes, les autres moyennes, où ils ont eux-mêmes plus ou moinsi'activité, les soucis et les espérances d'un entrepreneur d'industrie. Ainsi , la classe des bourgeois qui ne travaillent pas ou travaillent peu , disparaît des États-Unis. Dans les États de l'Ouest, qui sont vraiment le Nouveau-Monde , elle n'existe plus , ni au Sud , ni au Nord; on n'y trouve personne qui ne ^oit voué à l'industrie agricole, commerciale ou LETTRE XXXII. 359 manufacturière , aux professions libérales ou af[ix fonctions cléricales. Les Etats-Unis diffèrent donc de nous en ce qu'ils n'ont ni aristocratie, ni bourgeoisie oisjve , ni prolétaires, au moins dans le No^d. Il ne ipe semble pourtant pas démontré que, poi^r ces trois classes, le fait de leur absence ait une seule et même signification. Je ne vois aucune difficulté à admettre que le prolétariat et la bourgeoisie oisive s'éteignent définitivement dans la société américaine; tandis que, pour l'aristocratie (1), il me paraîtrait plus exact de dire que l'Amérique n'en a pas encore. La civilisation , en passant d'un continent à l'autre, s'est donc débarrassée du prolétariat et de la bourgeoisie oisive. Cette double disparition n'est pas un phénomène double; c'est un fait simple, ou du moins ce sont les deux aspects d'un fait unique, le progrès industriel du genre humain. Il me semble inévitable qu'à cet égard l'ancien monde suive l'exemple de l'Amérique; il tend au même but par des moyens qui lui sont propres; ce que l'on appelle la force des choses, c'est-à-dire la marche providentielle de l'huma- nité, l'y pousse invinciblement. (i) Par aristocratie, j'entends ici un corps constitué, composé des diverses supériorités sociales reconnues et constatées suivant un certain nombre démodes divers, l'un desquels pourrait être la naissance. (Voir la Jettre suivante , xxxiii. ) 360 LA BOURGEOISIE. II y a une loi supérieure à toutes les conven- tions des sociétés, à tous les codes et à toutes les jurisprudences : c'est que, lorsqu'une classe a cessé de contribuer pour une part à l'œuvre so- ciale 5 sa déchéance est imminente ; il ne lui est pas possible de conserver ses avantages à moins que la civilisation tout entière ne s'arrête et ne fasse un de ces repos dont le plus grand exemple est celui de Rome, depuis Auguste jusqu'à Con- stantin ; mais dès que la colonne se remet en mar- che, ceux qui ne veulent pas être soldats et qui sont incapables d'être officiers , ceux qui ne sont en mesure d'occuper aucun emploi ni dans les rangs, ni à l'état-major, ni à l'ambulance, nia la cantine, sont abandonnés comme traînards et rayés des rôles. Cette loi est rigoureuse et impitoyable; nulle puissance humaine ne saurait soustraire à leur sort ceux qu'elle a condamnés; eux seuls peuvent éviter d'être effacés des cadres en y prenant une place active. C'est ce qui explique pourquoi , chez nous , l'aristocratie nobiliaire a été anéantie. Entre elle et la royauté, il se livra, comme entre la royauté et l'aristocratie anglaise, une longue suite de ba- tailles; mais le succès fut différent comme le génie des deux peuples. En France, l'unité mo- narchique triompha : Louis XI terrassa l'aristo- cratie; Richeheu la musela; Louis XIV lui mit le LETTRE XXXII 36i collier de la domesticité. Ainsi réduite , en tant que puissance politique, il ne lui resta plus d'autre domaine que celui du goût et des arts, et elle l'exploita au profit de l'irréligion et de la corruption des mœurs. Lors donc qu'en 1789 elle fut pesée, elle fut trouvée trop légère; l'ar- rêt des destins fut prononcé, et la révolution l'exécuta avec une brutalité de cannibale. Cette aristocratie infortunée ne se souvint de sa nature (|u'au moment de mourir ; elle aborda l'échafaud noblement. Par la même rai.son , la bourgeoisie oisive tend à disparaître chez nous, car elle n'accomplit au- cune mission qui ne puisse être remplie sans elle. Elle n'enrichit pas la société par son travail , quoiqu'elle prétende à être comptée au nombre des producteurs, sous prétexte qu'elle possède le sol et qu'elle exerce une manière de surinten- dance dans les travaux agricoles. Le fait est qu'elle ignore l'agriculture ; elle connaît par tra- dition un roulement routinier, mais le paysan le sait tout aussi bien qu'elle et n'a pas besoin qu'elle vienne le lui rappeler. Le propriétaire, il est vrai, dans beaucoup de cas, est payé en nature par le paysan , et vend lui-même alors son grain ; mais le paysan trouverait sans peine le temps de vaquer à ce négoce , et s'en acquitterait tout aussi bien que le bourgeois. La bourgeoisie oisive ne représente pas non 362 LA BOURGEOISIE. plus les lumières; à cet égaixl, elle ne possède rien de plus, rien de moins qu'une petite in- struction littéraire dont je ne conteste pas les agi^éments, mais qui est peu en rapport avec les besoins et les tendances du siècle. Là où, comme en Angleterre, une noblesse subsiste et maintient sa prérogative, c'est qu'elle remplit une double fonction. Premièrement, elle se voue à l'art le plus difficile de tous , celui de gouverner les hommes; elle y excelle^ soit parce qu'elle le cultive par tradition , soit parce qu'elle se recrute soigneusement des hommes qui ont constaté leur supériorité dans la connaissance des divers intérêts sociaux. C'est une raison d'exis- tence qu'il n'est pas possible défaire valoir e^i fa- veur de notre boiu-geoisie oisive ; celle-ci est notoi- rement étrangère à la science du gouvernement. L'autre fonction d'une noblesse, non moins essentielle que la première dans nos sièc|es poli- cés , consiste à servir de modèle dans l'art de la vie réelle, à enseigner l'art de consommer, sans lequel celui de produire ne procure que des sa- tisfactions imparfaites et illusoires, et à encou- rager les beaux-arts. Sous ce rapport encore, il n'y a rien à alléguer en faveur de notre bourgeoisie oisive. Elle ne brille ni par la grâce , ni par l'élé- gance , ni par le tact. L'importance qu'elle a ac- quise depuis la destruction de l'aristocratie, a été funeste à la vieille politesse française, à l'exquise LETTRE XXXTI. 363 urbanité dont se piquaient nos pères. Depuis cinquante ans , tandis que If s Anglais se déve- loppaient à cet égard , beaucoup plus que leur humeur roide et inélastiq\ie ne semblait le per- mettre, nous avons, nous, beaucoup oublié et beaucoup désappris sous l'influence de la bour- geoisie oisive ou même active. Quant à l'art de consommer et de bien vivre, quant à ce culte de la personne dont les Anglais appellent comfortl^ seule fraction qu'il leur soit donné d'en sentir, notre bourgeoisie a des leçons à reçevojr; elle n'en a plps à donner. Ce n'est pas faute de dispositions natives. Nul peuple n'a reçu de la nature des sens plus subtils que les nôtres. Certes, notre fiÎDre est plus sensible, notre ouïe et notre palais sont bien autrement délicats que ceiix des Anglais. Notre aptitude à la con- sommation et au culte personnel est prouvée par ce fait , que nous sommes en possession de la plupart des métiers qui en relèvent; le Fran- çais a, d'un bout du monde à l'autre , le monoDole des emplois de cuisinier et de maître-d'hôtel, de coiffeur et de maltrededanse, de vaîet-de-charnbre et de tailleur. Mais pour consommer, pour bien vivre, pour entourer son existence du comfort à l'anglaise et de cet autre comfort plus raffiné que, nous Français, nous pouvons concevoir, il faut être riche. Or, notre bourgeoisie est pauvre, et, politiquement, c'est un de ses plus grands défauts ; 364 LA BOIJIIGEOISIE elle s'appauvrit de jour en jour soit par l'effet de la loi d'égal partage, soit en raison de son oisiveté qui la condamne à un revenu stationnaire tandis que la richesse publique et le luxe croissent ra- pidement de toutes parts. Ainsi obligée à vivre d'économie , il est clair qu'elle ne peut encourager les beaux- arts ^ car c'est un 'patronage dont l'exercice coûte cher. Il exige d'ailleurs une délicatesse de goût qui devient fort rare en France, je le répète, depuis la dé- chéance de l'aristocratie. Lorsqu'on analyse la population de l'empire ottoman , on est tout surpris d'arriver à ce ré- sultat, que, dans la Turquie d'Europe, il n'y a que 500,000 Turcs (l) superposés à sept millions d'hommes , et l'on se demande comment la Su- blime-Porte est encore debout et s'il n'est pas temps de refouler les Osmanlis en Asie pour ren- dre l'indépendance aux peuples qu'ils oppriment. Je suis tout disposé à croire que l'empire ottoman est arrivé au terme de son existence européenne; (i) La Turquie d'Europe actuelle compte 7,600,000 habitants environ, dont 5oo,ooo seulement sont Turcs. Ceux-ci résident principalement à Constantinoplc. H y a 0,000,000 de Grecs. Le reste de la population se compose de Slaves : sauf les Alba- nais , il y a fort peu de Grecs en Bessarabie , Servie, Moldavie, Valacliie et Bulgarie. Avant la séparation de la Servie, de la Valacliie, de la Mol- davie et de la Grèce, la population de Tempire ottoman d'Europe était de 10,000,000. LETTRE XXXII, 365 et cependant je suis convaincu que si les cinq cent mille Turcs partaient, sans être remplacés par aucun élément extérieur aux populations indi- gènes, les déchirements de l'anarchie succéde- raient au repos maladif au sein duquel languis- sent ces beaux pays; toutes ces nations d'origine et de croyances diverses se heurteraient et s'entre- dévo reraient. C'est que les Turcs, s'ils ne repré- sentent par l'ordre dans l'Albanie et la Romélie, représentent au moins l'absence du désordre. On peut soutenir que la bourgeoisie oisive remplit la même mission négative sur le territoire français, et que, si elle disparaissait, la France elle-même périrait bientôt dans d'horribles convulsions. Mais cette comparaison , dont la bourgeoisie oisive ne peut être flattée, et dont je ne pense pas qu'elle réclame le bénéfice, est absolument inexacte. La population française est infiniment plus homogène que celle des provinces turques. Elle est aussi plus avancée. La plupart de nos prolétaires des villes et des champs sont prêts pour une autre existence, et ils y aspirent ar- demment; c'est la société qui n'est pas prête, elle, pour la leur donner. Il ne leur manque autre chose que le bienfait de l'éducation, et un plus facile accès à la propriété, c'est-à-dire, des conditions meilleures et des occasions plus mul- tipliées de travail, pour être en état d'exercer, aussi bien qu'une grande partie de la bour- 366 LA BOURGEOISIE. geoisie, la plénitude des droits de citoyen (1). D'ailleurs il suffit en France de regarder autour de soi pour reconnaître que si la bourgigoisie oi- sive représente en totalité ou en partie l'élénletlt d'ordre, ce n'est qu'à l'aide et par l'intermé- diaire de quatic cent mille baïonnettes, non com- pris les baïonnettes bourgeoises, tandis quedall^ l'empire ottoman, il suffit d'une poignée de sol« dats pour tenir en respect les rayas et là multi- tude des croyants ; ce qui démontre clairemèilt que cette bourgeoisie ne conserve plus sa pré- dominance qu'en opposant aux masses la force des masses elles-mêmes : position critique à faire frémir, et qu'il est impossible de faire diirer , car toutes les baïonnettes commeticent à être itltel- ligentes. La bourgeoisie oisive n'a donc plus qu'uîi parti à prendre, c'est de passer dans les rangs de la bourgeoisie qui travaille; c'est de se préparer à fournir au peuple des chefs pour ses travaux. Lorsqu'elle le voudra , nos campagnes ^ qtli fcom- posent spécialement son domaine , changeront de face comme par enchantement , et nos paysans , qui, l'on ne saurait trop le répéter, forinent réelle- ment en France la classe la plus nombreuse et là (i) Beaucoup de paysaus sont devenus propriétaires pendant la révolution, et ont montré alors qu'ils n'avaient plus besoin des leçons de la bourgeoisie pour rendre le sol productif, pour gérer une propriété et élever une famille. LETTRE XXXII. 3g7 plus pauvre, seront éJevés à une condition meil- leure, dont ils sont dignes. Elle est responsable, de niouié avec le gouvernement, à qui ap- partient r.nùiative de tous les grands projets d amélioration, de l'avancement de vingt-cinq millions de prolétaires agricoles. Dans cette métamorphose elle a tout à gagner Par là, elle maintiendra son rang social et s'y raJermira, car elle reconquerra ainsi la con- fiance des masses, et justifiera sa supériorité par un fécond patronage. Elle échangera une exis- tence gênée contre une belle aisance, ou même contre la richesse, et les dégoûts de la fainéantise contre la satisfaction qu'inspire la conscience du bien que l'on a fait, et d'un grand devoir qu on a loyalement rempli. Déjà, cette honorable désertion du drapeau de 1 oisiveté à celui du travail s'opère tous les jours. Fehcitons-nous-en : feisons des vœux pour qu'elle s accélère, car il n'y a pas de temps à perdre. In- sistons surtout près du gouvernement pour qu'il a lacihte par toutes les mesures propres à déve- lopper le travail, par tous les moyens qui peu- vent hâter les progrès de l'agriculture, et inspirer a la jeune bourgeoisie le désir de se consacrer à cet art, le premier de tous. I XXXIII. L ARfSTOCRATIE. Philadelphie, i3 octobre i835. Il n'y a de grande société durable qu'autant que l'autorité y est constituée. On conçoit cepen- dant un cas où l'autorité peut être momentané- ment tenue à l'ombre ; lorsque de puissantes nations sont à la recherche des formes politiques et sociales qui leur conviennent, lorsqu'elles ont à passer d'essai en essai, à tâtonner et à se retour- ner successivement en sens divers, lorsque d'ail- leurs leur isolement du reste du monde garantit leur indépendance et les dispense de s'organiser en vue d'une invasion, il est permis, il est néces- saire qu'elles se réservent la plus grande aisance de mouvement, et qu'elles réduisent le nombre de leurs attaches tout juste à ce qu'il faut pour que le système reste d'une seule pièce. 370 l'aristocratie. Mais , encore un coup, une société sans ordre fixe et sans liens politiques est une anomalie , un phénomène transitoire. Les liens sociaux de l'o- pinion et de la religion , les seuls qui subsistent ici, ne peuvent suppléer à l'absence des liens poli- tiques , qu'en se resserrant jusqu'à la tyrannie. D'ailleurs, une fois qu'il y a des grandes villes , comme New-York, Philadelphie, Baltimore, et une nombreuse population mobile que l'opinion et la religion ne peuvent surveiller de près , les mœurs et les croyances ont absolument besoin du ferme appui des lois. La gravité et la fréquence des désordres qui éclatent maintenant dans l'Union américaine, ptouvetit que les temps sotït proches où l'auto- rité detrâ s'y organiser. Il y a des intérêts alar- més dafls le Sud, par exemple^ qùîj en î'absencef d'une protection légale , se protègent éux-méwies brulaleiïïenf, à tort et à traîveps, et c^ui doivent sentir \st nécessité d'un pouvoir sur leqUe) ils puissent se reposer du soin de les défendre. Au Kord, ûj û dants lesfviMes, parmi k bourgeoisie^ une population âmoltie até plotôt policée par la richesse, qui n'a pîiïs de go^t pénr cette portion dit self-goveTfnnent cfuî eoïïsiste dans la répression de la violence paf la fofce, et, parmi la dénioeratie , un élément inquiet et indocile, que la force seule peut contenir. Ces deux classes particulières au Nord , qui grossis- tETTUE xxxnr. 371 sent toits les jours, ne pourront bientôt plus yivfe lune près de l'autre que moyennant l'in- terpositibn d'un pouvoir. L'autorité a deux bases sut- lesquelles^ pôlil^ être stable, elle doit s'appuyer comme l'homme sur ses deux pieds : l'unité ou centralisation , et k classement hiérarchique. Les bases correâport^ dantes de la liberté sont l'indépendance de la localité, de la famille et de l'individu, et l'égalité. L'unité ou centralisation commence à apparaître au sein de plusieurs des États de l'Union Amé- ricaine (1). Il n'est pas exact de dire que les Américaine aient absolument nié le principe d'autorité , car ils ont posé, dès l'origine, Un principe de soitvè^ raineté, cehii de la souveraineté du peuple. Il est vrai qu'ils l'entendaient d'abord négativement^ c'est-à-dire comme un renversement pur et simple de l'autorité à Teiirôpéenne, du pouvoir militaire fondé sur la conquête ; mais une fôi^ que la doctrine de l'égalité eut assuré la prédo- minance à la démocratie sur la bourgeoisie, là démocratie se mit peu à peu à exercer cette sou- veraineté au profit de son intérêt bien ou mal entendu , de ses passions bonnes ou mauvaise^ : il y eut pouvoir dans toute l'acception du mot. Il y a même eu dictature. Celle-ci n'a point été (i) Voir Lettre xsx. ti72 l'aristocratie. permanente à beaucoup près; elle ne s'est mon- trée que par saccades et par intervalles. La plu- part du temps elle sommeillait et laissait le champ libre à l'individualisme. Elle ne se réveillait que pour frapper un grand coup et se rendormir en- suite ; mais quelle qu'ait été l'irrégularité de son action , un fait essentiel a été accompli : il y a eu pouvoir, pouvoir légal, pouvoir hardi; il y en a eu de plus en plus. Les Etats de la Nouvelle-Angleterre, qui sont le morcellement et l'individualisme incarnés, sont ceux qui ont fait le moins de pas dans cette voie. Les anciens Etats du Sud, quoiqu'ils aient plus de centralisation dans le sang, se sont aussi mon- trés assez timides. Les États qui se sont le plus avancés sont ceux du Centre, et particulièrement celui de New-York; l'Ouest, et particulièrement le Nord-Ouest , semble disposé à les imiter. Ce pouvoir unitaire agissant par bouffées, véritable centralisation à éclipses, a eu deux modes d'action , l'un négatif, l'autre positif. Né- gativement, il a imposé des limites, quelquefois étroites^ à l'indépendance des individualités per- sonnelles et des individualités collectives. Il a réduit , par exemple , les privilèges des compa- gnies anonymes en général, et en particulier celles des compagnies de chemins de fer et de ceux des banques, ou même il s'est arrogé l'omnipo- tence à leur égard : en ce moment , dans les Ét^ts tETTlîE XXXHI. 37J du Nord, le parti démocratique pousse un toile contre toutes les compagnies. II a fait des rè<.Je- rnents commerciaux restrictifs, tels que les lois dinspectiondesdenréesd'exportalion(l) Active- ment, il est intervenu dans les transactions de particuher à particuUer, pour les déclarer nulles ou pour les suspendre : c'est ainsi que dans l'Ouest Il a ete fait diverses lois rétroactives accordant des délais aux débiteurs; ou il a cassé en masse des tnbunaux qui se refusaient à plier, comme dans le Kentucky; ou il a institué des monopoles quil vendait au profit de l'État, tel que le che- nnndeferd'AmboyàCamden (de New-York à Philadelphie). Depuis un petit nombre d'années, lia commencé à adopter d'autres mesures essen- tiellement organiques et de la plus haute portée: •1 a entamé la centralisation des écoles , des grandes voies de communication et des banques, cest-a-dire des trois institutions les plus capi- (0 Lesmes„res res.Hcti.es adoptées contre ]os comn.^uie, son d,cleos par la défiance. On craint, non sans raison da" quelques cas, que les compagnies ne deviennent trop puissant neso.entdangereusespour les libertés publiques, DanslaKou velle-Angleterre, les législateurs du Massachusetts, par e.e.ple ..en prévu le cas, et leur principe de morcellement les av U conduis a hmUer, bien avant ceux des autres États, les préro- g^es des compagnies. Dans cet État, tous les actionnaires dune compag„,e sont iudividuellement responsables de tous es engagements de la compagnie , c'est-à-dire qu'il n> existe pas de ompagn.es anonymes , quoiqu'il , ait des compagnies qu ii- fiees d .ncorporatcd, ce qui est le tenue correspondant. 374 l'aiustûçkati^. tal^s dans une société vouée à l'^ndustne. 4ip$i se développent aux Etats-Unis les germes d'iine centralisatior^ effective qui n'ep^ibrasse- rai| ni plus x\\ ;^oips que k^ intérêts douiiïiant§ du pays. A cet égard, \e Nqrd et 1^ Sud , l'Est et r Quest , paraissent devoir être bientôt \inanimes , ^ J exception de la Nouvelle- Angleterre , qi^e ses idé^s d^ niQrçellejçnçnt r^tienn^nt ^n ^^Tiê^Ç dan^ cp i^ouvempnt nouveau (1). S'il y a uri éçueil à redp.uter. poiir une époque procl^aine, dans les Etats dii Norçl, ce n'pst pas que le poviyoir y manquç, c'est qu'il y en ait t^op. Autant la dén^ocratie de ce^ É^ts est pi^ibrageuse à l'égard dt^ pouvoir n^iliçaire, autant plie paraît devenir facile à l'égard (le la çeutralisatio^ légis- lative. EU^ sç refuse à e^ appeler à la fovpe ar- mée, même ppur la répression d^s plus ijf^tales violences ; ^^ais 01e abuserait ypl^ntie^-^ de TpHt- nipotence des déléguéç ^w peuple y çlle pe serait pas éloignée, pour peu que les circonstances l'y provcquassent^ delà pousser jusqu'à la tyrannie. Le goiivprnement représentatif per4 son carac- tère de transaction entre les divers intérêts so- ciaux, et dégénère en instrument de despotisme dans les mains de la majorité numéfiqu^. En Amérique, il ^ comniençé par être ynie charte octroyée par la bourgeoisie à la démocratie. Main- Ci) Vdîi' 1^ Nëtë i4 à la iitt d«^ Vo^tfttie* tenant îes rôles sont renversés ; l^ bourgeoisie aurait besoin qu'on lui oetroyât ppa charte à son tour, et elh ne paraît pas devoir J'obtepir, En place das tortures physiques de J'inquigi* tion , ce despotisme , s'i} parvenait k s'affermir* aurait de cruelles tprtures morales , un Ut de Pr o« custe pour les intelligences et pour les fortunes, un niveau de plomb pour le génie, Sous prétexte d'égalité, il instituerait l'unifomiité l^ plus déi-» espérante. Comme il serait supiîessivement exercé par tous ceux sur qui se promène la faveur po-^ pulaire, il serait éminemment mobile et eapri"? cieux, remettrait tout en question à tout in- stant (1), et dès lors finirait par paralyser T^s- prit d'entreprise qui a fait la prospérité du p^ys. Dans les États du Sud , la démocratie blanche a un piédestal , l'esclavage. Pour se sentir haut , elle n'a pas besoin de rabaisser continuelle- ment la bourgeoisie; elle exerce son autorité par en bas, et songe moins à attaquer ce qni est au-dessus d'elle. Au Sud, la société se divise en maîtres et en esclaves ; la distinction de bour- geoisie et de démocratie y est secondaire, aujour- d'hui surtout que la condition inquiétante des noirs oblige tous les blancs à rester unis* D'ail- leurs, dans \e Sud, Fesclavage contraindra bien- tôt les gouvernements locaux à instituer une po-* (i) Voit î« NeU 60 M U fitt dtt Veliata«j 376 L'ARlSTOCRATtE. lice et une force armée qui, tout en contenant les esclaves, préviendraient le retour des excès dont cette portion des États-Unis a été souillée en 1835, et empêcheraient que l'on n'y imitât les attentats contre la propriété et l'ordre public, dont, depuis quelque temps, le Nord est fré- quemment le théâtre. I.a centralisation est la moitié de l'autorité; l'autre moitié, le classement hiérarchique, n'est pas prompte à se dégager aux États-Unis, surtout dans les États du Nord^ où cependant il est né- cessaire qu'une institution quelconque vienne donner de la stabilité au pouvoir. Il y a deux aristocraties , l'aristocratie de nais- sance et l'aristocratie de capacité. Je ne parle pas de l'aristocratie d'argent : celle-ci n'a de chance de s'affermir et ne possède d'influence que lors- qu'elle est confondue avec l'une des deux autres. Toutes les grandes sociétés qui ont existé jus- qu'à ce jour ont constitué plus ou moins solide- ment l'une ou l'autre de ces aristocraties , disons- le même, toutes les deux. Le classement par ordre de capacité existait même chez les Égyptiens et les Indous dans l'intérieur de l'enceinte à pic de la caste. La société chrétienne est la première qui ait nettement institué le classement par ordre de capacité, non seulement au sein de chaque na- tion, mais dans la catholicité tout entière; le clergé de l'Église romaine était organisé sur ce LETïiiE XXXII r. 377 principe. Il devait en être ainsi : cette société croyait à l'unité de Dieu et de la race humaine; pour elle, il n'y avait qu'un Dieu , père de tous les hommes , et devant qui les distinctions de la naissance ne comptaient point. Parallèlement à la hiérarchie de capacité, tous les peuples qui ont eu de grandes destinées poli- tiques, et qui ont fondé de durables empires, ont eu une aristocratie de naissance, un patriciat civil et militaire. Chez quelques peuples de l'antiquité en petit nombre , le patriciat était composé de tous les citoyens libres , qui étaient en minorité relati- vement aux esclaves. Telles ont été les répu- ])iiques de la Grèce, dont la fortune politique a dailleurs été assez mince. Tels ont été les Ara- bes, chez lesquels il y avait, en dessous des croyants , des rayas , chrétiens et juifs. Les na- tions qui ont pesé le plus dans la balance de la civilisation européenne, étaient différemment constituées; au-dessus des citoyens libres, elles avaient une classe à privilèges héréditaires. Telle a été Rome; telle est l'Angleterre : de même l'em- pire de l'islamisme n'a été stable qu'après qu'une poignée de Turcs se fut superposée aux Arabes^ comme caste privilégiée. Il est à remarquer que la dernière des grandes sociétés qui sont passées sur la terre, cette so- ciété chrétienne qui a été la première où Taris- 378 l'aristocratie. tocratie de capacité se soit déployée dans toute son ampleur, a été aussi celle où l'aristocratie de i^ai§sance a été le mieu^^ caractérisée. Le groupe des peuples issus de Japhet? qui §ont vpnus cette fois pousser la civilisation , et faire de leurs muscles ses muscles, de leur yolontp énergique sa volqnté, avait apporté du Nord im profond sentiment de famille qu'il i^i planta dans l^ po- litique ; ainsi fut créée la noblesse la plus héré- ditaire que l'on eut encore vue. H y avait eu jusque là hérédité dans la casÇe ; les Germains constituèrent l'hérédité des distinctions et ^es fonctions dans la famille , avec la clause précise d§ la primogéniture. Ge qui n'ayait guèi'e été qu'une exception en faveur des familles rçiyales, ils l'appliquèrent à toutes les familles ïîob,ies. Cette organisation subsiste encore , plus ou moins modifiée, dans la plupart d^s ptats eurppéens. Hier encore, elle semblait aussi vigoureuse que jamais en Angleterre. Il est vrai que là elle s'était transformée , selon les besoins des tempi^; qu'elle était devenue élastique et flexible ; qu'elle avait pivert son giroii à l'aristpçratie de capacité, et qu'elle avait consacré ses richesses ef ses privilè- ges, ^ i^on à satisfaire §es caprices j non à assouvir ses passions, mais à répandre autour d'elle le ré- seau d'un yaste et bienfaisant patronage. Il y {^aujourd'hui réaction violente con^v® Je^ tlistinctiortâ héréditaires et raHstocrati^ (Je n^^* LETTRE XXXIII. 379 sance. Sur tous les points du territoire occupé par la civilisation occidentale, l'aristocratie d'o- rigine féodale est batfue en })rèche, ici par la dé- mocratie , là par la bourgeoisie, ailleurs par le pou- voir royal. Dans la ligue contre elle, l'empereur de Russie donne la main à la démocratie américaine et à labqurgeoisie française, et la démocratie bri- tannique, dans la nersqnne d'Q'Çpnnell, est l'al- liée du i^oi de Presse et de l'emperpur d'Autriche . La dpctrine du christianisme sur la création, qui nous représente Diei| tirant les âmes comme d'un réservoir^ sans que le père et la mère trans- vasent aucune parcelle de la leur dans le corps de l'enfant j implique la réprobation de l'aristocratie de naissance : or, toutes les intellio^ences , même celles qui sont le plus ret^elles à la foi chrétienne, vivent aujourd'hui^ sans s'ep douter, sur le fond d'idées que le christianisme a mis en circulation. Quand la philosophie mq^leru^ îîpqs ^i^seigfle que le hasard de la naissance ne peut être un titre aux distinctions sociales, elle ne fait que tirer une çlécJiiGtipn logique des préceptes enseignés par le Christ; elle est la cputinuatric^ dp§ Pere^ de j'p- glise , à cela près qu'elle appelle hasard ce que le christianisme nomme Providence. Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur la ya- leur actuelle de l'aristocratie çle r^^i§sauce, on, est forcé de reconnaître que, dans le passé, elle a i^eiidu de gmndâ services au genre humain. Pour 380 l'aristocratie. lie pas sortir de l'histoire des peuples modernes, il est clair^ par exemple, que l'organisation féo- dale fixa les hordes des barbares. Sans le système des fiefs, elles eussent perpétuellement tourbil- lonné sur le sol de l'Europe, se heurtant nation contre nation, tribu contre tribu. Parce système, elles prirent racineet constituèrent un ordre social nouveau. La différence la plus essentielle qu'il soit possible de signaler entre les peuples ger- mains ou normands et les bandes d'Attila , ou celles qui, plus tard, sous les fils de Gengis- kan, inondèrent le nord de l'Europe, c'est que les premiers avaient l'instinct fondateur , ma- nifesté par leur conception féodale , tandis que les autres en manquaient. L'Angleterre est prin- cipalement redevable de ses immenses succès à son aristocratie (1). Je ne regrette point le passé , (i) L'aristocratie anglaise est accessible à tout homme supé- rieur. Le Roi peut d'un roturier faire un lord, et il use souvent de cette faculté. En outre, Tordre des chevaliers (knights) , qui est le premier degré delà noblesse, est essenliellenient une aristo- cratie de talent, de mérite et de service personnels; l'hérédité n'y subsiste pas. Mais si la capacité a pris pied sur le terrain de l'aristocratie de naissance, celle-ci a empiété aussi sur l'aristo- cratie de capacité; car, avec la constitution du clergé anglican, en l'absence des monastères et des nombreuses institutions gra- tuites du temps passé , il est bien plus difficile aujourd'hui à un gardeur de pourceaux, comme Sixte-Quint, de se frayer sa route dans les rangs de l'Église anglicane, qu'il ne le lui eût été au moyen âge de s'élever au sommet de la hiérarchie calho- Jj(jue. lÊTTRE XXXI ïf. oHt parce que la part de la gloire de la France reste grande, quoique, militairement et politiquement, elle ait été vaincue par sa rivale, partout , et en Europe, et dans le Nouveau-Monde, et dans la vieille Asie. Il me sera cependant permis de dire que si l'aristocratie française eût triomphé dans sa lutte contre Richelieu (1), les destinées du monde eussent pu être complètement changées; peut-être alors la France eût rempli le rôle qui est devenu celui de l'Angleterre. Le droit d'aînesse, étendu hors des limites de l'aristocratie, doit être considéré comme autre chose qu'une imitation irréfléchie des coutumes nobiliaires par une bourgeoisie vaniteuse. Cet usage, dont il est assez difficile de défendre Yéqidté, a été pourtant une des causes de la grandeur de l'Angleterre. Il est évident qu'il est favorable à l'agglomération des capitaux ; or les capitaux sont comme les hommes : unis, ils sont puissants; divisés, ils sont sans force. Grâce à la loi de primogénitiu^e , l'Angleterre eut à sa (i) L'aristocralie française qui lutta contre Richelieu était prolestante. Elle était plus éclairée que l'aristocratie anglaise de la même époque. Le protestantisme français était l'élite de l'Eu- rope sous tous les rapports , même sous celui de l'industrie et de» manufactures. On sait que les grands progrès des fabriques an- glaises et allemandes datent de la révocation deTEdit de Nantes, qui cha?sa ([uatre cent mille Français de leur patrie et les dis- persa dans tous les pays où il y avait liberté de conscience, parti- culièrement ei^ jHgllande^ en Angleterre et en AUemagne. i^^^- 382 L'AKfgtOCRATFfc, disposition ufië Elrrtiée toujours rêriai§sâîitë de cadets àVides de pattèt Mit industrie ddtiâ lëS colonieà^ et COtitêiitS de lêilf^ sort, sbit parce que leurs aînés leur prêtaient cbrdialeniferit letlt- rtp^ pui^ soit parce qu'ils étaient pleins d'énergie, et qu'ils savaient bien qu'avec dit trair^iil ils arrive- raient à la for Unie , soît |jarcë qu'ils ne snppO^ saient pas qne le monde pût être arrangé diffê-^ rëttirtient. Pendant ce temps, les ^înés formdlent une riche métropole qui envoyait k propos d'attt- ples secours à ses établissements lointains, et tjui gagnait petit à petit la suprématie eti ËitrOpe. Quoi qu'il en SOit, ce Serait folie qtië déVfcJil^ loir reconstruire la féodalité , Oli que de songer à copier, soit en France, soit aux États-Unis, l'aris- tocratie anglaise , même avec son mode de recru- tement pàtthi les supériorités sociales : ce sont des formes hiérarchiques qui dWt fait leur temps. Mais, encore une fois, il importe à tous les peuples qui ont la prétention de devenir ou de rester puissants, d'avoir une aristocratie , c'est-à- dire un corps, héréditaire ou non, qui conserve et perpétue les traditions, donne de l'esprit de suite à la politique, et se voue à l'art le plus difficile de fous, quWjourd'hui cependant tout le mondé croit savoir sans l'avoir appris , celui de gouver- ner. Un peuple sans aristocratie pourra briller dans les lettres et les arts , mais sa gloire politique LÈtTRÈ ^xiiit. 383 me semble' devoir être passagère comme un mé- téore. Je ne sais si je irie laisse égarer par moll ad- miration poitr le passé, qtioîqùe je ne me dissi- mule pas ce qu'il a eu de tyranniqne envers l'iitt - mense majorité du genre humain ; mais je ne puis me détetmin^r à ct-oire que Fhéf-édité, otl, en ter- mes plus généraux^ le Sentiment de là famille, doive étreentièréhïerit banni deTinstitutiori airis- tocratique destinée à cotirottner lotdre social nouveau, Ètïystérieùx éUcoi^e, qui tend à se con-^ stituerstitîes deux Hve"^ ele FAtlarttique. Le sen- timent de k famille ne va pas en s'éteignant. La famille, depuis l'origifte des temps historiques jusqu'à nous, s'est modifiée comme toutes les in- stitutions sociales. Dans les premiers âges, elle était tout entière absorbée dans le père; successi- vement les» individualités de l'épouse et des en- fants se soiit dégagées; mais, à travers toutes ces transformations, le sentiment de la famille a sa-^ gné plutôt qu'il n'a perdu. Si ce mouvement pro- gressif ne s'arrête pas brusquement, il est iné- vitable que les institutions^ à la piste desquelle» notre eiviHsation s'agite, donnent au sentiment de la familïe une place dans la politique, et l'on ne conçoit pas comment il en serait ainsi sans une certaine dose d'hérédité. On peut objecter, en ce qui concerne les États- Unis, que le sentiment de la famille y est beau- 384 L ARISTOCRATIE.. coup plus faible qu'en Europe. Il ne faut pas confondre ce quiest accidentel et transitoire, avec ce qui est un progrès acquis à la civilisation. L'affaiblissement momentané des sentiments de famille a été une des nécessités du mouvement d'expansion et de dispersion individuelle , par le- quel les Américains ont procédé à la colonisation de leur continent^ l'effet doit cesser peu à peu avec la cause momentanée qui l'a produit, c'est- à-dire à mesure que l'émigration vers l'Ouest se ralentira. Dès qu'ils ont achevé leur croissance , les Yankees, dont la nature prévaut aujourd'hui dans l'Union, quittent tout naturellement et sans émotion leurs parents pour ne plus les revoii' , comme les petits des oiseaux qui prennent leur volée pour ne plus rentrer au nid dès qu'ils on t toutes leurs plumes ; mais la prédominance des Yankees, tels qu'ils sont faits aujourd'hui, ne me paraît pas devoir être éternelle : je ne vois pas en eux le type définitif de l'Américain. Parmi les Yankees eux-mêmes, le sentiment de famille a conservé de solides points d'attache , tels que la vénération pour la tradition biblique , la sainteté et l'étroitesse du mariage , et les am- ples pouvoirs donnés au père pour la disposi- tion de sa fortune. Depuis trois siècles, les éléments mobiles ont pris d'énormes accroissements dans la civilisation occJd^iitgl^. .L'ilKlii^trie et l'imprimerie, organe LLTTRE XXXÏIt. 385 de la philosophie et de la science profane, ont rompu l'équilibre entre la force de rénovation tt la force de conservation qui doivent exister dans toute société , et qui doivent se balancer pour qu'il y ait ordre. Ces deux puissances nouvelles, qui tendent essentiellement à tout renouveler, on t battu les anciens pouvoirs, et culbuté la double aristocratie de capacité et de naissance, le clergé et la noblesse. Faut-il en conclure que ces deux aris- tocraties, ou même une seule dés deux, soient mortes à jamais, ou plutôt ne faut-il pas admettre que l'ordre, c'est-à-dire le balancement entre la tendance novatrice et la tendance conservatrice , ne peut subsister, à moins que le pouvoir ne soit reconstitué tout aussi fort qu'il l'ait jamais été, ce qui ne veut pas dire qu'il doive avoir la brutalité de la vigueur antique? N'est-ce pas une raison pour que la hiérarchie soit assise au moins aussi fermement que par le passé ? ce qui ne si- gnifie nullement qu'elle doive emprunter l'inélas- ticité et l'absolutisme des aristocraties anciennes : or , y a-t-il un principe de solidité et de stabilité comparable à la transmission héréditaire ? Le doute sur ce point n'est pas seulement légitime; je le crois obligatoire. On a organisé des systèmes très stables sans hérédité. La hiérarchie catholique en offre le plus parlait exemple; voilà dix-huit cents ans qu'elle dure. Mais, pour obtenir ce résultat, il a fallu II- 25 386 l'aristocratie:. détruire le sentiment de la famille chez les mem- bres de cette hiérarchie en les astreignant au cé- libat^ il a fallu ensuite substituer au principe naturel de fixité par transmission héréditaire , un principe tout artificiel, c'est-à-dire, une discipline extraordinairement rigoureuse , et la règle sévère de l'obéissance passive. En un mot, on n'a satis- fait, dans ce cas, aux conditions de stabilité qu'en immolant la liberté. Les deux puissances du commerce et de l'im- primerie, ne sont aussi éminemment mobiles et remuantes que parce qu'elles ije sont aucune- ment organisées. Elles sont susceptibles d'être modifiées et réduites dans leur influence nova- trice, ce qui rendrait moins indispensable une vigoureuse reconstitution de la force conser- vatrice. Sans contredit , l'industrie serait moins antipathique aux privilèges de l'aristocratie tem- porelle , si elle y participait , ou si elle avait ses prérogatives spéciales. La science , dont l'impri- merie est le glaive , se fût montrée moins anti- pathique à la hiérarchie spirituelle, si celle-ci ne l'eût repoussée. Il est possible qu en effet nous soyons destinés à voir upie sorte de noblesse in- dustrielle; il est même possible que l'on en vienne, de proche en proche , à discuter sous une forme ou sous une autre, la question d'un monopole plus ou moins complet de la science et de la presse. Au lieu de démolir l'aristocratie, on l'affer- LETTRE XXXTII. 387 mirait en y faisant entrer la science et l'industrie, ^ qui la défendraient alors, au lieu de l'attaquer! Dans ce système, 1 aristocratie serait moins corn- pacte et moins exclusive; elle planerait d'une moindre hauteur sur le reste des hommes; jnais elle couvrirait plus d'espace, elle gagnerait en surface ce qu'elle aurait de moins en élévation ; elle ne laisserait pas un pouce de terre où l'on pût être hors de son atteinte. L'égalité y gagne- rait probablement, mais l'indépeodance hu- maine y perdrait. Il serait oiseux de chercher à deviner les formes diverses que pourrait revêtir dans les sociétés présentes ou futures, une hiérarchie politique ou religieuse, avec ou sans consécra- tion du sentiment de la famille, associée ou iion à l'mdustrie et à la science, ou encore comment le principe de la famille pourrait s'allier au prin- cipe de l'élection par le peuple, ou par le chef du peuple. Il serait également impossible de faire dès aujourd'hui le dénombrement , par rang de taille, des divers intérêts entre lesquels la so- ciété sera partagée dans l'avenir , et de nommer les institutions par lesquelles ils se personnifie- ront; qui donc, du temps de César et de Péri- clés, ou même sous Constantin, eût pu deviner les corps de métiers, les universités, les ordres monastiques et les parlements, sans parler de^ grandes banques ? 388 i/aristocratie. Une multitude de combinaisons que nul ne peut prévoir, sont possibles. Plusieurs auront lieu soit successivement dans les mêmes con- trées, soit simultanément chez des peuples di- vers. Deux choses pourtant me paraissent cer- taines : l'une, que de grands phénomènes sociaux sont à la veille de se produire, soit en Amé- rique, soit en Europe; l'autre, que le sentiment de la famille ne peut être définitivement et abso- lument rayé de la politique. Pour nous Européens, l'abolition immédiate et complète de l'aristocratie héréditaire me pa- raît sujette aux plus grandes difficultés. Les peu- ples de l'Europe occidentale tiennent leurs lois et le urs traditions des Germains et des Romains , c'est-à-dire de deux souches remplies du senti- ment de la famille ; il n'y a pas un pouce de leur sol, une pierre de leurs monuments, un vers de leurs chants nationaux, qui ne réveille en eux ce sentiment en les rappelant à cette double origine ; il semble donc véritablement impossible qu'ils entrent de plain-pied dans un régime où la poli- tique se refuserait à lui reconnaître une valeur et une place. On peut cependant considérer dès aujourd'hui le principe d'hérédité indéfinie comme ébranlé à jamais. L'idée de perpétuité dans les peines comme dans les récompenses déplaît à notre siècle, fit ne conviendra pas davantage aux siècles à va- LETTRE XXXIII. 389 nir. Nous vivons beaucoup plus que nos pères dans le même espace de temps ; le même nombre d'années représente donc une durée beaucoup plus grande qu'autrefois. Dès qu'il n'y a plus de parias pour l'éternité , il ne peut plus y avoir de privilèges éternels. Si l'investiture aristocratique expirait à la fin d'un petit nombre de généra- tions , l'aristocratie ne cesserait pas d'être la plus enviée des faveurs et la plus stable des institu- tions, et la jalousie des non-privilégiés suppor- terait mieux les prérogatives d'une noblesse qui porterait écrit sur son front : « Souviens-toi que » tu n'es que poussière et que tu redeviendras » poussière î » Ce ne serait pas assez. L'aristocratie de nais- sance a besoin d'un autre aiguillon plus vif. Pour exercer de hautes fonctions , il ne doit pas suffire de s'être donné la peine de naître. H y a quelque chose de monstrueux dans le privilège delà pairie anglaise, dont tous les membres sont de droit lé- gislateurs (1). Dans le moyen-âge, pour ceindre l'épée de chevalier et avoir bannière , il fallait avoir gagné ses éperons. A Rome , le droit (i) On sait que les membres de la pairie d'Irlande et d'Ecosse ne participent point à cet immense prinlége. Ils ont droit à être investis de l'autorité législative, moyennant l'élection par les noblesses irlandaise et écossaise. La faculté accordée aux pairs du Royaume -Uni , de voter par procuration , est une mons- truosité plus intolérable encore. 390 L AKISTOCRATIE. de la naissance suffisait à faire des patriciens ; il ne faisait pas des sénateurs. Des réserves analo- gues seraient utiles en tout pays; avec des peu- ples du caractère des Français et des Européens méridionaux, elles seraient indispensables. Sans doute, l'esprit humain, ou du moins cette portion de l'opinion publique que l'on est accoutumé depuis un demi-siècle à traiter comme si elle avait le monopole de l'intelligence, repousse aujourd'hui toutes les distinctions fondées sur le hasard de la naissance. La logique actuelle les condamne ; la métaphysique du jour s'en révolte. Mais l'esprit humain n'est pas immuable. Il y a soixante ans, il jugeait légitimes les privilèges hé- réditaires, tout aussi fermement qu*il les croit au- jourd'hui injustes et absurdes. Alors, coiiime au- jourd'hui , il avait une logique et une métaphy- sique à l'usage de sa foi politique. L'humanité poursuit ses destinées en courant des bordées tantôt vers la liberté , tantôt vers l'autorité , selon qu'elle à besoin de Tune du de Fâutre. ï)ans cette manœuvre il lui arrive quelquefois de perdre en- tièrement de vue la direction générale de sa mar- che et de la confondre avec le sillage qu'elle laisse à Vinst^^nt même derrière elle. Dans ce cas , et surtout lorsqu'elle approche du point où elle doit virer de bord , il est impossible de définir ses ten- dances prochaines par ses tèiidances présentes. La philosophie ne peut, d'ailleurs, prétendre à LETTRE XXXIIT. 391 posséder seule te sceptre du monde. Les précé- dents valent les syllogismes. La logique n'est que là moitié de la sagesse; l'expérience en est Tautre irioitîé. Notre iriteîîigencedoit courber son orgueil devant les nécessités sociales. Lorsqu'elle s'entête à nieriesfaits parce qu'elle ne les comprend point, les faits s'imposent brutalement a elle. D^ailleurs, est-il bien démontré queles arrêts delà philosophie contre l'hérédité soient sanctionnés par la science positive, et qil'âbstractidn faite même de l'in- fluence de l'ëdtïcatîon et des impressions pre- mières, la physiologie la plus matérialiste, c'est-à- dire la plus révolutionnaire, donne un passeport irrévocable aux théories que l'on oppose à l'an- cien droit dé ïa naissance? Énî^rafice, îl n'est'pàs aisé de dire d'où Sorti- rait l'aristocratie héréditaire, si réellement nous devions eii avoir une. Il lui faudrait un noyau d'anciennes familles ou de militaires, autour de qui des éléments nouveaux pussent se grouper. Or, la vieille noblesse française s'est laissée dé- grader jusqu'à la domesticité sous Louis XlV et jusqu'à la crapule sous Louis XV ; les épreuves de l'exil n'ont pas profité à ses débris échappés à la hache révolutionnaire : quand ils repâ^rurent parmi nbiis, ils n'avaient rien oublié ni rien appris. Le mélange de l'aristocratie guerrière de l'empire ne l'a point régénérée. La retraite à laquelle cette ancienne noblesse s'est condamnée depuis 392 l'aristocratie. 1830, est-ce un asile où elle se refera, par la méditation et le repentir, une constitution neuve, ou plutôt n'est-ce pas un tombeau qu'elle a fermé sur elle-même? De nouvelles supériorités surgiront-elles du sol à la suite de quelques trem- blements de terre? Avons-nous parmi nos paysans des rejetons ignorés des adversaires de César ou des petits-fils de Brennus, que de grands événe- ments révéleront au monde? Ou nous viendra- t-il duNord , de l'officine des nations , une troupe de Tartares qui mettront fin à nos querelles bour- geoises^ en s'installant dans nos palais , en s'attri- buant nos terres les plus fertiles , en épousant nos héritières les plus belles , les plus n jbles , les plus riches , et en nous disant à tous, la main sur la poignée de leur sabre : « Le règne des avocats est passé , le nôtre commence ! » Si l'on admettait que les États-Unis dussent organiser une aristocratie et inaugurer politique- ment le sentiment de la famille, leur avenir serait encore plus nébuleux que le nôtre. L'élément hé- réditaire des aristocraties est toujours venu de la conquête, ou tout au moins s'est constamment appuyé par alliance ou par transaction sur l'épée des conquérants. Comment peut-il y avoir con- quête chez les Américains ? Il est possible qu'ils conquièrent le Mexique , mais ils ne peuvent être conquis par lui. Il n'est pas permis de supposer qu'un Alexandre ou un Charlemagne rouge sorti LETTRE XXXIII. 393 à cheval des steppes lontaines de l'Ouest, à la tète de farouches guerriers Pawnees, et entraînant à sa suite les noirs soulevés, devienne jamais le fondateur d une dynastie et d une aristocratie militaires. Si l'Union se partageait et que les rudes fils de l'Ouest, débordant de FOhio et du Missis- sipi , vinssent conquérir les populations du Nord énervées par le luxe et par l'anarchie , et celles du Sud affaiblies par une guerre d'esclaves , il sor- tirait difficilement de là le germe d'une aristo- cratie héréditaire ; les vainqueurs et les vaincus seraient trop de la même famille. Déjà cependant les États du Sud sont organisés sur le principe de l'aristocratie héréditaire. Il est vrai que la classe privilégiée y est tellement nom- breuse , qu'à moins de l'institution d'un privi- lège dans le privilège, ils sont sans aristocratie proprement dite; mais la crainte d'une insurrec- tion des noirs y tient les blancs serrés les uns contre les autres et les pousse à se constituer fortement et à tout prix. La situation respective des blancs et des noirs ne comporte pas l'hésita- tion. Il est évident que les États sans esclaves sont ceux où l'établissement d'une hiérarchie douée de quelque fixité, serait le plus difficile, et que l'inauguration politique, sous uneforme quelcon- que, du sentiment de la famille, y rencontrerait la résistance la plus énergique. Dans les États 394 l'aristocratie. du littoral au nord du Potomac , l'obstacle pa- raît devoir être insurmontable. Ces États ont de grandes métropoles, un commerce étendu et monté en grand , des manufactures à l'an- glaise 5 de puissantes compagnies industrielles , c'est-à-dire, des germes d'inégalité extrême; mais leurs lois consacrent l'égalité absolue , et la démocratie souveraine s'y montre résolue à maintenir à tout prix l'absolutisme de l'égalité. Entre ces deux forces opposées it y a lutte, et l'on peut concevoir des cas où cette lutte pren- drait un caractère effroyable. Si des incidents quelconques venaient à suspendre la prospérité matérielle de ces États; si, par le fait d'une séparation, chaque jour, il est vrai, de moins en moins probable, le marché du Sud était fermé à leurs négociants et à leurs fabricants; si les fils de leurs cultivateurs et leurs apprentis-ou- vriers n'avaient plus accès aux terres et aux villes naissantes de l'Ouest; si, pour surcroît de mal- heur, la guerre étrangère bloquait leurs ports, ils seraient exposés aux perturbations les plus épou- vantables. Les États du Nord doivent donc rester inébranlablement fidèles à la cause de l'u- nion et à celle de la paix avec les monarcliàess eu- ropéennes. Si donc il était démontré que toute société a invincil)lement besoin d'un classement hiérar- chique, et que l^hérédité ou le sentiment de la LETTRE XXXIII. 395 famille doive être l'un des principes constituants du corps d'élite, simple ou multiple, qui est nécessaire pour former le couronnement de la hiérarchie, il faudrait reconnaître qu'à tout prendre l'avenir du Nord est plus obscur et plus alarmant que celui du Sud. A force d'in- flexible vigilance à l'égard des esclaves, le Sud peut maintenir chez lui les formes extérieures d'un système social régulier. Ce serait un régime arriéré, car ce serait au moral la copie des sociétés antiques d'avant Jésus-Christ, plaquée sur le ma- tériel perfectionné des sociétés modernes; ce serait du despotisme, du despotisme ordonné toutefois, ce qui, après tout, est un moindre fléau que Tanarchie qui menace le Nord. Et cependant, quoi qu'il en soit de l'aristo- cratie et de l'avenir politique du sentiment de la famille, il me répugne absolument de croire que tout ce que j'ai vu de force et d'intelligence dans les États du Nord de l'Union anglo-amé- ricaine, puisse être englouti. Aucune induction logique ne saurait m'obliger cà conclure qu'il ne doive pas exister un jour et bientôt dans ce beau territoire qui s'étend à l'est et à l'ouest des AUé- ghanys, autour de la nappe des grands lacs, sur les bords de ces fleuves sans pareils , une société supérieure à toutes celles qui jusqu'à nous ont fleuri dans l'ancien continent. Il ne se peut pas qu'une race supérieure y ait transporté ^"" l'aristocratie. ses fils pour qu'ils s'entre-dévorent. Si d'un coté la civilisation américaine semble exposée à de for- midables chances, sous d'autres points de vue elle s'annonce avec des caractères fort nets de durée. Si de grands dangers entourent son ber- ceau, n'est-ce pas comme celui d'Hercule? XXXIV. LA DEMOCRATIE. New-York, 22 octobre i835. Nos vieilles sociétés d'Europe ont un lourd fardeau à porter, c'est celui du passé. Chaque siècle est solidaire de ceux qui le précèdent, et engage la solidarité de ceux qui le suivent. Nous payons de gros intérêts pour les fautes de nos pères. Nous les payons d'abord sous la forme de dette publique ; nous les payons aussi par tout ce que nous coûte l'entretien de notre belle armée; car, parmi les causes qui obligent l'Europe en- tière à tenir l'élite de la population l'arme au bras, il faut bien compter les inimitiés de nos pères. Nous les payons encore plus cher par toutes les habitudes de défiance que nous ont léguées des temps d'anarchie et de despotisme. Il faut que le poids accumulé d'un long passé soit mie charge 398 LA. DÉMOCRATIE. bien écrasante, puisqu'il a fait crouler Tempire romain dans Rome d'abord, et ensuite dans Con- stantinople , où il s'était transporté pour s'y soustraire; car cet empire s'est affaissé par épuisement et dissolution plus encore que par la violence du choc des barbares ou des Sarra- sins. Toutes les nations qui ont fait la gloire du monde se sont réduites en poussière inerte, comme la poussière des tombeaux , faute d'avoir pu re- jeter de leurs épaules un passé qui les étreignait par les mœurs, les usages, les idées reçues, les sentiments; chacune à son tour, elles ont ployé sous le faix , sont tombées et sont devenues pour- l'iture, comme le fruit détaché de l'arbre. Notre Europe subira-t-elle le sort de ses devancières? J'espère qu'elle sera plus heureuse , parce qu'elle doit être plus sage, ayant leurs exemples devant les yeux, et aussi parce qu'elle est plus flexible dans son tempérament, plus élastique dans ses formes. Un de mes amis voyageait il y a quelque temps en Angleterre, et visitait, au pays de Galles, les vastes usines de M. Crawshay. Il fut frappé de ce qu'un très grand nombre de chemins de fer des- tinés aux charrois entre les fonderies et les forges d'une part, les mines et les canaux de l'autre, étaient tous construits d'après un vieux système fort imparfait, celui des ornières creuses. Il de- manda pourquoi on ne les changeait pas pour LETTRE XXXIV. 399 d'autres à ornières saillantes, faisant observer que l'économie qui en résulterait dans les frais de traction , serait suffisante pour payer les frais de reconstruction en deux ou trois ans au plus. «Rien n'est plus juste, répondit le maître de for- ges; cependant nous maintenons nos vieux che- mins à ornières creuses, et nous les maintiendrons indéfiniment, parce que, pour passer du vieux système au nouveau, il faudrait du temps, deux ou trois ans peut-être, et, pendant l'intervalle, nos waggons ne pouvant aller à la fois sur les deux systèmes, nous serions obligés d'interrompre notre fabrication, de faire chômer nos capitaux, et de laisser cinquante mille ouvriers sans travail et sans pain. La difficulté n'est que dans la tran- sition , mais jusqu'à présent elle nous semble in- surmontable. » Il en est de même en matière sociale. Il est as- sez aisé d'apercevoir que tel système offre sur tel autre des avantages décidés , et que si l'on pou- vait, d'un coup de baguette, faire sauter la société du premier au second, tout serait pour le mieux; mais entre les deux il y a un abîme. Gomment le franchir? Comment rassurer les droits anciens à qui rien ne semble garanti sur la rive opposée? Comment vaincre la résistance des privilégiés du présent qui se mettent en travers? Comment tempérer l'impatience de la masse pressée de jouir 400 LA DEMOCRATIE. des avantages quelle s'attend à rencontrer sur l'autre bord? En fait d'amélioration sociale , on simplifie sin- gulièrement la question en la déplaçant, c'est- à-dire, en allant la résoudre en des pays nouveaux. Aux anciens intérêts, aux anciennes idées, on abandonne la terre ancienne. On débarque dé- gagé et dispos, prêt à tout entreprendre, d'hu- meur à tout essayer. On a laissé sur le sol de la mère-patrie mille préoccupations, mille rela- tions, qui enlacent l'existence pour en faire, si l'on veut, l'ornement et le charme, mais aussi pour en amollir l'activité et la rendre rétive aux appels de l'esprit novateur. La première de toutes les innovations est celle du sol ; celle-ci entraîne nécessairement les autres. Les droits acquis n'é- migrent pas ; ils se tiennent cramponnés au sol ancien ; c'est le seul qu'ils connaissent et qui les connaisse. Les privilèges, que l'on respecte parce que le temps les a consacrés , ne se hasardent pas sur une terre nouvelle; ou s'ils s'y aventurent, malheur à eux , il ne leur est pas donné de s'y acclimater! Une colonie ressemble à une ville assiégée ; chacun doit y payer de sa personne; nul n'y vaut que sa valeur présente. Dans une société qui n'a pas de passé, le passé ne compte point. Aussi peut-on remarquer que les idées de pro- grès social, conçues dans de vieilles sociétés, LETTRE XXXIV. 401 OÙ une part est faite au travail calme de la pensée, ont eu généralement JDesoin, pour recevoir appli- cation et pour s'incarner sous forme de société nouvelle, de s envoler au loin et d'aller prendre terre en des contrées jusque là réputées barbares, de s y imposer aux populations indigènes, ou d'y créer de nouvelles populations. La civilisation a marché d'Orient en Occident en grandissant k chaque migration, quoique les aventuriers, fonda- teurs des nouveaux empires , quittassent en géné- ral un pays avancé pour un autre barbare. Ainsi l'Italie et la Grèce, filles de l'Asie et de l'Egypte, ont dépassé leurs mères. Ainsi l'Europe occiden- tale a éclipsé les beaux jours de Rome et de la Grèce. Peu après qu'elles avaient mis au monde les peuples nouveaux, les nations anciennes ont toutes péri violemment, ou sont retombées dans des ténèbres pires que la mort, toujours faute d'avoir eu la volonté ou la force de s'appliquer les principes qui faisaient la vigueur de leur pro- géniture, principes d'ordre nouveau fondé sur l'extension de la liberté et la diffusion des pri- vilèges. La providence a beaucoup fait pour mettre les races européennes, transportées de l'autre coté de l'Atlantique, à même de devenir de grandes et puissantes nations. Les Anglo-Améri- cains, sortis d'Europe les derniers, c'est-à-dire, après que les Espagnols eurent assis leur domi- "• 26 402 I^A DÉMOCRATIE. nation dans F Amérique du Sud et dans l'Amérique Équinoxiale, ne quittèrent le vieux monde qu'a- près qu'il eut été tout entier labouré parla révolu- tion intellectuelle dont Luther a été le Mirabeau , et dont , en Angleterre , Henri VIII fut le Robes- pierre et le Napoléon. Ce grand événement avait déjà semé dans l'esprit humain les germes que les siècles suivants devaient voir éclore. L'An- gleterre était déjà grosse des habitudes de travail, de méthode et de légaUté qui devaient en faire la première nation industrielle et politique de l'an- cien monde. Ils partirent donc avec le principe de ce qui devait leur assurer la suprématie politi- que et industrielle dans le nouveau. Ils s'embarquèrent, ceux du moins de la Nou- velle Angleterre , les pèlerins, pères des Yankees, après avoir subi les épreuves de l'eau et du feu , après avoir été sept fois essayés entre le mar- teau de la persécution et l'enclume de l'exil. Ils arrivèrent las de querelles politiques et résolus à appliquer leur énergique volonté à un usage pacifique et productif. Ils s'installèrent sur un sol dont le climat diffé- rait peu de celui où ils étaient nés. Ainsi leur ac- tivité ne courut point le risque de s'énerver sous l'influence amollissante d'une atmosphère tiède et embaumée, comme celle où s'est évaporée la bouil- lante ardeur de la race Castillane. Ils abordèrent un sol presque inoccupé : pour antagonistes et LETTRE XXXIY. 40 proches voisins, ils n'eurent que de pauvres hordes de Peaux-Rouges, tandis que les Espagnols avaient à battre et à soumettre les nombreux bataillons des valeureux Aztèques au Mexique , et que les Créoles, leurs successeurs, ont encore à contenir, ici les Comanches et les Indios brauos du Nord, là les Araucans de la Cordilière du Sud. S'ils avaient rencontré une population indienne aussi nombreuse que celle qui se présenta à Cor- tez, ils eussent dû la vaincre, et ils y eussent réussi ; mais, après la victoire, ils auraient eu à la tenir en servitude ; et le joug de la race anglaise est plus dur que celui de la race espagnole. Leur or- ganisation sociale eût donc été fondée sur l'ilo- tisme des castes inférieures, rouges et mélangées. Elle eût été affectée d'un vice radical qui l'eût constituée à l'état d'infériorité absolue par rap- port à l'Europe, car ill'eût rabaissée au niveau des sociétés antiques basées sur la possession de l'homme par l'homme. Elle n'en est pas complè- tement exempte, il s'en faut, puisqu'ils ont im- porté des noirs, et qu'aujourd'hui douze États sur vingt-quatre sont entachés d'esclavage. L'espace qui est resté à la race blanche pure, est suffisant cependant pour recevoir une grande société composée de matériaux identiques avec ceux des nations européennes, mais où il a été possible de les combiner dans un ordre meilleur. S'ils avaient eu des ennemis sérieux à combat . 404 LA DEMOCRATfE. ire, s'ils eussent dû rester avec la guerre constam- ment suspendue sur leur tète, il eût fallu, en dépit des instincts d'indépendance et de^e^^0(^e7^/?me7z^ qui sont dans le sang britannique, et dont ils étaient eux-mêmes l'exagération, qu'ils se plias- sent à l'aristocratie militaire. Probablement alors ils n'eussent été que la copie des Anglais, copie valant moins que l'original; de même que les Canadiens, par exemple, sont la contrefaçon des Français de l'ancien régime. Ils eurent quel- quefois à prévenir et à repousser les attaques des Français établis dans le bassin du Saint-Laurent et dans l'Ouest ; mais, après que l'Angleterre eut pris Québec, ils se trouvèrent complètement dé- livrés du plus grave des soucis nationaux, celui de la défense du territoire et de l'indépendance de la patrie. Ils purent alors se dispenser d'institu- tions militaires , concentrer leurs pensées et leurs efforts sur leurs affaires intérieures et domesti- ques, et se vouer exclusivement à leur œuvre de colonisation. Ils cessèrent d'avoir besoin de la tutelle anglaise, et s'en affranchirent pour mieux se développer à l'aise et suivant leurs pen- chants. Enfin, s'abandonnant à leur nature, ils tentèrent leur grande expérience démocratique , d'où jaillissent déjà de vives lumières pour l'amé- lioration du sort du plus grand nombre dans tous les pays. Il est résulté de là un produit politique et physiologique tout nouveau , une variété jus- LETTRE XXXIV. 405 qu'alors inconnue de Tespèce humaine, inférieure au type anglais et au type français sous plusieurs rapports, particulièrement en ce qui concerne les idées générales , le goût et le sentiment des arts ; mais supérieure à tout le reste de la famille hu- maine par un inconcevable mélange de sagacité, d'énergie et d'audace, par une admirable aptitude aux affaires, par un infatigable amour du tra- vail, et, avant tout, parce qu'elle a été la pre- mière à reconnaître et à consacrer les droits des classes laborieuses , jusque là traitées comme une vile matière. Il semble donc que les Anglo- Américains soient appelés à continuer directement, sans aucune intervention extérieure, la série des progrès que la civilisation à laquelle nous appartenons a tou- jours été accomplissant depuis qu'elle a quitté le vieil Orient, son berceau. C'est un peuple qui fera souche, quoique, peut-être, tel type qui y domine aujourd'hui doive être éclipsé bientôt par un autre; tandis que les Hispano-Américains sem- blent n'être plus qu'une race impuissante qui ne laissera pas de postérité, à moins que, par un de ces débordements que l'on appelle conquêtes, un flot de sang plus riche , venu du Septentrion ou du Levant, ne remplisse ses veines appauvries. Un philosophe éminent , l'une des gloires de la langue française (1), définit le progrès du genre (j) M. Ballanche. 406 LA DIÉMOCRATIE. humain clans son lent et majestueux pèlerinage autour de notre planète , par le mot d'initiation. D'après cette pensée , l'Amérique du Nord, là du moins où l'esclavage n'est pas admis, serait déjà en progrès sur nous, car, à beaucoup d'égards, ce qui, chez nous, n'est accessible qu'à un petit nombre d'élus , est , aux Etats-Unis , tombé dans le domaine public et devenu familier au vulgaire. Les conquêtes de l'esprit humain, dont la réforme a été le point de départ et le signal, et les grandes découvertes de la science et de l'industrie , qui, en Europe, sont encore cachées aux regards du plus grand nombre par le bandeau de l'ignorance et les nuages des théories, sont, dans l'Amérique du Nord, exposées à tous les yeux et mises à la portée de toutes les intelligences. Ici le vulgaire peut les manier et les retourner à son gré. Étudiez la popu- lation de nos campagnes, sondez le cerveau de nos paysans, et vous verrez que le mobile de tous leurs actes résulte du mélange informe des para- boles bibUques avec les vieilles légendes d'une superstition grossière. Faites la même opération sur \<àf armer américain, et vous trouverez que les grandes traditions de la Bible s'allient dans sa tête, assez harmonieusement, avec les pré- ceptes de la science nouvelle posée par Bacon et Descartes , avec les principes d'indépendance morale et religieuse promulgués par Luther, et avec les idées plus modernes d'indépenc LETTRE XXXIV. l\()l dance politique. C'est un initié. Chez nous, les grands appareils industriels et scientifiques, tels que la machine à vapeur, le ballon , la pile vol- taïque,le paratonnerre, inspirent au plus gr.and nombre une religieuse terreur. En France, sur cent paysans du fond de nos provinces, vous n'en trouveriez pas un qui , après en avoir vu les ef- fets, osât y porter la main; ils craindraient d'être frappés de mort, comme le sacrilège qui toucha l'arche du Seigneur. Ce sont, au contraire, des objets familiers à l'Américain ; il les connaît tous , au moins de nom; il se sent droit de possession sur eux. Pour le paysan français, ce seraient des êtres mystérieux et terribles, comme pour le nègre son fétiche, pour l'indien son manitou; pour le cultivateur des solitudes de l'Ouest, c'est , tout comme pour le membre de l'Institut de France, un outil, un instrument de travail ou d'expériences; encore une fois, il est initié. Il n'existe pas aux Etats-Unis de profanum vulgiis , au moins parmi la race blanche; et ce n'est pas seulement en matière de machines à vapeur ou de phénomènes électriques; la masse américaine est plus libéralement initiée que la masse européenne en ce qui concerne la famille et surtout le ménage. L'union de l'homme et de la femme est plus sacrée parmi les ouvriers améri- cains que parmi les bourgeois de plusieurs pays d'Europe. Quoiqu'en Amérique l'on entoure la 408 LA DÉMOCRATIE. consécration du mariage de moins de formalités et d'apparat que chez nous , et quoique le lien conjugal n'y soit pas aussi indissoluble que dans nos pays (1) , les cas d'adultère y sont extrê- mement rares. L'épouse infidèle serait une femme perdue : tout homme qui aurait séduit une femme ou qui serait connu pour avoir un atta- chement illégitime, serait excommunié par la cla- meur publique. Aux États-Unis, même dans la classe ouvrière , l'homme est plus complète- ment initié aux obligations du sexe fort envers le sexe faible, qu'il ne l'est dans une partie de la bourgeoisie française. Non seulement le me- chanic ou \^f armer américain épargne, autant que possible, à sa femme tout travail pénible, toute occupation incommode , mais encore il a , pour elle et pour toutes les femmes en général , des prévenances inconnues chez nous de gens qui pourtant se piquent d'une certaine culture d'esprit et même d'une éducation littéraire. Aux États-unis, dans les lieux publics et en voyage, un homme , quels que soient ses talens et ses services, n'est l'objet d'aucune attention; il n'y a pour lui aucune préséance ni aucune poli- tesse particulière : tous les hommes sont égaux. Mais une femme , quelles que soient la position et la fortune de son mari, est assurée de com- (i) Voir la ^ole 60 à la fin du Yoluiuc. LETTRE XXX IV. 409 mander le respect et les égards universels (1). Dans la vie politique, la masse américaine est arrivée à un état d'initiation supérieur à celui de la masse européenne, car elle n'a pas autant be- soin d'être gouvernée ; chaque homme ici porte en lui à un plus haut degré le principe du gou- vernement de lui-même, y est plus propre à in- tervenir dans les affaires publiques. Elle est plus profondément initiée aussi dans un autre ordre de faits qui touchent étroitement à la politique et à la morale, c'est-à-dire dans tout ce qui se ratta- che au travail. Le inechanic américain sait mieux travailler, aime mieux à travailler que l'ouvrier européen (2). L'ouvrier américain est initié au travail non seulement dans ses peines, mais aussi dans ses récompenses; il est vêtu tout comme un sénateur au Congrès ; il se plaît à voir sa femme et sa fille habillées comme la femme et la fille du riche négociant de New-York , et , comme elles , suivre la mode de Paris. Sa maison est bien close, bien chaude et bien propre. Sa table est à peu près aussi abondamment servie que celle de ses plus opulents concitoyens. Dans ce pays , la con- sommation de première nécessité pour le blanc , embrasse plusieurs objets qui, chez nous, sont presque du luxe , je ne dis pas dans la classe ou- (i) Voir la Note 62 à la lin du Volume. (2) Voir la jNote G3 à la fin du Volume, 410 LA DÉMOCIIAÏIE. vrière, mais dans certains rangs de la bourgeoi- sie (1). La masse américaine est plus largement initiée que la masse européenne en ce qui concerne la dignité humaine , ou du moins, sa dignité propre à elle. L'ouvrier américain est plein du respect de lui-même , et il le témoigne non seulement par une susceptibilité extrême, par des exigences qui à nous , bourgeois d'Europe , nous sembleraient in- concevables (2), par sa répugnance à se servir du mot européen de maître^ qu'il remplace par celui à^ employeur [employer)^ mais aussi par beaucoup plus de bonne foi , d'exactitude et de scrupule dans ses transactions, l'ouvrier américain est exempt de ces vices d'esclave , tels que le men- songe et le vol, qui sont si fréquents parmi nos prolétaires, particulièremen t parmi ceux des villes et des manufactures. L'ouvrier français est beau- coup plus soumis extérieurement; mais pressé par la misère, entouré de tentations, il manque rarement une occasion de tromper son bourgeois lorsqu'il croit pouvoir le faire impunément (3). (i) L'usage de la glace en été , par exemple. (2) C'est ainsi qu'un cordonnier et un tailleur se refusent à al- ler prendre mesure chez leur» pratiques , et exigent que celles-ci, hommes et femmes , se transportent dans leur boutique en per- sonne. (3) Dans les relations de maître à ouvrier, on trouve à Paris , et généralement dans nos grandes villes manufacturières, les plus déplorables habitudes. Un très grand nombre de rnaitres, pour LETTRE XXXIV. 411 L'ouvrier lyonnais fait \q piquage d'onces ; celui de Reims escamote la laine (1). Assurément il se commet des fraudes en Amérique. Il y a plus d'un Smart fellow dont la conscience est chargée d'innombrables peccadilles. Combien de colpor- teurs yankées {Yankee pedlars) ont vendu aux ménagères de la campagne du charbon pour de l'indigo et de la pierre talqueuse pour du savon blanc! Mais, aux Etats-Unis, ces petites fripon- neries sont de rares exceptions. Le caractère de l'ouvrier américain , considéré comme tra- vailleur, est fort honorable, et excite l'envie de l'Européen qui compare ce qu'il a ici sous les yeux avec ce qu'il a laissé dans sa patrie (2j. retrouver les bénéfices que leur enlève une concurrence effrénée, sont réduits à employer, à l'égard de leurs salariés , de mi- sérables artifices; d avancer, par exemple, le matin , Ihorloge de l'atelier, et de la retarder le soir. Les ouvriers usent de repré- sailles autant qu'ils le peuvent. (i) Le piquage d'ontes , ou vol de «oie par les ouvriers, est une des plaies de l'industrie lyonnaise. En i';72, les syndics, maîtres gardes , etc. , de la grande fabrique des étoffes d'or, d'argent et de soie de la ville de Lyon, l'évaluaient à un million. (Un Mol sur les fabriques étrangères de soierie , par M. Arlès-Dufour, page 119.) Il est bien plus conside'rable aujourd'hui. A Reims, on estime que les larcins de fabrique coûtent un million aux fabricants, C'est environ de 2 p. o|o de l'a valeur des produits de l'industrie de Reims. Les ouvriers de Reims donnent la laine par eux sous- traite pour un quart de ce qu'elle vaut. Ils l'échangent au caba- ret à raison d'un demi-litre pour un échée de laine. (Voir la Note 64 à la fin du. Volume.) (2) Voir U ^ote 65 à la fin du Volume. 412 LA DÉMOCRATIE. Ce que je dis de l'ouvrier s'applique à plus forte raison au paysan. Le fariner américain n'étant pas obligé , comme l'ouvrier, de débattre tous les jours avec le bourgeois le prix de son travail, en- touré de cultivateurs ses pareils , et étranger aux tentations qu'inspire le séjour des villes, possède les qualités de l'ouvrier à un degré au moins égal, et n'en a les défauts qu'en diminutif. Il est moins injuste et moins jaloux envers les classes riches ou cultivées. Si donc on examine la masse américaine dans l'ensemble de son existence, on la trouve su- périeure à la masse européenne. Il est vrai qu'elle paraît presque complètement dépourvue de certaines facultés que l'on retrouve chez quel- ques prolétaires d'Europe. H y a, par instants, dans la cervelle du plus misérable lazzarone de Naples cent fois plus de lueurs de goût et de génie poétique que dans celle du mechanic ou du farmer républicain du Nouveau-Monde. Les ga- mins de Paris ont de passagères étincelles de gran- deur d'âme et de chevalerie que l'ouvrier améri- cain n'égale assurément point. C'est que le ca- ractère national de l'Italien est pétri de l'amour des beaux-arts, et que les généreux sentiments forment un des traits distinctifs du nôtre. Le laz- zarone et le gamin, étant dans la nation, quoiqu'au plus bas étage, participent du caractère national. Mais ce n'est point le propre de la masse des hom- LETfRE XXXlV. 4l3 mes d'être spécialement, en Italie, poëte et ar- tiste, ou, en France, chevaleresque. La perfection pour elle consiste, avant tout et dans tous les pays, à connaître et à observer régulièrement ses de- voirs envers Dieu , envers le pays , envers sa fa- mille, envers soi-même , à travailler avec assiduité et conscience, à être citoyen probe, époux atten- tif et bon père , à pourvoir au bien-être et à la moralité des siens. Pour comparer avec équité et sans danger d'erreur grossière, la classe la plus nombreuse des sociétés américaine et européenne, c'est par ces faces qu'il faut opérei' le rapproche- ment, parce qu'elles appartiennent à toutes les variétés de là civilisation et de la race humaine, et que de leur degré de développement et de permanence parmi le grand nombre^ dépend le degré de solidité des empires. Pour rendre le parallèle précis et concluant entre les deux hémisphères , il est nécessaire d'opposer au mechanic et au farmer des États- Unis leur analogue parmi les peuples à idiome, à origine et à religion germaniques, c'est-à-dire l'ouvrier ou le paysan anglais. La civilisation d'Europe, abstraction faite des Slaves récemment apparus avec éclat sur la scène, est divisée en deux branches, celle du Nord, et celle du Sud, l'une tudesque, l'autre latine, qui doivent prospérer par des moyens différents, dont les goûts et les aptitudes sont notablement dissemblables. La so- 414 I^A DÉMOCRATIE. ciété américaine , rejeton de l'une de ces bran- ches , lui est beaucoup plus comparable qu'à l'une quelconque des ramifications de l'autre. Il est donc aisé de constater la supériorité du mechu' nie Qt du ya/TTzer d'Amérique sur ceux d'Angle- terre , tandis qu'il est difficile de déterminer rigoureusement de combien telle classe de la société américaine est au-dessus ou au-dessous de la classe correspondante de la société espa- gnole, italienne ou française; il suffit cependant d'ouvrir les yeux pour reconnaître que la masse de la population est loin d'avoir atteint, chez ces trois derniers peuples , dans la direction qui leur est propre, le point de perfectionnement jus- ques auquel la masse américaine s'est avancée dans la voie qui lui appartient. Certes, la démocratie américaine a ses défauts, et je ne crois pas que l'on puisse m'accuser de les avoir palliés. Je n'ai dissimulé ni ses rudes exi- gences envers la bourgeoisie, ni ses hautaines prétentions envers les nations étrangères. J'ad- mettrai même qu'à beaucoup d'égards, c'est plutôt comme classe et en bloc qu'elle se recommande ; car les individus qui la composent manquent des qualités cordiales et affectueuses qui consti- tuent le plus désirable ornement de la person- nalité , et par lesquelles nos prolétaires français excelleraient, s'ils étaient affranchis une fois de la misère qui les abrutit j mais c'est en corps LETTRE XXXIV. 41 5 et dans son unité que je juge ici la masse amé- ricaine. La démocratie américaine est exigeante et al- tière jusqu'au dédain envers les peuples étrangers ; mais n'est-il pas vrai que la susceptibilité dans les jeunes peuples, comme dans les jeunes hommes, est une qualité plutôt qu'un défaut, pourvu qu'elle marche de front avec une énergique ap- plication à quelque grande œuvre? L'orgueil est ridicule chez un peuple amolli et fainéant; chez un peuple entreprenant, actif, infatigable, c'est la conscience de ses forces et de son avenir. La politique étrangère de la démocratie américaine est profondément égoïste; c'est que l'ambition nationale est le propre des nations qui grandissent. Le cosmopolitisme est généralement un signe de décadence dans l'échelle des nations, tout comme la tolérance religieuse est un symp- tôme de l'affaiblissement des croyances. Les pré- tentions des États-Unis sont sans bornes ; ils as- pirent à la suzeraineté sur l'Amérique du Sud ; ils convoitent une à une les provinces du Mexi- que; mais, en dépit des lois de la morale, dans les relations de peuple à peuple, c'est le succès qui fait le droit. Si les États-Unis enlevaient les provinces mexicaines à la race espagnole, moitié par des procédés machiavéliques, moi- tié de force, ils seraient responsables devant l'humanité et devant Dieu des conséquences de 41 C LA DEMOCRATIE. ce |larcir) ; mais ils ne seraient pas les seuls. Si les pays dont ils se seraient emparés prospéraient entre leurs mains, la postérité leur pardonne- rait de les avoir pris ; au contraire, elle pronon- cerait un arrêt sévère contre les Mexicains, si, avec de pareils voisins à leurs portes, ceux-ci étaient restés à croupir, comme aujourd'hui , au sein d'une lâche inertie et d'une sécurité stu- pide, et contre les puissances de l'Europe, si elles avaient négligé de les avertir, et les aider à se- couer leur léthargie. Les Romains étaient d'une exigence inouïe et d'une intolérable hauteur envers les autres peu- ples. Ils parlaient aux rois tout-puissants de l'Orient monarchique et aux héritiers du grand Alexandre ce langage arrogant et brutal que le général Jack- son a jeté à la face d'une monarchie de quatorze siècles. Leur politique était d'un égoïsme sans ver- gogne. Ils traitaient quiconque résistait à leur in- satiable soif de conquêtes, comme un esclave ré- volté contre la volonté des dieux. Cette foi punique dont ils imprimèrent le nom comme un stigmate d'infamie sur les ruines de leur rivale, fut sou- vent la seule foi qu'ils pratiquèrent. La postérité les a pourtant proclamés le plus grand peuple de la terre, parce qu'ils réussirent, c'est-à-dire parce que de tous les peuples vaincus ils fondèrent, par de sages lois, un empire durable. Les Anglo- Américains ont beaucoup de ressemblance avec LETTRE XXXTV. 41 7 les Romains, soit en bien , soit en mal. Je ne pré- tends pas qu'ils soient destinés à devenir les maîtres du monde; je tiens seulement à faire re- marquer qu'à côté de défauts qui choquent les nalions étrangères, ils possèdent de grandes facultés et de précieuses vertus qui doivent at- tirer notre attention de préférence. La posté- rité les jugera par leurs qualités bien plus que par leurs imperfections. C'est par leurs qualités qu'ils sont formidables aux autres peuples. Lut- tons contre les États-Unis, moins en dénonçant leurs péchés au monde, qu'en nous efforçant de nous approprier leurs vertus et leurs facultés et qu'en développant les nôtres. Voilà de tous les moyens le plus sûr pour maintenir notre rang dans le monde en dépit d'eux et en dépit de tous- En même temps que la démocratie américaine se montre de plus en plus fière au-dehors, au-de- dans elle est ombrageuse envers quiconque lui paraît empiéter sur sa souveraineté. En cela elle ne fait qu'imiter les aristocraties les plus van- tées. Le système qu'elle suit à l'égard de la bour- geoisie lui est dicté par l'instinct de conservation, tout comme celui que se sont tracé l'aristocra- tie et la bourgeoisie en Europe, l'une à l'égard des classes bourgeoises, l'autres à l'égard de la foule. Elle entend ne rien perdre de ce qu'elle a conquis, non en dépouillant son prochain, non en détroussant les passants, non en pillant des pro- II. 27 418 LA DEMOCRATIE. vinces,maisà la sueur de son front, par son travail opiniâtre. Qui de nous donc osera lui jeter la pre- mière pierre? Je conçois que de prime abord nous, bourgeois, nous soyons révoltés de ses préten- tions , et qu'à la vue de la bourgeoisie américaine vaincue, comprimée, portant le licol, nous sen- tions nos entrailles bourgeoises s'émouvoir. Con- venons pourtant que cette démocratie a conduit les affaires du Nouveau-Monde de manière à jus- tifier sa suprématie et à faire excuser son hu- meur jalouse contre tout ce qui peut tendre à la lui ravir. Depuis l'origine des peuples, c'est la pre- mière fois que la multitude jouit pleinement des fruits de ses labeurs, et qu'elle se montre digne de porter la robe virile. Résultat admirable ! Lors même qu'il n'aurait été obtenu que moyen- nant l'humiliation momentanée des classes avec lesquelles notre éducation et nos habitudes nous portent le plus à sympathiser , je dis que le de- voir de tout homme de bien est de s'en féliciter et d'en rendre grâces à la Providence! Malheur à la tyrannie de quelque part qu'elle vienne! Dieu me garde de faire l'apologie des excès brutaux et quelquefois sanglants , féroces même, qui récemment se sont répétés dans la plupart des grandes villes des États-Unis! S'ils poursuivaient leur cours, la démocratie améri- caine, dégradée, perdrait à jamais la haute posi- tion qu'elle occupe. Mais, si criminels que puis- LETTRE XXXIV. 419 sent être ces actes, je ne puis me résoudre à les imputer à la masse américaine, et à mettre au pilori le corps entier de ces incomparables tra- vailleurs. Les violences populaires en tout pays sont l'ouvrage d'une imperceptible minorité , que le régime actuel des États-Unis est impuissant à contenir. Ce régime a donc besoin d'un correctif propre à préserver dans leur pureté les qualités solides de la population, et qui, en effet, semble devoir bientôt s'y introduire, car les théories ex- clusives de liberté sont visiblement en baisse de ce coté de l'Atlantique. On se tromperait si de ce qui précède on con- cluait que la civilisation américaine a dépassé la nôtre. La masse américaine est supérieure à la masse européenne ; mais la bourgeoisie du Nou- veau-Monde est inférieure aux classes qui, dans l'Ancien, sont superposées à la foule, quoique les mérites de celles-ci soient plutôt virtuels que réels et appartiennent plus au passé et à l'ave- nir qu'au présent; car aujourd'hui les classes supérieures d'Europe, bourgeoisie et aristocratie, utilisent bien faiblement, au profit des peuples et au leur propre , l'intelligence et la sociabilité qui les distinguent. La bourgeoisie américaine, prise dans son ensemble et à part quelques excep- tions , a l'attitude des vaincus : elle porte sur le front la marque de sa défaite. Comme elle a été astreinte à rester toujours mêlée à la foule dan^ 420 LA DÉMOCRATIE. presque toutes les circonstances de la vie, les deux classes se sont naturellement emprunté beaucoup de leurs habitudes respectives et de leurs manières d'être et de sentir. Cet échange a beaucoup profité à la masse; il a été moins avantageux à la bourgeoisie. C'est le bouclier d'or du Troyen échangé contre le bouclier de cuir du vaillant Diomède. Chacun des deux con- tinents l'emporte donc par l'un des deux grands éléments dont se compose la société, et a le des- sous par l'autre. Il y a compensation (1). Si donc il fallait absolument, de la supériorité des classes laborieuses des États-Unis, tirer une conclusion relative au rang réservé dans une épo- que prochaine aux civilisationsd'Europe et d'Amé- rique, la seule irrécusable serait celle-ci: Pour que la société anglo-américaine possédât la pré- éminence sur la nôtre, il serait nécessaire qu'elle renfermât des classes qui, sans être la copie de notre bourgeoisie et de notre aristocratie, fussent intrinsèquement et extérieurement à la même hauteur, par rapport au peuple proprement dit, que nos classes élevées par rapport au grand (i) Il est impossible de parler de la démocratie américaine sans citer l'ouvrage récent de M. de Tocqueville. J'y renvoie ceux qui désirent connaitre en détail les allures et les inslincls de cette démocratie, l'empire qu'elle exerce sur la bourgeoisie, ainsi que les lois par lesquelles elle a constaté et affermi cet empire. LETTRE XXXIV. 42 1 nombre de notre population ; ou, en d'autres ter- mes, il dépend de nous d'assurer à notre ordre social la 'supériorité sur celui des États-Unis, en dégageant nos prolétaires des champs et des villes de la misère , de l'ignorance et de l'abru- tissement où ils sont plongés ç, et en les dévelop- pant conformément aux dispositions nationales et au caractère de notre race. NOTES. Note I. (Page ii.) CONSTRUCTION ET DÉPENSE DES BATEAUX A VAPEUR DE l'oUEST. Les bateaux à vapeur de l'Ouest sont à haute pression . de6 à 8 at- mosphères. Les chaudières sont sur le pont, à l'avant. Le cylindre vient ensuite; il est couché horizontalement sur le pont. Il y a deux roues de côté. Autrefois l'on employait fréquemment une seule roue à l'arrière- {stern-wlieel). La tige du piston agit par l'intermé- diaire d'une bielle, sur la manivelle qui meut l'axe desroues ; il y a un volant. Il n'y a qu'une machine par bateau . Les pistons ne sont pas métalliques, ce qui entraîne nécessairement une grande dé- perdition de force , mais ce qui rend les réparations faciles, cir- constance importante avec des mécaniciens peu entendus. Ces machines sont d'une construction extrêmement simple et coûtent fort peu. Pour les plus forts bateaux , leur prix est de 60 à 70,000 fr. Les machines des bateaux de poste à vapeur du gouvernement français dans la Méditerranée , coûtent près de 5oo,ooo fr. Les plus fortes machines des bateaux de l'Ouest, ont 424 NOTES. des cylindres de 3o pouces anglais ('C^yô) de diamètre, et 7 pieds anglais ('2™,i5) de course de piston. Elles sont suscep- tibles d'agir par expansion. Ces bateaux consomment beaucoup de bois; les grands ba- teaux , dont la coque a 5o à 52 mèlres de long sur le pont, 8 à ;9 mètres de large, et 2™,5o, à 5 mèlres de profondeur, et qui portent huit chaudières do 7 mètres de long, sur 76 à 90 cenlim. de diamètre, brûlent 1 1/2 à 1 3/4 corde (5 1/2 à 6 ï/3 stères) par heure, à raison de 21/4 doll. la corde (3 fr. 4o c. le stère). Il est rare qu'ils fassent quatre lieues à l'heure même en descen- dant. Les bateaux de l'Est sont des bateaux très rapides et très sûrs. Depuis quelques années, ils ont reçu beaucoup de ptrfectionne- ments, dus principalement à M. R.-L. Stevens, de New-Tork, Ils font jusqu'à 6 lieues à Iheure dans l'eau à peu près dormante ; ils ne transportent guère que des voyageurs. Leur longueur la plus ordinaire est de 55 à 58 mètres; leur largeur est de 7 à 8 mè- tres , sans compter les plates-formes latérales; leur tirant d'eau de i™,2o, à i^^sSo sur les fleuves; de 2 mètres à 2^,70 dans le«> haies , ou bras de mer. Le JSortli - America a 73°^, 80 de long , 9"M5 de large, et avec les plaies-formes, i9'^,2o; sa coque, a â™,70 de profondeur, et son tirant d'eau est de i™,5o. Les bateaux de l'Est sont à basse ou moyenne pression (1 atmo- sphère) : leur cylindre est vertical ; ils ont souvent deux machi- nes. La vapeur y agit par expansion. La coux'se du piston y a été portée jusqu'à 3 mètres, et 3"\35 (10 et 11 pieds anglais.) Le diamètre de leurs cylindres est considérable ; il y en a qui ont jusqu'à i"^,65 (l'O/uo, le de Witt Clinton). Ils consomment, dans les grandes vitesses , 7,8, et même 9 stères par heure. Aujourd'hui les bateaux à vapeur d'Europe sont presque tous à basse pression et sans expansion. Pour employer la détente de la vapeur, il faut avoir des cylindres très hauts; les construc- teurs européens craignent qu'alors le navire ne soit mal assis et sujet à chavirer. Ils ne donnent pas au piston plus de i'",20 h i'",5o de course. NOTES. 425 Note 2. (Page 1 1.) NOMBRE DES BATEAUX A VAPEUR DES ÉTATS-UNIS. Je dois à 1 obligcr.nce de Thomas Smilh, Regisier de la Tréso- rerie de Washington , le tableau suivant indiquant le nombre et le tonnage des bateaux à vapeur de chaque Etat et Territoire de l'Union, au oi décembre i834. TABLEAU DES BATEAUX A VAPEUR DES ÉTATS-UNIS. ETATS. Maine , Massachusetts . . . . , Rhode-Island .... Conneclicut , New- York , New- Jersey Pensylvanie Délaware ....... Maryland , District de Columbia . Virginie , Ohio Caroline du Nord. . . Caroline du Sud . . . , Géorgie , Tennessee , Alabama , Louisiane Missouri Michigan , Total Nombre Tonnage. DES BATEAUX. T. 1 68 5 904 3 847 6 1,291 54 i3,253 4 775 36 5,097 2 024 i8 5,802 3 5io 6 986 62 8,047 1 49 6 1,057 10 i,36i 17 4,o83 22 3,291 ii5 46,292 7 606 8 962 386 95,648 426 NOTES. Les bateaux appartenant à l'Ouest peuvent être évalués comme il suit : ETATS. Nombre des bateaux. Tonnage. Ohio Tennessee Alabama Louisiane Missouri Partie de la Pensyl- vanie (Pittsburg.). . . 62 17 22 ii5 7 14 8,047 T. 4,082 3,291 46,292 655 2,000 Total . . . 237 64,347 D'après les relevés statistiques, publiés par l'Administration des Mines, la France possédait en i834î 82 bateaux à vapeur. Leur tonnage total, dont l'indication n'est pas donnée, ne doit pas dépasser i5,ooo tonnes. En outre , l'État en compte 37 pour le service de la marine et des postes. L'Angleterre en a , tout com- pris , plus de 480. Note 3. (Page 14.) CODT DES BATEAUX A VAPEUR DE LEST. Dans l'Est , un bon bateau à vapeur de 55 à 58 mètres de long, avec dès chaudières «n cuivre, qui sont nécessaires pour résister à l'eau salée, coûte "SrjS à 400,000 fr., y compris le aménagements. La coque est faite par les charpentiers à raison de 160 fr. par tonne de capacité, ferrures non comprises. La machine , quand il n'y en a qu'une , coûte 65 à 80,000 fr., non compris les chaudières. Le North- America a coûté 100,000 doll. (533,000 fr.). Un bon bateau, bien soigné, dure, dans l'Est, douze à quinze ans. Note 4- (Page 22.) A la fin de la session de i836 , ces excédants dépassaient NOTES. 427 2Q0, 000,000 f., sur lesquels il y avait à prendre, à la Térilé , une somme assez considérable pour les services publics. Le Congrès n'a pas voulu laisser cette réserve entre les mains des banques locales auxquelles la Trésorerie l'avait confiée. Il a décidé que , sauf 5,000,000 doll. , elle serait déposée dans les caisses des Etats particuliers, sans intérêt, jusqu'au jour où l'on en aurait bes-oin. Cette mesure équivaut à une distribution de la réserve entre les Etats; la plupart de ceux-ci appliqueront leur quote- part aux travaux publics. ( Voir les Notes 1 1 et 42 à la fin du pre- mier Volume.) Note 5. (Page 27.) Le candidat qui paraissait, en septembre i856, devoir défi- nitivement réunir la plupart des votes de l'Opposition, est encore un homme de l'Ouest, le général Harrison. Note 6. (Page 3o.) En i836 , l'Arkansas a en effet été admis au rang d'Etat. Note 7. (Page 440 VOTE DB FONDS POUR AIDER LA COMPAGNIE DD CHEMIN DB FEK DE NEW-YORK AU LAC ÉRIÉ. Dans la session de 1806, la Législature de New-Tork a volé une avance de 3 millions de doll. ( 16,000,000 fr. ) à la Compagnie du chemin de fer de New-York au lac Érié. La Compagnie espère achever son chemin de fer moyennant 6 millions de doll. , ou environ 168,000 fr. par lieue. Note 8. (Page 5o.) AVANCES DU MARYLAND POUR LES TRAVAUX PUBLICS. Dans sa session de i836 , la Législature de Maryland a voté 428 NOTES. une somme de 8 millions dedoll. (4i,û35,ooo fr.) , dont 6 mil- lions de doll. applicables par moitié à la continuation du chemin de fer et au canal ; le reste est réparti entre trois ouvrages , dont l'un doit lier Annapolis , capitale de l'Etat, au Potomac. La ville de Baltimore a, de son côté , souscrit pour 3 millions de doll. au chemin de fer. L'Etat de Marjland, tout en voulant favoriser les travaux pu- blics , ne perd pas de vue les intérêts de sa Trésorerie. 11 se fait garantir par les compagnies un intérêt de 6 p. o/o pour ses ac- tions, et renonce à tout dividende excédant ce chiffre. C'est un prêt avec hypothèque plutôt qu'une souscription. Note g. (Page 53.) CHEMIN DE FEK DE CDARLESTOnJa CINCINNATI. En i836 , ce chemin de fer a été autorisé parles Législatures des Etats de Kenlucky, Tennessee , Caroline da Nord et Caroline du Sud. Les études préparatoires ont eu lieu ; le tracé a été dé- terminé , et un comité a été organisé pour pousser l'affaire avec vigueur. Ce comité est présidé par M. Hayne , ex-sénateur au Congrès, ex-gouverneur de la Caroline du Sud, l'un des hommes les plus considérés du pays. Y compris deux embranchements sur Louisville et Maysville, ce chemin de fer aurait 260 lieues de long. Le devis approximatif qui en a été dressé s'élève à 1 i,870,oood. (63,3oo,ooo fr. ). Note 10. (Page 53.) TRAVAUX PUBLICS EN GÉORGIE. La Géorgie s'occupe d'autres projets plus aisément réalisables. Il est question d'améliorer la navigation de la rivière Savannah ou d'établir un canal latéral là où la navigation en est mau- vaise. Par ce moyett , les cotons qui, maintenant prennent de préférence le cliemiu de jfer d'Augtista à Qharlestoo , desceu- NOTES. 429 Îvinlh '""'''' " ''''"''"''^°' '» ^°"""'^« -'e I.-. ville de n»h a M,,eo„, <,„. aurait ciaat.e.,i„gls lieues ,1e l„„g. La compa gn.e a ,é autorisée, et c„„.„e encouragement on lui a donn le privilège de faire la banque. On travaille aetivement au el.emin de fer de Géorgie qui pro- longe au sudonest. du côté de la rivière Cliat.ahoochie le el.e mm de fer de Charlesfon à Augusta. 11 doit se rattacher à u„ --.,ote entre la Chat.aliooehie et la rivière Alabama, e 'i aboutira,, sur cette dernière rivière à Mongomer,, à la tète d la navigaiion à vapeur. La ville de Mobile, nui es située , p.s.e,e„,„„el.urede..Alabania, e. qui rVoi":::: ctLz.i—ra.'""'""""'--^'--''---^ Pour que la communication par chemins de fer et bateauv à vapeur entre Boston e. la Nouvelle- Orléans soit complète . il „e man r, ^, ^„,„„ ^,^^._ ^^ ^^_. ^^ ^^ rivière Roanoke à Charlestou Une première partie de celte ligne, du Roanote ^1 V. le de Raleigh (Caroline du Hord), a,ant vingt-huit lieue long, a du être autorisée par la Caroline du Nord : le reste do Raleigh a Charleston , formerait environ cent lieues En regardant la carte des États-Unis, on voit que' pour p-.ser de lAtlantique au golfe du Mexique on pourrait nr^fii T deux cours d'eau , la rivière Sainte Marie et la sl ' ,f • '" déchargent, lune d'un côté l'autre de l'aut t ' '"' " instant.sontfort rapprochées surtl\'a1,rr;r;'" affluents de la Suwanée. La Floride est „„ J;.i..raitdoncaiséderelier,;l:e:mr:/;:-— nvieresqu on rendrai, navigables. I, est question a sT d'un canal qui serait dirigé, â partir de la rivière Sainte-Mari oÎtlë long de la Suwanée, soit vers la ville de Tallahassée O^i " - de ces ouvrages depuis asse. long-temps; après nue les I r Séoiinoles auront évacué la FloiL, ifes. ^^^^^ :^Z occupera sérieusement. ^ *= ^ on s en 430 NOTES. Note f I. (Page 6i.) Pendant la session de i836, le Congrès, en élevant le Michi- gan au rang d'Etat, a en effet transporté à TOhio le coin de ter- ritoire où est compris l'embouchure de la Mauraée. Note 12. (Page 62.) CANAL MICHIGAN COMMENCÉ. L'État d'Illinois a décidément entrepris à ses frais l'exécution du canal Michigan; les dimensions paraissent en devoir être assez belles. Il aura trente-sept lieues et demie de long. On estime qu'il coûtera un million par lieue moyennement. Les travaux ont été commencés le 4 juillet i836. Le lac servira de réservoir; Le maximum de la tranchée dans le roc sera de S'^jôo. Les deux extrémités seront Tune à Chicago, l'autre près du confluent de la petite rivière Vermillon. La première allocation de fonds est de 5oo,ooo doll. (2,667,000 fr.). Note i3. (Page 64.) TRAVAUX PUBLICS DANS l'ÉTAT d'inDIANA. Pendant la session de 1806 , la Législature d'Indiana a voté une somme de 10,000,000 doll. (53,3oo,ooo fr.) pour les travaux publics. i,3oo,ooo doll. (6,930,000 fr.) serviront à achever la canalisation de la rivière Wabash ou canal de la Wabash au lac Eriépar laMaumée; i,4oo, 000 doll. sont alloués à la canalisation du PVhiteRiver, l'un des afEuens de la Wabash; 3,5oo,ooo doll. (18,667,000 fr.) à l'exécution d'un canal, canal du Cenire (CeyitraL Caiiat) qui traversera l'État, du sud au nord, depuis Evansville, gur l'Ohio, jusqu'à lextrémité de la canalisation de la Wabash. 1,600,000 doll. (8,533,000 fr.) sont consacrés à un chemin de KOTES. 431 fer partant de New-Albany , sur l'Ohio , vis-à-vis de Louisville , qui passera par Indianapolis et se dirigera par Lafayette vers le lacMichigau; 1,600^000 doll. (8,535, ooofr.) à divers chemins de fer ou routes macadamisées ; 5oo,ooo doll. (2,667,000 fr.) sont destinés , sous forme de souscription, au chemin de fer de Law- renceburg, sur TOhio, à Indianapolis, lequel est entrepris par une compagnie. Le canal du Centre formera , avec le canal de la Wabash au lac Erié, un développement de 180 lieues, dont une trentaine dans l'Etal d'Ohio. Note 14. (Page 84.) SOUSCRIPTION DU MASSACHUSETTS AU WESTERN RAIL-ROAD. Le capital de la compagnie qui a entrepris cet ouvrage est de 2,000,000 dol). ; le devis estimatif ne s'élève qu'à i,6co,ooo doll., y compris un embranchement de 9 lieues, entre Spriiig- field et Hartford (Gonneclicut). Pendant la session de 1806, la Législature du Massachusetts y a souscrit pour un million de doll. L'acte par lequel cette sous- cription a eu lieu porte le capital de la compagnie à 0,000,000 doll. C'est la première fois que l'Etat de Massachusetts intervient dans les travaux publics. Cette détermination de sa part est toute une révolution dans sa politique. Les journaux, en l'annonçant, faisaient remarquer qu'il y a quelques années pareille proposi- tion eût été considérée comme une folie et repoussée avec dé- dain ou colère. Note i5. (Page 94.) RÉCAPITULATION DES TRAVAUX PUBLICS DES ÉTATS-UNIS. Les six tableaux suivants offrent la récapitulation des divers ravaux publics des Etats-Unis, classés comme dans la Lettre xxii, avec les dépenses eu francs et les longueurs en lieues de 4,000'°. 432 îtotEs. o o o o o oooooooooooo / ^ o o o o o oooooooooooo / s co ^c- o o lO QC o oioooc t^o O'o r^-^ 1^ es lO v^ o ■?« '^OOOO^OOO-tOtO to « L.O C Ci GO o o CT t^^îTo lO »0 ^^ Ci CT ^ « o e^ '-' to »0'0 «^a-^-T^^CO « (M ^ÏTCO r^ il • jDj ap ^1- xavMVQ ^^ o W 5= B p "es a n O it «-= ^ 1^ ^^ i, a. - _t2 ^ O ^^ ^ =^ -i ^ ^^ P.2-Ë — ' ^ — g w ^ ^ ta s CJ .ï S « a c = ^ ^ O O - O • s^:^ 5 s o o a to -ît NOTES. 4; / s OOOOOOOOOOOO oooooooooooo / « >* 1 , <î - ., 1 H ^ ^ ^ rH o 1 K \ / O o tu P Ex3 o o O O O O 1^ ^S . =' o iq O «5 G l< f ^\ oooooooo ooc 1 o ' P 1 OOOOOOOO ooo 1 o j ^i ^" o^ o^ o^ o^ q_ o^ o q o^ o^ o o M f ■-' oi>.oooo"oOa o O^tO C5 iJ H f I> ph o •<}• 1 t^ '^CDO » rttO Ci S V « C " , ' « -On a fl ^ K H '— ■-^— . -s c/2 O Sft ^ W •^ .2 g *W =3 t»-. . 3'=^ O i3i : '-^ î: « 5 • 3 i- ti C3 ' D-3 J - 1 < O -* . 0' o''vî'v:3^ o** cf-'O C5 1 ^ t>30 « >o co ^cr^cj- es -^ c^ 1 1 A t^ut) tO ^tOOkO l>«rtrt,^,H PH rt w \ ft2 cT ■ / ' 00000000000 1 / ^ oooooooooooô c/2 1 / ^ «"■ ooo^oo^^oo^oo^ooo i^; S'îi « /-> ^ 0" 0' 0" 0' 0' 6 6 6 0" 0' 0" cil / l a a -^ ,^ " C UO bO t^v^ vo ><*■ \ 1 Ch "ÏJ q c^ '- o__ ce cn^co o ^ c^ 00 J H 1 ^ c6 GO CT cT oc c^" i-o" to" ^ ce" 00" ï < l 000 1^1 00 , foi v_3 000 M 2/ S 10" ^ to" P f "< hO ftftftft^S: ft'»î5ftftS 10 a 1 • \ \ i-( r-* es \ \ ""■"■ •^-2- ^ ^ •■^ 5 •joj ap "^"^ to to~ " k ft a ?: ft t^-x^cto (Mioto^=^co --^«rcri "h5 SMIWaHD rt«CT rtrtM« tCio> î^ 10 o »-] M h) o M H H • ■ ' fe* -O* P -:- 5 5 ':- -S "x oc 1.1 H X — ^ c ~ w 2 ~ ^ ^ -^ "2 --S 2 ° -i =j 5 «a ^ > _L S O «j . -a-xJ — -0-0-0-cW-o-O^ < "S • r -« 5 c ^3 P^ol 5^ r^* rs r^ r^ ."H :s rs ^ ."ï ^ ^ u ^ s n « S c c: c 5 «0 «0 « 2ouo V « ■1 « NOTES. 43â / g 04 "îirfîFiiiiii 22000 2 0^0 . \ \ VT O tn fi to 01 00 ( --ï^J^P ~?^~^~?~5:iX -ïï. -21.^ -Si. O H -S! g 1 SMIWaHD i:i Ot;;^sO«^^^^O^ftftfcO«ooci f 'XQTWVO H W l --«««ft«««ft^C5^«ft;,5. (M !2; o >* < • • . K . ^ a P • a O^ 05 C '-^ w • 2 ^ pis O W pi4 -Jd ■^s D H O CB « p < •^ . U i^ O d t. ♦ o • S Si ■ ' a • '« ^ . ^ Cx3 — ' 1 -Il ■ ^ i O u S -^ ^ • u^ -2 ^ § '« . '«i « . = -r T -CB w 3 1 • « <1 <5 -§ i^sgi-|3H«|-^lg^ O ^ -S ^- ^- . • . , « o « i 1 1 - ^ a ^ 5^ c a aj o uo .=« u u 43G IVOTES. 1 i ooo oooooc 1 OOO OGOOOO O^ -^^ lO co M tO^ o CO^ C5 1 f 3 o CT v:? " o co to'cO -Te « o r^ t^ C! ^c- Cïto lo o 1 «10^5- ! H '« co C-! X » £! • S « bO p ai H i K o -T3 -s ta aware (Méraoi bondale à Hon n à la Délawai '■ a Sunbury . phie à Readin is des Mines . P u ^ .^0^-3.2 S .^111-3 s in de fer de du Schuylk du Lehigh. latéral à la Morris. . in de fer de id. de rHi id. de Pos id. de Phi s ouvra ces v D o c r^ r^ 72 ■ ^ n ~ " " M «S OU O Q NOTES. 437 ^ i O o ooooooooo o o ooooooooo ° ^ °,. ^^ ^^ '-i °°, "-^ ® ® ® s lo uî" o" ©"urTvï- o'co o"co o" a lO 05 o lO çg v^kO CO O « vi es < - lO^v^-^cq-^CT,^ i / o O o o o o O 1 / o O o o o o o 1 ho ■ o o o^ q q o o a > ^^ » » ftSftOOOOOC) o eu ' i s « '"''■^OOOOOOirt Ci \ . 1 S "^ ^ i;;;- q o -. cq o es co" to" (M H< o o o o o O ' A • o o o o o o o o o o o o b* § k! •^ . > r, ^ f S i § §^§« « « « « « o f •< iO ^ m *^ \ \ '^ « ^^ ^^ çq 1 •jojop "^îo" "^ « ■^ ^ 1 SNTwanD -. bO -< C5 v^^ _î^^ ^ct s) ~^ P^ ~^ to" to •XflVMVO r^ i>^^=i-o -^ ft » s » s R o ^s? '. - " V *a-3 . • £ « •^- ; a M o o- B 5 d a • H o ^ < • H » !-■ ^ ^ ts3 :^ cy (Massachusetts) à Ovfégo (New-Yo lîglon à Louisville umbia à Décatur 1 hesler ilo à Blackrork •• 'o S 1 îï « rt '^ ■s i ^ 3 » "fcc a a o < lliïi U3 1 s c o o vi ^ r* C^ ^ H ^ P3 <1 S o anal de Gu ton, deB aualisalioD id. anal des M id de Sa mélioralio herain de 1 id. id. id. id. id. -T3 « U o o o <3 o 438 NOTES. Pour arriver aux résultats indiqués page 94 , je n'ai compté ni le canal de Virginie, ni celui de Michigan , et je n'ai fait figurer que six lieues et demie du canal de Saint-Laurent, quinze du chemin de fer de Rochester à Buffalo , et trente de celui de Dayton à Sandusky. VII. RÉSUMÉ DES SIX TABLEAUX PRÉCÉDENTS. TABLEAUX. LONGUEDR DES CANAUX. OUVRAGES. CHEMINS OB FEE. DÉPI CANAUX. NSE CHEMINS DE FEE. I. IL IIL IV. V. 727 1/4 26 109 214 3/4 61 1/2 279 1/4 120 1/2 161 1/4 2^2,640,000 i47,790'OOo 29,733,000 18,270,000 36,3oo,ooo 74,660,000 10,600,000 67,840,000 41,143.000 55,260,000 A déduire. 1,554 ]/4 iA4 837 1/4 io5 473,733,000 72,600,000 229,283,000 2 1,760,000 VL 1,210 1/.^} 110 3/4 732 1/4 69 1/2 4oi,233j00o 24,260,000 207,553,000 12,690,000 1,321 M 801 5/4 426,483,000 220,223,000 2,122 3/4 645,706,000 Le chiffre ici porté pour la dépense dépasse de quelques rail- lions celui indiqué page 94, à cause de quelques rectifications que des informations nouvelles m'ont perm is de faire. En raison d'un certain nombre d'ouvrages très peu impor- tants, sur lesquels je n'ai pu avoir de renseignements exacts, je NOTES. 439 pense que l'on pourrait porteries totaux ci-dcssus à 2,i5o lieues et à 660 millions de francs. Si l'on voulait tenir compte des principaux ouvrages à l'exécution desquels il a été pourvu dans les derniers mois de i835, ou dans les premiers de i83G , savoir : la continuation du chemin de fer de Ballimore à l'Ohio et du canal de la Ché- sapeake àlOhio, le canal de Virginie, le chemin de fer de New-York au lac Erié , le canal Michigau , les travaux publics de l'Etat d'Indiana, le chemin de fer d'Elmyra à Wiliiamsport et le canal Génesée , qui reliera les travaux publics de New-York à ceux de la Pensjlvanie, l'Eastern et le Western Railroads près de Boston, le reste du chemin de fer de Bullalo à Rochesler , le chemin de fer de Philadelphie à Baltimore , par Wilminglon , ceux de New-Haven à Hartford, de West-Stockbridge à Hudson, de Lancaster à Harrisburg, de Richmond à Pétersburg , et celui de l'Alabama à la Ghaltahoochie , il faudrait aux totaux précédents ajouter environ neuf cents lieues et 3oo millions ; ce qui donnerait pour totaux définitifs trois mille cinquante lieues et 960 millions. Je ne parle pas des deux grands chemins de fer de la Nouvelle-Orléans à Nashville et de Charleston à Cin- cinnati, qui cependant me semblent devoir être prochainement exécutés, et qui avec quelques embranchements, auront en- semble plus de cinq cents lieues. Les Américains ont déjà surpassé, par l'étendue de leurs entre- prises de communications et par la rapidité qu'ils ont mise aies exécuter, tout ce qu'avaient fait les peuples de la vieille Europe. Presque tous les ouvrages ci-dessus énumérés ont été faits en quinze ans. L'Angleterre est restée soixante ans, de 1760 à 1820, pour creuser, dans les trois parties du Royaume-Uni, 1,100 lieues de canaux, dont les quatre cinquièmes sont dans l'An- gleterre proprement dite. Ces ouvrages anglais sont en général assez courts, à petites dimensions, et Pexéculion en a été facile. Quelques uns cependant sont fort beaux; tel est celui de la Forlh à la Cljde , qui a 3 mètres de hauteur d'eau , et dont la longueur ft est d'gilleurs que de ^5 1/3 lieues ; tel est surtout 1q canal Calédonien, qui trayerse la Gr^ndç-^Prçtagne de lEsï 440 HOTES. à rOuest. Son parcours entier n'est que de 23 5/4 lieues ; le canal proprement dit n'a que 8 1/2 lieues ; le reste est occupé par une file de lacs allongés. Il est praticable pour des frégates de 02 canons. La dépense a été de 26,000,000 fr. , ou à peu près de 5,000,000 fr. par lieue. Après avoir canalisé leur territoire , les Anglais s'occupent à le sillonner par des chemins de fer exécutés à grands frais. Ils ont en ce moment environ 142 lieues de chemins de fer achevés , ayant coûté io5 à 110 millions, soit 760,000 à 800,000 fr. par lieue, et 172 lieues de chemins de fer en construction , qui ne coûteront pas moins de 220 millions, soit i,5oo,ooo fr. par lieue. La Hollande a beaucoup de canaux dont la construction a été fort simple, à cause des conditions hydrographiques du pays. Le plus remarquable est celui qui va d'Amsterdam au Helder. Il a 20 1/4 lieues de long. Deux frégates peuvent y passer de front. Il existe aussi de l)eaux ouvrages dans le nord de l'Europe, pour abréger la navigation , soit par lintérieur de la presqu'île du Jutland , soit à travers la Suède. La Russie possède aussi quelques grands travaux de navigation intérieure qui complè- tent la communication presque entièrement établie par les fleuves entre la Caspienne et la Baltique (canal Ladoga). Il y a bien long-temps que la France a débuté dans les travaux publics. Le canal de Briare date d'Henri IV. Le canal du Midi fut commencé en 1666 , et livré à la navigation en 1684. Avant la révolution , plusieurs autres canaux avaient été achevés ; entre autres le canal du Centre, qui relie la Saône à la Loire. D'autres avaient été entamés , principalement par les Etats provinciaux , mais ils restèrent abandonnés tant que dura la tourmente révo- lutionnaire; tels furent le canal du Rhône, ou plutôt de la Saône, au Rhin par le Doubs et l'ill ; le canal de Bourgogne , qui relie la Saône à la Seine par l'Yonne ; celui du Nivernais , qui rattache la Loire à l'Yonne; celui de la Somme qui suit la rivière de ce nom , et la met en communication avec l'Oise. L'Empire continua les ouvrages quil trouva commencés et en commença de nouveaux, entre autres celui de Saint-Quentin NOTES. 441 proprement dit, celui de Nantes à Brest, destiné à l'appro- Tisiounement de noire premier arsenal militaire; celui del'Ourcq, ceux du Cher ( aujourd'hui du Berrj) , du Blavet (de Poulivy à Lorient) , dllle et Rance (de l'Océan à la Manche), et quelques autres moindres ouvrages, tels que les canaux de Mons à Condé, Saint-Denis, Saint-Martin. En i8i4, le malheur de nos armes vint encore une fois suspendre les travaux. La Restauration les reprit faiblement jusqu'en 1821. En 1821 et 1822 , des marchés furent passés avec des compagnies pour l'achèvement des lignes commencées et l'établissement d'un petit nombre d'autres (canal latéral à la Loire , navigation de l'Isle , de l'Oise , etc.) , en tout quinze lignes. Ces marchés onéreux au Trésor ^ qu'ils grevaient d'intérêts considérables; onéreux au commerce, sur qui ils devaient faire peser des droits de péage trop élevés , procurèrent une somme de 128,600,000 fr. Malheureusement les devis présentés aux Chambres avaient été rédigés avec une extrême précipitation. Les projets nouveaux n'avaient pas été étudiés. Les travaux furent conduits mol- lement. Toutes les prévisions de temps et d'argent furent dé- passées. A la fin de i833, deux lignes seulement étaient achevées, savoir : le canal d'Aire à la Bassée ( 10 lieues i;4) qu'une com- pagnie avait entrepris à ses risques et périls, et des travaux de peu d'importance pour l'amélioration du Tarn (*) entre Gaillac et Alby (8 lieues). A la même époque, il y avait déjà trois ans que les emprunts de 1821 et 1822 étaient épuisés et que les ouvrages se continuaient aux frais du Trésor, moyennant des allocations annuelles. La loi du 27 juin i833 répartit une somme de gS millions entre la navigation intérieure , les routes, les phares et les mo- numents. Les rivières et canaux eurent 44 millions pour leur part. Actuellement les travaux touchent à leur terme ; la plupart des lignes sont livrées à la navigation. Toutes le seront en 1837. (*) Il avait été alloué pour ces travaux Soo,ooo fr. , qui ne sont pas compris dans les 128,600 fr. ei-dessus. 442 ÎÎOTES. Voici le détail de leui étendue et celui de la dépense au 3i dé- cembre i835 : DÉSIGIVATIOX DES ODVBAGES. LONGUEUR en lieues deZi,00Omèt. DEPENSE TOTALE 3i déc. i855. Canal du Rhône au Rhin id. de la Somme . . id. des Ardennes . . id. de Bourgogne. . id. du Berry. . . . id. latéral à la Loire. id. de Nantes à Brest id. dllle et Rance . id. du Blavet. . . . id. du Nivernais . . id. d'Arles à Bouc. . Navigation de risle. . . id. de rOisc . . Total. . . 87 ^9 26 60 80 49 95 21 i5 44 11 36 34 1/4 1/4 1/2 t/2 1/4 3/4 1/4 1/2 598 1/2 27,334,068 11,145.545 i4,o3o,i42 5i.2ti i58 17,321,360 25.542,016 42,547,234 i5, 823, 564 4 929 10^ 25,145 949 1 1,102,391 4 622,685 5,074,717 25] 529,7 35 11 reste à dépenser un peu plus de 17 millions sur les fonds de la loi de i855. En admettant qu'ils suffisent pour parfaire les ou- vrages commencés, la dépense totale se trouvera de 269 millions, soit 43o,ooo fr. par lieue. Ces canaux donnent déjà de notables résultats. Ainsi, sur le canal du Rhône au Rhin , au-dessus de Besançon , où le mouve- ment commercial est moins actif (jue dans la partie inférieure , on a livré passage, en i835 , à ij6oo bateaux ou radeaux , et , en 1834 , à 2,180. Il eu est passé sur le canal de Bourgogne : 1854 i835 A Dijon 825 , 2,334 Au bief de partage. 227 i,388 Les recettes sur ce dernier canal suivent une progression uon moins rapidement croissante. EUes ont été ; NOTES. 443 En i853 , de 171,661 fr. En 1854, de 211, 53o En i855, de 691,840 Pour compléter la nomenclature de la navigation artificielle de la France, il faut, aux travaux ci- dessus, ajouter les suivants : Canal de Saint- Quentin 20 lieues i;4 de Briare , de Loing et d'Orléans. 45 — l/4 du Centre 29 — 1/4 du Midi 61 — M de rOurcq 23 — 1/2 Petits canaux du littoral de la Méditerranée. 62 — 5/4 Petits canaux du Nord et du Pas-de-Calais. . 73 — » Divers petits canaux isolés, tels que ceux de la Druclie, de Givors , de Vauban , de Brouage, de Saint-Denis, et Travaux du Tarn. 34 — » Total 342 En y ajoutant les i5 lieues du canal de Roanne à Digoin , et les 161/2 lieues du canal de la Sambre à l'Oise, ainsi que les por- tions exécutées de divers canaux momentanément buspendus , tels que celui des Salines , ce chiffre s'élèverait à . 4oo lieues. Le total général de la navigation artificielle de la France serait donc de 998 En outre nous avons une navigation fluviale dont la longueur peut être estimée à 1,800 Ce qui donne pour total définitif de la navi- gation une longueur de 25798 Quant aux communications par terre , nous possédions, au i«' janvier i856, en fait déroutes royales : 444 NOTES. Routes à l'état d'enlretien . . . . 6,129 lieues. Routes à réparer ij^Sg Lacunes de routes 947 Total des routes royales. . . 8,655 8,635 lieues. La classification analogue des routes dé- partementales donnerait : Routes à l'état d'entretien .... 5,5oo Routes à réparer x,2oo Lacunes 2,800 9,5oo 9»5oo Total des routes royales et départementales, i8,i55 lieues. En fait de chemins de fer, nous n'avons encore en France que ceux qui s'étendent de Lyon à Roanne , 58 lieues en tout ; le chemin d'Epinac , qui a 6 lieues et demie , et quelques autres petits, qui élèveraient la somme totale des chemins de fer en France à 5o lieues à peine. En résumé ^ it y a peu de pays au monde qui soient en mesure de présenter la même étendue de communications que la France. Cependant il nous reste encore beaucoup à faire, même pour jouir de ce que nous avons fait. Nos canaux sont bien conçus et bien exécutés. La plupart offrent une section plus considérable que celle dos canaux ordinaires d'Angleterre et d'Amérique, double au moins. Ils au- ront de l'eau toute l'année au moyen des réservoirs alimentaires qui s'achèvent à grands frais. Une fois nos canaux terminés , nous ne serons encore qu'à la moitié de la tâche ; car ils débouchent dans des rivières qui ne sont pas navigables en été. Ainsi le canal du Midi se termine dans la Garonne à Toulouse , et la navigation du fleuve n'est régulièrement bonne que 5o lieues plus bas , à Gastets, près Langon. Le canal duBerry, ceux du iNivernais, du Centre, de Briare, d Orléans, aboutissent à divers points de la Loire , tous éloignés du cou- NOTES. 44 fluent de la Maine ; et c'est là seulement que le fleuve offre une profondeur d'eau toujours suflisante. La pensée de Henri IV et de Louis XIV, de lier deux à deux les trois mers qui baignent la France à l'Ouest, au Nord et au Midi, est enfin réali&ée ; mais la liaison , au lieu d'êlre permanente , comme l'exigerait le développement des relations commerciales , n'est encore qu'incertaine et interrompue. Jusqu'à ce que nos canaux soient bien fournis d'eau et nos rivières améliorées, jusqu'à ce que la continuité des grandes lignes existe autre part que sur le papier, tous les transports qui exigent de la régularité seront effectués par le roulage : on ne confiera à la navigation que les objets qui peuvent sans inconvénient rester six mois en voyage, et nos routes continueront à être défoncées par d'énormes clia- riots. Nous aurons beau faire des lois sur la police du roulage, elles seront inexécutables et inexécutées. La meilleure loi, la seule bonne en celte matière , sera celle qui pourvoira à la navi- galion du territoire. L Administration n'a pas fait connaître les devis des travaux à entreprendre sur nos fleuves, quoique d'excel- lentes études aient été faites relativement à un canal latéral au Rhône, par exemple, et que d'intéressants travaux? aient été déjà exécutés sur le Rhin. Il ne paraît pas qu'on doive les éva- luer à moins de 200 millions. Ce n'est pas tout. Nos 18, i35 lieues de routes ne sont pas toutes praticables. Sur nos routes royales, il y a des lacunes à combler et de longues distances à réparer ; la somme nécessaire pour les porter toutes à l'état d'entretien est évaluée comme il suit: Lacunes 70,038,637 fr. Routes à réparer 56,9i5,83i Total i3i,954,468 Les départements auraient à débourser une somme au moins égale pour les routes départementales , sans parler des sommes que les chemins vicinaux exigent , et qui vont , d'ailleurs , leur être consacrées, en vertu de la loi de i836. 446 NOTES. Pour que la viabilité du lerriloire fût complète, il faudrait aux canaux et aux routes joindre les chemius de fer. Les études entreprises en vertu de la loi du 27 juin i855 sont achevées , et il n'y a plus « craindre qu'à l'égard des chemins de fer nous éprouvions les mécomptes qui ont signalé nos entreprises de canaux. Les nivellements ont été exécutés sur une longueur de 9,3i8 lieues. La longueur totale des projets étudiés est de isSo lieues, qui sont estimées à 908 millions, soit yScooo fr. par îieue. S'il s'agissait de leur exécution aux frais de l'État, l'on pourrait réduire le nombre des lignes étudiées , ou du moins abandonner la plupart des embranchements aux compagnies qui les préféreraient certainement aux grandes lignes. Les seuls che- mins de fer que l'Etat pourrait jamais avoir à entreprendre se- ï-aient , selon toute probabilité , les suivants : De Paris au Havre , par Rouen. . . , 55 lieues. à Lille 58 3/4 Embranchement de Valenciennes (route de Bel- gique) 19 Embranchement de Calais (route d'Angleterre). 33 De Paris à Lyon et Marseille 219 à Strasbourg 116 i;a à Bordeaux. . . , i54 Embranchement de Bayonne (route d'Espagne) . 56 -— — de Nantes 35 Total 746 i/4 lieues. A raison de 800,000 fr. la lieue, la dépense de ce système serait de 597 millions. En résumé, pour compléter la viabilité du territoire, la somme requise serait : Lignes de navigation 200 millions Routes i32 Chemins de fer 597 Total. 929 millions. NOTiîs. 447 A raison de 5o millions par au, l'e.éonlion de ces travaux esigcrail de diiliuit à ïingl ans. Cinquante millions par an, c'est lonrd. Mais si le désarme- ment pouvait enfin s'opérer, il serait aisé d> pourvoir sans aug. mentor los charges pnLlic,„es. Ne serait-ce pas le cas d'cmprun- cr, s. toute autre ressource venait à manquer? S'abuserait - on l.eaucoup en espérant que les sources du revenu public, rendues plus recondes par 1 exécution de ces travaux, produiraient par eca seul un surplus de 4o millions, cest-à-dire l'intérêt d un emprunt successif d'un milliard. Lorsque l'on voudra sérieuse- ment trouver ces 5o millions annuels, il y aura lieu à se dcman- der encore s. les 5o millions de lamortis.,ement qui sont attri- bues au 5 p. o,o, et qui restent sans emploi parce qne le Cinq est au-dessus du pair, ne trouveraient pas le meilleur des place- ments dans celte vaste entreprise. Un autre moyen se présente encore. Par les Caisses d'épargnes nous avons organisé un emprunt forcé d'un nouveau genre' cest.a.d,re forcé pour l'emprunteur. Quand ces excellentes ia- ^auion, auront été multipliées, et l'on y pourvoit avec une ouable so hctude , elles verseront annuellement au Trésor, en Wpsregul,erunesommede5omiIlions,etdava„.age peut-être. LÉtat ne peut refuser ces fonds; le devoir et l'intéré, du gou- .ernement lu. commandent de devenir le dépositaire et le garant des épargnes du pins grand nombre. Et une fois dans ses co fres, que pourra-t.„ en faire, sinon d'en user comme d'un em- prunt à 4 p, .oo et de les appliquer autan, que possible à des dépenses productives? * '"tacs Les difficultés financières qui s'opposent à l'exécution d'un système complet de communications en France seraient donc ai- sees a lever. Il est d'ailleurs certain que les hommes, chefs et ou- «.ers , ne manqueraient pas pour mettre les millions en œuvre Lorsque 1 Etat jugera convenable de faire pour l'ensemble ce' que les départements et les communes font pour les détails (») , 448 NOTES. il trouvera dans ses ingénieurs un admirable levier, et dans les rangs de son armée une force inépuisable. Il n'y a pas d'entre prise , si vaste qu'elle puisse être , à laquelle la France ne puisse suffire parle nombre , la capacité et le dévouement de ses ingé- nieurs, aussi bien que par ses ressources matérielles. La France a des ingénieurs en assez grand nombre pour couvrir l'univers entier de routes , de canaux et de chemins de fer. Grâce à son système de centralisation , dont l'Ecole Polytechnique est l'un des produits, elle possède cinq cents ingénieurs des Ponts-et- Chaussées. Elle a en outre une centaine d'ingénieurs des Mines, quatre cents officiers du génie , et cinq à six cents officiers d'ar- tillerie et d'état-major, tous en mesure de prendre une part active aux plus difficiles travaux. Certes, si la France se décidait enfin à déployer sur son territoire l'énergie , l'activité et la haute in- telligence dont elle fit preuve quand elle se mit à conquérir l'Eu- rope, si elle consacrait à enrichir son sol la moitié des trésors qu'elle engloutit dans cette tentative audacieuse , il est permis de croire que la palme des améliorations matérielles ne resterait pas longtemps à nos heureux voisins d'outre-mer et à leurs rejetons d'Amérique. Il faut dire cependant que si , en France , nous désirons avoir nos grandes communications achevées promptement et à bon marché , deux mesures doivent être préalablement adoptées. 1° Il est indispensable de modifier les règlements d'adminis- tration qui fixent les formalités à remplir par les ingénieurs pour l'exécution des travaux (*). 2° Il n'est pas moins nécessaire de modifier l'éducation des ingénieurs. On a beau être plein de probité et de zèle, et pos- séder des connaissances malhe'matiques et mécaniques fort éten- dues , l'on ne parviendra jamais à tirer le meilleur parti possible d'une somme donnée, ou d'une communication une fois éta- blie , ni à bien user du temps , si l'on est étranger à la pratique des affaires commerciales. Or, c'est un point qui est complé- départementales el vicinales sous l'empire de la nouvelle loi des chemins vicinaux. (*) Voir plus loin , Noie 34- iNOTjîs. 449 tement négligé dans l'édacation de nos ingénieurs; renseigne- ment des Écoles d'application et celui de l'École Polytechnique ont donc besoin d'être révisés. Il est inconcevable, par exemple , que dans cette dernière école, qui fournit au gouvernement les hommes par les mains desquels il accomplit les entreprises matérielles les plus importantes , l'on n'enseigne pas Téconomie publique, c'est-à-dire la science des intérêts matériels. Il y a Hou aussi à modifier le régime administralif de nos canaux pour qu'ils deviennent aussi utiles qu'ils peuvent l'être. En Europe, les petits Etals donnent maintenant des leçons aux grandes puissances. Le i*'" mai i854 , une loi conçue comme iï suit fut promulguée parle gouvernement belge : « Art. ^^ Il sera établi dans le royaume un système de che- î) mins de fer, ayant pour point central Malines , et se dirigeant » à l'Est, vers la frontière de Prusse, par Louvain^, Liège et Ver- » viers; au Nord sur Anvers; à l'Ouest sur Ostende, par Ter- » monde, Gand et Bruges, et vers les frontières de France parlç: » Hainaul. » Art. II. L'exécution en sera faite à la charge du Trésor pn- » blic , et par les soins du gouvernement. » Abstraction faite de la ligne de Bruxelles à la frontière de France, qui est ajournée jusqu'à ce qu'on se soit entendu avec le gouvernement français, tout le système sera achevé en i838. Les travaux étant conçus dans un style fort simple, on estime que 45 millions suffiront à l'achèvement des trois tronçons de l'Est , de l'Ouest et du Midi , comprenant 74 lieues ; ce serait 600,000 fr. par lieue. Les onze lieues d'Anvers à Bruxelles ont coûté, matériel compris, 3,073,000 fr., soit par lieue 3o6, 000 fr. Ce chemin d'Anvers à Bruxelles a transporté, pendant les- quatre premiers mois, 45o, 000 voyageurs. Autrefois les voilures- publiques n'en avaient que 76,000 par an. Le gouvernement belge se propose de diriger un embranche- ment de Gand sur Lille, ce qui, avec la ligue de Bruxelles » Valenciennes , portera le développement total de ses chemins de fer à ii5 lieues environ, C'est comme si la France en entrepre' naît i,oco lieues. If. 29 450 NOTES. Il n'est personne qui ne doive être frappé de ce fait , qu'en ce moment les travaux publics achevés ou en construction , en Amérique , ont à peu près la même longueur que tout ce qui a été fait , depuis deux siècles , par toutes les puissances de l'Eu- rope réunies. On peut évaluer ainsi les travaux publics achevés ou en con- struction dans les divers Etats européens : ÉTATS. CANAUX en lieues de 4.000 m. CHEMINS DE FER en lieues de 4,000 m. 1,100 998 ii5 4oo 5i5 5o 74 5o France Belffique Autres Etats (*) Total 2,6i3 487 Total général de l'Eu Idem des Éta rope 3,100. Ls-Unis 3,o5o. Note 16. (Page 100.) DES MOYENS DE VOYAGER AUX ÉTATS-UNIS. Aux Etats-Unis , l'on ne voyage pas en poste. Il faut aller en diligence avec tout le monde et comme tout le monde. Le sys- tème d'égalité est absolu à cet égard ; il n'y a même pas, comme chez nous , plusieurs compartiments dans la même voiture, ou, comme chez les Anglais , les places du dedans et les places du dehors. Les diligences américaines sont ordinairement à neuf places , peu commodes , et mal suspendues. Ceux qui ne veulent pas voyager en diligence sont obligés d'aller à petites journées dans leurs propres voitures et avec leurs O Approximativement. NOTES. 451 chevaux. Les riches planteurs du Sud usent quelquefois de ce moyen. Aujourd'hui, dans quelques parties du INord, pendant la belle saison , il est assez d'usage de louer, pour soi et sa famille, une diligence à volonté, qu'on appelle un extra. On a alors, pour deux ou trois personnes souvent, une voiture à neu'' places. C'est encore un mode de traasport peu doux et peu rapide. Note 17. (Page io5.) DE l"i^FLUE>CE politique DES CHEMINS DE FER. Avant les chemins de fer et les bateaux à vapeur, les seuls moyens de communication en usage aux États-Unis étaient les stages, qui cheminent avec une vitesse de deux lieues (8, oco"".) à l'heure. Aujourd'hui, eu France, la vitesse moyenne des voitures publiques dépasse de très peu ce chiffre. La malle- poste , qui ne transporte qu'un très petit nombre de voya- geurs, atteint la vitesse de trois lieues et demie à quatre lieues. En poste, on ne fait guère que trois lieues à l'heure , et c'est un mode de transport qui est à l'usage d'un tiès-pelit nombre de personnes seulement. Il faut qu'un chemin de fer soit peu perfec- tionné pour que l'on ne puisse y circuler avec une vitesse moyenne de six lieues à l'heure, c'est-à-dire trois fois plus grande que celle des diligences françaises et américaines. A ce compte, au moyen des chemins de fer, un pays neuf fois grand comme la France , se trouverait, sous le rapport des communications , dans la même situation que la France actuelle dépourvue de chemins de fer. En supposant une vitesse de dix lieues à l'heure, c'est-à-dire, quintuple de celles des diligences ordinaires; le rapport d'un à neuf se change en celui d'un à vingt-cinq ; le rapprochement de» hommes et des choses s'accélère alors dans la même proportion , c'est à-dire qu'un territoire quatre fois et demie aussi vaste que l'Europe occidentale et cinq fois aussi grand que la portion des États-Unis occupés par les vingt-sept Étals ou Territoires or- ganisés au i*^'' juillet i8ù6 , s'administrerait alors tout aussi vite et tout aussi aisément qu'aujourd'hui la Frauce. 452 ^OTKS. Note i8. (Page ii5.) E-MTiEPRISES GÉOLOGIQL'ES. Depuis quelques années , cependant, les législatures de divers Etats se monUetit animées d'une louable sollicitude pour la science géologique. Le Maryland a , parmi les fonctionnaires publics de l'Etat , uu géologue {State Geologist) qui dresse la carte géolo- gique du pays , particulièrement dans un but d'application. Ce géologue , M. Ducatel , a fait déjà des découvertes précieuses pour l'agriculture . particulièrement sous le rapport des marnes. L'Etat de Tennessee a aussi un géologue, M. Troost. L'E- tat de Massachusetts a fait dresser sa carte géologique par M. Hitchcock. Le Congrès a voté quelques fonds pour l'examen des régions situées à l'Ouest du Mississipi. L'Etat du Maine vient de consacrer à sa carte géologique 5,ooo doll. (26,600 fr.), et en a chargé M. Ch. T. Jackson. La Pensylvanie a entrepris pareillement sa carte géologique, mais il paraît qu'elle y a consacré des fonds insufBsants , et qu'aucun homme de talent ne voudra entrer à son service avec le mince salaire qu'elle offre. Les États de Virginie et de New-Jersey ont aussi fait examiner leur sol. L'Etat de New-York s'est signalé par la largeur avec laquelle il a conçuTexécution de sa carte géologîque.Pendant la session de 1 856, la Législature a voté, pour cet objet, une somme annuelle do 26,000 doll. (108,000 fr.), pendant quatre ans. L'Etat a été divisé en quatre districts , confiés chacun à deux géologues. Un botaniste , un zoologiste et un chimiste , ont , en outre , été atta- chés à l'ensemble du travail. Les quatre géologues en chef, choisis pour les quatre districts, sont MM. Malher, ex-professeur à l'Ecole de West-Point , E. Emmons, T. Conrad et L. Vaniixem. M. Torry fera la botanique , M. de Kay , la zoologie , et M. Beck , chimiste, sera chargé de l'analyse des minéraux, marnes et eaux. C'est principalement à M. Dix , qui remplit avec distinction, KOTEs. 453 depuis plusieurs années , les fonctions de Sccrélaire d'Etat local, que l'Etat de New-York est redevable de celle belle entreprise. C'est ici le lieu de rappeler que la carte géologique de France, commencée en 1826 . touche à son terme. La pensée en est due à M. Brochant de Villiers, inspecteur-général des Mines, qui, dès 1802, rechercha les moyens d'accomplir ce grand travail. En 18 1 1 , il présenta au Directeur-Général des Mines un rapport qui resta dans l'oubli. En 1822, à l'occasion de la belle carte géologique d'Angleterre, exécutée par M. Grcenough , il renou- vela ses instances , qui furent appuyées par le Conseil de l'Ecole des Mines; M. Becquey, alors Directeur-Général, les accueillit avec empressement. M. Brochant fut chargé du travail, avec deux ingénieurs adjoints , MM. Elle de Bcaumoni et Dufrénoy. Le travail actif d'exploration a été accompli par ces deux der- niers savants , qui se sont aidés des lumières des ingénieurs des Mines placés dans les départements. M. Brochant a conservé la direction , et a pris part seulement à quelques voyages d'obser- vation générale en Angleterre, dans les Alpes et dans l'Ardèche. Pendant onze ans, de 1825 à i855 inclusivement, les frais de ia'carle géologique de France ne se sont élevés qu'à 48,000 fr. en tout. En ce moment , les conseils-généraux s'occupent de la rédac- tion des cartes géologiques détaillées des déparlements. Malheu- reusement , les sommes votées par plusieurs d'entre eux parais- sent insuffisantes. Elles ne sont que de quelques centaines de francs. Note 19. (Pige 122.) PRÉCIPITATION AMÉRICAINE. Dans les hôtels et sur les bateaux à vapeur, lorsque l'heure des repas approche, la porte de la salle à manger est assiégée. Dès que la cloche sonne, on se rue, et en moins de dix minutes toutes les places sont envahies. Au bout d'un quart;d'heure, sur trois cents personnes , deux cents sont sorties de table; dix minutes après, tout a disparu. Pendant l'hiver de i854, je me rendis de Balti^ 454 NOTES. more à Norfolk, par la Chépapeake, sur le bateau à vapeur la Pocafiontns. Le second jour, dès quatre heures du malin , malgré le froid, les trois quarts des passagers étaient debout. Voyant, vers six heures , que j'étais presque seul au lit , je m'imaginai que nous approchions du terme du voyage. Je montai sur le pont, et y restai à me morfondre au milieu du brouillard, persuadé à chaque instant que Norfolk allait paraître. Ce fut à huit heures seulement que Norfolk se montra dans le lointain. Je contai ma mésaventure à un Américain, homme d'esprit, qui faisait aussi la traversée, et qui, mieux avisé, s'était reposé jusqu'au grand jour. «Eh! Monsieur, me dit-il, si vous connaissiez » mieux mes compatriotes , vous trouveriez tout naturel que , » pour arriver à neuf heures , ils se soient levés à'quatre. Le métier »d'un Américain est d'être toujours à craindre que son voisin » n'arrive avant lui. Si cent Américains étaient aumoment d'être » fusillés , ils se battraient à qui passerait le premier, tant ils ont » l'habitude de la concurrence ! » Note 20. (Page i48.) DES ÉLECTIONS MUNICIPALES EN FRANCE. Voici les observations contenues à ce sujet dans un rapport adressé au Roi, sur les élections municipales de i854» par le Ministre de l'Intérieur, en date du 16 décembre i835 : « Le choix des maires et des adjoints a présenté de grandes difficultés dans beaucoup de communes. Les conseillers propres à remplir ces fonctions se sont souvent refusés à les accepter. Quelquefois même» aucun conseiller n'a voulu consentir à exer- cer provisoirement les fonctions de maire, quoique la loi du 21 mars i83i leur en ait imposé l'obligation, sans avoir, à la vé- rité, fortifié cette prescription par une sanction pénale. Ce n'est alors que par la dissolution du Conseil, par un appel aux élec- teurs pour faire d'autres choix, qu'il a été possible d'exécuter la loi qui prescrit de prendre les maires et adjoints dans le sein du Conseil municiprd. En ce momeul^ il n'existe que quelques villes NOTES. 455 où la mairie n'a pu , depuis un an , être organisée. Un certain nombre de communes rurales présentent la même situation ; dans quelques unes, il a fallu confier radministration au maire d'une commune voisine » La difficulté de trouver, dans un assez grand nombre de com- munes , des conseillers municipaux qui consentissent à accepter les fonctions de maire ou d'adjoint, ou qui fussent en état de les remplir, a entraîné de longs retards dans l'organisation des mairies. Ainsi , à la fin d'avril dernier, sur les 1,093 villes où ces fonctionnaires sont à la nomination du roi , il y en avait 65 où la mairie n'avait pu être organisée. Aujourd'hui même , i3 villes sont encore dans la même position, sans compter quel- ques autres où les titulaires ont renoncé aux fonctions qu'ils avaient acceptées d'abord. Sur les 76,000 maires et adjoints à la nomination des préfets dans 86 départements, il y en avait en- core 900 à nommer au mois d'avril dernier, c'est-à-dire un qua- tre-vingtième environ. On peut évaluer à 5oo les places encore vacantes. » Cette difficulté d'organiser les mairies demande à être prise en grande considération. » 456 INOTES. iSote 21. (Page i5i.) TABLEAU DE LA SOLDE COMPLÈTE A BORD DES OFFICIERS DES MARINES FRANÇAISE ET AMERICAINE. MARIKE FRANÇAISE. MARINE AMÉRICAIKE. Vice amiral (^) . . 39,900 fr. M Contre-amiral (*) . 32,075 » » )> Cap. comm. en chef. 24,000 f'- w » Capitaine comman- dant une escadre. 21^535 Capitaine de vais- seau, ir»^ classe. 14,760 Capitaine 18,667 ici. , 2'' classe. i4,i6o Capitaine de frég. ii,5oo Commandant . . . i3,533 id. de corvette 8,710 » Lient. -command. 6,o5o Lient. -commandant. 9,600 Lieulenant . . . 3,221 Lieutenant .... 8,000 Lient, de frégate. 2,691 Passed-Misliipman. . 4,000 Elève de i^'*' classe. i,i65 Mishipman .... 2,135 id. 2<^ classse. . 845 Les maîtres canonniers [gunners)^ maîtres d'équipages {boat- swains)^ maîtres voiliers {sait inakers) et maîtres charpentiers, reçoivent, dans la marine américaine : Sur un vaisseau deligne 4>ooo fr« Sur une frégate 3, 100 Sur tout autre bâtiment 2,667 En France , les traitements des maîtres entretenus de toutes professions varient de 2,000 à 1,000 fr. (*) Ces grades n'exiiilenl pas d-ms la marine américaine. NOTES. 457 Note 22. (Page i5i.) nOKORAIRES EXCEPTIONNELS AUX ÉTATS-UNIS. Il est assez curieux qu'aux Etats-Unis, à côlé de fonctionnaires éminents si mal rétribués , il existe des employés subalternes qui reçoivent des honoraires énormes. Voici, par exemple, les som- mes perçues, à New-York , par les inspecteurs qui surveillent l'exportation de diverses marchandises, en i835 : Inspecteur du bœuf et du porc salé. . . ii,4oofr. jd 3o,8oo Peaux i5,3oo Cuirs 29,200 Farine 13,900 Id . 53,600 Potasse. • • io5,5oo Tabac 182,000 Noie 23. (Page 1 53.) DE LA DÉPENSE DES RICHES. Si dans les grandes villes des Etals du Nord, le riche parvient à dépenser huit à dix fois autant que l'employé, ce n'est pas qu'il mène un grand train, ni même, comme je l'ai dit, qu'il ait toujours voiture. A quelle heure du jour s'en serviraient les maris , toujours plongés dans les affaires, et les femmes, absor- bées dans les soins domestiques? Lors même que l'on aurait le loisir d'en user et que l'opinion publique ne s'en offusquerait pas, que ferait-on d'un équipage dans les rues si propres de Phi- ladelphie ? La principale cause de dépense du riche, ce qui met une différence entre lui et l'employé , c'est quil donne de temps eu temps quelque soirée. 11 se pique alors de luxe ; la démo- cratie indulgente le lui permet pour un jour ; et le luxe ici est 458 NOTES. bien plus dispendieux que chez nous. Il ne faut pas qu'une soirée soit bien brillante, dans ces petites maisons, où Ton ne reçoit que dans deux pièces larges de 20 pieds et longues de 25, pour coûter 700 à 800 dollars. Note 24. (Page 172.) Les citoyens de Pottsville mirent fin à ces désordres en se ren- dant, avec un mandat du shérilï, au point où les bateliers étaient rassemblés, en saisissant les plus mutins, et en les traî- nant dans les prisons de leur ville. Ce courage des simples ci- toyens, qui se convertissent au besoin en force armée, est une des plus sûres garaniies de la liberté américaine. Il est à remar- quer qu'il s'amoUil dans les villes. Note aS. (Page ijS.) RÉPRESSION DES COALITIONS. Les excès commis par les coalitions ont enfin fixé l'attention de la justice. Des poursuites ont eu lieu dans l'Etat de New-York. Des ouvriers cordonniers de Genève (petite ville de cet Etat) s'é- taient coalisés dans le but d'élever le prix des salaires , de frap- per d'interdit tout maître qui emploierait des ouvriers à un prix moindre que le leur, et d'imposer une amende de 10 doU. à tout ouvrier qui travaillerait au-dessous des conditions régléespar eux. Us furent poursuivis devant la Court of Gênerai Session ^ et ac- quittés. Le Grand-Juge ( Chief- Justice ) de l'Etat fut d'avis qu'ils avaient été mal jugés, et que la cause devait être entendue de nouveau. En juin 1806, un procès a été intenté , pour des faits semblables, à des ouvriers tailleurs, dans la ville de New-York, par devant la Court of oyer and terminer, composée d'un juge, M. Edwards, el de quatre conseillers municipaux. Malgré des rassemblements menaçants, les tailleurs ont été condamnés. Le jury les ayant recommandés à l'indulgence de la Cour, leur peine n'a consisté qu'en une amende assez légère, 800 fr. pour un NOTES. 459 d'eux, 555 fr. pour un autre, et 266 fr. pour le reste. Le lende- main du jugement, il fut tenu sur Ja place du Parc un meeting, où les discours les plus violents furent prononcés, et où le juge Edwards fut brûlé en effigie: mais l'arrêt a reçu son exécution. La loi de l'Etat de New-York diffère de la nôtre, en ce qu'elle laisse chacun libre de travailler. Elle ne punît la coalition qu'au- tant que les coalisés prétendent obliger d'autres ouvriers à ne travailler qu'au prix par eux déterminé , et qu'autant qu'à cet égard l'intention a été suivie d'effet. Note 26. (Page i85.) DES SECTES RELIGIEUSES AUX ETATS-UNIS. Les Etals-Unis ont innové en religion comme en politique. Les diverses sectes anglaises , en passant de l'Ancien Monde dans le Nouveau, ont changé de caractère, de discipline, et plus encore de proportions relatives. Aux États-Unis, la plupart des sectes pratiquent les revivais (revivifications), ayant pour objet de réchauffer le zèle religieux. Un revival comprend des prières en commun , des sermons, des conférences , des réunions prolongées , des visite» à domicile. C'est quelque chose d'analogue à nos Missions intérieures. Les Églises américaines offrent un reflet des institutions poli- tiques du pays. Les ministres y sont beaucoup plus dépendants des fidèles que partout ailleurs. Ils sont choisis et même révo- cables par eux. La dépendance est plus ou moins absolue , selon les diverses sectes. Elle est beaucoup plus considérable chez les Congrcgationaîistes, dont les églises sont isolées les unes des autres , que chez les autres sectes où l'on reconnaît plus ou moins une autorité supérieure , telle que celle des Synodes et de l'Assemblée Générale chez les Presbytériens. Les Méthodistes ayant peu ou point de ministres à poste fixe , ont éludé les diffi- cultés qui résultent ailleurs delà siluatioii précaire des ministres. En outre des ministres ou pasteurs , il y a dans les diverses sectes d'autres fonctionnaires ecclésiastiques. Presque partout 460 NOTES. il y a clos Anciens [Elders) qui participent au gouvernement spirituel des églises , et des Diacres [Deacons) qui sont spéciale- ment chargés de l'administration de leurs ressources temporelles. Chez les Congrégationalistes elles Baplistes, les fonctions d'An- ciens et de Diacres sont réunies sur la tête des Diacres. Les mi- nistres baptistes portent le nom d'Anciens. On sait qu'en Angleterre l'Eglise dominante est l'Eglise établie cpiscopale ; en Ecosse, c'est l'Eglise établie presbytérienne ; en Irlande, l'Eglise catholique. En dehors des Eglises établies d'An- gleterre et d'Ecosse , il y a les sectes protestantes dissidentes {dis- senters), qui composent plus de la moitié de la population des villes, elles deux cinquièmes, au moins, de la population protes- tante de tout le pays. Les principales sectes des dissenters, sont celles des Presbjlériens , qu'il ne faut pas confondre avec les Presbytériens d'Ecosse, des Indépendants, des Baptistes et des Quakers ou Amis. Les trois premières de ces sectes se ressemblent beaucoup. Elles diffèrent de l'église établie par une beaucoup plus grande la tilude de discipline ecclésiastique et delilurgie. Elles accordent beaucoup plus à l'indépendance personnelle. Les Méthodistes anglais, quoique faisant corps à part, ne se rangent pas parmi les dissidents. Ils restent attachés à|rEglise établie. C'est une sorte de Jansénistes anglicans. Aux Etats-Unis , l'Eglise épiscopale anglicane est fort peu nombreuse. Elle ne compte que le vingt-cinquième ou le tren- tième de la population. Les sectes dominantes sont celles : i*' des Méthodistes, 2° des Baptistes, 5° des Presbytériens, /j" des Congrégationalistes. 11 y a en outre une multitude de sectes qui sont séparées de ces rameaux principaux, ou qui sont venues d'Europe; puis les Catholiques, qui sont au nombre de 700,000 environ, partagés en dix évêchés ; puis, enfin, les Quakers et autres sectes moins importantes. Les Unitairiens , qui touchent de près au Déisme, et que les autres sectes qualifient quelquet'ois d'infidèles, sont sortis des Congrégationalistes. Les Méthodistes des États-Unis diffèrent de ceux d'Angleterre et par leur discipline et par les formes qu'ils ont adoptées, lis (ormeut uiiç secte tout à-iaitdisliucle. Ce sont eux qui tiennent NOTES. 4G1 les Camp-Meetings ; c'est une forme de reoivats qui leur est devenue particulière. Leur clergé se compose de prêtres voyageurs, qui ont la fougue, l'aclivilé et le prosélytisme des missionnaires catholiques que l'on a vus eu France sous la Restauration (*). Ils ont six évêques qui sont aussi toujours en voyage. Les Baptistes , les Pre^l)ylériens et les Congrégalio- nalistes ont beaucoup de traits communs. Les Congrégaliona- listes sont constitués en Eglises indépendantes les unes des autres , qui ne sont liées que par des Conférences , Conventions ou Associations , embrassant tout un État, qui ne rendent point de décisions obligatoires, mais de simples avis facultatifs, ou par des Conseils composés de délégués d'églises voisines et qui n'ont qu'un caractère consultatif. L'ordination môme des mi- nistres qui a Vieu en conseil y procède en fait et en droit des églises elles-mêmes. Les Eglises presbytériennes sont associées, forment corps, médiocrement compacte , il c.^tvrai, et relèvent d'une Assemblée Générale et de Synodes partiels. Les Congré- gationalistes sont ainsi appelés indépendants; c'est le nom des sectaires correspondants en Angleterre. Les Puritains fonda- teurs des Etats de la Nouvelle Angleterre étaient Congréga- tionalistes. L'organisation même des Congrégalionalistes fait concevoir qu'il y a parmi eux beaucoup de nuances. Dans quelques cas, ils se rapprochent des Presbytériens. LesBaptisIcs^ qui ne sont qu'une dérivation des Gongrégationalistes , en dif- fèrent en ce qu'ils ne baptisent que les personnes arrivées à l'âge de raison ; ils ont aussi un langage plus démocratique , plus passionné; leurs fidèles appartiennent , eti général , aux classes les moins cultivées. Dans les Etats de la Nouvelle-Angleterre, la majorité des ha- bitants est Gongrégalionaliste. La secte Congrégationaliste existe à peine en dehors de ces Etats, ce qui lient h. ce que, dans l'o- rigine, cette secte confondait l'État avec l'Église {^*). Les (*) Le clergé des Méthodistes anglais se compose aussi , au moins en grande partie , de prêtres voyageurs. {**) La séparation de l'État ou plutôt delà Commune d'avec l'Église, n'eslcomplèledansle Vermont,leConneclicut el lpNew-H3mpshire,que 462 NOTES. Elals du Centre sont ceux qui ronfcrmont la plus forte propor- tion de Presbytériens; les Etats dOhio, d'Indiana et d'illinois , en comptent aussi une assez grande quantité. Les Méthodistes et les Baptistes dominent dans les Etats du Sud et de l'Ouest, là surtout où il y a des esclaves; ils existent d'ailleurs partout. Les anciens Etats du Sud sont ceux où les Episcopaliens ont le plus d'adhérents. Une bonne partie des personnes éclairées ou riches de rUnion, en général, appartient à cette secte ou à celle desUnitairiens. Les Catholiques sont nombreux dans la Louisiane et leMarjland ; les émigranls irlandais en grossissent le nombre dans le Nord et dans l'Ouest. Les Quakers se trouvent presque uniquement dans la Pen- sylvanie et le New-Jersey. L'Eglise réformée hollandaise compte un certain nombre d'adhérents, dans les Etats de New-York, de New-Jersey et de Pensylvanie. On sait que les Hollandais furent les premiers à coloniser les bords de l'Hudson. On trouve aussi dans l'Union toutes les variétés du protestan- tisme européen , soit parce qu'autrefois des réfugiés de tous les pays vinrent y chercher un asile où ils pussent pratiquer leurs croyances (*) , soit parce que l'émigration y apporte aujourd'hui des hommes de toutes les sectes. Je joins ici un tableau indiquant le nombre des ministres de chaque dénomination religieuse , en groupant les moins impor- tantes , ainsi que le nombre d'Eglises ou Congrégations, celui des personnes en communion régulière et connue avec les Eglises, et la distribution de la population totale du pays entre les sectes. J'ai dressé ce tableau d'après diverses publications , et particulièrement d'après VAmeriean Almanac de i836. On ne doit le considérer que comme ayant un degré assez imparfait d'approximation. depuis seize ans environ. Elle n'a été définitivement consommée dans le Massachusells qu'en i855. Elle a eu lieu de tout temps en lihode-îsland. (*) Après la révocation de l'Édit de Nantes , un certain nombre de Huguenots se réfugièrent dans l'Amérique anglaise. Ils s'établirent par- liculièrement dans la Caroline du Sud , où leurs descendants figurent encore parmi les families les plus honorables du pays. NOTES, 463 TABLEAU DES SECTES AMERICAINES. CO wà ;^ ui a H « S S ce: A 0- J 1 •< H « SECTES. K 1 .5 o K es Ti P 2 (1. Méthodistes épiscop. 2,458 5,5oo 638,784 3,5oo.ooo Autres Méthodistes. 70 200 5o,ooo 3oo,ooo Baptistes 3,110 5,888 384,859 5,200,000 Autres Baptistes , du Septième jour, des Six principes , du libre Arbitre^ Chré- tiens , Mennonites , Tankers , etc. . . 926 1,800 94,671 700,000 Presbytériens . . . i»9i4 2,648 247,964 2,000,000 Autres Presbytériens de Cumberland , As- sociate Church, etc. 470 1,100 72,886 3oo,ooo Congrégationalisles. 975 i,i5o 159,756 i,5oo,ooo Réformés de Hollan- de et d'Allemagne, Luthériens . . . 687 1,524 122,302 1,000,000 Episcopaliens . . . 700 700 70,000 5oo,ooo Unitairiens. . . , i65 187 » 200,000 Quakers » 5oo » 200,000 Universalistes . . . 3oo 600 » SoOjOOO Frères -Unis , Nou- velle - Jérusalem , Juifs , etc » » » 000^000 Catholiques. . • . Total . . . 340 585 » 700,000 12,Ol5 22,180 1,801,222 i4,5oo,ooo MM. Reedet Matheson, ministres presbytériens anglais, qui, en 1854, ont été députés vers les églises presbytériennes et con- grégationalistes des États-Unis , par la Congregationat Union d'Angleterre et du pays de Galles , représentent , comme il suit, 464 NOTr.s. l'élat religieux des Etats-Unis, abstraction faite des épiscopaliens de l'Église anglicane et des Catholiques. Population 1 5, 000,000 Ministres 11 ,4^0 Églises (*) i2,58o Communiants 1,560,890 Ils ajoulcnt que pour l'Angleterre et le pays de Galles on peut admettre les chilTres suivants : Population 1 5, 000, 000 Ministres anglicans 7,000 "i „ ^ Ministres dissidents. ..... 6,000 ; Communiants anglicans. . . 35o,ooo Communiants dissidents. . 700,000 I i,o5o,ooo MM. Reed et Matheson font remarquer que le nombre des édifices du culte est beaucoup moindre en Angleterre qu'en Amérique. Ils rapportent une assertion de l'évêque de Londres, d'après laquelle le dixième seulement de la population pourrait trouver place dans les temples de l'Église établie dans le diocèse de Londres. Le clergé français se compose de 4i»ooo ecclésiastiques , dont 0,000 environ n'ont pas charge d'âmes. Note 27. (Page 187.) DE l'imagination a?'S LE COMMERCE FRANÇAIS. Il n'y a quune voix sur la nécessité de remédier aux abu? de conGance qui dégradent noire commerce. Voici ce que ion trouve dans les Extraits d'avis divers , publiés par le Ministère du Commerce (avril i835 , page 85). « Le premier soin du commerce français doit être de détruire, a la Nouvelle-Grenade , comme sur tous les marchés de l'Amé- rique du Sud, l'impression fâcheuse qu'y ont produite de graves abus de conGance, qui, bien que dénoncés depuis long-temps par les agents du Gouvernement du Roi , par la presse , par les correspondances privées , se sont malheureusement renouvelés encore à des époques récentes , et sur lesquels l'altenlion des bharnbres de Commerce a déjà été sérieusement éveillée. On se hâte de répéter tout d'abord ce qu'établissent de la manière la plus positive toutes les informations transmises au Gouvernement, à savoir que les fabricants français, que le com- merce de France , proprement dit , ne sont pas coupables de ces misérables spéculations , que la honte doit en être renvoyée à quelques pacotilleurs qui ont pu d'abord en retirer quelque lucre, mais dont elles ont bientôt paralysé toutes les opéra- tions. « On a vu , par exemple , des barriques de vin jauger jusqu'à tinq veltes de moins que la contenance garantie par les factures 5ur lesquelles les ventes avaient été faites. On a vu des pièces de tissus, des satins entre autres, donner jusqu'à trois aunes de moins que l'aunage indiqué par les étiquettes auxquelles lache- teur avait cru pouvoir ajouter foi. On conçoit l'tffet de pareils mécomptes, reconnus seulement à l'ouverture des colis, quand ils étaient transportés à des distances qui rendaient tout contrôle, et, partant, toute réclamation impossible. Pour les liquides, le résultat était tout simple ; le prix de la barrique a subi une baisse proportionnelle aux fraudes constatées, quand les charges NOTES. 471 résultant des tarifs de douanes restaient les mêmes ; poiir les tissus, les aclieteurs ont pris Ihabilude d'exiger, avant la livrai- son, le mosurage de chaque pièce dans les magasins des ven- deurs ; souvent même de fortes parties de rubans, expédiées sur commande, ont été nettement refusées comme de largeur in- férieure aux numéros demandés. a Evidemment le discrédit qui en est résulté pour les mar- chandises françaises en général, le grave préjudice causé aux négociants loyaux par ces actes de déloyauté, ne peut êlre attri- bué aux expéditionnaires, aux fabricants français obligés de se conformer, dans leurs envois, aux instructions précises des agents placés entre eux et les acheteurs américains, et complète- ment étrangers aux opérations ultérieures de ces agents. » Voici en quels termes s'exprime , sur le même sujet , le capi- taine Laplace, dans le récit du voyage de la Favorite autour du monde. « Combien de fois, dans le cours de mon voyage, n'ai-je pas eu à gémir sur l'abaissement de notre commerce maritime , sur la fatale déconsidération où il est tombé, et qu'il mérite par son peu de dignité ! Montrerai - je nos bâtiments chargés sans choix et sans discernement avec les restes des magasins de la capitale et des villes de commerce , perdant la réputation de nos pro- duits par la vente de marchandises de mauvaise qualité ? Ferai-je voiries marcliands abusant de la confiance par les plus indignes tromperies, et laissant aux Français qui les suivront la défiance et le mépris des populations trompées ? » C'est par une semblable conduite que notre commerce, borné , depuis longues années, à la seule exportation des vins et des marchandises de luxe, en voit la consommation diminuer rapidement dans les pays éloignés. Lhorlogerie , branche d'in- dustrie si riche, si lucrative autrefois pour nos marchands, est tombée dans le mépris. Celle des Anglais, quoique beaucoup plus chère et de furme moins gracieuse , mais plus sûre et plus solide , est préférée par les étrangers. Les modes françaises, copiées à Londres, ne sont plus envoyées de Paris. Quels efforts ne fait pas , dans ce moment, l'industrie de nos rivaux pour enlever àla 472 NOTES. France les seuls produits dans lesquels nos manufactures ont conservé quelque supériorité, tels que les toiles peintes , les pa- piers de tenture et les élotTes de soie D'autres puissances commerçantes viennent encore partager les dépouilles d'un commerce autrefois si florissant, et qui marche vers son anéan- tissement total. En parcourant de nouvelles contrées , nous ver- rons les peuples éclairés lutter à l'envi d'activité et d'industrie , les Hollandais , les Américains , les Allemands même , faire éprouver à l'Angleterre une concurrence aussi dangerouse que formidable pour son commerce. La France seule reste en arrière. Elle semble avoir oublié sa grandeur passée , ainsi que tous les principes qui firent autrefois fleurir son commerce maritime, trop faible maintenant pour être livré à lui-même sans la protec- tion ei 1 appui du gouvernement. Redevenu enfant au présent, il a besoin d'être dirigé , et qu'un avenir lui soit préparé. « {Foyage de la Favorite , tom. I , page 206.) Note 33. (Page 211.) RESPECT DES AMERICAINS POUR LES ANCIENNES DENOMINATIONS. En s'affrancliissant , les Américains ont maintenu la plupart des qualifications en usage sous la domination anglaise. Ainsi les États sont divisés en comtés. Il y a encore dans beaucoup de villes, et notamment à Gharleston , la rue du Roi et la rue de la Reine. En Virginie, il y a les comtés du Prince Edouard , du Prince Georges, de la Reine et du Roi, du Roi Georges et du Roi Guillaume, etc. La Géorgie a conservé son nom , tout en faisant la guerre au roi Georges. J'ai été fort surpris aussi d'entendre, en Pensylvanie, les cours de justice s'ouvrir par ce vieux mot français qu'un huissier répèle sans le comprendre : oyez! oyez! oyez! Les Anglais l'ont emprunté aux iNormands , elles Américains l'ont gardé, parce qu'ils l'a- vaient reçu de leurs pères. En France, nous comprenons les ré- volutions autrement : nous nous empressons de les consommer dans les mois, Les républicains donnent à Glioisy-leRoi le nom NOTES. 473 de Choisy-le-Peuple. La Restauration change le nom de Napo- léonville, et l'appelle Bourbon-Vendée. Ln suppression des mots Saint et Sainte sur les écrileaux des rues de Paris est le beau idéal de ce sjstèra e. Note 34. (Page 21 5.) DES MARCHES AVEC PUBLICITÉ ET CONCURRENCE. . Parmi les formalités imposées par notre législation à nos in- génieurs dans l'exéculion des travaux publics , se trouve celle de ne faire des marchés qu'avec publicité et concurrence, après des affiches , et moyennant divers délais. Ils sont astreints à prendre la plus basse des soumissions déposées, pourvu qu'elle soit au-dessous d'une limite fixée par eux , et aussi à moins qu'ils ne supposent une coalition d'entrepreneurs. Aujourd'hui, celte coalition a presque toujours lieu. Les entrepreneurs soumission- naires conviennent d'un léger rabais au profit de l'administration, se partagent entre eux , et d'avance, une part du bénéfice, et laissent le reste à l'un d'eux , qui devient adjudicataire. Les in- génieurs n'ont aucun moyen de remédier à cet abus ; en faisant annuler l'adjudication, ils ne feraient que reculer la difficulté pour y retomber toujours , et ils ajourneraient indéfiniment l'exécution des travaux. Aux Etats-Unis, les commissaires des canaux, ou les ingénieurs placés sous leurs ordres, font aussi des adjudications par voie de publicité et concurrence {public lettcngs); mais il leur est laissé plus de latitude dans leur choix. Je crois aussi qu'en Amérique le danger d'une coaliliou d'entrepreneurs est moins à craindre que chez nous ; les Américains entendent autrement l'esprit d'as- sociation. Dans la plupart des services publics, ce système exagéré d'ad- judication a les mêmes conséquences onéreuses pour le Trésor. C'est aujourd'hui une habitude établie parmi les entrepreneurs, que de s'entendre contre radministration. Le système des mar- chés de gré à gré a des inconvénients ; il peut y avoir abus de 474 IVOTES. confiance; mais je crois qu'acluellemeût le Trésor y gagnerait, dans une foule de cas , une économie réelle d'argent , et que le pays y trouverait, en matière de travaux publics, une économie de temps plus précieuse encore. On peut ajouter, sans flatterie pour personne , que les agents employés par le gouvernement dans l'exécution des travaux publics jouissent aujourd'hui d'une réputation de moralité qui justifierait qu'on se relâchât à leur égard de la défiance contre les fonctionnaires en général, qui a dicté nos règlements d'administration publique. Il paraît que les formalités prescrites pour l'adjudication et le paiement des travaux exéculés par le génie militaire sont, pour le moins , aussi compliquées que celles qui existent pour les Ponts-et-*Chau5sécs. Les choses en sont à ce point que des hommes fort compétents, dont l'opinion est tout-à-fait favorable à l'exécution par l'État des grands travaux de communication , pensent que le seul moyeu de créer en Fraîîce, sans des retards excessifs, de grandes lignes de chemins de fer, par exemple, serait de les concéder à des compagnies dont l'Élal serait le principal actionnaire. Ces compagnies n'ayant pas les mains liées comme l'Administration, mèneraient les entreprises avec activité et vigueur. L'Étal, étant le principal aciionnaire, ferait adopter les plans qui lui convien- draient, choisirait les ingénieurs, et administrerait à son gré les ouvrages, une fois achevés. Ce serait , à proprement parler, un artifice pour dégager l'Administration des formes au milieu desquelles elle est comme garrottée, sans supprimer ostensible- ment ces formes. Il me semble qu'au lieu de recourir à ce sub- terfuge, il vaudrait mieux modifier franchement nos procédés ad- ministratifs dans ce qu'ils ont de défectueux. Note 35. (Page. 221.) DE l'esprit de la LÉGISLATION DE LA NOUVELLE- ANGLETERRE. Je doute que nulle part le pouvoir de la société sur Tindividu ait été poussé plus loin que dans la iNouvelle-Angieterre ; ainsi , dans le Gonnecticut , il y avait des lois pour régler le temps qu'il NOTES. 4/5 élaîl permis de rester au cabaret (une demi-heure) ; la quantité maximum qu'on pouvait y boire (une demi-[))nte); après neuf heures et demie du soir, les auberges et cabarets devaient être fermés. Il n'était pas permis à un jeune célibataire de tenir mai- son sans le consentement des habitants de la commune ; un père de famille n'avait pas le droit de recevoir chez lui un céli- bataire sans la même formalité. Hélait défendu de jurer, défendu de mentir et de répandre de fausses nouvelles; défendu de prendre du tabac, à moinrs d'a- voir une déclaration d'un médecin constatant que c'était par mesure de santé, et à moins d'y être autorisé par un tribunal. D'autres règlements défendaient simplement de fumer en pu- blic. Cette année même ( i836), les magistrats de Boston ont défendu de fumer dans la promenade publique de la ville {Mail), qui est un fort vaste enclos ; je ne prétends cependant pas qu'eu cela leur rigueur soit excessive. Il est inutile de dire que les lois des Colonies de la Nouvelle- Angleterre étaient d'une grande sévéïilé religieuse ; chacun était contraint de faire partie d'une église congrégationaliste , et l'on n'était aclmissible aux emplois qu'à celte condition. Les dissi- dents payaient pour les frais du culle de l'Église établie. Les juifs et les quakers étaient exilés, et passibles de la peine de mort s'ils se représentaient sur le sol de TÉlat. Les lois bleues du Connecticut contenaient aussi des prescrip- tion» curieuses au sujet du mariage. il n'est guère resté de cette ancienne législation qu'une forte organisation communale. Aujourd'hui, cependant , la communauté intervient quelque- fois encore dans la vie privée de l'individu , au point de le dé- pouiller des droits qui nous semblent les plus naturels et les plus imprescriptibles. Ainsi, à Taunlon, dans le Massachusetts, en i856 , deux juges de paix ont interdit la publication des bans de mariage d'un homme et d'une femme, parce que les futurs conjoints n'étaient pas en état de se suffire à eux-mêmes après le mariage , et qu'ils n'avaient pas assez de discernement pour contrac- ter un acte de cette importance. 47(> NOTES. Dans quelques États du l'Allemagne, les gouvernemenls cxeiv cent le même contrôle sur le mariage. Note 36. (Page 23 !.) DIFFICULTÉ DES DÉGRÈVEMENTS. Il est fort difficile * eu France, de dégrever les masses , parce que les ressources de nos ouvriers, et surtout celles de nos paysans, qui forment vraiment, en France^ la classe la plus pauvre et la plus nombreuse, sont tellement bornées, que le fisc n'y a pas prise. Le paysan limousin , par exemple, ne paie rien ou presque rien à Tadministratioa des contribulions indirectes, rien ou presque rien à celles des douanes, des postes et de Tenre- gistrement , par la triste raison qu'il ne boit pas de vin, qu'il mange très rarement de la viande, qu'il ignore l'usage du sucre, du thé , du café et des étoffes anglaises ; qu'il ne sait ni lire ni écrire, et que par conséquent il ne lui arrive jamais de recevoir de lettres ; qu'il ne plaide pas , faute de posséder aucun sujet de litige, ou que, s'il possède un lopin de terre, ce qui est souvent le cas, il le garde sans le vendre ni l'accroître. A l'exception de l'impôt du sel, les taxes indirectes lui sont donc peu onéreuses. Si l'on abaissait ces taxes pour augmenter l'impôt foncier, on grèverait un très grand nombre de paysans d'une somme sou- vent égale à celle dont ils auraient été dégrevés d'un autre côté. Note 3y. (Page 282.) DE l'octroi. Il n'y a pas d'octroi aux États-Unis , ce qui est peu étonnant. Ce qui l'est beaucoup plus , c'est qu'il n'y en ait pas en Angle- terre, où le fisc, véritable Protée , s'est revêtu de toutes les formes imaginables. Les Anglais ont reconnu que c'était un mau- vais impôt. Les droits d'octroi sout un fléau pour le pauvre des villes , parce qu'ils sont, dans les grandes vilU;s, bien plus élevés que les contrlbulions indirectes instituées au profit de l'État. C'est une plaie pour Tordre social; car, exagêréscommcilslesont,' aïs appellent la fraude et créent dans toutes les grandes villes une classe de contrebandiers, race ennemie du travail, pounie d'immoralité, dont le vicieux contact pervertit les ouvriers, et les entraine à tous les désordres. La ville de Paris présente un phénomène de physiologie sociale bien digne d'être observé. Depuis cinquante ans la population de Londres a doublé ; celles des autres capitales européennes à 1 exception de Madrid, s'est accrue de moitié au moins. Je ne parle pas des progrès miraculeux des villes américaines La France est passée de 26 millions d'halilanls à 53 millions, c'est- à-dire que sa population s'est accrue de 53 p. 0/0. Pari/ a été occupé par des armées étrangères , mais Paris n'a jamais subi les horreurs d'un siège; Vienne et Berlin, d'ailleurs ont passé aussi par l'épreuve de l'occupation. Paris a été l'objet de la sollicitude de tous les pouvoirs ; ils y ont prodigué les embel- lissements. La centralisation administrative a fait tout couTer^er de plus en plus vers Paris; Les voies de communication de tous les points de la France vers Paris se sont développés en nombre et en vitesse. L'importance commerciale de Paris s'est augmentée Pans est resté le centre du goût et des arts. Quel a été le fruit de cette masse d'eiforts et privilèges? Paris est peuplé aujourd'hui a peu près comme il l'était il y a cinquante ans. Il est hors de doute que rien na autant contribué à arrêter les progrès de Paris que la mauvaise assiette du revenu municipal. Le meilleur moyen de remplacer l'octroi consisterait proba- blement 10 ,],,3 „^, augmentation modique des centimes addi- tionnels; 20 dans une ta.ve sur les loyers assise directement sur les locataires; 5o dans une taxe sur les voitures et chevaux de lu xe, et même sur les chiens dont Paris est infesté ; 4» dans des licences imposées aux marchands de vins, traiteurs et restaura^ teurs. A Paris, il ne serait pas difficile de se procurer ainsi;" presque sans frais de perception, les 20 à 25 millions quel octroi rapporte net. 478 NOTES. Note 38. (Page 232.) DE l'impôt du sel. L'impôt du sel pi'oduit au Trésor 6o millions. Si l'on revenait sur la réduction du droit des boissons opérée par la loi du 12 décembre i85o, réduction qui, tout le monde en convient aujourd'hui, n'a profilé ni aux consommateurs, ni aux proprié- taires de vignobles, on ferait rentrer au Trésor une somme de 35 à l\o millions. L'on pourrait donc alors , sinon faire dispa- raître l'impôt du sel, du moins le diminuer des deux tiers, ce qui serait un bienfait pour le paysan, et un grand service à notre agriculture, qui est el sera toujours en France la première de* industries nationales. Note. Bg. Page 245.) DE L'APPLICATION DE LARMÉE AUX TRAVAUX PUBLICS. En i835 , le gouvernement essaya l'application de l'armée aux travaux publics dans la construction des roules stratégiques de l'Ouest. Des ateliers , composés de 020 à 36o travailleurs , fu- rent établis dans quatre déparlements. Les résultais furent très peu satisfaisants. Dans la Mayenne, la Vendée et Maine-et-Loire, les travaux ont coûté i4, i5 et 00 p. 0/0 en sus des devis. Dans la Loire-Inférieure, ils ont coûté 10 p. 0/0 de moins, mais ce bénéfice se résoudrait en une perle, si, aux déboursés des Ponts- et-Chaussées, on ajoutait ceux de l'administration de la guerre, qui a continué aux soldats leur solde et leur ration, et qui a payé les frais de leur campement. Enfin , un entrepreneur eût certainement fait uu rabais sur les devis. Ce mauvais succè? peut être attribué à diverses causes : 1° Les soldats sont restés trop peu de temps à l'ouvrage pour, s'y façonner: ils ont travaillé cinq mois consécutifs , il est vrai, dans la Loire-Inférieure , mais ils n'ont été sur les chantiers que NOTES. 479 deux mois cf demi dans la INhiyeuae et la Vendée, et un mois seulement dans Maine-et-Loire. 2° Il convenait de tie composer les ateliers que d'hommes de bonne volonlë» et suffisamment robustes , et Ton n'en a rien fait dans les trois départemenis où l'insuccès a été si bien caractérisé. Une partie de notre armée est sortie des campagnes , et se trouve propre aux travaux de lerrassenicnl. L'autre partie provient des villes, et a peu de goût pour remuer la terre. En prenant des corps en bloc, sans dislinclion d'hommes valides ou faibles, de bonne volonté ou non, on a eu inévitablement des ateliers hétérogènes, où Ténergie des uns était paralysée par la mollesse des autres. Dans le dépailement de la Loire-Inférieure, l'aulorilé militaire locale avait choisi des hommes de bonne volonté. 5° On avait organisé un élat major trop nombreux relative- ment aux travailleurs , et qu'il eût été aisé^de réduire de moitié ^ ce (jui eût donné une économie dans la dépense. 4° Les bases d'évaluation du travail ^ imposées par l'adminis- tration de la guerre, étaient vraiment inadmissibles. On a exigé que le soldat fût payé autant qu'un travailleur ordinaire; et l'ad- ministration des Ponis-et- Chaussées a eu la faiblesse d'y con- sentir. 5° Enfin il est douteux que les officiers se soient montrés ani' mes du zèle et de la vigilance qui les signalent dans le service militaire. Les officiers paraissent désirer peu l'application de l'armée aux travaux publics. Peu propres à diriger leurs soldats dans ce nouveau service, il est dans la nature humaine qu'ils soient peu favorables à un ordre de choses où ils croient qu'ils n'auraient plus eux-mêmes qu'une importance subalterne. En i835, la compagnie du chemin de fer de Saint-Germaiu a aussi employé des soldats , et elle l'a recommencé , en i836, sur une plus grande échelle. L'autorité s'est refusée à ne donner que des soldats de bonne volonté ; il a fallu que l'on prît tous ceux qu'elle présentait, des compagnies en bloc. Elle n'a pas permis que les soldats fussent à la lâche ; il a fallu les payer à la journée, et tous également. On a interdit aux agents de la compagnie de donner aucune gratification aux militaires les plus actifs ; et lors 480 îfOTES. même que des soldais avalent tlé renvoyés des ateliers , parce" qu'ils y mettaient le désordre, ils continuaient à figurer sur les feuilles de paie ; en un mot, l'émulation a été anéantie. Aussi les terrassements opérés parles militaires ont coûté, dans les trois premières semaines, 120 p. 0/0 plus cher que s'ils eussent été livrés à des ouvriers civils, et 60 p. 0/0 dans les trois dernières. Après six semaines de travail , les besoins du service ont obligé l'autorité à déplacer les soldats ; Texpérience a été ainsi brusque- ment interrompue. L'administration militaire avait exigé que les soldats ne fussent pas mêlés aux ouvriers civils. En cela elle avait eu raison. En i855, le prix de la journée des soldais employés par la compagnie de Saint-Germain était de 1 fr. 25 c, soit 7 fr. 5o c. par semaine. On leur retenait 1 fr. 65 c, pour le service mili- taire dont ils étaient dispensés, il leur restait donc 5 fr. 85 c, sur quoi Ion retenait encore 5 fr. au profit de la masse, comme si l'application de l'armée au travaux publics n'avait eu pour but que d'arrondir la masse des régiments qui l'avaient incomplète. L'arrangement de i856 était meilleur. Le prix de la journée fut alors porté à 1 fr. 00 c, soit 7 fr. 80 c. par semaine; la masse continuait à absorber 3 fr ,, mais il n'était rien retenu pour le ser- vice. Il était affecté 4o c. par jour à l'ordinaire , et le dimanche le soldat touchait 2 fr; /\o c. La compagnie payait les 4o c. de l'ordinaire lors même que le mauvais temps empêchait les sol- dats de travailler. En raison de cette dépense , à cause de l'in- demnité comptée aux officiers, sous-officiers et tambours, et de quelques effets d'équipement fournis par la compagnie, le salaire journalier d'un soldat travailleur revenait à 1 fr. 55 c. ou 1 fr. 60 c. Un terrassier gagnait alois de 2 fr. 25 c. à 2 fr. 75 c. S'il est permis de tirer une conclusion de ces expéiieuces , c'est qu il sera très difficile, sinon impossible, d'appliquer l'ar- mée à des travaux exécutés par d'autres que par l'Étal. Pour que l'application de l'armée aux travaux publics fût utile, même dans les entreprises exécutées par l'État, il faudrait que les officiers fussent plus qu'aujourd'hui capables d'y coopérer , cl pour cela il faudrait que l'on modifiât l'enseignemcut de Sainl-Cyr, ce qui n'est nullement impraticable. A l'école de West-Point, les ofQciers de toutes armes apprennent l'art de l'ingénieur militaire et civil. L'on pourrait aussi organiser, pour cette fin , des régiments composés dliommes choisis, commandés par des officiers du génie ou de l'artillerie, dans lesquels Tétal- major serait moins nombreux que de coutume. Quinze ou vin'^t mille hommes ainsi organisés suffiraient pour exécuter d(s quantités d'ouvrage considérables. Un moyen sûr d'empêcher toute mésintelligence entre les in- génieurs et les officiers consisterait à remellre complètement au corps du génie militaire ou à celui de lartillerie l'exécution de quelque grande communic^ation. Les officiers de ces corps ont , comme je l'ai déjà dit , toutes les connaissances requises, et ils sont aujourd hui sans occupation digne d'eux. Comme toute grande innovation, l'application de l'armée aux travaux publics soulèvera beaucoup de difficultés et rencontrera beaucoup de résistance ; mais je suis persuadé que Ton s'expo- sera à de grands embarras el à de funestes lenteurs si l'on entre- prend la belle oeuvre de la navigabilité et de la viabilité du ter- ritoire , sans se créer d'abord cetle ressource ; avec des soldatg travailleurs, qu'il serait aisé de faire agir par masses, on pour- rait, dans un temps donné et sur un point donné, exécuter des quantités de travail hors de proportion avec celles qu'il est pos- sible d'obtenir des ouvriers ordinaires. Note 4o. (Page 162.) BIENS DES FEMMES ET DES MINEURS EN ANGLETERRE. En Angleterre , les fortunes des femmes et des mineurs sont sous la sauve-garde des Cours d'Equité, qui, lorsqu'elles ont quelque raison de douter de la probité ou de la prudence d'un mari ou d'un tuteur, s'emparent de l'administration de ces for- tunes, et ordonnent aux administrateurs de verser à leurs caisses toutes les sommes par eux touchées. n. .31 482 îfOTES. On assure que la somme de» valeurs qui sont ainsi administrées par l'intermédiaire des Cours d'Equité sV-Jève à un milliard, dont une très grande partie est placée dans les fonds publics. Ce système n'est pas seulement avantageux aux femmes et aux mineurs; il ajoute un nouvel élément de crédit public à tous ceux que possède déjà le pays. Note 4i. (Page 253.) DB l'appui donné ADX BANQUES PAR LE GOUVERNEMENT. On en a vu la preuve en i8oi-32, lorsque la Banque de France retira son concours au commerce. Si la Banque eût senti derrière elle le Trésor, elle eût été beaucoup moins timide; elle n'eût pas manqué au commerce, précisément au moment où le commerce avait le plus besoin d'elle. Quelques semaines après la révolution de juillet» MM. Péreire frères proposèrent la création d'une Compagnie d'assurances mu- tuelles pour l'acompte des effets à toutes échéances, et pour les i^ances d faire au commerce et à L'industrie sur de bonnes garanties quelconques. L'un des traits principaux de ce projet consistait en ce que le Gouvernement aurait figuré au nombre des souscrip- teurs pour 5o millions, avec cette clause , que, si les pertes excé- daient les bénéfices, le Gouvernement les supporterait seul jus- qu'à concurrence de 25 millions. Tout porte à croire que , moyennant une bonne administra- tion des ressources de la Compagnie , l'État aurait peu ou point perdu , et que beaucoup d'existences eussent cependant été sauvées. Note 42- (Page 2540 BANQUES DU NOEJ» JiU SUD ET DE l'oUEST, En i8ii, sur quatre-vingt-huit banques locales , les États de Maine, New-Hampshire, Massachusetts, Rhode-Island, Connec- ticut et Wew-York en comptaient cinquante-cinq , c'est-à-dire îfOTES. 483 les deux tiers, quoiqu'ils n'eussent que 2,700,000 habitants sur 7^000,000, c'est-à-dire un peu plus du tiers. Au i*""" jan- vier 1854, les États situés au nord du l'otouiac avaient quatre cent quatorze banques avec un capital de 565, 000, 000 fr. Les Etats du Sud et de l'Ouest ne comptaient que quaire-vingt-huit banques avec un capital de 3a4 millions , qui serait réduit de moitié si l'on supprimait les banques de quelques centres com- merciaux, tels que la Nouvelle-Orléans, Charleslon , Uichmond et Mobile. La population des Etats du Nord était alors d'envi- ron 6,5oo,ooo ; celles du Sud et de lOuest réunies s'élevaient à 7,5oo,ooo. Los forces respectives des banques étaient donc dans le rapport de 4 « 3 , taudis que celles des |iopulations étaient dans le rapport de 6 à 7. Les Etats de Massachusetts, Uhode- Island et Connecticut, ceux de toute lUnion , où le génie de la la mère-patiie s'est le mieux conservé , possédaient à eux seuls cent soixante-quatorze banques , c'est-à-dire le tiers du norabre t6lar(5oô) des banques locales, avec un capital de 220 mil- lions, c'est-à-dire égal au quart du capital total desdites banques (907 millions) , quoique leur population ne fut que du treizième de celle du pays. Cependant les développements de la culture du coton et le commerce qu'elle crée tendent à rétablir la balance en faveur du Sud et de l'Ouest. De très grandes banques ont été créées ré- cemment dans les métropoles du Sud , avec des comptoirs dans l'intérieur des Etats. Au 1" janvier i835, les banques des Etats au nord Ja Polomac avaient un capital total de 662 millions, tandis aue le capital de celles du Sud et de l'Ouest était de ^oo , c'est-à-dire que le Nord conservait son avantage. Au i^' juin i855 plusieurs grandes banques du Sud, et entre autres celle de la Nouvelle- Orléans {Citizens bank) , qui fait des avances à l'agricuilure , n'étaient pas encore organisées. 484 iVôTËs. ^Note 43. (Page 255.) CITIZEXS' BATsK EN LOUISIANE. Dans la Louisiane, les chaiies de plusieurs des banques leur font une loi de prêter une grande partie du capital à des habitants ou planteurs. La Citizens bank est ainsi astreinte à avancer la moilié de son capital aux propriétaires fonciers; elle leur pro- fite aus^i en ce qu'ils sont actionnaires sans avoir rien déboursé. La banque a enaprunté à des capitalistes européens Ma maison Hope d'Amsterdam) la totalité de son capital effectif , 6 millions de doll. (52 millions de fr. ) , à raison de 5 p. 0/0. Son capital nominal est du double. Elle a donné en retour une hypothèque d'une somme égale sur les biens des planteurs actionnaires; et, à celte hypothèque , l'Etat de la Louisiane a joint sa propre garantie. Chaque planteur actionnaire a droit à un crédit de moilié de sa souscription, au taux de 6 p. 0/0. L'autre moitié sert aux opérations de l'institution comme banque commerciale. Les planteurs actionnaires ont ensuite leur part des bénéfices. Ou voit que ce systèoie repose sur la facilité de la législation hypothécaire. Note 44. (Page 257.} DU RÉGLME HYPOTHÉCAIRE. Le système hypothécaire actuellement en vigueur en France repose sur deux principes fort sages, les plus avancés assurément en cette matière : le principe de la publicité et le principe de la purge. Ces deux principes sont écrits dans la législation fran- çaise depuis l'édit de 1771. Il y a de grandes nations en Europe, à commencer par l'Angleterre, qui n'en ont pas encore le béné- fice. Le principe de la publicité hypothécaire a j our objet de fournir à tout acquéreur de biens-fonds , ou à tout prêteur sur livpothèques , le moyen de connaître les charges hypothécaires NOTES. 485 qui pèsciil sur le bleu qu'il achèlo ou ([ui lui est offert en gage. Le bul d(! la purge est de penucltre à uu propriétaire de rendre, lor^quil en a le désir et les moyens , sa propriété nette de toute créance hypothécaire. Malheureusement, lorsqu'il s'est agi de régler l'application de ces principes salutaires , il s'est rencontré de graves difficultés^ notamment en ce qui concerne les intérêts des mineurs et des femmes. A travers les complications de nos formes judiciaires, dans les remaniements opérés à des moments de crise, d'autres exceptions et resti'icticns lâcheuses se sont introduites dans les articles de lois ou dans la jurisprudence. Et ainsi , en partant de principes excellents, on est arrivé à une pratique qu'on peut sans exagération qualifier de détestable. Énumérons, en effet, les principaux inconvénients de notre système d'hypothéqués. 1" L'absence de sécurité pour l'acquéreur ou le préleur. — Elle résulte^ soit de la possibilité d'un stellionat , d'une fraude ou dune erreur, soit des divers privilèges reconnus parla loi, sans qu'aucun moyen soit offert à l'acquéreur ou au prèleur de démê- ler l'erreur ou la fraude - ou de découvrir les privilèges qui exis- tent au moment de la vente ou du prêt. Ces privilèges sont de diverses sortes : le Trésor jouît d'un privilège sur les biens des condamnés, et ce privilège a un effet rétroactif; il y a des privilèges de vendeur antérieur qui peuvent subsister sans que rieu en constate l'existence. Il y a des privilè- ges , temporaires il est vrai , entre cohéritiers ; il y en a pour ce que les jurisconsultes appellent la séparation de patrimoines ; il y en a au profit des architectes , de certains fournisseurs , de» gens de service. Le mal n'est pas précisément que ces privilèges existent, quoiqu'ils ne soient pas tous également soutenables ; le mal est qu'il n'y ait pas de moyen légal, positif, de les recon- naître et de les évaluer à un moment donné. «Sous ce rapport, » dit M. Sévin du Mans, auteur d'un écrit inléressani sur la ma- » lière , les vices de notre système hypothécaire sont tels que, » rigourousemeut parlant, il ny a pas ut; piopriélain- qui soit » certain de ne pas être évincé de l'immeuble (juii j-o^scdu; pas 486 ^^oTEs. 5) un prêteur èur hypothèques qui ait la certitude de ne pas » perdre sa créance. » On conçoit ronibien , par réaction , un tel état de choses est funeste au vendeur ou à l'emprunteur (*). 2° Les hypothèques légales , c'est-à-dire secrètes. — Ce sont des hypothèques subsistant sans inscriptions , indéfinies , éta- blies au profit du mineur sur tous les biens du tuteur, et au pro- fil de la femme sur les biens du mari. Certes, les droits du mi- neur et ceux de la femme sont sacrés ; mais il y a lieu à recher- cher s'il ne serait pas possible de les garantir sans retirer de la circulation , sans frapper de stérilité , sous le rapport du crédit , les biens du mari et ceux du tuteur. Il serait bon d'examiner pareillement si un excès de précaution en faveur des femmes ou des mineurs ne leur est pas préjudiciable. « Le Code actuel , dit » M. Sévin , a poussé si loin la soUicitude'pour les mineurs, que » la tutelle est devenue une charge effrayante. Aussi, lorsqu'elle » n'est pas forcée, n'est-elle acceptée que par ceux qui n'ont pas (*) M. Decourdemanche cite plusieurs exemples d'acquéreurs ou de prêteurs dont les intérêts ont élé compromis par les vices du régime hypothécaire actuel. En voici un qui csl curieux : « M. le comte de S. -A. possédait une maison au Mans. Il donna au vicomte de S. -A. pouvoir de vendre cette maison. Celui-ci substitue sa femme à ses pouvoirs. w Le 24 septembre 1818, l.i vicomtesse de S. -A., se trouvant à Paris, vend la maison du comte de S. -A. à un sieur Goguet. » De son côté, par acte devant notaire du Mans, du 7 octobre sui- vant, le vicomle de S.A., en vertu des mêmes pouvoirs, vend cette même maison à Jean Durand. )) Le sieur Goguet en avait déjà pris possession ; il s'absente et revient le 14 octobre. » Dans cet intervalle, Durand s'était installé dans la même maison, dont il se croyait propriétaire; mais précisément le même jour, i4 oc- tobre, des affaires l'avaient appelé en ville. Le soir il trouve la porte fermée, et ne peut rentrer chez lui qu'en escaladant le mur de derrière. Le i5, Goguet , à son tour, voit Durand lui refuser l'entrée. » Ils se pourvoient tous deux devant les tribunaux. » Chacun d'eux ignorait qu'il existât une vente autre que la sienne. w Goguet, dont le titre était le premier en date, fut maintenu en pos- session à l'exclusion de Durand. » (Arrêt de la Cour d'Angers du 11 novembre i8i8. — Journal du Palais, tome lvi, page 47 5. j IVOTES. 487 » d'îmmeuhles que puisse atteindre celle hypothèque tacite et » indéterminée. Les biens d'un tuteur deviennent en effet tout » aussi inaliénables que ceux d'un majorai ; il se trouve frappé » d'une incapacité aussi complète que sou pupille ; vous avez » deux incapables au lieu d'un. » 3» Les formalités longues et ruineuses imposées au prêteur pour arriver au recouvrement de sa créance, c'est-à-dire la pro- cédure d'expropriation, et celle d'ordre qui concerne la réparti- tion, entre les créanciers, du produit de la vente.— Ces procédu- res peuvent durer deux ans , quatre ans , six ans, Les frais qu'elles entraînent peuvent s'élever à un chiffre effrayant. Les causes de nullité , qui peuvent obliger à recommencer, y sont multipliées. Le prêteur, qui avail compté sur l'intérêt de ses fonds , en est privé pendant un fori long délai , et durant ce même temps , il a en outre de fréquents déboursés à sa charge. Quant à l'emprunteur, il est rare que les frais de justice n'absor- bent pas le reste de sa propriété. Singulier résultat d'un système dicté pourtant par le désir de favoriser les propriétaires fonciers ! Le remède à ces divers inconvénients consisterait : 1° Dans des règlements qui rendraient obligatoire la consta- tation de tous les changements survenus dans la propriété , par suite de ventes, décès, jugements; qui définiraient les privi- lèges , et les rendraient apparents , de sorte que tout nouvel ac- quéreur, ou tout prêteur, pût vérifier l'état de la propriété qu'il achète ou qui lui est donnée en gage. Il suffirait, pour cela , de rendre obligatoire, sous peine de nullité, le dépôt de certains actes aux bureaux d'hypothèques. Dans l'état actuel des choses, tout acquéreur peut obliger à se faire connaître, dans un délai de deux mois, sous peine de déchéance, tout possesseur d'hypo- thèques non inscrites, pourvu que ce soient des hypothèques légales, c'est-à-dire conservatoires des droits des femmes et des mineurs. Or^ si la purge a puissance contre les femmes et mineurs, qui sont de tous les créanciers ceux que la loi a surfout en vue de protéger, pourquoi lui refuser puissance contre les droits non connus d'un venueur précédent ou d'un créancier quelconque ? Et pourquoi la formalité de la purge ne serait-ello 4SS NOTES. accessible qu'à un nouvel acquéreur ? pourquoi serait-elle inter- dite à un ancien propriétaire ? 2" Dans l'a Jopliou de moyens qui détcrmiaeraient les hypo- thèques légales, ou plutôt qui garanliraient les droits des feninies et des mineurs, sans enlraver la propriélé, et sans la soustraire aux transactions. A cet égard, ou pourrait introduire un régime analogue à celui qui subsiste en Angleterre, en donnant aux tri- bunaux le droit de contraindre, en cas de soupçon, les maris elles tuteurs à placer dans les rentes 5 p. o/o, ou à la Caisse des Dépôts et Consignations, la valeur des propriétés appartenant aux femmes et aux mineurs (*). 3° Dans la simplification et l'abréviation des procédés d'expro- priation et d'ordre. Le régime hypothécaire des États-Unis varie avec les Etats. Dans la Peusylvanie et dans l'État de New-York , il est simple ; mais il suppose l'enregistrement de pièces qui , chez nous, paie- raient des droits énormes, et qui, en Amérique , ne supportent qu'une taxe d'un à deux doll. (5 fr. 53 c. à lo fr. 67 c). On a proposé avec beaucoup de raison, ce me semble, d'ap peler la géométrie au secours de l'écriture , et de constater par deô plans tous les changements que subit la propriété. La conser- vation des plans du cadastre; qui est dailleurs nécess;iire par d'autres motifs , et à laquelle cependant on a négligé de ()ourvoir jusqu'à présent , permettrait de réaliser cette idée à peu de frais. Les travaux de M. Decourdemanche sur cette question sont d'un grand intérêt. Ses idées ont été mises en pratique dans la com- mune de Chesnay (Seine-et-Oise) , pour un délai de quinze ans , pendant lequel la terre y a éprouvé des mutations et des trans- figurations multipliées , et l'épreuve paraît avoir été concluante. L'état de Ja législation actuelle des hypothèques gêne toutes les transactions dont la terre est l'objet^: dans certains cas , elle les rend impossibles. Ou sait à quel degré la^^division du sol a été poussée en France depuis cinquante ans. Dans quelques locali- lés, et notamment dans les enviions de Paris, on eu est venu à ce (*) Voir plui haut , Note io , pag» 48i. NOTES. 489 point, non seulement que la culture à la charrue est abandonnée, et qu'il faut, comme il y a 5,ooo aus, culliver à bras , mais aussi que la propriété ne peut plus supporter les moindres opéra- lions légales. Il y a bon nombre de propriétés qui ne valent pas la peine dépasser un acte, et dont, par conséquent, la pro- priété a cessé de se constater légalement. Jl y a des parcelles imposées à moins de 5 cent. Il y en a qui le sont à moins encore. Il y en a dont le revenu est moindre que le coût d'un avertisse- mentdu percepteur desconlribulions. Une parcelle, taxéeà 5cent, , vaut i5 à 20 fr. Or, dans l'état actuel des choses, pour opérer la purge, même incomplète, qui peut s'effectuer aujourd'hui, les frais s'élèvent à 80 fr. environ. De sorte que pour s'assurer, même imparfaitement, la propriété d'une de ces parcelles, il faut encourir une dépense quadruple de ce qu'elle vaut. Ceci ex- plique pourquoi il se reconstitue si peu , je ne dis pas de grandes, mais de moyennes propriétés, d'une dimension suffisante pour que l'on y applique les bonnes méthodes agricoles (*). Quant à l'influence économique directe d'une bonne législa- tion hypothécaire, il est facile de la calculer. Il résulte des ren- seignements officiels fournis, il y a deux ans , par le directeur- général de l'enregistrement , que la somme des hypothèques dont est grevée la propriété foncière s'élève à 11 milliards 233 millions , non compris les hypothèques légales. D'un autre côté, il fut consîalé, pendant l'enquête ouverte lors de la création de la Caisse Hypothécaire, que le taux de lintérêt réel des prêts sur hypothèques variait de 5 à 12, et même à i5 p. 0/0. Le taux moyen ne paraît pas devoir être actuellement au-dessous (*) D'après 'un travail tout récent de M. Léon Faucher {Revue des Deux - Mondes) , sur TéUit de la propriété en France, il y a dans la commune d'Argenleuil, près Paris, desparcelKs de la contenance d'un demi-are, d'un quart d'are (2"',5o sur 10 mètres), c'est-à-dire delà grandeur d'une chambre, et dont le revenu est de 9 c, 6 c., 5 c., ce qui suppose un impôt d'un centime. On voit souvent sur les afûches de vente, autour de Paris et dans les dëparlements, des parcelles dont la mise à prix est de 6 fr., 8 fr., 10 fr. £t les frais indispensables pour que l'acquisition t)oit régulière sont de 110 Ir. eiiviion , y compris 80 fi'. de purge. 490 :notes. de 8 p. o/o. A ce compte, la propriélé foncière paierait une masse annuelle dintérêls égale à 900 millions. Toute mesure qui amélio- rerait la législation hypolliécaire ferait disparaître une portion de cette énorme charge. Une réduction de i p. 0/0 sur le taux de l'intérêt produirait un dégrèYcment de ii 1 millions. C'est beaucoup plus , à coup sûr, que tout ce que la propriti} foncière peut attendre d'un remaniement du budget. Note 45. (Page 257.) NOUVEAUX BILLETS DE BANQUE. La Banque de Lyon, tout récemment créée , doit faire cir- culer ses billets non seulement à Lyon, mais dans tout le Midi. A cet effet elle émet , indépendamment des billets de banque ordinaires , qui sont au porteur et à vue, des billets à ordre et à échéance déterminée , que les négociants lyonnais donneront en paiement à leurs correspondants , en les endossant eux- mêmes. Moyennant cet endossement , les billets de banque à ordre seront pris comme argent comptant, et ainsi on s'accou- tumera dans le pays à avoir confiance dans les litres de la ban- que. IN'élant pas au porteur, ces billets ne sont pas susceptibles d'être volés comme les billets de banque ordinaires. C'est limi- tation des post-b'dts de la Banque d'Angleterre. On a proposé aussi d'émettre une troisième espèce de billets qui porteraient intérêt et qui seraient payables à vue ou à échéance. Ils offriraient aux particuliers qui gardent chez eux de la monnaie métallique et aux classes laborieuses, qui souvent conservent enfoui , en argent ou en or , le produit de leurs épargnes , un moyen commode de placer fructueusement leurs économies. Par là , les banques étendraient leurs opérations comme banques de dépôt. Le pays en retix'crait un grand avan- tage , puisque tout le capital métallique aujourd'hui disséminé et dormant dans les coffres-forts et les tirelires , qui est complè- tement improductif pour la société et pour ceux qui le possèdenc, se trouverait alors concentré chez les banques, entre les mains desquelles il fructifierait. Ï^OTES. 491 Dans le projet de banque proposé par MM. Pcreire , en sep- tembre i83o , il devait être émis des bons au porteur produisant intérêt à raison d'un centime par jour pour loo fr. , ou 3 fr. 65 c. pour 100 fr. par an. Cette banque ne devait même pai avoir d'autre papier-monnaie. Note 46. (Page 261.) La session de i836 a produit enfin une bonne loi sur les che- mins vicinaux ; il leur est alloué , en argent ou en travail , une somme qui sera de 5o millions et peut-être davantage. Note 47. (Page 263.) Les Gonseils-généraus des départements se sont enfin animés du plus beau zèle pour les travaux publics et surtout pour leurs routes départementales. Tel département, comme celui d'Indre- et-Loire, a emprunté, à cet effet, une somme de 2,5oo,ooo fr. D'autres départements ont fait des emprunts d'un million, de l,5oo,ooo fr. , etc. La Charente , le Cher, etc., sont au nombre des départements qui se sont le plus distingués. La ville de Dieppe a aussi donné un exemple qui mérite d'être signalé. Elle a offert de contribuer à l'établissement d'un chemin de fer de Paris à la mer, avec embranchement sur Dieppe , par une somme annuelle de 120,000 fr. , suffisante pour couvrir l'intérêt à 3 p. 0/0 d'un emprunt de 45000,000 fr. Note 48. (Page 280.) ÉTAT CIVIL DES GE.AS DE COULEUR. Dans le Massachusetts et dans la plupart des Etats de la Nouvelle-Angleterre , le noir et l'homme de couleur sont réputés citoyens, et, comme tels, possèdent théoriquement le droit électoral. En ce moment ils n'exercent point ce droit , soit qu'on les en empêche , soit qu'on omette à dessein de les porter sur ^^2 TVOTES. la lisle de la taxe jsersounelle (poUtax) qui, dans quelques Etats, forme le tableau électoral. La Constitution actuelle du Connec- ticut (1818) les exclut de Télectorat. La Constitution de l'Etal de New-York, qui date de 1821, ne range les hommes de couleur parmi les électeurs qu'aulcint quils possèdent une propriété fon- cière valant 25o dolL, et qu'ils paient une taxe en conséquence. La Constitution de Pensjlvanie fait électeurs indistinctement tous les hommes libres inscrits au registre des contributions de l'Etat ou d'un comté. Ceux des Etats de l'Ouest qui n'ont j-as reconnu l'esclavage, n'admelleut corauie électeurs que les blancs; on conçoit qu'il en est de même dans les Etats du Sud ; la Caro- line du Nord faisait ccpemiant exception à cette règle ; la Con- vention , qui vient de lui refaire sa Constitution , a retiré la qua- lité électorale aux noirs et aux gens de couleur libres. En revan- che , elle l'a accordée aux juifs qui , antérieurement, étaient privés du droit de cité , et qui le sont encore dans plusieurs autres Etals. Note 49. (Page -299.) DE LA VRAIE IVOTION DE LA LIBERTE. De quelque point de vue que l'on envisage l'espèce humaine , on y retrouve deux nalures distinctes. Du point de vue de la li- berté, on y reconnaîtra deux types à pliysionomiesbien tranchées; l'un est actif, l'autre est passif; en présence de la violence, le premier mouvement de l'un est de résister vigoureusement ; ce- lui de l'autre , de se résigner et d'attendre. Ils ont besoin , l'un d'être réprimé et contenu; l'autre, d'être protégé, encouragé, excité. Laissés à eux seuls , en face l'un de l'autre , le premier , doué d'une grande énergie extérieure, opprimera inévitable- ment le second. Pour qu'il n'y ait pas tyrannie, il faut que l'ordre social re- connaisse un pouvoir qui s'interpose entre ces deux types, et, les traitant chacun selon son tempérament^ emploie avec l'un la bride , avec l'intre l'éperon. Les philosophes et les publicisles qui depuis cinquante ans ont écrit sur la ilberlé ou rédigé des conslilutious, ont i)resque toujours perdu de vue celle disliuclion des deux types. Us ont supposé que le type humaiu était uu ; que tous les hommes étaient également peu portés à prendre leurs coudées franches au détri- ment de leurs voisius, et également aptes à refouler, sans aucun secours exlérieur, les empiélements d'autrui ; qu'ils étaient en un mot, propres au self-government. Ils ont ainsi trop souvent conclu à la suppression de tout pouvoir modérateur et à l'anni- hilation de l'autorité dircclrice. En cela ils se sont trompés. L'existence d'une autorité qui in- tervienne entre les deux types est indispensable, en thèse Gé- nérale, à la jouissance de la liberté. Sans elle, il y aurait licence pour les uns, sacrifice pour les autres , libellé pour personne. Tous les peuples ne participent point également de ces deux natures. Il me semble , par exemple , que chez les Américains il y a une plus forte proportion du type actif que partout ailleurs; ce qui, joint au sentiment du respect à la loi, leur a permis de vivre jusqu'ici an self-government. Chez les peuples de l'Europe méridionale , il y a une j.lus forte proportion de type passif, et aussi une plus grande inégalité de facultés et d'organisation ; cir- constance qui y rend iudispensable lintervenlion dun pouvoir fort destiné à représenter et à soutenir les faibles. Note 5o. (Page3o3.) DE DIVERSES lASTITUTIOiVS UTILES. Parmi les institutions déjà existantes en France , et qui sont susceptibles delre étendues et multipliées, on doit si<^naler : 1° Les conseils de Prud'hommes; il n'en existe en France que quarante (*}. On les a réservés jusqu'à présent pour les centres n Voici la liste, par ordre de date des ordonnances de création des villes où il en existe : ' Lyon, Rouen, ]Nimes, Troyes, Mulhausen, Lille. Bar-Ie-Duc S^iint-Élienne, Marseille, Orléans, Mamers, Tours, Thiers Bolbec* ïlbeuf , Abbeviile, Thann, Xurcoing, Çaen, tJholiet, Louviers', Castres' 494 wôTÊs. manufacturiers et pour des fabrications spéciales; il n'y aurait aucun inconvénient à en créer dans loules les villes où il y a un mouvement industriel de quelque importance, et une popu- lation ouvrière passablement nombreuse, même lorsqu 'il n'y aurait pas de manufactures , comme c'est le cas dans les ports. 2° Les sociétés de secours mutuels. 5° Les caisses d'épargne et les sociétés industrielles, dont il sera question plus loin (notes 52 et 53). 4° Les assurances sur la vie, qui se prêtent à une multitude de combinaisons de prévoyance personnelle ou de famillr. On les emploie beaucoup en Angleterre et très peu en France. Le gou- vernement a les moyens d'en faire apprécier les avantages aux classes ouvrières et à d'autres classes qui feraient sagement aussi d'y avoir recours. Il peut même en organistT pour son compte. 5° Les caisses de prêts. A Lyon, il y a une caisse de prêts dotée d'environ ]5o,ooofr. qui a été fondée depuis i83i. Dans les mo- ments de détresse , elle fait des avances aux chefs d'ateliers sur leurs outils, en leur en laissant l'usage; autrefois, ils les met- taient en gage chez des usuriers. Le taux de l'intérêt perçu par la caisse de prêts de Lyon est de 5 à 6 p. o;o. Les monts-de-piété prennent de 9 à 12 p. 0/0. M. Emile Bères (*) cite cependant les monts de piété de Metz et d'Avignon comme prêtant à raison de 5 ou 6. 6° Les salles d'asile pour l'enfance. 7° Les cours scientifiques à l'usage des adultes et même des jeu- nes garçons , faits bénévolement par des associations ou de sim- ples particuliers. Les efforts de M. Charles Dupin en avaient lait établir un grand nombre; il n'en reste plus que quelques uns au- jourd'hui. Les encouragements de l'autorité leur ont manqué. A Metz, ces enseignements ont produit des résultats fort remar- quables, grâce au concours éclairé de l'autorité municipale et au Vienne, Calais, Réthtl, Limoges, Douai, Armentières, Sainte-Marie- aux-Mines, Châlons-sur-Marne, Laval, Orange, Metz, Nancy, les trois cantons de léroane, Roisel et Comble (Somme), Condé-sur-Noireau, Bapaurae, \illerranche, Aubusson, Valenciennes. (•) Us Classes oitvricres, x836, page -^6, NOTES, 495 zèle de quelques officiers du génie et de l'arlillerie, parmi les- quels M. Bergojjct Poncelet s'élaierit dislingués. Depuis quelque temps, ces cours ont attiré rallenliou du gouvernement. Ceux qui sont clliigés à Paris par les frères ignoranlins et par Tasso- ciation polytechnique raérilont d'être remarqués. La ville de Lyon possède uu établissement de ce genre dont l'organisation est très bonne , et qui surpasse tout ce qui existe d'analogue dans toutes les autres villes de France , Paris com- pris. C'est l'école de la Martiuière, fondée par un legs du major Martin. Elle ne peut manquer de fournir Lyon de contre-maîtres capables. On rendrait un grand service à l'industrie nationale en instituant des écoles analogues dans nos principales villes manufacturières. Ce serait protéger efficacement les fabriques françaises qui manquent d'une population ouvrière habile et exercée, et ce serait les proléger comparativement à très peu de frais. Pourdonnerune idée de l'utilité des Conseils de Prud'hommes, je ne puis mieux faire que de reproduire textuellement une noie que je dois à M. Arlès-Dufour , de Lyon , l'un des hommes qui honorent le plus le commerce français par leur patriotisme et leurs lumières. Noie sur le Conseil des Prud'hommes de Lyon, Le Cons; "l des Prud'hommes de Lyon se compose ainsi ; c, ,. 1 , o • • (5 fabricants de soieries (négociants;. Section de la Soierie. . . . | , . . (4 chefs d'atelier. _ . , , _ il tireurs d'or. Section de la Dorure. . . . ] ^ r ^■, (^2 chels d atelier. . C 2 fabricants. Section de la Bonneterie. , ^ ,, ,. (^2 cheis a atelier. ^ . , , ^, 1, . ( 1 fabricant de chapeaux. Section de la Chapellerie. < . , , ( 1 marchand détaillant (*). Ces dix-neuf membres sont titulaires. (*) Il n'y a point, dans cet article, d'ouvriers ayant atelier; tous travaillent chez les fabricants > à façon ou à la journée. 496 NOTES. Il y a, en outre, douze Prud'liommes suppléanU, cîonl huit dans la première secliou et quatre dans les trois autres. Le nom- bre total des prud'hommes est donc de trente-et-uu. La loi veut que le président du Conseil soit choisi parmi les négociants de la i''* section. C'est là le seul avantage qu'aieat les fabricants. Les Prud'hommes chefs (Tateliers reçoivent de l'adminis- tration municipale 700 fr. par an pour indemnité du temps perdu qui est très considérable , et vaut bien au moins cette somme. Les séances du tribunal sont divisées en grand Conseil et petit Conseil. Les pre mières ont lieu le jeudi seulement, les autres le jeudi et le samedi. Deux membres négociants et deux membres chefs d'ateliers composent le petit Conseil. Le but du petit Conseil est de concilier, d'éviter les jugements par le grand Conseil. C'est un rouage admirable, et qui produit le plus grand bien. En cas de partage entre les juges , ou de re- fus de l'une des parties d'adhérer à la conciliation , l'affaire est renvoyée au grand Conseil. Aucune cause, sans exception, n'arrive au grand Conseil, qu'après que les moyens de conciliation du petit Conseil ont été épuisés. Les séances des deux Conseils sont publiques , et se tiennent dans l'une des plus belles salles de l'Hôtel de-Ville. La loi dit que les chefs d'ateliers patentés concourront seuls à l'élection , concurremment avec les fabricants patentés. Or, à Lyon, nos chefs d'ateliers ne Font point patentés, car ils sont réellement des ouvriers travaillant à façon pour des fabricants et non pour leur propre compte. Aussi , depuis les évéuements de novembre l83i, une ordonnance très sage a fait une excep- tion pour les chefs d'ateliers de Lyon , et maintenant , tout ou- vrier ayant un atelier de quatre métiers est électeur et éligible. Les chefs d'ateliers électeurs élisent leurs Prud'hommes dans une assemblée présidée par un délégué du préfet. De leur côté, et sénaiémcnt , le.- faluicanls élise"! les leurs. NOTES. 497 ' Il y a 1,1 19 ouvriers ou chefs d'iileliers , ayant quatre méliers au moins , inscrits comme élecleurs el cligiMes. Il y a 558 fabricants de soieries éitcleuis des Prudhouimes fabricants. Le Conseil des Prud'hommes concilie, autant que i)ossil)le, les fabricants avec leurs chefs d'aleliers ou ouvriers , mais snrlout les chefs d'atelier avec leurs Compagnons et h.urs ajipreu'is. Les causes de celte seconde catégorie sont dix fois plus nombreuses que celles entre les fabricants el les ouvriers ou chefs daleliers. On s'accorde unanimement à rendre liommage à l'équilé du Conseil. Gomme il n'a point de code^, de letlre morte, conune il est loi vivante, sa balance, en cas de doute, penche toujours en faveur du plus malheureux. Aucun avocat, avoué, ou homme de chicane, n'est adniis à parler devant le Conseil. Les parties doivent s'expliquer elles-mêmes , à moins d'empê- chement physique ; et dans ce cas , elles se font représenler par leur plus proche parent. Celte absence des avocats et gens de loi fait que le Con- seil est vraiment un tribunal de famille. Aussi, en i855 , sur 3,885 causes présentées , 3,714 ont été relirées par suile de oon- cilialion; 172 seulement ont suivi le cours complet de la ju- ridiction des Prudhomraes, et ont été terminées par 172 juge- ments, lesquels n'ont pas entraîné ensemble plus de 700 fr. de frais. Quel temps et quel argent 3,885 affaires n'auraient-elles pas coûté devant un tribunal ordinaire, avec juges, avocats, avoués , etc. ! A Saint-Étionne, en iS55 , le Conseil de? Prud'hommes a terminé par conciliation 2,022 affaires, et en ay/zg-c; seulement 17. Après 1800 et iS5i, le Conseil , comme tout ce qui existait eu France, subit l'influence révolulionnaire. Quelques Prud hom- mes chefs d'ateliers , beaux parleurs , avocals par vocation , per- suadèrent aux ouvriers que la justice ne leur serait bien et équi- lablement rendue que lorsque le Conseil des prud'hommes ju- gerait d'après un Code écrit , et que chacun serait libre de fairq II. 32 498 NOTES. plaider sa cause par qui il voudrait. C'est ce que ces brouillons ou , si l'on veut , ces ignorants , appelaient la libre défense. Us avaient fini par fanatiser les ouvriers pour la libre défense. Heu- reusement pour les ouvriers , Tadministralion resta sourde à ces demandes irréfléchies. Ainsi que je l'ai dit , les neuf dixièmes des causes regardent les ouvriers et leurs apprentis-, il y en a tout au plus un dixième ui soient des contestations entre les fabricants et les ouvriers. Ces chiffres disent assez combien il y aurait eu de temps et d'ar- sent perdu pour les malheureux ouvriers , si on leur eût accordé ce qu'ils demandaient. La moitié des causes conciliées ne l'eussent certainement plus été. Depuis les événements d'Avril , le Conseil des Prud'hommes siège paisiblement , et procède sans passion et avec le zèle le plus louable, aux devoirs difficiles et fastidieux qui lui sont im- posés. M. Piiboud , le président, et tous les membres, fabricants et chefs d'ateliers , ont droit à la reconnaissance publique. Certainement, les tribunaux de Prud'hommes et ceux des iuges-de-paix , surtout si leur juridiction était plus étendue, feraient bénir la justice , que les grands tribunaux font souvent maudire ou à peu près. Quand tout le monde travaillera , les tribunaux de Prud'hommes devront acquérir de grands déve- loppements. Il y a dans cette institution et dans celle du compa- gnonage de beaux germes d'avenir. Note 5i. (Page 3o3.) DE QUELQUES LOIS A RETOUCHER. Entre autres points de notre législation relatifs aux classes ou- vrières, qui peuvent être retouchés, je citerai la législation sur les privilèges des ouvriers pour le paiement de leurs salaires. L'article 2101 du Code civil ne cite pas le» ouvriers parmi les créanciers privilégies. Pour les admettre au privilège , il faut les assimiler aux gens de service ou domestiques ; la plupart des Cours royales ont rendu des arrêta coalraires à cette assimi- NOTES. 499 lalion.La Cour de Cassation s'est prononcée (arrêt du lo février 1829) contre le privilège des ouvriers. Il y aurait lieu à établir positivement ce privilège. La loi des coalitions est souvent extrêmement dure. On en a vu un exemple dans un arrêt assez récent du Tribunal correc- tionnel de Valenciennes contre des ouvriers des mines d'Anzin. Le Tribunal exprima lui-même son regret de les punir. La coali- tion passive devrait , dans la plupart des cas, être très peu ou point punie. Notre législation sur l'apprentissage est défectueuse et incom- plète. M. C.-G. Simon, de Nantes, duns. ses Observations recueil- lies en Angleterre (*) , a émis des idées pleines de justesse sur cet objet important. Il ny a pas de bons ouvriers sans bon appren- tissage. Les Anglais l'ont senti et ont agi en conséquence. Note 62. (Page 3o3.) DES CAISSES D'EPARGiVE. La session de i834 ^ produit une fort bonne loi sur les Caisses d'épargne. L'un des principaux traits de cette loi consiste en ce que toutes les caisses sont centralisées par Tintermédiaire du Tré- sor public, de sorte qu'un ouvrier peut transporter ses écono- mies avec lui d'une ville à l'autre. Avant i854, il n'y avait en France que 26 Caisses d'épargne. Il y en avait, au i'^'' juil- let 1806 , ao/j. Cinq départements seulement en sont dépourvus. Au 3o juin i836, les sommes versées par les Caisses d'épargne au Trésor public s'élevaient : Pour les caisses des ilépartemenls, à 57,965,445 ir. 85 c. Pour la caisse de Paris j à 45,653, 182 25 15,598,628 08 Il y a dix sept caisses qui ne sont pas eu compte courant avec le Trésor. nTome II, pageSi. 500 IVOTES. Du i**" janvier au i'"'^ juillet 1806. Taclif des caisses d'é- pargue, en compte courant evec le Trésor, s'est accru de 21 millions. Ces utiles institu lions sont susceptibles de quelques perfeclion- nements : 1° On pourrait les lier avec des caisses de prêts semblables à celle qui existe à Lyon (*). 2° Il serait convenable, à Paris surtout, de inxiltiplier les jours de dépôts. Actuellement, on n'y reçoit les versements que les dimanches et lundis. o°ll y a lieu à prendre quelques mesures au sujet des rembour- sements. Il n'est pas prudent de laisser le Trésor passible d'une re- prise instantanée de 80 eu 100 millions. Quelques personnes pefâsent que les remboursements devraient être effectués en bons du Trésor au porteur ou à ordre, de 100 francs, par exem- ple , à un an déchéance. On donnerait les bons aux déposants pour 97 fr. Ce serait accoutumer les classes laborieuses au papier- monnaie. Puisqu'à Berlin le peuple manie des billets d'un thaler (5 fr. 71 c), et à Vienne des billets moindres encore, des billets de 100 fr. seraient bien vite acclimatés à Paris. 4° Les caisses d'épargne pourraient être autorisées à vendre aux déposants, sans commissions, soit des titres de rente au porteur , dont , eu i8o4, M. Humann , ministre des finances , a créé, précisément en vue des clasf^es laborieuses, des coupons de 10 fr., soit d'autres valeurs ou actions. Par ce moyen, l'on remédierait à Tinconvénient qui résulte du maximum fixé pour les dépôts , et à celui plus grave de certaines entreprises en com- mandite par petites actions, au moyen desquelles des spécu- lateurs sans moralité pompent les économies des pauvres gens de Paris. Il imporierait aussi de garantir la classe des ouvriers et celle des domestiques des pièges que leur tendent certains gouverne- ments étrangers par rintermédiaire de grands agioteurs. De- puis 1820, les gouvernements dila[)idalcurs ou incapables qui se (•) Voir plus haut Noie 5o, IVOTES. 5QI sont succédé en Espagne, ont remplacé les min. s du Mexique par les épargnes des artisans de Paris, qu'ils ont attirées par l'offre mensongère d'intérêts de 1 2 ou i5 pour 0/0. Ce trafic scandaleux, qui conduisait nécessairement à la banqueroute, doit non seulement être flétri par lopinion, mais interdit par l'autorité. Il suffirait pour cela de défondre la négociation des fonds, étrangers en coupons de moins de 1,000 ou 5oo fr. de rente. Par là on laisserait aux riches L faculté cl., disposer de leurs fonds à leur gré et de se ruiner s'il leur plaît, et on met- trait à l'abri de la séduction ces classes intéressâmes et nom- breuses qui sont mineures , et dont le gouvernement est le tuteur naturel etlégal. Il y a, dans les fonds espagnols créés depuis 1820, des coupons de 10 piastres (53 fr.) de rente. Note 53. (Page 3o3.) SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE DE NANTES. A Nantes , une société , comme toutes les grandes villes de- vraient en avoir une, a entrepris la tâche difficile de créer une population ouvrière à h fois intelligente et honnête : c'est la Scciéié Industrielle. Fondée, il y a six ans, sans autres ressources que les dons de ses membres et de modiques allocations du gou- vernement , du conseil-général du déparlement, et du conseil municipal de Nantes , à quoi iM. le duc d'Orléans, en sa qualité de président honoraire, a bien voulu ajouter une souscription annuelle, cette société a ouvert, à l'usage de la classe ouvrière, des cours d'écriture, de dessin, de géométrie, de langue fran- çaise, de calcul, de dessin linéaire. Elle tient en apprentissage, sous sa surveillance paternelle , une centaine d'enfants , stipulant avec leurs maîtres qu'ils devront suivre ses cours ; elle donne à ces enfants une gratification mensuelle. Elle a institué une caisse de secours mutuels qui , moyennant un versement de cinq sous par semaine, assure dè\k à huit cents ouvriers, en cas de mala- die, l'assistance (f,u médecin, et la subsistance de lenr fa- mille. Elle distribue des prix aux apprentis qui se disUnguQut 502 IVOTES. par leur bonne conduite el leur habileté. Elle a commencé une bibliothèque dont les livres sont gratuitement prêtés aux ap- prentis. Ses bienfaits envers la classe ouvrière ne sont pas de cette charité auniônière qui humilie; c'est de la haute philan- thropie qui élève et honore. Les ouvriers coopèrent à l'adminis- tration de la caisse de secours mutuels. Tout cela s'opère avec quelques milliers de francs; tant il est vrai que le patriotisme peut, comme la foi, réaliser des miracles , et que lui aui^si sait faire la multiplication des [)ains. il est difûcile de s'expliquer pourquoi une société si utile, si sage , si honorable, est encore à attendre du Conseil d'État l'or- donnance royale d'autoiisalion qu'elle réclame , quoiqu'elle ait déclaré accéder à toutes les modifications à ses statuts qui lui ot)t été proposées. Mulhouse possède depuis long-temps une Société Industrielle. Angers vient d'en créer une à l'instar de celle de Nantes. Note 54. (Page 3o3.) DE l'association. Nous disons souvent en France que l'esprit d'association nous manque , c't.'st une erreur ; nous manquons seulement de l'esprit d'a«8oriaiion à l'anglaise. Notre génie nntioiial étant différent de celui des Anglais , le système d'association qui leur convient peut très bien ne pas nous être applicable, sans que l'on soit en droit d'en conclure que nous ne sommes pas propres à l'associa- tion. On peut remarque'' d'abord qu^ le Français s'entend beau- coup mieux à consommer qu'à produire : c'est l'inverse pour l'Anglais. Nous nous associons beaucoup plus nîsément qu'eux pour le plaisir; ils s'associent plus facilement que nous pour le travail et les affaires. ]\l6me en matière d'industrie, d'adminis- tration etd'affaires, nous sommes très susceptibles d'être associés ; mais le caractère républicain qui distingue les associations an- glaises, fait et doit faire place chez nous au caractère hiérarchi- cjue. La forme régimentaire tempérée nous convient mieux que la forme parlementaire , pour tout ce qui est, je le répète, da NOTES. 503 domaine des afCaues el du i'iudustrie. ^ous devons réserver l'é- galité pour les salons, les lèles et les plaisirs, et nous borner , en f.nt de république, à celle des lellres. Le procédé de l'associalion hiérarchique est employé cheï nous avec ie plus grand succès^ et doit recevoir de nouvelles et nombreuses applications. Notre centralisation administrative en fournira le moyen. Notre armée est une grande association hié- rarchique et démocratique en même temps, car tout soldat y a son bâton de maréchal dans sa giberne. Les ouvriers de nos ports sont organisés d'après le principe de l'association hiérar- chique. Il est pourvu à leur éducation dans leur jeunesse, à leur avancement pendant leur vie active, et à leur retraite dans leurs vieux jours- C'est une justice à rendre au gouvernement français que la plupart des établissements qui dépendent de lui sont constitués sur ce principe de prévoyance et de justice pater- nelle. La Caisse des Invalides de la Marine, institution admirable créée par Louis XIV, et successivement améliorée depuis lui (*), est organisée dans une pensée d'association par voie de centra- lisation. C'est une association toute à l'avantage du faible et par- tant très populaire. Les officiers, administrateurs et maîtres, et environ 90,000 matelots et ouvriers des arsenaux, composant erisemble le corps de la marine, ont un intérêt commun dans cette caisse, contribuent à ses ressources, et sont associés par elle. C'est à la fois une caisse d épargne et de retraite; c'est aussi «ne caisse de famille, une caisse de secours, une tutrice légale, et inême , jusqu'à un certain point, une banque (**). L'association hiérarchique se présente comme devant offrir l'un des moyens les plus sûrs d'améliorer le sort des classes ou- vrières, sans relâcher les liens sociaux. Il est possible de conce- voir un grand nombre d'institutions et de pratiques par lesquel- (*) Le décret f^i i5 août 1810 avait réuni cette Caisse au Trésor. Les ordonnanc es des 22 et 29 n»ai 1816 rétablirent l'ancien état de choses. (**) \oir la Revue Encyclopédiquù, nuoiéro de janvier i833 , article de M. P. Cazeaux. 504 lYOTES. les cette idée prendrait corps. Mais un grand changement préa- lable à tous les autres, doit avoir lieu dans les sentiments. Le sentiment d'association doit exister au fond des cœurs avant que le principe d'association soit consacré par des institutions posi- tives ; et à cet égard il y a beaucoup à faire, car, dans nos so- ciétés irréligieuses . la solidarité des diverses classes est bien fai- blement sentie. 11 y a un abime entre le bourgeois dune part, le paysan et l'ouvrier de l'autre. Le bourgeois ne sent rien de commun entre lui et le prolétaire. Il est convenu de regarder ce dernier comme u;ie machine (*) qu'on loue, dont on se sert et que Von paie tout juste pendant le temps que l'on en a besoin; de même, aux yeux dun grand nombre de prolétaires, le bour- geois est un eniioaii dont on n'accepte la supériorité que parce qu'il est le plus fort. Cependant le sentiment d'association et de solidarité entre les diverses classes de la société, a, dans ces derniers temps, ef- fectué quelques conquêtes. Il révèle son existence en France par des institutions de philanthropie et de prévoyance en faveur des ouvriers. Dans quelques établissements industriels, il y a des médecins, des hôpitaux pour les malades, des écoles pour les eulants, et quelquefois même des retraites pour les vieillards ; on y veille à la moralité des ouvriers , on la maintient au moyen d'une justice distributive qui punit et qui récompense. Il serait à désirer que ces dispositions fussent, au moins en partie, pres- crites aux compagnies anonymes qui se forment pour l'exploita- tion d'industries manufacturières. Dans quelques établissements, les ouvriers forment corps, hiérarchie; les places d'administration sont réservées, au moyen d'un avancement graduel , à ceux qui se signalent par leur zèle (*) M. de Sismondi , dans un ouvrage récent (Essai sur les ConslUu- tionsdes peuples libres, tome i, >)age 293), a décrit avec éloquence la tyrannie nouvelle qui tend à s'établir dans le monde [>ar suite de l'alfai- blissemenl du iieii moral, d'où il est résulté que de fort honnêtes gens se conaiJèient, dans la plupart des actes de la vie , et smtout dans l'in- dustrie, non comme associés à des hommes , mais comme juxla-posés à desmachiaes. NOTES. 505 et leur aptitude. Je pourrais cilcr, à ce sujet, les mines de Litry (Calvados) , la filature de Gisors et plusieurs autres fabriques et usines. L'assoeialion peut aussi être substituée, avec avantage pour tout le monde , à la concurrence entre les enlreprenours din- duslrie. Ils peuvent s'entendre avec profit pour eux , faire en commun diverses dépenses, coordonner leurs travaux, et modé- rer leur production , sans pour cela s'organiser en coalition de monopolistes. C'est ce qui vient d'avoir lieu aux ardoisières d'Angers •, en même temps qu'ils garantissaient leurs intérêts menacés par une concurrence effrénée , les propriétaires de ces carrières ont pensé à leurs 2000 ouvriers , et il a été convenu : 1° Que l'on ferait cesser, autant que possible, les ventes usu- raires de pain et de viande pratiquées par des employés subal- ternes qui rançonnaient ainsi les ouvriers. 2° Qu'il serait établi une salle d'asile pour les enfants , ainsi qu'une école primaire gratuite; il a même été proposé de pren- dre des mesures pour subvenir aux frais de l'apprentissage des fils des ouvriers. 5° Qu'il serait opéré une retenue sur les salaires, de manière à former une caisse de secours et de retraite. 4° Qu'une ambulance serait établie sur les carrières pour re- cevoir sans délai les ouvriers blessés par accident. Ce sont là des germes d'association qui doivent se développer. L'association serait complète rt parfaite, si l'industrie était or- ganisée à l'instar de l'armée ; n dans les fabriques, comme sous les drapeaux, les chefs avaie /ilpassé par tous les grades. Il est clair que l'hygiène et la moralité des ateliers y gagneraient in- finiment, que par là le point d'honneur industriel serait créé, et que les chefs désormais seraient bien plus sûrs d'être obéis. Je ne crois pas cependant <\ue de long-temps encore celte pensée , qui préoccupe deshommt. ^généreux , puisse être appliqué*; avec quelque généralité. Mais , pour quelques industries spéciales, l'organisation hiérarchique est très réalisable dès à présent. Elle existe, par exemple, dans le corps nombreux des mineurs du Harti,^Lej chefs de cette famille de travailleurs Qut récemoieu^ ^06 NOTES, doiiué au bel exemple : le prix du plomb, et par conséquent les profits ayant beaucoup baissé^ ils ont voulu que la réduction portât d'abord sur leurs traitements et non sur les salaires des ouvriers. Beaucoup de personnes éclairées pensent que, dans nos pays d'Europe, la lutte entre les bourgeois et les ouvriers ne peut se terminer que par la mise en pratique du principe d'association, et que les ouvriers doivent, en un mot, participer aux bénéfices des maîtres. L'exécution de ce système semble difficile, à cause des moaienls de crise où les fabriques sont en perte. Ce- pendant on peut observer d'abord qu'à mesure que linduslrie se consolide, les crises industrielles , qui amènent les pertes, de- viennent plus rares et s'amoindrissent. Ensuite il est possible d'imaginer des combinaisons qui permettraient de régulariser la participation des ouvriers atlx bénéfices, de manière à leur as- surer, en tout temps, leur subsistance. A cet effet, il suffirait de créer une réserve. L'on pourrait alors décomposer le salaire en trois parties : i" Un minimum fixe ; 2° Une part proportionnelle à l'abaissemeht du prix de revient an-dessous d'un chiffre déterminé: 5° Une part dans les béne'fîces nets de l'établissement. Cette troisième part serait , aux époques de prospérité , versée par moitié entre les mains des ouvriers et dans une caisse spé- ciale, où elle serait capitalisée de manière à fournir Ub supplé- ment de salaire dans les temps de crise , et à former un fonds de retraites. L'association remédierait aussi aux inconvénients glaves qui résultent , pour l'agriculture, de l'extrême division dti sol. Il pourrait arriver qu'un jour, à l'aide de l'association hiérar- chique, nous eussions une organisation industrielle supérieure à celle des Anglais et des Américains. Comme l'individualité est le grand ressort de leur système , il leur sera difficile de s'affran- chir des inconvénients et du désordre inhérent au système de concurrence de maître à maître, d'ouvrier à maître, d'ouvrier à ouvrier. Leur loi est : chacun pour soi. Ils laissent à chacun , NOTES. 507 par exemple , le soin de se pi«''parer une existence pour ses vieux jours. L'organisation des fabriques , j'allais dire des couvents de Lovv^ell , semble et est en réalité un pas fait vers l'asiociation hiérarchique ; mais Lowell est une particularité de la Nouvelle- Angleterre ; ce n'est, point un fait général à l'Union. A Lowell même , les règlements des manufactures ne s'étendent pas au- delà de certains objets qu'on est habitué à considérer aux États- tJnîs comme essentiels à l'ordre public , à la morale publique. Les jeunes filles de Lowell trouvent tout simple qu'on leur ordonne de suivre les exercices du culte , d'être chastes et isobres. Elles se révolteraient si on voulait leur imposer d'office une retenue surleur salaire. Elles mettent beaucoup à la caisse d'épargne ; mais elles y mettent ce qui leur plait et quand il leur plaît, et n'entendent pas qu'on y mette pour elles. Note 55. (Page 3 12.) SALAIRE DES MAÎTRES d'ÉCOLE. En France, la loi du 28 juin i8û3 garantit à chaque maître d'école un minimum de 200 fr. par an , soit 16 fr. 66 c. par mois. Je suppose cependant qu'il y a peu de cas où un maître d'école reçoive moins de 5oo fr. C'est le salaire d'un cantonier des ponts-et-chaussées. Dans l'État de New-York en i833 , le salaire d'un instituteur mâle était par mois de 12 d. 22 c. (65 f. 08 c.), 'Le salaire d'un ter- rassier dans cet État était à la même époque de 3 fr. 76 c. par jour, ou de 93 fr. 74 c. par mois de 2 5 jours de travail. Les institutrices recevaient environ la moitié du salaire des insti- tuteurs. 508 ]YOTES. Note 56. (Page 3i4.) 'fcq c « £ := ±r- O O O O O O O 2 — o — ' o o c c o o o ° .t 5 -^ j^'' o^ q o^ o q_ c q " r £ "0 ii e A B e • a c a • • s c « c co" C^ Oj" 'o' IC iJ^T i--';' 1 J'î'^ ëI = 1 'S = --^ s, s-*'- cT te to~ ic lo" to td £ H o o o c o o o M -S »> 'i- o c o o o c o •^1--.^ = o o o o o o o * 3 s s 'S .i- «a«««c,..»e-a,i^'- Otc -^^ î^' -T o" i|"ls| GO -^T C^O -H M v3- O GG Ci o -^ — . « cTj.H ~" - '- r^ :- « d cq fcj £ . ï . 2222200000000 00000000 =r ^ S ^— ïi o o o o,o OOOOOOOOOOOOOOOO li_i.iil| q, q. o q_ q q_ o^ q^ o^ o q o q^ o o o o o o o o oo o ouo to ce ce fs »d^ o o co GO .to (M r^ t^ t^oo oo to -.oo Ci c; Ci o o -H^ iM -^ « tq o -o •>û o 1 s-^i.^ ^^^^^^^^^ i J 2 f- )0 t>.o Ci o o to uo to o to o - vt - Ci'o r^ .-H ,- o c -^ , £ ~ -• '^«NVT^^CiCiCic^CiCTVT^^otouor^-i ~ -^ ~ '-' — M IM -^ tO llll-ill .« 'C8 .« ,cB »<« -c3 'iZ -. Ci i>.to"td to --< oo" Ci go" r^ cÎgo' cî v^td" s :_ if; i sj i^ Ci - to o ^Tto uo r^GO Ci ~ - >^ce Ci o c c^ lo ^^3- p^ ^ es (M to to to lo to to to ^^ *=r -cr ^c- ^^ o uo uo »o uo ï ï J - " o xo to ce t^ Ci Cito -::!■ o ce -< ce o -< ^fl-o Cio o - ? -^ -S — ce 00 ut rt - ut [^ c^to v^co eut o^^?o out c^^cr o fa = "^ .H ^ io_^ c^ tq cq ut Ci - o Ciuo ce cq « q ^ -_^ q.^ c^_^ ^ ï S.-I 5 o oio o nH^crc^ '■< i^c^ut -> — GO o cit^---^co -^ — -s -i .H T3 ^cr t>.oo -H r^ c to ut t^ o c--) to ^crce GO ci o ci - to ^::t Se: " 1?; ^ "I i-* rt — -1) 2: j; "« - •« 13 « (M to to uo ut ut ce' ce" ce" t^ i>» i>»oô cô oo oo oo ci o ci llljilf ut to <3- ^^ to c-1 Ci - ri « to ^^ :0 Ci CT lO Ci O C lO « ut -> ce - ce lo ut ut co •.ce lo o Cice to i> i>» (M ce t^to ce o tq ce t-^ r* c^ ce oo o to ce ce oc- - c T- -« -D o Z tj 't3 u -r = cT to id v:t ut ce ce t^ i^ t>s t^ oo co ce go Ci Ci Ci ci Ci d -« £ 5- s c« -:tuo ce i^GO Cio -H « tsO -cr „ „ rt ^ « -^ C-J « (^! C^ (M «N CN çq c* (T, to to lO IC lO 00 GO 00 •^ " 0ti^.. NOTES. 509 Note 67. (Page 3i5.) ÉTAT DE l'instruction PRIMAIRE DANS LES DIVERS ÉTATS. Tous les États ne sont pas aussi avancés que celui de New- York. L'instruction primaire n'est 1res florissante que dans les six États de la Nouvelle-Angleterre et dans celui de New-York. Tout lemondey sait lire et écrire. Le jeune Etat de l'Oliio a cependant, lui aussi, une bonne loi sur cette matière ; mais la population y est encore trop clair-semée pour que l'organisation des écoles y soit possible partout. Dans les Étals du Sud , l'éducation primaire a été assez négligée jusqu'à présent , même pour les blancs; ce- pendant tous ou presque tous les Etats ont un fonds spécial pour l'enseignement primaire. Le Congrès y a pourvu pour les jeunes Étals de l'Ouest, en disposant en leur faveur, à cette fin spé- ciale, d'un trente-sixième des terres publiques, une section par township (*) ; mais cette donation du Congrès n'a pas encore reçu partout sa destination. L'État de Pensjlvanie est l'un de ceux où l'instruction élémen- taire est le plus arriérée , quoiqu'il possède un fonds destiné à cet usage , presque aussi considérable que celui de New-York (2 millions de doU.). En i854 , la législature de l'État passa une loi analogue à celle de l'État de New-Yoïk pour organiser défini- tivement les common sc/iooU. Cette loi , à raison des taxes qu'elle établissait , rencontra une opposition assez vive, surtout dans les comtés où la population allemande domine. Dans le comté du Schuykill, par exemple, les e'ieclions de la fin de l'année curent lieu aux cris de ]So Bank! Noschools! (à bas la Banque] à bas les écoles) ! cependant, tout compte fait, sur 200,000 électeurs qui existent dans l'État, il ne s'en trouva que 52 ,000 qui , dans le vole spécial ordonné à cet effet , se pronon- cèrent contre la loi. En 1806, la loi a été modifiée. Le nouveau bill statue qu'une somme de 200,000 doU. (1,067,000 fr.) sera [*) Voir Note a4, tome I. 510 IVOTES. répartie par l'État, en iSSy, entre les localités. Celles-ci auront à fournir nne somme nu moins rgnle à leur quole-part. Sur ces 200,000 doll., 100,000 proviennent de la Banque des États- Unis. La somme dont la loi de i854 ordonnait la distribution entre les localités, n'était que de 76,000 doll. (4oo,ooo fr.). Note 58. (Page 32 1,) DES PÉAGES SUR LES CANAUX EN AMÉRIQUE ET EN FRANCE. Voici le montant des péages perçus sur les divers caiia^x ^e l'Etat de New-York , par année, de 1820 à i835 : Années. PÉAGES. Années. Péages. Francs. Francs. 1820 29,000 1828 4,466,000 21 77,000 ^9 4,333,000 22 341,000 00 5,629,000 20 81 5, 000 3i 6,5i8,ooo 24 1,817,000 32 6,55o,ooo 25 0,017,000 33 7,797,000 26 4.061,000 54 7,107,000 27 4,084,000 i835 7,924,000 Le produit des péages est donc double dans l'Etat de New-York de ce qu'il est en France. M. Ravinet porte, dans son Dictionnaire hydrographique, la longueur totale de nos rivières navigables à 1,877 lieues, qui se réduiront à 1.800, si l'on en sépare les rivières récemment canalisées. Les canaux ou rivières canalisées , appartenant à l'Etat . forment 700 lieues environ. C'est donc un développe- ment total do 2, 5oo lieues de navigation , soit décuple environ de la longueur des canaux de l'Etat de New-York, et sur la presque totalité duquel il est perçu des droits de navigation. Il est vrai que nos canaux n'o)it pas été construits , à beaucoup près, avec NOTES. 511 a même rapidité que ceux de lElat de New-York, et que quel- ques uns de." priiiripaux ne sont pas complélcment lorniinés en- core ; par conséquent ils ne sont pas en plein rapport. Les péages des canaux de l'État de New-York sont très modé- rés. Pour les denrées et provisions, pour les produits agricoles et pour la houille (*), le tarif est, par tonne et par kilomètre , de o fr. o556 Pour la pierre , les briques, la chaux, le plâtre, le fumier, la mine de Ter, de o 0186 En France, le tarif du canal d'Aire à la Bassée, qui a servi de modèle pour celui de la plupart des canaux de l'Etat, est (") : Pour le minerai , de o fr. 0000 — les fourrages et le fumier, de . . . o o4oo — la houille, de o o5oo Pour le marbre , la pierre de taille , les briques, le plâtre, de o o?,oq Pour la marne, l'argile, le sable et gravier. o 0012 Pour divers produits agricoles et marchan- dises ' ^e , . .ofr. oGooào 0800 Jusqu'en i836, le tarif de nos rivières était très variable et fixé d'aprè$ des bases absolument arbitraires. En i856 , une loi Pa rendu raisonnable , uniforme , et l'a d'ailleurs réduit. Voici comment il est établi actuellement sur toutes les rivières , la Haute-Seine exceptée, par tonne et par kilomètre : Objets de premitre classe. Objets de deuxième classe. A la descente o. f. oo4 o. f. 002 A la remonte o. oo5 o. oo3 n Ce tarif est un peu trop élevé pour la houille, mais il n'en passe pas en quantité notable sur les canaux de l'Étal de New-York. Sur les canaux de l'État de Pensylvanie, le droit est de o fr. 0,0226 par tonne et j/ar kilom. ('*) Le tarif est établi d'après d'autres bases; les nombres présentés ici ont été obtenus par une conversion de mesures. 512 îfOTES. Sur la Haute-Seine et ses ajQQuents, il est, à la remonte et à la descente , ce qu'il est à la descente partout ailleurs. La deuxième^^classe du tarif comprend les combustibles et bois de charpente, les fumiers et cendres, les marbres et granits bruts ou dégrossis, les pierres [ou moellons, les grès, tufs, marnes et cailloux ; le plâtre , le sable , la chaux , les briques , les minerais et terres. La première classe embrasse tous les autres objets. Les tarifs de nos canaux sont trop élevés, particulièrement pour la houille (*) , pour que ces beaux ouvrages proGtent suffisamment à notre industrie. 11 est à regretter que le gouvernement se soit mis à peu près dans limpossibilité de les réduire. Lors des em- prunts des canaux. Ton créa des actions de jouissance qui ont un droit éventuel au produit des péages. L'intérêt bien entendu des porteurs de ces actions s'accorderait probablement avec une réduction des droits , puisque les droits actuels sont de nature à entraver la circulation ; il ne paraît cependant pas qu'ils soient disposés à s'y prêter. 11 y a quelques années , les actions de jouissance étaient à peu près sans valeur ; elles étaient cotées à 6o fr. Leur nombre est d'environ 107,000; on eût donc pu les racheter pour 6,5oo,ooofr. Des combinaisons de pur agiotage les ont fait monter au chiffre de 3oo fr., qui est hors de toute proportion avecleur valeur intrinsè- que. A ce taux, leur rachat exigerait une somme de 32,ooo,coo fr. 11 se trouve donc qu'en faisant intervenir les Compagnies dans l'exécution et dans l'adminislralion des canaux, par la création des actions de jouissance, on leur a donné un droit du seigneur sur l'industrie nationale. C'est une grande leçon dont la France devra profiter pour l'exécution des communications qui lui restent à exécuter et qu'elle ne peut tardera accomplir. La con- cession des grands travaux publics aux Compagnies peut entraî- ner les plus graves inconvénients. A une époque où l'on est si C) La loi de iS56, sur les droits de navigation, a réduit le droit sur la bouille, pour le canal du Centre, où le gouvernement est resté le muilre j à fr. oi a par tonne et par kilom. lyotEs. 5 1 3 ombrageux à l'égard de toute autorité , l'on ne serait pas excu- sable de soumettre les intérêts les plus importants du pays au bon plaisir d'associations irresponsables, placées au seul point de vue de leur intérêt particulier bien ou mal entendu. Le rachat des actions de jouissance des cauaux, qui , dans l'état actuel des choses, forment sérieusement obstacle au progrès de l'industrie nationale, devrait occuper le gouvernement et les chambres dans le plus bref délai. Note 59. (Page 343.) CENSURE EXERCÉE PAU LES DIRECTEURS DES POSTES. Eu août i835, à la suite des rigueurs exercées dans le Sud contre les aboUtîonistes , ou les gens supposés tels , le directeur des postes dp la ville de New-York refusa de recevoir certains journaux publiés contre l'esclavage. Le directeur -général lui écrivit une lettre qui fut reproduite par toute la presse , et dont le sens était qu'il ne l'approuvait pas formellement , mais qu'il ne le désapprouvait pas davantage ; c'était , après tout , une au- torisation à continuer. A la même époque, le directeur des postes de Charleston laissait ouvrir le sac des dépêches par un comité de surveillance qui supprimait , à sa discrétion , ce qu'il croyait écrit dans le sens abolitioniste. Les États du Sud ont même réclamé, officiellement ou officieu- sement, des Étals du Nord, qu'ils empêchassent la publication , chez eux , d'écrits où l'esclavage serait attaqué. Dans leurs mes- sages d'ouverture des sessions des législatures locales, plusieurs gouverneurs du Nord, et entre autres celui de l'État de New-York, ont reconnu la nécessité des lois répressives que demandait le Sud, aucasoùlesabolitionistes persisteraient à écrire.Presque tous ont dénoncé, dans les termes les plus sévèreSjles efiorts des adversaires de l'esclavage. Mais quelques uns, et entre autres M. E. Evereit, du Massachusetts , et M. Wolf , de laPensylvanie, ont formelle- ment refusé de courber la tête sous les exigences du Sud. Le premier, qui a été pendant long-temps l'un des membres les H. 33 514 HOTES. plus distingués de la Chambre des Représentants au Congrès , a déclaré expressément que les dispositions pénales réclamées par le Sud étaient incompatibles avec l'esprit des institutions natio- nales et avec les dispositions du peuple. Note 60. (Page 375.) PnOJETS DE LOIS RETROACTIVES. En 1834, la législature de l'État d'Ohio a autorisé une com- pagnie financière, sous le nom de Life and Trust Company, dont les pouvoirs sont fort étendus. En i855 , la compagnie s'est or- ganisée , et , en i856 , une proposition a été faite à la législature à l'effet de l'abolir; sans autre forme de procès. Heureusement la législature a compris l'importance qu'il y avait pour l'État à être fidèle à ses engagements ; la motion a été rejetée , non sans une vive discussion. On a vu tout récemmen.t (septembre i836) des hommes gra- ves , tels que M. Dallas , de Philadelphie , qui a été sénateur au Congrès , proposer des mesures rétroactives à l'effet d'annuler la loi par laquelle la Pensylvanie a autorisé la Banque des États- Unis. Note êo bis. (Page 4o8.) Gomme dans beaucoup d'États il n'y a pas de loi spéciale pour autoriser le divorce , ce sont souvent les législatures qui le prononcent en vertu de l'omnipotence parlementaire. Sur moins de cent cinquante actes passés par la législature du New-Jersey, dans sa session de i836, treize avaient pour objet des autorisa- tions de divorce. Note 62. (Page 4o9-) ÉGARDS ENVERS LES FEMMES. Quelques détails ont déjà été donnés sur ce point (page 2*26), Comme autre exemple de la prévenance des hommes pour les femmes, on peut citer ce fait que, dans les toitures pu- NOTES. 515 bliques, les premières places appartiennent de droit aux femmes, quelque soit l'ordre d'inscription. C'est ainsi encore que les maris vont habituellement au marché et en rapportent souvent eux-mêmes les provisions. Rien n'est plus commun que de voir dans les rues', les hommes revenir chez eux , tenant par le cou un dintlon ou une oie , ou chargés d'un panier de fruits. J'ai dit aussi que la soumis.^îon conjugale et sociale de la femme était , en retour, plus grande aux Étal'î-Unis qu'en France. Aux yeux de la loi , la femme est plus complètement mineure aux États-Unis que chez nous. En France , la femme fait le com- merce et est reconnue par la loi comme marchande publique, une fois que le mari y a donné son consentement ; elle est môme apte à remplir quelques emplois. Rien de semblable n'existe chez les Anglais et les Américains. JVos fils du Canada sont allés plus loiu que nous ; ils ont départi aux femmes la franchise électorale. Note 63. (Page 409.) DES OUVRIERS ANGLAIS ET AMÉRICAINS. L'ouvrier anglais est fort habile. Quoique, pour certaines branches de production , nous l'emportions sur l'Angleterre , il ne me paraît pas possible de contester qu'aujourd'hui l'ouvrier anglais soit le premier ouvrier de l'Europe. Pour des travaux spéciaux, il est supérieur à l'ouvrier américain; il finira mieux telle ou telle portion de mécanisme , par exemple , telle ou telle division déterminée d'un objet quelconque; mais hors de sa ligne bien spéciale , et séparé du gros outillage des fabriques anglaise* , qui est excellent , il sera dérouté. L'ouvrier américain a une aptitude plus générale. Son cercle de travaux est beaucoup plus étendu, et il peut, à son gré, l'étendre indéfiniment. 11 produit une quantité de besogne au moins égale à celle de l'An- glais , et lorsqu'il se voue pendant long-temps à la même œuvre, ce qui ne lui e»t pas habituel , il la produit aus»i parfaite que qui que ce soit. 516 ILOTES. Note 64. (Page 411.) DES LARCINS DE FABRIQUE A REIMS. Des évaluations tout-à-fait récentes portent à 3 millions les larcins de fabrique de Reims. Voici ce qu'on lit à ce sujet dans le numéro du 16 septembre i85G de Clndustrlel de la Cham- pagne : « L'attention publique est en ce moment vivement préoccu- pée des vols de fabrique, et, à vrai dire, ils ont pris depuis quelque temps une extension déplorable. Aux dernières assises , la cour avait à juger sept affaires dans lesquelles des ouvriers ou ouvrières étaient accusés de vol de laine au préjudice de leurs maîtres , et il ne se passe pas de mois sans que des procès de même nature soient jugés par le tribunal de police correclion- nelle ; quelquefois plusieurs sont portés devant le tribunal dans la merae semaine , et la même audience en voit juger deux ou trois. Autrefois , un vol de laine était , pour les honnêtes ci- toyens qui suivent avec assiduité les débats el les opérations des tribunaux , un accident inouï , presque aussi intéressant, "et sur- tout aussi rare qu'un meurtre : ces sortes d'affaires avaient le pri- vilège d'exciter puissamment la curiosité publique. Aujourd'hui elles sont devenues tellement fréquentes , qu'on ne leur accorde guère plus d'importance qu'aux jugements rendus contre les contrevenants aux règlements de police municipale. » Le vol de laine s'est acclimaté en fabrique, il s'est attaché à elle , il fait corps , pour ainsi dire, avec elle. a Nous avons cherché à obtenii- des renseignements sur le chiffre des valeurs gaspillées par suite des vols de laine en fabrique , et nous devons avouer que nous n'avons rien appris de bien précis à cet égard. Les personnes auxquelles nous nous sommes adressé ont varié dans leurs évaluations, depuis 1 jusqu'à 4 mil- lions. L'un de MM. les commissaires de police de la ville évalue Lt perte causée aux fabricants par les vols commis dans le pays de IXeims à 3 millions de francs ; et il estime que celte somme, NOTES. 5 I 7 réalisée par les larrons , ne leur vaut pas plus de 600,000 fr. Nous doutons môme que cette dernière évaluation soit exacte. Quant à la première, elle nous a paru exagérée, jusqu'à ce que nous ayons fait le petit calcul suivant : etc. Note 65. (Page 4ii.) DES DOMESTIQUES. Je parle ici des ouvriers et non des domestiques. Aux États* Unis, les domestiques valent presque partout moins que les ou« vrJers. Le service personnel y est considéré comme dégradant. Dans beaucoup d'États, les domestiques n'acceptent pas la quali- fication de serviteur, et prennent celle d'aide {lietp). C'est le cas dans la Nouvelle-Angleterre ; le domestique est alors wn em- ployé qui travaille modérément, et qui, dans beaucoup de mai- sonsj prend ses repas avec la famille. Moyennant cette transac- tion, on peut trouver dans la Nouvelle-Angleterre des serviteur* natifs du pays , qui sont zélés et intelligents; ils tiennent à être respectés par leurs maîtres ; ils sont à cheval sur leurs droits ; mais pourvu que l'on observe fidèlement les conventions arrê- tées avec eux, ils accomplissent honorablement leurs devoirs. Dans la plupart des États sans esclaves, la classe des domestiques est principalement formée de gens de couleur corrompus et pa- resseux, ou d'Irlandais nouveaux débarqués, gens fort mala- droits , naturellement portés à une familiarité fatigan*e , et qui , dans l'enivrement de leur situation nouvelle . si différente de la misère qu'ils ont laissée derrière eux, se montrent beaucoup plu» exigeants que les domestiques nés dans le pays. TABLE DES MATIÈRES- 9(i(»(»(i(»(» XXI. Les bateaux a vapedr de l'Ouest Influence des moyens de communication sur la civilisation et la liberté. — Situation de l'Ouest avant les bateaux à vapeur — Création des bateaux à vapeur. — Description. — Voyageurs. — Vie à bord. — Accidents; peu d attention qu'ils excitent. — Véritables autorités de l'Ouest. — Importance de l'Ouest. XXIÏ. Les voies de communication Division hydrographique, politique et commer- ciale de l'Union. — Systèmes de travaux qui en ré- sultent. — Lignes allant de l'Est à l'Ouest. — Canal Érié, canal de Pensylvanie, etc. — Communications entre la vallée du St-Laurent et celle du Mississipi. — Canal d'Ohio et autres. — Amélioration des deux fleuves. — Communications le long de l'Atlantique. -—Cabotage. — Ligne de chemins de fer et de bateanx TABLE DES MATIERES. 519 à vapeur ^ — Communications qui rayonnent autour des métropoles. — Travaux établis autour des mines de charbon. — Travaux divers. — Route Nationale. — Caractère des travaux publics des Etats-Unis- — Ingénieurs américains. — • Les travaux publics raf- fermissent l'Union. — Nécessité pour les gouverne- ments européens d'exécuter de grandes entreprises de communication. XXIII. Le travail 107 Essais de colonisation de l'Amérique par les Fran- çais. -^ Colonisation par la race anglaise. — La société américaine est disposée tout entière pour le travail. — Précipitation. — Organisation du travail spéciale à l'Amérique. — Organisation qui convien- drait pour des Français. — Le Canada. — Alger. XXIV. L'argent • • • i^S Caractère de l'argent chez les Anglais et les Amé- ricains. — Système fondé sur l'honneur. — Son impossibilité actuelle en France. •— Du salaire des fonctions et des services. — Fonctions gratuites en France. — Existence matérielle des fonctionnaires aux Etats-Unis et en France. — Influence du progrès industriel sur les salaires des fonctions pu- bliques . — Pas de mariages d'argent aux Etats-Unis . — Pas d'avares. XXV. Les spéculations ^^^ Spéculations sur les terrains , les chemins de fer et les banques. — La spéculation est un besoin pour les Américains ; i s y cherchent des sensa- tions. — Mobilité de toute chose aux Etats-Unis. — Coalitions d'ouvriers. — Progrès obligé dans le ma- tériel de la civilisation. — Inconvénients de l'excès de force novatrice. XXVI. Les eaux de Beuford ^77 Plaisirs exclusifs, — Les fêles religieuses étaient autrefois des fêtes démocratiques. — Processions po- 520 TAELI liliques. — Camp-meetings. — Rôle des femmes dau& \es, camp -meetings et dans les fêtes catholiques. — Sup- pressiou des fêtes populaires eu Europe. —Influence de la Philosophie du xviii* siècle sur tout ce qui ressort de l'imagination. — Insuffisance du régime parle- mentaire. — Lutte en France entre la jeunesse, lâge mûr et la vieillesse. — Genre de satisfaction que trouve l'imagination en Angle'erre et aux Etals- Unis. XXVII. L'autorité et la liberté iqS Situation et caractère de Richmond. — L'escla- vage. — Farine de Richmond. — Lois dinspeclion à la sortie. — La liberté américaine est une liberté de travail et de locomotion. — Très peu de restric- tions dans le commerce intérieur. — Anciens règle- ments restrictifs du commerce français. — Dangers de la concurrence illimitée et de la liberté illimitée du commerce. — Décadence du commerce exté- rieur de la France. — Double autorité aux Etats- Unis. — Autorité . ancienne, César. — Devoirs qu'impose à tous le self-government. — L'autorité de César a pu être détruite en Amérique , et ne peut l'être en Europe. — Autorité nouvelle à côté de César. — Commissaires des canaux , des écoles, des banques; pouvoirs dont ils sont revêtus. — Com- ment l'industîie peut prospérer en Europe à côté de César. — Delà liberté américaine. — Liberté de l'Yankée ; elle serait intolérable pour des Français. — Liberté du Virginien ; ressemble davantage à la nôtre. — Mélange des deux libertés. XXVIII. Amélioration sociale » . . . , 225 Aspect d'aisance universelle dans la population américaine. — Ce qui en résulte pour les femmes. • — Etat matériel des noirs. — Du dégrèvement comme moyen d'amélioration populaire. — Le Uéveloppemeut du travail offre bien plus de rçs^ DES MATIERES. 521 sources. — Prospérité américaine, fruit du travail — Des moyens d'activer le travail en France. — Education industrielle. — Fausses idées sur Fédu- calion populaire. — Application de l'armée aux travaux publics. — Institutions de crédit ; mauvais état du crédit en France; l'esprit d'entreprises en est paralysé. — Les banques à lan glaise ou à l'américaine devront être modifiées pour être ap- pliquées en France. — Nécessité de rendre le cré- dit accessible à l'agriculture. - Economies que l'amé- lioration du crédit peut produire Système de com- munications. — InQuence du crédit sur les voies de communication. — Abaissement du prix des denrées par le bon marché des transports. — Réforme de la législation et des règlements. — Le Code civil a été fait trop à l'image des lois romaines j la propriété foncière y a été l'objet de soins trop exclusifs au détriment de cette propriété elle-même et de l'agriculture. — Propriété mobilière négligée. — Division excessive du sol qui en est la conséquence. — Révision du Gode de procédure et du Code de commerce. — Fail- lites. — Tribunaux de commerce. — Loi civile des Etats-Unis. _ Jury au civil. — De l'interprétation loyale de la loi. — Invasion de l'avocasserie. XXIX. Amélioration sociale 277 L'obstacle à l'émancipation des noirs est de Tordre moral. — Esprit exclusif de la race anglaise. — Yankees, nouveaux Juifs.— La difficulié de l'éman- cipation du prolétaire est aussi de nature morale. — Insuffisance de la philosophie et de la philautropie. — Nécessité de Tintervention du sentiment religieux. — Bilan religieux de la Société française, — Inaction de l'autorité religieuse. — Aux Etats-Unis, la religion a présidé à l'exaltation des classes inférieures.— Rôle de la politique dans l'amélioration sociale. — Rela- tion intime entre la religion d'un peuple et son ré- 522 TABLE gime politique. — Leprolestanlisme est républicain •, le catholicisme est monarchique. —La royauté est nécessaire en France pour représenter le plus grand nombre qui est mineur. — L'agrandissement des privilèges des corps délibérants ne doit pas être con- fondu avec l'extension de la liberté. — La rojauté est nécessaire comme pouvoir modérateur entre la bourgeoisie et les masses. — Opinions accréditées pendant la période^ révolutionnaire. Théorie du gouvernement-ulcère. — Elie prévaut aujourd'hui dans beaucoup de bons esprits Résultats funestes de la présence des hommes médiocres au pouvoir. — La royauté étant responsable de fait , on peut lui laisser courir les chances de sa responsabilité. — Inconvénients de notre régime parlementaire. — Le progrès de la liberté réside dans le développe- ment des institutions locales et communales. — L'esprit d'association et l'esprit de morcellement. — Les principes d'association et d'unité doivent préva- loir en France. XXX. L'État-empire 3o9 Caractère centralisateur de l'Etat de New- York. — Centralisation des écoles et de l'instruction en géné- ral. — Centralisation des banques. — Centralisation des travauif publics. — Résultats de ces travaux pu- blics. — Chartes des compagnies de chemins de fer et canaux. — Influence de l'exemple de cet Etat. — Les peuples modernes ne peuvent se passer d'autorité. — La religion ne peut tenir lieu complètement des moyens politiques de répression. — L'autorité doit changer d'allribulions. — Les banques , les voies de communicalions et les écoles sont des instruments de gouvernement qui doivent remplacer en partie les anciens attributs violents de Tautorité. — Nouveau degré d'inviolabilité acquis à la personnalité hu- maine, — Disposition favorable do l'esprit public. DES MATIÈRES. 523 XXXI . Symptômes de révolution 335 Excès commis. — Afifaiblissemenl du respect à la loi. — Iniquités de Ja justice populaire. — Dévastations à Ballimore.— Oubli des grands principes,— Dimi- nution du courage civil . — Dépendance de la presse. Absence de moyens de répression. — Supériorité industrielle et infériorité politique de la génération actuelle. — Probabilité que la crise tournera bien. XXXII. La bourgeoisie 35 1 Éléments de la société française. — Débris d'aris- tocratie. — Bourgeoisie active; bourgeoisie oisive. — Ouvriers et paysans. — Eléments de la société amé- ricaine. — Bourgeoisie et démocratie. — Différence entre le Sud et le Nord. — Disparition de la bour- geoisie oisive en Amérique. — La bourgeoisie oisive doit aussi disparaître d'Europe. — Elle manque de raison d'existence. — Elle ne remplit point la mis- sion que peut remplir une aristocratie. — Elle n'en remplit aucune. — Comparaison tirée de la Tur- quie. — La bourgeoisie oisive a tout à gagner en pas- sant dans les rangs de la bourgeoisie active. — Bien qui en résulterait pour l'agriculture et pour les paysans. XXXIII. L'abistocratie 569 L'autorité doit s'organiser aux Etats-Unis. — L'autorité s'appuie sur la centralisation et sur la hié- rarchie. — Caractère actuel de l'autorité en Amérique. — Le gouvernement représentatif , devenu gouver- nement de majorité, tend à la tyrannie. — Diffé- rence entre le Sud et le Nord. — Aristocraties de naissance et de capacité. — Elles ont coexisté d;ms les sociétés anciennes. — Formes du palriciat chez les Romains et chez les Grecs. — Organis^atiou vi- goureuse de l'aristocratie féodale. — Réaction éner- gique contre la noblesse. — Le christianisme a con- tribué à celle réaction. — Le système féodal a fixé les 524 TABLE Barbares. — Droit d'aînesse parmi la bourgeoisie anglaise. — L'tililé d'une aristocratie héréditaire ou non. -- Progrès du sentiment de famille. — Néces- sité de balancer dans la société les éléments mobiles et les éléments conservateurs. — Comment on a obtenu de la stabilité sans hérédité. — Difficulté de l'abolition immédiate de l'aristocratie héréditaire eu Europe. — Le principe d'hérédité indéGnie ébranlé à jamais. — De l'hérédité dans les fonctions. — Les arrêts de la philosophie conlre l'influence polîtii[ue du sentiment de famille sont-ils irrévoca- bles? — En France, pour avoir une aristocratie , il nous faudrait des aiistocrales ; d'où peuvent-ils sortir ? — Comment une aristocratie peut-elle s'éta- blir aux Etals-Unis ? — Germes d'aristocratie dans le Sud. — Ecueils de la Société américaine. XXXIV. La démocratie 697 Fardeau du passé dans les vieilles sociétés. — DiSîcullé des améliorations dans un pays ancien. — Facilité d'innovation dans les pays nouveaux. — Position avantageuse des Anglo - Américains pour faire des expériences sociales. — L'ouvrier et le paysan américains sont initiés. — iVbsence de pro- fanum vidgus. — Les classes laborieuses des Etats- Unis sont supérieures à celles des autres pays. — Défauts de la démocratie américaine. — Analogie avec les Romains. — Supériorité des classes élevées d'Europe. — Conclusions sur les mérites respectifs, présents et futurs, de l'Europe et de rAmérique. 1 . Construction et dépense des bateaux à vapeur de C Ouest. — Comparaison avec ceux de l'Est 4-3 a. Nombre des bateaux à vapeur des Etais-Unis 43^ pES MATIERES. 525 3. Coût des bateaux d vapeur de l'Est a g g 4. Excédants du Trésor. — Gomment ils seront appliqués aux travaux^publics -(^ 5 . Candidats de l'Ouest f 6. Admission de CArkansas. ... -l 7- Vote de fonds pour aider la compagnie du chemin de fer de NeiV'York au lac Érié. ... •/ Il), 8. Avances duMarjlandpour les travaux publics 0,^ <). Chemin de fer de Char lésion d Cincinnati /^g io. Travaux publics en Géorgie. — Ligne de Boston à la Nouvelle-Orléans.... ., . lif. 1 1 . Changement des frontières de l'État d'Ohio /50 12 . Canal HJichitran commencé. . •/ ^ , ' ib. i5 . Travaux publics dans l'Etat d'Indiana ^-a i4c Souscription du Massachusetts «« Wostern-Rail-road. . ^si i5 . Récapitulation des travaux publics des Etats-Unis. — Ta- bleaux slalistiqucs. — Travaux puMics crAnglelerro et de France. — Quelques unes dos mesures finnn- cières et administratives nécessaires en Fr.mce pour l'exécution des grands travaux publics. — Travaux publics en Belgique. — Le développement des Ira- vaux américains égale celui de tous les travaux de l'Europe 16. Des moyens de voyager aux États- Unis . . ,k 17. Del influence politique des chemins de fer / j 1 8 . Entreprises géologiques. -Cartes géologiques de divers Etals. — Carte de France. . , ^ n , . . . 452 19. Précipitation américaine . 20. Des élections municipales en France /c/ 21 . Solde de la marine française et de la marine américaine'. 456' 22 . Hoiioraires exceptionnels aux États-Unis /r 20. De la dépense des riches * ' ' . 24 . Fin des désordres près de Pottsville ' /t^'fi 25 . Répression des coalitions * ' 26. i^es sectesreligieuses aux États-Unis. -Lcm- orgcànsà- tiyn. - Leur caraclère.-. Leur force relative. .. 45^^ 52G tàele 27 . De C imagination anglaise 4^4 26 bis. Des Virginiens de l'Ouest 4^5 27 bis. Voyages le dimanche 4^6 28 . De l'agiotage à New-York 4^7 29 . Du commerce de l'Egypte 4^9 01 . Abus dans le commerce français 47^ o3 . Respect des Américains pour les anciennes dénominations , 47^ 0/1 Des marchés avec publicité et concurrence 47^ 55 . De l'esprit de la législation de la Nouvelle- Angleterre. . . 474 3(3 . Difficulté des dégrèvements 47^ o-j . De l'octroi. — Comment le remplacer ib. 38. Deiimpôt du sel. — Gomment le réduire des deux tiers. 47^ 09. De l'application de l'armée aux travaux publics. — Essai des routes stratégiques. — Essai de la compagnie du chemin de fer de Saint-Germain. — Difficultés venant des ofliciers. — Emploi des officiers du génie et de l'artillerie. — Régiments spéciaux ib. 4o . Biens des femmes et des mineurs en Angleterre 481 4 i . De l'appui donné aux banques par les gouvernements . . . 4^2 42 . Banques du Nord, du Sud et de l'Ouest ib, 45 . Cilizcns' bank en Louisiane 4^4 44. Du régime hypothécaire. — Etat actuel de la législation des hypothèques en France. — Remèdes à y appor- ter. — Influence de cette législation sur la condition de la propriété. — Charges qu'elle impose aux pro- priétaires ib. 45 . Nouveaux billets de banque 490 46 . Loi des chemins vicinaux 491 47 . Routes départementales. , ib. 4 8 . État civil des gens de couleur ib, 4f) . De la vraie notion de la liberté 492 5o. De diverses institutions utiles. — Conseils de Prud'hom- mes. — Sociétés de secours mutuels. — Caisses d'é- pargne. — Sociétés Industrielles. — Assurances sur la vie. — Caisses de prêts. — Salles d'asile. — Cours scieulifiques à l'usage des adultes et des jeunes gar- t)ES MATir.RES. 527 çons. — Ecole de la Marlinièrc à Lyon. — Détails sur le conseil des Prud'hommes de Lyon 490 5i. De quelques lois à retoucher. — Privilège des salaires. — Coalitions. — Apprentissages 4^8 52 . Des Caisses d'épargne. — État actuel de leurs ressources. — Perfectiounemenls dont elles sont susceptibles. — Mesures à adopter au sujet des sociétés en com- mandite par petites actions , et des fonds étrangers par petits coupons 4qQ 53 . Société Industrielle de Nantes 5oi 54 . De l'association. — Mode d'association qui convient aux Français. — Le senliment d'association doit précé- der le fait d'association. — Exemples et germes di- vers.— Participation dss ouvriers aux bénéfices. — Association agricole. — Avantage que la centralisa- tion peut procurer à la France 5o2 55 . Salaire des maîtres d'école 507 56 . Tableau de la situation des Ecoles primaires de CÉtat de New- York , 508 57. De l'instruction primaire dans les divers Etats 609 58. Des péages sur les canaux en Amérique et en France. — Nécessité de racheter les actions de jouissance des canaux français 5 10 59 . Censure exercée par les directeurs des postes 5 13 60 . Projets de lois rétroactives 5i4 60 bis. Divorces ,-^ 62 . Egards envers les femmes j^ . 63 . Des ouvriers anglais et américains 5i5 64. Des larcins de fabrique de Reims 5i(j 65 . Des domestiques 5 j„ FIN DU DEUX1È3IE ET DERNIER VOLUME. ERRATA DU DEUXIEME VOLUME. Page 94 •> ligne lo, au lieu de Oswégo , Usez: Owégo . — 197 , au bas de la page, aa Lieu de Note aG lisez : Note aG bis. — 2o5, au bas de la page, au lieu ^/eNole 27, lisez.-'^olc 27 bis. — 010, ligne 7, au lieu de Or le nombre d'enfants de 5 à 16 ans existant dans l'Etat n'est que de 543, o85 , lisez : Or le nombre d'enfants de 5 à 16 ans existant dans les districts d'école dont on a les comptes-rendus, ce qui comprend à très peu près tous ceux de l'Etat, n'est que de 545, o85. — 4oS , au bas de la page , au lieu de Note 60, /fsez;Note Go bis. — 319 , Note au bas de Ja page , au lieu de canal Cbénaugo, lisez : canal Ghénango. Uate Uue iuii ■ :^«:h<. " -^-llÎJ . f. &^:-i. ^.; 1 ,H^< 1 1 1 1 Llbrary Bureau Cat. no. 1137 917.3 r^nryr U..P7L v.^ 917.:- C^-7L V. '^183P8 3183P8