A4? J S . j , . c: AD.OK &CIE. SUCCES5EURS Digitized by the Internet Archive in 2013 http://archive.org/details/salonof1890onehu00dayo SALON DE 1890 TIRAGES DE LUXE De cette edition IL A ETE TIRE 6 I 6 EXEMPLAIRES NUMEROTES Qui ont, ete timbres par le Cercle de la Librairie 4 exemplaires, n° s I a IV, texte et gravures sur Japon, avec suite supplementaire de 24 epreuves sur parchemin, avant lettre. 12 exemplaires, n°s V a XVI, texte et gravures sur Japon, avec suite supplementaire de 24 epreuves sur Japon, avant lettre. 600 exemplaires, n°s 1 a 600, texte et gravures sur Hollande. ARMAND DAYOT LE SALON DE 1890 CENT PLANCHES EN PHOTOGRAVURE ET A L'EAU-FORTE PAR GOUPIL & O PARIS GOUPIL & C IE ;boussod. valadon & o, successeursi BOSTON ESTES & LAURIAT 4 is- fa COPYRIGHT, 189O, BY ESTES & LAURIAT, BOSTON. LA PEINTURE chaque subfiles on nombre d'esprits chercheurs consacrent, bien en vain, croyons-nous, de precieux instants a des reveries hypothetiques sur les destinees des « vieilles lunes ». Peut-etre emploieraient-ils plus utilement les heures de la vie, et interesseraient-ils davantage leurs contemporains s'ils s'efforc.aient de resoudre cet inquietant probleme que le public se pose jour et dont la solution echappe aux deductions les plus : « Que deviennent les vieilles toiles ? » % r- r> r* r> P" ' " ' r» ■•"•■ iy 2 SALON DE 1890 En verite je me le demande sans cesse, et je ne puis, meme au prix des investigations les plus penetrantes, decouvrir les mysterieuses retraites ou viennent, comme dans un port hospitalier, se refugier toutes ces pauvres peintures, flottes immenses de croutes dedaignees, qui, pendant des annees, errent a Taventure, d'expositions en expo- sitions, flagellees partout par l'apre vent de la critique, et qui cessent, un beau jour, d'etaler a nos yeux las leur lamentable inanite. Que deviennent-elles ? Cette pensee me trouble et m'obsede, surtout a la veille d\m nou- ve'au Salon, a cette heure exquise de Tannee ou le ciel est baigne d'azur, le monde plein de sourires, Fair de chansons, ou la nature tout entiere, paree de jeunes et fraiches couleurs, semble revenir a la vie avec un large soupir fait de lnaleine des lleurs... Heure benie de tous, excepte de Tinfortune critique, triste victime que le monde artificiel des images va prendre tout entier et qui, dans la candeur presomptueuse de sa conscience, va s'efforcer de fixer le souvenir de choses dont Toubli s'emparera demain et dont on cherchera bientot vainement les traces. La vue d'un petit papier que j'ai en ce moment sous les yeux, et ou quelques chiffres, d'une eloquence terrifiante, me font connaitre le nombre des toiles et des dessins soumis cette annee a Texamen du jury des Champs-Elysees, n'est pas etrangere a Teclosion de ces reflexions melancoliques. Plaignons Tareopage charge de passer en revue toutes ces choses d'art et dont M. Gerome preside avec une si grande autorite les laborieux travaux, Puisse-t-il, dans le choix des ceuvres destinees a charmer nos regards, etre encore plus severe que juste. Ce vceu formule par un critique dont les forces physiques ne sont pas toujours a la hauteur de sa bonne volonte, n 1 est pas d\in complet desinteressement. Et vraiment je me demande si Hercule, fils de Jupiter et d'Alcmene, eut pu resister sans fatigue a un examen aussi consciencieux que rapide, de 4,000 toiles et de 2,432 des- sins, pastels, gravures..., etc. Car tels sont les chiffres officiels des . :- ' . m 2 CO D 2 5 LA PEINTURE 3 oeuvres presentees cette annee au Salon du Palais de l'Industrie. On pouvait croire qu'apres Teffort excessif fourni par le monde des peintres en vue de la grande Exposition de 1889, la production artistique se serait un peu ralentie cette annee, et que la Societe des artistes aurait eu moins de numeros a inscrire sur son catalogue. Une autre cause permettait encore de supposer que les envois seraient plus rares cette annee au palais des Champs-Elysees que les annees precedentes. G'est la recente creation du nouveau Salon du Champ de Mars, dont nous aurons a parler plus loin, et vers lequel affluent aussi, nous dit-on, des toiles sans nombre. II n'en a rien ete, et a Theure presente tous les locaux susceptibles de servir de refuges provisoires aux ceuvres de peinture executees depuis un an se couvrent de cadres, de la cimaise a la frise. Apres de consciencieuses recherches dans le tas, occupons-nous seulement en cette place des quelques tableaux vraiment dignes de fixer Tattention par des qualites solides, ou d'interesser le regard par Toriginalite de leur execution. Nous nous plaisons a croire que le lecteur ne nous tiendra pas rigueur de r avoir dispense, a Taide d'un travail de selection assez restreint, de se renseigner sur des ceuvres mediocres et sans interet. « — ... Alas ! she said Bat prove me what is would not do. » — Helas ! dit-elle... Mais proavej-moi ce queje ne pourrais pas /aire. Tennyson. II y avait une fois... Qifon nous pardonne ce debut de conte bleu. II est absolument indispensable a Intelligence du sujet. 11 y avait une fois, dans le pays d'Ecosse, et a une epoque fort eloignee de nous, un certain comte de Coventry, appele Lurish, qui rendait ses vassaux tres malheureux. 11 n'etait moyen vexatoire auquel il n'eut recours pour remplir d'or ses coffres aux depens des infortunes habitants de son comte. 4 SALON DE 1890 Un beau jour, ces derniers, las de vivre ecrases sous les plus lourdes charges et de mener la plus miserable des vies, se revolterent au bruit du prochain prelevement d'un nouveau droit de peage. Lurish, comme bien on le pense, entra en grande fureur, et il se disposait a chatier cruellement les rebelles quand sa femme , lady Godiva, une merveille de grace, de beaute et de candeur, aussi douce ! et aussi compatissante qu'il etait farouche et rapace, se jeta toute en larmes a ses genoux, implora le pardon des malheureux sujets et supplia son puissant seigneur de ne pas rendre encore plus lourde leur misere, par la creation dun nouvel impot. Ce barbare, qui etait double dun etourdissant fantaisiste, promit tout, mais a une condition. Et quelle condition ! « Comtesse, dit-il, je pardonnerai a vos proteges leur insubordi- I HEN MELANCOLIE SALON DE 1890 LA PEINTURE 5 nation et je leur ferai raeme grace du nouveau droit de peage, si vous consentez a vous promener demain au lever du jour, dans les rues de la ville, toute nue sur un cheval. — Je consens », repondit doucement la chaste et vaillante com- tesse de Coventry, pendant qifune grande rougeur montait a son visage. Le comte, qui s'imaginait avoir impose une inacceptable condition, se trouva tres marri de son imprudence et ordonna a grand son de trompe que le jour de Tepreuve « quiconque hasarderait sur sa femme un regard indiscret, serait pendu ». Un certain Peeping-Tom, petit tailleur bossu et malin, fut le seul a oser enfreindre Tordonnance. La tentation etait si forte... L'imprudent fut cruellement puni, car a peine avait-il entr'ouvert sa lucarne, qu'un rayon de soleil lui entrait dans Toeil, aigu comme une fleche. II en devint borgne. Ce fut une nouvelle infirmite dont il n'eut d'ailleurs pas longtemps a souffrir, car le lendemain Lurish, qui voulait etre seul a connaitre les mysterieux tresors de beaute de sa femme, le fit accrocher a une potence. Le droit de peage fut supprime, et depuis lors les habitants du comte de Coventry venerent le nom de lady Godiva, a Tegal de celui d'une sainte. Tennyson a chante, dans une de ses plus poetiques legendes, la sublime action de la belle comtesse de Coventry, et c'est sans doute en lisant le barde anglais que M. Jules Lefebvre a decouvert le sujet pittoresque dont il a interprete la touchante originalite dans une toile importante, qui obtiendra au Salon un grand succes. M. Jules Lefebvre nous represente lady Godiva au moment ou, n'ayant d'autre parure que ses longs cheveux d 1 or, elle traverse les rues de la ville sur un cheval que conduit a la main une de ses ser- vantes. L'impression qui se degage de la vue de cette toile, est que Tinterpretation de la legende de Tennyson ne pouvait etre faite avec une penetration plus grande et une puissance d'evocation plus poetique. 6 SALON DE 1890 Comme on sent que Fartiste a du rever longtemps de son motif, en caresser, dans une lente preparation intellectuelle, tous les moin- dres details, vivre de la vie legendaire de ses personnages , et s'eprendre d'une belle passion, tres justifiee d'ailleurs, pour son hero'ique comtesse. II n'est guere besoin d'etre dote d'une excessive perspicacite pour deviner, a premiere vue, que cette oeuvre remar- quable n'est pas nee spontanement d'une lecture. Chaque detail de la composition est empreint d'une suggestivite trop grande pour n'avoir pas ete longuement medite, et j'avoue, pour ma part, que je retrouve , dans la belle toile de M. Lefebvre , lady Godiva telle que je l'ai vue passer et repasser, blanche et suave vision, a travers les strophes harmonieuses de Tennyson, et je ne puis me la repre- senter autrement. Si j'ai bonne memoire, le poete anglais raconte que la terrible epreuve eut lieu a la premiere lueur du jour, et M. Lefebvre, dans la fidelite de son interpretation, nous fait voir lady Godiva devalant la grande rue de la ville au milieu de la lumiere cendree du matin « aux yeux gris ». La blancheur laiteuse de ses chairs jeunes et fraiches resplendit dans la timide clarte de Taube naissante dont les voiles, de plus en plus legers, enveloppent doucement les etres et les choses, adoucissant les angles et noyant mollement les contours. La pittoresque physionomie moyen age de la vieille rue est rendue avec un tres grand souci de la verite archeologique. Prudemment respectueux des ordres du terrible Lurish, les bour- geois de Coventry tiennent leurs portes et leurs fenetres herme- tiquement closes . Seul le petit Peeping-Tom , embusque derriere sa lucarne entr'ouverte, guette d\in ceil enflamme le passage de la blanche promeneuse. L' impression de silence est admirablement rendue par le peintre et, dans cette rue deserte, dont toutes les maisons semblent abandonnees, on n'entend que le bruit des sabots du cheval sur le pave, et la respiration haletante de la suivante, dont Tinquietude des traits est magistralement rendue, et dont Failure tourmentee depeint si bien Tangoisse de Tame. LOBP: VOI SINS M rut E GARL I REPONSE AU PETIT FILS DE 1890 LA PEINTURE Quant a lady Godiva , les mains chastement croisees sur sa poitrine en fleur, les yeux mi-clos, les levres a peine entr'ouvertes. comme dans une priere, le front leve au ciel, elle accomplit hcroi- quement son douloureux pelerinage. Et son attitude chaste et tran- quille prouve combien la divine creature est loin de songer qu'un ceil ardent la regarde , et que sa matinale promenade en deshabille complet n'a pas seulement pour temoin la colombe qui voltige pres delle, gracieux symbole de la blancheur de son ame et de ses chairs. Assurement les apotres exclusifs des theories modernistes ne trouveront quune satisfaction tres incomplete dans la vue de cette toile, un peu archaique, et dont le sujet chimerique emprunte aux ages devolus, est traite dans la formule qui lui convient. 8 SALON DE 1890 Quant a nous, pour qui cependant les motifs pris a la vie reelle et exprimes avcc une savante originalite ont une attirance toute particuliere, nous confessons trcs volontiers que notre large eclectisme nous a perm is de contempler, avec une grande joie , cette exquise figure de lady Godiva, d'une si parfaite elegance de dessin, d'une execution si habile, et qui, nous n'en doutons pas un seul instant, comptera parmi les meilleures creations de Jules Lefebvre. Les contemplateurs des charmes de la comtesse de Coventry au Salon seront nombreux , et ils pourront jouir tout a leur aise du spectacle de sa beaute, sans avoir a redouter le triste sort de Taudacieux Peeping-Tom. Depuis Tepoque deja lointaine ou Decamps exposa sa Chasse aux vanneaux et son Soldat de la garde du Vi{ir, deux tableaux de la nature et de la vie d'Orient, executes cette fois avec sincerite et en dehors de tout caprice d'imagination romantique, par un artiste vraiment epris des contrees aimees du soleil , et qui ne s'inspirait pas seulement des rimes dorees de Victor Hugo, et des recits de Tabbe Michou, le nombre des peintres orientalistes s'est considerablement accru. Aujourdliui, de veritables legions d'artistes traversent la Medi- terranee , assoiffes de Timplacable lumiere, Tame pleine de reves ensoleilles. II n'est pas un bateau des grandes compagnies mari- times qui ne se rende a Oran, a Alger ou a La Goulette, sans porter dans ses flancs un jeune peintre orientaliste et sa fortune. L'Etat ne peut attribuer une bourse de voyage a un triomphateur du Salon , sans voir aussitot l'elu officiel boucler sa valise a la hate et se diriger a la vapeur vers le soleil, pendant que dans leurs vieux cadres les Durer, les Hals , les Rembrandt , les Ter- burg, le regardent avec melancolie s 'eloigner sans retourner la tcte. o CO en w Q < < o o w pc w PL, w PL, < PC o o Ph PC W PC PL, o CO < E- D Q u ■w o CO Q H LA PEINTURE 9 (Test a grand* peine qu'il se decide a faire un crochet dans Tltalie du nord, pour adresser, en passant, un petit salut familier a Botticelli, a Raphael et a Leonard. Je renouvelais dernierement, pres des reliques du bienheureux Bou-Medine, un saint du paradis pour lequel ma veneration est tres profonde, un pieux pelerinage. C'est un coin du monde vraiment charmant que celui ou reposent les restes sacres du marabout. Representez-vous, dans un petit village aux maisons blanches , perche sur une colline verte (un de ces verts somptueux si chers a Delacroix) et tout grouillant de burnous et de ha'iks, une mosquee, tres elegante et tres vieille, toute brodee interieurement de versets du Coran, tapissee de tentures eclatantes, pleines de fraicheur parfumee, et dont le svelte minaret se detache sur Tazur du ciel, presque rouge io SALON DE 1890 au matin , dun blanc timide et tremblant en plein midi , et tout rose quand le soleil couchant lui envoie sa derniere caresse du haut des vieux remparts de Mansourah. Ce petit village, venere de tout Tlslam, et ou les souverains de Tlemcen venaient converser autrefois avec les anachoretes, est encadre dans une merveilleuse campagne, une vraie campagne biblique herissee de monticules mollement arrondis, qu'escaladent, en rangs presses, des oliviers et des grenadiers, et coupee de larges etendues vertes et blondes, ou Ton cueille des raisins exquis, et ou les epis s'inclinent sous le poids des grains. Le pays de Chanaan... Pour s'y rendre de Tlemcen, qui en est distante d\ine demi- lieue environ, il faut traverser un cimetiere indigene, vaste campo- santo de plusieurs kilometres de superficie (car les Arabes n'exhument pas les cadavres), ou des generations entieres dorment leur dernier sommeil. De hautes herbes , grasses et luisantes , parsemees de fleurs superbes, recouvrent presque toutes les tombes, sur lesquelles les figuiers sauvages, les poivriers au leger feuillage jettent, comme un voile, leurs ombres bleues. Dans ce pays charmant, tout sourit a la vie, meme la mort. Sur cette terre du reve, veritable poeme de la nature, ou toutes les harmonies des parfums et des couleurs se confondent dans la douce melancolie des souvenirs, j'apercevais a chaque instant, tout comme a Cernay, a Barbizon, ou a Pont-Aven, d'immenses parasols, sous lesquels s'abritaient des peintres orientalistes tres convaincus, accourus de tous les points du monde pour tenter de fixer a jamais sur la toile les magiques splendeurs du soleil. Dcpuis Decamps, bien des artistes ont traverse les mers pour aller demander au soleil d'Afrique d'immortelles inspirations, et pour fixer, dans une formule eternelle, la rayonnante magie de E PENNK 3 GRANDS CH1ENS BLANCS DU ROY )) SALON pi w Si E- < < < p z < LA PEINTURE i, son soleil et les troublantes vibrations de son atmosphere. - - Com- bien peu ont triomphe ! Que cle retours decourages et de reves detruits ! Citons les vainqueurs : Decamps, Marilhat , Delacroix, Fromentin , Gerome , Regnault, Guillaumet. — En trouvez-vous d'autres parmi nos peintres franc.ais ? Marilhat, Regnault, Guillaumet,... amants passionnes du soleil, que la mort abattit dans la fleur de leur vie et dans toute la force de leur talent. C'est a croire a la legende icarienne... Dieu nous garde cependant doser dire- que dans la jeune gene- ration de peintres que TOrient attire et qui passent Teau, emportant dans leur ame Tardent desir de raconter a leurs malheureux freres d'Occident, immobilises dans leurs brouillards gris , les splendeurs veloutees des nuits africaines , Tembrasement des collines chauves et des blanches solitudes, la majeste farouche des Arabes... nul n'a su s'elever a la hauteur de son lumineux sujet. De toutes les missions que Tadministration des Beaux-Arts nous fait Thonneur de nous confier, une des plus agreables, sans con- tredit, est celle qui consiste a examiner les etudes rapportees par les boursiers de voyage de leurs promenades artistiques a travers le monde, et de faire connaitre, clans des rapports individuels, notre opinion sur les travaux de ces jeunes artistes. Nous devons declarer que chacun de ces rapports est, en general, une constatation tres elogieuse des laborieux efforts de nos lau- reats officiels. A part de tres rares exceptions, nos boursiers de voyage reviennent dans leurs foyers, au bout d'une annee d'absence, surcharges d'etudes a Thuile, d'aquarelles, de dessins, de croquis et me me d'impres- sions ecrites, du plus haut interet. J'avoue que le plaisir que j eprouve a passer en revue toutes ces notes de voyage , d'une 12 SALON DE 1890 etonnante sincerite, et ou le temperament de l'artiste, vivement impressionne par des spectacles imprevus, se manifeste d'une fagon toute prime-sautiere est tres grand , et je souhaite vivement que l'administration des Beaux-Arts se decide a faire, comme pour les envois de Rome, une exposition des etudes, souvent tres impor- tantes, des boursiers de voyage. La perspective d'une exposition pareille ne pourrait, nous en sommes persuade, qu'etre tres agreable a ces derniers, et nous croyons sans peine que le public trouverait, dans Texamen de ces travaux si sinceres et si varies, une satis- faction aussi grande que celle que lui procure la vue des envois annuels de la Villa-Medicis. II va sans dire que parmi toutes ces etudes rapportees par des boursiers de voyage, beaucoup representent des sujets d'Orient. La Belgique, la Hollande, l'ltalie, TEspagne, le Maroc, TAlgerie, < o < PC >£ JO m w p PC < O < J H PC o £/) o o en w LA PEINTURE i3 la Tunisie, telles sont les contrees que, dans une seule annee, tra- versent, au pas de course, leur palette au pouce , la plupart de nos jeunes et infatigables artistes. Mais ce sont surtout ces trois derniers pays qui les gardent le plus longtemps. Certains me me d'entre eux, comme MM. Dinet, Girardot, Bompard, Paul Leroy, en rapportent une sorte de melan- colie nostalgique. Les lumineuses profondeurs du desert ont pour eux un irresistible attrait. L'Afrique les tient desormais. lis sont de la race des grands peintres dont nous avons cite les noms plus haut. lis sont atteints de Timpitoyable mal du soleil, et ils sont condamnes a vivre de Leblouissement de ses rayons. C'est sur les ceuvres de ces quatre artistes que nous devons fixer le plus attentivement le regard, si nous voulons suivre les travaux de notre grande ecole orientaliste, interrompue un moment par la mort du regrette Guillaumet. MM. Dinet et Girardot ayant expose au Champ de Mars, nous n'en parlerons que dans la deuxieme partie de cette etude. Sous ces titres : les Bouchers (oasis de Chemla) et le Vieux C hernia, M. Maurice Bompard expose deux toiles tout a fait remar- quables, qui vont, cette annee, mettre son nom en pleine lumiere. A vrai dire, nous n'etions pas sans inquietude sur Tavenir de M. Bompard, dont nous avions suivi avec le plus vif interet les premiers efforts , alors qu'il nous rapportait de Tunis des toiles pleines certainernent de qualites et ou se revelait parfois un solide temperament de peintre, mais d'une execution souvent trop creuse et d'une originalite discutable. Ses derniers envois au Salon n'avaient satisfait que tres mediocrement notre curiosite. Que M. Bompard en prenne definitivement son parti, il est peintre orientaliste dans Lame, et apres nous avoir montre, comme il vient de le faire, les Bouchers de Chemla, accroupis au milieu ,4 SALON DE 1890 de lcurs tripes saignantes, dans Tombre fraiche de leurs echoppes, dont les murs semblent avoir ete ronges par le vent du desert , et d'ou Ton apergoit la campagne incendiee, il lui sera bien dif- ficile de nous interesser par la peinture de jeunes demoiselles faisant leur toilette et se pomponnant la nuque « avant le bois ». II faut a son large et lumineux pinceau des sujets plus vibrants et plus vigoureux. Jusqu'ici les toiles de M. Maurice Bompard , meme les meil- leures, comme sa Boucherie tunisienne , son Harem a Grenade, choquaient le regard par une exageration regrettable de tons bitu- mineux et rougeatres qui detruisaient une partie de la distinction generale de Tensemble en alourdissant certains details de la com- position , systeme malheureux de coloration dont il est facile de deviner les origines, quand on connait les ceuvres du maitre et de Televe. Aujourd'hui M. Bompard jouit en pleine liberte des bienfaits d'une emancipation complete, et il transporte dans Tetude des phenomenes lumineux des milieux africains, un procede tout moderne d'observation. Ses dernieres toiles ont un aspect general d'une realite seduisante. Sa vue du Vieux Chemla n'obtiendra pas un moindre succes que ses Bouchers. (Test aussi, sans doute, a Theureuse et bienfaisante institution des bourses de voyage que M. Paul Leroy doit de connaitre et d'aimer TOrient, comme ses camarades MM. Dinet, Girardot, Bom- pard qui peut-etre n'auraient jamais rejoui nos yeux par la splen- deur de leurs compositions africaines , sans la generositc , plus intelligente que large, de l'Etat. Contrairement a ses confreres en orientalisme, qui se complai- sent surtout, ce dont nous les felicitons d'ailleurs, a interpreter avec une sinceritc parfaite les tableaux de la vie reelle, M. Paul Leroy emprunte de preference ses sujets aux lointaines epoques bibliques. Mais il faut lui rendre cette justice qu'il sait , avec une habilete o < c CO - < :- LA PEINTURE i '? tres grande, associer dans son oeuvre lc respect de la legende et Tamour de la nature. Com me le peintre saxon Frederic LJhde, dont les doctrines esthetiques sont tin peu les siennes, il aimc ;i nous faire voir ses personnages heroiques ou divins , vivant tres humainement , dans des milieux modernes. Aussi , rien de poncif dans l'aspect general de ses compositions , rien de suranne dans L execution tres originate des details, toujours fort consciencieu- sement observes. Apres nous avoir montre , il y a quelques annees , dans des toiles qui furent tres remarquees au palais des Champs-Elysees, Jesus conversant familierement avec les saintes femmes, dans un petit salon mauresquc de la Kasbah d' Alger, tapisse CCaiulejos de haut gout, puis Samson, prisonnier des Philistins, tournant la meule d'un moulin dans un interieur saharien, M. Paul Leroy nous fait assister, en 1890, a la Guerison des aveuglcs de Jericho. II nous raconte cette histoire extraordinaire dans une vaste toile, ou se pressent de nombreux personnages , dont les tres diverses attitudes et les vives emotions sont exprimees avec un rare bonheur. Nous nous trompons fort si cette importante composition, qui fait le plus grand honneur a M. Paul Leroy, ne figure pas bientot dans une de nos principales galeries nationales. Les fanatiques partisans de la peinture historique , ceux pour lesquels le « smite partulos... » de Flandrin, qui s'etale helas ! aujourd'hui au musee du Louvre, est le dernier mot du genre, reprocheront peut-etre a la toile de M. Paul Leroy de renfermer quelques anachronismes archeologiques. lis ne cacheront sans doute pas leur surprise en constatant que les citoyens de Jericho sont vetus comme de simples Arabes du Tell, et que les aveugles ont endosse la djellabab du terrassier marocain, tres a la mode, parait-il, chez nos voisins d'Afrique depuis quelques annees seulement. Quant a nous, pour qui le sujet choisi n'a qu'un interet secon- daire, nous reconnaissons bien volontiers que M. Paul Leroy a su draper ses personnages avec un art infini, que l'attitude du Christ 1 6 SALON DE 1890 est pleine de grandeur, que le groupe de spectateurs qui assistent au miracle est d'une expression juste, d'un ordonnancement fort habile et d'un beau dessin , et que Tagenouillement de Taveugle qui touche de ses mains tremblantes les pieds du divin docteur , est tout un poeme d'adoration reconnaissante. Chacun des person- nages de M. Paul Leroy est d'une realite vivante. II a beau ecrire au bas de son cadre que la scene qu'il represente se passe a Jericho, nous persistons a decouvrir dans les acteurs de cette scene de beaux et braves Arbis, rencontres tres vivants dans nos prome- nades en Algerie , et le cadre qu'il donne a Taction n'est qu'un developpement tres etudie et tres sincere, d'une bonne etude prise par un jour de grande chaleur dans les environs de Mascara ou de Mostaganem. Elle est deja bien loin de nous Tepoque ou M. Gerome rap- portait de ses longues peregrinations a travers les pays du soleil, ces toiles celebres qui consacrerent definitivement sa renommee de peintre orientaliste, et qui s'appellent : Les recrues egyptiennes traversant le desert, les Chameaux a I'abreuvoir, puis le Prison- nier et la Priere. Depuis ces jours lointains , Tillustre artiste a produit bien des ceuvres, inspirees en grande partie par TOrient et par l'antiquite grecque et romaine. Certaines, et des meilleures, representent des motifs modernes. Son savant pinceau , toujours guide dans ses recherches du pittoresque par une brillante ima- gination, s'est promene, comme on le voit, a travers tous les sujets de tous les temps. Mais la persistance, quasi religieuse, avec laquelle il offre depuis quelques annees a nos regards des scenes de la vie d'Afrique, indique assez, combien etait profonde en lui la passion du soleil. Comme si sa verte vieillesse devait trouver dans ce retour vers le passe une vigueur encore plus grande, il revient avec une ardeur visible a ses premieres amours, et on devine qu'il boit voluptueusement a la source de lumiere ou il puisa la force de son talent. Sans doute on ne rencontre pas toujours dans ses nouvelles com- - JTAISIE JAPONAISE LAPEINTURE 17 positions orientates une chaleur dexpression aussi vibrante que dans les toiles que nous avons mentionnees plus haut , mais la precision du dessin y est toujours aussi grande , et il arrive sou- vent, par la magie du souvenir , qui doit avoir d'ailleurs pour auxiliaires de precieux documents faits detudes anciennes, a evoquer chez le spectateur la vision reelle des pays qu'il a tant aimes. A.BROUIL] II est, croyons-nous, dans l'oeuvre de Gerome, peu de tableaux ou soient resumees, avec plus d'intensite que dans son Abreuvoir, qu'il expose cette annee, les qualites qui constituent la caracteristique de son talent : une impeccable habilete de composition, une analyse raffinee du detail , un dessin d'une etonnante precision , et , ce qui toujours fera des tableaux de Gerome des oeuvres d\me incontestable personnalite, la vivante expression ethnographique des individus. 18 SALON DE 1890 La seconde toile, qui represente un lion lance a la poursuite d'une troupe d'antilopes, est d'un interet tres attachant et retiendra longuement Tattention du public. Le dangereux plaisir d'assister a une chasse de ce genre ne nous a pas encore ete procure jusqu'ici, mais la chose ne doit guere se passer differemment, et c 1 est par ces bonds prodigieux, qui donnent a Failure du lion, dont Gerome a savamment decompose les mouvements, une physionomie si bizarre, que le terrible felin doit franchir les distances qui le separent des agiles fuyards, emportes dans un nuage de poussiere. La scene se passe dans une morne solitude, herissee de mon- tagnes arides , ruisselantes de soleil. Jamais M. Gerome n"avait mieux rendu, que dans cette toile, toute baignee d'une belle lumiere africaine, et ou le roi des animaux fait a peine tache, ces profon- deurs du desert, ces immensites lumineuses, insondables comme le ciel, et dont il sait si magistralement donner la sensation, sans avoir recours, pour cela, a des cadres demesures. Nous sommes conduit, a la suite d'une association d'idees assez naturelle, a parler ici de M. Georges Rochegrosse, dont le Combat de Cailles fait songer involontairement au fameux Combat de coqs de Gerome, cette delicieuse fantaisie neo-grecque qui a pris place parmi les meilleures ceuvres du maitre. Ce n'est pas que le talent tres personnel de M. Rochegrosse subisse Tinfluence de M. Gerome, et qu'il y ait entre le Combat de Cailles et le Combat de Coqs une analogie de composition evidente. Mais le jeune peintre de Vitellius, toujours fidele aux souvenirs du passe, a cru devoir aussi donner pour cadre au combat de ses petits lutteurs, casques comme les gladiateurs du Pollice verso, un milieu antique, et, comme la belle toile de M. Gerome, la precieuse composition de M. Rochegrosse est pleine de suaves evocations historiques. Le Combat de Cailles dont les dimensions, des plus modestes, ne rappellent en rien celles $ Andromaque et de la Mort de Cesar, sera fort goute du public , et du meilleur , car la conception en est fort spirituelle, le coloris charmant , et le dessin est dune en < O in g D O x: z LA PEINTURE 19 souplesse et d'une precision remarquables. Evidemment M. Roche- grosse est en tres grand progres. II est aujourd'hui presque en pleine possession de son talent, et nous pouvons predire des maintenant un retentissant succes a la Prise de Baby lone, toile d'une importance considerable , a laquelle le jeune et laborieux artiste travaille sans cesse depuis plusieurs annees , et qui figurera au Salon de 1891. Le Combat de Cailles eveillera dans Tesprit de bien des visi- teurs le souvenir des compositions d'Alma-Tadema, pour le talent archeologique duquel M. Rochegrosse est rempli , sans doute, d'un respect profond. Jamais le peintre anglais rfa d'ailleurs mieux rendu la durete blanche et froide du marbre, que M. Rochegrosse, dans la com- position qui nous occupe, et jamais sa prestigieuse virtuosite ne s'est exercee avec plus de precision heureuse que celle de M. Roche- grosse, lorsque ce dernier a promene son pinceau dans tous les details de son precieux tableau. Mais la ou le jeune artiste frangais se montre, a notre avis, bien supe- rieur au maitre anglais, c'est dans la sincerite de son interpretation. II ne se preoccupe pas seulement de la couleur reelle des choses qu'il finit toujours par decouvrir , a Taide de savantes et infati- gables investigations , mais aussi de la verite des types disparus qu'il reussit a reconstituer, grace a de constantes observations syn- thetiques faites a travers les descendances abatardies. Les Romanies que Rochegrosse nous montre dans le Combat de Cailles sont de veritables Romaines de Rome. Elles ont vu le jour sur une des sept collines , tandis que les Grecques et les Romaines d'Alma-Tadema, sveltes et dedicates figures de Keapsake, ont ouvert pour la premiere fois leurs yeux bleus dans les brouil- lards anglais. M. Gagliardini a pour le soleil un culte si profond, qu'alors meme qu'il ne peignait encore que des vues des Vosges, de Picardie 20 SALON DE 1890 ct cTAuvergne, il sc laissait voluptueusement eblouir par de chi- meriques rayons, et nous connaissons de lui certains coins d'Au- vergne et des cours de fermes picardes qui sont incendies de lumiere, comme des paysages africains, et sur lesquels passe comme un souffle de sirocco. Aujourd'hui, les critiques que nous avons eu jadis Toccasion de formuler au sujet de l'ensoleillement a outrance de certaines toiles de M. Gagliardini tombent d'elles-memes, car en transportant son chevalet en pleine Provence , cet artiste , si richement doue , a trouve des motifs en parfaite concordance avec l'intensite de sa vision. Ses deux vues de Toulon sont d'une belle couleur reelle, dans leur eblouissante clarte. Tout est lumiere, tout est joie ! (Les Rayons et les Ombres. 1 C'est de ce vers, emprunte pour la circonstance a Victor Hugo, que M. H. Fourie s"est inspire pour peindre Timportante compo- sition qu'il envoie au Palais des Champs-Elysees. L'art de la miniature ne dut jamais attirer beaucoup M. Fourie. II nous est difficile de nous le representer cherchant a exprimer sa pensee, a Taide de patients efforts, sur une branche d'eventail ou sur un couvercle de tabatiere. Son pinceau est fougueux et large, et il lui faut de vastes espaces pour peindre ses luxuriantes fantaisies. La toile qu'il expose cette annee ne nous semble pas de moindres dimensions que le Repas de noce qui , du meme coup , mit en lumiere le nom du jeune peintre, et la Kermesse nonnande, ou la critique put malheureusement s'exercer avec une liberte tres grande. Certes , le theme choisi par M. Fourie pouvait etre soumis a un grand nombre d'interpretations bien diverses. Cet artiste , toujours amoureux des fetes champetres , debor- dantes de vie et de gaiete, a place le vers du poete, comme legende explicative, au bas d'une toile ou, sur un fond de vert feuillage, en pleine nature, dans le poudroiement eblouissant dune lumiere d'ete , passe , en courant , une troupe de jeunes femmes nues , 2 Z < — i'/°*Z, p: m w o iz P LA PEINTURE 3i II est non seulement penetre de la poesie sauvage de ses sites , dont il sait rendre avec une rare conscience les aspects si divers, mais il reussit encore a les animer d'une vie reelle et bien locale en y placant des scenes rustiques , toujours d'un tres heureux arrangement. M. Deyrolle est de la joyeuse race des vieux peintres de kermesses flamandes. Qu'il me permette toutefois de lui faire le reproche d'enfermer trop souvent ses compositions anecdotiques dans des cadres dont les dimensions font songer a celles de la Naissance de Henri IV ou de V Entree des croises a Constantinople. Cette annee encore , sa Noce en Bretagne est racontee en trop grands caracteres. II est des sujets qui s'affaiblissent dans Texa- geration des developpements, et % je sais des scenes champetres de Teniers, d'Ostade et de Pieter van Laer, purs chefs-d'oeuvre de vie et de couleur, dont on n"a jamais songe a critiquer les modestes dimensions. II est vrai que ces vieux maitres se souciaient fort peu des distinctions honorifiques, et M. Deyrolle, sans doute, se croit contraint, comme la plupart de ses confreres, de manifester ses ambitions en couvrant de peinture d'immenses surfaces de toile. Cette quasi-obligation , pour les candidats aux medailles , de presenter a Texamen du jury des sujets traites dans un vaste format, afin que la constatation de leurs laborieux efforts soit plus manifeste, est un nouvel argument en faveur de la suppression definitive de toutes ces recompenses banales , qui ne peuvent etre obtenues qu'au prix de douloureuses capitulations, et dont un des plus deplorables resultats est de couvrir le marche artis- tique de toiles impossibles a caser dans des galeries particu- lieres, et qui trop souvent, helas ! finissent par echouer dans nos galeries nationales, grace aux appels desesperes des glorieux lau- reats. Ceci dit , nous reconnaissons tres volontiers que la toile de M. Deyrolle est pleine d'excellentes qualites. Nous ajouterons meme que sa Noce en Bretagne est une de ses meilleures compositions. La couleur est plus gaie, plus chantante. Son dessin est plus precis. 3 2 SALON DE 1890 Les groupes sont cTun tres gracieux ordonnancement ; chacun de ses personnages manifeste d'une fagon tres spirituelle sa joie de vivre, et toute la composition est tres habilement baignee de la douce lumiere du printemps breton. Que dire de la Suzanne de M. Andre Brouillet? Certes le sujet est piquant, et le gros public s'attarde volontiers devant cette *•©■ "W << scnsationnelle exhibition ». Le spectacle de cette chaste Suzanne du Moulin-Rouge, ecoutant d'un air souriant les propos galants des deux vieux beaux qui se disputent ses faveurs venales , affriole bon nombre de visiteurs du Salon, surtout les dimanches et jours de fete. Je ne doute pas du grand succes photographique de cette toile. Si c'est ce genre de triomphe que desirait M. Andre Brouillet, il doit etre pleinement satisfait. Mais nous connaissons suffisam- ment cet artiste, nous avons assez etudie son oeuvre, et nous suivons [L P- O r P 2 < en - o < o LA PEINTURE 33 depuis assez longtemps ses efforts, pour pouvoir affirmer que sa Suzanne n'est qu'une simple fantaisie d'un jour d'ennui , dans Texecution de laquelle le talent original de Tartiste semble d'ailleurs avoir perdu toute son energie native. Nous savons M. Brouillet assez amoureux de son art pour pouvoir affirmer qu'il n'a nulle- ment renonce a ses austeres inspirations d'autrefois , et que son brillant pinceau retrouvera encore toute sa vigueur lumineuse , lorsqu'il nous racontera la vie robuste des rudes travailleurs des champs, bronzes par le grand air et les caresses du soleil. La muse de M. Maurice Leloir n'est pas toujours souriante. Le sujet traite cette annee par cet artiste de talent appartient encore aux epoques qu'il affectionne , mais il est singulierement sombre et tragique. M. Maurice Leloir nous fait assister a une chasse aux protestants au lendemain de la revocation de l'edit de Nantes. La toile represente une vue sauvage des Cevennes. Un groupe de fugitifs s'est cache derriere des rochers, esperant echapper aux recherches des soldats du marechal de Villars. Mais la retraite est decouverte, et les soldats s'avancent en poussant des cris de joie. Le peintre a bien exprime, dans son groupe des fugitifs, Theroisme et la terreur. Sous ce ciel en deuil, au milieu de ces montagnes nues, dans ce decor a la Salvator Rosa, cet episode de la plus hideuse de nos guerres civiles prend un caractere tra- gique de reelle grandeur. La toile de M. Maurice Leloir est d'une belle couleur historique. Les peintres ordinaires des sujets militaires , MM. Grolleron , Boutigny, Marius Roy, sont represented au Salon par de petites toiles episodiques ou anecdotiques qui ont le don precieux d'inte- resser tous les visiteurs du palais des Champs-Elysees. Celle de M. Grolleron, dont Texecution, sans perdre de sa vigueur, s'est legerement affinee, est particulierement interessante. Cette toile, qui porte pour titre : Retour de reconnaissance, nous montre une com- pagnie de ligne defilant dans une campagne monotone, sous un ciel clair et brulant. Elle rentre au camp d\m pas lent et attriste, 34 SALON DE 1890 car au premier rang marchent deux soldats qui portent sur une civiere le cadavre de Tofficier qui commandait r expedition. Toutes les attitudes sont mornes, toutes les expressions sont soucieuses, et la presence des uhlans prisonniers ne peut distraire la pensee des soldats de la perte de leur chef. Ce petit drarae militaire est conte avec une emotion communicative. Le sujet traite par M. Marius Roy n'a rien de dramatique. Nous assistons , dans la Journee finie, au plaisant spectacle d'une joyeuse causerie d'artilleurs, assis en cercle au pied d'une redoute ou s'allongent , pointes vers Thorizon, les cols minces et bronzes de canons, dernier modele, sur le repos menacant desquels veille, sabre au bras, une sentinelle d\ine allure tout a fait epique. La faconde du principal orateur du groupe, contraste d'une fagon tres humoristique avec le silence effrayant des canons. Et cependant, bien que le conteur paraisse de fort joyeuse humeur, et que son recit soit du plus haut interet, la fatigue de la journee a ete si grande, que deux ou trois de ses auditeurs ont seuls la force de Tecouter, bouche bee. Les autres s'endorment lourdement, et leur lassitude est si grande, que la batterie tout entiere pourrait tonner sans les reveiller. Une douce lumiere crepusculaire a travers laquelle brille deja le croissant de la lune, eclaire cette jolie petite scene de la vie militaire, que le peintre a placee dans un paysage d'une belle execution. Les deux toiles de M. Boutigny : Derniere faction et Surprise dans un village, ne nous apprennent rien de nouveau sur le talent de cet artiste qui cherche surtout a attirer Tattention du visiteur par le choix dramatique du sujet. M. Boutigny ne possede ni Texe- cution robuste de M. Grolleron , ni les qualites de colons de M. Marius Roy, mais il exeelle a exprimer la realite des mouve- ments et des attitudes. Ses compositions sont toujours tres vivantes. Les toiles militaires que nous venons de signaler sont certaine- ment les meilleures du Salon. Citons cependant encore une puis- sante etude executee dans le meme ordre d'idees et signee du O W w < O o < > P CO <; R H co s PL, PC ;=> co w z o -3 LA PEINTURE 35 nom d'un jeune artiste de talent, M. Alphonse Chigot. Sous ce simple titre : Un heros, M. Chigot nous represente un des episodes les plus sublimes de la guerre de 1870. C'est la mort heroique de ce turco qui, « reste seul en arriere, sur la lisiere de la foret d' Orleans, arrete une colonne hessoise par cinq decharges succes- sives , et tombe crible de balles ». M. Chigot s'est senti emu au fond du coeur a la lecture de ce haut fait d'armes , presque ignore, et il a tres heureusement cele- bre, dans sa petite toile d'une execution som- maire et violente, mais d'un superbe coloris, la mort sublime de Tobscur heros. M. de Richemont est un mystique. II emprunte de preference ses sujets aux legendes chretien- nes et aux reveries des poetes. Nous aimons a nous souvenir de la douce impression que nous causa la belle et poetique composition qu'il exposa au Salon de 1886, sous ce titre : La Legende de sainte Marie de Brabant. II avait exprime avec une etonnante souplesse de touche la tendre mysticite de son sujet. Je vois encore ses vierges aux formes vaporeuses tournant lentement, tres lentement, autour du tombeau de la sainte, avec des attitudes gracieusement manierees et encore impregnees d'un E LUMINAIS - Rei 36 SALON DE 1890 peu dc coquetterie feminine , si legeres , si immaterielles , qu'on s'attendait toujours a les voir s'evanouir comme un reve. A notre avis, Fceuvre exposee cette annee par M. de Riche- mont est encore superieure a celle que nous venons de mentionner. II a exprime avec une parfaite harmonie de couleur et de pensee une des plus delicieuses scenes du Reve, d'Emile Zola, et sans doute le maitre romancier a du etre tres satisfait d'une aussi parfaite traduction de son genie. Le cadre porte pour legende cette phrase empruntee au livre : « Angelique, extasiee, regardait devant elle dans la blancheur de la chambre ». J'avoue que cette ceuvre, essentiellement suggestive, pleine d'evocations charmantes, est de celles qui retiennent le plus longuement mon attention au Salon, car c'est avec un art d'une infinie delicatesse et d'une habilete fort grande que M. de Riche- mont a donne a son sujet une forme presque palpable dans sa vaporeuse et flottante interpretation. Le ravissement d' Angelique, qui semble s'immaterialiser dans la briilante chaleur de son reve d'amour, ragenouillement extasie de Felicien devant la legere et gracieuse apparition de sa maitresse, la blancheur des draperies, la douce clarte de la chambre ou luttent timidement les premieres clartes de Taube et la mourante lueur de la lampe, tout cela est rendu avec un art subtil et une virtuosite attendrie. Que M. de Richemont nous permette de lui adresser nos plus sinceres felicitations. Sa toile est des plus remarquables et lui fait le plus grand honneur. Le catalogue nous apprend que le tableau expose cette annee par M. Jules Scolbert est destine a decorer la mairie du [Pantheon. Cette circonstance explique le choix du sujet, la Vaccination, et nous interdit desormais de reprocher a M. Scolbert d'avoir eu Timprudente audace de boire a la meme source d 1 inspiration que M. Dagnan-Bouveret qui, lui aussi, exposa, il y a quelques annees, au Salon, une inoubliable scene de vaccination qui comptera tou- jours parmi ses ceuvres les meilleures. UCHEMONT LE REVE ■ ■J : CO E 2S < SJ : < O z 2 LA PEINTURE 37 Dans la composition de son sujet, et me me dans l'execution de certains details , M. Scolbert a subi l'imperieuse influence de M. Dagnan. La chose etait presque fatale. Nous devons cepen- dant reconnaitre que la toile de M. Scolbert, tres spirituellement concue, est remplie de qualites personnelles. La lumiere y est fort habilement distribute, et certains de ses personnages du pre- mier plan sont d'une facture savante. Sous ce titre : La Nuit de Noel, M. Maurice Pierrey, qui est en tres grands progres , expose une composition importante d'un beau sentiment et d'une agreable couleur. Ses figures, tres bien groupees, sont habilement noyees dans les tenebres transparentes d'une nuit pleine d'etoiles. M. Pierrey a ete tres penetre par son sujet, et il se degage de sa belle toile une grande impression de calme et de recueillement. La figure de sa vierge , doucement doree par une aureole mystique, est d'une divine beaute. Mais 38 SALON DE 1890 pourquoi M. Pierrey a-t-il si mollement ebauche les chiens de ses bergers ? Ces malheureuses betes semblent desossees. Sont-ce bien les fideles images des slouglhis muscles et nerveux qui durent servir de modele au peintre ? Mentionnons aussi les Femmes arabes battant du ble, de M. Alexandre Lunois. L'artiste qui a signe cette toile a etudie d'une facon bien penetrante le monde arabe. Devant ses person- nages aux attitudes si souples et si variees, devant ces larges et lumineux espaces ou ils vivent, on a la douce illusion de la realite. La caracteristique du talent tres personnel de M. Lunois est dans la precision vigoureuse de son dessin. M. Lunois, qui est un jeune, peut etre classe, croyons-nous, parmi les peintres d'avenir. Apres le bain, de M. Paul Peel, est a coup sur une des plus interessantes toiles du Salon, et c'est avec un succes complet que cet artiste de grand talent a peint les chairs fines et rosees de ces deux bebes nus, debout dans de ravissantes attitudes enfan- tines, devant un foyer invisible dont les flammes les habillent de reflets ambres. Cette toile est remplie de qualites de premier ordre et obtient un succes des plus merites aupres des vrais amateurs d'art. M. Kaemmerer expose deux petites toiles egalement interes- santes, quoique executees dans deux ordres d'idees bien differents. Dans Tune et dans Tautre on retrouve la fine coloration , Texecu- tion precieuse, et le style agreablement maniere du peintre hol- landais. Cependant nous avouons que notre surprise a ete grande en apprenant que M. Kaemmerer consacrait parfois ses loisirs d'artiste a peindre des vues du Pere-Lachaise, et qu'il dressait volontiers son chevalet devant le mur des Federes. Esperons que ce n'est la qu'une rapide incursion dans le domaine de la Mort, et que cet artiste nous ramenera bientot au milieu des belles et charmantes merveilleuses dont il sait si bien, comme ses ancetres Terbug et Metza, faire briller les satins et les moires. Que M. Kaemmerer n'oublie jamais que c'est au gracieux sourire des belles elegantes • - < < TROP CHER DE 1890 LA PEINTURE 3g dont il se plaisait autrefois a representer les graces coquettes et provocantes, qu'il doit la meilleure part de sa reputation. « A la bataille d'Austerlitz, le porte etendard venait de tomber, frappe a mort ; le chien Moustache saisit avec ses dents le glo- rieux haillon couvert de sang, l'arrache des mains d'un Autrichien qui s'en etait deja empare, et le rapporte a sa compagnie. En recompense de cette belle action, Moustache fut decore par le marechal Lannes. » Ainsi s'exprime le lieutenant Jupin dans son interessant ouvrage sur les Chiens militaires dans I'armee francaise. Cest de ce recit tout a fait epique que s 1 est inspire M. Alexandre Bloch, pour peindre l'interessante composition qu'il expose cette annee au Salon et qui obtient un succes tres justifie. Le brave Moustache avait son histo- rien. II a trouve son peintre et, plus que jamais, l'eternite de sa memoire est assuree, comme celle des Muphty, des Annibal, et de cet hero'ique chien du Louvre, de ce martyr ignore dont Casi- mir Delavigne a chante la vertu dans des vers celebres. Peut-etre pouvons-nous nous permettre ici, pour la recreation du lecteur sans doute un peu las de peinture, de citer la premiere stance de cette etourdissante et suave elegie, qui figure a titre d'exemple dans la plupart des anthologies des poetes francais : Ce'tait le jour de la bataille, II s'elanga sous la mitraille, Son chien suivit. Le plomb tous deux vint les atteindre. Est-ce le maitre qu'il faut plaindre ? Le chien survit. Passant, que ton front se decouvre ! Etc. Apres ce repos salutaire dans la poesie, revenons a notre sujet en adressant nos eloges a M. Gueldry dont le talent s'affirme de plus en plus. La toile qu'il expose sous ce titre : Un jour de 4 o SALON DE 1890 regales, est une des meilleures ceuvres du Salon. Les dels, les eaux, les verdures y jsont traites avec une tres brillante franchise de pinceau, et toute la composition est baignee par une brise fraiche et enveloppante. Les groupes des canotiers et des specta- teurs sont tres heureusement distribues dans un savant desordre, et il s'echappe de toute cette foule en fete une belle rumeur de gaiete. Que M. Gueldry nous permette cependant de lui conseiller de se livrer a une analyse un peu plus penetrante du visage humain. Parfois les expressions de ses personnages sont bien vaguement formulees dans un dessin trop hatif. M. Haquette ne retrouvera pas, cette annee, le succes que lui valurent jadis certaines peintures de scenes maritimes, comme le Coup de vent, le Salut ait calvaire. Son immense toile est par trop inexpressive. L/ attitude de ses personnages est melodramatique et fausse. Sous ce ciel pateux, sur cette mer de platre, aucune brise ne souffle. M. Haquette a une revanche a prendre. Nous avons dans ses persistants efforts et dans son vigoureux talent, assez de confiance pour pouvoir predire qu'il ne s'attardera pas longtemps sous le penible effet de son insucces momentane. M. Vayson est bien represents au Salon par son Troupeau fuyant devant I 'or age et la Fenaison. On sent que son pinceau gras et lumineux s'est amoureusement promene dans ces deux com- positions ou il a reussi a exprimer, avec un sentiment tres juste, la pleine nature dans son agitation et dans son repos. II etait difficile de rendre avec une poesie plus intense que dans la Fenai- son, le charme infini qui se degage du crepuscule d'ete, cette sorte de paix profonde qui gagne la nature entiere avant Tarrivee de la nuit dont les premiers voiles estompent deja les derniers mou- vements des travailleurs des champs. Tout autre est Taspect de la seconde toile. Ici le peintre nous fait assister a un veritable drame de la nature. Sous un ciel tenebreux, ou roulent de gros nuages noirs chasses par un vent d'orage, fuit un troupeau de moutons eperdus que dirige une jeune bergere, qui ne cherche ri w < w o 2 o o Q •W •H ffl o m < o Eh o &H LA PEINTURE 41 nullement a dissimuler sa terreur. Elle presse sur son cceur lc Benjamin du troupeau, un frele agneau que le souffle de la tempete emporterait comme un flocon de neige. La fuite de tous ces etres effrayes, courant dans une clarte blafarde, est rendue avec une grande realite , et on croit entendre le terrible mugissement de Forage qui remplit le ciel de sa colere, eparpillant deja dans le ciel les feuilles et les fleurs des arbres. Ces deux toiles ne pourront que contribuer a affirmer encore davantage la reputation de peintre de talent que M. Vayson possede depuis de longues annees deja, et que ses efforts, aussi heureux que persistants, justifient sans cesse. Madame Le Roy-d'Etiolles, dont nous ne connaissions guere jusqu'a ce jour le talent que par de gracieux portraits feminins traites sous une forme vaguement allegorique, et qui faisaient bien plus supposer qu'elle avait appris Tart de peindre dans Tatelier de Chaplin que dans celui de M. Benjamin -Constant, semble avoir dit adieu a ses elegantes fantaisies, pour regarder de plus pres la nature. Nous ne saurions Ten blamer, car sa formule trop impersonnelle s'est completement renouvelee et s'est fortifiee d'une originalite tres reelle. Sa toile, intitulee Le dimanche, est, dans ses modestes dimensions, une des ceuvres les plus interessantes du Salon. Elle represente deux vieillards, deux paysans, homme et femme, assis sur un banc, en plein air. Les deux personnages se detachent sur un fond de verdure. Comme on le voit, le sujet est d'une rusticite tres pure et d'une simplicite parfaite. Mais il se degage de cette toile une si saine impression de nature et un si profond sentiment de recueillement, que volontiers on s'oublie a la contempler. L'execution des personnages, dont les attitudes dou- cement affaissees sont tres bien rendues, et les vieilles figures ravinees admirablement analysees, est ferme et vigoureuse. Toute cette composition est baignee d'une bonne lumiere, et l'air y circule librement. Madame Le Roy-d'Etiolles expose encore un portrait de fort 42 SALON DE 1890 jolie femme, costumee en Diane, d'un coloris delicat, d'une justesse d'execution tres habile, et qui nous fait involontairement songer aux belles dames de Natoire. Mentionnons aussi le Grain, de M. Outin, spirituelle toile de genre, ou l'artiste a encadre dans un sujet maritime fort bien traite, une etude de costume feminin de la fin du siecle dernier, et deux fort jolies toiles de M. Adrien Moreau , Aux champs en automne, et Sur la falaise. M. Francois Flameng est represente au Salon par deux petites toiles militaires qui obtiennent un succes tres justifie et dont Tar- tiste a emprunte les sujets a nos guerres de la Revolution. L'une a pour titre : La halte; infanterie de ligne (1789); Tautre repre- sente la Marche de V Armee francaise sur Amsterdam (campagne de Hollande , 1796). On retrouve dans l'une et dans l'autre les habiles qualites de composition de M. Flameng, et sa savante et spirituelle facture. Citons encore une tres interessante toile de M. Pierre Billet, intitulee YHiver. L'artiste a symbolise la froide et triste saison par quelques figures de pauvresses qui marchent peniblement sur un sol neigeux, sous un ciel glace, a travers un bois depouille, toutes courbees sous le poids de lourds fagots. Cette toile est d'une execution nerveuse et d'une couleur bien appropriee au sujet. A mentionner aussi deux belles compositions, le Rapt et le Retour de I' enfant prodigue , de M. Luminais , sur le vigoureux talent duquel l'age ne semble avoir aucune prise ; le Gue' et les Tau- reaux espagnols, de Vuillefroy; la Lutte pour la vie, de M. Beyle; la Veillee, de M. Victor Marec; Pres de Vdtre, de M. Leon Caille; la Visile a la fiancee, de M. Delachaux ; la Moisson du mats en septembre, de M. Karl Cartier; A la frontiere, de Cogghe ; la Fiancee du marin et Une file de Cancale , d'Eugene Feyen ; Egares, de William Howe ; les Chiens, de de Penne ; une char- mante composition d'Albert Lynch, En mer ; la Reponse au petit- fils, de mademoiselle Gardner ; un Lion mort, belle etude de fauve O i — i QC P v3S r ■•■>■ CO CC s W 2 P < -J z ^ < dU) l\ '■•>■?- LA PEINTURE 43 par M. John Swan; une Procession de penitents en Espagne an xvil e siecle, de Melida. Les beaux portraits sont rares, cette annee, au palais des Champs- Elysees, et nous aurons vite fait de mentionner ceux qui meritent d'attirer Tattention du visiteur. Citons en premiere ligne un portrait de jeune homme de M. Jules Lefevre , oeuvre vraiment magistrale , d'une etonnante intensite depression et d'un dessin vivant et nerveux ; deux ravissantes figures de femme de M. Raphael Collin. La premiere, intitulee Ado- lescence, represente une jeune fille des champs, dont les chairs, legerement voilees, se detachent, dans toute leur fraicheur virginale, sur un fond de paysage printanier. En regardant cette delicieuse jeune personne, adorablement jolie, on songe involontairement a la belle composition exposee il y a quelques annees par M. Raphael Collin, sous le titre : Ete, et 011 Tartiste nous faisait assister au bain matinal dun blanc troupeau de jeunes femmes qui sebattaient gaiement en pleine campagne, n'ayant d'autres voiles que les vapeurs argentees de la riviere, et couronnees de fleurs sauvages comme les filles d'Otaiti. L'elegant pinceau de M. Raphael Collin aime a exprimer les douces et tendres harmonies des carnations virginales. La femme demeure pour lui un etre eternellement jeune et char- mant, dont les traits delicats et les suaves contours doivent etre rendus dans une forme longuement caressee. La jeune adolescente du Salon de 1890 est sans doute une des jeunes sceurs des baigneuses de 1884, revenue tout expres pour charmer nos yeux par la vue de sa beaute fraiche, de son innocent sourire, et du rose eclat de ses chairs. A cote de cette toile exquise qui comptera, nous n'en doutons pas, parmi les ceuvres les plus reussies de M. Collin, figure un portrait de femme tout a fait remarquable. Nous serions tres surpris si nous apprenions que M. Raphael Collin trouve les memes joies intimes dans Texecution d'un portrait qui lui est commande, que dans celle d'une de ces ravissantes alle- 44 SALON DE 1890 gories feminities qui peuplent son reve cTartiste ; mais il a de son art un si profond respect, qu'il reussit toujours a donner aux sujets, auxquels s'attaque son pinceau, une forme a la fois precise et sedui- sante dans son elegante originalite. Son portrait de femme est digne en tous points de son beau et consciencieux talent, et c'est vraiment un regal exquis pour Toeil du vrai connaisseur que celui de cette figure fine et dis- tinguee dont la beaute delicate ressort discrete- ment dans ce cadre aux accessoires japonais ou se fondent si harmonieu- sement les tons affaiblis des gris, des roses et des verts. Au palais des Champs- Elysees, nous retrouvons M. Fantin-Latour avec deux superbes portraits de femme, dont Tun, ce- lui de mademoiselle S. Y... est une ceuvre de premier ordre. Jamais cet artiste de talent n'avait ete mieux inspire, et ce portrait de jeune fille demeurera comme une des expressions les plus definitives de son talent si austere, si loyal et si personnel. Une artiste etrangere, mademoiselle Juana Romani, dont les essais avaient ete jusqu'a ce jour assez peu remarques, obtient cette annee un succes merite avec deux figures de femme quelle intitule Hero- diade et Jeunesse. MOROT POP'. DE M L . LE M. G. - LA PEINTURE 4 5 Sans doute l'oeuvre de mademoiselle Romani manque un peu d'originalite, et a la mollesse de ses contours, a ses artificiels pro- cedes d'eclairage, a la qualite douteuse de ses chairs, on devine trop facilement qu'elle subit encore la pesante influence de ses maitres, MM. Henner et Roybet. Mais il se digage malgre cela, de 1 aspect general de ses deux figures, une impression de vigueur individuelle qui fait esperer qu'elle saura se degager bientot du souvenir trop obse- dant de ses professeurs. Nous avons la ferme conviction que son talent gagnera beaucoup a cette salutaire et indispensable emancipation. M. Aime Morot expose un gracieux portrait de jeune fille a cheval, plein de mouvement et d'une tres brillante execution, M. Bonnat un beau portrait officiel du president Carnot et un portrait de femme. Nous avons aussi remarque une elegante figure de femme de M. Machard, un excellent portrait de M. Lucien Pate, par made- moiselle Megret ; un portrait d'homme, par Doucet ; un beau portrait de femme, par Lcewe-Marchand ; le portrait de M. G. Viardot, pr.r Marec, puis... e'est tout. Les meilleurs paysagistes n'ont pas tous emigre au Champ de Mars, et nous avons eu le plaisir de rencontrer au palais des Champs- Elysees quelques belles toiles signees de noms d'artistes dont le talent a ete consacre depuis longtemps par de brillants succes. Citons en premiere ligne Frangais, a qui le jury a accorde cette annee la medaille d'honneur. Jamais distinction ne fut plus meritee, et les applaudissements unanimes du public ont spontanement ratifie l'heureux choix fait cette annee par le jury. Les deux toiles exposees par M . Frangais , Vue de la Sevre, a Clisson, et Matinee brumeuse, sont certainement remplies de qua- lites et si Ton n'y retrouve pas toute Texquise legerete SOrphee et du Bois sacre\ deux purs chefs-d'oeuvre qui suffiraient a eterniser le nom du vieux maitre, on y rencontre des caresses de pinceau d'une habilete consommee et ou Frangais evoque, avec une emotion profonde, toutes les enivrantes seductions de cette nature qu'il aime tant. Mais e'est surtout pour couronner officiellement l'ceuvre entiere 46 SALON DE 1890 du vieux peintre que le jury, cette fois bien inspire, lui a accorde cctte annee la supreme distinction. Et Ton s'expliquera sans peine l'accueil favorable fait par l'opinion publique a cette recompense, un peu tardive, lorsqu'on saura que Francais, qui a aujourd'hui soixante- dix-sept ans, expose avec succes depuis 1840, que ses toiles figurent, en place d'honneur, dans nos premieres galeries nationales et dans celles de l'etranger, que depuis pres d'un demi-siecle il est de tous les jurys d'examen, et que plus tard les historiens de l'art lui assigneront une place honorable pres des grands paysagistes avec lesquels il lutta victorieusement, et avec toute la sincerite de son beau talent, contre les doctrines nefastes des Wattelet, des Michallon et des Bertin. L'ceuvre du paysagiste est fatalement destinee a disparaitre, si elle n'est animee par l'emotion. Ici plus que partout ailleurs, 1'artiste doit peindre avec toutes les ardeurs de son ame, car le modele qui pose devant lui est un sphinx aux mille formes qui reste pour nous incompris, si on ne sait nous en faire connaitre toutes les mysterieuses pensees. Puisque le paysagiste s'est donne pour mission de vivre dans l'intimite de la nature, puisqu'il boit l'haleine de ses fleurs, que sa reverie se marie au murmure de ses eaux et de ses bois, qu'il cause avec ses ruisseaux, et que sa pensee voyage avec ses nuages, il doit la connaitre assez pour la peindre vivante et pour mettre sous nos yeux autre chose que son cadavre, quelque richement pare qu'il soit. Et quil ne se contente pas de peindre seulement l'animation de toutes ces choses. II faut qu'il sache y meler aussi, dune fagon per- sonnelle, les emotions qu'il a ressenties au milieu d'elles. Un paysage ne sera un chef-d'oeuvre, que lorsqu'on sentira lame de 1'artiste palpiter jusque dans son plus petit brin d'herbe. Voila pourquoi Ruysdael, Constable, Rousseau, Millet, Corot sont immortels. Ces pensees me sont suggerees par la vue des toiles exposees cette annee par MM. Harpignies et Pelouse, qui sont certes les meil- leurs parmi les meilleurs des paysagistes contemporains. La maniere seche du premier parait encore s'accentuer davantage. pa E-" ■ 2 o e- w LA PEINTURE 47 Ses arbres, decoupes a l"emporte-piece, se detachent avcc violence sur des fonds eclaires par un soleil sans chaleur. Pas unc brise nc circule dans ses paysages. Quelques nuages aux lourdeurs de pierre, plaques dans l'azur glace du del, font tache sur la monotonie du sol, sans apporter pour cela aucun mouvement a cette nature mortellement triste dans sa lumineuse impassibility. On dirait que la vie s'est subitement figee dans ccs mornes paysages, et que les eaux sans murmures, les arbres sans frissons, les nuages sans mobilite, attendent avec angoisse l'arrivee du souffle divin qui doit les animer. Jamais peut-etre un paysagiste ne poussa plus loin la virtuosite du pinceau que M. Pelouse dans les deux toiles qu'il expose cette annee sous ces titres : Bards de la Seine; — Vile de Tribouillard , an Val-Pitant {Ewe), et La Seine, a Poses ; — vue du barrage. 11 peint avec une prestigieuse habilete et il possede, comme pas un, le secret de reproduire fidelement les objets qui se sont refletes dans son ceil, comme dans un miroir. II se degage de ces deux toiles savamment executees un accent de sincerite profonde, et elles meritent toutes deux les compliments des juges les plus severes, a condition, toute- fois, qu'ils ne cherchent pas dans ces ceuvres autre chose que des copies fideles de la nature. J'ai grand peur que M. Pelouse ignore que e'est en conciliant le respect de la realite, comme point de depart, avec la libre interpretation, que le paysage peut retrouver sa grandeur perdue. Quand les paysagistes du jour finiront-ils par com- prendre que l'ceuvre qui ne se recommande que par le merite d'une execution irreprochable est une ceuvre essentiellement transitoire, et que Toubli n'epargne que le travail de ceux dont Tame communique avec la vie mysterieuse de la nature, et sait en traduire les accents? Le paysage expose par M. E. Grandsire, Le Bognerot a Bains { Vosgesj, est de toute petite dimension, et semble bien plutot des- tine a la decoration d'un salon que d'un musee ; ce qui ne nous empeche pas de nous accouder longuement sur la cimaise pour regarder avec le plus vif plaisir cette toile dont Texecution est d'une 48 SALON DE 1890 savante habilete, et ou Ton sent que Tartiste a voulu traduire ses impressions personnelles et intimes. (Test une des oeuvres les plus sinceres du Salon. tat u. a. F TATTE GRAIN . ' M. Edmond Yon se complait dans la peinture des herbes grasses et des eaux dormantes. Nul ne sait mieux que lui exprimer Thumidite des berges herbeuses sous les ciels bas et pluvieux. Parfois ses plantureux paysages sont animes par la presence d'animaux d'une execution solide et tres vivante. o g u o CD P -w s - < 41 LA PEINTURE 49 M. Petitjean , dont les progres s'accusent chaque annee d'une fagon tres sensible, est represente au Salon des Champs-Klysees par deux toiles d'une facture puissante : Joinville (Haute-Marnej, et Temps gris, en Lorraine, qui obtiennent un succes legitime. M. Petitjean a desormais pris une place tres personnelle au premier rang des paysagistes du jour. Lansyer expose La Loire a Saumur et une vue du Chateau de Loches ; — aile de Charles VIL et la cour d' Agnes Sorel. On a souvent reproche a Lansyer de s'etre trop souvenu des legons de Viollet-Leduc en presence de la nature, et de l'avoir con- templee bien plus a travers la pensee de Tarchitecte amoureux de la precision du dessin et de la parfaite harmonie des plans, qu'a travers le reve du poete soucieux d'eveiller Tame assoupie des choses. Ce reproche tombe devant cette derniere toile, dans l'etude de laquelle nous goutons de bien douces emotions. Elle ne charme pas seu- lement nos yeux par la claire elegance de son execution, mais aussi notre ame par tous les lointains et poetiques souvenirs que sa vue fait revivre en nous. Mentionnons aussi les noms des Tragardh et des Schultzberg, deux jeunes peintres scandinaves du plus brillant avenir ; des Baillet, des Joubert, des Zuber, des Vernier, des Nozal, des Monchablon, un descendant en ligne directe de Chintreuil; des Bouchor, des Jourdeuil, des Tanzi, des Le Liepvre, dont la belle toile, fierement intitulee La Loire^ merite une mention speciale. Si le livret du Salon n'indiquait pas que M. Le Liepvre est eleve d'Harpignies, la vue seule de sa toile suffirait a nous le faire savoir. II a appris de son maitre a peindre la nature dans un style sculp- tural, empreint d'une grande noblesse. Comme lui, il sait donner a ses compositions un bel aspect decoratif a Taide dun dessin d'une precision quelquefois un peu dure, un peu anguleuse. Mais le reproche qu'on a souvent fait a M. Harpignies de ne pas savoir assez reculer ses horizons et faire circuler l'air librement autour de ses rochers et de ses arbres ne peut etre adresse a M. Le 5o SALON DE 1890 Liepvre, qui a le bon esprit de ne s'approprier que les qualites de son maitre, tout en conservant une execution d'un talent tres indi- viduel. Sa belle toile est baignee d'air et de lumiere. On y respire largement la fraicheur des eaux et des bois, et le regard se perd dans la profondeur des lointains ensoleilles et tres reussis. M. Pointelin, pour le talent duquel nous avons une reelle sym- pathie, s'obstine a ne nous faire voir que des etudes. Nous l'avons deja dit et nous le repetons encore, la facture de ses toiles est d'une reduction vraiment exageree, et nous ne saurions nous con- tenter de ses savantes ebauches. II nous est impossible de regarder les deux toiles qu'il expose cette annee, Le Val-Moussu et les Chines des Brutes-Comes , sans etre convaincu qu'avant de signer son travail il n'avait pas epuise toutes les ressources de son pinceau. Que M. Pointelin n'hesite pas a anatomiser un peu plus sa nature, sans rien changer a la simplicite de son execution. L'expression de son reve n'en sera que plus puissante. Les poetes immortels sont ceux qui ont su condenser, dans une formule simple et precise, la grandeur de leur pensee. « II faut, mon ami, que je vous communique une idee qui me vient et qui, peut-etre, ne me reviendra pas dans un autre moment, c'est que cette peinture, qu'on appelle peinture de nature morte, devrait etre celle des vieillards ou de ceux qui sont nes vieux. Elle ne demande que de Tetude et de la patience. Nulle verve, peu de genie, guere de poesie, beaucoup de technique et de verite, et puis c'est tout. » M. Bail est tout jeune, et la vivacite de sa touche, qui ne rap- pelle que tres vaguement celle de M. Blaise Desgoffe, indique qu'il n'est pas ne vieux. Et c'est pour cela que nous avons reproduit cette piquante reflexion de Diderot a son ami Grimm, dans Tespoir que M. Joseph Bail, qui est un peintre d'un vigoureux temperament, saurait la mediter et en tirer profit. Certes, Brocket et Cuivre, de M. Bail, sont peints de mains de maitre, mais il nous est de toute impossibilite de nous extasier £1 -- o C — > E- < < n z o (X! J LA PEINTURE 5i devant ces compositions banales , sortes de transpositions mate- rielles qui ne s'adressent qu'aux yeux. Nous preferons a cette toile, dont Texecution est, nous le repetons, des plus remarquables, Con>ee des cuivres, ou M. Bail a donne une petite place a Tacti- vite humaine , dans un cadre tres brillant de cas- seroles fort bien etamees. Le maitre moderne de la nature morte, l'artiste dont le nom figurera plus tard , dans Thistoire de Tart, a cote de ceux des Snyders , des Chardin , des Cuyp, des Roland de la Porte, Antoine Vollon, expose cette annee un Coin de cuisine ou luit, comme un soleil, au mi- lieu d'ustensiles de toutes sortes , un potiron glo- rieux. .Timagine, est-ce une illusion, que Vollon doit etre un des artistes les plus malheureux de son epoque. J'ai peur que, pour s'etre illustre dans Texecution de la nature morte, il se trouve en quelque sorte condamne a ne livrer aux nombreux admirateurs de son talent que des toiles inspi- rees par des choses inanimees, alors cependant que son pinceau si riche et si fecond sait exprimer avec tant de seduction des sujets empruntes a la realite vivante. Mais la Providence, qui fait quelquefois bien les choses, a charge son fils, M. Alexis Vollon, dont le talent s'accuse chaque annee d'une fagon tres sensible, de completer rceuvre de son pere en pei- L CAILLE 52 SALON DE 1890 gnant la vie sous toutes ses formes. ,Et il s'acquitte de sa tache avec autant d'esprit que de talent, comme le prouve le Don Qui- chotte qu'il expose cette annee au Salon et qui obtient un succes tres justifie. M. Alexis Vollon a donne pour legende a sa compo- sition les lignes suivantes de Cervantes, et sa peinture en est la fidele et tres humoristique interpretation : « Enfin, notre hidalgo s'acharna tellement a sa lecture que ses nuits se passaient en lisant du soir au matin, et ses jours du matin au soir... Si bien qu'a force de dormir peu et de lire beaucoup, il se dessecha le cerveau, de maniere qu'il vint a perdre Tesprit. » Nous trouvons encore aux Champs-Elysees deux natures mortes de M. Fouace : Dessert et « Ma peche »., d'une execution grasse et brillante bien qu'un peu lourde. M. Blaise Desgoffe expose deux toiles : Tune represente un Casque circassien et une poire a poudre oriental e, le tout emprunte au Musee d'artillerie; F autre nous represente des Agates et Cris- taux provenant du Musee du Louvre. M. M. Du Camp a jadis porte sur M. Desgoffe un jugement que nous nous permettons de reproduire ici, car il nous parait definitif et il s'applique aussi bien aux travaux actuels de cet artiste, qu'a ceux qu'il executait autrefois et sans doute on pourra juger de meme ses ceuvres futures : « Jamais, peut-etre, la science du trompe-rceil n'a ete plus loin, et ce serait admirable, sil n'etait pueril de depenser de tels et de si consciencieux efforts pour arriver a un resultat presque negatif, c'est- a-dire uniquement obtenu pour le plaisir des yeux et ne s'adressant a aucune des facultes de Tesprit. » K O < Z O E- H PC pq H > D E-h < 3 o W 2 i LA SCULPTURE Un des plus beaux titres de gloire de M. Falguiere , c'est d'avoir ete un des pre- miers a reagir, et avec une puissance incontestee, contre cette ecole de sculpture esclave de la tradition , qui semblait fatalement condamnee a resu- mer la vie, dans une formule inexpressive. Nous ne connaissons guere d'oeuvre plus vibrante que celle de M . Falguiere , et , parmi les nombreux statuaires qui font si grand honneur a Tart frangais, nous n'en trou- B.ARRIAS— Jcime- ' ',::,: . , 11-1 \ vons pas de plus habile a faire passer dans le marbre le fievreux frisson de la vie moderne. Aussi persistons-nous a regretter que cet eminent artiste s'obstine a demander depuis quelques annees la plupart de ses motifs d'ins- piration a la Genese ou la Mythologie. Mais puisque M. Falguiere croit devoir continuer a glorifier, dans ses traductions en marbre, Timmortelle beaute des divinites 54 SALON DE 1890 olympiennes, et cela sans doute dans Tespoir de glorifier davantage encore son academique immortalite, nous nous permettrons de cri- tiquer en passant le cote intellectuel de son ceuvre. Sa Junon du Salon de 1890, qu'il intitule timidement Femme au paon , appartient aussi peu aux traditions mythologiques, que la Diane du Salon de 1882, qui figura sous la rubrique de Nymphe chasseresse. II est des types immortels que le lointain du souvenir et la chanson du poete ont tellement idealises en les immobilisant, pour ainsi dire, dans une forme, que c'est detruire leur physio- nomie tout entiere que de les reproduire sans tenir fidelement compte de la legende merveilleuse qui a ete comme le cadre de leur existence fictive. En regardant il y a quelques annees la Diane de Falguiere dont les traits, les mouvements et les formes ont ete si popularises par des reproductions sans nombre, je songeais involontairement a la page ou Winckelmann esquisse le type de la Diana Venatrix, « ... qui, plus que toutes les autres grandes deesses, a Fair d'une vierge ». II eut ete fort curieux de comparer ce portrait a la statue exposee par M. Falguiere, et dans la puissante execution de laquelle le sculpteur semble s'etre attache a aneantir toute la divine distinc- tion de la brillante sceur d'Apollon, de la svelte et belle Artemis, de la Vierge eternelle. Et, aujourd'hui encore, nous ne pouvons contempler la Junon de M. Falguiere, si rayonnante de jeunesse dans Telegance nerveuse et gracile de ses formes virginales, sans etre legerement trouble en pensant que nous avons devant nous la fille de Saturne, puis- sante reine des dieux, deesse des mariages, — si feconde qu'elle n'avait qu'a respirer Todeur d'une certaine plante pour concevoir, qui porta Hercule dans ses larges flancs, et qui, d'un seul jet de son lait inonda Timmense azur du ciel. Malgre son grand air de fierte arrogante, la figure de M. Fal- guiere, qui dans l'avenir sera toujours cataloguee sous le titre de Junon, grace a la presence de Toiseau symbolique, nous rappelle A. FALGUIERE FEMME AU PAON SALON DE 18 90 • I IOME 1890 LA SCULPTURE 55 aussi vaguement la fille de Saturne et la mere de Mars que les Junons de Natoire, d'Angelica Kauffmann ou de Coypel, — mais tout motif de critique disparait si nous nous bornons a etudier l'execution materielle de cette figure pleine de vie, et dont les chairs, d'un modele impeccable, sont superbes dans leur souplesse et leur fermete virginales. II ne serait guere possible de rever une Diane plus accomplie, si le sculpteur supprimait le paon d'un coup de marteau et ornait le front de sa figure du croissant d'argent de Delos. Les historiens d'art les plus severes et les plus erudits pour- raient, croyons-nous, feuilleter longuement l'ceuvre si complete et si considerable de M. Gerome, sans y rencontrer Tombre d'un anachronisme. Avec un art penetrant, melange demotion profonde, d'habilete consommee, de vraie science, M. Gerome sait faire passer, devant nos regards surpris, la vision sincere des choses disparues ; et cette puissance d'evocation se degage aussi bien des traductions en marbre de ses savantes meditations que des toiles ou il a si defi- nitivement fixe de son pinceau les figures et les mceurs d'autrefois. En regardant sa figure de Tanagra on se croit tout a coup transporte sous les voutes sacrees du Poecile. Cette statue aux teintes daurore est, dans son impassibilite divine, comme une suave apparition de la beaute grecque soudainement reveillee de son sommeil seculaire dans tout l'eclat de sa jeunesse, par le genie bienfaisant dun grand artiste desireux de distraire un moment le regard de ses contemporains de la vulgaire copie , trop souvent repetee, des laideurs humaines. L'execution de cette statue, d'une conception si poetique et si originale, est a la hauteur de la pensee de Tartiste. Tanagra est veritablement une ceuvre magistrale, et je ne crois pas que le ciseau du sculpteur puisse rendre avec plus de delicatesse la sou- plesse des chairs, la mollesse des contours feminins et la vie fris- sonnante de lepiderme. 56 SALON DE 1890 J'ai le ferme espoir que l'Etat se rendra acquereur de cette oeuvre remarquable et qu'il nous sera bientot permis de la con- templer tout a notre aise au Musee du Luxembourg. Le comite elu par les nombreux amis et admirateurs de Guil- laumet, pour confier a un sculpteur de talent Texecution du monu- ment funeraire du grand peintre , ne pouvait faire un meilleur choix que celui de M. Barrias qui exprima deja, d'une fagon si magistrate, dans ses Premieres funerailles, la douloureuse poesie de la mort. Sa Jeune fille de Bou-Saada est un pur chef-d'oeuvre de grace melancolique. Assise , dans cette pose si chere aux femmes des douars, dont Guillaumet a peint avec tant d'amour les existences claustrales et monotones, elle effeuille avec un mouvement dun charme infini, des roses sur la tombe de Tartiste tant regrette. — L'arrangement des draperies est d'une remarquable habilete. La figure de M. Barrias, dont le modele est en cire, sera bientot coulee en bronze, et cette ceuvre, dont nous verrons, je Tespere, une reproduction au Musee du Luxembourg, a cote de la Tanagra de Gerome, suffirait a eterniser le souvenir du sculpteur qui la executee et du peintre qui Tinspira. M. Charpentier, devant qui les portes de Tavenir s'ouvrent si larges, cherche surtout a glorifier, dans la blancheur du marbre, la beaute de la forme humaine, sans trop se soucier de Texpression morale. Son ceuvre manque un peu de suggestivite, et peut-etre s'attarde-t-il dans une contemplation trop prolongee des marbres grecs. Mais nous devons toutefois reconnaitre que M. Charpentier, qui est encore fort jeune, possede une habilete d'execution tres grande, puisee dans les meilleures lemons des maitres. II excelle deja a dresser ses figures, tres savamment modelees, dans des poses d'une belle plastique decorative et avant peu sans doute il nous procurera le doux plaisir de faire Teloge d'une ceuvre nouvelle, congue cette fois en dehors de toute preoccupation de la statuaire antique et executee avec autant d'originalite que de science. LA SCULPTURE Nous ne reprocherons jamais a M. Dampt de ne pas chercher a « faire penser le marbre » . II se degage de chacune des oeuvres qu'il expose une penetrante impression d'art produite a la fois par Leffet d'une conception tres meditee , et toujours interpreted dans une forme d'une seduisante originalite et d'une habilete bien grande. La figure qu 1 il expose cette annee sous ce titre : La Jin du reve, est une paraphrase melancolique d'un motif qui a deja tente bien des artis- tes avant lui, et meme avant Greuze, qui donna a son interpretation un tour plus familier que M. Dampt. Ce dernier offre a nos regards le spectacle d'une jeune fille assise dans une pose attristee. Son front est soucieux, r expression navree de ses traits traduit une profonde angoisse, et on s'attend a voir jaillir des larmes de ses yeux troubles par la douleur. Evidemment bien des reves viennent de s'ecrouler dans le coeur naif de cette charmante jeune personne et volontiers on lui repeterait ce que disait jadis Diderot a une autre jeunesse qui, comme elle, eut la confiance malheureuse : « Mais, petite, votre dou- leur est bien profonde, bien reflechie ! Que signifie cet air reveur et melancolique? Quoi ! Pour un oiseau!... » Pendant que Tinconsolable enfant s'abime dans ses tristes pensees, une chimere fuyante ouvre derriere elle ses ailes d'or et prend son vol radieux vers le ciel. Cette ceuvre, d'un symbolisme tres emu et d\ine execution pleine d'un charme original, a longuement retenu notre attention. M. Labatut expose un Caton d'Utique en platre, d'une belle CHAPU_/7. 58 SALON DE 1890 tenue classique. Le jeune artiste a bien exprime le calme de rhomme qui veut mourir libre sans subir Humiliation d'un pardon. L/expres- sion sto'ique des traits rend bien, dans sa farouche energie, la secrete pensee du heros et on croit Tentendre repeter, en regar- dant dedaigneusement la mort : « Je suis maintenant mon maitre ». La statue de M. Labatut nous promet un beau marbre pour Tannee prochaine. « Jeune voyageur, viens admirer la douce harmonie de nos chants. Tu continueras ensuite ta route apres avoir eu ce plaisir et apres avoir appris de nous une infinite de choses. » Cest sans doute par ces seduisantes promesses , faites jadis dans les memes termes , parait-il, aux insensibles Argonautes, que la sirene de M. Puech, Agloophone, Lysie, ou Pisinoe, a reussi a entrainer dans les pro- fondeurs bleues Timprudent jeune qui s'accroche tremblant a la croupe fraiche et luisante du monstre. L'artiste, dans cette etrange composition d'une execution difficile , a rendu avec bonheur le sourire traitreusement ensorceleur de la sirene et Teffarement de Tinfortunee victime. Le modele des formes est soigneusement etudie et toute la composition, qui s'agite au milieu des flots, s'arrange tres harmonieusement dans un beau mouvement de fuite rapide. Une seule chose me trouble dans le groupe de M. Puech, ce sont les ailes enormes de la sirene. Horace m'avait conte jadis que la sirene etait un monstre « moitie femme, moitie poisson )). M. Puech complete mon instruction en m'apprenant que ce monstre est aussi emplume que squameux. Sans doute M. Puech doit avoir de bonnes raisons pour orner son personnage de deux ailes enormes, mais j 1 imagine que ces appendices, si utiles a la chimere de M. Dampt, doivent etre pour la sirene d'une mediocre utilite dans ses peregrinations sous-marines. Nous declarons avoir un faible pour le talent si distingue de M. Van der Straeten, et nous applaudirions des deux mains si Tadministration des Beaux-Arts voulait s'approprier quelques-unes de ses delicieuses figurines pour" les soumettre a la blanche traduction LA SCULPTURE 5g du biscuit de Sevres. II y a, dans ces elegantes figures de M. Van der Straeten, ou toutes les seductions de la parisienne du xvm e et du xix e siecle semblent se confondre, un charme delicieux exempt de toute mievrerie, et e'est toujours avec un nouveau plaisir que nous venons, au sortir des graves meditations ou nous plonge la contemplation des marbres academiques, nous asseoir tout pres de la ravissante composition que M. Van der Straeten intitule Le Printemps, et qui est une petite merveille de grace spirituelle dans son execution fine et distinguee. M. Van der Straeten expose aussi un buste de femme (marbre) d'une grande elegance et dune facture tres originale. M. Marqueste, invinciblement attire par ses persistantes sympathies artistiques pour la Renaissance florentine, nous fait assister cette annee a une nouvelle execution de la Gorgone. Ce genre de spectacle est deja bien connu, mais M. Marqueste a reussi a le rajeunir a laide de mouvements nouveaux et par une execution tres personnelle. Mentionnons aussi un groupe d'une belle allure : Bacchante et Satyre, de M. Henri Gauquie. Ce qui caracterise la composition de M. Gauquie et qui en fait une osuvre originale, e'est la puis- sance de vie qui s'en degage. L'execution du detail est parfois un peu lachee, et certains modeles sont d'une mollesse trop visible. Cela est fort regrettable, car cette ceuvre est vraiment pleine de qualites. Mais il ne s'agit encore fort heureusement que du modele en platre, et nous avons tout lieu de croire que M. Gauquie, qui est un de nos jeunes sculpteurs les plus consciencieux, a deja decouvert les quelques faiblesses de son ceuvre et qu'il s'empres- sera de les faire disparaitre lorsqu'il travaillera a son execution definitive en marbre. Lors de ma premiere promenade au rez-de-chaussee du palais des Champs-Elysees, je ne fus pas mediocrement surpris de me trouver tout a coup au pied d'une statue equestre monumentale qui, dans ma pensee, representait un des traditionnels algua\ils des Corridas de Toros, traversant la piste au pas de son adalou, pour aller 6o SALON DE 1890 demander au president des jeux la clef du torril. Certes, ces beaux cava- liers vetus de velours, richement empanaches , comme le due d'Olivares, toujours fierement cam- pes sur leurs superbes montures, ont tres grand air, et je ne nfetonne pas que leur costume et leur attitude aient maintes fois tente Ins- piration de bien des ar- tistes . Neanmoins ma surprise a ete grande lorsque jai vu la figure d 1 un de ces modestes fonctionnaires tauroma- chiques interpreted avec un si considerable deve- loppement par un de nos plus eminents statuaires. Et je demeurais tout re- veur devant ce colos- sal monument qui semble attendre une traduction definitive en bronze ou en marbre, pour etre dressee sur une place publique, lorsqu'une inscription, trop peu visible, du piedestal , nfapprit que j'avais devant les yeux rim age de Velazquez. Ainsi done, ce brillant cavalier que dans ma naivete un peu grossiere je prenais pour un vulgaire ordon- nateur de fetes tauromachiques, n'est autre que le grand Diego- Rodriguez de Sylva y Velazquez. ntives LA SCULPTURK 61 Que M. Fremiet nous permette de lui demander a quel sentiment il a obei en nous donnant une representation si equestre du grand peintre. Nous nous imaginons tres facilement que Velazquez, qui fut un homme de cour a ses moments, possedait de precieuses notions d'equitation, et nous serions fort etonne si on nous appre- nait que le compagnon de chasse de Philippe IV, que son aposen- tador mayor, ne savait pas se tenir noblement a cheval sur le plus fougueux des andalous. Mais cela ne pent suffire' a nous faire accepter Tetrange con- ception de M. Fremiet voulant faire voir aux generations futures Timmortel auteur des Fileuses et de la Reddition de Breda, sous les traits un peu trop connus d'un des cavaliers servants des tau- reaux de la rue Pergolese. Nous faisons ici le proces de Toeuvre envisagee a un point de vue purement intellectuel, et nous admirons sans reserve Texecution materielle clans laquelle nous trouvons toute la maitrise du talent si vigoureux, si nerveux et si personnel de M. Fremiet. Son cheval andalou, avec sa tete busquee, son col en gorge de pigeon, ses jambes seches et fines, ses formes ramassees et elegantes a la fois, est un de ses meilleurs morceaux. Mais, je me le demande encore, pourquoi a-t-il donne le nom de Velazquez au cavalier monte sur cette superbe bete, et dans la main duquel il a place un baton de commandement. Pourquoi pas une clef enrubannee? II y a la, sans doute, une faute dimpression. Signalons aussi la Car esse, un groupe en marbre par M. Ludovic Durand, et Soldat mourant, une figure en platre d\in beau senti- ment. Cette figure est destinee au monument patriotique des Bre- tons, a Saint-Brieuc. M. Gustave Michel expose une statue en pierre, La Paix, d'un bel aspect decoratif; M. Alfred Boucher : A la Terre, figure en platre, presque monumentale, representant un travailleur des champs : M. Renaudot, une Diane (marbre); M. Roulleau, une Leda (marbre,; 62 SALON DE 1890 M. Hector Lemaire, une Venus (platre), un Duguesclin (bronze); M. Stanislas Lami , Le Reve, un masque (platre) cTun sentiment exquis et cTune execution tres savante; M. Levasseur, un beau groupe en marbre intitule Apres le combat; M. Carlier, le marbre, tres etudie, de son Gilliatt ; M. Jules Coutan, une statue funeraire (marbre) pour le tombeau de madame Louis Herbette; M. Mercie, une gra- cieuse figure allegorique representant la Peinture ; M. Chapu, le marbre de sa Danseuse ; M. Gardet, Le Tireur d'arc (marbre); Van-Beurden, A la Fontaine, jolie figure en bronze Citons encore, avant de terminer cette trop rapide nomenclature, des remar- quables bustes signes des noms de Guillaume, de Mercie, de Paul Dubois, d'lnjalbert, de Carles, de Tony-Noel, d'Iselin, de Loiseau, de Guilbert, de Blanchard, de Boisseau, de Bernstamm, d'Aube et quelques cadres tres interessants , renfermant des medailles de MM. Alphee Dubois, Daniel-Dupuis, Louis Bottee, Marioton. a mission que nous nous sommes imposee, au debut de ce livre, de nous borner a faire part au lecteur des impressions d'art par nous recueillies pendant nos promenades J a travers les expositions des Champs-Elysees et du Champ de Mars, nous inter- dit, a notre grand regret, toute incursion dans le do- maine des causes si legitimes qui ont motive la creation du nouveau Salon, tres improprement qualifie d' Academie dans une recente reunion du conseil superieur des Beaux- Arts. Aussi bien le cadre de notre etude ne nous permet guere de varier le sujet de notre critique, car il nous reste desormais bien peu de place pour parler d'une des expositions d'art les plus riches, les plus vivantes et les plus originales qu'il nous ait ete donne de voir jusqu'a ce jour. !W^ % ! Imm^ - 66 SALON DE 1890 Qu'il nous soit cependant permis de constater que, dans le tournoi memorable engage entre les deux groupes qui ont organise les Salons de 1890, la victoire est demeuree aux dissidents. Le fait est incon- testable, et il y aurait mauvais vouloir a le nier. II se degage du Salon des Champs-Elysees comme une impression d'efforts perdus, de forces impersonnelles inutilement depensees dans des poursuites essoufflees apres un ideal vieilli, et aussi de monotonie attristante. La physionomie de Imposition- du Champ de Mars est, au contraire, fraiche, vivante, originale. On y sent frissonner toute Tardeur de jeunes ivresses artistiques, independantes , quelquefois trop auda- cieuses dans leurs efforts , mais presque toujours d'une louable sin- cerite dans leurs interessantes recherches. Nous ne pouvons echapper a la douce obligation de placer en tete de notre etude sur Imposition du Champ de Mars le nom de M. Meis- sonier, car, apres avoir ete par Tautorite de sa volonte le veritable organisateur de la victoire dont nous venons de parler, Tillustre artiste a encore voulu consacrer d'une fagon plus triomphante et plus definitive le succes du Salon du Champ de Mars, en prenant place lui-meme parmi les exposants. Et la place qu'il occupe est vraiment des plus glorieuses, car son Octobre 1806 est tout a fait digne de figurer dans une salle d'honneur du Louvre, entre le 18 14 et le i8oj. L'ceuvre si considerable de Meissonier ne serait-elle composee que de ces trois toiles, sorte de triptyque historique ou se trouve enfermee toute Tepopee napoleonienne, avec ses triomphes, ses luttes geantes et ses desastres, que rimmortalite de Tartiste serait assuree , car jamais peintre ne sut exprimer a la fois, dans une forme plus synthetique et avec plus de science et demotion , la grandeur d'un sujet. Dans la composition qui nous occupe, M. Meissonier nous fait assister a la bataille d'lena. Le drame se deroule sous un ciel d'au- tomne charge de nuages pluvieux. La lutte touche a sa fin. Les regiments de Hohenlohe, decimes par rartillerie de Soult, descendent en desordre les pentes du Land- d £ NUIT D'OCTOBRE SALON DE 18^0 LA PEINTURE 67 grafenberg, poursuivis par la grosse cavalerie franchise qui, comme une vague enorme, remplit la vallee de rilm, broyant tout sur son passage. Du haut d'une colline , Napoleon, entoure d"un brillant etat-major, assiste a la terrible charge des cuirassiers de Murat, qui ne laisseront derriere eux que des ruisseaux de sang, des cadavres broyes, des monceaux d'armes, des canons abandonnes, des moissons de drapeaux. La victoire n'est pas douteuse. L"armee prussienne cede de toutes parts. Et cependant le visage de TEmpereur n'exprime pas Tivresse complete du triomphe. Un leger nuage enveloppe encore son masque pensif, car une autre grande bataille est engagee a quel- ques kilometres, pres du village d'Auerstaedt , et Napoleon n'ignore pas que Davoust et Bernadotte ont devant eux les meilleures troupes de la royaute prussienne, sous les ordres du vieux due de Brunswich. De la, sans doute, cette expression de joie, encore un peu soucieuse, qui regne sur ce visage imperial que Meissonier a si profondement decrit , dans ses expressions les plus historiques, avec un art tou- jours genial. Bien plus que les peintres officiels du Cesar frangais, l'auteur de 1806, de 1807 et de 18 14, est Thistorien eternel des traits napo- leoniens, car, au lieu d'interpreter decorativement , dans une pose hieratique, Fimage presque divinisee de rEmpereur, il a su, de son impeccable pinceau, fixer magistralement et d'une fagon definitive, la vivante expression de la figure de son imperial modele, eclairee ou assombrie tour a tour par les glorieux ou tragiques evenements de sa carriere epique et sanglante. L'execution de 1806 est a la hauteur de la conception. Jamais Meissonier ne fut plus maitre de son talent, jamais sa touche ne fut plus hardie et plus vigoureuse, son dessin plus nerveux , sa couleur plus brillante, et jamais il ne jeta avec plus d'art, les foules et les groupes, dans aucune de ses compositions. Nous confessons, en toute sincerite, que, lorsque tout derniere- ment encore, nous avions le rare bonheur d'assister, dans Tatelier 68 SALON DE 1890 meme du maitre , a Texecution de quelques- uns des details de la Bataille dlena, une sorte d'admiration religieuse s'est emparee de nous. Car c'etait vraiment un noble spec- tacle que celui de ce vieillard qui, presqu'a sa quatre-vingtieme annee, consacre avec une etonnante ardeur les derniers moments d'une vie chargee de gloire et d'honneurs a doter encore sa patrie d'immortels chefs-d'oeuvre. M. Carolus-Duran est represente au Salon par six portraits et une etude de femme nue. On peut affirmer que les envois de Teminent artiste ont contribue , pour une large part , au succes si considerable de la belle manifestation artistique du Champ de Mars. Javoue que mon embarras serait grand si je me trouvais dans l'obligation de faire connaitre ma preference pour Tune ou r autre de ces superbes toiles qui rayonnent avec tant de chaleur dans la grande galerie du nouveau Salon. Sans doute le portrait de madame (n° 1 83) est d'une allure triomphante, et jamais Tartiste ne trouva de matiere plus vivante, plus nacree, plus savoureuse, pour rendre la splendeur de la chair feminine. Jamais ce magicien de la couleur ne maria plus harmonieusement les rouges et ne promena plus prestigieusement son pinceau aux savantes caresses, dans Tombre douce des velours et des fourrures. Mais ce merveilleux panneau est forme d'unites artistiques d'une valeur si grande dans leurs tonalites differentes , que l'eloge que nous venons de decerner en passant a la femme en rouge, si superbe dans tout Teclat de sa beaute savoureuse ne peut s'amoindrir en s'adressant a la femme en gris (n° 179), au royal portrait de la BOLT.i.. I 1<- U 'B. LA PEINTURE 69 princesse de (n° 177), a la figure si magistralement etudiee de madame * * (n° 180), a I'i'mage etonnammemt gracieuse et si distinguee de madame ' ' (n° 178), au buste plein de vie du jeune Andre (n° 181), et a Tinoubliable portrait du peintre norwegien Fritz Thaulow, dont le peintre a su exprimer, avec une extraordinaire intensite, la puissance physique et la bonhomie souriante. Cette derniere oeuvre, ou eclatent toutes les etincelantes et ori- ginales qualites de Tartiste, peut etre mise sur la meme ligne que le celebre portrait du paysagiste Frangais. On sent que Carolus-Duran, dont le talent sain et vigoureux reste eternellement rebelle aux chlorotiques seductions des decadences modernistes , se complait dans Interpretation des plus vivants motifs, et j'imagine que son pinceau a du caresser bien amoureusement la toile ou il fixait, a tout jamais, les opulentes carnations de ses deux puissants modeles. Je ne puis que plaindre Tinfortune Stenio de Georges Sand, si le cceur toujours glace de son insensible maitresse etait enferme dans un corps aussi divinement beau et de formes aussi elegantes que celui de la Lelia de Carolus-Duran. Qu'on nous permette ici d'extraire les quelques lignes suivantes d'une opinion que nous formulions, il y a quelques annees, au sujet d"une des plus importantes compositions de Puvis de Chavannes, et qui peut, croyons-nous, s'appliquer a Tensemble de son ceuvre : « Toujours grec dans l'execution de ses conceptions, Puvis de Cha- vannes recherche la sublimite de la beaute, aussi bien de rhomme que de la nature, dans le calme eternel. Jamais le vent n'a courbe ses arbres, dechire ses nuages, trouble ses eaux. Jamais le chagrin n'a plisse le front pur de ses vierges, jamais les douleurs n'ont agite les figures de ses heros, alors meme qu'il choisissait pour sujet de peinture le plus grand desespoir et les plus grandes tristesses , comme dans son Enfant prodigue et son Paupre pecheur. II s'est refuse a exprimer les souffrances par des contrac- tions physiques qui pourraient briser rharmon'ie des lignes ; avec 7 o SALON DE 1890 une science remarquable, il a cherche dans Tarchaisme des formes et des attitudes la peinture de la douleur qu'il voulait exprimer, et le public du jour, si friand d'art tourmente, s'est senti profondement emu devant ces tableaux si navrants dans Timpassibilite de leur expression. » Ces lignes qui furent inspirees par la vue du Ludus pro patria, aujourdliui au Musee d'Amiens, ne pourraient-elles pas trouver place ici, a propos de Y Inter Artes et Naturam, qui figurera bientdt dans le grand escalier du Musee de Rouen? Jamais Tillustre artiste ne chanta avec une eloquence plus emue que dans cette derniere toile, une de ses meilleures assurement , la penetrante et majestueuse poesie du « calme eternel ». Comme toujours, Tarrangement des groupes est d'un merveilleux efFet decoratif dans sa noble simplicite, et ici encore, Tceuvre de Puvis de Chavannes , imaginee par la reverie lettree d'un grand poete, et executee avec la naivete savante d'un grand peintre, nous charme et nous ravit. Mais la ou Tartiste nous parait s'etre encore surpasse, c'est dans l'etude de son second plan, fait tout entier d'un vaste paysage, ou Ton voit couler un large fleuve, se dresser une grande ville, s'arrondir des collines, frissonner des bois profonds, se derouler des plaines fleuries, sous Timmensite d'un ciel leger ou flottent toutes les brises et tous les parfums du printemps. Cette composition symbolique, avec son merveilleux cadre emprunte a la realite des choses, est pour le regard et pour Tesprit du reveur et de Tartiste, un frais reposoir ou il jouit tout a la fois de la melancolique poesie du passe en contemplant la vie souriante de la nature. M. Gervex a expose neuf toiles, dont six portraits et une etude de nu , un paysage et une importante composition representant , reunis dans le cabinet du directeur de la Republique francaise, les principaux redacteurs de ce journal. Voici M. Joseph Reinach qui s'interrompt d'ecrire pour ecouter M. Emmanuel Arene qui se penche pour lui parler. Tout a cote, M. Challemel-Lacour converse > en < re < < LA PEINTURE 7 1 avec M. Spuller, pendant que M. Waldeck-Rousseau reve en fumant une cigarette, et que M. Jules Roche, adosse a la cheminee, se prepare, dans une attitude tres energique, et pleine de dignite, a endbsser le fardeau du pouvoir. Ces portraits sont tres vivants, tres habilement groupes et d'une ressemblance parfaite. Toute la HITCH CO Of composition est baignee d'une jolie lumiere argentee. Cette toile fait le plus grand honneur a M. Gervex. Nous nous sommes aussi tres longuement arrete devant le por- trait du pere de r artiste (n° 403). Cette ceuvre, de tres modestes dimensions, est pleine de qualites de premier ordre, et on devine facilement que le peintre a epuise toutes les ressources de son beau talent pour fixer definitivement des traits qui lui sont chers. 7 2 SALON DE 1890 La tete du personnage, d'un dessin tres serre, d'un modele d'une rare fermete, se detache, en pleine atmosphere, dans tout Teclat de sa tonalite blanche et rose, sur un fond de feuillage. Les portraits de mademoiselle F... (n° 4o5), de mademoiselle K... (n°4o6), de M. G. S... (n° 407), sont aussi des ceuvres de reelle valeur, que nous preferons au portrait de Tartiste (n° 404), et de celui de miss B... (n° 409), dans Texecution desquels M. Gervex semble avoir subi une influence mackarienne dont les effets, esperons-le, ne se reproduiront plus. Son etude de nu ne nous plait qu'a demi. Ici encore la couleur a des pesanteurs inusitees, le dessin des duretes desagreables. Nous voila bien loin de la Marie de Rolla ! Que Gervex se contente de peindre avec ses moyens personnels. lis suffisent largement au succes de son ceuvre. II y a plusieurs annees que nous suivons avec le plus vif interet les incessants progres de M. Jules Muenier, un tout jeune. C'est du Salon de 1887 que date la reputation artistique de ce peintre. M. Muenier exposa a cette epoque une toile d'assez modestes dimen- sions, representant un pretre de campagne revant au milieu des dahlias de son jardin. Le personnage, tres finement etudie, se deta- chait sur un vaste fond de campagne, doucement eclaire par les derniers rayons du soleil. Cette toile, qui frappa vivement Tattention des delicats par des qualites d'une originalite seduisante, valut a M. Muenier une bourse de voyage, et le placa du meme coup a Tavant-garde des jeunes artistes d'avenir. Depuis ce jour, M. Muenier n'a cesse de travailler avec ardeur, profitant des loisirs et des ressources que lui accordait TEtat, pour demander de precieux conseils aux vieux maitres italiens, flamands et espagnols, et pour fixer, dans de brillantes etudes, toutes les magiques feeries du soleil, entrevues dans ses laborieux pelerinages artistiques sous le ciel lumineux de TEspagne et de TAfrique. Aujourd'hui, la science du dessin n'a plus de secrets pour M. Mue- nier, et il sait, avec infiniment d'art, faire vivre ses personnages dans z X d D O E- W W P H H =1 O PL 00 LA PEINTURE 7? le cadre lumineux qui leur convient. Nous en avons la preuve dans les deux toiles qifil expose cette annec au Champ de Mars, sous ces ces titres : Aux beaux jours et Sur le pout, ct qui obtiennent un . succes si merite. La premiere represente une reunion de famille en plein air, autour d'une table, sous un ciel leger ou errent paresseusement quelques blancs nuages. II y a entre l'harmonieuse lumiere de ce beau jour d'ete et la joie de tous ces braves gens reunis dans une commune affection , un mariage intime qui fait qu'on ne pent regarder cette jolie toile tout ensoleillce de bonheur, sans se sentir envahi soi-meme par un doux sentiment de quietude d'ame. L'ana- lyse des physionomies est spirituelle et savante, et M. Muenier a groupe fort habilement ses personnages dans des attitudes pleines de naturel. Cette toile est certainement une des meilleures et des plus attachantes du Salon du Champ de Mars. Sur le pout est une oeuvre de moindre importance. Le sujet qui s'y trouve represente n'a rien d'epique. Une jeune fille des champs, assise sur le parapet d\m pont sous lequel coule une claire riviere, regarde un pecheur qui, a moitie perdu dans les saules, se dispose a lancer son filet de la rive. Mais la pose de la femme subitement arretee dans sa promenade par la presence du pecheur, est d'une si amoureuse eloquence, qu'on s'interesse malgre soi a cette petite scene champetre que bartiste a exprimee avec une etonnante sin- cerite. Ici, comme dans la toile precedente, le cadre de nature est rendu avec un realisme sobre, delicat et savant, dans une couleur distinguee. M. Muenier, qui est decidement un des triomphateurs du Salon du Champ de Mars, expose encore trois autres petites toiles : Matinee de septembre, A la unit tombante , Roses tremieres , ou se revelent, comme dans Aux beaux jours et Sur le pout, ses qualites de dessi- nateur penetrant et de fin coloriste. Comme M. Muenier, M. Girardot est un jeune. Comme lui il obtint, il y a quelques annees, une bourse de voyage, et il nous a SALON DE 1890 ete permis de constater qiTil a su, lui aussi, tirer de precieux avan- tages de Tencouragement officiel. iMais a l'encontre de M. Muenier, qui ne vit l'Orient que pour en fixer en passant les magiques splen- deurs dans quetques superbes etu- des , M . Girardot semble vouloir consacrer la plus grande partie de sa brillante carriere artistique a nous peindre la majeste des Arabes, le mystere du voile orien- tal , les immensites blanches et bleues de TAfrique : le sable et le ciel. Les Nomades au Maroc , ses differentes vues de Tanger , ses etudes de moresques, sont autant damages reelles de la vie et de la nature africaines, rendues avec une rare intensite de vision et dans une couleur chaude et vibrante. Sous ces divers titres : Au bois , Premiers pas, Les Joujoux, madame Delance-Feurgard expose des scenes de la vie enfantine , toutes empreintes d'une belle cou- leur artistique, mais dune execu- tion cependant un peu trop lachee. Nous voudrions plus de precision dans les contours, et de fermete dans le modele. M. Paul Delance, qui est en tres grands progres, expose un beau panneau decoratif : Les hauteurs de Moutmartre. E- E- i A r1 Z >-l M r s H p n < O Z o < S o •w Q < LA LUTTE I 1890 LA PEINTURE -5 M. Emile Friant est un flamand du xix° siecle. Comme les maitres hollandais, il sait donner a une toile Taspect general d\ine oeuvre largement traitee, malgre l'analyse subtile des details. M. Friant rTexpose pas moins de neuf toiles. La plus impor- tante a pour titre : La Lutte, et represente deux jeunes gens en calegons de bain, mesurant leurs forces sur Therbe, au bord d'une riviere, en presence de quelques amis vetus , comme eux, d'une fagon tres sommaire. CTetait la pour M. Friant un pretexte a peindre des carnations en plein air, et il l'a su faire avec beaucoup de talent. II etait difficile de mieux exprimer les fines colorations de Tepiderme humaine, toute rose de la fraicheur du bain et des caresses de la brise. Les autres ceuvres de M. Friant, qui generalement se soucie fort peu des cadres demesures, sont de dimensions tres modestes ; mais chacune dentre elles se recommande par des qualites d'execu- tion de premier ordre, fortes et precieuses a la fois. la Discussion politique est un petit chef-d'oeuvre. Jamais Tanalyse de la figure humaine ne fut poussee plus loin que dans ce tableautin, auquel, si je ne me trompe, sont reservees de brillantes destinees. Voici M. Allan Osterlind, Tartiste suedois bien connu, avec trois ceuvres importantes : Ombres chinoises , Tuerie de moutons , Orphe- lines. Toutes ces toiles, inspirees par un amour sincere et profond de la realite, sont largement traitees par un artiste de talent dedai- gneux des subtiles analyses des details et desireux surtout d'exprimer. par la puissance de la couleur, la physionomie generale des choses. M. Osterlind, dont Texposition est des plus interessantes et d'une incontestable originalite, est un coloriste dans toute Tacception du mot. M. Lhermitte expose quatre compositions : Sainte-Claire Deville, Repos des moissonneurs, La soif, Les Joins. Ces trois dernieres toiles appartiennent au genre champetre que M. Lhermitte afFec- tionne par-dessus tout, et il a apporte dans leur execution, qui est d'une grande habilete, toute Temotion qu'il sait repandre dans ses compositions agrestes. 7 6 SALON DE 1890 La toilc representant Sainte-Claire Deville est destinee a la deco- ration do la salle des commissions de la Faculte des sciences. L'artiste nous fait voir le celebre professeur debout, entoure de ses collabora- teurs et de ses eleves, et procedant a une experience dans un des amphitheatres de la Sorbonne. On trouve dans cette belle toile les memes qualites que dans le Claude Bernard expose au Salon de 1889, et destine egalement a la decoration de la salle des com- missions de la Faculte des sciences : etude consciencieuse des tetes, habile ordonnancement des groupes, realite vivante des attitudes, et un respect absolu pour la verite particuliere. On a dit avec raison que la direction des Beaux-Arts avait ete bien avisee, lorsque, sans enlever M. Lhermitte aux moissonneurs et aux faneurs qu'il peint si bien, elle Tavait associe a la decoration des salles de la Sorbonne. Une mention, en passant, a M. Tournes, pour ses trois toiles : Une femme qui se deshabille, Au lever, et le Dejeuner qui, dans leur tonalite grise et legerement embrumee, sont pleines d\in charme caressant. M. Montenard ne peut se decider a faire une infidelite a son ciel de Provence. II y est plus que jamais attache, et telle est cette annee l'intensite lumineuse des toiles qu'il expose, presque toutes inspirees par des vues des environs de Toulon , qu'on eprouve comme une sensation de chaleur en les contemplant. Elles rayonnent au Champ de Mars de tout Teclat du soleil du Midi, dont M. Montenard est decidement le peintre officiel en meme temps que le poetique inter- prete. Toutes ses oeuvres, qui sont au nombre de six, sont des plus interessantes, mais les Vendanges en Provence meritent une mention speciale, car jamais M. Montenard n'avait exprime avec plus d'in- tensite que dans cette toile, Tardeur devorante de son soleil d'ete provencal, dont les briilants rayons incendient la campagne toute baignee de vibrations lumineuses. Dieu ! que les vendangeurs de M. Montenard sont a plaindre... Les deux panneaux commandes a M. Lerolle pour Teglise Saint- u 2 Z o < h H C 2 < LA PEINTURE 11 Martin, et representant les episodes les plus memorables clu bien- heureux patron de cette eglise, sont d'une agreable couleur et dun bel aspect decoratif. Nous leur preferons toutefois le Soir, du meme artiste, oeuvre tres personnelle ou nous retrouvons tout entier le talent de M. Lerolle. Cette composition, d'une conception symbolique, repre- sente deux jeunes gens se promenant cote a cote, avec une allure amoureusement lente, au milieu d'un merveilleux paysage crepus- culaire emprunte a la nature meme, et dans les douces limpidites duquel le regard et la reverie se perdent. Les personnages de iM. Lerolle ont la meme parure que les premiers habitants du paradis terrestre, et la grace de leur attitude est si chaste, Telegance de leurs formes si souveraine , qu'il ne peut venir a l'esprit du plus pudique des visiteurs de leur faire un reproche de se produire ainsi 7 8 SALON DE 1890 en public avec les premiers voiles tres transparents de la nuit pour seuls vetements. Cette toile est une oeuvre de haut gout, qui fait le plus grand honneur a Teminent artiste qui l'a signee. L"exposition de M. Jacques Blanche est des plus importantes. Ce jeune artiste a envoye neuf portraits au Champ de Mars. Chacune de ces ceuvres est remplie de reelles qualites, et nous constatons avec plaisir que M. Blanche se degage peu a peu des terribles influences artistiques qui peserent d\in poids si lourd sur les pre- mieres manifestations de son talent. Aujourdnui la facture de ce peintre est d'une incontestable originalite, et on rechercherait vaine- ment, croyons-nous, a rattacher a une tradition quelconque le Por- trait du docteur Blanche, d'une execution si vivante, d'un coloris si distingue. Ce portrait est, a notre avis, un des meilleurs du Salon du Champ de Mars. Signalons aussi a Tattention du public les sept envois de M. Gus- tavo Courtois. Le plus important et le plus remarquable est, sans contredit, la Lisettc de Regnard, dont la gracieuse et souriante image ornera, d'ici a quelques semaines, le foyer de TOdeon, qui tend de plus en plus a devenir un veritable musee de peinture. U 11 futur Loup de mer, de M. Hagborg, obtient un beau succes, ct c'est justice, car l'oeuvre est dune belle allure et d\ine rare puis- sance. Le futur loup de mer de M. Hagborg est, la chose se devine, un apprenti marin. Le peintre nous le represente a la barre d\in bateau de peche que la vague secoue. Pres de lui est assis un matelot aux larges epaules, un vrai loup de mer, celui-la, qui, la pipe a la bouche, se laisse ballotter dans la frele embarcation, avec une expression indifferente et here. Et cette attitude pleine de confiance du marin donne au mouvement et a la physionomie du jeune timonier un vrai caractere de grandeur, fait de la conscience de sa responsabilite , et aussi de l'orgueil de ses importantes fonctions. Ce petit bonhomme est d'une cranerie etourdissante, et M. Hagborg ne s'est nullement trompe en voyant en lui un futur loup de mer. CO z u X CO •a CO CO CD CO < D < CO 2 > - O ""3 2 UN FUTUR LOUP DE MER SALON DE 1890 LA PEINTURE 79 Le sujet de M. Hagborg est tres clairement explique dans un style plein d'energie et de force. Cet artiste expose encore quatre autres toiles, mais ce ne sont, a proprement parler, que de tres vivantes etudes rapidement enlevees. Le tableau de M. Rixens, Un jour de vernissage au palais des Champs-Ely sees, attire vivement r attention du public. Et il ne pou- vait guere en etre autrement, car Lartiste s'est tres habilement servi de son sujet pour nous presenter, tous reunis dans le savant desordre d'une promenade au Salon de sculpture, au milieu des fleurs et des marbres, les types les plus connus du Tout-Paris litteraire et artis- tique. Lelement feminin tient une bonne place au milieu de ces celebrites du jour dont M. Rixens a su fixer, avec un rare talent d'observation , les traits, les attitudes et les gestes. M. Rixens expose encore d'interessants portraits et une . jolie etude de nu intitulee : La toilette, d\ine execution savoureuse et d'un coloris charm ant. C'est a Interpretation de ce theme : La femme moderne, theme inepuisable dans ses nuances, que le maitre beige, Alfred Stevens, a consacre la plus grande partie de sa laborieuse et brillante carriere artistique. II est represente au Champ de Mars par une douzaine de toiles parmi lesquelles des marines delicatement nacrees, des paysages aux fines colorations , des figures shakspeariennes ; mais il n'a su trouver ni clans l'un ni dans Lautre de ces sujets la triomphante inspiration qui lui fit jadis fixer definitivement, de son brillant pinceau, les traits charmants de ces Contemporaines dont les inoubliables images sont cataloguees sous les titres : La jeune Veuve (n° 83g), Une Musicienne (n° 842), La Lettre (n° 849) et Les Iris (n" 843), etude interessante du pur chef-d'oeuvre qui figure au Musee de Bruxelles , sous ce titre : La Bete a bon Dieu. Bien qu'italien, M. Boldini refuse absolument de perpetuer dans son osuvre le souvenir, d'ailleurs assez solidement etabli, des Titien, des Veronese et des Giorgione. On chercherait vainement dans ses 80 SALON DE 1890 toiles, empreintes (Tune si elegante modernite, un chaud reflet de VAssomption, des Noces de Cana 011 du Concert champetre. M. Bol- dini, qui comme le poete, veut boire dans son propre verre, dedaigne les lecons de ses illustres compatriotes et prefere, aux somptueuses rutilances venitiennes, la modestie des blancs neigeux et des gris perle, de lnarmonieuse et discrete union desquels il tire ses plus seduisants effets. Le succes considerable qu'obtint M. Boldini a l'Exposition de 1889, avec ses portraits de femnies, dune elegance si raffinee, vient d'avoir une nouvelle edition au Champ de Mars, et la toile qui represente le portrait du peintre M. John-Lewis Brown et de sa famille est, a coup siir, une des oeuvres les plus interes- santes et les plus remarquees du Salon. Sans aboutir pour cela a la charge de son personnage, et sans tomber dans le procede caricatural, M. Boldini s'applique a deve- lopper dans une juste mesure le trait, Texpression , F attitude, le mouvement le plus caracteristique de son sujet, et il arrive, a Taide de ce procede systematique, a exprimer avec une etonnante intensite de vie et dans toute sa realite, la physionomie de son modele. II a applique ses doctrines d'une facon tout a fait victorieuse dans le portrait de M. John -Lewis Brown, entrainant sa famille, avec un large eclat de rire, dans une course follement rapide et qui doit fatalement se terminer par une joyeuse fete. Cette allure de noce est singulierement comique. La tenue des cinq autres portraits de femmes exposes par M. Boldini est moins orageuse. J'allais dire plus officielle , si ce qualificatif pouvait jamais s'appliquer a une des figures de Boldini ou la fantaisie trouve toujours un petit coin pour sourire. Ici, comme dans le portrait de M. John -Lewis Brown, c'est la merae intensite d'expression rendue dans une execution tres meditee, a Taide d'un pinceau parfois penetrant comme un scalpel. Le tableautin qu'il expose sous ce simple titre Etude, et qui represente un cocher endormi dans son fiacre au repos, est un petit chef-d'oeuvre de facture et de bonne humeur. Le maigre cheval, Si ■ RGE - - S T 1 LA PEINTURE Si sorte de rossinante efflanquee, dont Timpatience se trahit par dcs attitudes deviees d'un naturel indiscutable, est anatomise avec unc impeccable precision de dessin. M. Rosset-Granger, dont la maniere semble s'etre sensiblement modifiee, et qui parait vouloir introduire plus de plein air et de verite dans son ideal, est tres honorablement represente au Salon par une serie de vues de Provence. M. Guillaume Dubufe, qui a trouve pour l'expression de son mystique ideal une execution d'une legerete presque immaterielle, expose une grande toile, la Maison de la Yierge, et deux panneaux decoratifs, Marguerite au rouet et « .Ire Maria », qui se recom- mandent par une couleur distinguee. Ces trois compositions sont encaurees dans une serie de vues charmantes prises dans Tile de Capri, brillantes etudes vivement enlevees et ou l'artiste trouvera de precieux motifs de decors pour ses compositions futures. Voici un des artistes les plus originaux, les plus charmeurs, les plus troublants , de la jeune generation. Je veux parler de M. Eugene Carriere, dont le talent si personnel a fini par s'im- poser au public, qui longtemps passa indifferent devant ses suaves monochromies, ignorant encore que Tart de la peinture, aussi bien que tout autre art, ne doit avoir de formule speciale et que le grand peintre est celui qui sait, quels que soient les moyens qu'il emploie, donner a sa vision une forme assez suggestive pour que nous ne puissions la voir passer devant nos yeux sans ressentir Temotion d'art qu'il eprouva lui-meme. Que m'importe que M. Carriere ne promene son pinceau que dans les gammes des gris , si la precieuse matiere dont il sait tou jours enrichir sa ])alette lui suffit pour exprimer son reve et pour nous le faire aimer ! Que j'en connais , de peintres fameux aujourd'hui qui, comme certains orateurs bavards dont la renommee n'est que le resultat trompeur d'une fausse eloquence faite du choc bruyant de vaines paroles , se contentent d'un semblant de gloire ephemere due a l'espece d'ahurissement produit sur un public 82 SALON DE 1890 gobeur par l'exhibition tapageuse de toiles rutilantes et creuses. Puisse M. Carriere continuer a poursuivre, dans le pieux recueille- ment qui convient a son noble talent, la douce et penetrante expression de son ideal si simplement humain, mais qu'il sait tou- jours envelopper d'une atmosphere de poesie intime et attendrie ! Son ceuvre est une de celles que nous recherchons le plus, et nous nous plaisons a oublier dans sa contemplation la froide bru- talite des conceptions realistes et 1 nabilete impersonnelle de la plu- part des formules modernes. Notre embarras serait, croyons-nous, assez grand, si nous etions mis en demeure d'indiquer r ceuvre que nous preferons parmi celles que M. Carriere expose cette annee sous ces titres divers : Som- meil, Tendresse, La Coupe, Jeune fille a sa coiffure, Le Cahier, Le Dejeuner. De chacune se degage 1111 charme inexprimable et une seule d'entre elles le Cahier, par exemple, suffirait a rendre popu- laire le nom du peintre qui l'a signee, chez ceux pour lesquels Texpression savante, emue et originale d'une pensee librement for- mulee est la veritable ceuvre dart. Les envois de M. Jeanniot sont nombreux, mais un seul a une reelle importance. (Test celui qui est catalogue sous le n° 5oi, et qui porte pour titre : Vieux Menage. Les autres ne sont que de charmantes etudes executees avec un profond sentiment de la nature, tantot en presence de la nuit tombante, des flots agites de la mer, ou du plein soleil sur les champs. Mais le Vieux Menage est une ceuvre maitresse devant laquelle nous devons nous arreter un moment. Le vieux menage de M. Jeanniot se compose, la chose est par trop evidente, de deux vieillards, mais de deux vieillards de fort grand age, dont le peintre, qui a un ceil d'une extraordinaire pene- tration, a analyse tous les traits rides, et rendu, avec une emotion communicative, les attitudes cassees et croulantes. Ces deux pauvres vieux, deux paysans, dont les durs travaux des champs et les vents apres des matins glaces ont deforme les mains et racorni la peau, . BESNARD VISION D] SALON DE 1690 LA PEINTURE 83 sont silencieusement assis pres de l'atre. Le peintre a fort bien rendu la morne reverie du vieux menage solitaire, et avec beaucoup d'art il a su melancoliser encore davantage son sujet en lenve- loppant tout entier d'une douce lumiere crepusculaire, d'une lumiere presque tombale, aux bleuatres transparences, a travers lcsquelles les angles des personnages et des choses s'attenuent pour ne laisser voir que des formes vagues legerement estompees par la brune, et comme enveloppees d 1 un voile de tristesse. C'est la une toile d'une importance capitale, et je ne sais si je ne la prefere encore aux Deux Pays, cette delicieuse idylle militaire que je regretterai toujours de ne pas voir en bonne place au Musee du Luxembourg. Nous nous attendions a trouver au Champ de Mars une expo- sition plus complete des osuvres de M. Dinet. Etant donne que le reglement de la Societe nationale des artistes frangais autorise chacun de ses exposants a etre represente au Salon par un maximum de dix toiles, M. Dinet pouvait, et cela sans nuire a sa reputation deja si solidement etablie, encadrer les trois belles compositions qu'il nous montre cette annee, dans quelques-unes de ces brillantes etudes d'Orient, ou il a mis tant de soleil, de chaleur et de verite. Ceci dit, nous reconnaissons tres volontiers qu'avec son Channeur de viperes, 84 SALON DE 1890 son Combat autour d'un sou et sa toile intitulee : Daphnis ct Chloe, M. Dinet figure d'une fagon tres honorable au Champ de Mars. C'est bien au dela des hauts plateaux algeriens, presque a la limite du domaine sablonneux et inhospitalier des Touaregs, dans Tardente clarte du desert, que M. Dinet va chercher ses sujets inspirateurs. Et il rapporte de ses lointaines peregrinations des com- positions d'un aspect tres particulier ou vivent, dans une lumiere aux eblouissantes vibrations, des types d'une beaute sauvage inconnue dans la reg-ion du Tell. Le Charmeur de viperes et le Combat autour d'un sou sont pleines de tres originates qualites de composition. Le dessin en est vif et serre, et la physionomie de chaque personnage est profonde- ment etudiee. Dans la toile qu'il appelle Daphnis et Chloe\ M. Dinet, auquel la contemplation du desert laisse, parait-il, quelques loisirs pour lire les caressants recits du problematique Longus, nous fait assister au bain des deux jeunes amants, et cette peinture, d'ou se degage une sensation de fraicheur exquise, nous prouve que le pinceau de M. Dinet sait exprimer aussi habilement les rondeurs des chairs virginales et l'ambiance occidentale , que les peaux tannees des Arabes, les plis majestueux de leur bournous et le souffle de feu du sirocco. M. Dagnan-Bouveret , dont le talent sincere et puissant ne se prete guere a Timprovisation, n'a pas eu , sans doute , le temps de parfaire clefinitivement une oeuvre d'une importance capitale , depuis le jour ou il exposa, avec un succes si retentissant, ses Bretonnes au pardon et sa Vierge, douce dans sa lumiere blonde comme une appa- rition au clair de lune, ou comme rimage un peu effacee d'une sainte de vieux vitrail caresse par le soleil mourant. Mais il a voulu nean- moins figurer au Champ de Mars, et il y est represente par trois petits tableaux : un Bord de riviere, un portrait d'homme, et le Cimetiere de Sidi-Kebir (a Blidah, Algerie), ou Ton retrouve toutes les qualites de couleur et de dessin du jeune maitre. . LA PEINTURE 85 Nul artiste n'aura ete plus discute, plus loue, plus conspue et plus applaudi que Besnard. Et la chose est facile a comprendre, car jamais peintre ne batailla plus audacieusement contre les vieilles doctrines et ne produisit d'ceuvres plus propres a seduire a la fois les delicats par le charme suggestif de leurs colorations frissonnantes, et a horripiler par la savante fantaisie, parfois outree, de leur exe- cution, les respectueux admirateurs des formules de convention. Les toiles exposees cette annee par cet artiste ne contribueront guere, si j'ajoute foi aux propos que j'ai recueillis parmi la foule qui les contemplait, a calmer Pirritation des graves partisans des theories de Tecole, theories dont Tancien prix de Rome, Albert Besnard, a fait depuis longtemps litiere. J'ai assiste, devant cette etrange Vision de femme, d'un dessin si elegant et dont les chairs satinees, au modele si ferme, sont comme habillees par les reflets changeants produits du jeu des lumieres a travers les fleurs et les feuillages, a des dialogues pleins de clameurs d'orage, et que Besnard n'aurait pu entendre sans tomber foudroye. Les memes ereintements, toujours formules par des personnages tres apophthegmatiques, se poursuivaient devant ces deux merveilles : le Sommeil et Vlnsomnie, d\tn art si raffine et d'une si grande seduc- tion. C'est a peine si la critique de ces farouches demolisseurs s'attenuait legerement devant la toile intitulee : Une famille , et ou Besnard, laissant cependant de cote toute audacieuse recherche d'effets nouveaux , fait passer devant nos yeux le radieux spectacle d'une superbe reunion d'enfants, qui semblent fleurir sous le regard attendri de leur mere. Cette scene est vivement eclairee par une porte ouverte sur un paysage lacustre et montagneux. Pres de cette porte, dans Tombre, se tient le pere, un homme de haute stature, qui ressemble consi- derablement a Besnard et qui parait considerer avec un orgueil tres legitime le groupe charmant forme par la mere et les enfants. M. Duez n'a pas cru devoir livrer cette annee aux regards des visiteurs du Salon du Champ de Mars les plus heureuses manifesta- 86 SALON DE 1890 tions de son beau talent, et nous n'hesitons pas a Ten blamer, car la fete etait assez solennelle pour qu'il cherchat a s'y faire representer d'une facon brillante. Noblesse oblige. Le portrait dc Georges Hugo nous plait mediocrement. (Test une oeuvre sans accent et sans force. Je reconnais que la couleur en est distinguee, mais la valeur d'une toile ne depend pas toujours uniquement de la qualite dc la matiere , quoi qu'en disent quelques factureurs farouches pour qui tout ideal artistique se resume dans un etincelant coup de bros.se. Ah ! que nous voila loin des portraits de marins que M. Duez nous faisait voir, il y a quelques mois, a l'exposition des pastellistes, et dont nous retrouvons encore, dans notre souvenir, les vivantes expressions formulees dans un dessin si original et si puissant. M. Duez expose, a cote du portrait de Georges Hugo, trois autres toiles de moindre importance : Le cafe sur la terrasse, une Marine, et le Pre en fleurs (Villerville), ou Ton retrouve Thabile interprete des jardins fleuris, des rivages herbeux, des mers glauques et ealmes de la Normandie, avec tous les jeux habiles de son pinceau tour a tour delicat et puissant. M. Roll expose cinq portraits et trois paysages. Chacune de ces toiles est une tres vivante expression du talent sain et solide de Tartiste. Mais, a notre avis, celles 011 les qualites originales de M. Roll se manifestent de la facon la plus complete, sont : le Portrait de M. Yves Guyot, ministre des travaux publics, et V Enfant avec sa bonne (n° 768). Ce sont la deux morceaux de haute maitrise, auxquels on peut joindre le remarquable portrait de M. Antonin Proust, que Roll expose a la section des pastels. Sous ce titre : Mer fnnebre, M. Roll qui est, quand il le veut, un tres habile mariniste, expose un efFet de brouillard d'une terrifiante majeste. Je ne puis voir cette toile pleine de funebres evocations, sans songer a ces dernieres lignes de Pechenrs d'Islande, ce chef- d'oeuvre de Pierre Loti : « Tout le temps, des voiles obscurs s'etaient agites au-dessus des rideaux mouvants et tourmentes , tendus pour X 2 m P — Q < PORT TRAIT DE M'1 E JANE HADING LA PEINTURE 87 cacher la fete; et la fiancee donnait dc la voix, faisait toujours son plus grand bruit horrible pour etouffer les cris. » M. Edelfelt, dont le talent si franchement original paraissait avoir subi depuis quelques annees de facheuses influences, nous revient de la Finlande, son pays natal, ou il a retrouve son accent si particulier, avec six toiles (portraits et paysages) qui obtiennent, et c"est justice. un tres brillant succes. Son Portrait d enfant est un petit chef-d'oeuvre dans sa spirituelle execution et dans sa couleur vibrante et argentee. et son Coucher de soleil (Finlande), qui a ete, on le devine sans peine, inspire par un vif amour du sol natal, est d'une grande majeste et d'une profonde poesie. M. Louis Picard est avant tout un portraitiste. Sans doute son talent a la fois si sincere et si primesautier trouve aussi parfois Toc- casion de se manifester avec bonheur dans des sujets de genre, comme YInterieur de brasserie et Y Arrivee de la grande echelle de secoitrs, mais c"est surtout dans banalyse de la figure humaine que son pinceau penetrant se promene avec le plus de puissance et de siirete. Ses portraits de madame C. M... et de M. E. Hoschede sont deux oeuvres de premier ordre. Nous sommes sans inquietude sur Tavenir de M. Louis Picard, et nous nous trompons fort si avant pen ce jeune artiste ne se cree pas une situation preponderate parmi les peintres contemporains. Ce qui caracterise Timportante exposition de M. Gustave Colin, qui est represente au Salon du Champ de Mars par onze toiles, c'est la brillante intensite du colons. L'art de M. Colin parle haut et clair. Sa facture large et fouettee est saine et puissante, et il sait fort bien le secret d'operer des mariages heureux entre les plus audacieuses couleurs. Chacune de ses toiles est comme un harmonieux concert fait de voix tres puissantes. M. Colin est un artiste essentiellement original ; sans doute son respect pour Gericault et Delacroix doit etre fort grand, mais. a notre avis, la critique est injuste lorsqu'elle lui reproche de trop s'inspirer de leur maniere, lorsqiLil n'existe entre lui et ces maitres 88 SALON DE 1890 que des affinites artistiques tres normales. J'imagine qu'un jour on rendra pleinement justice a Toeuvre de M. Gustave Colin, qui n'est pas assez appreciee aujourd'hui. M. Jean Beraud est toujours le spirituel peintre anecdotique des scenes de moeurs de la vie contemporaine. Son Monte-Carlo est une etude curieuse des differents types de joueurs, et il a fort bien rendu I 1 I MONTT [AR] les multiples expressions d'anxiete provoquees par le sacramentel : zai Matin d'automne. Olive Martigues ; cote de I'etang de Berre. Parrot-Lecomte Un coin de l Atelier de Ch. Meissonier Jils. Peraire (P.) Le Marais ; environs de Corbeil. Pille La Messe, a Pavant (Aisne) Poilleux-Saint-Ange. . . . Une prise de voile. Point (A. I Joie des choses. Quignon La Moisson. Quost Fleurs de Paques. Realier-Dumas Enfants dans un tableau. Richemont (de) Le Reve. Rosset-Granger Cache-cache. Rouby Fleurs. Saint-Germier Une Porte de Saint-Marc, a Venise. Saintin (H.I Soir d'hiver. Sauzay Les lavoirs bleus, a Villeneuve-la-Garenne. Schuli.er Soleils ; fin d'ete. Skredsvig Villa Baciouchi, pres Ajaccio. Tauzin Paris en 1889, vu de la terrasse de Meudon. Thiollet La Recolte des monies. Toudouze Fleurs d'automne. Vauthier Saint-Denis ; la Fosse aux Anglais. Zakarian Prunes et Verre de vin. DESSINS, CARTONS, ETC MM. Prinet Le Petit quadrille, pastel. Simon (M" e ) Attribut de musique, aquarelle. Tourny Fcole de tapisserie, aux Gobelins, pastel. SCULPTURE MM. Aizelin Judith, statue bronze. Astanieres (d'j Exoriane, statue platre. Barthelemy Pastourelle du faune, statue marbre. Basly (de) Dalayrac, buste marbre. Bastet Parrocel, buste marbre. Bayard de la Vingtrie. . . M. de Sacy, buste marbre. Boisseau Labiche, buste marbre. Boucher A la Terre, statue platre. Capellaro Destouches, buste marbre. Carlier Gilliatt et la pieuvre, groupe marbre. Charrentier La Chanson, statue marbre. Dagonet La Nuit, statue platre. Dami't La Jin d'un Reve, statue marbre. David (A.) La Chevre Amalthee, camee. Demaille Jeune Fille tressant une couronne, statue marbre. Dumilatre Monument de Croce-Spinelli et Sivel, groupe platre. Fosse Ali^ard, buste marbre. Gardet Tireur d'arc, statue marbre. ACQUISITIONS DE L'ETAT 101 MM. Gaul a rd Gallia, statuette topaze. Gauquie Satyre et Bacchante, groupe platre. Geoffroy Lion et Lionne. Gerome Tanagra, statue marbre. Houssay (F.) Fluteuse, bas-relief cire. Icard L'Araignee, statue marbre. Injalbert Gavarni, buste marbre. Larche Thomas Corneille, buste marbre. — Jesus en/ant, statue platre. Lefeuvre (A.) Pour la Patrie, groupe marbre. Lefevre (C.) Dans la me, groupe platre. Lefevre-Deslonghamps . . . Aluse eploree, statue platre. Lemaire Venus, statue platre. Duguesclin, statue bronze. Levasseur Apres le combat, groupe marbre. Loiseau Bcaumarchais, buste marbre. — Adieu ! groupe platre. Marqueste Persee, groupe marbre. Mathet Oreade, statue platre. Mathieu-Meusnikr Jacques Despars, buste marbre. Mayer (N.) Re'veil, statue platre. Meunier Marteleurs, figurine bronze. Debardeurs, figurine bronze. Michel (G. ) La Paix, statue pierre. Michf.l-Malherbe La derniere Nymphe, statue platre. Peene Kreut^er, buste marbre. Ple Strasbourg, buste platre. Puech La Sirene, groupe marbre. Renaudot Diane, statue marbre. Richer (P.i Le premier Artiste, statue platre. Roulleau Le'da, groupe marbre. Schroeder Science et Mystere, statue marbre. Tournois Michel Auguier, statuette platre. Vernier La Conference ouvriere de Berlin, plaquette bronze. ARCHITECTURE Fournereau Ruines Kmers, 7 chassis. TABLE DES MATIERES Le Salon de 1890. — La Peinture 1 — — La Sculpture 53 Societe nationale des Beaux-Arts. — La Peinture 65 — — — La Sculpture 94 Liste des Recompenses au Salon de 1890 97 Acquisitions de l'Etat au Salon de 1890 et a la Societe nationale des Beaux- Arts gg TABLE DES GRAVURES PEINTURE Pages. Anderson (A.) 8 Bacon (H.) 12 Beraud 88 Bernier (C.) 14 Besnard 82* Beyle (P.) 3j Billet (M»° A.) 8* Billet (P.) 42" Binet 92 Boldini 68 Bompard (M.) 12 Bonnat (L.) 2 Boutigny (E.) 34 Breton (Jules) 3o Brouillet (A.) 17 Brunet 5o* Burnand 73* Butler (El.) 32' Caille 5 1 Carolus-Duran 68 Chaplin (C.) 4* Checa 24 Chigot (E.) 48 Cogghe 52 Courtois 74 Debat-Ponsan 46* Delachaux 5o Delort 90* Detaille (E.) 22 Deyrolle (T.) 3o* Dinet 84 Dubufe 80 Dup're (Julien) 26 Feyen (E.) 44 Firmin-Girard 94 Flameng (F.) 42 Francais (L.) 2 Friant 74 Gardner (M"e E.) 6 Gerome (J.-L.) 16 Gervex 70 Grolleron 32' Gueldry (J.) 32 Hagborg 78' Haquette (G.) 40 Henner (J. -J.) 4 Hitchcock 71 Howe (W.-H.) 26 Israels 94 Iwill 66' Jourdain Roger y~ Kaemmerer (P.) 38 Kuehl 88 Leloir (M.) 32 Lerolle j6 Lhermitte 74 Lobrichon 6 Luminals 35 Lunois (A.) 38 Lynch (A.) 4 Maillard (E.) 20 Maillart (D.) iS y 104 TABLE DES MATIERES Pages. Mcsdag 92* Montenard 88 Moreau (A.) 21 Morot (A.) 44 Muenier j3 Munkacsy 28 Normann (A.) 20 Outin (P.) 42 Paris (A.) 9 Pelouse (L.) 46 Penne (O. de) 10 Perret (Aime) 86 Pierrey (M.) 36" Puvis de Chavannes 83 Richemont (de) 36 Rixens 78 Pages. Rochegrosse (G.) 18 Roll 86" Roy (M.i 3 4 * Sain 66 Salmson 82 Salzedo qo Scalbert (J.) 36* Stevens 80* Swan (J.i 27 Tattegrain (F.) 48 Tavernier (P.) 10' Vayson (P.) 40' Villa (E.) i6* Vuillefroy (F. de) 14* Watelin (L.) 7 SCULPTURE Baffler 91 Barrias 53 Chapu 5~ Dalou q3 Falguiere 54 Gerome (J.-L.) 54' Mercie 60 Date Due 1 Form 335— 40M— 6-40 708.4 P232S 1890 LOCKED STACKS 57272