Cornell University Library The original of tiiis book is in tine Cornell University Library. There are no known copyright restrictions in the United States on the use of the text. http://www.archive.org/details/cu31924022778140 Cornell University Library DC 242.C52 1870 Waterloo etude de la campagne de 181 5.C 3 1924 022 778 140 WATERLOO MARC MICHEL ± IWrP.lvEP.li: 5t REY ^ J UBRAIRE fiDITEUR DE L'EMPEREUR MAISON A GAKD 1 A LEIPZIG \ 30, RUE t PASSAGE DAUPHINE 1870 I. '^/f PREFACE. It a toujours 4te cCtisage, dans I'^tablissenient que I'duteur vient de quitter, d'inaugurer le cours d'Art et d'Histoire militaires par I'etude critique de quelque grande campagne : celle de Waterloo, pour des raisons qu'il est aise de comprendre, etait ordinairement choisie pour theme. En comparant les nombreux ecrits qui s'y fapportent, I'auteur s'est trouve constamment amene a faire deux observations : d'abord, que les critiques de Napoleon et ceux des allies ont une egale tendance h edifier des theories sur V4tude incomplete et super fi- cielle des fails ; ensuite , que la clef de voute de cet edi- fice, ces grands traits de la strategic auxquels les des- tinees du monde ont ete suspendues pendant quelqu^s heures, sont sujets h se perdre ou a s'obscurcir grande- ment sous une masse de details pittoresques qui peuvent interesser un jour la famille ou les amis des comparses du grand drame, mais qui n'ont aucune importance YI — serieuse pour le resultat general. Comme aggravation de ces tendances, il s'y ajoute une troisieme et plus dangereuse erreur, celle des soi-disants historiens na- tionaux qui, de propos delibere, s'attachent a courtiser les passions de leurs compatriotes aux depens de la verite historique. En produisant au jour le resultat de ses propres etudes , I'auteur ne recherche pas d' autre honneur que celui d' avoir lutte pour I'impartialite et de s'itre appli- que a controler les recits dont il a fait usage par les preuves les plus severes. Sil a ete necessairement amene dans I'accomplissement de cette tache a cornbattre en particulier quelques brillants mensonges , c'est que ceux-ci, par cela meme qu'ils exercent une grande influence sur des millions de ses camarades, ont plus besoin d'etre devoiles au grand jour. II s'est efforce de borner, autant que possible, sa cri- tique aux points de fait acquis a V evidence. Quand les commentaires vont plus loin, il a cherche d, mettre en relief V opinion des auteurs qui se sont fait connaitre a la fois comme praticiens savants et comme critiques eclaires, plutot que de presenter des observations qu'on pourrait raisonnablement rejeter comme etant Vopinion personnelle d'un professeur . Etablissement royal de Chatham.(l868A T.TSTE DES OUVRAGES ET DES EDITIONS CITES DANS LES NOTES. MuKFLixG. Histoire de la campagne de 1815, traduite par sii' John Sinclair (en anglais); Londres, 1816. — M4'moires de ma TOe,traduits par Yorke (en anglais), Lon- dres, 1853. Recueil des baiailles (Recueil des rapports ofRciels publie a Berlin, en 1821). Cl.^usewitz. Campagne de 1815 (en allemand); Berlin, 1835. VARrJH.A.GEN VON Ense. Vie de BliicJier {en aWemSiXiCL); Berlin, 1845. Brialmont. Histoire die due de Wellington ; Bruxelles, 1858. Van Loben-Sels. Pricis de la campagne de 1815 ; LaHaye, 1849. SiBORNE. Eistoire de la guerre des Pays-Pas (en anglais); Londres, 1844. Hamlet. La carriire de Wellitigton (en anglais); Londres, 1860. J. Shaw Kennedy. Notes sur Waterloo (en anglais); Londres, 1865. G. Hooper . Waterloo (en anglais); Londres, 1862. GuRWOOD. Correspondance de Wellington (en anglais). Bipdches suppUmentaires de Wellington (en anglais). Documents (Recueil de) officiels concernant Waterloo, recueillis par un observateur (en anglais); 8°"= Edition. Lond»es, 1816. GouRGAUD. NapoUon— Campagne de 1815. Londres, 1818. Mimoires (de "HafoiAon) pour servir, etc. Paris, 1830. Charras. Campagne de 1815; Bruxelles, 1858. QuiNET. Campagne de 1815 ; Paris, 1862. Thiers. Histoire du consulat et de I'empire; Paris, 1862. €AiTi i iii mmm m m MEimmi it ii ik fmmmm m u\ mmm iwi im. «?ijiii \ ummmK m wmmim.. KILOMETRES PREMIERE CONFERENCE. INTRODUCTION A L'ETUDE DE Lk CAMPAGNE DE WATERLOO. L'histoire militaire, pour s'6lever au-dessus de la s^cheresse d'un simple rapport des operations de la guerre, doit s'accompagner d'une critique intelligente. Nous poserons plus loin les bornes de cette critique : notre premier devoir en ce moment est d'examiner quelles sont les vraies et saines bases sur lesquelles reposent a la Ms la narration et le commentaire des faits ; comment , en un mot , nous devons verifier les faits sur lesquels nous nous proposons d'asseoir nos theories. Car, si la v^ritd historique ne nous ^clairait a travers les tenebres du pass^, le jugement que nous porterions serait faux et nous nous efforcerions en vain d'en d^duire des enseignements pour I'avenir. Pour d^montrer les principes qui peuvent seuls assurer cette v^rit^ , j'emprunterais volontiers ici les expressions d'un ^crivain regrettd, qui passe ^ juste — 2 — titre pour un des plus ^minents critiques que notre age ait vus naitre. Sir G. Cornewall Lewis, dans un pas- sage remarquable de son livre sur la Credibilite des origines de I'Histoire romaine, pose en ces termes la loi imprescriptible qui devrait constamment presider k nos recherclies : « II semble, dit-il, que Ton est trop souvent port^ k croire et a mettre en pratique k tout ^v^nement cette id^e, que I'^vidence historique differe par sa nature de tous les autres genres d'^vidence. Aussi longtemps que cette erreur ne sera pas comple- tement extirp^e, toutes les recherches historiques ne pourront conduire qu'A des rdsultats incertains. L' evi- dence historique, comme V evidence judiciaire, se fonde sur la garantie de temoignages dignes de foi. » Je n'ai pas besoin de faire ressortir que cette loi est tout aussi indispensable dans les etudes militaires que dans les autres etudes. Nulla part, en effet, rhomme qui ajou^un role dans les ^v^nements, n'est plus sujet a substituer ses impressions personnelles a la r^alit^ des faits et, inconvenient tr^s-grave, nul n'est plus expose que lui k faire passer dans le domaine de I'liistoire ses propres conjectures sur ce qui a exists ou s'est pass4 dans I'autre camp ; et cela , faute d'avoir rectifi^ ses opinions en remontant' aux sources et en recueillant chez ses adversaires mSmes les rehseignements qu'ils — 3 — pouvaient seuls lui fournir sur leurs moyens et sur leur but. Malheureusement ces jugements prdcipit^s flattent d'ordinaire rorgumljaational bien plus que ne ferait la v^rit^ ; une opinion puissante s'enr61e sous la banniere de I'erreur; elle_ entraine les dcrivains qui croient rendre service k leur pays en fernaant les yeux k la v^rit^ et qui, suivant aveugl^ment les traditions de leur parti, acceptent pour de I'liistoire de simples rdcits d'^v^nements partiels. Peu a peu ces versions st^r^o- typ^es sont admises en fait, on s'^cbauffe k les ddfendre , on recbercbe avec soin tous les documents qui peuvent en confirmer I'exactitude dans un sens donn4. Le proems se poursuit de part et d'autre, les contradictions se multiplient , jusqu'A ce qu'un publi- ciste vienne dogmatiser sur la fausset^ de I'Mstoire elle-m4me, oubliant que dans tout d^bat la Y6rit4 ne pent ressortir que de la pond^ration des preuves et que le devoir special du juge est pr^cisdment de cor- riger cette partiality des t^moignages qui peut obscur- cir la nature des faits, mais non la cbanger. Dans les pages qui vont suivre, nous aurons beau- coup a nous occuper de la litt^rature militaire d'une grande nation voisine, dont les ^crivains se sont mon- tr^s les plus infideles de tous h ces lois quand il s'est agi de leurs victoires ou de leurs d^faites nationales. Ce n'est pas k dire, cependant , que les notres soient absolument irr^prochables. Chez nous, la Idgende popu- laire de cette grande bataille qui a donne son nom k la campagne de 1815 n'est guere moins romanesque que le fameux chapitre des Miserables de Victor Hugo, intitule Waterloo, qui a d^fraye, et k bon droit, la gaite des critiques. Ouvrons dans la multitude de nos livres classiques ' un des ouvrages le mieux connus et voyons ce qu'il dit de la part que prirent les Prussiens a la victoire de Waterloo. Sur une page k peu pres consacree k la bataille , deux petites phrases concer- nent Bliicher : « A la nuit tombante on vit les t^tes des colonnes prussiennes s'avancer pour prendre part au combat » . — « Les troupes prussiennes qui etaient relativement fraiches, continuerent la poursuite » (on vient de dire que les Fran§ais avaient ^te mis en ddroute par la charge de Wellington), « et Tarmde'de Napoldon fut virtuellement an^antie. » En lisant une histoire ainsi r^dig^e, quel ^leve de nos ecoles pourrait soupgonner que le plus vaillant capitaine des temps modernes se trouvait sur le champ de bataille avec une partie de son arm^e d6s quatre heures et demie, ' que trois heures avant la chute du jour il ^tait chau- dement engage avec les reserves de Napoleon, qu'au ' Pinnoor's Goldsmith, 18« Edition. — 5 — moment de la grande charge de Wellington 50,000 hommes de troupes d'dite prenaient part k Taction sous ses ordres et que I'li^roique appui qu'elles pre- tdrent aux notres dans cette soiree memorable leur coAta 7,000 hommes tu^s ou blesses? Or, ces faits ressortent avec une entidre Evidence aux yeux de I'ob- servateur qui contemple dans la bataille de Waterloo, non I'ceuvre color^e de quelques artistes patriotes, mais un tableau fidelement burine par rhistoire : il est tout dispose k appr^cier la part que les Prussiens prirent a cette victoire, non d'apr^s les conjectures de leurs ennemis ou de leurs allies, mais d'aprds leurs propres recits confirmes par ceux d'observateurs indepen- dants. En cette mati^re, les historiens frangais, comme on.l'a d^ja entendu, poussent loin la violation des regies. lis ne p^chent pas simplement par omission ; leur defaut est plut6t de rdp^ter les m^mes erreurs de ' livre en livre, longtemps encore apres que la v^rit^ s'est fait jour dans le monde. II nous importerait peu, com- parativement , si les historieng frangais et les mat^- riaux qu'ils fournissent a I'histoire n'avaient pas un int^ret tout special pour notre pays. Malheureusement I'dl^ance et la clartd des ^crivains militaires de la France, le nombre et la publicity de leurs ceuvres, ont — 6 — engage les notres a adopter sans controle leurs rela- tions des guerres europeennes , Jija^eserv^jtoujouji de celles ou lesjjm^esjj^laises onijo^ Cette servilite a suivre des guides trop souvent aveugles a fausse notre saine appreciation des forces militaires du continent. En v^rite, il nous elit 6t6 difficile de choisir de pires instructeurs. II n'est pas un auteur aUemand qui s'avisAt de charpenter I'histoire d'une guerre, d'une campagne, ou m^me d'une simple action entre AUe- mands et Francais, sans consulter minutietisement les autorit^s frangaises avec le m^me scrupule que les dcrivains de son propre pays. Un Frangais, ayant a traiter aujourd'hui un point de la Revolution ou de la periode imperiale, ne songe m^me pas a suivre pas a pas les bulletins journaliers, surtout ceux du parti ennemi, ou bien il les emprunte de seconde main a^ quelque interm^diaire, de la meilleure foi du monde, je veux bien, mais au mepris le plus formel de toutes les regies de la preuve. Je citerai a I'appui de ma th^se et- comme un ^cban- tillon de ces travaux, un livre recent qui, malgr^ ses inexactitudes, passe pour un oracle dans sa sp^cialite, ayant ^te compost pour servir de manuel dans un grand college militaire. II a pour auteur un Francais qui parait ^tre a la hauteur de sa tdche et p^n^tr^ des — 7 — intentions les plus droites : fix4 dans ce pays, il a su s'affrancMr des considerations mesquines qui auraient pu I'entrainer a flatter Torgueil national de ses compa- triotes. Son .livre retrace la biograpMe de quelques grands generaux frangais dont les m^moires lui ont fourni des matdriaux, entre autres celle du marechal Jourdan, le heros de cette victoire de Fleurus qui fit tourner les chances de la guerre desPays-Bas en 1794. L'auteur n'ayant consulte que les documents d'un seul parti, on connait d'avance les chiffres qu'il va pro- duire : « 100,000 hommes de troupes alliees, dit-il, etaient en face de 70,000 rdpuLlicains. » II n'a fait que copier une legion d'ecrivains qui ont calculi, non le cMffre des troupes francaises, mais celui des troupes actueUement engagdes, sans jamais se preoccuper de verifier les conjectures originales de leurs compatriotes a regard de la force de I'armee de Cobourg. Or, le chififre de ces troupes a 6t4 public il J a quelque vingt ans, d'apr^s des sources oflicieUes, dans un ouvrage capital dli a la plume d'un AutricMen \ et suivant ces documents les 100,000 hommes supposes, se reduisent a la juste somme de 45,775! Quant aux troupes fran- gaises placees sous les ordres de Jourdan, Thiers, peu suspect d'exagdration en ce sens, les lvalue au chiffre 1 Duller, I'Archiduc Charles, p. 211. — 8 — de 81,000 homtnes ', y compris les reserves. De sorte que le general republicain, au lieu de n'avoir que les sept dixiemes des forces de ses adversaires, comman- dait en reality a des forces presque doubles des leurs ! Pendant queje suis sur le chapitre des inexactitudes frangaises, je ne puis me priver de vous signaler une correspondance remarquable qu'on a inseree dans I'appendice du premier volume de la vie de I'incompa- rable historien militaire h qui nous devons la Guerre de la Peninsule^ . M. Thiers, passe maitre en I'art d'ez- pliquer quand m^me les revers nationaux, est tombe la entre les mains d'un antagoniste de tout point digne de lutter avec lui, qui I'a rudement mene, a propos des cbiffres de I'Mstorien frangais et cela au moyen des documents originaux dressds pour I'usage prive de Napoleon et conserves aux archives de Paris. Du cot^ de Napier, la discussion est un module du genre : et la d^sinvolture avec laqueUe M. Thiers, incapable de r^futer les faits pos^s par son adversaire, declare qu'il ne veut pas discuter davantage avec des « critiques intdresses ou ignorants » sufflt k nous montrer jusqu'a quel point il est sage de prendre pour guide en histoire I'auteur du Consulat et V Empire. 1 Thiers, Histoire de la Revolution, t. VI, p. 395-398. 2 Vie de sir W. 'Napier, publi^e par Bruoe, t. I, appendioe. — 9 — II y a des erreurs moins importantes que celles que je viens de rapporter, quiseglissent dans la trame des his- toiresordinairespurementparrinsouciancedes auteurs : des ecrivains, sans la moindre intention de tromper leurs lecteurs, copient servilement ceux qui les ont precedes et ne se donnent pas la peine de contr61er la verite de leurs assertions. Les recits populaires du grand combat de cavalerie qui d^cida la bataille d'Eckmulli, en 1809, nous en fournissent un plaisant exemple. Un ^crivain fran^ais distingue, le general Pelet.qui prit part a Tac- tion mais ne vit point le combat final, attribue le succes de ses compatriotes alasup^riorite de I'armure des cui- rassiers frangais, dont la cuirasse prot%eait la poi- trine et le dos, tandis que les cuirassiers autrichiens n'etaient proteges que par un plastron. II n'est pas douteux que Pelet n'ait puise dans des contes de bi- vouac cette strange assertion qui a 6te repetee a sa- tiete et qu' Alison lui-m^me accueflle comme un fait in- teressant : aucun de ceux qui s'en sont fait I'echo ne s'est avise de recbercber quel secours les cavaliers fran^ais ont effectivement retire de leur double armure dans ces charges memorables, et moins encore, ce qui eAt offert plus d'int^rdt, quelle ^tait la proportion nu- m^rique des troupes engagees de part et d'autre. Par bonbeur, il existe des rapports extr^mement ddtailles — 10 — qui permettent d'dtablir cet effectifde chaquecot^. Le baron Stutterheim a ecrit une histoire a I'usage des autricMens qui, se publie en ce moment a Vienne avec une faveur exceptionnelle : au point- de vue allemand c'est une autorite capitale. Thiers, marchant sur les traces de Pelet et ne consultant que les archives de son pays, s'est donne beaucoup de peine pour calculer les forces de la cavalerie frangaise^ : en examinant ces sources on voit que douze escadrons de cuirassiers de la reserve autrichienne, secondes par les dix-sept esca- drons de cavalerie leg^re qui venaient eux-m^mes d'etre crueUement ^prouv^s, se trouvaient en presence de dix regiments entiers de grosse cavalerie francaise, soutenus par trois brigades d'AUemands allies. Les situations respectives dressees quelques jours aupara- vant constataient un chiflfre de 10,000 hommes d'une part et d'un peu plus de 3,000 de I'autre. En tenant compte des operations antdrieures, on voit que cette merveilleuse histoire d'un succes dA a la superiorite de I'armure des vainqueurs, se r^duit k la situation deses- p^ree de la cavalerie autrichienne essuyant le choc de forces plus que triples des siennes. Souvent encore il est arrive que les actes de la politique 1 Comp. Thiers, t. X, p. 119 et le prof. Sohneidawind, 1809, t. I. pp. 51, 52. — H — nationale ont imprime a ropinion publique une fausse idee des ev^nements militaires. L'histoire de motre der- niere campagne des Indes nous fournit un example frappant de cette \6rit6. II y avait un peu plus d'un quart de siecle que nous occupions 1' Afghanistan, pour prevenir les intrigues de la Russie sur notre frontiers du nord-ouest. Le pays etait occupe pour nous par troiS brigades separees qui avaient chacune ses can- tonnements distincts et son administration propre. Une insurrection qui eclata au sein de notre principal etablissement, gagna rapidement les autres districts et les forces du quartier-general furent compl^tement aneanties avec tous leurs contingents, en essayant de battre en retraite : cet ecbec etait dA bien plus aux vices d'une detestable administration qu'a la puissance de nos ennemis. Les deux autres brigades se main- tinrent avec un plein succes et eUes conserverent leurs > positions jusqu'a ce que les renforts qu'on leur avait envoyes leur permissent de regagner ais^ment le ter- rain. Nous avions ainsi perdu un tiers environ de notre armee d'occupation, soit 4,500 bommes. Malheureuse- ment, il y a chez les bistoriens qui entreprennent le recit de ces sortes de revers une tendance k grandir leur role et a donner aux ^venements des proportions exagdrees : cette ^cole d'ecrivains, plus jaloux de viser — 12 — a I'effet que de rechercher la vdritd, ne 'pouvait man- quer d'exploiter la guerre de I'Afglianistan. Aussi, grAce a eux, s'est-on accoutum^ a ajouter a nos partes trop reelles cet essaim de suivants qui accompa- gnaient ks malheureuses victimes et Ton a perdu de vue la veritable proportion de ceux qui ont succombe et de ceux qui se sont maintenus. Interrogez sur ces ev^nements vingt Anglais de bonne foi : dix-neuf, tres probablement, vous repondront sans h^siter que « toute notre arm^e fut detruite, » ou bien que « notre terrible perte de 16,000 bommes dans I'Afglianistan a ^branl^ notre prestige dans I'extreme Orient. » Et, depuis lors, I'effet moral de ce d^sastre sur notre politique a ete triple. Je n'entends pas discuter ici les faits qui ont mo- difie I'attitude paciflque adoptee par nos gouvernants sur cette frontiere ; j'ai voulu simplement montrer que ces modifications ont ^t^ imposees par I'opinion pubUque bas^e sur un expose inexact des faits et tirer de cet exemple la conclusion, que la politique d'une nation pent ^tre fortement influencde par I'histoire fauss^e d'une guerre. Plus remarquable qu'aucune autre erreur de ce genre prise a part, plus grave surtout par sa port^e, est I'il- lusion persistante avec laquelle les Frangais s'aveuglent sur leur bistoire militaire contemporaine. A force de — 13 - • fermer les yeux sur les tehees de la P^ninsule, de consid^rerlesrevers de la R^publique, en 1793 et 1795, comme ne pouvant ^clipser les succes avec lesquels ils alternaient, d'insister toujours sur les victoires de Napoleon et de pallier a tout prix ses defaites, les ^crivains francais ont r^ussi a impregner ce grand peuple de la fatale croyance que son sol pent enfanter a son gr^ des soldats invincibles et un general qui ne saurait errer. — De la cette politique ambitieuse a la satisfaction de laquelle suffit a peine une sorte de su- prematie europeenne, comme Napoleon parvint de son temps a I'assurer k la France. On dirait que les visions fl^vreuses qui entralnaient ce grand g^nie vers sa ruine, se fussent transmises plus ou moins k la nation qui I'avait port^ au pouvoir. Cette croyance que les Fran- gais ne pouvaient essuyer un €chec sous Napoldon, a jaoins d'un concours d'accidents malheureux, trahison des hommes ou bostilitd des elements, cette croyance, dis-je, etait devenue pour des millions d'bommes un veritable dogme religieux ; la consequence naturelle de cette fausse appreciation de I'histoire est une politique non moins fausse qui inquiete et irrite les peuples voi- sins. Cette conviction de nnvincibilit^des armies fran- §aises s'est communiqu^e aiusi de procbe en proche, au point que chez nous-m^mes c'est une opinion com- _ 14 — mune qu'a la premiere 'collision de la France et de rAUemagne, les armies de celle-ci doivent succomber inevitablement. En dtudiant avec plus de soin Thistoire des guerres modernes, en discernant la part qui re- vient au g^nie personnel d'un seul homme dans les victoires de la France, en observant avec calme cette balance de succes eclatants et de ruineuses d^faites, on n'est pas aussi dispose a accueillir cette pretention : moins que nuUe part elle devrait avoir cours cbez cette grande nation dont les annales peuvent compenser Idna par Rosbacb, Dresde par Leipsic, Valmy par Waterloo, et qui, avec un^eu moins de vanterie, n'en aurait pas moins le droit d'avoir autant de confiance en elle-m^me que ses rivales. Que la Prusse s'arme demain centre la France, elle n'aura pas de moins justes motifs pour esp^rer de faire revivre les gloires de FrM^ric que sa rivale celles de Napoleon. Qu'une lutte supreme, surexcit^e par I'arrogance fran9aise, entralne la ruine de la France et de la dynastie qu'eUe s'est choisie, cette catastrophe ne sera que le r^sultat direct de cette education fausse qui commence par cor- rompre I'liistoire et qui finit par poser des reclamations ' territoriales inadmissibles et des pretentions me- nagantes pour I'independance des nations voisines. J'ai dit plus haut que la critique intelligente est une — 18 — partie vitale de la same histoire militaire ; distinguons ici les deux categories principales d'observations cri- tiques employees par les auteurs, car leurs objets sont essentiellement diffdrents. En premier lieu, une campagne, un mouvement, une action, peuvent 6tre regard^s comme la confirmation de certaines theories g^n^rales. 11 est Evident que la correction est ici une quality tout aussi essentielle que si Ton embrassait le m^me sujet sous un autre point de vue; mais la conduite des individus importe.peu, sauf en ce qu'elle pent avoir de conforme ou de contraire 4 certaines regies. Les acteurs en ce cas sont regard^s comme de simples instruments, plus ou moins impar- faits, concourant a accomplir un dessein arrSte, subor- donn^s en importance aux prineipes qui sont ici I'objet principal a ^tablir ou a mettre en relief. Cette applica- tion th^orique de I'liistoire militaire a fr^quemment rencontre une chaude opposition et eUe peut ais^ment degen^rer en abus entre les mains de ceux qui prennent I'homme pour une machine et qui sautent aii dessus des r^alites de la guerre dans leur empressement a en reduire les combinaisons a de pures forn;iules g^om^- triques. D'un autre c6t6, le t^moignage formel des 1 grands capitaines nous assure que cette etude profes- sionneUe est la premiere condition du succ^s pratique : I — 16 — Napoleon posait cette assertion en r^gle sp^ciale ; I'ar- chiduc Charles la pratiqua de sa personne avant de prendre un commandement en chef; Wellington, si reserve ayec ses propres amis et ses lieutenants, ^tait toujours pr^t, au milieu de ses triomphes d'Espagne', a discuter les questions strat^giques avec-de jeunes officiers de son armee, lorsqu'il en rencontrait qui fus- sent dignes de sa confiance. Dans une autre circon- stance, k la fln de sa dernier© grande campagne, il avouait k un jeune officier d'etat-major qu'il devait beaucoup et cette ^tude journaliere^. Le metier des armes, en effet, ne pent faire exception k la r^gle des autres professions : Ik aussi, pour briller avec dclat, il faut autre chose et plus que ces simples con- naissances usuelles qu'on est en droit d'attendre de tout praticien. Ce n'estplus le temps que les grandes nations comptent voir surgir au premier appel des g^ndraux providentiels qui guideront leurs armies. L'existence de notre ^cole d'^tat-major et de la chaire d'histoire qu'on y a annex^e, t^moigne assez de la haute impor- tance qu'on attache chez nous aux branches les plus dlevdes de I'art militaire. C'est pour combattre cette tendance a accorder une preference imm^rit^e aux 1 Bruce, Vie de Sir W. Napier, t. I, p. 147. 2 Kennedy, p. 28. — 17 — theories pures, c'est afin de borner leur r61e au strict rapport qu'elles peuvent avoir avec des faits connus, que ce cours d'^tudes a ^t^ inaugur^ chez nous — comme on I'a constamment pratique depuis son instal- lation — par une rapide esquisse historique de quelques campagnes mdmorables, entre autres celle de Waterloo qui fait I'objet de ces Conferences. Dans le cours de cette ^tude nous aurons I'occasion d'employer une critique diflKrente de ceUe qui se borne a dissequer, pour ainsi dire, les dvenements afin de d^couvrir les lois qui les gouvernent : ceUe qui s'oc- cupe du caractere at de la conduite des personnages mis en sc^ne. L'historien a beau retracer un dv^nement dans toutes ses pgrip^ties, en suivre I'influence dans le cours de toute une campagne, sa tdcbe reste toujours inachev^e s'il n'a soin de determiner, au moins jus- qu'a un certain point, les rapports et la part des prin- cipaux acteurs dans I'ensemble. Sous ce rapport, la campagne de 1815, en particulier, met la patience de r^crivain k une rude ^preuve. II n'en est aucune dont les resultats affectent plus profondement I'orgueil na- tional ; aucune qu'on ait envisag^e sous des points de vue aussi divers, aucune qui ait exerce davantage la sagacity et I'industrie des auteurs s'efforgant en sens contraire a ^touffer la v^rit^ ou h la faire triompher. - 18 -; it ■''i^.^^L^J;^^,c^^ /J r^.^e,«iA^-/^i?c-x^f^'>^ A ce point de vue, purement historique, c'est une dcole non moins utile au critique qu'a I'appreuti strategiste, et ses legons sont fertiles en grands enseignements. Si jamais Ton dut s'attendre 4 voir I'habilet^, la m^thode et lapr^voyance prendre la place d'une chance aveugle, c'est bien assur^ment dans cette campagne condens^e en quelques jours, f^conde dans ses consequences, mende par lespremiers capitaines du monde parvenus k I'apogde de leur reputation, resumant une somme d'experienc e acquise par vingt annees de guerre et ou Ton pent suivre les operations concourant pas a pas vers un but parfait. La bataille de Waterloo etait pre- cisement ce but : par la grandeur de ses r^sultats comme par son caract^re eminemment national, eUe n'a pas seulement reiegue dans I'ombre d'autres actions d'une importance egale, mais elle s'est reellement, et pour ainsi dire, perfidement imposee au monde comme I'objet culminant de cette campagne. Cependant, comme j'esp^re vous le demontrer bient6t, ce n'est pas cette bataille, quelque fut Tberoisme des combattants et la rapidite de la victoire, qui aurait fonde la gloire des generaux allies; c'est plut6t le noble devouement de cbacun k I'objet commun de tons et la perfection de cette mutuelle confiance qui leur permettait d'agir k part de mani^re k produire au moment opportun le — 19 — plus grand rdsultat possible par la concentration de toutes leurs forces unies. Jamais, dans toute I'histoire militaire, on n'a vu la valeur tactique des troupes plus comp l^tement sub' ordonn^e aux operations strat^giques. Ce ne s'erait pas connaitre la bataille de Waterloo, que d'y voir simplement le choc de deux grandes armees. Anglais et Frangais, combattant avec acbarnement pen- dant une journ^e, jusqu'd, ce que la resistance deslignes anglaises finit par rompre et par ^eraser uri ennemi ^puis^. Y voir cela et n'y voir rien de plus ; oublier ces longues colonnes qui s'avancent peniblement a travers des prairies bourbeuses et detremp^es sur le flanc des Francais; ces opiniAtres legions de I'AUemagne du Nord, barass^es de fatigue, les dents serr^es et les membres engourdis, trainant leurs canons dans des cbemins boueux obstru^s h cbaque pas ; ce vieux brave qu'on rencontre partout ou ses encouragements sont n^cessaires, et que ceux m^mes qu'il presse saluent du nom de pere; cet_etat-major froid et discipline, qui se f prepare a faire I'emploi le plus d^cisif de ces masses pouss^es vers un ennemi detestd : perdre tout cela de vue, ce n'est pas seulement faire u3e_monstr]iguteJn;;_. i justice a Bliich eret A son_arniee, mais c'est aussi faire tort a Wellington, car Wellington n'en jugeait pas ainsi. II savait fort bien que la marche de son allie y^-. — 20 — rentrait dans ses propres plans de bataille et il comp- tait sur lui ; de bonne heure il avait ite pr^venu du mouvement de Napoleon, force d'^loigner ses reserves du gros de I'armee; surtout, il avait concerte avec le vieux mardchal ce fatal plan de guerre. Ne pas com- prendre cela ou I'ignorer, c'est se tromper sur le vM- table dessein qui fit engager Taction. En fait, "Waterloo ne fut que le couronnement et le denouement d'un splen- dide drame strategique. Ce sont les details de ce grand drame que nous nous proposons de consid^rer main- tenant en nous aidant des meiUeurs dcrivains qui se sont occup^s de cette question. Nous parlerons d'abord des Prussiens. Le plus im- portant de leurs auteurs est le baron Muffling, com- missaire militaire aupr^s de I'armde de Wellington. Plac^ comme un lien secret entre les ^tats-majors des marecbaux aUi^s, vivant avec I'un, initio famiU^rement k tous les sentiments de I'autre, U doit avoir eu une connaissance g^ndrale de leurs plans de campagne au moins ^gale k celle de n'importe quel autre officier. Attach.^ k Bliicber pendant les ann^es prec^ dentes en quality de quartier- mattre g^n^ral, il avait .pu ob server, la guerre sur une grande ^cbelle et dtudier^ sp^ciale- ment le syst^me de Napoleon : h en juger par les notes qu'il nous a laissdes, il connaissait, h cette dpoque, — 21 — plus compldtement qu'aucun des generaux coalises, les points faibles du systeme francais. Son opinion en ma- tiere nailitaire porte avec elle cette autorite qui s'im- pose, parce que tout le monde y reconnait la supe- riority du savoir et de I'exp^rience. Adonne aux etudes theoriques dans sajeunesse, il avait conquis par son m^rite une haute position dans T^tat-m ajor de can^agne et, grdce a nne pratique raisonn^e, il avait accoutum^ son esprit a juger les plus vastes operations de la tac- tique avec la meme facility qu'un sergent instructeur embrasse les manoeuvres de son peloton. Un homme qui pouvait calculer avec precision la marche de la cavalerie ennemie sur le flanc de forces en retraite \ ou celle de toute une aUe de son infanterie s'avan§ant pour se d^ployer dans une position donnee ^ un tel homme etait precisement le contre-poids qu'il faUait pour rdgler les mouvements de Bliicher, ou plut6t ceux du clairvoyant, mais impetueux et trop chevaleresque Gneisenau, dont le vieux marechal suivait les avis. Accompli dans la th^orie, slir et exact dans la pra- tique, d'un commerce probablement assez ddsagr^able, en tout cas regardant ses vues professionneUes comme un dogme et censurant volontiers ceUes des autres, 1 Muffling, Mimoires, p. 129. 2 Ibid., p. 60-61. /X (K^^foJ\, I Muf3.ing nousjprdsente le type le plus eleve de I'ancien offlcier d'etat-major prussien rompu h son metier. Son emploi personnel aupr^s de Wellington donne une grande autorit^ k son temoigna,ge ; et la jalousie secrete qu'il nourrissait centre Gneisenau est une garantie de son impartiality, lorsqu'il fait la part du grand capi- taine anglais dans I'exploit commun des armies coali- s^es. II a laiss^ une courte histoire de la campagne, qui fut publiee au mois de Janvier 1816 et bientot tra- duite, et un r^cit plus detailld dans les Memoires de ma vie. Nous aurons frdquemment I'occasion de citer ces deux ouvrages. II existe en Prusse un compte rendu officiel des ^vd- nements de 1815, compile pour le cabinet de BerHn par un certain major Wagner ; on le cite souyent sous le nom de celui-ci ; c'est un rdcit froid et sec, mais ela- bor6 avec beaucoup de soin ; en somme c'est la meU- leure source a consulter pour les details intdrieurs de I'armee prussienne ; c'est la que nous avons puis^ les documents, ordres, mouvements et chiffres relatifs a cette puissance. La Vie de Blilcher de Varnbagen Von Ense abonde en details anecdotiques, mais elle a un caractere trop populaire et trop superficiel pour dtre d'un secours bien utile a la critique militaire. — 23 — La Campagne de 1815 de Clau sewitz, m^rite une {Jju^Hl attention particuli^re, d'abord parce que I'auteur avait une connaissance personnelle des ^v^nements, puis pour deux autres motifs encore : le premier, c'est que Wellington lui-m^me fit assez de cas de la critique de cet officier pour le juger digne d'une refutation en r^gle, honneur qu'il ne fit a aucun autre de ses cen- seurs'; le second, c'est que dans son pays, Clause- ■witz est unanimement regard^ commele chef des th^ori- ciens. La grande reputation que lui avait acquise le gdnie qu'il deploie dans ses ecrits n'a cess4 de grandir encore avec le temps. C'est un fait digne de la recon- naissance publique, que les principes qu'il a Idgues a ses compatriotes dans son grand ouvrage sur la Guerre, ou il leur trace une ligne de conduite pour leurs luttes futures, ont dt^ appliquds a la lettre dans la guerre r^cente qui a mis la Prusse a la t^te de I'Al- lemagne et I'a fait apparaitre comme la premiere puis- sance militaire du monde. On ne pent pas n^gliger absolument les ^crivains ft&mg^ beiges en parlant d'une campagne dont leur pays fut le thedtre; U faut cependant remarquer quele colonel Charras a fouilie le terr aJjgLjd^ informa tiojos^locales 1 Public dans les D^p^ches suppl4m.,t. X, etdans Bkialmont, t. II, App. jusqu'a en ^puiser les sources. Brialmon t est le plus important a notre point de vue et son Histoire de Wel- lington a acquis droit de cit^ en Angleterre, sous le patronage de M. Gleig. C'est un strange exemple de la fascination que le genie de Napoleon exerce sur les esprits m^me les plus puissants, que Brialmont, comme notre Napier, en paraisse quelquefois aveugle au point de rester inferieur a lui-m^me et a son sujet dans la petite portion de son second volume ou il traite de la campagne de "Waterloo. Les details y sont moins pre- cis, I'exposition y est moins claire, le raisonnement moins lucide de beaucoup que dans les chapitres con- sacr^s k I'liistoire de la Peninsule. On dirait qu'U sup- pose a priori,' comme I'ont fait' cent autres ecrivains bien moins estimables, que Napoleon ne ptlt jamais errer en presence des difflcult^s strategiques : c'est comme un parti pris de rejeter sur d'autres le bldme de * sa d^faite. 'Ainsi dans une discussion trds-singuK^re a propos d'un incident particulier, il semble, dans le texte blamer le mar^chal Ney d'un retard ' dont la faute est clairement imputde k I'empereur, dans une note de la meme page ; on dirait que I'auteur n'a pas pu se r^soudre a ^crire en grandes lettres : « Ici Napo- leon fit une faute " . 1 Brialmont, t. II, p. 281. Le beau travail du HoUandais "Van Ls ben Sels, est beaucoup plus complet qu'une simple histoire ; il con- tient un grand nombre de documents originaux ; c'est une veritable autorite en ce qui concerne les details relatifs aux troupes boUandaises qui combattirent sous les ordres de Wellington. Passons maintenant aux ecrivains anglais. Le j^lL,^^^ plus ancien d'entre eux qui attire notre attention est Siborne ; son ouvrage accompagne d'un excellent atlas, eut I'honneur de fournir la premiere narration complete de la campagne qui venait de se terminer, c'est encore aujourd'hui un utile recueil de renseignements, qu'on ne pent parcourir sans savoir gre a I'auteur de la dili- gence avec laquelle il a recueiUi ses mat^riaux et du ft soin avec lequel il les a mis en oeuvre. D'un autre c6te, on ne pent meconnaitre qu'il est entache des fautes inberentes a toute bistoire nationale ecrite immediate- ment apres une grande guerre. On y trouve bien des cboses qui n'y auraient jamais figure , si I'ouvrage n'avait pas eu autant besoin du suffrage de I'armee anglaise pour se soutenir a son apparition. L'apprecia- tion de Wellington par I'auteur ne le cede pas a celle de Napoleon faite par un dcrivain napol^oniste : c'est celle d'un avocat convaincu que son bdros est incapable de se tromper et qui ne pent souffrir qu'on fasse a — 26 — celui-ci le moindre reproche. C'est un livre essentielle- ment anglais, sans doute, mais impropre k I'usage general, ce qui n'a rien de surprenant si Ton se reporte a r^poque ou il fut public. Le c6t^ faible de toutes ces versions patriotiques c'est qu'elles ont grand'peine a se faire accueillir par d'autres nations que celles dont elles flattent les instincts. Le grand ouvrage de sir Archibald .Alison consacre naturellement un long chapitre au sujet qui nous occupe. Cependant nous n'y renvoyons pas le lecteur, parce que si instructives que soient les campagnes racontees par cet ecrivain distingue, son ouvrage ne prete aucun appui a notre th^se. A la verite les erreurs qui d^figuraient cette partie de son oeuvre dans les pre- mieres Editions ont disparu dans I'^dition notablement augmentde de 1860 ; le r^cit de la campagne de 1815, semble avoir etd remani^ presqu'en entier et tout I'ou- vragen'a pu que gagner k cette heureuse modification. Dans les derni^res ann^es de sa vie, Alison s'est donn^ plus de peine pour atteindre a cette exactitude qu'il avait trop negligee auparavant. Avec I'aide d'autorit^s aussi sAres que celles de Charras et de Clausewitz, I'historien anglais a produit a la longue une histoire de "Waterloo, non seulement int^ressante, mais aussi fort utUe pour certains details : malheureusement , en cherchant le — 27 — pittoresque, il a fait tort a la gravite de son sujet. Pour avoir consacrd une trop grande place a ces tableaux de batailles ou il se plaisait k d^ployer son vigoureux talent, il a perdu de vue I'ensemble de I'liis- toire. Quelque populaires que puissent ^tre ces Episodes de combats , leur description, surtout lorsqu'eUe est I'ceuvre d'ecrivains qui n'ont jamais vu la guerre, est d'un mediocre secours pour le praticien. II est juste d'ajouter que, dans ses dernieres etudes sur cet objet, Alison a mis largement a contribution les idees du colonel Hamley et qu'il ne dissimule pas tout ce qu'il doit k I'analyse rapide et substantielle que cet officier a tracee de la 'campagne de 1815 dans son Bssai sur la carriere de Wellington. C'est k cette esquisse brillante qu'Alison parait avoir emprunt^ surtout les lumieres qu'n repand sur la strat^gie. Un autre ouvrage anglais nous offre, sous la garan- tie d'un temoin oculaire competent, cette heureuse combinaison d'une expression claire et d'une critique judicieuse qui donne tant de prix k I'histoire : toutes ces qualit^s se rencontrent en effet dans I'oeuvre pos- thume de feu sir J. Stray Kennedy , addition precieuse a la litterature de cette campagne. L'auteur, attache a I'etat-major de Wellington, recevait personneUement les ordres du g^n^ral dans la crise de la bataille et il a — 28 — trace dans son livre un tableau si clair de cette phase decisive, il a si bien mis en relief le tact merveilleux et la science de son iUustre chef, qu'U serait impos- sible de trouver le pendant de son ceuvre. Quoique le volume soit principalement consacr^Etla bataiUe in^me, I'auteur n'a pas laisse echapper I'occasion de jeter un coup d'oeU sur les operations qui la precedSrent et il le fait avec une liberty et une largeur de vues dont aucun ecrivain anglais n'avait encore donne I'exemple. De teUes rMexions ont un grand poids dans la bouche de ce militaire eprouv^, critique plein de loyaute lorsqu'il juge le chef iUustre qu'H etait habitue a vdnerer. Son admiration pour I'habilete strategique de WeUiagton — A laqueUe on n'avait peut-etre jamais rendu pleine- ment justice avant lui — ne I'entraine pas a cette me- prise commune de regarder son heros comme un demi- dieu place au dessus de I'erreur et de la critique, Le terrain sur lequel il se place pour examiner franche- ment la strat^gie des deux partis en presence est par- faitement d^fini ; je lui emprunterai son propre langage dont la port^e mdrite ici une attention toute spdciale ' : « C'est, dit-U, une illusion presque universeUe a laqueUe I'espece humaine est sujette, que de supposer que de grands capitaines, comme Napoleon, Wellington, ■ Kennedy, p. 150. — 29 — C^sar, Annibal, n'ont jamais commis de grandes erreurs. Le jeu de la guerre est si entrainant, si com- pliqug, il^E^ggSlQ ^^"^jj g. proM^m es susceptibles d'une vari^td infi ni e de solutions e t qu'll faut r^soudre irr^vo- cablement, sur le champ, qu'il n'est pas d'esprit humaiii si puissant qui ne soit reduit k une excellence relative par I'exercice du commandement ; un grand capitaine aura des vues plus hautes, il sera guide par des prin- cipes plus eleves, il commettra moins de fautes qu'un liomme ordinaire ; mais ce ne sera toujours la qu'un m^rite relatif qui ne pourra soustraire au jugement de la critique les operations du general m^me le plus accompli ». Le Memorandum de Wellington, auquel j'ai fait allu- sion plus haut ', renferme des mat^riaux tr^s impor- tants pour I'Mstoire : il en est de m^me de ses Depiches. Mais des papiers de cette nature, cette masse de lettres, de bulletins, de rapports qui remplissent le volume des Documents offlciels public un peu apres la guerre de 1815, manifestement Merits a un point de vue restreint, limites k un objet dMni, ne peuvent pas, par eux-memes, servir a I'histoire g^n^rale des ^vdnements auxquels leur auteur a pris part. Le Waterloo de Hooper est un des_meilleurs 1 Voir ci-dessus p. 23. — 30 — ouTrages_sp^ciaux qu'on ait Merits dans aucun e langue sur la campagne de 1815^__Si_ nou s dtions reduits a un seul livre pour I'^tudier, il sufBrait peut-ltre pour nous en donner une idde nette. M. Hooper a ^crit apr^s Thiers, apr^s Charras et apr^s Quinet, II doit beaucoup aux deux derniers, il le reconnait lui-m^me, pour ses details historiques et ses critiques de Napo- leon : il a cr^e line ceuvre plus complete que cel lgjle Quine t, plus_ serree et plusinstructive que celles de_ Thiers et de Charras ; son habile defense de la conduite de Wellington, presents le flanc a quelques attaques, maiseUen'en restepas moins digned'une s^rieuse atten- tion :J^ceuvre de Hogpst est plut6t un plaidojer_c|u|uii jugement, et a ce point de vue elle est bien au dessous du livre de sir J. Kennedy. D'un autre c6t6 un Anglais qui veut embrasser I'ensemble de la campagne ne pent pas n^gliger le r^cit de Hooper, qui le dispensera du moins de recourir k ces sources originales que I'auteur a su condenser habilement dans un volume ordinaire. Si nous passons aux historiens frangais, notre atten- tion est soUicit^e par deux classes d'^crivains dont les vues sont diamdtralement oppos^es. L'une comprend la longue liste des adorateurs, p^n^tr^s d'un tel res- pect pour le genie militaire de Napoleon qu'ils devien- nent incapables de discerner les ddfauts de leur idole. — 31 — Son ginie dtait k leurs yeux si grand, I'exdcution de ses plans si parfaite, qu'ils n'admettent pas qu'il ftlt capable de faire une faute, en tant que le r^sultat d^- pendait de ses combinaisons. Dans tons ses malheurs, et dans la catastrophe de Waterloo surtout, il faut cberclier, selon eux, une autre raison de sa d^faite. Comme I'amour-propre national ne leur permettait pas d'attribuer ce ddsastre aux troupes francaises, ils se sont mis I'esprit a la torture pour trouver un moyen terme qui m^nagedt la reputation de I'empereur et celle de ses legions. Ce sont ses erreurs politiques, c'est la trahison ou I'ineptie de ses lieutenants, ce sont des influences m^t^orologiques toutes speciales, c'est le bonbeur incomprdbensible de ses adversaires qu'U faut accuser de ce ruineux ^chec : si tout cela ne vous satisfait pas encore, on invoquera une malheureuse fatalite qui d^joue tons les calculs, qui suggere aux plus braves une circonspection excessive, qui fait fai- blir ces troupes brillantes et qui inspire k ces vieux soldats une inopportune t^mdrit^, de sorte que la veri- table cause de la ruine de Napoleon n'est qu'une com- binaison inouie des fautes d'autrui. II faut recourir a toutes ces excuses et k d'autres du m^me genre plut6t que de croire que jamais I'empereur manqua a son arm^e ou Tarm^e k son chef. On formerait une biblio- tli^que, avec peu de fruit il est vrai, de ces auteurs qui plient les faits k leurs id^es et qui ne mettent les mat^riaux de I'histoire en ceuvre que pour embellir leur idole. Nous n'en accueillons qu'un seul dans notre liste, mais celui-la n'a pas moins surpasse les autres par son idolatrie pour le genie militaire de Napoleon que par le succ6s du grand ouvrage ou il s'est appliqud a immortaliser I'erreur : je parle'de I'au- teur connu du Consulat et VEmpire, dont nous aliens examiner tant6t I'ouvrage ainsi que les Merits de Napo- leon lui-mSme sur ce sujet. La France n'est plus contrainte de poursuivre ce fan- t6me historique. II s'est form^ r^cemment une s^Y^re ^cole de critiques, dcrivant dans sa langue, n^e dans son sein, qui refusent absolument de suivre leurs pre- ddcesseurs dans leur aveugle adulation pour Napo- leon, consider e comme soldat ou comme empereur. lis se sont mis k ^tudier la campagne de "Waterloo avec le calme froid d'anatomistes dissdquant les membres d'un mort pour d^couvrir la vraie cause de la maladie. Les faits, voil£i ce qu'ils cherclient d'abord, et les con- clusions uniquement d^rivdes des faits suivent I'expos^ de ceux-ci. C'est en effet la veritable m^tbode de I'Ms- toire et comme leur orgueil national est enrdl^ sous le drapeau fran^ais, il n'y a pas k craindre que la cause — 33 - de la France soit trop maltraitde entre leurs mains. Parmi ces d erniers, Charras et Quinet, fiddles k ces principes, ont ^crit des oeuvres prdcieuses pour nous qui voulons ^tudier la campagne de 1815 avec impar- tiality. Nous aurions pu ajouter le g^n^ral Jomini a la liste de ces critiques ind^pendants ; mais la forme particuli^re de son r^cit, qu'on suppose emane de I'empereur lui-m§me, I'a fatalement engage dans des sujets sur lesquels I'empereur a positivement ^crit, et 6crit bien des choses que I'liistoire se refuse a admettre comme vraies. II en resulte que I'ouvrage de Jomini a beaucoup moins de valeur pour la periode de 1815 que pour les parties relatives a des campagnes sur les- quelles Napoleon s'est abstenu d'dcrire. Toutefois, ily a chez cet ecrivain une inddpendance d'esprit qui lui interdit de se plier servilement aux jugements de Napoleon en matiere d'opinion, et sa critique emprunte une valeur rdeUe k sa grande science pratique de la guerre, science qui n'etait surpassde que par son culte pour la tbdorie. Revenons a I'dcole moderne des cri- tiques fran§ais. Le colonel Charras est, et sera pro- bablement long temps encore , la premiere autorite k consulter sur la campagne de Waterloo. Comme sol- dat, il s'initia au rude service de I'Algdrie ; plus tard, il fut attach^ au bureau de la guerre, sous "la courte 3 34 — rdpublique de 1848, et il amassa dans ces divers postes unesomme de connaissances teclmiques qui lerendaient propre 4jeter un grand jour sur ce sujet. Banni dela France en 1851, il se r^fugia en Belgique, et ils'arma pour venger sa cause de I'arnie la plus severe et la plus honorable que manidt jamais exil^. Force de vivre sur le th^dtre de la derni^re campagne de Napoleon, il entreprit d'^crire pour ses compatriotes une Wstoire fid^e de ce grand d^sastre. Et s'il n'a pas ^branle le tr6ne de Napoleon III, il a du moins porte de rudes coups k I'idolAtrie qui entouraitle nom de Napoleon P^ Sans doute ses motifs politiques lui ont fait aborder cette tdche avec beaucoup d'aigreur contre la dynastie a laquelle il devait son exil ; mais malgr^ son antipa- thie pour le vaincu, il s'est fait une loi, depuis le pre- mier mot de son livre jusqu'au dernier, de ne rien avancer sans preuves suffisantes. On pent dire qu'il a ^puis^ la mati^re : « Apr^s la lecture de ce livre — dit-il sinc^rement dans sa preface — un homme parsdtra peut-^tre bien diminud; mais, en revanche, I'arm^e frangaise paraitraplus grande etla France moins abais- s6e » . II n'y a rien qui ne soit intdressant dans cet excel- lent ouvrage et le soin q ui y a pr^sidd s'^tend m^me k I'atlas qui I'accompagne. II faut cependant remarquer que la minutieuse recherche avec laquelle le colonel — 35 — Charras esquisse les details et la multiplicity de docu- ments originaux qu'il produit dans le texte ou en note, nuisent k la vivacitd natui;elle de son style et rendent I'ouvrage trop volumineux et trop diffus pour I'usage ordinaire. Sous ce rapport le livre de M. Quinet_ est bien supd- rieur k celui de Charras ; dans le principe , I'auteur s'^tait seulement propose d'analyser le livre de celui-ci et de faire connaitre k ses compatriotes cet ouvrage incomparable; en accomplissant la tdche qu'il s'^tait imposee, il eut I'occasion de citer un grand nombre de documents originaux qu'on n'avait pas encore utilises et, comme il babitait la Belgique, il prit la peine, a I'exemple de son auteur, d'examiner en personne le theatre de la guerre. Doud d'une perspicacite subtUe pour ddcouvrir la vdrit^ et d'un style incisif qui excelle k mettre k nu le mensonge, il a parcouru avec succes la voie que Charras avait ouverte le premier. Certaines histoires, loaigtemps accueillies par les ^crivains fran- §ais, ont ^te trait^es par ce puissant critique de maniere qu'aux yeux de tout lecteur dispose a se laisser con- vaincre par I'evidence , elles doivent disparaitre a jamais du domaine de I'histoire. Son oeuvre , sans s'^lever absolument k la dignity de I'histoire, n'en est pas moinspourle style et pour le fond , la plus brillante — 36 — ^!5I^i^-3Ji^2IL£iti^£?:^^%"%.^® ]?: ^?i^^?S^?.A^ 1815. Sous ses traits incisifs s'^vanouissent , comme si la verity les eiit frapp^es de sa baguette magique, les traditions fabuleuses de cette grande epopee qui avaient trop longtemps usurpe la place des faits et qu'il appelle, avec un rare bonheur d'expression, la legende napo- ieonienne^. Le veritable auteur de ces fables, a leur point de depart, c'est Napoleon lui-m^me. Non content ^de fournir les materiaux ordinaires que tous les chefs de grandes armees leguent 4 I'Mstoire dans leur cor- respondance, il ^crivit deux relations distinctes de la campagne. II fit paraitre I'une dans les premiers temps de son exil a Sainte-Hdl^ne, sous le nom de son compa- gnon, le general Gourgaud. Des le principe cette oeuvre fut restitute k son veritable auteur, sans qu'il d^mentit cette attribution; c'est un rdcit nerveux et anime.lancd avec precipitation, ou I'impdrial dcrivain s'applique k demontrer k I'univers qu'il n'a rien a se reprocher dans le ddsastre immense qui avait humili^ la France a ce point. II n'est personne qui admette plus compl^te- ment que M. Thiers que ce travail I'emporte de beau- coup par I'exactitude et par I'autoritd sur I'apologie plus travaillde et plus ^tudi^e qu'on trouve dans les 1 QuifJET, p. 7. — 37 — Memoires^. II faut necessairement consulter I'un et I'autre de ces ouvrages. C'est le premier qui, plus que toutes les autres relations inexactes, aseduitla masse des historiens. Nous n'entendons pas suivre aveugle- ment ces ecrivains qui I'ont accueiUi sans appliquer aux details qu'il renferme les regies les plite elemen- taires de la preuve. On salt assez combien il est diffi- cile de rectifier une erreur une fois qu'elle s'est glissee dans I'Mstoire ; on en a un nouvel exemple par ce fait, que le neuvi^me volume des Memoires (le dernier pu- blie) contient sa propre refutation dans le recit du colonel Heymes qui en forme I'appendice. Bien que le fils du marechal Ney ait publie en 1840 un volumineux dossier de documents emanes de I'etat-major de Napo- leon en 1815 et qui, sur un grand nombre de points, contredisent formellement la version de I'empereur, cette derniere n'a pas moins continue d'etre regard^e comme la seule authentique par une foule d'^crivaiils, et personne ne s'est meme donn^ la peine d'eclaircir ces divergences, jusqu'a ce que M. Thiers s'avisat de I'en- treprendre. On ne pent parcourir le vingtieme volume de YHis- toire du Consulat et de V Empire, sans rendre hommage au talent que I'eminent auteur a ddploye dans I'accom- ' Thiers, t. XX, p. 48, note. — 38 - plissement de sa tache. Si I'eclat du style, |a connai s- sance etendue des details, le singulier a-propos des rectifications et le sentiment profond de la force de r^vidence pouvaient mettre quelqu'un en etat de laver Napoleon de la responsabilite de ce grand d^sastre, M. Thiers y eiit assur^ment reussi. Si un ecrivain aussi clairvoyant avait abord^ le sujet avec un esprit degage de toute partialite, il n'est pas douteux qu'il n'etit vu lui-m^me ou Napoleon avait manqu^. II n'en est rien cependant. II a entrepris quand m^me de prouver a I'univers que Napoleon, coupable comme homme, fail- lible comme souverain, etait sans tacbe et sans erreur, comme capitaine. Au milieu de beaucoup de beUes phrases sur la verite, la conscience, la dignite de I'his- toire, nous trouvons justement dans une de ses notes les plus importantes cette sentence que nous recueH- lons comme un aveu : " Vraiment, dit-il, c'est suppo- " ser trop d'impossibilitds, pour demontrer I'ineptie, « en cette circonstance, de I'un des plus grands capi- « taines connus ' » . Ces impossibilites se r^duisent simplement a admettre que Napoleon ne donna point un ordre dont on n'a jamais prouv^ la reception, qui n'avait point ^t^ exp^di^, qui est m^me en contradic- tion avec ses instructions ^crites post^rieures , mais ' Thiers, t. XX, p. 52, note. — 39 — qui devait avoir ete donne, comme on sait aujourd'hui. Cela revient k dire : « Admettez toutes les impossibilites « plutot que de croire que rempereur fit une faute de « stratdgie. » L'auteur a continue d'argumenter et d'ecrire avec le m^me parti pris, et, convenons-en fran- chement, sa fdcheuse influence s'est fait sentir en rai- son de la puissance de son immense talent. Aucune relation de la campagne de 1815 n'a ete lue, et ne le sera peut-^tre jamais, avec autant d'avidit^ que le fameux chapitre qui ouvre le vingti^me volume de son histoire. II ne fait pas seulement partie de toute grande bibliotMquei^ mais r^imprime a part sous le simple titre de Waterloo, il s'^tale k toutes les vitrines des libraires fran^ais et ses pages sont entries dans le do- maine de la litterature populaire de la France. Aucun ^crivain de ce pays n'ayant traite la question avec au- tant de developpements, avec autant de puissance, nul ne s'^tant entoure de plus de renseignements que I'a fait M. Thiers, la parole de ce seul avocat de I'in- faillibilite nulitaire de Napoleon sufflt a notre dessein. Dans sa relation, toutes les seductions du langage se m^lent aux erreurs les plus perfides de cette legion d'auteurs dont les ceuvres n'ont ^te ^crites la plupart que pour passer. La presence d'un Napoleon sur le tr6ne, I'approba- — 40 — tion de I'Academie, la limpide eloquence du style, font de ce volume le chef-d'oeuvre de cette fausse ecole his- torique contre laquelle nous nous elevons. Nous aurons fr^quemment I'occasion de le citer, et nous ferons seu- lement observer ici que, dans maint passage ou il de- fend Napoldon, M. Thiers a evidemment en vue le colonel Charras, bien qu'il ne prolionce pas le nom de son antagoniste. S'il etait possible de refuter les charges que ce dernier a accumulees contre I'empereur, on peut bien ^tre sur que M. Thiers n'eut rien neglig^ pour y reussir. L'adresse que diploic le grand historien na- tional pour mettre en relief les temoignages favorables a son systems et pour dissimuler ce qui pourrait les contredire, nous est garant que c'est a lafois I'avocat le plus habile et le plus dangereux des historiens. La puissance m^me de cette v^rit^ qu'il fait profes- sion d'invoquer hautement, provoque du cote de la cri- tique le desir des investigations. N'est-ce pas M. Thiers lui-m^me qui a dit en parlant de la controverse : « La verity est sainte et aucune cause juste n'en peut souf- frir? » C'est uniquement en vue de cette verity, que nous aUons aborder la discussion de notre sujet. DEUXIEME CONFERENCE. PREPAMTIFS DE LA CAMPAGNE. « Napoleon, remontdsurle tr6ne de France a,pr^s son retour de I'ile d'Elbe, trouvales forces du pays rdduites par Louis XVIII a 150,000 hommes , dont 80,000 seulement en ^tat de tenir la campagne. Estimant qu'il en faUait 800,000 pour d^fendre I'empire qu'il avait reconquis, il commenca par augmenter chaque regi- ment de ligne de trois bataillons, il requit tons les ma- rins pour le service des c6tes, rappela la garde natio- nale, erigagea les soldats en retraite a reprendre du service et remplit les arsenaux. En dix semaines, la France eut un camp et 560,000 hommes immatricules » . Voila a peu pr^s le theme de la plus ancienne rela- tion des evenements des Cent-Jours, relation basee sur une assertion de Napoleon lui-m^me \ L'examen des documents du bureau de la guerre, a Paris, a reduit les proportions de ces vastes mesures jusqu'a les faire 1 MSm., t. VIII, p. 272. — 42 — paraitre mesquines pour un si grand organisateur. Se basant sur des chiffres, Ch arras a clairement demontre que les additions faites a I'arm^e leguee par le Bour- bon fugitif s'^l^vent tout juste k 53,000 hommes en to- tal et 43,000 pour le cbififre r^el des effectifs, qui com- prenaient au V juin 198,000 hommes ^ D'apres les dates de plusieurs ordres donnas pendant son court passage au pouvoir, et particulierement ceux (du V mai) relatifs aux fortifications de Paris, il est au moins certain qu'en rentrant aux Tuileries, I'empereur ne se rendait pas pleinement compte de I'^norme danger dont le menagait Thostilit^ des souverains allies. Si nous comparons a I'expose si exact de Charras, les affirma- tions de M. Thiers ^, aussi favorables a I'histoire de I'empereur que peuvent I'^tre ceUes d'un ^crivain pour qui les archives officielles n'ont point de myst^re, nous trouvons que ce dernier fixe en eflfet a 288,000 le total des hommes incorpords ; mais deduction faite des non- valeurs, car dans I'^tat auquel ^tait r^duit I'empire on peut bien admettre que les 66,000 soldats soi-disant versus dans les d^pdts, ^taient en r^alitd des hommes incapables de servir, le chiffre de M. Thiers satrouve abaiss^ k 196,000 hommes, chiffre sensiblement infe- ' Charras, p. 41. 2 Thiers, t. XX, p. 6. — 43 — rieur k celui de Cliarras, mais qui sen rapproche, et qui a lieu d'dtonner ^manant d'un ^crivain dont les sympathies sont si diff^rentes des siennes. Sur ce point et sur bien d'autres, les deux auteurs que je cite ont consulte les m^mes sources , mais dans des vues oppos^es et avec des rdsultats contraires. Ici et dans d'autres endroits ou ils se rencontrent, nous pouvons les suivre de confiance et admettre comme un fait hors de doute que les forces effectives mises en cam- pagne par Napoleon, au commencement du mois de juin, ^taient plut6t inf^rieures a 200,000 hommes. Contre lui, la coalition ceignait toutes les frontieres de la France d'arm^es gigantesques, telles que dans toute rhistoire on n'en avait point encore vues se mouvoir d'aussi considerables pour une cause priv^e. L'arcbiduc Charles couvrait la retraite de celui que, en d^pit des intrigues de sa famille, il avait repouss^ six ans aupa- ravant, et massait sur le Rhinune armde mixte austro- aUemande '. Schwartzenberg amenait d'autres corps autrichiens sur la m^me fronti^re. Un plus grand nom- bre d' Autrichiens, affranchis par la mort de Murat, se pr^paraient k franchir les Alpes et a porter la guerre hors de I'Jtalie -. Ferdinand rappelait les officiers an- 1 Duller, Frzhersog Karl, p. 672. 2 Memoirs de sir Whittinffham, p. 278. glais pour conduire au dela des Pyrenees " les troupes espagnoles qu'ils avaient disciplinees au milieu deleurs triomplies. Au loin, la Russie toujour s plus formidable rdunissait des troupes estimees ^ plus de 250,000 hommes. pour appuyer les AutricWens sur le Rhin. La Vendue, M6ie a ses traditions royalistes, s'insurgeait contra I'usurpateur. Beaucoup plus rapprocli^s at aussi plus dangereux, post^s sur la frontiere du nord de la France, a quelquas jours de marche de la capitale, le g^n^ral anglais dont las armies de Napoleon avaient ■ trop bian appris k connaitre le nom en Espagne , et I'audacieux Prussien qu'on avait vu chevaucber en triomphe dans Paris qualques mois auparavant, cbacun k la tete d'une puissanta armea, n'attendaient qu'un signal pour s'avancer et pour ecraser I'bomme qui bravait I'univers en armes. Nous devons mainte- nant porter notra attention sur cet bomme dont la vie fut rbistoire de I'Europe pendant les cinquante der- niSras ann^as, vers laquel tous les regards se tournent aujourd'hui comme vers I'unique auteur de la d^faite, et qui est rest^ pour ainsi dire la figure cantrale d'ou le drame d^e "Waterloo tire son int^r^t. Qu'on appr^cie comma on voudra la genie da Napoldon pour la poli- tique ou pour la guerre, il subsiste toujours ce fait que son triompbe possible ou sa d«Sfaite trop certaine em- — 4S — pruntaient aux circonstances du temps et k la nature des ^v^nements militaires un int^r^t supreme au point de vue de rhistoire, et que I'^tude des causes qui en- train^rent sa ruine est un des problemes les plusimpor- tants que puissent se proposer a r^soudre les hommes ^clair^s de tous les pays. Dans sesMemoires i, Napoldon nous fait connaitre au long les motifs qui I'avaient d^termin^ a prendre I'of- fensive; nous pouvons croire qu'il les expose sincere- ment, d'abord parce qu'ils sont conformes k ceux qu'il avait publics dans sa premiere bistoire ^, et ensuite parce que, tels qu'ils sont, il n'avait aucun int^r^t a les inventer. C'est ici le lieu de faire observer une fois pour toutes, que lorsque Napoleon, ^crivain, ne se con- tredit pas lui-m^me, n'est pas contredit par un autre t^moignage, ou n'a ^videmment aucune raison pour d^naturer les faits, son t^moignage est d'un grand poids dans I'bistoire de ses campagnes. L'accueil irr^- fldcbi que ses Memoires ont trouv^, m^me parmi les ^crivains anglais, qui en ont pris les revelations pour de I'bistoire, sans se donner la peine de les soumettre aux regies les plus vulgaires de la critique et de la preuve , ddmontre amplement que le gdnie de cet 1 M'^OT-.t. vm, p. 285. 2 GOURGAUD, p. 24. — 46 — homme extraordinaire nous a impost tout autant qu'au restant du monde. La necessite de balayer d'un coup les allies de la Belgique avant que les AutricMens fussent prdts pour Taction, de gagner ce pays h sa cause en m^me temps que la barriere du Rhin, toujours si cMre aux soldats et aux politiques frangais ; la provision (illusoire, sans doute, mais Napoleon ^tait esseirtiellement un homme k illusions) d'un changement de ministere en Angleterre ' et d'un mouvement en sa faveur du c6td des petits Etats de I'Allemagne au premier bruit de ses succes, tels ^taient les motifs avouds qui le d^terminaient k tenter I'invasion. D'un autre cote, comme ses deux relations I'admettent, il pressentait bien que s'il ve- nait k succomber, la defense de la France deviendrait plus difficile que jamais ; mais I'espoir de dissoudre la coalition par un coup de tonnerre, de d^truire a part I'arm^e de I'Angleterre d^testee ', de transporter la guerre au dela de ces provinces frangaises quivenaient d'en etre si cruellement ^prouvdes, cet espoir prevalut. II se d^cida k attaquer ses ennemis le 15 juin - : « Les ^v^nements, ^crivit-il plus tard, ont d^jou^ ces calculs; mais le plan cboisi ^tait tellement dans toutes les regies 1 GOURGAUD, p. 26. 2 Ibid., p. 27. - 47 - militaires que, malgr^ sa non-rdussite, tout homme de sens conviendra qu'en pareille situation, c'est encore celui qu'il faudrait suiyre » . S'il en est aihsi et si la de- ception fut si complete, qu'est-ce que cela prouve, sinon que sa situation ^tait desesperee et que I'eflfort qu'il faisait pour relever son tr6ne par les armes ^tait la plus grande aberration qu'on ptit imaginer, ou bien qu'un plan parfaitement combine recut une execution tr^s-imparfaite? Nous n'avons pas k analyser ici les plans des gend- raux allies autrement qu'en ce qui concerne leur influence sur les rdsultats. lis avaientpriscertaines dispositions, que nous examinerons bientdt, en vue des dv^nements probables, et ils attendaient dans leurs cantonnements respectifs ou I'attaque de Napoldon ou I'arriv^e dugros de ces forces ^normes dont ils ne formaient qu'une aile. Le pays qu'ils avaient a garder, naturellement ouvert k I'invasion sur toute la frcmti^re de I'Ouest', depuis la Meuse jusqu'au Pas-de-Calais, devait k I'art une puissante defense. La plus grande partie du district qui s'^tend a I'ouest d'une ligne tirde du nord au sud en passant par Bruxelles, ^tait confine au g^n^ral anglais, et il n'avait pas manqu^ de se rendre maitre des com- munications principales en r^parant les fortifications ' Voir -la carte. qui les commandaient. Les Prussiens occupaient la partie orientale des JPays-Bas, avec des troupes mieux placdes, au dire d'un de leurs meilleurs ^crivains ', pour fournir des renforts que pour se concentrer en h&te. lis n'avaient entre leurs mains qu'une forteresse, Namur, au confluent de la Sambre et de la Meuse ; mais entre eux et la France se dressaient, comme una barri^re escarp^e, les froids plateaux des Ardennes, region si difficile k traverser et si completement impro- ductive que, pour des troupes accoutum^es, suivant le syst^me de Napoldon, k subsister au jour le jour, eUe d&vait en effet passer pour infranchissable. II est pro- bable que jamais, d'ailleurs, il ne s'arr^ta k I'idee d'en faire sa ligne d'attaque , et certainement les g^n^raux allies ne I'attendaient pas de ce cot^. Les seules chances qu'ils admirent, a supposer m^me qu'il prit I'offensive, c'est qu'il les attaquerait ou par leur droite qui s'appuyait a la mer, ou par leur centre, cou- pant dans I'un et I'autre cas leurs corps d'arm^es pour marcher droit sur Bruxelles. En toute bypothese, il devait affronter la probability d'etre dcrase par leurs forces sup^rieures, comme ils le savaient bien. Deses 198,000 soldats r^ellement valides. Napo- leon, apr^s avoir distribud le plus dconomiquement 1 Muffling, Eist. , p. 70. possible des d^tachements dans les autres quartiers,- ne fut en etat de concentrer sur la fronti^re beige qu'une arm^e ^valu^e par lui-m^me k 115,000 com- battants \ mais que Charras, se livrant a des calculs minutieux, prouve s'6tre 4levde a 128,000 ^iKmimes, >v.#a. y compris 3, 500 non-combattajits. Comme Thiers ad- i*^'h^^^ met 124,000 hommes presents au rassemblement et qu'il d^duit les Equipages *, on pent dire qu'il n'y a pas un disaccord sensible entre ces deux auteurs, et affir- mer sans crainte que Napoleon estimait ses forces k un chiffre inf^rieur de 10,000 a celui de I'effectif veritable, oubliant apparemment qu'il ne faisait ainsi qu'aggraver la t^merit^ de son entreprise. Maitre des forteresses, occupees par les depots et les gardes nationales, tout le long des grandes voies qui aboutissentauxfronti^res de Test et du nord-est de la France, il pouvait esp^rer de dissimuler la concentration de ses forces surpre- nantes sur un point inapercu. La situation gen^rale des armies coalis^es et leurs forces lui ^taient connues par des intelligences secretes; d'un autre cot^, on poss^dait sur son compte des renseignements qui n'^taient gu^re moins exacts. Des le 11 mai, Wellington ^crivait a 1 GOURSAUD, p. 31. 2 Charras, p. 58. 3 Thiers, t. XX, p. 21. — 50 - sir H. Hardinge \ son agent aupres de Bliiclier, qu'il" ^valuait les ressources offensives de Bonaparte a 110,000 hommes; un pen plus tard, les Prussiens dresserent une situation tres-exacte de I'armee ennemie, corps par corps, s'6levant au plus k 130,000 hommes ^ Ces notions affectent d'une maniere curieuse leurs rap- ports des evenements de la campagne, comme nous aurons lieu de le remarquer plus loin ». Nous avons dit que Napoleon connaissait, d*une ma- niere g^n^rale, la force des coalis^s. Celle-ci n'a jamais donn^ lieu k aucune de ces grandes erreurs que les Frangais ont favorisees avectant de complaisance lors- qu'il s'agissait du nombre de leurs adversaires dans les luttes pr^cddentes. Les tdmoignages ^taient ici trop nombreux et trop formels pour qu'on se permit de sem- blables hearts, et d'ailleurs on n'avait pas besoin d'y recourir : la disproportion r^elle ^tait assez grande pour suffire k la vanity de leurs ^crivains les plus ja- loux de la gloire nationale. L'arm^e prussienne que Napoldon lui-m4me estimait k 120,000 hommes *, ^tait en r^alit^ tr6s-p6u inf^rieure k ce chiffre. EUe ^tait divisde en quatre grands corps, ' GuRWOOD, t. XII, p. 372. 2 SiBORNE, t. I, App. X. 3 Voyez ci-apr6s, Quatri^ime conpjSrenoe. ■< GOURGAUD, p. 32. — SI — dans cliacun desquels toutes les armes dtaient au com plet, formant un total de 117,000 combattants ', et distribu^s de la maniere suivante : l^f corps (Ziethen) aux environs de Charleroi, prfes de 30,000 h. 2« corps (Pirch) n Namur, » 32,000 » 3e corps (Thielemann) » Cinej, » 24,000 » 4e corps (Bulow) » Li^ge, » 30,000 » II est juste d'ajouter que Charras ^, trouvant que I'ef- fectif du grand pare de I'arm^e n'^tait pas compris dans ces nombres et que la proportion des artiUeurs afFectes au service des boucbes a feu dans cbaque corps devait ^tre trop faible, a pris sur lui de I'augmenter. La position des deux premiers corps sur la Sambre ' permettait a leurs avant-postes de cavalerie de surveil- ler la ligne de la frontiere depuis Bonne-Esp^rance, leur cantonnement extreme h I'ouest, jusqu a la Meuse. Tbielemann continuait la cbalne le long de la lisiere des Ardennes, vers Dinant, son quartier-g^n^ral ayant 6t6 avanc^ dans la foret pour lui permettre d'en garder la portion attenante a cette ville, ouverte de toute part et facile k traverser. Bonne-Esp^rance, point de rac- cordement de la ligne de Wellington, n'est qu'a buit milles (treize kilometres) de Lobbes, ou les postes 1 Reeueil de batailles. 2 Charras, App., note C. 3 Voir la carte. - 52 — prussiens traversaient la Sambre, de sorte que cette riviere, sur son parcours de Maubeuge a la fronti^re, beige, formait a peu pres le point de partage des sec- tions de la frontiere gardees par les allies. Les cbiflfres de I'armee de Wellington sont moins aises a ^tablir que ceux des autres corps. Estim^s par Napoldon k 102,000, ils ont a6 reduits a 95,000 par Charras ' qui a depouiUe tres-minutieusement tous les rapports auxquels a donn^ lieu la campagne de Bel- gique. Siborne, cependant, el^ve ce total a 106,000 ^ et nous ne pouvons nous dispenser de recbercber de pres les causes d'un disaccord si considerable. En comparant les tableaux dresses par ces deux ^crivains consciencieux, nous trouvons, comme il ^tait assez na- turel de s'y attendre en pareil cas, que I'auteur anglais est le plus exact. Cbarras a, dit-il, ddduit la deicxieme brigade banovrienne, qui ^tait k Anvers et qui y resta durant toute la campagne. Or, dans les cinq brigades banovriennes qui ^talent avec Wellington au commen- cement du printemps et pendant la campagne suivante, il ne figure pas de deuxieme brigade, comme on peut s'en assurer en examinant tous les relevds. Mais un corps de 9,000 Hanovriens (qu'on portait k 10,000 au 1 GouRGAUD, p. 33, note; Charkas, p. 65. 2 SmoRNE, t. I, p. 426 — 53 — mois d'avril) dtant arrive plus tard que les autres avec le general en chef hanovrien Decker, fut r^parti en quatre brigades de reserve \ et laiss^ en garnison par Wellington, apres avoir rencontre beaucoup de difH- cultds pour son appro visionnement. On s'explique ainsi comment la divergence s'est produite et comment Char- ras a ete induit en erreur. Comme c'estdu propre choix de Wellington que ces Hanovriens et quelques autres corps (s'elevant d'apres les tableaux de Siborne k 3,200 hommes en plus) ^ n'etaient pas appeles a entrer en campagne, on ne voit pas pourquoi leur effectif devrait ^tre deduit de ses forces. Ces 106,000 hommes etaient ainsi rdpartis, car Wel- lington, adoptant alors le systems continental, avait fractionne ses 94,000 hommes de troupes actives en divers corps, la cavalerie formant toutefois un corps distinct : l«f corps, commande par le prince d'Orange. . . . 25,000 2^ corps, » par lord Hill 24,000 Corps de reserve, par Wellington en personne . . 21,000 Corps de cavalerie, par lord Uxbridge 14,000 94,000 Gamisons (quelquefois comptees dans la reserve) . . 12,000 106,000 1 Supp. Disp., t. X, p. 383. 2 Siborne, t. I, p. 32, et App. — 54 — La composition de ces corps, comme Wellington Fa specialement not^ dans sa replic[ue a Clausewitz ', avait et6 une de ses plus rudes tAches. Les forces ac- tives de son infanterie se composaient de six divisions de troupes anglaises, partie recrues, partie veterans, melees avec des troupes de la legion allemande duRoi, rappeyes de la P^ninsule, dignes de rivaliser avec n'importe quelle infanterie du monde ; cinq brigades de troupes hanovriennes qui n'avaient jamais vu le feu ; trois divisions et demie de Hollando-Belges ; une divi- sion brunswickoise et une brigade de Nassau. Chacune de ces divisions avait ses offlciers, son etat-major et' son organisation reglementaire qu'on devait respecter. En consequence, les cinq brigades banovriennes furent distributes entre cinq divisions anglaises d'infanterie de ligne, la premiere division se composant exclusive- ment de troupes anglaises de la garde. Le tout fut en- suite partag^ en corps. La l""^ et la 3* divisions anglai- ses, avec la division boUando-belge sous les ordres de Chass^ et de Perponcher, formerent le 1" corps; la 2' et la 4^ divisions, avec le restant des HoUando- Belges, le 2^ corps. La reserve comprenait les 5* et 6® divisions, celle de Brunswick et la brigade de Nas- sau. La cavalerie ^tait r^unie sous un commandement ' Supp. Disp,, t. X, p. 517. — 5S — nominal, mais, comme dans toutes les campagnes de Wellington, placee sous ses ordres immediats. Pour garder sa portion de la frontiere, le due disposa le P"" corps dans le prolongement des cantonnements prussiens, aux environs de Mons, Enghienet Nivelles; le 2^ corps au dela de ces points, se ddveloppant vers I'ouest, jusqu'a I'Escaut; la reserve aux environs de Bruxelles. La cavalerie hollando-belge couvrait le front du prince d'Orange ; una partie des hussards du royal-allemand remplissait le meme office en avant~ du corps de lord HiU; le restant de la cavalerie etait dissemine dans les cantonnements ^tablis sur les der- rieres du P'' et du 2® corps. Ce sont la des faits incontestes, et la seule question qu'ils provoquent est ceUe-ci : En se deployant ainsi sur un front de 160 kilometres de Test a I'ouest et sur une profondeur de 64 kilometres dunord au sud, toutes les forces coalisees ne se seraient-elles pas trouvees inutilement disseminees dans le cas d'une attaque im- prevue? II est necessaire de remarquer sur ce point important que Wellington, regardant la defense de la Belgique et le maintien de ses communications avec I'Angleterre et I'Allemagne comme des objets de pre- miere importance ', n'a cesse de defendre son systeme 1 Supp. Disp., p. 521. — 56 — longtemps apres et avec une mtire reflexion. D'une autre part, les critiques du contiuent, considerant ces objets comme tout a fait secondaires et subordonnes au dessein principal de contenir et d'ecraser Napoleon, sent unanimes a condamner le general anglais de ce chef: Muffling est peut-etre le seul qui ne soit pas com- pletement de cet avis '. II avoue, en effet, comme nous le verrons bient6t, que cette accusation atteint plutot les Prussiens, parce que leventualite d'une attaque dans les Pays-Bas n'etant jamais entree dans leurs previsions. Us n'avaient pas songe a etablir des maga- sins en vue de faciliter la concentration. C'etaitle temps qu'on regardait comme un crime de lese-majeste de douter si les combinaisons de Wellington etaient ce qu'on pouvait concevoir de plus parfait. II n'en est plus ainsi de nos jours, et nous ne quitterons pas ce sujet sans signaler le jugement rMecM qu'en a porte sir J. Kennedy-, qui a traite cette mati^re avec le plus de d^veloppement et de main de maitre. Cinq grandes routes, fait remarquer cet auteur, se presentaient au choix de I'empereur, et trois de ces routes, ceUe de Lille a Ath, ceUe de Mons a Hal et celle de Beaumont a Charleroi et Genappe, etaient si 1 Muffling, Hist., p. 70. 2 Kennedy, p. 168 et suiv. — S7 — mal gard^es par les allies', « que si I'empereur s'dtait avance par I'une d'elles, il ett ete de toute impossibility a ceux-ci d'operer leur jonction sur un point quelconque entrelui et BruxeUes, defacon a couvrir ce point et a mettre en ligne des forces suffisantes pour engager une action g^nerale ; car les distances respectives de Lidge et de Ciney a la partie la plus rapprochee de la plus proche de ces trois routes, sont encore plus grandes que toute la distance que Napoleon avait a franchir pour etre a BruxeUes. Un observateur superflciel re- pliquera que les allies se trouverent bien concentres a temps a Waterloo : mais tout ce qu'on pourrait con- clure de la, c'est que la marche de Napoleon les aurait contraints peut-etre a se mesurer avec lui avant que toutes leurs forces eussent op^re leur jonction. Et c'est precisement ce qui eut lieu, par exemple a Quatre-Bras et a Ligny, non sans les exposer au risque imminent d'essuyer les resultats les plus desastreux ». Or, les deux premieres de ces routes, avec leurs embranche- ments, sont identiquement celles que Welling ton lui- memeasignalees, dans saRepUqueaClausewitz^, comme necessairement soumises k son observation. Lui etit-il ete possible, se demande-t-on, de les observer en effet, 1 Kennedy, p. 170. 2 Supp. Disp.,t. X, p. 523. — 58 - et de recevoirpluspromptementles secoursde Blucher? Kennedy \ qui etait indubitablement instruit de la de- fense du due, I'affirme sans hesiter. II a demontr^ en detail qu'il aurait 6te possible de r^partir les armies, lorsqu'on apprit que I'ennemi avait organise une force imposante, de maniere qu'au premier avis de ses mou- vements, les troupe^ prussiennes pussent se concenfrer a Genappe et celles de Wellington a Hal. Quant al'ex- cuse banale qu'on aU^gue, la difficulte d'assurer les subsistances, le critique en fait justice d'une fagon som- maire : « En d'autres termes, dit-il, deux armees com- pl^tement pr^es a entrer en campagne, avectoutesles ressources n^cessaires, dans le pays le plus riche de I'Europe, conservant leurs communications libres avec la mer et avec le continent, devaient-eUes ^tre expo- s^es, pour ces inconvdnients purement imaginaires, au risque d'etre d^truites en detail par des forces infe- rieures? Si les armies aUi^es s'^taient trouvdes dails cette p^nurie de subsistances, eUes n'auraient jamais 6t6 en ^tat de manoeuvrer comme armde de jonction en face de I'ennemi » . Voila I'opinion du dernier de ces critiques qui, tout en condamnant Napoleon, ne r^cla- ment pas un bill d'infaUlibilit^ pour ses adversaires. II est impossible d'entasser pour la defense de ceux-ci 1 Kennedy, p. 172. — S9 — plus d'all^gations quene I'a fait Muffling, le plusancien representant~3e cette ^cole, dont I'ceuvre parut au mi- lieu de I'epanouissement du triomphe : il voudrait de tout son coeur amnistier les deux mar^chaux des repro- clies dont on les charge, s'U pouvait le faire honnete- ment, et il ne cesse de rep^ter que « Napoleon les sur- prit dans une situation ou ils n'^taient pas pr^ts a se battre ^ ». « Wellington, dit-il, qui n'avait . d'autres rapports que ceux de ses espions, n'etait pas dispose a y ajouter tellement foi qu'il abandonnS,t sa position principale pour couvrir Bruxelles, et malheureusement , Blucher, n'avait pas les depots necessaires pour con- centrer ses troupes ». ,0r, les dep^cbes de Wellington - montrent a sufflsance qu'il avait d'excellentes raisons, quelques jours deja avant I'invasion, pour se tenir pret a une attaque avec toutes les circonstances qui se pro- duisirent en effet, et pour s'attendre quelle serait diri- gee par Napoleon en personne. Blucher ^, sur le sol allemand, n'avait jamais montre une bien tendre soUi- citude pour assurer les subsistances de son armee, et il n'etait pas homme a sacrifier les destinees de la cam- pagne au bien-4tre du territoire occupy. C'est ailleurs 1 Muffling, Hist., p. 70. 2 &URWOOD, t. XII, p. 449, 457. 3 Voyez sa Riponse d, la remontrance d'un Saxon, Bnsb, 2« 6dit., p. 137, 138. — 60 - qu'il nous faut chercher la veritable explication de I'at- titude tranquille des coalises, et nous n'aurons pas de peine a la decouvrir en retragant les faits comme Us se sont pr^sentes : nous y trouverons une nouveUe preuve de I'exactitude de Kennedy ' dans son, grand rapport : « Les allies ne furent pas surpris, dit-U : Us avaient 6te inform^s des mouvements de I'armee fran- caise bien a temps pour pouvoir masser leurs forces avant que Napoleon passfi,t la fronti^re. lis agirent d'apr^s un autre principe et prirent le parti de rester dans leurs cantonnements jusqu'a ce qu'ils connussent positivement la ligne d'attaque. Iletait ais^ deprevoir que cette determination serait regardde comme une faute grave par la posterity et par les historiens impar- tiaux ; car au lieu d'attendre pour voir oii le coup por- terait, les armies auraient dt. se mettre imm^diatement en marcbe pour se concentrer. Ce ne fut pas la seule faute qu'eUes firent ; le front des cantonnements oc- cupes etait beaucoup trop ^tendu ». Adoptant cette appreciation, nous laisserons la premiere controverse qu'a suscitee notre sujet, pour passer maintenant au r^cit des ev^nements. Napoleon, r^solu k prendre I'offensive et a attaquer d'abord la Belgique, s'attendant bien toutefois, que les 1 Kennedy, p. 168. — 61 — forces qui ddfendaient ce pays d^passaient considdra- blement les siennes, n'avait pi as qua determiner exac- tement la ligne de ses operations. La chaine des for- teresses dont il ^tait le maitre aurait bien suffi pour masquer sa concentration sur un point ou I'autre de la frontiere : mais en pratique la solution du probleme etait moins compliquee qu'on pourrait croire. Par les raisons que nous avons d^ja donn^es, il eut ^t^ difficile de porter I'attaque sur I'extreme gauche des allids , k cause m^me de la nature du pays qui les prot^geait de ce cote. L'alternative de I'empereur se reduisait done ou a faire avancer sa propre gauche jusqu'a I'Escaut, ce qui ellt coup^ directement les communications de Wellington avec I'Angleterre , ou a marcher sur le centre des armees aUi^es, mouvement qui, s'il r^ussis- sait, separait les ennemis au moins pendant quelque temps et lui permettait de lutter individuellement avec chacun d'eux. Quant aux partis mitoyens de se jeter au milieu des cantonnements de "Wellington par la ligne de Valenciennes \ ou de ceux de Bliicher par la pointe des Ardennes, vers Namur, ils ne promettaient aucun avantage special et chacun d'eux impliquait la certitude que la plus grande partie de Tarm^e attaquee se replierait sur celle de son alli6 et que les assaillants 1 Voir la carte. — ea- se trouveraient ainsi en presence de forces sup^rieures. C'eAt 4t6 bien plus encore le cas si Napoleon, optant pour le premier plan, se Mt jetd en Belgique par la ligne de I'Escaut sur la droite de Wellington ; c'etit 4:t4 laisser k ses ennemis la faculty de se r^unir pour livrer une bataille decisive. D'un autre cotd ce mouvement pouvait le mettre en possession d'une partie des maga- sins" anglais, peut-^tre m^me du principal. Ce sont ap- paremment ces considerations qui faisaient dire k Wel- lington, ^crivant sa propre defense A I'Age de soixante- douze ans ' , que Napoleon I'eilt a,ttaque avec plus d'avantage de cette mani^re. -Lui-meme s'attendait silrement qu'il en serait ainsi, et cette expectative, comme il I'indique lui-m^me, est abondamment prou- \6e par les ddp^ches de Gurwood^. Sur un objet aussi -important, peu d'opinions peuvent offrir un grand poids; mais I'avis de Napoleon est une de ces rares opinions, et cet avis ^tait tout different. Agissant selon ses vues, il poussa au centre et bien qu'il ^cboua, la justesse de sa conception est admise par toutes les autoritds, sauf Wellington ^ et m^me par les critiques qui en condam- nent absolument I'ex^cution et qui attribuent I'^chec k son insuffisance personnelle. ' Supp. Disp., t. X, p. 522, 525. « Ibid., t. X, p. 530. 3 Charras, p. 80; QniNET,p. 75; Kennedy, p. 153. — 63 — Au sud de Charleroi s'dtend un lambeau de terri- toire qui fait aujourd'hui partie de la Belgique , mais (circonstance que la plupart des ^crivains de cette campagne semblent avoir outline) qui appartenait a la France en 1815, apr^s avoir ^te arrach^ des Pays-Bas par la r^publique victorieuse de 1794 et confirra^ h la France par les trait^s commodes de 1814, a la premiere abdication de Napoleon. Sa fronti^re, vers le nord, est distante de Charleroi d'environ 10 kilometres. Cette contree est travers^e de I'ouest a Test par la grande route de Maubeuge , sur la Sambre , a Givet , sur la Meuse ^ , qui forme avec ces deux cours d'eau un vaste triangle dont le sommet est a leur confluent, a Namur. Xes principales v illes que traverse cette route sont Beaumont et Pbilippevill e , ancienne forteresse fran- caise qui avait servi -de pr^texte aux reclamations de la France et a la revendication de tout le territoire , situdes respectivement au sud-ouest et au sud-est de Charleroi et egalement distantes de cette ville de 24 kilometres. Des voies transversales menent naturelle- ment de chacune d'elles aux ponts de la Sambre vers Charleroi; mais ces v oies et d'aut res_ des environs avaient 6t6 coupees en partie par ordre de Napoleon, au commencement des Cent-Jours, pour la surety de ' Voir la carte; — 64 — la fronti^re frangaise. Le mauvais ^tat dans lequel ces chemins etaient encore au mois de juin, fut cause que Wellington, de son propre aveu, « n'ajouta d'abord aucune, cr^ance aux rapports qui lui rdvelaient que I'ennemi se proposait de I'attaquer par la vallee de Sambre et Meuse ' » . Cette s^curit^ servait on ne peut mieux les desseins de son adversaire. Une fois la Sambre travers^e k Charleroi, Napoleon n'^tait plus sdpar^ de Bruxelles que par une chauss^e de premiere classe , de 55 kilometres , et ce qui ^tait bien plus im- portant, la direction de cette route coincidait k peu pres avec I'axe du territoire. mitoyen entre les deux armies aUi^es. Beaumont et PhiUppeviUe furent en consequence designees par Napoleon comme les points de rassemblement du centre et de I'aile droite de son arm^e. Maubeuge ^tant beaucoup plus eloign^ de Char- leroi, le village de Soke, sitn^ sur la Sambre k 13 ki- lometres en aval de cette vUle, mais encore dans les limites de la France k cette ^poque, fut I'endroit cboisi pour appuyer I'aile gauche. On n'ignorait pas que les _trou£es_prussiennes^^vaient pris^^Jlgurs_jpiartijers__au sud de Charleroi , mais on ne s'attendait pas qu'eUes opposassent une s^rieuse resistance aux masses que Napoleon voulait prdcipiter au del^ de la Sambre ; il ' Sitpp. Disp., t. X, p. 525. — 65 — 6tait d'une importance capitale pour lui de partager ainsi son arm^e en trois colonnes, tant pour opdrer la concentration des troupes plus commod^ment , sans confusion et avec moins de probability d'etre d^cou- vert, que pour acc^l^rer leur marche vers Charleroi en les acheminant par un plus grand nombre de routes. On a dit que Napoleon conduisait k cette grande entreprise une arm^e de 128,000 bommes, dont 22,000 de cavalerie et 10,000 d'artillerie, organis^e confor- mdment au syst^me traditionnel de la grande armee ; le cinqui^me corps absent , d^tacb^ sur le Rbin , for- mait une force separ^e non disponible pour la cam- pagne de Belgique. Je ferai remarquer ici que je donne les effectifs en cbtffres ronds , en y comprenant toutes les armes qui y sont attacbees ; j'ai suivi la m^me r^gle pour les autres armies'. 4<=>- corps, d'Erlon 20,000 2e corps, de Reille 24,500 3e corps, de Vandamme . . . 19,000 4e corps, de Gerard 16,000 6« corps, de Lobau 10,500 Garde imp^riale 21,000 Cavalerie de la reserve, Grouchy. 13,500 Train des Equipages 3,500 128,000 » Thiers, t. XX, p. 23, ou mieux Charras, p. 56. 5 — 66 — Ces corps ^taient ainsi ^chelonnds : le premier et le deuxieme sur la fronti^re libre de la Belgique ; le iroi- si^me vers les Ardennes ; le quatrieme, beaucoup plus au sud, sur la Moselle ; le sixieme, la garde et la ca- v^lerie, entre la Belgique et Paris. Par une- combi- naison qui parait toute simple en th.^orie et dont I'exe- cution soulevait les probl^mes les plus ddlicats, le premief et le deuxieme corps se serrerent tranquille- ment sur leur droite, a Solre, formant une aUe gauche ; le troisi^me se porta k PMlippeviUe et forma I'aile droite ; le restant des troupes fut dirige sur Beaumont. Cette grande operation , concue en vue de surprendre les aUi^s, r^ussit si parfaitement, que le soir du 14 juin toute I'armee , sauf une partie du sixieme corps , ^tait tranquillement install^e dans ses bivouacs \ tout pr^s des avant-postes prussiens ; ordre avait ^t^ donne de masquer les bivouacs derriere les monticules, et de ne permettre a personne de quitter les camp^ments. Des instfuctions d^taill^es - furent envoy^es pour mettre toute I'arm^e en marche le 15, k trois beures du matin , et les details les plus minutieux r^gl^rent la conduite des gdn^raux et la police des bagages. Na- poleon aimait, en cette matiere, a confier ses id^es au 1 Charras, p. 55i 2 SiBORNE, t. I, app. XIII, ou App, de Gourgaud. — 67 — papier et k lire ces instructions on ne supposerait pas qu'il Mt se faire ou se produire aucune erreur dans une arm^e organis^e avec tant de sollicitude. Mais le due de Fezensac, dans ses inappr^ciables Souvenirs militaires^, a d^montr^ avec la plus entiere Evidence qu'il existe , dans toutes les campagnes de Napoldon , une grande et s^rieuse difference entre les dispositions couch^es par lui sur le papier et leur execution pra- tique; de tracer des plans syst^matiques, de ponderer des combinaisons savantes dans le cabinet ou sous la tente, et de mettre'ces m^mes plans k execution sur le terrain , ce sont deux. Si les soldats de Tarm^e fran- 9aise, dans la nuit du 14, furent effectivement pourvus des « quatre jours de pain et la demi-livre de riz qui avaient ^t4 ordonn^s », si leurs gibernes etaient gar- nies au complet , c'est probablement autant que quel- qu'un aura bien voulu s'en occuper, a en juger d'apr^s les anciens errements r^v6l^s par de Fezensac. Les moujements opgijs pour effectuer la concen- Jr ation so nt tres-bien esquiss^s a grands trait s dans lgj:4dl.deM;_Thiers^. Notre intention n'est pas de les suivre en detail, d'autant plus que I'ensemble des ope- rations n'a jamais ^t^ critiqud et que les details eux- m^mes n'ont aucune importance dans la controverse 1 Souvenirs de de Fbzknsao, passim. — 68 — qui nous occupe'. Cependant nous aurons plus tard I'occasion de relever une exception sur un point de ces operations'. Le lecteur qui connait lejour merveilleux que de Fezensac a r^pandu sur certains episodes des premieres campagnes de Napoleon , regrettera stire- ment que cet observateur v^ridique, autant que critique loyal et bienveillant de la grande arm^e, ne flit pas U pour nous dire jusqu'a quel point la conception du maitre fut comprise par ses ouvriers et pour nous faire connaitre , bien plus r^ellement que les publicistes et les bistoriens , les sentiments v^ritables qui animaient les officiers et la troupe. Couches a la belle ^toile, pres de leurs bivouacs, comme I'avaient fait tant de fois les durs veterans de la grande arm^e, dans laqueUe un grand nombre de ces soldats avaient servi, les 128,000 Frangais prenaient a la Mte quelques heures de repos avant de s'avancer a la plus dangereuse de toutes les aventures ou leur cbef les eut jamais lances. Sur leur droite, devant eux, campaient les avant-postes de Blii- cher, couvrant les cantonnements d'une arm^e a peine inf^rieure de 10,000 bommes 4 la -leur; h moins de 16 kilometres des piquets de Reille et de d'Erlon, k Solre, commengait la cbalne des vedettes de WeUing- ' Thiers, t. XXI, p. 17, 19. 2 Voyez ci-apr6s : Troisi^me conp£rbnce, Commentaire. ton, derriere lesquelles plus de 100,000 combattants ^talent prMs , au premier signal , k prater main-forte auxPrussiens. Cependant, ce n'est pas seulement le nombre qui rend une arm^e formidable; sa puissance morale et physique estleproduit de beaucoup d'autres elements, et nous ne pouvons nous dispenser de jeter un rapide coup d'oeil sur quelques-uns de ceux qui faisaient plus particulierement la force ou la faiblesse de cbacune des trois armees que nous trouTons ici en presence. Deux des commandants etaient encore dans la fleur de I'dge et avaient conserve en apparence toyte la vi- gueur de leur esprit. Tandis que Napoleon, arrive le 14 de Paris a Beaumont, dictait des ordres detailles pour les premiers mouvements de la campagne, Wel- lington redigeait lui-m^me des instructions non moins compliqu^es qu e celles de son adversaire. Ayec ce meme amour des details qui caracterisait rempereur \H d^ terminait le nombre exact des fusils et des_cartoucbes qjfUfeJl^it distribuerj^ garnisons dejajron- ti^rebiel^, il exposait ses raisons precises pour refuser une fourniture de cbevaux aux exiles frangais qui avaient pris les armes pour le roi et dressait un memorandum elabor^ avec soin pour la repartition des 1 GuBwooD, t. XII, p. 464 et suiv. - 70 — renforts entre les armdes allides en provision d'une in- vasion g^n^rale de la France. Dans les Mmites que nous nous sommes impos^es, il y aurait temerite k nous d'entreprendre la critique de I'Mstoire anterieure de ces deux generaux, les plus grands des temps mo- dernes. La suite ddmontrera jusqu'ou la puissance de I'execution secondait ou traMssait sur le terrain, la merveiUeuse fertility d'imaginatiani qu'ils possedaient incontestablement tous deux dans le silence du cabinet, Le trolsi^me commandant, Blucher, tout en admettant qu'il ait ^t4 un peu surfait dans.le temps, n'^tait cepen- dant pas un g^n^ral ordinaire. II s'dtait spdcialement distittgu^, pendant les guerres de la revolution, par ses succ^s constants, dans le poste difficile et delicat de commandant d'avant-garde. Lorsque les loisirs succ^derent a ce service actif, il dcrivit une relation de ses campagnes qui atteste k cli3,que page la profonde connaissance qu'il avait acquise de cette branche si difficile de I'art de la guerre ^ Sou- dainement 6le\6 en 1813 au commandement d'un grand corps^ d'arm^e, il avait d^s le ddbut remis toute la charge des details strat^giques a deux officiers emi- nents, Scharnhorst et Gneisenau, qui remplirent suc- cessivement le poste de chef d'6ta1>-major, se r^servant 1 Campagnes de Blucher, r6imprim6es k Hambourg en 1866. — 71 — lui-m^me la direction supreme de la tactique dans les combats et le contrdle de la discipline. Sa position ne fut pas facile dans le principe. Plus de la moiti^ des forces placees sous ses ordres consistaient en veterans russes dont les offlciers ne dissimulaient ni leur dedain pour les jeunes recrues prussiennes qu'on leur adjoi- gnait, ni leur defiance h I'^gard du vieux hussard in- vest! du commandement superieur. L'heureuse victoire de Katzbach^ et la franche reconnaissance de la part qui en revenait aux Russes, firent de Bliicber un chef populaire et effacerent la discordequidivisait son arm^e mixte. -Lorsque la journee de Leipzig vint couronner ces succes ^, le sobriquet bien connu de « Marechal Vorwdrts » lui fut ddcern^ par les Russes du corps de Sacken ; ils avaient recueiUi sur ses levres son mot d'encouragement favoriqui avait ete leur premiere legon d'aUemand. Son langage grossier, souvent brutal, que son etat-major supportait avec patience en considera- tion de la haute confiance qu'inspirait son jugement ^, froissait les autres offlciers de rang superieur, mais ne d^plaisait nuUement aux rustres qui remplissaient ses bataillons ; sur ces dernier s, I'activite de sa sur- ' Muffling, MSmoires, p. 328. ^ Ense, p. 245. 3 Muffling, Mimoires, pp. 95, 200. veillance personnelle et la famUiarite de ses discours lui donnaient une influence telle que, sauf Napoleon, aucun capitaine des temps modernes n'en a exerce de sem- blable '. Accoutum^ qu'il ^tait a exiger de ses hommes une tdche au dessus de leurs efforts les plus excessifs, cette ardente sympathie dent ils ^talent animds envers lui avait souvent une importance vitale, qui ne se r^v^la jamais mieux que dans cette derniere campagne. Un marechal renomme quev ses soldats, lorsqu'il chevauchait le long des colonnes en marche, accueU- laient, en lui empoignant joyeusement les jambes, avec ce salut tout militaire : « Bonne journ^e, p^re »^! un tel chef, a un moment donne, pouvait porter ses troupes ou tout autre que lui aurait echoue. La bonne volenti des troupes est dans les operations de la guerre un ele- ment plus puissant que la plupart des ecrivains nuli- taires ne sont disposes a I'admettre, et Ton peut dire que Bliicher n'a pas moins tire parti de cette faculte affective du soldat que Napoleon lui-mSme : dans I'ar- m^e de Wellington, au contraire, ce sentiment ne s'^le^ vait pas au dessus d'un profond respect pour Tautoritd du chef; une discipline severe pour la troupe, un noble sentiment du devoir chez les officiers y suppldaient am- 1 Muffling, Mimoires, p. 71, ' Ense, p. 186. — 73 — plement chez les vdtdrans anglais, et la reputation r^pandue au sein de ces masses si hetdrogenes des vic- toires qui avaient rempli la longue carriere de leur gdn^ral, ne devait pas peu contribuer a rompre le charme qui s'attachait encore au nom de I'invincible empereur. Cependant, aux yeux d'un juge impartial, le capitaine anglais reste sous ce rapport bien' en ar- riere et de son aUi^ et de son illustre rival. Nous ne pouvons nous dispenser de dire quelques mots des lieutenants de ce dernier. La plupart d'entre eux se sont fait un nom Mstorique soit par leurs qua- lites nulitaires, soit par le rayonnement de la gloire du mattre dont ils avaient longtemps suivi la fortune a travers le monde. Soult, qui remplissait- les fonctions de chef d'dtat-major, jouissait d'une renommee si legi- timement ^tablie qu'il ne serait pas n^cessaire de s'y etendre, si M. Thiers n'avait essaye-de faire rejaillir en partie sur lui le blame de la d^faite de Waterloo, et de lui ddnier entre autres la nettet^ d'esprit et I'ex- perience que reclame ce service \ Ce n'est pas le seul endroit ou I'historien laisse percer la vieille animosity politique qui envenimait les discussions des cbambres de Louis-Philippe. II suifit de noter ici que les griefs qu'il impute k Soult n'ont en general pour tout fonde- > Thiers, t. XX, p. 30. ~ 74 — ment ei pour toute preuve, qu'une pretendue inferiorite a entrer dans les vues de Tempereur, qui placerait, sous ce rapport, Soult au dessous de Berthier. Nous aurons I'occasion de revenir sur cette question en temps et lieu. Nej et Grouch y se sont aussi fait une reputa- tion europeenne dans leur metier, reputation qui s'^tait maintenue constamment depuis qu'ils I'avaient conquise dans les anciennes campagnes de Jourdan et de Mo- reau. Le premier 6tait sur le point de rejoindre I'armee, mais il n'^tait pas encore arrive ; le second avait 6te choisi des le d^but par Napoleon, pour commander les reserves de cavalerie, en consideration des services ^minents qu'il avait rendus pendant les annees prece- dentes. Lorsque M. Thiers aflSrme qu'il ne fut appele a ce poste que parce qu'on n'avait sous la main ni Murat, ni Bessieres, ni Montbrun, ni LasaUe \ c'est une allegation qui ne repose sur aucun fondement his- torique, sauf cette circonstance que les deux premiers de ces g^n^raux avaient eu avan.t lui la faveur de Na- poleon; en invoquant ces.noms, auxquels il ea accole deux bien moins iUustres, et en insinuant que Grouchy etait inferieur k tons, M. Thiers n'a voulu que rabaisser celui-ci dans I'estime du lecteur. Parmi les autres gen^raux, Reille et d'Erl on avaient rapporte de la " Thiers, t. XX, p. 21. — 75 — Pdninsule une brillante reputation ; Reille surtout avait acquis un nom glorieux a Vittoria, ou son habilete aYait sauv^ d'une complete destruction les debris de I'arm^e de Joseph. Vandamme avait et^ un veritable « homme de guerre » , suivant I'expression favorite de Napoldon ; il avait toujours 6t6 investi d'un comman- dement sup^rieur depuis le temps qu'il avait, sur ce meme sol beige, vingt deux ans auparavant, conduit une divi- sion contre le dlic d'York. Lobau s'dtait distingu4 de- puis longtemps par sa froide audace, qui surpassait ceUe de to as les autres hommes, dans une armde ou cette quality, jointe m^me a une mediocre habilete pour le commandement, ^tait le cbemin le plus court de la for- tune et des honneurs. Gerard , plus jeune qu'eux dans ce poste 6\eY6, peu connu avant la campagne de Russie, s'^tait mis en relief des sa premiere promotion a la tele d'une division de la grande armee. Longtemps apres, il justifia le choix de Napoleon dans les hautes fonc- tions qu'il remplit sous la monarchic ; il eut cette sin- guliere- fortune de porter une autre armde frangaise en Belgique, du consentement de I'Angleterre, et de diviser ce beau royaume diss Pays-Bas pour la soi- disant protection duquel s'^tait livr^e la bataille de Waterloo. La garde impdriale n'avait point de chef dans cette — 76 — campagne ; le mar^chal Mortier dtait tombe malade a la frontiere et il n'y avait point d'officier d'un rang sufflsant pour prendre le commandement en chef de ce corps jaloux. Nous verrons que Napoleon n'a pas manqu^ de tirer parti de cet accident pour sa de- fense. Plusieurs des gdn^raux de division de I'armee fran- gaise ^taient des liommes vraiment sup^rieurs dans leur profession. Kellerman n avait rendu a Marengo des services de I'ordre le plus .^leve et, comme general de cavalerie, il I'emportait de beaucoup sur Montbrun et Lasalle, que Thiers affectede placer avant Grouchy. Foy, d'abord offlcier d'artillerie, avait donne mille preuves de son habilete dans les longues et p^nibles luttes de laP^ninsule, avant de r^vmer son talent d'ora- teur et d'^crivaiul L'^cole de Napoleon avait beaucoup de d^fauts, mais en somme aucune arm^e n'etaif proba- blement aussi bien pourvue que la sienne d'excellents capitaines, aucune non plus n'avait jamais eu autant d'exp^rience pour les former. II s'en fallait de beaucoup que les chefs de corps prussiens fussent des hommes aussi distingu^s que les Frangais. II faut cependant excepter Bulow qui avait occupy des postes ^lev^s, command^ des armies et remportd une victoire importante. Mais Zieten, Pirch — 77 — et T hielemann n'^taient guere connus que comme de bons g^n^raux de division. On ne se rendait g^n^rale- ment pas compte alors, et c'est un point que ni les ^crivains anglais ni les frangais n'ont expliqud, com- ment il se faisait qu'on leur eilt confix ces commande- ments importants, tandis qu'on avait sous la main les chefs si distingu^s de la guerre de 1813, les York, les Kleist, les Tauenzein. La veritable cause en ^tait la sant^ chancelante de Bliicher et le d^sir du roi que , , Gneisenau lui succ^dat en cas d'accident. De rudes travaux et une vie non moins rude avaient fini par miner la constitution de fer du vieux hussard, qui, sui- vant I'historien russe DanUewski, s'^tait affaissd tout d'un coup et sans remede au commencement de I'ann^e pr^c^dente. Les belliqueux entrainements de la revolu- tion n'avaient pas encore purge I'armde prussienne de ce respect outre de I'anciennet^, qui continuait a r^gler la volont^ royale ^ Ainsi, que Bliicher vint a succom- ber, le commandement ne pouvait ^tre d^volu a Gnei- senau qu'4 la condition d'^liminer d'abord tous les autres g^n^raux plus anciens en grade que cet officier ; et c'est en effet la mesure qui fut appliqu^ a tous, ,sauf Billow, dont le corps avait ^t^ destine a former une • • reserve en Belgique, tandis que le restant marcherait 1 Voyez pour tout ceci les MimoiresdiQ Muffling, p. 227. — 78 — sur Paris au mois de juillet. L'attaque de Napoleon annula ces combinaisons, mais on y trouve une preuve sufflsante qu'on s'attendait bien peu dans le principe k lui voir prendre I'offensive. Nous avons vu que le premier et le deuxi^me corps de Wellington ^taient respectivement places sous les ordres du pri nce d'Orang e et de lord Hill ; ' c'est une r4v6lation flagrante du conflit des dl^ments diplomati- ques et militaires qui presidaient k toutes les disposi- tions du g^n^ral anglais k cette ^poque affair^e. Le prince avait servi dans la P^ninsule en quality d'aide de camp : sa naissance et le courage h^r^ditaire de sa famille I'avaient seuls appele a ce poste Eminent. L|0rd_ Hill , au contraire, s'^tait montr^ durant de longues campagnes, le digne lieutenant de son illustre chef, tant en agissant sous ses yeux, que lorsqu'il avait ^t^ cbarg^ de commandements d^tach^s. Wellington ne donna point de chef a son corps de reserve, soit qu'il d^daigndt I'organisation plus savante cr^^e sous Napo- leon ^, soit qu'il doutdt r^ellement de la capacity de ses autres g^ndraux. Tout ce que nous pouvons dire 1 Voir ci-dessus, p. 53, tableau. 2 Moreau, le premier des ggn^raux modernes qui fbrma des corps d'arm^e, se r6serva le commandement du corps de reserve, ce qui causa, nous apprend Saint-Cyr, beaucoup de jalousie parmi les autres. — Mdmoires de Saint-Cyk, t. II, p. 114. — 79 — ici, pour ne blesser personne, c'est que Picton est le seul dont le nom ait franchi les limites de notre histoire nationale et la reputation de ce brave officier doit pro- bablement beaucoup a son trepas glorieux sur le champ de bataille. Nous avons ^crit ailleurs' qu'il n'^tait pas en faveur aupres de Wellington; un t^moin oculaire nous a assure que lors de leur dernidre entrevue, la seule d'ailleurs de toute la campagne, le feld-marechal laissa percer ce sentiment devant tout son etat-major de la mani^re la moins douteuse.' En ce qui concerne le materiel, chacune des armies etait puissamment pourvue. Napoleon avait le plus grand nombre de canons (344) ; mais les Prussiens n'en avaient pas beaucoup moins (312). L'artiUerie de I'armee anglaise cependant etait bien au-dessous de ce qu'on aurait dA attendre de Wellington, sacbant com- bien il se plaignait , depuis plusieurs annees dej4 , de la penurie de cette arme importante dans nos arse- naux : eUe comptait en tout 196 pieces et encore ceUes dels, ou pieces de position, qui en formaient unepar- tie notable, ne furent-eUes point amenees sur le ter- rain. Les "critiques du temps, depuis bien perdus de vue, n'ont pas manque de signaler cette absence et d'en tirer des commentaires defavorables.Dans sonpre- ' Revue d'idimkourg, 1862. - 80 — mier ouvrage, Muffling' a expliqu^ ce fait plut6t qu'il ne I'a justifl^, dans des termes qui confirment la preuve que les dispositions des allies, jusqu'au mois de juin, pivo- taient toutes sur la fausse hypotMse qu'ils ne seraient point attaqu^s : « Si le du c^ de Wellin gton, dit-il, n'avait « pas^es_canons_deJl8_a la bataille , c'etait probable- « ment par suite d'un accord concerts avec nous de « ne pas prendre I'offensive avant le V juiUet. Aussi « cette artillerie n'avait-eUe ^t^ ni organisde ni ame- « n^e d'Anvers a temps pour prendre part k Taction. « Sur les hauteurs qui dominent la Haie-Sainte eUe « aurait rendu d'^normes services au due de WeUing- « ton dans la journee du 18 ». (/JjlIW>j>^W* Cesg rosses pie ces.>j3ien_que rgparties en troisbatte> f 5 l^fvwo^M^ jies , n'^taient au nombre que de do uze - ; retranch^es de Tarmement de Wellington , il ne lui en restait plus que 184 pour entrer en campagne , un peu plus de la moiti^ de celles que Napoleon trainait k sa suite at moins des deux tiers de celles des autres allies. D'un autre c6t^, sa cavalerie ^tait plus nombreuse que celie deBliicher; il avait. 14,500 chevaux, et celui-ci 12,000, tandis que Napoleon, qui s'^teiit donn^ de grandes peines pour renforcer cette arme, avait 22,000 cava- 1 Muffling, Hist., p. 83. 2 SiBORNE, 1. 1, App. VI. — 81 — liers , k peu pr^s autant a lui seul que ses adversaires r^unis : il comptait bien en tirer parti pour appuyer le's avantages qu'il esperait remporter k la premiere ren- contre. D'autre part, la faiblesse num^rique d e son '^-^^"j^ infanterie ', le principal ^l^ment de la force d'une ar- * , ^ mie sur le champ de bataille, plagait I'arm^e frangaise ^ dans une veritable inferiority ; son infanterie ne com£- tait pa s tout a fait 90.000 h ommes. moins deja moiti^ des __181,000 fantassins que les allids avaient concen- tres dans les Pays-Bas -. Le nombre, comme je I'ai d^ja fait remarquer, est un mediocre indice de la valeur d'une arm^e. Celle-ci de- pend par-dessus tout de la bont^individuelle des sol- dats, et sous ce rapport I'empereur avait un avantage qu'aucun ^crivain ne s'avisera de luicontester. Ce n'etait pas un troupeau de consents qu'il menait en Belgique ; des jeunes levees qui avaient vu le feu pour la premiere fois a Lutzen , en 1813, une partie avait p^ri dans la terrible campagne qui suivit cette ba- taille , avant la premiere abdication ; le restant , en- durci par I'^preuve, formait une troupe excellente. Un tiers de la nouvelle grande axmde Jtjit_compos£ de ces « novices de 1813 et de 1814 «, comme les appelle 1 Charras, p. 58. 2 SiBORNE, t. I, App. VI ; Charras, p. 69. — 82 — M. Thiers ' qui assure qu'il n'y avait pas dans toute Tarm^e un homme qui n'efit servi; car les deux autres tiers ^taient de vieux soldats revenus des garnisons . lointaines ou des prisons de Russie et d'Allemagne, v(^t^rans d'^lite qui surpassaient tout ce que I'dcole de Napoleon avait produit. Parlant la m^me langue, fi- ddles au m^me symbole de I'honneur militaire , « ani- mus non seulement de patriotisme ou d'enthousiasme , mais d'une veritable rage contre leurs ennemis ^ » , ces troupes, abstraction faite de la couleur outr^e des his- toriens nationaux, ne laissent pas de representor une masse compacte et formidable, telle qu'on n'en avait jamais vue se mouvoir sur un champ de bataUle. L'armde prussienne , anim^e d'un esprit non moins violent et non moins dangereux, ^tait bien inf(^rieure par la qualite des combattants. Pres de la moitid de I'infanterie et de la cavalerie ^talent des troupes de la landvehr, soumises a grand'peine au nouveau regime introduit par ScharnhiJrst , pendant la p^riode de la domination frangaise; une grande partie des troupes r^gulieres ^taient compos^es de recrues, car les ^pui- santes campagnes qui avaient promen^ leurs drapeaux de rOder k la Seine, avaient laissd de larges vides 1 Thiers, t. XX, p. 21. s Journal de Foy, cit6 dans Thiers, t. XX, p. 21, note. — 83 — dans les rangs des volontaires enthousiastes qui rem- plissaient les regiments en 1813. Cependant veterans et recrues n'avaient ici non plus qu'une langue, ils ap- partenaient a la m^me race et dtaient entrain^s par la m^me ardeur patriotique. Nous avons d^ja dit qu'ils ne le c^daient pas aux Frangais par leur amour envers leur general, la personnification Yivante pour ainsi dire de la glorieuse resurrection de leur patrie. Comme lui, ils brtHaient de punir I'usurpateur qui les avait trop longtemps broyes sous son talon de fer et dont I'ambi- tion ramenait encore une fois la guerre en Europe. Malheur a ses legions! on pouvait pr^dire des lors qu'elles ne soutiendraient pas le cboc d'ennemis aussi acharnes et aussi implacables que I'^taient ceux-1^. Si nous passons de ces armees modeles de Napoleon et de Bliicher aux masses bigarr^es qui marchaient sous les ordres de "Wellington, uqus ne serons pas surpris du mepris avec lequel celui-ci en parle dans plusieurs de ses lettres. M. Hooper' a relev^ les plus connus de ces passages et specialement les rapports du due sur le petit nombre de ses Anglais 2. Mais le veritable calcul des ressources actives comparees des deux armdes alli^es, dress^ par Wellington, a ^cbapp^ ' Hooper, p. 36. 2 GuRwooD, t. XII, p. 438. a beaucoup d'dcrivains. On le trouve dans une lettre du 2 juin ou il ^tablit minutieusement le chiffre des troupes avec lesquelles les Prussiens sont sur le point d'envahir la France, et il I'evalue au double de ses propres forces, qui dtaient cependant a peu pres egales num^riquement a celles de Bliicber; et si nous ajou- tons aux Prussiens un corps de 20,000 AUemands placg sur la Moselle , cette difference se rdduit mSme a moins d'un quart. Des 106,000 combattants de Wel- lington , un tiers k peine etaient des Anglais , et une bonne part d'entre eux etaient des recrues melees aux veterans de la Peninsule ou incorpor^es dans les nou- veaux bataillons leves a la hdte ; plus bas encore que ceux-ci se classaient les bataillons des garnisons im- propres au service en campagne. Ajoutez-y quelques centaines d'hommes de la legion allemande du roi, recrut^s depuis longtemps, principalement en Hanovre, et que plusieurs armies de guerres beureuses avaient transformds en v^t^rans d'^lite; plus, le quadruple de recrues hanovriennes , la plupart organis^es en regi- ments de landwehr, imitation faite a la hate du sys- t^me prussien. On pouvait attendre de bons services des Brunswickois , conduits par leur duo , descendant d'une lign^e d'ancfitres guerriers et cit^ parmi les au- tres princes del'AUemagne pour son ardeurpatriotique; - 85 — mais le contingent de Nassau, r^cemment leve dans le pays du Rhin qui n'avait 6t6 repris qu'assez tard a I'empire, etait regards comme etant d'une valeur dou- teuse. Quant aux troupes des Pays-Bas, presque ^gales num^riquement a celles des Anglais, le defaut de sym- pathie qui existait entre les deux elements principaux de cette arm^e, les Hollandais et les Beiges, etait un fait notoire; accoutum^s qu'ils ^taient de longtemps a porter lejougfrangais, ils ^taient fascin,^s par le pres- tige du nom de Napoleon. Dans cette seule portion des forces de WeUington on pouvait distinguer trois races differentes ; car la maison d'Orange qui avait des droits sur le duche de Nassau , y avait leve des hommes et entretenait a sa solde toute une brigade de ces Alle- mands, formant un corps d'armee campe h I'extr^me gauche des cantonnements de Wellington, destind ainsi par sa position a essuyer le premier choc de Tarmee ennemie'. Le tableau suivant, etabli d'apres les listes de Siborne, donne une vive idee de la composition heterog^ne des masses que les ^crivains des autres nations ont confondues a cette epoque sous la denomi- nation de Varmee anglaise^. 1 Siborne, 1. 1, App. VI. 2 Voyez GouRGAHD ; Rapport de Bliccher; Rapport autrichien. — 86 — TABIEAD DES FORCES PUCfiES SOUS LES ORDRES DE WELLINGTON. 1 . Troupes anglaises de ligne 33,709 2. Bataillons anglais de garnisons 2,017 3. Legion allemande du Roi 6,887 4. Recrues hanovriennes incorporees dans les divi- sions anglaises 15,935 5. Recrues hanovriennes r^ce'mment arrivees . . . 9,000 6. Contingent de Brunswick ...:.... 6,808 7. Contingent de Nassau 2,880 8. Troupes hoUando-belges 24,914 9. Corps de Nassau au service de la HoUande. . . 4,300 105,950 Parmi ces troupes, nous savons deja que celles com- prises sous les n"^ 2 et 5, formant un total de 11,000 hommes, n'etaient pas propres a un bon service de guerre, et que les 32,000 comprises sous les n"^ 7, 8 et 9, ^talent fort suspectes sous le rapport de leur fidelity k la cause des allies. Tr^s-probablement ces soupgons 6taient jusqu'^ un certain point injustes et exag^res; mais on ne pent nier qu'ils existaient et ils durent r^a- gir infaiUiblement surles plans de Wellington, comme nous avons pu en juger d^ja par son Evaluation variable de ses forces actives. On pent justifier Napoleon' d'avoir calculi que les armdes qu'il attaquait Etaient, prises a part , k peu pr^s aussi fortes numdriquement que la sienne ; mais I'une d'elles lui Etait infdrieure par ' GOURGAUD, p. 31, 33. — 87 — la discipline et la force nominale de I'autre ^tait sujette a de larges deductions. Quoiqu'il en soit, son audace ^chappait au reproche d'entreprendre une tdche abso- lument impossible. Nous'avons laiss^ I'empereur au bivouac avec son armee, attendant I'aurore du 15 : « Les armies aUiees, nous apprend-il', restaient dans une grande s^curit^ dans leurs cantonnements » . Ajoutons que c'est la une conjecture toute frangaise et, pour les raisons que nous avons donnees plus haut , c'est aux historiens du parti oppose qu'il nous faut demander la verite sur ce point. Si nous consultons Muffling, Thomme que ses fonctions speciales tenaient le mieux au courant de ce qui se passait au quartier-g^neral de chacune des armies al- lides^, nous trouverons au contraire que « des le 13 et le 14, on savait positivement que I'ennemi se concen- trait dans le voisinage de Maubeuge' ». Le due de Wellington, agissant selon ses previsions que nous avons comment^es, n'estinaa point qu'il y eiat lieu de modifier sa position avant que I'ennemi etit mieux d^- veloppe son plan d'attaque :"de Maubeuge, en effet, celui-ci pouvait se porter sur Mons, sur Binche et ' GOURGAUD, p. 31. " Muffling, fife*., Introd. 3 Voir oi-dessus p. 56, 63. — 88 — Nivelles bu sur Charleroi » . Blucher n'dtait pas aussi patient. Les precautions que Napoleon croyait si effi- caces n'avaient pas r^ussi a tromper les postes de Zieten en avant de Charleroi'. La relation prussienne marque cette circonstance avec un accent de vie qu'on ne rencontre pas souvent dans ses pages arides : «• Quiconque a fait une campagne, y est-il dit, sait par experience que des feux de ce genre, allumes en plein air , se voient de fort loin et toutes les precau- tions du monde sont bieninutiles. Ainsi, danscecas, les feux etaient distinctement visibles des avant-postes prussiens^ «. Des- la soirde du 13, Zieten avait signals la formation de deux grands campements a Beaumont et a Solre, et il avait ordonne d'^vacuer ses gros bagages vers Gembloux. D'autres rapports de cet offlcier, bas^s sur ses observations ou emprunt^s aux revelations des fuyards qui francbissaient la fronti^re, furent envoy^s a Bliicber le 14, et, tard dans la soiree , les ordres du marecbal furent encore exp^dids au corps prussien^. Zieten devait reculer et s'arr^ter a Fleurus, petite viUe ouverte situ^e All kilom. N.-E. de Cbarleroi; les trois autres corps avaient a preparer leur concentration pour se porter ensemble sur le m^me point. ' Recueil des batailles, p. 7. 2 Ibid., p. 9. 3 Ibid., pp. 9,20. — 89 - Ainsi se passa la courte nuit qui pr^cdda la cam- pagne : les Frangais , impatients de voir le jour pour tombersurleursennemis, et pour racheter parunnouvel Austerlitz ou par un autre I^na les d^sastres des trois derni^res ann^es ; les Prussiens , non moins vigilants , se preparant en toute li4te a soutenir le choc ; les An- glais, sauf leur chef taciturne et quelques officiers srirs, n'ayant pas conscience de I'orage qui s'amassait devant eux. TROISIEME CONFERENCE. fiVENEMENTS DU 15 JUIN. — COfflENTAlRE. — REGAPITUUTION. Le premier jour de la campagne se leva radieux sur les Frangais qui I'attendaient avec impatience. Dans la soiree de la veille on avait lu de regiment en regiment une de ces proclamations ^mouvantes, par lesqueUes, depuis son premier commandement, Napoleon avait coutume d'annoncer ses grandes operations. Les ordres exp^dies aux divers corps avant le point du jour, pres- crivaient de commencer le mouvement de la gauche et du centre a trois heures du matin; a la m^me heure, Gerard devait op^rer le sien vers la droite, pourvu que (remarquez bien cette phrase) « pourvu que les divi- sions qui composent ce corps d'armee soient reunies '. « Thiers, qui vient de dire h ses lecteurs que les g^n^- n^raux allies « ne soupgonnaient rien ou presque rien des desseins des Frangais, » ajoute maintenant qu'a I'heure fix^e I'arm^e s'ebranla toute entiere, Vandamme 1 GoURGAUD, App., Ordre, etc., p. 142; Thiers, t. XX, p. 27. — 92 — excepts, sans laisser entrevoir que Napoldon lui-mSme doutait que Gerard fut prfit K Le premier mouvement ne commenga en realite que par la gauche , lorsque Reille, qui avait etabli ses bivouacs en avant de Solre, s'ebranla a I'heure determin^e, en suivant une route qui longe la rive droite de la Sambre et qui traverse cette riviere au pont de MarcMennes, a 3 kilometres de Charleroi; ce g^n^ral ne tarda pas a rencontrer les avant-postes prussiens pres de Thuin, ou n y eut un engagement; a dix heures ces derniers etaient forces d'^vacuer Marchiennes ^ et le pont, que Zieten avait n^glig^ de faire sauter, ^tait au pouvoir des Frangais. Gerard avait 6t4 retenu jusqu'a cinq heures du matin ^, attendant I'approclie d'une partie de son corps d'armde. La colonne du centre, comprenant Vandamme, Lobau, la garde et la cavalerie de reserve, bien qu'eUe fM la is procbe du quartier-g&dral de Napoleon lui-mSme, la derniere des trois a se mettre en mouvement vers nord. Le corps de Vandamme en occupait la tete, et Vandamme n'avait pas regu d'ordres ! L'unique offi- cier qu'on etit cbarg^ de les lui porter, avait fait une chute en route et s'^tait grievement bless^ ; Vandamme ' Thiers, t. XX, p. 29. 2 Charras, p. 84. 3 Ibid., p. 86. -^ 93 — resta done paisiblement dans ses bivouacs jusqu'a I'ar- rivee du corps de Lobau qui s'^tait mis en marche k quatre beures et ce ne fut pas sans difficult^ qu'on se rendit compte de I'dtat des cboses. Get incident a 6te racont^ de la maniere la plus fiddle par le colonel Janin ' de I'dtat-major de Lobau, qui d^montre p^remp- toirement que Vandamme fut pouss6 en avant par ]a pression de ce second corps sur ses derrieres, et non, comme Thiers I'affirme assez l^gerement ^, par les instances du general du g^nie qui se trouvait avec lui. Cette difference importe peu d'ailleurs, car il reste acquis que la marche de toute la cavalerie du centre avait ete subordonn^e a I'arriydg'ponctuelle d'un simple messager. Pajol, dont la cavalerie, un des quatre corps incorpor^s dans la reserve, occupait le front de celui de Vandamme, s'dtait avanc^ sans 6tre appuy^ ; il ne laissa pas toutefois de refouler les avant-postes prus- siens sur Charleroi, mais ses cavaliers ne pouvaient songer a forcer le pont de cette ville sous les yeux de I'arriere-garde prussienne. II dtait midi, d'apr^s le bulletin offlciel ^, dix heures et demie d'apr^s la rela- tion de Sainte-H^lene *, lorsque Pajol traversa Char- 1 Charras, App. D. 2 Thiers, t. XX, p. 30. 3 Documents, p. 141. ■• GOURGAUD, p. 37. leroi, le pont ayaiit 6U emport^ par les marins et les sapeurs de la garde qui pr^c^daient Vandamme. Sui- vant quelques relations ', entre autres ceUe de Charras, que Hooper semble avoir copiee, la retraite des Prus- siens fut d^termin^e par I'arrivee de la jeune garde accourue en hMe par un chemin de traverse, sous la direction de Napoleon en personne. Mais la relation originale de I'empereur lui-m4me ^ porte qu'il n'attei- gnit le pont qu'une demi-heure apres que Pajol eilt pen^tr^ dans la ville et sur ce point qous devons le croire exact. Tandis que les ponts de Marchiennes et de Charleroi se trouvaient ainsi au pouvoir des Francais k midi, apr^s un retard que Napoleon porte a quatre heures et qu'il nomme « un funeste contre-temps ^ » Gerard n'avait pas encore atteint la riviere. II s'etait mis en louvement, comme on a vu, a cinq heures du matin; lais k peine ses colonnes ^taient-elles en route, se irigeant comme le centre vers Charleroi, que tout a coup le bruit se rdpandit dans tous les corps que le g^n^ral Bourmont, commandant la division d'avant- garde, ^tait honteusement pass^ k I'ennemi. C'^tait la ' Charras, p. 85; Hooper, p. 70. 2 GOURGAUD, p. 37. 3 Ibid. — 95 — v^ritg, et ce fait fournissait un trop bon pr^texte k I'appui des d^sastres ult^rieurs, pour n'^tre pas exploits largement par I'annaliste de Sainte-H^l^ne et par la foule des ecrivains qui I'ont servilement imit^ '. La plupart de ceux-ci ont fixg la desertion de Bourmont au 14, ce qui implique naturellement qu'il avait At ^tre fort utile aux allies en leur r^v^lant la marche de Napoleon. Thiers, lorsqu'U prit la plume, trouva cette Mstoire d^ja contredite ^ et il la rectifia avec emphase, comme il ne pouvait d'ailleurs se dispenser de faire apres la publication de la note de Cbarras ^ sur ce point, note extraite des archives de Paris et dont per- sonue ne conteste I'authenticite. II est possible que la desertion du g^n^ra l ait occa sionn^ ™^ _^^^' Pendant le temps necessaire pour en referer a Napoleon. La seule chose certaine et qu'il importe d'etablir, c'est que Gerard regut plus tard un nouvel ordre ^ qui lui pres- crivait de gagner le pont de Chatelet, k 6 kilometres k Test et au dessous de Charleroi, qu'il ne put atteindre quetres-tard dans la journ^e. La queue d e sacolonne avait fait une marche de plus de 32 kilometres a^ ti^ v§ics-d,e^auvai^_ch^ins et la moiti6 de son corps ne 1 GouRGAUD, p. 34, etc. " Thiers, t. XX, p. 56. 3 Charras, p. 87, note. * GOURGAUD, p. 142. — 96 — put m^me passer la Sambre cette nuit \ bien que les Prussiens eussent laiss^ le pont intact et n'opposassent aucune resistance. Nous pouvons done perdre ce corps de vue pour toute la suite des operations de cette journ^e . La grande route de Cbarleroi a BruxeUes, avons- nous dit, court directement vers le nord. A I'endroit connu aujourd'bui sous le nom des Quatre-Bras, mais qui figure dans les anciennes cartes sous celui des Trois-Bras ^ situ^ a 21 kilometres de Cbarleroi et a 34 kilometres de BruxeUes, cette route est travers^e par une autre qui se dirige de Nivelles a Namur, de I'ouest a Test ; une troisi^me grande route ', se d^ta- chant de la cbaussee de BruxeUes aux portes m^mes de Charleroi, traverse Fleurus et vient couper la route de Namur a Nivelles, k Sombrefie, a peu pres k mi- chemin de ces deux viUes, 4 13 kilometres a I'est des latre-Bras. Ce dernier point forme avec Sombreffe Charleroi un triangle que nous d^signerons sous le til de Triangle de Fleurus, position d'une importance vitale pour les operations futures de Napoleon, la route de Namur a Nivelles etant la principale communica- tion entre les armees alliees. Depuis longtemps le ' Thiers, t. XX, p. 54; Charras, p. 98. 2 Carte de Ferraris, 1770. 3 Voyez la carte du present volume. — 97 - g^n^ral anglais -et le g^n^ral prussien avaient reconnu cette importance et pr^vu le danger que pr^senterait leur separation si les Francais venaient a s'emparer de cette chauss^e aux Quatre-Bras et k Sombreffe '. Dans une conference qu'ils avaient eue a Tirlemont le 3 mai, ils avaient discute la possibility d'etre attaqu^s par Cbarleroi, si le plan de Tennemi etait de couper leurs armies, et ils etaient d'accord sur la necessity de com- biner leurs mouvements de mani^re h parer k une eventuality si dangereuse. Muffling en a completement expose les raisons ^ et il nous suffit de dire ici, que dans le cas donne, I'armee prussienne devait se con- centrer entre Sombreffe et Charleroi , et Tarmde anglaise entre Marchieunes et^Gosselies, village assis sur la route de Bruxelles a Charleroi, a 7 kilometres de cette derniere ville, a I'iatersection d'un chemin de traverse conduisant de Marchiennes a la Sambre. Si cette position avait ete occupee, les armies alliees se seraient trouvdes souddes ensemble et, du c6te de la Sambre, elles auraient couvert toutes les approches du triangle de Fleurus de maniere k se secourir mu- tuellement par une attaque de flanc sur Napoleon, quel que fdt le corps que celui-ci s'avisdt d'aborder. 1 GURWOOD, t. XII, p. 345; Muffling, Mimoires, p. 231. 2 Ibid., p. 232. 7 — 98 — Telles ^taient d'avance les provisions des Allies. Et cependant, le 15, k trois heures de I'apr^s-midi, il y avait k peine un corps prussien sur le terrain et, sauf la division hollando-belge de Perponcber, pas un homme de TarmOe de "Wellington n'y avait mis le pied, tandis que la t^te d'une colonne de 40,000 Frangais' avait passO la Sambre k Marcbiennes et qu'une autre colonne de 70,000 bommes entrait k Cbarleroi. Reille, dont Cbarras adopte ici la relatioii \ avait traverse la riviere et pris position k mi-cbemin de Mar-^ cbiennes et de Gosselies, lorsque Napoleon lui-m6me parvint a Cbarleroi. En ce moment^ lO.OQQ bommes environ_dfi§_troupes de Zieten se trouvaient pres de Gosse lies sous les ordres de Steinmetz, le reste operant en bon ordre sa retraite dans la direction de Fleurus. II faUut_un_deploiement considerable des troupes d e Reille en avant de Gosselies avajit que les Prussiens en fussent dOlogOs et qu'ils se repliassent de c6t0 sur Fleurus, laissant libre la route des Quatre-Bras '. Napoldon lui-m^me avait dti se mettre a la t^te de quelques engagements partiels sur la route de Som- brefFe *, par laquelle s'avancaient Vandamme et Grou- • Charras, p. 88. * Pour les details, voyez le Recueil des hatailles, etc., p. 13. 3 Ibid., p. 14, et Bull. Doc, p. 141. ■" GOURGAUD, p. 42. — 99 — chy; ceux-ci avaient h^sit^ a agir, en son absence, confre le corps de Zieten dont Tarri^re-garde leur tenait audacieusement t4te entre Charleroi et Fleurus ^ L'empereur n'avait pas voulu se porter, de ce c6t6 avant d'etre silr que Reille flit en 6tat d'occuper Gos- selie's et de couvrir sa gauche ; cela fit perdre aux Frangais deux heures de plus. GrAce a ces fautes et k sa propre ^nergie, Zieten, sans 6tre m^me appuy^, s'em- para de Fleurus pendant la nuit, occupant quelques bois au sud avec son avant-garde, mais ayant son corps principal de I'autre cot^ de la'viUe, plus pres de la route de NiveUes a Namur, ou ses troupes occupaient les hauteurs du village de Bry , connues sous le nom de la Montague de Ligny. Avant de quitter la bifurcation de la route de Fleu- rus et pendant qu'il dirigeait de sa personne I'engage- ment dont nous venons de parler, Napoldon vit son ^tat-major se renforcer de Ney, a qui la grande arm^e avaii d^cern^ le surnom de « brave des braves » et qui s'^tait distingue d'ailleurs bien longtemps avant qu'on format aucune grande arm^e. Apr^s quelques paroles de bienvenue^ , l'empereur lui confia la gauche de I'ar- m^e avec un peu de cavalerie attach^e pour son ser- ' GOURGAUD, p. 57. 2 Charras, p. 89; Thiers, t. XX, p. 41. — 100 — vice aux corps de Reille et de d'Erlon, et il lui donna verbalement des ordres dont la teneur a ^t^ vivement contest^e, mais qui impliquaientrinjonctioii de se porter immediatement sur la route de Bruxelles. Les Prus- siens I'abandonnaient en ce moment, refoules par Reille, et dans leur mouvement sur Fleurus, ils repliaient na- ' turellement tous les ddtachements qui avaient rattacli^ leur aile droite aux avant-postes de I'aile gauche des Anglais pendant la matinee, laissant en ce qui les con- cernait la route directs de Bruxelles toute large ouverte. Ney, d^s qu'il eut pris r6guli6rement le commandement qui lui avait ^t^ assign^, s'^tait mis a suivre Steinmetz avec une seule division, celle de Gerard, du corps de ReiUe ^ Une autre division d'infanterie, celle de Ba- clielu, prdc^d^e par la division de cavalerie de Pird, se dirigeait vers les Quatre-Bras. Les deux autres divi- sions de Reille ^taient post^es en reserve a Gosse- lies. Escorts par la cavalerie de la garde que_lui avait laiss^e Napoleon, Ney suivit don£ Bachelu jt Pir^ dans la_djifigtion_du nord ^ ; mais avant qu'il les elit rejoints, il apergut les premieres troupes de I'arm^e anglaise qu'eussent encore rencontr^es les Frangais, stabiles dans le village de Frasnes, k 3 'kilometres des ' Chaeras, p. 90 ; Thiers, t. XX, p. 44. 2 Thiers, t. XX, p. 44. — 101 — Quatre-Bras.C'^tait la brigade hoUandaise de Nassau, qui s'etait ^chelonn^e le matin le long de la route de Bruxelles.entreFrasnes etGenappe\ autr e village situ6 plus au nord, a 8 kilometres du premier. Un accident survenu au commandant de la brigade avait ce jour-la place le commandement entre les mains du plus ancien colonel *, le jeune prince Bernard de Saxe Weimar, et celui-ci en apprenant la marcbe des Frangais sur Charleroi, avait aussit6t porte son corps aux Quatre- Bras, laissant a Frasnes un bataillon et une batterie l^gere '. C'dtait le canon de ce poste avance qui avait ouvert le feu contre la cavalerie de Ney, et bien que les avant-postes se fussent deja replies sur leur corps principal aux Quatre-Bras, le prince Bernard se dis- posait a se maintenir sur ce carrefour. Ney vint lui- mSme reconnaitre la position. Le sol qui s'eleve a 500 metres en avant des Quatre-Bras, lui d^robait la force reelle du prince, en partie convert feussi par un bois qui garnissait a cette ^poque Tangle sud-est du carrefour. II etait alors huit heures du soir * et il faisait presque nuit. Ney ne pou- 1 Voyez ci-dessus, p. 86. « Voyez sa lettre, Doc, p. 85, ou Dip. suppl., t. X, oil elle se trouve publifie de nouveau. 3 Rapport du prince d'Orange, Doc, p. 86. < Ibid. — 102 — vait pas savoir combien d'hommes il avait devant lui ; mais ses propres troupes avaient march^ pendant dix- sept heures et elles ^taient considerablement en avance sur le gros de rarmee, a en juger par la canonnade qu'on avait entendue dans la direction deFleur us. Aussi ne poussa-t-il point au dela de Frasnes ^ et y lais- sant les troupes qu'il avait amen^es, U repartit pour Gosselies, d'ou il alia rendre compte de ce qui s'^tait pass^ a Napoleon, qui s'^tait installs pour la nuit a Charler'oi. Vbici quelles ^taient les positions des Frangais a cette heure ^; a gauche, la plus grande partie dela ca- valerie de Ney et line division d'infanterie de Reille occupaient Frasnes ; deux autres divisions d'infanterie ^taient k Gosselies. La quatri^me , celle de Girard, s'^tait ddtachde de la colonne et bivouaquaitnon loin de Fleurus, au village de Wangenies, joignant les troupes de Grouchy et de Vandamme. D'Erlon avait traverse la Sambre et son corps ^tait postd, a I'entr^e du chemin de traverse qui va de Marchiennes a Gosselies. Au centre, la garde k pied dtait entree k Charleroi, mais la grosse cavalerie, avec deux des quatre corps de reserve de Grouchy et le corps de Lobau bivouaquaient ' Charras, p. 91 ; Thiers, t. XX, p. 47. 2 Thiers, t. XX, p. 54 ; Charras, p. 94, etc. — 103 - sur la rive droite de I9, Sambre, ainsi que la moitie du corps de Gerard qui n'^tait pas arrive a temps pour passer le pont a Chatelet. En somme 35,000 tommes n'avaient pas encore franclu la riviere '. Cependant I'ordre du jour avait explicitement pr^venu les g^n^- raux que « I'intention de Sa Majeste, est d'avoir passe la Sambre avant midi et de porter I'arm^e a la rive gauche de cette riviere - » . Tant il est plus aise a la guerre de projeter que d'ex^cuter et de faire mouvoir un ^tat-major que de transporter des masses de troupes. ■ L'histoire des Prussiens pendant cette journee n'est pas longue a raconter ^. La nouvelle de I'attaque de Zieten avait ^te transmise a Blucher au point du jour et Ton peut supposer que le mar^chal ne se pressa guere de concentrer les deux corps quiavaientbivouaqu^ la nuit prec^dente tout a c6td de son quartier general a Namur. A la nuit, Pirch s'etait arr^t^ a Mazy, a 6 kUometres et demi de Sombreffe, sur la route de Namur, et le corps de Thielemann avait atteint cette ik f^Zj ville, a 17 kilometres plus loin. Deuxheures__de ^ 'Lfu/u marche devaient p orter le jremier de ces gdndraux, J 1 Thiers, t. XX, p. 27. 2 GOURGAUD, p. 144. 3 Recueil des batailles, p. 17. f — d04 — dnqjieur es^ le second, sur jejgrrain d^ja, occupy jgar Zieten en _avmt_^ Ligny et ils avaient pour instructions de se porter en avant au point du jour. La situation de Bulow ^tait toute differente. Ce g^ndral, dont le corps ^tait beaucoup plus ^loign^ du quartier gdn^ral, ne regut ses premieres instructions que le 15 a cinq heures du matin '. EUes lui enjoignaient de con- centrer ses troupes de maniere a se porter sur Hannut, la locality la plus importante qu'on rencontre sur la route de Liege a Sombrefife, en unjourde marche. 11 ^tait en train d'ex^cuter cet ordre, lorsque a dix heures du matin, il en rejut un second lui pres- crivant de marcher sur Hannut. Comme une partie de ses troupes ne pouvaient ^tre pr^venues que tres-tard dans I'apres-midi et que lalettredeGneisenau^ ne men- tionnait pas qu'aucune hostilite se fAt encore produite, Bulow remit aulendemainl'ex^cutionde ce second ordre et promit d'etre a Hannut le 16 a midi. Mais ce vil- lage est distant de 42 kilometres de Ligny, ou sa pre- sence 6tait gravement n^cessaire bien avant cetteheure. D'apr^s la relation de Zieten lui-m^me ', il avait d^p^chd un courrier a Wellington, a quatre heures du 1 Recueil des batailles, p. 18. 2 Ibid. u Ibid., p. 17. — 105 — matin, pour le prdvenir qu'il ^tait attaqud en force. II faut que le service de son ^tat-major ftlt bien mal orga- nist, car I'officier charge de cet important message ne rejoignit Muffling qu'a trois heures de I'apres-midi ', ajant mis onze heures a franchir une distance qu'un pieton ordinaire aurait pu traverser dans le mdme temps. Wellington n'avait regu a cette heure aucun avis des postes d'observation qu'il tenait aux environs de Mons sous les ordres du general Dornberg; mais il ^tait avec le prince d'Orange qui ^tait accouru de son quartier-g^n^ral pour lui rapporter - — en termes assez vagues toutefois — I'attaque inopinee de Thuin dont il avait entendu parler. Apres une courte discussion avec Muffling ^ le due conclut que, ne pou- vant encore determiner le point exact de la concentra- tion, puisque les Francais n'avaient pas d^velopp^ tout leur plan, il se contenterait pour le moment d'ordonner que toutes les troupes se tinssent pretes *. Cet ordre fut transmis bientdt apr^s, mais on n'est pas d' accord sur I'heure exacte qu'il le fut ^. ' Muffling, Mdmoires, p. 271. 2 Ddp. supp., t. XII, p. 524. 3 Muffling, Min^oires, p. 272. * Ibid.; SiBORNE, t. I, p. 71; Hooper, p. 81; Charras, p. 109. 5 Dans sa r^plique k Clausewitz (Dep^ches, t. XII, p. 524, et Bkial- MONT, t. II, App.), le due dit que ■< des ordres furent exp6di6s sur le — 106 — Du corps du prince d'Orange, la premiere et la troi- siemedes divisions anglaises devaient se r^unirrespeeti- vement ElAth et a Braine-le-Comte, et les deux divisions hollando-belges (Chasse et Perponcher), a NiveUes '. La troisi^me division anglaise devait aussi se porter sur NivellSs « s'il arrivait que ce point ftit attaque ce jour-la » , mais « jusqu'a present il n'est pas bien cer- tain que I'ennemi dirige son attaque sur la droite des Prussiens et sur la gauche de I'arniee anglaise ». A I'heure que ces lignes ^taient Sorites, le prince Bernard avait d6j^ mass^ sa brigade aux Quatre-Bras, comma nous avons vu, et sa conduite fut pleinement approuv^e par un ordre dep^che de Braine-le-Comte, en I'absence du prince d'Orange ^, par son chef d'etat-major, Cons- tant Rebecque, au g^ndral Perponcher, a la division duquelle prince Bernard appartenait. Cet ordre enjoi-r gnait au gendral de faire prendre les armes a ses troupes en tenant une brigade aux Quatre-Bras et champ pour faire marcher toute Varmie vers sa gauche. » Mais il est manifeste, d'apr6s d'autres t^moignages, que cette assertion anticipe sur les faits. Elle est, entre autres, formellement coniredite par la relation de Siborne et par celle de Hooper. Les premiers ordres, en effet, prescrivant de se preparer, furent envoy^s « sur le champ », selon Siborne, vers 5 heures du soir selon Hooper, vers 6 ou 7 heures suivant Muffling. Charras, d'apr6s le tfimoignage des archives hoUan- daises, recule encore cette heure. 1 GOURGAUD, t. X, p. 472. 2 Voyez I'original dans Loben Sels, p. 128. — 107 — I'autre a Nivelles. Conformdment k ces instructions, Bernard conservait la position qu'il avait prise pendant la nuit, et I'autre brigade, sous les ordres de Bylandt, restait a Nivelles. Le prince d'Orange demeure a Bruxelles avec Wellington I'accompagna au fameux bal qu'on connait, apr^s qu'un second ordre — 'I'ordre de mouvement — etit ^te d^p^che aux troupes ^ C'^tait la suite d'un rapport decisif arrive deMons, annongant que I'ennemi avait tourn^ Charleroi avec toutes ses forces et qu'il n'y avait pas de troupes en presence de la pre- miere de ces villes. Mais les subordonnes de Welling- ton, mieux inform^s que leur cbef, avaient aussi pris les devants sur lui. Constant Rebecque positivement inform^ a dix heures du soir de I'affaire des Quatre- Bras, avait prevenu Perponqher d'appuyer le prince Bernard avec le restant de sa division ^. En m^me temps il rendait compte au prince d'Orange de sa con- duite et des motifs qui la lui avaient dictee ; et bien que Perponcher veqAt ensuite, par I'entremise de Rebecque, les premiers ordres de Wellington dates de Bruxelles, lui enjoignalit de se rassemUer d, Nivelles ^ il crut devoir s'en tenir a ses premieres instructions, ' McFPLiNG, Mimoires, p. 230. * Voyez I'original dans Lobkn Sels, p. 176. 3 Jbid. — 108 — comme il ^tait naturel qu'il fit connaissant les circon- stances ; sa resolution fut d'ailleurs approuvee par le prince, qui se rendit de Bruxelles a Braine, ou il arriva avant trois heures du matin ' , apres avoir 6i6 traite avec une certaine vivacity par Wellington, k cause de, I'inquietude qu'il montrait que les Frangais ne joi- gnissent ses troupes. Le deuxieme ordre envoye par Wellington aux divi- sions anglaises, au moment qu'il se rendait au bal, etait fort simple ^ . La troisieme division anglaise devait se porter sur Nivelles ; la premiere la suivre a Braine. La deuxieme et la quatrieme, sous les ordres de lord Hill, devaient suivre le mouvement vers Test et marcher sur Enghien; la reserve de la cavalerie^tait dirig^e sur cette derni^re ville. La brigade hoUandaise du prince Fr^d^ric avait deja recu I'ordre, par lord Hill, de se concentrer a Sotteghem et jusque dans I'apres-midi du 16 elle resta sans autres instructions'. Pour le moment rien n'etait modifi^ aux dispositions qui enjoignaient a Cliassd et a Perponcher de se r^unir a Nivelles ; la division de cavalerie hoUando-belge, sous les ordres de Collaert, devait se transporter des envi- 1 Revue d'J^dimbourg, 1862. 2 GuRWOOD, t. X, p. 474. 3 LOBEN Sels, p. 181. — 109 — rons de Mons k Arquennes, village a I'dcart de cette viUe. Ces mouvements devaient « s'opdrer dans le plus bref d^lai possible » et ils commenc^rent au point du jour par les troupes camples autour de Bruxelles,dont nous n'avons pas encore parl^. Tous convergeaient vers Nivelles, comme point de concentration, et s'ils avaient 4t4 effectu^s k la lettre, on aurait laiss^ les Quatre-Bras et la chauss^e de Bruxelles ouverts k Ney sur une longueur de quelques milles ' ; je dis quelques milles seulement, parce que le corps de reserve qui se tenait pr6t sous les yeux de Wellington, depuisla veille au soir, s'etait ^branl^ au point du jour dans cette direction et s'avangait vers Waterloo. De ce point, ou ils firent une halte de flusieurs heures dans la journ^e du 16, Wellington pouvait les diriger soit sur Nivelles, soit sur les Quatre-Bras, au moment qu'il jtigerait. opportun ^ Cependant la courte nuit du 15 s'etait ^cou- l^e sans qu'un homme de son arm^e eut fait un pas vers I'eniiemi, sauf les troupes hollando-belges qui s'^taient concentrdes sans ses ordres: ' GuRWooD, p. 472, et Duenes. * SiBORNE, t. I, p. 102. — no — Commentaires . Nous ayons an^jonc^ plus haut ^ que nous aurions Toccasion de relever une exception dans un detail de la concentration de Napoleon : elle avait 6t^ concue, sans contredit, de la maniere la plus habile: etcepen- dant la perfection absolue de cette operation, proclamde si haut par les admirateurs du grand capitaine, sM- clipse en quelque sorte, lorsqu'on ddmontre, d'apr^s les propres expressions de I'ordre de mouvement ^ que nous avons cit^ a diverses reprises, expressions con- firmees par Thiers lui-m^me ', que le corps de Gerard, n'etait pas encore compl^tement form^ le 14. Si ce general avait gagn^ un jour ^ demi sur la route de Metz, il aurait ^t^ en ^tat de se mettre en ligne le 15, comme I'^tait Reille ; il aurait pu arriver k midi a Cha- telet, placer toutes ses troupes au dela du pent qu'on lui abandonnait, et combinant sa marche avec ceUe de Vandamme, lorsque celui-ci quittait Charleroi, chasser imm^diatement Zieten compl^tement d^bord^ et le refouler au dela de Fleurus. Dans sa premiere et sa plus fiddle relation S Napoleon dit express^ment que ' p. 68. 2 Voyez p. 91. 3 Thiers, t. XX, p. 5-t. ■• GOURGAUD, p. 58. — in — « ce qui fut cause que le mar^chal Ney n'osa pas se porter la nuit sur les Quatre-Bras, c'est I'occupation prolong^e de Fleurus par les Prussiens ». Cela est vrai jusqu'a un certain point, mais le retard de Gerard, dontle pont n'^tait qu'a 3 kilometres du flanc gauclie de la position ou les Prussiens tenaient Vandamme en ^chec, ce retard eut sur les operations de la journ^e une reaction pluss^rieuse qu'onn'y a pris garde jusqu'a present. Clausewitz n'y consacre pas un commentaire special ^ mais sa relation expose au grand jour I'avan- tage que tira Zieten des deux heures d'arr^t que les Frangais firent sur son front. Cependant si Zieten se trouvait expose a une Eventuality si chanceuse, ilsemble qug ce fut jusqu'a un certain point par sa propre faute. On n'a jamais Eclairci d'line mani^re satisfaisante les motifs qu'il avait eus pour abandonner les ponts qui d^couvraient son flanc en quittant Charleroi et pour les laisser tomber entre les mains de I'ennemi sans les faire sauter et sans lui opposer de resistance. Les rensei- gnements que lui-mSme transmettait aux g^n^raux allies prouvent a I'Evidence qu'il ne s'aveuglait pas sur le danger qui le menacait et Ton n'en comprend que moins qu'il se donndtxsi peu de peine pour y faire face. ^ Clausewitz, p. 57. — 112 — Le retard du corps de Vandamme, et par suite de toute la colonne du centre, est a tous ^gards plus frap- pant et plus grave. Napoleon affirme nettement dans ses Memoires ^ que ses plans avaient 6i6 parfaitement executes dans cette journ^e, et que, bien qu'il n'eilt pas gagn6 Fleurus, son arm^e se trouvait deja plac^e entre celles des Prussiens et des Anglais, maitresse d'atta- quer I'une ou I'autre en detail." Toutes les manoeuvres, dit-il, avaient r^ussi a souhait ». Mais son premier r^cit est en contradiction formelle avec celui-ci ^. Cette expression appliqu^e au retard de Vandamme : « Un funeste contretemps, » ne doit pas que je sache se rap- porter a ce complet succes des manoeuvres; il y a plus: dans un autre endroit du m^me volume des Memoires ', Napoleon parlant des retards de cette journee dit, que « cette perte de sept heures 6tait bien fAcheuse ». Thiers'*' encb^rit beaucoup sur lui dans son appreciation de ce « malbeur » . II adopte I'assertion de I'empereur, ins^ree dans une Reponse aux critiques du general Rogniat ^, qu'il n'etait pas absolument desirable que Vandamme se portdt sur Fleurus ; mais il neglige de ' Memoires, t. IX, p. 77. 2 GOURGAUD, p. 37. 3 Memoires, t. IX, p. 159. * Thiers, t. XX, p. 43. 5 Memoires, t. VIII, p. 196. — 113 — noter que cette opinion est ddmentie a trois reprises par les propres expressions de I'empereur que nous venons de citer ^ et, jaloux de convaincre ses lecteurs que cette perte n'a pas pu naitre du moindre contre- temps, il rejette d^liber^ment la faute du retard de Vandamme ^ sur la negligence de Soult qui n'avait pas, comme Berthier, double et triple I'exp^dition des ordres. Comme I'liistorien fait encore allusion, en deux autres passages ^, a cette soi-disant incapacity de Soult pour son service special, nous sommes tenths de recherclier comment Berthier s'acquittait du sien de son temps et si les erreurs et la negligence dans la transmission des ordres de Napoleon doivent dater de la campagne de "Waterloo. Heureusement que nous avons sous la main les temoignages les plus clairs et les plus directs pour resoudre cette question. Jomini rapporte qu'en 1807 *, la capture d'un seul X messager retarda I'arrivee du corps de Bernadotte de o^vnA/t*. deux jours et le tint eloigne du terrible champ de rfiMi^^AA bataille d'Eylau. Le m^me auteur, ^crivant dans un esprit favorable a Napoleon, mais sans vouloir dissi- muler les fautes de Berthier, d^montre qu'en 1809 s, 1 Voyez plus bas, p. 126, note. 2 Thiers, t. XX, p. 30. 3 /Md.,p. 65et266. * Tie de NapoUon, t. I, p. 346. 5 Ibid., t. n, p. 70. — 114 — au passage du Danube devant Wagram . les ordres de Davoust et d'Oudiiiot envoyerent leurs corps k de mau- vais ponts et obligerent leurs troupes k se croiser r^ci- proquement apres qu'elles eurent franchi le fleuve. Ce ne sont pas meme des exemples Isolds. Jomini, attache a I'dtat-major frangais pendant ces deux_campagnes, assistait avec les m^mes fonctions a Bautzen, en 1813 ' et il rend formellement temoignage que le resultat incomplet de cette grande victoire est du en entier k I'insuffisance des ordres que le mardchalNey avait regus de Napoleon ; or, Jomini dtait attache k Ney en qua- lity de clief d'etat-major. Dans toutes les circ'onstances, il parle non seulement avec I'autoritd d'un grand cri- tique, mais ayec la justesse d'un observateur plein de perspicacity. Comme biographe il est toilt dispose k faire la plus haute estime du genie de Napoleon, lorsque le plan et I'exdcution de ses entreprises marchent de pair ; ce qui ne I'empeclie pas de demontrer qu'en jrois occasions critiques I'dtat-majo r de la grande arm^e ^t§iy;§sM-aU"^es^ous de sa_taclle^^te^,(l^u n. contr6l e^ jdvere. Ces observations nous prdparent mieux a appr^cier quelques croquis du systeme pris dans ses menus de- tails, esquissds par la plume fidele du due de F ezensa c. ' Vie de NapoUon, t. II, p. 294. — lis — Get ecrivain, qui fut constamment attach^ a I'^tat- major franga is de 1806 a 1813 et qui avait observe la conduite de celui-ci dans les revers comme durant une lobgue pdriode de succes, trace un tableau anim^ de ses c6t^s faibles : « Les grandes missions, dit-il',.se faisaient en voi- ture, avec des frais de poste que quelques-uns mettaient dans leur pocbe, en se servant de cbevaux de requisi- tion; mauvaise maniere a tous egards; car, k part du peu de deUcatesse, on ^tait plus mal servi et Ton per- dait un temps prdcieux. Quant aux missions k cheval, j'ai deja dit qu'on ne s'informait pas si nous avions un cheval seulement en etat de marcher quand il s'agis- sait d'aller au galop, si nous connaissions le pays, si nous avions une carte (et nous en manquions toujours). L'ordre devait etre execute, et Ton ne s'embarrassait pas des moyens. Je le ferai remarquer dans des occa- sions importantes. Cette habitude de tout tenter avec les plus faibles ressources, cette volont^ de ne rien voir d'impossible, cette confiance illimit^edans le succes qui avait d'abord ^t^ une des causes de nos avantages, ont fini par nous devenir fatales » . Plus loin, parlant d'un message des plus importants qu'il avait 6t6 charge de transmettre a JNTey, le matin 1 De Fezensao, Souvenirs, p. 118. — 116 — m^me d'Eylau, il ajoute* : « Mon cheval ^tait A^jk ^puis^ de fatigue lorsque je regus I'ordre de parti]r a huit heures du matin, et, me trouvant heureusement en fonds, je rencontrai non sans difficult^ a acheter un cheval r^tif pour me transporter. Je ne connaissais pas les chemins et il n'y avait pas moyen de trouver un guide. Demander une escorte ne se pouvait pas plus que.demander un cheval. Un officier avait toujours un cheval excellent, il connaissait le pays, il n'etait pas pris, il n'^prouvait pas d'accidents, il arrivait rapide- ment k sa destination et Ton en doutait si peu que Von n'en envoy ait pas toujours un second » . , Apr^s un pareil tdmoignage nous serious bien en droit de rejeter la th^orie de Thiers, que I'incomp^- tence personnelle de Soult dans le service de I'^tat- major fat en partie la cause du d^sastre de 1815. Mais nous avons un motif tout particulier pour rejeter ses allegations a ce sujet. Tout en assurant et en rdp^tant k satiate que ses assertions sont bashes sur une com- paraison minutieuse des rapports ofliciels et des rela- tions de t^moins oculaires, il est tr^s-rare que Thiers veuille bien citer les autorit^s originales qu'il pr^fere suivre. Quelle valeur pent avoir k nos yeux le jugement que porte sur le service de I'^tat-major de Napoldon, 1 De Fezensac, Souvenirs, p. 145. — 117 — un ^crivain qui ne se fait pas scrupule de declarer que « plusteurs » offlciers ^ furent d^pSclies la nuit qui pr^- c^da la bataille d'Eylau, pour rappeler Davoust et Ney, tandis que le t^moignage du due de Fezensac — ^ rendu apres qu'il etit lu cette assertion — nous prouve que le seul ordre qui flit jamais expddi^ k Ney a cet eflfet, dtait contenu dans le simple message qui lui fut trans- mis le matin de la bataille par de Fezensac lui-m^me? En poursuivant, nous rencontrerons bien d'autres alle- gations erron^es faites par M. Thiers, m§me a propos de details purement frangais, et plus graves que celles que nous venons de relever. M. Thiers ayant reconnu la verity au sujet de la desertion de Bourmont ^, il pourrait paraitre superflu de signaler I'inexactitude des ecrits de Sainte-Hel6ne qui disent que ce traitre d^serta le 14 au soir* ou pen- dant la journee « du 14 » . Ces assertions, malgre leur divergence, ont donne le change a une foule d'ecrivains, et la somme de croyance qu'il faut accorder k leurs dires en ce qui conceme le caractere personnel de Napoleon, est une des branches les plus importantes de notre sujet. Aussi, est-il ndcessaire d'etabUr p^remp- 1 Thiers, t. VII, p. 372. 2 Voyez ci-dessus, p. 94. ' M4moires, t. IX, p. 162; Gourgaud, p. 34. — 118 — toirement, chose dont il semble qu'on se soit trop peu occupy \ que cette date du 14 assignee a la fuite de Bourmont cache une arriere-pensee calculee, origi- naire de Sainte-Helene. Le bulletin de la soiree du 15 le prouve a suffisance ; apres avoir mentionne le rap- port de Gerard relatif a la desertion,- il ~ajoute que ce g^n^ral est arrive le meme soir a Chdtelet. Ce n'est pas le seul exemple ou nous verrons-que Napoleon ecrivant I'histoire est g^n^ralement beaucoup moins exact que Napoleon Ecrivant ses bulletins ! Hooper^ a donn^ une note^ remarquable a propos du temoignage de sir F. Head sur I'arrivde de Bourmont a Charleroi. Get auteur semble avoir perdu de vue la relation du colonel Janin que nous avons citde plus haut^, autrement il ne se fttt pas avise d'avancer, comme il le fait trop leg^- rement, que Soult negligea d'envoyer a Vandamme I'ordre de marche. Les details que nous avons donnas du mouvement concerts par les allies, dans I'^ventualite de I'invasion meme qui se r^alisa, prouvent amplement qu'ils avaient parfaitement reconnu d'avance I'importance du triangle de Charleroi, Quatre-Bras et Sombreffe. On dit en 1 Documents, p. 141. 2 Hooper, p. 68. 3 Ibid.; voyez ci-dessus, p. 93. — 119 — g4ii6ral, etSiborne' affirme positivement que les deux angles nord en avaient ^te respectivement designds pour la concentration des deux armies alliees ; cette assertion ne s'est jamais appuyee sur des preuves bien claires, et nous devons admettre que Muffling, officier d'une experience consommde, possddant la confiance des deux marechaux, parfaitement au courant des dis- cussions strategiques de la conference de Tirlemont, est mieux informe que personne lorsqu'il assigne a cette concentration un point a plusieurs milles au sud et "plus rapproche de Charier oi-. Ce plan est d'autant plus vraisemblable, que cette position mettait les armies en ^tat de se prater un mutuel appui, tandis que les positions de Ligny et de Quatre-Bras, admises par Siborne et d'autres auteurs, laissaient entre leurs deux , ailes un espace de plusieurs milles. La retraite bardie de Zieten sur Fleurus et Ligny, son babilet^ a r^unir ses divisions ^parpill^es pendant le mouvement, et I'intrepiditd avec laquelle il retint Vandamme devant la premiere de ces places, ont depuis longtemps attire I'admiration des critiques militaires. Le colonel Hamley, dans son excellent ouvrage sur la guerre' le propose pour exemple de la conduite k 1 Siborne, t. I, p. 39. ' * Voyez ci-dessus, p. 97. 3 Operations de la guerre, p. 128 etseq. ^^-^^ — 120 — suivre dans une operation de ce genre et nous nous con- tenterons de renvoyer le lecteur a ce livre pour les de- tails. II ne faut pas oublier en mSme temps qu'il' ne semble pas y avoir de bonnes raisons pour justifier I'abandon des ponts de la Sanabre, que nous avons signals plus haut', et le ddfaut de communications im- m^diates avec le prince d'Orange et le general Dorn- berg, a Mons, qui devaient couvrir la retraite des corps prussiens sur leur gauche. Si Ton avait maintenu une liaison plus serree entre les vedettes de Zieten^ ^chelonnees de Thuin a B onne-Esper ance, et celles de Dornberg, a I'ouest de cette place, ce dernier aurait ^t^ averti plus t6t' que les Frangais s'avangaient en force sur Marchiennes et il aurait bien prevenu les lettres que Zieten transmettait a Bruxelles avec une lenteur qu'on ne saurait excuser enaucun cas. II faut ajouter que la perte des Prussiens , g^n^ralement ^valuee k 1,200 hommes pour cette journ^e*. est pass^e sous 1 Ci-dessus, p. 111. 2 Recueil des batailles, p. 12. 3 II a 6t6 d6raontr6 par le journal du gSn^ral Rebecque (public par le MilitarWochenblattdiB Berlin, 1846, que Stelnmetz.le chef de brigade prussien le plus rapproch^ de I'arm^e anglaise, envoya un message d'alarme, 4 8 heures du matin, a Van Merle, commandant hollandais post6 dans son voisinage. En admettant la v6rit6 de cette assertion, la tardive arriv^e des avis transmis 4 Bruxelles semble prouver que les mesures prises ^taient insufflsantes ou qu'elles n'avaient pas 6t6 prises assez t6t, et peut-gtre I'un et I'autre. ■• Recueil des batailles, p. 16. — 121 — silence'; le rapport du 16^ omet ^galement de rensei- gner les manquants. Mais nous trouvons dans la rela- tion offlcielle « qu'un bataillon fut enfonc^ par la cava- lerie, sabr^ ou pris » et qu'un autre « atteint par I'ennemi, perdit les deux tiers de son effectif ^ » La parte des deux journ^es du 15 et du 16, r^duite a 12,078 liommes par les rapports oiflciels^, est port^e a 20,900, entermes expres, dans la premiere relation de Muffling. La difference porte naturellement sur les manquants, enpartieprisonniers, et il est raisonnable d'ajouter au chiffre de 1,200 avou^ par Zieten, un chiffre de ces derniers suffisant pour completer celui de 2,000 auquel les historiens francais ^valuent ses partes. A parfcela et les reserves que nous avons faites, la retraite qu'il sut conduire avec tant d'habilet^ devant les forces redoutables qui le pressaient, ne laisse pas de faire a jamais bonneur au general prussien. Nous aUons aborder un des points les plus contro- vers^s de ceux qui se rattacbent a I'bistoire de la cam- pagne, les ordres que Napoleon donna verbalement a Ney dans I'apres-midi du 15, et I'esprit dans lequel ils furent .ex^cutds. On ne peut pas douter que, si Ney eiit ' Recueil des batailles, p. 47. 2 Ibid., p. 12. 3 Ibid., p. 15. * Ibid., p. 47; Muffling, Histoire, p. 10. — 122 — attaqu^ vivement le prince Bernard, il n'elit emport^ la position des Quatre-Bras en un clin d'oeil ; car bien que son infanterie fut pen superieure en nombre a celle de Nassau \ elle lui ^tait infiniment superieure par la valeur morale, etant composee de veterans et appuy^e en outre par une excellente cavalerie de 4,000 sabres, k laquelle le prince Bernard n'avait pas un seul cava- lier a opposer. Or, pour se rapprocber des Prussiens, sur quelque point que ce fAt, les troupes de Wellington devaient passer par les Quatre-Bras et cette position, dans ce cas, ^tait naturellement indiqu^e pour operer la jonction de la reserve avec le P"^ et le 2^ corps par le chemtn le plus direct. En un mot, nous savons aujour- d'hui que ses troupes avaient le plus grand int^rSt a se maintenir sur ce point, et nous le savons mieux que Wellington ne put s'en rendre compte ce jour la, avant d'etre inform^ de la marche exacte des Frangais. C'est une remarque importante pour appr^cier au juste la responsabilit^ que Ney encourut en s'arretant a Frasnes. On a ^crit des volumes au sujet de cette faute et de deux autres qu'on reproche au mar^chal frangais. Mais nous pouvons nous passer d'une bibliotheque de controverse, grdce a la note sp^ciale que M. Thiers a 1 Charras, p. 90; Thiers, t. XX, p. 46. — 123 — consacrle a la question qui nous occupe', note dans laquelle il plaide la cause de I'empereur centre Ney avec toute la vigueur et I'habilete qu'on pent attendre d'un avocat non mediocre, et de maniere a decourager ceux qui voudraient y apporter de nouveaux argu- ments. En analysant tout ce qu'U dit, on arrive au r^- sum^ fidele que voici : quatre personnes ^taient pr^- sentes au colloque qui eut lieu pres de Charleroi : Napoleon, Ney, Soult et le colonel Heymes, le seul aide de camp qui accompagndt le marechal lorsqu'il vint rendre compte de ce qu'il avait fait. Ney mourut avant qu'aucune contestation s'elevdt a son sujet; Soult contredit avec d'autres une declaration qu'il avait faite au fils de Ney, le feu due d'Elchingen, que son pere n'avait pas regu I'ordre de se porter aux Quatre- Bras ; par consequent le temoignage de Soult doit etre mis hors de cause ; Heymes, il est vrai, declare que I'ordre etait congu en termes gdndraux : « Allez et poussez VennemP »; mais le temoignage d'Heymes doit etre rejete parce quHl ecrivit son recit expressement " pour prouver que le marechal n'avait pas commis une seule faute ». II reste done le temoignage unique de Napoleon, et Napoleon doit etre cru parce que, dans 1 Thiers, t. XX, p. 47, et seq. note. * Mimoires, t. IX, p. 251. — 124 — sa premiere relation de Sainte-Helene, il donne des details si precis de la conversation « qu'il est impossible de suppoSer qu'il aitfalsifi^ lav^rite' ». Or, sans sou- mettre le t^moignage de Napoleon a une ^preuve aussi rigoureuse que celle appliqu^e par I'Mstorien au t^moi- gnage d'Heymes, ^preuve qui le condamnerait ^videm,- ment sans remede, nous pr^ferons reclierclier I'opinion de Thiers lui-meme sur la v^racit^ de Napoleon dans une circonstance pareUle, qui s'^tait produite anterieu- rement. Deux ans avant la campagne de "Waterloo, le corps de Vandamme avait ^t^ d^truit a Kulm, pour s'Mre aventur^ t^m^rairement sur les derrieres de . I'arm^e alli^e. Pendant quelques jours Vandamme lui- meme passa pour mort : il n'etait que prisonnier. A quoi son maitre employait-U son temps pendant ces entrefaites? Nous laisserons Thiers nous I'apprendre en ces propres termes ^ : « Le secretaire du g^n^ral Vandamme ayant reparu, Napoleon fit saisir les papiers du g^n^ral pour en extraire sa correspondance militaire, et enlever la preuve des ordres envoy^s h cet infortun^. Napoleon eut m^me la faiblesse de nier I'ordre donne de s'avancer sur Tceplitz et il ^crivit 4 tons les chefs de corps que ■ GOURGAUD, p. 40, n. * Thiers, t. XVI, p. 400. — 125 — ce g^n^ral avait regu pour instruction de s'arreter sur les hauteurs de Kulm, mais qu'entrain^ pat trop d'ar- deur, il s'dtait engage en plaine et s'^tait perdu par exc^s de zele. Le recit authentique que nous avons pr^sent^ prouve la faussete de ces assertions » . Or, c'est de ce m^me Napoleon que Thiers' voudrait nous faire accroire, que trois ans plus tard, lorsqu'il composait le r^cit de Gourgaud, « il est celui des con- temporains qui a le moins menti et qu'il comptait assez sur sa gloire pour ne pas la fonder sur le d^cri de ses .lieutenants ! » Le systeme qui entralne un historien k des contradictions aussi violentes avec lui-meme, est as- surement peu fait pour inspirer de la confiance! Env^- rite, si Ney ne s'en exprima point, son action confirme le recit d'Heymes et celui que Soult fit au fils de Ney, et elle contredit absolument la version de Temper eur. « Mais, continue Thiers, apres avoir discut^ les tdmoignages, il y a un autre genre de preuve, supd- rieur selon moi, a tons les temoignages humains, la vraisemblance » . Examinons done la question a cette lumi^re nouvelle. En avangant de Charleroi sur les deux c6t^s du triangle de Fleurus, Napoleon avait I'in- tention d'occuper a la fois les Quatre-Bras et Som- breffe, s'il ^tait possible, et sinon, de s'emparer du 1 Thiers, t. XX, p. 49, n. — 126 - premier de ces points et non de I'autre. C'est una ques- tion de probabilit^s que le g^n^ral Jomim\ critique Eminent et ^crivain tout a fait favorable k Napoleon, a discut^ particuli^rement. Jomini se prononce pour la v^racit^ de la relation de Gourgaud, mais en se basant sur des arguments qui d^montrent une fois de plus le danger de faire des tb^ories sans que les faits soient bien constates. L'ordre positif de marcher sur les Quatre-Bras, doit avoir ^te donne, pense-t-il, de la meme maniere que l'ordre fut donnd a Groucby, de marcher sur I'autre route, pour s'emparer de Sombreffe, s'il ^tait possible-. Car, ainsi que I'ecrivain en fait plus baut ^observation^ « il suffit de jeter un coup d'oeil sur la carte pour se convaincre qu'il ^tait ndcessaire d'oc- cuper les deux positions ». Thiers* s'est cependant donn^ la peine de prouver par les propres paroles de Napoldon, que le dessein arr^t^ de I'empereur n'^tait pas d'occuper Sombreffe cettenuit^ : selon ses propres paroles et suivantune de ses relations®, « c'^tait \k pr^- 1 Jomini, p. 153. - Ibid., p. 154, n. 3 Ibid., p. 153. * Thiers, t. XX, p. 43. '■ Mdmoires, t. VIII, p. 196. ° La version que M. Thiers adopte ici est emprunWe & la discussion de quelques points de strat^gie, introduite par Napoleon dans sa r(5futation des Considerations sur Vart de la guerre, du gfin^ral Ro- gniat. Mais il faut remarquer qu'elle est en contradiction avec les — 127 — cisdment ce qu'il dvitait avec un soin tout particulier » . En thdorie done, si Ton regarde Jomini comme une auto rite, les Quatre-Bras ne pouvaient pas ^tre occupds pendant la soiree, puisque Sombreffe ne I'etait pas et ne devait pas I'fitre, et que Ney, lancant-son avant- garde sans ^tre appuye par un mouTement corrdlatif au sien, aurait ete risquer ses destinies prdcisdment entre les forces incertaines de I'armee britannique, d'un c6te, et celles d'un corps prussien considerable, certai- nement presentes, del'autre'. « S'il I'avait fait, observe Quinet, dans un cbapitre admirable qui mdrite d'etre dtudie, on I'ellt taxd de tdmerite et non sans raison ; la preuve stratdgique s'alHe done ici k I'evidence des docu- ments^ ». Si ces arguments ne suffisent pas, il nous reste pour terminer I'examen de cette question, a citer un extrait de la derniere version de I'empereur lui-mSme, qui, si eUe etait digne de foi, deciderait la question contre son propre auteur '. « Ney, dit-il, reQutVordre dans la nuit, de se porter le 16 a la pointe du jour en avant des autres versions de I'ex-empereur,. contenues dans la relation de Gour- gaud et dans le tome IX des M4moires; discordance qui n'6tonn'era, d'ailleurs, aucun de ceux «[ui se sont livr^s A, I'^tude critique des Merits de Sainte-H616ne. ' Quinet, p. 92, etseq. 2 Ibid, p. 103. s, t. IX, p. 79. — 128 — Quatre-Bras, et d'occuper une bonne position k clieval sur la route de Bruxelles, en gardant les chauss^es de Nivelles et de Namur « ; de faire, en un mot, ce qu'en d'autres endroits Napoleon affirme lui avoir et^ ordonne dans la soirde pr^c^dente. Et tout cela est ecrit sans un mot d'allusion a une negligence quelconque du ma- r^clial dans I'ex^cution de ses premieres instructions ! Passons aux operations de I'autre camp. Nous avons vu qu'U revient le plus grand honneur au prince Ber- nard pour avoir occupe tout d'abord les Quatre-Bras, honneur partag^ par Rebecque et Perponcber, pour I'approbation qu'ils donnerent a ceplan. Ce qui releve consid^rablement le merite de sa conduite, c'est que le jeune prince ^tait cbargd pour la premiere fois, ce jour-la, du commandement d'une brigade. Mais ici encore M. Thiers fait preuve d'une staguliere negli- gence dans les details qui concernent les allies, en fai- sant marcher le prince Bernard de Nivelles aux Quatre- Bras, avecses 4,000 hommes,de sonpropre chef ^ Sans doute ilfait beaucoup d'honneur au prince de cette manoeuvre, mais il est douteux que Perponcber ftlt du meme avis ; car enfin le jeune commandant n'aurait pu Tex^cuter qu'en quittant sans ordre le poste qui servait de quar tier-general a son propre chef de division, \k 1 Thiers, t. XX, p. 46. — 129 — present, et cela « par une inspiration de simple bori sens 1 n , exploit bien remarquable en effet au point de vue militaire et vraiment digne' d'un chef de brigade quel qu'il fut ! Ce serait demi-mal si nous n'avions pas a relever chez I'iUustre historien des inadvertances moins innocentes que celle-la, par exemple ce qu'il dit du mouvement des troupes de Perponcher, dont nous allons vous entretenir. II n'y a que peu de chose a dire de la c^lebre mdprise que commit Bulow dans I'interpr^tation des ordres qu'il avait recus, les faits tels que nous les avons donnes", ^tant parfaitement reconnus pour exacts. Son exemple servira de lecon aux gdndraux de I'avenir qui se trouveront dans la position de Gneisenau ; il leur apprendra a rediger les premieres instructions d'une campagne impr^vue de fagon qu'on ne puisse pas sup- poser qu'il s'agit d'une manoeuvre ordinaire. Quelques \ y( lignes d'eclaircissement pour mettre Bulow au courant de la situation n'auraient point froisse ce gdn^ral, qui avait lui-m^me exerce avec honneur un commandement en chef, et cette simple precaution aurait ^pargn^ une erreur que les Prussiens payerent trop cher par la perte de 30,000 hommes a I'heure du danger. ' LoBEN Sels, p. 130. 2 Voyez ci-dessus, p. 104. — 130 — L'inaction de "Wellington pendant la journ^e du 15 ne pent ^tre pass^e sous silence, m^me dans le plus rapide aperQu des faiis strat^giques de cette campagne. Comme on pouvait s'y attendre, elle a trouv^ des cen- seurs severes et des ddfenseurs ardents. Parmi ces derniers nous citerons surtout Hooper \ qui s'applique k prouvei- que les premieres instructions de Wellington contenaient tout ce qu'il dtait opportun de faire d'apr^s les informations regues dans I'apres-midi. Mais cette ddfense est sapee par la propre relation du due, dent nous avons cite un passage dans notre recit-. 11 est vrai que ses souvenirs n'dtaient plus tres-exacts lors- qu'il ^crivit cette relation ; mais en disant qu'au premier ■| avis qui lui parvint, a trois heures de I'apres-midi, I toute I'armee fut immediatement dirig^e sur sa gauche, j' Wellington ne faisait evidemment qu'exprimer en 184E son propre sentiment 'sur ce qu'il aurait dtl faire en 1815. Ce n'est pas r^futer la critique que de dire avec Hooper que Wellington, « toujours calme et maltre de lui-mfime, se contenta d'exp^dier des ordres vers cinq heures du soir pour rassembler les divisions ^parses ' » . C'est I'assertion d'un fait, ce n'en est point 1 Hooper, p. 79, etc. 2 Voyez ci-dessus, p. 105, note. 3 IIOOPKK, p. 81. — 131 — la justification. Le m^me auteur s'est donn^ beaucoup de peine ^ pour d^fendre Wellington contre la critique de Charras, et il est parvenu a y d^couvrir en effet une erreur, relativement au temps que I'alarme parvint au due, erreur provenant de la connaissance imparfaite que Charras avait de la langue anglaise-. Mais lui- m^me passe les bornes de la saine critique lorsqu'il reproche a Charras la reflexion suivante, « qu'ainsi le peu de troupes qui occupaient la route de Bruxelles devaient se replier dans le cas d'une attaque sur I'aile droite des Prussiens et sur la gauche des Anglais. » Ces propres termes se trouvent employes dans I'ordre donn^ a la division anglaise d'Alten, et non dans celui de la division Perponcher, c'est vrai ; mais il est de fait que I'ordre donn^ a ce dernier de rassembler ses Hol- lando-Belges a Nivelles, all kilometr_es_de lajchauss^e de_ Br uxelles, constitue pr^cisement I'erreur dont se plaint Charras. En eifet, Hooper^ admet dans le meme paragraphe que Perponcher prit sur lui de desob^ir et qu'il en merite des ^loges, assertion qui rdgle la ques- tion de fait quant au sens propre de ses instructions. Hooper affirme dans le meme paragraphe, avec raison ' Hooper, p. 82. 2 Charras, p. 10. 3 Hooper, p. 84. — 132 — sans doute, que Wellington aurait fait ce que fit Per- poncher s'il se filt trouv^ a Nivelles ou a Braine. C'esl resoudre le probleme. Wellington dtait-il bien a sa place a Bruxelles le 15 et surtout dans la soiree et apres les nouvelles qu'il avait regues de ses avant- postes? Clausewitz^ dit nettement que le quartier- gendral du due aurait du ^tre transporte a Nivelles, a la premiere nouvelle de la concentration des Francais. Cette observation, comme celles des autres critiques du continent, paraitra peut-^tre peu importante ; mais il ne le sera pas peu d'observer que Muffling, le critique de cette categorie le plus favorable au due, se rencontre exactement avec son compatriote sur ce point. Tout en niant que les cantonnements anglais fussent trop dis- perses, il ajoute^ que " si le due avait quittd Bruxelles le 14, n aurait pu entendre la canonnade le 15, a neuf heures; et Napoldon, dans ce cas, aurait pass^ le 16 sous les fourches caudines » . Ce ne sont point la les opinions qui ont vulgairement cours parmi la masse des dcrivains anglais, mais elles sont en substance identiques a celles de deux critiques modernes de notre pays, admirateurs determines de Wellington et qui n'ont rien epargne pour faire mieux I Clausewitz, p. 46. * Muffling, M6moires, p. 233. - 133 — apprdcier sa veritable grandeur. Le colonel Hamley ' | /jJitiutA. dit apropos du sdjour de Wellington a Bruxelles, qu'il | aT^ l^ftj. lui avait fait perdre des minutes d'or. En se portant de | h sa personne a Charle roi a la premiere alarme, il se fdt assure par lui-meme que Napoleon ne faisait pas une feinte et, le lendemain matin, il elit pu rassembler des troupes en force suffisante pour battre Ney et secourir Bliicher. Kennedy^ va plus loin et declare que, avant le 15, les deux arm,des auraient dA etre cantonnees beaucoup plus pres de Bruxelles, de sorte qu'au premier avis de la marche des FranQais, le corps de Bliicher eut pu se masser aux environs de Genappe et celui de Wellington a Hal ou dans quelque position analogue, qui leur permit de se prater un mutuel appui. Recapitulation . Rdsumons la journde du 15 dans I'ordre des faits. On a vu que Napoleon, par suite de ses dispositions 'incompletes, ne reussit .pas a jeter toute son armee au dela de la Sambre, comme il en avait le dessein ; a la nuit cependant il avait deja 100,000 bommes sur la rive gauche ; que les gendraux allies avaient fort bien ' Carriere de Wellington, p. 77. 2 Kennedy, p. 171, 172. — 134 — prdvu I'dventualit^ qui devait se realiser et qu'ils avaient d'avance, arr^t^ I'occupation de certaines posi- tions du triangle de Fleurus ; que Bliiclier avait un de ses corps d'arm^e installs sur le terrain reconnu et deux autres non loin de Ik, mais qu'il ne put pas rallier son quatrieme corps a une distance commode; que Wellington n'envoya pas un seul homme au devant de I'ennemi et qu'il ordonna une concentration de ses troupes qui aurait eu pour effet de laisser a Ney la liberty de pousser en avant jusqu'a B3 kilometres de Bruxelles ; que Napoleon enfin, tenait en sa posses- sion, d6s le premier jour de la campagne, tout le ter- rain sur lequel les Anglais devaient le rencontrer, tandis que son avant-garde occupait une partie de celui originairement assign^ a Bliiclier. Les choses ainsi ^tablies, on peut afflrmer en toute certitude que la balance de la strat^gie penchait de son c6t^. QUATRIEME CONFERENCE. EVENEMENTS DU 16. — COfflENTAlRES. — RECAPITULATION. Les premiers mouvements de Napoleon lui ayant assure le 15 des avantages si marques, on a toute la difficulte du monde a s'expliquer qu'il fit si pen le len- demain matin pour completer I'ex^cution de son plan de surprise. Ney passa plusieurs heures avec I'empe- reur et le quitta seulement vers deux heures du matin \ sans avoir regu des instructions positives sur les mou- vements du lendemain. Un rapport de Grouchy, dat^ de six heures du matin ^, annonga a Napoleon d&ja leve depuis un certain temps, que I'armee prussienne (c'^tait la colonne de Pirch. qui operait sa jonction avec ceUe de Zieten) se deployait en avant de Fleurus. Char- ras a prouv^ par un document ^crasant ^ que ce ne fut pas avant huit heures du matin que Temper eur ' Charras, p. 114; Thiers, t. XX, p. 52. 2 Charras, p. 117 ; Thiers, t. XX, p. 61. 3 Charras, p. 117. — 136 — combina les dispositions sur lesquelles devaient pivo- ter les mouvements de la journ^e et qu'on exp^dia des instructions en consequence.. Toute I'armee devait etre form^e sur deux ailes, occupant chacune un c6te du triangle de Fleurus. Grouchy prenait le commande- ment des corps de Gerard et de Vandamme et trois des quatre corps de la cavalerie de reserve ^ Avec cette force il devait « marclier sur Sombrefie et y prendre position ». Aussitot qu'il se serait rendu maitre de Sombreffe, il lui etait prescrit d'envoyer une avant- garde a Gembloux (gros village a 8 kilometres au nord-est) et de faire reconnaitre toutes les routes qui aboutissent a Sombreflfe, particulierement la grand'- route de Namur, se mettant ainsi en communication avec le mar^chalNey. Le corps restant de la cavalerie de reserve, celui de Kellermann, avait d^ja etd r^uni au commandement de ]^ey, comme nous avons vu ^. Une dep^che de Soult ', ordonnait au mar^chal de mettre ses troupes en marche pour les diriger sur les Trois-Bras (Quatre- Bras), d'y prendre position et de pousser des recon- naissances sur les routes de BruxeUes et de Nivelles. 1 Voyez I'oi'dre original dans les Mimoires, t. IX, p. 333, etc. * Voyez cl-dessus, p. 99. ' Original dans Siborne, t. I, p. 449, ciW par Charras, p. 116. — 137 — « S'il n'y avait pas d'inconv^nient, » il devait dtablir une division avec de la cavalerie a Genappe et poster une autre division a Marbais \ en pla^ant la cavalerie de la garde a proximity de I'une et de I'autre. L'em- pereur, ajoutait-il, va se porter sur SombreflPe ». Les ordres de Grouchy ^taient mentionnes pour informa- tion. Pendant que Soult ^crivait cette lettre ^, Napoleon en dictait une s^par^e pour Ney, qui ne faisait que r^p^ter I'autre avec un peu plus de details : il porte Grouchy en avant; lui-m^me sera a Fleurus avant midi; il y attaquera I'ennemi, s'il le rencontre, et ^clai- rera la route jusqu'a Gembloux. « La, ajoute-t-il, d'apres ce qui se passera, je prendrai mon parti, a trois heures apres-midi ou peut-^tre ce soir. Mon intention est que, imm^diatement apres que j'aurai pris mon parti, vous soyez pr^t a marcher sur Bruxelles. Je vous appuierai avec la garde et je desirerais arriver a Bruxelles demain matin » . Suivent les details de la marche pro- pos^e, de la position temporaire qu'il doit prendre aux Quatre-Bras et en avant, du principe adopts par I'em- pereur de diviser I'armee en deux ailes, sous les ordres 1 Marbais est un village situ6 quelques centaines de m6tres au nord de la route de Namur a Nivelles, exactement a mi-chemin de Som- breffe et des Quatre-Bras. 2 SiBORjsE et Gharras, t. I, p. 449. — 138 — de Grouchy el de Ney, avec une reserve (les troupes non attachees aux marechaux) placee sous son propre commandement. II engageait particulierement Ney a menager la cavalerie de la garde et a employer plutot celle de la ligne s'il y avait quelque echauffouree avec les Anglais. Gerard, qui n'^tait pas tout a fait a 6 kilometres de Charleroi, affirma qu'il n'avait regu ses instructions qu'a neuf heures et demie *; les autres generaux, de ce c6te, regurent sans doute les leurs a une heure corres- pondante. A gauche, vers la route de Bruxelles, le comte Flahault se trouva a Gosselies vers dix heures, porteur de I'ordre que I'empereur envoyait a Ney^ et en communiqua le contenu a Reille, dont le rapport mentionne qu'il passa par son quartier apres dix heures ; il ne tarda pas a rejoindre Ney, qui attendait a Frasnes, vers onze heures du matin, selon le temoi- gnage du colonel Heymes '. Le mar^chal avait ^te reconnaltre la position des Quatre-Bras, maintenant occupee par toute une division hollando-belge, avec le prince d'Orange et son ^tat-major, et il avait d^peche un officier pour pr^venir I'empereur que I'ennemi se ' Charras, p. 117, d'aprds les Documents publics par Gerard. - Voir sa lettre ^Ney dans Siborne, t. I, p. 451. ^ Chakras, p. 181. — 139 — montrait en masse sur ce point '. On lui r^pondit par une troisi^me d^pdche, envoy^e apres I'ordre offlciel de Soult -, un pen postdrieur d6ja a celui transmis par Flahault, comme le prouvent les differents textes. Ney devait reunir les corps de Reille et d'Erlon avec celui de Kellermann (la cavalerie de reserve raise a la disposition du mar^chal), et avec ces forces attaquer et culbuter tons les ennemis qui auraient pu se presenter devant lui. « Bliicher, lui disait I'empereur, ne peut pas avoir pousse ses troupes jusqu'aux Quatre-Bras, puisque hier encore il ^tait a Namur; vous n'avez done affaire qua celles qui viennent de Bruxelles » . Au regu de la lettre de I'empereur ^, Ney transmit imm^diatement ses instructions a Reille, qui devait porter une division sur Genappe ; une seconde division devait I'appuyer et les deux autres s'avancer jusqu'aux Quatre-Bras; d'Erlorr devait occuper Frasnes avec trois divisions , en d^tachant la quatrieme sur Marbais ; KeUermann et la cavalerie de la garde, s'arreter pour le moment a Frasnes. On se souviendra, cependant, qu'une des quatre divisions de Reille avait 6te detach^e la nuit pr^c6dente et laissde pres de Vandamme, au ' Ce rapport est perdu, raais on le connalt par la r^ponse qui y fut faite. ^ Voir I'original dans les M4moires, t. IX, p. 337. ' SiBORNE, 1. 1, p. 451. — 140 — village de Wangenies. Le general Girard qui la com- mandait setait apercu que les Prussiens se formaient sur les hauteurs de Ligny et il en fit rendre compte a Reille par un officier. En recevant cet avis, Reille ne voulut pas avancer, comme I'y engageait Flahault, mais il renvoya I'officier de Girard a Ney pour lui transm'ettre son message et lui demander des instruc- tions 1 — precaution naturelle si Ton considere qu'en marchant sur Frasnes, il aurait eu les Prussiens a 6 kilometres de la droite de sa colonne. Vers onze heures, soit en execution des ordres de Ney, soit que I'appreciation du danger se fut modifi^e, Reille se mit en mouvement -; mais ses troupes avaient 10 kilo- metres de marche a faire pour rejoindre Ney et la di- vision de Foy, qu'il commandait, ne pouvait atteiiidre Frasnes, au plus t6t qu'a une heure; la il lui fallait encore se former et se d^ployer. 11 etait deux heures lorsque les Frangais deboucherent en force, venant de Frasnes, suivant le rapport du prince d'Orange ', tdmoin oculaire charge d'un commandement important, d'un c6t^, et la Notice historique de Reille, de I'autre *, 1 Lettre de Reille, dans Siborne, t. I, p. 452. 2 RErLLE, Notice historique, cit6e par Charras, p. 151. ^ Documents, p. 86. • Charras, p. 155. — 141 - plus t6t meme, a en croire I'assertion d'Heymes i, par- lant au nom de Ney, et celle de I'officier hoUandais de la division Perponcher, auteur de plusieurs relations qui placent toutes I'attaque reelle entre une et deux heures -. C'est a ce moment que commenca, du c6t^ des Francais, la bataille des Quatre-Bras. A trois heures et demie les troupes hoUandaises qui tenaient t6te a Ney furent rudement refoulees sur la route de traverse, de I'aveu meme de leur propre historien, mais elles resterent cependant maitresses du petit bois qui les couvrait ^. II est tres-important d'insister sur ces details, parce que c'est surtout le temps qui a servi a stayer les trop uombreuses fictions par lesquelles I'histoire de Waterloo se trouve defiguree dans cette partie de la campagne. Nous avons laisse Napoleon expediant. ses ordres entre huit et neuf heures du matin. On ne pent pas dire que la premiere partie de la journ^e eiat 6t6 com- plement perdue , puisque les Francais restes sur la rive droite de la Sambre avaient operd leur passage a Charier oi et a Chatelet et rallie le restant de I'armde. Vandamme et le restant des troupes qui avaient bivoua- ' Mimoires, t. IX, p. 256. 2 LOBEN Sels, p. 190. 3 Ibid., p. 195. — 142 — qu^ en avant de Fleurus la nuit pr^c^dente, avaient maintenant d^passe cette ville abandonn^e par les Prussiens, et pris position dans la vaste.plaine qui s'etend au dela, en vue des hauteurs de Ligny i. Napo- Idon ne vint les rejoindre que vers midi. Le corps de Lobau avait ete laiss^ provisoirement a la jonction des deux routes pres de Charleroi, mais la garde suivit I'em- pereur et se ddploya sur le front de la position que I'en- nemi occupait maintenant avec des forces imposantes. Napoleon avait en ce moment avec lui I'aile assignee a GroucHy, plus I'infanterie de la garde et la division ddtacliee du corps de Reille qui avait passe la nuit sur la gauche de Vandamme a Wangenies (a deux reprises , Thiers cite Wagnel^e , ce qui est una erreur -) et qui resta toujours detach^e de son corps d'armde. Ses forces, sans compter les non-combattants du train, dtaient rdparties a midi de la maniere sui- vaute ^ : Avec Ney 45,000 » NapoMon 64,000 )) Lobau (pour les appuyer) . . . 10,000 En arrifere 5,000 124,000 • Charras, p. 118; Thiers, t. XX, p. 74. 2 Thiers, t. XX, p. 54, 72. 3 Charras, p. 125; Thiers, t. XX, p. 63. — 143 — A deux heures, le chef de I'arra^e frangaise avait pris son parti ; une courte d^peche ^ annongait h Ney que « Grouchy attaquerait a deux heures et demie un corps ennemi postd entre Bry et Sombreffe - ; Ney de- vait attaquer aussi ce qui ^tait devant lui, et apres I'avoir vigoureusement presse, se replier et concourir a envelopper le corps en question. Si celui-ci ^tait en- fonce auparavant, I'empereur ferait manoeuvrer dans la direction de Ney. Vers trois heures, un peu plus tard que le moment fix6, la bataille de Ligny ^tait effective- ment engagde par Grouchy ; il y avait a peu pres une heure que Ney avait debouche de Frasnes '. Passons aux allies. Nous n'avons pas beaucoup a )^(pAlA dire des Prussiens ; a I 'heure q ue Napoleon expediait ^ti'V^ > ses ordres de la matinee, nqn^seulement Pirch, mais ^^V^f^ aussi Thielemann avaient attaint le champ de bataille / , d^signd et Bliicher attendait avec 87,000 hommes, le Ji choc de ce qu'il prenait pour I'armee ennemie tout en- ^ ti^re.Biilow etant trop dloign^ pour lui rendre quelque service ce jour-la. ■* Du c6te des Quatre-Bras, ou il n'y 1 Original dans Siborne, 1. 1, p. 453 ; Charras, p. 122. 2 Village a 2 kilometres N.-O. de Ligny, sur la crete du plateau, ce dernier Tillage 6tant sur la pente, au centre de la position des Prus- siens, et Saint- Amand sur leur droite. 3 GouRGAUD, p. 48 : " A trois heures " ; Recueil des batailles, p. 28 : » Vers trois heures ". ' Voyez son Rapport, Doc, p. 89. — 144 — avait eu la nuit prdc^dente que la brigade de Bernard, nous trouvons maintenant celle de Bylandt (compo- sant la moitie de la division Perponcher), qui commen- gait a arriver par bataillons separes des quatre heures du matin (« sur le matin '«, dit Bernard lui-meme, dans une lettre du 19 juin)- et avait pris entierement position a neuf heures, sauf un seul bataillon qui ne devait quitter Nivelles qu'a I'arrivee des troupes d'Al- ten 3 ; il ne fut relev^ que vers trois beures*. Perpon- cher, qui avait combing ce mouvement et cbarg^ le gdndral Bylandt de faire avancer la brigade, vint lui- m^me en prendre le commandement a trois heures du matin ^; mais a six heures, le prince d'Orange se mit en mouvement de Braine vers le meme point ; le pre- mier avait commence, le second continua de porter en avant une infanterie legere devant laquelle les avant- postes fran^ais durent sereplier sur Frasnes, ou I'escar- mouche cessa^.Vers onze heures, Wellington arriv^ de Bruxelles avec son ^tat-major, examina la position de I'ennemi, qu'il trouva immobile, et cette reconnaissance ' LOBEN Sels, p. 185. - Doc, p. 85. " LoBEN Sels, p. 193. •1 Ibid.,Tp. 183. ^ LoBEN Sels, p. 185. '■ ma., p. 187; SiBORNE, t. I, p. 92. — 148 — termin^e, il se rendit pr^s de Bliicher, d Bry, sur les hauteurs de Ligny, ou ils concert^rent ensemble les plans de la journ^e. On pent lire dans I'ouvrage de Muffling ^ un compte rendu interessant de cette entre- vue. Aucun de ceux qui y assistaient ne prenait au s^rieux les forces r^unies en avant des Quatre-Bras ; tons croyaient que I'arm^e de Napoleon, regardee comme un seul corps, se trouvait en entier devant Ligny et la principale question discut^e fut de savoir si les troupes de "Wellington opereraient leur mouvement sur les derrieres de I'arm^e prussienne, pour former une re- serve, ou sur la droite de celle-ci pour d^border les Frangais. Gneisenau se prononga pour le premier projet avec tant d'energie, que le due et Muffling, qui pencbaient pour 1' autre, finirent par c^der k ses vues et reprirent le cbemin des Quatre-Bras, le due disant a Gneisenau : « C'est bien ; je viendrai pourvu que je ne sois pas attaqu^ moi-m^me » . En retournant vers le prince d'Orange, il trouva les troupes de celui-ci ddj4 fortement exposdes, et elles n'ecbapperent au danger imminent de perdre le carrefour que grace a I'arriv^e de Picton, qui d^boucba de Waterloo vers trois heures de I'apres-midi ^, en meme temps que la brigade de cava- ' Muffling, Mimoires, p. 233, etc. ^ Le rapport oiflciel du duo {Dipiches de Gurwood) ferait croiiu 10 — 146 — lerie hoUandaise de Van Merlen arrivait de Nivelles ' . Ces renforts aiderent a maintenir la position jusqu'a ce que d'autres vinrent les soutenir a leur tour et "Wel- lington commenga a sentir que ses forces ^taient supd- rieures a celles de son adversaire. Ney regut en temps utile I'ordre expddi^ par Napoleon a deux heures', mais il 6tait ddja trop chaudement engagd pour songer a se replier sur Marbais et ne s'occupait que de pousser son attaque contre les d^fenseurs des Quatre-Bras. Ces in- structions arriverent entre trois heures et demie et cinq heures et ne produisirent pas de changement notable dans I'ordre des evenements ^. A mesure que la journde s'avangait la lutte devenait plus meurtriere pour les Frangais et ils demeurgienjtjans jumKelles du corps de d'Erlon, dont les 20,000 bommes auraient dil etre arrives depuis longtemps a Frasnes. A six beures, arriva le cinqui^me et dernier ordre de cette journ^e ; Napoleon I'avait fait ^crire en avant de Ligny, apres qu'il 6tait alors deux heures et demie; mais ce point a ^t& eorrig^ par una note du SuppUment (t. X, p. 525) qui fixe le retour du duo de Ligny, — g^n^ralement admis comme antfirieur a I'arriv^e de Picton, — vers trois heures. Loben-Sels, d'apr^s la relation hoUando-belge (p. 194), la fixe >< entre trois et quatre heures ... Le prince d'Orange rapporte que Van Merlen — que toutes les relations s'acoordent a faire arriver beaucoup plus tard — ne parut pas avant quatre heures. 1 LoBEN Sels, p. 197; Siborne, 1. 1, p. 105. ' Voyez ci-dessus, p. 143. ^ Thiers, t. XX, p. 105; Charra.s. p. 162. — 147 — que la bataille y edt 4t6 d^j^ engag^e, et il 6tait dat^ de trois heures et un quart. Le sangfroid et le ton calme qui r^gnaient dans la redaction des ordres pr^- c^dents, ont disparu dans celui-ci, car Napoldon se rend compte maintenant de la force de ses ennemis ; il n'y est plus question du projet illusoire d'occuper Som- breffe et de pousser au dela : « En ce moment, dit la d^p^clie, I'engagement est tres prononce : Sa Majesty me charge de vous dire que vous devez manoeuvrer sur le champ de maniere a envelopper la droite de I'ennemi et tomber sur ses derrieres. Le sort de la France est entre vos mains ^ . Ney a son tour fait appel a Kel- lermann ; une nouvelle attaque ddsesp^ree est repouss^e par I'arriv^e des gardes anglaises. Wellington avait alors plus de 30,000 hommes sur le terrain ', et avant le soir il prit a son tour I'offensive et refoula I'ennemi ^puis^ dans cette m^me position de Frasnes qu'il avait occup^e le matin. Au moment que Ney prenait ses bivouacs, le corps manquant de d'Erlon ddboucha sur Frasnes apres avoir op^r^ une marche dtrange entre les deux batailles -; il est vrai qu'il avait 6t6 rappel6 sur ses pas, lorsqu'il tentait de rejoindre I'empereur, par les instances pressantes du lieutenant omnipotent ' Pour les details voyez Siborne, t. I, p. 153. « Thiers, t. XX, p. 126; Charras, p. 168. — 148 — de ce dernier, mais il arrivait beaucoup trop tard pour lui ^pargner une defaite. Le malencontreux mouvementdu premier corps avait s^rieusement compromis les chances de Napoldon. A Ligny, il s'etait livr^, durant deux ou trois heures, une lutte furieuse et ddsesp^r^e sur le centre des Prus- siens et plus particuli^rement encore sur leur gauche, ou Vandamme seconde par la division de Gerard, redoublait ses attaques contre les hameaux de Saint- Amand. Napoleon lui-m4me, conformement k sa tac- tique usuelle, rangeait sa garde en ordre pour porter le dernier coup, qu'il r^servait pour le moment que toutes les troupes ennemies se trouveraient engag^es dans une mel^e indecise, lorsque Vandamme fit pr^- venir « qp!k une lieue sur sa gauche, une colonne serr^e d^bouchait dans la direction de Fleurus et paraissait vouloir tourner les lignes frangaises '». A I'annonce de cette intention presum^e, I'empereur fait faire halte k sa garde et prend des dispositions pour recevoir I'intrus dangereux qu'on suppose ^ : il ^tait six heures et demie lorsqu'on apprit que ces troupes suspectes n'^taient ni des Prussiens ni des Anglais, mais que c'^tait le corps de d'Erlon qui avait caus^ cette alerte ; le nouveau ' GOURGAUD, p. 49. 2 Ibid., p. 50. — 149 — changement de position n^cessaire pour rappeler les reserves afm de reprendre I'attaque de Ligny, ou il s'agissait d'enfoncer les troupes de Bliiclier, fit perdre a Napoleon encore une demi-heure. L'attaque r^ussit sans le concours de d'Erlon ni m^me celui de Lobau que Ton avait relevd de son poste d'attente pres de Charleroi; mais le succ^s venait trop tard '. On sait que le centre de I'armee prussienne fut enfonc^, sa po- sition emportde et qu'elle perdit vingt et une pieces de canon ^; mais I'obscurite de la nuit emp^cha les Fran- gais de profiter de leurs avantages et quelques esca- drons seulement purent atteindre la route de Namur le m^me soir ^ Trois bataillons prussiens passerent la nuit au village de Bry, tout a cot^ des Fran§ais ; car il ^tait dix heures du soir et il faisait trop obscur pour manoeuvrer, lorsque I'ordre de Gneisenau (qui avait pris le commandement en I'absence de Bliicber) parvint aux corps eparpill^s, leur ordonnant uneretraite g6n4- rale au nord, sur Wavre. Quant a d'Erlon, qui avait regu en route un message impdrieux de Ney, transmis par son chef d'etat-major lui-meme, lui enjoignant de retourner du c6te des Quatre-Bras * , il avait fait ' GOURGAUD, p. 51. ■2 Voyez aussi Recueil des batailles, p. 45-47. ' Ibid., p. 47. * Thiers, t. XX, p. 124 ; Charras, p. 174. — 480 — d'abord une halte qui t^moignait une certaine indeci- sion, puis laissant une -de ses divisions pour soutenir le corps de Napoleon, il s'etait achemin^ avec le restant vers Frasnes, ou il arriva, comme on a vu, trop tard pour etre utile ce jour la. Ainsi se termina le sanglant conflit du 16. Wellington, maltre des Quatre-Bras, alia coucher a Genappe ', ignorant I'etendue de la d4- faite de son allie, tandis que Ney etait encore plus mal inform^ du succes de I'empereur. Dans le chapitre suivant nous indiquerons les positions de ces troupes allides qui manquerent a se montrer sur le theatre de Taction : qu'il nous sufflse de remarquer ici que les forces des Prussiens s'elevaient a 30,000 hommes et celles des Anglais a 62,000, deduction faite des troupes laissdes dventuellement dans les garnisons. Commenfaires . « Le principal reproche adress^ aux operations de cette journ^e » (il s'agit des Frangais) « c'est le temps perdu dans la matinee du 16 ». C'est par ces mots que Thiers aborde la refutation des accusations qu'il relive ^ et pour demontrer jusqu'^ quel point Napoleon est res- ' MvFPr, iNG, MSmoires, p. 239; DSp. supp., t. X, p. 526; Memoires, t. IX, p. 340. ° Thiers, t. XX, p. 127. — 151 — ponsable de ces retards, nous n'aurons qa'k suivre en- core son eloquent apologiste, bien certains que s'il ne r^ussitpas a disculper Tempereur, personne n'en pourra entreprendre la tdclie apres lui : « 11 ne fallait pas moins de trois heures », continue I'historien, « (une grande partie des troupes se trouvant encore au midi de la Sambre) ', pour que les divers corps fussent en mesure de s'avancer vers la ligne de bataille oii ils de- vaient combattre. Napoleon ne voulait agir qu'a coup silr et il attendait le rapport de Grouchy sur les opera- tions des Prussiens. Get avis ne put arriver a Char- leroi que bien apr^s sept heures, et tous les ordres etaient exp^di^s avant neuf heures. » Voila en pen de mots I'explication de la premiere partie du retard, oil Ton perdit en r^alit^, non pas trois heures mats sept, puisque le jour pointait a trois heures du matin et que les troupes ne firent aucun mouvement avant^ix heures, sauf ce qui concerne le passage de la riviere. « Apr^s que les instructions eussent 6t6 envoy^es, con- tinue la defense, Napoleon prolongea son s^jour k Charleroi, recueiUant des informations et exp^diant des ordres, parce qu'il ^tait n^cessaire de donner aux troupes qui cheminaient a pied, le temps de se trans- porter a Fleurus. D'ailleurs, on avait devant soi une ' Thiers, t. XX, p. 128. — 152 — journ^e de dix-sept heures et il importait peu de livrer la bataille Tapres-midi ou le matin. Rendu a Ligny avant midi, I'empereur n'hesita pas, comme faisaient ses generaux; cependant il dut patienter, car une partie des troupes de Gerard, n'dtaient pas encore arriv^es *. II resta ainsi jusqu'a deux heures et alors il attendit encore pour laisser un peu d'avance a Ney, afin de prendre les Prussiens a rovers. La fausse alarme congue par Vandamme ^ (a cause du corps de d'Erlon) fit perdre une heure et demie au milieu de la bataille et Ton salt quelle issue facheuse entrainerent ces re- tards. Napoleon personnellement ne doit done pas ^tre accuse d'inactivite, bien que ce reprocbe soit parfaite- ment fond^ pour ce qui se passa aux Quatre-Bras ^ Telle est la substance d'une alteration des faits tres- ingenieuse et elaboree avec beaucoup d'artifice : la plus prompte refutation qu'on en puisse faire c'est de com- mencer par admettre que les faits supposes puissent fournir matiere a argumentation et de raisonner en- suite sur ces faits comme s'ils dtaient constants. Ainsi, a qui remonte le reproche bien fonde de la faute com- mise aux Quatre-Bras? Napoldon.qui avait soupe le 15 1 Thiers, t. XX, p. 129, " Ibid., p. 130. 3 Ibid., p. 127. — 153 — avec Ney, comme Thiers I'admet ', et qui avait appris de lui-m^me que cette position n'avait pas et4 occup^e pendant la soiree, donna-t-il au marechal I'ordre de s'y porter a la pointe du jour? Ordonna-t-il qu'a la pointe du jour d'Erlon serrat sa longue colonne sur les derrieres de Reille, a Gosselies, et se tint pret a mar- cher en avant au premier ordre ? Les instructions don- n^es aNeyle matin trahissent-elles le moindre signe de hate ou d'urg ence ? Y trouve-t-on la moindre allusion a une grande bataille our die sous main, que le mare- chal dilt gagner pour son maitre, en faisant un mou- vement de cote? Nous sommes en mesure de r^pondre n^gativement atoutesces questions, par le t^moignage de Napoleon lui-meme. La seule lettre qu'il ^crivit k Ney ^, ant^rieure aux cinq ordres que nous avons cit^s, etait de simple forme : il assignait au marechal la ca- valerie de Kellermann, il s'informait si d'Erlon avait op^re son mouvement, celui de la veille, et « quelles etaient les positions exactes du corps de Reille? » Pas un mot d'urgence, pas un mot pour se preparer a mar- cher en avant, afin de serrer la division d'Erlon sur la chauss^e, a Gosselies. Quant aux instructions expe- dites a Ney k huit heures, nous n'avons pas besoin-de 1 Thiers, t. XX, p. 47. - Original dans les Mimoires, t. IX, p. 335. — 154 — les dtudier dans les Memoires, et ce serait perdre du temps que de contredire la faussete ^hont^e d'asser- tions de ce genre : « Ney regut I'ordre dans la nuit, de se porter a la pointe du jour en avant des Quatre- Bras ^» . Charras a exposd ces faits avec une impitoyable exactitude et Thiers lui-meme n'a pas os^ all^guer un soi-disant ordre verbal. II est amplement prouv^ que tout cela est de pure invention. Nous pouvons avoir la certitude la plus complete qu'on ne I'eut m^me pas publie si I'ex-empereur avait pu pr^voir que son veritable ordre du matin verrait jamais le jour, comma il arriva vingt ans plus tard, grace al'int^ret qui sou- tenait le fils de Ney dans cette cause ^. II est seulement ndcessaire d'y revenir pour voir clairement quelle ^tait la pens^e de I'empereur dans la matinee du jour dont nous parlous. J'ai besoin de faire ici, une fois pour toutes, une protestation formelle contre I'argumentation vicieuse sur laquelle on s'est appuy4 si g^n^ralement pour ap- prdcier les actes et les desseins de I'empereur dans cette crise et dans bien d'autres de sa carriere. Que Napoldon fut un homme d'une dnergie et d'une fertilite d'imagination sans ^gales, un strategiste d'un eclat Mdmoires, t. IX, p. 78; Charras, p. 178. \'("it7i:>'/ rii _/li30C?ll c i-i 1 Oft Voyez ci-dessus, p. 136 — 15S — incomparable, un organisateur qui eclipsait tous ses i rivaux, qu'il fit de grandes choses pour la France, et jusqu'a un certain point pour I'Europe, ce sont des v^rit^s a peine contestables ; mais elles ne constituent pas un motif serieux pour substituer aux t^moignages / directs et dignes de foi, qui fondent la Y6rit6 historique, en ce qui concerne ses desseins et sa conduite, des speculations imaginaires dMuites des facult^s et des vues profondes qu'on lui suppose. Dans cette affaire des Quatre-Bras il n'est nuUement besoin de rechercher d'autres temoignages que celui de Napoleon lui-meme, car ses lettres revelent toute sa pensee ^ Qu'on laisse de c6te tout prejug^ special en faveur de I'ecrivain et le veritable dtat des cboses devient parfaitement manifeste. Napoleon n'avait pas \ ri-MH^J^ I'idee que l es trois quarts de I'armee prussienne ^talent "^ * '■ ' r^unis devant lui -. Comme il avait regu avis aupara- vant des cantonnements qu'elle occupait, et qu'il pen- sait que Bliicher ^t ait toujours aux environs de Namur, il s'ensuit naturellement qu'il se croyait en presence de I'extr^mite de leur aile droite qui, n'dtant pas soutenue, devait n^cessairement c^der le terrain et lui ouvrir la route de Bruxelles. • Voyez ci-dessus, p. 136; original dans Siborne, t. I, App., et dans Charras, p. 115, 116. 2 Voyez ei-dessus, p. 139. — 156 — Quant a Tarmee anglaise, la lettre qu'il envoya par un officier des landers et que nous avons citee ', prouve bien qu'il etait loin de croire qu'elle fut en mouvement, sauf peut-^tre quelques troupes placdes en reserve k Bruxelles. Que ce fiit mepris des fausses alarmes com- mandees d'avance sur quelques points de la fronti^re de I'ouest ou desrenseignements mensongers que "Welling- ton, a sonexemgle, lu; faisait parvenir par ses espions, ou enfin qu'il compteit sur la lenteur natureUe, qu'il pretait au general anglais, ce sont autant de motifs qui peuvent avoir determine son jugenient. Nous ne pou- vons connaitre que le fait ^, c'est que, au mome nt qu'il toivait_a^Ney avant de quitter Charleroi, il avait la conviction qu'aucun des corps anglais post^s a Touest de Nivelle s, ne pouvait encore ^tre en marche pour las Quatre jBras. II ne laissa pas entrevoir qu'il fut d^cid6 soit a profiter de I'avantage que lui offrait ce vide sup- pose et a se porter audacieusement sur la capitale entre les deux armees ennemies, soit a tourner a droite et k I ^eraser le corps prussien le plus proche, avant d'ayoir /pris completement position au dela du triangle de Fleu- rusjet^ d'avoir recueilli de nouveUes informations. Sa conduite prouve bien qu'il ne s'attendait pas a une grande resistance. Tels sont les faits que nous dddui- ' Voy. ci-dessus, p. 139. '^ Ibid. — 187 — sons imm^diatement de son propre t^moignage : ils ^cartent I'assertion produite par Thiers, qui I'avait em- prunt^e k une des versions contradictoires de Sainte- Hel^ne \ que Tempereur avait Tintention de livrer cet mpr^s-midi a Bliicher une bataille decisive, avant I'ar- riv^e de Wellington, et que cetait a dessein qu'il lais- sait les Prussiens se concentrer. S'il restait le moindre doute a cet^gard, il dispa- raltrait devant la lettre ^crite a deux heures de I'apr^s- midi : elle met hors de contestation, pour un esprit non pr^venu, qu'a cette heure m^me, apr^s la recon- naissance qu'il avait faite en personne de I'armde prus- sienne, Napoleon n'^tait pas instruit de la force r^elle des Prussiens. Sur ce point I'empereur ne s'est jamais exprime en termes vagues, et de supposer qu'il voulilt representer I'armee de Bliiclier, qui d^passait la sienne d'un bon tiers (sauf le corps de Lobau ^), comme un corps de troupes, et cela dans une instruction d^taillde destin^e a r^gler les operations de Ney, ce serait faire trop d'honneur a I'omniscience de son g^nie au prix d'une grossiere inexactitude de sa plume. II me reste seulement k ajouter que Thiers ^ s'est sagement abstenu ' Rdplique d, Rogniat, Mimoires, t. VIII. ^ Voyez ci-dessns, p. 142. 3 Thiers, t. XX, p. 79. - 158 — de citer des tdmoignages a I'appui de son assertion que I'empereur, en observant I'ennemi ; « ^valua sa force k environ 90,000 hommes. » Mais comme les paroles de I'empereur contredisent celles de Thiers, il fallait bien que celui-ci pour defendre I'infaillibilit^ du coup d'oeil de son heros, commencat par affirmer qu'il ^va- lu4t le nombre des Prussiens a un chifire tres peu au dessous de la vdrite ' ; puis, ne pouvant passer sous silence la lettre exp^dide a Ney a deux beures, il s'en tire par ce faux fuyant : « A deux heures, il lui avait expddie un message pour lui annoncer qu'on allait attaquer I'armee prussienne etdblie en avant de Som- bre ffe. » Tel est le systeme adopte par I'Mstorien pour (binder la difficulte. II est a peine n^cessaire d'ajouter qu'il s'est bien garde de citer les termes des pre- mieres ddp^cbes ou d'en rappeler une seule ligne qui aurait compromis son plaidoyer. Mais a trois heures apres-midi, lorsque Napoldon avait- d^couvert la v6rit^ et qu'il ^crivait a Ney un billet pressant, pour r^clamer son aide, dans un style qui se ressent de la situation, alors M. Thiers juge qu'il n'y a plus de danger a r6v6- ler la pens^e de I'auteur de la lettre, en lui empruntant son propre langage, et des cinq ordres >que Ney refut ce jour la, I'historien ne cite in extenso que celui-ci -. 1 Thiers, t. XX, p. 83. « Ibid., p, 89. — 159 — Pour effleurer encore une fois la question du manque de cl artd et de r^ g ularit^ dans le service de I'^tat-ma- jor de la grande armee, il est remarquable que dans la lettre tres-ddtaillee, dictde a Charleroi par I'empe- reur \ pour completer les ordres expedies par Soult, le mardchal est textuellement invite a disposer de ses huit divisions d'infanterie, alors qu'une des huit, celle de Girard, avait et^ ddtach^e de son corps d'arm^e et em- ployee avec I'aile de Grouchy sur le front des Prus- siens : observons en passant, qu'a en juger par les instructions que Ney donnait a Reille et a d'Erlon, il paraissait n'^tre pas au courant de cette circonstance. Cette contradiction et cette negligence sont fort excu- sables, sans doute ; mais il n'en est pas moins piquant de les rapprocher de I'idde populaire qu'on se fait de I'infailHbilite de Napoleon dans les details. Ce sujet nous amene naturellement a parler d'une curieuse erreur de I'histoire de M. Thiers a propos de la position qu'occupait cette division pendant la nuit pr^- c^dente. J'ai fait remarquer que le nom de son bivouac est erronement cite a deux reprises par I'auteur comme etant Wagnelee au lieu de Wangenies -. Ce dernier village n'est guere distant de Fleurus que d'un peu plus ' Original dans Charras, p. 115. ^ Voyez cl-dessus, p. 142. - 160 — d'un kilometre au sud-ouest, et il formait la position naturelle de I'extr^me gauche des Frangais pendant cette nuit. "Wagnel^e, au contraire, situ6 a 5 kilo- metres plus au nord, se trouvait par consequent tout k fait derriSre la droite des Prussiens pendant Taction du lendemain ; or Girard faisait nominalement partie du commandement devolu k Ney, qui dans les vues de M. Thiers, devait avoir detache des troupes sur les derri^res. Le lecteur qui n'est pas mis en garde contra cette confusion, doit se figurer ainsi qu'une partie des troupes de Ney occupaient Aejk le point qui leur avait 6t6 assign^, le 15 a la tomb^e de la nuit. Comme le superbe atlas qui accompjgne VMistoire de M. Thiers distingue soigneusement ces deux localit^s dans des cartes differentes, on doit en conclure in^vitablement, ou bien que I'ecrivain ne s'en est pas rapporte k ses propres cartes ou qu'il ne I'a pas fait avec I'intention de les faire servir a I'^claircissement loyal des ^v^ne- ments. Nous arrivons aux reproches qu'a soulev^s centre Ney I'heure tardive a laquelle il se porta sur les Quatre- Bras. C'est un des incidents aux quels Thiers, d'accord avec toute la classe de gens qu'il repr^sente, assigne le plus d'importance eu ^gard a I'influence qu'il exerjAt sur les r^sultats de cette journ^e et de toute la cam- — 161 — pagne. Dans I'intention de faire peser sur Ney une grave respoiisabilit^, il produit en detail les charges suivantes : ce ue fut, dit-il, qu'apr^s un retard fort considerable et apres avoir envoye un officier de lan- ciers pour demander de nouvelles instructions que, « press^ par les d^p^ches r^it^r^es de Tempereur, il envoya enfin aux gdn^raux Reille et d'Erlon I'ordre d'avancer en toute hAte ' ; » qu'apr^s cela, il ne se d6- cida point encore a engager Taction, jusqu'au moment qu'il entendit le canon de Ligny gronder fortement, et il ^tait alors pres de trois heures ; que la brigade de Bylandt ne devait pas etre ^ aux Quatre-Bras avant deux beures ou, comme il le dit ailleurs ' qu'elle n'au- rait pas pu s'y trouver toute entiere plus t6t^; que Ney, lorsque le combat ^tait commence, voulut attendre en- core la dernier e division de Reille, laissant ainsi a Picton le temps d'apporter du renfort et de sauver les troupes hollando-belges. Toutes ces allegations sont pr^c^d^es de I'accusation gen^rale et plus vague ^ que des le matin, le mardchal ^tait hesitant, et qu'il le fut jusqu'A midi, en presence des 4,000 hommes du prince, ' Thiers, t. XX, p. 73; ibid., p. 103. 2 Ibid., p. 105. 3 Ibid., p. 70. < Ibid., p. 104. 5 Ibid., p. 102, 103. 11 — 162 — Bernard. On s'explique fort bien ceci ^ : c'est tout simplement que Ney attendait ses instructions. II a it6 d^montrd tantdt - qu'il n'y a aucun pr^texte pour croire qu'il etit re^u un ordre quelconque d'occuper les Quatre- Bras, avant celui expedi^ par Flahault et que Soult, avant meme que ce dernier ordre fut transmis; lui man- dait par une autre depeche de lui rendre compte de sa position. En un mot, il n'y avait pas de raison possible pour que Ney attaquat des forces inconnues devant lui, plut6t que Grouchy ne le fit sur la droite. S'il VeAt risqud avec la seule division d'infanterie qu'il avait sous la main et qu'il eut ^cHou^, les memes critiques qui condamnent ses retards, le blAmeraientimpitoyablement d'avoir march^ sans attendre les ordres de son chef. "Quant aux hesitations reproch^es a Ney, apres qu'il etit regu des ordres, il y a une replique pdremptoire et toute favorable a sa cause ; la reponse de Napoleon lui-m^me a la simple demande d'instructions que le ma- r^chal lui avait adress^e'. S'U s'y ^tait tenu a la lettre, il n'aurait attaqud les Quatre-Bras - qu'apres avoir rallid les corps de ReiUe, de d'Erlon et deKellerman\ « ' Voyez ci-dessus, p. 135. 2 Voyez ci-dessus, p. 138; I'ordre original se trouve dans les Md- moires, t. IX, p. 335. 8 Voyez ci-dessus, p. 139. ' Original dans les Mdmoires, t. IX, p. 337. — 163 - c'est a dire qu'il aurait pu a la rigueur attendre d'Er- lon et dans ce cas, il ne se serait pas engage ce jour Ik. Mais nous n'avons pas besoin, dans le fait, de plaider sur cet argument. La comparaison du temps et des distances (ces derni^res mesur^es sur la vaste et excel- lente carte dressee par le gouvernement beige) prouve surabondamment que le seul delai qu'il y eut entre le passage de Flabault par les quartiers de Reille, a Gos- selies, avec les ordres de Napoleon, et le mouvement de Frasnes, se borna au peu de temps que perdit Reille en refusant de se rendre aux instances de Flahault et en pr6ferant attendre les ordres directs de Ney \ qui lui revinrent d'ailleurs, comme leur texte m^me le constate ^, ^.ussitot que le marecbal eilt pris connais- sance des intentions de I'empereur : cet intervalle fut bien moindre que le temps que mettrait un cavalier a faire le trajet de Gosselies a Frasnes, aller et retour, trajet qu'un aide-de-camp ne pouvait franchir en moins d'une beure ; quant au rapport de Reille relativement aux Prussiens *, il n'en est question ni dans la relation d'Heym^s *, ni dans les ordres transmis par Ney ; il n'eutaucune influence sur le mouvement, qui fut sim- ' Voyez ci-dessus, p. 139 et 140. 2 Original dans Siboene, t. I, p. 450. ^ Voyez ci-dessus, p. 140. ■ * Voyez les, Mimoires, t. IX, p. 256. — 164 — plement retard^, comme le prouve la correspondance de Reille, en attendant I'arrivde de cesm^mes ordres : « Au lieu de commencer un mouvement, ecrivait-il, apres le rapport du general Girard, je tiendrai mes troupes pretes a marcher et fattendrai vos ordres. Comme ils peuvent me parvenir tr^s-rapidement, il n'y aura que fort peu de temps perdu ' n. Ce n'^tait assur^ment pas trop d'une demi-heure pour mettre les deux divisions en ordre de marche et il ne parait pas qu'on eilt perdu plus d'une autre demi- heure a attendre ; encore cela ne dependait-il pas de Ney, car le lancier porteur de sa missive avait 6t^ ddp^chd, comme le prouve I'heure de la r^ponse de Napoleon ^, avant la reception de la lettre de ce der- nier et a ddfaut d'instructions precises concernant le mar^chal ; aussi les allusions de Thiers a ce message, lorsqu'il reprdsente Ney comme n'agissant que sous la pression « d'ordres r^it^r^s » rentrent dans la masse des fictions echafauddes pour masquer les fautes que la strategic francaise accumula dans cette journ^e. II n'y eut qu'un seul retard et tres-court , ce fut celui de Reille, qui s'en rendait fort bien compte et qui s'en 1 Original dans Siborne, t. I, p. 449. 2 Original dans \&%Mimoires, t. IX, p. 337. — 165 — exprimait assez clairement, dans les termes memes que nous avons textuellement cites. Nous ne nous ^tendrons pas en longues discussions sur rheure precise a laquelle Taction fut engages. Nous aYonsproduit ' les t^moignagesles plus ^vidents.prisde part et d'autre, qui constatent qu'il n'etait pas plus de deux heures apres midi. Thiers s'est eflforce de d^mon- trer ^ d'apr^s le journal militaire du general Foy, un des t^moins oculaires, qu'on entendait le canon de Ligny au moment que Ney et Reille discutaient I'attaque et qu'il n'y eut pas de veritable engagement, aux Quatre- Bras, jusqu'a ce qu'ils fussent pousses a bout par ces d^cbarges, qui n'dtaient qu'une simply escarmouche d'artiUerie. Malbeureusement pour prouver que Ney etait en arriere de Napoleon, la valeur du seul argu- ment qu'on produise repose entierement sur I'beure exacte a laquelle le feu fut ouvert a Ligny ; Thiers I'dta- blit d'une facon concluante a son point de vue, par cette simple phrase ' ; « Or, le canon s'etait fait enten- dre vers deux heures et demie au plus t6t ». Mais, en trouvant dans la plus haute autorit^ prussienne * I'as- sertion tres-precise que les troupes Idgeres de I'ennemi ' Voyez ci-dessus, p. 140. 2 Thiers, t. XX, p. 105. 3 Ibid. * Recueil des batailles, p. 27. — 166 — canonnaient les Prussiens des onze heures ou midi, lorsq[ue ceux-ci se repliaient sur leur position, on d^- couvre de suite d'ou provient I'erreur de Foy. D'autre part, let^moignage que nous avons cit^ plus haut^ s'ac- corde avec cette assertion, qu'il n'etait pas plus de deux heures lorsque les colonnes francaises attaquerent aux Quatre-Bras. Aussi, y a-t-il lieu, une fois de plus, de r^server ici la part des inexactitudes de Thiers. Vient ensuite I'alldgation que la brigade de Byland n'arriva que lorsque la journee etait fort avanc^e : ici, il n'y a aucune excuse. Un bataillon, en eflfet, ^tait rest^ par ordre a Nivelles, mais on a vu que le restant avait ralli^ le prince d'Orange entre quatre heures et neuf heures du mating Doit-on s'attendre que I'historien qui, la veiUe, faisait venir la brigade de Bernard, de Nivelles, ou eUe n'avait jamais ^t^', prit la peine de s'enqu^rir aux sources hoUandaises des mouvements d'une brigade hoUandaise dans la journde du 16? Seule- ment il n'dtait guere gdndreux de se faire de sa propre ignorance, une arme contre le caractere du mar^chal. Enfin, lorsque Ney est accuse de n'avoirpas pousse son attaque avec Foy et Bachelu assez vigoureusement 1 Voyez oi-dessus, p. 140. 2 Voyez ci-dessus, p. 144. 3 Voyez ci-dessus, p. 128. — 167 — et d'avoir ainsi laisse a Picton le temps d'arriver, il est a peine n^cessaire de remarquer que la troisieme divi- sion de Reille ^ ^tait la plus forte de I'armde (elle comp- tait au dela de 7,000 hommes), quelle suivait celle de Foy sur le terrain et que tous les ordres de Ney impli- quaient I'obligationd'employerses troupes commes'ilen etit eu cinq fois davantage. D'avoir pendant une heure et demie, c'est le temps qui s'ecoula entre I'engagement de Taction et I'arriv^e de Picton, refoul^ le prince d'Orange sur un espace d'un mille et demi, de Frasnes aux Quatre-Bras, c'est r^pondre victorieusement, pour un juge competent des operations mUitaires, a ce re- proche de moUesse, mSme s'il s'adressait a un officier moins actif que Ney. Nous avons pris la peine d'examiner a fond les accu- sations de TMers et nous avons reconnu qu'elles ne r^sistent pas a un examen attentif . Nous d^montrerons plus tard^, en nous appuyant sur une haute autorite, que I'occupation hypoth^tique des Quatre-Bras ne doit pas 6tre regardee si absolument comme la mesure la plus decisive qu'on ait imaginde; il y a au contraire, d'excellentes raisons pour affirmer qu'elle aurait peu affects le r^sultat de la campagne. ' Charras, p. 156. 2 Voyez la fin de ce chapitre. K — 168 — Vous remarquerez que Thiers met Napoleon en ^tat de d^couvrir la force exacte des Prussians a Ligny, et cela, souvenez-vous-en \ pendant une reconn aissance faite au milieu de la fusillade. Les ordres ^manes de Napoleon prouvent a suffisance par eux-memes que cette histoire est un pur roman ; mais il sera bon de remarquer aussi I'impossibilitede faire cette estimation, impossibilite resultant de ce qui se passait de I'autre c6t^, ou Wellington, Bliicher et leurs etats-majors se concertaient a Bry'. Tous prirent I'aile de I'armde frangaise qui se trouvait devant eux pour toute I'arm^e et les troupes post^es aux Quatre-Bras pour un simple d^tachement. Aussi, voyons-nous Bliiclier convaincu de cette id^e, rapporteur aussi loyal et aussi sincere qu'aucun ^crivain de notre histoire moderne, rendre compte que I'armee qui vient I'attaquer s'^leve a 130,000 hommes*, ce qui ^tait en effet revaluation de la grande arm^e d^duite des premiers rapports des espions*, Evaluation qu'on doit supposer plus exacte que les calculs a vue faits de loin, a travers la fum^e et le brouiUard. Nous n'entrerons pas dans de longs commentaires 1 Voyez ci-dessus, p. 157. ^ Voyez ci-dessus, p. 145. 3 Documents, p. 89. , * Voyez ci-dessus, p. 49, 50. - 169 — sur le d^faut de la cooperation promise par Wellington, surtout que nous avons I'assurance formelle de Muffling que cette promesse ^tait conditionnelle ^ Ce manque- ment fut une consequence n^cessaire de la tactique reflechie et circonspecte a I'exces qui pr^sida a toutes les dispositions du due pendant les premieres heures de la campagne. II n'entre pas dans le dessein de cet ouvrage de commenter la tactique employee a Ligny ; il nous suffira de dire que Bliiclier echoua centre des forces inferieures aux siennes et que les deux grands critiques de sa nation condamnent sa condiute en cette circonstance^. Ni Wellington, ni Bliicher ne pouvaient raisonnablement compter que Napoleon se priverait du concours de 10,000 de ses hommes (le corps de Lobau), parce qu'il ne se rendait pas nettement compte de la force reeUe des Prussiens, et qu'il perdrait celui de 20,000 autres (le corps de d'Erlon) pour ne s'etre pas concerte avec ses lieutenants. Mais malgre les fautes de I'empereur, le coup porte a Tarm^e prussienne aurait pu ^tre incomparablement plus grave qu'il ne fut et I'absence de leurs allies aurait pu leur devenir bien autrement fatale. Ce doit etre par une suite analogue de I'extreme 1 Voyez ci-dessus, p. 145. 2 Muffling, Hist., p. 70, 71 ; Clausewjtz, p. 89, etc. — 170 — prudence avec laquelle Wellington avait opere la veille, que la division de Picton, qui formait I'avant-garde de la reserve, fut arr^tde pendant quelques heures a Wa- terloo, a la bifurcation des chaussdes de Nivelles et des Quatre-Bras. Cette halte a provoque bien des commen- taires ; Clausewitz ^ croit que Wellington laissa Picton en cet endroit, a dessein, jusqu'aprds son entrevue avec Bliicher, a Bry, supposition evidemment inconciUable avec rbeure connue de I'apparition de Picton; cette attaque a provoqu^ de la part du due, une contradic- tion non moins irr^flec}lie^ sur le fait meme de la halte, et I'assertion que sa reserve s'avanga « vers midi » ; allegations qui font regretter que le due ne s'avisa de rdfuter ses critiques qu'a un Age si avanc^, lorsque les evdnements ^taient d^ja si loin que les details en de- vaient ecbapper a son souvenir. Siborne^ expose tr^s- compldtement les circonstances et les motifs de cette halte, et ils correspondent si exactement avec les dis- tances de Bruxelles a Waterloo et de Waterloo aux Quatre-Bras, ainsi qu'avec I'heure du depart et celle du terme de la marche, qu'on ne pent douter de I'exacti- tude de ses renseignements. De nombreuses lettres de 1 Clausewitz, p. 10. 2 R6plique k Clausewitz, Dip4ches supp., p. 525. 3 SiBORNE, t. 1, p. 102. — 171 — personnes dela division i, ecrites imm^diatement apres les ^vdnements, parlent du mouvement de Bruxelles, de une a deux heures du matin, et de I'arriv^e aux Quatre-Bras, sur les trois ieures apres-midi. II est evident qu'une division de bonnes troupes, sous un ofR- cier de la trempe de Picton, par un beau temps et marcbant sur une cbauss^e de premiere classe, n'aurait jamais mis treize heures a francbir 34 kilometres, sans un motif de retard tout particulier; or, la balte de Waterloo, est la seule raison qu'on ait jamais assignee a I'arrivee tardive de cette division, sur le cbamp de bataiUe ou son appui ^tait si impatiemment attendu. Tbiers et Cbarras^ sont d'accord que ce fut du cboix de I'empereur que Lobau fut laisse en attente a Cbar- leroi, pendant plusieurs beures, incertain s'il aurait a ralUer la colonne de Ney, qui 6tait autoris^ a I'utiliser s'il le jugeait utile, ou bien a appuyer le corps de Na- poleon. Conformement a son usage constant, ce dernier ^crivain a soin d'appuyer son dire du temoignage offi- ciel du colonel Janin^ Cette incertitude dtait probable- ment n^e de I'erreur, mentionn^e ici a diverses reprises, que I'empereur avait des forces infdrieures a celles des ' Documents, p. 72. 2 Thiers, t. XX, p. 63 ; Charras, p. 118. '^ Ibid., note. — 172 — Prussians : peut-^tre aussi cette strategie hdsitante dtait-elle d^ja le fruit de ce doute de soi et de cet affai- blissement qu'il avoue lui-meme dans un remarquable passage du Memorial de Las Casas, que Quinet a eu soin de mettre en relief : si ce temoignage est digne de foi et si Napoleon a dit reellement a son confident de Sainte-Helene : « Ce qui est certain, c'est que je n'avais plus en moi I'instinct du succes », il serait superflu de sonder davantage son indecision. Sous quel- quejour qu'on le contemple, leNapoleon qui laissait a_ Lobau le choix de I'aile de I'armee qu'il voulait suiyre, n'etait plus le Napoleon ^eRivoLi, de^ Wagram, ni memedg Lutzen. Si sa puissance n'etait pas amoindrie, sa foi dans son ^toile aYait subi une profonde alte- ration. La marcbe vagabonde du corps de d'Erlon a natu- rellement suscitd plus de critiques qu'aucun autre detail isoM de la campagne. Les faits que nous avons exposes ne sont pas contest^s. Aussi ne nous reste-t-il qu'a ^tablir en vertu de quels ordres ce corps fut retrancbe des derrieres de Ney, en vertu de quelle sanction il fut renvoye de Ligny et restitud ensuite au marecbal trop tard pour lui rendre service. II est bien dtabli que Ney ne fut pour rien dans la 1 Quinet, p. 119. — 173 — premiere contre-marche ex^cut^e par d'Erlon : ce fut la consequence ou d'un ordre de Napoleon, ou d'une inspiration propre a d'Erlon lui-meme, ou de I'erreur d'un officier subalterne. M. Thiers est du premier avis : il s'est donn^ beaucoup de mal pour faire accroire que la marclie de d'Erlon etait le r^sultat de la profonde tactique de I'empereur, qu'elle avait ^te ordonn^e par une depSche particuliere, port^e par Labedoyere et communiquee plus- tard k Ney. C'est a quoi font allu- sion les expressions de ce genre dont il seme son recit : « Les ordres r^iteres de Napoleon^ » et « d'Erlon tant appele, tant attendu, etc. » Le lecteur etonne eprouve bien une difficult^ naturelle a decouvrir quelque motif pour lequel Napoleon, apr^s avoir pris tant de peine, finit par laisser le corps de d'Erlon lui couler entre les mains ; mais le style encbanteur de I'historien, les heu- reux details qu'il y prodigue, ces soldats qui « battent des mains en se voyant sur les derri^resdes Prussiens^, 1 Thiers, t. XX, p. 97, 100. 2 Thiers, comme d'autres ^crivains, montre d'Erlon s'acheminant parlavieille chauss6e romaine,vulgairement appel6e chauss^e Brune- hault, qui mfene d, travers le triangle de Fleurus, de la route des Quatre-Bras, aux dei'riSres des Prussiens, comme si c'^tait le seul chemin par lequel il fut possible d'op^rer cette marche de flanc. La v6rit6, c'est que le champ du triangle est entrecoup^ de nombreuses voies charretieres, tr6s-praticables aux troupes par le beau temps qui favorisait d'Erlon. D'apres la description trac^e par Napol6on de I'arrivfie de ce corps, il aurait d6bouch6 par la route qui relie le vil- — 174 — applaudissant a la pr^voyance de Napoldon » , puis leurs « murmures.ddsoles d'etre d^tournes de la voie ou ils apercevaient de si beaux resultats a recueiUir ' » , tout cela peut bien dblouir un lecteur non prevenu qu'on lui met sous les yeux ni plus ni moins qu'une fable, dementie positivement par le temoignage de Napoleon lui-mSme, le t^moin le plus competent et assur^ment le plus irrefutable de ce chef. Charras^ a examine a fond la question d'Erlon, a la lumi^re des Documents inedits publics par le tils de Ney et il a pos6 en fait, en s'appuyant sur ce temoi- gnage, que le corps fut detourne par le zele mal entendu d'un officier d'ordonnance', porteur de I'original ou du double d'un ordre de Napoleon encore existant, celui detrois heures et quart ddja cite. Ney ne regut jamais d'autre ordre pour op^rer un mouvement oblique* et il n'est pas surprenant que d'Erlon dout^t -s'il devait obeir a Labedoyere et que le marecbal rappeMt avec indi- gnation les troupes, qu'aux termes tres-clairs de ses lage de Mellet ^ Fleurus, c'est k dire sur les derrieres des Fran^ais^ et non sur ceux des Prussiens. Cette indication de la voie romaine n'est qu'un trait de plus ajoutii k tant d'autres en vue de donner le change sur le mythe de d'Erlon. (Comparez la Carte et ce qui suit. ' Thiers, t. XX, p. 123. 2 Charras, p. 171 et suiv. , 3 Voyez ci-dessus, p. 149. ■' Charras, p. 17,"). — 175 — instructions dcrites, d'Erlon devait d'abord diriger sur les Quatre-Bras, avant de faire aucun detachement sur sa droite. Clausewitz\ sur des preuves moins dvi- dentes, mais guide par sa sagacity ordinaire, est arriv^ sans hesitation k des conclusions identiques. Thiers^, ^crivant apres Charras, s'est donn^ beaucoup de peine pour combattre I'opinion de celui-ci ; mais les depositions qu'il recueille, celles de d'Erlon et d'un des g^n^raux places sous ses ordres, prouvent simplement qu'ils supposaient que I'aide-de-camp agissait par ordre de Napoldon. Maintenant quelle est I'opinion de Napo- leon lui-meme (que Thiers nous reprdsente comme le plus veridique de tous les ecrivains contemporains), dans sa premiere relation, celle qu'on s'accorde a re- garder comme la plus authentique de toutes celles qui furent fabriquees a Sainte-Helene ? Nous citerons ses propres paroles, en appelant seulement votre attention sur ce fait, que s'il avait envoy^ reellement I'ordre du mouvement qui rejetait Ney de c6te, il n'existerait aucun motif raisonnable pour qu'on le cachat, au pre- judice de la reputation de son auteur' : " Vandamme, dit-il, envoya prevenir qu'une colonne ennemie, d'une 1 Clausewitz, p. 98. 2 Thiers, t. XX, p. 135. 3 GOURGAUD, p. 50. — 176 — vingtaine de mille hommes, ddbouchait des bois et nous tournait ainsi, en ayant I'air de se porter sur Fleurus. (C'est a ce moment, dans I'Mstoire de Thiers, que les soldats gagnaient les derrieres des Prussians et applau- dissaient a la prevoyance de I'empereur). A six heures et demie, Dejean vint annoncer que c'6tait le premier corps d'armde, commande par d'Erlon. Napoleon ne put se rendre raison d'un tel mouvement « . Pas un mot de plus : il n'est pas question d'un ordre que I'empereur aurait envoy^ a ce propos k d'Erlon, et le nom meme de celui-ci n'est plus mentionne dans le r^cit de la bataille de Ligny. Napoleon, dans ses observations, ajoute unpeu plus loini : « Les mouvements du premier corps sont difficiles a expliquer. Le mardchal Ney avait-il mal compris I'ordre de faire, une fois maitre des Quafre- Bras, une diversion sur les derrieres de I'armde prus- sienne? Ou bien, le comte d'Erlon, arrive entre Gos- selies et Frasnes, entendant une forte canonnade sur la droite et n'entendant rien dans la direction des Quatre-Bras, a-t-il alors jugd devoir se diriger sur la canonnade qu'il ellt laissde derriere lui en continuant a suivre la grand'route? » Cette assertion claire et precise nous dispense de poursuivre les details d'une ' GOURGAUD, p. 56. — 177 — contro verse qui n'a plus de raison d'etre. Thiers consti- tue I'empereur notre meilleure autorit^, et sur ce point, en effet, il*y a lieu de croire qu'il a raison. Contentons- nous de le d^charger de ce qu'il regardait ^videmment en 1816, comme I'erreur d'un de ses subor donnas, et ne nous creusons pas I'esprit pour lui prater des audaces strategiques dont il ne se douta jamais. Son t^moignage n'est pas moins satisfaisant lors- qu'il parle du retour de d'Erlon vers Ney ^ ; il dit tout simplement : « Ce fut encore un faux mouvement de ce corps de faireune deuxieme marche de flanc, lorsqu'il fut instruit que le village de Saint-Amand ^tait enleve » . II ne fait pas la moindre allusion a un ordre de lialte qu'il aurait donn^, bien que s'il I'etit donne et qu'on ne I'eAt pas suivi, cette desob^issance lui etit fourni une exceUente excuse pour n'avoir pas remporte un succes complet. En fait, il est constant qu'il n'avait pas fait ) avancer le corps de d'Erlon et qu'il ne lui d^fendit pas | davantage de retourner au point qui lui avait 4t6 pri- j mitivement assigne. Thiers, sur le temoignage d'un g^n^ral de division de ce corps, que d'Erlon s'^loigna malgrd de nouvelles instances de la droite ^, pretend qu'en agissant ainsi sous la pression de Ney, il ra6- 1 GOURGAUD, p. 57. 2 Thiers, t. XX, p. 138, note. 12 - 118 - connut les intentions de Napoleon. Soyons bien cer- tains que s'il en eilt 616 ainsi, la critique de Napoleon faite par lui-meme n'aurait pas manqu^ de nous en instruire. Mais il apparait de son propre recit que ces nouvelles instances ne venaient pas de lui, et nous avons la conviction que s'il eilt donne un ordre, d'Erlon qui connaissait le premier de ses devoirs, aurait ob^i avec promptitude. Comme Cbarras ^ le fait fort bien remarquer, I'erreur de I'aide de camp concilie a elle seule toutes les assertions relatives au premier mouve- ment, et le consentement de I'empereur explique le second mouvement, qui I'un et I'autre neutraliserent le corps pendant toute la journ^e. Nous n'avons point a parler des griefs qu'on a sou- lev^s centre la tactique de Bliiclier : nous avons signals ^ ddj£l I'erreur strat^gique qu'il commit au debut et le d^faut du concours de Biilow, dont il fut prive par suite d'ordres incomplets. De Wellington, pris k part, nous nous bornerons a dire que si son adversaire avait bien conduit ses operations, il I'aurait attaqu^ avec 20,000 bommes de plus, de bonne heure dans I'apres- midi : et que le soir, trente beures apres les premiers avis, "Wellington n'avait encore aux Quatre-Bras que les 1 Charras, p. 174. 2 Voyez ci-dessus, p. 129. — 179 — trois huitiemes de son infanterie, le tiers de son artil- lerie et le septieme de sa cavalerie ^ De bonne foi, si le grand general anglais en sortit a son honneur ce jour-la, il le dut quelque pen a la fortune. Ici cependant surgit une grande question ; tout I'edi- fice des nombreux ecrits que fit naitre I'appreciation de cettejourn^e repose exclusivement sur I'importance suppos^e de la position des Quatre-Bras. Or, cette im- portance, a le prendre dans le sens le plus usuel, n'est pas du tout incontestee. Ce n'est pas notre opinion que nous ^nongons en disant cela, mais c'est celle de Clausewitz lui-m^me ^, critique qu'on ne soupgonnera pas d'une partialite exageree en faveur de Wellington. Le r^sultat des observations oii il a traits cette ques- tion a fond, c'est que Ney n'aurait pu s'avancer tout seul entre les armees alliees, sans s'exposer k un risque tem^raire; que s'il I'avait fait, il n'eut pas pour cela empeche Wellington de rallier ses troupes sur un point plus eloign^; qu'en occupant le g^ndral anglais, il accomplit parfaitement sa tache de la journde, et que son « retour centre les Prussiens » n'etait qu'une con- ception secondaire de Napol6on, qui se figurait a tort qu'il n'y aurait pas d'opposition s^rieuse aiix Quatre- ' Voyez le tableau dans Siborne, 1. 1, p. 153. 2 Clausewitz, p. 103-107. — 180 — Bras, et qui commanda, d'ailleurs, cette manoeuvre trop tard pour qu'il fut possible de I'accomplir. Dans cette question de temps, les vues du critique allemand se rapprochent de celles de Charras ', qui a demontr6 que les retards de Napoldon dans la matinee furent la cause originale pour laquelle les operations de la journ^e resterent incompletes. La conclusion de Clausewitz ^ est que « toutes ces recriminations et tous ces reproches de Bonaparte contre Ney, ne tendent qu'a faire croire a un plan beaucoup plus vaste et plus brillant qu'il ne I'^tait en r^alit^ au moment de Taction. Nous voyons tout ce que Ney pouvait faire, aujourd'hui que nous connaissons toutes les circon- stances qu'on n'aurait jamais dti lui imputer «. Le m^me critique cependant, refusant a I'armee francaise I'estime elev^e qu'il accorde k ses compatriotes, a d^- clar^ que la position des Frangais pendant la nuit pr^- c^dente, prouvait d'elle-meme qu'ils ne pouvaient pas 6tre amends ni engages k Sombreffe avant I'apr^s-midi du 16 \ 1 Charras, p. 114. 2 Clausewitz, p. 107. 3 Ibid., p. 58. — 181 — Recapitulation. Sortant du labyrinthe de la controverse pour noter les faits prouves de cette journ^e, nous constatons d'abord que les troupes de Napoleon paraissent n'avoir regu aucun ordre, apres que le passage du fleuve fut termini, jusqu'a ce qu'il se fut ecoule sept ou huit heures du jour, et que les Prussiens avaient ralli^ les trois quarts de leur arm^e pour livrer la bataille ; que les ordres de I'empereur, dans la matinee, prouvent qu'il ne s'attendait pas pour le moment a une resistance s^rieuse des Prussiens ou des Anglais et qu'il besitait seulement entre deux resolutions : ou de marcher directement sur Bruxelles centre les armees alliees, ou d'attaquer la droite suppos^e des Prussiens, refoules sur Fleurus, la veille; que ses instructions une fois transmises, Ney les executa sans retard, bien que I'ap- parition des Prussiens arr^tat, pendant pres d'une demi-beure, deux divisions de ReiUe venant de Grosse- lies ; que Ney exceda ses instructions ^ en engageant une action decisive, n'ayant avec lui que cette division et celle de Bacbelu, au lieu des huit divisions qu'on lui avait promises; que d'Erlon, ayant ^t^ laiss^ en arriere de Gosselies jusqu'a 11 heures du matin, s'etait ' Voyez aussi la lettre de Ney, Doc, p. 150. — 182 — attarde en route, et avait 6t6 detoum^ vers I'aile de Napoleon par I'erreur d'un aide de camp, au lieu de se rendre directement aux Quatre-Bras, ou 11 arriva en- suite, apres une nouvelle contre-marche ordonnee par Ney,-du consentement tacite de I'empereur, mais trop tard pour rendre aucun service ; que Ney enfln deborde par le nombre aux Quatre-Bras, dut battre en retraite sur Frasnes ; que, dans cette journ^e, les allies, grice a I'erreur de Biilow et aux hesitations de Wellington, ne mirent en ligne que des forces bien inferieures a celles de Napoleon, mais que Napoleon, prive de la reserve de Lobau et du corps fourvoye de d'Erlon, dut se battre sur les deux points de contact avec des forces inferieures a celles de ses adversaires ; que Taction de Ney fut si importante, que Wellington se trouva com- pldtement dans I'impossibilite de soutenir Bliicber, comme il avait comptd faire le matin, et qu'il fut bien pres de perdre d'abord la cbauss^e, I'inqui^tude que lui causait depuis le matin son aile droite lui ayant fait retarder I'appel de sa reserve, qui aurait pu facilement atteindre les Quatre-Bras avant I'attaque de Ney ; que la defaite de Bliicber fut due a I'absence de Biilow et a. la tactique supdrieure de Napoleon ; enfin que les fautes des allies furent bien racbet^es par I'audace avec la- quelle Gneisenau opdra sa retraite sur Wavre ; car en — 183 — abandonnant la ligne de communication des Prussiens par Namur et par Liege, au risque d'en subir quelques ddsagr^ments, il prenait une direction paralMe a la route par laquelle "Wellington devait se retirer et il fournissait aux armees cette pr^cieuse facility de se secourir mutireUement sur le champ de bataille, qui leur avait manqu^ dans les plaines de Fleurus. CINQUIEME CONFERENCE. EVENEMENTS DU 17. — COfflENTAIRES. — RECAPITULATION. Dans plus d'un rdciti, Napoldon se plait a rdpeter avecune sorted'affectationcalcul^e, que la connaissance qu'il avait du caractere des g^ndraux allies lui faisait d^sirer de se mesurer d'abord avec Bliicher et lui don- nait en m4me temps la certitude que cet officier lui fournirait la premiere occasion de livrer bataiUe. S'il est bien vrai que ce calcul existait au moment des evd- nements, il faut convenir que ceux-ci le justifierent d'une maniere remarquable; en effet, nous avons vu que I'attaque des 90,000 Prussiens de Ligny commenga lorsqu'il se trouvait a peine deux divisions de I'armee de Wellington r^unies aux Quatre-Bras ; et que Napo- leon fut r^eUement victorieux des premiers, tandis que leurs aUi^s, sans ^tre battus, ^talent tellement occup^s par Ney et se rassemblaient avec tant de lenteur, qu'il ' GouRGAUD, p. 63; Mimoires, t. IX, p. 69. — 186 — leur eilt ete impossible de prater la moindre assistance a Bluclier. La premiere partie du programme frangais, tel qu'il fut publie plus tard a Sainte-Helene, n'avait done pas manqu^. II nous reste a recherclier quels etaient les avantages ulterieurs que I'empereur avait espdre remporter de ce succes partiel au debut. Pour saisir ses previsions, il suffit de se rappeler que la base naturelle des operations de I'armee prussienne etant sur le Bas-Rhin, sa communication directe, du pays de Fleurus a cette base, se dirigeait vers Test par Namur et par Li^ge' ; tandis que I'arm^e de Welling- ton, si elle se rassemblait sur le m^me point, devait assurer ses communications vers le Nord, en passant par Bruxelles ou aux environs, avec les ports d'Anvers et d'Ostende, qui la reliaient a I'Angleterre. Ces deux lignes formaient un angle droit dont le sommet corres- pondait au carrefour des Quatre-Bras. Si I'une des deux armees commengait un mouvement de retraite sur sa base, ce ne pouvait ^tre qu'en se s^parant de I'autre, et cette retraite directe ouvrait entre leurs flancs un vide qui s'agrandissait a chaque pas et qui multipliait d'autant les chances favorables d'une armee frangaise desireuse de lutter avec chacune d'elles isolement. Notez que ce n'etait pas une hypothese gratuite. 1 Voir la carte. — 187 — En 1794, les Autrichiens, operant sur la meme ligne que Bliicher en 1815, et battuspresque au meme endroit 4 la bataille de Fleurus, commenc^rent k se retirer sur le Rhin; ce mouvement les sdpara bient6t du due d'York, commandant I'arm^e allide anglo-hoUandaise, et fournit en m^me temps aux envahisseurs de la Bel- gique un avantage marqud qu'ils surent conserver des ce moment. Napoleon avait 6tudid avec trop d'atten- tion les guerres de la revolution pour qu'un pareil exemple eM ^chappd a sa sagacity. II lui paraissait plus que probable, comme la suite le prouvera^ que les allies, quel que fut celui qui succomb^t, seraient natu- rellement tenths d'imiter le gdndral autricbien, a vingt ans d'intervalle, et d'assurer aussi leur retraite directe sur leurs bases respectives. II savait que Bliicher dtait un soldat trop pratique pour ne pas reconnaitre I'im- mense inconvenient qui resulterait, si les hostilit^s devaient se prolonger, de I'abandon de la ligne de Namur-Liege, abandon qui le forcerait a ouvrir une nouvelle communication avec la Prusse : I'empereur connaissant ainsi Bliicber, le sachant en outre doue d'un temperament naturellement audacieux, devaitcon- jecturer que la victoire de Ligiiy determinerait neces- sairement cette separation de ses ennemis tant desiree ' Voir sa lettre fi Ney, cit6e un peu plus loin. — 188 — et que I'armee battue se replierait vers Test. L'esp^- rance et rimagination le bergaient de concert, et Ton n'est pas surpris de voir Napoleon ^crire a Ney, dans sa premiere lettre de la matinee du 17, en ces termes positifs : « L'arm^e prussienne a ete mise en d^route ; le general Pajol est a sa poursuite sur les routes de Namur et de Li%e' ». Les mouvements vrais des Prussiens etaient bien differents. Comme nous I'avons vu plus baut, Gneisenau investi du commandement temporaire, apres la cbute de Bliicher, a la fin du combat, voyant que Tissue de celui-ci etait pour le moment decid^e sans espoir, prit a tout risque le parti de renoncer k la retraite sur Test et s'attacba a se maintenir le plus pres possible de I'arm^e anglaise. Sans communication directe avec "Wellington, autant du moins qu'on puisse I'affirmer positivement^ il mit son armde en marche a la pointe du jour, vers le nord, la dirigeant sur Wavre. Bulow, qui n'avait reconnu I'erreur de son retard qu'a Hannut, a dix beures du matin', le jour m^me de la bataille, avait inutilement press^ ses troupes sur I'ancienne cbauss^e romaine, la cbaussee Brunehault dont il a ^t^ ' Voir rorigine dans Siborne, t. I, p. 457. 2 Voir entre autres Muffling, Mimoires, p. 238. * Recueil des batailles, p. 18. — 189 - question plus haut, qui mene directement d'Hannut, par les plaines de Ramillies, a Marbais pr^s de Ligny. A la chute du jour son avant-garde n'avait pas attaint Gembloux^ : elle fit halte h 5 kilometres en arriere, a la Sauveniere, apres une marche ext^nuante-. La retraite des Prussiens, con cue sur un plan fort simple, s'op^ra sans etre inqui^t^e par les Francais qui n'en avaient meme aucun soupgon, comme les propres paroles de Napoleon le prouvent assez'. Zieten quitta les environs du plateau de Ligny avant la fin de la nuit* et se dirigea par des chemins de traverse tout droit vers le nord , a travers les villages de Tilly , Gentines et Mont-Saint-Guibert, jusqu'a Wavre ou il passa la Dyle, a I'autre extremity de la ville. Un peu plus tard, Pirch le suivit, mais il s'^tablit au sud de Wavre, apres avoir laisse des ddtacbements en route, pour couvrir ses derrieres. Thielemann, cbarg^ du pare de reserve de I'armee, s'^branla separement avec une extreme lenteur, tra versa Gembloux^ ou il s'arr^ta jusqu'a deux heures de I'apres-midi, et atteignit Wavre si tard qu'il ne put traverser la ville avec toutes ses 1 Recueil des batailles, p. 20. * Voir la carte. 5 Voir ci-contre. < Recueil des batailles, p. 54. 5 Ibid., p. 55. — 190 — troupes pour les porter sur la rive gauche de la Dyle, cette nuit, comme il avait etd convenu. Bulow se con- formant aux instructions distinctes qu'il avait regues le matin, s'etait mis en marche par les villages deWalhain et Corbaix , et ^tait arriv6 a Dion-le-Mont, a 5 kilo- metres S.-E. de Wavre; il y prit position, en couvrant I'arm^e si heureusement concentree, par de fortes arriere-gardes, apr^s avoir relev6 celles du general Pirch. ■U(iis '„ \ Entre la_^route de Gembloux a Wavre etceUedes tr Quatre-Bras a Waterloo, le terrain est co upe par les differents affluents de la Dyle, formant chacun une I vallee profonde avec des prairies marecageuses le long jdes cours d'eau, toutes circonstances qui rendent les 'operations militaires tres-difiiciles a travers cette con- i' tr^e. Aussi une tentative plus directe pour se rappro- cher de Wellington n'eut-elle pas ^te appropriee au dessein de Gneisenau, car elle I'eut expose au reproche d'avoir entrav^ la jonction de I'armee battue avec le renfort considerable que lui amonait Bulow^ En mar- chant sur Wavre, il conciliait cette urgence de se ral- lier au restant de I'armde avec la precaution de s etablir £l une distance commode de Wellington. Les mouve- ments de la journde confirmerent la justesse du premier ' Muffling, Hist., p. 10. — 191 — calcul et ceux du 18 couronnerent le second avec dclat. Nous avons laiss^ Wellington vainqueur aux Quatre- Bras, avec 30,000 ho names seulement de son arm^e, en partie appartenant au corps du prince d'Orange, en partie a la reserve, et notablement reduits par la chaude besogne de la journ^e. Get effectif fut portd a 45,000 combattants par I'arriv^e de la cavalerie et du restant de la reserve pendant la nuit, ou plut6t de grand matin ^; mais la division Chass^, du corps du prince d'Orange, ^tait restee a Nivelles, faute d'instruc- tions, et aucun des corps de lord Hill n'etait plus proche que cette ville- : une portion de I'une des deux divisions anglaises, celle de Colville, s'y acheminait par Braine- le-Comte et le corps hoUando-belge du prince Fre- deric se trouvait encore plus eloign^, a Enghien. Les ordres que Wellington ^crivit de Genappe^ ou il avait couche, prouvent suffisamment qu'il n'avait aucune id^e du plan des Prussiens et qu'il avait Mte de com; Y^f-^ ' pleter sa concentration aux Quatre-Bras ; mais remontd a cheval de bonne heure, il retourna sur le theatre de Taction du 16, et la il ne tarda pas a apprendre la v^rite. Un aide de camp accompagn^ d'une escorte ' LoBEN Sels, p. 234. 2 Voir la carte. 5 GuRwooD, t. XII, p. 475. — 192 — avait communique de bonne heure avec le general Zieteni, de qui il avait appris les ordres donnes par Gneisenau, et avant que les troupes anglaises eussent prepare leur repas du matin, un officier depSch^ du quartier- general de Bliicher, dej4 rendu a Wavre, apporta un message de la part du marechaP. Dans la situation expos^e de Wellington, une prompte retraite devenait necessaire ; mais la direction choisie par les Prussiens et I'inaction que Wellington remarquait du cote des Fransais^ parurent au general anglais d'un si bon augure pour ce qu'il pouvait attendre de la cooperation de ses allies*, qu'il manifesta surle champ I'intention de suspendre son mouvement sur BruxeUes^ et d'accepter la bataiUe dans la position de Waterloo, dej^ reconnue et signal^e par lui, I'annde pr^cedente, pourvu que Blucber le soutint avec une partie de son armee. Couverte par la division Alten, du corps du prince d'Orange, et par la cavalerie, la retraite du gros de I'armde anglaise commenga dans le meUleur ordre et se continua pendant toute la journee jusqu'el 1 Dip. suppl., t. X, p. 527; Muffling, Mimoires, p. 2-10. 2 Ibid., p. 241. 3 Dip. suppl., t. X, p. 527. < Muffling, Mimoires, p. 241. 5 Muffling, Hist., p. 16 ; voyez Mimoire sur la difense des Pays- Bas, du 22 septembre 1814; Gurwood, t. XII, p. 129. — 193 — ce qu'elle flit compldtement effectu^e. Lord HilP meiia directement a Waterloo les troupes d^tach^es a Ni- velles, les divisions de Chass^ et de Clinton, avec une partie de celle de Colville ^ ; le restant de la division de Colville et les HoUando-Belges de Fr^d^ric, s'achemi- n^rent d'Enghien sur Hal par une troisieme route. Ces derni^res troupes avaient I'ordre de s'etablir dans cette petite ville situ^e a 16 kilometres a I'ouest de Waterloo, pour couvrir Bruxelles de ce c6t^. A I'excep- tion de ce d^tachement et d'une simple brigade partie de Gand pour rejoindre au point du jour, toute I'arm^e active de Wellington bivouaqua pendant cette nuit sur le terrain qui devait devenir quelques heures plus tard le champ de bataille leplus c^lebre des temps modernes. Leur aile gauche n'dtait qu'a 11 kilometres en droite hgne, de I'aile droite de leurs allies, ^tablie a Bierge, pr^s de Wavre, et leur chef, en r^ponse a sa demande d'assistance, avait regu de Bliicher, maintenant r^tabli, cette promesse caract^ristique « qu'il ira le rejoindre avec son arm^e toute enti^re, et si I'ennemi differe I'attaque, les allies I'attaqueront ensemble le 19' ». Les Prussiens, Isolds de leur ligne d'approvisionnement ' LoBEN Sbls, p. 233; Gurwood, t. XII, p. 475. * MUPFLINS, JSwt,p. 14; SiBORNE, t. I, p. 279. 3 Muffling, Hist., p. 16; Recueil des bataWes, p. 53. 13 — 194 — et n'ayant emporte avec eux qu'un petit nombre de rations \ etaient d6jk a court de vivres; « mais lez^le des troupes, dit I'^crivain officiel, n'en etait point abattu » et leur conduite pendant la journ^e suivante, justifie pleinement cet ^loge. Comme il ^tait n^cessaire de prendre immediatement des mesures pour supplier a la ligne de ravitaillement qu'on venait d'abandonner^, tout le gros bagage fut dirigd le matin suivant sur Louvain, qu'on avait resolu de prendre pour Ute de la nouvelle ligne ^. Le plus grand inter^t des operations de ce jour revient encore a Napoleon, la figure centrale de ce drame. Pleinement instruits de ce que les Prussiens avaient fait dans la premiere partie de la matinee, nous pouvons maintenant mieux juger de la complete illusion que se faisait I'empereur sur la port^e et sur les con- sequences de sa victoire *. II etait au moins sept beures, et plus de huit heures meme d'apr^s certains rapports, lorsque I'empereur sortit de ses quartiers de Fleurus, le 17 au matin , pour aller visiter le champ de bataille et passer en revue les troupes victorieuses. Toute sa pens^e a cet instant de la journde se r^vMe dans la 1 Recueil des batailles, p. 55. 2 Muffling, Hist., p. 71. ■' Recueil des hatailles, p. 58; Clausewitz, p. 112. < Thiers, t. XX, p. 146; Charras, p. 188. — 195 — lettre qu'il ^crivit k Ney, au moment de partir pour Bry, et qui contenait une r^ponse detaillde au message que ce marechal lui avait envoys par le g^ndral Fla- hault, le m6me qui avait porte I'ordre de la veille au matin, pour demander des instructions. Flahault faisait connaitre que Ney ^tait toujours dans I'incertitude sur les rdsultats de la bataille de Ligny '. « Je crois, dit Soult ecrivant au nom de Napoldon, vous avoir d^j4 pr^venu de la victoire que I'empereur a remportde. L'arm^e prussienne a ^te mise en deroute ; le g^n^ral Pajol (qui avait emmene la moitie d'un des quatre corps de cavalerie) est a sa poursuite sur les routes de Wavre et de Liege. Nous avons fait plusieurs milliers de pri- sonniers et enlevd trente pieces de canon. L'empereur se rend 4 Bry, et comme il est possible que I'arm^e anglaise vienne a agir devant vous, l'empereur, en ce cas, marcherait directement sur elle par la route des Quatre-Bras, tandis que vous I'attaqueriez de front avec vos divisions, qui, a present, doivent 6tre rdu- nies. Ainsi, instruisez Sa Majesty de votre position exacte et de tout ce qui se passe devant vous. Hier, l'empereur a remarqu^ avec regret que vos divisions agissaient s^pardment. Si les corps de d'Erlon et de Reille avaient 6t6 rdunis, pas un Anglais n'aurait 1 Mimoires, t, IX, p. 340; Siborne, t. I, App. — 196 — ^chapp^. Si le comte d'Erlon avait ex^cut^ le mouve- ment sur Saint-Amand que I'empereur avait ordonn^, Tarmee prussienne aurait ete detruite en totality. Con- centrez vos troupes sur une lieue de terrain, pour les avoir bien sous la main. L'intention de Sa Majesty est que vous preniez position aux Quatre-Bras ainsi que I'ordre vous en a ete donne ; mais si, par impossible, cela ne peut avoir lieu, rendez-en compte sur le cbamp, avec detail, et I'empereur s'y portera. Si, au contraire, il n'y a qvJune arriere- garde, attaquez-la et prenez position. La journee d'aujourd'hui est necessaire pour terminer cette operation (I'^diteur frangais des Memoires n'a pas su lui-m6me si cette phrase s'appliquait a Na- poleon ou k Ney '), et pour completer les munitions, rallier les militaires isoles et faire rentrer les detache- ments. Donnez des ordres en consequence et veiUez k ce que tousles blesses soient envoyes sur les derriereS". Cette lettre se termine par le rapport d'un prisonnier prussien confirmant la dissolution de Tarm^e prus- sienne. Nous avons suivi le -texte de cette fameuse deplete mot a mot, afin de pouvoir en comparer tons les termes avec la version qu'en donne Thiers et avec les allusions qu'y fait Napoleon lui-meme dans ses relations. 1 Voyez note, Mdm., t. IX, p. 341. — 197 — Les instructions de Ney exp^di^es, I'empereur se fendit en voiture a Ligny '; la il monta a cheval, passa les troupes en revue et les harangua successivement. Le corps de Lobau, diminud de la division Teste, de- tach^e pour appuyer PajoP, fut dirigd a dix heures du matin', du plateau de Bry surles Quatre-Bras, etsuivi, une heure plus tard, par la garde imp^riale. Sur ces entrefaites, Napoldon, soit qu'il attendit que le mouve- ment ftit opdr^ pour poursuivre sa route, soit qu'il oublidt I'importance des heures, non seulement causa assez longtemps avec les prisonniers prussiens, mais « n s'entretint avec ses g^neraux des sujets.les plus divers, de la guerre, de la politique, des partis qui divisaient la France, des royalistes et des jacobins, paraissant fort content de ce qui s'^tait fait depuis deux jours et esperant encore davantage pour les jours qui allaient suivre *». Apprenant par un parti envoys en reconnaissance que les Anglais ^taient toujours aux Quatre-Bras, il fit exp^dier a Ney un nouvel ordre aiasi dat^ : « En avant de Ligny, le 17 juin a midi », » Thiers, t. XX, p. 146; Charras, p. 188. 2 Ibid., et Thiers, t. XX, p. 102. 3 D'apr6s Charras; et Thiers (pp. 153, 154), parlant de Napoleon, dit : " Vers onze heures, il quitta Bry; il trouva Lobau en pleine marche, etc. >■ < Charras, p. 188 ; Thiers, t. XX, p. 149. C'est k celui-ci que nous empruntons cette phrase. — 198 — et portant ce qui suit ' : « L'empereur vient de faire prendre position, en avant de Marbais, a un corps d'infanterie et a la garde imperiale. Sa Majeste me charge de vous dire que son intention est que vous attaquiez les ennemis auxQuatre-Bras, pour les chasser de leur position; et que le corps, qui est a Marbais, secondera vos operations. Sa Majesty va se rendre a Marbais et elle attend vos rapports avec impatience » . Ce fut apres avoir ^crit cette lettre que, au dire des ^crivains de I'un et I'autre parti, l'empereur manda Grouchy et lui confia le commandement d'un fort d^- tachement ^, comprenant 33,000 hommes de toutes les armes, avec des instructions verbales sur la teneur pre- cise desquelles les t^moignages ne sont pas absolument d'accord, mais qui impliquaient en tous cas I'ordre de poursuivre les Prussiens, de completer leur defaite et ; Charras, p. 189; Thiers, t. XX, p. 150; Siborne, t. I, p. 459. 2 Le commandement de Grouchy comprenait I'effectif suivant (Charras, p. 190, et Thiers, t. XX, p. 152) : Vandamme 13,400 G6rard 12,200 Cavalerie de Pajol (la moiti6 du corps) 1,300 Cavalerie d'Excelmans . . 3,100 Division de Teste (du corps de Lobau) 3,000 33,000 avec 96 pieces de canon. — 199 — de se maintenir constamment en communication avec Napoldon par la route de Namur \ Cette mission si vague dans ses termes et qui faisait peser sur Grouchy une si grande responsabilit^, sou- riait peu a cat offlcier, qui ne dissimula point combien il lui paraissait difficile de decouvrir I'armee prus- sienne ^, avec I'enorme avance qu'elle avait prise ; cependant, apres quelques observations, I'empereur le laissa a sa tAche et se porta sur Marbais et les Quatre- Bras ^ Arrive pres de la premiere de ces localites, suivant Thiers, ou a Ligny, il fit ^crire par le g^n^ral Bertrand, enl'absence de Soult, pour donner a Grouchy des instructions plus positives sur ce qu'il avait k faire. II lui prescrivit de marcher sur Gembloux, car I'empe- reur venait de recevoir des rapports de la cavalerie legere de nature a modifier la croyance ou il ^tait que les Prussiens se retiraient sur Namur *; il lui recom- mandait cependant d'^clairer la route de cette ville, de suivre la trace de I'ennemi, de chercher a decouvrir ses veritables intentions et s'assurer en particuher, « s'il se separait de I'armee anglaise ou s'il tentait de ' Thiers, t. XX, p. 152; Charras, p. 191. 2 Ibid. 3 Thiers, t. XX, p. 156; Charras, p. 192. * Ibid.; -voyez aussi Lobbn Sels, p. 228, qui cite le rapport du g6n6ral de la cavalerie. Barton. — 200 - s'y rallier pour couvrir Bruxelles et courir la chance d'une seconde bataille « . Telle etait la teneur integrale de cette importante missive qui ne prouve que deux choses : que Napoleon en ce moment etait encore in- certain de la ligne de retraite de Blucher et qu'il jugeait que Gembloux etait une assez bonne position pour y porter Grouchy en tout cas. La cavalerie d'Excelmans fut en consequence dirigde immediate- ment sur Gembloux; mais I'infanterie de Vandamme et de Gerard, a qui Ton avait permis de se debander pour cuire ses aliments et nettoyer ses armes, se mit en marche avec plus de lenteur. II dtait alors deux heures, la pluie tombait par torrents et eUe continua toute la journee. La route de S ombreffe a Gembloux iJL^i?iLBJiS^^!^5_^?-'iy^9ffi-'-S-jcheniin etroit, ou I'artil- lerie avangait p|niblement, et, comme nous I'apprend le rapport de Gerard i, il^tait d ix heures du soir avan t que la que ue^de^ja^jcolonne qu'il conduisait prit son bivouac pres de cette derniere ville. La, Grouchy fat pendant plusieurs heures en qu^te de renseignements, mais il ne put en obtenir que d'incertains, soit d'Excel- mans, dont la cavalerie avait pouss^ une reconnais- sance jusqu'a Sauveniere -, ou Billow avait bivouaqu6 1 Thiers, t. XX, 173; Charras, p. 193, ou le rapport de Gerard est cit^. Observations personnelles de I'auteur. 2 Voir oi-dessus p. 189 et la carte. — 201 — pendant la nuit pr^cddente, soit de Pajol, qui avait pass^ son apres-midi le long de la route de Namur, ou il avait enlev^ quelques canons et ramass^ un cer- tain nombre de trainards. A dix heures du soir, le mar^chal rendit compte de ses operations a I'empe- reur, dans une lettre ' qui exposait clairement I'incer- titude ou il etait des 'mouvements de I'armee prus- sienne. « J'occupe Gembloux, dit-il, et ma cavalerie est a Sauveni^re. L'ennemi, fort de 30,000 hommes (il s'agit du corps de Thielemann), continue son mouvement de retraite. II parait que, arrives k la Sauveniere, les Prussiens se sont divises en trois colonnes : I'une a dil prendre la route de Wavre en passant par Sart-lez- Walhain ( village au nord de Gembloux) ; I'autre co- lonne parait s'^tre dirigde sur Per-wez (au nord-est de cette viUe) ; on pent peut-^tre en inf(^rer qu'une portion va rejoindre Wellington et que le centre, qui est I'ar- mee de Bliicber, se retire sur Li^ge, une autre colonne avec de TartUlerie ayant fait son mouvement de retraite sur Namur. Le general Excelmans doit pousser des d^tachements de cavalerie sur Perwez et Sart-lez-Wal- hata. D'apres leur rapport, si la masse des Prussiens se retire sur Wavre, je la suivrai pour I'emp^clier de ' Original dans Siborne, t. I, p. 297; Charras, p. 194. — 202 — gagner Bruxelles et la s^parer de Wellington. Si nos renseignements prouvent que la principale force prus- sienne a march^ par Perwez, je me dirigerai par cette viUe, a la pour suite de I'ennemi ». A deux lieures du matin, Grrouchy se mit en tete que la direction a prendre' ^tait celle de Wavre et non celle de Perwez. II adressa k Napoleon une lettre, qui n'existe plus, mais dont la reponse de Napoleon nous fait assez con- naitre la substance : cette reponse, datee du lende- main, commence par ces mots ' : « Vous avez dcrit ce matin k deux lieures que vous marcheriez sur Sart-lez- "Walhain » ; ce document est confirm^ d'ailleurs pa,r les ordres de Groucliy, que le colonel Charras est parvenu a d^terrer des archives du d^p6t de la guerre et qui prescrivent a Vandamme de marcher sur Sart-lez- Walhain, le lendemain a six lieures, et a Gerard de suivre Vandamme : « Je pense, disait-il, entre autres a ce dernier, que nous nous porterons plus loin que ce village », et il ajoutait que Pajolavait I'ordre de suivre le mouvement, c'est a dire, de marcher de Mazy sur Grand-Leez, hameau tout proche de Sauveniere, a 3 kilometres k peine a Test de ce village. Nous laisserons ici Grouchy, faisant ses pr^paratifs pour le lendemain , et nous suivrons I'empereur lui- 1 Original dans Clausbwitz, p. 148, et Charras, p. 228. — 203 - m^me dans ses operations du 17. Nous I'avons vu don- nant ses ordres pres de Marbais, lorsque Lobau et la garde s'avangaient vers les Quatre-Bras pour prendre I'arm^e anglaise de flanc. Mais il 6tait deja pres de midi en ce moment et Wellington etait bien avance dans sa retraite sur "Waterloo. Les renforts de Napo- leon, y compris un gros corps de cavalerie, portaient I'aile gauche de I'arm^e frangaise, deduction faite des partes et de la division Gerard demeur^e a Ligny, k pres de 72,000 combattants avec 240 pieces de canon ^. La poursuite des Anglais ne donna lieu a aucun inci- dent remarquable, sauf une vive escarmoucbe a Ge- nappe, ou lord Uxbridge dut faire volte-face et charger avec sa brigade de grosse cavalerie un parti de lan- ders qui harcelaient assez vivement le 7" hussards ^, place a I'extreme arriere-garde de Wellington. Cette charge^ ou la pluie, suivant d'autres versions, pr^serva 1 D'Erlon 20,000 Reille 16,000 Lobau (moins Teste) ... 7,000 La garde imp6riale 19,000 Domon (cavalerie de Vandamme) 1,000 Subervie (la moiti^ du corps de Pajol). . . 1,500 Corps de cavalerie de Milhaud 3,500 Id. de Kellermann .... 3,500 71,500 Thiers, t. XX, p. 155; Ch.^rras, p. 190, note. 2 SiBORNE, t. I, p. 272. — 204 — I'armde anglaise de toute interruption nouvelle^ jusqu'a ce que les Frangais atteignant ^ la bruue le plateau de la Belle-Alliance \ eussent pris position en face de Wellington. Un ddploiement de la cavalerie de Mil- haud ^, ordonne en cet endroit par Napoldon, provoqua une ddcharge d'artillerie qui put le convaincre que I'ennemi ne se retirait pas du tout ^, comme il I'avait craint, dans la for^t de Soignes, a la faveur de la nuit tombante. Les Fran§ais s'arr^t^rent done au sommet du plateau et y etablirent leur bivouac pour attendreles dvenements de ce lendemain qui inspirait k leur chef de si vastes esperances et qui devait, en rdalite,.ne rien laisser a I'empereur et a la grande armee que la renommee des gloires qu'Us avaient autrefois par- tagees. Commentaires . Les hommes qui pr^ferent juger les actes de Napo- leon sur des regies qui ne sont pas ceUes du commun des mortels, peuvent prendre au serieuxcertaines asser- tions des Memoires, de ce genre : « Ney fut envoy^ aux Quatre-Bras ^ a la pointe du jour » , ou : « Grouchy > Thiers, t. XX, p. 160. 2 Ibid., p. 161. 3 Charras, p. 200. * Mdmoires, t. IX, p. 94. — 20S — accomplit sa mission avec tant de c^l^rit^ qu'il arriva El Gembloux a quatre heures de I'apr^s-midi et qu'il aurait pu poursuivre a loisir, le meme soir, les Prus- siens qui fujaient au dela de cette ville ' ». Thiers, qui n'a pas pris sur lui d'accueillir a la lettre la premiere de ces fictions, comme nous I'allons voir, rejette com- pl^tement la seconde de ses rdcits, mais il assure que I'empereur (faussete ^vidente, inconciliable avec ses propres ordres), en recevant le rapport de Pajol con- cernant les canons et les fuyards surpris sur la route de Namur, « ne crut pas un instant ^ une pareiUe resolution de la part des Prussiens, indice qu'ils vou- laient regagner le RMn et laisser les Anglais s'appuyer sur la mer ^ « . Pour r^futer cette attribution faite k Napoleon d'une intuition surhumaine, nous n'avons qua Jeter les yeux sur les termes tr^s-posittfs de sa lettre du matin a Ney ^; il y r^gne au moins autant de sincerite que dans aucun autre de ses Merits. Jusqu'au moment qu'il exp^dia I'ordre ecrit k Groucby vers midi, on ne trouverait pas dans tous ses actes la preuve qu'il elit modifi^ ses premiers desseins, et c'dtait tout simplement ceux d'un esprit pr^somptueux, qui comp- 1 Uimoires, t. IX, p. 99, 100. 2 Thiers, t. XX, p; 155, 156. ' Voir ci-dessus p. 195. tait d'une part, que la victoire du 16 ^tait plus decisive qu'elle n'etait en realitd et de I'autre, quelle devait entrainer un r^sultat strat^gique infaillible et tout k fait d'accord avec ses vues les plus ambitieuses', la separation des allies. Cette m^me lettre absout Ney de tous les repro- ches d'hesitation, de lenteur, de desob^issance a des ordres r^iter^s, que Thiers \ suivant en cela le des- sein des Memoires ^, voudrait accumuler contre lui pour n'avoir pas attaque les Quatre-Bras dans la ma- tinee. S'il est un point prouv^ a 1' unanimity par des t^moins independants ', c'est que "Wellington ne com- menga a retirer ses troupes que vers dix heures du matin; jusqu'a cette heure, il tint tete a Ney avec les forces victorieuses de la veille accrues encore par de larges renforts. Ce passage de la lettre Merita le matin k Ney ^ : >« Si, au contraire, il n'y, a qu'une arriere- garde, attaquez-la, et prenez position n est une preuve irrefutable — ou bien il n'a aucun sens — que s'il y avail plus qu'une arriere-garde devant le marechal, il devait, non pas attaquer ni prendre position, mais 1 Thiers, t. XX, p. 156, 157. 2 Mdmoires, t. IX, p. 96. 3 Muffling, Mimoires, p. 251; Rapport autrichien sur la campagne, document 101. ■• Voir ci-dessus, p. 196. — 207 — attendre la cooperation qu'on lui avait promise du c6te de Ligny. La fin de la lettre que nous avons cit^e dit clairement- que la journ^e ^tait n^cessaire « pour ter- miner cette operation, pour completer las munitions, rallier les militaires Isolds at faira rentrer les d^tache- ments '», Quiconque lira catte phrase avec un esprit impartial, ne pourra conservar le moindra doute que I'homme qui I'^crivait a sept ou huit heures du matin, n'avait nullament I'intention da faire ce jour-la une poursuite prolong^e. Cetta simple phrase ^branla plus efflcacement que tous les arguments du monde la th^oria audaciause qua Thiers a ^chafaudee sur ca point. Suivant lui ^, Napoldon dressa de grand matin son plan, qui 6tsdt de forcer les Anglais a se battre ce jour-la dans la plaine da Waterloo, s'ils y restaient et s'ils consentaient a accepter la bataiUe, au lieu de s'enfoncer dans la for^t de Soignes, et il ne retarda le mouvement das troupes de Ligny qu'il se proposait d'amener avec lui, que parce qu'il voulait laisser k Ney le temps de traverser les Quatra-Bras, et a la garde, qui avait ate vivemant engag^e la veille, la temps de se reposer et de se restaurer. Pour stayer cette in- vention, il etait necessaire que I'historien dcrivant avec 1 Voir ci-dessus p. 196. 2 Thiers, t. XX, p. 144. — 208 — la lettre de Ney sous les yeux, I'analysEit de cette fagon peu fidMe : « II lui enjoignit de marcher hardiment et sans perte de temps aux Quatre-Bras ', » expression que I'ordre original, confirme par les faits, dement de la maniere la plus ^clatante, ainsi qu'onl'avu^ ; d'autant plus que dans le cas special qui se produisit, si I'arm^e anglaise ne se retirait pas avant que Ney rectit ses instructions, il ^tait pr^vu que « lempereur marcherait directement sur elle par la route des Quatre-Bras ; » mouvement de cooperation pour lequel Ney devait attendre, comme il devait attaquer si I'ennemi ne lui opposait qu'une arriere-garde. Heymes qui accompagna Ney pendant toute cette journee ', dement avec fran- chise I'assertion que I'empereur ellt manifeste quelque m^contentement de I'inaction de Ney, qui n'^tait que la consequence immddiate de ses ordres. Mais quelle force tous ces tdmoignages peuvent-ils ajouter a ceUe que ces ordres m^mes portent en eux? Ce mythe des operations de la journee compromises par une soi- disant faute de Ney, ne se serait assur^ment jamais produit, si tout autre que Napoleon se fdt trouv^ en cause ; mais il ne supporte pas I'examen et on peut sans 1 Thiers, t. XX, p. 144. ' Ci-dessus, p. 196. 3 M4moires, t. IX, p. 26T. — 209 — h^siter le releguer dans les limbes de la l^gende de Waterloo ddsormais jug^e. De s'attendre que les An- glais se maintiendraient Isolds aux Quatre-Bras jusqu'a ce qu'il arrivM sur leur flanc \ et cela pendant que le regard d'aigle de Wellington et de Muffling explorait toute la plaine de Bry aux Quatre-Bras, me parait chez Napoleon une pr^somption aussi puerile que son id^e arr^t^e de la retraite des Prussiens sur Namur. Avant de quitter cette lettre si importante, nous de- vons encore y relever une phrase : « si d'Erlon avait execute le mouvement sur Saint-Amand que Tempereur avait ordonn^, I'armee prussienne aurait 6t6 totalement d^truite ^ » . On pent I'expliquer sans y voir une confir- mation des fictions de Thiers, que nous avons exposees dans le dernier chapitre', ou une contradiction des de- negations formelles de Napoleon a propos d'une soi- disant marche de flanc dont le mar^chal Ney n'aurait pas eu connaissance. Hooper ^ a fait remarquer avec justesse que cette phrase, qu'il venait de citer, pent s'appliquer sans effort aux ordres r^it^r^s de Ney, do detacher des troupes des Quatre-Bras aussitdt qu'il aurait battu Wellington. Mais en fait, la question se ' SiBORNE, t. I, p. 251; D^p. suppl., t. X, p. 527. 2 Ci-dessus, p. 173, 174. ' Ci-dessus, p. 177. ■• Hooper, p. 139. 14 — 210 — passe de conjectures, si la premiere partie duparagraphe est lue dans les termes qu'elle est ^crite. II s'agit ici de la maniere la plus ^vidente de Taction des Quatre- Bras, et c'est ce qui donne la clef de cette phrase : « Si les corps de d'Erlon et de Reille avaient ^t^ r^unis, il n'aurait pas ^chapp^ un seul Anglais du corps qui vous attaquait «. De sorte que supposer que d'Erlon etit 6t6 d^tach^ k Saint-Amand avant que les Anglais fussent hattus, ce serait evidemment mettre un membra de la phrase en contradiction avec I'autre. Nous avons peu de chose a ajouter au rdcit succinct que nous avons donn^ de la marche des troupes de Bliicher. Dans les circonstances qu'on sait\ il 6tait tout naturel que le corps intact de Bulow fut plac^ de maniere k couvrir le restant de I'arm^e centre toute tentative des Frangais du cote de Mont-Saint-Guibert. D'autre part il ^tait convenu que Bulow prendrait le commandement des troupes qui devaient ^tre mises en ligne a "Waterloo le lendemain. A ce point de vue, ce fut une faute incontestable que de le faire bivouaquer k Dion-le-Mont : car de tous les corps prussiens, le sien se trouvait ainsi le plus ^loign^ du point qu'on voulait atteindre et cette position entrainait un retard de plusieurs heures dans I'importante marche de flanc ' Ci-dessu3, p. 189, 190. — 211 — du 18. L'inutilit4 de ce retard, dii a la divergence des dispositions prises pour la nuit et des ordres qui r^glaient I'emploi de ce corps le lendemain, n'a pas 6chapp6 au chef des critiques allemands^ et nous n'avons rien a aj outer a ce qu'il dit a ce sujet, sur lequel nous aurons I'occasion de revenir plus tard^. II parait moins ais4 d'excuser I'^tat-major de Bliiclier de n'avoir pas rendu compte des operations de ce ge- neral et d'avoir ainsi laiss^ Wellington expose a une sorte d'isolement pendant la matinee du 17. Miiffling' assure que le due se crut un moment tromp^, lorsqu'U finit par apprendre de Zieten que la retraite 4tait com- menc^e d6^h depuis plusieurs heures*. On sait eflfecti- vement par sa relation, qu'un officier prussien charge d'un message de sa part, le 16 a la brune, fut atteint par une baUe fran^aise pr^s des Quatre-Bras ; mais on a lieu de douter que ce message fdt un avis sufflsant de la retraite projet^e. « Toute cette affaire, selon les expressions de Muffling s, ^tait un peu confuse et elle n'a jamais ete tir^e au clair « . On pent inf^rer de son expose que Gneisenau aurait pris d'autres precautions ' Cladsewitz, p. 127. 2 Voir ci-apres, p. 233 et 260. 3 Muffling, M^moires, p. 240. * .Ci-dessus, p. 192. 5 Muffling, M4moires, p. 238. — 212 — plus efficaces afin de tenir ses allies au courant de la situation actuelle des affaires. . La nature du terrain, qui permettait au due d'ob- server de son poste I'inaction des Francais sur les deux champs de bataille^, justifle amplement le repos qu'il accorda k ses troupes avant d'entamer son mouvement de retraite. Suivant Muffling ^, il s'attendait que ce mouvement provoquerait une attaque s^par^e de I'ar- riere-garde ; mais I'experience que Muffling avait acquise des derniers errements de Napoleon en fait de guerre, lui permit d'annoncer que I'armee frangaise, apres avoir bivouaque le soir, ne se trouverait pas sur pied avant dix heures du matin, et I'effet justifia sa prophetie. Dans le Memorandum de Wellington de 1842^', I'illustre ecrivain laisse entrevoir que I'arr^t des Francais fut une suite de I'avantage qu'il avait remport^ la veille aux Quatre-Bras et il ne fait aucune allusion a ses propres apprehensions. Mais cette partie du Memorandum est loin d'etre exacte, puisque I'auteur s'egare meme jusqu'4 placer k trois ou quatre heures de I'apres-midi le mouvement des Francais centre son aile gauche. II est difficile de lui accorder le m^me ' Ci-dessus, p. 192. 2 Muffling, Mimoires, p. 240. 3 B&p. suppl., t. X, p. 527. — 213 — degr6 d'authenticitd qu'aux Memoires de son compa- gnon allemand\ qui dcrivit I'Mstoire de cette campagne avec toute la fraicheur d'un esprit encore charge des ^venements auxquels il venait de prendre part. Le mouvement de "Wellington aux Quatre-Bras, rhabilet^ avec laquelle sa robuste cavalerie et une seule division d'infanterie masquerent la retraite de tout le restant de I'armee, I'ordre parfait avec lequel il parvint a soustraire des forces si considerables et si diverses aux regards du general le plus renomme du monde, maniant des forces superieures aux siennes, c'est un de ces ,exploits que nous ne pouvons passer sous silence. II a fait dans le temps I'admiration des observateurs etrangers,^ Men que pour se faire une idde de sa per- fection, il faUle en etudier les details dans I'ouvrage du critique anglais, Kennedy', qui prit part a la con- duite de cette naerveilleuse affaire. 11 est difficile sans doute, d'admettre, avec certains commentateurs enthousiastes de ces evenements, que 1 Les Memoires de Muffling, Men qu'ils n'aient pas 6U publics avant sa mort, selon son voeu, portent un caract6re sur lequel on ne peut se m^prendre, quant A leur date : cette partie, au moins, en a 6t6 compos^e vers 1818 ou 1819, pas plus tard, et probablement sur les m§mes notes qui avaient d'abord servi A I'auteur pour ^crire sa pre- miere histoire de la campagne. '2 Rapport du g^n^ral Alava au gouvernement espagnol, Doc. 105. Kennedy, p. 17, 18. — 214 - la circonspection dans ses mouvements soit le comble de la perfection d'un g^n^ral ^ ; mais la circonspection que Wellington montra dans la matinee du 17 avait un objet special et elle ^tait bien justifi^e par les mo- tifs que nous avons exposes. Pour le reste, le r61e de Wellington pendant cette journ^e ne pr^sente aucune particularity sur laquelle il j ait lieu de s'etendre dayantage; il ne lui restait plus qu'a couronner cette sage tactique qui I'avait determine a attendre la bataille k Waterloo. Le lendemain devait montrer de nouveau la confiance mutuelle des allies et leur resolution in6- branlable de s'unir le plus t6t possible dans un choc d^cisif, ou ils racheteraient les erreurs qu'ils avaient commises au d^but de la campagn'e. Nous avons vu que jusqu'a midi Napoleon resta dans unp complete ignorance des combinaisons strat^giques de ses ennemis. Lorsqu'il finit a la longue par donner des ordres positifs a Grouchy, ce fut pour I'envoyer sur un point qui le rejetait (un coup d'ceil sur la carte le d^montre suffisamment ^) a I'ouest et bien en dehors de la direction que les Prussiens avaient prise; la nuit venue, il devait se trouver bien plus 6loign^ qu'eux de Waterloo. Ces ordres eux-memes ne furent pas exp^- Voyez, par exemple, Hooper, p. 81. Voir la carte. — 215 — di^s avant midi et I'ordre verbal ne fut pas donnd beau- coup plus t6t. Selon Thiers i, la dep^che avait 616 envoy^e avant onze heures ; mais le ra6me historien ^ dit que Napoleon, au moment qu'il la faisait dcrire, ga- lopait sur la route de Bry a Marbais^ a moins de 3 kilometres I'un de I'autre, et qu'ensuite il exp^dia a Ney, une nouvelle d^pecbe dat^e de midi*. Grouchy a protests contre I'insinuation qu'il aurait regu ces ordres avant midi et ses assertions sont exactement confirmees par celles de Gerard^, t^moin qui lui est maintes fois d^favorable et qui recut, lui, ses instructions « vers midi et demi « . Charras et Quinet ® ont completement rectifie la version mensong^re des Memoires'', ou remis- sion de I'heure a laqueUe s'effectua le mouvement de Grouchy et le rapprochement perfide de la mention de ce mouvement et des ordres donnas a Ney dans la matinee, alapointedujour, dit faussement la relation, » Thiers, t. XX, p. 153, 154. 2 C'est sur ce point que Thiers conteste I'exactitude de Grouchy quanta I'heure. Si le mar^chal n'a pas 6t6 toujours fort exact, il a du moins une meilleure excuse que I'historien, qui se borne k le contredire au moyen d'une de ces phrases banales et vagues dont il n'est pas assez avare : « D'aprSs les indications les plus certaines >-, dit-il, sana faire mention d'une autorit^ quelconque sur laquelle il s'appuie. 3 Voir ci-dessus, p. 198.- ^ Charras, p. 206. 5 Ibid., note. * Charras, p. 205; Quinet, p. 165. ' Memoires, t. IX, p. 94. — 216 — ont pour but de laisser croire au lecteur que Grouchy avait 6te detache un peu apr'es la pointe du jour et que ce fut de propos delibere qu'il atteudit longtemps a Gembloux. Nous n'avons pas besoin d'insister davantage sur cet objet. Ceux de leurs compatriotes qui sont a portee deconsulter les oeuvresdeces critiques, n'ont pas la moindre excuse pour persister dans leur aveugle- ment a ce propos. Thiers lui-m^me s'est bien garde de suivre en cela I'impdrial ecrivain dont il vante si fort la v^racite. Sa relation ne fait qu'avancer d'une heure I'ordre de Napo- leon, et il n'en resulte aucune difference pratique quant a la position prise a Gembloux par Grouchy, dans la soiree detestable qui succeda a cette pluvieuse journee. C'est ici le lieu de remarquer que parmi les charges accumulees centre Grouchy dans les Memoires ^ on lui reproche de n'avoir fait que deux lieues pendant cet apres-midi; mais en realitd, la distance du village de Saint-Amand, ou bivouaquait une partie du corps de Vandamme, aux quartiers qu'il occupa la nuitau nordde Gembloux, etait de plus de 13 kilometres ^et les soldats avaient inarchd, commenous I'avonsvuplus haut', sous une pluie torrentielle et par d'^pouvantables chemins. ' Memoires, t. IX, p. 100. 2 Cartes ofRoielles du gouvernement beige. 3 Voir ci-dessus, p. 200. — 217 — Thiers ddcrivant la marche de Grouchy, souleve centre le mar^chal trois griefs de son crA ; il laisse dans I'oubli ceux que lui reprochent les Memoires^. Apres avoir declare d'abord que Grouchy « n'avait rien de la sagacite d'un offlcier d'avant-garde charge d'^clairer une arm^e » , il le bMme premi^rement de n'avoir pas envoys une reconnaissance sur sa gauche, par la route qu'avaient prise les Prussiens de Zieten et Pirch, et de n'en avoir pas m^me envoys une par sa droite, a Gem- bloux; secondement, d'avoir galope comme une tete legere sur Namur; et enfin, d'avoir accords a son infanterie un trop long repos dans la plaine de Ligny, avant de la mettre en mouvement. II n'y a que les initios en 4tat de discerner le but ou tendent ces atta- ques, qui puissent saisir I'importance qu'y attache I'his- torien ; il les fait entrer dans la trame de son recit avec une dexterite merveilleuse a cacher I'art de I'^crivain. Rien ne trahif mieux cette intention que la phrase par laquelle debute cette partie de la narration ; nous la citons int^gralement parce qu'elle forme comme la quintescence de son argumentation^ : « Trois recon- naissances de cavalerie, une sur Namur, deux sur Wavre (par les routes de Tilly et de Gembloux, dont il ' Thiers, t. XX, p. 173. 2 Thiers, t. XX, p. 172. — 218 — vient d'etre question), devaient en quelques heures con- stater ce qui en ^tait, et Grouchy, que Napoleon avait quitt^ a onze heures du matin, aurait dd a trois ou quatre heures de I'apres-midi savoir la v^rit^, et de quatre a neuf etre bien pr6s de Wavre, ou se trouver sur la gauche de la Dyle, s'il traversait cette riviere pour se mettre en communication plus etroite avec Napoleon ». II n'est pas une de ces allegations, pas m^me celle qui leur sert de prelude, qui supporte r^preuve de la comparaison avec les faits constates. Examinons-les en effet de plus pr^s. Napoleon quitta Grouchy en lui donnant un ordre verbal et partit imm^diatement pour Marbais. De ce village A Tilly, il y a moins de 1 1/2 kilometre, et Na- poleon emmenait trois divisions de cavalerie'. S'il^tait urgent de faire ^clairer par la cavalerie les chemins de traverse au dela de Tilly, et personne ne doute qu'il le fut, ce devoir incombait exclusivement a Napoleon lui- m^me, qui ^tait plac^ entre Grouchy et ces chemins et qui, dans sa marche sur les Quatre-Bras, les serrait bien plus pr^s par sa droite que ne faisait Grouchy par sa gauche. S'ils ne furent pas explores par des recon- naissances, c'est absolument parce que I'empereur, qui ne soupgonnait pas encore la v^rit^, ne se doutait pas ' Thiers, t. XX, p. 153. — 219 — que ce fdt la direction qu'il aurait fallu prendre; ce n'^tait pas qu'il y elit quelque diflSculte a le faire ou qu'il se figur^t que Grouchy, qu'il avait laissd en arri^re et s'^loignant de cette direction , rdparerait cette omission ; celle-ci n'^tait qu'une suite de la meme confiance insouciante qui lui avait fait declarer d^ja que « toute I'arm^e prussienne ^tait mise en d^route ^ » Quant a la reconnaissance sur Gembloux, le rapport bien connu du g^n^ral Berton, I'un des commandants de la cavalerie que Napoleon avait envoy^e dans cette direction le matin, prouve qu'elle avait eu lieu a neuf heures et qu'elle avait fait decouvrir un corps prussien aux environs de cette ville. II aurait ^t^ sans utilite que Grouchy rapport At ce qu'on savait d^ja. Sa conduite en prenant le commandement d'abord et en attendant ensuite que son infanterie eut ddfil^ hors de Ligny et de Saint- Amand, pour s'enqu^rir personneUement de la verity des rapports envoy^s par Pajol, de la route de Namur, sa conduite bien loin d'etre « inconsiddr^e n ^tait une- n^cessit^ tellement palpable en I'absence d'ordres precis, que si les choses avaient tourn^ a I'avantage des Francais on n'elit pas manqu^ d'y voir une preuve de la sagacite de Grouchy et de celle de 1 Lettre A, Ney, ci-dessus, p. 195, cit^e d'apr^s le Precis de Burton. LoBEN Sels, p. 228, et Charras, p. 192. — 220 — I'empereur qui avait choisi un offlcier si apte k cette mission particuliere. La relation de Gerard, d6ja citee\ et que Thiers n'a pas neglige de mettre a con- tribution dans d'autres endroits, dqtruit directement le reproche qu'on a fait a Grouchy d'avoir inutilement retards son infanterie. Get offlcier distingue, dont le temoignage est toujours defavorable a Grouchy du moment qu'il y a le moindre doute, declare « qu'il rejoignit Vandamme, dont la marche I'avait retarde, mais que pourtant les troupes 6taient arrivees aussi vite qu'il ^tait humainement possible par une pluie tor- rentielle et d'epouvantables chemins^ ». Mais la preuve qui absout compl^tement Grouchy de I'accusation d'avoir fait une faute en attendant et qui rend superflue toute discussion plus ddtaiUee de ces faits, cette preuve git dans les simples termes de son ordre ^crit : « Rendez-vous a Gembloux, lui ecrit I'em- pereur ; vous vous ferez eclairer sur la direction de Na- mur et de Maestricht et vous poursuivrez I'ennemi* ». La conduite de Grouchy, sa position dans la soiree, son occupation de Perwez et de Sart-lez-Walhain avec la cavalerie", tout cela ne fut que le strict accomplisse- ' Voir ci-dessus, p. 200. 2 Charras, p. 193 et 206. 3 Charras, p. 192. ' Ci-dessus, p. 20. — 221 — ment de ces ordres : la temp^te et I'lieure k laquelle il les avait regus doivent seules en encourir la respon- sabilit^. Ce ne fut pas Grouchy qui retarda sa marche jusqu'a ce que la moiti^ d'une journde d'et6 se fut 4covl6e ; ce ne fut pas Grouchy qui envoya Grouchy a Gembloux au lieu de I'envoyer a Wavre par Tilly ou par la Dyle ; ce ne fut pas Grouchy qui ordonna des reconnaissances a Test et non 4 I'ouest dans I'espace compris entre lui etle gros de son armde. Nous n'avons pas fait mention dans notre relation d'autres instructions transmises ce jour-la au marechal. Plusieurs historiens strangers ', et qui n'avaient pas a menager des susceptibilitds nationales , se sont laissd dgarer par les assertions si formeUes des deux versions de Sainte-Hdlene ^, qu'un ordre et le duplicata de cet ordre furent envoyds a Grouchy pendant la nuit, a quatre heures d'intervaUe, lui communiquant I'avis de la bataille du lendemain et lui tragant le r61e qu'il devajt y prendre. La seconde version va m^me jusqu'a fixer le chiiire des troupes que Grouchy devait detacher sur la droite de I'empereur! Si ces contes ont 6t6 accueiUis par la critique dtrangere, comment pour- rions-nous bldmer M. Thiers de les avoir admis dans ' Entre autres Brialmont, p. 11 et409. 2 GouRGAUD, p. 70; Mimoires, t. IX, p. 102. — 222 — son histoire ', malgre la demonstration de leur faus- set6 expos^e par Charras avec une brutale Evidence? Quinet ^, venu apres eux, s'en exprime en des termes que nous reproduisons sans j ajouter le moindre com- mentaire de notre crtl, qui ne leur donnerait d'ailleurs pas plus de poids : « Jamais Grouchy, dit-il, ne vit les deux officiers que Napoleon pretend lui avoir envoy^s. Per Sonne n'a jamais pu dire leurs noms. Leurs pr^- tendus ordres n'ont jamais et6 mentionn^s sur les registres de I'dtat-major. Enfin, ce qui est plus signi- ficatif encore, dans les depeches qui suivirent, Napo- Idon ne fait aucune mention de ces ordres de la nuit ; il n'insiste pas pour qu'ils soient executes ; il ne les rappelle pas, contrairement a son habitude inva- riable n. En un mot, ce sont de pures inventions. Recapitulation. R^sumons les ^venements du 17. Napoleon crut le matin que les Prussiens se retiraient en d^sordre sur Namur et sur Li^ge, et bien qu'il eilt I'intention de se tourner alors contre les Anglais, il ne jugea pas apro- pos de porter ce jour-la ses troupes fatigu^es au delA des Quatre-Bras. II chargea Ney de s'emparer de cette Thiers, t. XX, p. 179; Charras, p. 329. QUINKT, P. 182. QUINKT, p. 182 — 223 ~ position, si elle n'^tait occup^e que par une arri^re- garde ; mais si Ton y trouvait I'arm^e anglaise, ce dont on lui rendrait compte de suite, il se porterait en per- sonne sur le flanc des Anglais pour les ecraser. II ^tait pres de midi, qu'il n'avait pas encore pris de mesure decisive ; alors il porta Lobau sur la route des Quatre- Bras et confia a Grouchy un commandement de 33,000 hommes, en lui ordonnant verbalement de poursuivre les Prussiens. Bien avant cette heure I'ar- mee prussienne s'^tait reunie a Wavre, oii elle ne fut pas inqui^t^e le moins du monde de toute cette journ^e. Avant cette heure aussi, Wellington avait commence a se replier en bon ordre sur "Waterloo, ou il ddsirait se mettre sur la defensive ; de sorte que la marche de Napoleon lui-meme contre les Anglais et les ordres positifs donnas a Ney, a midi, d'en faire autant, ve- naient trop tard pour envelopper m^me une simple arri^re-garde. En partant pour les Quatre-Bras, r^solu au moins a y remplacer Wellington, Napoleon or donna a Grouchy de marcher sur Gembloux ; mais il n^gligea compl^tement d'eclairer les routes qui se trouvaient entre la direction du marechal et la sienne propre et par lesqueUes les corps de Zieten et de Pirch s'etaient retires sur Wavre. Ce ne fut que le 18, a deux heures du matin, que Grouchy se decida a prendre au petit — 224 — jour la direction de Wavre. Les rapports confus qui lui etaient parvenus dans la soiree I'avaient jet^ dans une grande incertitude, mais il ne doutait pas qu'une partie de larm^e prussienne ne cherclidt en tout cas a se rapprocher de Wellington. Celui-ci, avant de decider qu'il se battrait le lendemain sur le terrain qu'il avait choisi, avait regu I'assurance formelle que Bliicher lui preterait un vigoureux appui. II n'avait emmene avec lui que 68,000 homnies environ, mais il en avait 18,000 de troupes l%6res a 16 kilometres sur sa droite et 90,000 Prussiens (a estimer au plus bas les forces de Bliicher) touchaient a son aile gauche : tandis que I'effectif des troupes de Napoleon, deduc- tion faite des pertes et de la division Gerard laissee a Ligny, se r^duisait a 7£,000 combattants ; le seul appui qui lui fut reserve etait celui des 33,000 hommes de Grouchy ; mais ce renfort dtait eloign^ de lui du double de I'intervalle qui le separait lui-meme de Tarm^e prussienne et cette situation r^sultait de ses propres ordres '. L'empereur 6tait d'ailleurs dans une complete ignorance des plans et des actes des Prussiens. II n'y a pas un seul document qui confirme, et tons au con- traire ddmentent, I'histoire forg^e par Napoleon, qu'il 1 23 kilometres, & vol d'oiseau, tandis que les Prussiens etaient a moins de 13 kilometres de Napoleon. — 228 — envoy a cette nuit m^me de nouveaux ordres a Groucliy. De tous ces faits, r^sulte par une inevitable deduction, que les armies alli^es avaient compl^tement d^joue les plans de leurs ennemis, et que la superiority de leurs manoeuvres et les propres fautes de I'empereur, pen- dant la journ^e du 17, avaient plac^ Napoleon dans un d^savantage evident pour la lutte du lendemain. -Q=«e=SSff=^i?*=£^ 15 SIXIEME CONFERENCE. EYENEMENTS DU 18. — COMMENTAIRES. — RECAPITULATION. L'aurore suivante apprit a Napoleon que I'arin^e de son adversaire restait immobile dans ses positions, I'Anglais avait passd la nuit dans une situation fort p^nible,. mais ses propres soldats, la plupart priv^s de bois de chauffage, avaient encore plus souiFert de la pluie battante, qui ne cessa de tomber que vers les quatre heures du matin '. Sur le rapport des officiers d'artillerie qui annoncaient que I'etat du terrain ne per- mettrait pas a rartillerie de manoeuvrer avant plusieurs heures dans les terres detrempees par la pluie, Napo- leon retarda les preparatifs du combat, bien que ses troupes fussent sous les armes de bonne heure. II ^prou- vait une vive satisfaction de la ferme contenance des Anglais, discutait les plans qu'il projetait et supputait avec confiance ses chances de succes -. Son attitude et 1 Charras, p. 210. 2 Mimoires] t. IX, p. 114; Gourgaud, p. 72; Thiers, t. XX, p. 181 et 188. son air dtaient ceux d'un homme qui pjessent A^jk la victoire et ne revelaient rien moins que I'arriere-pens^e • de la catastrophe inattendue qu'aurait pu determiner I'arrivde de troupes fraiches surprenant le flanc de son arm^e. Dans ses propres r^cits m^me, on ne trouve pas la moindre trace qu'il aurait fait allusion dans cette matinee a la possibilite de recourir aux renforts de Grouchy ni qu'il se doutdt aucunement de la proximity des Prussiens. Apres avoir regu un rapport du general Haxo, commandant en chef du corps du genie, lui ren- dant compte qu'on n'apercevait aucune trace de fortifi- cation sur la ligne ennemie, il dicta I'ordre de bataiUe et, un peu apres huit heures, il fit ranger son armde sur trois grandes lignes, qui occup6rent avec une pre- cision et une rapidite remarquables, la pente oppos^e a la position de "Wellington. Nous n'entrerons pas dans les details de cette parade, que tous les ecrivains ont reproduite en s'inspirant de la description flamboyante de Temper eur lui-m^me, qui nous r^vele dans sa con- clusion le veritable motif de ce deploiement : « Ce spectacle, 'I dit-il \ etait magnifique; et I'ennemi qui etait place de mani^re k decouvrir jusqu'au dernier homme, dut en ^tre frappe ; Tarm^e dut lui paraitre double en nombre de ce qu'elle etait reellement ». II ' Mimoires, t. IX, p. Ill, 112. — 229 — n'est pas douteux qu'il cherchait avant tout a frapper I'esprit de la portion douteuse des masses melees qui setrouvaient devant lui; en m^me temps ils'efforgait de remonter le moral de ses troupes en les passant per- sonnellement en revue, corps par corps, et en excitant leur enthousiasme. Wellington, avec sa contenance beaucoup plus froide , n'^tait pas moins actif que son adversaire. Ses troupes se trouvaient sous les armes aussitot que celles de I'ennemi et de grand matin son etat-ma-jor s'occupait du placement de chaque brigade au poste qui lui ^tait assign^ ', de maniere a luifaire produire tout son effet utile et a occuper efficacement I'ennemi jusqu'au moment qu'arriverait le secours pro- mis par Blucher. Les communications des allies etaient intactes. Wel- lington ayant trace un avant-projet de sa ligne de de- fense, le general Muffling fut charge de preparer aussi un plan pour la cooperation des Prussiens, de maniere a obteuir le plus grand effet possible de leurs combinaisons ^. Ce projet prevoyait de la maniere suivante les trois hypotheses probables qui pouvaient 'se produire ce jour la : ' SiBORNE, t. I, p. 327. * Muffling, Mdmoires, p. 242, et Histoire, p. 17. — 230 — 1° Si Vennemi attaquait la droite de Wellington, les Prussiens devaient se porter sur Ohain ', point sitae au dela de leur aile gauche, par le plus court chemin de "Wavre a cet endroit ; ils arrivaient ainsi sans inter- ruption, appuyaient les Anglais avec une reserve egale aux forces qui les attaquaient, tout en restant maitres de leurs mouvements dans rimmense plaine qui s'ouvrait en avant de "Waterloo, comme il etait necessaire ; 2° Si Vennemi attaquait le centre ou I'aile gauche de Wellington, un corps prussien devait se porter en avant par Saint-Lambert et par Lasnes ^ et prendre le flanc droit des Frangais, tandis qu'un autre corps appuierait les Anglais vers Ohain. 3° Si Vennemi, au lieu d'attaquer les Anglais, mar- chait sur Saint-Lambert, qui est la clef du pays compris entre Wavre et Waterloo, menagant ainsi de separer les allies, les Prussiens devaient recevoir son choc de front, tandis que Wellington, s'avancant directement de Waterloo, attaquerait son flanc et ses derrieres. A onze heures et demie, on vit les colonnes de Napo- leon s'^branler pour une attaque manifestement dirig^e centre le centre, et il fut imm^diatement donne avis a 1 Voyez la carte. ' Voyez la carte. — 231 — Blucher que la seconde hypothese se presentait et que les Prussiens eussent a agir en consequence. MufHing venait pr^cisdment d'apprendre de Wavre que Billow dirigeait le mouvement ' et il chargea son aide-de-camp de faire voir a ce g^n^ral la lettre qu'il ^crivait a Blucher ; mais le messager rencontra le marechal lui- meme et celui-ci se mit sur le champ a prendre les mesures n^cessaires. Longtemps avant que Napoleon engage^t Taction, il avait ^videmment regu avis de la marche de Zieten se retirant de Ligny, et il avait recu de Grouchy les deux rapports ecrits a Gembloux pendant la nuit, que nous avons cit^s plus haut -. Ce doit etre au deuxieme de ces rapports, aujourd'hui perdu, que r^pondaient ses instructions du matin, datees de dix heures ^. « Vous ne parlez que de deux colonnesprussiennes qui ontpass^ a Sauveniere et a Sart-lez-Walhain (la premiere lettre de Grouchy parte de trois colonnes et cite d'autres loca- lites)^; cependant, des rapports disent qu'une troisieme colonne, qui etait assez forte, a passe a Gentinnes, se dirigeant sur Wavre. L'empereur va faire attaquer I'armee anglaise qui a pris position a Waterloo ; ainsi ■ Muffling, Sistoire, p. 17, 18, et Recueil des batailles, p. 58, 75. 2 Voir ci-dessus p. 201. 3 Voyez I'original dans Charras, p. 226, et dans Clausewitz, p. 147. ' Voyez ci-dessus, p. 201. — 232 — Sa Majestd desire que vous dirigiez vos mouvements sur "Wavre, afin de vous rapprocher de nous, vous mettre en rapport d'operations, poussant devant vous les corps de I'arni^e prussienne qui ont pris cette direction, et qui auraient pu s'arr^ter k "Wavre, oii vous devez arriver le plus tot possible. Vous ferez suivre les colonnes ennemies qui ont pris sur votre droite par quelques corps legers, afin d'observer leurs mouvements et de ramasser leurs trainards. Ne n^gli- gez pas de lier vos communications avec nous » . Done Napoleon, instruit cependant qu'une partie de I'armee prussienne en retraite avait pris una direction paralMe a la sienne, croyait toujours qu'il ne s'agissait que d'un simple detachement et s'obstinait dans I'illusion qu'une grande partie au moins des troupes de Bliicber en dtaient s^parees et se portaient vers Test. La r^alite ^tait bien ^loignee de ces conjectures : dans cette matinee m^me, il y avait autour de "Wavre 100,000 de ses ennemis qui se pr^paraient a intervenir au premier combat. jLelg rrain qui s'etend e ntreWavre et^lfi__platgau_ de "Waterl oo rappelle certaines regions bien connues du Devonshire ; il est entrecou p^ de col - lines arrondie s, dont les flancs sont tapiss^s de bou- quets d'arbres \ et sillonnd pa r_des_sh emins profonds ' Observations personnelles, — 233 — et boueux . La principale communication est celle 1 qui longe la cr^te des c^ Uines sur lesquelles s'dleve Chapelle-Saint-Lambert , s'incline a travers la valine de Lasnes jusqu'au village du meme nom et remonte le versant oppose jusqua Plancenoit, ou elle rejoint la route de Bruxelles a Charleroi, a c6t^ de la ferme du Caillou 1 ; c'est dans cette ferme que Napoleon avait ^tabli son quartier-g^neral dans la nuit du 17. Un che- min semblable, plus au nord, mene directement par Fricliemont et Ohain a la crete sur laquelle se de- ployait le front des lignes anglaises. Les Prussiens s'^taient masses sur ces deux routes, bien avant I'heure qu'ils devaient prendre part a Taction. Biilow, devait arriver par la premiere, suivi de Pirch; Zieten avait a prendre la route d'Ohain '. Thielemann avait recu I'ordre de se poster en arriere-garde pour couvrir leur mouvement et, si I'ennemi ne se montrait pas a Wavre, de suivre finalement le corps d'armee a Plancenoit. Mais Biilow, on s'en souvient^ avait bivouaque a plu- sieurs kQometres en arriere de Wavre et sa premiere brigade avait a peine traverse laville, qu'un incendie qui dclata dans la rue etroite ou son corps d6iilait, ' Voyez la carte. 2 Clausewitz, p. 126; Recueil des batailles, p. 58. 3 Voyez ci-dessus, p. 211. — 234 — arreta le restant des troupes pendant pres de deux heures. Un autre retard fut occasionne par le passage du corps de Zieten ', qui pour gagner la route d'Ohain, devait couper le chemin de Saint-Lambert occupe par I'autre colonne. En outre, les troupes mouillees et feti- guees de la nuit precedente, n'avaient pu s'ebranler qua sept heures du matin. Toutes ces causes compli- quees de I'etat detestable des routes, produisirent un si grand retard qu'il etait trois heures de I'apres-midi avant que la queue de la colonne de Biilow atteigntt Saint-Lambert, bien que sa brigade d'avant-garde y ftit arrivee des midi ^. II etait done clair que les Prussiens ne pouvaient prendre part a la premiere partie de la grande bataille et Wellington dut supporter seul tout le choc jusqu'a ce que plusieurs heures de I'apres-midi se fussent dcoulees '. Grouchy ne s'etait pas mis en mouvement plus t6t que lui *. Malgre I'ordre qu'il avait donn^ a Vandamme de se mettre en marche a six heures du matin, et a Ge- rard de partir a sept heures, il y eut un certain retard dans le depart des troupes et chacun-de ces corps ne quitta ses quartiers pres de Gembloux qu'une ou deux 1 CLA.USEWITZ, p. 156; Recueil des batailles, p. 8. i Voyez Clausewitz, qui assistait a Taction. 3 Recueil des batailles, p. 58 et 75. < Thiers, t. XX, p. 255 ; Charras, p. 296. — 235 — heures plus tard que I'heure flxee. Leur marche fut ega- lement lente, car elle s'effectuait sur une seule route, en colonne tres serree, de sorte que la queue de la co- lonne, le corps de Gerard, etait fr^quemment obligee de faire halte. II etait onze heures et demie lorsque ce dernier arriva a Sart-lez-Walhain ', ou Grouchy et ses generaux en chef s'dtaient arr^t^s pour dejeuner , lorsque tout a coup un roulement sourd et prolong^ venant de I'ouest apprit aux oreilles attentives que I'empereur etait engage dans une action generale. Bien que Grouchy n'etit point encore recu la dep^che ecrite de 'Waterloo a dix heures, il n'eut pas le moindre doute, nonplus que les assistants, que Napoleon n'ellt rejoint et attaque I'armee anglaise. II surgit alors entre eux une discussion bien naturelle a propos de la direction qu'on continuerait a suivre. On se souviendra ^ que les instructions du matin n'enjoignaient aux commandants des corps que de se porter sur Sart-lez-Walhain, en faisant simplement allusion a la possibilite de prolon- ger le mouvement au dela. Les renseignements qu'y avaient recueillis Grouchy avant I'arriv^e des troupes ', lui avaient appris que le gros de I'armee prussienne ' Thiers et Charras, loc. cit. 2 Voyez ci-dessus, p. 201. 3 Thiers, t. XX, p. 256; Charras, p. 297 — 236 — avail effectivement gagne Wavre ; cela le d^termina a donner I'ordre de poursuivre dans cette direction, sauf a prevenir I'empereur de sa resolution '. La route de cette ville traverse naturellement les villages de Nil- Saint- Vincent , de Corbais et de la Barraque ^ et en effet.-la t^te de la colonne de Vandamme, que prece- dait Excelmans avec sa cavalerie, avait atteint la pre- miere de ces localites quand les detonations se firent entendre ^. t'armee tournerait-elle a gauche pour mar- cher tout droit de Corbais sur les ponts qui traversaient la Dyle a Mousty et k Ottignies et passerait-elle cette riviere pour se porter en toute hate vers Plancenoit, ou Ton comptait trouver Napoleon? ou bien continue- rait-elle a marcher sur "Wavre, oii Grouchy croyait qu'il etait de son devoir de se rendre, puisqu'il avait pour mission de poursuivre les Prussiens et qu'il venait d'apprendre que les Prussiens y etaient concentres? Gerard appuyait le premier parti avec beaucoup de chaleur et faisait pen de cas des pr^tendues difficultes que presentait le transport des canons, au dire du g6- n6ral d'artillerie ; le general du genie, lui, se rangeant a I'avis de Gerard, se faisait fort d'aplanir les difB- 1 Thiers et Charras, loc. cit. 2 Voyez la carte. 3 Charras, p. 298; Thiers, t. XX, p. 251. — 237 — cult^s. Cependant le marechal ne partageait pas cette opinion : il n'estimait pas que I'arrivee de ses troupes, apres une marche de 23 kilometres par des chemins hdriss^s d'obstacles, avec un passage de riviere fort in- certain, piit rendre le moindre service a Napoleon ce jour la ^ D'ailleurs sa mission ^tait de poursuivre les Prussiens, et il avait plus de chance de les rencontrer encore k Wavre, ou peut-etreen retraiteversLouvain, que marchant du c6te de Waterloo, commele supposait Gerard. Et puis, si I'arm^e prussienne surprenait la marche qu'on proposait, ne tomberait-elle pas sur le flanc droit de Grouchy, qui serait ainsi expose a son feu pendant toute la durde du mouvement, et n'en resul- terait-il pas des consequences d^sastreuses pour le plan de I'empereur, qui devait s'attendre qu'on pour- suivit les Prussiens et non qu'on les forget a faire un retour offensif sur sa propre ligne d'op^rations ? Mal- gre les plus chaleureuses remontrances, Grouchy per- s^v^ra dans la resolution de marcher sur Wavre et un peu avant deux heures de I'apres-midi, I'infanterie de Vandamme, pr^c^dee par la cavalerie d'Excelmans, atteignait la Barraque ^ a 3 kilometres au midi de la 1 Tous ces details sont emprunt^s principalement k Charras, qui les a puis^s dans les r^cits de Grouchy. 2 Thiers, t. XX, p. 264 ; Charras, p. 304. — 238 — ville, oil elle fut bientot apres engagee avec un corps prussien considerable ; c'etait I'arriere-garde de Pirch, qui continuait a suivre Biilow a Saint-Lambert avec la moitie de son corps, ayant laissd le general-major Brause pour couvrir son mouvement avec le restant des troupes '. Celui-ci etait flanqu^ du cote de Mont-Saint- Guibert par un detacbement que Biilow y avait laisse pour garder les defQds formes en cet endroit par un affluent de la Dyle, et ce detacbement, commandepar le colonel Ledebur, avait occupe ces postes jusqu'a I'arrivee d'Excelmans qui menaca tout a coup de le couper. Ledebur parvint non sans peine a rejoindre Brause, qui, a deux heures passees, donna le signal de la retraite, passa la Dyle a Bierges, fitsauter lepont et se hata de rallier le restant de I'armee, laissant un simple regiment de hussards et deux bataillons d'infan- terie pour surveiller I'endroit de la riviere qu'il quit- tait -. Avant ce moment deja le corps de Zieten pour- suivant sa marcbe, avec un leger retard \ gagnait le village d'Ohain et les derni^res divisions de Biilow se trouvaient pres de Saint-Lambert. Thielemann seul, avec le troisieme corps, etait reste a Wavre jusqu'a 1 Recueil des batailles, p. 50. 2 Ibid. '* Voyez oi-dessus, p. 234. — 239 — trois heures et il se pr^parait a faire flier ses troupes dans la direction que lui prescrivaient ses instruc- tions 1, direction qui devait le porter rapidement sur la gauche de Saint-Lambert par une route sdpar^e, lors- que I'approclie de Vandamme le forga de s'arreter pour defendre le passage de la Dyle. Six bataillons de son corps etaient deja partis, et Thielemann n'estimant pas que les forces de I'ennemi s'6levassent a plus de dix a douze mille hommes qu'il voyait se deployer devant lui, ndgligea ou dddaigna de rappeler son ddtachement et demeura a Wavre avec 15,200 soldats en tout -. Vers quatre heures, comme Grouchy se disposait pour I'attaque, il recut Ja premiere communication que lui edt envoyde I'empereur depuis qu'il s'^tait mis en marche ^ le porteur du message ayant fait un detour par les Quatre-Bras et par Gembloux ; c'etait la lettre ^crite le 18 a 10 heures du matin, lettre que nous avons citde, qui prdvenait le rharechal que I'empereur etait sur le point de livrer bataille aux Anglais a Wa- terloo et lui ordonnait « de diriger ses mouvements sur "Wavre, oii il devait ar river le plus t6t possible * » Grouchy en conclut assez naturellement que sa d^ter- ' Clausewitz, p. 134; Recueil des batailles, p. 59. 2 Recueil des batailles^ p. 86, 87. 3 Ibid., p. 87; Thiers, t. XX, p. 266 ; Chabras, p. 306. * Voyez ci-dessus, p. 232. — 240 — mination de midi etait conforme aux intentions de I'empereur et que sa position ^tait bien celle qu'il devait occuper. II se mit done en devoir d'attaquer Thielemann, avec lequel nous lelaisserons engage pour le moment, pour rejoindre son chef et reprendre le fil des operations de celui-ci. II n'entre pas dans le plan que nous nous sommes impost de retracer tons les details de la lutte formi- dable dans laqueUe I'empereur etait engage. Si I'on veut en trouver une analyse complete et saisir les cinq grandes phases bien distinctes qu'y marquent les attaques s^parees de Napoleon, on ne pourra mieux faire que de recourir a I'ouvrage de sir J. Shaw Ken- nedy ; cet auteur a traite ce sujet avec une clart^ a laquelle aucun autre ^crivain n'a atteint; avant lui, personne que nous sachions, n'a jamais rendu pleine- ment justice a I'habilete strategique et a lenergie que d^ploya Wellington dans le maniement de ses forces hdtdrogenes. Pendant plusieurs heures, d^nu^ de tout appui immediat, il sut conserver son terrain centre une armee que Kennedy ', t^moin oculaire des plus exacts, estime a un rapport disproportionn^ d'au moins sept pour quatre ^, en tenant compte que la valeur morale 1 Page 57. 2 Ou six pour quatre, si I'on d^duit le corps de Lobau de I'eflfeotif de — 241 — des allies ^tait inf^rieure a celle de leurs adversaires. Cette heroique resistance, comme I'a d^montr^ Ken- nedy', ne fut pas moins due a I'habilete personnelle de Wellington qu'aux deux autres causes auxquelles oil s'est born^ k attribuer le succes de ses armes, la tena- city de I'infanterie anglaise et Tarrivee des renforts prussiens. C'est ce dernier point qui va faire plus par- ticulierement I'objet de notre attention, pour nous mettre en etat de comparer avec fruit le r61e de la strategic et de la tactique dans cette memorable journee. Nous avons laisse Blucher a Saint-Lambert -, 4 la tete de son aile gauche et en communication avec Muffling. La moitie seulement du corps de Bulow s'etait ebranlee un peu apres-midi * et Bliicher avait d'abord r^solu d'attendre qu'il etit plus de troupes sous la main pour tomber avec des forces concentr^es sur le flanc droit de son ennemi, d^couvert et mal garde, au rapport de I'officier charge de le reconnaitre. De NapoMon. Kennedy estime que les forces de Wellington ne s'^levaient gu^re qu'a 41,000 combattants. 1 Page 127. 2 Voyez ci-dessus, p. 233; Recueil des hatailles, p. 75. ' L'heure exacte du rassemblement de ce demi-corps n'a pas 4t^ constat^e offlciellement ; mais la division d'avant-garde de Bulow atteignit Saint-Lambert avantmidi, et la derniSre de ses quatre divi- sions seulement ^ trois heures de I'apr^s-midi. Voyez ci-dessus, p. 234. 16 peur que son mouvement ne fut d^couvert et intercepts dans la vallon escarpe de la Lasnes qu'il laissait a ses pieds, il se decida a en occuper aussi I'autre cr^te, •garnie de bois 6pais '. Bulow avec ses deux divisions et la cavalerie du corps, se hata de s'y porter, traversa le ruisseau sans obstacle et gagna la lisiere du plateau oppos6 qui s'etend au dela vers Plancenoit et la route de Bruxelles, par laquelle les Francais etaient arrives. Alors Bliicher impatient du retard de ses derrieres et presse de prendre part a la fusillade qu'il entendait devant lui et de laquelle il se rapprochait, se rdsolut a attaquer quand meme avec les forces dont il pouvait disposer, et il ordonna a Bulow de se deployer en con- / sequence. Mais le passage de la vallee p ar dess entiers boueux, s'etait effectue tr^s-lentement malgre les plus I _^nfirgiques efforts, et Jejieploiement rencontra les memes difficultes. Aussi Stait-il plus de quatre heures et demie quand les deux divisions, couvertes par leur cavalerie, se trouverent pretes a marcher sur la droite des Frangais. Qu'avait fait Napoleon pendant les cinq heures prd- cddentes - ? II avait commence la bataille par une vive canonnade, il I'avait poursuivie a midi en faisant atta- ' Ci-dessus, p. 233 ; Recueil des batailles, p. 75. 2 Thiers, t. XX, p. 196. — 243 — quer Hougoumont par le corps de Reille, puis a line heure et demie , il avait dirig^ un assaut plus s^rieux contre le centre de I'arm^e anglaise avec le corps intact de d'Erlon '. Cependant, au moment d'en- tamer cette derniere attaque, on avait apercu sur les hauteurs de Saint-Lambert un corps de troupes, dont on ne pouvait a cette distance distinguer ni la force ni luniforme, mais qui ne pouvaient qu'^tre ou une partie de celles de Grouchy ou quelque d6tachement prussien. Napoleon attacha d'abord si peu d'importance a cette apparition, qu'il ne fit aucun effort pour arr^ter cette strange colonne ; il se borna a envoyer sur sa droite, deux divisions de cavalerie legere, compre- nant environ 2,400 chevaux -. Son ignorance pourtant ne fut pas longue. On amena un prisonnier prussien, sous-offieier de hussards *, porteur d'une lettre de Billow annoncant a Wellington son arrivde a Saint- Lambert et lui demandant des instructions * ; ce mes- sager avait quitt^ I'armee avant que la ddpeche de Muffling qui r^glait la conduite des Prussiens pilt Mre remise a I'etat-major de ceux-ci. En apprenant cette alarmante r^v^lation que 30,000 Prussiens mena9aient ' Thiers, t. XX, p. 200. 2 Thiers, t. XX, p. 200 ; Charras, p. 225. 3 Thiers, t. XX, p. 201; Charras, p. 227. ' Voyez ci-dessus, p. 233. — 244 — son fianc, I'empereur envoya les deux divisions d'in- t fenterie qui restaient k Lobau ^ pour appuyer la cava- lerie, se privant ainsi d'une force de 10,000 hommes, tandis qu'il allait se hdter de continuer la bataille avec le restant des troupes. Avant qu'on eilt amen^ le prisonnier prussien, et probablement apres la premiere apparition qui s'^tait montree du c6t^ de Saint-Lambert, Napoleon congut quelque doute que les ordres qu'il avait donnes a Groucby, fussent suflSsamment precis. II n'avait plus entendu parler du marecbal et il n'avait plus recu de ses nouvelles depuis le rapport de la nuit pr^c^dente, lorsqu'il se r^solut a lui faire ecrire la lettre suivante, a laquelle il ajouta un post-scriptum a la suite de la capture du hussard - : « Bn cbamp de ba(aille de Waterloo, le iS juin, a one heore apres midi. « Vous avez ecrit, ce matin, 4 deux heures, a I'em- pereur que vous marcheriez sur Sart-lez-Walhain ; done, votre projet ^tait de vous porter a Corbais ou a Wavre. Ce mouvement est conforme aux dispositions de Sa Majeste, qui vous ont ^t^ communiqu^es. « Cependant I'empereur m'ordonne de vous dire que 1 On se souvient qu'une des trois divisions de Lobau 6tait avec Grouchy. 2 Voyez I'original dans Charras, p. 228, et dans Clauskwitz, p. 148. — 245 — vous devez toujours manoeuvrer dans notre direction. C'est a vous de voir le point ou nous sommes pour vous r^gler en consequence et pour lier nos communica- tions, ainsi que pour ^tre toujours en mesure de tom- ber sur les troupes ennemies qui chercheraient a inquieter notre droite, et de les ^eraser. « Dans ce moment, la bataille est engagee sur la ligne de Waterloo. Le centre ennemi est a Mont-Saint- Jean; ainsi, manceuvrez pour joindre notre droite. « P. S. Unelettre qui vient d'etre interceptee, porte que le general Bulow doit attaquer notre flanc. Nous croyons apercevoir ce corps sur les hauteurs de Saint- Lambert; ainsi, ne perdez pas un instant pour vous rapprocher de nous et nous joindre, et pour ecraser Biilow, que vous prendrez en flagrant delit. » Cette depeche parvint en effet a Grouchy *, mais pas avant six heures du soir au plus t6t, a sept heures m^me, a en croire le marechal, engage alors en plein dans Taction Isolde qu'il etait charge de diriger a Wavre. II etait trop tard pour essayer de rallier I'em- pereur le m^me jour et le malheureux Glroucliy fut oblige de se contenter de I'espoir que Napoleon avait puvaincre sans lui. II paralt que cette lettre avait ^te exp^dide au mo- ' Thiers, t. XX, p. 270; Charras, p. 307; Eapp. orig., Doc, p. 153. — 246 — ment que la grande attaque de d'Erlon ^tait entam^e ^ ; repouss^e avec des pertes considerables, eUe fut suivie d'une troisieme tentative, non moins infructueuse, faite par la cavalerie sur le centre de rarm^e anglaise. La quatrieme phase de la lutte se prdsenta sous des auspices plus favorables aux Frangais ; vers six heures du soir la cavalerie de Ney, revenant a la charge sur le centre gauche, emporta la position de la Haie- Sainte ^, for§a les tirailleurs et I'artillerie a se replier en arriere et s'ouvrit une trouee dans le centre des Anglais ou les deux brigades qui couvraient ce point, se trouverent bientdt si ^claircies qu'elles ne purent tenir davantage leur position '. Le sang-froid et I'ener- gie personnelle de Wellington lui permirent de reparer cette breche au moyen des troupes de Brunswick et de Nassau*, et grace a ses eiForts et a ceux du restaiit de son dtat-major, le p^ril fut bientot conjure ; car Napo- leon, non instruit sans doute de I'avantage que ses troupes venaient de remporter, ne les fit pas appuyer en laiigant sa reserve sur le plateau. A sept heures le danger s'etait ^vanoui. ' Voyez ci-dessus, p. 243. 2 Kennedy, p. 122. ' On a suivi ioi a la lettre la relation de Kennedy, qui dirigeait I'^tat- raajor de la division ainsi forcSe. * Kennedy, p. 127. — 247 — Longtemps avant cetteheure.l'attentionde Napoleon s'etait serieusement portde sur soil aile droite menac^e. Billow s'etait avanc^, comrue nous venons de voir ', avec la moitie de son corps ; bientot il avait force la cavalerie legere qui couvrait Lobau a se replier et I'infanterie de ce general se trouva engagee. Une heure plus tard, a cinq heures et demie, tout le corps prus- sien, fort de 29,000 combattants -, se trouvait sur le terrain; Lobau, apres une resistance beroique, fut force de se retirer sur Plancenoit et les canons prus- siens arriverent bient6t a port^e de la route de Bruxelles. Pendant que Bliicber poussait son attaque de ce cote, on vint le prevenir que Thielemann etait ru- dement serre par les forces sup^rieures de Grouchy ' ; mais I'audacieux vieillard, pr^ferant esposer son arriere-garde plutot que d'interrompre I'attaque sur un point aussi ddeisif, fit r^pondre a son lieutenant de r^sister de son mieux, attendu qu'il ne pouvait lui ceder aucun renfort pour le moment. En m^me temps, il se porta sur Plancenoit avec un si vigoureux elan, que Napoleon, entre six et sept heures, fut oblige d'en- voyer au secours de Lobau une division de la garde ' Page 243. 2 Recueil des batailles, p. 76; Charras, p. 251. 3 Recueil des batailles, p. 77. — 248 — forte de 4,000 homines et trois de ses batteries, qui preserverent quelque temps le village d'etre emporte par les hommes de Blvicher. N'oublions pas que ce fut vers la mSme heure que Wellington contenait de son cote, I'attaque dirigde de la Haie-Sainte contre son centre \ Pendant ces entrefaites Zieten avait, a la meme heure, poursuivi son chemin par la route d'Ohain, et son avant-garde, commandee par Steinmetz et suivie de pr^s par la cavalerie du corps, rejoignait I'extr^me gauche de Wellington appuyee a une ferme dite Pape- lotte. L'apparition seule de ces troupes eut pour effet de fortifier le centre de I'armee anglaise ; car les bri- gades de cavalerie Vivian et Vandeleur, soit a I'insti- gation de Muffling qui attendait Zieten sur cette aile ^ soit qu'elles cedassent a I'urgence du moment, firent filer par derri^re leurs escadrons a peu pres intacts et vinrent renforcerle point faible. Dans cette crise impor- tante de la lutte, Napoleon se prdparait k lancer en avant ses dernieres reserves, dans I'espoir de forcer les Anglais a lacher pied avant que I'attaque prussienne flit developp^e. Tout a coup, Zieten ^ tromp^ par le 1 Rec. des bat., p. 78; Thiers, t. XX, p. 237; Charras, p. 252. ' Muffling, Mimoires, p. 247, et Siborne, t. II, p. 149. ■' Muffling, M4moires, p. 248. rapport d'un offlcier envoys en reconnaissance, qui liii annonce que I'aile droite de Tarmde anglaise est deja en retraite, rappelle son avanceeet changeant sa direc- tion, forme le projet de rejoindre par sa gauche la co- lonne de Biilo-w et d'unir son attaque a celle que Bliicher conduit en personne. Le retard inevitable qu'eiit en- train^ un changement de front aussi complique, fut heureusement d^tourne. Muffling s'elangant au galop derriere la division en retraite ', explique que I'officier detat-major, dans son empressement, a commis la dan- gereuse erreur de prendre pour une retraite un rallie- ment de blesses et de fuyards en arriere de la ligne de bataiUe et il determine Zieten, a faire volte-face et a acc^lerer sa marcbe sur Papelotte. Pendant le temps qu'on a perdu a ces manoeuvres, la droite des Frangais, la division Durutte du corps de d'Erlon, suivie par Marcognet -, s'etait port^e en avant avec d'autres troupes pour soutenir I'attaque dans laquelle Napoleon engageait ses dernieres reserves contre le centre droit de'larm^e anglaise, la fameuse attaque des gardes. Durutte parvint a atteindre Papelotte et la Haie , qui est une ferme voisine, I'une et I'autre occupees par les Nassau du prince Bernard, et pendant quelques ' Muffling, loc. cit.; Recueil des batailles, p. 79. 2 Charras, p. 259; Thiers, t. XX, p. 240. — 250 — minutes en eflfet , il menaga de couper a la ligne de Wellington le secours qu'elle attendait. Mais cela ne dura que quelques minutes, car la division Steinmetz, revenue sur ses pas a la demande de Muffling, apparait tout a coup sur le flanc des troupes francaises et par une charge vigoiireuse faite vers sept heures et demie', elle enleva les bAtiments disputes, fusillant et disper- sant les soldats de Nassau, qu'eUe prenait pour des Francais - : une panique irresistible s'empare des en- nemis surpris, ils se rabattent a la hate surle centre et viennent aggraver encore le desordre que la deroute des gardes venait d'y semer. La garde, en effet, s'etait trouvee trop faible pour la besogne qu'on lui avait im- posee; avant qu'elle s'ebranlgit deja. Napoleon avait ete forc6 d'en detacher trois bataillons a Plancenoit ' ou Bliicher serrait de pres I'arm^e francaise, et il en avait reservd trois autres pour maintenir ses communications 1 Les 6crivains anglais out une tendance naturelle k retarder I'at- taque de Bliiolier, les Prussiens k I'avancer. Nous avons donnS I'heure de Zieten, d'aprSs le rapport original de Bluoher {Doc. 93), qui est fort precis. La relation des commissaires autrichiens, qui est remarqua- blement favorable aux Prussiens sous ce rapport, en fixe le moment £1, sept heures du soir {Doc. 102.) Nous pouvons cependant toe certains que Gneisenau, 6orivant pour Bliicher, n'aurait pas dSclar^ une heure plus tardive qu'elle n'6tait r^ellement. Sa relation signale aussi la prise de Plancenoit comme le dernier 6venement important de la jour- nee. — Lettres de Bernard, Doc, p. 34; Thiers, t. XX, p. 242. 2 Charras, p. 259. 3 Thiers, t. XX, p. 241 ; Charras, p. 255. — 251 — avec Lobau : il ne lui restait done que dix bataillons disponibles. Ce general, qui avait 16,000 hommes sous ses ordres dans cette journee, se maintint dans ce vil- lage par des prodiges de bravoure jusqu'un peu apres que I'attaque de Zieten \ se developpant davantage de riiinute en minute, eut decide du sort de I'aile droite des Francais et que le gros de I'armee de Napoleon dut reculer devant le mouvement general qui portait toute la ligne anglaise en avant. Alors Pirch - qui avait rejoint la gauche de Biilow, formant ses ba- taillons reposds en colonne d'attaque, chassa les Fran- gais de leur dernier retranchement. Grace a cet avan- tage la grande route en arriere se trouva degagee et Ton vit s'avancer I'artillerie prussienne dont le feu, cou- vrant les lignes anglaises ', changea la defaite des Francais en une deroute telle que jamais armee n'en essuya de plus desastreuse dans les fastes de I'Mstoire : ensuite la cavalerie des troupes alliees completa cette deroute d'une maniere si foudroyante que pendant quelque temps leurs escadrons se sabrerent dans I'obs- curit^ qui commengait a se faire. Les deux marechaux n'eurent plus qua convenir que les troupes de Bliicher ' Rapport de Bliicher, Doc, p. xciii. 2 Recueil des batailles, p. 82. ^ Recueil des batailles, p. 83. — 252 — continueraient la poursuite de cette. masse de/uyards qui ^tait tout ce qui restait de la grande armee '. Gneisenau en personne s'acquitta de cette tdche avec I'infatigable energie que I'ardeur de Bliicher avait com- muniquee a tous ceux qui servaient sous ses ordres dans cette journ^e et quelque cavalerie de Biilow occupa Gosselies avant la pointe du jour. Quant a Napoleon, il ^chappa a ses ennemis a la faveur des t^nebres et sous I'escorte de vingt cavaliers rencontres par hasard, il s'enfuit cette nuit jusqua PMlippeviUe, ne faisant que s'arreter a Charleroi pour faire prevenir Grouchy du d^sastre qui le frappait. Celui-ci, ne soupgonnant pas le sort, desespere de son maitre, avait continue a se battre de son c6te jus- qu'au soir. Cette action de Wavre ne presente pas en soi des incidents bien interessants et Tissue en fut telle que pouvait la faire prevoir la force respective des corps en presence. Grouchy ne parvint pas k emporter la ville que les Prussiens gardaient avec una opiniatre resistance ^ ; mais quand ses troupes I'eurent raUi^, il sut tirer parti de sa superiority numerique et pressen- tant que le mouvement sur Waterloo etait arrete, il ' SiBOENE, 1. 1, p. 243 ; pour les details voyez Ense, p. 446, 447 ; Re- cueildesbatailles, p. 85; Thiers, t. XX, p. 254. 2 Voyez son Rapport, Doc, p. 153. — 253 — d^ploya son aile gauche le long de la Dyle jusqua Limal ', a trois kilometres au del4. Ce defile que I'arriere-garde de Zieten avait occupy jusque dans I'apres-midi , ^tait alors compl^tement degarni, les Prussiens s'^tant replies pour suivreleur corps d'armee. Les Frangais, c'est a dire quelques hommes de Gerard, s'installerent done sans obstacle sur la rive gauche de la riviere et repousserent une attaque que Thiele- mann lui-meme fit contre eux apres la chute du jour ; lorsqu'il edt ddcouvert que sa ligne de defense ^tait ainsi tourn^e. Comme Grouchy, il passa cette nuit dans I'ignorance de la victoire remport^e a Waterloo. Commentaires . Thiers, apres s'fitre ^vertue tres-ingenieusement k prouver que les retards des deux matinees prec^dentes ne devaient pas etre imputes a Napoleon, entreprend la tache beaucoup plus delicate de demontrer que le grand capitaine n'est pas non plus responsable du temps qu'on perdit dans la journee decisive. II est admis partout que ces retards de I'empereur ne pou- vaient avoir que trois motifs : il attendait I'arriv^e de Grouchy, il aurait desire que le sol se rafFermit, ou ' Clausewitz, p. 134, 137. — Get officier 6taitle chef de mat-major de Thielemann. — 234 — bien enfin, il voulait deployer des forces imposantes avant d'engager la lutte. Nonobstant la fable des deux ordres envoy^s aa marechal pendant la nuit \ Napo- Idon lui-meme a pris soin de determiner dans ses rela- tions les veritables raisons de ces retards ; ce sont bien en effet les deux dernieres que nous venons d'indiquer et particulierement I'etat des terres qui etait sans con- tredit defavorable a 1' offensive . Thiers le sait bien, aussi limite-t-il la justification de cette inaction temporaire a deux chefs. Le premier tend a ddnlontrer qu'il n'etait pas possible que I'empereur ptlt deviner I'approche de Bliicher qui avait echappe a I'attention de Grouchy, et d'ailleurs « une telle chose ^tait de toutes la moins sup- " posable - » . Lorsque un critique s'avise de lancer une assertion dogmatique de cette force a propos d ev^ne- ments militaires qui se sont realises en fait, on est bien en droit assurement de lui r^pondre que le devoir spe- cial du strat^giste est pr^cisement de pr^voir la possi- bilite de tels evenements. Napoleon ne se vantait-il pas de connaitre d'avance le caractere de ses eunemis? II faut convenir qu'il avait peu profits de cette etude pour n'avoir pas entrevu mSme de loin ce qu'ils pou- vaient avoir I'intention de faire. Quant a la marche des 1 Voyez ci-dessus, p. 221; Gourgaud, p. 12;M( Voyez ci-dessus, \\. 201. — 263 — preuve que I'ordre de Vandamme portait une heure assez matinale, c'est que ce general ne put ^tre pret a marcher qu'a sept heures du matin, preuve suffisante de la sagesse avec laqueUe Clausewitz a appr^cie cet Episode de la campagne ^ Nous ne pouvons passer completement sous silence (bien qu'il nous rdpugne de nous y dtendre longuement) la vieille discussion qui surgit entre Grouchy et Ge- rard, a Sart-lez-Walhain, a propos de I'opportunite d'un changement de direction propose par ce dernier officier. II est impossible de determiner quel eilt ^te le r6sultat certain de cette manoeuvre sur les operations de la journde et ce que le marechal edt gagn6 a adopter le parti de son jeune lieutenant, c'est ^ dire a marcher sur Mousty et Plancenoit. Les opinions les plus res- pectables sont ici en complete divergence. Jomini ^ croit que ce mouvement aurait pu avoir au moins une consequence morale, bien qu'il remarque avec beaucoup de justesse que cette influence problematique sur la conduite des Prussiens est une pure conjecture. Charras' maintient carr^ment que, Grouchy aurait marche plus t6t et manoeuvre selon les regies, que la ' Voyez ci-dessus, p. 259 et 260. 2 Jomini, p. 224. 3 Charras, p. 321, catastrophe de "Waterloo n'elit et^ ni moins stire, ni moins complete ; Clausewitz ' qui ne considere Grouchy que comme I'agent des ordres de Napoleon, charge de poursuivre les Prussiens, declare qu'a ses yeux, il n'eiit pas ^t^ moins contraire k la saine theorie qu'a la pratique, que Grouchy quitt&t la piste de Bliicher pour se porter sur un point ou Ton savait qu'une autre por- tion de I'armee frangaise ^tait engagee avec un ennemi different. Cependant, comme il est certain que la discussion surgit au bruit de la canonnade, U y a lieu d'examiner rapidement ce qu'etaient ces possibilites sur lesquelles se fonde toute la critique des operations de Grouchy. Quinet^ fait remarquer que Napoleon a afflrme a Sainte-H^lene, que le mar^chal ^tait a deux heures de marche de Waterloo ; le general du genie, Valaz^, attache a Grouchy, dit trois heures, Gerard, qaatre et demie et Jomini, cinq, tandis que Charras calcule sur une distance de huit ou neuf heures. Pour etablir cette question si agit^e, Quinet a dress^ iin itineraire d^taill^ de la route qu'on avait propos^e a Grouchy, et il a trouvd qu'un simple piston, se portant lestement de Sart-lez-Walhain a Plancenoit, par Mousty , met cinq heures et demie a franchir cette 1 Clausewitz, p. 173. ' Quinet, p. 298. — 265 — distance ; il en conclut justement que I'estimation de Charras n'a rien d'exag^re s'appliquant au mouvement d'un corps d'arm^e. Cette verification pratique dissipe d'un coup les visions ^voquees pour monter les esprits' frangais, en 1815 comme en 1869, en leur montrant ainsi que fait M. Thiers ^ « les gens de la campagne qui promettaient a Grouchy de le conduire sur le champ de bataille en quatre heures de marche » . Un peu plus loin que ce passage ^ le mSme historien fixe lui-m6me a six ou sept heures le temps qu'il aurait faUu a Grouchy pour arriver utilement, et sans sen apercevoir, il tranche la question contre lui-m^me, soit qu'on calcule cette marche hypothetique d'apres I'itineraire vrai, soit qu'on I'etablisse par une methode non moins sure en la comparant avec celle effectuee par Bulow sur la meme route. Ce general, comme nous avons vu^ partit a sept heures du matin, il fut arrete deux heures a Wavre par un incendie, et reunit tout son corps en avant de Plan- cenoit a cinq heures et demie, apres avoir employe acti- vement huit heures et demie a ces operations. De Sart-lez-Walhain, il y a 5 kilometres de plus a vol d'oiseau*, et il dtait pres de midi lorsqu'on proposa a 1 Thiers, t. XX, p. 260. 2 Thiers, t. XX, p. 283. 3 Voyez ci-dessus, p. 238 et 247. * Cartes du gouvernement beige. — 266 — Grouchy de se porter en avant. L'avantage suppose qui serait resulte de ce changement de front ne resiste pas mieux a ces appreciations deduites de la marche de Tarm^e prussienne, qu'a la demonstration si simple fournie par I'experience de Quinet. Thiers et son ^cole ne renonceront pas pour un echec a leur dessein arr^te de decharger I'empereur des fautes strategiques de cette journ^e, afin d'en re- jeter la responsabilite sur son lieutenant. Grouchy, suivant eux, n'aurait pas meme eu besoin d'aller a Plancenoit\ Une marche intermediaire, op^r^e en passant la Dyle a Limal, eut surpris les Prussiens en route et les eut pris perpendiculairement, de flanc. Cette hypothese merite qu'on s'y arrete quelque peu et les th^oriciens favorables a Napoleon en ont fait I'objet de minutieuses considerations. Jomini, qu'on pent regarder comme leur coryphee, se prononce en ces termes- : « Neanmoins, dit-il, on nous permettra de croire en tout cas que le mar^chal prussien, apres avoir exa- mine les forces de Grouchy, aura juge qu'il suffisait des divisions de Pirch et de Thielemann pour I'arreter, tandis qu'avec celles de Biilow et de Zieten il irait lui- 1 Thiers, t. XX, p. 265. ■2 Jomini, Pricis, p. 223. — 267 — m^me aider Wellington a fixer la victoire ». Nous ajouterons une seule remarque a cette opinion ; c'est que Thielemann seul fut en r^alitd engage contre G-rouchy pendant six heures, dans cette resistance, qui selon Jomini devait tout au plus occuper son corps et celui de Pirch. Muffling ', ^crivant sur le m^me sujet quelques mois apres la bataille, lorsque les forces de Groucliy, encore surfaites, ^talent ^valu^es a 45,000 hommes, s'etend longuement sur cette question. Le marechal, dit-il, en se portant directement sur Saint-Lambert par Limal, aurait mis Tarmee prussienne dans une position tres-hasardeuse, si Wellington avait 6t6 deja battu. D'oii il tire la conclusion que « un general experi- ments » (suppose que Grouchy eilt tentd cette manoeuvre) « en deduira que I'operation la plus sfire Stait de reunir les trois corps en marche vers Waterloo et d'attaquer Napoleon en meme temps ». Si I'auteur a raison, il reste prouvS que Bliicber se conduisit de la maniere la plus sage, a supposer meme que les circonstances se compliquassent de la pire fagon contre lui. Ce qui est bien plus important pour la .pratique, c'est de remar- quer que I'ordre donne par Bliiclier lors de I'attaque de ' MvfFLmG, Sistoire,-p. 67. — 268 — ses derrieres, rentrait precisement dans I'esprit marqu^ ici par les th^oriciens^ Charras^, qui a examine minutieusement cette con- troverse, la plus importante de toutes celles qui nous interessent, declare que I'inferiorite considerable de Grouchy relativement a I'armee prussienne, ne permet m^me pas de la faire entrer comme un element 'de quelque poids dans les calculs de la journee ; il aurait marche de grand matin, il aurait manoeuvre avec toute rhabilete possible, que le desastre de Waterloo n'aurait ete ni moins certain ni moins complet. Si Ton recuse I'opinion de cet ^crivain si remarquable, k cause de ses tendances, il faut aussi rejeter celle des apologistes de I'empereur, voyant dans leurs visions fantastiques Grouchy fondre sur le flanc des Prussiens surpris; d'ailleurs ces Prussiens, avec des forces trois fois plus nombreuses que les siennes, observaient ses mouve- ments du sommet des hauteurs environnantes et des la nuit precedente leurs patrouilles sillonnaient toute la contr^e interm^diaire. Pour en revenir done a cette critique moderee dont Jomini ofltre un type si excellent, nous r^sumerons la discussion en disant que Grouchy, suivant les lois les plus ^l^mentaires de la thdorie, 1 Voyez ci-dessus, p. 248. 2 Charkas, p. 320, 321. — 269 — n'aurait pu en aucun cas et par aucun moyen, arreter plus de deux des quatre corps prussiens, et qu'a en juger par les faits accomplis, il lui eAt 6t6 fort difficile meme d'en arrSter plus d'un. Toute cette argumentation repose sur la supposition que Grouchy etait en mesure d'apprecier par lui-m^me la situation: mais, d'apres les circonstances, cela m^me est plus que douteux. Moins de deux heures avant la discussion de WaUiain, Napoleon avait depeche des instructions precises portant cet ordre ' : « Vous diri- gerez vos mouvements sur Wavre, afin de vous rap- procher de nous » . La m^me lettre portait que I'empe- reur etait sur le point d'attaquer I'armee anglaise a Waterloo. Suppose que Grouchy, doue d'une seconde vue magique, etit pu lire les termes de cette lettre que lui portait un messager encore bien dloigne a cette heure, quelles raisons aurait-il eues, en apprenant que la bataille de I'empereur etait engagee, pour se d^- tourner de la route de Wavre et pour se rapprocher de Napoleon par quelque autre voie? Dans le fait, si Grouchy se trompait, c'est que Napoleon s'etait lui- m^me tromp^ bien davantage. Cette v^rit^, que Clau- sewitz- avait deja saisie, a 6te mise dans tout son jour ' Voyez ci-dessus, p. 232. 2 Clausewitz, p. 157. — 270 — par Kennedy dont le langage se passe de commen- taires^ : « Napoleon, dit-il, avait la connaissance certaine et positive de I'existence d'une action g^n^- rale et il 6tait libre de donner a Grouchy tels ordres qu'il voulait. Grouchy, au contraire, ne pouvait avoir k cet ^gard que des conjectures et en agissant sur des suppositioiis probables, il aurait ^te a I'encontre de ses instructions. Or, non seulement Napoleon manqua d'envoyer a Grouchy I'ordre de marcher sur Waterloo, lorsqu'il sut positivement qu'il dtait sur le point d'en- gager une action g^nerale avec I'armee anglaise, mais lorsque cette action meme etait reellement entamee, il fit ^crire par Soult, au marechal, qu'il approuvait la marche de celui-ci sur Wavre. Done, si Grouchy a viole un principe en ne se dirigeant point vers le champ de bataille. Napoleon ne I'a pas moins viol^, et il en a m^me aggrave la violation, en ne lui « donnant pas I'ordre de se diriger sur Waterloo le 18 de grand matin, et en allant meme jusqu'a approuver son mou- vement sur Wavre, lorsque la bataille de Waterloo dtait positivement engagee ". Le fait est, comma dit un peu plus loin cet ecrivain, que Napoleon n' avait pas le nioindre soupgon de la marche de flanc des Prus- siens. La correspondance ^crite prouve clairement que ' Kennedy, p. 160. — 271 — Groucliy se flgurait les isoler de Wellington en mar- ckant sur Wavre \ et que les lettres de Napol6on — non celle de dix heures du matin, mais celle mfime d'une heure apres midi — approuvent manifestement le dessein du marechal-. L'idee de rendre Grouchy responsable dela ddfaite de Waterloo, doit etre aban- donnee desormais par tous ceux qui attachent plus de prix a I'evidence des preuves authentiques de I'histoire qu'a la fantasmagorie des fictions nationales. II est a peine besoin de dire que ces ordres du 18 adress^s a Grouchy, ne sont pas rapportes textuelle- ment par Thiers ; il en parle ' comme de depeches vagues et ambigues, qui avaient pris beaucoup de temps a Soult et qui ne valaient pas le temps qu'eUes avaient coutd. Dans tout le cours de ces operations, Napoldon est reprdsente par ses apologistes comme ayant perdii le pouvoir de verifier et de contr61er les actes de ses subordonnes les plus immediats. Mais en r6slit6 le langage de la depeche traduisait bien I'inten- tion de celui qui commandait, aussi clairement que faisaient les ordres de la veille, et s'il restait encore un doute sur I'ignorance ou se trouvait I'empereur par ' Voj'ez ci-dessus, p. 201. - Voyez ci-dessus, p. 232 et 244. 3 Thiers, t. XX, p. 194. — 272 — rapport a la tactique de ses adversaires, il s'^vanouirait devant I'aveu de son meilleur avocat\ qui nous le re- presente bien eloign^ de soupconner ce que pouvait etre I'apparition inquidtante du c6te de Saint-Lambert, et se contentant de la faire observer par un d^tache- ment de cavalerie Idgere, jusqu'a I'instant qu'on cap- tura le messager de Bulow. » A partir du moment que la verity se fit jour, la ; marche des Prussiens eut une grande influence sur les operations de Waterloo. Bien que I'empereur ne parlAt a Grouchy que du corps de Bulow, comme s'O. ne pou- vait pas se rendre compte de la violence de I'ouragan qui s'approchait, en meme temps il detacbait dix mille liommes d'un coup de ses reserves^, les deux divisions d'infanterie de Lobau composees de troupes fraicbes, qu'il fit appuyer un peu plus tard par I'elite de la garde. Depuis I'beure que la lettre de Bulow fut surprise, il faut calculer pour etre juste, que les forces actives \ des Francais oppos^es a Wellington &e trouv^rent 1 / diminuees de toutes celles qu'on d^tourna pour un ', objet different et qu'elles furent reduites au cbiiFre net de 56,000 hommes. Cela admis, il y avait toujours du cot^ des assail- ' Thiers, t. XX, p. 200, et ci-dessus, p. 243. ' Voyez ci-dessus, p. 244 et 248. — 273 — lants une incontestable superiority — superiority qui n'^tait pas moins r^elle pour n'^tre pas celle du nom- bre — et jusqu'a Tarriv^e de I'avant-garde de Zieten, le g^n^ral anglais restalivrd a ses seules forces. Nous avons done 4 recbercher brievement les causes qui lui permirent de maintenir sa position jusqu'a I'arriv^e de ce renfort ; alors, de I'aveu de tous les ecrivains du con- tinent, son heureuse resistance se transforma en une victoire que la vigueur de I'attaque de Biilow rendit la plus complete qu'on ait jamais imagin^e'. Pour mieux apprecier , ces causes, jetons un coup d'oeil sur les excuses par lesquelles Napoleon a expliqu^ sa defaite dans ses premieres relations, les plus autbentiques-. L'ex-empereur les expose avec autant de clarte et de force que s'il ecrivait de simples axiomes appropries a I'etude de la pbilosopbie de I'bistoire, au lieu d'ourdir des fictions destinies a caresser la vanite nationale. Son premier et son principal argument con- cerne la conduite de Groucby, que nous avons exa- minee plus baut, et il roule exclusivement sur la strategie. II y en a encore deux autres qui portent sur la tactique reelle des longs efforts de cette journ^e 1 GouRGAUD, p. 87; Chakras, p. 260; Brialmont, t. II, p. 427; Muf- fling, Eistoire, p. 34 ; Clausewitz, p. 168; Rapport autrichien, Doc, p. 102 ; Rapport espagnol, Doc, p. 106. 2 GouRGAUD, p. 93. 18 — 274 — diriges centre Wellington, et ils pen vent se r^sumer en peu de mots : I'un, c'est la charge inopportune ou Ney langa ses escadrons deux heures trop t6t, malgr^ les ordres r^iteres de I'empereur ; I'autre, c'est I'absence d'un general en chef a la t^te de la garde. Cette fable de la faute de Ney a et^ prise au sdrieux par Thiers \ sans quoi nous ne nous donnerions pas la peine de la relever ici. C'est un triste exemple des alterations qui peuvent fausser I'histoire, quand on veut la plier aux passions d'un peuple, que de representor un capitaine tel que Napoleon, engage au mUieu d'une grande action, combattant sur un espace resserre, en- toure d'un nombreux etat-major, seconde par des lieu- tenants d'une experience sans egale, et ne pouvantpas emp^cher un de ses lieutenants de sacrifier inutilement ses troupes dans un moment inopportun. Nous sommes persuades que ni I'empereur ni ses apologistesn'auraient accepte une pareille excuse s'il se fut agi de la defaite d'un autre general, k moins d'admettre que ce general ne fut d'une incompetence desesperante pour I'oeuvre qu'il avait entreprise. Du reste, le colonel Heymes ^ a parfaitement explique les details de cette attaque, qui n'avait pas ete absolument ordonnee par Ney, mais que ' Thiers, t. XX, p. 225, etc. 2 M4moires, t. IX, p. 268. — 275 — les reserves de la cavalerie avaient ex^cutde, se figu- rant k tort que le centre de I'arm^e anglaise battait en retraite. Nous n'emprunterons a son rapport que cette simple phrase qui n'a jamais 6t6 d^mentie : « Mais ce mouvement fut execute sous les yeux de I'empereur ; il aurait pu I'arr^ter : il ne le fit point. » EUe montre a qui demeure la responsabilite de cette faute. Quant h I'absence d'un remplagant de Mortier dans le commandement de la garde, si Ton fait attention que Napoldon ne perdit pas ce corps devue pendant toute la premiere partie de la bataille \ que lui-m^me en mit une partie en position, qu'il en ordonna en personne les detacbements, cette soi-disant cause de sa d^faite parait la plus pitoyable excuse que general battu s'avisat jamais de presenter ; aussi les critiques, amis et ennemis, n'ont eu garde de la relever, ne la jugeant point digne d'etre examinee serieusement. Nous n'aurons pas besoin de feuUleter longuement les diverses bistoires, pour y trouver des ^claircisse- ments sur une circonstance beaucoup plus tangible. Jomini et Cbarras ^ se plagant a des points de vue bien diff^rents, condamnent egalement I'emploi de I'in- fanterie de Reille et de d'Erlon en masses mal ordon- ' Mimoires, t. XI, p. 141. 2 Charras, p. 291 ; Jomini, Preface, p. 230. — 276 — n^es, sans soutien de cavalerie, aussi bien que la troisi^me attaque faite avec de la cavalerie sans sou- tien d'infanterie. Le second de ces critiques nous rap- pelle en outre que la quatrieme attaque, celle de la Haie-Sainte, la seule.ou Ton remporta un avantage partiel, ne fut pas soutenue. Kennedy qui a traite cette partie de la bataille avec un soin et une vigueur a part, a non seulement signale cette faute, comme nous avons vu plus haut i, mais il bMme Napoleon d'avoir dirig^ ses dernieres reserves, lorsqu'il les mit en mou- vement, contre une autre portion des lignes anglaises qui 6tait abondamment preparde k les recevoir^. De fait, la fameuse charge de la garde devenait un effort insufflsant pour le but qu'on avait en vue. Les batail- lons engages, que les diverses relations font varier de quatre a huit ', etaient absolument priv^s d'appui, leur faible reserve ayant et^ arret^e par le d^sordre qu'a- vait jet^ parmi I'aile droite des Frangais lapprocbe de Zieten ^, et le restant de I'infanterie et de la cavalerie se trouvant deja epuis6, comme tons les rapports s'ac- cordent a le declarer ^, par I'attaque infructueuse qui 1 Voyez ci-dessus, p. 246. 2 Kennedy, p. 127, 167. s Thiers, t. XX, p. 2^2; Charras, p. 255. < Thiers, t. XX, p. 247; Charras, p. 259. !^ Voyez Thiers, t. XX, p. 246. — 277 — avait precede cette charge. Et pour dire toute la vdrite, la tactique de I'empereur dans cette grande journee fut non seulement inferieure a celle de son adversaire, mais elle fut mSme au-dessous de ce qu'on devait attendre de sa reputation antdrieure. Nous ne pouvons mieux la caracteriser qu'en empruntant les paroles d'un ^crivain que ses sympathies font trop souvent pencher du cot^ de Napoleon, m^me lorsqu'il retrace les exploits de son adversaire : « 11 fit la premiere attaque centre la Haie-Sainte », dit Brialmont\ « avec des masses trop profondes ; il engagea ou permit qu'on engagedt trop t6t sa reserve de cavalerie; enfin, il montra quelque hesitation quand , vers six heures , il eut acquis la preuve qu'un effort g^n^ral sur le centre pouvait reussir. Get effort, du reste, ne se fit pas avec assez de troupes, ni avec assez d'ensemble. En general toutes les attaques faites dans cette journee eurent le defaut d'etre mal soutenues » . Nous avons ddja demontre ^ I'immense contraste de la conduite de Wellington avec celle de son rival, sous ce rapport, et nous n'avons pas besoin de nous y appe- santir davantage. L'autre grande cause de son succ^s fut indubitablement I'excellente attitude de I'^lite de 1 Brialmont, t. II, p. 438. 2 Voyez ci-dessus, p. 246. — 278 — rinfanterie anglaise. On connait assez le t^moigiiage que le mar^chal Bugeaiid a rendu a la valeur sans pareille de ces troupes, temoignage que le general Trocliu s'est plu a confirmer dans son recent ouvrage ': mais celui de Muffling est encore bien plus important ici, car aucun ^crivain prussien n'a le moindre int^ret k exalter outre mesure la part qui revient a la bravoure anglaise dans lagloire de cette journ^e. Aussi, le cite- rons-nous en entier : « Pour une bataille » , dit Muf- fling ^, « il n'y a peut-etre pas en Europe une arm^e egale a I'arm^e anglaise, c'est a dire, qu'il n'y en a aucune ou I'instinct, la discipline, I'esprit miUtaire se combinent plus heureusement et plus exclusivement en vue de livrer bataille. Le troupier anglais est vigou- reux, bien nourri, brave et ifttrdpide naturellement, dress^ a la discipline la plus severe et admiraiblement bien arm^. L'infanterie r^siste aux attaques de la ca va- leric avec une grande confiance et, surprises de flanc ou par derri^re, les troupes anglaises se d^concertent bien moins vite que les autres troupes europ^ennes. Ces circonstances toutes favorables expliquent comment cette arm^e, depuis que le due de "Wellington en prit le 1 L'armde frangaise en 1867. ' Muffling, ffi'st, p. 81. _ 279 — commandement, n'essuya jamais de ddfaite en rase campagne ». Le recit de la grande journ^e de "Waterloo ne serait pas complet si Ton ne parlait, et si Ton ne parlait en detail de I'erreur strat^gique qu'on reproche a Wel- lington pour avoir laiss^ un detachement de 18,000 hommes de ses troupes sur sa droite, a Hal et a Tu- bize 1, et pour avoir ainsi reduit a bon plaisir ses forces a un cbiffre inferieur a celles de Napoleon. La conduite du due en ce moment solennel a provoque d'innombra- bles plaidoyers. Lui-m^me a pris la peine de se justifier dans le Memorandum en reponse a Clausewitz, auquel nous .avons souvent renvoye le lecteur ^, mais qui n'est pas assez exact dans les details, comme nous 1' avons d^ja fait remarquer, pour avoir I'autorite que la parole de Wellington aurait pr^tee a Thistoire de la cam- pagne, s'il I'avait ecrite lorsque les ev^nements ^taient encore fraicbement imprimis dans sa memoire. II semble que dans sa vieillesse il ait accepte sans b^siter ce que Napoleon dit dans ses Memoir es ^, d'un ddta- cbement de cavalerie fran^aise qui cbercbait a tourner 1 A Hal seulement, d'aprSs la plupart des auteurs; mais les deux brigades de Colville s'^taient arret^es en chemin, A Tubize. Voyez SiBORNB, t. I, p. 356. 2 Voyez ci-dessus, p. 108, 170, 213. 3 Mimoires, t. IX, p. 101. — 280 — son aile droite le 17, et qui forga le general anglais a conserver un corps d'armee de ce cot^ pendant toute la journde suivante. S'il en est ainsi, on pent dire qu'il a fini par donner dans le panneau que lui avait tendu Napoleon, car toute cette histoire est tellement denude de preuves que I'ecole ordinaire des historiens frangais n'a pas daign^ I'accueiUir et que les plus veridiques d'entre eux la nient formellement. Wellington ne pou- vait assur^ment pas avoir entendu parler d'un detache- ment de cavalerie dent il ne fut jamais question et ce n'etait pas une excuse digne de lui. C'etait tout simple- ment une de ces nombreuses inventions dont fourmille la derniere version de Sainte-Helene, forgee apres que cette etrange occupation de Hal p'ar Wellington fut parvenue a la connaissance de I'empereur exild, afln d'assurer a celui-ci le merite d'avoir tromp6 son adver- saire. La conduite du due doit etre jugee a sa juste valeur, et il nous suffit de dire ici que les critiques du continent, sauf un seul que nous allons citer, sontuna- nimes a la condamner absolument : que le meUleur des ^crivains qui soit sorti des rangs de la jeune arm^e anglaise \ est parfaitement d'accord avec eux sur ce point, et que Muffling ^, en faisant un timide effort ' Kennedy, p. 174; Hamley, La carri^re de Wellington, p. 82. 2 Muffling, Histoire, p. 78. — 281 - pour I'excuser, n'a rdussi qu'a prouver laborieusement que les troupes ainsi d^tach^es auraient aussi bien surveilld la route de Hal si elles avaient stationne au delade la Seune, adeux lieues plus pr^sdeWaterloo, et en tout cas, qu'elles auraient pu ^tre mand^es de facon a arriver le 18 a midi. Voila la meilleure defense des vues particulieres du due qui le portaient a se couvrir du c6te de ses communications, au risque bien plus grave de sacrifier le grand int^r^t de la journ^e : ne sommes- nous pas en droit de conclure, en souscrivant sans reserve a I'opinion de Kennedy, que, « Wellington aurait certainement du avoir Colville avec les forces placees sous son commandement, sur le champ de bataille? » On peut opposer a cette assertion que Wellington se savait assez fort pour maintenir sa position sans le secours des troupes detachees. Mais il n'etait pas pos- sible que Wellington sut le matin que Napoleon laisse- rait aux Prussiens cinq beures d'avance ni qu'il enver- rait 16,000 Frangais de son front d'attaque a leur recherche, au lieu de poursuivre leurs reserves a une heure plus matinale. La presence de la brigade de Colville aurait ^pargnc aux lignes anglaises ce moment critique qu'elles eurent a subir, comme le declarent tous les temoins oculaires du continent, avant I'arrivee — 282 — des colonnes de Zieten '. D'un autre cote, il faut bien remarquer que de tous les griefs dont on a jadis chargd la conduite de Wellington pendant cette journee, celui-la est le seul que le temps n'ait pas tout a fait dclairci ^. Quant a la faute qu'il reconnaissait lui-meme avoir commise en n^gligeant de fortifier la Haie- Sainte ', il la repara sur le champ, en payant de sa personne lorsqu'il y reconnut une cause de danger ^. Enfin, le noble concert des operations des allies avec rbabilet^ des manoeuvres de "Wellington, racbeta am- plement I'unique faute qu'on lui reproche. Sa grande victoire ne fut ni un beureux basard, comme la vanite fran^aise aimerait a le faire croire, ni I'aubaine du d^sespoir et de I'ent^tement, comme I'ont pensd quel- ques-uns de nos compatriotes. Pour ceux qui regardent son histoire de plus baut, il reste prouv^ qu'elle fut le prix legitime delavaleur, del'adresse et de cette entente mutuelle qu'il n'avait jamais ^te donn^ au monde d'ad- mirer auparavant, entre des armdes alli^es commandoes par des chefs indOpendants. • Voyez lea divers passages qui s'y rapportent, ci-dessus, p. 273. ^ Voyez en particulier les refutations dans 1 Histoire de Muffling. ^ Kennedy, p. 175. < Voyez ci-dessus, p. 246. — 283 — Recapitulation. Les ^v^nements du 18 juin sont bien moins compli- qu^s dans la r^alite qu'ils n'ont dte surcharges et obs- curcis par la controverse. D'un examen judicieux et impartial des temoignages, il ressort les faits suivants dont nous avons amplement fourni la preuve. Tandis que "Wellington attendait avec calme I'attaque de son adversaire, assure pour le moment de I'excel- lence de sa position et du secours que lui avait promis Blticher, Napoleon ignorant absolument les projets des allies, croyait n'avoir affaire qu'aux 70,000 hommes qui se trouvaient devant lui et il perdit la premiere moiti^ de la journ^e en retards et en revues ; il voulait a la fois laisser le sol se raffermir un peu et imposer aux contingents faibles et douteux par un d^ploiement de forces. Pendant ce temps les Prussiens, qui s'etaient cependant mis en marche moins t6t qu'on n'avait con- venu, acheminaient la plus grande partie de leurs colonnes vers le plateau, ou Billow aurait pu ranger toutes ses divisions en ordre de bataille de bonne beure dans I'apres-midi, sans I'accident qui les avait retar- d^es dans les rues de Wavre et sans la malencontreuse id^e qu'il avait eue la veille de les faire bivouaquer de I'autre c6te de la ville, tandis qu'elles devaient prendre — 284 — la tete de la colonne. Grouchy, s'^branlant k la meme heure queles Prussians , s'etait porte de Grembloux sur Sart-lez-Walhain, ne sachant trop d'abord jusqu'ou il devrait s'avancer a leur recberche dans la .direction du nord ; mais bientfit les informations qu'il recueiUait en chemin, lui apprirent que les Prussiens se trouvaient effectivement a Wavre en grande force, et il resolut de poursuivre sa marcbe vers cette ville. II n'avait point regu d'instructions de son maitre depuis I'ordre ecrit qui lui enjoignait de se porter a Gembloux; et la simple lettre qui lui avait ete expedite le matin, pour lui an- noncer que I'empereur etait sur le point d'attaquer les Anglais, lui prescrivait de marcher sur Wavre et de faire poursuivre par des troupes l^geres les colonnes ennemies qui avaient pris sur sa droite; preuve que Napoleon, comme son lieutenant, n'attacbait qu'une mediocre importance au terrain interm^diaire qui les s^parait, sur la gaucbe de ce dernier, ou cependant les Prussiens avaient etabli leurs avant-postes. Longtemps avant que cette lettre lui parvint, le canon de la ba- taille s'etait fait entendre et le mardcbal avait ^t^ press^ par ses officiers de marcher dans la direction du feu; sa decision de ne point suivre cet avis, mais de se porter sur Wavre, ou il avait appris que se trou- vaient les Prussiens, fut la consequence natureUe des — 285 — premiers ordres qu'il avait regus, qui lui enjoignaient de les poursuivre, et ne faisait que devancer les instruc- tions nouvelles qui ne lui dtaient pas encore parvenues. S'il ett choisi I'autre parti, il aurait peut-etre bien rencontre et arrets deux corps prussiens, au lieu d'un seul qu'il eut a combattre plus tard a Wavre ; mais de le supposer justifie en agissant ainsi, c'est tout bonne- ment supposer qu'il savait mieux que Napoleon lui- m^me ce que Napoleon savait au moment que la ba- taille commenca. Pendant ces entrefaites I'empereur, ayant ainsi dirig^ Grouchy sur un point ou celui-ci ne pouvait lui rendre aucun service immddiat dans Taction de ce jour,, enga- geait la lutte en attaquant I'aile droite de I'arm^e anglaise a Hougoumont. Cette attaque n'etait que le prdude d'une autre, celle ou d'Erlon devait essay er d'entamer I'aile gauche des Anglais avec des troupes fraiches et pleines de vigueur. Ce fut avant que cet engagement commengat que la division d'avant-garde de Bulow fit son apparition sur les hauteurs de Saint- Lambert. Mais bien que Napoldon I'apercut, sa lettre d'une heure apres-midi, dcrite dans ces conjonctures avec tout le vague de I'indecision, permettait a Grouchy de poursuivre sa marche sur Wavre, tout en lui pres- crivant, ordre contradictoire de son approbation, de — 286 — manoeuvrer vers la droite de I'empereur pour etre tou- jours en mesure de tomber sur les troupes ennemies qui chercheraient a I'inquieter de ce c6te. Un post-scrip turn ajoutd a la lidte, au moment qu'on venait de capturer le messager prussien, rdv^lait au mar^chal la fatale v^rit^ qu'on ne faisait que d'entrevoir et reclamait instamment son secours. Napoleon cachait encore tou- jours a son lieutenant, et il ignorait probablement lui-m^me, Tapproche d'autres colonnes ennemies que le simple corps de Biilow. Cette lettre, qu'un cavalier etit pu transmettre a Grrouchy en deux heures, en tour- nant les Prussiens, ne lui fut remise que vers six ou sept heures du soir, lorsque le mar^cbal 4tait irr^pa- rablement engage dans la bataille de Wavre et que celle de Waterloo ^tait pratiquement d^cidee. Pour faire face au nouveau danger qui le menagait, Napo- leon avait detache 10,000 hommes de la reserve, et il porta plus tard a 16,000 hommes le renfort destine a couvrir le revers de son aile droite. Du reste aucun> pr6caution_n/avait ^t^jrise pour arr^ter renn emi au passage de la profonde valine de la Lasnes ; et cepen- dant la nature y avait accumuld de si grandes diffi- cult^s et les mouvemehts de Bliicher y avaient ren- contrd des obstacles si nombreux, qu'il s'^coula trois longues heures depuis la premiere apparition de Biilov — 287 — sur les cretes de Saint-Lambert, avant que la moitid de son corps filt rendue sur le terrain de Taction. Trois heures plus tard encore, il engageait avec les troupes de Lobau un combat acbarne, dont Tissue ne fut enfin d^cid^e que par les secours que Pircb amenait aux assaillants. La deuxi^me attaque des Frangais ayant. 4t6 d^cisi- vement repouss^e par Tinfanterie de Pic ton, leur cava- verie, sans etre soutenue, attaqua le centre de Tarm^e anglaise. Les partes meurtrieres que cette arme ma- gnifique essuya dans les charges inutiles qu'eUe fit sur nos carr^s, ne furent pas, en reality, la consequence des ordres de Tempereur plutdt que des ordres de Ney : Tun et Tautre permirent la repetition de ces charges st^riles jusqu'a ce que leurs cavaliers fussent presque totalement detruits. La troisieme et la qua- trieme grande attaque, sous la direction de Ney, eta- blirent les Frangais dans la Haie-Sainte et p^n^trerent un moment a travers les lignes anglaises. Mais Napo- leon, soit qu'il fat empfiche par Teffort de Bliicber sur Plancenoit, soit qu'il ne saisit pas a temps son avantage, laissa ses dernieres reserves en arriere, et Wellington repara babilement sa brecbe. Un peu plus tard Zieten apparaissait k Textr^me gauche de Tarm^e anglaise, degageant deux brigades — 288 — de cavalerie qui n'avaient pas encore donn^ et qui lui furent d'un grand secours apres la d^route finale. Apres un leger retard dd a une erreur, il dirigea une attaque decisive contre I'aile droite des Frangais et la mit en deroute au moment meme que le petit corps de reserve, dont Napoleon avait flni par prendre le com- mandement, tentait sur le centre droit de I'arm^e an- glaise cette attaque derniere qu'on a appel^e « la rage supreme du ddsespoir. » II n'y a pas de raison pour croire que cette attaque de la garde pilt entamer la ligne de Wellington, renforcee en cet endroit par des troupes amen^es de I'extremitd des ailes. Si I'arm^e an- glaise se trouva reellement dans une position critique pendant cette journde , comme I'affirment tous les t^moins oculaires ', sauf ses compatriotes, ce fut beau- coup plus t6t, apres que I'ennemi eut emporte la Haie- Sainte. L'eifet produit sur les Francais par V6ch.ec de la garde et par 1' attaque inopinee de Zieten, fut com- plete par larapiditd avec laquelle Wellington, portant sa ligne en avant avec I'instinct du g6nie, passa sou- dainement de la defensive a I'ofiensive; la d^faite se transforma en unepanique et une deroute sans exemple, lorsque les colonnes de Bliicher d^bouchant de Plan- 1 Voyez les autoritfe citees ci-dessus, p. 273. — 289 — cenoit, vinrent couper la seule ligne de retraite ouverte aux fuyards. Si Wellington fit preuve d'une confiance un pen exa- g^rde en affaiblissant ses lignes par des detachements inutiles, I'^nergiede son aUie, I'intrepidite de ses troupes d'elite, sa propre tactique combinee de main de maitre, racheterent amplement cette erreur si elles ne la justi- fierent pas absolument. Les ecrivains anglais ne doivent pas oubUer que ce fut grdce au premier deploiement des forces prussiennes que la bataiUe de leurs compa- triotes fut engagee avec une armee deja r^duite de 16,000 bommes, ni que I'ardeur de notre aUi^ a ra- ■ cbeter les retards de sa marcbe et a prendre part au combat coiita a Bliicber 7,000 bommes *, dans une action qui dura a peine quatre beures. Quant a la con- duite de Napoleon le 18 juin, il reste clairement prouv^ que ses manoeuvres furent tellement imparfaites, que ses apologistes ont cru devoir en imputer les details t ses lieutenants; qu'il laissa ^cbapper I'unique espoir d'arreter Bliicber au passage de la Lasnes, et qu'il prolongea la bataille inutilement, jusqu'a rendre la retraite impossible. En un mot, si tout autre general elit agi comme il fit dans cette journ^e remplie d'dv^- nements, il n'y aurait qu'une voix pour declarer que ' 6,999 d'apres le Recueil des batailles, p, 85. 19 — 290 — sa tactique en cette occasion fut aussi pitoyable que la strategic qui I'avait r^duit a de si p^rilleuses extr^- mit^s. SEPTIEME CONFERENCE. RETRAITE DE GROUCHY EN FRANCE. — COMMENTAIRES. — REFLEXIONS ET CONCLUSIONS. — RECAPITULATION DE LA CAMPAGNE. II serait peu profitable a notre dessein de suivre les destinees bris^es de Temper eur et de ses legions, au del4 de la nuit qui couvrit leur immense d^sastre. Le seul expose des evenements qui se pressaient sur leurs pas, dit assez combien etait complete la ruine qui les avait frappes. D^sertantlenaufrage de son armde.l'em- pereur s'enfuit k Paris, esperant sans doute, une fois rentre au si^ge du gouvernement, rallier des forces sufflsantes pour le defendre, au moins quelque temps i. S'il caressait reellement cette illusion (et que ne pou- vait-on pas attendre de cet esprit remuant qui avait enfant^ tant de projets extravagants ?) elle n'^tait certes pas partag^e par le petit nombre de ses partisans. Ni lui, ni ses troupes fideles n'^taient plus appel^s a tirer r^p^e pour la cause d^sormais perdue de I'empire. • Thiers, t. XX, p. 338. - 292 - Arrive, le troisieme jour apres la bataille, dans la capi- tale a^t^e et inqui^te, k peine remis du choc terrible qu'il avait ressenti dans le premier moment, Napoleon s'engagea pour la derniere fois dans le dedale de la politique, et c'est au domaine de ceUe-ci qu'appartient I'histoire des ev^nements ulterieurs. II nous suffira d'aj outer qu'on lui mesura le temps avec tant de ri- gueur qu'il fut force d'abdiquer le jour suivant, le 22. Une semaine plus tard, il s'^loignait en fugitif de Paris, ou les Prussiens accouraient animds par la vengeance, dans I'espoir de s'emparer de sa personne, et ou le gouvernement prpvisoire du moment rejetait toutes ses oflfres de conseils et de services i. Nous le laisserons s'acbeminer vers cet exil sans espoir qui etait la condi- tion necessaire de la paix du monde, pour revenir aux derniers ^v^nements mUitaires qui se rattachent a I'in- vasion de la Belgique. Ce ne sont pas les troupes defaites a Waterloo qui feront I'objet de cette revue. II serait d'un mediocre int^r^t pour nous de savoir combien de fuyards gagne- rent Philippeville ou Laon et qui s'occupa le plus acti- vement de rallier leurs bandes. Une masse de soldats compos^e de debris de regiments et de corps, priv^s de leurs officiers, sans armes, abattus par le sentiment 1 Thiers, t. XX, p. 437, 439. — 293 — d'une defaite ecrasante ne pouvaient opposer qu'une digue bien faible au torrent victorieux qui envahissait la France par ses fronti^res du nord. Ce serait ajouter un chapitre aux curiosit^s de la littdrature militaire plut6t qu'en d^duire un enseignement utile que de nous arreter a d^tailler le cMffre exact des rassemblements et a enum^rer les differents chefs auxquels ils obeis- saient. Nous pr^fi^rons suivre les forces intactes et Isoldes qui sous la conduite de Groucby, r^ussirent a ^chapper a la catastrophe nationale. Nous avons laiss^ le mar^chal \ apres un vif enga- gement, qui avait commence quelques heures plus tard que la bataille de Waterloo et s'^tait prolonge jusqu'a la nuit, occupe a passer la Dyle k Limal, bien que I'heure avanc^e ne lui permit de faire traverser que I'aile gauche de son arm^e. II n'avait plus eu de nou- veUes de I'empereur depuis la dep^che qui lui avait ^te exp^diee au moment qu'on venait de surprendre I'^mis- saire de Biilow. II passa la nuit, Uvre a toutes les alternatives de la crainte et de I'esp^rance. A la pointe du jour^, Thielemann croyant pouvoir en- core regagner le passage qu'il avait laiss^ surprendre, 1 Voyez ci-dessus, p. 253. 2 Recueil des batailles, p. 94 ; Clahsewitz, p. 138, « A 3 heures du matin ••, suivant le rapport de Grouchy, Doc, p. 153. — 294 — attaqua les Francais avec toutes les troupes dont il pouvait disposer. Mais Grouchy avait employe les heures de la nuit a faire filer ses divisions de I'autre c6t6 de la riviere et il avait masse sur la rive gauche des forces bien superieures a celles de Thielemann. Les Prussiens furent repousses sans peine; le marechal frangais, ignorant toujours le sort de son maitre, se d^ploya sur le terrain qu'il venait d'emporter, avec un soin methodique, et prit I'offensive avec une vigueur irresistible. En vain, le general prussien, cbasse de sa premiere position, tenta d'en occuper une seconde plus rapprochee de Wavre. II venait de s'y etablir en effet, lorsque, entre buit et neuf beures du matin ', un avis officiel I'informa de la part de Pirch du grand resultat de la journee precddente. Dans I'espoir de refouler les progres croissants de Grouchy, il ordonna a ses sol- dats de pousser de grands cris de joie et de se reporter en avant comme s'il leur arrivait des renforts -. Les Frangais, de leur cot^, soit qu'ils ne comprissent pas ce signal, soit qu'ils le dedaignassent, n'en continuerent pas moins a se battre sans flechir. Wavre leur fut abandonne et Thielemann alia occuper une troisieme position; mais des troupes fraiches (une partie du corps ■ ' Recueil des batailles, p. 95. 2 Clausewitz, p. 139. — 295 — de Vandamme), d^bouchant de la ville, tournerent I'en- nemi par sa gauche et le forcerent a se retirer une troisieme fois ; Thielemann ordonna alors une retraite en regie vers le nord-est, par la route de Louvain \ comptant bien que sa retraite se cbangerait en pour- suite lorsque Grouchy connaitrait la Y6rit6 ^. II ^tait onze heures quand la funeste nouvelle en parvint a celui-ci ; d'apres sa relation, il regardait la retraite de I'ennemi comme lui laissant pour le moment le champ libre ,et U se pr^parait en consequence a faire un mou- vement vers I'ouest, par sa gauche, et a marcher direc- tement sur Bruxelles. Le messager que Napoleon avait d^peche des environs de Charleroi la nuit prece- dente, pour lui transmettre la nouvelle de sa defaite, annonga au mar^chal que les debris de I'armde impe- riale se retiraient sur la Sambre ^ A peine Grouchy avait-il suspendu son mouvement, qu'il apprit que les Prussiens etaient deja sur cette riviere et qu'ils occu- pai6nt tout le pays qui s'^tendait sur ses flancs et sur ses derrieres. Nous avons vu effectivement * que, grace a r^nergie infatigable de Gneisenau, ils etaient par- venus avant I'aube du jour a quelques kilometres seu- ' Recueil des batailles, p. 97. 2 Ibid, et Doc, p. 154. 3 Ibid. * Vayez ci-dessus, p. 252. — 296 — lement de Charleroi, et letat-major prussien, tout en se livrant a la poursuite directe de I'empereur battu, n'avait pas oubli^ completement qu'il lui restait encore a compter avec un des lieutenants de celui-ci. A la fin de la bataille, PircH, dont le corps avait si puissam- ment contribue a I'heureuse issue qui amena Bliicher sur la ligne de retraite des Frangais, suspendit sa marche. Sa cavalerie, en effet, etait employee avec les autres escadrons en etat a presser la poursuite de I'en- nemi a travers Genappe, dans la direction de Char- leroi ^ Mais le general avait recu I'ordre de faire avec le gros de son armee un changement de front et de se porter a travers champs sur Sombreffe, afin de couper a Grouchy I'acces de la Sambre. Get ordre fut si bien execute que les troupes se remirent en marche a la nuit et traverser ent la Dyle aux premieres lueurs de I'aube, au pont deBousval; le 19 a onze heures du matin, elles avaient atteint Mellery, village situe a quince kilome- tres en ligne droite de Plancenoit et a huit Idlometres a peine de Sombreflfe -, dont il est s^pare par une plaine ddcouverte. Ces hommes qui la veiUe avaient marche et s'dtaient battus toute la journee , avaient absolument besoin de repos et de nourriture ^ : d'ail- 1 Recueil des batailles, p. 84, 85. 2 Voyez la carte. 3 Recueil des batailles, p. 85 et 99; Muffling, Histoire, p. 43 — 297 — leurs Pirch n'en avait avec lui que 16,000 ; une brigade d'infanterie et toute sa cavalerie, sauf neuf escadrons, avaient dt^ detaches a Genappe. Pendant la lialte qu'il fit k Mellery, il eut soin de faire battre le pays dans la direction de Wavre, mais ses patrouilles ne lui ap- prirent rien, sinon que I'ennemi etait en grande force de ce c6t6 et qu'il continuait d'occuper Mont-Saint- Guibert. Ne pouvant ou ne voulant pas se risquer a rien entreprendre sans cavalerie, il resolut d'attendre des nouveUes de Thielemann, a qui il depecha plusieurs estafettes ' ; mais cell'es-ci ne purent ni percer, ni tour- ner les lignes frangaises et la halte de Pirch se pro- longea ainsi pendant toute cette journee. A peu pres a la m^me heure que Pirch atteignait Mellery, Grouchy, avons-nous vu - , apprenait la de- faite de son maitre et son propre danger. La bataille de Wavre ne lui avait laisse que 30,000 hommes en dtat de combattre; sur sa droite, il y avait environ 13,000 hommes sous les ordres de Thielemann, qui avait essuyd de grosses pertes ^ ; sur sa gauche, du c6td de Saint-Lambert, un autre corps prussien venait de se montrer; ce n'etait, en realite, que la division du ' Muffling, Histoire, p. 43. ^ Voyez ci-dessus, p. 295. 3 Voyez ci dessus, p. 238 ; Recueil des batailles, p. 98. — 298 — corps de Thielemann qui avait pouss^ dans la direction de Waterloo, le jour precedent, et qui revenait a cette heure raUier et renforcer son chef. On rapportait aussi qu'un corps prussien dont on ignorait la force (c'etait celui de Pirch), menacait son flanc, au dela du Mont- Saint-Guibert ' : quant a se retirer par la route qu'avait prise I'armee pour envahir la Belgique, il ne pouvait ^videmment en etre question. La situation pouvait pa- raitre desesperee au capitaine le plus audacieux, au point de justifier dans une certaine mesure la foUe pro- position qu'on a pr^tee a Vandamme ^, de se rahattre sur Bruxelles, de traverser toute I'arriere-garde des allies et de s'ouvrir une issue vers I'ouest entre le flanc de leurs armees et la mer. La decision de Grouchy fat non seulement plus sage que ce projet , mais eUe fut aussi pleinement justifiee par le succes dont eUe fut couronnee. C'est de cet infortune militaire, longtemps apres qu'il fut descendu dans la tombe, que le plus habile et le plus perfide des historiens qui ont suivi Napoleon dans son parti pris de noircir la m^moire de ses lieutenants, a os6 ecrire ces lignes : « Ayant du coup d'oeO. et de la vigueur sur le terrain, Grouchy n'avait aucun discer- 1 Grouchy, Documents, p. 154. 2 Charras, p. 364. — 299 — nement dans la direction g^n^rale des operations et sur- tout rien de la sagacity d'un officier d'avant-garde charge d'^clairer une arm^e i » . II est a peine besoin de dire que nous citons textuellement M. Thiers, qui assassine en quelque sorte la reputation de sa victime d'une maniere absolue, avant de commencer, a pro- pos de sa conduite pendant la marche de Ligny a Wavre, si remplie d'evenements, ces attaques de detail qui sont aussi insoutenables en fait qu'injustes dans leur esprit, comme nous I'aYons d^montre. Laissant de c6te toute coutroverse sur ce qu'on aiirait pu faire les deux jours precedents, nous n'avons plus qu'a examiner comment le marechal se conduisit en elFet, lorsqu'il se trouva livre a sa propre inspiration au milieu des armees victorieuses, sans communications, puisque les routes qui avaient amend les Frangais etaient interceptees a cette heure, entoure d'ennemis qui connaissaient sa po- sition perilleuse et n'ayant d'autres moyens pour sortir de cet inextricable dedale que ceux que pouvaient lui fournir le calme de la resolution et I'dnergie de I'exe- cution, en un mot ce profond « discernement dans la direction generale des operations » dont Thistorien le declare particulierement ddpourvu. La retraite dans la direction de Charleroi dtant 1 Thiers, t. XX, p. 173. — 300 — fermee, la route des Ardennes semblait s'oflrir d'elle- meme comme la voie la plus sure pour echapper a la poursuite des allies : mais les Frangais n'avaient pas des approvisionnements qui leur permissent de se maintenir dans un pays oii il n'etait pas possible de se procurer des subsistances en fourrageant le long du chemin. II ne leur restait done qu'un espoir. La forte- resse de Namur avait ete abandonnee par les Prus- siens dans leur empressement a se concentrer autour de Ligny et leur marche vers le nord avait laisse cette place tout a fait a d^couvert. Si Grouchy parvenait ^ regagner Sombreife avant que les Prussiens sen empa- rassent, il trouvait un libre passage surla grande route de Nivelles a Namur, et au dela de cette ville sa situa- tion n'etait pas moins bonne, puisqu'n n'avait qu'a tra- verser la Meuse pour ecbapper aux poursuites : ses derri^res, converts par les ouvrages de la forteresse, se repliaient ensuite en France sans difficulte \ Ce fut a cette esperance qu'il se fixa rapidement ; il envoya le general Excelmans, commandant de sa cavalerie, avec sept regiments de dragons, se saisir en toute hate des fortifications de Namur ; lui-meme suivit un pen apres avec le corps de Gerard, et par une marche forc^e il gagna Sombreffe le meme soir, laissant Vandamme a 1 Documents, p. 154; CHARRAS,p. 363. - 301 — Wavre pour couvrir ses derri^res. Thielemann s'^tait avanc^ si loin sur la route 'de Louvain apres la bataille du matin qu'il dilt se decider a ne pas rebrousser ce jour-la 1; d'ailleurs, selon les meilleurs t^moignages, il 6tait tout dispose k croire qu'il ne pouvait manquer de surprendre I'arriere-garde de I'ennemi le lendemain et ses soldats ^taient ext^nu^s par ce long et indgal com- bat ou ils avaient perdu 2,500 des leurs. Mais Van- damme n'attendit pas jusqu'au lendemain qu'on vint I'attaquer : a cinq heures du soir, il commenga a se retirer sans 4tre inqui^t^ et a minuit il instaUait ses bivouacs a Gembloux pour y prendre quelques heures de repos -. Cependant son mouvement fut observe par la division prussienne la plus proche, ceUe qui ^tait revenue de Saint-Lambert pour rejoindre Thielemann, et ce g^n^ral en ay ant ^t^ prevenu, donna I'ordre de poursuivre la colonne francaise a la pointe du jour. Le 20, I'arm^e frangaise continua sa retraite sur deux colonnes ^ Vandamme quitta Gembloux k 7 heures du matin , avec un retard assez inutile , et se dirigea a travers champs vers Namur par un chemin de traverse direct. Grouchy, qui avait sans doute attendu I'avis du 1 Clausewitz (quiy assistait),p. 140. 2 Recueil des batailles, p. 99; Charras, p. 365. 3 Charras, p. 366, 368, d'apr^s les rapports d^pos^s aux archives en France. — 302 — depart de son lieutenant , partit de Sombreffe en sui- vant la grande route, k peu pres k la m^me heure. Tous deux furent attaques avant d'avoir atteint la forteresse ; le marechal lui-m^me fut surpris a une petite distance de celle-ci par I'avant-garde de Pircli , qui avait quitte Mellery d^s 5 heures du matin \ en apprenant que I'ennemi se mettait en mouvement vers Namur. La m^me irresolution qui avait tenu ce general immobile pendant toute la journ^e precedente , alors que les co- lonnes en retraite d^filaient a deux lieues de lui sans qu'il le sut, semble avoir continue a paralyser ses mou- vements ; il ^tait 4 heures du soir lorsque son avant- garde atteignit I'ennemi et, vers la meme heure, la cava- lerie de Thielemann, ayant traversd Gembloux, surprit la queue de la colonne de Vandamme, mais n'ayant pas d'infanterie avec elle , elle ne put lui faire grand mal. A 6 heures du soir toute I'arm^e frangaise avait penetr^ dans les ouvrages avanc^s de Namur, n'ayant perdu que deux ou trois pieces de campagne. Pirch, se repentant sans doute de ses lenteurs , dirigea alors un assaut en regie contre les murailles , esp^rant em- porter la place avant que I'ennemi I'^vacuat-; mais Vandamme, charge par Grouchy de couvrir la retraite 1 Recueil des batailles, p. 100. ^ Ibid.; Charras,p. 368 ; Clausewitz, p. 141. — 303 — de Tarmde avec son corps et la division de Teste , d^- fendit les murailles avec una vigueur qui rendit infruc- tueuses toutes les tentatives d'escalade ^ Les Prussiens, apres avoir perdu 1,600 hommes, renonc^rent enfin a une entreprise difficile ajustifierdans ces circonstances, de I'aveu m^me de leur Eminent ecrivain nationaP. lis ne s'aventur^rent pas a la suite de Grouchy, qui con- tinua sa route sans ^tre inqui^te , le long de la Meuse jusqu'a Dinant ', d'ou il gagna Givet et le coeur de la France, ay ant accompli avec une perte insignifiante et dans la position la plus critique , une des plus 6ton- nantes retraites que I'Mstoire moderne ait enregistr^es dans ses annales. Ce ne fut que le 21 que ses troupes regurent des rations regulieres, et jusqu'aii 23-, il de- meura sans instructions sur ce qu'il avait k faire ; alors seulement 0. rejut un ordre par lequel le mar^chal Soult lui prescrivait de se porter a Soissons*. Commentaires. Ce maitre ingrat qui fut le premier a proclamer I'imp^ritie de Grouchy pour le commandement , a trahi malgre lui, au moment m6me, I'impression pro- ■ Clausewitz, p. 141 ; Muffling, Eistoire, p. 44. 2 Clausewitz, p. 143. 3 Voyez la carte. * Charras, p. 369. — 304 — fonde que lui faisait eprouver rimminence du p^ril au- quel le marechal etait abandonne : « Je n'ai point en- tendu parler de Grouchy (^crivait Napoleon dans une lettre souvent citee\ qu'il adressait a Joseph, de PM- lippeville , le lendemain de la d^faite) ; s'il n'est pas pris, comme je le crains, je puis avoir dans trois jours 50,000 hommes ». Bien que I'evenement fut si diffe- rent des previsions de I'empereur, on ne sera pas sur- pris en etudiant les Memoires, de ne pas rencontrer dans les Observations sur la hataille, qui en forment un long chapitre, un seul mot d'eloge pour la prompte et heureuse retraite du lieutenant condamn^ d'avance. II n'est pas sans int^r^t de signaler ici pour notre in- struction, combien la classe des Mstoriens frangais qui ont servilement adopts les vues generales de I'exile de Sainte-Hel^ne, a peu gagnd sur lui en sincerity. Thiers, qui a trouve moyen de consacrer seize pages ^ a prou- ver que Grouchy aurait du marcher directement sur Waterloo, n'accorde k tous les details de sa retraite que trente et une lignes^, et tellement divisees, sans la moindre apparence d'artcependant, tellement morcel^es dans le texte , qu'il est difficile de suivre la trace de 1 Original dans Charras, p. 335, et Clausewitz, p. 143. 2 Thiers, t. XX, p. 357, 368 et 290-294. 3 7Md!.,p.272et400. — 305 — cette operation importante, oil 60,000 hommes se trou- verent un moment int^ress^s , dans une histoire toute ^tincelante des details prolixes et animus d'une foule d'autres exploits. Et cette mauvaise foi ne prend mfime pas un caractere absolument n^gatif ; le court r^cit de rhistorien, bien loin de rendre le moindre honneur au marechal, debute par cette phrase perfide : « Grouchy qu'on regardait comme perdu, s'6tait d^rob^ a I'ennemi par le plus heureux et le moins pr^vu des hasards » . .D'dcrire en ces termes, de sapg-froid, k propos d'un homme mort depuis longtemps , c'est pousser , peut-on dire , I'animosite de la controverse au dela meme du tombeau. On dirait qu'il ne pent pardonner au mare- chal Grouchy d'avoir dementi par sa conduite, pendant cet Episode de la campagne, les reproches accumul^s contre lui pour n'avoir pas su deviner mieux que son maitre les mouvements des allies avant la bataille. Charras, qui ne se contente jamais d'une critique vague, declare que le second jour, la marche de I'arm^e en retraite ne fut pas aussi rapide que I'aurait exige le danger qu'elle courait^. Cependant c'est sur Van- damme qu'il rejette le blame du retard de la matinee a Gembloux^ ; c'est lui qui for§a son chef a attendre ' Voyez ci-dessus, p. 301. ''' Charras, p. 366. '20 - 306 — et Grouchy se trouve par la decliarge du seul reprociie qu'on ait fait a sa conduite dans la direction de cette operation delicate. Get ^crivain', a lopinion duquel Hooper se raUie a cet endroit comme en beaucoup d'autres , ne manque pas de constater aussi dans les termes les plus formels , que I'evasion des troupes fut singulierement facilit^e par I'insouciance de Thiele- mann d'une part, et par la timidity de Pirch, de I'autre. Si I'un avait observe de pr^s I'armee fraucaise depuis le moment qu'il avait cesse de la poursuivre du cot^ de . Louvain ^ ; si I'autre ne s'^tait arrete a Mellery que le temps d'une halte ordinaire ', le premier aurait decou- vert le mouvement de retraite lorsqu'il commenca le 19 , et le second aurait barre le passage aux Francais de maniere k les placer dans un peril extreme. II est important d'examiner ici quelle est , a propos de ces manquements, I'opinion des historiens qui appar- tiennent a la meme nation que ces g6neraux. Miiffling'* en ddcharge ceux-ci personneUement, pour en faire re- tomber la faute sur I'^tat-major du quartier-g^n^ral. D'apr^s lui, I'ensemble de la poursuite 6tait mal orga- nise. Le corps de Biilow aurait dil ^tre employe a cette 1 Charras, p. 367. 2 Voyez ci-dessus, p. 301. 3 Voyez ci-dessus, p. 296. * Muffling, ffist., p. 7.^5. — 307 — besogne et ramen^ de la route de Charleroi aux Quatre- Bras aussi t6t qu'il se pouvait, le 19. Dans ropinion de. cet ^crivain pratique , il n'est pas douteux que ce corps aurait pu gagner Sombreffe 4 7 heures du matin : de Ik il aurait d^tach^ 2,000 cavaliers « qui auraient anient en croupe autant de fantassins » pour surpren- dre Namur, tandis que les autres marchaient sur Gem- bloux qu'ils pouvaient aisement occuper a midi. Si Ton avait fait cela , « Grouchy aurait 6t6 contraint de capituler ou de mourir V6p4e a la main » . D'un autre c6t6 , oomme on n'avait pas pens^ que la bataille fini- rait ainsi « et qu'on ne pouvait pas pr^voir que I'eh- nemi serait si completement d^fait » , il n'est pas ^ton- nant que la disposition vicieuse qui d^tacbait Pirch avec une simple portion de corps et des instructions vagues, n'elit pas ^t^ modifi^e. L'esprit du soldat, cet dement si essentiel a la guerre et trop souvent n^glig^ par les th^oriciens et les bistoriens miUtaires , s'impo- sait ici avec une force irresistible : de contraindre a un nouveau travail des forces d^ja surmen^es, n'elit-ce pas 6t6 s'exposer a un risque bien plus s^rieux que celui de laisser dcbapper Grouchy? Les meilleures troupes ne sont en definitive compos^es que d'hommes, et il existe une limite que I'intelligence d'un capitaine experiments ne franchira jamais, pour contraindre ceux - 308 — qui agissent sous ses ordres k tenter des entreprises impraticables. Comma I'^tablit Muffling, avec le sens pratique d'un officier qui avait beaucoup vu au service et qui avait refl^cM sur ce qu'il voyait : « Tout bomme sacbant ce que c'est que d'avoir sous son commande- ment des troupes comme celles-ci, epuisdes par des marcbes et des combats sans relAcbe, qui depuis trois jours avaient a peine pris un peu de repos et de nour- riture, trouvera dans cette situation des raisons bien graves pour qu'on ne se bate pas de modifier des dis- positions une fois adoptees ^ ». Ces memes motifs sont la meilleure defense de Bliicber et de son 6tat-major dans les omissions qu'on leur impute. Clausewitz ^ est plus severe que son compatriote en jugeant la conduite de Pircb : suivant lui , ce general aurait indubitablement dti se porter de Mellery sur Namur, le 19 et, au lieu de gaspiller ses forces le len- demain dans un assaut furieux centre la ville, il aurait mieux fait de tourner celle-ci et de cbercber vers la . Sambre un defile qui I'etit amene sur le flanc de Grou- cby tratnant sa longue colonne sur la route de Dinant. « Mais il est rare, ajoute-t-il, qu'on fasse,4 la guerre tout ce qu'il faudrait faire et la besogne assignee ici au 1 Muffling, Histoire, p. 75. - Clausewitz, p. 142-143. — 309 — general Pirch etait fort simple , mais elle aurait exige un grand deploiement d'^nergie ». Le in^me critique releve une autre faute , c'est que I'etat-major de Blii- cher ne songea pas a detacher de Charleroi une partie des troupes qu'il langait 4 la poursuite de Napoleon ; Dependant il ne Ten bMme pas avec une rigueur exces- sive , « parce que , dit-il , le lendemain de la bataille , las allies connaissaient trop peu la situation de Grou- chy, pour pouvoir faire de sa defaite I'objet principal de leurs operations subs^quentes ». Quant a la part de Thielemann dans I'aiFaire, Clausewitz\ qui etait attache a cet officier en qualite de quartier-maitre ge- neral, n'en fait aucune mention. Son r^cit que nous avons cit^, nous montre les troupes de Thielemann tellement ^puisees par un engagement de deux jours avec les forces considerables de Grouchy, que leur chef dut absolument renoncer le 19 au dessein d'entamer la poursuite des Francais ce jour-la. C'est une mediocre excuse, m4me lorsque I'auteur ajoute qu'on comptait bien surprendre I'ennemi le jour suivant. Ce qu'il y a de plus vrai dans tout cela , c'est que tous ces chefs de corps prussiens avaient ete choisis, comme nous I'avons demontre au debut de cet ouvrage^ principalement afin 1 Voyez ci-dessus, p. 295; Clausbwitz, p. 140. 2 Voyez ci-dessus, p. 77. — 310 — de crder une hierarchie artificielle en faveur de Gneise- nau, en cas que Bliiclier vint a manquer. II leur man- quait la pratique des commandements isoles et respon- sables dont ils furent investis au dernier moment et dont I'exercice aurait peut-etre bien en tout temps de- passe leurs moyens. Dans le fait, I'etat-major prussien avait ^te form^ bien moins en vue de I'interSt public qu'afin de satisfaire k des exigences routinieres, et ce fut Grouchy qui recueillit tout le benefice de cette er- reur. En faisant la part de cet avantage et de I'igno- rance oil etaient les Prussiens de sa force' et de sa po- sition , cette retraite , commencee sans hesitation , sur le seul point precisement qui fut encore libre, et men^e a si bonne fin, avec des troupes demoralisees, ne prouve- t-elle pas a toute Evidence que ce general tant d^cri6 possedait largement les qualites necessaires pour exer- cer un commandement superieur, qualites dont Thiers le proclame si lestement ddpourvu? N'est-il pas clair aussi , pour tout initio aux mceurs des ecrivains mili- taires de la France, qu'il a fallu les circonstances toutes spdciales du cas present, pour qu'ils ne trou- vassent pas de justes louanges en favour de I'energie ' Plusieurs mois aprSs ces 6v6nements, les Prussiens supposaient encore que Grouchy avait eu plus de 40,000 hommes avec lui. — Voyez Muffling, Hist., p. 27, note. — 3H — et de I'habilet^ avec laquelle un de leurs compatriotes avait ramen^ son armde saine et sauve d'une effroyable catastrophe ? A la v^rit^, I'examen sincere de la conduite de Grouchy, depuis I'heure de la premiere charge jusqu'a sa retraite en France, nous montre deux phases dans son caractere. Son irresolution a marcher en avant semble due exclusivement au vague des instructions de Napoleon et a la grande responsabilit^ qu'elles fai- saient peser sur le mardchal. Ses mouvements etaient paralyses par la crainte de transgresser les ordres. Livr^ a son propre jugement, il semble que ce soit un tout autre homme , et il se montre tout a coup supg- rieur aux difficult^s ou son mattre I'avait plonge. II n'est pas jusqu'a la seule faute qu'on soit a peu pres unanime a lui reprocher, — son mouvement sur Grem- bloux sans eclairer le pays sur sa gauche dans la di- rection de I'empereur, — qui ne Mt I'accomplissement littoral des instructions que ce dernier lui avait trans- mises le matiu meme de la bataille, a 10 heures, pour lui prescrire de « faire suivre les colonnes ennemies qui ont.pris sur sa droite^ ». Napoleon, dira-t-on, fut trompe lui-m^me par le rapport de Grouchy sur les mouvements des Prussiens (le corps de Bulow, sans ' Voyez ci-dessus, p. 232. — 312 — doute) de ce cote^; mais la propre lettre que Napoleon adressait a Ney dans la matinee prdcedente et I'ordre qu'il donnait a Grouchy de se diriger sur Gembloux , montrent clairement sa persuasion que le gros de I'armee prussienne allait realiser I'objet de tous ses voeux et se s^parer de I'arm^e anglaise. II faut conve- nir que jamais reputation ne fut aussi brutalement sacrifiee pour sauver I'amour-propre national , que le fut celle de Grouchy dans cette question de "Waterloo. Bien loin de lui attirer ce bMme, la conduite du ma- rechal, en tenant compte de toutes les circonstances de la campagne , aurait dti couronner sa vieillesse d'uiie gloire legitime. Si le resultat fdt si difiKrent, il ne faut 1 attribuer qu'au voeu populaire de la nation francaise qui reclamait un bouc emissaire auquel elle pdt faire porter la bonte de sa d^faite et a la complaisance avec laqueUe Napoleon s'empressa de le lui fournir dans la personne de son malheureux lieutenant. Reflexions et conclusions. En terminant notre aperQu de cette lutte si fertile en evdnements, il nous semble qu'il reste encore quelques points qui m^ritent un dernier eclaircissement. Ce n'est pas qu'il soit necessaire de revenir sur les details stra- ' Voyez ci-dessus, p. 201. — 313 — tdgiques : nous les avons examines aussi compl^tement que le permettent les bornes de notre travail et il serait inutile de les discuter de nouveau, dans I'intention de convaincre des gens qui ne veulent pas 6tve convain- cus. S'il en est encore qui prdtendent que Bliicher avait dispose convenablement ses forces pour op^rer la prompte concentration que les 6venements exigeaient, ou que Wellington avait pris les meilleures dispositions possibles, a la premiere alerte, pour empecber I'en- nemi de se fauiiler entre les allies, ou surtout, que Napoldon n'^tait pas responsable si Grouchy avait perdu les Prussiens de vue, le 17, ce ne pent 6tre que parce qu'ils ne veulent pas cbercher la v^rite, ou que, aveugles d'avance par la conviction que leur heros ^tait infaiUible, ils ne la cberchent pas avec fruit. Puis que I'empereur sera toujours le veritable b^ros de ce grand drame, qu'il nous soit permis d'elucider celui-ci dans sa personne. Pour le faire, il nous suffira ici, aj^ant deja retract ses erreurs en detail, de jeter un coup- d'oeil sur les Observations qu'il a l^gu^es a I'univers comme la pdroraison du recit de ses Memoires, afin de recbercber en quoi il s'est trompd, apres y avoir murement reii^chi pendant plusieurs annees, mais sur- tout afin de justifier la maniere dont il avait conduit la campagne. — 314 — Ces Observations Aebitees du ton d'un critique impar- tial, sont au nombre de neuf ^ La premiere r^pond a quelques reproches concernant les vices de la politique int^rieure de cette epoque et elle sort absolument de la question purement militaire ^. — La deuxieme loue beaucoup I'empereur de I'audace et de la sagesse qui pr^siderent a son plan de concentration et de surprise des allies : a ce point de vue general, elle ne manque pas dejustesse; mais la correspondance de Wellington et de Blucber montre abondamment que I'empereur comptait beaucoup trop sur le secret de ses plans en disant que « ses mouvements avaient ete d^robes a la connaissance de I'ennemi au debut de la campagne « . Nous avons vu qu'il n'en etait rien ^. Si I'inaction des allies dans leurs cantonnements lui laissait la partie si belle, il faut bien plus I'attribuer a leur excessive con- fiance qu'a sa propre babilete. Dans sa troisi^me Observation, Napoleon commence par lancer une accusation generale contra ses lieute- nants, dont le caractere, dit-il, avait ^t^ detrempe par les ^venements. C'est de la, ajoute-t-il, que provint le double retard de la premiere journ^e, par la faute per- ■ MSmoireSyt. lX,j.]>. 157.. Tziid., p. 158. ^ Voyez oi-dessus, p. 87, 88 — 315 — sonnelle de Vandamme qui perdit sept heures et em- p^Cha qu'on ptit entrer a Fleurus, « ou le projet du chef avait ^t^ de placer son quartier-gdn^ral ce m^me jour 1 «. Or, voici ce qui est arrive : Grouchy se plaint dans une de ses brochures, du second retard de Van- damme. Ce qui a pousse Thiers ^, toujours preoccupy de relever les inexactitudes du mar^chal, a attirer I'at- tention sur I'assertion positive de Napoleon, qui dit dans un autre endroit de ses Memoires ^, qu'il n'avait pas I'intention de se porter ce jour-la au dela du point ou ses troupes faisaient halte. En disculpant ainsi Van- damme, I'historien national a, sans s'en douter, mis en relief le caractere extrtoaement suspect des souve- nirs de Sainte-H^lene : ou bien Napoleon avait I'inten- tion de se porter plus loin, et alors sa r^ponse a Ro- gniat, dans le huitieme volume, est fausse ^ ; ou bien le retard de Vandamme n'6tait pas, comme I'affirme VOb- servation que nous examinons, une perte bien fdcheuse, et ce grief a et^ forge apres coup pour les besoins de la cause. Le restant de la troisieme Observation roule sur les pr^tendus retards de Ney, le 16 et le 17 : nous 1 Memoires, t. IX, p. 159. 2 Thiers, t. XX, p. 43, note. 3 Mimoires, t. VIII, p. 196. ■• Voyez ci-dessus, p. 96, note. - 316 — avons demontr^ i que Ney n'avait fait que se conformer strictement aux ordres de son maitre. La quatrieme a trait a la mefiance que les soldats frangais nourrissaient centre leurs g^neraux. L'empe- reur cite la desertion de Bourmont et la perte de la bataiUe est en partie attribuee par lui , aux traltres qui pousserent, paratt-il, le cri de Sauve qui pent! « II est egalement probable, ajoute-t-il, que plusieurs officiers, porteurs d'ordres, ont disparu ». II n'est pas impossible, en effet, que ce soit probable : mais comme il n'y a de part et d'autre aucun ecrivain de poids qui dise un mot de ces pretendues causes de la defaite, on nous dispensera de les discuter avec une importance qu'elles n'ont pas. U Observation suivante se partage entre deux objets : la marche de Grouchy et le massacre de la cavalerie a "Waterloo. Quant au premier, tout en admettant que le marecbal s'arr^ta a Gembloux et qu'il avait a continuer jusqu'4 Wavre , I'ex-empereur. declare qu'il aurait pu ^tre devant cette place k six heures du matin au lieu d'y arriver a quatre heures de I'apres-midi. Conten- tons-nous de remarquer que la colonhe de Grouchy, se mettant en route apres s'^tre bien repos^e, mit en rea- lite quatre heures et demie pour atteindre le village de 1 Voyez ci-dessus, p. 152-159, 204-209 ; etMSmoires, t. IX, p. 161. — 317 — Nil-Saint- Vincent , qui n'est pas tout a fait a mi- chemin ' ! Pour le reste, nous ne reviendrons pas sur la question de la responsabilit^ de Grouchy : nous avons amplement discut^ ses actes et nous en avons laissd la responsabilite a qui de droit ^. Nous pouvons done passer au second point, la m e urtriere folie qui d^cima les escadrons de Waterloo, et nous remarque- rons seulement que ce que Napoleon appelle un « acci- dent fdcheiccG * » serait qualifi^, par un autre critique jugeant un autre capitaine, de d^sastreuse b^vue. A cet accident ou a cette erreur, Napoldon rattache, dans sa derniere version* , I'absence du commandant en chef de la garde d^ja signal^e dans la premiere relation ^ ; on voit qu'il ^prouve le besoin de s'accrocher a toutes les excuses possibles. Nous en avons assez dit d'aiUeurs pour d^montrer qu'il avait ^te en fait pourvu k cette soi-disant absence de chef 6. Les quatre Observations suivantes sont consacr^es a la conduite des chefs allies. On y critique vivement leur manque de renseignements, leurs mesures d^fectueuses dans la concentration, leur faute d'avoir concerts le ' Voyez ci-dessus, p. 236. 2 Voyez ci-dessus, p. 263-271. 3 Voyez ci-dessus, p. 274, 275. ■* Mimoires, t. IX, p. 165. 5 GOURGAUD, p. 94. » Voyez ci-dessus, p. 275. — 318 — plan de se battre k Waterloo, qui entrainait une mau- vaise position pour Wellington et qui rendait douteuse la cooperation de Bliicher en temps utile. Apres avoir perdu la bataille de Ligny, ils auraient du. plut6t se retirer ensemble, assure Napoleon i, et si cela n'etait pas possible, se rallier en avant de Bruxelles, au lieu du point qu'ils cboisirent. Si ces reflexions, developp^es tout au long, avaient quelque poids, elles ne feraient que condamner plus sdverement I'ecrivain pour avoir ^chou^ si miserable- me'nt contre des ennemis qui lui offraient de si belles occasions. Pour refuter cette defense ou toute autre fondee (car c'est la I'argument capital) sur la conduite de Grouchy, il suffit d'etudier les faits, tels qu'ils se sont passes, avec un esprit d^gage de toute prevention pour ou contre Napoleon : la v^rite surgit alors dans tout son edat. Sans m^me tirer parti des travaux des critiques fran- cais de la nouvelle ecole, comme Charras, par exemple, qu'on pent supposer hostile a la m^moire del'empereur, prenons parmi les ecrivains des trois autres nations interessees, un representant de chacune d'elles, aussi impartial et aussi calme qu'il soit possible de I'^tre, et faisons ressortir I'identite de ses vues gen^rales avec la 1 Mimoires, t. IX, p. 166. — 319 — r^alit^ des fautes qu'engendra la tardive et lointaine poursuite ordonn^e au mar^chal : « II es t parfait ement clair, dit Kennedy i, que Napo- leon agit sous I'empire de deux impressions erron^es. D'abord, il n'avait aucun soupgon que rarm^e prus- sienne tout entiere aUait s'^branler a Wavre, pour marcher contre lui, dans la matinde du 18; en second Heu, il avait la conviction pleine et absolue que I'arm^e qu'il avait conservde pres de lui ^tait bien assez forte pour battre et mettre en pieces celle de Wellington.... Quant a cette derniere erreur, on pent dire qu'il n'est pas prouve que Napoleon eut tout a fait tort de sup- poser qu'il aurait pu d^faire Wellington, si Wellington n'avait pas 6t6 secouru par les Prussiens. Mais cela n'affecte en rien la question de fait, etant clair ement prouv^ que si meme le r^sultat final ellt 6t6 favorable a Napoleon, la lutte aurait 6te si acharnee et la perte si ^norme de part et d'autre, que son calcul ne laissait pas d'etre vicieux et qu'il avait toujours tort de ne pas rassembler contre Wellington toutes les forces, hommes et chevaux, dont il pouvait disposer. » Kennedy parle ici de I'approbation donnde par I'eni- pereur a la continuation du mouvement de Grouchy sur ' Kennedy, p. 163 — 320 — Wavre ', dans la lettre qu'il ecrivit a celui-ci au mo- ment que la bataille allait commencer, et I'argument semble tout a fait irrefutable. II est evident qu'il n'dtait pas instruit de la marcbe des Prussians ; il n'est pas moins Evident qu'il croyait fermement pouvoir se passer de Grouchy. Sa strategie fut done en defaut sur deux points vitaux. Ce jugement port^ apres que la lumiere s'est repan- due sur cette question depuis pres d'un demi-siecle, est essentiellement d'accord dans son ensemble avec celui de Muffling, dans la plus ancienne critique digne d'etre citee qu'onait publi6e a cesujet. Parlant de lamarchede flanc supposee de Grouchy pour observer et couper les Prussians, I'auteur ajoute - : « Cette manoeuvra ne pou- vait plus avoir la moindre utility, parce que en tout cas le mar^chal Grouchy ne pouvait plus arriver qu' apres que la bataille fut d^cid^e. La faute qu'il avail commise, te 17, etait si grande qu'il ne lui etait plus possible de lareparer le 18. « Lorsque I'historien prus- sien ecrivait ces lignes, peu de mois apres les ev^ne- ments, il n' etait que I'^cho de I'opinion frangaise que la fausse direction de Grouchy sur Gembloux et sa marche tardive du 17, avaient d^pendu de sonchoix^ ' Voyez oi-dessus, p. 271. 2 Muffling, Eistoire, p. 69. 3 Muffling, Histoire, p. 62. — 321 — II a ^t^ d^montr6 ' que ces fautes ne sont pas celles de Grouchy, mais celles de Napoleon , et la consequence inevitable de cette opinion, c'est que c'est Napoleon lui-meme qui a plac^ Grouchy hors de sa port^e le jour de la bataille » . Consultons a son tour le critique beige Brialmont, g^n^ralenient plus favorable a Napoleon que les 6cn-. vaias de I'Angleterre et de la Prusse : il admet dans son rdcit I'authenticit^ de I'apocryphe d^pSche envoyde a Grouchy pendant la nuit, mais voici comment il resume le debat, quant au litige de I'empereur et de son lieutenant : « Les fautes reproch^es a Grouchy, dit-U^, ont certes une haute gravite; mais des juges impartiaux ont emis I'opinion que si ce marechal avait regu des instructions precises et si Ton avait pris toutes les pre- cautions n^cessaires pour lui faire parvenir les ordres expedi^s dans la nuit du 17 et dans la matinee du 18, il serait arrive a temps sur le champ de bataille ». Apres avoir examine la question de savoir quel r^sultat aurait produit I'apparition de Grouchy, I'auteur donne son avis : c'est qu'a moins d'attaquer resolument les colonnes prussiennes de flanc, a Saint-Lambert, sa 1 Voyez ci-dessus, p. 198. 2 Brialmont, t. II, p. 433. 21 1 decision de rejoindre I'empereur n'aurait pas produit de grands resultats. ^ En resume, ajoute-t-il\ Grou- chy ne fit du tort a Tarm^e francaise que parce qu'il ne fut pas dans cette circonstance grand capitaine » . Mais il n'est pas besoin de pousser la critique- j usque la, d'autant plus qu'il a ete demontre^ par toutes les regies de la preuve que les deux ordres cit^s par Brialmont doivent etre rejet^s de I'histoire comme de pures inventions; a part cela, I'opinion de I'ecrivain beige, tout comme celle des auteurs anglais et des prussiens, absout completement le mar^chal et par cela meme elle condamne Napoldon. II y a dans le livre du grand avocat de la cause de Napoldon un passage bien remarquable, qui confirme cette impression puisee dans I'dtude des faits et ce senti- ment des juges impartiaux ; on y voit Thiers, m^content au fond du coeur de son plaidoyer pour I'idole militaire de son pays, finissant par consentir 4 sacrifier la repu- tation politique et morale de I'empereur pour sauver le renom d'infaillibilit^ du grand capitaine. Apr^s avoir expose la discussion des actes de Grouchy, il d^veloppe ainsi le rapport de ceux-ci avec la con- duite du chef qui avait fait Grouchy ce qu'il 6tait ^ : 1 Brialmont, II, p. 434. 2 Voyez ci-dessus, p. 222. ^ Thiers, t. XX, p. 294. — 323 — -^ Ainsi I'oubli de son veritable r61e, qui ^tait d'isoler les Prussiens des Anglais, fut la vraie cause de nos mallieurs : nous parlons de cause mat^rielle, car pour les causes morales il faut les cherclier plus haut, et 4 cette hauteur, Napoleon apparait comma le vrai cou- pable ! « Si Ton considere en eflfet cette campagne de quatre jours sous des rapports plus elev^s, on y verra, non pas les fautes actuelles du capitaine qui n'avait jamais ^t^ ni plus profond, ni plus actif, ni plus fdcond en ressources, mais celle du chef d'Etat , qui s'^tait cr66 a lui-m^me et a la France une situation forcde, ou rien ne se passait naturellement, et ou le genie le plus puis- sant devait ecbouer devant des impossibilit^s morales insurmontables. Certes rien n'^tait plus beau, plus habile que sa combinaison [au d^but]... Mais les hesi- tations de Ney et de Reille le 15, renouvel^es encore le 16, lesqueUes rendaient incomplet un succes qui aurait dA etre d^cisif, on peut les faire remonter jus- qu'd. Napoleon, car c'est lui qui avait grav^ dans leur m^moire ces grands souvenirs qui les dbranlaient si fortement ! . . . Si Ton avait perdu la journ^e du 17, la faute en ^tait encore aux hesitations de Ney pour une moitie du jour, a un orage pour I'autre moitid. Get orage n'dtait certes le fait de personne, ni de Napo- — 324 — l^on, ni de ses lieutenants : mais ce qui etait son fait, c'^tait de s'^tre plac^ dans une situation ou le moindre accident physique devenait un grave danger; dans une situation ou, pour ne pas perir, il fallait que toutes les circonstances fussent favorables, toutes sans exception, ce que la nature n'accorde jamais a aucun capitaine. « Le 18 encore... si Reille etait decourag^ devant Hougoumont, si Ney, d'Erlon apres avoir eu la fievre de rh^sitation le 16, avaient celle. de Temportement le 18, et d^pensaient nos forces les plus precieuses avant le moment opportun, nous le r6p6terons ici, on peut faire remonter a Napoleon qui les avait places tous dans des positions si ^tranges, la cause de leur etat moral, la cause de cet heroisme prodigieux mais aveugle... Le tort d'avoir detourn^ son attention du centre, ou se commettaient de graves fautes, pour se porter a droite, ^tait a I'arrivee des Prussiens, et le tort de I'arrivee des Prussiens dtait a Grouchy seul, quoi qu'on en dise. Mais le tort d'avoir Grouchy, ce tort si grand ^tait k Napoleon qui, pour rdcompenser un service politique, avait choisi un homme brave et loyal sans doute, mais incapable de mener une arm^e en de telles circonstances... Et pour ne rien omettre enfin, cet etat febrile de I'arm^e, qui apr^s avoir 6t4 sublime d'h^roisme tombait dans un abattement inouT, — 325 — etait, comme tout le reste, I'ouvrage du chef d'Etat qui, dans un regne de quinze ans, avait abus^ de tout, de la France, de son armee, de son genie, de tout ce que Dieu avait mis dans ses prodigues mains ! » Voila la derniere defense de Thiers en favour de son ideal. Voila le resume d'un jugement tel que pour le soutenir il a ^te necessaire — comme nous I'avons de- montre assez au long — de fausser jusqu'au temoignage de Napoleon lui-mSme, de noircir des noms honora- bles, et de former les yeux sur les faits qui contredi- saient un systeme favori. Mais lors memo que le but serait atteint et qu'une grande nation demeurerait per- suadee que le g^ndral de son choix etait invincible, a moins d'accident, le legs de I'ambition turbulente de Napoleon est-il done si precieux qu'il merite cette apo- theose des mains de I'historien? Et I'historien lui-meme m^rite-t-il bien ces honneurs nationaux et ces prix academiques, pour avoir gratifie son pays d'un don aussi fecond en maux futurs quest I'dtincelant poison qu'il a distille dans les pages du Consulat et V Empire ? Dans les lectures qui precedent, on s'est applique surtout a suivre les faits dans I'ordre qu'ils se produi- saient. Notre critique devait naturellement se fonder sur ces faits, car la plupart des ^crivains s'accordent a admettre que le plan de I'empereur pendant toute la — 326 — campagne fut aussi sage que hardi, et ils raisonnent en consequence de ce principe. Sauf Wellington', tous les critiques sont unanimes a reconnaitre que le dessein d'avancer sur Charleroi et de couper les forces alliees pour les attaquer s^par^ment, ^tait la meilleure chance de succes qui ptlt s'oflFrir aux ^Frangais. Nous savons que Wellington a manifesto un avis different dans son Memorandum de 1842' ; mais d'une part, les inexacti- tudesjque nous avons d^ja relev^es' dans ce travail; d'autre part, le fait que son raisonnement sur la con- duite de Napoleon n'est en partie que la defense de sa propre conduite, pour avoir porte plus d'attention a son aile droite qu'au point reellement menace, enlevent a ropinion de Wellington le poids qui s'y attaclierait sans ces circonstances. Aussi n'est-ce pas trop de dire qu'on pent admettre sans hesitation que I'empereur, dans les circonstances actuelles, n'aurait pas pu ouvrir la campagne sous de meilleurs auspices et 'avec plus de m^thode. Les fautes de I'empereur, dans I'execution de son plan; la faiblesse et I'h^sitation qui marquerent ses mouvements des le lendemain; la complete ignorance ' Voyez ci-dessus, p. 62. ^ D^p. suppl., p. 522, 525. 3 Voyez ci-dessus, p. 108, 170, 213. — 327 — de la position des Prussiens et du plan des allies qu'il montra apres son succes de Ligny ; tout cela a ete am- plement expose dans les pages qui precedent. Mais une erreur plus grave que toutes ces erreurs de detail lui a ete imputee par des auteurs dont I'opinion fait autorite, et notre tdche serait incomplete si nous omettions de faire connaitre leur sentiment a propos d'une des plus importantes questions de la strat^gie. II est Evident qu'apres la defaite de Bliicher, trois voies s'ouvraient a Napoleon pour poursuivre la cam- pagne. La premiere, et apparemment la plus simple, ^tait de suivre avec toutes ses troupes Vennemi en re- traite et de s'efforcer d'obtenir le plus d'avantages pos- sibles d'une poursuite vigoureuse, pendant que Ney contiendrait Wellington pour quelque temps; la seconde, c'^tait de quitter brusquement les Prussiens et, reuni a Ney, de retourner toutes ses forces contre Wellington; le troisieme plan, ^tait le plan intermediaire que I'em- pereur adopta et que nous n'avons plus a discuter, sauf dans ses rapports avec les autres. A considererle second plan, ^tait-il absolument ne- cessaire pour Napoleon de faire le d^tachement consi- derable qu'il envoya sous les ordres de Grouchy, et qui reduisait ses forces au dessous de celles de Wel- lington? Etait-il meme prudent de diminuer ainsi le — 328 - moyen qu'on avait d'dcraser le general anglais ? Ce sont des questions qui se presentent d'elles-memes et aux- quelles Thiers a entrepris de rdpondre en detail dans sa recapitulation finale de la campagne'. Comni-e la substance de son argument n'est pas tres ddveloppde, nous croyons devoir reproduire les expressions memes de I'auteur, qui ne perd pas du reste cette nouvelle occasion pour r^criminer avec vehemence centre Grouchy : « Ah ! sans doute, s'^crie-t-il, si on suppose dans le commandement de notre aile droite chargee de les suivre un aveuglement sans egal dans I'histoire, un aveuglement tel qu'il laisserait 80 mille Prussiens faire devant lui tout ce qu'ils voudraient, m^me accabler Napoleon leur vainqueur sans s'y opposer, on aura raison de dire que ce d^tachement de I'aile droite ^tait une faute ». De cette concession assez formelle et d'un passage non moins remarquable du paragraphe suivant, ou I'auteur dit en parlant des instructions donn^es a Grouchy, « qu'on peui sans doute disputer sur leur signification », il s'ensuit evidemment, d'apres I'expli- cation du plus moderne et du plus habile des apolo- gistesdeNapoldon, que I'empereur commit positivement une faute en faisant le ddtachement de Grouchy, sup- posant qu'il fut possible que le marechal agit comme il 1 Thiers, t. XX, p. 280, — 329 — fit reellement. Thiers ne croit pas qu'on etit pu le pr^- voir; mais pour tout observateur qui en juge a un autre point de vue, pour tout homme qui prefere le jugement de I'historien a I'opinion de I'avocat — la faute appa- rait parfaitement possible, ne fut-ce que par cela m^me que cet ^v^nement qu'il etait si difficile de pr^voir se produisit reellement. Apres avoir citd la defense de Thiers en faveur du d^tachement de Grouchy, mettons en regard le blame que lui inflige Kennedy, critique que ceux qui connaissent son livre n'accuseront certes pas d'user envers le grand capitaine frangais de plus de rigueur qu'il ne fait avec les adversaires de celui-ci. Apres avoir examind la defense de Napoleon lui-meme sur cette question' — defense fondle sur la n^cessit^ qu'il y avait d'emp^cher les Prussiens de se rallier, de marcher en avant sur Fleurus et de saisir ses commu- nications — et apres avoir demontr^ dans le plus grand detail que cette contingence n'^tait pas de nature a affecter I'objet immediat, I'attaque des forces encore d^sunies de Wellington, Kennedy finit par cette con- clusion- que je ne puis trop recommander a I'attention reflechie de quiconque veut embrasser les grandes lignes de la campagne sous leur veritable jour : 1 GOURGAUD, p. 95. 2 Kennedy, p. 155, 156. — 330 - " Mais, dit I'auteur, I'assertion que Napoleon com- mit une grave erreur en divisant son armee, repose sur des considerations plus elevees et plus importantes. Pendant la matinee du 17 juin, il operait avec 100,000 hommes contre pres de 200,000. Dans les circonstances politiques et militaires de sa position, il etait evidemment et absolument essentiel pour lui de separer et de paralyser les forces de Wellington et de Bliicher, s'il voulait conserver la moindre chance de se retablir sur le trdne de la France. « La grande difflculte — et il aurait bien du s'en rendre compte apres I'experience que lui avait donnee en Espagne, une succession de campagnes funestes a ses armes — c'etait de detruire I'armee anglo-alliee. Contre elle, il aurait du mener son dernier homme et son dernier cheval, le risque eut-il ete au plus baut degre, ce qui n'dtait pas Evident, comme on I'a vu. Si Napoleon avait attaqu6 1'arm^e anglo-aUiee avec toutes ses forces et qu'il eut reussi a la d^faire, ce n'etit plus ete qu'un jeu pour lui de battre ensuite I'armee prus- sienne, sdpar^e de celle de "Wellington. Ainsi, de toutes les hypotheses, la plus favorable au succ^s final de Napoleon eut et^ que I'armee prussienne essayat d'in- tercepter sa ligne de communication. Or, c'estpar cet argument specieux que Napoleon — avec une sincerite — 331 — de convention d'ailleurs — justifie avec tant de con- fiance la division de ses forces. Bien des gens trouve- ront qu'il est trop hardi de dire que Napoleon n'envi- sagea pas sa position d'aussi haut que les circonstances I'exigeaient. II est certainement difficile de comprendre que rhomme qui avait marcli6 a la conqu^te de I'Eu- rope entiere par son genie et son Anergic et par la grandeur de ses vues, pilt manquer de deployer toutes ses ressources dans une circonstance d'ou d^pendait toute sa fortune ; mais il ne faut pas oublier qu'il y a une grande difference entre la profondeur des vues et la conduite personnelle des operations, et il n'est nul- lement incompatible avec la saine raison de supposer qu'un homme, aussi longtemps qu'il montait au pou- voir, ayant a lutter pour asseoir son empire d'abord et pour I'etendre ensuite par la conquete, dut ^tre plus dispose a jouer un jeu desespdre que lorsqu'il ne s'agis- sait plus pour lui que de prendre un role d^fensif, dans, une periode plus avanc^e de sa carriere. Dans les cir- constances oil se trouvait Napoleon, il ^tait indispen- sable qu'il s'assurat le succes a tout prix, et c'est ce qu'il manqua de faire ; il prit une attitude hors de propor- tion avec les circonstances ou il ^tait place; car de ne pas remporter un succes complet, absolu, c'etait courir a une ruine aussi certaine que s'il etlt essuye une de- — 332 — faite. Aussi peut-on dire que sa faute fut de ne pas jouer assez gros jeu ». Ceux meme qui refusent de s'associer a cette opi- nion , voudront bien sans doute admettre qu'elle re- clame du moins une meilleure reponse que Celle qu'oq. trouve dans les oeuvres de Napoleon et de ses admi- rateurs. Et si quelqu'un ne pouvait encore se resoudre a croire que le grand capitaine put opter apres Ligny pour la pire de toutes les voies , nous I'engagerions a mediter ce que dit a ce propos Clausewitz, le plus pra- tique et en mSme temps le plus pMlosophique de tous les critiques militaires. De mSme que Kennedy s'est attache a prouver que Napoldon eut tort de detacher Grouchy, au lieu de ruer toutes ses forces sur Welling- ton, ainsi le grand ecrivain prussien consacre un cha- pitre a discuter la troisieme voie qui s'ouvrait a Napo- leon apres Ligny. II dit avec beaucoup de justesse que cette question strategique a une importance capitale dans I'histoire de la campagne i, et il commence son enquete par en d^flnir ainsi I'objet : « Napoldon n'au- rait-il pas mieux fait de poursuivre Bliicher le 17, avec toute son arm^e, et de le mettre dans une sorte de de- route confuse par la vivacity m6me de sa poursuite, en 1 Clausbwitz, p. 175. — 333 — le rejetant au del4 de la Meuse , ou bien , si Bliicher s'aventurait ^ une seconde bataille le meme jour ou le suivant, de lui infliger une d^faite decisive » ? L'auteur r^pond k ces questions avec le soin et la raison qui caracterisent ses travaux. II faudrait citer ses propres paroles pour suivre avec fruit son argu- mentation d^taill^e. Qu'il nous suffise de dire ici que Clausewitz parait avoir tout a fait raison lorsqu'il af- firme que, le 17, il etait aussi bien au pouvoir de Na- poleon de forcer Bliicher a se battre une seconde fois que de forcer Wellington a lui livrer bataille et que les consequences morales d'une nouveUe victoire rem- port^e sur un ennemi d^ja battu une premiere fois, auraient bien accru le prestige du succes de Ligny; que si, au contraire, Bliicber eut continue de se d6ro- ber par une retraite prdcipit^e. Napoleon, en le pour- suivant vigoureusement, se fut bien d^dommag^ de ce d^sappointement et il restait toujours le maitre de se retourner contre Wellington. Supposez, ajoute-il, que Wellington etit ^cras^ Ney, reste seul devant lui, qu'il I'ait battu et repouss^ au dela de la Sambre , I'empe- reur pouvait bien sacrifier 40,000 bommes pour se d^barrasser quelque temps de 115,000 ennemis qui en- combraient sa route. II est vrai qu'il ^tait moins sllr de vaincre Bliicher que Wellington ne I'^tait de battre Ney ; — 334 — mais, d'un autre c6te, Napoleon dtait dans une situa- tion qui lui commandait de vaincre a tout prix et de laisser les conseils d'une prudence excessive. GrAce k ces precautions , a ces lenteurs inutiles , h cette pour- suite entreprise avec des forces inferieures, quand on se ddcida a poursuivre Blucher , les Prussiens r^ussirent k gagner du temps pour se reconnaitre et rallier leurs troupes. » Si Napoleon avait poursuivi I'ennemi avec toute son armee , il aurait pu livrer bataille a Wavre d^s le 18. 11 est fort douteux (remarquez que nous em- pruntons les paroles d'un des principaux officiers de r^tat-major prussien en meme temps qu'un grand cri- tique i) , il est fort douteux que-Bliicher fut en position d'accepter le combat en cet endroit et a cette heure , et il Test bien davantage que Wellington ptit survenir a temps pour I'assister » . Napoleon se trompa proba- blement en supposant que son ennemi ne se rallierait pas facilement, et il 6tait port^ a le croire par le sou- venir de ses anciennes victoires : mais enfin dans I'opi- nion de ses critiques, il se trompa. Le cbangement de direction qu'il imprima en ce moment au gros de I'ar- m6e , compromit toute la campagne et , k en croire Clausewitz, ce fut, comme apr^s Dresde en 1813 et ' Clausewitz, p. 180. — 335 — apres Moutmirail en 1814, une double erreur au point de vue pratique et au point de vue th^orique. Recapitulation de la campagne. Nous quittons enfin le terrain des hypotheses pour rentrer dans le domaine des faits, par lesquels nous terminerons notre revue. Si on les a considdr^s comme nous sans prevention , et si Ton en a. embrass^ I'en- semble , on a dd remarquer dans ce grand drama de la guerre une unite et une cohesion qui ont echapp^ a la plupart des historiens de cette campagne. D^gagde d'ornements superiius et de cette masse de fictions dont I'amour-propre national s'etait plu a I'obscurcir , I'his- toire de Waterloo devient aussi simple et aussi claire qu'on peut le souhaiter. D'un c6t^ , c'est une arm^e prenant I'offensive sous la conduite du plus fameux capitaine du monde, arm^e formidable par ses tradi- tions , par sa discipline , par son atiacbement a son chef; compacte dans son organisation, complete dans toutes ses parties , ob^issant a une volontd unique , au milieu de circonstances ou I'element politique s'effagait devantr^lementmilitaire,elledoit etre regard^e comme le plus redoutable instrument de guerre que notre siecle put produire. Du c6t^ oppose, ce sont deux allies, commandant chacun a des forces presque ^gales a — 336 — celles des Frangais , tous deux entour^s du respect et de la conflance de leurs soldats, mais tous deux aussi se rendant bien compte que la composition de leurs troupes ^tait inferieure a celle des troupes ennemies. Leur cooperation fidele au but commun ^tait la con- dition qui leur permettait de conserver la superiority que leur assurait le nombre ; en attendant , pour des raisons de commodity, leurs armees restaient dissemi- n6es sur un front de 170 kilom., bien qu'ils n'igno- rassent point que I'ennemi se proposait de frapper un coup ddcisif. Celui-ci francMt soudainement la fron- ti^re et se porte d'un bond a I'endroit precis ou leurs cantonnements se rejoignent , a I'intersection de leurs communications les plus rapprocbees avec Bruxelles. Sa rapidite et son ardeur montrent qu'il est r^solu soit a Jeter son armee.entre celles des allies, soit a porter un coup mortel k celui des deux qui lui tombera le premier sous la main. Les allies avaient d'avance pourvu a cette eventuaHte dans leurs conseils : ils avaient r^solu de se battle c6te k cote et de se tenir toujours prets a se porter aide mutuellement. Mais la rapidite de Napoleon pr^vient leur plan et, dds le pre- mier jour, le gros de son. arm^e occupe le terrain ou devait s'opdrer leur jonction, tandis que Bliicher ne peut s'en approcher que le lendemain, avec les trois — 337 — quarts de ses forces et Wellington avec une faible partie de I'arm^e anglaise. Le second jour voit les chefs allies se concerter en personne a Ligny, pendant que Napoleon se dispose a balayer I'arm^e prussienne. Wellington promet a son allid de I'appuyer , igno- rant encore que Napoleon tenait les Anglais en echec par son aile gauche renforcee, comme s'il eilt devin^ le dessein qu'avaient forme ses adversaires de se ral- lier sur cette nouvelle ligne. Attaqu^ par Ney, le general anglais est occupe pen- dant tout le restant de la journ6e et quoique ses efforts soient couronnes de succes, il ne pent prMer aucune aide a Bliicher, qui essuie une rude defaite. Jusque la tout semble avoir reussi a Napoleon, mais a partir de cette nuit I'etoile de sa destinee palit sensi- blement d'heure en heure. Tandis que les allies, fideles a leur premier dessein, se replientle 17 sur des lignes aussi paralleles que possible , pour cr6er un nouveau point de jonction a Waterloo, I'empereur s'exag^rant son avantage, se trompe sur la direction que les Prus- siens en retraite ont prise, et au lieu de suivre vivement leur piste des la pointe du jour ou de marcher imm^- diatement avec toutes ses forces sur le flanc de Wel- lington, il perd la moitie de la journ^e avant de prendre une decision et n'adopte alors que des demi- — 338 — mesures : il envoie un fort detachement a la recherche des Prussiens et lui-mfime poursuit Wellington avec le reste de ses troupes. Des lors il met le sceau a sa des- tinee : une soudaine et complete yictoire, I'unique esp6- rance de salut qui lui restat centre la. ruine dont il etait menace, est devenue d^sormais impossible. Calme, dans la certitude de son triomphe, le gdn^ral anglais, sans m^me appeler k lui toutes les troupes dont il pourrait disposer, tient tete a son illustre adversaire, dans cette position de Waterloo, ou des chemins de travers,e, se reliant au point de ralliement de Bliicher, k Wavre, fournissent aux allies le moyen d'operer leur jonction deux fois dejou^e. Napoleon, dans la matinee du 18, continue a rester dans une complete ignorance de leurs desseins ; il se figure que I'arm^e qu'il a devant lui, est le seul obstacle qui I'emp^che d'entrer dans BruxeUes et que les Prussiens continuent a se retirer devant Grouchy. S'il est vrai, comme le bruit court, qu'une partie de leurs forces dispers^es ait gagn^ Wavre, Grouchy pourra les en d^loger k I'aise et il est dirig6 de ce cot^. L'importante" bataille est diflKr^e d'une heure a 1' autre, jusqu'4 ce que le sol soit conve- nablement raflfermi et que les lignes francaises puissent se deployer dans toute la magnificence de leurs pro- portions imposantes devant I'ennemi fascin^. Ce ddsas- — 339 — treux retard, qui montre combien I'empereur ignorait son veritable danger, permet aux Prussiens, lents au debut, d'arriver en vue du flanc de I'arm^e francaise . avant que la bataille soit bien engagde ; la terrible ve- rite delate enfin comme la foudre. Avec une ardeur intr^pide, mais mal calculee, ses lieutenants tentent une s^rie d'attaqiies dont une seule, et pendant quelques instants a peine, ^branle I'inflexible ligne de Welling- ton. Mais des la premiere apparition de Bliicher, le general anglais a vu I'empereur se priver lui-m^me d'une grande partie de I'avantage que lui assurait sa formidable reserve. Cependant la jonction projet^e entre les allies s'effectue et il ne leur reste plus qu'si prendre des arrangements de detail pour rendre la cooperation des Prussiens aussi efficace que possible. Grouchy qui les poursuivait toujours, mais assez moUement, refuse de changer de direction pour marcher au feu qu'on entend dans le lointain, parce qu'il salt bien que I'em- pereur n'a pas compte sur lui pour livrer bataiUe a "Wellington et que sa tdche se borne aux Prussiens, qu'U croyait toujours arrfit^s a Wavre. II rencontre et attaque I'arriere-garde de ceux-ci, que I'audacieux Bliicher abandonne a ses destias, ne se pr^occupant que du devoir qui I'appelle a Waterloo. Ses troupes une fois rendues sur le terrain fatal, le but de la campagne est — 3W — enfin accompli, du c6te des allies et une victoire, la plus complete qu'onvit jamais, couronne leurs combinaisons. Les manoeuvres par lesquelles Napoleon veut suppleer a I'inferiorite du nombre, comme dans ses premiers succes, echouent completement devant la fermete, I'entente et la confiance mutuelle de Wellington et de Bliicber. Le glaive auquel il aimait a faire appel, est arracbe pour toujours de sa main. Bient6t, exil^ soli- taire, il ne vivra plus que pour se repaitre de son glo- rieux passe, pour depeindre ses fautes comme des malheurs et pour accuser les autres de sa chute : con- sole peut-etre par la vision lointaine du jour qu'un roman imposteur, base sur ses propres fictions, serait accepte par la France pour son histoire nationale. TABLE DES MATI^RES. Preface v Liste des ouvrages et des editions cites dans les notes. . vii PREMIERE CONFERENCE. Introduction a I'^tude de la campagne de "Waterloo . . 1 DEUXIEME CONFERENCE. Prdparatifs de la campagne 41 TROISIEME CONFERENCE. Evenements du 15 juin 91 •Commentaires 110 Recapitulation 133 t QUATRIEME CONFERENCE. Evenements du 16 juin 135 Commentaires • 150 Recapitulation 181 — 342 — CINQUlfiME CONFERENCE. fivenements du 17 juin 185 Coramentaires 204 Recapitulation -222 SIXIEME CONFERENCE. fivenements du 18 juin 227 Commentaires 253 Recapitulation 283 SEPTIEME GONF]ERENGE. Retraite de Grouchy en France 291 Commentaires 303 Reflexions et conclusions SAQ "" - ' H^ Recapitulation de la campagne 335 Etude de la campagne de isis WATERLOO CONFERENCES PAR LE LIEUTENANT-COLONEL CHARLES CHESNEY AKCIEH PROFESSEBR D'ART » D'HISTOIRE MILrTAIRE AO COUiGE DE L'ftAT-MAJOR A SASDHURST alVEC UNE CARTE BRUXELLES | PARIS C. JVIUQUARDT, EDITEUI\ | J. DUMAINE HENRY MERZBACH, SUCC LIBRAU^E fiOITEUR DE L'EMPEREUR MAISON A CAKD ii A LEIPZIO | 30, RUE & P|lSSi!tlE- LAUPHISE 1870 MARC MICHEL IMPRIMERIE DE SOUlLlUtI IMPniMCUH OU-BOl BRUXEI.LES.