:fyM. #^- ^^V ,f^i»- ■■■■ J •t0^ ■ #f •: I President White Ubra^^, Cornell University. DC 91.W2T^" ^"'"^'^''y '-'*"*^'T' Saint Louis. 3 1924 028 156 135 »„, Cornell University Library The original of this book is in the Cornell University Library. There are no known copyright restrictions in the United States on the use of the text. http://www.archive.org/details/cu31924028156135 SAINT LOUIS TIRAGE DES EXEMPLAIRES NUMEROTES 300 sur papier verg6; 21 sur papier de Chine; 1 sur peau de v6lin. Exemplaire N° 165 mil l,fii-( r[,icr ,* CPans ART GOTHIQUE — COMMENCEMENT DU XIV^ SifeCLE Buste-reliquaire de saint Louis, en or repouss^, conserve d la Sainte-Cha- pelle de Paris et d^truit en 1793. C'^tait I'ceuvre d'un orf^vre de Philippe le Bel , nomm6 Guillaume , et il parait prouve qu'elle fut termin^e en mai 1306. = II ne nous reste d'autre representation de ce buste qu'une gravure formant le fron- tispice du Joinville de Ducange ( 1668) = Avec les Inventaires tr^s-d6taiI16s de la Sainte-Chapelle conserves aux Archives nationales (LL, 623 et suiv. ) et aprfes un travail trfes-minutieux , on est parvenu a reconstruire , pierrepar pierre, toute I'ornementation de la couronne et du collier. = Le buste reposait sur une base d^coree qu'il n'a pas ^t^ possible de reoonstituer. Ce soubassement 6tait « porte sur quatre leonceaulz, et &em6 entre pilliersde fleurs a quatre pampes garnies de leurs esmaulz, es quels estoient figures les rois de France ». ( Voy. VioUet-le-Duc, Diclionnairedu mobilier, I, p. 218, et Labarte, Histoire des arts induslriels, 11^12.) Mis sur pierre par Sannier , d'apres une aquarelle de Houssot. SAINT LOUIS H. WALLON BBOR^TATRB PBRF^TUEL DB L'ACAD^UJE DEB INSOBIFTIONB BT BELLES - LHTTBBS DOYEN DB LA FACUhnA DBS LKTTBK8 DE PABIB TOURS ALFRED MAME ET FILS, EDITEURS M DCCC LXXVIII HURtL 0£i. SOUPEV sc. Fig. 1. — D'aprSs le a Psautier de saint Louis » conBerv§ k la Biblioth&qiie'nationale. (Lat. 10,4260 Pig. 2. — Architecture religieuae. — Sanctnaire de Notre-Dame de Paris , achev^ i la fln du xir sidcle. — Type de rarchitecture qui a pr6c6d6 directement celle du r6gne de saint Louis. (V. page 534.) PREFACE AiNT Louis et son temps: tel etait le titre des deux premieres editions de ce livre, qui est consacr6 h I'une des plus grandes figures de notre histoire. Saint Louis : tel est le titre abrdge de cette troisifeme edition , a laquelle on a donne la parure d'une riche et severe illustration. G'est I'image du saint roi que Fauteur a voulu surtout mettre en relief, non pas en Tisolant du milieu qui lui forme un cadre naturel, mais en abregeant Thistoire etrangfere , en r^duisant k un simple apergu tout ce qui VIII PREFACE concerne I'etat social et radministration , le developpe- ment des sciences, des lettres et des arts pendant son rfegne, pour faire une plus large place aux represen- tations mSmes des choses de son temps : monuments de I'architecture religieuse, civile et militaire, statues, bas-reliefs, chapiteaux, autels , stalles, tombeaux, reliquaires, vitraux, miniatures, objets d'art ou or- nements de tous genres. Grfice Si cette illustration scientifique , cette Histoire offrira encore au lecteur sous une autre forme, et sous une forme peut-gtre plus sMuisante , « Saint Louis et son temps, » tandis que les grandes planches, inter- cal^es d'un bout k I'autre dans ce volume , reproduiront I'id^e que les meilleurs artistes se sont faite du saint roi depuis le xiii^ si^cle jusqu'k nos jours. Pig. 3. — Architecture religieuse sous le rdgne de saint Loms. — Chevet de Notre -Dame. — Flusieurs parties ont 6t6 achevSes ou reconBtruites au xrv* siScle. INTRODUCTION GUIS IX fut un saint sur le tr6ne. Quelle influence le caractere du saint a-t-il eue sur la conduite du roi? Quelle action le gouver- nement d'un tel roi a-t-il exerc^e sur les destinees de la France? La France, durant les si^cles qu'elle a traverses , et dans la suite des dynasties qui ont r^gne sur elle, a vu des princes de bien des natures difT^rentes, et, sans parler des mauvais rois, elle a compt^ de grands cceurs, des Smes devou^es, une ou deux fois de vrais g^nies. Une seule fois (en ne X INTRODUCTION comptant pas Charlemagne) elle a connu un saint. II est done interessant de voir quelle figure il a faite parmi tant de noms fameux. Sa vie n'est pas seulement un exemple pour le chr6tien ; elle est un sujet de medita- tion pour le politique. On y verra ou est la grandeur, oil est la force d'une nation et sa bonne renommde. On y trouvera la justification de cette parole de I'Evangile : « Bienheureux les paciflques , parce qu'ils seront appel6s les enfants de Dieu ! Bienheureux ceux qui sont doux , parce qu'ils possfederont la terre ! Beati pacifici. . . , beati mites, quoniam possidebv/nt terram. » Rappelons quelle 6tait la situation du royaume et de la royaute h Tav^nement de saint Louis. La France n'^tait plus ce qu'elle avait ^t^ sous Char- lemagne. L'Empire, ^chapp^ aux mains des Carlovin- giens, avait 6t6 releve par les princes germaniques. La royaute, dans les limites fort amoindries de I'ancienne Gaule, etait echue aux Cap6tiens : royaute feodale, ayant ses racines dans le pays ; mais d'autres maisons , etablies aussi de longue date sur le sol , pouvaient lui en disputer la possession. Entre ces ri vales de la maison de France, le premier rang appartenait h celle de Nor- mandie, qui venait de conqu^rir le trdne d'Angle- terre (1066); et, quand son heritage passa h la maison d'Anjou, on aurait pu se demander si cette maison n'e- tait pas plus que les Cap6tiens appelee h grouper autour d'elle toute la France. Henri Plantagenet, due d'Anjou par son p6re, roi d'Angleterre et due de Normandie par sa mfere , avait , par sa femme , rc^uni h ces provinces le Poitou , I'Aquitaine , presque tous les rivages de I'Oc^an , INTRODUCTION xi moins la Bretagne, qu'un mariage donna h. I'un de ses fils. II occupait ainsi en France bien plus de pays qu'il n'en restait en propre h. ceux qui s'en disaient les rois ; et k sa puissance territoriale s'^tait jointe apres lui, dans sa maison, une force non moins considerable en ces temps de chevalerie : entre tous les h^ros de la croi- sade, quel prince avait brille d'un plus vif eclat que Richard Cceur-de-Lion? Mais une chose retenait Tas- cendant aux Cap^tiens : c'^tait le titre de roi et le droit de suzerainete qu'il emportait sur tous les autres; et, dhs le temps de Richard , il y avait sur le trdne de France un prince qui , inf^rieur en puissance et en renom mi- litaire, n'en devait pas moins changer la situation et ramener la preponderance \h ou etait le droit de suze- rainete. Je veux parler de Philippe -Auguste. Rival efface de Richard dans I'expedition faite en commun pour la deiivrance de la Terre-Sainte (troisifeme croisade), il sut reprendre au retour ses avantages, surtout quand h. Richard succ^da son frfere Jean , prince cruel , bas et avide , qui voulut s'assurer tout I'heritage de sa maison en faisant perir son neveu Arthur, due de Bretagne , et qui par \h ne fit qu'y attirer I'intervention de la France. Cite devant la cour des pairs, condamne par defaut, il vit le roi de France lui enlever la plupart des provinces qui relevaient de la couronne : Normandie , Maine , An- jou, Touraine, Poitou. II le vit mgme bient6t le menacer pour son propre royaume. Excommunie, puis depose par Innocent III, il ne garda sa couronne, oflferte par le pape h Philippe-Auguste, qu'en la mettant aux pieds du souverain pontife lui-m6me, pour la reprendre en XII INTRODUCTION fief de ses mains. La France avait done reconquis son rang sur I'Angleterre , et elle maintint son independance k I'^gard de I'Empire, lorsque Othon, qui voulait encore se croire le suzerain des rois, vint, k I'appel de Jean, attaquer Philippe-Auguste h Bouvines (1214). Cast Tann^e oil naquit saint Louis. La royaut6 frangaise victorieuse avait dbs lors con- quis sa place dans le monde , et un moment elle. faillit dominer I'Angleterre h son tour. Jean, humili^ en France, odieux dans son pays, avait dA conc^der la Grande Charte k ses barons r^volt^s (121b); mais, tirant parti de sa d^ch^ance mgme, il s'en ^tait d^barrasse presque aussitdt en la faisant annuler par le pape , dont il ^tait devenu le vassal. Les barons offrirent le trdne k Louis, fils de Philippe-Auguste, et Philippe, tout en 6vitant de se compromettre lui-mSme auprfes du saint- si 6ge, souffrit que son fils acceptat (1216): on mettait en avant les droits , primes par beaucoup d'autres , que la jeune femme du prince, Blanche de Castille, tenait de Henri IL, son aieul maternel^ Ainsi I'h^ritier du trdne de France devenait roi d'Angleterre ; et Ton pou- vait pr^voir le jour oil les deux couronnes seraient unies sur la m6me tfite. Get avenir, peu souhaitable pour cha- cun des deux pays, ne devait pas se reahser. La mort de Jean , qui semblait d^barrasser Louis d'un rival , ne 1 Blanche de Castille dtait n6e en 1187 d'Alfonse IX, roi de Castille, et d'El^onore, fllle de Henri II, roi d'Angleterre. Son union avec Louis, fils de Philippe-Auguste, avait 6td une des clauses de la paix conclue par Jean Sans-Terre avec Philippe-Auguste. Eldonore de Guyenne, aieule de Blanche, I'amena elle-mSme en France, oil le mariage fut c6Wbr6. INTRODUCTION xiii fit que lui en susciter un autre plus dangereux. Les barons anglais avaient d^jk eu le temps de songer au p^ril qu'il y avait k mettre sur le tr6ne un prince venu en Angleterre avec tant d'autres barons d^sireux de s'y ^tablir autour de lui; et les liberies stipul^es par la Grande Charte ne leur paraissaient pas bien garanties sous un roi qui pourrait se croire roi d' Angleterre par la conqufite. Le fils de Jean, un enfant, leur offrait I'avantage de maintenir leur dynastie nationale et de garder le pouvoir entre leurs mains. Aussi les defec- tions ne tardferent-elles pas k r^duire, au profit du jeune Henri III , le parti de Louis , qui ne fut plus que le parti de retranger. Louis se rembarqua , restituant au prince anglais ce qu'il avait conquis en Angleterre, et promet- tant mgme d'intervenir aupres de son p^re pour lui faire rendre ce que Jean avait perdu en France (traits de Lincoln, 1217): promesse qui pouvait Stre tenue par le prince sans qu'on ptjt craindre en France qu'elle fut suivie d'effet dans les conseils du roi. A la mort de Philippe-Auguste (14 juillet 1223), la maison royale etait maitresse directement de la meil- leure partie de la France du nord et du centre , et suze- raine incontest^e de tout le reste, dans les bornes que lui avait marquees, en 843 , le traits de Verdun : au sud , la Mediterran^e et les Pyr^ndes (moins la basse Navarre et le Roussillon); k Touest, I'Oc^an; au nord et k Test, I'Escaut, la Meuse, la Saone et le Rhone (moins le Lyonnais et le Vivarais, oh I'Empire avait 6tendu les pretentions qu'il gardait sur les pays situ^s en deqk de cette grande ligne) ; et un dv^nement qui, sans proc^der XIV INTRODUCTION de Taction du roi, n'en est pas moins I'un des principaux de son rfegne, avait pr6par6 1'extension du domains royal dans le Midi: je veux parler de la croisade contra les Albigeois. Cette croisade, dans sa premifere p6riode (1208-1215), avait donn6 h Simon de Montfort les Etats de Raymond B^renger, vicomte de B^ziers et de Carcassonne (1209), et une partie de ceux de Raymond VI , comte de Tou- louse (121b), Fun et Fautre principaux soutiens des h^r^tiques. Compromise dans ses r^sultats par le r^ta- blissement de Raymond VII, fils de Raymond VI, k Toulouse (1217), et par la mort du comte de Montfort (1218), elle avait 6i6 reprise par Louis VIII, comma substitu6 aux droits d'Amaury de Montfort, fils de Si- mon (novembre 1225). Le lieu de reunion de tous las croisds ^tait fix6 k Lyon. lis descendirent par la rive gauche du Rh6na (bien que ca fut terra d'Empire), la rive gauche offrant une plaine plus commode k la marche d'une arm^e. lis comptaient repassar le flauva k Avi- gnon, qui avait consanti au passage; mais quand la pramifere troupe des crois^s eut traverse la ville, les habitants eurent peur, at farmferent laurs portas k tout le reste. lis ne leur conc^daient qu'un passage etroit le long du rocher sur lequel s'6l5va encore aujourd'hui la terrasse du palais des papes. Du pied de Farche ils au- raient dfl , sans douta , gagner le tablier du pont par des 6challes. Ca proc^d^, qui etit fait defiler Farm^e sous les crdneaux des murailles, et comme k la merci des habitants, ne convint pas au roi. II voulut passer avec toute son arm^e par la ville, et assidgaa la place (10 INTRODUCTION xv juin 1226). EUe fmit par capituler (10 septembre). Mais on avait perdu un temps pr6cieux, et plusieurs pou- vaient regretter de s'^tre obliges h rester, au delk des quarante jours de leur service fdodal, jusqu'& la fin de la guerre. Le jeune comte de Champagne, qui n'etait pas engage, parti t sans plus attendre. Ddjk, pourtant, presque tout le pays s'^tait soumis, depuis le Rh6ne jusqu'Ji quatre lieues de Toulouse, lorsque des maladies se d^clar&rent parmi les troupes. Le roi lui-mSme en fut atteint, et il y succomba dans la ville de Montpensier, le 8 novembre 1226. Quoique ayant en partie reussi , cette campagne contre les Albigeois avait 6t6 fatale h la France ; elle avait d6- tourne Louis VIII d'une guerre qu'il faisait k Henri III dans le bas Poitou ; elle I'avait arrSte au milieu de ses conquStes, lorsqu'il venait de prendre la Rochelle, et qu'il pouvait esperer de se faire ouvrir les portes de Bordeaux. Bordeaux pris, le roi ne se f(it certes pas trouv^ en moins bonne position pour menacer Tou- louse. L'expedition fut done dommageable k ce point de vue ; elle le fut , k un autre titre encore , bien da- vantage, puisqu'elle coMa k la France la vie du roi. Or la mort du roi, en laissant, pour la premiere fois depuis Hugues Capet, le tr6ne k un enfant, pouvait mettre en p^ril I'oeuvre poursuivie depuis plus de deux si^cles. On trouvera dans les cartes le partage de la France entre la maison royale et les maisons f6odales k I'ave- nement de saint Louis. XVI INTRODUCTION La maison de France, depuis Philippe-Auguste , n'a- vait pas seulement acquis par ses domaines une supe- riority en rapport avec son titre ; elle avait donn^ k ce titre toute sa valeur. Le roi avait v^ritablement groups autour de lui et maintenu h leur rang , dans I'observa- tion de leurs devoirs, les membres de la f^odalit^. Les seigneurs lui faisaient leur service et dans son ost et dans sa cour. G'est cette cour qui , compos^e plus solen- nellement des grands vassaux et des evSques , au nombre de douze (six laiques et six eccl^siastiques ' ) , avait forme la cour des pairs ou le roi Jean avait 6t6 cite comme due de Normandie et condamne faute de comparaltre; et depuis, les douze pairs n'y pouvant 6tre trfes-r^guliSre- ment presents, d'autres barons y avaient 6t6 appel^s avec eux et maintenus, malgr^ quelques protestations, mSme quand la question touchait les grands vassaux de la couronne. Les offices de la maison du roi etaient devenus les principales charges de TEtat. Ces offices etaient au nombre de cinq : sen^chal , bouteiller, cham- brier, conn^table et chancelier. Les baillis institu^s par Philippe-Auguste, quand la charge de s^nechal fut supprim^e (1191), et au-dessous d'eux les pr6v6ts, etendaient Taction de la justice et de I'administration du roi dans toutes les parties du domaine. 1 Les six pairs laiques etaient originairement les dues de Normandie , d'Aquitaine , de Bourgogne , et les comtes de Flandre , de Champagne et de Toulouse (les deux premieres pairies appartenaienl done alors au roi d'Angleterre); les six pairs eecl^siastiques dtaient I'arehevfique de Reims et les 6v6ques de Laon, de Langres, de Noyon, de GhSlons-sur-Marne et de Beauvais. INTRODUCTION xvii Seconds par cette administration, le pouvoir royal avait pu donner plus d'activit^ et de suite b. ses rap- ports avec les diff brents ordres, De nombreuses trans- actions avaient resserr^ les liens des seigneurs et du roi ; et souvent des trait^s obligferent tel ou tel d'entre eux h garantir la fid61it6 de quelques seigneurs du voi- sinage. Philippe -Auguste s'etait aussi attach^ FEglise en lui faisant des donations, en conflrmant ses privi- leges, tout en recommandant aux baillis de veiller sur les empietements de sa juri diction. II trouvait enfin un appui serieux dans les populations des villes ou des campagnes , en accordant des chartes de privileges ou de libertes , mSme k de simples villages , et en se mon- trant, en toute circonstance , favorable k Taffranchis- sement des serfs. Ainsi le pouvoir royal s'etait plus fortement constitue, et, par la sup^riorite de son admi- nistration, il acqu^rait favour jusqu'au delk des limites oh il devait se contenir. Louis VIII, dans son regno de trois ans, n' avait pas laiss6 d^choir la puissance qu'il avait regue de son p^re. II Tavait accrue mSme, en donnant place aux grands officiers dans sa cour, k I'occasion d'un proces ou les pairs pr6tendaient avoir seuls droit de singer : introduction qui, sans porter atteinte k Pindependance de la cour du roi , ne laissait point que d'y donner k Tautorite royale plus de garan- ties. Louis VIII avait pourtant compromis I'oeuvre de Philippe-Auguste lorsque, par son testament, il dis- tribua les principales acquisitions de la couronne en apanage k ses enfants : donnant au deuxifeme (Robert) I'Artois, au troisifeme (Jean) I'Anjou et le Maine, au XVIII INTRODUCTION quatrifeme (Alfonse) le Poitou et TAuvergne. C'^tait faire de la f^condit6 de la maison royale une calamity publique; c'^tait mettre en question k chaque rfegne la puissance de la branche r^gnante, et, ce qui sans doute pr^occupait alors moins vivement les esprits, la formation de la nationality. Le p^ril 6tait encore 6loi- gn6 , puisque ces princes n'6taient que des enfants ; mais Tatn^ n'6tait qu'un enfant lui-mgme. Qu'allait devenir, avec un roi mineur, I'oeuvre des Cap6tiens? G'est ce que nous allons voir par Fhistoire du prince qui va prendre le rang de Louis IX, et que nous appelons saint Louis. ^,^zty.7e^u >SAJ -T^; Fig. 4. — Architecture religieuse au temps de Haint Louis. — Kotre-Dame de Paris; faqade occidentale , achevee vers 1235. CHAPITRE I REGENCE DE BLANCHE DE CASTILLE Premiere education de saint Louis. — Sacra. A vie de Louis IX fut des I'enfance la vie d'un saint ; et si le mode de son education n'est plus guere en usage pour les princes aujourd'hui, ce n'en est pas moins dans sa fidelite aux leQons du premier qu'il faut chercher le fondement de ses vertus privees et la regie de toute sa conduite. Ne a Poissy , le 25 avril 1214 , il justifia la parole de Salomon , que lui applique si justement un de ses historiens : « L'homme, memo en vieillissant , ne s'ecartera pas des voies de sa jeunesse. Adolescens juxta viam 1 2 SAINT LOUIS suam, etiam cum senuerit, non recedet ab ea (Prov. xxii , 6). » « Dieu , dit Joinville , le garda par les bons enseignements de sa m^re, qui lui enseigna k croire en Dieu et k I'aimer, et attira autour de lui toutes gens de religion. Et elle lui faisoit, si enfant qu'il fut, toutes ses heures et les sermons faire et ouir aux fetes ^ » Par ces pieuses pratiques elle voulait affermir en lui ces sentiments de foi et de piete qui le devaient garder de tout mal. Elle croyait, en effet, que rien ne manquerait a son bonheur et au bien de ses peuples s'il restait dans la grace en se preservant de tout peche ; et elle allait jusqu'a dire qu'elle aimerait mieux le voir mourir que faire un seul peche mortel. Saint Louis ne trompa point les pieuses aspirations de sa mere, et le religieux qui pendant vingt ans I'ouit en confession lui a rendu , devant I'histoire , ce temoignage que jamais 11 n'a commis una faute oii fut engage le salut de son ame. Sa mere, si appliquee a faire de lui un bon chretien, n'etait pas moins capable de lui enseigner ses devoirs de roi ; et sa deference envers I'Eglise n'allait pas jusqu'a lui faire sacrifier en certaines occasions des droits dont la defense peut etre aussi un devoir. Cette energie, dont elle avait donne la preuve des le regne de Philippe -Auguste, dans la lutte de son mari centre Jean pour la couronne d'Angleterre , lui devint surtout necessaire lorsque la mort de Louis VIII la laissa seule avec un fils age de douze ans, en presence des barons, et que femme, etrangere, elle eut a maintenir centre eux les prerogatives de la royaute au point ou les avait elevees Philippe-Auguste. Sa conduite alors, et durant toute la minorite de saint Louis, ne servit pas seulement a affermir le pouvoir du jeune roi ; elle lui apprit comment, devenu majeur, il en devait user ' Joinville , oh. xv de Texcellente Edition de M. N. de Wailly. Nous reprodui- rons sa traduction en cherohant quelquefois i la rendre plus littirale encore. CHAPITRE I 3 lui-m6me pour se faire respecter, au plus grand avantage de tout le royaume. La question qui se posait k la mort de Louis VIII etait nouvelle. Pendant les cinq premieres generations, les suc- cesseurs de Hugues Capet ne s'etaient crus assures de la transmission du pouvoir dans leur race qu'en faisant cou- ronner leur fils aine de leur vivant. Philippe -Auguste, le premier, s'etait affranchi de cette precaution ; mais jusque-la des fils parvenus eux- memos a I'Sge d'homme avaient suc- cede a leur p5re. Louis VIII laissait le tr6ne a un enfant de douze ans. Les droits du jeune prince ne devaient pour- tant pas etre contestes; a defaut du principe d'heredite qui avait prevalu , la rivalite des barons aurait suffi pour ecarter de lui tout competiteur. Mais pendant son enfance en quelles mains devait etre remis le pouvoir? Les memes raisons qui excluaient du tr6ne les femmes devaient les ecarter de la regence : car c'est precisement du commandement , c'est de porter I'epee que cette coutume les jugeait incapables. Nul cependant n'etait , par la virilite du caractere autant que par I'energie du devouement , plus capable que Blanche de tenir le sceptre au nom du jeune roi; et Louis VIII I'avait senti quand, laissant de c6te son frere Philippe Hurepel, qu'il savait hors d'etat d'y sufiire , et se defiant de I'ambition des barons , il avait exprime le voeu que la tutelle de son fils restat a sa veuve. (V. la fig. 5.) Blanche resolut de prevenir toute contestation a ce sujet. Soutenue par I'Eglise, et no- tamment par le legat du pape, Romain, cardinal de Saint- Ange, elle hata la ceremonie du sacre de son fils. Louis une fois sacre, tout se ferait en son nom. C'est a lui que Ton obeirait ; et la reine , placee pres de lui , ne ferait que rem- phr, en le guidant, les devoirs que lui imposait la nature. Louis VIII etait mort le 8 novembre ; les eveques et les seigneurs furent invites a se rendre , des le 29 du meme mois, a Reims, oil le sacre devait s'accompUr. Cette convocation a bref delai jeta le trouble dans les re- s I i i •s i S 5 3 LA '^ ^ a 1 4 ? i |S °| o tn to ns -S fl aj -rt ^ -^a c «.S — C * .2 S C S a ,„ 6D o o I - 1 S <: 'ot O S C , .S- -S o -o .2 fcOQ O ,t2 m cj *-* a c oj *i e --g g £ § 6Dcg - e ® S i= - ? * - fi § E s c cs .h • o fe t s 1 1 g S ' - S £ fa. 2 < I » s « i i ^ S I 3 5 .: g -S S --g 5 i " ^ '3) I .SP ■ £ S § £ -E .S 2 5 S. § , « c . - OJ ® _i *^ "" .!: > -^ c ^ =s S ° o a ■ 3 "3 o :§ "* o -a « =4 — t. 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Blanche fit si bien, qu'elle y reunit encore une imposante assistance, et, dans le nombre, elle sut y attirer plusieurs de ceux sur qui les dissidents comptaient le plus. Elle n'y fit point pa- raitre le comte de Flandre, qu'elle avait sous la main : c'eut ete ceder a des injonctions; mais la comtesse de Flandre y fut , ayant la promesse que son mari lui serait rendu apres le sacre. On n'y vit pas non plus le comte de Boulogne , compagnon de captivite de Ferrand ; mais son gendre , Philippe Hurepel, devenu comte de Boulogne a sa place, y etait , et la presence de ce prince avait une grande impor- tance. En le faisant venir au sacre, Blanche 6tait aux me- contents le chef sur lequel ils devaient jeter les yeux , si , apres le couronnement , ils voulaient mettre en question la re- gence. Enfin, comme les comtes Ferrand et Renaud , le comte de Champagne aussi , quoique libre, etait absent. II se tenait a I'ecart , irrite des menaces que lui avait faites Louis VIII, lorsqu'il I'abandonna devant Avignon, a I'expi- ration des quarante jours de son service feodal ; mais la comtesse sa mere etait la, et elle disputa meme a la com- tesse de Flandre le droit de porter I'epee, comme I'eussent pu faire les deux seigneurs : dispute que Blanche trancha en remettant I'epee a son beau-frere Philippe, comte de Boulogne. Au nombre des presents se trouvaient encore le due de Bourgogne , les comtes de Dreux , de Blois , de Bar 6 SAINT LOUIS et les trois fr^res de Coucy ; parmi les absents il faut signa- ler le comte de la Marche, beau-pere du roi d'Angleterre , le comte de Saint- Pol et Pierre Mauclerc, qui gardait les pouvoirs et le titre de comte de Bretagne , bien qu'il ne fut que bail ou regent de ce comte, au nom de son fils, eige de neuf ans. Le siege de Reims etant vacant , ce fut Teveque de Soissons, le premier eveque de la province, qui officia. Apr^s la cere- monie, le roi se fit preter serment de fidelite par le clerge et par les seigneurs presents ; et , selon un auteur, Blanche elle-meme regut leurs hommages, comme etant chargee de I'administration du royaume. Point de fetes, d'ailleurs, ni a Reims ni a Paris , ou le jeune prince fut ramene le lendemain. La coutume dut le ceder a la verite de la situation. On ne pouvait se rejouir de I'avenement du nouveau roi, quand le deuil etait si grand de la mort de son pere. II Revoltes des barons. — Traits de Vend6me (1227). — Traite de Paris ou de Meaux (1229). Un premier point etait acquis par le sacre du roi. Mais la position etait grave encore , car on en voulait moins a la couronne de saint Louis qu'a son pouvoir, retenu par sa m^re ; et les adhesions que Blanche avait obtenues etaient peu de chose aupres de celles qui lui manquaient encore. EUe avait obtenu, nous Tavons vu, I'adhesion du nouveau comte de Boulogne, oncle du roi, adhesion capitals sans doute, mais qui n'etait pas bien assuree. quoiqu'elle lui cedat pour I'obtenir le chateau de Mortain, Lillebonne et I'hommage du comte de Saint-Pol (1" decembre 1226). EUe pouvail compter davantage sur Ferrand, comte de Flandre, qu'elle mit en liberie , en se faisanl d'ailleurs donner plusieurs garanlies de sa fidelite a la cause royale ; mais elle avait tout CHAPITRE I 7 a craindre de plusieurs seigneurs dont nous signalions lout a I'heure Fabsence au sacre, et qui figuraient parmi les plus puissants de France : le comte de Champagne, rejete parmi les mecontents par la defiance meme que Ton avait de lui autour du roi (on I'accusait, sans aucun fondement, d'avoir empoisonne Louis VIII); le comte de la Marche, rattache par sa femme aux interets du roi d'Angleterre , dont elle etait la mere; le comte de Bretagne, Pierre, qui etait sur- nomme Mauclerc, non pas seulement comme mauvais au clerge , mais comme mauvais compagnon pour quiconque avait affaire a lui. Ajoutez qu'il n'y avait ni paix ni treve avec I'Angleterre, et qu'Henri III pouvait profiter des em- barras d'une minorite en France pour tScher d'y reprendre des provinces dont I'abandon n'avait jamais ete consenti par sa maison, depuis que Philippe -Auguste les avait confis- quees. Joignez enfin a ces arriere-pensdes du roi d'Angle- terre les dispositions du comte de Toulouse, qui, depouille en partie par la guerre des Albigeois, et tout recemment attaque par Louis VIII, trouvait dans sa mort imprevue une si belle occasion de relever la tete. Une hgue se forma done, et, pour y interesser plus gene- ralement les barons , on mettait en avant la violation de leurs privileges et la nouveaute du gouvernement d'une femme. Mauclerc donna le signal de la revolte. La regente ayant refuse de rendre des terres reclamees par ce seigneur, il fortifia Saint- Jacques de Beuvron en Normandie, et Bel- lesme dans le Perche, deux places que Louis VIII lui avait recemment donnees en garde. Le comte de Champagne, le comte de la Marche , etaient prets a I'appuyer, et Richard , frere de Henri 111 , qui etait a Bordeaux, pouvait entrer dans la lice apres eux avec des troupes et de I'argent qu'il avait regus d'Angleterre. Blanche de Castille, par sa rapidiLe, deconcerta pourtant leurs desseins. Rassuree du cote du nord par I'appui du comte de Flandre et le concours personnel du comte de Boulogne, 8 SAINT LOUIS elle marcha vers la Loire , ou les conjures voulaient se reunir. Sommes de venir au parlement ou a la bataille , ils perdirent confiance. Le comte de Champagne s'etait laisse ebranler le premier. On peut meme croire que c'est dans la pensee de ramener les autres ^ la soumission envers le roi qu'il les vint rejoindre k Thouars, avec un sauf-conduit de la regente. Au moins est-ce du consentement des comtes de la Marche et de Bretagne qu'il negocia personnellement avec saint Louis une trSve jusqu'au 2b avril 1227 : treve qui laissait a ces deux comtes eux-mSmes le temps de se reconnaitre; car elle ne devait courir qu'apr6s que I'armee royale se serait retiree au dela de Chartres ou d'Orleans. Le roi venait d'atteindre Vendflme, et la treve n'etait pas expiree, quand les deux seigneurs, se rendant a une troi- si^me citation, vinrent lui faire leur hommage (16 mars). Richard , laisse seul , dut signer de son c6te , sous la reserve du consentement de son frere, une prorogation de la treve entre la France et I'Angleterre (22 mars). Mais cette reconciliation avait ete trop brusquement ope- ree pour qu'on la put croire sincere et durable. Les barons rougissaient d'avoir si facilement cede la victoire a une femme, a une etrangere; et un peu apres Paques 1228, ils resolurent de trancher la question en lui enlevant le roi. Saint Louis revenait d'Orleans vers Paris. lis s'assembl^rent h Gorbeil pour le prendre au passage. Le jeune roi et sa m^re, arrives a Montlhery, virent bien que leur petite troupe n'etait pas en mesure de leur tenir tete. Blanche fit savoir le peril du roi aux Parisiens, et, a son appel, les bourgeois de la ville, les seigneurs meme des environs accoururent au-devant de lui et lui firent une escorte centre laquelle les conjures de Corbeil se trouv^rent impuissants. « II me conta, dit Joinville, que depuis Montlhery le chcmin 6toit tout plein de gens en armes et sans armes jusques h Paris, et que tous crioient a Notre Seigneur qu'il lui donnat bonne et longue vie, et le defendit et gardSt contre ses S . Louis , par M , WALLON . (a i\x\ f. ■i> Ju^ (traoe et/ fmp-par' Ifrhtu'd lii ritC' .fliutuiuf-Troiiin ,Jiifu CHAPITRE I 9 ennemis. Et Dieu le fit ainsi que vous I'entendrez bient6l (ch. xvi). » Les barons avaient compris que , pour ruiner I'autorite de Blanche , il fallait avoir quelqu'un a mettre a sa place , et le seul homme qu'ils pussent produire avec une apparence d'autorite , c'etait I'oncle du roi , le comte de Boulogne : prince faible, qui avait adopte tout d'abord la situation faite a Blanche par le voeu de Louis VIII, et abandonne ses pretentions pour quelques chateaux. On reveilla son am- bition ; on lui remontra ses droits; on le pressa de reprendre le rang dont il etait depossede par une etrangere ; et en meme temps qu'on repandait contre Blanche d'atroces ca- lomnies , qui , en la fletrissant comme femme et comme veuve, la montraient indigne de gouverner son fils, on pro- clamait les titres du frere de Louis VIII a la regence. On dit meme (mais cela est moins croyable) qu'en le mettant en avant , les barons avaient un autre dessein ; qu'ils ne vou- laient pas seulement un autre regent , mais un autre roi pris parmi eux, comme jadis Hugues Capet, et moins porte a oublier son origine. On nomme le sire de Coucy. La reine , dans ce peril , avait pour elle le comte de Flandre, qui ne I' avait jamais abandonnee, et le comte de Champagne, qui lui etait revenu. Le comte de Cham- pagne, objet de toutes les defiances de la reine a la mort de Louis VIII , etait devenu odieux aux barons comme s'etant le premier rallie a son parti. On I'accusait d'avoir, par cet abandon , dissous la ligue et force les seigneurs a une pre- miere reconnaissance de I'etat de choses qu'ils attaquaient. On rapportait son attachement pour le roi a un sentiment de toute autre nature a I'egard de la reine , et , apres tout , on pourrait croire a ce sentiment sans admettre pour cela qu'il eut ete partage. Le jeune comte de Champagne etait poete , et Ton a signale une de ses pieces oii il semble trahir cet amour qu'il n'ose avouer. On s'appliqua done a tourner contre Blanche ce rapprochement de la Champagne, ou 10 SAINT LOUIS elle fondait ses esperances, en y montrant une cause cri- minelle. La reine et le comte sont des lors unis dans la haine et dans les accusations des barons. Les barons, ne voulant pas se declarer tout d'abord centre le roi, se tournerent centre Thlbaut. II avait de nombreux ennemis parmi ses pairs : il en avait parmi ses propres vassaux , qui I'accu- saient de preferer la bourgeoisie a la noblesse. On entra sur ses terres ; mais ce ne fut qu'un prelude : rien de decisif ne pouvait serieusement s'engager si Ton n'avait pour soi le roi d'Angleterre. Pierre Mauclerc le decida en lui faisant esperer le recouvrement de la Normandie, et, des qu'il en eut roQU un premier secours, il se mit, sans autre declara- tion , a porter le ravage sur les terres de France. Blanche, par sa resolution, sut encore deconcerter la ligue. Elle avait invite les communes a preter serment de fidelite au roi : c'etait grouper le peuple autour du tr6ne , et, par cette manifestation, tenir deja les seigneurs en echec. Ayant appris que le comte de Bretagne, rejoint par Richard, a defaut de Henri, avait recommence ses ravages, elle mena le roi centre lui. Elle avait somme les seigneurs qui attaquaient le comte de Champagne de suspendre cette guerre privee pour faire leur service aupres du roi. lis n'o- serent refuser; ils auraient forfait (perdu) leur terre en ne se rendant pas a son appel; seulement ils vinrent dans le moindre equipage, chacun amenant avec soi deux cheva- liers. Mais le comte de Champagne, rendu libre, en ame- nait trois cents ; en degageant le comte , c'est un appui con- siderable que Blanche venait de s'assurer, et plusieurs autres barons avaient d'eux-memes rejoint avec empressement la banniere du roi. Blanche dirigea ses premiers coups centre le chateau de Bellesme, position avancee que Pierre Mauclerc, grSce k la liberality de Louis VIII , occupait aux portes de la Norman- die , et qu'il avait fortifiee avec un soin extreme. CHAPITRE I 11 On etait au mois de mars (1229), la saison etait rude encore, et le froid tres-intense. Le jeune roi, sous I'oeil de sa mere, brava toutes les rigueurs du temps, et la garnison, vivement presses, n'etant pas secourue, capitula au bout de quelques jours. Get evenement produisit un grand effet. Richard, qui etait venu en France croyant trouver tous les seigneurs en armes, s'en exprima avec amertume aupres du comte de Bretagne, et ce n'etait pas sans raison. De tous ces ba- rons , Mauclerc seul avait paru pret ; ceux qui attaquaient le comte de Champagne s'etaient rendus a la premiere somma- tion du roi, et Pierre lui-meme laissait prendre la seule place d'ou il put serieusement menacer la Normandie. Est-ce de cette sorte qu'il y devait mener les Anglais ? Richard s'en retourna en Angleterre. L'Angleterre se retirait done de la lutte, et, au midi, le comte de Toulouse , n'ayant plus a compter sur elle , faisait sa paix avec la France , terminant par les concessions les plus larges le diff^rend ne de la guerre des Albigeois. II vint a Meaux, oil s'etaient reunis les prelats qui le de- vaient reconcilier a I'Eglise , et ce fut la que , sous la me- diation et par les conseils du comte de Champagne, il se declara pret a faire la volonte du roi e.t dulegat. Auxtermesdu traite qui fut conclu a Paris , le 12 avril 1229 (voy. la fig. 6) , il gardait son comte , et sa fiUe devait epouser un Mre du roi de France : mariage inscrit en premiere ligne parmi les avan- tages faits au comte de Toulouse, mais dont la maison de France devait recueillir tout le profit ; car la fille du comte etait et devait rester son unique heritiere : le traite deshe- ritait par avance tout autre fils ou fille qu'il pourrait avoir ; et si le fils du roi , si la fille du comte mouraient sans enfant , Toulouse et toute la circonscription du diocese n'en devaient pas moins faire retour au roi ou a ses heritiers. Le comte n'etait plus que I'usufruitier des seigneuries qui lui etaient laissees, et il s'obUgeait a n'en rien aliener : tant il est vrai 12 SAINT LOUIS que la propriete en etait desormais assuree a la maison de France. Ajoutez les indemnites dont on le chargeait et les garanties qu'on exigeait de lui : murs de Toulouse et de trente villes qui sont enumerees, a raser; chateau de Toulouse a remettre pendant dix ans aux mains du roi ; serment de ses sujets de se revolter contre lui s'il manquait a sa parole ; obligation de poursuivre les heretiques ou les seigneurs qui ne se reconcilieraient pas comme lui, et promesse d'aller, Pig. 6. — Traiti entre Rapitiondj comte rfc Tovlouse , cfune part , et de Vautre VEgliti romatne tt le roi de France, (ArchireB nationalee , Tr6Bor des cbartce, J, 305, 60.) Kaymondns, Dei gratia, comes [Tolosanus.].... De omnibus autem eupradictis, que dimittuntur nobis, f ecimuB domino Regi liomagium ligiom et fldelitatem secundum consuetudinem baronum regni Francie. dans les deux ans apres son absolution , combattre pendant cinq annees en Palestine. Raymond accepta tout. Amene devant I'autel, en chemise et nu-pieds, il fut re- concili(^ a I'EgUse le jour du vendredi saint (13 avril); il regut la croix des mains du legat , fit hommage au roi de son comte ; puis il alia se constituer prisonnier au Louvre , tandis que le roi et le legat deputaient en Languedoc pour proce- CHAPITRE I 13 der hi I'execution du traite. La fiUe du comte, eigee de neuf ans, fut amenee a Carcassonne et remise aux commissaires du roi , comme fiancee de son frere ; et un peu apres , le comte ayant eu permission de retourner a Toulouse , le legat y vint aussi pour y tenir un concile. Ce concile donnait centre les fluctuations de Raymond deux autres garanties : il etablissait I'inquisition a Toulouse, et y creait une uni- versite. -^^^ Fig. 7. — Sculpttire religieuae au temps de saint Lonis. — Le Christ de la cathMrale d' Amiens comnmnement appel6 le « Bon Dieu d' Amiens ». II ART GOTHIQUE — XIII« SlfeCLE Vitrail de la Sainte-Chapelle, representant la translation solennelle des Re- liques de la Passion. = Execute du vivant de Louis IX, ce vitrail peut aider, comme la Porte-Rouge de Notre-Dame (planche III), S nous donner quelque idee de sa physionomie. Cf. plus has (p. 285) le bas-relief, restitue par M. VioUet-le-Duc, du torabeau de Louis, fils aine du saint roi. Mis sur pierre par Regamet , d'aprfis une aquarelle de Fichot. jrjg. ij, _ Architectiire religieuse. — La Sainte - Ohapelle de Paris achevee en 1248. CHIPITRE II MARIAGE DE SAINT LOUIS I Nouveaux troubles : le comte de Champagne secouru. Le comte de Bretagne soumis. — TrSve avec I'Angleterre. — Manage de saint Louis. 'echec de Bellesme, la retraite des Anglais, la sou- mission du comte de Toulouse, n'intimid^rent pas Mauclerc. La prise de Bellesme ne I'attei- gnait pas au coeur de sa puissance; Toulouse etait bien loin, et les Anglais trop engages dans le royaume pour n'y pas revenir des qu'on leur en offrirait une meilleure occasion. Pierre done, au lieu de se rendre aupres du roi, comme il I'avait promis, reprit les armes. Attaque par le roi sur la Loire, il chercha a I'arreter 16 SAINT LOUIS encore par des deputations. Mais en meme temps 11 n^go- cialt avec le rol d'Angleterre , et lul-meme, se rendant a Portsmouth , 11 lui fit hommage pour la Bretagne. En falsant cet hommage, Pierre Mauclerc oubliait deux choses : c'est que le comte n'etait pas k lui, mais a son fils, et que personne en Bretagne ne se souciait de devenir An- glais. On n'etait pas beaucoup mieux dispose a le soutenir dans sa guerre contre saint Louis. Les etats de Bretagne, convoques dans ce dessein a Redon, repondirent a sa de- mande de secours en reclamant rabolition de diverses ordon- nances. Le retard des Anglais a venir et I'opposition de la Bre- tagne auraient pu le mettre des ce moment dans un grand embarras, si une diversion puissante n'etait venue a son aide. Le comte de Champagne, par sa conduite dans la der- niere campagne, s'etait rendu plus que jamais odieux aux barons. lis resolurent de se venger. lis reprenaient contre lui I'accusation d'avoir empoisonne Louis VIII. lis accusaient la reine d'une sorte de complaisance a I'egard du coupable, sinon du crime, pour n' avoir pas voulu qu'on recourut au duel judiciaire afin de le prouver. lis parlaient des droits d'Alix, reine de Chypre, fille ainee de I'ancien comte Henri II , ci I'heritage de la Champagne. Mais Blanche, au risque de donner plus de force encore aux calomnies dont elle etait I'objet, ne pouvait pas laisser succomber Thibaut; car c'est pour la cause du roi qu'il s'etait compromis. Elle mena saint Louis a Troyes, et c'est de la qu'usant tout a la fois et du prestige que la presence du roi n'avait pas perdu , et d'un habile systeme de concession , elle decida les barons a se retirer. Pour la plupart ce n'etait qu'une treve. Mais une circon- stance ajourna encore leur dessein. Le plan du comte de Bretagne s'executait. Henri III , selon qu'il en etait convenu , avait reuni une armee. II avait CHAPITRE II 17 pris terre a Saint-Malo , ou Pierre Mauclerc I'avait regu avec de grands honneurs : quelques seigneurs de Bretagne y vinrent aussi lui faire hommage ; et de Saint-Malo il se rendit a Nantes, ou il comptait voir se rassembler les grandes forces qu'on lui avait promises. Celte menace donnait a saint Louis le droit de convoquer tous ses barons. Les ennemis du comte de Champagne durent se rendre comme les autres a cet appel , et on les trouve avec Thibaut dans I'armee que le roi conduisit sur la Loire. Saint Louis vint a la Fleche, a Angers , a Ancenis : la , sur le sol meme de la Bretagne , il declara, dans une assemblee de barons bretons, Pierre Mauclerc dechu de ses droits, et requt d'eux le serment de ne faire ni paix ni treve soit avec les Anglais , soit avec leur comte, sans qu'il y consentit (juin 1230). Ge n'est pas sur cela que Henri III, arrivant en Bretagne, avait compte. Prive de tout moyen d'agir, il alia de Nantes par le Poitou dans sa terre de Gascogne , et revint a Nantes , oil il resta dans I'inaction , attendant vainement les forces qu'on lui avait fait esperer. Le roi de France lui- meme n' avait pas pu aller plus loin. Les allies secrets du comte de Bretagne ne I'avaient suivi que malgre eux et pour ne pas perdre leur fief; mais, les quarante jours du service feodal expires , ils lui avaient demande conge ; et le roi , ne pouvant le leur refuser, avait du aussi faire retraite. Les barons, rendus a eux-memes, reprirent done leur projet centre celui dont ils etaient les compagnons naguere; et deux armees menacerent a la fois la Ghampagne: I'une au nord, com- prenant les comtes de Boulogne, de Guines et de Saint-Pol ; I'autre au sud , formee par le due de Bourgogne et les sei- gneurs de cette region. Avant d'entrer dans le pays, le comte de Boulogne , oncle du roi , envoyait , selon le theme roQu dans la ligue, deux de ses chevaliers defier Thibaut, comme empoisonneur de son frere. Les droits de la reine de Ghypre etaient I'autre pretexte mis en avant. Le comte de Champagne , battu des deux c6tes, ne songea plus a lutter 2 18 SAINT LOUIS par lui-meme, et, abandonnant son pays h la discretion des ennemis , il courut a Paris implorer le secours du roi. La resistance de Troyes, qui, pour mieux se defendre, appela dans ses murs le senechal Simon , sire de Joinville , pere de I'historien , donna au roi le temps d'arriver. Des que I'armee royale , qui comptait dans ses rangs le due de Lor- raine, fut a quatre lieues de Troyes, Blanche envoya som- mer les barons d'apporter, s'ils avaient a se plaindre du comte, leur requete aux pieds du roi. lis lui repondirent avec mepris qu'ils ne plaideraient point devant elle, ajou- tant, par une grossiere insulte, que les femmes n'avaient que trop I'habitude d'accorder leurs preferences a celui qui avait tue leur mari ! Mais ce mepris pour la reine n'empe- chait pas qu'ils ne respectassent la royaute. lis voulaient tout combattre sauf le roi. lis le priaient de se retirer de sa personne, offrant de livrer bataille au comte de Cham- pagne, au due de Lorraine, a tout le reste de I'armee royale, avec trois cents chevaliers de moins qu'ils n'en auraient de- vant eux. Le roi fit reponse qu'ils ne combattraient pas ses troupes sans qu'il fut la. Alors, voulant le desarmer, ils proposerent un arrangement au nom de la reine de Ghypre , cause apparente de leur intervention dans le pays. Mais le roi repondit fierement qu'il n'entendrait a nulle paix ni ne souffrirait que le comte de Champagne y pretat I'oreille, tant qu'ils n'auraient pas vide le comte de Champagne. Cette ferme declaration ebranla les allies. Le comte de Boulogne ceda le premier. La reine, dit-on, lui avait fait savoir que les barons se jouaient de lui en le flattant de la regence ; qu'il s'agissait, non d'un autre regent, mais d'un autre roi, et qu'en restant pres d'eux il ne faisait que servir de masque et meme d'instrument a leur projet de deposseder sa propre race. Le comte declara dans le conseil sa resolution de re- venir au roi, et, quittant le camp des allies, il se presenta a saint Louis, qui le regut avec honneur dans sa tente. Les autres n'os^rent pas garder leur position devant Troyes. Ils GHAPITRE II 19 allerent se loger a Isle, ou Farmee royale les suivit, puis a Jully, et , craignant qu'elle ne les y suivit encore , a Chaource et enfin a Laignes, qui etait au comte de Nevers. Le roi, les ayant mis hors de la Champagne, ne deman- dait plus qu'^ les accorder avec Thibaut. Les preliminaires de la paix furent arretes le 25 septembre, et diverses con- ventions I'etablirent avant le mois de decembre suivant. Le roi d'Angleterre n'attendit pas qu'elle fut defmitivement conclue. Dhs le mois d'octobre, quand il vit les barons de France se rapprocher, il regagna son ile , laissant une petite troupe en Bretagne : triste resultat d'une campagne oii il n'avait obtenu des Anglais tant d'argent qu'en leur faisant esperer la conquete de la Normandie ! Mauclerc pouvait maintenant voir le peril oii il s'etait jete par sa politique remuante. Le roi dont il s'etait fait le vas- sal etait parti, et il se voyait de plus en plus delaisse de ses propres vassaux. Doublement degages et par I'acte de Pierre et par la declaration de saint Louis, les barons de Bretagne faisaient hommage au roi de France jusqu'a ce que le fils de Mauclerc , leur vrai comte , eut ses vingt et un ans. Saint Louis n'avait plus qu'a se presenter en Bre- tagne pour prendre, a ce titre, possession du pays: rien n'etait capable de lui faire obstacle. Mais le pape voulait prevenir toute cause nouvelle de conflit entre la France et I'Angleterre, et saint Louis, par nature, desirait la paix. La mediation du comte de Dreux, frere de Pierre et mal- gre cela fidele des Forigine a la cause du roi , lui fit obte- nir une treve (juillet 1231) qui donna du repos au pays jusqu'en 1234. Des Fannee 1232 on I'avait pu croire fort compromise. Le comte de Champagne, en 1231 , avait perdu Agnes de Beau- jeu , sa seconde femme. On eut Fidee de lui faire epouser Yolande, fille du comte de Bretagne : alliance qui, vu la nature des deux personnages , devait avoir pour resultat d'entrai- ner Thibaut dans le parti du comte de Bretagne bien plut6t 20 SAINT LOUIS que de ramener Pierre Mauclerc dans celui du roi. Blanche, justement effrayee , obtint de Gregoire IX une bulle qui in- terdisait ce mariage pour cause de parente. Toutes choses etaient convenues. Pierre Mauclerc avait amene sa fiUe a Tabbaye de Valsecret, ou les noces allaient se celebrer. On n'attendait plus que Thibaut , et il partait pour s'y rendre , quand il fut rejoint par le messager du roi. Le roi lui fai- sait dire que s'il epousait la fille d'un homme dont la cou- ronne avait tant a se plaindre , tout ce qu'il avait en France serait confisque. Thibaut s'en revint k Chateau-Thierry. Ce fut un coup sensible pour Pierre Mauclerc et pour les membres et les allies de sa maison, qui comptaient parmi les premiers de France ; et leur colore fut extreme lorsque trois mois apres , comme pour mieux consommer cette rup- ture , Thibaut epousa Marguerite , fille d'Archambaud de Bourbon. Le comte de Bretagne et les barons de son parti ne re- prirent pas les armes centre la France , mais ils firent reve- nir celle dont le nom avait dej& ete mis en avant par eux dans leurs precedentes luttes avec le comte de Champagne , la reine de Chypre , Alix ; et sa presence dans le pays pou- vait lui rallier tous ceux qui avaient a se plaindre de Thi- baut. Heureusement pour Thibaut, il trouvait appui dans le saint -siege, qui contestait la legitimite du mariage d'ou Alix etait issue , et qui defendit a la reine de faire valoir, et k tout autre de reconnaitre ses pretentions au comte de Champagne, avant que cette question eut ete decidee. Dans cette situation , la reine de Chypre avait tout interet a tran- siger, et d'autres causes devaient I'y porter encore : en la meme annee 1234 , elle voyait mourir le comte de Boulogne, son principal soutien comme ennemi de Thibaut , et Thibaut lui-mfeme , reconcilie avec ses principaux ennemis , arriver par la mort de son oncle Sanche au trdne de Navarre. La reine de Chypre renonga done a tout ce qu'elle pou- vait pr^tendre en Champagne (septembre 1234), agreant les CHAPITRE II 21 offres des representants de Thibaut : 2,000 livres tournois de rente (40,527 fr. 64 c.) en fonds de terre, et 40,000 livres (810,552 fr. 80 c.) une fois payes'; et Thibaut n'ayant pas ces 40,000 livres, saint Louis les donna en sa place pour prix de la mouvance des comtes de Blois, de Chartres, de Sancerre et de la vicomte de Chateaudun , pays qui des ce jour entr^rent dans le domaine de la couronne (novembre 1234). Avant la conclusion de cet acte, un autre de la plus grande importance pour la vie et pour le regno meme de saint Louis venait de s'accomplir. Saint Louis avait epouse Marguerite, fiUe ainee du comte de Provence. Ce mariage , qui fit le bonheur du roi , n'etait pas moins heureux pour le royaume. La Provence relevait encore of- ficiellement de I'Empire ; mais sa position et ses rapports habituels la rapprochaient de la France ; et si ce n'etait pas encore I'union, c'etait un lien de plus entre les deux pays. La maison de Provence y trouvait elle-meme honneur et profit a la fois. II ne lui etait pas indifferent de s'allier de la 1 La livre ^tait une monnaie de compte qui se payait en espfeces d'or ou d'ar- gent; et comme le rapport de I'or a I'argent n'etait pas le meme au temps de saint Louis que de nos jours (Tor valait 12 fois et 2/10 son poids d'argent; 11 le vaut 15 fois 1/2 aujourd'hui) , dans tons les cas oii il n'est pas dit en quelle ma- tifere le paiement est fait, il y aurait incertitude : 1 liv. tournois valanten argent 17 fr. 84 c, en or 22 fr. 67 c. C'est pour cette raison que M. de Wailly a propose de prendre pour la valeur de la livre un nombre moyen entre ces deux valours. D'aprfes ces principes , la livre tournois et la livre parisis ^tant entre elles dans le rapport de 4 £t 5 , on arrive k ces evaluations : Denier tournois fr. 08 c. 443 Sol tournois 1 01 382 Livre tournois. . 20 26 382 Denier parisis. . .... . 10 554 Sol parisis 1 26 649 Livre parisis 25 32 978 Pour offrir au lecteur des analogies moins exactes, mais plus familiferes, le sou tournois valait a pen prfes notre franc , et le sou parisis le schelling anglais ; la livre tournois , notre pifece de 20 francs , et la livre parisis la livre sterling ou guinfie anglaise. On peut faire oouramment la conversion sur ces bases. 22 SAINT LOUIS sorte au roi de France, arbitre naturel de ses demeles avec le comte de Toulouse ; et I'honneur seul qu'il en retirait etait un avantage qui n'avait pas echappe a I'habile Romee, conseiller tout-puissant de Raymond Berenger. Comme il le pressait de donner k Marguerite une grosse dot, une dot qui paraissait au comte depasser ses moyens (car il avail quatre fiUes h marier) : « Comte, laissez-moi faire, lui Pig. 9. — Sceau de Blanche de Oaatille. dit-il ; si vous etablissez hautement votre ainee , vous marie- rez plus facilement les autres. » Le comte donna k Marguerite 10,000 marcs *. II est vrai que 2,000 seulement etaient payes en 1238, et que les 8,000 autres restaient dus h saint Louis en 1266. Marguerite fut amenee a Sens avec une suite oil Ton comp- 1 On taillait 58 sous au marc d'argent : la valeur du marc , calcul^e sur la valeur moyenne du sou tournois, serait done de 58 fr. 80 o. 156, et les 10,000 marcs feraient 588,015 fr. 60 c. CHAPITRE II 23 tait six troubadours et le menestrel du comte de Provence. Le mariage y fut celebre le 27 mai 1234, et le lendemain, jour de 1' Ascension , la jeune princesse fut couronnee dans la cathedrale. Puis le roi Temmena a Paris, oil son entree se fit au milieu des acclamations populaires. Des tournois, des rejouissances publiques ajouterent a la solennite de ce jour. Marguerite apporta la joie dans I'interieur de saint Louis, Tig. 10. — Sceau de Marguerite de Provence. joie qui ne fut pas sans trouble et sans traverses : non pas que les deux epoux aient jamais ete I'un a I'autre une cause d'affliction ; mais la jeune reine avait pris dans le coeur du roi une place que la reine Blanche avait j usque -la occupee sans partage, et I'amour maternel ne se resignait pas vo- lontiers a cette sorte de decheance. Blanche eut volontiers dispute aux jeunes epoux ce que leur devoir ne leur reser- vait pas absolument. On sait par Joinville a quelles ruses innocentes ils recouraient pour etendre les limites de cette 24 SAINT LOUIS vie intime , et avec quelle peine ils en derobaient les chastes epanchements k la jalouse surveillance de la reine mere. « Les duretes que la reine Blanche fit a la reine Margue- rite furent telles, dit-il, que la reine Blanche ne vouloit pas souffrir, autant qu'elle le pouvoit , que son fils fut en compa- gnie de sa femme, si ce n'est le soir quand ils alloient se coucher. Les logis 1^ ou il plaisoit le mieux de demeurer, pour le roi et la reine , c'etoit h Pontoise , parce que la cham- bre du roi etoit au-dessus et la chambre de la reine au- dessous. Et ils avoient ainsi accorde leur besogne, qu'ils tenoient leur parlement dans un escalier tournant, qui des- cendoit d'une chambre dans I'autre ; et ils avoient leur besogne si bien arrangee , que quand les huissiers voyoient venir la reine dans la chambre du roi son fils , ils frappoient la porte de leurs verges , et le roi s'en venoit courant dans sa chambre pour que sa mere Ty trouvsit; et ainsi faisoient a leur tour les huissiers de la chambre de la reine Marguerite quand la reine Blanche y venoit, pour qu'elle y trouv^t la reine Marguerite. Une fois le roi etoit aupres de la reine sa femme, et elle etoit en tres-grand peril de mort , parce qu'elle etoit blessee d'un enfant qu'elle avoit eu. La reine Blanche vint la , et prit son fils par la main , et lui dit : « Venez-vous- [Ibid., p. 98-99.) 44 SAINT LOUIS lepreux, ces excommunies de la vie civile au moyen age, ces morts vivants qui pouvaient communiquer aux vivants la meme mort. A I'abbaye de Royaumont, qu'il avait fondee avec tant de magnificence, il y avait un moine qu'on avait du separer des autres, comme lepreux. Lorsque le roi y allait, il le voulait servir de ses propres mains. 11 s'agenouil- lait devant lui, rompait les morceaux, et les lui mettait dans la bouche, I'exhortant par de pieuses paroles k souffrir son infirmite pour I'amour de Dieu. Un jour de vendredi saint qu'il etait a Compiegne, et visitait nu-pieds les eglises, distribuant de 1' argent aux pauvres sur le chemin, un le- preux se rencontra sur son passage, de I'autre c6te de la rue, et il agita vivement sa crecelle pour que le roi prit garde et s'ecartat de lui. Mais saint Louis , au contraire , tra- versant I'eau boueuse et froide du ruisseau , vint au pauvre lepreux , lui donna I'aumdne , et lui baisa la main. Et ceux qui etaient la se signaient, disant : « Voyez ce qu'a fait le roi ! il a baise la main d'un lepreux ! » Les temoins disent meme qu'a Royaumont il lava les pieds du lepreux , les essuya avec soin , selon sa coutume , et les baisa devote- ment. Voila le chretien dans saint Louis ; voila du moins les traits principaux que Ton pent recueillir dans les chroniques pour recomposer sa figure. Mais comment reproduire cette par- faite harmonie oii ils se confondaient , et surtout cette in- comparable expression que leur communiquait sa belle ame? Ceux qui ont vecu avec saint Louis en ont garde un senti- ment qui donne a leurs tableaux , quelle que soit I'inhabilete de I'auteur, un charme inimitable. lis y reconnaissent eux- memes comme un effet de la vertu divine. " La vertu divine , dit Guillaume de Chartres, son chapelain, lui avait confere cette grace speciale : sa vue , sa voix , portaient le calme dans les esprits les plus troubles. Les plus religieux ne pouvaient le voir et I'entendre sans revenir edifies. » Par certains cotes , il n'aurait pas conquis aujourd'hui de la meme sorte tous les CHAPITRE III 45 suffrages. II nous est difficile d'ailleurs de replacer sa figure dans le milieu oil il la faut voir pour le bien juger ; il nous est plus difficile encore de nous mettre au point de vue oil il faut etre pour la bien voir. L'historien moderne en est quelquefois reduit k plaider les circonstances attenuantes pour les saints : car les saints, et saint Louis parmi eux, ont encore cette conformite avecle Sauveur, qu'en plus d'un cas ils pourraient dire comme lui : « Bienheureux est celui qui n'aura pas ete scandalise en moi. » Pig. 13. — Sculpture religieuse. — Ange du portail de Reims. Fig. 14. — Architecture religieuse. — La « Sainte-Oliandelle » k Arrae, d6molie en 1791. — Premier quart du xiii* si^cle d'aprfee MM. Didron et de Linas. CHAPITRE IV GOUVERNEMENT PERSONNEL DE SAINT LOUIS. — LA QUERELLE DU SACERDOCE ET DE l'eMPIRE. — LES CROISADES I Soumission des comtes de Champagne et de Bretagne. — Mariages f^odaux. — ■ Affaires ecclesiastiques (Beauvais et Reims). ous avons reproduit les traits de la figure de saint Louis tels que les donnent les temoins les plus intimes de sa vie ; nous avons averti que ce qui cheque le plus les idees de notre siecle dans ce tableau est ce qui etait le plus admire du leur; et ainsi il n'est pas impossible qu'ils aient invo- lontairement plus insiste sur ces points que la realite ne le comporte. Mais, au fond, c'est bien la saint Louis : sa sim- plicite , son humilite , sa purete de cceur, son amour de Dieu 48 SAINT LOUIS et du prochain , son zele pour la verite et la justice. On ne le peut mieux connaitre que par ces pratiques de sa vie in- terieure, et cette connaissance n'est pas moins necessaire pour bien juger de sa vie publique. On ne comprendrait pas ses resolutions aux epoques decisives de son regne , si Ton ne savait aussi bien les sentiments qui I'animaient. On aurait Fig. 15. — Bcean de saint Louis. une idee moins exacte de I'energie de ses convictions, on apprecierait moins la fermete de sa conduite en certaines occasions ou il eut a defendre les droits du pouvoir civil devant le clerge et le saint -siege lui-meme, si Ton ne savait jusqu'ou allait sa veneration pour les plus humbles mi- nistres de I'Eglise, et, dans I'ordre spirituel, sa soumission a la moindre de ses lois. CHAPITRE IV 49 Du gouvernement de Blanche h celui de saint Louis il n'y a pas de transition bien marquee. Saint Louis se plut jusqu'^ la fin k suivre les conseils de sa mhre. II lui cedait volontiers tS^^^ y^Jh^^^ Ji ^3 JaomiJ* oi . . . 1109 JT^te ''^one e^waa^t tace Q^v lom* Pig. 16. — Leitre de saint Lmtia , en date de 1240, ayantpmir otget d'attgmenter le douaire de aa mh-e Blanche. (Axchives nationales, Trfesor des chartes, J, 189.) Ludovicus , Dei gratia, Francorum rex. Notum facimus quod... uos karissime domine et matri nostre BClanche] regine illustri... dedimus Crispracum in Valesio cum foresta et Feritate Milonis. le pas dans les assemblees les plus solennelles ; le pape , les barons s'adressaient de preference a elle quand ils voulaient obtenir quelque chose. Le prince lui abandonnait une telle part d'action que des rapports , meme sur des fails de guerre, sont encore, en 1240, adresses a elle et non au roi, et Ton trouve le nom de Blanche joint au sien dans les actes, a une epoque oil il etait certainement majeur. Le gouvernement de saint Louis faillit meme commencer comme celui de Blanche. II fut un moment menace d'une guerre pareille a celles qui avaient trouble le temps de sa jeunesse : et c'est le seigneur qui, au commencement, avait 4 BO SAINT LOUIS suscite la premiere ligue centre la regente, celui dont le concours lui avait ete ensuite le plus assure, c'est le comte de Champagne qui parut vouloir se tourner centre le roi. Rien ne faisait prevoir un pareil changement. Le comte de Champagne n'avait pas regu de saint Louis moins de secours qu'il ne lui en avait donne; et tout recemment (1234) c'est avec I'appui de la France qu'il avait recueilli la succession de la Navarre a la mort de son oncle Sanche VIL C'est en- core a la mediation de saint Louis qu'il avait du le reglement de son differend avec la reine de Chypre pour la possession de la Champagne elle-meme. Tout a coup on apprend que Thibaut, sans prendre I'aveu de saint Louis, comme il s'y etait engage, marie sa fille k Jean, comte de Bretagne, fils de Mauclerc. C'etait renouveler sous une autre forme, et avec tous ses perils, I'alliance qui avait failli se conclure lorsque le comte Thibaut lui-meme avait ete sur le point d'epouser la fille de Mauclerc dans I'abbaye de Valsecret; car le jeune comte de Bretagne etait encore sous la tutelle et sous la main de Mauclerc, son pere. Saint Louis ne s'y trompa point. II somma Thibaut de lui remettre les trois places qu'il avait promis de lui donner en garantie, s'il mariait sa fille sans I'aveu du roi de France; et il se mit en mesure de prendre ce qu'on lui refuserait. Thibaut, en effet, ne paraissait pas dispose a c(5der : il trai- tait avec le comte de la Marche, qui s'obligeait, ainsi que sa femme, la mere du roi d' Angle terre, a le soutenir contre tous, tt en suivant les conseils de Pierre, due de Bretagne, » et lui-meme faisait des armements. Saint Louis ne lui laissa pas le temps de les achever; il appela ses fr^res, il convoqua ses chevaliers a Vincennes. Thibaut avait pour resister une protection puissante : il venait de prendre la croix (1235); et les croises, jusqu'au retour de leur expedition, etaient sous la sauvegarde de I'Eglise. Le pape ecrivit h saint Louis pour lui defendre de I'attaquer. Mais Louis ne fut pas relenu par cette interven- GHAPITRE IV SI tion; et Thibaut, apprenant la marche du roi, n'entreprit pas de resister. II s'empressa d'envoyer vers lui des raessa- gers qui lui offraient Bray et Montereau ; puis comme le prince ne trouvait pas la satisfaction suffisante, il vint lui-meme et mit tout le comte de Champagne a sa discretion. II savait bien qu'il ne s'en depouillait pas. Blanche, qui I'avait en- gage a cette demarche, etait sa caution aupres du roi, et saint Louis n'etait pas de nature a decourager les soumis- sions. Thibaut en fut quitte pour renoncer h tout ce qu'il pouvait pretendre encore sur les seigneuries vendues par lui a saint Louis en 1234 ; et afin de donner un gage h la paix, il promettait de demeurer sept ans hors de France , soit en Navarre oil etait son trdne, soit en Orient oii I'appelait son voeu (1236). Un peu apres, saint Louis obtenait, pour la tranquillite publique , une autre garantie : Pierre Mauclerc, ayant remis a son fils, devenu majeur, le comte de Bretagne (1237), vint h Pontoise confirmer la cession de Bellesme, de Saint- Jacques de Beuvron et de la Perriere au Perche qu'il avait faite au roi, et un peu plus tard le jeune comte ou due (c'est ce dernier titre qu'il prend) ratifiait en son propre nom cet abandon par un acte oil il reconnaissait en meme temps la suzerainete de saint Louis (avril 1238). Pierre, qui avait pris la croix, devait accompagner bient6t le roi de Navarre outre-mer. Dans I'intervalle , le roi lui-meme, comme etant le chef redoute des Francs, avait failU tomber victime du fanatisme oriental. En 1236, le cheik des Assassins, le vieux de la Montague, avait eu, dit-on, la pensee de faire perir saint Louis, et il avait envoye en France deux de ses sectaires pour le poi- gnarder. Mais les templiers, 1' ayant su, lui dirent qu'en vain ferait-il tuer le roi de France, puisqu'il avait trois ou quatre freres pour le remplacer ; et le cheik , revenant sur sa resolution, s'etait empresse d'envoyer au roi deux emirs 52 SAINT LOUIS pour I'avertir de se Lenir en garde. Les emirs, heureuse- ment, arrivferent en France avant les deux envoyes. Le roi s'entoura d'une garde d'hommes armes de masses d'airain ; mais le plus sur etait de trouver les Assassins et de les des- armer. C'est k quoi reussirent les emirs, qui revinrent, pour les trouver, jusqu'a Marseille. lis les ramenerent a Paris, corame pour mieux assurer le roi que le contre-ordre avait ete regu, et que desormais il n'avait plus a craindre. Le roi les congedia les uns et les autres avec des presents, et les chargea d'en porter de plus riches encore a leur cheik en signe d'amitie. Par les dernieres transactions avec les comtes de Cham- pagne et de Bretagne, saint Louis venait de consolider I'oeuvre de la regence. Le pouvoir royal etait affermi, et il ne s'affaiblit pas entre les mains qui venaient de le recueillir. II ne faudrait pas croire, en effet, que I'esprit d'abnegation et le desinteressement chretien de saint Louis lui fit negliger les moyens naturels d'affermir et d'accroitre son ascendant ; car c'etait I'instrument legitime du bien qu'il voulait faire. II fortifia Taction de la royaute ; il lui donna un cours plus regulier et une sphere de plus en plus etendue. Louis VllI avait eu le tort de partager les provinces du domaine royal entre tons ses fils. Saint Louis n'alla pas centre la volonte de son pere. II remit a ses freres leur part , a mesure qu'ils arrivaient a I'slge d'en etre pourvus; mais il les retenait groupes autour de son trSne par les liens du devoir, que I'affection rendait plus forts, prevenant ainsi les inconve- nients actuels du partage. 11 travailla meme a augmenter leur puissance, mais cette fois sans dommage pour le royaume, en leur procurant des mariages avantageux. Par la , chacun d'eux allait contribuer a etendre les rapports de la maison royale, k lui preparer des droits de succession qui, t6t ou tard, devaient lui ramener, avec les provinces detachees d'elle, les provinces acquises par ces alliances. Blanche avait fait epouser k son fils Alphonse la fllle unique CHAPITRE IV 53 du comte de Toulouse. Saint Louis maria son frere Robert h la fille du due de Brabant (1237), et plus tard Charles a la seconde fille du comte de Provence, qui devint son heritiere. II veillait avec sollicitude a ce que ses esperances ne fussent pas trompees; par exemple, quand le comte de Toulouse voulut se remarier au grand peril de la succession promise a sa fille. II ne veillait pas moins a ce que les princes ou les princesses qui relevaient de lui ne fissent pas d'alliances qui eussent pu compromettre la securite du royaume. Nous Favons vu a propos du comte de Champagne; on le pent voir encore a propos de la comtesse de Flandre, Jeanne, qui, veuve de Ferrand, eut un jour la pensee de s'unir k Simon de Montfort. Saint Louis connaissait trop bien I'es- prit remuant de ce seigneur, le plus ambitieux des fils du chef de la croisade contre les Albigeois, pour le voir sans crainte a la tete d'une province comme la Flandre. II y fit opposition, et Jeanne epousa Thomas de Savoie. Quant a Simon de Montfort, il s'en consola en epousant la sceur du roi d'Angleterre (1238). II avait deja regu de Henri III le comte de Leicester, dont son pere avait ete depouille par le roi Jean , et le titre de senechal de Gascogne , toutes choses qui le rattachaient de plus en plus a la cour d'Angleterre. Le roi d'Angleterre n'eut pas lieu de s'en applaudir; mais le pays n'y perdit rien, puisque c'est a Simon de Montfort (il n'en faut pas faire honneur a I'amour du fier baron pour les droits populaires) qu'il dut le vrai complement de sa consti- tution : I'entree des communes au parlement. Saint Louis ne negligeait done rien pour affermir son autorite , et il pouvait d'autant mieux pretendre a la faire reconnaitre qu'il mainte- nait plus religieusement lui-meme les droits des autres : droits del'Eglise, des seigneurs, des communes. C'est leprin- cipe qui le guidait parmi les conflits dont il etait I'arbitre : a chacun son droit ; c'est le resultat qu'il obtint pour lui- meme. Nous en avons vu deja quelque chose dans ses rap- ports avec les barons. Des faits qui se rapportent au temps 54 SAINT LOUIS oil nous sommes arrives le montrent de meme dans ses rap- ports avec TEglise. Saint Louis respectait tous les droits de I'Eglise : il respec- tait ses droits au spiritual en fils soumis; il respectait ses droits au temporel, mais non pas sans contr61e; car son devoir etait d'en prevenir les abus. L'Eglise possedait comme tout autre. C'etait la garantie de son independance au moyen eige, et un peu en tout temps : si on ne possede, on risque fort d'etre possede. Mais le saint roi n'admettait pas qu'elle possedeit h d'autre titre qu'un autre. L'Eglise avait des privileges, comme il y en avait un peu partout aussi en ce temps -la; mais il y avait des obligations et des limites qu'elle devait accepter ; et saint Louis etait trop scrupuleux observateur des devoirs de sa charge pour n'y pas tenir la main. G'est I'exemple que la reine Blanche lui avait donne durant sa minorite, non sans quelque roideurni exces, peut-etre, dans ses conflits avec I'archeveque de Rouen, avec I'eveque de Beauvais. G'est la regie qu'il suivit avec autant de fermete dans des occasions semblables; par exemple, a propos d'une excommunication prononcee par I'archeveque de Reims centre les bourgeois de cette ville, pour la defense de droits qu'ils avaient violes. L'archeveque de Reims avait au fond ici raison, et saint Louis le reconnut. Mais etait-il bon de recourir meme en pareil cas a I'interdit? et les eveques n'usaient-ils pas trop souvent de ce moyen pour appuyer leurs pretentions? C'etait le sentiment general. Les seigneurs leur reprochaient vive- ment I'emploi trop peu mesure d'une arme centre laquelle leurs armes etaient impuissantes. En 1235, dans une assem- blee tenue a Saint- Denis devant le roi, assemblee ou figu- raient le due de Bourgogne, les comtes de Bretagne, de la Marche, de Montfort, de VendSme, de Ponthieu, de Ghar- tres, de Saint-Pol, et beaucoup d'autres comtes ou barons, ils redigerent en commun une plainte qu'ils adress^rent au pape. CHAPITRE IV 35 lis y disaient que les prelats refusaient de reconnaitre la cour du roi pour les biens de leurs eglises. lis accusaient les ecclesiastiques en general de s'atlribuer de nouveaux droits au prejudice des barons. lis declaraient qu'ils voulaient con- server les anciens droits de I'Eglise , mais priaient en meme temps le pape de les maintenir, eux et le roi , dans ceux qui leur avaient toujours ete reconnus. En outre, ne se croyant pas obliges a faire dependre leurs resolutions de la decision du souverain pontife sur ces points, ils arreterent : 1° que leurs vassaux n'auraient pas a repondre en matiere civile aux ecclesiastiques, ni aux vassaux de ces derniers, devant le tribunal ecclesiastique ; 2° que si le juge ecclesiastique les excommuniait pour ce sujet, on le contraindrait , par la saisie de son temporel, a lever 1' excommunication ; 3° que les ecclesiastiques et leurs vassaux seraient tenus de se soumettre a la justice des lai'ques dans toutes les causes civiles touchant leurs fiefs , mais non leur personne ( sep- tembre 1235). II n'est pas dit que cet arret ait ete rendu au nom du roi, et Ton ne trouve ni le nom ni le sceau de saint Louis au bas de la lettre que nous avons citee. Mais on pent croire qu'il ne I'a pas desavouee , puisqu'elle fut Texpression des senti- ments de I'assemblee tenue en sa presence ; et pour I'arret, il n'etait que I'application du droit existant. Saint Louis, d'ailleurs, ne manqua jamais de contraindre par les voies legales, c'est-a-dire par la saisie du temporel, les eglises a s'acquitter de leurs obligations civiles envers lui; et il ne voyait pas avec moins de peine Tabus des excommunica- tions. En 1237, il s'en plaignit lui-meme au pape, et le pape manda aux eveques d'en user avec plus de mena- gement. C'est par cet esprit de moderation et de justice que saint Louis voulait etablir I'ordre public et faire regner la paix dans son royaume. La paix, c'etait le grand objet qu'il se proposait en toute chose. II etait chretien avant d'etre roi , 56 SAINT LOUIS et, a ce titre, il devait detester la guerre. La guerre, par un c6te au moins, et souvent par les deux a la fois, est chose antichretienne. Elle nait de Tambition, de la convoi- tise du bien d'autrui , du ressenliment , de la vengeance , et elle precede par le meurtre et la destruction , elle engendre et nourrit la haine. Saint Louis ne voulait ni faire la guerre de lui-meme, ni souffrir qu'on la fit lorsqu'il pouvait I'empe- cher. Diviser pour regner est une maxime qu'il ne connut pas. II cherchatoujours, au contraire, a effacerles divisions, a prevenir les conflits, a reconcilier les cceurs, dut-il meme y mettre du sien et faire des sacrifices ; mais par cet oubli de soi-meme , par ce desinteressement , par ce sincere amour du bien , par cette large application de la pensee chretienne a la politique , il acquit a la France le plus grand et le plus legitime ascendant que jamais elle ait exerce parmi les peuples europeens. II La querelle du sacerdoce et de I'Empire : Innocent III , Othon IV et Frederic II. — Les croisades de 1217 et de 1228. Honorius III, Gregoire IX et Frederic II. Saint Louis ne voulait pas seulement maintenir la paix dans son royaume ; il voulait aussi qu'elle regnSt dans la chre- tiente ; or, a cet egard , il avait beaucoup a faire , car cette epoque etait un temps singulierement trouble, et le pouvoir auquel ce r6le de pacificateur semblait naturellement de- volu etait jete dans des luttes d'oii il avait grand'peine a se tirer. On en etait ^ la derni^re periode de la querelle du sacer- doce et de I'Empire, querelle si acharnee qu'il semblait que I'une des deux puissances dut y perir, sans que Ton put dire laquelle des deux succomberail. Le pape Innocent III , qui avait porte au plus haut degre ART GOTHIQCE — COMMENCEMENT DU XIV= SIECLE . Fig, 20. — Arohiteotnre religieuse. — HSpital d'Ourscampa CHAPITRE VI PERILS DE LA CHRETIENTE A l'iNTERIEUR ET AU DEHORS — INNOCENT IV ET FREDERIC II. — CONCILE DE LYON I Les Tartares et les Karismiens. — Prise de Jerusalem. — Saint Louis prend la croix. aint Louis avait donne la paix au royaume. Pour la rendre durable, il s'efforQait de la faire regner dans les cceurs. La derniere guerre etait presque une guerre civile, et il I'en est pas qui laisse apres soi plus de ressentiments. Le comte dela Marche, qui I'avait provoquee, etait, depuis sa defaite, I'objet de maintes represailles. Un chevalier I'accusa de crime au tribunal du comte de Poitiers et du roi , ou plut6t du comte de Poitiers d'abord , dont Hugues etait le 92 SAINT LOUIS vassal, et, comme il niait, il lui presentason gant, s'enga- geant ci prouver par les armes, devant la cour du roi, la verite'de I'accusation. Jamais cette sorte de preuve ne s'etait produite dans des circonstances plus choquantes : le cheva- lier etait jeune et renomme par sa bravoure ; le comte vieux deja, et, fut-il innocent, hors d'etat de triompher sans un miracle , et pourtant , sous peine de s'avouer coupable , il dut accepter le defi. Le fils aine du comte, I'apprenant, se recria centre I'inhumanite de ce duel inegal ; il demandait a prendre la place de son pere. Mais Alfonse, dont la victoire n'avait pas desarme la haine , s'y refusa , disant : « II combattra pour lui-meme , afin qu'il soit prouve qu'il n'est pas moins souille de crimes que charge d'ans. » Le jour et le lieu furent desi- gnes ; heureusement , dans I'intervalle , les seigneurs s 'inter- poserent, etl'on put croire que saint Louis, qui devait plus tard abohr cette sorte de duel, ne fut pas le dernier a mena- ger a cette querelle un autre denoument : car on dit que le comte quitta la cour avec joie, et fut plus que jamais attache a la souverainete de la France. Mais cette paix que saint Louis avait ramenee et qu'il raf- fermissait en France , elle etait ebranlee partout ailleurs. La chretiente etait dechiree a I'interieur, menacee au dehors , et ce double mal , dont nous avons signale dans les annees pre- cedentes le funeste concours , allait prendre des proportions plus larges. La lutte de I'Empire et de la Papaute se reveil- lait avec le caractere d'une guerre d'extermination , et la chute de Jerusalem allait presager la fin de la domination des Chretiens en Orient. Nous avons vu I'impression d'effroi qu'avait produite la premifere apparition des Tartares. Elle n'avait fait que s'ac- croitre avec le progres de leurs devastations. Apres avoir parcouru et saccage la Russie dans toutes les directions, menace Novogorod au nord, pris Kiew, Kaminiec et Wla- dimir a I'ouest, ils avaient penetre en Pologne (1240), brule Lublin, Gracovie. Vainqueurs de Henri, due de Breslaw, CHAPITRE VI 93 pr^s de Liegnitz, ils avaient ravage la Silesie, la Moravie, puis, franchissant les Carpathes, ils s'etaient jetes sur la Hongrie. lis avaient remporte sur les Hongrois una victoire qui leur livra tout le pays au nord du Danube ; I'hiver sui- vant, passant le fleuve sur la glace, ils avaient force la ville de Gran ou Strigonie (mars-avril 1241), et, selon leur cou- tume, massacre les habitants. L'Allemagne leur etait ou- verte; en France, on la voyait deja traversee, et saint Louis, resolu au combat , ne se dissimulait pas quelles en pouvaient Stre les suites. Comme sa mere se faisait aupres de lui I'echo des terreurs qui regnaient dans le pays : « Que les consolations celestes nous soutiennent , 6 ma mere ! lui dit-il : car si cette nation vient sur nous , ou nous ferons rentrer ces Tartares , comme on les appelle , dans leurs demeures tarta- reennes d'ou ils sont sortis, ou ils nous feront tons monter au ciel. » On se preparait done a les recevoir de pied ferme ; mais I'Europe occidentale eut ete fort compromise, si les Tartares n'avaient disparu tout a coup , rappeles par quelque revolu- tion aux frontieres de la Chine. Tandis que ces hordes ravageaient et menagaient I'Eu- rope, d'autres s'etaient repandues dans I'Asie occidentale; ils avaient pris et saccage Erzeroum, Arzingham, recevant les habitants a capitulation pour les massacrer plus a I'aise. lis ne distinguaient ni race ni religion , et Ton avait vu dans ce commun peril les musulmans implorer les secours des Chretiens. Les Turcs d'Iconium s'etaient adresses a Constan- tinople : vain appel , car Constantinople n'avait pour soi que sa position, et elle tremblait elle-meme derriere ses mu- railles. Les Turcs de Syrie, de Palestine et d'Egypte n'a- vaient pas moins redoute que ceux d'Asie Mineure I'attaque de ces nomades, et la nouvelle des derniers evenements leur avait fait craindre a eux-memes que leur tour ne fut venu. Saleh-Ayoub, I'ancien prince de Damas, devenu sultan d'Egypte , se rapprocha meme d'Ismail , qui lui avait enleve 94 SAINT LOUIS Damas, oubliant ses griefs personnels pour opposer une digue plus forte ^ I'invasion. Mais le p6ril paraissant ajourne par la retraite des Tartares, il etait revenu h la pensee de regagner ce qu'il avait perdu, et pr^tendait retablir I'an- cienne union de I'Egypte et de la Syrie. Les princes de Syrie se trouvaient tous interesses h le combattre, et, pour s'as- surer du concours des Chretiens, ils leur rendirent (1243) Jerusalem et toutes les places reperdues par eux depuis I'expiration de la treve conclue avec Frederic. Cette restauration fut bien ephemere : le sultan d'Egypte repondit a la ligue par un acte qui allait ravir a jamais aux Chretiens les saints lieux. 11 s'unit, non pas aux Tartares, mais aux Karismiens, dont les Tartares avaient, des leurs premieres courses en Asie , detruit I'empire ; qui s'etaient re- leves et qui , chasses une seconde fois de leur pays , erraient sur les bords de I'Euphrate, portant le ravage a leur tour dans le pays des autres. Les Karismiens, seduits par I'offre de s'etablir en Palestine, vinrent au nombre de vingt mille cavaliers, emmenant leurs femmes et leurs enfants, et en- trainant apres eux d'autres populations qui s'attachaient a leur fortune, lis arriverent aux frontieres du petit royaume de Jerusalem , sans que Ton se douteit de I'invasion , enlev^- rent Saphet et Tiberiade, et marcherent sur la viUe sainte. Les Chretiens , trop peu nombreux pour resistor, firent appel a leurs allies de Damas et de la Chamelle, et, ce secours meme n'arrivant pas, ils prirent le douloureux parti de quitter la ville qu'ils ne pouvaient defendre. Tandis qu'ils fuyaient vers Jaffa, emmenant leurs families, les Karis- miens entraient a Jerusalem. Mais ceux-ci ne se resignerent pas k perdre la proie qui leur echappait : maitres de la ville, ils arbor6rent au haut des tours les etendards memos des Chretiens, pour faire croire aux fugitifs que, par quelque miracle, le peu d'habitants resles dans la place avaient pu la sauver de I'invasion. Les Chretiens se laiss^rent prendre au piege. lis revinrent pour la plupart k Jerusalem ; k peine CHAPITRE VI 9b y etaient-ils entres que les Karismiens, se montrant tout a coup, les envelopp6rent dans leurs propres murailles. Les Chretiens s'y defendirent quelques jours encore, et quand il devint impossible de tenir plus longtemps , ils tach^rent d'e- chapper h la faveur des tenebres, en gagnant les montagnes. ReQus en ennemis par les Sarrasins qui les habitaient en- core, ils furent poursuivis et rejoints par les Karismiens , qui les taillerent en pieces. Apres cela les Karismiens revinrent a Jerusalem , et acheverent leur ceuvre en egorgeant les en- fants , les vieillards , les infirmes et les femmes , qui avaient cru trouver un refuge dans I'eglise du Saint-Sepulcre (1244). Tons les Chretiens n'etaient pas dans Jerusalem. La perte de la ville sainte, la mort d'un si grand nombre de fr^res, victimes de la perfidie et de la cruaute de I'ennemi , deman- daient vengeance. Templiers et hospitallers s'unirent cette fois k la voix du patriarche ; et les princes musulmans , dont plusieurs avaient dej^ eu a souffrir du voisinage des Karis- miens, avaient interet a ne pas laisser s'etablir au milieu d'eux ces dangereux allies de I'Egypte. Mais les Egyptiens vinrent k leur secours , et furent vainqueurs k Gaza. Ils prirent en leur propre nom Ascalon, Jerusalem, et, tra- versant sans resistance toute la Palestine , ils vinrent assie- ger Damas, qui dut se rendre, malgre I'appel d'Ismail au calife de Bagdad. L'Egypte prevalait done encore. Quant aux Karismiens, ces redoutables auxiliaires dont elle s'etait servie pour battre en breche I'alliance des Chretiens et des princes de Syrie, ils n'etaient surs pour personne. Abandonnes par les Egyptiens, battus par le prince d'Emese, ils disparaissent en 1247 de la Palestine , extermines pour la plupart , ou , s'ils en sortent , c'est en si petit nombre qu'on ne les signale plus en aucun lieu. Ce peuple , qui s'evanouit si vite , avait , dans son rapide passage, porte a la chretiente un coup qui retentit jusqu'aux extremites de 1' Occident. Quand la nouvelle de la prise de 96 SAINT LOUIS Jerusalem parvint en France, saint Louis etait malade, et son mal , dont le principe remontait a son expedition de Sain- tonge, prit bientdt un caractere si grave qu'on desespera de le sauver. Le deuil etait universel. On rassemblait le peuple dans les eglises , on faisait des processions , on expo- sait les plus precieuses reliques des saints , et notamment les corps de saint Denis et de ses compagnons , comme protec- teurs des rois de France. Et aucun signe de mieux ne se ma- nifestait dans I'etat de I'auguste malade. Un instant meme on le crut mort, et I'une des deux femmes qui le gardaient voulait lui tirer le drap sur la face. Mais les larmes de sa mere, les prieres de tout son peuple, obtinrent du Ciel la prolongation d'une vie en laquelle reposaient tant d'espe- rances. II poussa un soupir, remua les bras et les jambes, et reprenant la parole : « Par la grelce de Dieu, dit-il, I'Orient m'a visite d'en haut et m'a rappele d'entre les morts. » Un peu apres, il demanda I'eveque de Paris, qui vint avec I'eveque de Meaux : « Seigneur eveque, dit-il, je vous prie de me mettre sur I'epaule la croix du voyage d'outre-mer. » Les deux eveques teicherent de Ten detourner par les rai- sons les plus graves; sa mere, sa femme, le priaient a ge- noux d'attendre au moins qu'il fut gueri : mais il protesta qu'il ne prendrait rien avant d'avoir regu la croix; et I'eveque, requis de nouveau, la lui donna en versant des larmes.' Sa mere n'en eut pas moins de peine que si elle I'avait vu expi- rer ; tons pleuraient : il leur semblait que ce bon roi qu'ils avaient pense perdre leur fut ravi pour cette fois a jamais. Saint Louis , au contraire , avait la joie peinte sur la figure ; il baisa la croix, la mit sur sa poitrine, et dit que d^s ce moment il etait gueri. GHAPITRE VI 97 II Innocent IV et Fr^d^ric II. En ce temps ou les Francs d'Orient avaient tant besoin de secours, I'Europe etait bien peu en mesure de leur en donner. La lutte de I'Empire et de la papaute arrivait, je I'ai dit, a son moment le plus decisif. Quand nous avons quitte cette histoire il semblait que I'Empire eut triomphe. Frederic II I'avait emporte ^ la fin sur Gregoire IX. Le concile que Gre- goire IX avait convoque avait ete disperse avant meme de se reunir ; les prelats qui le devaient former , enleves en mer, jetes en prison; et le vieux pape n'avait guere survecu a cette ruine de ses esperances. Un conclave ne s'etait tenu que grslce a Frederic, qui mit deux cardinaux en liberte sous condition. Or le pape elu n'avait vecu que dix-huit jours; et apres lui nuUe reunion de cardinaux ne fut plus possible : le saint-siege demeurait vacant. L'Empereur restait done seul; mais il craignit que cet etat de choses , dont il s'accommodait pour lui-meme, ne soulevSt centre lui toute la chretiente. On voyait trop la main qui suscitait les obstacles. II laissa done les cardinaux; se reunir. II acceptait un nouveau pape, k la condition toutefois de le faire , et il choisit k cette fin un ami dont il se croyait sur, Sinibald de Fiesque, cardinal -pretre du titre de Saint-Laurent in Lucina. Son protege ne lui cacha point que, s'il etait elu, il deviendrait son ennemi. Mais Fre- deric ne voulut point croire a ses declarations, et Sinibald fut elu le 24 juin 1243, sous le nom d'Innocent IV. II devait tenir, et au dela de toute attente, ce qu'il avait promis. Ses premiers actes sent d'une eime qui sent sa faiblesse en presence d'une telle charge. II ecrivit au chapitre de Citeaux pour demander les pri^res des moines. II temoigna 7 98 ■ SAINT LOUIS qu'il voulait user en tout d'indulgence. A la pri^re de saint Louis , il ecrivit k son legat de donner I'absolution au comte de Toulouse, et il revoqua lui-meme par une bulle I'excom- munication que les inquisiteurs avaient prononcee centre lui , comme fauteur d'heresie. II raandait en outre aux inquisi- teurs de France de proceder avec moins de rigueur et de recevoir ceux qui abjureraient volontairement I'h^resie, sans leur imposer aucune peine, ni publique ni secrMe. Frederic esperait bien que le pape ne serait pas plus severe a son egard. II lui demanda done de le relever des sentences portees contre lui. Mais la question n'etait pas aussi simple. II ne s'agissait pas seulement de doctrines ; il s'agissait des droits que Frederic , comme empereur et roi des Remains , pretendait avoir et sur Rome et sur les villes de la Couronne de fer. Or Innocent IV, et comme pape et comme Genois, n'etait pas dispose a accueillir sur ce point ses reticences et ses reserves. Les negociations pouvaient done difficilement aboutir, et Frederic ne tarda point a jeter le masque. Innocent IV vit alors que le debat ne se resoudrait qu'au prix d'une lutte nouvelle. Mais comme I'Empereur avait la force, que I'ltalie enti^re etait sous sa main, et que, dans ces conditions , Rome meme n'etait point pour la papaute un asile assure, il en sortit, et s'enfuit sous un deguisement a Civita-Vecchia, ou des vaisseaux genois I'attendaient pour le mener a Genes (28 juin 1244); puis, comme Genes meme pouvait etre bloquee, il en partit secretement pour gagner Asti, d'ou il passa en Savoie, se dirigeant vers la France. II s'arreta & Lyon, ville libre situee aux frontieres de la France et de I'Empire. 11 voulait, comme I'avait voulu Gregoire IX, sou- mettre le debat k la decision d'un concile , et il entendait le reunir en un lieu ou il ne serait pas si facile a Frederic de lui faire obstacle ou de le disperser. Lyon lui offrait cet avan- tage; car si la ville n'appartenait pas h la France, elle en etait assez proche pour que le pape eut I'assurance d'y etre sous la protection des Frangais. VIII ART ITALIEN — ECOLE FLORENTINE — XV" SIECLE « Saint Thomas d'Aquin montrant k saint Louis le couronnement de la Vierge par le Verbe incarne. u Ces deux personnages sent tires du CouronnemenC de FraAngelioo (1387-1455), qui est conserve au Musee du Louvre. = On avait cru longtemps que le personnage couronn^ etait Charlemagne : M. Cartier n'a pas eu de peine, en son « Histoire de Fra Angelico, » a monlrer que cette figure est celle de saint Louis. Dessin6 par Bocourt , gravS par Chapok. CHAPITRE VI 99 III Concile de Lyon. — Deposition de Freddric II. G'est vers ce temps qu'arrivait en Europe le bruit du desastre des Francs en Palestine. Sous I'impression de cette fatale nouvelle, une meme pensee reunit d'abord le pape et I'Empereur. Frederic II ecrivit a tons les princes Chretiens pour leur representer la situation de la Terre-Sainte. Roi de Jerusalem et empereur, il avait un double titre pour en em- brasser vivement la cause. Innocent IV en fit le premier objet du concile qu'il convoqua pour le 24 juin 1245 a Lyon. II est vrai qu'il y en avait un autre : I'affaire de Frederic ; et les deux objets etaient loin de se preter un mutuel appui. Ses lettres de convocation ne s'adressaient pas seulement aux prelats, mais aussi aux rois et aux princes de la terre. Pour Frederic, il ne I'invitait pas a y assister : il le sommait de comparaitre, et meme, pour repondre a de nouvelles in- jures , il le denongait a la chretiente entiere comme excom- munie , declaration qu'il fit publier dans les eglises durant le careme. L'Empereur aurait assurement tout fait pour empecher le concile de se reunir cette fois comme jadis ; mais cela n'etait plus en son pouvoir, et il n'y avait pas moyen de le recuser a I'avance. II tint une diete a Verone (juin 1245), oii il decida qu'il enverrait des orateurs avec pouvoir de le representer au concile; et il avait deja charge le patriarche d'Antioche de reprendre la suite des negociations. Mais I'heure en etait passee. Pour le pape, il ne s'agissait plus que de conclure. Le concile se reunit au temps marque. Innocent IV, sans attendre que tous les prelats fussent arrives , I'ouvrit le mer- credi 28 juin 1245, dans le refectoire de I'abbaye de Saint- Just. Le pape, resumant I'ensemble des questions qu'il devait soumettre aux deliberations des P^res, dit qu'il avait cinq 100 SAINT LOUIS grands sujets de douleur : 1° les d^sordres des prelats et de leurs subordonnes ; 2° I'insolence des Sarrasins ; 3° le schisme des Grecs ; 4° les cruautes des Tartares ; 5° la persecution de Frederic. La r^forme de I'Eglise mise k part , les quatre autres points se reduisaient ci deux : la croisade et I'Empereur. Pour la croisade, les patriarches de Constantinople et d'Antioche faisaient le tableau du triste etat des Chretiens en Orient; et I'eveque de B^ryte (Bai'routh) lut la lettre que les prelats de Palestine adressaient a leurs freres d'Occident sur le triomphe des infideles, afin d'implorer leur secours. Quant h I'Empereur, il avait envoye Thaddee de Suesse pour le repre- sentor, et ce dernier, repondant aux griefs du pape , declara que son maitre etait dispose a faire tout ce qu'on pouvait souhaiter de lui. Mais le pape savait quel fond on devait faire sur ces promesses precedees de telles excuses : il fal- lait plus que des paroles , il fallait des actes ; et I'absence de I'Empereur 6tait par avance tout credit au langage de son envoye. II y avait contre I'Empereur un grief qui devait etre sen- sible k toute I'assemblee. C'est la violence dont il avait use envers les prelats convoques au concile par Gregoire IX. Ici le fait etait patent, et il etait difficile de repondre a la plainte que plusieurs eveques de I'Espagne en exprimerent a la deuxieme session (seance), le mercredi 5 juillet. Thaddee, I'ayant voulu faire, eut tout le monde contre lui. Les dispo- sitions du concile s'accusaient done de plus en plus ; et I'en- voye de I'Empereur sentait qu'il ne lui restait qu'un parti a prendre : gagner du temps. II demanda un ajournement : il annongaitl'intention d'inviter I'Empereur ^venir en personne; et le pape , devant les manifestations des ambassadeurs d'An- gleterre et de France, qui cherchaient des voies d'accommode- ment, agrea un delai de douze jours. Ce dernier terme expire (17 juillet), Frederic n'etait pas venu, et tout le monde savait qu'il etait inutile de I'attendre. La troisi^me session s'ouvrit CHAPITRE VI 101 done, et le concile y resolut les diverses questions qui avaient ete posees au debut par le pape et traitees par les Peres dans I'intervalle : notamment ce qui concernait les Chretiens d'Orient. Le pape montrait , dans les diverses me- sures qu'il presenta au concile, la meme sollicitude pour Constantinople et pour la Terre-Sainte. Mais Taffaire capi- tate etait celle de Frederic II. 11 n'etait pas venu. 11 annon- Qait seulement I'envoi de trois fondes de pouvoirs : I'eveque de Frisingen, le grand maitre teutonique et Pierre de la Vigne, son chancelier. Or ces envoyes memos n'arrivaient pas, et il etait trop evident que le concile n'allait pas les attendre. Devant I'imminence de la condamnation , Thaddee recourut a un moyen desespere. II en appela au pape futur et h un concile plus general. Mais quel concile plus general attendre, puisque les princes comme les eveques y avaient ete appeles, et que ceux-la seuls etaient absents que Fre- deric avait empeches de venir'J C'est ce que remontra le pape, et, apres un long discours ou il rappelait I'affection, les menagements qu'il avait eus longtemps pour Frederic, il reprit I'enumeration de ses griefs et prononga la sentence. Par cette sentence, il le declarait rejete de Dieu : il le depouillait de ses honneurs, degageait ses sujets de leur ser- ment de fidelite, leur defendant de lui obeir comme empe- reur, comme roi de Sicile, ou a tout autre titre. II declarait egalement excommunie quiconque lui viendrait en aide , au- torisait les prince de FEmpire a elire un autre empereur, et se reservait a lui-meme de pourvoir au royaume de Sicile. La sentence lue, le pape se leva, entonna le Te Deum, et le concile se separa. Ainsi le concile de Lyon avait repondu a la double attente d'Innocent IV. De I'aveu des Peres assembles , I'excommu- nication avait frappe Frederic, et la croisade etait prechee centre les infideles. De ces deux choses I'une ne pouvait qu'entraver I'autre. Pour que les mesures decretees en fa- vour des Chretiens d'Orient portassent leur fruit, il fallait 102 SAINT LOUIS que toutes les forces de 1' Europe agissent de concert ; mais le peril le plus grand etait , aux yeux du pape , celui qui me- nagait la chretiente a I'interieur. II fallait vaincre I'ennemi qu'elle avait dans son sein pour qu'elle put recouvrer le plein exercice de sa force et I'employer contre I'etranger. G'est la pensee qu'il avait fait prevaloir a Lyon et qui devait dominer la suite des evenements. rig. 21. — Sculpture religieuBe. — Le jugement dernier; les da]nn6s (cattaidrale d'AmioBs). Pig. 22. — Architecture militaire. — Les fortiflcations de Carcassonne. CHAPITRE VII SUITES DU CONCILE DE LYON Situation de I'Europe apres le concile de Lyon. Es deux guerres dont le concile de Lyon avail donne le signal, guerre contre I'Empereur, guerre contre les infideles , I'une , par son ca- ractere, devait bien plus que I'autre exciter les passions et , par la force des choses , attirer a soi I'attention des peuples europeens. Comment songer a Jerusalem, quand il s'agissait de savoir si I'Empire demeu- rerait a Frederic ou Rome au pape? L'ltalie et I'AUemagne etaient trop interessees a la question pour avoir le loisir de s'occuper d'autre chose. Restaient I'Angleterre et la France. Mais saint Louis ayant pris la croix, Henri III en fut d'au- tant moins dispose a le faire. La treve entre la France et I'Angleterre allait finir, et le roi d'Angleterre esperait peut- 104 SAINT LOUIS etre trouver dans Teloignement du roi de France quelque occasion d'en profiter. Saint Louis devait done etre seul a supporter le poids de cette expedition. II n'en fut pas ebranle. Sur sa demande, le pape lui avail envoye, a titre de legat, le cardinal de Tus- culum, Eudes de Chateauroux, pour precher la guerre sainle. Le roi tint a cette occasion un parlement h Paris, dans I'octave de la Saint- Denis. Le legat s'y trouvait avec grand nombre de prelats et de seigneurs, et plusieurs des plus considerables prirent alors la croix : les trois freres de saint Louis; Pierre Mauclerc et le comte de Bretagne son fils ; le comte de la Marche et son fils aine ; le due de Bour- gogne ; le due de Brabant ; Marguerite, comtesse de Flandre, et ses deux fils; les co rates de Saint -Pol, de Bar, de Be- thel , de Soissons , et , entre beaucoup d'autres seigneurs , le sire de Joinville, Tincomparable historien de la eroisade. Le nombre des eroises alia s'augmentant chaque jour. Le roi aidait lui-meme aux predicateurs , en faisant leur office; et voici le pieux stratageme dont il aurait use, au dire de Matthieu Paris , pour prendre les plus recalcitrants dans ses filets : « Aux approches de I'illustre fete de la naissance du Sei- gneur, jour oil les grands ont coutume de distribuer aux gens de leur maison des habits neufs de rechange que. nous appelons vulgairement robes nouvelles, le seigneur roi de France, qui portait, pour ainsi dire, le drapeau de la croix, remplit d'une fagon tout extraordinaire I'office de predicateur et de procurateur de la eroisade. II fit confectionner en drap trfes-fin des capes et tout ce qui en depend, en bien plus grand nombre qu'il n'avait coutume de le faire , les fit orner avee des fourrures de vair, ordonna qu'^ I'endroit des capes qui couvre I'epaule on cousit des fils d'or tres-delies en forme de croix, et veilla prudemment a ce que ce travail se fit en secret et pendant la nuit. Le matin, quand le soleil n'etait pas encore leve, il voulut que ses chevaliers, revetus des CHAPiTRE VII lOS capes qu'il leur donnait, parussent a I'eglise pour y entendre la messe avec lui. Ceux-ci obeirent, et, pour ne pas Mre ac- cuses de somnolence ou de paresse, se rendirent de grand matin k I'eglise ou Toffice devait se celebrer ; mais, lorsque les rayons de I'astre brillant eurent rendu la couleur aux objets, et comme, selon le proverbe de Perse, « la besace « est mieux vue par derriere , » chacun s'apergut que le signe de la croisade etait cousu sur I'epaule de son voisin. Alors I'etonnement fut joyeux, et tous comprirent que le seigneur roi s'etait pieusement joue d'eux et les avait trompes, rem- plissant ainsi un r61e nouveau et inoui de predicateur, et pre- chant plut6t en actions qu'en paroles. Or, comme il leur pa- raissait indecent, honteux et meme indigne de rejeter ces habits de croises , ils se mirent a rire , mais sans se moquer, en versant des larmes abondantes et joyeuses, et ils appe- lerent le seigneur roi de France , a cause de ce stratageme, chasseur de pelerins et nouveau pecheur d'hommes. » Les chevaliers disaient vrai de leur roi ; et saint Louis con- naissait bien les Frangais. La difficulte n'etait pas d'entrainer les Frangais ; elle etait, comme je I'ai dit, dans la situation de I'Europe et dans les troubles que la sentence de Lyon avait pu faire prevoir. II Continuation de la lutte d'lnnocent IV et de Frederic II. — Entrevue de Cluny. — Mariage de Charles d'Anjou. — Nouvelle d-marche de Frederic II. Le pape, en declarant Frederic dechu du tr6ne, avait fait appel a I'insurrection , et Frederic avait accepte le defi. A la nouvelle de sa condamnation , il ne put maitriser sa fureur. « Le pape dans son concile m'a prive de ma couronne , s'e- cria-t-il; d'ou lui vient tant d'audace? » Et melant I'ironie a la colere : « Oia sont les coffres qui contiennent mon tresor? » 106 SAINT LOUIS On les lui apporta , il les ouvrit , et montrant ses couronnes : « Voyez si je les ai perdues, » dit-il. II en prit une, se la mit sur la tete, et, se levant ainsi couronne : « Je n'ai pas encore perdu ma couronne et je ne la perdrai point, soit par les efforts du pape , soit par ceux du concile , sans un sanglant combat. » Dans la premier elan de sa colore, il ecrivit a tous les princes une lettre ou , leur montrant leur propre dignite ra- valee en sa personne , il cherchait a son tour a les entrainer par un sentiment d'interet commun dans sa lutte contre I'Eglise. Les princes, s'ils n'etaient pas disposes a le sou- tenir, n'etaient pas non plus d'humeur a le combattre. Mais qu'allait faire saint Louis? Frederic avait compris combien il lui importait de gagner son suffrage et son appui moral en pareille circonstance. II ne se borna pas a lui adresser une lettre comme aux autres ; il lui deputa Gautier d'Ocre et Pierre de la Vigne , son chancelier. II voulait remettre , tant il avait confiance dans sa haute justice, T affaire entiere entre ses mains, s'engageant a faire a I'Eglise toutes les satisfac- tions que lui et les barons de France estimeraient dues. II promettait que, la paix une fois assuree, il irait en Orient, ou y enverrait son fils Conrad, soit avec saint Louis, soit sans lui , si le roi de France preferait demeurer en Occident pour mieux garantir la paix qu'il aurait faite. II affirmait que la Terre-Sainte n'y perdrait rien, et s'engageait a ne point poser les armes qu'il n'eut reconquis tout ce qui avait jamais ete au royaume de Jerusalem. Ces promesses etaient assurement de nature a seduire saint Louis. La paix dans la chretiente, la protection des saints lieux, c'est tout I'objet qu'il se proposait; et la de- marche de Frederic pouvait faire croire a sa sincerite. II ne lui eut pas ete aussi facile de manquer k ses engagements, quand il se serait lie non plus seulement envers le pape, mais envers le roi de France pris par lui comme arbitre au debat. Mais il exigeait deux choses : que le pape revoquSt au CHAPITRE VII 107 prealable sa condamnation , et qu'il lui abandonnSt les Lom- bards : or, le dernier point surtout, qui etait I'origine de la querelle, il ne pouvait guere se flatter de I'obtenir. Cette lutte recommenga done plus implacable. Saint Louis voulut pourtant encore essayer d'operer la conciliation. Des messages eussent indefiniment prolonge le debat. II resolut d'en conferer avec le pape personnellement et I'invita a se rendre a Cluny. Innocent IV y etait depuis quinze jours , quand arriva le roi , accompagne de sa mere , de ses trois freres, de sa sceur Isabelle et d'un tres -grand cortege (no- vembre 1245). Le pape lui-meme n'etait pas moins magni- fiquement escorte : le jour de la Saint-Andre (30 novembre), lorsqu'il dit la messe devant le roi, il avait autour de lui douze cardinaux, les patriarches d'Antioche et de Constan- tinople, et dix-huit eveques qui n'avaient pas encore pris possession de leurs sieges. Plusieurs autres princes avaient voulu se trouver a cette rencontre du pape et du roi ; et tous avec leur suite avaient pu se loger dans I'abbaye, sans que les religieux eussent besoin de quitter leslieux qu'ils habitaient. Saint Louis y confera quinze jours avec Innocent IV. La conference fut tres - secrete. Mais on pent supposer que le roi ne negligea point de travailler a la reconciliation du pape et de Frederic. Matthieu Paris dit meme qu'avant de se separer ils convinrent d'une autre conference a laquelle ils tacheraient de faire que Frederic assistat. Pendant tout ce sejour, le roi traita le pape avec les plus grands honneurs ; avant de le quitter, il regut de lui une absolution generale en vue de son depart pour la croisade. G'est a cette guerre qu'il eut voulu entrainer tout le monde, et deja il travaillait a preparer le royaume a son absence, a prevenir les perils qui en pouvaient provenir. Les barons de France et d'Angleterre se ressentaient encore de leur origine commune ; ils avaient dans I'un et dans I'autre pays des terres qui leur imposaient, en cas de lutte, des obligations contradictoires. Des Tan 1244, saint Louis les avait invites a 108 SAINT LOUIS choisir entre I'un ou I'autre royaume , rappelant la maxime : et ces renonciations r^ciproques lui dbnnferent, sans aucun doute, le moyen d'assurer a chacun des compensations. II termina alors una affaire qui, en ajoutant a la gran- deur de sa maison, preparait celle de la France. Le comte de Provence, nous I'avons vu, avait quatre filles. L'ainee, Marguerite, avait ete mariee a saint Louis; la seconde, Eleonore, h Henri III; la troisieme, Sancie, menee recemment en Angleterre par sa mere , y avait epouse Richard, Mre de Henri III. Restait la quatrieme, Beatrix, et c'est a elle que le comte, jaloux de laisser son pays inde- pendant , voulait transmettre tout son heritage. Le comte de Toulouse, qui recherchait tant un mariage dont les suites eussent pu ravir son comte aux esperances de la maison de France , trouvait la une excellente occasion d'agrandir son domaine, en attendant qu'il lui assurat un autre heritier. II avait rencontre le comte de Provence a Lyon pendant le concile, et le pape avait promis les dis- penses; mais le comte de Provence mourut avant que le projet se realisSt (19 aout 1245). Sa mort allait changer com- pletement la situation. Saint Louis, comme ayant epouse l'ainee des filles de Raymond Berenger, aurait pu revendi- quer sa succession en totalite ou du moins en partie; mais sa conscience lui eut reproche de s'adjuger toute une pro- vince dont I'heritage n'avait pas ete assure a sa femme quand il I'epousa, et la politique s'opposait a I'idee d'y introduire les princes anglais par un partage. 11 entra done dans les vues des Provengaux, qui souhaitaient de rester indepen- dants. Seulement il voulait que Theritage echut avec I'heri- ti^re, non au comte de Toulouse, mais a son propre frfere Charles d'Anjou. La conduite des affaires en Provence etait aux mains de Romee de Villeneuve, le principal conseiller de Raymond Berenger. 11 comprit bien que pour garder I'independance CHAPITRE VII 109 du pays avec Beatrix, il ne fallait pas lui faire contracter un manage qui eut ete un deii porte au roi de France. II accueillit toutes les vues de saint Louis ; il dissimula avec le comte de Toulouse , qui , trompe dans son espoir, aurait pu recourir a la violence , et le pressa de venir en diligence et sans troupes, comme pour cviter de donner I'eveil a per- sonne. Le comte vint vite ; mais on trouva mille raisons pour trainer en longueur. Sur ces entrefaites, le pape, soUicite par les trois soeurs de Beatrix en meme temps , refusait les dispenses : I'entrevue de Cluny, qu'il avait eue dans I'inter- valle avec saint Louis, avait sans doute ainsi change ses resolutions. Avec le comte de Toulouse, il y avait encore le roi d'Aragon , qui , seigneur de Montpellier, convoitait pour son fils I'heritiere de Provence ; et il vint, dit-on, a Aix avec une armee pour donner plus de force au jeune pretendant ; mais saint Louis envoya en Provence une partie des troupes qu'il avait amenees a Cluny, et le roi d'Aragon n'insista pas. Toute contrainte etant ainsi ecartee, la jeune princesse fut remise par sa mere aux mains des deputes de saint Louis, et Charles, agree pour epoux, prit le chemin de la Provence. Le comte de Toulouse esperait encore, et il deputait au- pres de la reine Marguerite pour qu'elle I'appuyat, quand son envoye rencontra Charles qui venait epouser la prin- cesse. C'etait encore un mariage manque. On dit qu'apres avoir echoue tant de fois aupres des fiUes des seigneurs de France, il vint en Espagne, et que, rencontrant a Saint- Jacques de Compostelle une dame etrangere, il eut dessein de I'epouser. Mais cela ne se fit pas davantage, et « ainsi, dit Tillemont, il parut que Dieu ne voulait point qu'il eut d'autres heritiers que Jeanne, femme d'Alphonse » (frere de saint Louis). Charles apportait en Provence des lettres par lesquelles saint Louis consentait que le comte demeureit sans aucun partage k la princesse dont il allait faire sa femme. Le ma- 110 SAINT LOUIS riage fut celebre le 31 Janvier 1246, en pre&ence de la mere et des trois oncles maternels de la fiancee (Amedee, comte de Savoie, Thomas, I'ancien comte de Flandre, et Philippe, archeveque de Lyon), au miheu de la joie de tout le peuple, heureux de voir maintenue ct consoUdee par 1^ son indepen- dance. Charles amena la jeune comtesse en France, et, le jour de la Pentec6te (27 mai), saint Louis tint a Melun un parlement ou il le fit chevalier. Un trait prouva en cette cir- constance I'humeur alti^re de Charles d'Anjou. On dit qu'il se plaignit a sa mere qu'on n'eut point , en cette occasion , deploye autant d'appareil qu'au mariage du roi son fr^re, puisqu'il etait flls de roi et de reine, et que saint Louis ne Tetait pas. Comme il etait ne depuis que son pere etait monte sur le trdne, il se faisait de cette circonstance un avantage qu'il opposait au droit d'ainesse de saint Louis. Au miheu de ces soins , le pieux roi ne perdait pas de vue la mediation ou il s' etait engage entre le pape et TEmpereur; car c'etait la le point capital pour I'Europe et pour la Terre- Sainte ; et malheureusement les choses de ce c6te ne s'ame- lioraient pas. Saint Louis avait envoye au pape les eveques de Senlis et de Bayeux pour lui offrir ses bons offices. Le pape dans sa reponse (c'est par elle que Ton connait la de- marche du roi), apres leur avoir rappele tout ce qu'il avait fait pour ramener Frederic avant le concile de Lyon , se de- clarait pret encore a le recevoir, s'il revenait a I'unite de I'Eglise. Que pouvait-il faire davantage? et pourtant Fre- deric prenait cette reponse pour un refus , et de son cote il remontrait a saint Louis que, ses envoyes n'ayant rien ob- tenu de la cour de Rome dans la poursuite du but que I'un et I'autre se proposaient, cette commune injure devait les unir plus etroitement pour le maintien de leurs droits temporels (fin novembre 1246). Cette invitation n'etait pas de nature a entrainer le roi ; mais une lettre ecrite par Frederic aux barons de France avait eu plus d'effet sur leurs esprits. Matthieu Paris raconte CHAPITRE VII 111 qu'un grand nombre de seigneurs se reunirent, at firent serment de ne souffrir qu'aucun lai'que fut ajourne devant les cours ecclesiastiques , sauf les cas d'heresie, de mariage et d'usure. Des fonds etaient faits pour soutenir cette ligue , et quatre seigneurs des plus grands de France , charges d'y tenir la main : Pierre de Bretagne, le due de Bourgogne, le comte d'Angouleme , fils aine du comte de la Marche , et le comte de Saint- Pol. L'acte, en effet, subsiste, redige en frangais, en termes un peu differents; il fut aussi publie dans la langue de I'Eglise , et reffet en fut considerable. Le pape s'en plaignit comme d'une diversion tentee par la no- blesse de France en faveur de Frederic ; mais il ne songea point h en accuser saint Louis, qui y fut completement etraneer. Ill Nouvelle intensite de la lutte en Allemagne et en Italic : Henri Raspon ; — Guillaume de Hollande. La lutte avait pris una violence qui ne pouvait plus abou- tir qu'a la ruine da I'un ou de I'autre. Le pape s'etait gagne des adherents jusque dans la cour et dans le consail de Frederic ; il avait souleve la Sicila ; il avait trouve en Alle- magne un prince dispose a accepter F Empire, Henri Raspon , landgrave deThuringe et beau-frere de sainta EHsabeth, elu roi das Romains le 17 mai 1244, et apres lui Guillaume, comte da Hollande (3 octobre 1247). Conrad , fils de Frederic, combattait an Allemagne cas pretendants; en Italic, c'etait I'Empereur lui-mema qui soutanait la lutte. II avait pour principale troupe, dans le Midi, les Sarrasins, qu'il avait transferes a Lucera : il y en avait la soixante mille , dont le tiers etait voue au metier des armes , axcellente milica pour la guerre qu'il faisait des lors sans menagemants a la puis- sance pontificala. Au nord, sur la principal champ da H2 SAINT LOUIS bataille, il avait trouve un nouvel auxiliaire contre les derniers soutiens de I'independance italienne : Amedee , comte de Savoie (nagufere allie du pape), qui avait deja pris pied de ce c6te des Alpes par quelques possessions. Grace & ce concours , Frederic songeait meme & venir forcer le pape dans Lyon, au siege du concile qui I'avait condamne. II est vrai qu'il n'annongait pas une intention si menagante. II voulait, disait-il, venir trouver le pontife pour se justifier devant lui , comme le pape I'y avait invite. C'est ce qu'il ecri- vait aux barons de France , notamment au comte de Saint- Pol, I'un des quatre barons elus par leurs pairs, I'annee precedente , pour defendre les droits de la noblesse contre le clerge. Mais saint Louis ne s'y trompait point, et il declara hautement que si I'Empereur marchait sur Lyon, lui-meme avec ses trois Mres prendrait les armes pour le combattre. Frederic n'alla pas au dela de Turin ; et le pape , sur d'un appui qui ne lui ferait pas defaut, put, dans sa lettre de remerciment h saint Louis, I'inviter a ne pas se mettre en route, et a attendre que lui-meme Fappeldt. Un evenement qu'Innocent IV avait peut-etre des raisons de prevoir allait mettre Frederic , n'eut-il pas redoute saint Louis , dans I'impossibilite d'aller plus avant. Les parents du pape, que I'Empereur avait chasses de Parme, reussirent a y rentrer et a rester maitres de la ville. Frederic craignit de voir I'insurrection s'etendre dans toute la Lombardie. II vint assieger Parme. Lui-meme, dans une lettre a saint Louis , declare que cette revolte I'empechait de se rendre h Lyon, ou il venait, disait-il, sur I'invitation du pape, afin de se justifier de ce dont il etait accuse. Ilesperait que cela ne le tiendrait pas longtemps. La ville ne faisant pas mine de se rendre , il eleva k ses portes , comme pour lui 6ter tout espoir, une place qu'il avait nommee par avance « la ville de la Victoire » . Toutes les villes gibelines du voisi- nage etaient pressees d'y envoyer des hommes pour h&ter le succfes. Les habitants de Parme , en proie h la famine, avaient CHAPITRE VII 113 plusieurs fois soUicite une honorable capitulation. Mais le desespoir les servit mieux : dans une sortie , ils enlev^rent « la ville de la Victoire » ; et Frederic se vit forc^ a fuir jus- qu'a Cr^mone , laissant entre leurs mains son camp et les tresors qu'il y emportait toujours avec lui (18 fevrier 1248). IV Preparatifs de la croisade. L'echec de Frederic eloignait le peril qui menagait la papaute, et rendait a saint Louis toute sa liberie pour son grand voyage. II n'avait pas cesse de s'y preparer. Des 1246, il achetait du vin et du ble , qu'il envoyait en Chypre. L'ile de Chypre, enlevee aux Grecs par Richard Goeur-de-Lion , en 1191 , et cedee par lui a Gui de Lusignan, etait le seul endroit de rOrient vraiment a I'abri des entreprises ennemies ; elle avait ete des lors choisie par saint Louis pour le dep6t de ses approvisionnements. Les villes maritimes d'ltalie , Venise et Genes surtout, aidaient a ses transports, et Frederic n'y mettait point obstacle. Saint Louis ayant envoye des messa- gers a Genes, en 1246, pour preparer son passage, I'Empe- reur lui fit porter I'assurance que , nonobstant la guerre , il pourrait faire tout ce qu'il voudrait , freter des galores , lever des hommes , selon ses besoins ; et pourtant , lorsque Frederic eut vu la grande quantite de vaisseaux et le nombre de Genois reunis pour cette expedition , il eut peur. II craignait que ces Genois n'eussent envie de faire , en passant , une descente en Sicile , et il reunit des forces sur terre et sur mer pour se mettre a I'abri de ce peril. Mais pour tout ce qui n'etait que de la guerre sainte, il s'y pretait volontiers; il y aidait meme : il avait trop besoin de menager le roi de France. G'etait le moment o\x saint Louis envoyait au pape les eveques de Senlis et de Bayeux pour teicher de le flechir envers I'Em- 8 114 SAINT LOUIS pereur ; et il etait doublement de son interet que la croisade suivit son cours en Palestine. EUe pouvait lui 6ter des adver- saires en Occident , et de plus servir en Orient les interns de sa maison : car le royaume de Jerusalem , dont Frederic avait porte le titre au nom de sa femme , fille de Jean de Brienne , appartenait, comme heritage de cette princesse, a leur fils Conrad ; et saint Louis prenait I'engagement de respecter ses droits. L'Empereur avait done ecrit a ses officiers en Sicile de laisser saint Louis acheter et transporter au dehors des chevaux, des armes et des vivres pour tout le temps de sa campagne. II y mettait seulement pour condition qu'on ne les fit pas servir au secours, soit des habitants d'Acre, qui avaient rejete sa domination et chasse son lieutenant , soit de ses autres ennemis (novembre 1246), condition que saint Louis acceptait; mais le saint roi I'invitait a prendre lui- meme toute garantie k cet egard , ne pouvant repondre de tons les marchands qui viendraient a cette occasion faire des achats en Sicile. Saint Louis n'entendait pas se contenter de ces secours qu'il tirait de la marine etrangfere. 11 voulut avoir un port a lui. 11 fit choix d'Aigues-Mortes, lieu fort mal fame, sans doute , pour ses eaux croupissantes au milieu des lagunes du Languedoc ' : tous les pelerins preferaient Marseille , mais la Provence etait au due d'Anjou ; et saint Louis tentait de 1 II La g^ologie, d'accord avec I'histoire, dit M. Ch. Martins, prouve que depuis six sifecles , epoque de la fondation d'Aigues-Mortes , la configuration de la cote n'a gufere change. La mer ne s'est pas retiree , et, sur ce point , le delta du Rhone n'a pas progresse ; car le hras du fleuve qui I'a forme est eteint de- puis le seizifeme sifecle, et les cours d'eau secondaires, le Vistre et la Vidourle, d^posent leurs apports dans les dtangs qu'ils comblent peu k peu. En partant pour ses deux croisades, saint Louis n'est pas monte k Aigues-Mortes meme sur le vaisseau qui devait le conduire vers les cotes d'Afrique, mais sur une embarcation d'un faible tirant d'eau. Traversant les ^tangs de la Marette et du Repausset, il a rejointla flolte qui I'attendait , mouillde dans le golfe d'Aigues- Mortes , en face du Grau , aujourd'hui termi , qui porte encore le nom de Grau- Louis. » {Comptes rendus de I' Acad, des sciences, t. LXXVIII, n» 25, p. 1730; 22 juin 1874. IX ART GOTHrgUE — XV" SIECLE Saint Louis juslicier et misericordieux. i> = Cette miniature est tiree d'un beau manuscrit des Chroniques de Saint-Denis qui est conserve S la Bibliotheque nationale, fr. 2609, f" 230. Elle pent passer pour un type exact de la miniature en France au xv« siecle. , Mis sur pierre par Pralon , d'aprfts une aquarelle de Garcia. CHAPITRE VII US mettre directement le royaume en communication avec la mer que la reunion d'une partie du Languedoc lui avait rouverte. II y fit batir une tour et des defenses contre I'en- nemi et contre les vents , pour la protection des pelerins ou des.marchands qui s'y porteraient; et il chercha ay attirer des habitants par de nombreux privileges. Toutes ces dispositions exigeaient de I'argent. Saint Louis en regut des differentes villes du royaume : de Paris, 10,000 livres ; de Laon, 3,000 ; de Beauvais, 3,400, etc. ; mais il en demanda surtout au clerge, qui, de tout temps, avait ete specialement requis de contribuer aux guerres saintes. Le pape avait accorde a cette fin un dixieme pendant trois ans , et saint Louis le fit lever par les ministres du saint-p6re , afin que la perception comme I'octroi du subside se trouvat , a I'egard de I'Eglise, sous le convert de la memo autorite. Les plaintes, en effet , ne manquerent point de s'elever, il y eut des resi- stances : mais la contrainte ne venait pas du roi ; et , contre les exacteurs , le clerge ne pouvait pas recourir a ses moyens ordinaires de defense. L'excommunication, cette fois, frappa, non ceux qui levaient I'impSt, mais ceux qui refusaient de le payer. lis avaient, du reste, a payer et pour le roi et pour le pape aussi : car le concile de Lyon avait alloue a Innocent IV un vingtieme pour le secours de la Terre-Sainte, et un autre subside pour Constantinople. En 1247, le mal- heureux Baudouin venait encore a Paris et k Londres soUi- citer des secours , sans lesquels son empire etait a la veille de succomber. A cela se joignait la contribution que reclamait le pape pour sa croisade contre Frederic; mais pour celle- ci, saint Louis s'y opposa. Les plaintes du clerge etaient done tres-vives. II pretendait que les charges des lai'ques n'etaient rien au prix desleurs ; et, pour comble de misere, ils voyaient precisement en cette annee les laiques faire comme une levee en masse pour combattre leurs privileges de juridic- tion : demonstration qui provoqua et les plaintes du clerge et les menaces du pape. Sur ce point , la querelle devait se 116 SAINT LOUIS prolonger jusqu'apres le depart de saint Louis, et meme apres son retour. II y avait d'autres difficultes graves que saint Louis aurait voulu resoudre avant de partir : et d'abord celles qu'il avait avec I'Angleterre. La treve allait expirer. Saint Louis de- mandait qu'elle fut prorogee : c'est une surete qu'il souhai- tait pour son royaume pendant son absence. Mais le roi d'Angleterre , qui ne se croisait pas, et que le depart de saint Louis rassurait , n'eut pas ete fache de mettre a profit I'inquietude qu'il pouvait causer a la France. 11 marchandait done son adhesion; et, sans toucher au chapitre des restitu- tions, il demandait, au nom de sa femme, une partie de la Provence. Saint Louis, au dire de Matthieu Paris, eut ete dispose a rendre a I'Angleterre quelques provinces, comme il le fit plus tard, mais a la condition qu'il s'agit de paix : une simple treve n'exigeait pas tant de sacrifices ; car, apres tout, Henri III se fut singulierement compromis lui-meme aux yeux de I'Europe, en attaquant les Etats d'un roi place sous la sauvegarde de la chretiente tout entiere par le signe de la croisade. Saint Louis laissa done la question en sus- pens, et la treve se prolongea de fait. II etait un autre point qui pouvait , comme la suite le mon- tra , provoquer des troubles plus serieux , et que saint Louis fut appele a regler avant de partir : c'etait la succession de Flandre et de Hainaut. Jeanne, comtesse de Flandre, etait morte le 5 decembre 1244, et Marguerite, sa soeur, lui avait succede. Marguerite s'etait mariee deux fois: d'abord avec Bouchard d'Avesnes, qui avait regu les ordres, et I'avait epousee sans se faire relever de ses vceux; puis, ce mariage etant casse, avec Guillaume de Dampierre. Or des enfants etaient nes de ces deux manages. Les d'Avesnes avaient le droit d'ainesse ; les Dampierre pretendaient avoir seuls la legitimite. Ce debat , d'ou dependait la succession des comtes de Flandre et de Hainaut, s'agitait du vivant meme de la mere. Les d'Avesnes CHAPITRE VII 117 s'etaient pourvus aupres du pape pour faire maintenir la le- gitimite de leur naissance, runion dont ils etaient sortis, bien qu'annulee plus tard , ayant ete contractee de bonne foi ; et c'est en ce sens que la cour de Rome jugea en 1249. Mais d^s ce moment les uns et les autres convinrent de faire re- soudre , abstraction faite du point de legitimite , la question d'heritage, et ils s'en remirent a saint Louis, assiste du legat. II etait admis que le jugement pourrait reunir ou separer les deux comtes ; et , quelle que fut la decision de I'Eglise sur la question d'etat , nuUe des parties ne devait s'en prevaloir pour obtenir au dela de son partage. Ce compromis ayant ete ratifie par Marguerite elle-meme, saint Louis regut aussi les engagements de ses enfants, des seigneurs et des villes interesses dans la querelle; et, de concert avec le legat, il adjugea le Hainaut & Jean d'Avesnes et la Flandre a Guillaume de Dampierre , pour en jouir apres la mort de leur mere , a la charge de faire , chacun dans son propre lot , la part de ceux de sa ligne , selon les coutumes du pays. Cette sentence equitable fut bien accueillie des princes , et encore plus volontiers des peuples , qui esperaient echapper au fleau des guerres de succession; mais leur espoir devait etre trompe. Cette question de succession ne regard ait saint Louis que pour la Flandre. Le Hainaut relevait de I'Empire. On aurait done pu tout aussi bien s'adresser a Frederic. Mais il aurait ete difficile de reunir en ce moment Frederic au legat , et on n'en eut memo pas la pensee. L'esprit d'equite et de mode- ration de saint Louis le designait a tous pour arbitre. On sa- vait qu'en toute chose il ne voulait que la justice et la paix, une paix dont il cherchait la garantie dans I'observation de la justice. L'equite de saint Louis envers tous et le respect qu'elle lui attirait etait un premier gage pour la securite du royaume en son absence. II en chercha un autre dans la foi du ser- ment. Lui qui etait si ferme dans sa parole etait porte a 118 SAINT LOUIS croire a celle des autres. II avait reuni vers la mi-careme (mars 1247) un parlement pour y fixer I'epoque de la croi- sade. 11 declara qu'il etait resolu de partir au plus tard a la Saint-Jean de I'annee suivante. II le jura at obtint des autres le meme engagement ; puis il leur demanda a tous de lui renouveler leur hommage et de jurer foi et loyaute a ses enfants, si quelque chose advenait de lui dans le voyage. Joinville, a qui il le demanda aussi, refusa de le faire, comme n'etant pas son homme. II ne relevait que du comte de Champagne , et le roi ne songea pas meme a prendre mal ce refus ; il ne s'en souvint que pour s'attacher ce fidele ser- viteur, en le prenant un peu plus tard a ses gages. Joinville , en effet, avait regu aussi la croix; et un grand nombre de seigneurs avaient donne a saint Louis cette autre garantie de securite , en le suivant dans son entreprise. Dans le nombre il faut compter surtout le comte de Toulouse, qui, par ses projets de mariage, avait donne tant de souci a la cour de France. II ne songeait plus a se marier, et il voulait accom- plir cette fois ce vceu d'aller en Terre-Sainte, qu'il avait forme depuis longtemps. Saint Louis trouvait done en France tout motif de secu- rite. Geux qu'il aurait pu redouter le plus, ou se croisaient avec lui, ou lui donnaient toute assurance. De son c6te, le saint roi ne voulait point partir sans avoir fait toute repara- tion a qui de droit. II ne se preparait pas seulement a son voyage , comme a une guerre lointaine , par des mesures de prevoyance et de surete ; il s'y preparait comme aux choses de Dieu par les bonnes ceuvres, repandant les aum6nes, multipliant les pieuses fondations, et, ce qui est la premiere loi de la charite, se disant qu'avant de donner du sien, il faut etre sur de n'avoir rien des autres. II resolut done de faire un grand examen de conscience sur toutes les parties de son administration, et donna a cet effet, d6s I'au- tomne 1247, des instructions h ses baillis, afin qu'ils pro- voquassent les reclamations dans leur ressort. De plus, CHAPITRE VII 119 pour recueillir les plaintes que les baillis ne provoqueraient pas, il forma des commissions d'enquete, chargees d'aller par toute la France s'informer des injustices que par lui- meme, a son insu, ou par ses agents, il avait pu commettre. 11 choisit a cette fin des moines jacobins ou cordeliers, dont il estimait le plus I'integrite et le jugement , egalement etran- gers a la flatterie ou ci la crainte. Ges sortes d'enquetes furent poursuivies dans toute la France. Les comptes du roi, a I'Ascension 1248, indiquent les frais qu'elles occasionnerent en diverses villes , k Paris , a Orleans , a Amiens , a Tours et en beaucoup d'autres lieux. Ges enquetes ne se faisaient pas en secret : le roi voulait que ceux qui avaient a se plaindre fussent avertis, ne crai- gnant rien tant que de laisser sans satisfaction un sujet de plainte legitime. 11 y eut done autant de reclamations et plus peut-etre qu'on n'en aurait vu sous un mauvais roi moins dis- pose a s'amender : les rapports de ces enqueteurs , consignes dans des registres recemment mis en lumiere, en sont la preuve. Le bruit en alia jusque hors du royaume, et le roi d'Angleterre crut que le moment etait propice pour se faire rendre ce que la fortune de la guerre ne lui avait pas fait recouvrer. Le comte Richard , venu en France , ne deman- dait pas moins que la restitution de toutes les provinces prises a Jean, en commengant par la Normandie. Mais le roi ne pouvait pas toucher a ces points sans le conseil de ses barons. Or les barons n'etaient pas disposes a de pareilles concessions ; et les declarations des eveques de Normandie rassuraient d'ailleurs pleinement la conscience du roi. II re- pondit que ce n'etait pas au moment de partir pour la croi- sade qu'il pouvait traitor de pareilles questions, et Henri 111 n'eut garde d'en faire un cas de guerre. On s'appretait, en effet, au depart; et, malgre les ob- stacles que nous avons vus , il venait des croises memo des pays etrangers. II en venait d'Angleterre, et meme de la parente du roi : comme, par exemple, Guillaume Longue- 120 SAINT LOUIS Epee, fils d'un bMard de Henri II, et cet autre seigneur, Frangais d'origine, devenu Anglais et beau-frere de Henri III, je veux parler de Simon de Montfort, comte de Leicester. Un roi etranger s'etait aussi r^solu a partir pour la Terre-Sainte : Haquin, roi de Norwege, dont le pape avait voulu faire un empereur pour Topposer a Frederic. Selon Matthieu Paris, qui prete volontiers aux autres ses sentiments et son esprit, il aurait repondu k Innocent IV qu'il etait pret a combattre tous les ennemis de I'Eglise, mais non du pape. Saint Louis lui envoya un messager pour I'inviter h faire ce voyage de concert avec les barons de France , lui offrant , comme il etait habile aux choses de la mer, le commandement de la flotte. Mais Haquin s'en excusa, disant que ses peuples etaient impetueux et incapables de rien souffrir, et que les Frangais avaient la reputation d'etre fiers et insolents ; qu'avec cette humeur ils pourraient bien ne pas s'accorder, et qu'ainsi mieux valait ne pas faire en- semble la traversee. lis ne se rencontrerent ni sur la route, ni sur les champs de bataille. Haquin n'etait pas encore parti vers la fm de 1252, quand les Frangais, excepte saint Louis, etaient deja revenus. En France, au printemps de 1248, le mouvement se pro- duisait sur tous les points. A la fete de Paques, Joinville avait reuni ses hommes et ses vassaux dans sa terre. La veille de la fete , un fils lui etait ne. La moitie de la semaine se passa en rejouissances. Le vendredi, Joinville, entrant dans les sentiments de celui qu'il allait prendre pour chef, reunit tout ce monde, et leur dit : « Seigneurs, je m'en vais outre-mer, et je ne sais pas si je reviendrai. Or avancez : si je vous ai de rien mefait, je vous le repaierai I'un aprfes I'autre. » Et il leur fit reparation , au jugement de tous les habitants de sa terre : afln de n'exercer sur leur esprit au- cune influence , il avait quitt^ le conseil , et en regut les deci- sions sans debat. Pour faire les frais de son expedition, il etait alle k Metz , et avait mis une grande partie de sa terre CHAPITRE VII 121 en gage ; et , quoiqu'il n'eut encore que peu de bien , il trouva moyen de prendre dans sa compagnie neuf chevaliers et trois bannerets. II s'entendit avec le sire d'Apremont, comte de Sarrebruck , qui avait le meme nombre de gens , et de con- cert ils louferent a Marseille un vaisseau pour le voyage (ch. xxv). Ces mesures prises , Joinville fit venir I'abbe de Cheminon, que Ton tenait pour le plus venerable de I'ordre de Citeaux , et regut de lui I'echarpe et le bourdon ; puis , en habit non pas seulement de pelerin, mais de penitent, a pied, sans chaussure et en chemise , il quitta sa demeure pour n'y plus rentrer avant son retour de la guerre , allant d'abord visiter les abbayes et honorer les reliques du voisinage, a Blecourt, a Saint- Urbain. « Et pendant que j'allois a Blecourt et a Saint- Urbain, dit-il, je ne voulus onques retourner mes yeux vers Joinville, de peur que le coeur ne m'attendrit du beau chateau que je laissois et de mes deux enfants (ch. xxvn). » Ge que Joinville raconte de lui se repeta en bien d'autres lieux de France, et c'est ce que d'autres historiens nous disent aussi de saint Louis. Apres avoir mis ordre aux affaires de I'Etat, acheve ses preparatifs, celebre avec une grande pompe la dedicace de la Sainte-Chapelle, cette mer- veille de I'architecture gothique, elevee en moins de cinq ans, ayant place son palais sous la sauvegarde des reUques de la Passion (v. fig. 23, 24 et 25), il visita plusieurs lieux sacres, entre autres I'abbaye de Saint- Victor, et il alia le vendredi apres la Pentec6te (12 juin) a Saint-Denis, ou il regut, avec I'oriflamme, I'echarpe et le baton du pelerin de la main du legat. De la, revenant a Paris, il se rendit nu-pieds a Notre -Dame pour y visiter une derniere fois, avant de partir, la grande basilique, et y entendre la messe; puis, toujours nu-pieds et en habits de pelerin, il sortit de Paris, au miheu d'un immense concours de peuple , avec I'escorte des processions de toutes les eglises, et il alia ainsi jusqu'a 122 SAINT LOUIS I'abbaye de Saint -Antoine. Apres avoir fait ses devotions dans I'abbaye et s'etre recommande aux prieres des reli- gieux , 11 prit conge du peuple , monta a cheval et partit. Fig. 23. — La sainte Couronne d'^piDCB jadis conBervSe k la Sainte-Chapelle. Fragment. Fig. 24. — La sainte Conronne d'6pineB jadis conBcrv6e i la Sainte - Chapelle. Vue d'enacmble. Chef de la croisade , 11 reprenait les inslgnes du chevalier et du roi, sans deposer d'ailleurs I'esprit du pelerln. Depuis son depart de Paris, il renonga aux habits d'ecarlate et de pourpre, aux riches et rares fourrures. II n'usait plus que CHAPITRE VII 123 d'etoffe commune ou sans eclat, ou des peaux les plus gros- siferes. Plus d'ornements d'or ni d'argent dans son harnais , non plus que dans sa parure. Le concile de Lyon avait recommande la modestie dans les habits : il en voulut donner ■'I'— ^o> Fig. 25. - Reliquaire de lavrale Croii donne i saint Louis par rempereur Baadouii 11, et appele « Eeliquaire de Baudouin ». (D'aprts les Reliques de la Passion de M. Eohaiilt de Fleury. ) I'exemple a tous les siens; et Joinville rend temoignage que pendant toute la croisade les chevaliers imiterent sa simplicite. En proscrivant le luxe, on menageait pour la Terre-Sainte des ressources qui se seraient dissipees sans fruit dans ces foUes depenses. 124 SAINT LOUIS A Corbeil, ou le roi s'arreta le jour meme qu'il etait sorti de Paris , il prit ses dernieres mesures pour le gouvernement du royaume en son absence. II en confia les renes k des mains dont le pays avait pu apprecier deja I'habile direction et la fermete. II rendit h sa mere le titre de regente : depuis qu'elle lui avait remis ses pouvoirs , elle n'avait pas d'ailleurs cesse d'etre de ses conseils. II lui donnait pour auxiliaires les hommes sages qui avaient coutume de I'assister. Le roi poursuivit son voyage en s'arretant dans les abbayes, au couvent de Sens, par exemple, ou le franciscain Salimbene le vit arriver, « non dans la pourpre royale , mais en habit de pelerin, ayant Tescarcelle et le bourdon de pterin au cou, digne ornement des epaules royales, » dit le bon frere; et apres avoir assiste a sa reception il le rejoignit dans sa marche vers la Provence : « II me fut facile de retrouver le roi, ajoute-t-il, parce qu'il s'ecartait souvent du grand che- min pour aller aux ermitages des freres mineurs et autres religieux etablis ga et 1^, a droite et a gauche, afin de se recommander a leurs prieres ; et il suivit cette conduite jus- qu'a ce qu'il arrivat a la mer et s'embarquSt pour la Terre- Sainte. » Dans ce voyage a travers son royaume, le pieux roi s'oc- cupait encore d'autres soins. II poursuivait lui -meme I'en- quete qu'il avait confiee a des religieux, cherchant partout des accommodements , et ne negligeant aucune occasion pour transiger sur les points qui n'etaient pas regies encore. Cast ainsi qu'il finit k Corbeil son debat avec I'eglise de Beauvais , et a Fleury- sur -Loire un differend avec cette cel^bre ab- baye. Des compositions de cette sorte signalent, par les noms de ville et les jours dont les actes sont dates, les differentes etapes de saint Louis dans sa marche vers le lieu de son embarquement. II y avait un bien plus gros differend que le roi eut ete surtout heureux de terminer avant son depart ; mais , pour celui-li, il ne suffisait pas qu'il y mit du sien : c'etait le dif- CHAPITRE VII 125 ferend du pape et de I'Empereur. Saint Louis se proposait bien de tenter un dernier effort. II avait pris son chemin par la Bourgogne, et devait passer par Lyon, qui etait d'ailleurs le rendez-vous d'un grand nombre de croises. A Lyon, I'on trouvait cette grande voie du Rhone qui se chargeait de porter sans efforts au lieu d'embarquement hommes et ba- gages. C'est a Lyon que Joinville, ayant escorte, avec ses grands destriers, son harnais le long de la Sa6ne, s'embar- qua lui-meme pour gagner Aries, d'ou il vint a Marseille. Saint Louis avait done ecrit a Frederic de lui envoyer des messagers a son passage a Lyon , et il avait probablement aussi prepare le pape a la negociation de I'affaire. Arrive a Lyon, il y regut, avec I'agrement du pontife, les messagers de Frederic, auxquels il avait donne rendez-vous dans cette ville , et se fit le mediateur de leurs propositions aupres du saint -p^re. Mais les formes respectueuses dont elles etaient enveloppees ne changerent rien au fond des choses. Frederic faisait alors la guerre aux villes lombardes avec une ardeur accrue encore par le sentiment de sa defaite. II ne voulait rien sacrifier de ce c6te ; et le pape pouvait savoir que ses vues ne se bornaient pas a I'asservissement de I'ltalie. Inno- cent IV ne.se laissa done pas toucher. Plus de paix avec Frederic qu'il ne cesse d'etre empereur et roi. II n'y avait plus rien h faire pour saint Louis quand la question etait maintenue sur ce terrain. II regut la bene- diction du souverain pontife et prit conge de lui avec tris- tesse. II sentait que ni le pape ni I'Empereur n'auraient le loisir de le seconder dans cette campagne provoquee par I'EgUse elle-meme, mais ou il serait seul a defendre les interets de la chretiente. Saint Louis, quittant le pape, descendit le Rhone, et sur sa route le delivra d'une entrave qui en genait la naviga- tion : c'etait une roche (la roche de Glun) surmontee d'un chateau dont le seigneur rangonnait impitoyablement qui- conque passait par la. II forga le chateau en quelques jours, 126 SAINT LOUIS le demolit en partie et eut la fort grande bonte de le rendre a son maitre, en I'obligeant d'ailleurs k restituer ce qu'il avait pris et a donner caution de ne plus rien exiger par la suite. Un peu apres, laissant une partie des croises se diriger vers Marseille, 11 prit lui-meme le chemin d'Aigues- Mortes. Saint Louis emmenait avec lui la reine Marguerite sa femme, et ses freres les comtes d'Artois et d'Anjou '. 11 avait laisse le comte de Poitiers derriere lui , jugeant prudent qu'il rest&t avec Blanche, pour se mettre au besoin a la t6te des hommes d'armes , la treve avec I'Angleterre touchant presque a son terme (29 septembre) sans avoir ete renouvelee. La comtesse d'Artois, qui etait pres d'accoucher, retourna en France pour revenir avec lui I'ann^e suivante. Saint Louis aurait bien voulu aussi que sa femme demeurat; mais il aurait fallu qu'elle restat avec Blanche : c'etait pour eUe une trop bonne fortune que de s'en aller avec saint Louis sans que Blanche fut la. Trente-huit grands vaisseaux etaient reunis dans la bale d'Aigues-Mortes, dej^ fournis des approvisionnements , et n'ayant plus a recevoir que les hommes, les chevaux et le reste des bagages. 11 y avait plus d'hommes que saint Louis n'en pouvait embarquer. II dut laisser entre autres des ar- chers italiens, si toutefois on pent induire ce fait du recit t II laissait sous la garde de sa mfere plusieurs enfants. II en avait eu cinq jusque-lS : Blanche, nee le 12 juillet 1240, et qui mourut k moins de trois ans; Isabelle , nee le 18 mars 1242 , qui fut reine de Navarre ; Louis , ui le 25 fe- vrier 1244 , qui mourut au commencement de 1260 ; Philippe , n^ le 30 avril 1245 , qui fut son successeur, et Jean , n6 en 1247 , mort le 10 mars 1248. II en eut six autres par la suite; trois n^s pendant la croisade : Jean Tristan, comte de Ne- vers , ni au mois d'avril 1250 si Damiette; Pierre, comte d'Alenjon, n^ A ChS- tel-Pfelerin, prfes d'Acre, en 1251; Blanche, n^e 4 Jaffa, en 1253, qui ^pousa Ferdinand, fils d'Alfonse X, roi de Castillo; et trois aprfes sonretour: Margue- rite, confue en Palestine, n^e en 1254, Spouse de Jean, due de Brabant; Ro- bert, comte de Clermont, n^ en 1256 , qui fut la tige de la maison de Bourbon , et Agn^s , la derni^re , Spouse de Robert II , flls du due de Bourgogne. Voyez Tillemont, t. V, p. 241-245. CHAPITRE VII 127 exagere et malveillant de Matthieu Paris touchant le depart du roi de France. Las seigneurs, du reste, pourvoyaient eux-memes a leur embarquement et trouvaient des ports plus commodes qu'Aigues-Mortes. Nous avons vu que Joinville avait frete un vaisseau k Marseille. G'est aussi a Marseille que le comte de Toulouse, qui vint visiter saint Louis a Aigues-Mortes, devait prendre la mer. II y faisait venir par Gibraltar un beau vaisseau construit pour lui sur les c6tes de Bretagne. Mais le vaisseau se fit attendre : quand il arriva, il n'etait plus temps de s'embarquer; et quand le temps en revint, le comte etait mort. Saint Louis mit a la voile le 25 aoiit 1248. Fig. 28. — Sculpture religleuae. — Lea Mue dans le sein d' Abraham (catMdrale d' Amiens). Fig, 27. — Architecture milltaire. — Les fortiOcations de CarcasBonne : porte Narbonnaise. CHAPITRE YIII PREMIERE CROISADE DE SAINT LOUIS Saint Louis en Chypre. A premiere croisade de saint Louis fut malheureuse , et ce malheur aurait ete prevenu peut-etre par un plan mieux congu et execute avec plus de decision. Mais, si la conduite de cette campagne peut ac- cuser I'habilete militaire du saint roi , il y mon- tra un si grand caractere, — energie dans les revers et les souffrances, dignite dans la captivite, devouement a ses compagnons de guerre et d'infortune , — qu'il en sortit plus grand et plus glorieux : gloire peu goutee , encore moins enviee du jeune et fameux general qui a fait la critique de cette expedition avec une autorite pleinement justifiee par I'eclat de ses victoires sur le meme theatre * , mais qu'on 1 Memorial deSainte-Hielene. 130 gAINT LOUIS ne peut louer de la meme sorte, quoi qu'il dise, pour la pensee qui le jeta dans cette aventure et pour la faQon dont 11 en sortit. A ce double point de vue le vaincu de Mansourah peut soutenir la comparaison avec le vainqueur des Pyra- mides et d'Aboukir. Le but de la croisade etait I'Egypte. Depuis I'expedition manquee de Philippe -Auguste et de Richard Coeur-de-Lion , on etait dans la pensee que, pour avoir Jerusalem, il fallait la reconquerir au siege meme de la puissance qui I'avait ravie aux Chretiens. C'est en Egypte que le roi titulaire de Jerusalem , Jean de Brienne , avait conduit les croises pour se rouvrir le chemin de sa capitale ; c'est par un traite avec I'Egypte que Frederic II se I'etait fait remettre, et qu'il put s'y couronner roi. Jerusalem, apr^s les nouvelles vicissitudes que nous avons signalees, etant retombee aux mains des Egyptiens, c'est par une campagne en Egypte que saint Louis la voulait rendre aux Chretiens, avec des gages qui la leur assurassent desormais. Une telle entreprise demandait de grands efforts. La cam- pagne pouvait etre longue. Saint Louis avait choisi pour base d'operation I'ile de Chypre, et, ne comptant pas trop sur les ressources que lui offrirait le pays oii il portait la guerre, il avait, durant deux annees, fait transporter dans cette lie du vin, du ble et toutes sortes de provisions. Saint Louis debarqua en Chypre dans la nuit du 17 au 18 septembre 1248. II aurait voulu n'y rester que le temps de rallier sa flotte, eprouvee dans la traversee par une tem- pete, et ceux qui, des divers ports, avaient dans le mfeme temps mis k la voile pour faire la campagne avec lui. Mais un plus grand nombre se disposaient a le suivre, qui n'e- taient point partis encore. Les princes et les barons le deci- d^rent, par leurs instances, k les attendre. G'etait une faute. On fut amene par \k k passer I'hiver en Chypre. La difficulte de retrouver des vaisseaux (on ne les avait qu'en location et pour la travers<5c) fit qu'on ne fut pas en mesure de re- CHAPITRE VIII 131 partir quand il I'eut fallu , des le commencement de I'annee. D'autres retards s'ajoutant a celui-1^, I'expedition, deja compromise, fut decidement ruinee. Le roi de Chypre , Henri I", qui prenait alors , de I'aveu du pape et avec I'assentiment des barons, le titre de roi de Jerusalem, reQut avec grand honneur saint Louis et le fit demeurer a Nicosie, sa capitale. Jamais on n'avait vu en Chypre prince d'Occident si bien accompagne. Saint Louis cherchait moins a frapper I'imagination des hommes qu'a les gagner a lui et a les tourner au bien ; et ce temps passe en Chypre , si fatalement pour le succes de I'ex- pedition, ne fut point perdu pour toute chose. On y res- sentait autour de lui la bonne influence qui emanait comme naturellement de sa personne. II allait faire la guerre aux infideles : mais il y avait guerre , il y avait au moins des haines et des rivalites qui pouvaient aboutir a la guerre parmi les fideles qu'il venait defendre: rivalite entre les Grecs et les Latins, rivalite entre les princes Chretiens de rOrient, et meme et surtout entre les ordres religieux de Palestine. Saint Louis s'efforga de supprimer les causes de cette irritation, et de faire treve a ces discordes, plus funestes aux Chretiens que toute la puissance de leurs ennemis. Deja Innocent IV s'etait inquiete de cette oppression des Grecs par les Latins, et son legat venait de faire appeler en Chypre I'archeveque grec , qui en avait ete banni ; il rentrait en pro- mettant obeissance a TEglise romaine. Selon une ancienne chronique, ce fut saint Louis qui fit cesser le schisme ; on pent croire au moins qu'il contribua beaucoup a adoucir ce qu'il pouvait y avoir de froissement encore dans ce rappro- chement, que I'etat des choses, plus que la disposition des esprits, avait amene. II travailla aussi a reconcilier les tem- pliers et les hospitallers; et, pour ramener I'unite dans la direction de la guerre , unite si souvent rompue par les nego- ciations separees des deux ordres avec les musulmans, un 132 SAINT LOUIS jour que le grand maitre du Temple lui faisait savoir qu'un envoye du sultan d'Egypte I'etait venu trouver pour s'enque- rir si le roi voulait faire la paix, saint Louis s'en indigna (on disait que les templiers avaient eux-memes provoque cette ambassade) , et il ecrivit au grand maitre pour lui defendre de recevoir aucun messager sans son expr^s commandement. Sa presence eut au moins pour effet de ramener les deux ordres rivaux a une action commune. II regut aussi les am- bassadeurs du roi d'Armenie et du prince d'Antioche. Sur la demande du premier, il s'entremit pour retablir la paix entre eux ; et le prince d'Antioche aurait eu mauvaise grace de lui resister : car il avait sollicite de lui des secours contre les Turcomans, et saint Louis lui avait donne six cents arbale- triers. Le roi lui rendit un plus grand service en I'amenant a faire avec son rival une treve qui reportait tous leurs ef- forts contre les musulmans. L'union des Chretiens d'Orient, ainsi retablie par saint Louis , aurait pu relever leur fortune : car I'ennemi a qui ils avaient affaire etait lui-meme divise. Le sultan ou soudan d'Egypte, Saleh-Ayoub, avait triom- phe de la ligue des princes de Syrie et des Chretiens , grace a la diversion des Karismiens ; et a la suite de la bataille de Gaza, il avait reconquis la Palestine, Damas et une partie de la Syrie. Mais les "princes syriens s'etaient releves, et Saleh-Ayoub venait de recommencer la guerre contre le prince d'Alep, lorsqu'il apprit I'arrivee de saint Louis en Chypre. II s'arreta, se croyant menace. Quand il sut que saint Louis se proposait d'hiverner dans cette contree, il continua sa marche, voulant contraindre le prince d'Alep a se joindre h. lui contre les Chretiens, ou s'en debarrasser. 11 vint avec une puissante armee a Gaza, traversa Jerusalem, et se dirigea vers la Syrie. Les difficultes qu'il rencontra au si^ge de la Chamelle, peut-etre I'intervention du calife, et sans doute aussi une maladie et la necessite d'en finir, pour aller tenir t&te h saint Louis, le decid^rent a s'accommoder CHAPITRE VIII 133 avec son rival a des conditions probablement moins favo- rables qu'il ne I'avait espere. Tandis que les musulmans sentaient le besoin de s'unir contre le roi de France , les Tartares lui envoyaient une am- bassade : ambassade qui fit grand bruit alors , et dont plus tard on contesta I'origine, et, si je puis dire, I'authenticite , mais qu'il convient d'admettre en la reduisant a ses vraies proportions. Ce ne fut pas le successeur de Gengis-Khan, mais ce fut, selon toute apparence, un de ses officiers en Asie, qui, apprenant Texpedition des Francs contre les Turcs , ennemis communs des deux races , lui envoya , comme au nom de Khan , une deputation pour former avec lui des relations amicales. II lui mandait qu'il etait pret a I'aider a conquerir laTerre-Sainte et k delivrer Jerusalem des mains des Sarrasins. II etait d'ailleurs de I'interet des Tar- tares , au moment ou ils s'appretaient a porter un coup mor- tel au califat de Bagdad, de voir ses sectateurs d'Egypte et de Syrie retenus par I'invasion de saint Louis. II n'est pas impossible que cet officier, nestorien peut-etre, ait flatte saint Louis de I'espoir de convertir sa nation : sur ce cha- pitre , on etait assure de trouver le roi pret a tout dans son zele trop credule. Ce qui n'est pas douteux, c'est que saint Louis repondit avec empressement a cette demarche. II en- voya de son c6te des ambassadeurs au khan des Tartares ; il lui faisait porter par eux, a titre de presents, une tente faite en guise de chapelle , d'ecarlate fine , et par consequent d'un grand prix. Afm de les attirer a notre croyance, il y avait fait tailler en image I'Annonciation et les principales scenes du Nouveau Testament ; ily avait joint des calices, des livres, et tout ce qu'il fallait pour chanter la messe, avec deux freres precheurs pour leur enseigner ces mysteres. Les messagers resterent deux ans en route , et leur voyage , au moins, put donner des Tartares une idee plus juste qu'on n'en avait alors. Le roi regut, vers ce temps-la, une autre visite encore: 134 SAINT LOUIS c'etait I'imperatrice de Constantinople , qui venait solliciter son appui contre les ennemis dont cette grande ville etait environnee. Arrivee a Baffe (Paphos), elle avait mande a Joinville et a Erard de Brienne de I'y venir prendre ; et notre historien nous raconte la detresse ou il la trouva. Apres son debarquement , le vent avait rompu les ancres de son vais- seau, qui avait ete pousse vers Acre, et I'imperatrice etait restee sur le rivage, n'ayant de tout son harnais que la chape dont elle etait vetue et un surcot de table. Joinville la presenta au roi et a la reine k Limassol ou Limisso , et le lendemain il lui envoya du drap et de la fourrure de vair, dont elle se put faire un vetement plus convenable, et du cendal (taffetas) pour le doubler. Laprincesse ne pouvait pas esperer qu'elle detournerait saint Louis de son expedition ; pourtant elle fit si bien, qu'elle obtint d'une centaine de chevaliers, et notamment de Joinville, I'engagement de se rendre a Constantinople, si le roi, a son retour d'outre-mer, y voulait envoyer trois cents chevaliers. L'imperatrice partit pour la France quand saint Louis fut en Egypte. Ces chevaliers , qui se montraient si prompts a aider cette grande infortune, avaient, du reste, eux-memes besoin d'etre secourus. Saint Louis, pendant son sejour en Chypre, dut preter de I'argent a plus d'un seigneur pour les aider a acquitter les engagements contractes au depart. Plusieurs avaient epuise deja les ressources qu'ils s'etaient procurees, et durent s'adresser a saint Louis ; temoin Joinville. C'est en raison de ce pret, constituant une sorte de fief, que Join- ville devint des lors I'homme du roi. Au mo is de fevrier 1249, saint Louis songea (il en etait grand temps) a entrer en campagne. Pour cela, il fallait retrouver des vaisseaux : il envoya au port d'Acre , ou il y en avait toujours ; mais ce n'etait pas chose si facile que de les decider a se louer pour son entreprise. Les marchands de Venise, de Genes et de Pise ne consentaient point a sus- pendre pour si peu leurs affaires : comme s'ils n'avaient pas CHAPITRE VIII 13S interet plus que personne a sauver des musulmans ces ports ou ils faisaient , grSce aux croisades , un commerce si lucra- tif ! II y avait de plus des querelles entre ces Italiens et les gens du pays , querelles qui allaient jusqu'a des luttes a main armee : le consul de Genes y fut tue , et cette agitation , qui dura trois semaines, ne permit pas de rien conclure. Le 19 mars, saint Louis et le legat deputerent d'autres person- nages pour calmer la sedition et obtenir des vaisseaux. On comptait partir vers le milieu d'avril (c'etait bien tard deja) , et , en attendant , saint Louis , ne voulant pas manquer aux formes d'usage entre peuples civilises , ecrivit au sultan d'Egypte pour lui declarer qu'il s'appretait a marcher centre lui , s'il ne se soumettait et ne lui faisait hommage. Les musulmans ne pouvaient prendre cette demarche que pour une insulte. Le sultan en pleura, et ce qui ajoutait a sa douleur, c'est Timpuissance ou sa maladie le reduisait per- sonnellement. On disait que le prince d'Alep , attaque par lui , avait gagne un de ses serviteurs pour Tempoisonner. Le sul- tan avait un ulcere a la jambe : le serviteur aurait enduit de poison une natte ou le prince venait s'asseoir chaque jour pour jouer aux echecs; et le venin , touchant sa chair au vif, se serait insinue dans ses veines. On soupgonnait volontiers les Orientaux de crimes de ce genre. On assurait meme que le sultan d'Egypte avait cherche a faire perir le roi et les principaux de I'armee chretienne par le poison : des emis- saires arretes en Chypre avouerent, disait- on, qu'on les avait charges d'empoisonner les vivres. Joinville et les principaux historiens de saint Louis n'en disent rien , et quant au sultan, comme on rapporte que le poison lui ota « tout mouvement de la moitie du corps », on pourrait croire qu'il fut simplement frappe de paralysie. Quoi qu'il en soit, tout malade qu'il etait, il ne laissa pas de quitter Damas pour regagner I'Egypte : il expedia I'ordre de mettre Damiette en defense, se souvenant que dans la croisade de Jean de Bri'enne c'etait la que les Chretiens avaient porte 136 SAINT LOUIS leur attaque. II chargea I'emir Fakhr-eddin, qui avaitcom- mande au siege de la Chamelle , de former un camp devant la ville. Mais les Chretiens pouvaient aussi se tourner vers Alexandrie, et le bruit courait a Damiette que c'est de ce c6te que saint Louis voulait diriger ses efforts. On y envoya egalement des troupes et des munitions. II Prise de Damiette. Saint Louis avait enfm des vaisseaux amenes d'Acre ou recrutes dans I'Archipel ; plusieurs seigneurs qui avaient passe I'hiver dans quelqu'une des ties de ces parages, ral- liaient le gros de la flotte. Les provisions furent embarquees; on embarqua meme des instruments aratoires : mesure dont le sultan se moqua, promettant bien de ne pas laisser au roi de France le temps de recueillir le ble qu'il aurait seme. Mais , s'il paraissait constant que la Terre-Sainte ne pouvait etre gardee sans qu'on eut TEgypte, la precaution n'etait pas si mauvaise , et elle semble indiquer la pensee de s'etablir dans le pays. On avait voulu s'embarquer a la mi-avril; on ne le put faire que le 13 mai au soir, jour de I'Ascension. Le roi de Chypre accompagnait saint Louis. Jamais flotte plus considerable ne s'etait montree dans ces mers. Elle comptait cent vingt gros vaisseaux, sans les galeres et les embarca- tions de moindre tonnage ou les bateaux plats construits en Chypre pour aborder sur la plage de I'Egypte. A les com- prendre toutes, il n'y avait pas moins de seize a dix-huit cents voiles, portant deux mille huit cents chevaliers et un nombre proportionne d'autres gens. Jusqu'^ I'embarquement , le secret avait ete garde sur le point ou Ton devait descendre; on disait meme generale- ment que Ton irait k Alexandrie , et la nouvelle , nous I'avons vu, s'en etait repandue en Egypte. Lorsqu'on fut en mer, ART GOTHIQUE — XV^ SIECLE » Saint Louis roi et cordelier. » Le roi de France portait une affection par- (ioulifere a I'ordre de saint Frangois, et, depuislongtemps, les Tertiaires de cet ordre se sont crus autoris^s i le considerer comme une de leurs gloires. ( Helyot, Hisioire des ordres monastiques , VII, p. 223.) = D'aprfes une miniature du manuscrit fr. 22297 de la Bibliothfeque nationale. DessiD^ par ^donard Garnieb , grav6 par Ghapon. CHAPITRE-VIII 137 I'ordre fut donne de se diriger sur Damiette. Mais le vent se montrait contraire; on n'etait pas ^ la hauteur de Paphos, qu'il fallut revenir a Limassol. Le samedi 22, on se remit en route : la mer, presque a perte de vue , etait couverte de voiles; mais le lendemain, jour de la Pentec6te, il s'eleva une tempete qui en dispersa la plus grande partie. Plusieurs furent chasses jusque vers Acre ; saint Louis etait rentre au port , et il dut attendre encore huit jours avant de trouver un vent favorable. Enfin, le jour de la Trinite, 30 mai, la flotte put remettre a la voile, et, le vendredi 4 juin, apres une nuit qui ne fut pas sans peril , on se trouva en vue du rivage de Damiette. Le roi reunit le conseil de ses barons , et plusieurs etaient d'avis d'attendre qu'il eut rallie un plus grand nombre de vaisseaux ; car il n'avait pas, disaient-ils , le tiers de ses gens. Mais saint Louis pensa tout autrement. II lui parut qu'at- tendre c'etait laisser croire a I'ennemi qu'on hesitait , qu'on avait peur ; et puis il n'y avait la aucun port ou Ton piit se refugier en cas de mauvais temps ; et Ton avait assez eprouve les effets des vents contraires pour n'en plus courir I'aven- ture. Ceux de Damiette etaient sur leurs gardes. Quatre galeres, a I'apparition de la flotte du roi , avaient ete envoyees a la decouverte. On les avait enveloppees , et trois furent coulees a fond par les machines ; mais la quatrieme , s'echappant , etait venue annoncer a la ville que Ton avait devant soi le roi de France. Aussitot on sonna la cloche , et tout le monde courut au rivage pour s'opposer au debarquement. La ville de Damiette s'elevait entre la mer , au nord , qui en etait a environ une demi-lieue, et , a I'ouest , le bras du Nil qui porte son nom. Elle etait done plus sur le fleuve que sur la mer. Elle etait jointe a I'autre rive par un pont de ba- teaux ; et deux chaines , dont les extremites se rattachaient a deux tours , Tune tenant a la ville , I'autre au bord oppose , interceptaient a volonte I'acces du fleuve. Les Frangais je- 138 S'AINT LOUIS terent I'ancre devant la rade ; elle etait bordee de vaisseaux et couverte de cavaliers et de soldats qui faisaient retentir les airs du son de leurs cors et de leurs nacaires ou grosses timbales. On resolut de d^barquer au lieu ou etait descendu Jean de Brienne, en 1218, c'est-a-dire sur la rive du Nil opposee a Damiette, ou plus exactement dans une ile formee de ce c6te par une derivation du fleuve. L'ordre en fut donne pour le lendemain matin. Pendant la nuit, on se garda de toute surprise en allumant grand nombre de flambeaux ; les arbaletriers , disposes tout alentour, devaient repousser ceux qui tenteraient d'attaquer ou d'incendier la flotte. Le matin, on leva I'ancre et on se dirigea vers Tile ; mais les Sarrasins s'y porterent , prets a. repousser le debarquement en quelque lieu qu'on voulut I'operer. Les grands vaisseaux ne pouvant s'approcher du bord , on se jeta dans les galferes et dans les plus legeres embarcations , pour avancer le plus loin pos- sible vers la greve. Le roi descendit lui-meme dans une barque avec le legat, qui portait devant lui I'image de la vraie croix, comme on faisait jadis aux rois de Jerusalem dans les batailles. Devant, dans une autre barque, etait roriflamme ou banniere de Saint -Denis. Les freres du roi et un grand nombre de barons et de chevaliers armes , ayant leurs chevaux aupres d'eux dans leurs barques , lui faisaient cortege; et ils etaient eux-memes entoures d'arbaletriers qui , par leurs carreaux , devaient tenir I'ennemi a distance et favoriser le debarquement. Joinville nous a laisse une vivante peinture de cette scene , en decrivant comment lui-meme s'y comporta. On lui avait promis une galere pour le debarquement ; mais il n'en put avoir, et il dut se contenter, pour tous les hommes contenus dans son gros vaisseau , d'un vaisseau plus petit qu'il tenait de M"" de Baruth, sa cousine, et ou etaient ses huit che- vaux. Le transbordement ne se fit pas sans peril. Ses gens s'etaient jetes dans la chaloupe « qui plus plus, qui mieux CHAPITRE VIII 139 mieux », c'est-a-dire en confusion, et les mariniers remon- t^rent au plus vite sur le gros vaisseau , croyant que le frele esquif allait sombrer. On le dechargea, et on proceda par ordre ; en trois fois , tous passerent sans encombre. Quant a Joinville , revenu a son vaisseau , 11 mit dans sa petite cha- loupe un ecuyer, qu'il fit chevalier, Hugues de Vaucouleurs, et deux tres-vaillants bacheliers, Villain de Versey et Guil- laume de Dammartin , qui avaient grande haine I'un centre Tautre. Joinville les fit se pardonner leur rancune et s'em- brasser; mais il ne Tobtint qu'en faisant serment sur des reliques de ne les point mener a terre s'ils n'abjuraient leur ressentiment. lis s'avancerent alors, et passerent pres de la barque ou etait le roi. Les gens du roi crierent apres eux, parce qu'ils allaient plus vite, leur enjoignant d'aborder a la banniere de Saint -Denis; mais chacun avait ete laisse lib re de prendre terre ou il voudrait et comme il pourrait. Join- ville done passa outre, et fit aborder devant un gros corps de Turcs. La banniere de saint Louis atterrissait a peu pres en meme temps , au milieu d'une grele de traits lances de part et d'autre. II fallait la soutenir. On eut voulu retenir le roi sur son vaisseau jusqu'a ce qu'on put voir ce que ferait sa cheva- lerie qui allait a terre. Si elle succombait dans I'attaque, le roi , demeure a bord , pourrait renouveler I'entreprise autre- ment. Mais le legat et les autres eurent beau dire, le roi n'y voulut rien entendre; il sauta dans la mer tout arme, ayant de I'eau jusqu'aux aisselles, I'ecu au col, le heaume en tete, la lance au poing, et fut des premiers a terre. II aurait couru sans plus attendre sur les Sarrasins, si ses « prud'hommes », qui etaient avec lui*, n'eussent juge plus sage d'attendre qu'on fut en nombre pour faire I'attaque avec plus de succes. La premiere chose a faire etait de se maintenir au rivage. > C'etaient cinq ou six hauts personnages, le connetable, etc., qui formaient sa principale escorle. 140 SAINT LOUIS C'etait vaincre deja que de resister aux assaillants. Les cava- liers turcs se precipitaient sur chaque groupe a mesure qu'ils en voyaient se former. G'est ainsi qu'une troupe d'environ six mille hommes, piquant des eperons, se'porta sur le point oil Joiftville venait de debarquer ; mais Joinville et ses com- pagnons, fichant la pointe de leurs ecus dans le sable et y appuyant aussi le fut de leurs lances, leur opposerent un mur solide tout herisse de fer. Les cavaliers, voyant ces piques pretes a leur entrer dans les flancs, tournerent bride. Les groupes se multipliaient sur tous les points. Le comte de Jaffa , entre autres , avait aborde pres de Joinville , poste fierement sur sa galere, qui etait peinte dedans et dehors d'ecussons a ses armes ; trois cents rameurs , dont la place etait marquee par une targe et un pennon egalement a ses armes , fendaient I'onde en cadence. II semblait que la galere volSt ; il semblait que la foudre chut des cieux au bruit des pennons agites , des timbales , des tambours et des cors sar- rasins, qui retentissaient sur la galere. La galere ainsi lancee s'enfonga dans le sable , et le comte avec ses chevaliers , sau- tant dehors, vint se ranger pres de Joinville, qui etait un peu son parent, et dressa ses pavilions. A ce bruit, a cette vue, les Sarrasins, donnant des eperons, voulurent renouveler leur attaque ; mais , se voyant aussi bien attendus , ils revin- rent en arriere. C'etait enfin pour les Chretiens I'heure d'aller en avant. Leurs petits groupes commengaient a se rallier : Baudouin de Reims venait d'envoyer son ecuyer a Joinville, pour le prier de I'attendre, et bientdt les chevaliers de Joinville arri- vaient avec lui. Saint Louis put done marcher centre les Sarrasins. Un combat assez vif s'engagea. Mais I'ennemi, qui n'avait su accabler les Chretiens dans le desordre du debarquement , n'etait pas en etat de supporter leur choc Plusieurs emirs succomb^rent , entre autres le gouverneur de Damiette. Fakhr-eddin et les autres regagnerent la rive GHAPITRE VIII 141 droite du Nil par le pont de bateaux. Les Chretiens les au- raient poursuivis au dela, si leurs chefs n'eussent redoute une embuscade ; car la nuit etait noire, lis resterent done maitres de toute la rive occidentale du Nil, et en meme temps leur flotte avait force I'entree du fleuve en repoussant les vaisseaux des Sarrasins qui la gardaient. Les ennemis avaient perdu beaucoup de monde ; les Chre- tiens, au contraire, eurent peu de tues. Parmi les blesses, on compta Hugues de la Marche, qui se montrait toujours au premier rang comme pour effacer par I'eclat de sa valeur les souvenirs de sa revolte. II succomba a ses blessures. Saint Louis avait etabli son camp sur le champ de ba- taille, theeitre de sa victoire. II voulait avant tout achever le debarquement de ses troupes ; et il y fut aid^ par les Chre- tiens echappes des prisons de Damiette. lis avaient profite de ce que tout le monde etait sorti centre les Francs , pour sortir comme les autres et aller se mettre a leur service : par la connaissance qu'ils avaient des lieux , ils purent guider les mariniers vers les endroits qui se pretaient le mieux a I'ac- costage. Les hommes et les chevaux mis a terre, saint Louis ne songeait qu'a tout preparer pour le siege de Damiette, et I'entreprise n'etait pas facile. La ville, protegee par le Nil, etait defendue par plusieurs enceintes de murailles : deux vers le Nil , trois vers la terre ; et ces murailles etaient comme herissees de tours. Les Chretiens jadis I'avaient tenue assiegee du 24 aout 1218 au 5 novembre 1219, et ne Favaienl reduite qu'a I'aide de la famine et de la peste : or depuis ce temps on avait ajoute a ses fortifications. Mais les habitants etaient comme frappes de terreur par Taudace de ce debar- quement, et tout secours leur semblait refuse. Depuis que la flotte chretienne avait apparu, on en avait, par trois fois, envoye la nouvelle par des pigeons messagers au sultan , que Ton disait arrive de Damas a Achmoun, et nuUe reponse n'etait venue. On le savait malade, on le crut mort ; et 142 SAINT LOUIS Fakhr-eddin, laissant a Damiette, avec les habitants, le corps des Kenana, tribu arabe celfebre par sa vaillance, partit pour se rendre , avec le reste de ses troupes , au lieu ou ron avait k decider du sort de I'empire. Mais les Kenana le suivirent , et les habitants , qui en tout autre temps au- raient pu se defendre , s'effrayerent en se voyant , apres une defaite, abandonnes des troupes qui les devaient proteger. lis tu^rent, en leur ecrasant la tete, ceux des prisonniers Chretiens qui ne s'etaient point echappes de leur prison , et partirent apr^s avoir mis le feu au quartier marchand , pour 6ter a I'ennemi les richesses que Ton ne pouvait emporter. Grand dommage ! « il advint de cette chose comme si quel- qu'un demain (dont Dieu le garde) boutoit le feu au Petit- Pont. » Deux captifs echappes au massacre en apporterent la nouvelle au roi. II envoya un chevalier, qui trouva, en effet, la ville deserte et penetra jusqu'aux maisons abandonnees. Le roi fit chanter le Te Deum, et, montant a cheval, il dressa son pavilion aupres du pont que les Sarrasins avaient ne- glige de detruire. On en retabht les abords, et les troupes furent envoyees dans la ville, le roi restant pres du pont, afin de soutenir les siens en cas d'embuscade. Mais il n'y avait pas d'embuscade; tous les Sarrasins etaient vraiment partis, ne laissant que des morts. On eteignit le feu, on pu- rifia la ville, et le roi, rapportant a Dieu ce trioraphe ines- pere, entra dans la place non en vainqueur, mais en peni- tent, processionnellement , avec le legat, le patriarche de Jerusalem , les prelats , les religieux , tous pieds nus ; les ba- rons et le reste de I'armee completaient le cortege (6 juin). D^s son entree, il se rendit a la mosquee dej^ consacree a Dieu , sous I'invocation de la sainte Vierge , lors de la prise de Damiette, en 1219. On y chanta le Te Deum; puis Tan- cienne eglise, reconciliee et purifiee, fut rendue au culte, et saint Louis y etablit un evfeque avec des chanoines , comme pour prendre au nom du Seigneur possession de la ville qu'il lui avait livree. GHAPITRE VIII 143 III S^jour de saint Louis a Damiette. La fuite des habitants avait ete trop precipitee pour qu'ils eussent pu detruire entierement ce qu'ils etaient forces de laisser apr^s eux. Malgre Tincendie, une quantite conside- rable de vivres etait restee dans Damiette, et beaucoup d'ob- jets de valeur. Le roi reunit son conseil pour savoir ce qu'on en devait faire. Le patriarche de Jerusalem, qui parla le premier, fut d'avis que Ton gardat les vivres pour les be- soins de la ville , et que le reste fiit remis au legat pour qu'il fit le partage. Chacun devait, sous peine des censures de I'Eglise, lui rapporter ce qu'il avait pris. Plusieurs s'en abstinrent sans doute. Les divers objets portes chez le legat ne furent pas estimes au dela de 6,000 livres. 11 fut decide que le legat les garderait, et donnerait 1' argent pour etre partage d'une maniere plus commode ; et le roi fit venir un brave chevalier, Jean de Valery, qu'il chargea de cette dis- tribution. Mais il s'en excusa : « Sire, dit-il, vous me faites grand honneur, merci a vous! mais cet honneur et cette offre que vous me faites, je ne I'accepterai pas, s'il plait a Dieu, car je deferois les bonnes coutumes de la Terre-Sainte, qui sont telles, que quand Ton prend les cites des ennemis, des biens que Ton trouve dedans , le roi doit en avoir le tiers et les pelerins en doivent avoir les deux tiers. Et cette coutume le roi Jean (de Brienne) la tint bien quand il prit Damiette ; et, ainsi que les anciens le disent , les rois de Jerusalem qui furent avant le roi Jean tinrent bien cette coutume. Et s'il vous plait que vous me veuillez bailler les deux tiers des froments, des orges, du riz et des autres vivres, je m'entremettrai volontiers pour les partager aux pelerins. » «"Le roi, ajoute Joinville, ne se decida pas a le faire. 144 SAINT LOUIS et I'affaire demeura ainsi ; d'oii maintes gens se tinrent pour mal satisfaits de ce que le roi defit les bonnes coutumes an- ciennes (ch. xxxvi). » Le sultan , que Ton avait cru mort , etait vivant , et Fakhr- eddin le trouva furieux d'une fuite qui avait livre a I'ennemi les portes de I'Egypte. Fakhr-eddin etait trop puissant et trop necessaire dans I'etat de sante ou ^tait le sultan pour subir le chStiment de sa faute : mais les emirs inferieurs paydrent pour lui. Les chefs des Kenana furent pendus au nombre de cinquante. Apres quoi le sultan se fit porter a Mansourah, cette ville elevee en 1221 par Malec-Gamel , son p6re, contre Tinvasion des premiers vainqueurs de Da- miette. 11 voulait y defendre a son tour le chemin de sa capi- tale , si le roi de France tentait d'y aller. II I'envoya m§me defier pour le 25 juin. Saint Louis repondit- qu'il le defiait, lui, pour tous les jours, a moins qu'il ne se fit Chretien : ce que le pieux roi voulait toujours esperer des infideles , et ce qu'il eut regarde comme la plus precieuse des conquetes. En assignant bataille a saint Louis pour le 25 juin, le sultan comptait sur un auxiliaire qui lui devait arriver a jour fixe, le Nil; le Nil, dont la crue commence alors, et qui n'eut pas tarde a 6ter aux Chretiens tout moyen de reculer comme de marcher en avant. Saint Louis, grelce a sa fatale resolution de passer I'hiver en Chypre , a la necessite de ren- voyer ses vaisseaux , a la difficulte d'en retrouver et au temps qu'il avait fallu pour reprendre la mer ou operer le voyage , etait arrive en Egypte au moment oil il lui etait impossible d'entrer en campagne. Apr^s avoir volontairement passe I'hiver en Chypre, il se voyait done force de passer I'ete a Damiette. II y aurait eu pourtant quelque chose a faire pendant I'inondation et a la faveur m^me de I'inondation. On avait, au debut, hesite si Ton irait prendre Damiette ou Alexandrie ; et Ton s'etait prononce pour Damiette, comme la plus rapprochee de la Terre-Sainte, et pouvant le mieux CHAPITRE VIII 145 servir, entre les mains des Chretiens , h proteger la Palestine centre les Turcs d'Egypte. Maintenant on avait a decider si ronmarcherait sur Alexandria ou sur le Caire. Mais I'attaque du Caire etant impossible , en raison de I'inondation , rien ne semblait plus naturel que de se tourner contre Alexandrie. L'impression de la chute de Damiette devait se faire sentir dans cette ville, et I'inondation devait rendre plus difficile les secours qu'elle pouvait attendre de Tinterieur du pays. Rien ne portait a croire que la prise d' Alexandrie aurait plus coute que celle de Damiette, et les Chretiens eussent ainsi possede les deux principales portes de I'Egypte sur la mar : I'unadu cote de la Terre-Sainte, I'autra du c6te de I'Occident. Saint Louis aima mieux rester a Damiette , pour attendre son frfere Alfonso et les secours qu'il davait amener de France ; il se borna a fortifier la ville qu'il avait occupee. La reine s'y etait logee avec la garnison destinee a proteger la place. Saint Louis s'etait etabli dans un camp, au voisi- nage, avec la reste de I'armee. On n'y etait pas sans alerte. Le sultan avait a son service das Bedouins du desert, qui rfidaient alentour et penetraiant pendant la nuit sous les tentes , decapitant les soldats endormis : on leur donnait deux besants d'or par tete ; ou bien ancora ils se cachaient dans la campagne, et surprenaient ceux qui s'aventuraient au dehors. Apres la Saint- Jean, il y eut memo una tentative d'attaqua plus generala. Le sultan avait envoye ses troupes contre le camp des chretians. Saint Louis s'arma avec ce qu'on appelait ses bons chevaliers, ou, comme nous dirions, son etat- major: c'etaiant, on I'a vu, sept ou huit chevaliers, parmi lesquels Geoffroi de Sarginas , Philippe de Montreuil et Imbert de Beaujeu, connetable de France. Pour ne rien compromettra , on avait interdit aux barons toute escar- moucha ; et Joinville, qui en etait venu demander la per- mission au roi, fut rudement repousse par Jean de Beau- mont. Jean de Beaumont lui enjoignit de ne pas sortir de sa tente qu'il n'en eut regu le signal. 10 146 SAINT LOUIS Un chevalier qui enfreignit la defense n'eut point a s'en louer : c'etait un seigneur de la maison de Chatillon , nomme Gautier d'Autresche. Par une etrange bravade , il se fit ar- mer dans sa tente , et quand il fut a cheval , I'ecu au col , le heaume en tete , il fit lever les pans de son pavilion , et , piquant des eperons , se precipita tout seul sur les Turcs , au cri de « Chatillon! » pousse par ceux de sa maison. Mais, avant qu'il arrival a I'ennemi, son cheval le renversa, et, avant qu'il put se relever, quatre Turcs, se jetant sur lui, I'accabl^rent de leurs masses d'armes. On accourut du camp royal. Le connetable et plusieurs sergents releverentle blesse, et le reporterent jusqu'a son pavilion. On le saigna des deux bras ; mais tous les secours de I'art ne purent le ramener a la vie ; et le roi, I'apprenant, affecta de ne point le plaindre. II declara qu'il n'en voudrait pas avoir mille pareils, qui voulussent agir contre son commandement. Ce n'etait pas seulement de cette indiscipline devant I'en- nemi que saint Louis avait a gemir : I'inaction oii les sol- dats demeuraient generalement ne leur etait pas bonne. Les seigneurs depensaient leur argent en festins magnifiques ; le peuple et des chevaliers aussi , sans doute , s'abandon- naient a des desordres encore plus coupables. Quand le pieux roi etait parti de France, il avait dit a ses gens qu'ils se mettaient en campagne pour le service de Dieu; qu'ils de- vaient done mener une vie chaste , et que s'ils n'en avaient pas la force, ils le dissent : il etait pret a leur donner conge. Tous promirent, tous ne tinrent point parole. II y avait des lieux de debauche h un jet de pierre de la tente du roi. Le roi d'ailleurs n'etait pas maitre en toute chose au milieu des siens. Plusieurs seigneurs avaient un droit de juridiction qu'ils entendaient exercer a leur maniere ; et les gens memes du roi commirent des exc^s dont I'armee devait se ressentir par la suite. Au lieu d'user de debonnairete envers les marchands a Damiette , ils leur lou^rent les boutiques a tel prix . que , le bruit s'en etant repandu au loin , les etrangers XI ART GOTHIQUE — XV^ SIECLE n Charlemagne et saint Louis, » d'apres un tableau conserve au Palais de justice de Paris et qui a ^te faussement attribu^ k Van Eyck. = Le tableau ori- ginal renferme une scfene oentrale, qui est le Crucifiemeat, et quatre person- nages : saint Louis, saint Jean-Baptiste, saint Denis, Charlemagne. Dessin§ par BooonRT , grave par Leveille* CHAPITRE VIII 147 s'abstinrent de venir, n'y trouvant plus leur avantage. Autre chose regrettable : I'expedition se composait principalement de Frangais, mais des hommes d'autre race s'y etaient joints ; car ce n'etait pas une entreprise exclusivement na- tional, c'etait un acte de la chretiente, une croisade. Les Anglais , qui avaient encore tant de relations etroites avec la France, s'y etaient surtout associes. Au mois d'aout, Guil- laume Longue-Epee, sire de Salisbury, avec plusieurs ba- rons et une suite de deux cents chevaux , avait rejoint saint Louis a Damiette, et le prince les avait accueillis avec joie; mais des querelles se mirent entre les seigneurs des deux nations. L'historien anglais pretend que les Frangais etaient jaloux de ses compatriotes pour un exploit qu'il est seul a raconter (les Frangais s'en sont-ils tus aussi par jalousie?). II ajoute qu'un autre jour, les Anglais ayant pille une cara- vane , le comte d'Artois leur enleva leur butin , sous pretexte qu'ils etaient sortis sans permission. II pretend meme que, sur la plainte de Guillaume , saint Louis , tout en gemissant de cette violence, lui avoua qu'il n' avait pas assez d'autorite pour la reprimer, craignant une sedition. Ce n'etait pas la fagon d'agir de saint Louis en pareil cas , surtout a I'egard de ses freres. Tout ce recit est done suspect ; mais ce qui ressort des faits, c'est la mauvaise intelligence des Anglais et des Frangais dans cette vie commune. Guillaume, en effet , quitta I'Egypte pour se rendre en Palestine , ou il espe- rait etre rejoint par d'autres pelerins de sa nation et accom- plir avec eux quelque exploit dont ils eussent tout I'hon- neur ; mais le roi d'Angleterre s'opposa a de nouveaux departs, et Guillaume, sur I'appel de saint Louis, fmit par lui revenir au moment ou I'armee frangaise s'avanga dans I'interieur de I'Egypte. Ce ne devait pas etre avant I'arrivee d'Alfonse de Poitiers , qu'attendait saint Louis; et des ce temps meme Alfonse preparait tout pour son depart. Le pape, I'Empereur, bien qu'alors au plus fort de leur lutte , y pretaient egalement la 148 SAINT LOUIS main. Le pape avait mis h sa disposition les sommes payees par les croises pour le rachat de leur vceu et tout I'argent laisse par testament en France pour de bonnes ceuvres dont I'objet n'etait pas specifie ; et TEmpereur, a qui il avait ecrit pour obtenir la permission d'acheter des vivres en Sicile , s'etait empresse de la lui accorder. II lui fit mfime present de cinquante chevaux et d'une certaine quantity de provi- sions , protestant qu'il en aurait envoye a saint Louis , qu'il lui aurait fait passer des troupes , qu'il les aurait amenees lui-meme, sans les troubles que lui suscitait le pape. Alfonse s'embarqua au jour anniversaire de I'embarquement de saint Louis, le 25 aout; et, comme il ne voyait rien d'urgent a faire en Egypte dans cette saison , il fit voile pour Acre, d'oii il vint a Damiette , le 24 octobre. II n'y serait point venu , sans doute , et ne serait point parti de France si son depart avait ete plus differe. Le 27 septembre etait mort son beau-pere Raymond VII, comte de Toulouse, engage aussi a la croisade, mais qui, n'ayant pu partir avec saint Louis, s'etait laisse, dit-on, detourner, lui , I'ancien ami de Frederic , vers une croisade interieure contre le comte de Savoie et d'autres soutiens de I'Empereur. II ne fit ni I'une ni I'autre , et mourut apres avoir renvoye , tant a Blanche qu'au pape , I'argent qu'il avait regu pour les deux expeditions. Sa mort laissait vacante cette grande succession que Blanche, par le traite de Meaux ou de Paris et le mariage de son fils Alfonse avec la fille du comte, avait assuree ci la maison de France. II n'est pas temeraire de supposer, comme nous le faisions tout ^ I'heure, qu' Alfonse, s'il s'etait trouve en France, aurait cru devoir y rester pour aller prendre possession de cet heritage. Mais son absence ne compromet- tait pas ses droits; car sa m^re etait 1^ pour recueillir en son nom ce qu'elle avait seme k son profit , et sa presence en Egypte allait enfin mettre saint Louis en mesure d'agir. A I'arriv^e d'Alfonse, on mit de nouveau en deliberation CHAPITRE VIII 149 si Ton irait attaquer le Caire ou Alexandrie ; et plusieurs, notamment Pierre Mauclerc, se pronongaient encore pour Alexandrie, donnant d'excellentes raisons, qui auraient du etre decisives quand I'inondation ne permettait pas de songer au Caire. Mais, puisqu'elles avaient ete alors sans effet, il etait difficile qu'elles prevalussent maintenant que la route du Caire etait ouverte. Le comte d'Artois I'emporta done sans grand'peine , en disant qu'il fallait aller au Caire parce que c' etait le chef- lieu de I'Egypte, et que qui veut tuer tout d'abord le serpent, lui doit ecraser le chef. On ne lui repondit pas qu'on ne lui ecrase pas toujours la tete et qu'il arrive bien aussi que le serpent mord au talon. Saint Louis se decida pour le Caire. On disait qu'une autre raison, qui ne fut pas dite au conseil, le determina en ce sens : c'est qu'il avait des intelligences dans la place , et que le gouver- neur ou Fun des principaux de la ville, pour venger son frere mis k mort par le sultan a la suite de I'abandon de Damiette, promettait de la lui livrer. On partit le 20 novembre 1249. La nouvelle en fut portee rapidement a Mansourah , oil le sultan etait mourant. On dit que, dans cette extremite, il essaya d'arreter la marche de saint Louis par les proposi- tions les plus avantageuses. II lui offrait de lui livrer tout ce que les rois de Jerusalem avaient jamais possede , de mettre les prisonniers Chretiens en liberie , de lui abandonner une somme enorme d'or et d'argent, pourvu qu'il rendit Damiette et fit la paix. D'autres disent meme, ce qui est plus in- croyable, qu'il lui eut laisse Damiette et son territoire; d'autres (car on ne s'arrete pas dans cette vole) que le sultan etles principaux des Sarrasins, en traitant avec saint Louis, avaient resolu de se convertir. On a reproche vivement a saint Louis d'avoir rejete, je ne dis pas ces dernieres propo- sitions, mais les premieres; et rien, en effet, n'eut ete plus a regretter si elles avaient ete faites, ou si, etant faites, elles avaient eu quelque chance d'etre executees ; mais en IbO SAINT LOUIS aucun cas saint Louis n'y pouvait avoir foi. Le sultan allait mourir : evidemment celui qui lui succederait ne se serait point cru lie par sa parole, et Ton aurait perdu, pour de vaines esperances , un temps qu'il etait urgent de mieux em- ployer. La suite le montra bien. A la mort du sultan, I'emir qui tint sa place rompit toutes les negociations engagees. L'armee chretienne se mit done en marche h travers le Delta. J-i I Oi.s5flUJ Fig. 28, — Sculpture religleuae. — Uu des personnagcB du grand portail h. la cath6drale d' Amiens. Pig. 29. — Arcliitecturelmilitaire. — Chateau do Coucy. — Vue partielle ( c5t6 nord l. CHAPITRE IX BATAILLE DE MANSOURAH Depart de Damiette. — Le Nil. — Le canal d'Achmoun. N quittait le rivage, on allait entrer dans le veritable domaine du Nil. Pendant les six mois que Ton avait passes a Damiette, on avait deja pu voir les merveilles qu'y accom- plit la nature , et il ne faut pas s'etonner si le fleuve, en qui FEgypte des Pharaons ado rait un dieu, garde sur I'imagination des hommes du moyen age quelque chose de Tempire qu'il exergait sur ses anciens adorateurs. Le Nil, pour Joinville, qui nous reproduit naivement les 152 SAINT LOUIS sentiments de ses compagnons d'armes, n'est pas un fleuve comme un autre : s'il n'est pas une divinite, au moins vient-il du paradis, et ses phenomfenes sont vrais miracles de Dieu. « II nous convient, premilrement , de parler du fleuve qui vient par Egypte du paradis terrestre. Ce fleuve est dif- ferent de toutes autres rivieres; car plus les autres rivieres viennent en aval, plus il y tombe de petites rivieres et de petits ruisseaux ; et en ce fleuve il n'en tombe aucune ; au contraire, il advient ainsi qu'il vient par un seul canal jus- ques en Egypte , et alors il fait sortir de lui ses branches , qui se repandent parmi I'Egypte. » II decrit ses inondations et la merveilleuse fecondite qu'elles donnent au pays : « Et Ton ne salt pas, ajoute-t-il, d'oii cette crue vient, sinon de la volonte de Dieu ; et si elle ne se faisoit , nul bien ne viendroit dans le pays a cause de la grande chaleur du soleil, qui bruleroit tout, parce qu'il ne pleut jamais dans le pays. Le fleuve est toujours trouble; aussi ceux du pays qui en veulent boire prennent de I'eau vers le soir et ecrasent quatre amandes ou quatre feves, et le lendemain elle est si bonne a boire que rien n'y manque. Avant que le fleuve entre en Egypte, les gens qui sont accoutumes a le faire jettent leurs filets deployes dans le fleuve au soir; et quand on vient au matin , ils trouvent en leurs rets les denrees qu'ils vendent au poids , que Ton apporte en cette terre , c'est a savoir gingembre, rhubarbe, bois d'aloes et cannelle. Et Ton dit que ces choses viennent du paradis teiYestre, que le vent abat des arbres qui sont en paradis ainsi que le vent abat dans les forets de ce pays le bois sec. » Ainsi, meme les epices quele commerce apportait de I'lnde aux ports de la haute Egypte ou de la Nubie etaient re- gardes, venant par le Nil, comme un don du fleuve et une importation du paradis. On ne devait pas s'etonner si les explorations tentees pour remonter aux sources du Nil CHAPITRE IX 153 n'avaient point abouti; et ce que Ton rapportait de la vallee superieure, des cataractes, des animaux qui peuplaient ces contrees , fournissait encore un theme assez riche a I'imagi- nation populaire : « lis disoient au pays, dit Joinville, que le soudan de Babylone avoit maintes fois essaye de savoir d'ou le fleuve venoit, et qu'il y envoyoit des gens qui emportoient une maniere de pains que Ton appelle biscuits parce qu'ils sont cuits par deux fois; et ils vivoient de ce pain jusqu'a ce qu'ils revinssent pres du soudan. Et ils rapportoient qu'ils avoient remonte le fleuve , et qu'ils etoient venus a un grand tertre de roches a pic, la ou nul n'avoit pouvoir de monter. De ce tertre tomboit le fleuve; et il leur sembloit qu'il y avoit grand foison d'arbres sur la montagne en haut ; et ils disoient qu'ils avoient trouve merveilles de diverses betes sauvages et de diverses faQons , lions , serpents , elephants , qui les ve- noient regarder de dessus la rive du fleuve , pendant qu'ils alloient en amont. » (Ch. xl.) Joinville pouvait parler plus pertinemment du Delta ; et toutefois il ne faudrait pas admettre sa description sans con- trdle pour les parties qu'il n'a pas vues lui-meme. On connait la configuration de cette region de I'Egypte, formee par le Nil et comprise entre ses diverses branches. On comptait dans I'antiquite sept benches du Nil, et les principales etaient les deux extremes : celles de Peluse et de Ganope ; dans les temps modernes et des le temps de saint Louis, c'etaient deja deux des bouches interieures, celles de Damiette et de Rosette. Saint Louis remontait la branche de Damiette sur la rive droite et devait , avant d'arriver au Caire ou a Babylone, comme on disait, rencontrer vers leur naissance plusieurs canaux. De ce c6te etaient les anciennes branches de Mendes, de Tanis etde Peluse, qui vont sejeter a I'orient dans le lac Menzaleh. La plus au nord etait celle de Mendes; mais, avant la branche de Mendes, il y avait un canal, le canal d'Achmoun, appele par quelques historiens 154 SAINT LOUIS le Tanis et pris par eux peut-etre pour la branche tani- tique. Le canal d'Achmoun , le premier grand cours d'eau qui coule de la branche de Damiette a I'orient vers la mer, etait done la premiere ligne de defense centre un ennemi qui occu- pait Damiette. G'etait derri^re ce retranchement naturel que Malec - Camel s' etait etabli lors de la croisade de Jean de Brienne ; c'est la aussi et dans Mansourah meme , « la ville de la Victoire , » bMie ou relevee alors par ce sultan au point ou le canal sort du fleuve, que son fils Saleh-Ayoub s'etait fixe. Son armee campait dans la plaine qui s'etend de Man- sourah le long du canal, et elle en protegeait les abords. Saint Louis partit de Damiette et vint camper a Fares- cour. Toujours applique a eviter le mal que la guerre, meme la plus legitime et la plus sainte , pent entrainer apres soi , il avait ordonne d'epargner autant que possible les popu- lations que Ton allait traverser. II defendait qu'on tueit les femmes et les enfants, voulant qu'on leur donnalt le plus grand bien qu'il leur sut procurer, le bapteme; il recom- mandait meme de ne pas tuer les hommes et de les faire plut6t prisonniers. Au dela de Farescour on rencontrait un canal destine aux irrigations et qui barrait la route. Pour le passer, on le mit presque a sec en le fermant a son point de depart par une levee de terre. Le legat avait accorde des indulgences a qui y travaillerait ; et saint Louis voulut y mettre la main comme les autres. On poursuivit la route au milieu des escarmouches des Sarrasins. lis tombaient sur les fourrageurs, mais ne se montraient nulle part assez nombreux pour etre serieuse- ment inquietants. Une fois, il s'en presenta cinq cents qui annoncerent I'intention de se joindre aux Frangais centre le sultan, dont ils se disaient mecontents. Saint Louis les re- Qut , mais en les observant : car on savait la perfidie de leur race ; et , en effet , le 6 decembre , pendant la marche , ils CHAPITRE IX 155 se jet^rent sur une troupe qui cheminait en avant ; mais les templiers, qui etaient au voisinage, fondirent sur eux, et les tuerent ou les pousserent dans le Nil. A cette epoque , le sultan Saleh-Ayoub n'etait deja plus. Sentant sa fin prochaine, il avait mande son fils , TourSn- Chah, surnomme Malec - Moaddem {le prince magnifique), qui gouvernait alors Haran , Edesse et ses autres possessions en Mesopotamie; et pour maintenir les troupes en obeis- sance , il avait ordonne de cacher sa mort jusqu'a ce que le jeune prince fut revenu. L'une des femmes de Saleh , nom- mee,Chedjer-eddor {le Rameau de perles), Turque ou Ar- menienne de naissance, qui avait captive le sultan par ses charmes et n'etait pas moins capable de s'imposer aux autres par son energie et sa fermete, prit sur elle d'accomplir les desseins du mourant. Elle se concerta avec I'emir Fakhr- eddin, le principal de I'armee. Le corps du sultan fut em- baume et emporte secretement de Mansourah, oii il etait mort, au chateau b&ti dans I'ile de Rauda, tout pres du Caire. Des blancs seings, laisses par lui, permettaient d'ex- pedier les affaires en son nom alors qu'il n'existerait plus. Les emirs et les officiers tant de I'armee que du reste de I'Egypte regurent Fordre , comme au nom du sultan , de prefer serment a Tourein-Chah et de reconnaitre, jusqu'a son arrivee, Fakhr-eddin pour general en chef et gouver- neur du pays. Mais la mort du sultan avait ete connue de trop de monde pour qu'il fut longtemps possible de la tenir secrete ; et Fakhr - eddin etait assez necessaire pour qu'il la put rendre publique sans compromettre son autorite. II la declara done , et donna des ordres en son propre nom sans rencontrer de serieuse resistance, la preoccupation gene- rale etant d'arreter les Frangais. Saint Louis, apres un sejour a Charmasah, etait arrive aux bords du canal d'Achmoun , en face du camp des Turcs et de Mansourah. II etablit et fortifia son camp en s'appuyant sur l'une et I'autre riviere, le front vers le canal, la droite 156 SAINT LOUIS vers le Nil , et de ce c6te sa flotte concourait a sa defense. Mais les Sarrasins avaient aussi leur flotte avec eux. lis etaient au milieu de leurs approvisionnements et en mesure d'intercepter les convois des Chretiens , et ils prenaient I'of- fensive tant sur terre que par eau : car Fakhr-eddin ayant fait passer le canal a quelques troupes vers Charmasah, elles vinrent attaquer le camp le jour de Noel , au milieu memo de la journee. Elles furent repoussees par les tem- pliers ; mais ces attaques se renouvelaient incessamment , et les Frangais ne pouvaient pas s'eloigner du camp sans s'ex- poser a rencontrer quelque embuscade. On n'etait pas venu la pour s'y fixer, mais on etait fort empeche d'aller plus loin; car la riviere d'Achmoun etait profonde , fort encaissee , et I'ennemi en gardait la rive op- posee. On resolut de recourir une seconde fois au moyen employe deja pour le premier canal : c'etait de couper la ri- viere par une chaussee qui retint I'eau dans la partie supe- rieure etla fit refluer dans le Nil, laissant la partie inferieure presque a sec ou du moins en etat d'etre traversee. On se mit done a cet ouvrage , et , pour proteger les travailleurs , on construisit des galeries couvertes, munies d'une tour d'ou les arbaletriers pouvaient accabler de leurs carreaux I'en- nemi qui se montrerait sur I'autre rive ; ces machines dou- bles s'appelaient d'un double nom : chats-chateaux. Cette fois I'entreprise devait echouer. On avait reussi au premier canal en le fermant a la sortie du Nil. La breche comblee, le bord se continuant sans ouverture , I'eau suivait tout na- turellement le lit du fleuve. Mais ici on ne pouvait prendre le canal d^s I'origine : car il sortait du Nil a Mansourah , et suivait d'abord, a peu de distance, le grand fleuve sur une longueur de trois a quatre kilometres. On avait done du choisir un point plus eloigne ou le travail fut moins peril- leux et le passage d'ailleurs plus praticable. Or k ce point, que Joinville place k une demi-lieue de I'origine du canal, on ne le pouvait barrer sans avoir une masse d'eau conside- CHAPITRE IX 157 rable a soutenir. De plus , les Sarrasins ne se bornaient pas a inquieter les travailleurs. lis travaillaient eux-memes en sens contraire et centre -minaient, pour ainsi dire, ce que faisaient les Chretiens : ils creusaient des trous en face de la jetee commencee, rendant a la riviere, de leur cdte, cequ'on lui enlevait sur I'autre bord , et detruisant , dit Joinville , en un jour ce qui avait coute aux Chretiens trois semaines d'ef- forts et de fatigues. Enfin, si les Chretiens trouvaient une defense dans leurs chats -chateaux, les Sarrasins avaient un moyen d'attaque bien plus terrible, moyen de destruction auquel ces cha- teaux etaient exposes plus que rien au monde : le feu gre- geois*. lis avaient etabli des pierrieres sur leur bord , devant les machines des Chretiens, et langaient leurs feux incen- diaires comme on lance des pierres. Joinville a raconte naivement la terreur qu'en ressentaient les croises. « Un soir, dit-il , Ik ou nous faisions le guet de nuit prfes des chats-chelteaux , il advint qu'ils nous amenerent un engin qu'on appelle pierriere, ce qu'ils n'avoient pas encore fait, et qu'ils mirent le feu gregeois en la fronde del' engin. Quand monseigneur Gautier du Gureil, le bon chevalier, qui etoit avec moi, vit cela, il nous dit ainsi : « Seigneurs, nous « sommes dans le plus grand peril on nous ayons jamais « ete ; car s'ils brulent nos chateaux et que nous demeurions , « nous sommes perdus et brules; et si nous laissons nos « postes qu'on nous a bailies a garder, nous sommes honnis ; « c'est pourquoi nul ne nous pent defendre de ce peril , que « Dieu. Je suis done d'avis et vous conseille que toutes les « fois qu'ils nous jetteront le feu, nous nous mettions a « coudes et a genoux et priions Notre Seigneur qu'il nous K garde de ce peril. » Sit6t qu'ils jet^rent le premier coup, nous nous mimes a coudes et a genoux , ainsi qu'il nous I'a- voit enseigne. Le premier coup qu'ils jeterent vint entre nos deux chats -chateaux, et tomba devant nous sur la place que 158 SAINT LOUIS rarmee avoit faite pour boucher le fleuve. Nos eteigneurs furent appareilles pour ^teindre le feu ; et parce que les Sar- rasins ne pouvoient tirer sur eux h cause des deux ailes des pavilions que le roi y avoit fait faire , ils tiroient tout droit vers les nues, en sorte que les traits leur tomboient tout droit vers eux. La maniere du feu gregeois etoit telle qu'il venoit bien par devant aussi gros qu'un tonneau de verjus , et la queue du feu qui en sortoit etoit bien aussi grande qu'une grande lance. II faisoit tel bruit en venant, qu'il sembloit que ce fut la foudre du ciel; il sembloit un dragon qui voMt par I'air. 11 jetoit une si grande clarte , que Ton voyoit parmi le camp comme s'il eut ete jour, pour la grande foison du feu qui jetoit la grande clarte. Trois fois ils nous jeterent le feu gregeois ce soir-la , et ils nous le lancerent quatre fois avec I'arbalete a tour. Toutes les fois que notre saint roi entendoit qu'ils nous jetoient le feu gregeois, il se revetoit sur son lit , et tendoit ses mains vers Notre Seigneur et disoit en pleurant : « Beau sire Dieu, gardez-moi mes gens ! » Et je crois vraiment que ses prieres nous rendirent bien service dans le besoin. Le soir, toutes les fois que le feu etoit tombe, il nous envoyoit un de ses chambellans pour savoir en quel point nous etions , et si le feu ne nous avoit point fait dommage. L'une des fois qu'ils nous le je- terent, il tomba pres le chat-chateau que les gens de mon- seigneur de Courtenay gardoient, et frappa sur la rive du fleuve. Alors voila un chevalier qui avoit nom I'Aubigoiz : « Sire , me dit - il , si vous ne nous aidez , nous sommes tons « brules, car les Sarrasins ont tant lance de leurs traits « qu'il y en a tout comme une grande haie qui vient bru- « lant vers notre chateau. » Nous nous elauQEimes et allames \k, et trouvames qu'il disoit vrai. Nous eteigmmes le feu, et, avant que nous I'eussions eteint, les Sarrasins nous char- gerent tons de traits qu'ils langoient au travers du fleuve. » (Ch. xuii.) Un jour, les freres du roi faisaient le guet, et Joinville XII ART DE LA RENAISSANCE. — ECOLE VENITIENNE — COMMENCEMENT DU XVI" SIEGLE (1 Saint Louis, sainte Anne, saint Joachim, sainte Ursule. » — Tableau de Viltore Carpaccio, portant la date de 1515 et aujourd'hui conserve a VAcademia delle belle a/rti, k Venise. = Carpaccio, ne en 14S0, mourut en 1322. Dessine par Edouard Garnier, grave par Cabarteux. CHAPITRE IX 1S9 les devait relever le soir ; car le roi avait dispose que quand le due d'Anjou remplissait le jour cet office , Joinville devait lui succeder pendant la nuit. « Ce jour -la, dit notre historien, nous etions en grand mesaise de coeur, parce que les Sarrasins avoient tout fra- casse nos chats -chateaux. Les Sarrasins amenerent la pier- riere de grand jour, ce qu'ils n'avoient encore fait que de nuit, et lanc^rent le feu gregeois sur nos chats-chateaux. lis avoient approche leurs engins si pres des chaussees que I'armee avoit faites pour boucher le fleuve, que nul n'osoit aller aux chats- chateaux, a cause des engins qui jetoient de grandes pierres sur la voie. D'ou il advint que nos deux chateaux furent brules, et le roi de Sicile' en etoit si hors de sens qu'il se vouloit aller jeter au feu pour I'eteindre. Mais, ajoute nai'vement I'auteur, s'il en fut courrouce , moi et mes chevaliers nous en louames Dieu : car si nous eus- sions fait le guet le soir, nous eussions ete tons brules. » (Ch. xLiv.) Saint Louis voulut reparer ce desastre dont Joinville fai- sait si facilement son deuil. II envoya querir tons les barons et les pria que chacun donnat du bois de ses vaisseaux pour refaire une nouvelle machine; car il n'y avait pas d'autre bois dont on se put servir. Chacun s'executa, et quand la machine fut faite, le roi decida qu'on ne la menerait pas sur la chaussee jusqu'au jour ou le due d'Anjou devait faire le guet : il voulait lui donner le moyen de venger le malheur qu'il n'avait pu prevenir a sa derniere garde. « Amsi qu'on 1' avoit regie , ainsi fut fait : car sit6t que le roi de Sicile fut a son guet, il fit pousser le chat jusques au lieu oii les deux autres chats-chateaux avoient ete brules. Quand les Sarrasins le virent , ils arrangerent que tous leurs seize engins tireroient sur la chaussee ou le chat etoit venu. ' Nous n'avons pas besoin de rappeler que Joinville ici donne ce litre a Charles d'Anjou par anticipation. Le prince ne devint roi de Sicile qu'en 1266. Mais Join- ville ^crivait de 1305 £l 1309. 160 SAINT LOUIS Et quand ils virent que nos gens redoutoient d'aller au chat a cause des pierres des engins qui tomboient sur la chaussee par ou le chat etoit venu , ils amenerent la pier- riere, et lancerent le feu gregeois sur le chat et le bru- lerent tout. » On a vu que quand le due d'Anjou faisait le guet le jour, Joinville le faisait la nuit; aussi ne doit -on pas s'etonner qu'il s'ecrie en racontant ce nouveau desastre : « C'est grande courtoisie que Dieu fit a moi et a mes che- valiers ; car nous eussions le soir fait le guet en grand peril , ainsi que nous eussions fait a I'autre guet dont je vous ai parle ci-devant. » (Ch. xux.) II Bataille de Mansourah. — Premiere journee (mardi avant les Cendres). Apres plusieurs semaines passees a ce travail inutile, un Bedouin vint dire qu'il y avait un gue un peu plus bas ; il demandait cinq cents besants d'or ' payes a I'avance pour le faire connaitre. On les lui donna sans marchander. II fut convenu que le due de Bourgogne et les riches hommes (barons) d'outre-mer qui etaient dans le camp y resteraient pour le garder de tout dommage. Le roi et ses trois frferes devaient passer au gue. Le jour de careme-prenant (mardi gras, 8 fevrier), d6s I'aube du jour, tout etait pret pour le passage. On mit les chevaux a I'eau : ils eurent a nager d'abord avant de trouver le fond, qui ne se rencontrait que vers le milieu de la riviere ; et I'abordage ne fut pas facile, car la pente etait roide et glissante. Les chevaux retombaient sur ceux qui suivaient, et il y eut des seigneurs qui se noyferent , entre autres Jean > Le besant d'or ^quivalait A une demi-livre , soil pour 500 besants 3065 fr. 95 c. CHAPITRE IX 161 d'Orleans; de plus, il y avait sur la rive quelques troupes de Sarrasins qui cherchaient k en repousser les assaillants. II avait ete ordonne que les chevaliers du Temple, plus habi- tues k les combattre, feraient I'avant-garde, et que le comte d'Artois formerait le second corps debataille. Mais, des qu'il eut passe, il oublia toute discipline et s'elanga a la poursuite des Turcs qu'il avait mis en fuite. Les templiers cherchaient a le retenir. lis lui representaient qu'il leur faisait affront en prenant leur place; ils la reclamaient au nom du roi, qui la leur avait assignee. Mais le comte d'Artois avait aupres de lui , a la bride de son cheval , un brave chevalier qui n'en- tendait rien des reclamations des templiers (il etait sourd), et, ne voyant que les Turcs, criait a tue-tete : « Or a eux! or a eux! » Et le comte d'Artois n'etait peut-etre pas beaucoup plus dispose a les entendre. II continua done la poursuite ; et les templiers, se croyant deshonores s'ils le laissaient aller devant, piquerent des eperons pour reprendre le rang qui leur appartenait. Selon un autre recit, le comte d'Artois aurait surexcit6 I'ardeur des templiers par une sanglante injure. Comme le grand maitre du Temple lui remontrait le peril d'etre en- toure et le pressait d'attendre le roi , ainsi que le comte I'avait promis k son frere : « Ah ! ah ! vraiment, dit le jeune prince, on dit bien vrai : il y aura toujours en templiers du poll de Fours. » Allusion sanglante a ces rapports avec les musulmans qui rendaient les templiers suspects par mi les nouveaux venus de la croisade. « Eh bien ! dit le grand maitre , chevauchez oii vous vou- drez , nous vous suivrons : car, s'^l plait a Dieu , vous ne pourrez reprocher trahison aux templiers. » Et, piquant des eperons, ils se jeterent sur I'ennemi. Rien ne resista a cette foudroyante attaque. Fakhr-eddin, qui etait au bain , occupe , dit-on , a se faire teindre la barbe , sortit tout eperdu au bruit de la bataille. Sans prendre le 11 162 SAINT LOUIS temps de revMir ses armes, il sauta h cheval, et, suivi de quelques soldats ou serviteurs , il counit pour rejoindre son armee et pourvoir au danger. Mais il fut enveloppe par una troupe de Frangais et perit en combattant avec courage. Les Frangais , chassant tout devant eux , arrivferent ainsi pfele- mele avec les Turcs jusque dans Mansourah, et au del^, jusque sur le chemin du Caire. Des fuyards allferent jusqu'au Caire, annongant que tout 6tait perdu. II n'en etait pas ainsi. Quand nos chevaliers, las de la poursuite, revinrent dans la ville qu'ils croyaient etre h eux , ils se trouverent assaiUis dans ces rues etroites par les habitants, qui leur langaient des poutres et autres materiaux du haut des maisons. Le comte d'Artois, le sire de Coucy, Guillaume Longue-Epee, avec les Anglais de sa suite, et jusqu'^ deux cent quatre-vingts chevaliers du Temple , y perirent. Le corps de bataille du roi n'etait venu au gue qu'aprfes le comte d'Artois et tons ceux qui faisaient I'avant-garde. Quand le roi I'eut passe et qu'il eut gravi la rive du canal, il s'etonna de ne pas voir son frere dans la plaine, et eut un triste pressentiment. D'autres chevaliers se montraient qa et 1^ dans cette plaine, et plusieurs etaient en grand peril. Joinville, qui parait avoir passe parmi les premiers, s' etait jete avec ses compagnons sur le camp ^vacue par I'ennemi , pour n'etre pas surpris dans I'embarras des bagages. Mais, quand il I'eut franchi, il trouva six miUe Turcs ranges en bataille, qui, voyant ce petit groupe d'assaillants, se mirent en devoir de les punir de leur temerite. Hugues de Tri- chastel, seigneur de Conflans, fut tue. Joinville, jete par- dessus la tete de son cheval , se releva I'ecu au col , I'epee a la main; et comme il cherchait k gagner, avec Erard de Siverey, une masure en ruine pour y altendre le roi, une nouvelle troupe de Turcs vint le heurter, le jeta par terre et passa par-dessus. Erard de Siverey le releva ; ils atteignirent ensemble les murs dela maison ruinee , oil d'autres chevaliers les rejoignirent. Mais les Turcs les y vinrent attaquer ; et a CHAPITRE IX 163 peine si Ton peut dire que ces ruines leur fussent une de- fense : car plusieurs des ennemis , entrant dans la maison , leur portaient des coups de lance du haut des murs. II fallut que les chevaliers de Joinville , mieux en etat de combattre , lui donnassent les chevaux h tenir par la bride, afin d'etre plus libres de faire tete aux assaillants. Erard de Siverey fut frappe au visage d'un coup d'epee qui lui abattit le nez sur les levres. Le bon Joinville invoquait monseigneur saint Jacques. Erard, mis hers de combat par sa blessure, mais ne songeant qu'a son honneur a lui et a la vie de Joinville son seigneur, lui dit : « Sire , si vous pensiez que ni moi ni mes heritiers n'en eussions de reproches, je vous irois querir du secours au comte d'Anjou , que je vols la au milieu des champs. — Messire Erard, lui repondit Joinville, il me semble que vous vous feriez grand honneur si vous nous alliez querir de I'aide pour sauver nos vies ; car la v6tre est bien en aventure. » Erard ne s'en tint pas encore pour auto- rise suffisamment. Blesse a mort, il craignait qu'on ne I'ac- cusat de fuir le peril. II consulta les autres chevaliers, et, sur leur avis , il reprit son cheval h Joinville et s'en vint au comte d'Anjou, qu'il avertit du danger de son seigneur. L'approche du comte fit fuir les Sarrasins. Un peu apres, le roi arriva avec tout son corps de bataille, a grands cris et a grand bruit de trompettes et de cymbales, et il s'arreta sur un chemin en chaussee. « Jamais, dit Joinville, encore dans I'emotion de la deli- vrance , je ne vis si beau chevalier : car il paroissoit au- dessus de toute sa gent, les depassant a partir des epaules, un heaume dore en son chef, une epee d'AUemagne a la main. » Quand il fut la, ses bons chevaliers (son etat -major) et plusieurs des chevaliers de son corps de bataille se lancerent au milieu des Turcs : « Et sachez , dit I'historien , que ce fut un tres-beau fait d'armes : car nul n'y tiroit d'arc ou d'arbal^te, mais c'etoit un combat de masses d'armes et 164 SAINT LOUIS d'epees entre les Turcs et nos gens, qui etoient meles (Gh. xLvii). » Un ecuyer de Joinville lui avait ramene un de ses chevaux, et il s'etait place aupres du roi. A ce moment Jean de Valery, chevalier de grande expe- rience , vint au roi et lui conseilla de se porter k main droite sur le canal, pour avoir I'aide du due de Bourgogne et de ceux qui gardaient le camp , et donner aux troupes le moyen d'aller boire : car la chaleur etait deja grande. Le roi fit rappeler ses bons chevaliers de la melee , et , sur leur avis , il ordonna ce mouvement. A peine I'avait-on commence que le comte de Poitiers, son frere, le comte de Flandre et d'autres seigneurs I'envoyerent prier de ne pas bouger ; car ils etaient vivement presses par les Turcs et ne le pouvaient suivre. II s'arreta. Mais, sur les instances de Jean de Valery, il reprit bient6t sa marche vers la riviere. Au meme in- stant arrive le connetable Imbert de Beaujeu. 11 lui dit que le comte d'Artois se defendait dans unemaison deMansourah, qu'il fallait le secourir. 11 n'y avait point ci hesiter. « Conne- table, dit saint Louis, allez devant et je vous suivrai. » Et Joinville dit au connetable qu'il irait avec lui. Mais, comme ils avaient deja pris de I'avance , la masse des Turcs se jeta entre eux et la troupe du roi, et le roi dut s'arreter a les combattre : grand peril pour le connetable et ses compa- gnons. Que faire? lis etaient six et ne pouvaient songer a percer a travers les Turcs. 11 y avait dans la plaine un ruis- seau qui , derive du Nil , au voisinage de Mansourah , peut- etre a Mansourah meme, coulait dans une direction soit paral- Ifele, soit un peu inchnee au canal d'Achmoun. Joinville dit au connetable : « Sire , nous ne pouvons aller au roi a tra- vers ces gens ; mais aliens en amont et mettons ce fosse que vous voyez devant nous entre nous et eux, et ainsi nous pourrons revenir au roi. » Le connetable suivit son conseil. Cette marche hardie donna le change aux Turcs , qui ne firent pas attention a eux CHAPITRE IX 165 ou les prirent pour quelques-uns des leurs , et un peu apr^s ils purent repasser le ruisseau et se diriger vers le gros de rarmee. Comme ils revenaient ainsi entre le ruisseau et le canal, ils virent que le roi s'etait porte lui-meme sur le canal et que les Turcs y ramenaient les autres corps de bataille, a grands coups de masses d'armes et d'epee, les refoulant sur le corps du roi. Plusieurs se jetaient a cheval dans I'eau pour repasser a la nage du c6te du due de Bourgogne ; mais les chevaux , fatigues , ne savaient point lutter centre le cou- rant. La riviere roulait les lances, les ecus, les montures et les corps meme de ceux qui s'y noyaient. Joinville, arri- vant a un petit pent qui etait sur le ruisseau, proposa au connetable de s'y etablir pour le garder contre les assail- lants qui pourraient venir de Tautre bord : « Car si nos gens, disait-il, sent attaques des deux parts, ils pourront bien ne pas resister. » La presse etait grande, en effet, et Join- ville rapporte qu'au jugement de plusieurs I'armee etait perdue si le roi n'avait paye de sa personne. Six Turcs s'etaient jetes sur son cheval et croyaient le tenir, quand il se degagea tout seul a grands coups d'epee. Son exemple raffermit les courages, et plusieurs, renongant a passer la riviere, se porterent a son secours. Pendant que Joinville gardait le petit pont, il vit arriver, revenant de Mansourah , de par dela le ruisseau , Pierre de Bretagne blesse d'un coup d'epee au visage , en sorte que le sang lui coulait dans la bouche. « II etait sur un cheval bas, bien membre. II avait jete les renes sur Targon de sa selle et le tenait des deux mains, de peur que ses gens, qui etaient derriere et le pressaient fort, ne le jetassent hors de la voie du petit pont. II maugreait contre les Turcs, et chaque fois qu'il crachait du sang de sa bouche : « Eh bien! s'ecriait-il, « par le chef-Dieu! avez-vous vude ces goujats? » lis pas- serent done le ruisseau , rejoignant le gros de I'armee ; et les Turcs, voyant aux abords du pont des gens qui les regar- 166 SAINT LOUIS daient en face, n'oserent les poursuivre au dela. A Tarriere du corps de bataille de Pierre de Bretagne etaient le comte de Soissons , dont Joinville avait Spouse la cousine , et Pierre de Neuville, qui avait deja rcQU force coups dans cette jour- nee. Joinville les engagea k rester a ce poste avec lui pour contenir les Turcs et empecher que le roi ne fut attaque par derriere comme par devant. lis accepterent, ayant regu de lui I'assurance qu'il y demeurerait avec eux; et le conne- table , comptant sur leur fermete , les quitta pour aller cher- cher de quoi renforcer une position dont il avait pu appre- cier toute I'importance. Dans ce poste, ils se trouvaient eux-memes exposes a I'attaque des Sarrasins repandus dans la plaine. Un d'eux, accourant des environs du corps de bataille du roi , et ainsi par derriere, frappa le seigneur de Neuville d'un coup de masse qui le coucha sur le col de son cheval; puis, s'elangant a travers le pont, il rejoignit ceux des siens qui etaient au dela. Ceux-ci, voyant que Joinville et ses compagnons ne quitteraient pas le petit pont, passerent le ruisseau sur un autre point , s'etablissant aussi entre le ruisseau et le canal ; et nos croises durent leur faire tete, prets a fondre sur eux, selon qu'ils tenteraient ou de marcher centre le roi, ou de leur disputer le pont. Les cavaliers sarrasins avaient amene avec eux des fantassins qui langaient contre les hommes de Joinville des mottes de terre*, et, ce qui etait plus redou- table, du feu gregeois. On leur langait aussi une grele de traits, dont ils se garantissaient comme ils pouvaient, et necessairement assez mal. Joinville se felicite d'avoir trouve en cette occurrence une veste rembourree d'etoupes, appelee gamboison, dont il se fit un ecu avec grand profit, nous dit-il : « Car je ne fus blesse de leurs traits qu'en cinq en- droits, et mon roussin en quinze. » Lorsque les Turcs ser- raient de trop pr^s les sergents, nos chevaliers fondaient < Mottes de terre durcies au soleil de I'Egypte et ^quivalant^ des pieires. CHAPITRE IX 167 sur eux et les faisaient fuir ; et le comte de Soissons , trou- vant encore a plaisanter, disait a Joinville : « S^nechal, lais- sons huer cette canaille; car, parla coiffe-Dieu! (c'est ainsi qu'il jurait) encore parlerons-nous de cette journee dans la chambre des dames (Gh. xlix). » Le soir, au soleil couchant, le connetable amena a nos braves chevaliers les arbaletriers du roi, qui se rangerent devant eux , et les Sarrasins n'attendirent pas qu'ils eussent bande leurs arbaletes pour s'enfuir. Le passage etait des lors suffisamment garde, et le connetable renvoya Joinville a saint Louis, lui disant de ne le plus quitter jusqu'a ce que le roi eut regagne son pavilion. Les Turcs avaient cede sur tous les points. Le roi pou- vait s'etablir dans le camp memo qu'ils avaient abandonne. 11 s'y porta , 'remettant a Chatillon la condUite de I'arriere- garde. Mais cet avantage (et qu'etait-il au fond?) avait ete cherement paye. Le roi n'avait rien appris de certain sur son frere le comte d'Artois; il savait seulement qu'il avait eu a se defendre dans Mansourah. Qu'etait-il devenu? Voyant venir alors le prevot de I'Hospital , frere Henri de Ronnay, qui avait passe le canal avec lui, il lui demanda s'il pouvait enfin lui en donner des nouvelles. « Qui, lui repondit-il; car il est cer- tain qu'il est au paradis. » Et voyant le saint roi emu de cette funebre annonce : « He, Sire, dit-il, ayez-en bon re- confort ; car si grand honneur n'advint jamais a un roi de France que celui qui vous est advenu : car pour combattre vos ennemis, vous avez passe une riviere a la nage, et les avez deconfits et chasses du champ de bataille, et pris leurs engins et leurs tentes la ou vous coucherez encore cette nuit. » — « Etle roi, continue Joinville, repondit que Dieu fut adore pour ce qu'il lui donnoit, et alors les larmes lui tomboient des yeux bien grosses (Gh. l). » Gette journee, au dire de Joinville, ne fut pas honorable pour tout le monde : « En cette bataille, dit-il, il y eut des 168 SAINT LOUIS gens de grand air qui s'en vinrent trfes-honteusement fuyant par le ponceau dont je vous ai parle avant , et ils s'enfuirent a grand effroi, et jamais nous n'en pumes faire rester aucun pres de nous; j'en nommerois bien, desquels je m'abstien- drai de parler, car ils sont morts. » Mais il mentionne tout particulierement avec honneur Gui Mauvoisin, qui s'en re- vint de Mansourah fiferement par la rive du ruisseau ou il etait le plus expose a I'ennemi. « Et ce ne fut pas mer- veille, ajoute-t-il, si lui et sa gent se montrerent bien en cette journee, car on me dit que toute sa bataille (ba- taillon) , ou ne s'en falloit guere , etoit toute de chevaliers de son lignage et de chevaliers qui etoient ses hommes liges. » III Le roi campe sur le champ de bataille. — Deuxieme journee (vendredi 11 fevrier). Le roi s'etait etabli dans le camp des Sarrasins. Les che- valiers n'y avai6nt guere trouve que les tentes dressees ; car les Bedouins, apr^s la retraite des troupes reguUeres, s'y etaient jetes en pillards et y avaient fait place nette. Les FranQais n'etaient point tellement vainqueurs , ils ne s'etaient pas si bien rendus maitres du camp des Sarrasins , qu'ils n'eussent encore a s'y defendre. Les Sarrasins s'etaient loges un peu en arriere : pendant la nuit leurs gens de pied fondirent sur les hommes proposes a la garde des machines , qu'ils avaient abandonnees, etles rejetferentj usque dans la ligne des tentes. Joinville et ses compagnons, tout blesses qu'ils etaient, les repousserent , et saint Louis envoya aleur aide Gaucher de Chaltillon ; celui-ci s'etabUt devant eux, faisant face k un corps de cavaliers turcs, qui etait comme la grand'garde de I'armee ennemie cample derri^re. Join- ville raconte encore un episode curieux de cette nuit de la XIII ART DE LA RENAISSANCE. — ECOLE FRANQAISE — PREMIER TIERS DU XVl'^ SIECLE ^ 1 1 aJ! «^i* y- * I Il^ j ^^^i| i^-^ ^.. - --^ *>. 1 Z' ^idH^« -— /',/■ RM '^'UM ■l^^^^^l^OM^ l^ L^"^ vni ^m^ i irraiM^LiH T x If ^? Ji^j *^ H i»^liM HH M<: ISSI |"^s^i."k yl_l/_\ ^ ^^^wn ■ ,-Sw k // & . rj A 1 ■ 1^^ ^^J^::^^ Li*-rj 1 h h« m ^Im WMmiiM^^m^mMi ^3 [ ^>r^t-B/ ffi Jv \ IJ^f\m^^^miMmm mV I^^^BT'II^'^B^EWIB W \i /jn /If ^ ^Bm Wkw i^w^^^ 1 i /j TV ' M \ ^1 IM /n\ ^Hr ^^ ^^' ' ^ ' '1 XI liiMttr i IBM /^ ^P Wl^iilK^ ■l^ilt// i^HR ^ m^ miMMM^M^M m iiOMmra^^.oTi// A ^^^MI^MmmB I M*M I/il 11 TlWF ^ IvSli «ra/7 //l^_«Z-^^^H ^m 'W\h v\ 2^rl^■«:.^^J^^ MMK^^tHl^H^^^SSS^K V^iV^is^ < ff^^^^i^B 1 '^ — ^^#nT T^^^^n Indu^^^^^^l ImEi^P^R ■^■■E^m 1 'l(^l//^$^iKiH ^B ^ I 'i-m ^r^ imSmsKmM. 1 %^m ' 'mil I^K/ Mii 1 IKTimK^^Vl. vm.^ 1 ■ i ^**^ ^'' pp .fu ii 1*1 1 fj &'ii r-' 7// tj^'ti ^r ' #i '"*■ n «w MfXSO^ p" 1 nMI '5a w mm. 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II fit monter Joinville sur un palefroi, et I'emmena avec lui a Mansourah, ou le roi et sa gent etaient prisonniers. Des scribes du sultan ecrivirent son nom, et on le fit en- trer dans un grand pavilion ou etaient les barons « et plus de dix mille personnes avec eux », dit-il; et les barons te- moignerent une grande joie de le voir, car ils le croyaient perdu. On les fit passer dans un autre pavilion, oii ils purent etre temoins de la fagon dont les Sarrasins traitaient leurs captifs , malades ou non. Le sultan , qui en etait embar- rasse, avait donne ordre a I'emir Sayf-eddin-Youssouf de s'en defaire peu a peu. On les avait renfermes dans une cour close d'un mur de terre. On les en tirait les uns apres les autres, et on leur demandait : « Veux-tu renier ? » Ceux qui ne le voulaient pas etaient mis d'un c6te et decapites ; ceux qui reniaient, mis de I'autre. C'etait un premier triage. On avait d'abord reserve les artisans eties gens de metier, pour tirer profit de leur Industrie ; mais ensuite on les fit mourir comme les autres. Chaque jour un emir en prenait ainsi trois a quatre cents, et, s'ils ne reniaient, leur faisait cou- per la tete. Quand on les crut suffisamment emus par ce spectacle , le sultan leur envoya ses conseillers ; et Pierre de Bretagne 192 SAINT LOUIS (Mauclerc) ayant ete designe pour repondre en leur nom, on lui dit par les drogmans : « Sire , le soudan nous envoie a vous pour savoir si vous voudriez fitre delivres ? — Oui , dit le comte. — Et que donneriez-vous pour votre deli- vrance? — Ce que nous pourrions faire et souffrir par rai- son. — Donneriez-vous quelques-uns des chateaux des barons d'outre-mer? » Le comte repondit qu'il n'en avait pouvoir; car on les tenait de I'empereur d'AUemagne (roi de Jerusalem). « Et des chMeaux du Temple ou de I'Hdpi- tal ? » Cela ne se pouvait pas davantage ; « car en y mettant des capitaines, on leur fait jurer sur reliques que, pour deli- vrance de corps d'hommes , ils ne les rendront pas. » — « II nous semble bien, dirent les envoyes, que vous n'avez pas envie d'etre delivres ; mais nous aliens vous envoyer des gens qui joueront de I'epee avec vous comme ils ont fait aux autres. » Des qu'ils s'en furent alles, les barons virent se preci- piter dans la salle une troupe de jeunes Sarrasins, I'epee au c6te ; avec eux etait un vieillard aux cheveux blancs , qui fit demander aux prisonniers si c'etait vrai qu'ils crussent en un Dieu pris et mis a mort pour eux, et ressuscite le troisi^me jour. « Oui, » dirent les barons. lis pensaient avoir prononce eux-memes leur sentence. « Ne vous decouragez done pas , dit le vieillard , si vous avez souffert ces persecu- tions pour lui; car encore n'etes-vous pas morts pour lui comme il est mort pour vous ; et s'il a eu pouvoir de ressus- citer, soyez certains qu'il vous delivrera quand il lui plaira. » Et il sortit, suivi de sa bande, « ce dont je fus fort aise, dit Joinville; car je croyois qu'ils nous venoient trancher la tete. J) (Ch. Lxvi.) C'est apres cette cruelle epreuve qu'ils apprirent que le roi avait traite de leur liberation. CHAPITRE X 193 II Traits de saint Louis avec le sultan. — Meurtre du sultan. — Le roi devant les conjures maltres du pouvoir. — Renouvellement du traite. Les conseillers du sultan avaient eprouve le roi comme les seigneurs, pour tocher d'obtenir de lui quelque chateau du Temple, ou de FHOpital, ou des seigneurs de Palestine; et le roi leur avait repondu comme ses barons. lis le mena- cerent de le mettre aux bernicles : c'etait une sorte d'en- traves qui se composait de deux pieces de bois armees de dents, et rentrant I'une dans I'autre; on y introduisait les jambes du patient, et le poids d'un seul homme assis sur cette machine suffisait pour les rompre a plusieurs places. Au bout de trois jours, on renouvelait I'experience sur les membres enfles et meurtris. Le roi dit qu'il etait leur prison- nier, et qu'ils pouvaient faire de lui leur volonte. Quand ils virent qu'on ne le pourrait vaincre par les me- naces , on en revint aux propositions : on lui demanda com- bien il voudrait donner d'argent, outre Damiette, qu'il aurait k rendre. II repondit que si le soudan se contentait d'une somme raisonnable , il demanderait a la reine qu'elle la payat pour la delivrance des prisonniers. « Mais comment n'en prenez-vous pas 1' engagement ? — Je ne sais si la reine le voudra faire, car elle est la maitresse. » G'est a elle qu'il avait confie Damiette ; c'est elle , le roi etant pris , qui , restee libre, avait a decider. Les conseillers en parlerent au sou- dan , et revinrent dire , en son nom , que si la reine voulait payer un million de besants d'or, valant cinq cent mille livres, il le delivrerait^ Saint Louis demanda si le soudan 1 Joinville evalue le million de besants 4 500000 liv. en nombre rond; et c'est par suite de la mSme fajon de compter qu'il parle plus baa et des 100000 liv. (200000 besants) remis par le sultan au roi, et du paiement qui fut fait de la moiti^ de la ranjon avant le depart, 10000 livres par 10000 liv. 13 194 SAINT LOUIS s'y engageait , et quand les conseillers lui en eurent rapporte I'assurance : « Je vous donnerai, dit-il, les cinq cent mille livres pour mes gens, et Damiette pour ma personne; car je ne suis pas tel que je me dusse racheter k prix d'argent. » Quand le soudan en fut inform^: « Par ma foi, dit-il, il est large, le Franc qui n'a pas marchande sur une si grande somme de deniers; » et pour ne point parailre moins gene- reux : « AUez lui dire, ajouta-t-il, que je lui donne cent mille livres pour payer la ranQon. » On se mit en devoir d'executer le traite. Le roi et les principaux seigneurs furent places en quatre galeres, qui reprirent le chemin de Damiette. Dans celle que montait Join- ville etaient les comtes Pierre de Bretagne , Guillaume de Flandre, Jean de Soissons, le connetable de France, Imbert de Beaujeu, Baudouin d'Ibelin et Gui son frere. On arriva le jeudi avant 1' Ascension (28 avril 1250) a un campement clos de treillis et de toiles, oii etait le sultan, sur les bords du Nil, aupr^s de Farescour. Une tour en charpente, reve- tue de toile, en occupait I'entree ; a I'inlerieur on trouvait un pavilion oii les emirs, admis aupres du sultan, deposaient leurs armes ; de la on entrait dans la salle , oii le prince les recevait, puis on rencontrait une tour semblable a la pre- miere, qui etait la porte de la chambre de Touran-Chah. Au del^ .etait un preau, et au milieu du preau une tour plus haute que les autres, d'oii le sultan inspectait le camp et tout le pays. Du preau partait une allee qui menait au fleuve, en un lieu ou le prince s'etait fait tendre un autre pavilion pour s'y baigner. Le roi fut depose dans un pavilion proche du camp. Le surlendemain il devait rendre Damiette et etre remis en liberte. Un tragique evenement allait mettre ces conventions en peril. Tour^n-Ghah, k son retour de Syrie, avait fait entrer dans son conseil les jeunes emirs qu'il avait ramenes avec lui. G'^taient euxqui I'avaient presse de traiter, au plus vite, CHAPITRE X 195 aux conditions que Ton a vues. lis lui representaient qu'il n'avait de sultan que le nom ; que I'ambitieuse Chedjer-eddor et les emirs en retenaient tous les pouvoirs , a cause du besoin qu'il avail d'eux ; qu'il fallait a tout prix amener les Frangais a rendre Damiette et k quitter I'Egypte, et qu'alors il ne serait plus esclave de ses troupes, et pourrait chasser qui lui semblerait bon. Le jeune prince n'etait que trop acces- sible a ces conseils. Deux jours apres la captivite de saint Louis , il avail 6le le gouvernemenl du Cairo a Jesam-eddin, un de ceux qui I'elaient alles chercher a Caifa (pres du Tigre), el le pere de eel officier, ayant soUicite pour lui, avail ete lui-meme frappe de disgrace. Selon Makrisi, il avail memo enjoint a Chedjer-eddor de lui rendre compte des tresors de I'Etat. Celle femme, indignee, lui repondit qu'elle les avail employes a la guerre qui avail sauve son tr6ne , et elle se plaignit de cet affront aux mamlouks bah- riles. 11 refusail a Fares-eddin-Actai, chef de ces mam- louks, une faveur qu'il lui avail promise; il laissait de c6te tout menagement, toute precaution: et le soir, quand il s'etait enivre , on le voyait prendre plaisir a abattre de son sabre des teles de chandelles de cire , disanl : « Voila comme je ferai aux mamlouks; » et il les nommail chacun par son nom. Les emirs menaces resolurent de le prevenir. Actai' les y excitait : soixante entrerent dans le complot. lis ne s'elaient pas mepris sur la raison du traite si brusque- menl conclu ; et le soin qu' avail pris le sultan de doubler sa garde elait un autre indice dont le sens paraissait assez clair. Tout elait a craindre le jour oil enfin il serait maitre de Da- miette. lis voulurent ne pas lui laisser le temps d'y arriver. Le traite avail ete definitivement conclu le 1" mai; le 2, le sultan reunil dans un banquet ses principaux officiers. II avail pris conge d'eux el allait rentrer dans sa chambre , quand les conjures se jeterenl sur lui , I'epee a la main. Le premier qui le frappa ful Rocn-eddin-Bei'bars (Bibars- 196 SAINT LOUIS Bondocdar) , qui portait alors son ep^e. Le sultan , qui sans doute voulait parer le coup , eut les doigts tranches et la main fendue jusqu'au poignet. II crut k une trahison de ses gardes et s'enfuit au milieu du d^sordre, jurant de n'en pas laisser un seul en vie : c'etait les jeter tous dans la revolte. Tandis que les timbales sonnaient , que Ton publiait la prise de Da- miette et que Ton ordonnait aux troupes , comme au nom du sultan , de marcher en hate apr^s lui , les cinq cents hommes de sa garde, abattant ses pavilions, I'assiegerent dans la tour oil il avait cherch^ un refuge, lui criant de descendre; et, comme il demandait surete , ils dirent qu'ils sauraient bien I'y, contraindre , qu'il n'etait pas dans Damiette ; et ils lui lancerent du feu gregeois, qui embrasa en un instant le frele edifice de sapin et de toile. « Jamais, dit Joinville, je ne vis feu si beau et si droit. » Touran-Chah s'etait precipite de la tour. II vit Actai : il se jeta k ses genoux , lui deman- dant protection ; mais Actai' le repoussa. 11 s'enfuit alors vers le fleuve , appelant a son aide , ne demandant que la vie et criant qu'il ne voulait plus etre roi. On le poursuivit a coups de Arches ; un mamlouk mfeme I'atteignit de sa lance , qui lui resta dans le c6te. II put fuir encore, la trainant apreS soi jusqu'a la riviere, oil il se jeta tout eperdu. Mais on I'y suivit encore , et on I'acheva ci coups de sabre. Actai", sans pitie pour son cadavre, lui arracha le cceur. Les Chretiens avaient assiste aux sanglantes peripeties de ce drame. Un instant ils purent craindre d'en etre eux- mfimes les victimes. Les Sarrasins se jet^rent dans les vais- seaux oil ils ^taient retenus , I'epee k la main , la hache da- noise au cou, et poussant des oris de mort. « II y avoit, dit Joinville, tout plein de gens qui se confes- soient k un fr^re de la Trinite , qui avoit nom Jean , et qui etoit au comte Guillaume de Flandre. Mais a mon endroit, il ne me souvint pas de peche que j'eusse fait ; mais je re- fl^chis que plus je voudrois me d^fendre ou m'esquiver, et pis cela me vaudroit. Et alors je me signal et m'agenouillai CHAPITRE X 197 aux pieds de I'un d'eux , qui tenoit une hache danoise a charpentier, et je dis : « Ainsi mourut sainte Agnes. » Mes- sire Gui d'Ibelin, connetable de Chypre, s'agenouilla pr6s de moi, et se confessa a moi ; et je lui dis : « Je vous absous, avec tel pouvoir que Dieu m'a donne. » Mais quand je me levai de la , il ne me souvint plus de chose qu'il m'eut dite ou racontee. » ( Ch . lxx. ) Le roi n'avait pas ete moins en peril que les autres. Actai entra sous sa tente , les mains ensanglantees , et lui demanda ce qu'il lui donnerait pour avoir tue son ennemi ; mais saint Louis ne lui dit pas un mot. Actai lui demanda de le faire chevalier : c'etait , comme on le salt , parmi les plus nobles chez les Chretiens une sorte d'initiation a la vie militaire. Les musulmans, dans leurs rapports avec eux, y avaient plus d'une fois aspire; et Frederic II avait fait chevalier I'emir Fakr-eddin, qui etait naguere le plus puissant entre les chefs des Egyptiens. Actai croyait peut-etre, en recevant du roi des Francs cette marque d'honneur, s'en faire aussi un titre entre tous les autres dans cette revolution ou il avait joue un des principaux r61es; et, comme le roi restait impassible, il agitait son epee sanglante comme pour Ten percer, disant qu'il etait maitre de sa personne et que, selon qu'il rejetterait ou accueillerait sa demande, il lui 6te- rait la vie ou lui rendrait la liberte. Tous ceux qui etaient autour de lui le pressaient de le faire : mais la chevalerie etait une ceremonie chretienne. Saint Louis, plus scrupu- leux que Frederic en cette matiere, protesta qu'il n'y ad- mettrait pas un infidele, ajoutant que, s'il se voulait faire Chretien, il le ferait chevalier et lui confererait beaucoup d'autres honneurs. C'etait laisser en peril sa liberte et sa vie meme : mais c'etait obeir a sa conscience, et nulle force humaine n'avait empire sur ce domaine-la. Bient6t arriverent en tumulte les autres Sarrasins , I'epee nue , les mains teintes de sang , poussant des cris de rage , « comme des ours ou des lions en fureur. » On croyait qu'ils 198 SAINT LOUIS venaient achever cette terrible Iragedie en massacrant le roi apr^s le sultan. Mais a sa vue ils furent comme trans- formes : ils le saluferent k la mode des Orientaux , en por- tant les mains sur leurs tetes ; ils lui dirent de ne pas s'ef- frayer de ce qui etait arrive ; qu'ils avaient du tuer un tyran dont le dessein etait de le mettre a mort dhs qu'il serait maitre de Damiette , sans epargner les Chretiens davantage , et le priferent d'accomplir le traite fait avec Touran-Chah, lui promettant de le mettre en liberte , lui et tous les siens , des qu'il aurait rendu Damiette. Les Chretiens se sentaient par la soulages d'un grand poids. Un traite n'etait cense valable qu'entre ceux qui I'avaient signe : c'etait par une sorte de reaction contre la convention de Touran-Chah et de saint Louis que le complot avait eclate : les Chretiens avaient done tout lieu de craindre pour leur liberte et pour leur vie ; et ceux qui avaient ete si brus- quement assaillis sur les galeres , bien qu'epargnes pour le moment, n'en etaient guere plus rassures. On les avait jetes a fond de cale ; et ils croyaient que c'etait uniqueraent pour ne les pas tuer tous a la fois. lis y resterent toute la nuit, en- tasses les uns sur les autres, « au point, dit Joinville, que mes pieds etoient contre le bon Pierre de Bretagne, et les siens etoient contre mon visage. » Le matin enfin on les en tira, non pour les tuer, mais pour les envoyer aux emirs, afin de renouveler les conventions. (Ch. lxx.) Dans ce temps que les Chretiens avaient passe au milieu de si vives angoisses , la sanglante revolution qu'ils avaient traversee s'etait elle-meme reglee. TourSn-Chah laissait des enfants ; mais ils etaient en Mesopotamie , et nul d'ailleurs ne songeait h remettre sa succession a qui voudrait venger sa memoire. On decida que Ghedjer-eddor aurait I'autorite, que tout se ferait en son nom, et qu'un emir prendrait, avec le titre d'atabek, le commandement des troupes. Ce titre, offert & I'emir Hassam-eddin, puis k Schehab-eddin, fut, sur leur refus, donne a I'emir Ai'bek, surnomme Eizz-eddin, CI-IAPITRE X 199 {I'fionneur de la religion) , et appele aussi le Turcoman, parce qu'il avail ete le mamlouk d'un autre emir, Turcoman d'ori- gine; et ce fut Hassam-eddin qui fut charge de reprendre les negociations avec les chretiens. Le traite fut renouvele. II fut convenu que, des qu'on aurait rendu Damiette aux musulmans , ils remettraient le roi et les autres seigneurs : car, pour le menu peuple, tous ceux qui n'avaient point ete mis a mort, le sultan, contrairement au traite, les avait fait mener a Babylone (le Caire). Le roi devait jurer de remettre deux cent mille livres avant de quitter le fleuve , et deux cent mille des qu'il aurait gagne Acre. Les Sarrasins s'obligeaient a garder ses malades et a tenir en reserve ses approvision- nements , ses armes et ses machines jusqu'a ce qu'il put les envoyer querir. Les emirs jurerent le traite sous la sanction des impre- cations les plus fortes que comportait leur loi : s'ils y man- quaient , ils voulaient etre aussi honnis que le Sarrasin qui , pour son peche , fait le pelerinage de la Mecque , la tete nue , ou qui reprend sa femme apres 1' avoir repudiee, ou qui mange de la chair de pore ! lis comptaient bien lier saint Louis par de semblables imprecations, et, dit Joinville, ils s'etaient fait dresser par un apostat une formule d'execration qu'ils estimaient d'une force sans pareille. On faisait dire au roi que, s'il ne tenait pas les conventions, il voulait etre aussi honni que le chretien qui renie Dieu et sa mere, et prive de la compagnie des douze apfitres et de tous les saints. Gela fut accepte ; mais , comme on ajoutait : « Aussi honni que le chretien qui , en mepris de Dieu , crache sur la croix et marche dessus, ^^ il s'y refusa absolument. On ne voit pas bien pourtant quelle difference il pouvait faire entre ces deux formules,et Ton est tente deprefererla version del'Anonyme de Saint -Denis, de Guillaume de Nangis et du Confesseur de la reine Marguerite: selon ces chroniqueurs, on lui faisait jurer dans la formule qu'il renierait le Christ, s'il manquait a sa parole. II ne s'agissait plus seulement de deshonneur a 200 SAINT LOUIS encourir, mais d'apostasie a faire : la seule supposition en re- voltait sa conscience, il refusa ; et , comme on lui disait que les Sarrasins en etaient furieux; que, s'il ne jurait pas, ils lui feraient couper la tete a lui et a ses gens , il dit qu'ils en pou- vaient faire leur volonte ; qu'il aimait mieux mourir bon Chretien que de vivre dans la haine de Dieu et de sa mere. Aupres du roi se trouvait alors le patriarche de Jerusa- lem, vieillard de quatre-vingts ans, qui s'etait rendu au camp avec un sauf-conduit de Tour£in-Chah pour aider le roi a traiter de sa liberation; mais la mort du sultan avait, selon la coutume suivie alors par les musulmans et les Chre- tiens, annule le sauf-conduit, et le prelat, venu pour deli- vrer le roi, etait retenu lui-meme comme prisonnier. Un des emirs s'en prit a lui de la resistance du roi. « Si vous voulez me croire, dit-il aux autres, je ferai jurer le roi; car je veux faire voler dans son giron la tete du patriarche. » Et il brandissait son sabre. — On n'alla pas jusque-la; mais on saisit le vieillard, et on I'attacha a un des pieux du pa- vilion si etroitement, que ses mains en etaient grosses comme la tete et que le sang lui jaillissait des ongles. Le patriarche criait au roi: « Sire, jurez en toute surete, car je prends sur mon ame le peche du serment que vous ferez, puisque vous etes resolu a le tenir. » Et , en effet , le roi devant tenir le serment, il pouvait admettre, au cas contraire, toutes les suppositions sans encourir le blame de I'impiete ou du blas- pheme. On parvint sans doute a concilier les demandes des Sarrasins avec les scrupules de sa conscience ; car les emirs se tinrent pour satisfaits du serment qu'il preta. Ils allaient done le remettre en liberte. Le bruit courut meme qu'ils avaient songe a I'elever au trfine d'Egypte. Si I'ascendant que le saint roi, par sa vertu, par son calme et par sa fermete , exergait autour de lui avait pu leur inspirer cette idee, bien des raisons, et celle meme qui lui donnait tant d'autorite parmi eux, auraient suffi i la faire ecarter. Saint Louis en parla plus tard a Joinville, lui demandant XVI ART DU XVII" SIECLE — ECOLE FRANgAISE i< Saint Louis en prifere , ■■ par Charles Le Brun (1619- 1690 ) , d'apres I'excel- lente gravure d'Edelinck. Dessin^ par Bocourt , grav6 parCHAPOK. £Bocouiir. ^. CHAPQN. CHAPITRE X 201 s'il croyait qu'il eut accepte celte proposition ; et Joinville lui repondit qu'il eut agi en fol, attendu qu'ils venaient de tuer leur seigneur. Mais le roi repondit » que vraiment il ne I'eut pas refuse ». Prendre pour roi saint Louis, c'eiit ete faire un premier pas vers la religion chretienne : c'est pour cela que saint Louis eut accepte la couronne , et que les Sar- rasins n'eurent garde de la lui offrir. Ill Execution du traite. II fut convenu qu'on mettrait les seigneurs en liberte le lendemain de I'Ascension, 6 mai 1250, et qu'aussitfit que Damiette serait livree aux emirs, on relacherait le roi et ceux qui etaient avec lui. En consequence, le jeudi au soir, jour de I'Ascension, les galeres qui portaient les prisonniers vinrent ancrer au milieu du fleuve, pres du pont de Da- miette, et Ton tendit devant le pont un pavilion oii le roi descendit. Au soleil levant, Geoffroi de Sargines alia dans la ville et la fit rendre aux emirs. On avait, au prealable, fait mon- ter sur les vaisseaux la reine et ceux qui etaient avec elle a Damiette, excepte les malades. Aux termes du traite, les malades devaient rester sous la sauvegarde des Sarrasins avec les approvisionnements memes et les machines , jusqu'a ce que le roi eut pu les faire reprendre. Mais rien de tout cela ne fut respecte. Des que les enseignes du sultan furent arborees sur les murailles, les Sarrasins se jeterent sur la ville, tuerent les malades, mirent en pieces les machines, burent le vin, et, plus respectueux ici de la loi du Pro- phete, s'abstenant de manger du pore, ils brulerent en tas toutes les salaisons, faisant des couches alternatives des engins brises, des pores et des cadavres : le feu dura trois jours. (Ch. Lxxii.) 202 SAINT LOUIS Damiette rendue, le traite serait-il mieux observe a re- gard des prisonniers ? La chose etait douteuse. Un des Sar- rasins qui avaient pris part au massacre des malades etait venu sur la galere oil etait Joinville, et montrait son epee sanglante, se vantant d'avoir tue pour sa part six Chretiens. « Ge jour- la, dit Joinville, nous ne mangeames pas du tout, ni les emirs non plus ; mais ils furent en dispute tout le jour. » Ceux-ci disputaient s'ils tueraient ou non les autres. Un emir soutenait fortement I'opinion qu'il leur fallait tuer le roi et les seigneurs. C'etait, disait-il, se donner, vu I'Sge de leurs enfants , la securite pour quarante ans. « Mais , di- sait un Mauritanien , si nous tuons le roi apres que nous avons tue le soudan , on dira que les Egyptiens sont les plus mauvaises gens et les plus deloyaux du monde. » L'autre confessait que Ton avait mechamment agi en tuant le sou- dan; car Mahomet commande que Ton garde son seigneur comme la prunelle de ses yeux ; mais il y a un second com- mandement : « En I'assurement de la foi , tue I'ennemi de la loi. » Ce nouveau meurtre rachetait Fautre. La resolution en fut presque prise. Deja un des emirs, qui etait de cette opinion , etait venu sur les bords du fleuve , et , en agitant son turban, avait donne aux commandants des galeres le signal de rebrousser chemin. lis leverent I'ancre , et remon- terent le fleuve vers le Caire d'une grande lieue. Les sei- gneurs se croyaient perdus , « et il y eut , dit Joinville , maintes larmes versees. » (Ch. lxxiii.) Ces apprehensions n'etaient pas vaines. Les historiens arabes confirment, a cet egard, le recit de Joinville. Aboul-Mohasser dit que I'emir Hassam-eddin, ce sage emir qui avait refuse la suc- cession du sultan et regu la mission de reprendre les confe- rences avec les Chretiens, proposa lui-meme, contre le traite dont il avait ete le negociateur, de retenir le roi, vu qu'il etait le prince le plus puissant de la chretiente, et qu'il y avait danger ci renvoyer un homme qui avait penetre dans le secret de leur gouvernement. Co fut le nouvel atabec, Aibec, CHAPITRE X 203 et les autres emirs, qui defendirent centre Hassam-eddin le respect de la foi juree, et rhistorien le regrette : il ne croit pas au sentiment d'honnetete qui fit prendre cette resolution. « L'avis d'Hassam-eddin etait, dit-il, sans contredit le plus sage, et si les mamlouks le rejeterent, ce fut par esprit d'in- tergt, ne voulant pas etre frustres de la rangon qu'on leur avait promise. » Vers le soir done Tavis contraire prevalut. Les galeres descendirent le Nil , et aborderent au rivage ; les prisonniers demandaient a rejoindre les leurs au plus vite; mais on leur dit qu'on ne le ferait pas sans leur avoir donne a manger; que ce serait une honte pour les emirs s'ils par- taient a jeun des prisons ; et on leur apporta des beignets de fromage r6tis au soleil , et des oeufs durs qu'en leur honneur on avait fait peindre de diverses couleurs. (Ch. lxxiv.) On les mit enfin a terre, et ils allerent a la rencontre du roi, qu'on ramenait de la rive. Vingt mille Sarrasins, I'epee au cote, lui faisaient cortege. Les Frangais avaient envoye pour le recevoir une galere de Genes ; un seul homme s'y montrait. Mais quand il vit le roi au bord du fleuve, il donna un coup de sifflet, et aussitot quatre-vingts arbaletriers s'e- lancerent sur le pont , armes de toutes pieces et le carreau sur I'arbalete. Sit6t que les Sarrasins les virent, ils s'en- fuirent tous comme des brebis, dit Joinville (il peut bien avoir peint leur retraite sous les couleurs que lui donnait la joie de sa delivrance). On jeta une planche a terre pour recevoir le roi sur la galere. Le comte d'Anjou, son frere, Geoffroi de Sargines, Philippe de Nemours, marechal de France, le maitre de la Trinite et Joinville y monterent avec lui. Le comte de Poitiers etait garde comme otage jus- qu'au paiement des deux cent mille livres que le roi devait donner pour la rangon avant de partir d'Egypte. lis etaient libres. Plusieurs penserent qu'ils n'en seraient pas bien assures tant qu'ils n'auraient pas revu la terre de France. Le comte de Soissons et quelques autres vinrent done des le lendemain (samedi 7 mai) prendre conge du 204 SAINT LOUIS roi. Le roi leur dit qu'il lui semblait qu'ils feraient bien d'at- tendre que le comte de Poitiers fut delivre : c'est pour eux qu'il etait encore prisonnier, c'est d'eux tous qu'il etait I'o- tage. Mais ils dirent qu'ils ne le pouvaient pas ; que leurs galeres etaient tout appareillees ; et ils partirent , emmenant Pierre de Bretagne , qui etait venu expier, avec saint Louis , dans la guerre sainte, les guerres civiles dont il avait ete le principal auteur durant sa minorite. Gravement atteint de la maladie epidemique, il mourut en mer trois semaines apres son depart. Saint Louis ne se regardait point comme libra, tant qu'il n'aurait point rempli tous ses engagements. II aurait bien eu cependant le droit de s'en tenir affranchi par la conduite des Sarrasins h Damiette. Le roi n' avait pas attendu jusque-la pour protester contre le massacre des malades. Des qu'il I'eut appris, il envoya frere Raoul vers Actai' pour lui exp ri- mer son etonnement et lui porter sa plainte sur cette san- glante violation du traite. « Frere Raoul, repondit Actai, dites au roi qu'a cause de ma loi je n'y puis remedier, et cela me pese; mais dites -lui de par moi de ne faire nul semblant qu'il en soit irrite tant qu'il est entre nos mains ; car ce serait un homme mort. » II ne lui refusait pas le droit de s'en souvenir quand il serait ci Acre. Lorsque le roi fut tire de leurs mains, son frere y etait encore. II dut done renoncer a poursuivre une satisfaction impossible, et pour sa part executer les conventions. On commenga a faire le paiement le samedi matin , et on le continua toute la journee du dimanche. On payait a la balance, dix mille livres a la fois. Comme il manquait trente mille livres , Joinville donna au roi le conseil de les demander aux templiers. Le grand maitre etait mort; c'est au com- mandeur et au marechal du Temple que Joinville , par ordre du roi, s'adressa h defaut du grand maitre. Mais ils objec- terent qu'ils n'avaient d'argent qu'en dep6t, et qu'ils faisaient serment de ne le donner qu'^ ceux dont ils I'avaient regu. CHAPITRE X 205 Les templiers ne pouvaient rien preter de cet argent; mais on pouvait le leur aller prendre. Joinville s'en chargea. II s'en vint k la maitresse galere du Temple, et descendit dans la cale ou etait le tresor, invitant le marechal a le suivre pour voir ce qu'il prendrait. Le marechal s'y refusa, disant qu'il se bornerait §i constater la violence. Joinville descendit done, et demanda au tresorier de lui donner les clefs d'une huche qui etait devant lui ; I'autre le rebuta. Qui etait cet homme maigre et decharne, encore convert de I'ha- bit de sa prison? II ne daignait meme pas s'en enquerir. Mais Joinville , ramassant une cognee , dit qu'il en ferait la clef du roi. Sur ce mot , le marechal , le prenant par le poing , lui dit : « Sire , nous voyons bien que c'est violence que vous nous faites. » Sa conscience etait d^s lors a convert ; il lui fit remettre les clefs. La huche renfermait un dep6t de Ni- colas de Choisy, sergent du roi. On en tira tout ce qu'elle contenait d'argent. Joinville le regut sur le vaisseau qui I'a- vait amene , et , quand il revint a la galore du roi : « Sire , dit-il, regardez comme je suis garni; » et le saint homme, ajoute-t-il, me vit bien volontiers et en eut grande joie. » (Gh. Lxxv.) Le paiement put ainsi s'achever. II y eut difflculte encore. L'argent pese , les Sarrasins ne voulaient pas rendre le comte de Poitiers avant que les sacs fussent dans leur demeure. Les seigneurs voulaient que le comte revint avant que l'ar- gent fut emporte. Saint Louis ordonna de le remettre, puis- qu'il I'avait promis , ajoutant que pour eux ils verraient s'ils voulaient manquer a leurs promesses. Un trait marque en- core la delicatesse de saint Louis envers des gens qui pour- tant avaient dej^ fausse leur foi. Philippe de Nemours dit avec un malin plaisir au roi que les Sarrasins s'etaient laisse tromper d'une pesee de dix mille livres. Saint Louis se facha , et dit qu'il voulait qu'on leur rendit ces dix mille livres , puisqu'il en avait promis deux cent mille avant de quitter I'Egypte. « Mors, dit Joinville, je marchai sur le pied de monsei- 206 SAINT LOUIS gneur Philippe, et dis au roi qu'il ne le crut pas, parce qu'il ne disoit pas vrai ; car les Sarrasins etoient les plus habiles compteurs qui fussent au monde. Et monseigneur Philippe dit que je disois vrai , car il ne le disoit que par moquerie. Et le roi dit qu'une telle moquerie etoit malencontreuse. « Et « je vous commande, dit-il ^ monseigneur Philippe, sur ma « foi , que vous me devez comme mon homme que vous etes , « si les dix mille livres ne sont pas payees , que vous les fas- « siez payer. » (Ch. lxxvi.) Pendant que Ton faisait ce paiement, d'ou dependait la mise en liberte du comte de Poitiers , saint Louis montra par un autre exemple combien sa conscience etait incapable de tout compromis. Un Sarrasin de fort bonne mine et riche- ment vetu vint lui offrir un present , faisant en frangais son hommage. Le roi lui demanda ou il avait appris le frangais , et cet homme lui apprit qu'il avait ete Chretien. « AUez-vous- en, lui dit saint Louis; je ne vous parlerai plus; j> et il le congedia ainsi , au risque de provoquer une inimitie fatale a la liberte de son frere. Joinville, qui etait plus porte aux accommodements , tira ce personnage a part , et lui demanda quelle etait sa position. II lui dit qu'il etait ne a Provins, et venu en Egypte avec le roi Jean de Brienne ; qu'il s'y etait marie , et comptait parmi les grands seigneurs. « Mais , dit Joinville , cheque lui-meme de cette apostasie , ne savez-vous pas bien que , si vous mouriez en ce point , vous iriez en enfer? — Oui, repondit I'autre, car il ne meconnaissoit pas I'excellence et la verite de la loi des Chretiens, mais je re- doute , si je retournois chez vous, la pauvrete et le reproche. Toujours on me diroil : « Voila le renegat ; » et j'aime mieux vivre riche et tranquille que de me mettre dans cette situa- tion. » Joinville lui dit qu'au jour du jugement, la oil chacun verraiL son peche, le reproche serait bien plus grand, et il ajouta beaucoup d'autres bonnes paroles qui guere ne va- lurent. « 11 se departit de moi, continue-t-il, et jamais de- puis je ne le vis. » (Ch. lxxvii.) CHAPITRE X 207 Saint Louis , du reste, etait loin de rejeter les renegats. II fit un edit pour defendre qu'on leur reprochSt leur faute , de peur que cette note d'infamie n'en detournSt plusieurs de revenir a la religion chretienne, comme on I'avait vu par cet exemple. Le paiement acheve, le roi donna le signal d'aller rejoindre son vaisseau, qui I'attendait en mer : car jusque-1^, fidele a sa promesse , il s'etait refuse a quitter le fleuve , quelque peril qu'il y couriit de la mauvaise foi des Sarrasins au milieu de leurs vaisseaux. On navigua I'espace d'une lieue en si- lence. On pensait au comte de Poitiers , qui etait encore aux mains des Sarrasins ; mais Philippe de Montfort , monte sur un vaisseau plus leger, vint annoncer au roi qu'il arrivait en vue. Le roi ordonna d'illuminer ; le bonheur de le revoir jetait quelque rayon de joie sur le deuil de ce grand desastre. Pig. 32. — Sculpture architectui"ale. — Rose de Saint - Martin - des - Champa, Fig. 33. — Architecture civile. — MaJBon de Montrfial (Tonne). CHAPITRE XI SAINT LOUIS EN PALESTINE (12S0-12511 I Arrivee a Saint- Jean -d'Acre. — Question du retour. ■ des freres du roi. — Message de Frederic II. • Depart lEN n'etait pret pour recevoir saint Louis quand il arriva sur son vaisseau. Telle etait la detresse (car on ne pent accuser la negligence de ses gens et encore moins celle de la reine) , qu'il dut, jusqu'a ce qu'il eut gagne Acre, cou- cher sur le matelas que lui avait procure le sultan d'Egypte , et porter I'habit qu'il lui avait donne. On n'avait encore mis en liberte que le roi et les principaux seigneurs ; le menu peuple, conduit au Gaire, restait a delivrer, comme il restait a payer 14 210 SAINT LOUIS deux cent mille livres sur la somme convenue. Pour faire ce paiement et pour attendre cette liberation , le roi devait aller a Saint- Jean -d'Acre, ou etait son tresor. On mit a la voile dans cette direction, et pendant les six jours que Ton fut en mer, Joinville , malade et toujours assis auprfes du roi , eut tout le temps d'apprendre de lui les circonstances dont il n'avait pas ete le temoin. Saint Louis lui racontait comment il avait ete pris , et s'enquerait de ce qui lui etait arrive a lui- meme sur le Nil ; et , tirant de toute chose un texte d'ensei- gnement , il lui disait qu'il devait savoir grand gre a Notre- Seigneur, qui I'avait delivre de si grands dangers. II exprimait sa peine de la mort du comte d'Artois , se plaignait de I'indifference du comte de Poitiers, qui ne le venait pas voir sur son vaisseau, et de celle du comte d'Anjou, qui, loge dans le meme navire, negligeait de lui tenir compagnie. II ne comprenait pas davantage qu'on eut le coeur au jeu le lendemain de pareils malheurs. Un jour, ayant appris que le jeune comte etait avec Gautier de Nemours, jouant aux tables , il vint h lui , tout chancelant par suite de sa maladie , prit les des et les tables , et les jeta a la mer. « Mais monsei- gneur Gautier, ajoute Joinville, en fut le mieux paye; car il jeta en son giron tous les deniers qui etoient sur les tables (dont il y avoit grand foison), et les emporta. » Lorsque le roi debarqua au port d'Acre (vers le 12 mai 1250) , de toutes les eglises on vint en procession a sa ren- contre. Ce n'etait plus le souverain dans sa puissance , comme il etait parti des rivages du Languedoc; mais, meme sous ce triste appareil de roi vaincu , sortant de prison , les Chretiens voyaient en lui le seul homme qui se fut interesse a leur sort ; c'etait pour eux qu'il avait souffert. Dans sa visite , il y avait encore un temoignage de sympathie , et pour la Terre- Sainte une esperance. L'image de la patrie absente appa- raissait au milieu d'eux pour les consoler et les soutenir. Le premier soin du roi fut de songer k retirer des mains des musulmans ceux qu'il avait laiss^s derri^re lui. II envoya CHAPITRE XI 2H un ambassadeur en Egypte, avec des vaisseaux pour les ra- mener, et sans doute aussi les deux cent mille livres qui com- pletaient le prix de leur delivrance. Mais deja les Sarrasins avaient acheve les malades a Damiette, et ils avaient de meme mis h mort ou force a I'apostasie plusieurs de ceux qu'ils avaient emmenes au Cairo. Les ambassadeurs , apres avoir ete longtemps retenus dans I'attente , ne purent obtenir que quatre cents prisonniers sur douze mille qu'on supposait encore detenus, et encore ces quatre cents etaient de ceux qui avaient pu payer eux-memes leur rangon. En telle sorte que les envoyes gard^rent leur argent, sans trop d'espoir de recouvrer jamais ceux dont ils -avaient voulu payer la delivrance. Saint Louis avait compte que le traite serait execute par les Sarrasins, qui I'avaient impose, comme par lui, qui I'avait du subir. Ses compagnons delivres , il aurait pu re- prendre le chemin de la France: car, d'une part, la treve dont il etait convenu pour dix ans lui 6tait toute faculte d'a- gir, et donnait aux Chretiens de Palestine le temps de se remettre en defense ; et d'autre part sa mere, ignorant meme sa captivite, le pressait de revenir : elle alleguait que depuis son depart la treve avec I'Angleterre, etant expiree, laissait le royaume en peril. La mauvaise foi des Sarrasins remet- tait tout en question. Le roi pouvait-il partir, laissant der- riere lui tant de Frangais exposes encore a I'abjuration ou a la mort entre les mains des Sarrasins , et les Chretiens de Palestine sous le coup de sa defaite? Ses dispositions ne pou- vaient pas etre douteuses; mais il ne suffisait pas qu'il resteit seul; et d'ailleurs, en cas si grave, il voulait avoir I'avis de ses barons. Le dimanche 19 juin, il reunit ses freres et les principaux seigneurs, et il leur exposa la situation. La reine sa mere le presse de revenir en France, disant que le royaume est en peril ; mais, d'autre part, ceux de Palestine lui disent que, s'il s'en va , ce pays est perdu : car nul ne se resoudra a roster 212 SAINT LOUIS dans Acre avec si peu de monde. II les invitait a reflechir sur cette double consideration, et leur donnait huit jours pour lui en dire leur avis. Plusieurs etaient en mesure de le lui exprimer dans I'heure meme : le legat , par exemple. Avant le jour fixe , il vint trouver Joinville , et lui dit qu'il ne comprenait pas comment le roi pourrait demeurer ; et il lui offrait de le prendre sur son vaisseau. Joinville s'en fut bien volontiers alle avec lui ; mais il se rappelait une parole que lui avait dite son cousin de Bourlemont (ou Boulaincourt) avant son depart : « Vous vous en allez outre- mer; or pre- nez garde au revenir ; car nul chevalier ne pent revenir sans etre honni , s'il laisse aux mains des Sarrasins le menu peuple de Notre-Seigneur, en compagnie duquel il est alle. » II I'opposa au legat , qui s'en feicha et qui lui dit qu'il n'aurait pas du refuser. Le dimanche (26 juin) on se reunit, comme il etait con- venu , devant le roi. Les freres de saint Louis et les seigneurs avaient charge Gui Mauvoisin de lui exprimer leur opinion commune. C'etait qu'on ne pouvait demeurer plus longtemps en Palestine avec honneur pour le roi et son royaume ; « car, disait-il au roi, de tous les chevaliers qui vinrent en votre compagnie , et dont vous en amenates en Chypre deux mille huit cents , il n'y en a pas en cette ville cent de reste. Aussi vous conseillent-ils , Sire, que vous vous en aUiez en France, et vous procuriez gens et deniers , avec quoi vous puissiez promptement revenir en ce pays vous venger des ennemis de Dieu qui vous ont garde en prison. » Le roi ne s'en voulut pas tenir a ce qu'avait dit Gui Mau- voisin. II interrogea encore le comte d'Anjou , le comte de Poitiers , le comte de Flandre et plusieurs autres seigneurs ; et tous s'accorderent avec le preopinant. Pres d'eux etait assis le comte de Jaffa : son opinion pouvait etre de grand poids, puisqu'il etait de Palestine ; et c'est au nom de I'inte- ret de la Palestine que les seigneurs avaient conseille le de- part. Le legat lui demanda ce qu'il en pensait. Le comte CHAPITRE XI ' 213 refusa de donner son avis, disant que son chateau etait sur la frontiere, et que son conseil pourrait ne point paraitre desinteresse. Mais, commele roi insistait pour I'avoir, illui dit que , s'il se trouvait en etat de tenir la campagne pen- dant un an, il se ferait grand honneur h rester. Geux qui venaient apr^s appuyerent I'avis de Mauvoisin , jusqu'a Joinville , qui , interroge comme les autres par le legat, n'hesita point a repondre qu'il etait d'accord avec le comte de Jaffa. « Et comment, dit le legat tout courrouce, le roi pourrait-il tenir la campagne avec si peu de troupes qu'il a? — Je vais vous le dire, repondit Joinville sur le meme ton. On dit que le roi n'a rien depense encore que sur les deniers du clerge (I'argent de la croisade); qu'il prenne du sien ; qu'il envoie chercher des chevaliers en Moree et outre- mer : quand on entendra dire qu'il paie bien et largement , les chevahers lui viendront de toutes parts, et il pourra tenir la campagne pendant un an , s'il plait a Dieu. En demeurant , il fera delivrer les pauvres prisonniers qui ont ete pris au service de Dieu et au sien, et qui jamais n'en sortiront si le roi s'en va. » — « II n'y en avoit aucun la , continue Joinville , qui n'eut de ses proches ainsi en prison : aussi nul ne me reprit ; mais tous se mirent a pleurer. » Guillaume de Beaumont, marechal de France, qui vint apres Joinville , I'approuva ; mais cela n'alla pas plus loin ; et quand il allait exposer ses raisons, son oncle, Jean de Beaumont, qui voulait retourner en France, I'apostropha avec injure, s'ecriant : « Orde longaigne (sale ordure), que voulez-vous dire? Rasseyez-vous tout coi! — Messire Jean, dit le roi, vous faites mal ; laissez-le dire. — Non, » reprit Jean. Et le marechal dut se tairo. II n'y eut plus de I'avis de Joinville que le sire de Chatenay. Le roi les remercia , et remit a huit jours pour leur dire ce qu'il aurait resolu. On se separa, et Joinville se vit expose a mille assauts. « Le roi serait bien fou, sire de Joinville, lui disait-on iro- 214 SAINT LOUIS niquement, s'il ne vous croyait centre tout le conseil du royaume de France. » La table raise, le roi le fit'asseoir aupr^s de lui, comme il faisait toujours quand ses freres n'etaient pas 1^; mais, contrairement a son habitude, il ne lui dit pas un mot de tout le repas ; et le senechal croyait qu'il etait fglche contre lui pour cette parole : « qu'il n'avait encore rien depense de ses deniers , » quand en realite il en usait largemenL. Tandis que le roi entendait les graces, il s'en vint h une fenetre grillee , qui etait vers le chevet du lit de saint Louis , et il tenait les bras passes par les barreaux de la fenetre, pensant en lui-raeme que si le roi retournait en France, il s'en irait vers le prince d'Antioche (qui le tenait pour parent, et I'avait envoye querir), jusqu'a ce qu'une autre croisade vint au pays, qui permit de delivrer les prisonniers, selon le conseil du sire de Bourlemont. « Au moment oii j'etois la, continue-t-il, le roi se vint appuyer a mes epaules , et me tint ses deux mains sur la tete. Et je crus que c'etoit monseigneur Philippe de Nemours , qui m'avoit cause trop d'ennui ce jour-la pour le conseil que j'avois donne au roi, et je dis ainsi : « Laissez-moi en paix , monseigneur Philippe ! » Par aventure , en faisant tour- ner ma tete , la main du roi me tomba au milieu du visage , et je reconnus que c'etoit le roi a une emeraude qu'il avoit au doigt. Et il me dit : « Tenez-vous tout coi; car je veux vous demander comment vous, qui etes un jeune homme, vous futes si hardi que vous m'osStes conseiller de demeu- rer, contre tons les grands hommes et les sages de France, qui me conseilloient de m'en aller. — Sire, fls-je, si j'avois une mauvaise pensee dans le coeur, je ne vous conseillerois k aucun prix de I'executer. — Dites-vous, fit-il, que je ferois une mauvaise action si je m'en allois ? — Oui , Sire , fis-je; que Dieu me soit en aide! j Et il me dit: « Si je demeure, demeurerez-vous? » Et je lui dis: « Oui, si je puis, ou k mes frais, ou aux frais d'autrui. — Or soyez tout aise, me dit-il; car je vous sais bien bon gre de ce GHAPITRE XI 215 que vous m'avez conseille ; mais ne le dites a personne toute cette semaine. » — « Je fus plus a I'aise de cette parole, continue Joinville, et je me defendois plus hardiment centre ceux qui m'assailloient. On appelle les paysans du pays poulains ; et messire Pierre d'Avallon , qui demeuroit a Sur, ouit dire que Ton m'appelloit poulain parce que j'avois con- seille au roi de demeurer avec les poulains. Aussi monsei- gneur Pierre d'Avallon me recommanda que je me defendisse centre ceux qui m'appeloient poulain , et que je leur disse que j'aimois mieux etre poulain que roussin fourbu, ainsi qu'ils I'etoient. » Le dimanche venu (3 juillet), les seigneurs se rendirent chez le roi. Quand il les vit autour de lui, il se signa sur la bouche, comme pour invoquer le Saint- Esprit sur ses pa- roles, et leur dit : « Seigneurs, je remercie beaucoup ceux qui m'ont con- seille de m'en aller en France, et je rends graces aussi a ceux qui m'ont conseille de demeurer. Mais je me suis avise que, si je demeure, je n'y vols point de peril que men royaume se perde; car Madame la reine a bien des gens pour le defendre ; et j'ai regarde aussi que les barons de ce pays disent que, si je m'en vais, le royaume de Jerusalem est perdu, et que nul n'osera y demeurer apres moi. J'ai done regarde qu'^ nul prix je ne laisserois perdre le royaume de Jerusalem , lequel je suis venu pour garder et pour con- querir ; ainsi ma resolution est telle que je suis demeure quant a present. Aussi vous dis-je a vous, riches hommes qui etes ici, et a tous autres chevaliers qui voudront de- meurer avec moi, que vous veniez me parler hardiment; et je vous donnerai tant, que la faute n'en sera pas a moi, mais a vous , si vous ne voulez demeurer. » « II y en eut beaucoup, dit Joinville, qui ouirent cette parole, qui en furent ebahis, et il y en eut beaucoup qui pleurerent. » (Ch. lxxxv.) Cette resolution etait grande, genereuse et sage en meme 216 SAINT LOUIS temps. On a vu les deux raisons capitales qui devaient de- terminer saint Louis. Rentrer dans son royaume, c'etait abandonner, sans espoir de delivrance, ceux de ses compa- gnons qui survivaient encore dans les prisons de I'Egypte; c'etait laisser la Palestine exposee h. toules les consequences de sa defaite, en presence d'un ennemi que la victoire avait exalte. Tout le retenait en Orient, et rien n'exigeait impe- rieusement son retour dans ses Etats. Sa m^re y veillait, et quel ennemi eut ose I'attaquer, profitant de son absence ? Si la croisade etait pour tous une sauvegarde, ses malheurs memes le rendaient plus sacre encore, et assuraient une inviolabilite absolue a son domaine. II pouvait done et il devait rester. II resta, et ne pensa k I'Occident que pour en reclamer des secours qui lui permissent de continuer son CBUvre. C'est le cri qui s'echappe de son coeur dans cette lettre si belle qu'il ecrivit alors aux prelats et aux barons de France, lettre oii, apres avoir raconte avec la meme simplicite ses premiers succes et ses derniers revers, il sait se feliciter des uns sans s'excuser des autres, s'humi- liant pour le tout devant Dieu. II expose pourquoi il s'est decide a rester, et fait appel a tous pour qu'on vienne le rejoindre : « Courage done, soldats du Christ! armez-vous, et soyez prets a venger ses affronts et ses outrages. Prenez exemple sur vos devanciers, qui se distinguerent entre les autres peuples par leur devotion, par la sincerite de leur foi, et qui remplirent du bruit de leurs belles actions I'univers. Nous vous avons precedes dans le service de Dieu; venez vous joindre a nous. Quoique vous arriviez plus tard , vous recevrez du Seigneur la recompense que le p^re de famille de I'Evangile accorda indistinctement aux ouvriers qui vin- rent travailler a sa vigne ci la fin du jour, comme aux ouvriers qui etaient venus au commencement. Ceux qui viendront, ou qui enverront du secours pendant que nous serons ici, obtiendront, outre les indulgences promises aux croises, la XVII ART DU XVI1'= SIECLE — ECOLE FHANQAISE Saiat Louis enleve au ciel, ., par Simon Vouet (1390-1649). Dessin§ par Bocourt , grave par Laplante. CHAPITRE XI 217 faveur de Dieu et celle des hommes. Faites done vos prepa- ratifs, et que ceux & qui la vertu du Trfes-Haut inspirera de venir ou d'envoyer du secours, soient prets pour le mois d'avril ou de mai prochain. Quant a ceux qui ne pourraient pas §tre prets pour ce premier passage, qu'ils soient du moins en etat de faire celui qui aura lieu a la Saint -Jean. La nature de I'entreprise exige de la celerite , et tout retard deviendrait funeste. Pour vous, pr^lats et autres fideles du Christ, aidez-nous aupres du Tres-Haut par la ferveur de vos pri^res ; ordonnez qu'on en fasse dans tons les lieux qui vous sont soumis, afin qu'elles obtiennent pour nous, de la clemence divine, les biens dont nos peches nous rendent indignes. « Fait a Acre, Tan du Seigneur 1250, au mois d'aout. » Le roi ordonna que ses freres retourneraient en France. Etait-ce a leur requete ou par sa volonte? Joinville ne se prononce pas. Ses freres devaient souhaiter de repartir, et le roi pouvait aimer de les mettre a la disposition de sa mere dans son royaume. Mais, restant lui-meme, il avait besoin de recomposer autour de lui sa compagnie; et ce n'etait pas sans quelques difficultes : car, le plus grand nombre voulant partir, ceux qui se montraient disposes a demeurer elevaient haut leurs pretentions. Un mois s'etait ecoule, que les negociations n'avaient pas encore abouti. Joinville seul se montrait plus accommodant; mais ce qu'il demandait paraissait encore si considerable aux principaux officiers du roi , qu'ils n'osaient le lui donner ; et ils le de- clarerent k saint Louis. Le roi dit : « Appelez-moi le sene- chal. » Joinville s'approcha et s'agenouilla devant le roi. Le roi le fit asseoir, et lui dit: « Senechal, vous savez que je vous ai toujours beaucoup aime ; et mes gens me disent qu'ils vous trouvent dur. — Comment est-ce. Sire? dit Joinville; je n'en puis mais ; car vous savez que je fus pris sur I'eau et qu'il ne me demeura rien. » Le roi lui demanda ce qu'il voulait avoir. II reclamait deux mille livres pour les huit 218 SAINT LOUIS mois qui restaient k courir jusqu'a Pdques. II s'etait assure de trois chevaliers bannerets, moyennant quatre cents livres chacun. Le roi compta sur ses doigts. « Ce sont, dit-il, douze cents livres que vos nouveaux chevaliers couteront. — Or regardez, Sire, repartit Joinville, s'il ne me faudra pas bien huit cents livres pour me monter, m'armer, et don- ner a manger h. mes chevaliers ; car vous ne voulez pas que nous mangions dans votre hdtel. » Le roi dit a ses officiers : « Vraiment, je n'y vois rien d'excessif ; » et ^ Joinville : « Je vous retiens. » (Gh. lxxxvi.) C'est alors que les freres du roi , et les seigneurs qui de- vaient retourner en France, prirent conge de saint Louis (commencement d'aoiit 1250). Le comte de Poitiers, tou- jours genereux, emprunta des joyaux a ceux qui partaient avec lui, pour en donner a ceux qui restaient. Les deux freres du roi ne le quitterent pas sans recommander a Join- ville de veiller sur sa personne. Le comte d'Anjou montra en partant une douleur qui surprit tout le monde, et prin- cipalement sans doute ceux qui le connaissaient. Feu apres leur depart arriverent des envoyes de Frederic. lis disaient que I'Empereur les avait envoyes pour travailler a la deh- vrance du roi, et montrerent les lettres qu'il ecrivait au soudan, dont il ignorait la mort. Tout ce que faisait Fre- deric etait suspect. Plusieurs penserent qu'il n'eut pas ete bon que les messagers trouvassent encore le roi prisonnier, soupgonnant qu'ils etaient envoyes dans la pensee bien moins de le tirer de prison que de I'y retenir, soupQon qui ne parait pas fonde. Saint Louis s'etait toujours montre em- presse a reconciUer le pape et I'Empereur. Frederic n'avait d'autre espoir qu'en lui. Le saint roi, revenant de la croi- sade avec I'aureole des souffrances endurees pour la cause de Jesus -Christ, eut ete bien plus fort dans sa mediation aupres du saint-siege. C'est un appui que Frederic, au mi- lieu des perils d'une lutte qui menagait de tourner centre lui , avait interet h se menager. GHAPITRE XI 219 II Saint Louis en presence des musulmans d'Egypte et de Syrie. — II fortifle Saint-Jean-d'Acre. — Message du Vieux de la Montagne. — D^ivrance des prisonniers d'Egypte. — Lutte des Egyptiens et des Syriens. On aurait pu croire saint Louis dans I'impuissance de rien faire au sortir d'une campagne ou il avait essuye de tels revers. II n'en fut rien ; et les circonstances semblaient don- ner raison a la resolution genereuse qu'il avait prise de Tes- ter en Palestine, pour le salut de ses compagnons captifs et de ces Chretiens d'outre-mer, si pres eux-memes de leur ruine. La revolution accomplie en Egypte avait amene une sepa- ration plus grande entre ce pays et les Etats de Syrie. Le sultan d'Alep , Nacer-Youssof , y trouva meme une occasion naturelle de s'etendre. Damas, si longtemps dispute entre Alep et I'Egypte, appartenait alors a I'Egypte. Les emirs qui I'occupaient refuserent le serment qu'on leur demandait au nom des mamlouks et de Chedjer-eddor, et lis se don- nerent a Nacer-Youssof, qui vint a Damas et y transfera le siege de son empire (13 juillet 1250). Nacer n'en resta pas la ; il prit quelques autres places qui appartenaient aux Egyptiens en Syrie , et , a I'appel de quelques emirs , il son- geait meme a envahir I'Egypte, qui etait encore agitee et troublee, malgre sa victoire, par les suites de sa revolution. Pour cette entreprise, il eut I'idee de faire alliance avec saint Louis, et il lui envoya des ambassadeurs. Ainsi la rivalite des musulmans relevait le roi vaincu et en faisait presque I'arbitre de leur querelle. En s'y melant, il y trouvait du moins I'occasion de stipuler des garanties en faveur des Chre- tiens. Saint Louis avait toute raison de se croire degage a 220 SAINT LOUIS regard des Egyptiens. lis avaient tue ses malades; ils avaient garde , s'ils n' avaient tue aussi , le plus grand nombre de ses prisonniers : c'etait plus qu'il n'en fallait pour etre autorise a rompre la treve qui avait ete conclue. Neanmoins, avant d'accepter les offres de Nacer, il voulut savoir si les Egyp- tiens etaient disposes h revenir aux conditions qu'ils avaient acceptees. Ceux-ci, en presence du peril dont ils etaient menaces , avaient voulu mettre un homme h leur tete : a Ghedjer-eddor ils avaient substitue Ai'bek Eizz-eddin, le Turcoman qu'ils avaient naguere eleve a la dignite d'ata- bek; ils le proclamerent sultan; mais bientfit, craignant de s'etre amoindris eux-memes en repudiant la race d'Ayoub, ils donn^rent ce titre a I'ayoubite Moussa, sous le nom de Malec-Achref {le prince tres-noble) : Ai'bek, redevenu ata- bek, n'en restait pas moins le maitre de toute chose. Ce changement de personne pouvait suffire a leurs yeux pour les degager de toute promesse. Le roi envoya done tout a la fois Jean de Valenciennes au nouveau sultan en Egypte pour lui poser la question, et a Nacer un jacobin breton, frere Yves , pour suivre les negociations entamees. Dans I'attente des resultats de ces ambassades, resultats qui devaient decider de sa conduite , il employait son temps a mettre le.pays en defense. II ajoutait aux fortifications de Saint- Jean-d'Acre; il entourait de murs un quartier de la ville, le mont Musard, qui en etait depourvu. 11 reparait de la meme sorte I'enceinte de Cai'phas , situee au pied du Gar- mel, et de quelques autres cheiteaux. II y travaillait de ses mains pour gagner les indulgences attachees h ces labeurs et en donner I'exemple aux autres. II s'efforgait aussi de reta- blir le bon accord et la discipline parmi les Chretiens , chose qui n'importait pas moins que I'autre h leur surete. II voulait qu'on oublieit meme la faute de ceux qui avaient renie la foi , lorsqu'ils y etaient revenus, et defendit, nous I'avons vu, qu'on leur reprochSt leur faiblesse. Sa bonne influence, la comme en Egypte, se faisait sentir sur les infideles. Des CHAPITRE XI 221 emirs , attires par sa reputation , venaient le voir, voulaient faire amitie avec lui, et plusieurs (ce qu'on n'a guere vu depuis), touches de sa saintete, se laissaient gagner a sa religion et regurent le bapteme. Ce fut pendant ce sejour a Saint- Jean -d'Acre qu'il regut les messagers du Vieux de la Montagne. La scene racontee par Joinville met en une vive lumiere la terreur que cet etrange despote repandait dans le monde par les aveugles executeurs de ses com- mandements, et I'ascendant que nos ordres religieux et militaires , bravant la mort aussi , mais pour d'autres croyances, savaient prendre sur le chef meme de ces fana- tiques. Saint Louis etait bien digne de le mettre aussi h. ses pieds. II regut ces messagers au sortir de la messe. lis se presen- terent devant lui dans cet ordre : en tete , un emir riche- ment vetu ; derriere lui , un assassin tenant trois couteaux fiches I'un dans I'autre ; la lame du second dans le manche du premier, et celle du troisieme dans le manche du second. Symbole de mort inevitable : au premier executeur devait succeder un second, et au second un troisieme, jusqu'a I'accomplissement de I'arret ; c' etait en meme temps le signe du defi qui etait porte au roi, et du sort qui I'atten- dait en cas de refus. Derriere celui-ci venait un autre , qui portait un linceul entortille autour de son bras, comme pour ensevelir celui que le poignard de son compagnon aurait frappe. Le roi invita I'emir a parler : « Mon seigneur, dit Femir, m'envoie vous demander si vous le connaissez. — Non, re- pondit tranquillement saint Louis, puisque je ne I'ai jamais vu ; mais j'ai entendu parler de lui. — Puisque vous avez entendu parler de lui, reprit I'emir, je m'etonne que vous ne lui ayez pas envoye du v6tre assez pour le retenir comme ami, ainsi que font chaque annee I'empereur d'AUemagne, le roi de Hongrie, le soudan de Babylone et les autres, cer- tains qu'ils ne peuvent vivre qu'autant qu'il plaira a mon 222 SAINT LOUIS seigneur. Si vous ne le voulez pas, faites-le au moins ac- quirer du tribut qu'il doit a I'Hdpital et au Temple. » Ce farouche potentat , devant qui le monde tremblait , payait, en effet, tribut a I'Hfipital et au Temple : que pou- vait-il sur des ordres dont le grand maitre, tue, etait aussi- t6t remplace par un autre ? G'eut ete en pure perte envoyer les assassins h la mort. Le roi repondit a Temir de se representer dans I'apres- dinee. Quand il revint, il trouva le roi assis entre le maitre de rH6pital et le maitre du Temple ; et le roi lui dit de repeter ce qu'il lui avait dit le matin. L'emir repondit qu'il ne vou- laU le faire que devant ceux qui , le matin , etaient avec le roi. Mais les deux maitres : « Nous vous commandons de le dire. » II obeit ; et les deux maitres lui dirent de leur venir parler le lendemain a rH6pital. II y vint. Les deux maitres lui dirent que son seigneur avait ete bien hardi de faire entendre au roi de telles pa- roles. « N'eut ete pour I'amour du roi, ajouterent-ils, nous vous aurions fait noyer tous les trois dans la sale mer d'Acre, en depit de votre seigneur. Et nous vous commandons que vous vous en retourniez vers lui , et que , dans la quinzaine , vous soyez ici de retour, apportant de votre seigneur telles lettres et tels joyaux que le roi en soit satisfait. » Dans la quinzaine , les messagers revinrent , apportant en present la chemise du Vieux de la Montague : « Comme la chemise est de tous les vetements le plus pres du corps, ainsi, disaient-ils, le Vieux voulait tenir le roi plus pres dans son amour que nul autre roi. » Le cheik lui envoyait du reste d'autres symboles de son amitie avec d'autres presents: un anneau d'or tr^s-fin oij son nom etait ecrit, en signe qu'il epousait le roi et voulait etre desormais tout un avec lui ; un elephant et une girafe en cristal , des pommes de diverses esp^ces en cristal , des jeux de tables et d'echecs: et toutes ces choses etaient fleuretees d'ambre, CHAPITRE XI 223 et I'ambre etait lie au cristal par de belles vignettes de bon or fin. Le roi, content de cet acte de soumission, ne voulut pas se laisser vaincre en generosite. II envoya au Vieux de la Montagne des joyaux, des draps d'ecarlate, des coupes d'or et des freins d' argent. II lui deputa aussi frere Yves, un Bre- ton qui savait la langue du pays , le meme qu'il avait naguere envoye en ambassade aupres du sultan de Damas. Ge n'etait probablement pas dans la pensee de convertir le chef des assassins. Si ce bon frere I'essaya, comme Joinville parait I'indiquer, il en fut pour sa peine , et il n'y devait pas encou- rager les autres par le tableau qu'il fit de cette etrange cour. Quand le Vieux chevauchait, il avait devant lui un heraut qui portait une hache danoise a long manche, manche tout convert d'argent et herisse de couteaux ; et le heraut criait : « Detournez-vous de devant celui qui porte la mort des rois entre ses mains. » Les emirs d'Egypte avaient compris le peril dont ils etaient menaces , si le roi de France acceptait le secours du sultan d'Alep pour tirer vengeance de sa defaite. Puisque saint Louis se montrait dispose a s'en tenir au traite, ils avaient tout interet a y revenir eux-memes. lis lui envoyerent im- mediatement quelques prisonniers , entre autres Guillaume de Chateauneuf , grand maitre de I'HSpital , et trente de ses freres d' amies, avec des ambassadeurs pour renouveler les conventions. Mais saint Louis declara qu'il ne ferait pas de nouvelle treve avant qu'on lui eut rendu les tetes des Chre- tiens exposees sur les murs du Cairo depuis 1239, et tous ceux qui avaient ete pris enfants et contraints d'abjurer. II demandail de plus , en raison des infractions faites par les musulmans au traite , la remise de deux cent mills livres res- tant a payer sur la somme convenue. Jean de Valenciennes fut renvoye avec les ambassadeurs pour faire cette declara- tion aux emirs et en recueiUir les effets. (Gh. xcii.) Les emirs d'Egypte ne s'y refusaient pas ; mais 1' execution 224 SAINT LOUIS de ces articles n'etait pas toujours facile. Plusieurs des captifs avaient ete vendus a des particuliers : il les fallait rechercher dans le pays oii ils etaient disperses. Saint Louis n'y mena- gea ni peine ni argent. Les Egyptiens laissaient a ses deputes toute la liberte de parcourir leur contree pour les retrouver et les racheter. Cela demandait du temps, et les emirs n'en etaient point fSches sans doute, puisque, durant tout ce temps, saint Louis ne pouvait songer h se joindre a leur ennemi. Mais a la fin , le pieux roi obtint un resultat com- plet; et les historiens temoignent qu'il delivra, selon qu'il en avait marque I'intention au traite, non-seulement ceux qui avaient ete pris en combattant avec lui ( autant du moins qu'il en restait), mais ceux memes qui etaient demeures captifs en Egypte depuis le traite de Malec-Camel avec Fre- deric, en 1229. Ces malheureux, en arrivant a Saint- Jean -d'Acre, trou- vaient encore dans la charite de saint Louis ce qui pouvait subvenir a leur denument. Quelques-uns entrerent au ser- vice du roi dans des conditions avantageuses. Au nombre de ceux que Jean de Valenciennes ramena de sa premiere mission , il y avait quarante chevaliers de la cour de Cham- pagne, que Joinville habilla lui-meme et presenta a saint Louis , en le priant de les retenir avec lui. Le roi demanda ce qu'ils exigeaient, et quand ils I'eurent dit, il gardait le silence. La somme paraissait excessive, vu la penurie du tresor, et un chevalier du conseil en reprit vivement Join- ville. Mais Joinville lui repondit que la Champagne avait deja perdu a la croisade trente-cinq chevaliers , tous portant ban- ni6re ; que le roi ferait mal de le croire , vu le besoin qu'il avait de chevahers ; et sur cela il fondit en larmes. Le roi lui dit qu'il se tut; qu'il lui donnerait tout ce qu'il avait demande ; et il mit les chevahers dans son corps de bataille. (Ch. xcn.) Les Chretiens restaient done neutres, mais la guerre se poursuivait entre le sultan d'Alep et les Egyptiens. Nacer, CHAPITRE XI 223 avec ou sans le roi de' France, esperait bien faire la con- quete de I'Egypte. Apr^s une premiere tentative dirigee par ses lieutenants , il partit de Damas vers le milieu de decembre, emmenant avec lui les autres princes de la famille d'Ayoub , qui etaient en Syrie, entre autres I'ancien prince de Damas, Saleh- Ismail, fils de Malec-Adel, Malec-Achref, I'ancien prince d'Emese, etc. 11 vint a Gaza, d'oii les Egyptiens s'etaient retires, et entra en Egypte. L'atabek Ai'bek et les emirs reunirent les Turcs et les mamlouks , firent des levees parmi les Bedouins et les Arabes, et, laissant Achref- Moussa au Caire, ils vinrent a Salehiya (26 Janvier 1251). Les deux armees se rencontr^rent , le jeudi 2 fevrier, dans le voisinage d'Abassa. Les Egyptiens plierent d'abord, et les Syriens se mirent a leur poursuite. Mais Ai'bek avait tenu bon avec un petit nombre de Bahrites, et, voyant le prince d'Alep de- meure en arriere, il fondit sur lui et le forga a fuir; puis, revenant sur les Syriens qui poursuivaient le gros des Egyp- tiens, il s'empara de leur general et lui fit sur-le- champ couper la tete. Saleh-lsmail, Malec-Achref et deux fils du grand Saladin furent au nombre des prisonniers. Les pre- miers bataillons des Syriens vainqueurs etaient deja parvenus a Abassa, ne doutant pas de Tentiere defaite des ennemis. Quand on apprit ce qui s'etait passe, les uns furent d'avis de marcher sur le Caire : on y arrivait a la suite des fuyards , et on pouvait surprendre la ville dans le trouble qu'ils y avaient porte ; les autres , cedant a leur tour au sentiment de leur isolement , opinerent pour que Ton regagnat la Syrie , et c'est le parti qui I'emporta. Ce fut une grande joie au Caire, ou Ton croyait tout perdu ; et tout y etait perdu , en effet , si les Syriens avaient suivi leur premiere resolution ; car Ai'bek n'aurait plus eu assez de troupes pour leur livrer bataille. On y attendait le sultan d'Alep, on s'y etait a peu pres resigne. Ce jour-la, au Caire et dans le chateau de la Montague , la priere publique 15 226 SAINT LOUIS se fit en son nom. Ai'bek usa cruellement de la victoire. Saleh- Ismail, k qui il avait fait rendre, le premier jour, de grands honneurs, fut etrangle, et plusieurs autres chefs tombferent aussi victimes de ses vengeances. II aurait surtout voulu atteindre le rival qui lui avait echappe. Le djamdar Actai entra par son ordre en Palestine , s'empara de Gaza , et vint camper k Naplouse. Mais Nacer, malgre sa defaite, disposait encore de forces considerables. Actai' dut revenir h Gaza , et de Gaza en Egypte. Ill Saint Louis a Cesarde. — Sa conduite en Palestine. Cette guerre avait donne pendant toute une annee securite enti^re a saint Louis. Les routes etaient libres , et des vais- seaux , entretenus par le roi , protegeaient les rivages centre les pirates. Durant ce repos force, le roi n'oubliait pas les obligations du pelerin. Prive d'aller dans la ville ou Jesus- Christ etait mort , il voulut visiter au moins celle ou il s'etait incarne pour nous; et la veille de I'Annonciation (24 mars 1251) il partit de Sephora (I'ancienne Diocesaree), ou il avait couche, et prit la route du mont Thabor et de Naza- reth. De si loin qu'il put voir le lieu sacre, il descendit de cheval , et , se mettant k genoux , il adora ; puis il se rendit a pied dans I'humble et sainte ville , entra dans le lieu con- sacre par le souvenir de Tlncarnation , y fit celebrer avec grande pompe la solennite du jour, et le lendemain y com- munia. II sut employer d'une autre fagon encore ses loisirs. Le 29 mars 1251, au retour de son pfelerinage, il partit d'Acre pour se rendre k G^saree. II voulait, selon le conseil des templiers et des hospitallers, rendre k cette ville, autrefois la metropole de la Palestine , son ancienne force. 11 campait CHAPITRE XI 227 aux abords et en faisait relever les murailles , mettant lui- m6me la main k I'oeuvre et portant la hotte, comme il I'avait fait pour Acre et les chateaux voisins. C'est a ce sejour a ■na& StTiSS ono3.tmnca& 'nS-rxcni. ti^asS^ cvtr«ctS tioS -r^Se: exxKiaxtib • Ludovicus, Dei gracia, Francorum rex, karissimo fratri et fideli suo A[lfonso] , Pictavensi et Tholose comiti , salutem et fraterne dilectionis aflfectam... De statu karissime domiae et ma- tris nostre, vestro , karissimi et fidelis nostri K[aroli] Andegavie et Provincie comitis et karissime sororis nostre , quern semper audire prosperum alTectaiDur, et de rumoribus partium nostrarum, quotiens oportunitas nuntiorum aiTuerit, curetis nos reddere certiores. Data in castris juxta Cesarean! Palestine, anno Domini millesimo ducentesimo qninquagesimo primo, in crastino sancti Laurentii martyris. Fig. 34. — Lettre de Baiut Louis X sou f rdre Alphouae , comte de Poitiers , pour lui demander des nouTelles de sa m^re et de ses frgres et sceur. (G^sar^e de Palestine , 11 aolit 1251. ) — L'origiual est aux ArchiTes oationales, Tresor des cUartes, J, 303, no 17. Cesaree que se rapportent plusieurs anecdotes- racontees par Joinville (oh. xcviii-xcix) , oil le roi est en scene, ainsi que son historien , et ou Ton voit , parmi divers traits de moeurs, avec quelle simplicite et quelle fermete en meme temps saint Louis agissait, soit a I'egard de ses barons, soit envers les deux ordres puissants de FHdpital et du Temple. (Ch. xcviii-ci.) Ce fut un peu apres, pendant son sejour a Jaffa, qu'il regut la visite du jeune prince d'Antioche, Bohemond VI ; et il en profita pour prevenir entre le fils et la mere, chargee de la tutelle , une querelle dont les populations chretiennes auraient ete les premieres a souffrir. « Le roi, dit Joinville, 228 SAINT LOUIS lui fit grand honneur, et le fit chevalier trfes-iionorablement. Son age n'etoit pas de plus de seize ans ; mais jamais je ne vis un enfant si sage. II requit au roi de I'ouir parler devant sa m^re. Le roi I'ouit bien volontiers, et il negocia de tout son pouvoir avec sa mere pour qu'elle lui baillEit autant que le roi put tirer d'elle. Sit6t qu'il quitta le roi, il s'en alia a Antioche, la ou il se fit tres-bien venir. Du gre du roi, il ecartela ses armes, qui sont vermeilles, des armes de France, parce que le roi I'avait fait chevalier. » (Ch. ci.) Fig. 85. — Sculpture architecturale. — Stallee de Notre-Dame-de-la-Roche cSeme.et-0i8e). Pig. 36. — Architecture civile. — Rne couverte k Montpazier (Dordogne). CHAPITRE XII SAINT LOUIS EN PALESTINE (1251-1254) I Dispositions de I'Occident a IMgard de la croisade. — Fin de la lutte d'Innocent IV et de Frederic II. — Les pastoureaux. A guerre des deux puissances musulmanes rendait de nouvelles esperances a saint Louis, s'il pouvait recevoir des secours d'Occident ; et dans les premiers moments on avait partout montre beaucoup de zele. Le pape , annongant aux eveques de France la prise et.la delivrance du roi, leur ordon- nait de faire precher la croisade. II faisait prescrire a ceux qui avaient deja pris la croix en France de se mettre a la disposition de Blanche ; il pressait de meme 230 SAINT LOUIS le depart des croises d'AUemagne, de Frise et de Norvege. Ferdinand , roi de Castille , avait promis h la reine Blanche d'aller en Orient au secours de saint Louis; et le roi d'An- gleterre, aprfes avoir solennellement dem'ande pardon aux habitants de Londres des torts qu'il leur avait faits, soit par lui, soit par ses officiers (sans rien restituer pourtant), prit la croix, « soit pour piller plus librement ses sujets, soit pour quelque meilleur dessein , » ajoute charitablement le moine chroniqueur. C'est surtout I'Empereur qui, par ritalie et la Sicile, pouvait secourir efficacement saint Louis; mais il etait au plus fort de sa guerre contre le pape , et cela meme faisait que les manifestes du pape en favour de la croisade, quelque pressants qu'ils parussent etre, devaient avoir moins d'effet. Depuis le depart de saint Louis pour la croisade , les deux adversaires etaient entierement a une lutte qui touchait a sa crise supreme. Frederic ne pouvait plus se dissimuler que c'etait une guerre a mort entre lui et le saint-siege. Le pape ne voulait plus ni de lui ni de sa race, soit dans I'Em- pire , soit en Italic ; et la fortune tournait decidement contre I'Empereur. A son echec de Parme s' etait joint un autre echec non moins grave pour sa cause et douloureux pour lui : son fils, son lieutenant Enzio, avait ete battu par les Bolonais a Fossalta et fait prisonnier (26 mai 1249). II se roidit contre ces revers , et poussa la guerre avec une sorte de desespoir tant en Allemagne qu'en Italic. Son fils Conrad resistait en Allemagne a Guillaume de Hollande. Plusieurs chefs gibe- lins combattaient les villes guelfes dans le nord de I'ltalie, entre autres Eccellino di Romano , dont le caract^re feroce repondait a I'humeur de Frederic, pousse a bout. II s'ap- pretait a prendre part personnellement a la lutte, quand il mourut (fin decembre 1250). Etrange personnage, ad- mirablement doue, appele par son genie, autant que par sa naissance , a tenir le premier rang dans le sifecle de saint Louis, mais dont les qualites eminentes, n'ayant pour guide GHAPITRE XII 231 ni les mceurs ni la foi , devinrent pour les peuples soumis a sa puissance un veritable fleau , et pour sa maison , comma pour lui-meme, un principe de perdition. La mort de Frederic semblait mettre fin a cette guerre interieure de la chretiente, et rendre libres les forces que reclamait la lutte contre les musulmans. Mais il n'en fut rien. La guerre se prolongeait contre sa maison, et Innocent IV continuait de lui donner le caractere et d'y attacher les effets d'une veritable croisade , attirant ainsi vers Tltalie ceux qui , par zele religieux , auraient pu aller rejoindre saint Louis. Le roi, voyant tout ce qu'il pourrait faire en Palestine s'il etait aide , avait ecrit a sa mere et a ses fr^res de lui envoyer de I'argent et des hommes. Dans sa lettre au comte de Poitiers, apres un expose rapide de la lutte des deux puissances musulmanes, lutte dont la Palestine avait ete pour une partie le theatre , et qui venait de se terminer, vers la fin de juillet 1251, par la retraite des Egyptiens, il parle des demarches faites aupres de lui de part et d'autre, et de la treve qu'il pourrait obtenir, soit de I'une, soit de I'autre, peut-etre meme de toutes les deux, s'il lui arrivait des secours d'Occident (11 aout 1251). La France pouvait-elle rester sourde a cet appel? La reine Blanche reunit les barons pour en deliberer. Ceux-ci en prirent occasion de s'elever contre la predication qui, appelant les fideles a se croiser contre Frederic II , venait a la traverse des desirs du saint roi. La reine, partageant leurs sentiments , I'interdit , et , compensant les indul- gences du saint -siege par des rigueurs, elle menaga de la confiscation de leurs biens ceux qui s'engageraient dans cette funeste guerre. Mais, si les barons avaient murmure d'une concurrence qui pouvait oter a saint Louis des auxi- liaires, eux- memos n'etaient pas plus disposes a reprendre la croix. Dans cet abandon de la noblesse , ce sont les petits et les simples qui entreprirent de venir au secours du saint roi. 232 SAINT LOUIS Une nouvelle croisade surgit tout a coup , une croisade qu'a- pres celle de Pierre rErmite et de saint Bernard on aurait du croire impossible, remuant le pays tout entier, entrainant les hommes , les enfants et les femmes. Un tel mouvement ne pent se produire s'il n'a son principe dans un sentiment po- pulaire; mais pour qu'il se produise il faut qu'un homme lui donne la premiere impulsion et lui ouvre le chemin. Lorsqu'il eut echoue, on n'y voulut voir qu'une illusion du demon, et le chef qui la dirigea parut volontiers aux chroniqueurs comma un supp6t du diable. On disait que c'etait un apostat, Hongrois de nation , qui , apres avoir apostasie , avait appris a Tolede, aupres des musulmans, la science des sortileges. Esclave et disciple de Mahomet, il avait promis au soudan de Babylone (Egypte) de lui amener et de mettre entre ses mains une infinite de Chretiens, afin que, la France etant depourvue d'hommes et veuve de son roi, il lui fut plus facile de reduire la chretiente en sa puissance. L'imposteur, qui parlait avec la meme facilite le frangais, I'allemand, le latin , s'etait done mis a error par le monde , prechant sans I'autorisation du pape ni le patronage d'aucun prelat, et disant qu'il tenait sa mission de la Vierge Marie. II s'adres- sait aux bergers et aux gens de la campagne ; c'etait a eux , disait-il, que le Ciel avait accorde d'arracher la Terre-Sainte et les Chretiens captifs des mains des infideles, et de repa- rer, dans I'humilite et la simplicite de leurs cceurs, ce que I'orgueil des chevaliers avait perdu. II s'en allait tenant la main fermee, comme s'il y portait I'ordre meme qu'il avait regu de la sainte Vierge , et il rassemblait autour de lui tous les patres, qui laissaient leurs troupeaux et le suivaient, sans prendre conge de leurs parents ou de leurs maitres, ni songer meme a la nourrilure du lendemain. On disait que c'etait lui qui, quarante ans plus t6t, avait deja provoque en France cette autre croisade, ou Ton avait vu les enfants echappant a leurs m^res , sans plus se soucier des menaces que des caresses, courir aussi, au mepris de tous les obstacles. XVIII ART DU XVIII° SIECLE — ECOLE FRANQAISE " Saint Louis montant au ciel, ./ par H. F. B. Gravelot (•{• 1773], d'aprfes la gravure de Le Mire en 17S8. (Joinville, de Caperonnier, p. xviii.) = Composi- tion mediocre et peu chr^tienne que nous reproduisons pour montrer jusqu'ou I'art etait descendu dans la representation des sujets religieux. A oe point de vue, comme k beauooup d'autres , le xix» sifecle est une Renaissance. Dessin§ par Garcia , gravS par Smeeton - Tilly. J £;apc \ ^^^^*Ba=3tWrwBm CHAPITRE XII 233 a la delivrance des saints lieux. Si ce n'etait le meme liomme, c'etait evidemment la meme pensee. Cemouvement, k ses origines, ne fut pas aussi mal vu qu'il fut jug^ par la suite. On se disait avec I'ApStre que Dieu fait souvent choix des faibles pour confondre les forts ; et la reine Blanche elle-meme put croire qu'il allait par la susci- ter dans son peuple les vengeurs que saint Louis n'avait pas trouves parmi ses barons. Ce fut vers la Flandre et la Pi- cardie qu'ils commencerent a s'assembler, un peu apres Paques 1251. lis etaient trente mille quand ils vinrent a Amiens, oil ils furent regus avec honneur; et leur chef, venere comme un homme de Dieu dans cette patrie de Pierre I'Ermite, obtint des habitants tout ce qu'il voulut. Leur nombre alia croissant ; bient6t on les comptait par cent mille. lis avaient des etendards tout comme les seigneurs ; sur I'e- tendard du chef etait figure un agneau portant banniere : I'agneau en signe d'innocence, et la banniere, marquee d'une croix, en symbole de victoire par la vertu de Jesus- Christ. Mais cette troupe, formee d'abord d'hommes fervents et simples, n'avait pu se grossir ainsi sans ramasser bien des impuretes sur la route; des vagabonds s'y joignirent, des fugitifs, des aventuriers, des voleurs meme, des gens qui, indifferents au but, ne s'inquietaient que de ce qu'ils pour- raient prendre sur le chemin. II fallait vivre, et une telle masse savait bien prelever dans le pays ce qu'elle ne recevait point suffisamment de la charite publique. On vit done en France ce que I'AUemagne et la Hongrie surtout avaient vu au passage des premieres grandes croisades populaires, avec un redoublement d'exces provenant d'un melange bien plus impur. La troupe ne revendiquait pas seulement les droits du soldat et les privileges du croise : les chefs , par une etrange infatuation , pretendaient meme exercer les pou- voirs du pretre. lis mariaient et rompaient les manages , ils confessaient et absolvaient ; ils prechaient , et Dieu salt quelle 234 SAINT LOUIS etait leur orthodoxie ! mais si quelqu'un y voulait contre- dire, ils repondaient les armes a la main. Leur chef ne mon- tait en chaire qu'entoure de gens bien pourvus de ces moyens de replique. Le clerg6 alors s'alarma et voulutsevir; mais le chef de ces bandes etait dej^ en mesure de se de- fendre ot de prendre I'offensive. II reprouvait tous les ordres religieux , particuli^rement les freres precheurs et les freres mineurs , qu'il appelait hypocrites et vagabonds ; les moines de Giteaux, a son jugement, etaient des accapareurs; les moines noirs, des gloutons et des superbes; les chanoines, des mangeurs de chair. Les eveques n'etaient pas plus epar- gnes, comme ne sachant qu'amasser de I'argent et vivre dans les dehces; quant a la cour romaine, elle etait la plus maltraitee de tous : « et le peuple, dit Matthieu Paris, en haine et par mepris du clerge, pretait I'oreille a ces invec- tives et y applaudissait avec favour. » lis vinrent a Paris, et leur chef precha a Saint -Eustache en habit d'eveque et y donna Teau benite : quelques pretres qui le trouv^rent mauvais furent massacres ; et il fallut for- mer les ponts pour sauver du meme sort les ecoliers de I'llni- versite , suspects aux pastoureaux par ce caractere de clercs qui, en tout autre temps, faisait leur garantie. lis sortirent de Paris , ou Ton ne tenta pas de les retenir ; mais on ne les avait pas combattus , et ils se faisaient un titre de cette im- punite comme d'une approbation obtenue dans la villa qui etait la source de toutes les sciences. On les vit d6s lors plus audacieux a exercer partout leurs ravages , entrant dans les villages, forgant les villes, sans epargner les laiques plus que les clercs. lis n'avaient plus besoin d'etre unis pour s'im- poser; ils se partageaient done en troupes qui s'en allaient au hasard , portant en plus de lieux la devastation et le pil- lage. Le chef vint a Orleans (11 juin 1251), oii il fut regu par les habitants, malgre les anath^mes de Teveque. 11 ne menagea pas plus ses hdtes, pillant les maisons, tuant les clercs; toutefois les clercs de I'universite d'Orleans ne se CHAPITRE XII 235 laissferent pas attaquer sans resistance : plusieurs des pas- toureaux perirent dans la lutte , et le chef crut prudent de sortir au plus t6t. Leurs premiers succes n'avaient pu tenir qu'a la surprise. On savait maintenant k qui on avait affaire. La reine mere vit comme elle s'etait trompee en croyant trouver en eux des secours pour la Terre-Sainte : c'etaient des brigands dont il fallait sauver le pays; et les lai'ques, attaques comme les autres, songerent partout a preter leur concours aux sen- tences qui les frappaient. Leur derniere etape fut Bourges, ou , malgre les defenses de I'eveque , le petit peuple les regut encore : a defaut des pretres , qui s'etaient caches , ils tom- berent sur les juifs ; puis le chef pretendit reunir la popu- lation pour qu'elle entendit son sermon et fut temoin de ses miracles. Mais on ne fut pas plus dupe de ses jongleries que de ses discours; et les actes de ses compagnons n'avaient probablement pas servi a gagner k leur cause ceux memes qui I'avaient reQU. A peine furent-ils sortis de la ville, qu'on se mit en armes k leur poursuite. Le maitre de Hongrie fut rejoint et mis a mort entre Morthomiers et Villeneuve-sur- Cher. Un boucher lui fendit la tete d'un coup de hache, et on jeta son corps aux chiens. Tons ceux de ses compagnons que le prev6t de Bourges put saisir furent pendus comme coupables de malefice. L'alarme etait partout donnee ; on les traquait, on les tuait comme des chiens enrages. Quelques- uns arriverent jusqu'aux ports du Midi ; mais leur reputa- tion les avait precedes. On en saisit, on en pendit a Mar- seille, a Aigues-Mortes. Plusieurs de ceux qui etaient entres dans ce mouvement de bonne foi trouverent moyen de s'en tirer et de regagner leur pays. Quelques-uns, en expiation, prirent meme vraiment la croix et allerent , selon la pensee qu'ils en avaient eue, grossir le nombre des derniers compa- gnons de saint Louis. 236 SAINT LOUIS II Conventions avec I'Egypte faites et rompues. — Saint Louis k Jaffa. — Mort de Blanche de Castille. — Mission de Rubruquis chez les Tartares. Cependant la guerre des sultans d'Egypte et d'Alep se continuait de plus en plus vive, et A'lbek, craignant que saint Louis ne finit par se joindre aux Syriens , se resolut a repondre h ses avances en acceptant les conditions que le roi lui avait offertes. La treve etait conclue pour quatre ans entre I'Egypte et les Chretiens. De plus saint Louis devait s'allier aux emirs egyptiens centre Nacer, et, pour prix de ce concours , Ai'bek s'engageait a lui delivrer tous les Chre- tiens captifs (c'est une clause sans laquelle saint Louis ne voulait rien entendre) , & lui faire la remise des sommes qui restaient dues pour leur Uberation, et enfin a rendre aux Chretiens le royaume de Jerusalem, a I'exception de Gaza, de Daron et de deux autres chsiteaux. A peine de nullite du traite , saint Louis devait se rendre k Jaffa au milieu du mois de mai suivant, et les Egyptiens k Gaza, d'oii les emirs vien- draient a Jaffa , pour donner aux conventions une consecra- tion nouvelle. Le roi, les seigneurs et eux s'y obligeaient en meme temps par serment (commencement de 1252). Ce traite donnait aux Chretiens vaincus tout ce qu'ils au- raient pu attendre de la victoire. Quand la nouvelle en arriva en Occident, elle y causa une grande joie. Jerusalem etait delivree, et Ton voyait dej^ son plus redoutable ennemi, le sultan d'Alep , vaincu par la ligue de saint Louis et des Egyptiens. Vain espoir! Nacer etait bien resolu k ne pas laisser les choses en venir 1^. Pour mieux eviter les conse- quences du traite, il voulut faire qu'il n'eut pas meme un commencement d'execution. 11 envoya vingt mille hommes entre Cesaree et I'Egypte, pour empecher la rencontre des CHAPITRE XII 237 Egyptiens et de saint Louis. Saint Louis n'en vint pas moins, comme il s'y etait engage , k Jaffa ; mais les emirs n'oserent se rendre a Gaza. lis ne surent que donner au roi une preuve qu'ils voulaient accomplir le tfaite en lui envoyant par mer les tetes des Chretiens exposees au Gaire et les enfants re- tenus prisonniers; ils y joignaient un elephant, que saint Louis envoya depuis, comme une rarete, en France. lis s'ex- cusaient encore de ne pas venir eux- memos, et demandaient qu'il leur flxeit un autre jour. Mais ils ne vinrent pas davan- tage au rendez-vous. lis avaient renonce a y venir: car de musulmans a Chretiens il y avait des inimities de religion et de race ; de sultan a sultan c'etaient querelles d'ambition que les peuples ne partageaient pas. Ceux-ci pouvaient fort bien se tourner contre le prince qui , en traitant avec les Chretiens , aurait sacrifie a un interet particulier un interet si capital; et Aibek, eleve au pouvoir par une revolution, etait plus expose qu'un autre a ce peril. Sous la mediation du calife de Bagdad, les deux Etats se rapprocherent ; et saint Louis , qui , un moment , avait pu esperer les vaincre I'un par I'autre, se trouva plus que jamais expose aux efforts de tous les deux reunis (fin d'avril 1253). Jerusalem echappait encore aux Chretiens. Plus d'espoir de I'affranchir, plus d'autre moyen d y entrer qu'en pelerin et sous le bon plaisir des infideles. Nacer, dit-on, n'aurait pas ete eloigne d'accorder cette satisfaction au pieux roi , et saint Louis ne se fut pas cru deshonore en venant dans cet humble appareil aux lieux ou le Sauveur avait souffert ; mais on Ten detourna. On lui dit qu'aller ainsi a Jerusalem, c'e- tait reconnaitre le droit des infideles; c'etait I'y affermir: car si lui, qui etait le plus grand roi des Chretiens, faisait son pelerinage dans la ville sainte , sans la delivrer des enne- mis de Dieu, combien plus par la suite les autres princes se tiendraient-ils degages de leur voeu, en visitant la ville sans s'inquieter de I'affranchir ! Et on lui citait I'exemple de Richard Cceur-de-Lion, ce heros legendaire de la croisade. 238 SAINT LOUIS I'epouvantail des musulmans. Quand, la retraite du due de Bourgogne lui 6tant I'espoir de reconquerir les lieux saints , il en etait reduit a se retirer lui-m6me, un de ses chevaliers lui dit : « Sire, Sire, venez jusqu'ici, et je vous montrerai Jerusalem. » Mais Richard , se voilant la face et pleurant : a Beau sire Dieu, dit-il, ne souffre pas que je voie ta sainte cite, puisque je ne la puis delivrer des mains de tes enne- mis. » (Gh. cviii.) Saint Louis ne la vit pas non plus ; mais sa mission ne lui semblait point fmie en Palestine ; et , s'il ne pouvait plus rendre Jerusalem aux Chretiens, il voulait au moins les mettre en mesure de garder ce qu'ils possedaient encore. II s'occupa de fortifier Jaffa comme il avait fait Cesaree. La place n' etait qu'un chateau dans une presqu'ile; il mit en defense le bourg groupe au pied du chateau , en lui construi- sant une enceinte munie de trois grandes portes, et flan- quee de vingt-quatre tours. Le legat y avait fait bStir pour sa part une des portes et le pan de mur attenant; et il disait que ce travail lui avait coute 30 000 livres (607 914 fr. 60 c.) : qu'on juge par la des depenses que le roi avait sup- portees. Un grave evenement vint surprendre saint Louis au milieu de ces soins : Blanche , sa mere , etait morte. Tant que Blanche avait vecu, le saint roi avait pu, en toute securite, s'en rapporter a elle du gouvernement du royaume. Sa fermete etait connue. Elle avait suffi seule, pen- dant la minorite du prince , a tirer le pays des difficultes les plus graves ; elle avait tenu tete en meme temps aux barons revoltes et aux entreprises de I'Angleterre ; et , depuis qu'elle avait remis h saint Louis la direction des affaires , elle n'avait jamais cesse d'avoir place et influence dans ses conseils. II lui avait done ete facile de maintenir intacte I'autorite si bien affermie par le gouvernement du roi, et de continuer dans le royaume les bons effets de son gouvernement. Elle avait mSme , dans cette nouvelle regence , eu I'occasion de d^ployer CHAPITRE XII 239 son energie par un acte ou Ton pouvait voir qu'autant elle respectalt I'Eglise, autant elle etait resolue a sevir centre ceux de ses membres qui la deshonoraient par leur violence ou leur cupidite. Le chapitre de Notre- Dame de Paris avait fait prendre les hommes de Chatenay et de quelques villages places sous sa juridiction, et les avait fait jeter dans ses prisons, sans meme leur y donner de quoi vivre. On en fit des plaintes a la reine , qui interceda pour eux d'abord aupr^s du chapitre , demandant qu'on les mit en liberte sous caution : mais le chapitre repondit qu'ils etaient ses hommes ; qu'il avait droit de les trailer comme il voulait; et, par une sorte de defi a I'iniercession de la reine, il fit prendre encore les enfants et les femmes et les entasser dans cette ge61e , en telle sorte que plusieurs , dit-on , y perirent , soit par la presse , soit par la faim. La reine alors ordonna a la noblesse et aux bourgeois de Paris de prendre les armes : elle les mena devant la prison du chapitre, et leur commanda d'en briser les portes; et, pour qu'on n'eut pas peur d'encourir les censures de I'Eglise , elle les frappa la premiere d'un baton qu'elle tenait a la main. La prison fut forcee, et les malheureux se jeterent, hommes, femmes et enfants , aux pieds de la reine , invoquant sa pro- tection. La reine n'y manqua point. Elle fit saisir les revenus du chapitre jusqu'a ce qu'il lui eut donne satisfaction; et, pour prevenir toutes represailles , elle le contraignit a affranchir les paysans pour la redevance qu'ils lui payaient annuelle- ment. La Sante de la reine etait deja fort affaiblie. Elle n'avait vu qu'avec une peine extreme le depart du roi ; et son afflic- tion avait ete sans mesure, quand elle apprit en meme temps la mort du comte d'Artois et la captivite de saint Louis et de ses autres fils. Elle avait vu revenir les comtes de Poi- tiers et d'Anjou; mais saint Louis etait reste en Palestine, 240 SAINT LOUIS et Ton disait qu'il y voulait achever sa vie. Gela ne lui sem- blaitpas impossible, et, le bruit fut-il faux, elle savait le roi au milieu des musulmans, avec si peu de forces, toujours expose a de nouveaux dangers. Elle ne fit plus dfes lors que deperir. Atteinte plus gravement a Melun , elle se fit trans- porter a Paris, ou elle s'eteignit pieusement vers la fin de novembre 1252. Cinq ou six jours avant sa mort , elle avait voulu prendre rhabit de Citeaux ; elle fit profession et regut le voile comme religieuse de I'abbaye de Maubuisson , qu'elle avait fondee. Elle donna elle-meme aux pretres qui I'assistaient le signal des prieres de I'agonie, et, couchee sur la paille, elle rendit Tame, ayant pres d'elle I'abbesse qu'elle avait prise pour mere, et les religieuses dont elle avait voulu etre la soeur. Saint Louis etait encore a Jaffa quand la nouvelle en ar- riva en Palestine. Le legat, I'ayant rsQue le premier, prit avec lui I'archeveque de Tyr et Geoffroi de Beaulieu, con- fesseur du roi , et , venant trouver le prince , il lui dit qu'il lui voulait parler en secret. Le roi, voyant h son air grave qu'il avait quelque chose de triste a lui dire, les mena tons trois de sa chambre dans sa chapelle, qui tenait k sa chambre, en ferma les portes et s'assit pres de I'autel, et eux avec lui. Alors le legat lui rappela tous les bienfaits dont Dieu I'avait comble des son enfance , et surtout quand il lui avait donne une m^re si vigilante a I'elever dans la foi, si sage , si devouee dans I'administration de son royaume ; et , apres une pause, il lui dit en sanglotant qu'elle n'etait plus. Le roi poussa un cri de douleur et n'essaya pas de contenir ses larmes. II se prosterna les mains jointes devant I'autel, et dit : « Sire Dieu , je vous rends graces et merci de ce que par votre bonte m'avez prete si longuement ma ch^re m^re , et par mort corporelle I'avez prise et regue par votre bon plaisir k votre part. II est bien vrai, beau tres-doux p^re Jesus- Christ, que j'aimois ma mfere par-dessus toute crea- GHAPITRE XII 241 ture , car elle I'avoit bien merite ; mais , puisqu'il vous vient k plaisir qu'elle est trepassee, beni soit votre nom. » II demeura deux jours enferme sans que personne put lui parler. Le premier qu'il regut fut Joinville ; il I'envoya cher- cher, et quand il le vit : « Ah! senechal, s'ecria-t-il, j'ai perdu ma mere. — Sire, je ne m'en etonne pas, lui dit Join- ville, car elle devoit mourir; mais je m'etonne que vous, qui etes un homme sage , ayez montre un si grand deuil ; car vous savez que le sage dit que quelque chagrin que I'homme ait au cceur, rien ne lui en doit paraitre au visage ; car celui qui le fait en rend ses ennemis joyeux et en chagrine ses amis. » Quel futl'effet de ce sermon philosophique ? L'auteur ne le dit pas ; mais le lecteur sera moins sensible a la remon- trance de Joinville qu'^ la douleur de saint Louis. La reine Marguerite ne temoigna pas moins d'affliction que le saint roi. Joinville, qui avait ete prie de la venir consoler, ne put pas s'empecher de lui en temoigner son etonnement. « II avoit bien raison, » lui dit-il sur ce ton famiher qu'il avait pris dans Fintimite de saint Louis, « il avoit bien raison, celui qui dit que Ton ne doit femme croire; car c'etoit la femme que vous haissiez le plus, et vous en menez tel deuil! » Marguerite lui avoua qu'elle pleurait, non pas tant pour la reine que pour la peine qu'en avait le roi , et pour sa fille, qui, privee de la reine Blanche, demeurait en la garde des hommes. (Ch. cxix.) La France entiere devait s'associer au deuil de saint Louis, et les contemporains , en parlant de la mort de Blanche, lui ont paye leur tribut d'eloges : ( Joinville, traduction de Natalis de Wailly, Didot, 1874 , p. 59.) DessinS par Duviviee , grave par Hurel. 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Au dela du banc , il y avait des roches a fleur d'eau, ou le navire se fut brise sans re- mede s'il n'eut trouve ce banc qui I'arreta. Restait a savoir quels avaient ete les effets de ce choc , et ce qu'on en devait craindre. Sur I'ordre des maitres nautoniers, quatre plon- geurs allerent au fond des eaux examiner les basses oeuvres du navire, et leur rapport constata qu'il avait perdu trois toises de la quille sur laquelle il etait construit. Le roi alors reunit les maitres nautoniers , et leur demanda ce qu'ils conseillaient de faire. Apres s'etre consultes , ils lui dirent qu'ils lui conseillaient de monter sur un autre vais- seau ; les ais du sien etaient comme disloques par le choc , et il y avait a craindre que , revenant dans la haute mer, il ne put soutenir le coup des vagues. lis citaient I'exemple d'un bateau qui, ayant touche ainsi et poursuivi son voyage, se rompit en pleine mer avec perte de tout I'equipage , a I'ex- ception d'une femme et d'un enfant. Le roi demanda a ses principaux officiers et a Joinville quel etait leur avis, et ils lui repondirent qu'on devait croire ceux qui en savaient le plus. « Nous vous conseillons done, ajouterent-ils, de faire ce que les nautoniers vous conseillent. » Le roi dit alors aux nautoniers : « Je vous demande, sur votre honneur, si le vaisseau etait a vous et qu'il fut charge de vos marchan- dises, en descendriez-vous ? » lis repondirent tout d'une 256 SAINT LOUIS voix que non, aimant mieux mettre leur corps en danger de se noyer que d'avoir a acheter un vaisseau de quatre mille livres et plus. « Et pourquoi done me conseillez-vous de descendre? — Parce que le jeu n'est pas egal ; car ni or ni argent ne peut valoir le prix de votre personne, de votre femme et de vos enfants qui sont ici : c'est pourquoi nous vous conseillons de ne pas vous mettre en aventure. » Le roi reprit : « Seigneurs, j'ai oui" votre avis et celui de ma gent ; je vais maintenant vous dire le mien. Si je descends du vaisseau, il y a ici cinq cents personnes et plus qui de- meureront dans I'ile de Chypre par peur du peril de leur corps ; car il n'y a personne qui n'aime sa vie comme je fais la mienne, et par aventure jamais ils ne rentreront dans leur pays. Done j'aime mieux mettre en la main de Dieu ma personne, ma femme et mes enfants que de causer tel dommage a un si grand peuple qu'il y a ceans. » (Gh. ii, cxxn et cxxni.) Grande parole et grand aete en meme temps! Ge n'etait point par simple fiction qu'il se reputait le pere de son peuple. On sortit avec precaution de ces ecueils; on gagna aux avirons et a la voile Tile de Ghypre ; on y resta le temps de reprendre de Feau fraiche et de faire les reparations les plus urgentes.; puis on continua le voyage. Un seigneur, Olivier de Termes , brave a la guerre autant que personne , mais qui n'osa affronter le peril oii se mettait le roi, confirma les apprehensions de saint Louis par son exemple. Tout riche qu'il etait, il fut dix-huit mois sans pouvoir regagner la France. Que serait-il done arrive de tant de malheureux laisses sur ee lointain rivage, sans avoir mfeme le moyen d'acheter de quoi se nourrir ? Le voyage ne se fit pas sans nouvel incident. De ce pre- mier peril, d'oii Ton avait echappe par la grSce de Dieu, on tomba dans un autre. Le vent , qui les avait portes en Ghypre , les poussait k la c6te, et avec tant de violence qu'il fallul GHAPITRE XIII 257 Jeter cinq ancres et abattre la cloison de la chambre du roi qui donnait prise k la bourrasque. Nul n'y pouvait tenir. Le roi recourut k ce qui etait sa force dans le peril ; il alia se Jeter, sans autre vetement qu'une simple cotte, devant I'au- tel. La reine, qui le venait chercher dans sa chambre basse, n'y trouva que Joinville, et elle lui dit qu'elle venait prier le roi de vouer a Dieu ou a ses saints quelque pMerinage, car les matelots disaient qu'on etait en peril de se noyer. « Madame , lui dit Joinville , promettez le voyage a M^ Saint- Nicolas de Varangeville ( Saint - Nicolas -du- Port, pr6s de Nancy) , et je vous suis garant pour lui que Dieu vous ra- menera en France, vous, le roi et vos enfants. — Senechal, dit -elle, vraiment je le ferois volontiers; mais le roi est de telle humeur que, s'il savoit que je I'eusse promis sans lui, il ne m'y laisseroit jamais aller. » Joinville lui conseilla de vouer au saint un vaisseau d'argent de 5 marcs (294 francs). Elle le fit, et le senechal atteste que c'est lui-meme qui fut charge de le porter a Saint-Nicolas. (Ch. vii et cxxiv.) Ce n'etait point assez pour le roi d'echapper au peril; il y voyait des legons qu'il s'appliquait k lui-meme, et dont il voulait faire profiter les autres. Un jour, dans la suite de cette longue traversee, assis sur le bord du vaisseau, il fit placer Joinville a ses pieds , et lui dit : « Senechal , notre Dieu nous a bien montre son grand pouvoir ; car un de ces petits vents, non pas le maitre des quatre vents, a failli noyer le roi de France, sa femme, ses enfants et toute sa compagnic. Nous lui devons done bien rendre graces pour le peril dont il nous a tires. Senechal, ajouta-t-il, quand de telles tribulations , maladies ou persecutions arrivent , les saints disent que ce sont menaces de Notre -Seigneur. Or nous devons regarder a nous , qu'il n'y ait chose qui lui de- plaise a cause de quoi il nous ait ainsi epouvantes; et si nous trouvons chose qui lui deplaise, il faut que nous le mettions dehors ; car si nous faisions autrement apres cette menace, il frappera sur nous ou par mort, ou par quelque 17 258 SAINT LOUIS autre grand malheur, au dommage des corps et des ames. » (Ch. cxxv.) On s'arreta h Lampedouse, ou Ton trouva un ermitage bati au milieu de jardins. L'eau d'une fontaine coulait a tro- vers les jardins ; I'olivier, le figuier, la vigne et d'autres arbres y donnaient leurs fruits k I'ordinaire; mais les ha- bitants ne s'y montraient nuUe part. Le roi, avec les seigneurs, parcourut ces lieux enchantes; il antra dans Termitage , penetra sous une premiere voute , puis sous une seconde ; deux squelettes, tournes vers TOrient, les os des mains sur la poitrine, c'etait tout ce qui restait des soli- taires qui avaient vecu la. Au moment de s'embarquer, il se trouva qu'un des matelots manquait; on crut que peut- etre il etait demeure pour se faire ermite. On laissa trois sacs de biscuits sur le rivage pour subvenir a ses premiers besoins. (Ch. cxxvi.) En continuant, on vint en vue de I'ile de Pantalaria, peu- plee de Sarrasins qui dependaient du roi de Sicile (Conrad, fils de Frederic II) et du roi de Tunis. La reine pria le roi d'y envoyer trois galeres , afin d'y prendre du fruit pour ses enfants. 11 y consentit. Les galeres avaient ordre de rejoindre le vaisseau du roi quand il passerait devant I'ile. Mais quand le vaisseau passa devant le port, nuUe galore n'en sortit. Les mariniers commengaient a murmurer entre eux, et quand le roi leur demanda ce qu'ils pensaient de cette aventure : « Nos gens et nos galeres, dirent-ils, auront ete pris par les Sarrasins ; mais nous vous conseillons , Sire , de ne pas les attendre , car vous etes entre le royaume de Sicile et le royaume de Tunis, qui ne vous aiment guere ni I'un ni I'autre : laissez-nous naviguer", nous vous aurons encore cette nuit tire du peril , car nous aurons passe ce d^troit. — Vrai- ment, dit le roi, je ne laisserai pas mes gens entre les mains des Sarrasins sans tout risquer pour les delivrer, et je vous commande que vous tourniez vos voiles et que nous leur alUons courir sus. » La reine se desolait. « HelasI s'ecriait- CHAPITRE XIII 259 elle, c'est moi qui ai fait cela! » Mais comme on tournait les voiles, on vit les galeres sortir de File. Quand elles furent a proximite du roi, il s'enquit aupres des mariniers des causes de ce retard. Ce n'etait pas leur faute. II y avait parmi eux six enfants de Paris qui s'etaient mis a manger les fruits des jardins. Les mariniers ne les pouvaient avoir et ne les voulaient pas laisser. Le roi resolut de chStier sev^rement cette malencontreuse gourmandise. II fit mettre les coupables dans la chaloupe : c'etait ou Ton mettait, durant la traver- see, les meurtriers et les larrons. Nos Parisiens eurent beau le supplier, offrir pour rangon tout ce qu'ils avaient, afin que Ton ne put pas leur reprocher cette note d'infamie : le roi fut inflexible. lis y demeurerent pendant le reste du voyage, fouettes par les vagues, qui leur passaient par-dessus la tSte quand la mer etait grosse. « Et ce fut k bon droit, dit Join- ville ; car leur gloutonnerie nous fit tel dommage que nous en fumes retardes de huit jours. » (Ch. cxxvii.) Apres quelques aventures encore dont Joinville nous a fait le recit, on aborda a un port a deux lieues du chateau d'Hyeres. Hyeres etait au comte d'Anjou et de Provence, frere du roi ; et toutefois le roi n'y voulait point debarquer : il annonga I'intention de ne pas descendre de son vaisseau qu'il ne mit le pied sur sa terre a Aigues-Mortes. II persista dans cette resolution durant deux jours. Alors il appela Join- ville , et lui dit : « Senechal , que vous en semble ? — Sire , repondit Joinville, il seroit bien juste qu'il vous en advint comme a M"" de Bourbon, qui ne voulut pas descendre en ce port, mais se remit en mer pour aller a Aigues-Mortes : elle demeura sept semaines en mer. » Le roi reunit son con- seil , et Ton fut d'avis qu'il debarquSt sans plus attendre ; car il ne ferait pas que sage s'il mettait sa personne, sa fenime et ses enfants en aventure de mer, apres y avoir echappe. (Gh. cxxx.) Le roi ceda, et la reine en fut tres-joyeuse. 260 SAINT LOUIS III Ddbarquement de saint Louis. — Le roi a Saint-Denis; a Paris. — R^sultats de la croisade. Saint Louis, debarque a Hyeres, regut une visite un peu interessee de I'abbe de Cluny, at fit precher devant lui un cordelier, qui lui parla avec beaucoup de force de ses devoirs de roi , et ne s'eleva pas avec moins de vigueur contra les religieux dont il voyait un trop grand nombre a la cour. Le roi aurait voulu I'y ratenir, charme de ce qu'il avait dit sur lui-meme; mais c'eut ate pour le cordelier se contre- dire trop ouvertement sur le chapitre des religieux a la cour : il se refusa a toutes ses instances. Le roi s'en vint par la Provence jusqu'a la villa d'Aix, oil Ton disait que gisait le corps de Marie Madeleine. 11 visita meme la grotte ou Ton pretendait qu'elle avait vecu en soli- taire pendant dix-sept ans. Puis il vint a Baaucaire, ou il etait sur son propre domaina ; c'est la que Joinville le quitta pour s'en revenir dans son pays, en visitant sur son pas- sage la dauphina du Viannois, sa niece, le comte de Chalon, son oncle, et le comte de Bourgogna, fils da ce dernier. Pour la roi, il continua son chemin par le Languedoc, par I'Auvergne et le Bourbonnais, ragu partout avac das accla- mations inoui'as; at il arriva, le 5 septembre 1254, a Vin- cennas. Comma sa darniere visita , au depart , sa premiere visita, a son arrivee, fut pour Saint- Denis, ou il alia rendre graces a son saint patron de Theureuse issue de son voyage ; et, le lundi 7 septembre, il fit son entree dans Paris, au milieu de I'enthousiasme du peuple entier, qui se pressait en habits de fete pour le recevoir. Las faux, les rejouissances publiques et les danses se continu^rent pendant plusieurs jours. Le saint roi ne trouva pas d'autre moyen de les arreter que de s'en retourner a Vincennes. (Ch. cxxxii.) CHAPITRE XIII 261 La croisade etait bien loin d'avoir donne les resultats qu'on en avait attendus. On s'etait propose d'occuper la Terre-Sainte, et un instant saint Louis, maitre de Damiette, aurait pu du moins , au prix de ce gage , obtenir du soudan la restitution de Jerusalem. Mais ce triomphe d'un jour avait ete suivi de la plus complete catastrophe. Le roi, I'armee presque tout entiere, etaient tombes aux mains des infi- d^les. Damiette n'avait servi de rangon qu'au roi prisonnier, et il avait du rester quatre ans en Palestine pour achever de delivrer ses compagnons et mettre les villes qui res- taient aux Chretiens en etat d'echapper au contre-coup de ce desastre. Ainsi le revers avait ete le plus grand qu'aucune croisade ait jamais vu; et pourtant saint Louis, au retour, avait ete regu comme en triomphe ! C'est qu'enfin il etait rendu a son pays , et cela seul etait un bien immense ; c'est que , d'ail- leurs, loin d'etre amoindri par son echec, il revenait plus grand : plus grand par ses soulFrances et par les vertus qu'il avait montrees dans ces epreuves, devouement aux autres, oubli de soi-meme, soin de sa dignite jusque dans les fers, vertus de chretien et de roi portees jusqu'a I'heroisme ; ce n'etait pas seulement un saint, c'etait un confesseur, I'egal d'un martyr. VoilA la cause de cet accueil enthousiaste que I'amour et la piete du peuple faisaient au saint roi ; et la suite allait montrer que son ascendant n'avait fait que s'accroitre et s'etendre. Son autorite ne pouvait plus etre contestee par ses vassaux. Ceux qui I'avaient accompagne a la croisade, temoins de ses actes , sauves par sa fermete et sa Constance , lui etaient li^s par la reconnaissance et I'admiration ; ceux qui n'y avaient pas ete n'auraient pas ose lever la tete. Et c'etait le sentiment de la chretiente tout entiere, en telle sorte que le prince qui ne I'aurait pas eprouve de lui-meme en aurait du subir les effets. Ainsi , au dehors comme au dedans, I'influence de saint Louis fut accrue, loin d'etre 262 SAINT LOUIS ebranlee par les resultats de la croisade ; car elle ne proce- dait pas de la force des armes : elle residait tout entiere dans le sentiment universel de ses merites et de ses vertus. La paix, qu'il aimait par-dessus tout, lui etait done facile a obtenir pour lui-meme, et, selon Guillaume de Nangis, on pouvait dire de lui ce que TEcriture disait de Salomon : « De toutes parts il avait la paix dans I'enceinte de son royaume. » Cette paix, il en voulait faire gouter les bienfaits a ses peuples par de bonnes institutions, et il en usa lui-meme surtout pour se consacrer a la reforme de I'administration de son royaume. C'est le moment de rappeler ce qu'elle etait a I'epoque de saint Louis , et comment s'y fit sentir I'heureuse influence que son esprit de justice et de droiture exergait autour de lui. Fig. 39. — Sculptare d'omement. — Clmpiteau du r6f ectoire de Saint - Martin - des - Cliamps. rig. 40. — Sculpture religieuBe. — Trois personnages du grand portail de la cathfedrale de Reims. CHAPITRE XIV GOUVERNEMENT DE SAINT LOUIS. — LA SOCIETE FEODALE La royaute et le clerge. 'est sous le regne de saint Louis que les institutions du moyen age acquirent le plus d'eclat ; et cependant , au milieu meme de leur triomphe, on voit poindre et grandir I'esprit nouveau qui va les transformer. La feodalite domine; mais a sa tete est la royaute, qui semble en faire le couronnement et s'en rendra la maitresse ; et a sa base des populations d'oii elle tire ses ressources et ses moyens de vivre , mais qui , villes ou villages , travaillent a se constituer isolement et a s'affranchir de sa domination. 264 SAINT LOUIS La royaule, devenue feodale, restait done au sommet de la feodalite. Les dues, les comtes avaient pour vassaux las divers seigneurs etablis dans le ressort de leurs duehes, de leurs comtes, et pour arriere -vassaux, les vassaux de ces seigneurs ; mais ils avaient pour suzerain le roi. Cette hie- rarchie, principe d'ordre et de bonne organisation pour la feodalite, pouvait bien aussi lui etre un peril. Que le chef de qui elle relive devienne assez puissant pour imposer sa volonte, elle est fort compromise. Or cela arriva sous les Gapetiens ; ces rois se rencontrferent au xui° siecle : ce sont, a deux generations d'intervalle , Philippe -Augusta, saint Louis at Philippe le Bel. Chacun d'eux sut imprimer a cette oeuvre la marque de son caractere personnel ; c'est la meme oeuvre qu'ils accompUssent , et quand ils different le plus dans les moyens d'execution , c'est , qu'ils le sachent ou non, h la meme fin qu'ils conspirent. Voyons quelle fut dans ce travail commun la part de saint Louis, et pour cela suivons-le dans ses rapports avec le clerge, la noblesse, et ce qui n'etait ni le clerge ni la no- blesse, je veux dire les habitants des villes et das campagnes, cette troisieme classe qu'on appellera plus tard le tiers etat ; nous varrons ensuite par quelles ameliorations apportees a toutes les parties de I'administration publique il etendit sa bienfaisante influence sur tout le royauma. L'Eglise formait une societe separee par le caractere de sas mambres at par son organisation , mais une societe com- prenant tout la monde par sa juridiction spirituelle , et rat- tachee d'ailleurs au monde feodal par les conditions memes de son existence. Tout, an affet, rentrait forcement dans le cadre de la feodalite au moyen §ge : il fallait possedar ou etre possede. L'Eglise possedait, et la protection qu'elle recevait das rois pour ses biens avait cree differents droits a leur profit : droit de presentation pour les benefices qui relavaient de leurs domaines; droit de regale, c'est-^-dire jouissance des revenus du benefice pendant la vacance , jusqu'a la con- S.Umpar M.WALLON t'/tiip. par Sr-htird. , tJ rut>- Puffiiat/ -Tr ^^££^tlSI ^' »^p3?r\S^">^)'^^^ BJlp CT^ ^^ r>^^ i^S^ CHAPITRE XIV 265 firmation et k la consecration du nouvel elu , tant pour les evSches que pour les abbayes de fondation royale ou plac^es sous le patronage du roi ; droit d'amortissement sur les biens acquis par I'Eglise a titre gratuit ou onereux. Saint Louis usa avec les plus grands menagements de ces droits. II conferait des benefices, et presentait aux charges ecclesiastiques , dans les cas ou il etait appele a le faire par son droit de seigneur ; mais , en exergant sa prerogative , il y apportait un scrupule extreme. Pour ce qui est des biens, tout en jouissant des droits de regale et d'amortissement, il aida a degager le droit d'ac- querir, reconnu a I'Eglise , des entraves qu'on y avait mises , et a retablir la propriete ecclesiastique contre les usurpations qu'elle avait subies. II savait d'ailleurs se montrer genereux lorsqu'il ne s'agissait que de son bien. Quand on voit les nomb reuses donations qu'il fit a I'Eglise , les convents et les h6pitaux qu'il fonda, les biens ou revenus qu'il affecta aux etablissements deja existants, on ne peut mettre en doute que la liberalite la plus large ne presidat en ce point a ses rapports avec le clerge. Nous reviendrons plus loin sur ces diverses fondations. L'Eglise ne se rattachait pas seulement au monde par la propriete, elle y tenait par la juridiction : non-seulement par cette juridiction spirituelle qui est I'exercice naturel de son autorite , mais par cette autre juridiction que lui avaient conferee sur la societe meme le droit imperial, la coutume du moyen age, et le rang qu'elle avait pris dans la feo- dalite. ' En cette matiere , et par suite de cette association de deux droits differents, la confusion etait facile, les empietements possibles , et les conflits par consequent a redouter. Saint Louis maintint au clerge tous ses droits legitimes. II lui maintint ceux que I'usage lui reconnaissait , meme au dela des limites ou il paraitrait naturel de les restreindre : ainsi, dans les questions de famille, de mariage, de testa- 266 SAINT LOUIS ment, dans les crimes d'usure, etc. ; mais il s'opposa aux usurpations, et soutint ses barons dans la resistance qu'ils y voulurent faire, en 1235, en 1246. En resume, respect des droits de I'Eglise, non-seulement spirituels, mais tem- porels; soUicitude pour tous les interets, empressement a faciliter les acquisitions qu'elle voulait operer et les restitu- tions qu'on lui voulait faire ; abandon , quant a lui , de ce qu'il pouvait tenir de cette origine, et concession gratuite du plus net des revenus royaux; respect de son autorite; protection a sa juridiction, memo civile en un tres-grand nombre de cas : voila les regies constantes qu'il observa a son egard. Mais il ne souffrit pas qu'elle etendit ses preten- tions au dela des limites ou I'autorite royale eut ete entamee , et il sut defendre , en matiere temporelle , les droits du pou- voir civil centre ses menaces, quelque redoutables qu'elles fussent a un chretien si plein de foi. Le clerge avait pour se defendre une arme terrible : I'ex- communication ; et c'est a I'autorite civile qu'il demandait appui pour I'execution de ses sentences. Saint Louis ne le refusait pas ; mais il n'entendait pas se faire instrument aveugle de toute execution. Tout le monde a dans la memoire la curieuse anecdote que Joinville avait entendu raconter et qu'il raconte lui-meme. Un jour I'eveque d'Auxerre, abor- dant le roi au nom de plusieurs autres prelats : « Sire, fit-il, ces archeveques et ces eveques qui sent ici « m'ont charge de vous dire que la chretiente dechoit et se « perd entre vos mains, et qu'elle decherra encore plus si « vous n'y avisez ; parce que nul ne craint aujourd'hui une « excommunication. Nous vous requerons done, Sire, de a commander a vos baillis et a vos sergents qu'ils con- « traignent les excommunies qui auront soutenu la sentence « un an et un jour, afin qu'ils fassent satisfaction k I'Eglise. » Et le roi leur repondit seul , sans conseil , qu'il commande- roit volontiers a ses baillis et k ses sergents de contraindre les excommunies, ainsi qu'ils le requeroient, pourvu qu'on CHAPITRE XIV 267 lui donnat la connaissance de la sentence, pour juger si elle etoit juste ou non. Et ils se consulterent , et repondirent au roi qu'ils ne lui donneroient pas la connaissance de ce qui afferoit au for ecclesiastique. Et le roi leur repondit a son tour qu'il ne leur donneroit pas la connaissance de ce qui lui afferoit, et ne commanderoit point k ses sergents de contraindre les excommunies a se faire absoudre , qu'ils eussent tort ou raison : « car, si je le faisois, j'agirois centre « Dieu et centre le droit. Et je vous en montrerai un exemple « qui est tel, que les eveques de Bretagne ont tenu le « comte de Bretagne bien sept ans en excommunication , « et puis il a eu I'absolution par la cour de Rome ; et si je « I'eusse contraint des la premiere annee, je I'eusse contraint « a tort. » (Ch. cxxxv.) Saint Louis, tout en servant I'Eglise, resta done a son egard dans une respectueuse independance , et maintint la separation des deux pouvoirs. II soutint la noblesse centre les empietements de la justice ecclesiastique , sans s'associer d'ailleurs a la vivacite de ses recriminations. II tint la meme conduite dans ses rapports avec la cour de Rome. On a donne , comme un exemple eclatant de celte maniere d'agir envers I'Eglise, un acte dont on rapportait la date a la fm de son r^gne, et qui serait ainsi comme son dernier mot en cette matiere : la pragmatique sanction de saint Louis. Mais, comme les raisons les plus fortes tirees, soit du contexte meme de la piece, soit des faits de I'histoire, tendent a etablir que I'acte est faux , il n'y a pas lieu de s'en occuper ici. 268 SAINT LOUIS II La noblesse. Au XII 1° si^cle, Philippe de Beaumanoir, redigeant les coutumes de Beauvoisis , marquait dans I'etat des personnes trois conditions, qui se retrouvaient partout : les gentils, ou nobles, tenant leur condition de leur pere; les francs, ou litres, tenant leur condition de leur m6re; et les serfs, sous la double forme qui les retient aux conflns de I'esclavage ou les rapproche de la liberte. Ces trois etats se trouvaient d'ailleurs en relation etroite avec la terre; car, au moyen Eige, c'est surtout la terre qui determine la condition des personnes : qui la poss^de est libre ; qui lui appartient est serf. Mais parmi les libres il y avait, comme le marquait Beaumanoir, une distinction, et cette distinction se retrou- vait encore dans les conditions auxquelles la terre etait pos- sedee. Celui qui tenait la terre en fief, sans autre obliga- tion que le service militaire et Vassistance judiciaire, etait noble. Celui qui la tenait en censive, moyennant redevance, soit en argent ou en produits, soit en travail, etait rotu- rier. II y avait bien encore ceux qui possedaient la terre en toute franchise, a titre de franc- aleu; mais le cas etait rare : les detenteurs de franc- aleu ayant trouve plus d'avantage a se recommander d'un plus puissant , h lui remettre leur terre en propriete pour la reprendre h de certaines conditions de dependance ; et , dans ce cas , leur rang etait determine selon ces conditions. Celui qui I'avait reprise aux conditions du fief , service militaire , assistance judiciaire , etait noble ; celui qui Tavait reprise aux conditions des terres censives, c'est-^-dire moyennant redevance en argent, en produits, ou en travail , etait roturier. II y avait aussi ceux qui ne CHAPITRE XIV 269 possedaient ni n'etaient possedes, comme les habitants de certaines villes. Ceux-la, nous I'avons dit, n'avaient echappe a la loi generate que grace a leur agglomeration et a des pri- vileges respectes au temps de la conquete ; ou bien ils en avaient ete affranchis posterieurement par des chartes con- cedees a nouveau, et ils avaient necessairement leur place parmi les roturiers. Parlous d'abord des nobles. Le regime feodal presente dans son ensemble bien des complications , comme un etat dont la loi n'a pas ete ecrite , et qui s'est forme et etendu par la coutume; mais, au milieu de cet enchevetrement de droits et de devoirs , il y a un prin- cipe qui domine, c'est le fief, et, dans la condition du feu- dataire ou seigneur, un double rapport : 1° avec les gens de son domaine comme maitre, impliquant des droits sur les personnes ou sur les biens; droits analogues a ceux du maitre sur I'esclave, deja transformes dans I'empire romain par I'extension du colonat, plus limites et de plus en plus adoucis aux temps suivants dans le servage ; 2° avec son vassal comme suzerain , ou avec son suzerain comme vassal ; rapport essentiellement libre, qui tenait a la possession du fief, et qui , en raison de ce fief, entrainait entre le seigneur et le vassal un echange de droits et de devoirs. J'ai dit que les principaux devoirs du vassal envers le suzerain etaient de se mettre a sa disposition pour faire la guerre et rendre la justice. II lui devait, de plus, une aide extraordinaire en trois cas : 1° quand le seigneur armait son fils aine chevalier; 2° quand il mariait sa fille ainee; 3° quand il avait ete fait prisonnier, pour payer sa rangon ; a quoi s'ajouta, depuis Louis VII, une 4* aide : quand il allait a la croisade. En outre il lui devait un droit de relief ou de mu- tation , quand le fief passait en d'autres mains par succession ou autrement. Les grands feudataires, ayant les droits correlatifs a ces obligations , se trouvaient par la presque souverains dans les 270 SAINT LOUIS limites de leurs Etats; et s'ils etaient tenus des memes de- voirs envers le roi leur suzerain, la mani^re dont ils s'en acquittaient dependait beaucoup du plus ou moins de force que pouvait avoir le roi pour les y contraindre. Le droit de guerre, le principal attribut de la puissance publique, les seigneurs pouvaient I'exercer, non-seulement entre eux, mais meme contre le roi. Si le roi refusait justice k un baron , celui-ci avait le droit de recourir aux armes ; et le vassal du baron etait contraint a le suivre , sous peine de perdre son fief. Les Etablissements ne mettent a ce droit extreme qu'une condition : c'est que le vassal du baron vienne au prealable trouver le roi et s'enquerir si, en effet, justice a ete refusee. Quant au droit de guerre privee, ce droit qui, le plus souvent, consistait a se passer de la justice, il avait regu de la coutume certaines regies qui ne faisaient que le confirmer. II s'appliquait aux parents des deux parties en cause; et, chose assez singuliere, c'est au droit canonique lui-meme qu'il avait emprunte ses moyens de delimitation. L'obliga- tion de participer a la guerre s'etendait jusqu'au degre ou I'Eglise trouvait le lien de parente assez etroit encore pour faire obstacle au mariage. Ce qui n'empechait pas qu'au dela de cestermes, et en dehors de toute promesse , chaquepartie ne put se chercher des auxiliaires , ou volontaires , ou acquis a prix d'argent. Cette coutume, digne de I'epoque merovingienne , avait ete combattue par Charlemagne. Elle n'avait jamais cesse de I'etre par I'Eglise, depositaire des saines notions du droit ' aux temps barbares ; et I'EgUse , se voyant impuissante k la supprimer absolument, lui avait fait au moins accepter quel- ques entraves. La guerre etait interdite du mercredi soir au lundi matin chaque semaine, et dans I'annee pendant tout I'avent et de Noel k I'Epiphanie, tout le careme et de Paques a la Pentec6te, le jour et meme la vigile des principales fetes. Quand la royaute se releva un peu plus forte au sein CHAPITRE XIV 271 de la feodalite, c'est a ce droit, destructeur de tout ordre public, qu'elle dut aussi s'attaquer avant tout. EUe n'essaya pas de le nier tout d'abord , mais elle voulut lui poser des limites. Philippe -Auguste avait etabli : 1° la quarantaine le roi, c'est- a -dire un delai de quarante jours entre la declaration et le commencement des hostilites ; 2° V assurement , c'est-a- dire securite pour celui qui, dans un delai de quarante jours, reclamait garantie contre toute attaque. Cette suspension momentanee et cette suppression condi- tionnelle ne suffisaient point a saint Louis. II supprima la guerre privee partout oii il pouvait commander en maitre, c'est-a-dire dans son domaine; et les termes de son or- donnance expriment les sentiments d'humanite dont il etait anime a I'egard de tant d'innocents qui , sans avoir a faire la guerre, avaient toujours a en soufTrir : je veux parler des pauvres paysans , premieres victimes des devastations et des incendies , qui etaient la principale maniere de se combattre dans ces vengeances privees. En dehors de son domaine, il ne pouvait, sans porter atteinte aux droits des seigneurs, supprimer ainsi le droit de guerre. Mais la, il renouvelait, avec des prescriptions plus etroites , la double institution de son aieul : la quarantaine le roi et I'assurement ; et les le- gistes, animes de son esprit, travaillaient a la meme fin en multipliant les restrictions et en poursuivant les infractions avec plus de rigueur. Ill Les villes et les campagnes. Des trois mots qui representent pour nous I'ancien regime dans sa composition : clerge, noblesse, tiers etat, le premier etait exact des I'origine; le second Test a peine, applique a la feodalite; le troisieme est faux au temps de saint Louis; 272 SAINT LOUIS car il supposerait qu'au-dessous du clerge et des seigneurs il y avail un troisieme corps ayant son organisation propre et sa place dans le droit public. Or cela ne commenga a etre vrai que quand ceux qui n'etaient ni clercs ni seigneurs eurent quelque part, je ne dis pas au gouvernement du pays, mais a la chose publique dans les 6tats generaux. Sous saint Louis, ce n'etaient encore que les membres, et je dirai plut6t les elements epars d'un corps en voie de formation. Le carac- t^re propre de ce qui n'etait ni du clerge, ni de la classe des seigneurs, etait de se trouver dans la dependance des autres. II faut, pour apporter quelque clarte a I'examen des con- ditions diverses comprises dans cet etat , reprendre I'homme dans ses rapports avec la terre. Le seigneur investi d'un grand fief avait pu faire plusieurs parts de son domaine. II avait pu , gardant pour lui la meil- leure , distribuer le reste entre ses hommes aux memes con- ditions qu'il avait requ lui-meme le tout, service militaire, assistance judiciaire : ce sont les arriere-vassaux. II avait pu, en outre, sur cette part reservee qui est son domaine propre , donner quelque portion , a titre de redevances ou de services , a d' autres hommes de condition libre : — ce seront ses tenanciers , — et retenir le reste pour le faire exploiter a son profit par des hommes attaches a la terre : ceux -la sont les serfs. Beaumanoir a signale la double condition des serfs au xiu° siecle : les uns tenant encore, sauf leur qualite d'hommes et leurs droits de famille, a I'esclavage, appartenant d'ail- leurs au maitre, corps et biens; les autres gardant, dans une certaine mesure, la disposition de leurs biens et de leur per- sonne, n'etant tenus qu'a des redevances ou a des services envers le seigneur, mais ne pouvant ni transmettre leurs biens k leurs enfants , ni se marier hors de la seigneurie ou en dehors de leur condition. L'Eglise donna I'exemple dans ses domaines, et hSta par- CHAPITRE XIV 273 tout ailleurs le progres d'une transformation qui , apres avoir fait passer I'homme de I'esclavage au servage , I'^leva du ser- vage ^ la liberte. Ce progres fut sensible sous le r^gne de saint Louis. En Normandie meme, des avant le siecle precedent, il n'y avait plus de serfs. Alfonse de Poitiers, frere de saint Louis, donna par testament la liberte a tous les serfs du Languedoc , moyeniwnt un cens annuel. Un peu apres, Philippe le Bel abolit la servitude sur toute terre de cette province appar- tenant k la courdnne, et Ton connait I'ordonnance de son fils Louis X , qui donna la liberte a tous les serfs du domaine royal, en des termes dignes de I'inaugurer dans toute I'eten- due du pays des Francs (3 juillet 1315). La classe libre etait done deja tres-nomb reuse en France d5s le temps de saint Louis : ce sont des hommes libres que Ton trouve designes sous les noms de rustici, villani, hospi- ies, gens dont le principal caractere est d'avoir la pleine et entiere disposition de leur personne et de leurs biens. Mais, tout libres qu'ils etaient, ils ne laissaient pas que d'etre soumis a des redevances , a des services , a des servitudes de toutes sortes. Ges divers genres de servitudes et de services etaient quel- quefois rachetes au prix , non d'une somme une fois payee , mais d'une rente. Ges rachats se faisaient le plus souvent par les individus , chacun pour soi ; quelquefois par des agglo- merations, on pourrait dire deja, a ce titre, des comnui- nautes : car les villages faisaient parfois communaute pour certains interets communs. Ge fut surtout dans les villes que ces liberations partielles furent obtenues , d'abord parce que I'agglomeration y etait plus compacte et plus forte, et puis parce que , dans leur sein , il y avait deja des especes de communautes particuli^res : je veux parler des corps de metiers. Les corporations, du reste, n'avaient leurs privileges qu'au prix de bien des charges. Independamment dela taille, 18 274 SAINT LOUIS charge commune aux hommes de metier comma aux paysans, il y avait des charges speciales a I'industrie et au commerce. Souvent il fallait acheter le metier, c'est-a-dire le droit de fabriquer ; il fallait acheter le droit de vendre. II fallait payer pour avoir le droit de transporter des marchandises , soit par terre, soit par eau; les peages ^taient non pas seule- ment comme une contribution a I'entretien des routes , mais comme le prix de leur securite et la rangon du brigandage. II fallait payer non-seulement pour entrer dans les villes, pour avoir une place dans les halles, les foires et les mar- ches (cela se fait encore), mais pour se servir des poids et des mesures dont les seigneurs s'etaient fait aussi un monopole. II fallait payer pour la protection qu'on recevait des seigneurs, et pour la juridiction qu'ils exergaient sur les metiers. A Paris, la plupart des metiers etaient sous la juridiction du prev6t du roi ; et c'est a ce titre qu'Etienne Boileau, investi de ces fonctions par saint Louis, fit enregistrer les coutumes des differents corps de metier, et en composa le Livre des metiers, ou Regleinents sur les arts et metiers de Paris, ou Ton retrouve des details si curieux sur I'organisa- tion de ces corps et sur la vie industrielle et commerciale de Paris au xnf siecle. La grande corporation des marchands de I'eau, heritiers de la plus ancienne corporation parisienne , des nauioe Pari- siaci de I'empire remain , ne relevait ni d'un officier du roi , ni d'un maitre etranger; elle avait son prev6t k elle, qui etait devenu comme elle une puissance. Elle avait le mono- pole du commerce par eau sur la haute et la basse Seine, dans les limites de la banlieue de Paris, banlieue etendue jusqu'^ Mantes ; et elle ne se renfermait meme pas dans les termes de ce genre de commerce. Par suite de ces progr6s, oil les rois d'ailleurs trouvaient leur profit, et vu I'impor- tance du commerce de riviere pour Paris comparaLivement a tout autre , la corporation des marchands de I'eau se trou- XXI ART DU XIX" SIECLE — ECOLE FRANgAISE m 2 ::3 - CD o en s a M ^ .2 a « -t3 « ■5 5 — !> 5 .2 •« ? S « I o to ci I > 0) C ; aj eg m ' -as L§§3 ' CO ! 'V^ •« \ CVTa •» obediens non [desi]nam. Valeat Pa- ^ TC\nre iXPV Oh*S\^r^ ternitas vestra diu. Frater Raynaldns [com]meadat se vobis. r Fig. 51. ~ Venture de saint Thomas d'Aqnjn. — Eitrait d'une lettre autographe ^ Bernard, a1}b6 du Mont-Cassin , sur la prescience de Dieu et la liberty bumalne. iBiUUttMca Caasin&nsis, II, 216.) second, comme son ardent et extatique fondateur, plus independant et plus vagabond dans ses allures, devait enfanter en meme temps, et comme en opposition I'un a I'autre, le mystique saint Bonaventure et le savant Roger Bacon. Saint Louis ne fut pas etranger au grand mouvement qui se produisait dans ces etudes. Lui-meme avait ete imbu de bonne heure de ce qui s'enseignait dans les ecoles. II n'est pas necessaire de dire qu'il savait le latin ; il le savait assez pour le traduire couramment en frangais, a mesure qu'il lisait un texte, afm d'en faire profiter ceux de ses familiers qui ne I'auraient pas compris. II cherchait a repandre I'in- struction par tout moyen. II multiplia les livres, et il ne fit pas seulement copier, il fit traduire plusieurs parties des Ecritures et des saints Peres. Sans se permettre de faire la logon a personne, il semblait marquer par son exemple la voie oil il eut ete bon de s'engager de preference dans les 318 SAINT LOUIS etudes theologiques. « II ne faisait pas volontiers sa lecture , dit un de ses plus anciens historiens, dans les ecrits des maitres, mais dans les livres des saints Peres, authentiques et approuves. » Entre les Peres , saint Augustin , au rapport du meme historien et de I'anonyme de Saint- Denis, etait, apres les saintes Ecritures, celui qu'il lisait le plus assidu- ment. Droit et medecine. — La theologie et la philosophie appar- tenaient k I'enseignement de I'Eglise, et, s'ily avait partage et differend k ce sujet, ce n'etait qu' entre gens d'Eglise. II en devait etre autrement du droit et de la medecine ; et cepen- dant I'Eglise ne laissa pas que d'y prendre une grande part. Le droit , il est vrai , relevait d'elle pour une moitie : le droit canon , droit fonde sur les textes de rEcriture , les deci- sions des papes et des conciles. Ces decisions avaient ete reunies , au milieu du xn" siecle , en quatre livres , par Ora- tion ; Gregoire IX y ajouta un cinquieme livre , au milieu du XHi" siecle, et, plus tard, Boniface VIII un sixieme. Le droit civil se presentait sous une double forme , et se partageait a peu pres les deux regions de la France : 1° le droit ecrit, d'origine romaine , au sud de la Loire ; 2° le droit coutumier, qui dominait au nord, droit lai'que, mais a I'etude duquel les clercs se porterent avec tant d'ardeur que les papes durent y mettre des restrictions. Ce n'etait point par oppo- sition de doctrine : si , en effet , ils en defendirent I'enseigne- ment a Paris , c'etait pour reserver Paris a des etudes plus hautes ; car cet enseignement , interdit a Paris , etait , avec I'approbation et la favour des papes, etabli a Montpellier, a Orleans, a Angers. La favour de saint Louis ne lui fut pas moins acquise. Ses reformes dans la legislation, sa soUicitude pour la bonne administration de la justice, les regies prescrites h ses baillis et les attributions reservees a sa cour, assuraient de plus en plus I'empire du droit. Aussi vit-on sortir de I'adminislra- tion, et Ton pourrait dire de I'ecole de saint Louis, des S.Louis, par M. VVALLON. kl ■ /^CSkdrati: ^^if '\A , . , 18 t *-!r-r t Hs-*- nouft amoie-ali»amts- c^efl; as a. Dieus soit en cheste maison, — Et biens et goie S faison! — Nos sires Noueus— Nous envoio h ses amis : — Ch' est as amoureus. Fig. 52. — Rondeau d'Adam do la Halle pour plusleurs vols. leux. Tels sent les contes du Chevalier a I'&pie, du Court Mantel, etc. Ce genre de contes et de nouvelles ou s'etait essaye dej&, vers la fin du xu" sifecle, Audefroi le Bastard, fut cultive avec GHAPITRE XVIII 333 eclat, au xiii" siecle, par une femme qui, n^e en France, vecut en Angleterre, mais qui eut soin de joindre elle-meme le nom de sa patrie a son nom , Marie de France : Marie ai nom , si sui de France. EUe etait de France, et elle ne vecut pas toujours en Angleterre. La favour du comte Guillaume de Dampierre la i^ f 5 ^ ■^lA f J±^Fl=i ■^ it ± ^ nr^ Et as courtois bien apris — Pour avoir des pairesis a nohelison. (S'apr^B le ms. de la BibL uat,, fr. 25566.) Tig. 52 (&M). — Bondean d'Adam de la Halle pour plusieurs Toix. fit venir en Flandre; et ce fut lui, dit-on, qui la decida k traduire ses fables en frangais. La reputation qu'elle eut de son temps a ete justifiee de nos jours par la publication de ses poesies. Elle a su mettre une sorts de reserve dans les peintures oil ses emules se donnent les plus grandes libertes. Elle a, d'ailleurs, plusieurs morceaux entierement irrepro- chables , comme le lai du Frene , qui contient I'idee mere de la touchante histoire de Griselidis , conte refait plusieurs 334 SAINT LOUIS fois , recueilli de nos fabliaux , et rendu celfebre par Boccace. Dans un tout autre genre, Marie de France a fait encore le Purgatoire de saint Patrice, d'apr^s les legendes de I'lr- lande, une de ces visions de I'autre monde, de I'enfer, du paradis , que Ton pent compter parmi les antecedents de la Divine ComMie. Dans un genre plus rapproche de ses lais, elle a fait des fables imitees d'Esope et d'un recueil latin. On y trouve une grSce, une naivete, qui font quelquefois penser a la Fontaine ; et le trait vif et penetrant ne lui manque pas non plus ; car ses fables ne sont pas tellement imitees des anciens , qu'elle ne songe a son temps et ne lui fasse 1' appli- cation de sa morale, comme, par exemple, quand elle fletrit les riches voleurs : Les vicomtes et les jugeurs ; ou qu'elle retrouve, sous les traits de la brebis tondue, les pauvres gens a qui les grands Prennent la chair avec la peau Comme le loup fit a I'agneau. Mais revenons aux lais et aux fabliaux. Dans le nombre, il en est encore qui touchent aux proportions des romans d'aventures, comme le joli conte 6.' Aucassin et Nicolette, conte en prose melee de vers , oii I'amour est peint avec une chas- tete qui n'est pas le merite de cette litterature. D'autres sont comme des episodes des romans de chevalerie. Quelques autres , comme les fables , ont une origine orientale : telle est I'histoire de ce fils de roi , sorte d'Hippolyte calomnie par une autre Ph^dre, condamne par son p^re, et sauve de la mort par I'intervention de sept sages (le poeme des Sept Sages, ou le Dolopathos). Les sept sages venant, chacun son jour, center une histoire, font ajourner le supplice jusqu'au septieme jour, ou la fraude est d^couverte ; et I'histoire du jeune prince n'est que le cadre ou les autres sont rangees. D'autres fabliaux, sans se refuser les emprunts k I'Orient XXV ART CONTEMPORAIN — ECOLE FRANQAISE Le Sifecle de saint Louis, « par Cabanel. — Au musee du Luxembourg, Paris. Dessin§ par Duviviee, grave par Laplante. ■ GHAPITRE XVIII 335 ou k I'antiquite , ont un caractere plus original. Quelques- uns attaquent les vices, comme le Castoiement (enseigne- ment) d'un pere a son fils, legons de morale mises en action par des exemples ; le Chastiement des dames, traite pure- ment didactique, au contraire : c'est un cours de civilite feminine, et plus honnete dans Fintention que dans les de- tails. D'autres qui veulent etre devots ne sont pas toujours edifiants : temoin plusieurs des contes du prieur de Vic-sur- Aisne, Gautier de Coincy. Mais ce qui tient le premier rang entre tous les fabliaux, c'est le Roman de Renard, conte populaire, mis d'abord en latin, puis en langue vulgaire, tant en France qu'en AUemagne , au xn° siecle. II va se mul- tipliant , se ramifiant pendant le xin^ et meme le xiv" siecle , pour aboutir, comme les chansons de geste, a la prose. On n'y compte pas moins de trente branches, rattachees d'ail- leurs par un noeud tout factice au tronc commun : c'est tout un cycle ; la fable y passe des formes breves de I'apologue aux formes prolixes de I'epopee , et prend aussi I'accent de la satire. La satire avait d'ailleurs ses formes particulieres dans les sirventes des troubadours et les sirventois des trouveres. Elle epanche tout a loisir son fiel dans la Bible de Guyot de Provins, moine indocile, qui, ne se trouvant bien nuUe part , ne voit que mal partout ; et dans les vers du seigneur de Berze , qui n'est pas plus indulgent , ni pour le siecle , ni pour I'Eglise. Elle regno aussi dans plusieurs des morceaux du poete Rutebeuf , un rude poete , comme il se plait a le dire en jouant sur son nom. En mainte piece il s'attaque aux moeurs du temps, et ses traits n'epargnent aucune puis- sance, notamment le clerge : il flagelle les jacobins, les cor- deliers , les nonnains et les beguines , et ne menage pas plus les princes , comme dans la branche du roman de Renard , qui est de lui : Renard le Restoume (ou le Ressuscite). Quand on parcourt les ceuvres soit de Rutebeuf, soit des autres satiriques, on s'etonne d'y trouver une liberte, disons 336 SAINT LOUIS plus , une licence de langage en contraste avec le despotisme qui etait le fond des gouvernements au moyen Sge , et Ton se demande si ces hardiesses ^taient connues, et comment elles etaient tolerees. Elles etaient connues : mille jongleurs les repandaient dans la foule. Mais le manuscrit ne provo- quait pas I'attention, et les jongleurs savaient devant quel public ils debitaient leurs traits mordants ou leurs injures. C'etait la publicite du colportage , affranchie du contr61e de I'autorite , ou , comme on le dirait aujourd'hui , de I'estam- pille du gouvernement. Art dramatique. Reste une chose pour completer I'oeuvre des trouveres, c'est le theatre : il semblait tout naturellement de leur do- maine ; il est comme la dernifere expression des genres divers qu'ils ont cultives. Aux nouvelles et aux fabliaux appliquez les formes de la tenson , et vous aurez une sceue , une suite de scenes. Introduisez-y la musique, joignez-y la chanson, et vous aurez non plus seulement le drame , la comedie , mais loutes les formes de I'opera. Nous retrouverons, en effet, parmi nos trouveres les premiers auteurs de pieces ainsi congues. Et cependant ee n'est pas de 1^ que le theatre mo- derne est ne. II est sorti de I'Eglise. La chose pent paraitre etrange , si Ton se rappelle les ana- themes dont I'Eglise a justement frappe , dhs le commence- ment, les jeux sceniques de I'Empire, et la severite qu'elle garde aujourd'hui encore pour cette sorte de plaisir. On s'etonnera moins si on reflechit aux origines du theatre antique , et , on le peut dire , k ce que le drame est partout dans ses origines. Le theatre antique est sorti des mystferes, c'est- &-dire des GHAPITRE XVIII 337 sources les plus profondes du sentiment religieux. II nait du besoin de mettre en action ce qui fait I'objet de la croyance, de faire entrer plus avant dans les esprits les dogmes de la foi. Le christianisme ne pouvait pas faire exception. Quoi de plus dramatique que ses deux dogmes fondamentaux : la chute de I'homme, la redemption? Ses ceremonies sont toutes pleines de cette pensee. Le sacrifice de la messe n'est pas autre chose que le sacrifice de la croix mystiquement renouvele ; et que sont les fetes de I'Eglise , si ce n'est la commemoration des principales circonstances de I'histoire du Sauveur ou de la vie des saints et des martyrs ? Quand le drame fait ainsi le fond et comme la substance d'un culte , il est difficile qu'il ne se fasse point jour par quelque c6te. Les fetes ou I'Eglise celebrait les principaux mysteres de foi etaient I'occasion ou il devait le plus naturellement se produire. En premier lieu , la fete de Piques , la fete fonda- mentale du christianisme ; la Noel , reunie d'abord a I'Epi- phanie (6 Janvier), puis separee, reportee a sa date (25 de- cembre) , et celebree avec un grand eclat au v° siecle , pour repondre aux heresies qui, apres avoir nie la divinite de Jesus-Christ , niaient alors son humanite ; la Pentecote , r Ascension, etc. L'Eglise, en etablissant ces fetes, en leur fixant leur rituel pour tout ce qui etait canonique, laissait d'ailleurs a chacun des eveques la liberte d'etendre ou de resserrer I'offlce selon les convenances, dont ils etaient les meilleurs juges. L'appareil et le detail des ceremonies res- taient done a leur discretion. Ce qu'ils firent le plus gene- ralement , ce qui repondait le plus aux instincts populaires , ce fut de mettre sous les yeux des fideles les signes exterieurs des mysteres. A la fete de Peiques, le sepulcre; a Noel, la creche. Des la veille de Noel , une tente etait dressee pres de I'autel, figurant I'etable, avec la Vierge, saint Joseph et I'enfant Jesus ; pour que cette tente parut mieux une etable , quelquefois on y faisait paraitre I'ane et le bceuf. A minuit , 22 338 SAINT LOUIS des voix d'enfants places dans les combles de I'eglise faisaient entendre les paroles des anges. Aprfes la messe de I'aurore , des fid^es en costume de bergers se presentaient h I'eglise , etaient introduits dans le choeur et saluaient Tenfant nouveau- ne, deposant leurs offrandes devant la creche. L'adoration des mages etait reserv^e pour I'Epiphanie. Tout etait done prepare pour la mise en action du mys- t^re. Que fallait-il pour que le drame en sortit? 11 suffisait qu'en representant, ou les saintes femmes, ou les anges, ou les pasteurs , on leur mit les paroles sacrees dans la bouche. C'est ce qui ne manqua pas d'arriver. Pour m'en tenir au point ou en etait le theStre au temps de saint Louis, je dirai que les premieres formes du mystere liturgique, bien que depassees par des essais d'une autre sorte, n'avaient pas cesse d'etre representees , au xni° si^cle , ou dans les eglises , ou sur les parvis des eglises , selon le rituel ; mais que pour les autres, plus convenablement nommes jeux, ils etaient passes de I'Eglise et des convents aux confreries, et allaient se seculariser de plus en plus. L'auteur anonyme et sacre a fait place au trouvere et au menestrel. Le drame, qui a cesse d'etre liturgique, reste d'abord encore religieux. C'est, en premiere ligne, la representation des principaux mysteres de Peiques et de Noel. On a aussi, de la plus ancienne epoque, VAnnonciation, qui pent se joindre aux mysteres de Noel ; V office de I'Stoile, les Trots Rois , qui se rapportaient plus specialement a I'Epiphanie. Comme les deux fetes avaient ete disjointes, les mysteres qui s'y rattachent se separerent aussi , et prirent des lors une direction differente : les premiers , restant graves et se- rieux; les autres, declinant vers ces rejouissances populaires qui firent que ces fetes, multipli^es d'abord par I'Eglise a cette epoque de I'annee , pour detourner le peuple des satur- nales, finirent par lui donner, malgre tons les efforts des eveques, une occasion de s'y replonger en plus d'un lieu. Cela commenga au xni* si^cle, et empira surtout dans les CHAPITRE XVIII 339 deux siecles suivants. Des paraboles de I'Ecriture avaient aussi ete tournees en drames : les Vierges sages et les Vierges folks, par exemple; et non-seulement des paraboles, mais des actes de la vie des saints de I'Ancien ou du Nouveau Testament, comme le Dcmiel, compose par des ecoliers de Beauvais, et la Conversion de saint Paul. On avait fait le meme honneur a des miracles de saints, tires de la legende. Au nombre des vingt-deux drames liturgiques publics par Edm. de Coussemaker, il y a quatre miracles de saint Nicolas {les Filles dotees, les Trois Clercs, le Juif vole, le Fils de Gedron). Un sujet si populaire pouvait aussi tenter les menestrels. Le mystere de saint Nicolas est le premier drame ecrit entierement en frangais. II est roeuvre de Jean Bodel, poete d'Arras , de la fin du xn° et de la premiere moitie du xiii° siecle, connu dej& par une chanson de geste du cycle de Charlemagne , la chanson des Saisnes , et par diverses chan- sons ou pastourelles. Avec la piece de Jean Bodel, qui, par une scene au moins, prelude dignement a la tragedie en France , le siecle de saint Louis vit paraitre la premiere co- medie et ce qu'on pourrait appeler le premier opera comique, tons deux d'un autre poete d'Arras, Adam de la Halle ou le Bossu d'Arras : le Jeu dumariage Adam ou de la feuillie, et leJeu de Robin et Marion. Le premier, represente en 1262, est une comedie dans le genre de I'ancienne comedie chez les Grecs. L'auteur y met en scene, dans une revue satirique, des personnes de la ville, qui pouvaient assister a la repre- sentation, a commencer par lui-meme : il y a parfois dans cetteetrange composition, qui se termine par une feerie, une verve qui fait bien augurer de I'avenir de la comedie parmi nous. L 'autre piece fut composee vingt ans plus tard, au . dela des limites du regno de saint Louis, et sur une terre etrangere devenue frangaise, a Naples, oil le poete avait accompagne le comte d'Artois , envoye pour venger son oncle des Vepres siciliennes. C'est une pastourelle mise en action 340 SAINT LOUIS avec une conclusion fort differente des pastourelles en ge- neral , et c'est ce qui fit qu'elle pouvait etre representee , et qu'cUe le fut avec succes. hejeu du Pelerin, rattache comme prologue a ce jeu, est peut-etre d'un auteur posterieur. C'est aussi un peu aprfes le regne de saint Louis qu'il faut placer le miracle de saint TMophile, par Rutebeuf : sujet moins religieux au fond que satirique. Un prStre qui renie Dieu par orgueil et se voue au diable fournissait, meme apres qu'il a expie sa faute par la penitence , un trop beau theme a ce champion de I'Universite contre les ordres re- ligieux. Le theaitre , par la musique. nous conduit aux beaux-arts. Gravure des aceaux. — Sceau dc Simon de MoDtfort, comte de Leicester — Type 6queBtre de cbasse. Fig. 54. — Peinture miivale. — Le Jugement dernier, d'aprfis les peinturee de Tfeglise dc Toumus. CHAPITRE XIX LES BEAUX-ARTS AU TEMPS DE SAINT LOUIS L'architecture '. ous avons fait voir quelle activite le xiif siecle avait deployee, non-seulement dans ce qui fai- sait I'objet de I'enseignement des universites, mais dans tous les genres de litterature, soit en prose, soit en vers. L'Eglise regne dans les universites , et elle n'a point laisse que de marquer sa place au dehors dans plusieurs genres , qui se developpent d'ailleurs 1 Toute I'illustration de ce volume (eI Texception des planches hors texte) est destinee ^ representer les prinoipaux types de I'art au xiii" sifecle. Dans les notes du present chapitre , nous y renvoyons plus speoialement le lecteur. 342 SAINT LOUIS plus librement a c6te d'elle. Un autre domaine, ou Ton peut dire qu'elle exerga at garda une action dominante, alors meme qu'elle cessa d'y participer moins directement, est celui des beaux- arts. Architecture religieuse. — Le premier rang entre les di- verses branches des beaux- arts appartenait k Tarchitecture. Elle le devait surtout a la construction des edifices religieux. Le grand mouvement qui lui donna son essor datait de I'an 1000. Jusque-la on s'etait generalement borne a I'imitation des anciennes basiliques : le toit etait soutenu par une charpente visible, comme dans les grandes halles. Apres Tan 1000, quand le monde , qui s'etait cru a la veille de perir, se reveille vivant toujours, et prend confiance dans sa duree, tout se ressent de ces longues vues d'avenir qui lui sant rendues, et sa reconnaissance envers le Ciel se manifeste dans le zele des populations k reconstruire les maisons de Dieu. Les ecoles monastiques, la grande ecole de Cluny, fournirent les premiers architectes. Mais on ne se contente plus de rebatir les eglises sur les anciens modeles et dans leurs premieres dimensions. On les agrandit, on les eleve, on les transforme. Leur agrandissement meme et leur surelevation devaient entrainer de graves changements dans leur structure. Aux charpentes visibles des anciennes basiliques on substitue partout des voutes en pierre, qu'on jette hardiment au- dessus des diverses constructions religieuses. La voute com- mande le centre -fort et I'arc - boutant ; et c'est ainsi que se produisit un nouvel ordre d'architecture, I'architecture dite gothique, appelee plus justement fromgaise au xvi* siecle, qui fit I'originalite du moyen aige, et qui atteignit, sous le r^gne de saint Louis , son plus haut degre de perfection. C'est dans I'lle-de- France, et comme au berceau de la dynastie capetienne, au lieu qui devint le tombeau de ses rois, c'est a Saint- Denis, dans les parties de I'eglise abba- tiale baties par Suger (le choeur et le porche), que ce sys- teme , veritable revolution dans I'art de construire , regut sa CHAPITRE XIX 343 premiere application. Presque en meme temps , on le voit se repandre dans les dioceses qui font partie du domaine royal et dans les grands fiefs le plus etroitement en rapport avec la royaute : la Picardie, la Normandie, la Champagne, la Bourgogne, le Berri. Fig. 55. — Architecturo religieuse. — Vofite de Saint- Martin -des-Cliamps, a Paris. — Type des voUteB en pierre qui sont le principe essentiel de I'architecture des feglises tant romanes que gotbiqnes. Pour ne nous arreter qu'aux eglises les plus importantes dans I'histoire de I'art , les cathedrales de Noyon , de Laon et le choeur de Soissons etaient acheves des la fm du xii° siecle. La cathedrale de Paris avait ete commencee, en 1160, par I'eveque Maurice de Sully. A la mort de Philippe -Auguste, le portail etait eleve jusqu'a la base de la grande galerie a jour qui reunit les deux tours. L'eglise fut achevee, dans ses 344 SAINT LOUIS parties principales, sous saint Louis: les tours furent por- tees k leur hauteur en 1235 ; les chapelles de la nef sent de 1245; le portail du sud, de 1257 (Jean de Chelles); les chapelles du choeur, posterieures ci la mort du saint roi (1296). Fig. 66. — Architecture religieuse. — Catta6drale d' Amiens (1220-1288\ — Vue d'ensemble. — Type d'une cath^drale construite boos le rdgne de ealnt Louis. La cath^drale d' Amiens avait ete d^truite par un incendie en 1212. Elle fut commenc^e en 1220 par Robert de Lu- zarches, et continues , en 1223, par Thomas at Renaut de CHAPITRE XIX 345 Cormont, pere et fils, sur les plans que Robert de Luzarches avait laisses. La derniere main ne fut mise aux voutes qu'en 1288. G'est le plus beau vaisseau de toutes nos cathe- drales. La partie superieure des tours est du xiv" siecle. rig. 57. — Architecture rellgieose. — Cathfidnale d' Amiens (1220-1288^. — Type d'un plan de cath6drale au xiir 8i6cle. - Plan general. La cathedrale de Chartres, brulee en 1194, fut rebatie avec le concours non-seulement des habitants du diocese, mais des populations d'alentour, parmi lesquelles Notre- Dame de Chartres etait en grande veneration. EUe etait ache- vee, pour la plus grande partie, en 1240. La cathedrale de Reims fut commencee, en 1212, par 346 SAINT LOUIS Robert de Goucy; en 1230, les voutes basses etaient faites; en 1240, les parties superieures du chceur et les travees de la nef etaient construites. La fagade ne fut achevee (moins les deux fleches) qu'au commencement du xiv" siecle; on y travaillait encore au xv°. La cathedrale de Bourges sortait de terre en 1220. La partie anterieure de la nef n'est que du xiv° siecle ; le sommet de la fagade et les deux tours , du xvi°. La cathedrale de Beauvais fut commencee un peu apres celle d'Amiens, en 1225. Le choeur fut eleve sur un plan plus large , avec une hardiesse qui en fait un des morceaux les plus admirables de I'architecture gothique. La conception du chceur de Beauvais est regardee comme superieure a'celle du choeur de la cathedrale de Cologne, commencee un peu apres, sous I'inspiration de cette cathedrale meme et de celle d'Amiens. La cathedrale de Rouen , reediflee dans la seconde moitie du xii° siecle, couvrait deja, a la mort de Richard Cceur- de-Lion, tout I'espace qu'elle occupe aujourd'hui. La nef, le transsept et le sanctuaire durent etre reconstruits apres un incendie. On reconnait, dans le style des parties refaites de 1210 a 1220, les traces de I'influence frangaise; le style go- thique normand reprit ensuite le dessus. On continuait d'y travailler sous saint Louis *. Les monast^res ^ et meme les hSpitaux ', construits, accrus en si grand nombre avec le concours de saint Louis, se ressentirent, comme les eglises, de cette renaissance de I'art. C'est sous le r^gne de saint Louis, ou tres-peu aupara- 1 Noua avons offert, dans los ■ « Et il mei'smes ses cors portoit les cors pourris et tous puans pour mettre en terre es fosses , que jane se estoupast, et li autre se estoupoient ». (Joiayille, p. 319 de I'^d. Natalis de Wailly, Didot, 1874.) Peinture murale de M. Matout, a I'eglise Saint- Sulpice de Paris. Dessine par Duvivier , grave par Balaire. CHAPITRE XX 383 Innocent IV, tout a la pensee de ruiner la maison des Ho- henstaufen, tant en Italic que dans I'Empire, avait offert le royaume des Deux-Siciles a Edmond, deuxieme fils de Henri , et la couronne imperiale a Richard , frere du meme roi. L'offre fut acceptee ; mais , pour en profiter, il fallait de I'argent : car le pape reclamait de fortes sommes qui lui etaient dues pour la Sicile , et ce qu'il offrait ne se pouvait prendre d'ailleurs et se garder que les armes a la main. Or les barons n'etaient pas disposes a se preter aux couteuses fantaisies du roi. Richard alia bien en Allemagne, ou on I'avait elu roi des Remains (1257) ; mais son absence ne fit que rendre plus facile le triomphe des mecontents, a la tete desquels s'etait place Simon de Montfort. lis imposerent au roi les provisions d'Oxford (1258). Une commission de vingt- quatre membres, nommes moitie par le roi, moitie par les barons ,. fut chargee de reformer le royaume. CeLte commis- sion, qui etait tout entiere sous I'influence de Leicester, arreta , entre autres choses , qu'un parlement serait assemble trois fois par an ; mais il etait dit qu'il pourrait etre repre- sents par douze de ses membres, dont les decisions, prises en commun , seraient tenues pour la volonte du parlement. C'etait confisquer les pouvoirs du roi et de la nation elle- meme au profit d'un parti. II est vrai que ce parti se croyait la nation , et se faisait preter serment. La famille royale dut, comme les autres, jurer de respecter son oeuvre. Henri, fils de Richard, le fit, mais par contrainte. Richard , a son retour (Janvier 1259), dut faire de meme. On pent voir si un roi , ainsi tenu en bride a I'interieur, etait en mesure de se montrer exigeant au dehors. Et pour- tant c'est en ces circonstances que, la treve avec la France expirant, Henri III trouva moyen de la remplacer par une paix oil il obtenait beaucoup plus qu'il n'eut pu acquerir de la guerre la plus heureuse. II n'avait pas compte en vain sur les scrupules manifestes plus d'une fois par saint Louis a I'egard de la confiscation 384 SAINT LOUIS qui avait reuni a la couronne les domaines du roi Jean. Saint Louis ne contestait pas que le roi Jean n'en eut ete legiti- mement depouille; mais son fils etait innocent, et il y avait, ci son avis, quelque rigueur a ne pas lui rendre son heritage. < Snftiajttttntmtmmtt aitttniJci^gitttnuSncTn bimm -me^mo tcrcw- ^d)nmnk nt'yAlacuj tm* ciuc^iilnimn xmoxcvao crnncrmij • ^' ^^ trijm mnt(mrcDjtamii5 annitm 'ifeH^^^**^ ^y^^^'^cf^''^ niab-ftsr>Ht!t? Fig. 75. _ Le Christ , juge des vivantB et des morts. — Miniature du Psautier de saint Louis, qui est aujourd'hui conserve h la BibliothSque de rArsenal, CHAPITRE XXI SAINT LOUIS AVANT SA DERNIERE CROISADE I Foi et devotion de saint Louis. — Sa soUicitude pour ses enfants et pour toute sa maison. N trouve, dans un auteur qui ecrivait peu de temps apres la mort de saint Louis, ce portrait de la personne du saint roi : « Sa taille , qui lui faisait depasser tous les autres de la hauteur des epaules ; la beaute du corps repandue en lui dans de justes proportions ; sa tete ronde, qui semblait etre le siege de la sagesse; son visage calme et serein, qui respirait quelque chose d'angelique; ses yeux de colombe , au rayonnement plein de grace ; la blan- 410 SAINT LOUIS cheur et Teclat de son teint; une calvitie prematuree, qui revelait la maturite de son esprit et meme la sagesse qu'on ventre chez le vieillard : ce sont des qualites qu'il serait superflu peut-etre de beaucoup louer, puisqu'elles ne sont que I'ornement de rhomme au dehors; mais, comme elles precedent aussi de la saintete interieure, elles ne laissent pas de commander I'attention et le respect. » Ce portrait aurait besoin d'etre contrSle sur les images de saint Louis, si Ton etait sur d'en trouver de fideles dans les manuscrits, les sceaux ou les miniatures du temps; mais pour ce qui est de I'impression morale que Ton retrouve dans ces lignes , elle est bien telle que I'eprouvaient les contem- porains du saint roi. Saint Louis, au retour de sa croisade , etait deja venere comme un saint : et c'est alors aussi que ce titre lui allait etre de plus en plus merite par toute sa conduite. « Depuis son heureux retour en France , dit Geoffroi de Beaulieu , son confesseur, quelle devotion il montra envers Dieu, quelle justice envers ses sujets, quelle misericorde pour les affli- ges, quelle humilite pour soi-meme, quel zele a avancer, selon son pouvoir, dans tout genre de vertus ! c'est ce dont peuvent temoigner ceux qui ont le plus diligemment converse avec lui , qui ont connu le fond de sa conscience : en telle sorte qu'au jugement des hommes les plus eclaires autant I'or est plus precieux que I'argent, autant sa nouvelle ma- niere de vivre au retour de la Terre-Sainte I'emporta en saintete sur sa vie anterieure; bien que, durant sa jeu- nesse, on I'ait toujours vu plein de bonte, d'innocence et de merite. » Son humilite , sa simplicite , se manifestaient en toute chose. 11 s'appelait volontiers et signait Louis de Poissy ; il disait que Poissy etait le lieu oii il avait obtenu le plus grand honneur, et comme on lui demandait si ce n'etait pas plut6t Reims , oil il avait ete sacre , il repondit qu'^ Reims il avait bien regu I'onction royale, mais qu'a Poissy il avait regu CHAPITRE XXI 411 la grace du baptfeme, qu'il estimait incomparablement au- dessus de tons les honneurs du monde; et qu'etait-ce, en effet, qu'une couronne perissable aupres de celle qui etait reservee aux elus dans le royaume de Dieu ? « Je suis , disait- il familierement, comme le roi de la feve, qui le soir fete sa royaute et le lendemain matin n'est plus roi. » Autant il prisait peu ses honneurs , autant il semblait faire cas de ses humiliations. II aimait a rappeler sa captivite et les outrages qu'il avait regus des Sarrasins; et a ceux qui lui disaient d'ecarter ces souvenirs il repondait que tout chretien doit tenir a honneur ce qu'il endure pour la gloire et I'amour de Notre -Seigneur Jesus -Christ. Depuis son retour, dit un de nos chroniqueurs, il s'etait fait une regie de coucher sur un lit de bois avec un seul matelas de coton ; il ne dedaignait pas moins le luxe dans sa vaisselle. A partir du meme temps, il evita de porter des vetements de prix , excepte dans les circonstances oil il devait soutenir le rang de la royaute. Mais il ne voulait pas que les pauvres, dont ces vetements etaient le profit quand il ne les portait plus , y perdissent rien ; et il leur faisait donner soixante livres de plus par an , pour les indemniser de son humilite. Comme le titre de chretien etait le premier a ses yeux , il mettait aussi au premier rang de ses obligations ses devoirs de chretien. II est superflu de rappeler que sa piete n'avait fait que croitre , comme son assiduite a toutes les pratiques religieuses. Alors encore, malgre I'affaiblissement de sa sante, il consacrait une partie de ses nuits a la priere. Aux grandes fetes , il faisait celebrer I'office avec tant de solen- nite et de lenteur, que par la , dit naivement le confesseur de la reine Marguerite, « il ennuyait tous les autres. » On com- prend quelle peine ce lui eut ete d'etre prive pour quelque raison de I'office divin. Aussi Alexandre IV, des le commen- cement de son pontificat, renouvela-t-il plusieurs faveurs que saint Louis s'etait deja fait accorder par les precedents 412 SAINT LOUIS ponlifes : privilege de ne pouvoir etre excommunie, lui, sa femme ou ses enfants, sans un ordre special du saint- siege; de n'etre pas atteint d'excommunication parle commerce des excommunies; defense de frapper d'interdit les chapelles royales , et meme les terres du roi ; permission d'entendre la messe meme dans les lieux soumis a I'interdit. Lorsqu'il touchait les ecrouelles, ce mal, dit Geoffroi de Beaulieu , « que les rois de France ont regu la grgice singuliere de guerir, » aux paroles que ses predecesseurs prononQaient selon le rit etabli , il ajouta I'usage de faire sur le malade le signe de la croix , afin que la guerison qui suivait fut attri- buee a la vertu de la croix et non a la majeste royale. II avait rapporte de la croisade une plus grande veneration de la croix. Quand il entrait dans un cloitre , et qu'il voyait des croix gravees sur les tombes des religieux , il avait grand'peur de marcher dessus : k tel point que , dans les monasteres oil il venait plus habituellement, il avait fait 6ter les croix des tombeaux. II gouta fort la coutume qu'il avait observee chez certains religieux , de s'incliner profondement , dans le chant du Credo, aux paroles : et homo factus est; et il I'intro- duisit dans sa chapelle et dans mainte autre eglise, en y joi- gnant la genuflexion. II adopta de meme, et repandit I'usage suivi par d'autres rehgieux, a la lecture de la Passion, durant la semaine sainte , de se prosterner aux mots : emisit spiritum ou expiravit. On ne pent douter du zele avec lequel il dut accueillir la fete du Saint -Sacrement, consacree et introduite dans le rituel de I'Eglise par une buUe du pape Urbain IV (1264). On salt quelle veneration il avait pour les reliques : c'est pour recevoir la couronne d'epines et le fragment de la vraie croix qu'il avait fait beitir la Sainte -Chapelle aupr^s de son palais. II avait etabli des chanoines pour y officier regulie- rement, et il institua trois fetes qui y etaient celeb rees: la premiere , par les fr^res precheurs ; la deuxieme , par les fr^res mineurs; la troisi^me, par ces deux ordres reunis. Urj(_^ Ice U L iitc' '"^ttli M^lttt-l?^1 y€«02tarr/^{ia& tifte/lbfer'.rj. ; «i alttfi ttiaumenn© % ottumumnQ rt$A ^ amy j ! t p /' • j :.-S D'OR DRSTINEHS All SACRE DES ROIS ET DES REINES DE PRANCE !M.. 1261; i'ecriture minuscule pothique, CHAPITRE XXI 419 (c envoie cette tentation si elle vous plait. » Et le maitre dit : « Sire, au contraire, elle m'ennuie autant que chose peut « m'ennuyer. — Or je vous demande, fit I'eveque, si vous « prendriez or ou argent a condition que vous feriez sortir « de votre bouche nulle chose qui fut centre le sacrement de « I'autel ou centre les autres saints sacrements de I'Eglise. « — Moi! sire, fit le maitre, sachez qu'il n'est nulle chose « au monde que je prisse a cette condition; mais j'aimerois « mieux qu'on m'arrachat tons les membres du corps que cc de rien dire de pareil. — Maintenant je vous dirai autre « chose , fit I'eveque ; vous savez que le roi de France guer- « roie avec le roi d'Angleterre , et vous savez que le chateau « qui est le plus en la marche (fronti^re) d'entre eux deux « c'est la Rochelle en Poitou. Or je veux vous faire une « demande : si le roi vous avoit donne a garder la Rochelle, « qui est en la marche , et qu'il m'eut donne a garder le ch£i- « teau de Montlheri , qui est au coeur de la France et en terre « de paix , auquel le roi devroit-il savoir meilleur gre a la fin « de sa guerre , ou a vous qui auriez garde la Rochelle sans « perdre , ou a moi qui lui aurois garde le chateau de Mont- « Iheri sans perdre? — Au nom de Dieu, sire, fit le maitre, a ce seroit a moi , qui aurois garde la Rochelle sans perdre. « — Maitre, dit I'eveque, je vous dis que mon coeur est « semblable au chelteau de Montlheri ; car je n'ai nulle ten- « tation ni nul doute sur le sacrement de I'autel. A cause de « quoi je vous dis que pour une fois que Dieu me salt gre de « ce que j'y crois fermement et en paix, Dieu vous en salt « gre quatre fois , parce que vous lui gardez votre coeur dans « la guerre de tribulation, et vous avez si bonne volonte « envers lui , que vous , pour aucun bien de la terre , ni pour « mal qu'on fit a votre corps, vous ne I'abandonneriez. « Done je vous dis que vous soyez tout aise ; que votre etat « plait mieux a Notre -Seigneur en ce cas que ne fait le « mien. » Quand le maitre oui't cela, il s'agenouilla devant I'eveque, et se tint bien pour satisfait. » (Ch. ix.) 420 SAINT LOUIS Le bon roi ne trouvait pas toujours ses amis, meme les meilleurs, aussi disposes que lui-meme a tout sacrifier pour leur foi. Mais c'etait pour lui une raison de redoubler de zele h leur egard. « II m'appela une fois , dit Joinville , et me dit : « Vous « etes de sens si subtil, que je n'ose vous parler de chose « qui touche a Dieu; et j'ai appele ces freres qui sont ici, « parce que je vous veux faire une demande. » La demande fut telle: « Senechal, fit-il, qu'est-ce que Dieu? » Et je lui dis : « Sire, c'est si bonne chose que meilleure ne pent etre. « — Vraiment, fit-il, c'est bien repondu; car la reponse que « vous avez faite est ecrite en ce livre que je tiens a ma « main. Or je vous demande, fit-il, ce que vous aimeriez « mieux , ou d'etre lepreux , ou d'avoir fait un peche mortel? » Et moi, qui jamais ne lui mentis, je lui repondis que j'aime- rois mieux en avoir fait trente que d'etre lepreux. Quand les freres furent partis, il m'appela tout seul, me fit asseoir a ses pieds, et me dit : « Comment me dites-vous hier cela? » Et je lui dis que je le disois encore. Et il me dit : « Vous par- « Mtes en etourdi et en fou ; car il n'y a pas de lepre aussi « laide que d'etre en peche mortal , parce que I'Elme qui est « en peche mortel est semblable au diable; c'est pourquoi il « ne pent y avoir de lepre si laide. Et il est bien vrai que a quand I'homme meurt il est gueri de la lepre du corps ; « mais quand I'homme qui a fait le peche mortel meurt , il ne a salt pas ni n'est certain qu'il ait eu tel repentir que Dieu « lui ait pardonne. C'est pourquoi il doit avoir grand peur «■ que cette lepre ne lui dure tant que Dieu sera en paradis. « Aussi je vous prie, fit-il, autant que je puis, d'habituer « votre cceur, pour I'amour de Dieu et de moi, a mieux aimer « que tout mal advint a votre corps par la lepre et par toute a maladie, que si le peche mortel venoit dans votre ame. » (Ch. IV.) 11 prechait k ses fidMes serviteurs I'observation de la morale. « Savez-vous, leur disait-il, comment il faut faire CHAPITRE XXI 421 pour etre honore du monde et plaire a Dieu ? Ne faites et ne dites choses que vous ne laissiez de faire et de dire, si tout ie monde le savoit. » Joinville, qui rapporte cette parole, y joint quelques autres preceptes du saint roi, et il ajoute : « Quand le roi etoit en gaiete, il me disoit : « Senechal, « dites-moi les raisons pourquoi prud'homme vaut mieux « que beguin (devot). » Alors done commengoit la discussion entre moi et maitre Robert. Quand nous avions longtemps dispute , alors le roi rendoit sa sentence , et disoit ainsi : « Maitre Robert, je voudrois avoir le nom de prud'homme, « pourvu que je le fusse, et tout le reste je vous le laisse- « rois ; car ce nom de prud'homme est si grand chose et si . Mais le bon roi, « doux et paisible, » aima mieux fermer les yeux sur ces griefs que de combattre des Chretiens, disant qu'il n'etait pas venu pour les detruire, quoiqu'ils I'eussent bien merits. Le vendredi suivant (11 juillet), le roi vit arriver h Cagliari CHAPITRE XXII 443 les autres vaisseaux partis de Marseille ou d'Aigues-Mortes. II reunit ainsi autour de lui le roi de Navarre , son gendre , le comte de Poitiers, son frere, le comte de Flandre, Jean de Bretagne, et beaucoup d'autres. II tint conseil sur son vaisseau , et on s'y affermit dans la resolution d'aller a Tunis avant de passer en Egypte et en Terre-Sainte. Au moment oil Ton allait mettre a la voile , les gens du chateau et de la ville vinrent offrir au roi vingt tonneaux de tres-bon vin grec, comme ils disaient. Mais saint Louis ne voulut pas de leur present, et leur fit dire d'avoir soin des malades qu'il laissait en leur ville ; que ce lui serait le don le plus precieux. On partit le mardi lb juillet, et le surlendemain on etait devant le port de Tunis. L'amiral, envoye pour explorer le lieu , y trouva quelques vaisseaux marchands , et deux autres vides qui etaient aux Sarrasins. II s'empara de ces deux vaisseaux, occupa le port et descendit a terre ; puis le manda au roi, pour qu'il lui fit passer des renforts. Le roi ne s'at- tendait pas a cette prise de possession. II fit appeler sur son vaisseau ceux des barons qui etaient les plus proches. Le conseil fut partage d'opinions. L'abandon sans defense d'un tel port, qui ouvrait le pays tout entier, pouvait cacher un piege. Plusieurs pourtant etaient d'avis de s'y etablir, puis- qu'on y avait aborde sans dommage. On finit par se resoudre a y envoyer frere Philippe d'Egles (de Eglis) et le maitre des arbaletriers , avec pouvoir de faire ce qu'ils jugeraient le plus profitable : ou ramener l'amiral , ou debarquer des troupes pendant la nuit. lis revinrent avec l'amiral ; ce qui souleva bien des mur- mures. On demeura toute la nuit dans les vaisseaux. Le matin , on vit les Sarrasins accourir a pied et a cheval autour du port. Le roi tint conseil, et a la vue de I'ennemi toute hesitation se dissipa : on resolut de debarquer sans plus attendre. Le vaisseau du roi marchait en tete des autres. On prit terre au lieu ou etait descendu l'amiral, et on n'y 444 SAINT LOUIS trouva pas plus d'opposition (vendredi 18 juillet). Au lieu de se Jeter sur les envahisseurs , les Sarrasins, epouvantes, s'etaient retires k Tangle d'une petite ile. On s'etablit done k terre, et on dressa les tentes dans une sorte d'ile, longue d'une lieue , sur une largeur de trois portees d'arbal^te. EUe offrait une issue k ses deux extremites ; pas d'eau douce , si ce n'est au point le plus eloigne , et les valets de Tarmee qui s'y etaient portes pour en puiser tomberent en partie sous les coups des Sarrasins places en embuscade. On quitta cette ile, oil I'eau douce etait, d'ailleurs, insuf- fisante, et Ton alia camper dans une vallee sous Carthage, ou Ton trouvait, avec le libre acces du port et des vais- seaux, I'avantage d'avoir de I'eau en abondance; car chacun de ceux qui y possedaient un champ avait un puits pour I'arroser. Quand les tentes y furent dressees , ceux de la flotte vinrent trouver le roi , et lui dirent que s'il voulait leur donner des arbaletriers, ils prendaient le chateau de Carthage. Le roi leur dit de faire les preparatifs de I'attaque ; et quand ils furent prets , il leur fit donner cinq cents arbaletriers a pied et a cheval et quatre corps de chevaliers etrangers; puis, avec ses barons, se mit en bataille et maintint si bien les Sarrasins, qu'ils ne purent secourir le chateau. Pendant ce temps, les gens de la flotte avaient dresse leurs echelles, et, sans perdre plus d'un seul homme , escalade les murs , ou ils firent flotter leur bannifere. A cette vue, le roi et les barons se jeterent sur les Sarrasins , qu'ils mirent en deroute. Plu- sieurs se refugierent dans les cavernes : le feu les y fit perir, au nombre de deux cents environ , ou les en delogea. Plu- sieurs, en effet, s'echapp^rent , chassant leurs troupeaux devant eux , et ne furent pas poursuivis : defense avait el6 faite de combattre hors des rangs, sous peine d'etre laisse sans appui. Le chateau etant pris, le roi y envoya pour le garder des chevaliers et des arbaletriers et nombre de fan- tassins : il en fit enlever tous les cadavres , afin qu'on y put CIIAPITRE XXII 445 recevoir les femmes, les malades et ceux qui seraient blesses dans la bataille. Dans le chateau et autour des murs on Irouva beaucoup d'orge en cavernes et en fosses (silos), mais rien des autres objets que le nom de Carthage pou- vait faire rever aux imaginations enflammees des conque- rants. Les Sarrasins etaient loin d'etre vaincus. Le vendredi qui suivit la bataille , ils s'etaient retires vers le soir, « par aven- ture pour ce qu'ils vouloient garder leur sabbat , » dit Guil- laume de Nangis ; mais le lendemain ils revinrent k I'attaque si brusquement, que les croises durent quitter leur repas pour crier aux armes., Ce meme jour, deux chevaliers de Catalogue vinrent du camp des Sarrasins faire leur soumis- sion a saint Louis, et ils lui dirent que le roi de Tunis avait fait prendre tons les mercenaires Chretiens qui etaient dans son armee , menagant de leur faire couper la tete si les Fran- gais venaient jusqu'a Tunis. Peu de temps apres une soumission d'une autre sorte, que saint Louis, dans la disposition d'esprit ou il etait, devait prendre au serieux, mit le camp en emoi. Un jour que le comte d'Eu et son frere Jean d'Acre, bou- teiller de France, faisaient le guet, trois guerriers sarra- sins se presenterent au second , et lui dirent qu'ils voulaient se faire chretiens. lis porterent leurs mains a leur tete en signe d'hommage f et baiserent les mains des n6tres comme pour se placer dans leur dependance. Le bouteiller, a qui ils s'etaient rendus , les mena dans son pavilion et vint en aver- tir le roi,' qui ordonna de les bien garder. Comme il etait retourne a son poste , cent autres Sarrasins vinrent h lui , deposerent leurs armes, et, avec les memes signes que les premiers, demanderent le bapteme. Mais, tandis que le bou- teiller et ses hommes etaient occupes avec eux, une multi- tude d'autres Sarrasins accoururent , lance en arret , se je- terent sur les n6tres , en tuerent soixante environ , et prirent la fuite : trahison qui n'eut d'egale que la credulite de ces 446 SAINT LOUIS Chretiens ; gt Ton s'en prit au bouteiller, qui n'avait pas ete plus vigilant dans sa garde. Jean d'Acre, revenu dans sa tente, reprocha vivement a ses trois Sarrasins la perfidie dont il les supposait complices. Celui des trois qui paraissait le plus considerable s'en excusa avec larmes ; et le bouteiller, touche de ses paroles , le rassura en lui disant que , puisqu'il s'etait place sous la bonne foi des Chretiens, il trouverait fidelite en eux. L'autre, abusant de sa simplicite, lui fit alors toute une histoire. lis etaient deux grands seigneurs a la cour du roi de Tunis. G'est son rival qui , le voyant se sou- mettre aux Chretiens, avait imagine cette attaque pour le perdre ; mais aucun de ses soldats n'avait pris part a la tra- hison, et si Ton voulait renvoyer un de ses compagnons vers eux , il se faisait fort d'en faire venir plus de deux mille , qui apporteraient des provisions et se mettraient au service des Chretiens. Jean d'Acre le vint dire encore au roi, qui ne fut pas dupe de ces paroles. Neanmoins il ordonna qu'on laissat ce pretendu chef rejoindre, avec ses deux compagnons, les autres Sarrasins ; et ce furent le bouteiller et le conne- table qui regurent la mission de les conduire , sains et saufs , hors du camp , au grand murmure des soldats , qui voyaient en eux les premiers auteurs du guet-apens ; et ils ne se trompaient point. Le Sarrasin qui avait promis d'accom- plir le lendemain tout ce qu'il avait annonce ne reparut pas. II fut regu avec grande joie par les autre*, qui le croyaient tue. Ce ne fut pas la seule fois que les Chretiens furent surpris dans leur camp. Saint Louis, pour attaquer Tunis, attendait I'arrivee de son frere le roi de Sicile. Charles lui-meme I'a- vait prie de ne pas combattre avant son arrivee. On I'atten- dait de jour en jour ; mais cette inaction enhardissait les Sarrasins, qui ne cessaient pas de harceler leurs adver- saires. Pour se couvrir centre leurs assauts, saint Louis fit faire des fosses autour de son armee ; et a peine I'ouvrage etait-il commence, qu'ils tent^rent une grande attaque. On CHAPITRE XXII 447 disait que le roi de Tunis les commandait. Leurs escadrons, parfaitement ordonnes, s'etendaient jusqu'a la mer, jusque pres des vaisseaux, comme s'ils eussent voulu envelopper nos gens. Mais on rompit leur dessein, on les mit en fuite ; seulement on s'abstint de les poursuivre, le roi voulant attendre I'arrivee de son frere ayant de rien engager. Fig. 78. — Orfevrerie. — Agrafe de saint Lonis, conservee au Musee du Louvre. ■pig. 79. — Orffevrerie. — Cassette de saint Louis. CHAPITRE XXIII MORT DE SAINT LOUIS Maladies dans Tarmee. — Mort du roi. ANT de delais devaient etre funestes aux Chretiens pour d'autres raisons encore. On etait au plus fort de I'ete, sous le soleil d'Afrique. La dyssenterie se mit dans Tarmee. Une des premieres victimes fut le comte de Nevers, fils de saint Louis, Jean Tristan, nom qu'il regut en naissant, a Damiette, apres le desastre de Mansourah, et qu'il devait justifier trop bien en mourant sur celte autre terre d'Afrique (3 aout). Sa vie s'etait ecoulee tout entiere, 29 450 SAINT LOUIS d'une croisade a 1' autre, entre la captivite et la mort du saint roi. Le legat du pape mourut quelques jours apres (7 aout) : saint Louis et son fils aine, Philippe, etaient eux- memes attaints de la maladie. On cacha pendant quelques jours au roi la mort du jeune comte de Nevers; mais le roi en etait inquiet, et il requit un frere, qui etait de I'hdtel de son fils, de lui dire la verite. « Et adoncques, dit Primat, commenga frere Geoffrey h pleurer moult tendrement et k soupirer trfes-fort ; et apres il lui dit toute la verity de la mort du comte de Nevers, son fils. Et adoncques le roy eut moult grand pitie de la mort de son fils, comme pere, et fut parfaitement triste dedans le cceur; et, comme ceux qui etoient la presents le temoigne- rerit, il dit un peu apres une parole de patience comme Job ; laquelle parole fut telle : - tait au moment du coucher pour la reprendre le matin. L'usage de se mettre au lit dans une nudity complete existait encore. II est toutefois a remarquer que , par une sorte de respect exceptionnel , la Vierge est tou- jours representee habillee. Les femmes passaient ensuite une legere tunique courts , sans manches , appel6e futaine ou hlanchet selon qu'elle 6tait faite de coton ou de drap blanc. Durant la mauvaise saison, une chaude pelisse fourree remplagait ce vfitement. Puis venait la cotte, robe de laine tres-ample , fort longue , a manches etroites aboutissant au poignet. Sur la cotte, on posait un par-dessus de differents modSles compris sous le nom general de surcot. TantSt c'est une tunique sans manches , ferm^e et d^ceinte, descendant a mi-jambes, boutonnee sur les epaules, et fendue de chaque c6te pour laisser passer les bras ; tantflt c'est le sur- cot d'apparat , special a la femme noble , convert dans toute sa hauteur des armoiries hereditaires , vStement deceint , sans manches , a jupe tres- ample et tombant sur les pieds. II y eut encore un surcot a manches tres- •6troites , fendues dans toute la longueur de I'avant-bras , sur lequel elles dtaient serrdes par un lacet ou des boutons; la jupe, tralnante, compor- tait une ceinture dont I'extrdmite retombait par devant. A cette cein- ture, qui servait de pr^texte a I'etalage du plus grand luxe, on suspend ECLAIRCISSEMENT I 487 une elegante aum6niere accompagnee de riches patenostres. D'autres brillants accessoires, des bijoux, sont ensuite appeles a rehausser la toi- Fig. 121. — D'aprdB le sceau de Marie de Cr6cy, 12S4. lette feminine : une broche incrustee de pierreries , nommee au moyen ige fermail ou afiche, ferme la fente de I'encolure du surcot, le cou regoit Fig. 122. — D'apr^s le sceau de Mathilde^ comtesse de Boulogne, 1239. un collier, les doigts se couvrent de bagues, des bracelets entourent les poignets. 488 SAINT LOUIS Pour completer leur habillement de corps , les femmes revfitent une sorts de chape qui ne rappelle que de loin le v6tement eccl^siastique dont elle tire pourtant son nom et son origine. Dans la chape feminine , les bords , au lieu d'etre reunis par devant au moyen d'un fermail , restent distants I'un de I'autre. lis sont retenus par un cordon assez ISche que Pig. 123. — D'aprdB le sceau de Marguerite, comtesBe de Flandre, 1244. la dame tend d'une main , et dont les extremit^s se trouvent arrfitees dans r^toffe par une piece d'orMvrerie. Cette chape est doublee de fourrure. A la place du manteau , on mettait parfois un second surcot avec des ailes pendant derriere le bras , ou bien avec des manches larges et courtes. C'est la cotardie. Si maintenant nous considdrons la coiffure, nous remarquons que les Fig. 124. — D'apr6s le Bceau de Jeanne de OhStillon , 1271. dames reWvent leurs cheveux tant6t reunis en un gros chignon derridre la ECLAIRCISSEMENT I 489 t6te; tant6t separfis en deux chignons, un de chaque c6te. Les che- veux , ainsi rassembles , sont pris dans une coiffe couverte d'une resille Fig, 125. — D'aprds le sceau de Jeanne de CbllteauYlllain , 1261. appelee crepine. La crepine se fixait autour de la coiffe au moyen d'un tressoir, enrichi , pour les privilegiees de la fortune , de perles , de rubis, d'emeraudes. Ici je dois faire observer que cette disposition ne concerne pas la toilette des jeunes flUes ; avant le mariage , les cheveux flottent librement sur les epaules. Par-dessus I'arrangement de la chevelure se posait une petite toque ou mortier, garnie d'une bride qui passe sous le menton. C'est le chapeau, tantot tres-bas et tres-plat, tantot elargi du fond, quelquefois eleve et a cannelures, ou a godrons comme un bonnet de juge. Les femmes se coiffaient aussi de chapeaux de fleurs, simples cou- ronnes composees de fleurs ou de feuillages naturels. Ou bien elles met- taient un chapeau d'orfevrerie , diademe forme de plaques d'or articulees et richement decorees. II y avait encore la coiffure en voile , formee d'une etoffe legere placee sur la tSte et retombant en plis sur les epaules , et qu'on nommait couvre- chef, Gertaines dames usaient du couvre- chef combine avec le chapeau. Fig. 126. — L'apr^B le sceau d'AJix de Bretagne, 1257. Pour marque du veuvage , la mode avait conserve la guimpe, piece de linge qui couvre les epaules , entoure le cou et encadre le visage. Enfin , dans les mauvais temps , le chaperon etait appele a proteger 490 SAINT LOUIS les diff^rentes coiffures qui viennent d'fitre ^num6rdes. A cet effet, on munissait certains surcots d'un chaperon. Le surcot ainsi additionne s'appelait une huque. L'imagerie repr^sentant les femmes avec des vfitements qui tombent sur les pieds , il nous serait difficile de nous rendre un compte exact de la chaussure , si nous ne savions par des tdmoignages contemporains qu'elle 6tait semblable a celle des hommes , mais cependant plus 16g6re. Elles chausserent done, comme ces derniers, un Soulier d^couvert d'empeigne et dont le quartier 6lev6 pr^sentait deux appendices qui venaient s'atta- cher sur le cou-de-pied. 2° L'habillement des hommes. Les details dans lesquels je suis entrd au sujet du costume ftoinin ne me laissent presque rien a dire sur l'habillement des hommes. Leur v6te- ment 6tait le mSme. Chemise , blanchet ou futaine , cotte , surcot , chape , cotardie , cheveux rassembles en chignon , crepine, tressoirs d'orfevrerie, chapeau de sole , chapeau de fleurs , chapeau d'or, chaperon : tout est pareil. Et, comme les hommes sont rases, la ressemblance entre les deux sexes s'est trouvee quelquefois assez complete pour embarrasser les archeologues. rig. 127. — Blbl. nat. IraiKjalB , 403. Hatons-nous toutefois d'ajouter que l'habillement des hommes, et sur- tout l'habillement des cavaliers, est plus court que celui des femmes. EGLAIRCISSEMENT I 491 C'est pourquoi certains monuments figures nous permettent d'etudier, dans le costume masculin : les braies, large calegon flottant et tres- court, attach^ k la taille par un cordon nomme brayer; les chausses , Fig. 128. — Mb. franqaifi uo 403 , BiW. nat. nos bas d'a present, collantes et de couleur eclatante, quelquefois garnies de semelles, ou bien prises dans la chaussure. Fig. 129. — EiW. nat., frruKjais, 778. Celle-ci consistait en un Soulier decouvert d'empeigne, pointu sans exageration , avec un quartier eleve et garni de chaque c6te d'oreillettes 492 SAINT LOUIS qui s'attachaient sur le cou-de-pied. Les cavaliers chaussaient des esti- vaux, sortes de lagers brodequins. On trouve encore dans Joinville la mention de heuses, qui ne sont autre chose que des bottes. Le concile de Saumur, 1276, mentionne, en les interdisant aux moines, des souliers ouverts , des bottes et des bottines pliss6es a la fagon des lalques. Inddpendamment des coiffures, qui leur dtaient communes avec les femmes , les hommes en eurent de speciales. Signalons d'abord la coiffe, b^guin avec des pattes s'attachant sous le menton , tout a fait semblable au bonnet de nos petits enfants (fig. 129). La coifife se portait seule ou recouverte d'un chapeau a bords plats et a calotte ronde surmont^ d'une Fig. 130. — BibL nat. francjais, 403. pointe. D'autres fois , les hommes mettaient sur la coiffe un bonnet a bords retrousses, dont le fond se terminait en virgule, bonnet de feutre, de Fig. 131.— BibL nat. franQais, 403. coton ou de poll , selon la saison. C'etait egalement sur la coifife que repo- sait le capuchon de mailles de Thomme d'armes. On voit aussi des hommes portant le chapeau sur le chaperon. ECLAIRCISSEMENT I 493 Dans les grandes solennitds , des seigneurs pa aissent revetus de I'an- cienne chlamyde , manteau demi - rond , attache sur I'epaule par une Pig. 132. — D'aprSs le sceau dela vjlle de Corliio, 1228. agrafe , par une double bride ou par un nceud de Tetoffe. D'autres fois , JFig. 133. — lyapres le sceau de la TiUe d'Athies, 1228. le manteau se pose librement sur les epaules , drapant le has du corps 494 SAINT LOUIS a la fagon romaine. Enfin un type de chasse, empruntd aux riches sei- Fig. 134. — D'aprSs le sceau de Gal de Lueignan, 12S8. gneurs de Lusignan , nous permettra de montrer, en terminant , combien etait simple et court en certaines occasions le costume civil des cavaliers. Fig. 135. — Dessin. — TIte de fenillages , d'apr^ I'albiun de Villard d'Honneconrt , architecte da ziir sidclo. Fig. 136. — Ortivrerie. — OMbso emaJU6e do la collection Detruge - Dimi6nil. ECLAIRCISSEMENT II LES MONNAIES DE FRANCE sous SAINT LOUIS ORSQUE saint Louis monta sur le tr6ne, la monnaie royale, depuis Philippe-Auguste, etait frappee suivant deux systemes. II y avait des deniers et des oboles parisis, des deniers et des oboles toumois. La monnaie parisis avait ete etablie vers 1183 ou 1185; on en 3 forgeait a Paris, a Montreuil-sur-Mer, a Arras, a Pe- ronne, a Saint- Omer, dans I'ancien domaine royal. Ce fut la premiere tentative faite par la couronne pour eta- blir une monnaie de type uniforme , ayant cours dans les fiefs relevant du roi ; les seigneurs , qui avaient eux-mSmes le droit de battre monnaie , etaient forces de recevoir celle du roi, tandis que leurs propres deniers n'avaient un cours obligatoire que dans leurs domaines respectifs. La monnaie tournois , valant un quart moins que la monnaie parisis , etait de creation un peu moins ancienne ; elle datait de la conqu§te de la Touraine, en 1203. A ce moment, Philippe-Auguste trouva a Tours une 496 SAINT LOUIS monnaie qui etait regue avec faveur dans tout le nord-ouest de la France l ; c'dtaient les deniers et les oboles frapp^s par I'abbaye de Saint -Martin. Le roi ne confisqua pas le privilege abbatial & son profit, puisque longtemps aprSs nous voyons ses successeurs le reconnattre offlciellement ; mais il I'annihila peu h peu en empruntant le type de Saint-Martin. Les pifices abbatiales portent, d'un c6te le nom du patron, SCS MARTINVS, de I'autre celui de la cit(^ , TVRONVS CIVI ; le roi substitua d'abord son nom a celui de la ville , PHILIPVS REX ; peu aprfes il replaga le nom de Tours sur ses deniers, et mit le sien au lieu de celui du patron. Cette modification dut avoir lieu vers 1206. En effet, a cette date, pendant qu'il tenait le duche de Bretagne , Philippe -Auguste tenta de supprimer les anciens types mon^taires de la province , et de frapper, a Rennes , des deniers identiques a ceux de Tours , sauf que le nom de la capitale bre- tonne remplagait celui du patron de I'abbaye tourangelle. Aussi longtemps que la monnaie de Tours fut abbatiale , elle ne paratt pas avoir ete imitee 2 ; dSs qu'elle devint royale , on commenga a la prendre pour modele et a copier le chatel, son signe special , souvenir de I'ancien type carolingien. Dans le premier quart du xm" siecle, Jean III, comte de Venddme, faisait une tentative tres-timide d'imitation. Aucun document ne laisse deviner par quel moyen Philippe -Auguste reussit a depouiller, sans recriminations, I'abbaye de Saint-Martin des profits d'un privilege auquel on tenait tant a cette epoque. Le droit restait intact, il est vrai; mais, en realite, I'exercice en etait indefini- ment suspendu. Nous en sommes reduits a constater le fait, sans pouvoir faire connattre les circonstances qui I'amenerent et I'accompagnerent. Les textes contemporains , et ce qui nous reste des archives de Saint-Martin , sont muets sur cet episode. Louis VIII ne paratt avoir apport^ aucune modification a ce qui avait dte etabli par Philippe -Auguste. Saint Louis continua le monnayage de son pere et de son aieul , et fit , pendant toute une partie de son regno , des deniers et des oboles tour- nois et parisis qui ne dififdraient pas beaucoup des monnaies de Louis VIII ; cette difference consista a graver d'abord TVRONIS CIVI, puis TVRONIS CIVIS , et enfin TVRONVS CIVI ; cette derniere forme persista tant que Ton frappa des deniers et des oboles tournois. Nous verrons a quel moment et dans quelles circonstances Louis IX introduisit en France I'usage de la monnaie d'or, oubliee depuis la fin de la premiere race, et donna une existence r^elle au sou d'argent, qui j usque -la n'avait ete qu'une monnaie de compte 3. 1 L. Deliale, Des Revmut publics en Normandic , Bibl. de I'Ecole des chartes, t. V, 2« sSrie, p. 13 et saiv. 2 Je ne connais que Foulques V , comte d'Anjou (H09-H29), qui ait imiti le type abbatial au commencement du xn« eifecle. ' Nous ne pouvons donner ici les variit^s de points secrets et de forme de lettres , qui , S notre connaissance , d6passent le nombre de cinquante. ECLAIRCISSEMENT II 497 Fig. 137. — Obole parisiB. Fig. 138. — Denier toumoia. Obole parisit. { Le denier est au mSme type. ) LVDOVICVS REX , dans le champ FRANCO, en deux lignes , la seconde retrograde, f PARISH CIVIS. Croix. Denier towmois. f LVDOVICVS REX. Croix. ^. TVRONVS CIVI. Chatel toumois surmonti d'une croix, L'absence complete de documents relatifs a radministration monetaire sous saint Louis, pendant une periode qui va jusqu'a son retour de Terre-Sainte, autorise a eroire que I'on ne changea rien aux monnaies royales pendant ce temps ; ce d^nftment de textes ne permet de saisir quelques indications que dans le monnayage d'Alphonse de Poitou , qui , en reunissant plusieurs provinces sous son autorite feodale, implanta dans celles-ci les id^es et les usages etablis dans le domaine royal. En 1241 , Alphonse avait regu les comtes de Poitou et d'Auvergne. En Poitou , il continua quelque temps le type en usage sous Richard d'An- gleterre, etadopta le systeme townois pour le poids et I'aloi i. Fig. 139. — Denier poitevinj ler systSme. A son retour de Terre-Sainte, en 1250, Alphonse entra en possession des fiefs qu'il tenait de I'heritage de son beau-pere, Raymond VII de Toulouse ; il renonga completement au systeme monetaire de ses pred^- cesseurs , et copia exactement les deniers royaux 2 : Fig. 140. — Denier touloueain. Fig. 141. — Denier toulousain. il en fit autant en Poitou et en Auvergne, arrivant ainsi a I'adoption d'un 1 t ALFVNS' COMES. Croix cantonn^e d'une fleur de lis. Hj. PICTAVIENSIS en trois lignes. 2 t A. CO. FILIVS REG'. Croix. ^. THOLOSA CIVI. CMtel surmonte d'une croix en- tour§e d'un grenetis. — t A. CO. FILIVS REX. Croix, ij. THOLOSA CIVI. Chatel tour- nois surmonte d'une croix. 32 498 SAINT LOUIS seul et m§me type et k une veritable uniformity mon6taire dans tous ses domaines , quelque 6pars qu'ils fussent i ; Fig. 142. ~ Denier poltevln, 2* systdme. Fig. 143. — Denier rlomois (Anvergne). il le fit m6me hors du royaume, dans son marquisat de Provence, ou il avait un atelier a Pont-de-Sorgue , tandis que son frfere 2, rig. 144. — Denier proTen^aL Charles , faisait aussi des deniers tournois comme comte de Provence ; on peut distinguer , pour ces derniers , ceux qui sont anterieurs a 1265 , et ceux qui ont 6U frappes apres cette date. Ceux-ci portent le titre de roi de Sicile, que Charles ne put prendre qu'en 1265 3. Fig. 145.— Denier proven^aL Fig. 146. — Denier proren^aL Fig. 147. — Denier proventjaL LMtude du monnayage d'Alphonse permet de fixer exactement aujour- d'hui la taille des deniers de saint Louis ; des baux de 1251 et de 1253 de 1 t ALFVNS COMES. Croix, ^.f PICTAVIENSIS. ChSitel tournois.— + ANFOVRS CO- MES. ChSitel surmontd de trois crineaux. i^. f RIOMENSIS. Croix. J A. COMES TOLOSE. ChSilel tournois. tf. f MARCH' PVINCIE. Croix. s t K. CO. P. FI. RE. F. Croix, i). + PVINCIALIS. CMtel aveo Deur de lis au centre. — t KAROLVS SCE. REX. Croix, i^ COMES PVINCIE. Chfttel surmont6 d'ane fleur de lis. — K. IHR 8ICIL. REX. Chatel Burmont* d'une Dear do lis. i^. + COMES PVINCIE. Croix. ECLAIRGISSEMENT II 499 la monnaie de Toulouse prouvent que, dans un marc d'argent fin, il faisait 217 deniers , et qu'en agissant ainsi il entendait avoir une mon- naie de mSmes poids et aloi que celle de son frere. Or, jusqu'a ce jour, on a dit et repete que saint Louis taillait 220 deniers au marc; cette opinion est fondee d'abord sur ce que Louis X , selon Leblant , faisant droit aux plaintes motivees par I'alteration des monnaies sous son predecesseur, avait promis, en revenant a la taille de 220 deniers, de fabriquer des pieces toutes semblables a celles de saint Louis; ensuite sur le texts d'une minute de lettre circulaire , retrouvee par M. de Wailly , et attribuee trfis- judicieusement par lui a saint Louis i. Ces deux chiffres ont soulevd de leagues discussions ; il me semble cependant qu'ils sont faciles a expliquer, ainsi que j'essaierai de le faire plus loin; des a present je crois ne pas §tre trop hardi en affirmant que la circulaire dont je viens de parler dut justement §tre adressee au mo- ment oil la taille de 220 deniers fut substitute a celle de 217. Saint Louis, apres sa premiere campagne en Orient, etait rentre a Paris le 7 septembre 1254 , apres avoir parcouru une grande partie du royaume. A partir de cette date , il s'appliqua a reformer et a ameliorer I'administration, a faire cesser des abus qui s'etaient etablis. Parmi ces reformes , on le voit s'occuper de la monnaie. On le voit intervenir pour forcer les comtes de la Marche, d'Anjou et de Nevers a remettre leurs monnaies sur un meilleur pied ; on le voit aussi se preoccuper de I'imitation des types royaux qui se pratiquait dans les ateliers feodaux du quart de la France. On n'etait plus au temps oil il autorisait, en 1249, Guillaume deVil- lehardouin a frapper des deniers tournois dans sa principaute d'Achaie 2 ; cette autorisation avait repandu le type royal dans la plupart des fiefs d'Orient, ou les seigneurs croises usaient du droit de battre monnaie. En 1262, etant a Chartres *, le roi rend une ordonnance portant que « nuls ne puisse faire monnoie semblant a la monnoie le Roy, que il n'y ait dissemblance aperte et devers croix et devers pilles , et que elles cessent des ores en avant ». L'annee suivante, il envoyait vers Alphonse le doyen de Saint-Aignan d'Orleans pour lui signifler la defense de continuer la fabrication des deniers poitevins au type tournois. Le comte de Poitou s'excusa , en alleguant qu'il ignorait parfaitement que sa monnaie poite- vine fut frappee autrement qu'elle ne I'avait ete de tout temps. Ses agents 1 E. Boataric , Saint Louis et Alphonse de Poitiers. — N. de Wailly, Recherehes sur le sysihme monitaire de saint Louis, 2 Marino Sanudo Torsello , Istoria del regno di Romania (dans K. Hopf. Chroniques greco-romanes inSdites ou peu connues, page 102): « Intendendo il principe Guglielmo che il Ti (Louis IX) passava in persona (en Chypre), volse andar egli a passarvi con circa 24 trSi gallere navili e con 400 boni cavalli pass6 al rb. E dicendo egli al re : -i Signer Sir, tu sei maggior signer di me , e poi condur gente dove vaoi e quanta vuoi senza de- nari : io non posso far cosi » j il r§ li fece gratia , che '1 potesse battere torneselli della lega del vh , mettendo in una libra tre onze e mezza d'argento. •> 3 A ce parlement furent consultes des bourgeois de Paris, de Reims, d'Orleans, de Senset de Laon, 500 SAINT LOUIS continuSrent , malgr^ ce premier arertissement , que saint Louis dut renouveler plus express^ment. Cette fois , Alphonse comprit qu'il devait ceder, at il notifia au roi I'assurance de son obdissance , tout en consta- tant que cette mesure 6tait pr^judiciable h ses intdrSts : Quomiqua/m mandaium hvjusmodi non modice sit dampnosum. Par suite de 1*6x6- cution des ordres du roi, on vit paraltre des poitevins nouveaux, sur lesquels le comte adopta pour type les armes parties de France et de Castille i. Fig. 148. — Denier poitevin , 8' syatfime. A Toulouse , nous voyons paraltre le mfime type sur une obole ; nous voyons aussi Alphonse imiter en Languedoc le monogramme des monnaies des Erbert, comtes du Mans, qui pendant longtemps avaient eu, en France et en Normandie , la mgme faveur que les tournois de Saint- Martin 2. Pig. 149. — Obole toulousaine. Fig. 150. — Denier tonlonsain. En la mfime annee 1263 , le roi fit une ordonnance par laquelle U pres- crivait que Ton ne devait plus se servir , dans sa terre et dans les fiefs dont les seigneurs n'avaient pas le droit de battre monnaie, que de tournois, de parisis et de lovesiens. Ces derniers paraissent avoir 6t6 la monnaie episcopale de Laon ; nous lisons , en effet , dans le reglement de 1315 , sur les monnaies des barons : « La monnoie de I'evesque de Laon , que I'on appelle maailes lovisiennes » ; d'aprfes I'ordonnance dont nous nous occupons en ce moment, il fallait 2 lovesiens pour un parisis, ce qui est I'equivalent de la maille parisis, qui peul^fitre n'existait pas encore avec le nom de Paris. — De plus , ayant 6gard a I'absence de menue monnaie, trSs-pr^judiciable au commerce, saint Louis permettait de se servir de deniers bretons, dits ncmtois a I'escu, et de deniers 1 t ALFONSVS COMES. Croix. ^. f PICTAVIE : ET THOL : demi-Qeur de lis et demi- ch&tel. 2 ALFOSCOIU. Croix cantonn^e de qnatre annelets, coupant la ligeade. ^. TOLOSA CIVl. Demi-chatel et demi-Dour de lis. — t A. COMES FIL. REG. FRAN. Monogramme imiti de ceuxd'Erbert du Mans et de Charles d'Anjou. % f TOLOSA CIVITAS. Croix cantonnee de deux points , d'une fleur de lis et d'nne rosace. ECLAIRCISSEMENT II 501 angevins, courant sur le pied de B pour 4 deniers tournois ; de deniers mangois, courant sur le'pied de 1 pour 2 angevins; A' ester lings , valant chacun 4 tournois. II en resultait que Le sterling courait pour 4 deniers tournois; Lemangois, 1 denier tournois ^; Le nantois et 1 s j j • . > A de demer tournois. L angevin ,1 ' " Enfln le roi ddcriait las monnaies baronnales dont les types ^taient copies sur les siens; c'etaient les poitevins, les toulousains et les pro- vengaux, evidemment ceux d'Alphonse comma ceux de Charles. Ces pieces decri^eS devaient 6tra percees , et deflnitivement retirees de la cir- culation a la mi-aoClt. Generalement on donne a ca reglament la data de 1265 ; mais il samble plus probable de le faire remonter a 1263 ; nous en avons la preuva par ce passage de la chronique de Saint-Maixant , signale par M. de Wailly : L'an M.CC.LXIII Furent abatuz li Mansois ; Li Escuciau i , li Angevin , Ausi furent li Poitevin. {V. 94-97). La monnaie astarling avait eta maintenue; c'ast au parlement da la Toussaint 1265 que nous en voyons supprimer le cours : il devait finir a la mi-aout suivante, « et veut le Roy et commando que estallins ne querrent a nul pris en son royaume des la mi-aoiit en avant, fors a pois et a la valour de Targent. » Cette mSme annee , saint Louis prit une me- sure qui indiquait sa volonte d'avoir toute liberte de s'occupar de la regie- mentation des monnaies. En 1225, Louis VIII avait concede aunnomme Henri Plastrart le privilege hereditaire de graver dans tout le domaine de la couronne les coins de la monnaie parisis , moyennant une redevance de 3 sols par pile et paira de trousseaux , a acquitter par les monnayers 2 ; quarante ans plus tard, saint Louis rachetait, au prix de 40 livres pa- risis, ce privilege aux heritiers de H. Plastrart. Nous croyons utile de donner ici ce document encore inedit : Universis presentes litteras inspecturis , officialis curie Parisiensis salutem in Domino. Notumfacio quod, in nostra presentia constituti, Philippus dictus Vi- trearius et Agnes ejus uxor, filia quondam et heres defuncti Henrici Plastrart, recognoverunt se vendidisse et imperpetuum quittavisse excellentissimo domino nostro Ludovico, Dei gratia illustrissimo regi Francorum, et sucoessoribus ejus regibus Francorum , pro quadraginta libras Parisiensium , de quibus tenuerunt se coram nobis propagates, omne jus quod ipsi velheredes, sen successores sui , 1 Deniers bretons i I'dcu. 2 Voy. notre Etsai sur Vhistoire de la monnaie parisit , 1875. 502 SAINT LOUIS habebant, aut habere poterant quoquomodo in cuneis monete Parisiensis quos indite recordationis Ludovicus rex, genitor ipsius domini regis qui modo est, prenominato Henrico Plastrart, patris quondam ipsius Agnetis, et heredi suo Boienti faoere cuneos hujus monete , olim conoesserat faciendos et habendos ci- tra Ligerim , exceptis acquisitionibus pie recordationis regis Philippi , genitoris sui, et suis, Atrebatensis videlicet, Viromandensis , Normannia, Pictavia,Tu- ronia et Cenomania , et aliis acquisitionibus in quibus moneta fabricatur ; ita quod idem Henrious , vel heres ejus sciens faoere cuneos monete Parisiensis, de- bebat habere fres solidos de singulis duobus trossellis et una pila ; et monetarii debebant pagare custum fabrice de cuneis monete quamdiu fabrioaretur moneta ; et si heres Henrici nesciret facere cuneos monete , idem heres debebat eos fieri facere per assensum ipsius regis et per consilium eorum quos ad hoc duceret statuendos , prout hec omnia in carta ipsius regis super hoc confecta dioebantur plenius contineri. Et promiserunt prefati Philippus et Agnes, uxor sua , fllia et heres dicti Henrici , coram nobis , pro se et heredibus seu sucoessoribus suis , fide in manu nostra prestita oorporali , quod contra venditionem predictam , per se vel per alium , non venient infuturum , et quod in predictis cuneis nihil de cetero reclamabunt, ratione seu occasione quaoumque; et quod predictam ven- ditionem domino regi garantizabunt contra omnes, renunciantes specialiter et ex- presse omni exceptioni non numerate peounie , non tradite , non solute , et omni- bus aliis exoeptionibus que de jure vel de facto possent objici seu proponi contra hoc instrumentum. In cujus rei testimonium sigillum Parisiensis curie presenti- bus litteris duximus apponendum. Datum anno Domini M° co°lx'' quinto, die Ve- neris ante nativitatem Beate Marie i. La suppression de I'esterling, alors la plus grosse monnaie d'argent ayant cours dans le royaume , le rachat du droit de graver les coins , font pressentir Tintention de r^aliser une reforme monetaire ; cette rdforme eut pour r^sultat d'etablir le gros tournois , de modifier la taille des deniers , de frapper de la monnaie d'or. II semble que pendant I'absence de saint Louis, de 1248 a 1256, la monnaie royale de France , c'est-a-dire les deniers et les oboles, avaient subi une veritable depreciation, soit par suite de I'usure provenant d'un long usage, soit par suite d'alt^ration. On trouve, dans plusieurs textes post^rieurs, le souvenir legendaire de pifices en cuir bouilli, auxquelles un clou d'or ou d'argent aurait donne une valeur de conven- tion. A cette l^gende se rattachait une autre tradition , d'aprfes laquelle on croyait voir dans le type du gros tournois un souvenir de la captivity du roi , qui , k son retour d'Orient , aurait retabli la monnaie sur un bon pied. « Item, lit-on dans le Registre de Lautier et dans un manuscrit l^gue par Vallet de Viriville k la bibliothfique de I'Ecole des chartes , fit fere le bon Roy sains Loys monnoye d'argent fin de coppelles , Si xii deniers de loy , et pourtaient treze rondeaux et dedans chacun avoyt une fleur de lix et estoyent k I'entour du sercle, et furent faiz pour I'amour des xii pers de France ; et lisoyent Ludovicus rex, et les appeloyent grox, et aucuns les 1 Arch, nat., 7731, fo 103. EGLAIRCISSEMENT II b03 appeloyent espines; et fut la plus belle monnoye qui courut oncques puys et la meillor et n'en fut guere fet. » Poulain dit a peu pr6s la m6me chose : suivant lui, saint Louis fit faire en or treize pieces au type du gros tournois ; il en donna une k chacun des pairs en etrenne, a un jour des Rois, « et la treiziesme detint pour ly ; et sachez que c'est la plus belle monnoye que Ton puisse trouver, et la plus fine et la mieux grav^e ». II est evident que Ton ne trouvera jamais ces pr6tendues monnaies de cuir ; que le type du gros tournois , de mgme que celui du denier, n'est autre chose que le cha- tel des monnaies de I'abbaye de Saint- Martin; mais il n'en reste pas moins tres-probable que les tournois, comme les parisis, etaient de- venus tellement peles, que saint Louis songea serieusement a faire une reforme monetaire. Les ordres qu'il donna a Alphonse, le rachat des coins des parisis , indiquent clairement I'dpoque a laquelle le roi realisa son projet. Les plus anciennes mentions du gros tournois que je connaisse se trouvent dans deux actes d' Alphonse. Charles d'Anjou, qui possedait Avignon , hors du royaume , par indivis avec son frere Alphonse , avait ordonne dans cette ville la fabrication d'une nouvelle monnaie , en prohi- bant celle de ses voisins. Alphonse, qui vit la une atteinte a ses droits, ordonna, ennovembre 1267, de frapper pour lui, a Avignon, 10 milliers de billon et 10 milliers de gros tournois , du poids et de la loi de la monnaie royale. Get ordre ne fut pas execute ; le mardi avant la Saint- Thomas suivant , Alphonse mandait au senechal de Venaissin de ne pas y donner suite , en ce qui concernait les gros. II resulte neanmoins de ces faits qu'Alphonse avait voulu imiter t'exemple de son frere , dont nous connaissons le gros '. Fig. 151. Le second texte est emprunt6 a un tarif de change , egalement date de 1267 , adresse aux senechaux de Saintonge et de Toulouse par le comte Alphonse ; nous y lisons « et pour 1 denier gros d'argent du gros tournois du Roy de France , doignez xii petits tournois 2 ». Je crois que I'expose de tous ces faits combines ne laisse aucun doute sur la date de I'apparition du gros tournois ; je la fixe au ISaout 1266, epoque 1 t KAROLVS SCL. REX. Croix ; seconde legende : f BNDICTV : SIT : NOME : DNI : NRI : DEI : IHV: XRI. ij. COMES PVINCIE. Chatel tonrnois surmonte d'une flenr de Us; cercle de 12 flears de lis. S Bontario, op. laud., p. 207 et 220. 504 SAINT LOUIS indiqu^e pour la cessation du cours des esterlings , qui n'en reprdsen- taient que le quart i. Fig. 162. En dtablissant le gros tournois , saint Louis dut modifier la taille des deniers, que Ton avait continu6e jusqu'a cette date; avec la taille de 217 deniers au marc, que nous avons vue prouvde par des testes positifs en 1231 et 12B3 , et qui remontait certainement k I'origine du systfeme tournois , il arrivait que 12 deniers valaient un peu plus que le gros tour- nois ; saint Louis reforma cette difference en portant la taille a 220 de- niers, ce qui ne causait aucun prejudice au public. Suivant moi, par consequent , la taille de 220 deniers dtait un coroUaire de IMtablissement du gros tournois , a qui elle donnait des piSces divisionnaires exactes ; le bail signale plus haut, d'apres M. de Wailly, aurait 6t6 r^dige a cette occasion. II etait bien naturel que saint Louis voulAt avoir des monnaies d'argent et d'or ; en Orient il avait vu circuler un numeraire qui laissait dans I'ombre les affreux deniers tournois apportds par les croises. Le gros tournois pesait 4 gr. 219 : les gros des comtes de Tripoli , justement lorsque saint Louis 6tait encore en Terre-Sainte, pesaient 4 gr. 20 et 4 gr. 30. On ne pent s'emp§cher de voir une coincidence singulidre entre ces deux pesdes 2. Le gros tournois de saint Louis, de 58 au marc, 6tait a 11 den. 12 gr., c'est-&-dire a 23/24 d'argent fin (c'est ce qu'on appelait argent-le-roy); 20 gros , ou sous , faisaient une livre ; chaque gros avait une valeur intrin- seque de0,89 centimes de notre monnaie actuelle. — Le denier tournois , de 220 au marc, 4 3 d. 18 gr., le denier parisis, de 221 au marc, a 4 d. 12 gr., avaient 1/24 d'alliage. Le marc d'argent valait 54 gros. Nous trouvons deux monnaies en or frappdes par ordre de saint Louis. L'une est connue des coUectionneurs sous le nom d'ecu d'or ; son style , la perfection de la gravure , qui laisse bien en arriere Tecole de Henri 1 t LVDOVICVS REX. Croix; seconde Kgende : t BNDICTV : SIT : NOME : DNI : NRI: IHV : XPl. ^. TVRONVS CIVIS. Chaiel tournois surmontfi d'une croii; cercle de 12 flenrs de lis. ! Dans un travail ricemment publie , M. Lavoix fait remarquer que parmi les dinars et les dirhems, frappis avec des Ugendea chritiennes, pour servir aux croiste dans leurs transactions commerciales avec les musulmans, un certain nombre concordant, par lenrs dates, avec le s6jaur de saint Louis en Palestine; il n'est pas £loign§ d'attribuer k ce roi I'initiative de cette mesure monitaire. fiCLAIRCISSEMENT II S05 Plastrart, tout justifie I'attribution de cette piece, excessivement rare , a saint Louis ; mais aucun teste n'y fait allusion ; aucun de ses successeurs n'a cherche k en continuer le type. Cette magniflque monnaie pese 4 gr. 08, et si on ne craignait pas de se laisser aller h I'imagination , on aime- rait k croire qu'il s'agit Ik de Tune des pieces d'or que le roi , d'apres la tradition, donnait en etrennes a ses grands officiers i. Fig. 153. La veritable monnaie d'or qui commenga a parattre sous saint Louis , en mSme temps que le gros tournois , est Vagnel : aucun document contem- porain de ce roi n'en fait mention ; mais le temoignage de ses successeurs est aussi concluant que possible. « Agnels que nous faisons forger comme au temps de saint Louis , » disait Philippe le Bel en 1320. Louis X s'ex- primait ainsi : « Item , pource que c'est nostre entente et volonte de garder en toutes mani6res les ordonnances de M. saint Louis, nous avons fait regarder en nos registres sur le fait des monnoyes de Tor, et avons trouve qu'il fit faire le denier d'or qu'on appelle a I'aignel. Et le fit faire et adjuster le plus lealment qu'il pot, et qu'il eust cours pour 10 s. p. tant seulement , et plus ne vaut-il en regardant a la valeur qu'argent vaut. » L'agnel pese 4 gr. 16 2. Fig. 164. On a cherche par tous les moyens a traduire exactement en francs la valeur de la livre tournois deduite de I'or et de I'argent. Nous ne pouvons mieux faire que d'adopter quant a present les conclusions de M. Vuitry 3 : 1 t LVDOVICVS : DEI : GRA : FRANCOR : REX. ficQ sem6 de flenrs de lis dans nn oerole forme de huit arcatures. ^. f XPC : VINCIT : XPC. REGNAT : XPC. IMPERAT. Croix fieurona^e cantonnee de quatre fleurs de lis. 2 t AGN' DI' QVl TOLL' PCGA' MVDI MISERERE NOB. Agneau pascal , dessons LVD. REX. ^. MSme l§gende que oi - dessus ; croiic flenronnSe entre quatre arcatures accompagnee d'une fleur de lis dans chacun des angles exterienrs. Ces legendes rappellent a la fois la croix et les invocations des monnaies byzantines. 8 Ad. Vuitry , les Monnaies et le regime monetaire de la monarchie feodalt de Hugues Capet a Philippe le Bel , 1876. 506 SAINT LOUIS la livre tournois reprdsentait k la fois 80 gr. 881 d'argent fin et 6 gr. 628 d'or fln. De plus, I'agnel, sous saint Louis, qui valait 70 f. au moins de notre monnaie (il pesait un peu plus de 14 f.), ne pouvant 6tre d'un emploi usuel i , c'est sur le gros tournois et les deniers parisis et tournois qu'il est rationnel de fixer IMvaluation de la monnaie de compte. On arrive done a ce rdsultat approximatif : 1 t La livre tournois, repr^sentant une valeur intrinsfeque de 17,9735 =: 89,8675 Le sou tournois ou gros 0,8986 = 4,4930 Le denier tournois 0,0748 = 0,3740 Le denier parisis 0,0935 = 0,4685 Nous avons resume de notre mieux I'histoire de la monnaie qui, au moyen Ige , eut la reputation d'etre la meilleure qui ait jamais 6t6 faite : elle est rappelee dans plusieurs actes posterieurs a la mort de saint Louis; je citerai un titre de Jacques, roi d'Aragon, de 1309, oil il est question d'un paiement de 60,000 gros tournois : « Sancti Ludovici bonae memoriffi regis Franciae ; » et aussi les lettres de 1304 , de Philippe le Bel, adressees au chapitre de Bourges, qui lui avait abandonn^ la dtme de ses revenus pour subvenir aux depenses de la guerre de Flandre ; il promet de faire « frapper et fabriquer pour la Toussaint prochaine des monnaies de la valeur, poids et loi de celles de saint Louis j>. Des lettres semblables furent adressees aux archevSques de Reims , de Bordeaux , a I'evSque de Paris, etc. Nous devons maintenant jeter un coup d'ceil sur les monnaies frappdes par les prelats et les barons dans le royaume de France proprement dit. Nous devons faire une distinction entre les provinces oil la suzerainete du roi s'exergait directement, et celles oil de grands vassaux avaient une veritable souverainete. Dans la premiere division , sous saint Louis , dtaient compris la Nor- mandie,laPicardie, I'lle-de-France , I'Orleanais, la Touraine, le Berri, le MSconnais , la partie du Languedoc ou se trouvaient les dioceses de Nlmes , UzSs , Beziers et Carcassonne. La , en rfegle g^n^rale , la mon- naie royale ^tait exclusivement frappee. Des textes positifs etablissent qu'il y avait des ateliers royaux au Bois-Sainte-Marie pour le comt^ de Mlicon , a Nlmes, a Carcassonne, a AIM, a Saint-Antonin. Cependant nous devons noter quelques rares exceptions dans la pro- vince de Berri. Les comtes de Bourges avaient fini en 928 ; les vicomtes de Bourges , leurs successeurs , n'eurent qu'une partie de leur autorite jusque vers 1100, date a laquelle le dernier d'entre eux ceda sa vicomt6 au 1 J'ai propose de voir dans les gros de Tripoli le modMe qae saint Louis prit poor itablir dans son royaume une monnaie d'argent. En ce qui touche la monnaie d'or, I'a^nel , je crois que c'est encore en Orient qu'il faut chercber la pi^ce que le pienx roi eut en vue. Des dinars frapp6s par les chr6tlens , dgalement a Tripoli , imit6s des pieces arabes , pesant plus de quatre grammes, out un rapport incontestable avec le poids de I'agnel. ECLAIRCISSEMENT II 507 roi Philippe !«'' pour une somme considerable. Pendant la periode des vicomtes , le Berri formait , par le fait, deux circonscriptions : le nord leur obeissait; le midi, oil les seigneurs de Deols, qui se qualiflaient princes, dominaient, avait peu de rapports avec la France. II s'etait forme la une confederation feodale composes de petits seigneurs qui ne reconnaissaient pas de suzerain. Du temps de saint Louis, ils 6taient devenus vassaux du roi ; mais ils avaient conserve le souvenir honoriflque de leur ancienne independance , et I'une de leurs pretentions etait de faire de la monnaie assez mauvaise , sur laquelle ils cherchaient a imiter de leur mieux les types de leurs voisins ; on ne voulut pas leur disputer cette prerogative. Parmi ces petites souverainetes etait Boibelle, s'etendant sur trois pa- roisses, et qui resta franc-alleu jusqu'au xviii» siecle; c'est a cause de Boibelle que Sully se qualifia prince et souverain , et battit monnaie. On dit qu'il y eut des monnaies des seigneurs de Gragay et de Linieres ; jusqu'ioi on ne les a pas retrouvees; mais il n'y a rien d'impossible a ce qu'elles se revelent un jour. L'an 1315 , Marguerite de Bomiers , femme de Henri III de Sully, frappait monnaie comme dame de CMteaumeil- lant, ainsi que le seigneur d''Huriel, de la maison de Brosse ; je ne con- nais pas de monnaies de ces flefs contemporaines de saint Louis. Deols-Chdteauroux. Guillaume I^"', de Chauvigny (1203-1233), fils d' Andre et de Denise , heritiere de Deols , frappa d'abord au type tradi- tionnel des anciens sires de Deols, I'etoile a six pointes i, puis a ses armes. Fig. 155. Guillaume II (1233 - 1270) usa tant6t du type heraldique , tant6t de I'abreviation du mot Dominus, DNS , place dans le champ de la piece 2. Charenton , ramage de Deols, fait partie du Bourbonnais; mais histo- riquement il appartient au Berri. Jusqu'ici on n'en connalt de monnaies 1 t GVILERMVS. Croix. ^. DEDOH. fitoile Si six pointes, au centre un croissant. 2 + GVILLMVS DOM. Croix cantonnee de deux fleurs de lis. ^. f CASTRI RADVLFI. Dans le champ, DNS entre un signe d'abrSviation et un croissant. 508 SAINT LOUIS qu'& partir de la fin du xii^ siScle, imiWes des types nivernais. Guil- laume de Courtenay, vers 125B, grava son blason personnel, et fut imit^ par Louis I*' de Sancerre et Jean I^^, fils de celui-ci '. Pig. 15?. Sainte- Severe. Hugues I«', vicomte de Brosse, seigneur d'Huriel, Boussac et Sainte -Severe, 6tait fils de Bernard IV, que Ton disait issu des vicomtes de Limoges : au milieu du xiii* si6cle il imitait dans ce fief les monnaies bretonnes de Pierre Mauclerc du premier type 2. Sully. La monnaie suivante a 6te 6mise par Henri de Sully, qui epousa en 1252 Peronnelle de Joigny, veuve de Pierre de Courtenay, seigneur de Mehun-sur-Yevre; on pense gen^ralement qu'il la fitfrapper comme tuteur de sa belle -fllle, Amicie de Courtenay, a Mehun. J'avoue que le titre de sire de Mehun date cette piSce; mais son type, imite des especes nivernaises, me fait penser que Henri de Sully la fit frapper dans un de ses fiefs personnels 3. Pig. 158. En dehors du Berri et des pays situes au dela de la Loire, nous ne voyons , dans les fiefs dependant directement du roi , que I'abbaye de Saint- Martin de Tours et le Perche faire exception a Tinterdiction du droit de frapper monnaie. Abbaye Saint- Mar tin de Tours. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dejSi dit au sujet de ses monnaies, et de leur suppression, de fait, par Philippe- Auguste , malgre les confirmations de Charles le Simple, en 919, de Raoul, en 924, de Louis d'Outre-Mer, en 940, et de Hugues Capet. Nous avons dit que le droit 6tait maintenu. En effet, d'aprfis un acte mentionn^ par Duby, mais dont Toriginal a disparu, saint Louis, en 1233, permettait a I'dglise et au chapitre de faire mon- nayer par Pierre de Chablis , k la condition que la moitie des benefices appartiendrait au roi , ladite permission volontaire et subordonnee k la 1 + G. DE CORTENA. ficu aux armes de Courtenay bris^es d'un lambel. % -J- S. DE CHARANTO. Croix. 2 Pins loin , p. 518 , est le type de Pierre Mauclerc que copiait Hugues de Brosse. » t ENRt P. DE SOU. Pal accompagn« d'une Hear de lis. % SIRES DE MAVII. Croix. EGLAIRCISSEMENT II S09 discretion du roi ; comme nous sommes avant 1265 , il ne s'agit ici que de deniers , et nous pouvons mSme croire que cette fabrication fut trSs- peu importante , et encore si elle eut lieu ; neuf ans plus tard , le baron de Preuilly se plaignait au roi que la suppression du monnayage abbatial diminuait ses revenus. L'abbaye de Saint -Martin n'est pas comprise dans Tordonnance de 1315 , qui enumfire les barons et prelats ayant le droit de monnaie ; c'est sans doute pour cela que I'annee suivante elle demandait a Louis X d'fitre maintenue dans son antique privilege , et le 12 mai 1316 , le roi , s'adres- sant aux gens de ses comptes , leur prescrit de « ne point troubler les doyen, tresorier et chapitre de Saint-Martin dans I'exercice de frapper une certaine monnaie , droit qui leur avait etd concede par ses pr^d^ces- seurs et conflrme par son pere , malgre qu'ils n'en eussent pas use depuis longtemps ». Pour maintenir son privilege, l'abbaye fit frapper quel ques gros tournois, excessivement rares , aux legendes TVRONVS CIVIS — SANCTV MARTIN, mais post^rieurement au regno de saint Louis. Pig. 159. Perche. En ce qui concerne le Perche , il se presente un probleme assez difficile a r^soudre. Quatre personnages peuvent revendiquer I'unique denier dont void le dessin, suivant qu'on lit I' ou P, comme initiale de celui qui I'a emis. II y a d'abord Jacques de Chateaugontier , qui prenait le titre de comte du Perche , alors que ce fief etait aux mains du roi de France ; ensuite Enguerrand III de Coucy, comme tuteur de son beau-fils Thomas, dernier heritier mSle du comte; puis Pierre, cinquieme flls de saint Louis , qui regut le Perche en apanage ; enfin Pierre de Bre- tagne , flls du due Jean , qui echangea , le 13 juin 1265 , des terres avec Anne, fllle atnee de Jacques de Chateaugontier, centre la seigneurie de Nogent-le-Rotrou , avec le droit de battre monnaie. Notons que Jacques avait abandonn^ en 1257, a saint Louis, toutes ses pretentions sur le comte du Perche, en ne se reservant que la seigneurie de Nogenti. Fig. 180. 1 Type oharlrain, ^. f I' COM... RTICI. Croix cantonnee d'un croissant. BIO SAINT LOUIS Flandre. Au temps de saint Louis, la partie de la Flandre qui relevait de la couronne n'avait que de petites pieces en argent, ou mailles, frapp^es suivant le systeme art^sien dans plusieurs villes. On en connatt de Lille au type de la fleur de lis; de Douai, au type du rameau a trois, cinq ou sept branches ; de Cassel, au type du temple; de Bourbourg, au type du triangle ou fronton ; de Bergues-Saint-Winoc. Ces mailles, Men que frapp^es en Flandre , s'appelaient souvent artesiens. Artois. a partir du xi^ sifecle , on fabriqua dans cette province , sous les comtes de Flandre , des artesiens en argent fin , qui furent inter- rompus sous Philippe - Auguste ; ce roi y substitua le systeme parisis, Robert, frere de saint Louis (1236-1249) revint aux mailles art^siennes, sur lesquelles il mit son blason i. Fig. 161. Saint- Pol. Duby a donne le dessin d'une piece, non retrouvee encore en original, qui appartient a Hugues V (1232-1248) ou a Hugues VI (1289-1292), comtes de Saint-Pol. HVGO COMES. Croix cantonnee de quatre tiges de trefles ; ly. ■}• MONETA S PAVLI , gerbe d'avoine. Fauquembergues. Je ne connais pas de monnaies du xm" siecle frap- p^es par les seigneurs de ce fief, dont le droit etait cependant reconnu par le reglement de 131S, et qui monnayaient a cette derniere ^poque. PoNTHiEU. On n'a pas encore determine les monnaies de Marie de Pon- thieu , qui epousa Simon de Dammartin , puis Matthieu de Montmorency (1221-1251); mais on en a de Jeanne de Ponthieu et de Jean de Nesle, son mari. Celui-ci plaga d'abord dans le champ les initiales de la ville d'Abbeville , puis il fit graver le nom mfime , en entier, en deux lignes , souvenir du type parisis adopte par ses prddecesseurs et suivi par ses successeurs , les rois d'Angleterre 2. Fig. 162. rig. 163. Laon. Le comte de Laon avait ete donn^ aux 6v6ques par les premiers Capdtiens ; mais a IMpoque que nous etudions ce n'etait plus qu'un titre 1 ficusem6 de fleurs delis, surmontSes de trois tours posies enolief. ^. ARAS. Croix Deur- delisee. 2 t lOHANNES COMES. Croix cantonnfede deux annelets, ^. f MONETA PONTIVl. Dans le champ A B. — f lOH' COMES PONTI. Croix cantonnee de qualre anneleU. ^. MONET ABIS VI en deux lignes ; au-dessus et jlu-dessous une croisette entre deux annelets. feCLAIRGISSEMENT II 511 honorifique, par suite des divers ddmembrements qui avaient eu lieu. Plus haul, nous avons constate que les monnaies de Laon avaient servi, pendant quelque temps, d'oboles dans les domaines directs de la cou- ronne. Entre I'episcopat de Roger de Rozoy (1180-1207) et celui de Gozon II (1310-1315), on ne connait pas de piSces laonnaises portant les noms des six prelats contemporains de saint Louis ; d'ou il faut conclure que les petits deniers de Roger de Rozoy, trSs - communs , du reste, furent continues longtemps apres sa mort. Coucy. Les seigneurs de Coucy arrondirent tellement leurs domaines au prejudice de I'evfiche de Laon, que je crois devoir placer ici les deux deniers attribues a Raoul II de Coucy (1242-1250), en supposant que ces pieces ont ^te frappees en France plutdt que dans quelque fief conquis en Orient i. Fig. 164. Fig. 165. SoissoNS. De 1227 a 1237, quatre comtes de Soissons portaient le nom de Jean ; ils eurent le m§me type monetaire avec de Idgeres modifications dans la disposition des lettres 2. Fig. 166. Reims. Depuis le milieu du x^ siecle, les archev6ques de Reims tenaient le comte qu'ils avaient regu de Louis d'Outre-Mer ; des quatre prelats qui se succederent sous le regne de saint Louis , Henri II de Dreux, Juhel de Mathefelon, Thomas de Beaumet, et Jean de Courtenay, on ne connatt que le denier suivant, qui appartientau premiers. Fig. 167 . 1 t COCIACVS. Chateau , a la porte un quadrapede. v). f RADVLFVS. Croix cantonn§e de deux V et de deux croissants. — f COCIACVS. Chateau, au-dessus un croissant. ^. M6me type que ci-dessus. 2 t lOHANN. COMES. Croix cantonnee d'un point, i). SVESSIONIS. Temple surmont6 d'une croix. 3 t ARCHIEPISCOPVS. Dans le champ HENRIGVS en deuxlignes. ^. f REMIS CIVITAS. Croix cantonnie de deux croissants et de deux fleurs de Hs. 512 SAINT LOUIS Rethel. Le comte de Rethel est mentionn^, dans le rfeglement de 1315, parmi les seigneurs ayant le droit de frapper monnaie ; mais aucun teste , aucune pifece , ne permet de croire que ce droit fut exercd avant Louis de Flandre , qui devint comte de R6thel par son mariage avec I'hMtifire de ce fief. Meaux. Les 6vSques de Meaux sont dgalement mentionn^s dans le rfegle- ment de 1315; n^anmoins on ne connatt pas leur numeraire k partir de la fln du xii« sificle. II semble que, comme Saint- Martin de Tours, ils se contenterent de faire constater et maintenir leur droit sans I'exercer. On peut supposer qu'entre les monnaies royales et les Amissions nombreuses de I'atelier provinois des comtes de Champagne, ils auraient eu peu d'inter^t a continuer leur monnayage. Ghalons-sur-Marne. Le droit de monnayage des evSques de ChMons est fonde sur un dipl6me de Charles le Chauve; ils avaient le comt^ depuis le commencement de la troisieme race, au moins. Des cinq prelats qui se succederent a Ghaions du temps de saint Louis , on ne connatt de deniers que de Geoffroy de Grandpr^ (1237-1247) i. Mg. 168. Champagne. Thibaut IV (1201-1253) et Thibaut V (1253-1270) frap- pSrent monnaie a Troyes et a Provins 2. Pig. 169. Fig. 170. La monnaie provinoise , grSce aux foires de Champagne et a la noto- ri^t6 europ^enne de celles-ci , avait un cours aussi repandu , au xiii« siecle, que la monnaie tournois. On fit mfime, a Rome, des deniers et des oboles provinois; void un specimen tres-rare, qui porte le nom de Charles d'Anjou, s^nateur de Rome en 12653. 1 + GAVFRID' EPISCOP'. Dans le champ PAX. if. f CATALANI CIVI. Croix cantonn^o de deux points. 2 t TEBAT COMES. Croix cantonnSe de deux anneleU. ^. f TRECAS CIVITAS. Mono- gramme du nom TEBAV. — + TEBAT COMES. Croix cantonnSe d'un a , d'un u et de deux croissants, i). PRVVINS CASTRI , type dit peigne champenois surmont6 de trois tours. 8 t SENA ( tus p. q. ) if. Peigne cliampenoiB accompagni d'un S. ^. ■)■ CAROLVS RE. S. Croix cantonnfee d'un point , d'une 6toile et d'un V. ECLAIRGISSEMENT II 513 Pig. 171. ToNNERRE , AuxERRK. Ces deux comte , sous le regne de saint Louis , etaient en la possession des comtes de Nevers; la monnaie qui se frap- pait dans chacun d'eux cessa pour laisser courir les nivernais. En 1273 , Charles d'Anjou, roi de Sicile, etant devenu comte de Tonnerre par son manage avec Marguerite de Bourgogne, frappa des deniers et des oboles qui , parlours types , rappelaient les anciennes espfeces auxerroises. En voici la description : -j- K. REX SICILIE. Croix a pointes, canton- n^e d'un lis au 2». ly. f COMES TORNODOR. Croix a pointes , fleurdeli- see aux deux branches horizontales. — j- MON. REG. SICILIE. MSme type que ci-dessus. ly. COM. TORNODOR. M6me type qu'au droit. Langres. L'eglise de Langres avait la monnaie par concession de Charles le Chauve ; le comte fut donne aux evSques a la fin du xii® siecle par le due de Bourgogne. La piece suivante pent appartenir soit a Gui de Rochefort (1250-1266), soit a Gui de Geneve (1269-1292) ». Fig. 1?2. Nevers. De 1226 a 1270, le comte de Nevers vit quatre titulaires se succeder; nous avons deja fait remarquer que les monnaies nivernaises, a un certain moment, remplacerent celles de Tonnerre et d'Auxerre. D'abord paralt Gui de Forez (1226-1241), qui modifia I'ancien type local en remplagant par un dauphin, son blason personnel, I'etoile et les fleurs de lis de son predecesseur Herve de Donzy2. Fig. 173. 1 t GVIDO EPISCOP. Ecu aux armes du ohapitre de Langres. ^. f VRBS LINGONIS. Croix cantonnee d'une etoile et d'un croissant. 2 f GVIDO COMES , type nivernais dit faucille, accompagne d'un dauphin, ij. f NIVER- NIS CIVIT. Croix cantonnee de denx points et de deux pointes de fl^clies. 33 614 SAINT LOUIS Puis Mahaut de Bourbon, hdritiSre de Gui, dont le type fut imiW dans le voisinage; nous donnons sa monnaie ainsi que celle de son mari, Eudes de Bourgognei. Fig. 174. Fig. 176. Enfin Jean-Tristan de France, par suite de son mariage avec Yolande, fiUe atnee des precedents. Leblant cite , sans donner la date ni la source, un bail de la monnaie de Nevers ; comme on peut y voir que , d'apres cet acte , la monnaie nivernaise devait , comme celle du roi , 6tre de 220 de- niers au marc, il ne peut se rattacher qu'a Jean-Tristan (1265-1270), contemporain de la r6forme faite par saint Louis sur la taille des deniers 2. Fig. 176. Sancerre. Les monnaies de ce comt4 sent un exemple de IMrudition du XII" siecle , qui voulait traduire le nom de Sancerre par Sacrum Ce- saris. Les plus anciennes portent , avec la legende IVLIVS CESAR , une tfite de profil couronnee ; a la fin du xm« siecle , on arriva a prendre mo- dele sur I'esterling et a donner a C6sar la figure d'un roi anglais 3. Fig. 177. 1 t M. COMITISSA. Fasce accompagnie d'nne fleur de lia et de deux itoiles. i). f NIVER- NIS CIVIT. Croix. — f ODO COMES , 6cn de Bourgogne. H. + NIVERNENSIS. Croix cantonn6e d'un croissant. s t I- F' REGIS FRANCIE. Croix auxerroise , canlonn6e d'nn annelet. ^. f CO : NIVER- NENSIS. Denx^toiles etdeux Dears delis poshes en croix. » t DOMINVS CESAR. Buste couronn§ de face. i^. SACRVM CESARI. Croix coupant la legende , cantonn6e de douze points. ECLAIRGISSEMENT II 515 BouRGOGNE. Voici le denier que Hugues IV, due de Bourgogne (1218- 1278), faisait frapper a Dijon, au type de son pSre Eudes III. Nous devons noter qu'a partir de 1287, date de I'acquisition du comte de Chalon-sur- Sa6ne, il fit forger dans cette ville quelques rares deniers, qui portent MONETA HVGONIS autour d'une croix, et au revers f CABVLO CIVITAS autour d'un grand B aecompagn6 de trois annelets et d'une croisette i. Fig. 178. Fig. 179. BouRBONNAis. Avec les sires de Bourbon , places au nord de la vicomtd de Bourges , k I'ouest de la seigneurie de Deols , nous revenons a ces fiefs berrichons qui s'attribuaient des droits souverains. Les sires de Bourbon copierent les monnaies les plus r6pandues, suivant les epoques aux- quelles ils les emettaient : les deniers anciens de Nevers, surtout ceux des archev§ques de Besangon et de Vienne, ceux de Mahaut de Nevers. On a signale un denier de Jean de Bourbon (1262-1268), qui n'a pas ete retrouve et dont voici la description : I. DNS. BORBONIE. Croix can- tonnee d'un croissant. ly. LODOICVS REX. Fleur de lis , etoile et fau- cille. Les sires de Bourbon frappSrent a MontluQon des deniers a leurs noms imites des monnaies angevines (Gui de Dampierre, 1202-1213) et des especes nivernaises (Eudes de Bourgogne, 1249-1269)2. Fig. 180. Souvigny. Le prieure de Souvigny frappa longteraps monnaie, d'abord seul, sans doute a I'exemple de son chef d'ordre, Cluny; le dipldme par lequel Hugues Capet lui aurait confere ce droit est un document apo- cryphe. Au xiii' siecle, le prieure s'associa avec les sires de Bourbon pour ouvrer en commun en 1242, 1263 et 1271. Nous donnons ici un 1 f ODO DVX BVRG : DIE. Annille formee de deux doubles crosses , accompagnee en chef et en pointe d'un point. ^. f DIVIONENSIS. Croix cantonnee de deux pointes de fleches. — t VGO DVX BVRG : DIE. Annille cantonn§e d'un point et d'une 6toile. ^. f DIVIONENSIS. Croix cantonnee de deux points. 2 t HODO DOMINVS. Croix. ^. + NVMTE LVCIO , pour MVNTE LVCIO. Pal accompagne de trois coquilles. S16 SAINT LOUIS denier de Souvigny qui parait dater de I'dpoque a laquelle Jean de Bour- bon monnayait seul l. Fig. 181. Huriel. Voy. plus haut, page 508, Sainte- Severe. Cha/renton. Id., page 507. AuvERGNE. Nous avons d^ja parl^ des monnaies frapp^es par Alphonse de Poitiers a Riom , dans I'apanage que Louis VIII lui avait legu6 ; il ne nous reste done a nous occuper que des pieces emises par le chapitre de Clermont en vertu de la cession a lui faite par Guillaume III, comte d'Auvergne , par un acte de 1030. En 1269 , saint Louis etait oblige d'in- tervenir, sur les plaintes du comte Alphonse , pour faire cesser le cours d'une monnaie nouvelle , emise par I'evfique de Clermont , et plus faible d'un cinquiSme que Tancienne 2. Pig. 182. Lyonnais. C'est avec hesitation que je fais flgurer ici le Lyonnais , au moins pour la partie orientale, relativement au Rh6ne. L'eglise de Lyon avait succ6de aux anciens comtes , et pour le comte et pour la monnaie ; il est a remarquer que les comtes de Forez , qui representaient les an- ciens comtes laiques de Lyon , ne tenterent jamais de faire des monnaies. Les deniers lyonnais, qui dtaient forges d'apres une concession imperiale, avaient certainement cours dans la partie du diocSse qui etait situee en France : I'ordonnance de 1315 n'en parle pas , ce qui permet de penser que le monnayage archi^piscopal n'6tait pas reconnu par le roi '. Fig. 183. 1 SCS MAIOLVS. T4te mitrie & ganche: devant, une crosse. ^. DE SILVINIACO. Croix cantonn^e de troia fleurs de lis et d'une coquille. 2 SC : MARIA. Baste couronnfi de la sainte Vierge , de face. % f VRBS ARVERNA. Croix fleuronnie. 8 t PRIMA SEDES. La lettre L , terminie par une croix. entre le soleil et la lune. ^. GAL- LIARVM . Croix cantonn6e du soleil et de la lune. ECLAIRCISSEMENT II 517 Velay. Les dvSques du Puy avaient obtenu du roi Raoul, en 924, le droit de frapper monnaie; depuis 1134 ils dtaient seigneurs du Puy, et d6s 1167 ils s'intitulaient comtes du V61ay. En 1269 et en 1318, ils frappaient encore monnaie, ainsi qu'il resulte de baux que j'ai sous les yeux ; cependant ils ne flgurent pas dans le reglement de 1315. Les mon- naies du Puy les plus recentes portent au droit : •[• POIES. Croix aux branches arrondies ; au revers : f DEL PVEI. Rosace a six branches. Gevaudan. L'ev§que de Mende eut le comte de Gevaudan jusqu'au commencement du xiv« sifecle; il avait le droit de battre monnaie, et celle-ci dtait au nom du patron de la cath^drale. En 1265, I'evSque se plaignait que le cours force de la monnaie royale dans son diocese nuisit a son droit, et, en 1272, le senechal de Beaucaire recevait I'ordre de ne pas s'opposer au cours des pieces dpiscopales i. Fig. 184. Mauguio. Ce comte, qui appartint d'abord aux comtes de Toulouse, fut saisi par le pape sur Raymond VI, et donne en 1215 a Teglise de Maguelonne. L'evfique y frappa des deniers dits melgoriens, qui eurent un cours tres-repandu dans le midi de la France; ils portent invariable- ment, avec una croix d'une forme particuliere , des legendes dans les- quelles on peutlire : RAIMVNDS-NARBONA; c'est evidemment un type immobilise. L'eveque de Maguelonne faisait aussi, comme le comte de Toulouse , des imitations de pieces arabes , qui lui attirerent des admo- nestations de la part de saint Louis en 1268 , et de graves reproches de la part du pape Clement IV en 1266. Ce n'etait pas I'imitation elle-mfime, mais la reproduction exacte des legendes musulmanes qui avaient scan- dalise le roi et le pontife. On pouvait frapper des dinars et des dirhems suivant le systeme des Arabes, mais on devait substituer des legendes chretiennes aux formules gravees en I'honneur de Mahomet. Narbonne. La numismatique de Narbonne forme une serie qui com- mence au regno de Charlemagne. Sous saint Louis, trois vicomtes du nom d'Amauri se succederent; depuis 1215, la monnaie etait partagee rig. 185. 1 S. PRIVATVS. Buste mitrt de saint Privat, de face. ^. f MIMA CIVITAS. Croix can- tonnee de quatre fleurs. 518 SAINT LOUIS entre le vicomte et rarchevfique, et, en 1242, le prflat se plaignait de ce qu'Amauri IV s'6tait empare de la moitid'qui lui appartenaiti. Nous passons maintenant a la partie occidentale du royaume de France, sous saint Louis. Bbetagne. Pierre Mauclerc (1223-1237) ne signa pas ses monnaies; il commenga par dmettre des deniers a I'ancien type breton, sur lesquels on lit le nom du comte Etienne de PenthiSvre, en souvenir des pieces que celui-ci fabriqua en grande quantite a Guingamp , et qui couraient en Bretagne et en Normandie ; Pierre Mauclerc adopta ensuite un type qui portait son blason personnel et devint ensuite celui de la province 2. Pig. isr. rig. 180. Jean I*', son fils (1237-1286), continua le dernier type de Pierre, mais il inscrivit son nom autour des armoiries de sa famille 3. Fig. 188. Anjou et Maine. Ces deux provinces, depuis 1246, formaient Tapanage du plus jeune des freres de saint Louis; avant 1265, il continua le type, au monogramme des anciens comtes , du nom de Foulques ; apres cette date, il adopta un nouveau type, compose d'une ou de deux clefs*. Pig. 180. Pig. 180. 1 t AMALRICVS. Croix cantonnee de quatre points, ^.f NARBONE CIVI. Clef. 2 t DVXBRITANIE. Croix ancr^e. ^. t STEPHAN COM. Croix.— + DVX. BRITANNIE. Armes de Dreux brisSes d'un canton d'hermines. j|. f CASTRIGIGANPI. Croix canlonnAe d'un petit chdtel. » t lOHANNES DVX. M6me type hfiraldiqae. i). f : BRITANNIE. Croix cantonn4e de la lettre R (Rennes) {obole). * t CAROLVS COMES. Croix cantonnee d'un alpha et d'un omega, ij. f ANDEGA- VENSIS. Monogramme angevin de Foulques. — f K. REX SICILIE. Deux clefs. ^. f:C: ANDEGAVIE. Croix cantonnee d'une couronne et d'une fleur de lis. ECLAIRCISSEMENT II 519 Dans le Maine, Charles de France continua aussi I'ancien type des comtes du Maine, puis, toujours avec le monogramme d'Erbert, frappa des doubles angevins destines sans doute a avoir cours dans les deux provinces qui formaient ses domaines ' . Fig. 191. Fig. 192. AprSs 128S, le monogramme mangois fut modifie et erne d'une fleur de lis : cette nouvelle forme fit si bien oublier le type primitif , que , sous Charles de Valois (1291-1307), on le changea en une couronne 2. rig. 193. Vendome. Du comte d'Anjou relevait le comte de Venddme, qui en etait un ddmembrement , et dont les proprietaires , des la separation, exercerent le droit de frapper monnaie ; pendant le regne de saint Louis, les comtes Jean IV (12181-239), Pierre de Montoire (1239-1249), Bouchard V (1249-1271), firent des deniers sur lesquels ils cherchaient a imiter le type tournois 3. Fig. 194. Fig. 195. 1 t K COMES PROVINCIE. Monogramme mantois d'Herbert. ^. FIL P REGIS FRANCIE. Croix cantonn^e de deux points , d'un alpha et dun omega. — f K FIL REGIS FRANCIE. MSme monogramme. ^. AN... GVNS DOBLES {angevins dobles). Croix cantonnee de deux points et de deux croisettes. 2 t CAROLV REX SICILIE. Type degener§ du monogramme mangois, aveo adjonction d'une fleur de lis. ^. f SIGNVM DEI VIVI. Croix cantonnee de deux poinU , d'un alpha et d'un omega. 3 Molette d'eperon : lOHANS COMES. Etoile dans un edifice formS d'une base et de deux colonnes. ^. f VIDECINENSIS. Croix cantonnee d'un point. — PETRVS COMES. M«me type. 1^. + VIDOCINENSIS. Croix (o6oie ). — BOCARD COMES, fidifice a fronton surmonte d'une etoile S cinq points. ^. t VIDOCINENSIS. Croix. 820 SAINT LOUIS Fig. 196. Blois. Le type des monnaies de Blois , a une seule exception , proc^- dait de celui des comtes de Tours h Chinon ; c'etait une tfite qui peu a peu fut modifide de manifere a devenir une figure de convention. Jean de Chatillon (1241-1279) fit faire des deniers tournois; on pent croire que I'ordonnance de 1262 arrfita cette fabrication , et que , pendant son long regne , Jean revint aux anciens deniers , dont le type fut continue par ses successeurs i. vie. 197. Chdteaudun. Les vicomtes de Chateaudun relevaient du comte de Blois; le type primitif etait un croissant; on le voit sur les deniers de Geoffrey IV (1215-1235); mais son successeur, Geoffrey V (1235-1259), adopta une figure qui n'etait pas sans rapport avec les tournois ; ainsi firent Robert de Dreux, apres son mariage avec Clemence de Chateaudun, Simon de Dreux, comme tuteur d'Alix de Dreux, et Raoul de Clermont, epoux de celle - ci 2. Pig. 200. Fig. 201. t lOHANNES COMES, Type tournois. ^. f. BLESIS CASTRO. Croix. 2 Croissant. GAVF croissant IDVS. Croissant. ^. f CATRVM DVNI. Croix cantonnee d'un croissant. — Croissant. GAVF croissant IDVS. Annelet dans un Mificc composS d'uno base et de deux colonnes. % f CATRVM DVNI. Croix cantonnee d'un annelet. — f ROBER- TVS VICONS. Croix, i). CASTRI DVNI. Croix dans un Edifice imit6 du chStel tonrnois, an- dessus el au-dessous un point dans un croissant. — f SIMONIS VICOMES. Croix cantonnte d'un annelet. ij. CASTRI DVN. Type tournois comme ci-dessus. EGLAIRCISSEMENT II 521 Vierzon. Les seigneurs de Vierzon et de Celles , en Berry, relevaient egalement du comte de Blois, par suite des conquStes faites par Thi- baud le Tricheur; primitivement les deux fiefs furent reunis dans la mtoe main. Nous n'insisterons pas sur I'empressement avec lequel les seigneurs berrichons s'empressaient de battre monnaie. On connait des pieces de Guillaume II , seigneur de Vierzon ; le denier d'Henri III , son flls , vient d'etre retrouv6 ; malheureusement le seul exemplaire connu est tres-fruste; voici la gravure d'un denier assez rare qui appartient a Blanche de Joigny, m&re de celui-ci, comme baillistrei. Fig. 202. Celles. Les seigneurs de Celles etaient des cadets de Vierzon ; sous saint Louis , ce fief etait a Robert de Courtenay , du chef de sa femme , Mahaut de Celles 2. Fig. 203. Saint- Aignan. Nous mentionnons simplement ici le fief dont les mon- naies, toujours anonymes, ne paraissent pas avoir ete continuees apres les premieres annees du xiu"' siecle. PoiTou. II est inutile de revenir ici sur les monnaies d'Alphonse, dont nous avons longuement parle a propos de celles de saint Louis ; mais nous devons nous occuper du comte de la Marche, qui relevait du Poitou. Les comtes de la Marche ne commencerent a monnayer que dans les premieres annees du xiii« siecle , sous Hugues X , flls de Hugues IX de Lusignan , comte d'Angoulfime par son mariage avec la fille unique de Vulgrin Taillefer 111 , qui s'empara de la Marche au prejudice de la du- chesse Eleonore. « Hugo Brunus, dit Aubri de Trois-Fontaines, en l'anH99, tendens insidias, earn (Alianordem) cepit et ad hoc eam compulit quod ipsa quittavit ei comitatum de Marchia Pictavie. » II semble que Hugues 1 t VIRSIONIS. Ecu portant des armoiries d'un dessin vague. ^ f DOMINA AIBA (pour aLbA). Croix. 2 t ROBERT -DE-MAV. Croix form^e de quatre fleurs delis. ^. f SIRES-DE-CELLES. Croix, 522 SAINT LOUIS ait dtendu dans la Marche le privilege qu'il avait comme comte d'Angou- 16ine ; il etablit son atelier a Bellac , ainsi que IMtablit la chronique de Bernard Itier, bibliothecaire de Saint-Martial de Limoges : « an. 12H , Comes Hugo de Marchie novam monetam instituit apud Belac facien- dam Marques ». Nous donnons ici des deniers de Hugues X (1208-1249), Hugues XI (1249-1260), Hugues XII (1261-1282). En 1265, saint Louis faisait ordonner k Hugues XII de cesser la fabrication de pifeces de mau- vais aloi ; il semble que les ordres du roi furent promptement oubli^s , car en 1280 et en 1282 , nous constations ce passage dans une chronique anonyme : « eodem anno , comes Marchie monetam suam renovat in de- teriorem i. » Kg. 204. Fig. 205. Pig. 206. Pig. 2or. Angoumois. Jusqu'a Tayenement de la maison de Lusignan, la mon- naie d'AngoulSme fut frapp^e au nom de Louis d'Outre-Mer et a un type procedant de I'ancien monogramme du roi Eudes, usite en Aquitaine. Hugues XI et Hugues XII , comtes de la Marche et d'Angoul6me , frap- perent les deniers suivanls 2. Pig. 208. Pig. 209. 1 t VGO COMES. Croix. ^. t MARCHIEO. Croisette enlre deux annelels et deux crois- sants. — t HVGO BRVNNI. Croix cantonn^e de quatre annelets. ^. f COMES MARCHE. Trois annelets pos^s en fasce entre deux croissants.— + VGO COMES MAR. Dans le champ CHE entre deux croissants. ^. + DNS LEZINIACI. Croix. — + HVGO BRVNNI. Croix. ^. + COMES MARCHIE. Trois oroisettes en fasce enlre deux croissants. 2 + VGO DE LEINIACO. Croix cantonnSe d'une croisette. ^. + COMES ENGOLISME. Trois croisettes en fasoe entre un croissant et on annelel. — f HVGO FRVNNI. Trois anne- lets en fasce entre un croissant et une rose. if. t COMES ENGVOL. Croix. ECLAIRCISSEMENT II 523 Toulouse. Nous n'avons pas a revenir sur la numismatique de Tou- louse , que nous avonsvue se rattacher a celle d'Alphonse de Poitou ; mais nous ne pouvons pas passer sous silence un fief qui relevait de Toulouse. Rodez. Le comte de Rodez , cree a la fin du xi° siecle par un comte de Toulouse , etait tenu sous le regne de saint Louis par Hugues IV (1227- 1274) et Henri II (1274-1302); nous donnons le dessin d'un denier de celui-ci 1 . Pig. 210. Albi. La monnaie d'Albi appartenait a I'evfique d'Albi et au comte de Toulouse, comme reprdsentant les anciens vicomtes d'Albi depuis le mariage de Pons avec Majore de Carcassonne. En 1248, le comte Rai- mond VII faisait un accord avec I'evfique Durand pour frapper en com- mun h Bonafos ; en 1278 , 1'evSque d'Albi vendait sa part au roi 2. Pig. 211. Cahors. Les evSques de Gahors frappaient monnaie des la fin du xi" siecle, et furent maintenus par le reglement de 131B; pendant le xm« siecle , ils affermerent leur droit a plusieurs reprises aux consuls de cette ville, moyennant une redevance assez considerables. Pig. 212. Pig. 213. GuYENNE. Nous devoHS comprendre dans ce resume de I'histoire numis- matique feodale du regne de saint Louis le duche de Guyenne et ses arriere-fiefs, qui , depuis le traite d' Abbeville, en 1258, etaient sous la suze- 1 ■(■ HENRI COMES. Croix cantonn§e d'un annelet. H. f RODES : CIVIS. Dans le champ one croisetle et les lettres DVS. 2 fR. BONAFOS. Dans le champ unV,une oroisetteet unecrosse.S fALBIENSIS. Croix faite de rayons en forme de balastres et cantonnee d'une crosse. 3 t : EPISCOPVS. Crosse accompagnee de trois croisettes. ^. f CATVRCENSIS. Croix cantonnee d'un V. — Obole aux mSmes types, excepts que la croix est cantonnee d'un R. 524 SAINT LOUIS rainet6 de la couronne de France. Selon Duby, dSs 1228, le roi Henri III ordonnait a son sdndchal de Gascogne de frapper sa monnaie a Langon at ^ la Reole, au m6me poids et a la m^me loi que la monnaie tournoisi. Pig. 214. Bearn. Dans cette province, la monnaie 6tait a un type immobilise, qui se continua jusqu'au xv« sificle; une croix, cantonnde de deux besants, d'un c6te; de I'autre le mot PAX, avec les legendes : CENTVLLO GOME- ONOR FORGAS. II ne faut pas oublier qu'ici le mot honor est synonyme de castellum, et que, d'apres M. Bascle de la Greze, le chateau ou r^sidaient les comtes de B6arn s'appelait la Howquie, nom porte encore aujourd'hui par la grande place ou se tiennent les foires a Morlas. Au xv« et au xvi« siecle, on conservait le souvenir de I'ancien type en inscrivant sur les mon- naies de Frangois Phebus , de Gatherine et de Henri d'Albret : PAX ET HONOR FORQUIE MORL; seulement le mot honor avait alors une autre acception. Perigord. A Perigueux, la monnaie appartenait aux comtes et aux consuls ; le type etait le mfime que celui des deniers d'AngouWme , avant I'avenement de la maison de Lusignan; seulement, au lieu de quatre annelets et une croisette, dans le champ, on voyait a Perigueux cinq annelets ; et quod sint denarii petragorienses cum quinque oculis, dit un texte de 1266. Turenne. La monnaie des vicomtes de Turenne, qui commence au xi^ siecle, fut confirmee par la reine Blanche en 12S1. Duby donne le dessin d'un denier, qui n'a pas 6te retrouve , avec un ecu aux armes de Turenne et les legendes RAIMVNDVS-MON 'VIGECOM, qui pourrait appartenir a Raimond V, VI ou VII. Limoges. Le droit de frapper monnaie appartint d'abord a Tabbaye de SaintrMsu-tial , qui fit graver au droit de ses deniers la t§te de son patron. Jusques a ce jour on n'a recueilli que des renseignements tr&s-vagues sur ce monnayage , qui fut cependant assez repandu pour 6tre imite dans le voisinage ; les deniers limousins portaient le nom de harbarini, probablement a cause de la t6te barbue du saint qui etait gravee au droit. DSs lo commencement du xiii" sifecle, le vicomte Gui V essaya de faire , h. Aixe , une nouvelle monnaie qui ne fut pas acceptee par ses vassaux : « Guido vicecomes apud Axiam monetam facit , quam Lemovicenses non receperunt. » [Chron.B. Iterii, ad. cmn. 1211.) Dfis cette 6poque il pos- 1 +ERICUSREXAN; les mots s6pards par des Voiles. ^. t DVX AQUITANIE. Lfopard. ECLAIRCISSEMENT II 525 sedait done le droit de frapper monnaie , acquis de I'abbaye au prix de quelque transaction plus ou moins imposee. Nous vojons, en eflfet, en 1307, le vicomte Jean de Bretagne faire hommage a I'abbd de Saint -Martial : « Pro castro et castellania et moneta Lemovicensi , quod et quas tenet a dicto domino abbate. » {Anonym. S. Martialis Chron.) En 1263, Marguerite de Bourgogne , veuve du vicomte Gui VI , baillistre pour sa flUe Marie , accordait aux bourgeois de Limoges la demonetisation des derniers portant le nom du vicomte : « Burgenses castri Lemovicensis fecerunt pactum cum Margereta , fllia ducis Burgundiae , relicta viceco- mitis Lemovicensis, ut moneta quae vocatur Lemona? ubi erat nomen vicecomitis, omnino cassaretur. » [Chron. S. Steph.) Cette monnaie n'a pas encore ete retrouvee ; on ne connalt que des deniers assez rares , evi- demment anterieurs, portant S. M. dans le champ, avec la legende f LEMOVICENSIS; au revers : f VICECOMES, autour d'une croix. Ce fut settlement a I'avenement de la maison de Bretagne, en 1263, que la monnaie de Limoges regut un type veritablement feodal ; on vit alors les armoiries du seigneur, combinees , suivant ses alliances , avec les cotices de Limoges, le chatel de Castillo, les bandes de Bourgogne et la croix de Savoie. Anatole de BARTHELEMY. Fig. 215. — Dessin. — Mude d'apr^s I'album de Villard d'Honnecourt. m^v ® ''0 ®^ '® '^^\i ^^) mW\ Fig. 216. — Orffevrerie. — Reliquaire en cuivre dor6, de la collection de M. SeilliSre. ECLAIRCISSEMENT III SUR LA GEOGRAPHIE DE LA FRANCE AU XIII" SIECLE I A premiere des cartes que nous offrons au public represente le royaume de France durant le regne de Louis VIII (1223-1226), c'est-a-dire le royaume de France tel que I'avait fait la politique de Philippe -Auguste. Le court regne de Louis VIII a ete choisi pour date de cette carte , prefera- blement a I'avenement de saint Louis , parce qu'il per- mettait d'indiquer comme appartenant au domaine royal les importantes terres d'Artois, d'Anjou, du Maine, de Poitiers et d'Auvergne, reunies a la couronne par Philippe -Auguste et qui , conformement au testa- ment du pere de saint Louis , devaient former sous les noms de comtes d'Artois, d'Anjou et de Poitiers, les apanages des trois freres du nou- veau roi. S28 SAINT LOUIS On s'est fait une rfegle d'inscrire sur cette carte tous les duch^s et tous les comt^s compris dans les limites du royaume de France', et on y a joint celles des vicomt^s d'outre-Loire jouissant alors d'une certaine im- portance territoriale ; plusieurs autres flefs , remarquables aussi par la puissance de leurs titulaires ou par IMtendue de leur circonscription (seigneuries de Beaujeu, de Bourbon, de Coucy et de Montpellier), ont ete egalement d61imites sur cette carte. Comme nous I'avons deja dit ailleurs , il n'est pas possible de donner une carte de la France fdodale en distinguant soigneusement les flefs des arriere-flefs. En effet, plus d'un des puissants vassaux de la couronne relevait en mSme temps d'autres grands barons, la'iques ou ecclesias- tiques , pour certaines parties de leurs Etats. Le comte de Champagne, par exemple , ne paratt avoir ^te vassal direct du roi de France que pour une faible partie des siens; car il rendait hommage a I'archevfique de Reims pour la plupart de ses possessions du diocese de Reims et de Cha- lons , a I'eyfique de Langres pour les riches domaines qu'il tenait dans le diocese langrois , a Tarchevfique de Sens pour les chateaux de Montereau et de Bray, au due de Bourgogne pour quelques flefs parmi lesquels se trouvait Troyes, la tfite mfime du comte de Champagne, et a d'autres encore. Si Ton tragait les limites des groupes feodaux en tenant compte seulement des vassaux immediats de la couronne, on arriverait ainsi a donner aux Etats des prelats de Reims et de Langres une impor- tance qu'ils ne possedaient pas r^ellement , et Ton r^duirait a un rang tres-inferieur le puissant comt6 de Champagne ; mais il est d'ailleurs im- possible de songer s^rieusement a une telle combinaison , car les actes d'hommage du xii° et du xiii° siecle designent assez rarement les flefs pour lesquels I'hommage est du. Aussi a-t-il paru que , dans les cas ana- logues , il importait surtout de rappeler les individualites g^ographiques dont I'histoire constate I'existence. Ce principe nous a decide a isoler com- pletement de leur suzerain principal certains flefs relevant en mfime temps de plusieurs seigneurs : tel , par exemple , le comte de Roucy, dont le titulaire, vassal du comte de Champagne pour le chef- lieu de son comte, rendait hommage au roi pour Nizy-le-Comte , et a I'evSque de Laon pour les chateaux de Pierrepont, Montaigu et Sissonne. Quand, au contraire, un fief relevait presque entierement d'un autre fief, on I'a indiqu6 comme une dependance de celui-ci, en ne Ten s^parant que par une ligne de points rouges. Deux teintes plates ont 6t6 employees pour distinguer d'une part le domaine royal , de I'autre les pays poss6dds par le roi d'Angleterre , qui. 1 A I'exceplion cependant du petit comtS d'Auvergne dont Vio-le-Comte 6tait alors le chef-lieu ; nous avons cependant plac§ aupr&s du nom do Vic la lettro c , indicatrice du comtfi. Le comte de Porhoet , en Bretagne , n'a pu 6tre non plus , en raison de son exiguity par suite d'un par- tage ooncln en 12'il entre les trois gendres du comte Eudes , 6tre montionnS sur la carte du royaume de France en 1270. ECLAIRCISSEMENT III b29 depuis Fan 1204, avail cesse de faire hommage au roi de France pour les terres qu'il occupait encore sur le continent. II doit fitre bien entendu que, par domaine royal, nous en tendons non-seulement les domaines poss6des directement par le roi , mais aussi les contrdes oii , le roi de France n'ayant aucun comte sous lui, les simples seigneurs (rfomim) dtaient ses vassaux directs i, L'espace dont nous disposons ne nous permettant pas de justifier ici les limites que nous avons assignees a chacun des fiefs marques sur les cartes de la France feodale au temps de Louis VIII , comme sur celle de 1270, nous renverrons le lecteur de ce volume a la Notice sur la carte de la France feodale qui accompagne Tedition de Joinville publiee en 1874 par la maison Didot^. II Une autre carte, congue exactement dans le mSme esprit que la pre- miere, represente le royaume de France a la mort de saint Louis, ou plut6t au moment de son depart pour la croisade, parce qu'on a tenu a y faire flgurer hors du domaine les terres dont il pourvut ses flls pulnes, — comte de Valois, donne a Jean -Tristan; comtes du Perche et d'Alengon, assignes a Pierre ; comte de Clermont en Beauvaisis, attribue a Robert , — et dont Tune , la terre de Valois , devait legalement faire retour a la couronne au mois d'aout 1270, puisque Jean -Tristan fut enleve par la mort quelques semaines avant le saint roi. On a employe pour cette carte les mSmes teintes plates que pour les precedentes ; mais ici les possessions du roi d'Angleterre , teintees en jaune , ne sont plus etrangeres au royaume de France ; car saint Louis , par le traite de 1258-1259, est parvenu moyennant quelques concessions a consolider les conquStes de Philippe -Auguste et a faire rentrer sous sa suzerainete le duche de Guyenne , pour lequel le roi d'Angleterre n'avait pas rendu hommage depuis Pan 1204. En dehors de ce fait capital, en dehors aussi de la formation d'apa- nages pour les fils de Louis VIII et de saint Louis, les changements les plus importants effectues de 1226 a 1270 se resument dans le demem- brement de I'ancien comte de Toulouse , ensiiite du traite conclu a Paris en 1229 avec le comte Raymond VII , et dans la reunion des comtes de Macon (1237) et de Mortain (1259) a la couronne. 1 Nous n'avons pas cru devoir teinter en rose certaines seigneuries qui, independantes des grands fiefs dont elles 6taient limitrophes , ne confmaient Dependant a aucun groupe du domaine royal. 2 Pages 559 4 593. 34 B30 SAINT LOUIS III Une troisieme carte offre la division de la France en diocSses et en provinces ecclesiastiques. Nous aurions voulu indiquer sur cette carte la plupart des abbayes du moyen ^ge ; mais les dimensions qui nous dtaient impos^es nous ont contraint de renoncer Si cette idde. En effet, les plus celSbres des abbayes frangaises 6tant, en majoritd, 6tablies sous les murs de nos principales citds, ne pouvaient 6tre flgur6es; quant a la plupart des abbayes rurales , elles jouissent g&eralement d'une notori^te si faible , que leur presence sur la carte diocesaine au detriment de toute autre localite ne permettrait pas au kcteur de se rendre un compte exact de la circonscription de chaque ev6ch^. II nous a done paru pr^Krable, au point de vue pratique , d'indiquer dans chaque diocese un certain nombre de localites choisies parmi les plus importantes, et surtout parmi les chefs-lieux d'archiprStr^s ou de doyennes. Mais on n'a agi ainsi que pour les provinces de Lyon , Rouen , Tours, Sens, Reims, Bourges, Bordeaux, Auch et Narbonne, presque entiere- ment comprises alors dans les limites du royaume de France. On a juge a propos d'indiquer encore les limites des dioceses pour les provinces de Cologne , Treves , Mayence , Besangon , Vienne , Aries , Aix et Embrun , provinces d'origine gallo-romaine, sans s'arrSter a cette consideration que, des I'dpoque carolingienne , la supr^matie du mdtropolitain de Mayence avait 6te etendue k la plus grande partie de la Germanic ; on a aussi employ^, comme pour les provinces alors frangaises, les teintes plates pour indiquer d'une maniere plus sensible a I'oeil les limites de ces huit provinces. En dehors de ces diverses circonscriptions m^tropoli- taines, on s'est bornS a marquer par une ligne rouge, bordee d'un lisere, les limites des provinces eccl6siastiques. IV Enfin , une dernifere carte montre la repartition de la France et des pays voisins selon les quatre « nations » entre lesquelles se partageaient alors les ^coliers de I'Universit^ de Paris ; on y a aussi indique les « provinces » ou subdivisions des diverses nations. Cette repartition , qui remonte au xiii" sificle, et dont certains details furent T6g\6s d'une maniSre d6fini- fiCLAIRCISSEMENT III 531 tive en 1358 (voir, a ce sujet, les pieces publi6es par Du Boulay, dans YHistoria universitatis Parisiensis , t. IV, p. 340-349), avail respects, sauf de trSs-rares exceptions, I'unite de chaque diocese. Elle ne paratt avoir 6t6 jusqu'ici I'objet d'aucune carte , et c'est ce qui nous a ddcidS a offrir celle-ci aux lecteurs du livre de M. Wallon. AuGusTE LONGNON. Fig. 217. — DesBin. — £tude d'aprds I'album de Villard d'Honnecourt. Fig. 218. — Dessin. — fitude d'aprfis Talbum de Villard d'Honnecourt. ]ECLAIRCISSEMENT IV SUR L'lLLUSTRATION DU PRESENT VOLUME lEN que I'illustration du Saint Louis ait ete I'objet d'une tres-longue et tres-minutieuse preparation, nous n'en voulons point parler ici d'une fagon trop detaillee. II semble, en effet, qu'il soit inutile de faire assister le lecteur a toutes les phases d'un labeur aussi complexe , et nous preferons lui montrer la maison achevee et degagee enfin de tout I'appareil de ses echafaudages. Une veritable unite de direction a domine tous ces travaux , et tout y concourt a la realisation d'une seule et mtoe pensee qu'il importe de bien mettre en lumiere. Les details semblent varies ; le plan est rigou- reusement un. L'ornementation du livre de M. Wallon est formee de deux elements : 1° Illustration « dans le texte » ; 2° Illustration « hors texte » . 534 SAINT LOUIS Or, chacune de ces deux illustrations a son but et son caractere special. L'illustration dans le texte (bordures, culs-de-lampe, vignettes et let- trines) est destin^e a faire connaltre le seul xiii" siecle, et Ton n'y a donne droit d'entr^e qu'a des ceuvres veritablement contemporaines de saint Louis. Mais encore restait-il a determiner ces ceuvres, et bien des systemes s'offraient a notre choix. On s'est d6cid6, apres milre reflexion, a faire passer sous las yeux du lecteur « les principaux types de I'art au temps de Louis IX ». Done, no^ en-t6te, nos culs-de-lampe et nos vignettes reproduisent , pour toute cette 6poque, les types de I'architecture reli- gieuse, civile et militaire; de la statuaire et de la sculpture d'ornement; de la peinture murale , de la peinture sur verre et de la miniature ; de la gravure des sceaux et de I'art mon^taire ; de I'orfevrerie , de la ferron- nerie et du dessin. Nous nous sommes efforc6 de ne jamais franchir les bornes du regne dont ce livre a racont6 I'histoire. II est rare que nous ayons ete force de remonter plus haut que 1226; il est plus rare encore que nous soyons descendu plus bas que 1270 i. Dans cette illustration, qui est d'essence arch^ologique, on a pu, sans nuire k I'unite du dessein general, r&erver une place notable a ce qui rappelle de plus pr6s la personne mtoe de saint Louis , et donner en quelque maniere un facsimile de ses reliques. L'agrafe et le coffret du saint roi ont ete choisis avec intention comme types de Torfevrerie emaillee. La serviette de soie dans laquelle il enveloppait son Psautier2 a ete reproduite sur les gardes du present volume. A ce mtoe PsautierS et a sa Bible*, nous avons demand^ la plus grande partie de nos let- trines 5. Nous avons reproduit les sceaux dont il a rev6tu tant d'actes publics, lesquels etaient a lafois si justes et si pieuxS. Les tombeaux d'un 1 Nous avons dfi, par exemple, reproduire le sanctuaire de Notre-Dame de Paris avec ses gros piliers , qai sont anterieurs au regne de Loois IX , avec son anlel , ses stalles et sa cl6- ture qui lui sont post^rieurs (fig. 2) , et deux portraits -images du saint roi qui sont certai- nement du xiv= siecle. Quelquefois aussi nous n'avons pu degager les monuments gothiques de certains Edifices plus recents qui les enveloppent. Nos lecteurs le comprendront sans peine , et leur imagination fera ce degagement. 2 Bibl. de I'Arsenal, Th6ol. lat., 329. 3 Et i celui qui est conserve k la Bibliothique nationale , lat. 10425. 4 Bibl. nat., lat. 10426. s Lesautres ont ete emprunt6es aux manuscrits suivants: Paris, Bibl. nat., lat. 15;rranc. 95, 472, 344. Metz , Bibl. de la ville, 336. 6 Les actes 6manes de la chancellerie de saint Louis peuvent se partager en deux fa- milies : dipldmes et lettres patentes. Les dipl6mes commencent par une invocation : In nomine sancte et individue TrinitatiSj amen. La suscription du roi y est partout la mSme : Ludovictie, Dei gratia, rex Francorum. Et ils se terminent unirorm6ment par ces clauses finales, ces souscriptions et cette date dont nous allons donner un exemple : Quod ui per- pelue stabilitatia robur obtineat, presentem, paginam. sigilti nostri auctoritate et regii nominie karaclere inferiua annotato fecimue comm,uniri. Actum Parisius^ anno do- miniee incarnationis millesivio ducentesimo quadragesiTno , regni vero nostri quinto- decimo, Aatantibue in palatio noatro quorum nomina supposita aunt et aigna, Dapifero nullo, S[i£;nu7n] Stephani butieuUirii. S[ignum] Johannia camerarii. S[ignum] Ahnau- rici conatabularii. Data (locus monogrammatis] vacante cancellaria. Les lettres patentes dilT^rent des diplAmeb en ce qu'elles n'ont ni invocation ni souscription d'aucune sorte. ECLAIRCISSEMENT IV §33 Fig. 219. — Le sacre de saint Louis d'aprds une verriere du xv siecle, h Saint- Louis -de-Poissy. (Montfaucon, Monuments de la monarchic Jran^ise, II, p. 154.) Leurs clauses finales et leur date se reduisent h la formule suivante : Quod ut ratum et stabile permaneat in fuLurumj presentes litteras sigilli nostri fecitnus iTnpressione mu- niri. Actum ParisiuSj anno Domini millesimo quinquagesimo , m,ense noveTnbri, Les dipldmes, qui devlenneat de moins en moins nombreux, sont toujours rediges" en latin; m^is il y a quelques examples de lettres patentes en fran^ais. (Voy. notamment, au Tr^sop des Charles, la piece J, 198, no 67.^ 536 SAINT LOUIS de ses freres et d'un de ses Ills nous ont servi a donner une id^e exacte des monuments funeraires de son temps. La Sainte - Chapelle , qu'il a fondle et qu'il aimait tant, nous a fourni la matifere de plusieurs vignettes ou Ton trouvera certains types fort importants de I'architecture, de la peinture sur verre et de la sculpture d'ornement. Ceux done qui par- courront le texte illustre de notre livre pourront sans trop d'effort se croire au xiii« sifecle, et leurs regards seront k tout instant frapp^s par la vue des objets mfimes qu'a contemplds I'cEil de saint Louis et que ses mains ont touches. Tel n'est pas le caractere de notre illustration « hors texte ». Celle-ci est artistique; I'autre ^tait archeologique. On sent ais6ment la diffe- rence , qui est profonde. « Faire connaltre toutes les formes que, depuis 12bO jusqu'en 1878, I'art du peintre et du sculpteur a successivement donnees a la repro- duction de la physionomie et des principales actions de saint Louis , » tel a ete notre but dans ces trente gravures et chromolithographies qui sont le plus riche ornement de I'cBuvre de M. Wallon. Nous commengons avec un vitrail de la Sainte-Chapelle, qui a ete certainement execute du vivant de saint Louis, pour ne nous arrfiter que devant le «■ Siecle de saint Louis » de M. Cabanel et devant la statue de M. Guillaume, laquelle n'est pas encore tout a fait achevee. II nous semble que rien n'est plus interessant que ce voyage artistique a travers sept siecles. Voici tout d'abord les monuments de I'art qui nous peuvent offrir, non pas un portrait, mais a tout le moins quelque idee du visage de notre saint. C'est ce vitrail de la Sainte-Chapelle , dont nous venons de parler ; c'est la statue de la Porte-Rouge de Notre-Dame de Paris, qui nous montre Louis IX et sa femme pieusement age- nouilles aux pieds du Christ et de la Vierge; c'est enfln ce buste-reli- quaire qui date des premieres annees du xiv^ siecle , et que la Revolution a jete au feu. Nous nous permettons d'attirer I'attention du public sur la reproduction de ce buste. II ne nous en restait qu'une gravure du xvii« siecle ; mais , par bonheur, les Inventaires de la Sainte-Chapelle en 1S73 renferment une description tres - detaillee de ce reliquaire. C'est d'apres ces pages, trop negligees jusqu'ici, que nous avons labo- rieusement reconstitue, une a une, toutes les pierres, tous les rubis, toutes les emeraudes , toutes les perles qui ornaient la couronne et le collier. Peut-6tre nous saura-t-on gre de ce travail de restitution, qui permet enfln de se faire une idee exacte d'un des plus curieux monuments de notre orfevrerie gothiqufe. Au xiv" sifecle, I'art d6j& prend son 61an et connatt la beaute. Elles ne sont point sans charme , ces images naives du manuscrit du « Gonfesseur de la reine Marguerite » et de Joinville. Elles ne sont point sans valeur, ces miniatures que Ton connalt sous le nom de « portrait de saint Louis J) et de « saint Louis et Bonne de Luxembourg ». Le type de la ECLAIRCISSEMENT IV 537 Wle royale reste toujours a peu pres le mfime, et saint Louis nous appa- ralt toujours sous les traits d'un homme imberbe. M6me type encore au Fig. 220, — « Saint Louis se fait donner la discipline. — Le saint roi donne k manger a un lepreui. i D'aprds des veni^res dn xiv* si^cle, k I'abbaye de Saint -Denis. (Montfancon, Monuments de la monarchie fransoise, II, p. 15S.) xv° siecle, dans le « saint Louis en franciscain » du manuscrit frangais de la Bibliotheque nationale 22297, dans une tres-interessante miniature des Chroniques de Saint -Denis et dans ce curieux tableau de notre 538 SAINT LOUIS Palais de justice, qui a 6t6 si faussement attribu6 k Van Eyck. Cepen- dant voici que le grand art fait son apparition. Rien n'est plus 6lev6, rien n'est plus grand que le « saint Louis » de Fra Angelico, oil plu- Fig. 221. — Le roi saint Louis d'aprds one vieille Image popolaire (xvir BiSde sieurs siScles s'etaient obstinds h voir un Charlemagne. Vittore Carpaccio, de IMcole vdnitienne, ne se tient pas sur de telles hauteurs ; mais il lui faut savoir gr6 d'avoir 6i6 I'un des tres-rares artistes italiens qui aientpense ECLAIRCISSEMENT IV 839 a notre saint Louis et qui lui aient consacre la purete de leur dessin ou la richesse de leurs pinceaux. Avec le « saint Louis et la sainte Catherine » du manuscrit frangais 907 de la Bibllotheque nationale , nous aliens dire adieu a la miniature , qui est arrivee a son plus haut degr^ de perfection ; mais nous nous arracherons a grand'peine au spectacle de ces beaux vitraux de Champigny , qui sent dignes de Robert Pinaigrier, et que per- sonne en France ne connaissait encore. Le xvii^ siecle frangais n'est, Fig. 222. — Graffito du xiir Bi6cle, i I'abbaye de Saint-filUes. comme on I'a dit, qu'une Renaissance plus alignee, plus precise et quel- quefois plus froide. Avec Charles Le Brun , nous atteignons a I'apogee de I'art classique et pur ; Simon Vouet est plus fougueux , mais moins beau , et Ton pent deja se prendre a redouter un commencement de decadence. Cette decadence , helas ! ne se precipile que trop rapidement. L'art du xvm" siScle n'est que gracieux; mais surtout il a brise avec la tradi- tion religieuse des grands ages , et , lorsque I'habile Gravelot veut nous dessiner un « saint Louis enleve au ciel », il ne pent rien trouver de mieux qu'un char, semblable a celui d'Elie, mais etrange et inattendu. Quoi qu'on en ait dit , c'est notre siecle qui a releve l'art religieux. Get art qui etait descendu jusqu'a Gravelot, il va se hausser jusqu'a Ingres, 540 SAINT LOUIS jusqu'a Eugtoe Delacroix, jusqu'a Flandrin. Nous reproduisons les ceuvres de ces illustres, et, parmi elles, quelques-unes qui peuvent passer pour veritablement inedites , comme le carton d'Hippolyte Flan- drin qui reprdsente le « depart de saint Louis ». A ces mattres succedent des peintres et des sculpteurs plus rdcents , ou tout a fait contemporains : tels sont Marochetti , Leloir, Matout, Claudius Lavergne, Olivier Merson, Laugee, Lameire, Cabanel et Guillaume. Aucune de ces oeuvres n'avait encore ete reproduite par la gravure , et les lecteurs du Saint Louis en auront la primeur. La serie est complSte , et Ton pourra se faire une idde vraie des rap- ports de Tart avec la figure de saint Louis. Ce n'est pas a dire toutefois que nous n'ayons dil ^carter de notre illustration certaines oeuvres dont nous aurions voulu ne pas priver le public Chretien. Nous avons 6prouv6 un veritable regret a ne pas repro- duire ici les chefs-d'oeuvre d'un Mignard i, d'un Philippe Magnier 2, d'un Charles DelafosseS, d'un Jouvenet*, d'un GirardonS, d'un Natoire^ et d'un Gros 7. Mais , ne pouvant tout donner, nous pensons du moins avoir donne ce qu'il y avait a la fois de plus caracteristique et de plus beau, Le reste viendra plus tard. Telle est la double illustration d'un livre qui est consacre a une gloire si frangaise et si chretienne ; tel est son caractere. Je m'en voudrais de n'y point mentionner certains elements qui sont plus particulierement scientifiques : ces nombreux dessins de sceaux et de monnaies qui accom- pagnent les Eclaircissements de MM. Demay et de Barthelemy; ces qua- torze fac-simile, qui donnent un modele si precis des dififerentes ecri- tures en usage du temps de saint Louis et des differentes formules de sa 1 CoDpole da Val -de - GrSce. 2 Bas-reliefs des Invalides et dessin i la sanguine , au departement des estampes i la Bi- blioth^que nationale, 3 Conpole des Invalides. ^ Chapelle du chMeau de Versailles. 5 Statue au portail des Invalides. 6 A Saint-Louis-des-Frangais k Rome. ' Coupole de Sainte-Genevifeve. = Parmi les ceuvres du second ordre que nous n'avons pu reproduire, nous devons signaler la belle miniature du manuscrit de la Biblioth&que nationale , lat. 18014 (xtv«si&cle: Derniers Enseignements de saint Louis ^son Gls)^ qui a dejaete repro- duite plusieurs fois ; un tableau de Doyen a Saint-Eustache (saint Louis recevant le Viatique); deux toiles de Hesse h la Sorbonne et de SchefTer i Saint-Jean-Saint-Frangois; une statue de Montagny et une grisaille de Blanc h Saint - Paul - Saint - Louis ; des fresques de Bouguereau et des vitraux de Gsell i Sainte-Clotilde; deux tableaux de Signol et de Glaise h Sainl- Louis d'Antin ; une statue de Calmette ^ Sainte-l&lisabeth, etc. Nous nous sommes , du moins , fait un devoir d'offrir k nos lecteurs, dans cet Eclaircissemeni , la representation d'aprfe Montfaucon des vieux vitraux de Poissy et de Saint-Denis ( fig. 219 et 220) , ainsi qu'une vieiUe image populaire du saint roi qui 6tait jadis colport6e et vendue pour quelqnes deniers dans les villes et les campagnes ( fig. 221 ) , et un dessin , un graffito grossier que la main de quelque gamin du xiii« siicle a orayonn§ sur les murs de la belle ^glise de Saint - Gilles ( fig. 222 ). = II nous reste a remercier publiquement M. Ed. Didron et le tr&s - obligcant Mteur du Diclionnaire d^ architecture de M. VioUet-le-Duc, qui, pour noire illustration « dans le texte », nous ont permia de nous servir de trois ou quatre de leurs excellentes gravures. fiCLAIRCISSEMENT IV 541 chancellerie; et surtout ces quatre cartes si originales et si completes ou M. Augusts Longnon a voulu condenser sa connaissance si 6tendue de la geographie du moyen age... Et maintenant c'est a nos lecteurs de ddcider si cet ensemble est vdri- tablement complet, et s'il leur fait sufflsamment connattre saint Louis et son sificle. Nous ne leur cacherons pas , d'ailleurs , que nous ayions une ambition plus haute. Faire connattre un tel roi et un tel si6cle, ce n'etait pas assez : nous nous dtions propose de les faire aimer. * * Fig. 223. — Ruines de Eoyanmont, en 1878. AOM>I ■^/Ci'AS Fig. 224. — Perronnerie. — Fermres des grandes portes de Notre -Dame -de -Paris. TABLES TABLE DES MATIERES Preface vii Introduction ix CHAPITRE I REGENCE DE BLANCHE DE CASTILLE [. — Premiere Education de saint Louis. — Sacre 1 II. — Revoltes des barons. — Traite de Vendome (1227). — Traite de Paris ou de Meaux (1229) 6 544 TABLE DES MATIERES CHAPITRE II MARIAGE DE SAINT LOUIS I. — Nouveaux troubles : le comte de Champagne secouru. — Le comte de Bretagne soumis. — TrSve avec I'Angleterre. — Mariage de saint Louis. 15 II. — Fin des guerres de barons. — Affaires int^rieures : rUniversite. . . 25 CHAPITRE III VERTUS CHRETIENNES DE SAINT LOUIS I. — Pi6t6 de saint Louis -. 29 II. — Simplicite. — Puret^. — Bont6. — Humility. — Cbarite 35 CHAPITRE IV GOUVERNEMENT PERSONNEL DE SAINT LOUIS. — LA QUERELLE DU SACERDOCE ET DE l'EMPIRE. — LES CROISADES I. — Soumission des comtes de Champagne et de Bretagne. — Manages feodaux. — Affaires ecclesiastiques {Beauvais et Reims) 47 II. — La querelle du sacerdoce et de I'Empire : Innocent III, Othon IV et Frederic II. — Les croisades de 1217 et de 1228. — Honorius III, Gre- goire IX et Frederic II 56 III. — Les Tartares. — Constantinople et la Terre-Sainte. — Nouvelle excommunication de Frederic II (1239) 88 CHAPITRE V LIGUE DE PLUSIEURS SEIGNEURS ET DU ROI d'aNGLETERRE CONTRE SAINT LOUIS I. — Complot du comte et de la comtesse de la Marche 69 II. — La guerre de Poitou. — Journees de Taillebourg et de Saintes. — Soumission du comte de la Marche . . 74 III. — TrSve avec I'Angleterre. — Soumission des seigneurs du Midi. — Paix de Lorris 84 CHAPITRE VI PERILS DE LA CHRETIENTE A l'iNTERIEUR ET AU DEHORS. — INNOCENT IV ET FREDERIC II. — CONCILE DE LYON I. — Les Tartares et les Karismiens. — Prise de Jerusalem, — Saint Louis prend la croix 91 II. — Innocent IV et Frdd^ric II 97 III. — Concile de Lyon. —Deposition de Fr^d^ric II 99 TABLE DES MATIfiRES 545 CHAPITRE VII SUITES DU CONCILE DE LYON I. — Situation de TEurope aprfes le concile de Lyon 103 n. — Continuation de la lutte d'Innooent IV et de Frederic IL — Entrevue de Cluny. — Mariage de Charles d'Anjou. — Nouvelle d-marche de Frederic 11 lOS in. — Nouvelle intensite de la lutte en AUemagne et on Italie : Henri Ras- pon. — Guillaume de HoUande Ill IV. — Pr^paratifs de la croisade .113 CHAPITRE VIII PREMIERE CROISADE DE SAINT LOUIS I. — Saint Louis en Chypre 129 II. — Prise de Damiette .136 III. — Sfijour de saint Louis^ Damiette 1^ CHAPITRE IX BATAILLE DE MANSOURAH I. — Depart de Damiette. — Le Nil. — Le canal d'Achmoun Ibl II. — Bataille de Mansourah. — Premiere journ^e (mardi avant les Cendres) 160 III. — Le roi campe sur le champ de bataille. — Deuxifeme journee (ven- dredi 11 fevrier) 168 IV. — Souffrances de I'arm^e. — Arrivee du jeune sultan. — Premieres nfigociations. — Progres de I'epidSmie et de la disette. . . .... 173 V. — Retraite par terre et par eau. — Le roi fait prisonnier 178 CHAPITRE X LA CAPTIVITE DE SAINT LOUIS I. — La reine sauve Damiette. — Le roi ramene i Mansourah. — Joinville pris aveo ceux qui faisaient retraite par eau. — Sort des prisonniers. . . 183 II. — Traits de saint Louis avec le sultan. — Meurtre du sultan. — Le roi devant les conjures maitres du pouvoir. — Renouvellement du traite. . 193 III. — Execution du traite 201 CHAPITRE XI SAINT LOUIS EN PALESTINE (1250-1251) I. — Arrivee 3 Saint-Jean-d'Acre. — Question du retour. — Depart des fr6res du roi. — Message de Frederic II 209 II. — Saint Louis en presence des musulmans d'Egypte et de Syrie. — II fortifle Saint-Jean-d'Acre. — Message du Vieux de la Montague. — D^livrance des prisonniers d'Egypte. — Lutte des Egyptiens et des Syriens 219 III. — Saint Louis k Cesaree. — Sa conduite en Palestine 226 35 546 TABLE DES MATIERES CHAPITRE XII SAINT LOUIS EN PALESTINE (12S1-1254) I. — Dispositions de I'Occident 4 IMgard de la croisade. — Fin de la lutte d'Innocent IV et de FrM&io 11. — Les pastoureaux 229 II. — Conventions avec I'Egypte faites et rompues. — Saint Louis k Jaffa. — Mort de Blanche de Castille. — Mission de Rubruquis chez les Tar- tares 236 III. — Saint Louis k Sour et a Sidon 243 CHAPITRE XIII RETOUR DE SAINT LOUIS I. — Derniers temps du sejour en Palestine. — Depart 249 II. — Perils et incidents du voyage 233 III. — D6barquement de saint Louis. — Le roi S Saint- Denis; k Paris. — R^sultats de la croisade 260 CHAPITRE XIV GOUVERNEMENT DE SAINT LOUIS. — LA SOCIETE FEODALE I. — La royautS et le clerge 263 II. — La noblesse 268 III. — Les villes et les campagnes 271 CHAPITRE XV ADMINISTRATION DE SAINT LOUIS. — ADMINISTRATION GENERALE — FINANCES I. — Agents de I'administration : grands offlciers, baillis, senechaux et pr^vots 279 11, — Finances. — Droits f^odaux et droits royaux. . . 281 CHAPITRE XVI ORGANISATION MILITAIRE Milice : service Kodal; armfie du roi 285 CHAPITRE XVII I ADMINISTRATION DE SAINT LOUIS. — JUSTICE I. — Juridiction de premiere instance 291 II. — Tribunaux d'appel. — La cour du roi 296 III. — La justice de saint Louis 299 IV. — Travail de la jurisprudence. — Legislation de saint Louis 304 TABLE DES MATIERES 547 CHAPITRE XVIII LES LETTRES ET LES SCIENCES AU TEMPS DE SAINT LOUIS I. — L'Uniyersite de Paris et renseignement public. . . ... 313 II. — Eloquence saoree. — Histoire et geographie. 321 III. — Poesie latine. — Po^sie ^pique ... 323 IV. — Poesie lyrique et poesie 16g6re. — Troubadours et trouvferes. . . 328 V. — Art dramatique. . . .... 336 CHAPITRE XIX LES BEAUX -ARTS AU TEMPS DE SAINT LOUIS 1. — L'architecture ... . . •. . 341 II. — La sculpture 353 III. — La peinture et les vitraux. . . . 358 IV. — Les arts industrials 363 V. — La musique 370 CHAPITRE XX HISTOIRE EXTERIEURE DU REGNE DE SAINT LOUIS DE SA PREMIERE A SA DERNIERE CROISADE I. — Affaires de Flandre et de Hainaut. — Interventions pacifiques. . . . 375 II. — Relalions aveo I'Angleterre. — Traite de Paris (1258) 380 \IU. — Murt du flls aine de saint Louis. — Son fils Philippe et la reine Marguerite 388 IV. — Troubles interieurs de I'Angleterre. — Mediation de saint Louis. . 391 V. — Nouveaux troubles d'Angleterre. — Batailles de Lewes et d'Evesham. 396 VI. — Affaires d'AUemagne et d'ltalie 399 VII. — Conquete du royaume de Naples par Charles d'Anjou. — Batailles de Benevent et de Tagliacozzo . . 403 CHAPITRE XXI SAINT LOUIS AVANT SA DERNIERE CROISADE I. — Foi et devotion de saint Louis. — Sa sollicitude pour ses enfants et pour toute sa maison 409 II. — Bonnes lEuvres de saint Louis 424 CHAPITRE XXII DERNIERE CROISADE I. — Etat des Chretiens d'Orient. — Prise d'Antioche 429 II. — Predication et preparatifs de la croisade 432 JII. — Expedition de Tunis 439 548 TABLE DES MATIERES CHAPITRE XXIII MORT DE SAINT LOUIS I. — Maladies dans rarmSe. — Mort du roi 449 II. — Arriv^e de Charles d'Anjou. — TraiW de Tunis 453 III. — Retour en France. — Canonisation de saint Louis 458 ECLAIRCISSEMENTS fiCLAIRCISSEMENT I Le costume au temps de saint Louis, d'apr^s les sceaux et les miniatures. 463 Costume eccl^siastique 466 Costume de guerre 478 Costume civil 486 ECLAIRCISSEMENT II Les monnaies de France sous saint Louis 493 6CLAIRCISSEMENT III La geographie de la France au xin« sifeole 527 fiCLAIRCISSEMENT IV Sur I'illustration du present volume 533 TABLE DES FIGURES A. ILLUSTRATION HORS TEXTE (GRANDES PLANCHES) REPRODUCTION DE LA PHYSIONOMIE DE SAINT LOUIS PAR LA PEINTURE ET LA SCULPTURE , DEPUIS LE XIII« SIECLE JUSQu'a NOS JOURS " * L — Art gothique (commencement du xiv« sifecle). — Buste-reliquaire de saint Louis i la Sainte-Chapelle Frontispice. * n. — Art gothique (xiii" sifecle). — « Translation des reliques de la Pas- sion; 1) vitrail de la Sainte-Chapelle 14 III. — Art gothique (xiu" si&ole). — " Saint Louis a genoux devant le Christ; » tympan de la Porte-Rouge a Notre-Dame de Paris 24 * IV. — Art gothique (commencement du xiv° sifecle). — o Portrait de saint Louis, » d'aprfes un registre des Archives nationales 40 V. — Art gothique (commencement du xiv sifecle). — « Saint Louis assis- tant aux Heures. — Malades venant prier devant la statue du saint. » Deux miniatures d'aprfes le manuscrit fr. 5716 de la Bibliothfeque nationale. . 86 * VI. — Art gothique (xiv siecle). — « Prise de Damiette, » d'apres le manuscrit fr. 13b68 de la Bibliothfeque nationale 72 * VII. — Art gothique (xiv° siecle). — « Bonne de Luxembourg a genoux devant saint Louis, » d'aprfes un manuscrit appartenant a M. le baron Pichon 88 VIII. — Art iTALiEN : ecole Florentine (xv siecle). — « Saint Thomas d'Aquin et saint Louis ,» par Fra AngeUco 98 * IX. — Art gothique (xv siecle). — « Saint Louis justioier et misericor- dieux, I) d'aprfes le manuscrit fr. 2609 de la Bibliothfeque nationale. . . 114 X. — Art gothique (xv" sifecle). — « Saint Louis roi et franciscain, » d'apres le manuscrit fr. 22297 de la Bibliotheque nationale 136 XI. — Art gothique (xv sifecle). — a Charlemagne et saint Louis, » d'apres le tableau conserve au palais de justice a Paris 146 XII. — Renaissance : icoLE venitienne (commencement du xvi° siecle). — (I Saint Louis, sainte Anne, saint Joachim, sainte Ursule, u d'aprfes le tableau de Vittore Carpacoio 158 * XIII. — Renaissance : ecole francaise (xvi° sifecle). — « Saint Louis, sainte Catherine, un donateur, » d'apres le manuscrit lat. 907 de la Biblio- thfeque nationale 168 * Les chromolithographies sont indiquees par un asterisque. bbO TABLE DES FIGURES * XIV. — Renaibbance : ecole francaibe (xvi" sifecle). — « Saore de saint Louis ;» vitrail de la chapelle du chslteau de Champigny 178 * XV. — Renaissance : £cole francaise (xvi" sifecle). — a Depart de saint Louis pour la croisade; » vitrail de la chapelle du chateau de Cham- pigny 190 XVI. — xvn« single : ^cole francaisb. — « Saint Louis en priere ; ■> par Charles Le Brun 200 XVII. — xvii" siecle : ecole francaise. — « Saint Louis enlev6 au ciel , » par Simon Vouet 216 XVIII. — xviii" sifeCLE : ^coLE FHANQAiSE. — ii Saint Louis montant au ciel, » par Gravelot 232 XIX. — xix« SIECLE : ^COLE FRANgAiBE [les classiques). — II Saint Louis, » carton de vitrail, par Ingres 242 XX. — xix» sifecLE : ECOLE FRANCAISE (les romantiques). — « Bataille de Taillebourg en 1242, » par Eugfene Delacroix 254 XXI. — xix" si^CLE : icoLE FRANCAISE (les classlques). — par Leloir. . . 328 XXV. — Art contemporain. — « Le siecle de saint Louis , » par Cabanel (planche double) 334 XXVI. — Art contemporain. — n Saint Louis et les Capetiens, « par Lameire ..." 372 XXVII. — Art contemporain. — « Saint Louis enterrant a Sayette les cadavres des Chretiens, » par Matout . . 382 XXVIII.— Art contemporain. — n Saint Louis rendant la justice, » vitrail de Claudius Lavergne 392 XXIX. — Art contemporain. — n Les pauvres nourris par saint Louis, » par Laugee 402 XXX. — Art contemporain. — « Saint Louis, » statue de Guillaume. . . 414 XXXI. — Art contemporain. — « Delivrance des prisonniers a Paris, a I'occasion de Tav^nement de saint Louis, » par Olivier Merson. . . . 424 XXXII-XXXV. — Quatre cartes (planches doubles). — 1» France en 1223-1226 8 2° France en 1270 452 3° France eccl^siastique 264 4° France universitaire 318 XXXVI-XXXVIII. — Trois fac-simile de diplomes et-de lettres patentes ^man^es de la chancellerie de saint Louis ( deux planches doubles ; une planche simple) 408, 412, 418 TABLE DES FIGURES B51 B. ILLUSTRATION DANS LE TEXTE REPRODUCTION DE TOUS LES TYPES DE l'aRT AU XIII^ SIECLE I. — ARCHITECTURE RELIGIEUSE Une voiite de Saint-Martin-des-Champs k Paris, type des voutes en pierre qui sont le principe essentiel de I'architecture des eglises romanes et gothiques (fig. S5) 343 La calh^drale d'Amiens, type d'une cathddrale construite sous saint Louis (fig. 56) 344 Plan d'Amiens (fig. 57) 345 Portail de Notre-Dame de Paris (fig. 4) 1 Chevet de Notre-Dame [fig. 3) . . . . vii Sanctuaire de la meme oathedrale (fig. 2) v La Sainte-Chapelle (fig. 8) 15 La Sainte-Chandelle d'Arras (fig. 14) 47 Salle synodale de Sens (fig. 18) 69 Cloitre de I'abbaye de Royaumont (fig. 12) . 29 Ruines de la memeeglise (fig. 223) 541 Hopital d'Oursoamps (fig. 20) 91 IL - ARCHITECTURE MILITAIRE Les fortifications de Carcassonne (fig. 22) 103 La porte Narbonnaise, meme ville (fig. 27) 129 Vue generate et plan du chateau de Coucy (fig. 58 et 59) 348, 349 ChSteau de Coucy, vue partielle, cote nord (fig. 29) 151 Chateau de Villandraut, prfes Bazas (fig. 31). . . 183 Un pont fortifi6,a Cahors (fig. 62). . • 352 III. — ARCHITECTURE CIVILE Une maison, a Provins, dessin et plan (fig. 60 et 61) 350, 351 Maison de Montreal, Yonne (fig. 33) 209 Rue couverte, a Montpazier (fig. 36) 229 Un pont (fig. 62) 352 IV. — SCULPTURE 1° BAS-RELIEFS Jesus-Christ, oathedrale d'Amiens (fig. 7) 13 La Vierge et les anges, a la mfime cathedrals (fig. 11) 28 Meme sujet, a la cathedrale de Paris (fig. 63) 354 Un ange du portail de Reims (fig. 13) 45 Saint Simeon, a la cathWrale de Reims (fig. 17) 67 Tete d'apotre, & la meme cathedrale (fig. 19) 90 552 TABLE DES FIGURES Le Jugement dernier, i la cath^drale d'Amiens (flg. 21) 102 Las Elus dans le sein d' Abraham, k la mtoe catWdrale (fig. 26). . . . 127 Tympan de la Porte-Rouge, a Notre-Dame de Paris (fig. 38) 249 Trois saints, au grand portail de Reims (lig. 40) 263 Trois autres saints, a la mSme catWdrale (fig. 64) 355 Un personnage debout, cath^drale d'Amiens (fig. 28) 150 Tombeau de Louis, fils aine de saint Louis, mort en 1260 (fig. 42 et 44) 279, 285 Tombeau de Philippe, frfere de saint Louis (fig. 66) 358 2° ORNEMENT L'autel de la Sainte-Chapelle (fig. 30) 182 Une rose de Saint-Martin-des-Champs (flg. 32). . . . . 207 Stalles de Notre-Dame-de-la-Roche(fig. 35). ... 228 Un rinceau S Notre-Dame de Paris (fig. 46). . ... . 291 Chapiteau de la Sainte-Chapelle (fig. 37) 247 Autre chapiteau; r^feotoire de Saint-Martin-des-Champs (fig. 39). . . . 262 Dais au porche de Saint-P6re-sous-Vezelay (flg. 41) 278 Piedouche, a la Sainte-Chapelle de Paris (fig. 43). . . ..283 Stylobate, a Notre-Dame de Paris (fig. 65) 357 V. — PEINTURE 1° PEINTURE SUR VERRE Vitrail de la cathedrale de Tours : la Vierge et deux anges (fig. 50). . 313 Autre vitrail de la meme ^glise (fig. 67) 361 Vitraux de Poissy et de Saint-Denys, xiv et xv" sifecles (fig. 219, 220). — (Cf.lestroisgrandesplanohesII,XIVetXV.) 535, 537 2' PEINTURE MURALE Le Jugement dernier, d'aprls lea peintures de IMglise de Tournus (fig. 54). 341 3» MINIATURE II Adam labourant et Eve filant, » d'aprfes le Psautier de saint Louis, con- servfi a la Bibliothfeque de I'Arsenal (fig. 69) 367 II Le Christ dans la gloire, » d'aprfes le m§me manuscrit (fig. 75). . . . 409 " Le Jugement dernier, » d'aprfes le meme manuscrit (fig. 68) 366 II La Mort de la Vierge, » d'aprfes un manuscrit r^cemment donn6 k la Bibliothfeque nationale, et dat^ del250 (fig. 71) 375 II Un baptSme, <> d'aprfes le meme manuscrit (fig. 74) 407 Portrait- image de saint Louis, d'aprfes un manuscrit du xiv sifecle, con- serve & la Bibliothfeque de Sainte-Genevifeve (fig. 81) 460 MSme image sur un vitrail de la cathedrale de Chartres (fig. 225) 554 Miniatures diverses, pour servir k I'histoire du costume sous le rfegne de saint Louis 463 et ss. Trente lettrines (en tSte de tons les chapitres), extraites des Psautiers de saint Louis, de sa Bible, etc 1, etc. TABLE DES FIGURES 353 4° DESSIN Quatre etudes de dessin, figure et ornement, tir^s de I'albuin de Villard d'Honneoourt, arohitecte duxiii" sitele 494,525,531,533 Unflira//i