'no:;;lv CORNELL UNIVERSITY LIBRARY Cornell University Library DC 762.B7M45 =eu le Boulevart du Temple ISI Cornell University Library The original of tliis bool< is in tlie Cornell University Library. There are no known copyright restrictions in the United States on the use of the text. http://www.archive.org/details/cu31924028161416 FEU '■ LE BOULEVART DU TEMPLE RESURRECTION EPISTOLAIRE La reproduction est formellement Interdite. FEU LE BODLEVART DU TEMPLE RESURRECTION ^PISTOLAIRE CHARLES MAURICE Ouoique. Parceque. PRIX : I FR. 25 C. PARIS RUK BLEUE, 19 1863 FED LE BOIJLEVART DU TEMPLE RESURRECTION EPISTOLAIRE Atoi , Ghere Lutece , qui , de si loin , as conquis , pied a pied , de si nobles splendeurs , et dont le moindre souci est un appel au denombrement de tes fideles ! — Ne crains rien , je n'asservirai pas ta patience aux eternelles citations de ton origine, sous la seconde race, ni de Philippe- Auguste agissant sur ton etendue de cent treize arpents et quarante qpatre perches, jusqu'au moindre Decret de 1852. — Mais, d'abord , quelques mots d'introductionpersonnelle. Au fond du Coffre que I'on salt, sur des bribes de vieux papiers jaums,je trouve les plus minutieux details de mes - 2 - premieres recoltes a la fin de chaque jour. — lis atles- tent le gout de ce genre d'etudes qui , pour le rendre utile, Me montra, des quinze ans , le chemin qu'il faut suivre, Leur elassement n'exigepas que j 'use de cebeaudesordre qui serait par trop, un effetde I'art, car ilne s'inquiete ni des dangers du pele-mele , comme chez son driginal , ni de la rigoureuse exactitude desheures, comme surle chronometre ; il va droit son chemin et n'aspire qu'a i'honneur essentiel de la verite dans ses plus intimes rap- ports avec lavraisemhlance. — Quand I'histoire secouesa robe dans une semblable enceinte, on pent lui pardonner d'egarer quelques perles , si elle n'a pas compromis- ses diamants. Retrogradons de peude chose sur lapente des epoques ecoulees oil nous recueillerons ce qu'il faut de points de suture dans la frame que le Temps a tisse sous nos yeux. — A quelle surprise ne pas obeir, Lutece reconnaissante, lorsqu'on voit qu'en un regne, debutant sous de si tristes auspices etfinissant par la plus terrible des catastrophes, des travaux aussi considerables que bien entendus, ont sillonneta surface et tes profondeurs avec cette permanence dont Louis XVI s'etait vaillamment impose la sanction? — Pourt'embellir, t'assainir , te developper, ilafaitpresque - 3 - autantque Louis XIV, unpeu plus que Louis XV (quand meme) et ce qu'aurait fait Napoleon I", qui te voulait de marbre. — G'est done a nous, les possesseurs de ce precieux heritage , qu'il appartient de maintenir dans la solidarite de leur gloire , et sans esprit de partis , tous ces illustres testateurs. Signalons, pour le saisir, de peur qu'il ne s'egare, I'important Mdmoire du respectable comte de Ghabrol, presente en 1825 au Gonseil general du departement de la Seine , sur la necessite « d'occuper la nombreuse classe « d'ouvriersdigne de toute lasollicitude administrative.- Pour laisser ensuite discourir les evenements et nepas ralentir leur marche en t'adressant d'inutiles paroles, Lutece bien aimee ! arretons-nous sur ce pli de ton ter- rain ou vivait naguere un de tes aines les plus proches de nous, ce Tout-Paris des anciens jours, qui se consolait de tant de choses par le charme de certaines traditions. II s'est vivement afflige de la perte de son Boulevart du Temple. — Issu de celui qui fut planteen 1668, la oil etaientles fosses de la ville creuses en 1536, et pave seu- lement en 1777, il avait d'abord ete nomme le Grand - 4 - Boulevart, en attendant I'autre, ouvert a I'orient oppose en 1761. — Toutefois, nousn'avonsaremettreenlumiere ici que la tres-petite portion de son parcours considerable^ puisqu'elle est circonscrite entre le faubourg du Temple et la rue d'Angouleme, ouverte en 1778. — G'etait la seulemeut qu'avant septembre 1862 se trouvaient entas- ses les plus gais,les plus etranges spectacles qui, loinde s'avoisiner pour se nuire, se pretaient unmutuelsecours, et que, par un tacite accord, toutes les classes avaient adoptes pour leur rendez-vous d'immuable predilection. Cettelongue suite de batisses sans regularite,pittoresque, par cela meme, et dont chacune formait soit un temple, soit une echoppe, etait consacree a la bizarrerie des cou- tumes, a la deraison litteraire, mais principalement a I'etude d'existences et de mceurs qu'on ne retrouvait nuUe autre part. — Le passe y avait imprime les traces ebouriffantes de I'imaginative theatrale, ouvrant avec naivete ses portes au progres, depuis la Parade purgee de ses premieres licences, jusqu'au Melodrame s'y dorlo- tant dans son etroit berceau. Dans la revue que nous allons passer sur le front de bandiere de ces troupes alignees et toujours sur pied pour nous assurer la possession de nos meilleurs loisirs, I'in- teret s'affaiblira necessaircment un peu a I'occasion de - 5 - ceux des theatres qui se sont succedes de loin a loin, sur les memes emplacements. — Leurs peripeties nous ayant ete contemporaines, n'ont pas, a notre egard, toute la saveur des evenements anciens, et, par consequent, plus ignores. — G'est pourquoij'en abrege, autant que pos- sible, les reeits. 0.0^ Cw^ La nomenclature, dontle chiffre ne s'elevaitqu'a quatre avantl'annee 1789, commengait, depuis les deux tiers du dernier siecle, a ce coin disparu en 1862, qui touchait presque au faubourg du Temple. — Et maintenant, on pent . remettre en memoire pres de trente spectacles d'especes, tantot semblables, tantot difF6rentes, dont la concentration s'est uniquement effectuee sur cet espace restreint qu'ils ont a jamais dotes d'une renommee universelle. Ge debut se trouvait constate par I'hotel Foulon, dont le maitre mourut la bouche pleine du foin qu'il avait conseille de donner en p^ture au peuple affame et trop memoratif. Sous le meme toit, avait habite, pendant une crise violente, Marie-Joseph Ghenier, le poete qui oublia un moment la calomnie pour chanter Homere, • Si jeune encor de gloire et d'immortalit6. Deja, depuis longues annees, on avait vupoindre, tout aupres, una troupe compos6e de jeunes ecoliers jouant le genre classique, sous le titre de petits comediens FRANQAis. — M"^ Ghameroy, qui fut une danseuse dis- tinguee de I'Opera, s'y etait montree avec succes, dans le genre qe s'attribuait cetheMre. — J'y ai vu representer le Nicaise, de Vade qui faillit me faire mourir de rire. Yenaient ensuite les d^lassements comiques, ouverts longtemps avant la Revolution, et dont la destinee fat d'etre geres par Valcour, I'auteurracteur. — Incendies en 1727. — Reconstruits deux ans apres, sous la condition de mettre une gaze entre leursacteurs etles spectateurs. pour satisfaire au desir des grands theatres. — Admi- nistres en 1794 par Colon, et, en 1796 par Deharme et sa femme, jouant dans leur troupe, oil Potier, Joanny et Joly se produisirent pour la premiere fois. — Assez souvent, malgre la distance, ces acteurs allernaient avec le Thidire de la rue Culture-Sainte-Catherine, b&ti par Beau- marchais. — Tantot, le meme jour, ils commengaient ensemble le spectacle, d'un cote, pour aller le flnir ainsi de I'autre ; o'u bien ilsse mettaient isolement au service - 7 - des deux soirees en jouant un seul role dans chacune. — Potier, deja tres epris de sa profession, se distioguait par son empressement dans ces sortes de cas. En 1804, trois Directeurs reunis y avaient represente le fameux Tremblement de terre de Lishonne , par maitre Andre, le perruquier pour qui Voltaire se mit en frais de plaisanteries peuamusantes. — EnQn, Lapotre, occu- pant depuis 1805, fit la cloture en vertu du Ded-et de 1807, applicables aux theS-tres surabondants. — Le seul sujet, parmi ces exiles, fut une demoiselle Adeline, niece de Deharme, qui jouait chez eux les Jngmuites, et alia remplir les memes roles au Thiatre de I'lmp^ralrice, rue de Louvois. — Un nomme Turcati, enfant de la balle, tenait, aux Delassements , le grand emploi tragique , en partage avec Rene Perrin, devenu dramaturge et presque journaliste. Fremissez, manes des hommes de talent couves sous ce toit obscur ! — Heureusement, il y a loin de 1798 a 1837; maisenfin, acette derniere date, un Nain d'effroya- ble difformite, et qui se faisait appeler Mak-Mok, s'est montre, pour deux sous, a la place d'oii etait parti i'adorable Bourgmestre de Saardaml... — Et puis, dites que la Destinee ne meriterait pas quelquefois d'etre en- voyee aux Madelonnetles I Quelques pas de plus, et nous touchons a la malaga, jeune et jolie Orikalcienne, dont la carriere a fini sous Charles X. — ' Son Pitre etait le vieux Rousseau devant lequel se rencontraient des Gomediens fran^ais tels que Fleury, Dugazon, les deux Baptiste, sans se cacher mu- tuellement le but de leur promenade. — L'insipide Bobeche I'avait remplace par de froides scurrilites qui voulaient betement rappeler I'admirable naturel de Brunet. La salle du faubourg du Temple qu'Astley avait cedee au pere Franconi, le fut, par ce dernier, a ses fils, en 1807. — Apresson incendieet delongues peregrinations, cesecuyers installerent en 1827, leur Theatre du Cirque OLYMPIQUE au Boulevart. — La Direction, passee aux mains de Ferdinand Laloue, qui s'adjoignit apres Adol- phe Franconi et Villain Saint-Hilaire, tomba dans celle de Dejean, qui I'a transmit a son fils. — Ainsi se resume une Odyssce theatrale assez faiblement interessante, et, nonobstant, a laquelle nous reviendrons apres celle que voici. Une conception nouvelle avait produit I'erection du Theatre historique, place avant le Cirque, comma par forme de superfetation dans le nombre, car il n'offrait rien de determine, si ce n'etait I'impropriete de son nom. puisque le repertoire tendait a ne se composer que de sujets romanesques. — De prime-abord, il avait ete ques- tion de I'appeler TMdtre Montpensier; mais le feu s'etait eteint sur I'encens. V LSt41^bl"ique'de-'1848aya;nt|surgi,^ le logement du Cirque olympique se transforma en Opeba national, ima- gine et administre par Adolphe Adam, le musicien de facilite si remarquable. — II s'etait flatte d'y implanter un theatre d'Opera-comique secondaire , desire depuis un tres-grand nombres d'annees, par I'art dontil pouvait agrandir ledomaine, et par la litterature qui s'y adapte. Ni cet artiste, ni les exploitants qui vinrent apres lui, n'y reussirent. Gependannt le vaisseau du Theatre historique, balotte, lui aussi, sur cettepartie d'une merfeconde ennaufrages, engageait les speculateurs a tenter une nouvelle entre- prise. — Edmond Seveste, ayant peut-etre mieux com- prisde quels developpements etait susceptible une idee si favorable a la generalite des interets , avait institue dans cette enceinte un veritable Theatre lyrique. — Ni la mort de cet administrateur, ni I'envahissement du vide qui s'est dechaine sur cette rive, n'ont pu renverser le batiment, c'est-a-dire I'ceuvre des magons, qui I'avaient abritee. — Toutefois la demolition ne s'est arretee qu'un 10 - peuavant cette salle, par I'effetd'un sursis qui renvoie a deux annees, le complement de table rase devant s'effec- tuer jusqu'au faubourg du Temple. — Autre metamorphose dela salle des Franconi ! — Apres un long parcours dans le domaine the&tral administratif, et I'avoir explore entous sens, le chevalier Hostein avait assis son camp surce point abandonne. — Lehardi Paladin, seconde par des evenements publics extraordinaires, y 'faisait luire sur son ecu cette devise outrageusement parlante : TMdtre Imperial du Cirque (subvention reservee et parfaitement sous-entendue). — C'est maintenant sur les conflns du Boulevart de Sebastopol que brille cette 6toile invariablement attachee aux regions les plus voi- sines du Pole. L'Ambigu-Comique continuait la serie, en vertu de sa fondation remontant a 1769. — II debuta par des Ma- rionnettes, appelees les Comediens de bois et remplace en 1771 par une troupe d'enfants qui avaient donne quelques esperances bientot evanouies. — Les encouragements ne leur manquerent cependant pas. lis allerent jusque-la qu'en 1772, ponr desennuyer Louis XV, Mme Dubarry les fit venir a Ghoisy, oil, apres avoir joue des pieces selon leur age, on se risqua a leur faire begayer des jovialites tant soit peu graveieuses. — Par un secret res- - H - pect de I'enfance, Sa Majeste I'Inamusable-second vouliit bien ne se permettre de Miller qu'a la sourdine. En 1784, Dorfeuille et Gaillard, dej^ a I'affutdes Di- rections thetoales, et servis par le pouvoir oppressif que venait d'obtenir I'Opera sur les petits spectacles, se firent adjugercelle de rAmbigu-Gomique. — La redevance de ce theatre fut de 12,000 fr. par an pour I'Opera. — De cette annee a 1785, Audinot exproprie alia ouvrir un theatre au Bois de Boulogne, -r- Mais a la fin des douze derniers mois, Lenoir, arrive a la Lieutenance generale de police, le remit en possession definitive. De son etablissement, a I'annee de 1830, ce theatre a passe par treize Directions, dont la premiere, celle d' Au- dinot, s'etait prolongee jusqu'en 1798. — Survint celle de Corsse, dont il sera question plus loin. — Depuis 1830 jusqu'a 1862, huit autres Directeurs ont joue aux barres sur I'esplanade du Boulevart Saint-Martin, ou V AmbigurComique (incendieen 1827) habite depuis 1829, tres bien dirige par de Chilly. — Jusque-la, le commun des fldeles ne manquait pas de rendre instinctivement hommage au souvenir de Fin venteur en disant touj ours qu'ilallait « chez Audinot. » Ce meme theatre a, jadis, degrossi deux artistes de valeur, Michot et Damas arrives a la Comedie frangaise, 12 — I'un par son naturel inne, I'autre par son travail opini&tre. — Bonne note sur ses etats de service. II est juste d'y ajouter, en partage avec ceux de Ni- colet, qu'en 1777, ces deux Directeurs donnerent, au benefice des incendies de la foire Saint-Ovide (place Ven- dome) une representation qui trouva de genereux imi- tateurs. — Rappelons aussi qu'en 1789, I'hospitalite de la salle de Nicolet fut acquise aux Bouffons Italiens, po_ litiquement chasses du theatre du chateau des Tuileries. — De pareils faits doivent etre soustraits, par nos ar- chives, a Finjurieuse obscuritedu boisseau, Sans etre bien fixes sur les dates, on s'est arrete a celle de 1760 pour I'epoque oil I'acteur Nicolet ouvrit son theatre. — Mais il est certain qu'apres avoir et6 jouer a Ghoisy, comme Audinot, il obtint en 1772 le privilege des Grands Dariseurs de corde du Roi; tres-^heureuse addi- tion a ses spectacles ordinaires, et pour I'amelioration de laqiielle il envoya chercher en 1775 des sujets Jusqu'en Espagne. Gonsignons aussi qu'en 1786, V Ambigu-Comiqm et/es Dameurs de Nicolet donnaient encore des spectacles dans les salles des foires Saint-Germain et Saint-Laurent. - li - Quelques mots seulement sur le fameux Singe qui attira la foule en 1767, par malice contrela personne de Mole maladeet dont touts la capitale s'occupait. L'aventure en est rebattue. — Mais on n'a pas rapporte ce que dit Mole en apprenant cette inconvenante singerie : « Si le& betes s' en melent, la comMieest encore plus malade que moi. » II est plus curieux de rappelerZa Bourhonnaise, chan- son ultra-triviale, qui fltfureur en 1768 chez Nicolet, et dont I'auteur etait I'abbe de Lattaignant. — En 1796 elle trainait encore sur les Parades. Ge fut en 1792 que le titre de Theatre de la Gaiete remplaga celui de Theatre de Nicolet. — Trois ans apres, Ribieetant Directeur, y substitua celui de Theatre d'j^mu- lation. — En 1798, la veuve de Nicolet reprit le nom adopteen 1792. — Ribie revint, fit une premiere fortune avec Madame Angot, une autre, en 1806 avec lePied de mouton, et finalement, ceda en 1808 la -place a la demo- lition de la salle. — Reouverture vers la fin de la meme annee. — Puis, avenement de quatre autres Directions, pour aboulir a I'incendie de 1835 sous Bernard-Leon. — Nouvelle reouverture, neuf mois plus tard, et, depuis lors, une succession d'administrateurs plus ou moins ebruites. Ici se presente une annotation necessaire. — Des his- - 14 - toriens qui n'ont point vu, raisonnant a propos de deux pieces retentissantes , imputent la propriety de chacune a celui des auteurs qui iie I'a pas fails. — La premiere Madame Angot, type rejouissant des femmes enrichies par la Revolution, vraie poissarde en bonnet monte, est Tou- vrage de Maillot , et son meilleur. — La seconde , Madame Angot au s4railde Constantinople, estdn chevalier deMalte, Aude, lepere des Cadet- Houssel, quienabroche, tout d'une haleine, le canevas au cabaret. — EUe fut donnee a rAmbigu-Comique alors que Gorsse en ^tait Directeur. — Le Gomedien, quiaurait exactement repre- sente il signor Pulchinello a visage decouvert, s'etait in- carne dans son personnage feminin. — Ses yeux vifs, sonnez en bee acorbin, savoix canarde, ses gestes ener- giques, sa robe a grands ramages et a paniers, le ren- daient superbe d'observation populaciere. — Les deux pieces ont fait egalement fanatisme, avec cette difference dans les resultats, que Ribie avait bouzille son million, et que Corsse garda le' sien.- Je ne puis terminer ce chapitre sans parler de la reus- site incomprise du Pied de Mouton , enigme du premier jour et que ne put meme expliquer le charlatanisme dont Ribie sut toujpurs faire un grand usage. — La mise en scene de cette vieille parade etait d'une stupidite revol- tante. — On y voyait Nigaudinos enleve par une double corde a puits accrochee a son dos sous les yeux des - 15 - spectateurs, et gambadaat au-dessous de la toile plate qui flgurait un aerostat, — Ge n'est pas une semblable pauvrete de moyens qui a dufaire le succes. — Geoffroy ya-t-ilcontribue en se servant, dansses compte-rendus, des termes de cuisine autorises par le litre, et en cher- chant a interesser les houppes du palais au partage des titillations dites : a la Pouletlel — Dumenis, le Niaiscon- vaincu, yetait-il pour beaucoup? — La Clio du Boulevart du Temple repondra a ces interrogations. — Gertes, I'au- teur faisait bon marche de la grossiere ebauche dont, en 1860 nous avons vu les amplifications chatoyantes reussir avec un bonheur si malheureux pour le gout de notre temps. — Ce n'est done pas a lui qu'il faut s'en prendre. — Mais ses plagiaires devaient- ilsle remercier par la seule relati6n de son nom sur raffiche? — Second exemple de ce fait, depuis quelques annees. — En bonne police litteraire, il y aurait la beaucoup a dire. — G 'est a la date de ce Pied legendaire que remonte I'enormite des caracteres typographiques sur les affiches de spectacles. Ribie Invenit. Et, pour conclusion des choses en saillie relatives au Theatre de la Gaite, Marty a joue, en 1830 le tole de Fenilon dans la piece de Chenier. — J'y etais. Tout comptait dans les plaisirs qui s'additionnaient sur - 16 - ce Bpuleyart ; les theatres se montraient soucieux d'y cultiver meme les plus simples. — Un sieur Desvbyes, dej^ age, dansait rAnglaise dg,QS les entractes, avec un bras allonge en serpent le long d'une baguette, et les hanches d'une souplesse assez problematique. — - Son exibition ne participait en rien de I'interet de la scene ; elle ayait lieu brusquement et sans preparation. — Son cos- tume, qui ne trahissait aucune connivence avec la perfidy Albion, consistait en une petite veste portant de legeres traces d'une broderieButrefoispailletee, unpantalon col- lant, decouleur insaisissable, un cliapeau de marin fan- taisiste et des fers aux talons de ses souliers de feutre gris. — Gomme il vivait mal de ce pauvre metier, il s'etait si bien fortifie au jeu de billard que sa reputation en ce genre, caramboUait avec celle du fameux Persico. — Le public aimait Desvoyes au point de le demander quand il n'en etait pas question et malgre le silence de I'affiche. A ce propos, etpour ramasser jusqu'aux moindres brins des reputations que le vent a balayees' sur ce Boulevart, disons que Frangois, le continuateur de cet itaZien,' etait garconau 0'a/VDM6ois,attenant aux DSlassements Deharme. — On I'a vu ensuiteattirer,au Palais- Royal, les amateurs de la haute societe qui accouraient pour voir les bril- lantes parties engagees entre lui, le Paysan, M. deNanteuil Administrateur desMessageries,etc., etc. — Aujourd'hui, prive des difficultes dont I'adresse reclame le benefice, [7 — ce mhle jeu se pratique k la course et comme par' des ecoliers qui font, sans s'amuser, de la petite geometrie buissonniere. Du haut en bas, le sang belliqueux de cette epoque s'infusait dans les jeunes tetes. — Les grands succes de la gloire nationale rendaient plus chatouilleux le point, d'honneur personnel. — On ne plaidait pas, on se bat- tait, justice sommaire ne courant point le risque de punir un trait d'esprit par la ruine de son auteur, ni de kisser insulter les honnetes gens qui travaillent par une bande de fripons qui mendient. — Pour aller plus vite en besogne nous avions etabli notre arsenal sous le comp- toir du Cafe de la GaiU, oil chacun se procurait I'occasion do regretter, le lendemain, les fanfaronnes inconse- quences de la veille. L'origine la plus basse, la plus obscure de toutes celles dont il s'agit dans ces souvenirs du Boulevart du Temple, fut la naissance du Theatre des Associes. — Elle datait d'un Grimacier de tres-mauvais ton, etde ManonneMes p\ir sang, comme on dit aujourd'hui de ce qui n'a pas subi les modifications imposeespar le mouvement general. — Lie a un autre Banquiste, ce Gontorsionnaire forma, en 1768, et dans une baraque, le gros d'acteurs d'oii vient 2 - 18 - la denomination de ce theatre. — En 1774, une salle remplaga la baraque, et Beauvisage ( d'autres ont dit : Visage, tout court ) acteur soi-disant serieux, se chargea de gouvemer rassociation. — Malgre la tenue nouvelle de cette compagnie, il y conserva la Parade exterieure qui la maintenait dans sa classe. — Puis, il resigna sea fonctions enfaveur de Salle, I'Arlequin heureux de fouler les planches d'Orosmane en n'humiliant que jusqu'a certain point I'orgeuil du Grand Turc amoureux. — En 1793 il fallut s'appeler le Theatre Patriotique, et deux ans apres, fermer les portes, a la mort du pere Salle. — La position precaire du filsdece dernier le fit engager dans un theatre voisin, comme simple acteur qu'il etait. Une croix rouge serail ici dans son lieu, puisque nous voila en face du Oafd Turc ; mais on n'en doit parler que pour ne rien oublier des faits de toute nature accomplis sur.ce Boulevart, et laisser a Fieschi son entiere famo- site scelerate. — Ge n'est pas ici une histoire que j'ecris, c'est un regret que j 'exhale. Les memes portes avaieni, ete rouvertes,ala demands des estimables epoux Prevot inaugurant I'idee d'un Theatre sans pretention, oil, pour mieux dite, d'un petit commerce se fourrant dans une boutique jadis achalandee. — La modestie de I'enseigne disait virtuel- - i9 - lement la qualite de la marchandise, d'abord, parce que le Directeur jouait beaucoup de pieces de sa composition, dont sa femme etait le plus curieux ornement, et qu'il exergait toutes les professions relatives a la marche d'un theatre. — Celui-ci, atteint parle Decret de 1807, lit de vains eiTorts pour se relever. — J'ai regu, au Ministere de rinterieur, sous M. Guizot, le malheureux Prevot, sollicitant toujours sa reintegration, et soulage dans sa misere par les bienfaits d'une partie de la Garde natio- nale de Paris. — Du reste, faute de mieux, on n'a parle de son brimborion de spectacle que par respect pour les susceptibilites de I'histoire. Dans ces murs s'etait amenage un de ces negoces an- nongant un projet pour jnieux couvrir I'execution d'un autre. — Persuade qu'il ne seraitpas tout de suite trou- ble dans son dessein, le maitre du Caf4 d'Apollon avait joue quitte ou double en repr^sentant des pieces ecour- tees, morcelees pour deguiser le peu d'importance qui pouvait leur rester, car I'Autorittj commeiigait a s'in- quieter de ces empietements. — L'ancienne suprematie des grands theatres en rcatiere de privileges, ne deman- dait pas mieux que de renaitre ; mais I'esprit du temps continuail de s'y opposer. — G'etait pourtant quelques idees d'ordre qui avaient decide la cloture de ce theatre au bain-marie. . Encore a la meme place, vers 1816, on avait investi du — 20 — privilege de faire danser sur la corde I'acrobate rivale, sans s'en douter, de I'illu'stre Bearnais^ de par ce vers, un peu dementibule : La seuleAoni le peuple ait garde la ni6moire. Le Theatre de madame Saqui, profitantdes circons- tances, s'etait aventure jusqu'a donner des pieces de toutes sortes ; mais le susdit Decret, assez different de celui de 1791 , avait mis bonordre a ces fantaisies d'exten- sion extra-funambulesque. Bien avant tout cela, une ombre de theatre s'etait pro^ jetee sur cesol qui, sans avoir I'ambition que comporte ce titre, ne s'en croyait pas moins le diminutif le plus interessant. — 11 se nommait le GafS Yon; precurseur en cela qu'il a^, le premier, donne asile a la ChansonneUB) devenue pour nous un supplement d'entr'acte dont jamais spectateurs senses n'ont eprouve le besoin. — L'analpgie de sa petite estrade avec une avant-scene de theatre, sufQsait a I'illusion benevole.des habitants du Marais, heureux d'y aller, le soir, rever comedie pour tout de bon. Meme Cafe-theatre que dessus, dans le reduit ouvert - 21 - par le Cafi Godel, portant egalement le nom de son pro- prietaire. — Gelui-la n'avait rien neglige pour que I'en- terrement de dame Chansonnette y fut deflnitif. — II a fallu tout ce qui s'est passe intra, comme extra muros, dans le domaine des coulisses, pour que, depuis longues annees, on tirM de son cercueil ce ridicule squelette d'un des premiers nes de Tabarin. Au bruit discordant de deux violons racles a I'interieur, le hasard faisant qu'au dehors , Laharpe demandait a Dalayrac ce qu'il y cherchait, le musicien lui repondit : « Des accents vrais pour mes Petits Savoyards. » — « Et « vous vous inspir.ez a I'Olympe des Quinze-vingts » repli- qua rhypercritique ; « il faut avoir de la facilite a reven- dre. « — Gelane semblait-ilpasdejapresagerqu'a56ans, Dalayrac mourrait en laissant 56 ouvrages ? Une Ecoles'etait produite tout aupres en 1777 par les soins de Teissier, et sous le titre d' Sieves pour la danse de VOpira. — II esperait appeler a lui les jeunes gens attaches k ce spectacle et dont la reunion s'est nommee depuis leMagazin deVOpka. — Teissier n'y reussit point, quoique, en 1778, il eut pris la denomination de ThSdtre. — En 1780, il ceda cette affaire a Parisot, qui n'y fut pas plus heureux et ne put eviter, dans le courant de cette - 22 - meme annee, la cloture par ordre de Louis XVI. — On n'a retrouve qu'une bien faible trace de ce profane college. — Dans tous les cas, 1' execution de son idee n'avait pre- pare en quoique ce fut, I'Scole royale de Chant, de Decla- mation et de Dame fondee en 1784 par M. de Breteuil, laquelle, a son tour, devintle Conservatoire, grandement ameliore sous Napoleon 1". A la Revolution, cette salle fut ouverte, sous le nom de Vari4tes amusantes, gerees par Lazzari, I'ltalien a qui Ton devait les transformations gceniques instantanees et multiples, tatit a I'egard des personnages, que relatives aux decors. — Les pantomimes avec ecriteaux, bande- roles, transparentsetjetsd'artiflce yetaient forts courues. — Je me rappelle avoir ouvert de grands yeux a celle i\'Ariston. — Ge Directeur, qui n'etait pas tres-jeune, se chargeait toujours du role d'Arlequin et y deployait une adresse merveilleuse. — Son importation, detruite par le feu en 1798 ne trouva personne pour en reconstituer les agrements particuliers. — A la verite, nos Thedlres de drames (specialitesde notre Ere) nous donnent des fan- tasmagories quelquefois equivalentes, mais tristes. Le Cabinet de Monsieur Curlius s'etalait a cote, non sans viser aussi a I'efTet thefitral par la pose, I'expression et les costumes de ses figures de cire representant les heros - 23 et les heroines en tout genre, selon les a peu pres des esquissesqu'on en avait repandues. — J'y ai vu Cartouche Tessemblant comme deux gouttes d'eau a ce qu'on m'avait donne pour le bon Lafontaine. La Reclame est bien entichee des soi-disant decou- vertesqu'elle depose partout, malgre tantdede/ensesinscri- tes sur les murs, et cependant son Homme-afficheesl encore bien loin de Tindividu forme sans le secours des abeilles, que Ton Yoyait a I'entree de cet atelier ceramique. — L'immobilite de toute sa pers'onne, notament de son visage et deses mains, ne provoquait aucune remarque. — Et pourtant quelque chose attirait tons les regards sur ce mannequin dont les levres, les yeux, les cils ne bronchaient pas. — Et puis, d'une heure a I'autre, la statue s'animait....G'etait un homme, un Boheme, une Annonce, une Rdclame en chair et en os ! — Ce proto- type d'inertie physique abdiquait toutes sesautres facul- tes pour gagner vingt-quatre sous par j our. — Quel encou- ragement aux gens qui se tremoussent ! G'est encore a la porte de cette collection d'acteurs inanimes ques'etait enrouel'antepenultiemedes Aboyeurs, charges de stimuler a etripe poumons la curioslle des descEuvres ; et ce fut chez Seraphin, au Palais-Royal, que le dernier poussa ses exclamations desobligeantes. - 24 - Dugazon, passant par la avec Dozainville, ce Trial de rOpera-Comique, s'ecria ; « Tiem ! voila Mademoiselle Raucourt avec Madame de Piennes, » — « Quoi d'^lonnantl repondit le roi des Mascarille, est-ce qu'on ne regoit pas ici les deux sexes ? » Presque au meme endroil avait surgi, en 1822, une idee mal digeree, venant se resoudre en un theatre sans objet realisable et porteur du nom de Panokama dra- MATiQUE. — (Euvre concue par Taylor, elle suait par tons ses pores I'impossibilite d'une reussite. — Un rideau de glaces, au lieu d'une toile d'avant-scene, fragmentait le Public en hachures inbumaines, et achevait la reunion des bizarreries desagreables. — Introduit par I'inventeur, le successeur de Charles X etait venu a I'ouverture, por- tant sous le bras I'engin de precaution contre le mauvais temps. — Bouffe et Serre, le desopilantvoleurde I'Aiiberge des Adrets, s'yetaient fait connaitre, unique circonstance attenuante de I'ennuyeux delit. — En outre,, Duponchel y essaya son penc^nt a draper des costumes appropries a des decorations agagantes. — Deux ans et un q^uart avaient suffl al'existence de ce thecitricule. Dan's ce perimetre, et presque sur les meme assises, s'etaient installes les nouveaux niLAssEMENxs comiql'es, avec toute I'assurance qne mettait Ferdinand-Laloue - 25 - dans ees sortes d'affaires. — Le vice redhibitoire de cette salle avait ete de ne pouvoir jamais contenir assez de spectateurspourcouvrir les fraisjournaliers.— Des-lors, on en aurait pu faire une petite boite a surprises. Des hommes en faveur, sous un gouvernement facilej s'etaient cotises,en 1831, pour donner aux Titis un spec- tacle a leur portee et de signification litteraire absolu- mentnuUe. — Hen sortitunpeu moins qu'un non-sens, mais un pen plus qu'une mauvaise entente des aspirations de la famille ouvriere. Les folies dramatiques, dirigees d'abord par Leopold, et donnant, petit a petit, de I'elas- ticite a leur autorisation, ont quitte le sol natal sans avoir interesse personne parmi les dispensateurs de suf- frages honorables. Toujours sur le meme trace, nos Grands-peres avaient assiste aux timides essais des Eleves de Thalus, renou- veles des anciens Beaujolais du Palais-Royal, avec cette distinction que ceux-ci avaient commence par de grands acteurs de bois, parmi lesquels s'etaient infeodes de petits vivants, et que Monseigneur de Beaujolais n'etait plus la pour proteger le tripot en miniature transports sur le Boulevart. — Cette seconde tentative inoculait done, par recidive, le virus theatral dans les veinqs de quelques enfants derobes a I'apprentissage des travaux - 2G - utiles. — Gombien d'infortunes sont nees de ce trafic sur I'adolescence pouss6e vers un etat dont elle ne com- prend les dangers que lorsqu'il n'est plus temps de les eviter ! — Que d'exemples alarmants on en pourrait citer, meme encore aujourd'hui ! Mais que servi- raient-ils ? Les Protecleurs ne sont pas changes depuis Gresset. — Du reste, ces jeunes victimes de Thalie n'ont rien eu de commun avec I'Ecole de dMamalion que M. de Duras a fait ouvrir en 1786, dans I'iriteretde la Gome- die Frangaise, et que Talma a peu suivie. On a recueilli, dans le meme lieu, la rencontre de Flins des Oliviers disant a M. de Ghimene: avous venez » — non, repondit I'amateur tragique, « je reviens ; on « n'est pas du monde si Von ne se monire ici de temps en « temps, J'espere bien y amener notre ami de Florian ; fy " vols irop de hups, pour qu'il n'y dicouvre pas quelque « Bergebie. Ce n'etait peut-etre pas loin de la que GoUin-Harleville apercevant David, lui dit: « Vous venez chercher des mode- les 1 et que le grand peintre repondit, avec sa rude fran- chise : « je n'aurais pas le temps d'en Irouver, j'aime ame coucher de ionne heure. » Enfin.surla ligne ou se terminait jadis I'enfilade de ces constructions rivales, s'etait ecarquille le Lyc^e dra- - 11 - laiique. — II siegeait vis-a-vis la rue Chariot el le ladran bleu, traileur de grande reputation. — La sienne le fit pas grand bruit. Aussi ne lui prit-on que la moitie le son titre lorsqu'en 1788, on creusa, litteralement, lans le jardin du Palais Royal, le Lycee, voue aux Pan- omines a spectacle, et le premier nid des aigles de ;elebrite melodramatique, pour finir par un incendie m 1792. La fortune du Boulevart du Temple souleva de nom- jreuses jalousies, quelquefois secondees, qUelquefois ■eprimees par les Autorites superieures. — En 1760 un ;abaretier des Porcherons, le sieur Jiamponneau, qui livertissait scs pratiques par d'ignobles farces, souvent ixecutees sur des tables, essaya dese comparer, et dut Dientot retourner a ses casseroles. A une premiere representation chez Audinot, Fonte- lelle et Madame de Tencin, arrives les premiers, atten- laient que M. de Buffon se presentat dans sa logs qui ouchait a la leur. — Aussitot qu'il y parut, Fontenelle ui prit la main en disant : « Du style Monsieur le comte, oujours et partout ! » — « si Von me chicanne, repondit n riant le grand naturaliste, fen fourrai dans les chiffres lemes fermages, » Puis, Madame de Tencin, que ce dernier aluait selon les regies, le lui rendit en formulant ce com- - 28 - pliment d'une recherche assez elegante : « Monsieur de aBuffon a I'art de mettre du style jusque dans ses reverences. « Mercier , le Dramaturge-Pleurard , plaidant, encore en 1776, contre la Comedie-FranQaise , heurta, dans cette promenade, le coude de Preville sans pouvoir I'eviter, at en disant : « Esl-ce quevous venez consulter lefou qui vend « de la sagesse1y> El vous, ripostale prince des Gomlques, '< la linghe qui vend des mouchoirs^ » En la meme annee, Gilbert, le poete satyrique, et Mo- line, celui de I'Academie royale , devisaient, les yeux beants, au milieu de cet encombrement de plaisirs stu- peflants, quand le premier dit au second : « Nous regar- <• dons une mauvaise caricature des deux tableaux de votre « opera d'Orphee ; mats les Diahles y abondent plutdt que les « Ombres heureuses. » — « Ajoutez, repondit Moline, que n les tambours, les cymballes et les clarinettes ne nous rap- « pellent pas beaucoup la musique de Gluck. » En ce moment, onze heures du soir sonnaient au foyer d'Audinot, et le fumelix eclairage du Boulevart etait dans sa plus obscure demi-teinte, lorsque le melancoli- - 29 - ue Gilbert, tirant k. lui Moline, completa graeieusement mrs observations artistiques en declamant : ■ Tristes apprets, pales flambeaux, Jour plus affreux que les tenebres I (1). Touche de I'etat de denument ou je voyais Moline a I fln de sa vie, j'engagea,i Grille a le proposer au Minis- •e de rinterieur pour un secours immediat. — Dans ce at, j'invoquais naturellement le plus remarquable ou- rage de mon protege sans le savoir, Orphh. — « Orphee, me dit le Chef de bureau , ce n'est pas •,sez. >■ — « Au contraire, lui repondis-je, il a faim et c'est MP. •' Malgre I'envie, les acteurs du Boulevart n'avaient point craindre le For-l'Eveque {Forum Episcopi). — Quoi- I'ils fussent, a defaut de legislation speciale, resso'rtis- (1) Ce fait m'a §t6 contepar Moline, auxJeunes Eleves en 1805. - 30 - sants du Bon plaisir, il n'etait pas de jurisprudence administr9,tive qu'oQ leur infligeat cette reclusion mo- mentanee.^Mais il y avait, a leur egard, comma envers certains auteurs, chez las Comedians frangais, uh Fade d'imperiinence avoue et plus a redouter pour eux que toutes les lois ecrites. — Ua biscayen de la Bastille I'avait assez violemment d^chire ; cependant il en resta lung- temps des traces, et nombre de gens assurent qu'il en voltige, encore des miettes dans I'espace. — Ge For-l'E- veque, qu'on a dit sitae rue Saint-Germain-Lauxerrois, etait affecte a i'aristocratie theatre-militante des servi- teurs de I a Maison du Roi. — II fut supprime en 1780, sous M. Necker, et la Boutevart oublia les mauvais vou- loirs pour en celebrer revenemant, bien persuade, du reste, que ses peccadilles anverraient, encore moins qu'au paravant , sas sujets a la Force, qui remplagait la pri-. son dramatique. Plus que toutes les cabales, le contre-coup d'un sue- ces de vogue faillit paralyser un moment celui du Bou- levart du Temple, propremant dit. — Jeannot, sous le masque da Yolange, culbuta toutes les renommees pari- siennes en attirant, cent fois au Theatre du coin de la rue de Bondy, le soir, les Plebeiens, at, la nuit du meme jour, les Patriciens. — Mais les Battus ont enfln oesse de payer Vamende, les interstices survenus dans la masse, se sont repeuples, et quand on s'est demande si ce relour - 31 - itait de la preference, chacun a repete, plus congmment jue I'original : « C'en est. » L'affluence eut aussi un mouvement d'hesitation a I'ou- verture du Wauxhall d'ete, voisin dangereux, etabli, en 1785, rue Sanson, domicile du Bourreau ; ce qui fit dire au Paillasse Becquet : « II pent nous fouetter, mais nous nen mowrrons pas .) » — La proximite n'empecha point le Vauxhall de grandement reussir ; mais pour ie Bou- levard de tous, ce ne fut qu'une legere panique ; on s'y etait promene, on s'y ecrasa. Ce sujet de conversation m'ayant, un jour, amene a dire a Picard Tamusement grave que j'y avais trouve, et combien, en remnant le Kaleidoscope, il m' etait apparu d'analogies avec le monde trie. — < Certainemeni, me <• dit-il, 6lez-en le nombre, quelques dissonnances et les " moeurs du temps, ce sera kA petite vu,oe d Venvers. » Sur ce meme motif, Carrion-^Nisas me fut moins indul- gent, « Pour avoir vu la tout ce que vous diles, m'a-t-il :< souvent repete, il faut que vous ayez eu de bonnes lu' •> nettes. » '~~ «5t vousy aviezele, lui repondais-je , vous seriez re- - 32 « tourni plus d'une fois chez voire opticien. •> — homme politique, militaire et litterateur, Nisas avait beaucoup entendu, beaucoup retenu et beaucoup ecrit. — Nous I'appelions une citerne d' anecdotes. Encore sur le meme objet, Luce de Lancival nous ra- contait ce qu'il tenait de M. de Parny. — Get epoux, alors mysterieux, de Mile Gontat, avait cherche a la distraire par une pointe vers le Boulevapt du Temple. — Aubout d'un quart d'heure, la grande comedienne, minaudaint deja un projet de mal de tete, dit avec nonchalance : « Cest comme une de nos representations gratis, s'mon que « noiis n'avons pas besoin de crier pour faire de Veffet. » — La remarque immolait assez legerement, les prome- neurs a la sagacit6 du public qui ne paie pas sa plade. Sous le titre du Sottisier, un livre de critique plus ob- scene que spirituelle, fit, en 1780, un bruit dont le famri de la foule n'eut point a souffrir. II devint, au contraire, par la comparaison de ses franches allures,avec le cynisme de cet ecrit, leDkameronle plus interessant a frequenter. Ge fut sur cette plage oil les Modes allaient embarquer leurs cargaisons et amonceler leurs epaves, qu'en 1791 - 33 - eclata la revolte qui laissa sur le carreaa I'habit de ville hahille, la poudre h poudrer, I'^pee bourgedise, les ta- lons rouges, le vermilion vegetal, les jabots, les man- chettes, les boucles de souliers et toutes les couttimes sans raisonnement, les superfluites genantes. — Le cou- rage de ces premieres reformes et les resultats qu'elles deciderent meritent bien que I'ingratitude ne puisse point les passer sous silence. Pendant le cruel Mver de 1777, quelques partisans dii plaisir coute que coute crurent pouvoir entreprendre des courses en traineaux sur le Boulevart le plus autorise a fairs des extravagances, et qui ne fut pave qu'a cette epoque. — Mais I'opinion ne les approuva point. — Les faux allumes sur les places publiques, la neige faisant concurrence aux statuaires par des reproductions de res- semblances royales,le fleuve devenu d'airain, le commerce en lethargic, la ville entiereplongee dans un engourdisse- ment fatal a toutes les intelligences, et lamisere presente decretant la misere a venir, s'opposaient a des manifesta- tions d'une pareilleinopportunite. — Le train passa el ne reparut plus. Plus frivole et non moins acceptable puisqu'il frappait sur un ridicule aveuglant, le blame des coiffures pyrami- dales prit, d'abord, le plancher des theatres secondaires pour tribune. — Le Boulevart du Temple donna le signal. - 34 - — Non qu'il ne regut pas avec courtoisie les dames du grand monde qui s'y fourvoyaient en le plaisantant. — Mais il assaisonnason urbanite de chansons epigramma- tiques qui entamerentlefeu roulant dont les arts coalises poursuivirent la mode exuberante. — La caricature , traversant le detroit, leur fit sentir la premiere les poin- tes de ses aiguilles anglaises. — Puis nous, puis d'autres et jusqu'a I'Opera dont le Reglement, signe Devismes, prescrivit a ses spectatrices I'etiage admissible pour les debordements de leurs avalanches capillaires. Larive etant du dernier bien avec Sophie-Arnould, la conduisit, un jour, au Boulevart du Temple, et lui de- manda ce qu'elle en pensait. — La mutine courtisane repondit a sa maniere : « Ily a id trop de femmes comme « il faut, cela me compromet. » Lors deses premieres-escapades, c'est-a-dire longtemps avantsa conversion, Piron s'ymontrait assidument. — Se trouvant nez a nez avec Saurin qui lui dit, en style de r^poque ; « Paresseuoe ! il aime mieux secouer les grelats « qu'imbovcher la trompettel » — Oui, repondit le mo- « queur, pane que, avec lesgrdols,^ on pent tenir sonverre, « tandis que lejeu de la trompette empeche de baire. » - 35 - En reprenant le chemin de nos modernes annees, au fur et a raesure que les theatres du boulevart du tfmple perdaient de leur importance, des speculateurs en den- rees nutritives s'incarceraient sous un coin de leurs au- vents et detaillaient, pendant les entr'actes, force recon- fortants pour les eslomacs dont une impatiente curiosite avail un peu trop abrege le diner. — L'un de ces Yefour au grand air, nomme Parent, etait a la fois acteur dans Ja salle et patissier sous le hangar. — On juge de son cre- dit, en ville, unissant les honneurs de I'artiste a la consi- deration du cuisinier ! Je parlais a Mile Mars de mes excursions au Boulevart tin Temple. — « Mot, me dit-elle, d'un certain air pique, «je nysuisallie qu'une fois, et personnene m'areconnue. » — Je comprifftout de suite I'abstention du his in idem. L'abbe Delille, presque aveugle, insistait, devant moi, pour que safemme leconduisit a ce qu'il appelait, deme- moire, le Pandemonium divertissant. — « Vous n'ypourriez « rien distinguer, lui dit-elle. » — '■ « Eh hien, repondit-il, « d V inflexion des voix, jeverraipar les oreilles. » G'est du charmant ecrivain qui precede que je tiens les faits suivants : - 36 - Duclos et Gondillac voulnrent, en 1752, que J.-J. Rous- seau traversftt seulement le Boulevart du Temple. — Pendant qu'il realisait ce desir, le grand homme se con- tenta de hausser les epaules et de hocher plusieurs fois la tete, sans interrompre leur conversation dont le sujet etaitle mot faussement aitribue a MmedeSevigne sur: Racine et h cafe. — Remontes dans leur fiacre, ces mes- sieurs avaient parle d'autres choses, sans que Jean-Jac- ques s'en flit apercu, lorsque, soudain, il s'ecria, d'une voix pleine d'amertume, et comme s'adressant a lui- meme: « Cest v/ne calomnie, done, ellevivra. » En 1756, Mme de Pompadour, engagee par M, de Ghoi- seul a voir le Boulevart du Temple, s'y refusa ; mais ce^ lui-ci lui ayant dit; « II faut tout connaitre, saufachoi- « sir, » elle se decida. — Lorsqu'elle y fut, aux inter- rogations du Due, elle repondit, de son air aristocrati-- que, mais alors bien inspire : « II semble que la Cour et la Ville se soient donnS lemot pour renverser la cloison. A I'occasion de cette Marquise que son Cure assistait a ses derniers. moments, on a consigne le mot de resi- gnation : « Attendez-moi, monsieur, nous partirons ensemble. » Un tres mauvais plaisant de I'epoque a pretendu , sans - 37 raison, qu'il y avail 6te repondu par ceux-ci c « Impossi^ « ble, madame, nous ne prenons -pas lamemevoiture. » " Jevous y prends, » dit un jour M. de Lauraguais en saisissant la main de Dazincourt, au tournant du Boule- vart! — « iffonDim, om', reponditl'aimable comedian, /at « suivi de loin 31. le marquis de Moncade, el je viens voir » comment il s'encanaille. » M. de Villette, rencontrant \k Palissot, lui disait: « J'ai « ecrit a Voltaire que nous ^ommes ici dans una conti- « nuelle jubilation » — « Que vous a-t-il repondu ? » — ■< Juhilezl En 1782, Linguet allait entrar au spectacle de Nicolet, lorsque un homme lui dit brusqueihent ; ■< Un dSlit com- Kiiiisa bonne inlention, est-il un deliti » — « Bienplus, » reponditle mordant avocaten se precipitant dans lasalle, •' c'est une sottise. » Turgot et Gondorcet ayant fait la partie d'aller voir le Capitaine Jacquot, un peu ti-op vante pour un singe, le - 38 - premier demanda a son ami, reveur sur le rebord de la loge, ce qui le preoccupait. — En apprenant qu'un pro- tege de Condorcet avait ete supplante pres du Ministre dans la poursuite d'un emploi, « c'est cela, dit Turgot, nous traversons un ruisseau pendant I'orage, et nous voulons « passer tons a la foissurlamemeplanche. » Lemierre voyant, en 1792, Mile Montansier arriver sur le Boulevart au bras de Neuville, courut lui proposer d'ouvrir le nouveau theatre par sa Veuve. — « Volontiers, dit lemari en disponibilite. » Si mademoiselle peut trou- ver des acteurs qui parlent « le Malabar. » Freron allait passer la porte de YAmbigu, quand M. de Beaunoir, accompagnant Mme de Genlis, le tira par la hasqud de son habit en lui disant : « Vous n'avez pas eu " votre indulgence ordinaire poUr I'ami Dorat. « — « CSlail mon opinion, reponditle terrible feuilliste, el, vous « le savez, je suis carr4 comme un d4 ajouer. >• — >■ Eh bien ! « rephqua la doucereuse personne, il n'y avait pas d'in- « convenient a couper un petit peu les angles. » Dans le meme endroit, en 1767, Sauvigny regardait a la vitrine d'un libraire, le portrait de Clement, le jour- - 39 - naliste, a I'instant ou celui-ci s'en approcha. — « Mon- sieur, lui dit-il avec colere, vous voyez Que, par I'art imitie, vous pouvez plaire aux yeux. « Si vous savez voire Boileau , repondit i'lncUment, « moi, je sais mon Virgile, et je dis, de tout ce que vous « crivez : Procumbithumi bos. — A pedant, pedant et demi. A la nuit, Ghevrier et son ami Latte, causant avec ani- mation, furent accostes par Dumoustier. — « Nous par- " Ions litterature, dit le second de ces messieurs, etnous « additionnons les avantages de la conspiration par le si- « lence. » — « Incalculables , reprit Ghevrier , car elle « amene I'assassinat par Visolement. » — « Pouah ! » fit I'honnete Dumoustier, et il se sauva comme s'il fuyait des pestiferes. Tout meurtri des suites d'ua proces, Beaumarchais, tres-echauflfe, causaitsur le Boulevart avec Mirabeau. — On les suivait, dans I'espoir d'attraper quelques-uns de ces mots qui faisaient fortune. — Ce que voyant, le plaideur irrite, et setournant tout a coup vers les curieux, il leur jeta ces paroles stridentes : « Cest unfaitaverS dans I'his- « toire, le rot Cambyse avait du hon. » - 40 — Grandmenil, de la Gomedie-FrariQaise, y amena une seule fois Mile Dumesnil, Tadinirable femme qui meditait sur son art, tout en faisant des has. — EUe ne parut Frappee que du bruit qui I'assourdissait, et dit, avec son laisser- aller ordinaire : ■< Sij'mais celadansmon voisinage, jene « pourrais pas tricoter ma. tragHie. » Ce fut la aussi que Baptiste Cadet, seduit par un boni- ment splendide, n'osait entrer dans^un spectacle que s'il recevait I'exemple d'un de ses voisins, vieux monsieur a cheveux blancs, velours noiret canne apomme d'or. — II le suivit ; mais bientot ne sut plus quelle contenance te- nir, lorsqu'il vit son venerable guide se retourner brus- quement et crier d'une voix formidable : « Prenez vos « billets au bureau ! prenez vos billets ! » Je reviens aux moutons de mon propre troupeau. On ferait un gros livre de toutes les appellations im- meritees et que la Gent, plus ou moins belante, va reper- cutant d'Olympiade en Olympiade, sans jamais en justifier I'application, ni meme en chercher I'origine. — Le Heros que nous celebrons ici en a, plus et plus longtemps qu'au- cun autre, ressenti la blessure. — Notre siecle commen- - 41 ~ gait que, deja.le Palais et la Chaumiere le surnommaient LE BouLEVARTDU crime! —Pourquoi ?. . . PourquOi aussi, ne I'avoir point plus logiquement appele le Boulevart de I'in- nocence, litre que nul assurement ne lui aural t conteste? — Oubien le Boulevart de la Vertu, puisqu'il n'existe pais un seul melodrame ne des entrailles maternelles les plus renommees, qui se soit acheve sans offrir le triomphe de la jeune vierge allegorique et le chatiment du Traitre ? — lis ont toujours laisse le renversement de ce principe a la Muse tragiquTe, qui s'est constamment tiree d'embar- ras par le fer et le poison. — N'insultez done pas sa me- moire, 6 vous qui, desormais , en parlerez sans ravoir cohnu ; defendez plutot la cause de ce Boulevart si mal- heureusement defunt, el diles a voire poslerile : // aimait tr&p Paris, c'est ce qui I'a tue ! Marmontel, arrete, lout pensif, devant I'affiche de YAm- higu-Comique , ful mielleusemenl aborde par Gailhava. - - « Les jolis Contes que vous nous donnez ! Pourquoi « pas en vers , comme vous les faisiez autrefois? » — >< Je ne me fie plus aux ecluses, •• repondit sechement le pehseur au poete coulumier des inondalions alexandrines. Grimod de la Reyniere, rhomme aux etrangetes d'ac- tions et de paroles, interroge, a la meme place, en 1781, 42 - par Diderot, sur ce qu'ils avaient devant les yeux, r^pon- dit : •> Jecrois faire le reve bizarre de deux Schantillons cou- « p4s en plein drop dans la society parisienne, pour habiller « un Polichinelle. » Un vieillard des plu^ forts en souvenir, qu'on appelait le Conteur, nous rapportait qu'en 1756, sur le Boulevart du Temple, on avait assiste, dans un cafe, a I'entrevue soudaine de Saint-Foix avec Saint-Georges, ^ges, le pre- mier, dQ 77 ans, etl'autre de 54. — Incites, malgre cefte distance, a se mesurer amicalement, ils y avaient con- senti, en se retirant dans une piece voisine. — « Ge fut « alors, ditle narrateur, le plus in teressant spectacle qu'on <> put voir en ce genre. La gr^ce du Nestor des armes et la " solidite de YUlysse des duels etaient admirables. — Les « feintes, leS attaques, les parades et les ripostes se sui- « vaient avec une prestesse etonnante ; et les bravos, qui « n'avaient pas cesse d'eclater, redoublerent quand on vit « Saint-Georges, evidemment superieur, presentant, par >< la garde, son fleuret a son adversaire, en lui disant : « Ne continuons pas,je suis 4bloui. » Le jugement de Salomon 6tait un long melodrame, qui occupait toutela soiree. —Apres la premiere representa- tion , I'acteur Joigny demandait a Ducray-Dumesnil son - 43 avis. — « J'aiete fache, reponditle romancier, que leroi « des Juifs revint sur sa sentence ■,j'entturais eu assez de la « moitie. Sur la perte du Mimodrame, perte infinitesimale, j'en conviens, un mot ne sera pas de trop, puisque tons les jours on se baisse pour ramasser une epingle. — Done, que le pardon du passe le suive a jamais dans I'eternite ! Cuvelier, le promoteur de la Pantomime equeslre^ aimait a parcourir le Boulevart en compagnie deMlle Dumou- chel, tres-jolie artiste muette, portaat une redingote mili- taireboutonneejusqu'en haut, commelui-meme, quietait un tres-bel offlcier. — Un questionneur sans ouvrage rece- vaitcette reponse de Vicberat, I'acteur : « Le grand, c'est Cuvelier, et le petit, c'est Dumouchel, » lorsque Hector Ghaussier, qui passait, dit tout haut : « El vice versa. » — Sans doute , pour exprimer I'etroitesse de leur intimite ; Formoswn pastor, Corydon ardebat Alexim. Mile Leroi, de VAnibigu-Comique, venait d'epouser Tou- char4, 1'entrepreneur des petites messageries quiportaient son nom. - « Est-elleheureuse, dit, ace sujet, sacama- rade Eleonore, « 'de pouvoir se promener, en meme temps, « dans quinze voiiures ! » Dorvigny, I'auteur qu'on disait ne de Louis XV, etait gros et court. — Un sot vantait la simplicite de ses ma- nieres, ayant une pareille origine. — « En effet, dit Ca- maille Saint-Aubin, « c'est un homme tout rond et tout ■■ NATUREL. » Au Caf4-Vincent (de la Gaite), Stocklet disait a Raffile : « Marty doit etre bien fatigue de chanter qu'il ne connait « point d'olslacles. » — Un monsieur qui y venait tous les jours, articula cette phrase : « 11 serait a desirer que I'au- « teur en rencontrS,t beaucoup , s'il voulait recommen- « cer. » — Martainville , qui jouait au domino dans un autre bout de lasalle, bonditsur son tabouret, en disant au partner : « Oh, oh I on tire sur nous la has. « — Puis, s'adressant au censeur : « Dites done! grace, s'ilvous plait, « pour les diseurs de bStises, une seule fois, par hasard, tnon- « sieur l'habitue — ! » L'epithete courut, et le pauvre homme, poursuivi par elle, pritenfinle parti de deguerpir. 11 faudrait une encre desinfectante pour raconter le fait repoussant que la verite nous arrache. — Le principal acteur d'un de nos theatres circonvoisins tenait, aux,en- virons du Palais-Royal, une mauvaise maison, dont la chambre que Ton croyait la plus introuvable, revela au Commissaire du quartier un secret, du reste, assez pi- 45 - quant par le scandale meme. — Elle renfermait une per- sonne du monde lepluseleve, caasant.... Avecqui, s'il vousplait?...LeMiiiistre de la police ! —Tirons le rideau! Au foyer de I'Ambigu, Picardeaux, auteur et acteur, disait qu'Arnaud-Baculard sentait la misere. — Une toute jeune figurante lui ayant fait cette question ingenue : « Quelle est done cette odeur-la, Monsieur ? » — « Cest, « Mademoiselle, lui repondit-il, la seule, entre toutes, qui « ne laisse approcher personne. « On ne salt quelle race d'hommes, venus de la Beotie parlabutte Montmartre, avait baptise Fresnoy du titre de Talma des houlevarts. — II s'ytrouvait aulant de res- semblance qu'entre le lion du desert et le moucheron des Tuileries. — Quoiqu'il en fut, et apres avoir pris ses me- sures, Mile Duchesnois, a quide plus niais encore avaient voulu comparer Mile Leveque, alia, un jour, prevenir son camarade, qu'elle le conduirait le lendemain a I'Ambigu, oil tons les deux s'amuseraient. — Pendant la represen- tation, Talma regarda de toute sa vue basse, etecoutapo- liment. — Plus impressionnable , la tragedienne s'agita sur sa chaise, interrogea du regard I'emotion des specta- teurs, et se leva en disant : « Je ne suis pourtant pas si « bourgeoise que cela ! Et vpus, mon cher ami ? -—Toute - 46 la reponse de Talma fut : « Pour ce brave homme, ilest clair « quemonnom n' est qu'un sobriquet. » Puisque nous tenons le Sobriquet-poignard, ne per- dons pas le fusil a deux coups dirige sur Pixer6court denonce en qualite de « Corneille du Melodrame, et sur Gaigniez, accuse d'en etre le Racine. » — Ges lentatives de meurtre ont revels une violence au-dessus des deux pre- cedentes; mais, pour etre plus lugubres, elles n'en sont pas moins gaies. En 1822, Mme M9,rtainville, chanteuse de tres-peu d'e- toffe, faisait partie des Concerts du dernier Wauxhall. — Destains, de la Gazette de France, donnait un jour a en- tendre a son confrere que le journaliste etait pour tout dans cette affaire. — « Je le sais, repondit Martainville, Us font semblant de croire queje chante par le gosier de ma femtne. » La Mars du Boulevart, ou, moins ridiculement, Mile Adele-Dupuis arrive, une fois, a la repetition en deplorant la mort de sa perruche. — « Elle samit mes rdles, a pouvoir les jouer en double. » — « Heureusement que notre Directeur n'y perdra rien, exclama Mile Simo- net, puisqu'il conserve le chef d'emploU » - 47 - Gette meme Adele, k laquelle s'interessait I'homme qu'on avait autrefois surnomme le beau Dillon, et qui etait prive d'une main, le comblait de soins. — Un Regis- seur ayant manque de respect a cet elegant vieillard, « Prenez garde, lui dit-elle, il n'y vapas de mainmorte! » Goffin-Rosny disait qu'avec I'esprit queMartainvillede- pensait dans les cafes du Boulevart on ferait une biblio- theque... « choisie« ajouta malignement Pixerecourt, le coUectionneurde beaux livres et de bouquins excellents. Blondin, a qui Tautin demandait pourquoi Revalard s'adonnait plus a la pantomime qu'au dialogue, repondit : " G'est qu'il a plus etudie le telegraphe que la gram- maire. » — Pas taal, pour le Nicolas de Mme AngoV. Motus sur Debureau, le Pierrot chez lequel je n'ai pas saisi les motifs de la grosse envie de rire qu'il excitait. — Vice d'organisation. La n^cessite de ne rien taire ordonne derappeler I'hal- lucination qui a porte trois des acteurs ayant paru dan* - 48 - cette localite, a disposer de leur vie. — Basnage, Joseph et Raymond ont fl6chi sous cette defaillance et seche par la I'interet qu'avaient inspire leurs antecedents. — Plaignons-les pourtant, le suicide est de la cecite. A cet extrait necrologique, il faut bien joindre la perte de Bordier, le meilleur des comediens d'Audinot, pendu en 1789 , a Rouen, et qui, dit-on, plaisanta jusque sur rechelle. — Cette rumeur sans preuves, rentre d'ailleurs dans leshistoires ranees etfaslidieusesauxquelles iln'est plus temps de revenir. Ge n'est paS moi, le fanatique de Moliere (comme ils le disent) qui -verserai des larmes sur la degringolade de ces pretendus theatres dont la seule vue choquait les regards sous les denominations de Petit-Lazari, Funamhules, etc;, avec des Galimafre pour Premiers comiques, et des ra- vaudeuses pour Gelimenes. — Leur suppression ne me- rite que des actions de graces. — Quoiqu'il en soit, di- sons pour que la conscience fraternise avec le scrupule, ■ que I'heritier par desherence du veritable Lazzari, avait commence par des Marionnettes, et qu'en 1830, il obtint d'y substituer des creatures de bonne volonte dans I'art de parler le frangais fantaisiste. — II n'en a eu que plus de merite en renongant a la renaissance, pour s'en tenir a la raisonnable indemnite de la Ville. - 49 - Mais on a parle, on parle encore a satiete d'inventions dans les precedes de rindustrie (pardon du mot!) de I'execution dans les moyens pratiques entre le Public et les Directeurs de spectacles du second ordre. — Point de faiblesse sur les etriers, enfourchons bravement le grand cheval de bataille ! En fait de mise en scene, au point de vue des tentatives } et de la progression, il est de toute notoriete experimen- tale, que le Boulevart du Temple, en particulier, pouvait en reclamer les initiatives. — Pen d'exemples suffiraient a le prouver. — A I'Ambigu-Gomique, un interieur de fa- mille attendrissant et le premier essai de I'emeute devas- tatrice, dans Galas (ce que Gasimir-Delavigne a introduit dans la Popularite). — Le clair de lune du Songe. — La clarte du soleil dans le Belveder. — Les arbres transplan- tes, et I'eau courante reelle, dans la fork de Smart (1). — Un Brouillard presque dramatique, etc. — Au Thea- tre de la Gaite, le debordement des eaux, dans laFille deVExiU; unrealismeincroyabledansla Prison de New- gate, etc. — Au GiRQtJE-OLyMPiQUE regenere, d'effrayan- (1) A la vue de ceruisseau limpide qui couraitagite par de petites branches de bois et d'herbes rencontrees sur sa route, la femme d'un journaliste se sentit vivement saisie d'une soif quele garcon du foyer dut aussit6t satisfaire. — Et nombre de personnes con- vinrent d'avoir eprouve la meme sensation. - 50 - tes transparences dans le Deluge, et tout ce qu'il a rajeuni de vieilles' machines. — Enfin Lazzabi, pour les opposi- *tions intelligentes et rapidesde ses trues exempts de depenses excessives. — Avec tout cela, il fallait alorsdes ' especes de drames, et meme desplus corses, tandis que maintenant on s'en passe, ou bien c'est toujours I'edition sans yariantes , illustree des souvenirs de Servandoni expurges par ceux du Diorama. — Et pour comble d'hon- neur dans ce parallels impartial, on ne connaissait pas alors les pieces a femmes, ce progres de notre temps qui ' meriteraitles Galeres. Or, il est difficile de ne pas admettre la distance qu'il y a entre I'invention naissante et limitation qui perfec- tionne, d'ou il resulte que le prix devrait etre au moins decerne ex aquo. — S'il est risible qu'a la Gaite, Jeanne- d'Arc ait, jadis, montre cent-cinquante fois sa cuirasse en toile a tablier de marcband de vin et bordee d'un brillant galon de fauteuil, cela prouve que dans une ac- tion theMrale, I'interet a toujours ete le principal, et le reste, s'il est convenablement adapte, un accessoire. — Des chassis et des reflecteursne vaudront jamais des per- sonnages et de bon style. — Pour etre plus chaudement vantes, les Clowns a la mode ont-ils a se glorifler de sau- ter plus haut que le Petit Diahle de Nicolet? — Et n'est- ce pas qu'en se coiidamnant aax illusions d'optique dont I'inamovible Lanlerne magique a depose le germe dans - 51 - une boite, on deprave le gout, on fausse les aptitudes, on etoiiffe enfln le reste de vie que pourrait encore avoir I'art de Moliere ? — Si Brillat-Savarin vivait, il dirait aux chimistes culinaires de nos spectacles en vogue* •< Vous « n'imaginez rien ; nous faisions a courte sauce, et vous « dMayez. » — « Mais pour tout le reste, Copie! Archi- copie ? comme dit le Fougere de Fabre-d'Bglantine, et litterature de pacotille ! Le Boulevart du Temple, ce compost de tons et qui vivait delui seul, avait ses parchemins, saraison d'etre, sa constitution privee, son atmosphere, ses excentricites pour protectrices aupres des fous, ses enseignements pour excuses aupres des sages, et le droit du Privilege pour territoire. — Si dans les' pa,rties ebourrifantes de ses epanchements, on pouvait trouver a reprendre, il echappait du moins au reprocbe d'hypocrisie, et pouvait dire (sauf I'inconvenance locale du rapprochement) comme Napoleon P' : « ma politique n'est pas tortueuse. » — Les Parisiens en faisaient les honneurs aiix etran- gers; d'illustres voyageurs Font gratifie de leurs visi'tes. — En 1777, Joseph II, I'Empereur d'AUemagne, ne te- moigna pas le desir d'y garder son incognito ; il dit a une femme qui I'aborda familierement: «Passez, ma helle, ce X n'est qu'un Tudesque. » De 1780 a 1791, on y a constate la presence flatteuse - 52 — et satisfaite de Montgolfier, de Mesmer, de Lavoisier, de Gagliostro, qui n'ont pas refuse leurs remarques a I'in- fluence sociale de son caractere exceptionnel. — L'am- bassadegr ,am6ricain, Franklin le celebre, I'avail sur- nomme le Club des Quatre-Ndtiom. Tous , enfln s'etaient livres aux etonnements ra- dieux et philosophiques que soulevait I'egalite sortant de ces agglomerations di verses. — Peut-etre fut-ce dans cet ordre d'idees que Mme Geoffrin, donnant le bras a d'Alembert et ralentissant le pas, avait dit a son cavalier : " Marchons moins vite. » En 1756, M. d'Argenson, qui venait de resigner le porte-feuille, etait alle, avec Machault, se distraire a la piece nouvelle du Boulevart. — Le hasard voulut que, juste a I'instant ou ils se plagaient, I'acteuren scene de- roulait cette grosse phrase : « La premiere' chose a faire, « poivrim nouveau ministre, c'est d'apprendre a neplus I'e- « tre. » — ■< Ah\ afe ! dit M. d'Argenson en s'asseyant, « nous retov/rnons a Vicole. >■ — « Ecoutons , repondit « Machault, ce sera notre pensum. >> Onvoyait tres sou vent Watteau au Boulevart du Tem- ple. — Un jour, Vigee raccoste en lui designant I'assis- tance et disant a I'eminent artiste : « Pas le moindre sujet « de trumeau ! « — On ne peut point icipmser a la peintwe, - 53 - « repond Watteau. >- — « Eh mais ! que faites-^ous done « a regarder tout cela^ » — » Je lis. » En 1781, Houdon, qui terminait son magnifique buste deMoliere, s'y promenant avec Ducis, ce dernier luidit: '< Ah \ si votre Poquelin acaitpuvous accotnpagner, quelle « chasse il ferait id ! » — « Celui-la ? repondit I'artiste, « il trouverait du gibier'^'partout. » Les hauts fonctionnaires avaient paru, de temps a au- tre, sur ce Boulevart, pour s'assurer de I'execution de leurs ordres, et s'enetaientfavorablementexpliques. En 1777, de Sartines; en 1784, de Calonne, et en 1785, Lenoir avaient eu des sourires pour les epanouis- ments de ce que ce dernier^ appelait la Cohue barioUe. On y a vu, en 1787, le due de Ghartres, devenud'Or- leans, comme on yavait, anterieurement, reconnu le Re- gent, aussi peu deguise que Dubois, son Alter ego. — M. Necker, qui estimait alors a 600,000 les habitants de Paris, disait, en regardant ce Teniers en action : « C'est « mele, un-peubien tumultu^ux; mais ilsy passeronttous. » line fois, I'abbe Sicard, arrivant par la chaussee, s'e- - 54 - tait bouch^ les oreilles en s'ecriant : « Tout^ ce monde-la " n'apaslesoin de mes services ; mais, dans qmlque temps, <> une des deux moiii4s les I'Mamera par la faute de I'au- « tre. » J'economise le temps par le simple rappel des divertis- sements de moindre consequence, tels que les Grimaces de Thiemet, le P%sionomane, les Physiciens sans physi- que, lesSauteursa ciel ouvert, les Tyroliens de Pontoise. — Et sur la bordure, en plein accaparement du pave, le Chameau genupliant, I'Ours civilise choregraphiant, I'Avr- vergnate accompagne par le Sapajou-violoniste , et le nombreux et brillant Etat-major du Suisse rouge mar- chand de vulneraire, au son des plus glapissantes fan- fares, etc., etc. — Tons offrant le choix entrela constante occupation des yeux, ou quelques crepitations impor- tunes sur la membrane du cerveau. Dans nos plus fortes secousses, leBoulevart du Temple avait ete le seul terrain neutre de la capitate oil les par- tis allaient faire treve a leurs dissensions. — Si I'on y entendit crier un instant, le Journal a deux liards, ce ne fut que pour surcroit d'hilarite. Chenier, descendu de son appartement, prenait I'air en - 55 - discourant avec un Terroriste bien connu, dont il es- sayait de desarmer la fureur a grand renfort de citations historiques. — Sa reponse fut saisissante a la question de cethomme, lui disant.- « Bahl qu'est-ce que I'histoirel — « Cest le flambeau le plus resplendissant et qui ne se « consume jamais. » Robespierre y etait veuu, seul, p3,le, taciturne et Iceil injecte. — II n'avait pas profere une parole. — Sans doute, il revait la Pompe triomphale pour son maitre. — On auraitlu sur le devant du char : « Je mudrais que « les Remains n'eussentqu'uneseuletele. » Si la Guimard traina plusieurs fois ses falbalas sur ce passage de tout le monde, entouree du groupe courti- sanesque de ses assouvis ; si tant d'autres I'ont foule sans pudeur: en revanche, deshommes les plusaffirmes par les recommandations de la faveur publique. Font ouver- tement hante. — Gretrys'y plaisait comme s'il eut feuil- lete une partition des premiers ages de la musique. — Beaumarchais assurait qu'en sortant de chez lui, de ces grands murs d'oii s'elangait une plume d'or en sautoir sur un globe bleu d'azur, et qui disaient aux passants : Ce petit jardin fut plante L'An premier de la liberie, — 56 tout pres du faubourg Saint-Antoirie, diit-il prendre le plus long, ilconsacraitvolontiersMn hon quart d'heurekla. traversee de ce Royawme des sauls p^rilleux. » II ne faut pas plus faire meilleures quelles n'etaient les choses.quiont cesse d'etre, que celles donton pent veri- fiers tout instant I'existence. — Incontestablement, il y avait du noir (comme on a pu le remarquer dans le cours de ce recit) surces enluminures ternes ou scintillantes. — A ce raout cosmopolite, comme ailleurs, on se mar- chait surles pieds, on se querellait, on se menagait dela flamherge, onjouaitdespoingset du tibia, onappelaitla Garde, on tui-lupinait le Gommissaire, on escamotait les bourses, on battait les cochers, on abusait de I'ebriete permise, ony chantait si voixun peu haute, despoemes que n'aurait pas soupires I'heroine deCdlardeau (1), et les gens arrives en chaises a fleur de terre, commengaient a s'emanciper contre les IFMis a trois etages. — Mais, en fait, comme ce n'etait pas precisement le jardin del'Eden, il n'en resultait que des inconvenients passagers et prevus, opposes a des amusements sans cesse renouveles. — En somme, sur quelle zone de la sphere terrestre, le (1) En 1759 le poete, que son ami Barthe engageait a faire le tour du Boulevart du Temple, repondit, avec toute sa candeur : « Abeilard me le defend. » 57 - Mai ne s'impose-t-il pas, dans I'esperance d'assomb;rir la lumiere du Bienparsajalouseopacite? C'est la que Fourcroy ayant dit a Lalande : « Mon cher, « ce n'sst pas ici le Sens-commim qui hrille, et que I'astro- nome lui r^pondit : « Justement, fen suis a mon chapitre des Eclipses. •< Enfi», et, pour compeaser les eloges, c'est la encore que le doute malicieusement exprime par Vade, resta sans replique. — Gubieres-Palmezeaux voyant venir a lui ce linguiste des Pilliers , I'aborda en ces termes bouffis : Quoi ! vous ici, Seigneur, et qu'y venez-vous faire, « cen'est pas laBalle? — « Est-ce aussi Men'. « repondit Yade. Le dernier de la dynastie des Vestris avail recueilli I'heritage au grand complet. — Sa vie se promenaijt dans le cbemin conduisant, de chez lui, k I'Opera, et de I'O- perachez lui. — Gar del, le cboregraphe, le determina ce- pendant, en 1807, a franchir cette muraille imaginaire - 58 - our aller auBoulevart du Temple. — La, a chaque in- Brrogation, il re^ut cette reponse faite avec un stoi'cisme nebranlable : « Je n'y comprends rien. » — Agace par le iconisme de son spartiate, Gardel le ramena et lui dit , n le quittant: « Je vous expliquerais bien pourquoi nous ne nous sommes amuses ni I'un ni I'autre ; mais vous n'y comprendriez rien. » — Et Vestris ressauta ;aiement par dessus sa petite muraille, pour-.reprendre 'instructive activite de ses exercices. S'il avait pu arriver seulement jusqu'au foyer public le I'Ambigu, il aurait entendu M. de Menneval raconter ;e" fait recent. — Napoleon, dont Talma attendait uneau- lience, le voyait venir, d'une fenetre du Carrousel. — 3es que le tragedien se presenta : «■ Savez^ous , lui dit < I'Empereur, avec sa simplicite noble, que voire voiture < est plus helle que la mienne ? » — « Malgricela, Sire, re- :< pondit le grand artiste, ce ne sera jamais quune voiture, < tandis que I'autre sera toujours un char. » Au debut de cet opuscule, j'ai dit qu'il se coraposerait de bribes recoltees sur Iq lieu meme que je voulais res- 5usciter, — mais la plupart de ces paperasses surannotees prises a la hate et sous les premieres impressions de la jeunes'se, quoique melees, depuis, aux resultats d'une - 59 - etude plus reflechie, ne se pretaient pas facilement au besoin d'un ensemble supportable. — EUes assimilaient non intervention au mouvement de la machine a coudre, en ne laissant a I'amour-propre de la plume que le simple merite du labeur. — II n'est done' pas etonnant que le moteur s'etant un peu derange, je sois oblige de pro- ceder dans la forme du point-arriere, pour que I'exac- titude soit ici la marque de fabrique. Or, reculanta 1778, je retrouve Audinol voulant jus- tifier le renvoi de deux actrices qui ne lui convenaieni plus, s'appuyer de la boutade ' a laquelle venait se livrer Dazincourt et qui avail fait sensation sur les sommites. — « La Com^die Frangaise est le haras ou ces messieubs « mellent en pension leursvieilles jumenis. » Yers 1811, quelques gens de lettres dissemines vou- lurent fonder au Boulevart un cenacle qui aurait ete comme une sorte de petit Cafe-Procope. — Pour en for- mer le noyau, ils penserent a celui qu'occupaient, rue Vivienne, aupres du Theatre Feydeau, Etienne, Beranger, Evariste-Dumoulin, Nanteuil, Annee, etc. — Mais ces Messieurs etant la dans le quartier de leurs affaires, ne purent se determiner a se deranger, et le projet tomba dansl'eau. - 60 - Enfin, rattrapant un curieux souvenir du Theatre sons or4tention, je rencontre un homme aussi enfoui qu'il a §te, plus tard,. et pour longtemps populaire. — Get autre 3xemple des bizarreriesdu sortjoignait alors, lamodeste occupation de Chausseur de seconde classe , dans la rue les Fosses-du-Temple, a Temploi d'acteur au cachet dans la troupe des epoux Prevot. — Quand le Directeur De savait que faire d'un role, 11 disait, par flatterie « Je le donnerai au cordonnier. » — Et le Public, par avance- ment d'hoirie, applaudissait Odry. C'est la que Dumersan a donne sa premiere piece. Quant a la partie du cote Nord, parallele aux P^tits spectacles, on trouvait, directement en face de I'hotel Foulon, le commode jardin qui, sous finypcation de Paphos, cumulait seskiosques de verdure, une musique attrayante, un cafe, une salle de bal, une chambre de jeu usant encore de I'autorisation de 1775, donnee par M. de Sartine's, une troisieme salle pour I'escrime, et de joyeu- ses societes accourues de toutes parts auxretentissements de ces piquantes distractions. Apart, quelques montreurs de choses dites curieuses, il n'y avait fcomme il y est encore) que le Cafe tun qui — 61 — meritait qu'on s'y arretat. — II etait pour quelque chose dans la demarche des visiteurs du Boulevart du Temple. — Le bruit qu'il fit a son origine n'admet plus que deux remarques. — 1° G'est dans son comptoir que Ton offrit aux habitants de Paris le specimen des Belles limonadieres dont on a tres improprement abuse depuis le Petit remain qui en publia une autre au CafS du Bos- quet, de la rue Saint-Honore, et le troisieme au Palais- Royal. — 20 En remontant a la vogue du Ca/e' Turc, il est de notoriete historique que le turban de sa musulmane improvisee produisit autant d'effet que I'apparition d'une comete. Sur ce cote, la rencontre des Folies-Nouvelles, insti- tuees de bien plus fraiche date, nous amene a dire qu'el- les sont, aujourd'hui, le ThSdtre-D4jazet. Restent la configuration topographique, au midi du Boulevart du Temple, et les scenes di verses qui s'y ac- complissaient en dehors de ses actes fondamentaux. — Le Decret du 28 juillet 1808, relatif aux alignements, n'avait point effleure les zigs zags de sa base. — G'etait une ligne tourmentee et placee de travers, en sorte que, rectifie par la chausee, le sol oil commencaient les spec- tacles, avait plusde largeur que celui sur lequelils finis- saient. — Des Cafes, des traiteurs a tous prix, jusque - 62 - dans des caves, echeloanes dans les intervalles laisses a leur dispositioti, achevaient de donner du relief a la va- riete du coup-doeil, et de I'attrait a I'ensemble des recrea- tions. Le soir, pendajit les jeux, les marchandes d'oranges, de fruits et de boissons anodines, se rangdent devant ceux des theatres que suivait le plus assidument le petit monde, et allechaient par leurs provocations egrillardes les fantasques acces d'une attaque de gastronomic. La perspective de ce tableau ne s'etendait pas loin. La derniere station etait marquee par la Gallioite, le restau- rateur des parties fines, et dont les petites persiennes vert-fonce, avaient Fair plus souvent fermees qu'ou- vertes. Fanchon la vieUeuse, cette bonne flUe, grimpee de I'escabeau du sabotier, au sopha de haute-lice, infligeait volontiers son orchestre Savoyard au tourbillon de ces avenues oil le caprice et la bonne chere rehaussaient sa personnalite par le vif eclat du suffrage universel. Bientot, leBoulevart des Filles du Cahaire mettaitun - 63 - terme a ces r^jouissances superlatives. — Au dela de cettelimite, I'allegresHe cessaitcommeparenchantement, etla vie raisonnable, paraissant d'autant plus froide qu'il y avait transition subite, reprenait silencieusement sa marche au pas ordinaire. Tel estle bilan de cette immense deconfiture, tels ont ete les elements d'une richesse municipale dont I'incom- parable originalite justiflait depuis si longtemps la gra- titude de la population. — Tout en elle avait son attrait, et meme jusqu'a cette croute de vernis qui va s'alterant sur les choses vieillissantes, ce que Daubigny, le melo- dramatiste, appelait « la bonne crasse qui tient chaud. » — Sans partager le gout d'un confortable aussi hasarde, il est permis de comparer ces plaisirs a la possession des anciens gros sous qu'on recherche pour les payer vingt fois ce qu'ils ont valu, et que Ton garde, de preference aux nouveaux. Je veux bien que la physionomie generate en fut chan- gee, que le temps eut decompose bon nombre de ses traits distinctifs. — Mais d'abord, sommes-nous chez une de ces peuplades sauvages oii la piete s'exerce en asso- mant les vieillards? — Secondement, la raisoa la moins exigeante ne demande-t-elle pas qu'en fait de destruction (I'indemnite pecuniaire etant impossible )- le point da 64 - depart soit d'offrir aux parties lesees des compensations sinon suffisantes, du moins consolatrices dans une cer- taine mesure? — Oix sont les nolres, celles qui se tradui- sent par le contentement de tons ? Centre unique, le Boulevart du Temple fecondait toute sa circonference par les avantages d'une kermesse qui ne finissait point. — Le Decret de la Convention en date du 19 vende- miaire an iv, I'avait decore del'insigne communal nomm6 le SiMeme arrondissement, et il n'en etait pas plus fler. — On y avait vu le sentiment du bien public se ma- nifester sans hesitation, de nombreux sinistres toujours suivis de soulagements uuanimes ; enfln, plusieurs de ses Directeurs de spectacles, revetus de grades superieurs dans la Milice citoyenne, et d'estimables sujets de leurs troupes se distinguer immediatement au-dessous d'eux. — Champ-d'asile des plaisirs sans vanite et des bonnes actions sans faste, ce n'etait done pas un simple ramas de saltimbanques , une reunion desordonnee d'amu- seurs et d'amuses, ce lieu qui a pu exciter un interet aussi souteau, aussi prouve et dont les fouilles les plus profondes ne pourront ramener au jour les moindres temoignages de ce microcosme enseveli. — 65 - Sa toilette^ un peu negligee, du soir n'excluait pas-;les coquetteries particulieres k ses deshabilles du matin. — De jeunes amis de I'art, en sentinelles devant les fagades. sollicitaient la rencontre fqrtuite ou premedit6e, dek charmes dont ils s'etaient enamoares la veille, — Le chemin des repetitions aux thecitfes etait seme de billets surpapierrose, couleur du temps, etde. rendez-vouspac- tisant avec le mystere. — Le debut de la vie se gaspillait de la sorte avec toute I'insoucianta 6tourderie qui pro- mettait, pour plus tard, debien sages reflexions aux esprits corriges. Les cafes, ces autres refuges de I'inexperience qui cherche et de I'habitude qui s'immobilise, offraient aussi leur patjire aux explorateurs du matin. — Les Drama- tistes du cm s'y reunissaient pour completer de no^u- veaux ouvrages, pendant que des acteurs oisifs courti- saient leur inepuisable faconde. -*- Quelques pratiques egarees les ecoutaient en presence d'une consomtnation a laquelle elles ne touchaient pas. — Des actrices inoccu- pees jouaient aux Dames. — Un monsieur entre deux %es badinait avec I'angora de la limonadiere tres-aiJai- ree ane rien ecrire. — Les Peti