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CORNELL
UNIVERSITY
LIBRARY
THE PASCAL COLLECTION
OF
GEORGE L. HAMILTON
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Cornell University Library
B1903.C86 E8 1857
Etudes sur Pascal / par M. Victor Cousi
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3 1924 029 015 175
Cornell University
Library
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V^v^TUDES
M. 'VICTOR COUSIN
ClNQUllilMK i^DITIO|j;
jc/ V (' K I! T A iifi ^r Its 1 1; i;
[! Lpe la philosophie de Pascal
et de Port-Rojjal
Bu vrai teste de& Phns^es
Uocun^ts inMits sur Pascal et sur sa famille
Lettreb de Pascal
^e la conversion dii pecheui
De I'araonr
Notiee SUP diveis maaviscnts relatifs k Pascal
^t d Pojii-Ro^
Vocabiilajre dcKtscal.
PiMkr et C", libraires-|:.diteurs
rT--"r:^ jt^UBp
ETUDES
LITTERAIRES
PARIS, — IMPRIMEBIE DE J. CLATE
RCE S A INT - B EN OIT, 7
ETUDES
PASCAL
M. VICTOR COUSIN
CINQUlfeME EDITION
n ]-: V u f c T i I ir E > T t E
De la pliilosophie de Pascal
et de Port-Royal.
Du vrai teste des Pensees.
Documents inedits sur Pascal et sur sa fainille.
Lettres de Pascal,
De la conversion du pecheur.
De I'amour.
]N'otice sur divers maniiscrits relatlfs i Pascal
et a Port- Royal.
V"ocabtilaire de Pascal.
PARIS
DIDIER ET CS LIBRAIRES ■ KDITEURS
ouai des duands-augostins 35
1Sd7
niscrve ds tous ilruit».
^1
/"yt ^'db 31 ¥
AVANT-PROPOS
Toute 6cole philosophique, qui n*est pastrop indigne
de ce nom, a son esth6tique et sa litt^rature, aussi bien
que sa morale et sa politique.
Nous avons expose ailleurs * nos vues et nos convic-
tions r^fl^chies sur le beau et sur Tart, sur la nature
6ternelle de Tart et sur la nature propre de Tart fran-
9ais; mais, nous I'avouons, nous n' avons pas su ni
voulu nous d^fendre d*un int^ret particulier, et, k vrai
dire, d'une predilection un peu passionn^e pour tout
ce qui regarde la litt^rature et la langue nationale.
Si notre objet principal a toujours 6t6 de r^habiliter
parmi nous, k la place des tristes imitations de la phi-
losophic anglaise de Locke, le gout de la philosophic
cart^sienne, veritable expression du g6nie francais k
r^poque meme de sa plus haute originality, nous ne
nous sommes gu^re moins efforc6, pendant notre car-
1. Do VuATj DU Beau et du Bien, 2« parlie.
VI AVANT-PROPOS.
ri^re de professeur, et dans nos conftrences k T^cole
normale de 1815 ' a 1820 et de 1830 a 18/iO, d'arra-
cher nos jeunes amis a la rh^torique brillante et tour-
ment6e introduite par J. -J. Rousseau, et de les rappeler
h r^tude de Tadmirable prose du xvii' si^cle.
La quality de cette prose est presque ind^finissable,
et on n'en pent acqu6rir le sentiment que par un com-
merce assidu. C'est par dessns tout un melange exquis
de naivety et de grandeur, Elle est tour k tour, ou plu-
tot en m^me temps, de la simplicity la plus famili^re et
de la plus vive po6sie , sans jamais tomber dans une
negligence mani^r^e, la pire des affectations, ou dans
ce vulgaire amalgame de deux genres opposfe qu'on
appelle la prose po6tique, signe fatal des litt^ratures en
decadence, qui a paru chez nous k la fin du si^cle der-
nier et au commencement du notre. Nous avons pens6
que le moyen le plus sur d'arreter le d^clin de la
langue francaise 6tait de la ramener au culte des
mattres qui Tavaient port6e si haut.
'1. Ge nous serait une bien cliere recompense de nos efforts si ou
pouvait reconnaitre quelque trace de nos lecons ou de nos conseils daus
la maniere simple et grave des ^ciivains sortis de TUuiversite ou qui
appartiennent a la nouvelle philosopliie spiritualiste du xix« siecle.
Qa'il nous soit permis de rappeler ici le uom trop oublie d'un homme
que nous avons vu grandir sous nos yeux, et qui etait devenu un des
meilleursecrivainsde notre temps : nous voulons parlerde M. Jou-ffroy.
Comtiien y a-t-il de pages dans la litl6r-^ture contemporaine qu'on
puisse comparer au discours prononc^ en 1840, k la distribntion des
prix du college Charlemagne, sur le vrai but de la vie humaine,
pour Tel^vation sereine de la peus^e, et lausl^rit^ temperee par la
grice? Rarement la sagesse a parte un langage plus penetrant et plus
aimahle.
AVANT-PROPOS. vii
Selon nous, c'est dans la prose quest notre gloire
litt6raire la plus certaine. L'Angleterre, TAllemagne,
I'Espagne, I'ltalie, ont des poetes 6gaux, et meme k cer-
tains (^gards sup6rieurs aux ndtres. La fantaisie, cette
muse dangereuse et charmante, nous a toujours un
peu fait d^faut, et nous la suppl6ons mal par des
imitations 6trang6res, laborieusement extravagantes.
Notre g^nie, notre force native est dans la raison, et
la raison c'est la prose. Aussi quelle nation moderne
compte des prosateurs qui approchent de ceux de
notre nation? La patrie de Shakespeare et de Milton
ne possfede gu^re qu'un seul 6crivain qui remplisse
toute I'idee d'un prosateur du premier ordre, I'auteur
des Essais et du grand livre De Vutilite et de Uavance-
ment de la science. La patrie du Dante, de P6trarque,
de TArioste, du Tasse, est fi^re a juste titre de Ma-
chiavel, dont la diction saine et forte est cependant,
comme la pens6e qu'elle exprime, destitute de gran-
deur. L'Espagne a produit, il est vrai, un admirable
6crivain, mais il est unique, Cervantes. L'Allemagne
ne pr6sente encore aucun mod^e incontest^. On
nomme avec honneur Lessing, Schiller et Goethe,
Fichte, Jacobi et M. Schelling. La France peut mon-
trer aisement une liste de vingt prosateurs de g6nie :
Froissard, Rabelais, Montaigne, Descartes, Pascal,
Moli^re, Larochefoucauld, Retz, La Bruy^re, Male-
branche, Bossuet, F^nelon, Bourdaloue, M*"^ de S6vi-
gn6. Saint -Siaion, Montesquieu, Voltaire, Rousseau
lui-m^me, et Buffon; sans parler de tant d'autres
vin AVANT-PRUPOS.
qui seraient au premier rang partout ailleurs : Co-
mines, Amyot, Calvin, saint Francois de Sales, Bal-
zac, Arnauld, Nicole, Fl^chier, Massillon, Fleury,
M"' de Lafayette, M"''' de Maintenon, Saint-Evremont,
Fontenelle, Vauvenargues, Lesage, etc. ! On pent le
dire avec la plus exacte v^rite : la prose francaise est
sans rivale dans 1' Europe moderne ; et, dans Tantiquit^
m^me, fort sup6rieure h la prose latine, au moins pour
la vari6t6 et I'abondance, elle n'a d'^gale que la prose
grecque, encore en ses plus beaux jours, d'Herodote a
Demosthenes. Nous ne pr^f^rons pas Demosthenes k
Pascal, et nous aurions de la peine k mettre Platon lui-
meme au-dessus de Bossuet. Platon et Bossuet , a nos
yeux voil5, les deux plus grands maitres du langage
humain qui aient paru parmi les hommes, avec des
differences manifestes, comine aussi avec plus d'un
trait de ressemblance : tous deux parlant d'ordinaire
comme le peuple, avec'la derniere naivete, et par mo-
ments montant sans effort a une poesie aussi magni-
fique que celle d'Homere, ingenieux et polis jusqu'k la
plus charmante deiicatesse ', et par instinct majes-
tueux et sublimes. Platon sans doute a des graces
incomparables, la serenite supreme et comme le demi-
sourire de la sagesse divine. Bossuet a pour lui le pa-
thetique oil il n'a de rival que le grand Corneille.
Quand on possede de pareils ecrivains, n'est-ce point
1. Oa Ic salt de Platon, mais cela est vrai aussi de Bossuet. Voyez
par example dans I'oraison funebre de la Palatine les pages consacrees
a la peintiire de sa vie mondaine.
AVANT-PROPOS. ^
une religion de leur rendre Thonneur qui leur est du,
celui d'une 6tude r^guli^re et approfoiidie?
Aussi en 18A0, quand nous fumes appele k diriger
Finstruction publique, nous n'h^sitanies point a pres-
crire que dans T^preuve litt^raire, placee chez nous a
Fentree de toutes les carri^res lib^rales, les 6l6ves de
nos 6coles seraient s6v6reinent interrog^s sur un cer-
tain nombre de grands monuments de la langue fran-
caise K
Detous ces monuments, nul n'est plus c^l^bre que
le livre des Fensees, et la litt6rature francaise ne
possfede pas d' artiste plus consomm^ que Pascal. Ne
demandez pas a ce jeune g^om^tre, si tot d^vor6 par
lamalaclie et la passion, Tampleur, T^tendue, I'infinie
vari6t6 de Bossuet qui, appuyt§ sur de vastes et conti-
nuelles etudes, s'est elev6 successivement jusquau
faite de Tintelligence et de I'art, et dispose k son gr6
de tous les tons et de tous les styles. Pascal n'a pas
1. De l'Instruction publique en France sous le gouvernement de
juiLLET, t. I, Ministere de 1S40, circulaire aux Rectems^ du 17 juillet:
« Pour la seconde epreuvedu baccalaureat, celle de I'explication des
auteurSj vous trouverez les classiques francais a c6te des classiques de
rantiqiiit6. Celte imiovation est consacrec par le leglement nouvpau.
Puisqu'au college on etudie les grands maitres de la litteiature fran-
taise, il convient que cette etude soit representee au bacraliureat. On
y considdrera les chefs-d'ceuvre de iiotre langue sous un point de vue
litternire et philologique, comme on le fait pour les auteurs anciens. Je
compte sur cette mesure pour affermir et accroitre dans uos eeolos la
connaissance et le respect de la langue nationale , de cette laue^ue qui
se prete a I'expression de toutes les pensees quand elles soiit justes et
vraieSj et qui ne repousse que I'exageration et le faux dans les senti-
ments et dans les idees. »
X AVANT-PROPOS.
rempli toute sa destin^e. Avec les math6matiques et la
physique, il ne savait gu^re qu'un peu de th6ologie, et
il avait k peine traverse quelques soci^t6s d'6lite. Oui,
Pascal a pass6 vite siir la terre, mais pendant cette
courte apparition il a entrevu la beauts parfaite, il s'y
est attach^ de toutes les puissances de son esprit et de
son coeur, et il n'a rien laiss6 sortir de ses mains qui
n'en portat la vive marque. Telle 6tait en lui la passion
de la perfection que, selon une tradition irrecusable,
il refit treize fois la dix-septi6me Provinciale. Les
Pensees ne sont que des fragments du grand ouvrage
sur lequel il consuma les derni^res ann^es de sa vie ;
mais ces fragments pr^sentent quelquefois une beauty
si accomplie, qu on ne sait en v6rit6 qu'y admirer da-
vantage ou la grandeur et la vigueur des sentiments et
des id6es, ou la d^licatesse et la profondeur de I'art.
Touch6 depuis longtemps d'un tendre et douloureux
int^ret pour ces pages myst^rieuses, et sachant que le
manuscrit original, autrefois d^pos^ al'abbaye de Saint-
Germain-des-Pr6s, 6tait aujourd'hui conserve k la bi-
blioth^que de la rue de Richelieu , un jour nous nous
avisames d'aller voir enfm ce pr^cieux et v6n6rable mo-
nument qu'aucun des nombreux 6diteurs des Pensees
n' avait encore eu la curiosity de consulter ; et quel ne
fut pas notre 6tonnement lorsqu k la premiere et la plus
superficielle lecture, nous reconnumes a quel point Pas-
cal etait different de lui-m^me dans le manuscrit trac6
de sa propre main et dans les Editions de Bossut e
de Port-Royal ! C'est ainsi que nous avons 6t6 con-
AVANT-PROPOS. xi
duit au travail s^rieux et approfondi qui nous a cout6,
il est vrai, bien des peineset des veilles, mais que nous
ne regrettons pas, puisque nous lui devons une con-
naissance tout autrement intime de Fame et du g^nie
de Pascal, la restitution d'un texte immortel , et la d6-
couverte inattendue de pages nouvelles, dignes d' avoir
une place paripi les plus belles de la langue fran-
faise.
Qu'il nous soit permis de le dire : grace au Rapport
a V Acaclemie fran^aise et aux diverses publications
qui Taccompagnent et le d^veloppent, la critique de
Pascal a 6t6 presque renouvel6e, et un premier pas a
^t6 fait dans une carrifere modeste mais utile, ou nous
convions de toutes nos forces les jeunes maitres de
rUniversit^, celle de la critique et de la philologie
transport^e des modules de I'antiquit^ aux modules au
moins 6gaux qu a produits la France.
Nous ne terminerons pas cet Avant-propos sans rap-
peler que la cause de la langue et de la litt^rature na-
tionale ne nous a point fait oublier une autre cause,
plus grande encore et plus sainte, qui, 'pour ne pas
paraitre ici sur le premier plan, n'en est pas moins
partout pr6sente, partout d6fendue et servie avec la
fid61it6 d'un d^vouement in^branlable. D6ja, dans les
anciennes Editions des Pensees , nous avions autre-
fois * senti le scepticisme de Pascal k travers les cor-
1. Voyez nos Lecons de 1829^ Esquisse d'une histoire generale de
LA PHlLOSOPHIEj leC. XII.
XII AVANT-PUOPOS.
rections infid^les d'Arnauld. Dans le manuscrit auto-
graphe, le scepticisme eclate a toutes les pages, a
toiites les lignes. Nous croyons I'avoir invinciblement
^tabli : 1' ardent et consequent jans6niste est un en-
nemi d^clar^, un contempteur de la lumifere naturelle
et de la philosophie. Apr^s avoir 6voqu6 un tel adver-
saire, nous n'avons point h6site a le combattre, et a de-
fendre contre ses attaques hautaines et la lumi^re natu-
relle et la philosophie. Bien entendu, nousparlons de la
vraie, de la bonne philosophie, de celle que la raison
et le coeur r^v^lent et proclament de concert, qui se
fait gloire de marcher a la suite du sens commun, qui
explique et confirme toutes les grandes croyances du
genre humain, et les ^pure au lieu de les d6truire;
cette philosophie pour laquelle Socrate est mort, que
Platon a pour ainsi dire chantee, que I'Evangile a po-
pularis6e, et que Descartes a 6Iev6e a la hauteur d'une
science r^guli^re, en possession d'une m^thode certaine
et de principes ^prouv^s, Cette philosophie-la n'est
point un systfeme qui appartienne a tel ou tel homme :
elle est Funiverselle expression de la conscience et de
rhistoire. Elle ne se perd pas en speculations hasar-
d^es, qui brillent un jour pour s'^clipser le lendemain :
elle repose sur un certain nonibre de points fixes et en
quelque sorte de dogmes toujours subsistants sous les
formes diverses et changeantes des ^coles particu-
li^res; elle aussi, elle a sa foi perp6tuelle. Elle n'em-
ploie, il est vrai, que la lumi^re naturelle, mais elle en
tire une souveraine Evidence, qu'elle r6pand sur toutes
AVANT-PROPOS. xiii
les grandes v6rit6s, n^cessaires et par consequent ac-
cessibles a Fhomme.
Est-il besoin de le r6pt^.ter? Loin d'attaquerle chris-
tianisnie, la philosophie que nous professons en est
ralli^e a la fois libre et sincere. Elle est trop sure
d'elle-meme, de son principe immortel et de ses irre-
sistibles destinies pour ne pas faire Tolontiers des
avances k tout ce qui est beau, k tout ce qui est bien,
a tout ce qui peut concourir avec elle au service de
r humanity et de la patrie.
V. Cousin.
ETUDES
PASCAL
DE
LA PHILOSOPHIE DE PASCAL
ET DE PORT-ROYAL.
PREFACE DE LA PREMI^IRE EDITION.
Nous publions de iiouveau^ sans y rien changer^ le Rap-
port sur la necessite cVune nouvelle edition des Pensees de
Pascal, que nous avons lu cette annee k rAcademie fran-
?aise. et qui a paru siiccessivement dans le Journal des
Sayaw^5, avril-novembre, 1842.
Bossut^ dans i'edition de 1779, avertit bien que le cha-
pilre snr Montaigne et Epictele et celui sur la condition
des grands sont lires, Fun d^un entretien entre Pascal et
Sacy, rapporte par Fontaine dans ses Memoires, Tautre de
discours adresses par Pascal au jeune due de Roannez et
publics assez tard par Nicole. Mais ces deux morceaux ex-
ceptes, il n'y a pas un editeur, il n'y a pas un critique qui
se soit avise de soupconner que le texte re^u des Pensees
ne fut pas le texte authentique de Pascal; tandis qu'aujour-
d'huij apr^s notre travail^ il reste peremptoirement demon-
^1 DKS PENSEES DE PASCAL.
tre, que, compare au manuscrit autographe conserve a la
bibliotheque du Roi, ce textejusqu'ici en possession d^une
admiralion religieuse, n'est rien moins qu'une infidelite
continuelle. En effet, toutes les infidelites qu'il est possible
de concevoir s'y rencontrent, omissions, suppositions, alte-
rations.
Les omissions les plus fortes viennent de Port-Royal
dans In premiere edition de 1 670, et elles ont leur source
dans deux motifs tres-legilimes. I" Comme nous Tavons
dit bien des fois', le loyal respect de la paix recemment
imposee aux jesuites et aux jansenistes par le pape et
par le roi, faisaient a MM. de Port-Royal, editeurs des
Pensees de Pascal, non-seulement une necessite, niais un
devoir de ne rien laisser paraitre qui rappelat les querelles
anciennes : de la, la suppression forcee de tous les pas-
sages contre les jesuites. 2° MM. de Port-Royal, voulanl
faire avant tout de I'ouvrage de leur illustre ami un
livre edifiant, en retrancherent naturellement les pensees
qui devaient leur sembler a eux-memes fausses ou equivo-
ques, et d'un efFet mediocrement salutaire snr les espiits
et sur les ames.
Mais les omissions ne sont pas le genre le plus grave
d' alteration que puisse eprouver un ouvrageposthume. Un
temps vient oil de nouveaux editeurs retablissent les pas-
sages omis. Ainsi Bossut a donne les tirades contre les
jesuites que MM. de Port-Royal avaient dil supprimer,
et nous-meme nous publions pour la premiere fois, avec
plusieurs passages contre les jesuites que Bossut avait
negliges, des pensees nouvelles sur la religion et sur la phi-
losophie, qui achevent de mettre en lumiere le dessein de
1. Rapport^ etc.
PREFACE DE LA PREMIEKE EDITION. 3
Pascal, L'alteralion la plus dangereuse^ parce qu'elle ne
pent ^tre decouverte et r^paree que par une etude approfon-
die du manuscrit original, c'esl la supposition dc passages^
conformes ou non confomies a la pensee de I'auteur, mais
qui ne aont pas sortis de sa plume; par example ici des
propos de Pascal, recueillis plus ou moins exactement par
ses amis et ses parents, et introduits par Bossut sans aucun
avertissement dans le texte meme; surtout ces additions
incroyables que Port-Royal a faites de sa propre main, par-
ticulierement dans le morceau cel^bre sur la regie des
paris appliquee a la question de I'existence de Dieu, addi-
tions maintenues par Bossut et qui changent enti^rement
le caractere de ce fragment tant de fois cite.
Heureusement ces suppositions, sans etre rares, ne sont
pas tres-nombreuses ; Talteralion la plus deplorable e?.t celle
qui tombe a chaque page et presque a chaque ligne sur le
style de Pascal, c'est-a-dire assurement sur ce qu'il a laisse
de plus durable et de plus grand; car le penseur dans Pas-
cal a des superieurs, mais I'ecrivain n'en a pas.
Pascal est venu h cette heureuse epoque de la litterature
et de la langue ou Fart se joignait a la nature dans une
juste mesure pour produire des oeuvres accomplies. Avant
lui et apres lui, cette parfaite harmonie, qui dure si peu
dans la vie litteraire d'un peuple, ou nest pas encore ou
bient6t n'est plus. Avant Pascal, dans Descartes meme, la
nature est puissante, mais I'art manque un peu ; et quelque
temps apres Pascal, des les premieres annees du xvui^ sie-
cle. Tart parait deja trop; la beaute de la forme commence
a etre recherchee pour elle-memej jusqu'a ce moment fatal,
marque avec tant d'eclat par J.-J. Rousseau ' , oil conmience
\. Fragments litteraires, etude sur le style de Rousseau.
4 DES PENSEES DE PASCAL,
le regne de la forme et par consequent sa decadence. Dans
Pascal, comme dans tons ses grands contemporains , et
presqiie to uj ours encore dans la prose de Voltaire, la forme
n'est pas autre chose que le vetement le plus transparent
que prend la pensee pour paraitre le plus possible telle
qu'elle est, creant elle-meme I'expression qui lui convient,
qui n ute rien mais surtout n'ajoute rien a sa valeur propre.
Plus tard vient la rhetorique avec son triste precepte d'em-
bellir la pensee par Texpression. La vraie rhetorique a le
precepte contraire, celui de renfermer severement la parole
dans les limites de la pensee et du sentiment. Pascal est
Tecrivain peut-etre du xvu" siecle qui a le plus travaille son
style, mais seulement pour lui faire dire ce qu'il avaitdans
Pesprit et dans Tame. Le sentiment, c'est-a-dire la pensee
descendue j usque dans I'ame, tel est le trait distinctif , le
grand cote do Pascal. A son debut dans I'etude hasardeuse
de la philosophie et de la theologie, Pascal n'a pu conque-
rir d'abord cette elendue et cette profondeur d'idees a
laquoUe Descartes lui-nieme, Bossuet et Leibniz ne sont
paivonus qu'apres tant de veilles et de meditations sans
cessc renouvelees; mais tout ce que pense ce jeune geo-
metre, il Pemprunte a sa propre nature , a sa courte et
sombre experience de la vie, il le sent fortement et le rend
de meme. Les idees de Pascal ne sont point un jeu de son
esprit; c'est le travail douloureux de son ame : elles le
penetrent, elles le consument; c'est la fleche de feu atta-
chee a son flanc, et il soulage son mal en Pexprimant.
Ft encore, loin de s'epancher, comme les faibles, Pas-
cal fait effort pour se contenir; I'ardeur de son ame ne
parait qu'a travers la severite de son esprit. Oui, c'est par
lame que Pascal est grand et comme homme ct comme
ecrivain; le style qui reflechit cette ame en a toutes les
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. 5
qualiteSj la finesse, Tamerc ironie, Tardente imagination,
la raison austere, le trouble a la fois et la chaste discretion.
Que devait done faire devant un style pareil un editeur
fidele? Le recueillir avec religion, tel qu'on le Irouvait de-
pose sur ces feuilles douloureuses.
Voila ce que n'a pas fait Port-Royal, soit Arnauld et
Nicole, soitfitienne Perier, soit le due de Roannez; car qui
pent aujourd'hui faire la part bien exactc de ces divers per-
sonnages dans Tedition des Pensees? G'est Etienne Perier
qui a fait la preface ;, on le sait oertainement; la tradition
janseniste donne ensuite la plus grande part au due de
Roannez , et Arnauld a du surveiller le tout. G'est done
Port-Royal, dans ses ineilleurs representants, qui est vrai-
ment le premier edileur des Pensees, Or, Port-Royal etait
incapable de comprendre I'iuiagination de Pascal, les trou-
bles de son coeur, les inquietudes de sa raison, Timmortelle
originalite de son style. II a traite Pascal conime il avail
fait Saint-Cyran; et apres en avoir adouci souvent les pen-
sees pour les rendre plus edifiantes, il en a sansaucun
scrupule corrige le style pour le rendre plus regulier et plus
naturel, selon le modele de style naturel et tranquille quMl
s'etait forme. Port-Royal avait beaucoup d'esprit et souvent
de la grandeur; il a done laisse passer et Tesprit et la
grandeur de Pascal; mais il a fait sans pitie main basse
sur tout ce qui trahissait le plus profond de sa pensee
et de son ame; et comme cette ame eclate a toutes les
lignes que tragait la main mourante de Pascal^ Port-Royal
etait condamne a tout corriger et a tout alterer. Aussi
Tanalyse ne peut inventer un genre d'alteralion du style
d'un grand ecrivain que n'ait pas subi celui de Pascal
entre les mains de Port-Royal. II n*y avait pas ici de cen-
sure jesuitique a craindre; il u'y a pas eu d'autre ceusjre
6 DES PENSfiES DE PASCAL.
que celle de la mediocrite sur le genie ; nous voulons par-
ler ici du jeune Perier et du due de Roannez; car il y a en
verite des alterations telles que nous n'avons pas le courage
de les imputer k Arnauld et k Nicole. Il est tr^s- probable
qu'Arnanld et Nicole auront ete consultes sur ceitaines
pensees et sur le caract6re edifiant qu'il convenait de don-
ner au livre, mais que pour les details , c'est-a-dire pour
Ic stylC;, Pascal aura ete livre a son neveu et a M. de Roan-
nez: aussi nous est-il arrive mutileet defigurede toutes les
nianieres. Nous avons donne des echantillons nombreux de
tous les genres d'alterationSj alterations demots^ alterations
de tours, alterations de phrases, suppressions, substitutions,
additions, compositions arbitraires et absurdes, tant6td'un
paragraphe, tant6t d'un chapitre entier, a Taide de phrases
et de paragraphes etrangers les uns aux autres, et, qui pis
est, decompositions plus arbitraires encore et vraiment in-
concevables de chapitres qui, dans le manuscrit de Pascal,
se presentaient parfailement lies dans toutes leurs parlies
et profondement travailles.
Devant ces vices manifestes de Tedition de Port-Royal et
de celle de Bossut, devant tant d'omissions, de suppositions,
d*alterations, nous pouvons dire que la these qui fait le sujet
de ce Rapport est aujourd'hui demonlree, k savoir : la ne-
cessite d'une nouvelle edition des Pensees, Donnerons-nous
un jour cette edition? Nous n'osons en repondre; nous en
avons du nioins pose les fondements; nous Tavons preparee
et comme prevenue: 1° en publiantles plus importantes pen-
sees inedites qui se trouvaient encore dans le manuscrit au-
tographe; 2° en retablissant le vrai texte de Pascal sur les
points les plus essentiels; 3° en mettanl^cOte des alterations
de toute esp^ce que nous signalions, grandes et petites, les
legons authentiques ; -4" en donnant a part dans leur forme
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. 7
vraie plusieurs grands morceaux de Pascal ; celui sur la r6gle
des paris appliquee a Texistence de Dieu, celui sur les deux
infinis de grandeur et de petitesse, la lettre enti^re adressee
a madame Perier sur la mort de leur p^re, de laquelle ont
ete tirees les pensees celebres sur la mort, les neuf lettres
a mademoiselle de Roannez, dont une seule jusqu'ici etait
connue^ plusieurs lettres nouvelles de Pascal et diverses
pieces inedites ou de Pascal ou sur Pascal que nous ont
fournies des manuscrits de la bibliotheque du Roi.
Mais, dira-t-on, tout cela n'est en realile qu'un recueil de
variantes. Nous en convenons tres volontiers; nous ne nous
croyons pas assez grand seigneur pour dedaigner la tache
modeste de restituer le vrai texte des Pensees de Pascal.
Dans notre jeunesse, nous avons passe bien des nuits sur
des variantes de Platon, et maintenant nous irions encore
chercher bien loin des lecons nouvelles et authentiques du
Misanthrope, de Pokjeucte ou d'Athalie. Quand la bonne
langue s'en va^, est-il done sans utilite de recueillir pieiise-
ment les vestiges etfaces de Tun des plus beaux monuments
du grand langage du xvu^ siecle? Nous ne nous en defen-
dons pas : nous avons de la passion pour cette admirable
langue que jadis I'Academie a contribue a fonder et qu'au-
jourd'hui plus que jamais peut-etre elle a le droit et le de-
voir de defendre, soit contre des importations opposees au
genie national, soit contre des retours artificiels et manie-
res a la langue du xvi^ siecle, efforts egalement impuis-
sanls pour simuler Toriginalite, quand I'originalite ne peut
etre, aujourd'hui comme toujours, que dans des pensees
nouvelles vivement senties et naturellement exprimees dans
la langue de tout le monde, rappelee sans violence a celie
des grands modeles.
Pour pousser a bout le scandale, nous ne nous sommes
8 DES PENSEES DE PASCAL.
pas borne a recueillir des variantes de Pascal; nous avons
dresse une sorte d'inventaire des locutions les plus remar-
quables qui se rencontrent dans les fragments cites, comme
ont fait pUisieurs editeurs des classiques grecs et latins.
Si cet humble exemple elait suivi pour un certain nonibre
de nos classiques , nous aurions entin un depot fidele du
bon langage et le fondement necessaire du Dictionnaire
historique de la langue frang.aise confie a TAcademie.
En un mot, nous avons traite Pascal comme un ancien :
telle est la pensee qui nous a guide et soutenu dans ce
travail ingrat.
Du moins voila le texte des parties les plus importantes
des Pensees retabli dans son integrite, et a Taide de cette
restitulion le dessein de Pascal rendu manifeste. Ce dessein,
nous I'avons demontre dans ce Rapport, etait d'accabler la
philosophic cartesienne et avec elle toute philosophic sous
le scepticisme pour ne laisser a la foi naturelle de Thonime
d'autre asile que la religion. Or, en cela, Tadversaire des
jesuites en devenait, sans s'en douter^ le serviteur et le
soldat.
En effet, des que la philosophic cartesienne se leve, en
depit de toutes les precautions de Descartes, apres quelques
hesitations, les jesuites se decident a la combattre. Nous
avons deja fait voir' la violence opiniatre avec laquelle ils
poursuivirent les disciples les plus irreprochables de Des-
cartes et dans I'Universite de Paris et dans I'Oratoire et dans
leurpropre sein, pendant plus de quarante annees. Le sang
ne coula point, il estvrai: le temps des supplices etait passe,
quoiqu'il ne fut pas bicn loin. Le xvn^ siecle s'ouvre par le
1. Fragmi-nts piiiLOSOPUiQi'ES, Philosopdie MODEKNr, De la persecu'
Hon du Cariesianismc.
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. 9
bucher de Bruno a Rome *; et celui de Vanini a Toulouse ^
precede de moins de vingt ans le Discours de la Methode.
A la fin du xvu** siecle, la persecution fut moins cruelle^
mais bien dure encore. Tout enseignement de la doctrine
cartesienne est interdit des 1675 dans tous les colleges de
rUniversite de Paris ^, Les ecoles de RohauU et de Regis
sont fermees. L'Oratoire est contraint, sous peine de perir^
de demander grace h ses implacables ennemis ^; et riiomme
le plus distingue qu'ait eu^ au xvm« siecle^ la compagnie
de Jesus^ le pere Andre va pleurer a la Bastille le crime
inexpiable de n'avoir pas voulu trailer Malebranche d'a-
thee^ Et pourquoi cetie persecution? Etait-elle dirigee
contre tel ou telprincipe particulier du cartesianisme? Non,
des dissentiments philosophiques n'expliquent point un tel
acharnement. Etait-elle inspiree par un attachement fana-
tique a la doctrine d'Aristote^ par exemple aux formes sub-
stantielles^ a Teternite du monde^ a la corruptibilite de
Tame, a Tabsolue separation de I'univers et de Dieu, qui
se connait lui-meme^ mais qui ne connait pas son propre
ouvrage et n'y prend aucun interet*? Nous ne le croyons
pas. Les jesuites etaieat attaches au peripatetisme parce
que le peripatetisme etait acceptCj a tort ou a raison, par
la tradition et Tautorite; et ils repoussaient le cartesianisme
parce qu'il contenait en lui une hardiesse genereuse, le sen-
1. 17 fevrier 1600. Voir la fameuse lettre de Schoppe, temoin ocu-
laire, daas les Aota Htteraria de Struve, 5« cahier, p. G4 ; et dans les
Fragments de thilosopbie modernEj 1' article intitule : Vanini ou la Phi-
losophie avant Descartes.
2. Fevrier, 1G19. Le Discours de la Methode est de IG37.
3. Fragments de philosophik laoDEJifiE, Persecution duCarlc'siatiismc.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. EsQiissE d'une nisTOiRE de la PHiLosopmE, lee. VII.
10 DES PENSEES DE PASCAL.
timent energique du droit et de la dignite de la pensee^ c'est-
a-dire tout un monde nouveau. Les jesuites, qui etaient corn-
mis a la garde de I'ancien , devaient s'efForcer de prevenir et
d'etouffer dans le cartesianisme celui qu'il ouvrait a Thuma-
nite. En apparence^ c'est pour Aristote que combattirent
les jesuiteSj mais en realite c'est a la raison humaine qu'ils
en youlaient, et tous les coups qui tomberent sur le car-
tesianisme etaient adresses a la philosophie elle-naeme.
Dans le premier moment de la querelle^ il s'agit encore
d' Aristote et de Descartes : on les defend et on les attaque
des deux c6tes; mais bientot Aristote et Descartes font
place aux veritables acteurs de ce drame plus d'une fois
tragique, k savoir I'autorite et la raison^ avec cette diffe-
rence que dans cette lutte memorable Tautorite attaquait
la raison et allait la chercher jusque sur son domaine, tan-
dis que la raison, loin d'attaquer, se defendait presque en
suppliante^ et reclamait seulement le droit de s'exercer
dans ses propres limites et de faire usage de ses propres
forces, ne fiit-ce que pour reconnaitre et etablir plus solide-
ment les justes droits de Tautorite.
Le savant eveque d'Avranches, Huet, Tamides jesuites,
qui mourut chez eux, leur donna sa bibliotheque^ et les
servit pendant toute sa vie^ represente parfaitement ces
deux faces de la guerre que la Societe fit au cartesianisme.
D'abord il Tattaque en lui-meme; de la le livre celebre :
Censure de la philosophie cartesienne *, livre que tous les
ennemis de la philosophie nouvelle pronerent et repan-
dirent, et dont il y eut en peu d'annees tant d'editions. En
1694, il y en a deja une quatricme sortie des presses de
I. Petri Damelis Hvetii, episcopi suessoniensis designatiy Censura
philosophiae cartesiaua, Lxitetice Parisior. 1639, in-l2.
PREFACE DE LA PREMlftRE EDITION. 11
rimprinierie royale •. Ici tout semble dirige seulement
contre Descartes^ Mais apr^s la mort de Huet son secret
lui echappa : on trouva dans ses papiers un ecrit^, non
plus contre Descartes, inais contre la raison elle-meme,
non plus pour Aristote, mais contre toute espece de dog-
matisme, et par exemple dans Tanliquite grecque^ devenue
sous la plume du savant eveque le champ de bataille de la
dispute, contre Tancienne Academic pour la nouvelle^
c'est-a-dire pour le pyrrhonisme. Voici le titre meme du
chapitre 15 qui termine et resume le livre 1^*^ : On conclut
de tout ce qui a ete dit ci-dessus quHl faut douier et que
c'est le seul moyen d^eviter lea erreurs. La hardiesae des
Dogmatiques a produit une infinite d'errenn. Les Acade-
miciens et les s'ceptiques n'offirmant rien , ne peuvent se
(rotnper, et ilssont les seuls qui ineritent le now. de philo-
sophes, Le livre 2** explique quelle est la plus sure et la
plus legitime voie de philosopher. Et cetle voie, c'est I'em-
pirisme et la probabilite ^. Voila bien en philosophie le
probabilisme de la theologie jesuitique. Et, chose merveil-
leuse^ tout cela dans Huet aboutit a la Demonstration evan-
gelique!
L9 Traite philosophique de la foiblesse de f esprit hu-
main est le modele accompli, le code de cette espece de
1. Petri Danielis Huetii, episcopi abrincensis , Censura philosophicB
cartesianae, editio quarta, aucta et emendata, Parisiis, apud Anisson,
typographiae regiae praefectum, I694,in-1'2.
2. Traite philosophique de la faiblesse de Vesprit humu'm, Amster-
dam, 1721.
3. Traits philosophique de la faiblesse de I'esprit humain^ liv. ii,
chap, m. // n'y a rien dans Ventendement qui n'ait ete dans les sens.
Contre Platon, contre Proclus, contre Descartes. — Ibid., chap, iv, il
faut croire les choses probables comnte si elles etaient ve'ritables. —
Chap. V, regies du criteriumde la probabilite, a savoir, la sensation.
n DES PENSEES DE PASCAL.
scepticisme un peu hypocrite qui ebranle toutes les verites
naturelles pour asseoir sur leur ruine la verite revelee,
comme si la verite etait contraire a la verite^ et qui met
en avant le cloute pour conduire par un detour au dogma-
tisme le plus absolu. Pascal appartient a cette ecole; lui
aussi il a pour principe que \e ptjrrhonisme est le vrai^;
et bien d'autres declarations de la meme sorte , dont on
voyait deja quelque ombre dans les anciennes editions^
paraissent aujourd'hui a decouvert dans les fragments
nouveaux que nous avons publics. Pascal, comme Huet,
combat Descartes; mais^ comme Huet encore, c'est la phi-
losophie meme qu'il poursuit dans la philosophic car-
tesienne. 11 est sceptique comme liii , et comme lui il se
propose de conduire I'homme a la foi par la route du
scepticisme. On eut fort etonne cet inflexible adversaire
des jesuites, si on lui eut montre que toute son entreprise
etait celle de la Societe. Mais ce qui, chez les jesuites,
etait habilete et calcul, est dans Pascal I'etat vrai de cette
intelligence si forte, mais jeune^ inexperimentee, ardente
et extreme. Meme a part son genie, aux yeux de tout ami
de rhumanite, Pascal est sacre par sa sincerite, par sa
droiture, par les angoisses de sa pensee et de son ame;
mais, il faut le dire aujourd'hui : jamais homme ne s'est
plus contredit. En verite, c'etait bien la peine de defendre
contre les jesuites et contre Rome, au nom de la liberte
de la pensee, une erreur manifeste, a savoir la doctrine
janseniste de la grace poussee presque jusqu'a Texageration
de Luther et de Calvin ^, pour sacritier ensuite et la liberte
de penser et la puissance legitime de la raison aux pieds
1. Bapporty 2« partic, etc.
2. Voycz plash;is Ui Preface de la seconde edition.
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION 13
de ces memes jesuites! inconsequence de la passion I
L'auteur des Provinciales est le heraut de I'esppit nouveau^
et Fauteur des Pensees en est Tadversaire! Aussi est-ce
surlout aux Provinciales que le nom de Pascal demeure
attache; c'est de la^ c'est du courage avee lequel il prit en
main une cause, bonne ou mauvaise en soi , mais injus-
tement opprimee^ c'est de la male conviction qu'il opposa
a ce scepticisme deguise qui s'appelait le probabilisme,
c'est precisement de ce dogmatisme admirable du sens
commun et de la veriu que Pascal tire sa popularite. Le
livre des Pensees, qui n'est point acheve et qu'il ne publia
pas lui-memejeta incomparablement moins d'eclat. N'est--
ce pas une remarque frappante et bien digne d'etre uie-
ditee par tous les esprits sinceres^ qu'aucun des grands
docteurs du x\iV siecle n'ait lone les Pensees? Pascal n'en-
traina personne dans la route ou il s'etait imprudemment
engage. En depit de ses sarcasnies contre Descartes et
contre la philosophic J en depit de son apologie du pyr-
rhonisme^ en depit des arrets du conseil et des lettres de
cachet qui tombaient de toutes parts sur les partisans de la
philosophic nouvelle, tout le xvii* siecle a ete cartesienj
pieux tout ensemble et philosophe^ amateur de la raison
et respectueux envers la foi.
Contre Pascal nous pouvons invoquer d'abord Port-
Royal, qui n'a cesse d'etre sagement favorable a Descartes
et a la philosophic '. La Logique est toute penetree de car-
tesianisme et respire I'esprit nouveau -. Nicole a rassemble
1. La Preface de la seconde edition confirme a la fois et niodifie ce
jugement.
2. Lalo^/^weseprononcetirs vivement contre le pynhonisme et con-
tre Montaigne. Premier discours , elle comhat avec force la inaxime
quil n'y a rica dans Icntcndement qui ifait d'abord eLe dans los sen?.
Le chapitre premier de la 1'"'' partie est une defense de Descaites con-
!4 DES PENSEES DE PASCAL.
soignousement et preserite avec une enliere confiance tous
CCS arguments en faveur de Texistence de Dieu et de Tim-
mortalite de T^me qui paraissaient si meprisables a Pas-
cal ' . Arnauld commence sa carriere par une defense solide
et judicieuse des Meditations ^, et, dans sa vieillesse, il les
defend encore et contre I'autorite egaree ^ et contre Male-
tre Gassendi et contre Hobbes. La 4^ partie, de la methodej est pres-
qiie tout enti^re emprunt^e a Descartes, k ses ouvrages imprimes et
meme a uii Traite manuscrit qui est incontestablement le Traits des
regies pour conduire notre esprit dans la recherche de la veriU^ in-
sere en latin dans les Opera posUtuma Cartesii, Amsterdanij 171 Ij et
traduit ponr la premiere fois en francais, dans le tome XI de notre
edition.
1. Discours contenant en abreg^ les preuves natureiles de rexistence
de Dieu et de V immortnUte de Vdme : « Je suis persuade qiie les preuves
natureiles ne laissent pas d'etre solides et proportionnees a certains es-
prits; elles ne sont pas a negliger. II y en a d'abstraites et de,m6la-
pbysiquL'S, comme j'ai dit^ et je ne vois pas qu'il soit raisonnabie de
prendre plnisir a les deciier... Quelqu'efforts que fassent les.alhees
pour efl'acer I'lmpression que la vue de ce grand monde forme natu-
rellemeut dans tous les hommes, qu'il y a un Dieu qui en est I'auteur,
il ne sauroit 1 etouffer eiitieiement, tant elle a des racines fortes et
profondes dans notre esprit... La raison n'a qu'a suivre son instinct
naturel pour se persuader qu'il y a un Dieu. » Traite de la foihlesse de
r Homme : « On, avoit pbilosoplie trois mille ans durant sur divers prin-
cijes; il s'eleve dans un coin de la terre un bomme qui change toute
la face de la philosophie et qui pretend faire voir que tous ceux qui
sont venus avaut lui n'ont rien entendu dans les principes de la na-
ture. Et ce ne sont pas seulement de vaines proniesses, car il faut
avouer que le nouveau venu donue plus de lumiere sur la connoissance
des cboses natureiles que tous les autres ensemble n'en avoientdonne.»
2. Voyez parmi les objections aux: Meditations cet ecrit d'Aruauld,
dont Descartes se montra si satisfait. C'est le premier ecrit connu
d'Arnauld, car il doit avoir ete compose avant la publication meme
des Meditations^ qui est de 1041, et par consequent plusieurs annees
avant le Traite de la frequente Communiony qui est de 1643.
3. On pent voir dans les Fragments de philosophie moderne, un me-
moire d'Arnauld, destine a prevenir Tarret contie le cartesiaaisme,
arret solUcite du pailement de Paris par la faculte de theologie, et de.
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. 15
branche *. Dans sa longue polemique avec Tauteur de la
Recherche de la verite^ Arnauld s'appuie constamment sur
la raison dans Tordre des verites naturelles; il se plaint
que son illustre antagoniste a recours, par un cercle vicieux
manifeste, a la revelation pour prouver Texistence de ce
monde *. A chaque ligne de cette grande polemique eclate
tourne par VArr^t burlesque de Boileau, et peut-etre aussi par cet ex-
cellent m^tnoire qui doit avoir et6 ecrit vers 1675.
1. Des vraies et des fausses ide'es , Cologne, 1683. Voyez particu-
lierement le chapitre xxiv, ou Arnauld souticnt contre Malebranche
la clarte de la notion de Tame, d'apres les principes de Descartes;
et les clxapitres xxv et xxvi, ou il prend de nouveau la defense de la
preuve cartesienne de Texisteuce de Dieti par Tidee de la perfection,
contre les instances de Gassendi, et contre les interpretations detournees
de Malebranche. — Enjin, en 1692, Arnauld n'hesite pas a exprimer
sur le livre taut vante de Huet une opinion qui est entierement la
n6tre._« Je ue sais pas ce qu'on peut trouver de bon dans le livre de
M. Huet contre M. Descartes, si ce n'est le latin; car je n'ai jamais vu
de si chetif livre pour ce qui est de la justesse d'esprit et de la solidite
.du raisonneinent. G'est renverser la religion que d'outrer le pyrrho-
nisme autant qu'il f^iit. Car la foi est foudee sur la revelation, dont
nous devons etre assures par la connoissance de certains faits. U n'y
a done point de faits Iminains qui ne soient incertains, s'ii n'y a rien
sur quoi la foi puisse etre appuyee. Or, que peut tenir pour certain et
pour evident celui qui soutient que cette proposition, je pense, doncje
suis, n'est pas evidente, et qui prefere les sceptiques a M. Descartes,
en ce que ce dernier ayant commence a douter de tout ce qui pouvoit
paroitre n'etre pas tout a fait clair, a cesse de douter, quand il en est
venu a faire cette reflexion sur lui-nieme icogito, ergo sum? an lieu,
dit M. Huet, que les sceptiques ne se scut point avretes la, et qu'ils out
pretendu que cela meme etoit incertain et pouvoit etre faux; ce qui a
eteregarde par saint Augustin, aussi bieu que par M. Descartes, comme
la plus grande de toutes les absurdites; parce qu'il n'y a rien certaine-
ment dont nous puissions moins douter que de cela. U y a cent autres
^garements dans le livre de M. Huet; mais celui-la est le plus grossier
de tons. » Lettres d'Arnauld, 1. 111^. Voyez aussi un passage de la lettre
Dcccsxx, sur le meme sujet. — Rapprochez ce passage sur Nicole et
Arnauld de ceux de la Preface de la seconde edition.
2. Des wales et des fausses idees, p. 324 et 333.
16 DES PENSEES DE PASCAL,
la confiance d*Arnauld dans la raison humaine. Quand done
Pascal nous attaque, nons pouvons lui opposer ses amis et
ses maitres, Nicole et Arnauld.
II en faiU dire autant de toute I'eglise de France. Je ne
suis point snrpris que Bossuet ni Fenelon n'aient jamais
cite les Pensees; car les principes de ces deux grands
hommes et ceux de Pascal sont inconciliables. II faut choi-
sir entre eux et Pascal. Gelui-ci est ennemi du cartesia-
nisme, et n'rstimepas que toute la 2^Mosophie vaille une
lieure de peine. Fenelon et Bossuet ont eludie des leiir pre-
miere jeunesse, et n'ont cesse de cultiver pendant toute
leur vie et jusqu'a leursderniers moments^ la philosophic.
Tons deux, loin de se faire une arme du scepticisme, le
combattent partout; partout ils temoignent d'une admira-
tion mesuree pour Descartes; ils en admettent Tesprit ge-
neral et la methode. Le Traite de la connaissance de Dicu
el de soiweme, le Traite du libre arbitre, celui de I'exis-
tence de DieUj sont des livres admirables, oil toutes les
grandes verites, et singulierement celle de la divine provi-
dence, sont etablies au nom de la raison et sur le fonde-
ment meme des Meditations. Bossuet et Fenelon s'y de-
clarent ouvertement contre la maxime peripateticienne et
jesuitique tant celebree par Huet : // n'y a rien dans Cen-
tendement qui nUj ail ete introduit par la voie des sens^ et
contre cette autre maxime de la Compagnie, que toute cer-
titude se reduit a la simple probabilite. lis sont tons deux
pour Platon contre Aristote; ils sont done pour Descartes
contre ses adversaires. Le Traite de Vexistence de Dieu
admet pleinement le doute methodique, le je pense, done
je suis^ et la demonstration de I'existence de Dieu par I'idee
de la perfection '. Fenelon suit Descartes jusque dans son
1. Secondc paitio : Dt-monsiration dp rexistpnce et d^s atirihtits de
PREFACE DE LA PUEMIERE EDITION. 17
I)rillanl et temeraire disciple; il adopto toiite la theoric des
idees de Malebranche, et la reproduit presque dans les
memes termes, comnie s'il eiit ignore le livrc d'Arnauld *.
Comment Fenelon eiit-il ete iin adversaire de la raison , lui
qui la rapportant a son foyer eternel, la suivant et dans
les lois de Tunivers et dans les lois de la pensee^ s'ecrie
avec enthousiasme ; c<0 raison! raison! n'es-tu pas le
Dieu que je cherche^? » Bossiiet^ avec plus de mesure ct
Dicu, iiree des idees intellechieUes. Chap. i. Mdthode qu'il faut suivre
dans la recJiGrdie de la ve'rite'. Conclusion de ce chapitre : « Me Yoila
done enlin resolu a croire que je pense paisque je doiite, et que jc suis
puisque je pense. » Chap. ii. Preuves metaphysiques de Vexistcncc de
Dieu. Premiiire preuve tirc'e de rimperfection de Cctre huma//u..
Deuxieme preuve tire'e de Videe que nous avons de Vinfim. La niethode
et la doctrine cartesiennes sc rctrouvent dans les Lettres sur divers
sujets demetapliysique et de religion, ecrites par Fenelon a la fin de sa
vie ; chap. \ : De ma pense'e.
1. Ibid. Chap. IV. Nouvelle preuve de V existence de Dieu, tiree de
la nature des idees. G'est tout a i'ait la tbeorie des idees et meme la
vision en Dieu de Malebranche.
2. Premiere partie. § GO. — 11 est impossible de citcr tons les pas-
sages on la raison de I'homme est pri^sentee comme un reflet et un
miroir de la raison divine, et par consequent distinguee des sens et
de rimagination et elevee au-dessns de lout scepticisme. Premiere
partie. § 52 : « que I'esprit de I'liomme est grand! 11 portc en lui
de quoisetonner Jngeons de nott-e grandeur par llnfiiii immuable
qui est empreint an dedans de nous et qui ne pent jamais y etre
efface.... §54.... Outre Tidee de I'infinij j'ai encore des notions univer-
selles et immuables qui sont la regie de tons mcs jugements; je ne
puis juger d'aucune chose qu'en les consultant , et il ne depend pas
de moi de juger contre ce qu'elles me reprusentent. Mes pensees, loin
de pouvoir corriger ou forcer cette regie, sont elles-memes corrigees
malgre moi par cette regie superienre, ct elles sont invinciblement
assuj^ties a sa decision.... Cette regie interieure est ce que je nomme
ma raison. § 55. A la verite, ma raison est en moi, car il faut que je
rentre sans cesse en moi-meme pour la trouver; mais la raison supe-
rieure qui me corrige dans le besoin et que je consuite u'est point a
moi etelle ne fait point partie de moi-meme.... Ce maltre est partout,
18 DES PENSfeES DE PASCAL.
appuy^ sur un bon sens que rien ne peut faire flechir, est,
a sa mani^re, un disciple de la meme doctrine dont il ne
fuit, selon sa coutume, que les extremites. Ce grand esprit,
qui peut avoir des superieurs pour I'invention, mais qui
n'a pas d'egal pour la force dans le sens commun, s'est
bien garde de inettre aux prises la revelation et la philoso-
pbie : il a trouve plus sur et plus vrai de leur faire a cha-
cune leur part, d'emprunter a Fune tout ce qu'elle peut
donner de lumieres naturelles, pour les accroitre ensuite
des lumieres surnaturelles dont I'eglise a regu le depot.
C'est dans ce bon sens souverain, capable de tout com-
prendre et de tout unir, qu'est la supreme originalite de
Bossuct. II fuyait les opinions particulieres comme les pe-
tits esprits les rechercbent pour le triomphe de leur amour-
propre. Lui , ne songeant point a lui-meme et n'aimant
que la verite, partout ou il la rencontrait il Taccueillait
volontiers, bien assure que st le lien des verites d'ordres
differents nous echappe quelquefois, ce n'est point un mo-
tif de fermcr les yeux a aucunc verite. Si on voulait donner
un nom d'ecole a Bossuet, selon Tusage du moyen age, il
faudrait Fappeler le docteur infaillible. II nest pas seule-
ment une des plus hautes, il est aussi une des meilleures et
et sa voix se fait entendre d'un tout de Vunivers a I'autre a tons les
homines comme a moi. § 56. C'est elle qui f;ut qu'un saiivage du
Canada pense beaiicoup de choses comme les philosophes grecs et
remains les ont pensees.... II n'y a point encore eu d'homme sur la
terre qui ait pu gagner ni sur les autres ui sur lui-meme d"etablir dans
Ic monde qu'il est plus estimable d'etre trompeur que d'etre sincere,
d'etre emporte et malfaisant que d'etre moilere et de faire du bien.
§ 57. Le maitre interieur et universel dit done toujours et paUout les
memes verites pour corriger tons nos mensonges. »Nous nous arretons
pour ne pas copier des pages entieres; mais qu'il y a loin de cctte phi-
osophie et de cette morale a celles de Pascal et de Montaigne !
PRKFACE DE LA PREMIERE EDITION. 19
des plus solides intelligences qui furent jamais; et ce grand
conciliateur a bien aisement concilie la religion et la phi-
losophic, saint Augustin et Descartes, la tradition et la
raison *.
1. Meme alors que des disciples imprudents de Descartes compro-
mettaieat le maitre, en essayant d'expliquer a tort et a travers certains
mysteres du christianisme, meme celui de la transsubstantiation, Bos-
suet, en repoussant et en deplorant ces aberrations, respecte et defend
la vraie doctrine de Descartes. Lettre a un disciple du pere Male-
hrandxe : a Je vois un grand combat se preparer centre I'Eglise sous le
nom de la philosophic cart^sienne. Je vois naitre de son sein et de ses
principes, d mon avis mal entendus, plus d'une heresie; et je prevois
que les consequences qu'on en tire centre les dogmes qu'ont tenus nos
peres la vont rendre odieuse, et feront perdre a I'Eglise tout le fruit
quelle en pouvoit esperer pour ^tablir dans Tesprit des philosophes la
divinity et I'immortalite de rame. » Le Traits de la connoissance de
Dieu et de soi-meme est tout rempli de propositions cartesiennes. Le
point de depart de la philosophie est la connaissance de Thomme. La
sensation est I'occasion, mais non pas le fondement de la connaissance.
G'est par I'entendement seul que nous connaissons les rapports, Tordre
et la beaute des choses. Voici des propositions tout a fait semblables a
celles de Fenelon que nous avons citees : « Gomme I'entendement ne
la fait pas (la verite)^ mais la suppose, il s'ensuit qu'elle est 6ter-
nellCj et par la independante de tout entendement cre6.... Toutes ces
vorites subsistent independamment de tons les temps; en quelque
temps que je mette un entendement humain, 11 les conuoltra; mais
en les connoissant, il les trouvera verites, il ne les fera pas telles....
Si je cherche maintenant ou et en quel sujet elles subsistent ^ternelles
et imniuables comme elles sont, je suis oblige d'avouer un etre ou la
verite est eternellement subsistante et ou elle est toujours entendue;
et cet etre doit etre la verite meme G'est done en lui, d'une cer-
taine maniere qui ni'est incomprehensible , c'est en lui, dis-je, que je
vois ces verites eternelles II y a n^cessairement quelque chose qui
est avant tons les temps et de toute 6ternite, et c'est dans cet ^ternel
que ces verites eternelles subsistent; c'est aussi la que je les vois
Ainsi nous les voyons dans une lumiere sup6rieure a nous-memes; et
c'est dans cette lumiere superieure que nous voyons si nous faisons
bien ou mal La done nous voyons avec toutes les autres verites les
regies invariables de nos mceurs. L'homme qui voit ces verites par ces
verites se juge lui-merae et se condamne quand il s'en ecarte; ou
40 DKS PENSEES I)E PASCAL.
Nous avons beau chcrcher dans lout le xvii« siecle, nous ne
trouvons pas un seul grand eveque, un seul grand ecrivain qui
ait pense diliercmment. Le cardinal de Richelieu, qui fut un
theologien tres-solide avant d'etre un grand homme d'Etat,
n'iiesile pas a appliquer la lumiere naturelle a la rGcherche
et a la demonstration des verites naturelles^ et il a dit avec
plutot ce sont ces verites qui le jugent... Ces verites eternellcs que
tout entendemcnt apercoit toujours ies memes, par lesquelles tout
entendemcnt est regie, sont quelque chose de Dieuj ou plut6t soiit Dieu
Dieiiie. »
Le paragraplie du chapitre iv a pour titre la maxime meme- sur
laquelle est fondee la demonstration cartesienne de I'existence de
Dieu : « L'ame connait par rimperfcction de son intelligence qu'il y a
ailleurs une intelligence parfaite. » Apres avoir acbeve toutes Ies
preuves de rexistencc de Dieu et de rimniorlalite de I'ame par la
spule philnsophic, Bossuet conclut ainsi : « Ces raisons sont soUdes et
ineliranlables a qui Ies sait penetrev. n De meme dans le Trfdte du
libre arblire, c'est par la raison seule qu'il resout toutes Ies difficultes.
Cii^ip. II, que ccile liberie est dans lliomme^ et que nous comwissons
cela naturellement. a Je dis que la liherto ou le libre arliitre est cer-
tainenient en nous et quo cette liberte nous est evidentc : 1" par I'cvi-
dcnce du sentiment et de I'experience; S'^ par Pevidence du raisonne-
meiit; 30 par I'evidence de la revelation. » L'accord de la foi et de la
laisoii est ici manifeste. Chap. lu, que vous connoissons naturellemeiit
que Die u gouverne notre libeiii et ordonne de nos actions. Chap, iv,
que la raison senle nous oblige a croire ces deux ve'riic's, quand m4me
nous ne pourrioiis trouver le moyen de Ies accordcr ensemble. Memo en
parlant de la creation sans aucune matierc preexistantc, Bossuet dit ;
« Nous connoissons clairement toutes Ies verites qne nous venous de
coiisiderer; c'est renverser Ies foiidements de tout hon raisonnement
que de Ies uiiT. »
Daas la premiere EMvafion il reprend la preuvc carlesienne de I'exis-
tence de Dieu par Pidee de la perfection : (( Pourquoi Dieu ne seroit-
il pas? Est-ce a cause qu'il est parl'ait, et la perfection est-elle un oh-
stacle a Petre? Erreur insensee ! au contraire, la perfection est la raison
d'etre... » Enlin Huet lui-meme nous apprend dans ses Memoires que
Bossuet recut tres-peu favorablement la censure de la philosophic car-
tesienne, et Pahbe Ledieu, secretaire de Bossuelj dit cxpresseinent qu'il
mettait lo Discours sur la methode au-dessus de tons Ies ouvrages de
son si^le.
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. 21
I'cntierc approbation de lY'glise et do son sieclc : II riest
pas seulement vrai quit y a un Dieu^ mats il est de la foi
que la lumiere de la nature nous renseigne^ . Le cardinal
deRetz n'est point une tr^s grande autorite ecciesiastiqncj
mais c'etait iin esprit du sens le plus ferme, et quand siir
la fin de sa vie^ dans sa solitude de Commercy, il s'occupa
de serieuses etudes^ il se prononca pour la philosophie car-
tesienne ^ CeUii que le pape Urbain VIU appela Vapotrc du
verbe incarne, est aussi celui qui suscita Descartes^ lui niit la
plume a la main,etrecommandases ecrits aux saints pretrcs
qu'il rassemblait. Le cardinal de Berulle est assurement
rhonime qui ale plus fait pour lecartesianisme en lui dou-
nant TOratoire^. Nous Tavons deja dit : VOratoire a man-
que de succomber par fidelite a Descartes et au vceu de son
illustrc fondateur; et cependant quelle reunion choisie d'es-
prits excellcnts et bien cultives en tout genre d'etudes ! Sur
ce fond si pur se detache Malebranche, excessif et teme-
raire, nous ne craignons pas de le dire, mais toujours
sublime, n'exprimant qu'un seul cote de Platon , mais
Texprimant dans une ame toute chretienne et dans un
langage angelique. Malebranche, c'est Descartes qui s'egare,
ayant trouve des aiies divines et perdu tout commerce avec
la terre '''.
1. De la perfection du chretien, ch. xlv.
2. Voyez dans les FnAGMENTs de philosophie moderne, I'article in-
titule : Le Cardinal de Retz, cartesieii.
3. Baillet, dans la vie de Descartes, liv. 2^ chap xiv 2, raconte en
quelles circonstancesle cardinal de B^ruUeconnutles desseins philoso-
phiques de Descartes, et quels encouragements il leur donna. Ce furent
les Peres de Condren, Gibieuf et de Latarde qui introduisirent parmi
leurs confreres le gout de la nouvelle philosopliie. Voyez le Pere Taba-
raud dans son Histoire de Pierre de Berulle, Paris^ 1817^ I. II, p. 187,
et dans la Biographie universellQ , article Berulle.
4. Partout Malebranctie rend temoignagc a Descartes, ct Ic defend
n DES PENSfiES DE PASCAL.
Dans le xviii® siecle nous voyons trois grands sceptiques,,
Bayle, Hume, Voltaire, raais ces trois personnages ne pas-
saientpasjusqu'ici pour des servitoursde la religion. Parmi
ceux qui vinrent alors au secours de la foi chancelante, nul
n'a songe a lui donner pour appui le sceptieisme. MM. les
cardinaux de Polignac ' et Gerdil - ne sont pas des theolo-
contre ses ennemis. Recherche de la ve'rite',\iv 1", chap, vi : «M. Des-
cartes a prouvc demoastrativement Texistence d'nnDieu, rimmortalite
de nos ameSj plusieurs autres questions metaphysiques^ un tres-grand
nomtre de questions de physique, et notre siecle lui a des obligations
infinies pour les verites qu'il nous a decou'vertes. n Sur I'accord de la
la foi et de la raison; Entretiens sur la metaphysique : « Je ne croi-
rai jamais que la vraie philosophie soit opposee a la foi... La verite
nous parle de diverses manieresj mais certainement elle dit toujours
la meme chose. 11 ne faut done point opposer la philosophie a la reli-
gion, si ce n'est la fausse philosophie des payens... » « Nous sommes
tons raisonnables et essentiellement raisonnables; et de pretendre se
depouiller de sa raison comnie on se decharge d'un hahit de ceremo-
nie, c'est se rendre ridicule, et tenter iuutilement Timpossible. » Traite
de morale : « Mais, dit-on, la raison est corrompue; elle est sujette a
I'erreur; il faut qn'elle soit soumise a la foi; la philosophie n'est que
la seiTaute; il faut se defier de ses lumieres : perpetuelles equivoques!..
La raison doit toujours etre la niaitresse; Dieu meme la suit. L'intel-
ligence est preferable a la foi : car la foi passera; mais rinteUigence
subsistera eternellement... La foi sans intelligence, je ne parle pas
ici des mysteres dont oa ne peat avoir d'idee claire; la foi, dis-je, sans
aucnne lumiere, si cela est possible, ne pent rendre solidemenl ver-
tueux. C'est la lumiere qui perfectionne I'esprit et qui regie le coeur. »
1. L'Anti-Lucrece est fonde en grandepartie surle cartesianisnre. II
defend Descartes contre Newton et centre Locke. Au viu« livre sont les
vers celebres :
Quo nomine dicam
Naturi geniiim, patriae decus ac decns avi
Cartesiiim iiostri
2. Voyez particulierement Vimmaie'rlalite de I'dme demojit-rc'e, coti-
tre M. Locke^ avec de nouvelles preuves de rtf?imaterialifc' de Dieu et
de I'dme tireas de I'Ecriture, di-s Pcrea et de la raison. Turin, 1747.
Comme Arnauld avait appuye la maxime cartesieune, Je pense, done
je suis, sur Tautorite de saint Augustin, de meme Gerdil appuie sur
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. 23
giens de la force de Bossuet et d'Arnaidd, mais ce sont
encore les meilleurs defenseurs de Teglise au xviii* siecle,
et tons les deux appartiennent a Tecole cartesienne.
Saint-Sulpice n'est point suspect. Si Port-Royal est plus
grand, si I'Oratoire est plus instruit, Saint-Sulpice est plus
sage. G'est aprestout la plus saine ecole de theologie qu'il
y ait eu en France. Yoit-on que Saint-Sulpice ait proscrit
le cartesianisme et la philosophic ? son plus brillant eleve^
son eleve avoue et cheri est le cartesien Fenelon. Et de nos
jours encore, nous avons vu, nous avons connu dansnotre
jeunesse un pieux et savant superieur de Saint-Sulpice^ en
ineme temps conseiller de TUniversite, qui croyait suivre la
tradition de son ordre et du grand siecle en professant et en
recommandanl Taccord de la foi et de la raison. Loin d^etre
un adversaire de Descartes, M. I'abbe Emery en etait un ad-
un passage de saint Basile la demonstratioa de i'existence de Dieu
par son idee, p. 226 : « li est etonnant qae la prevention contre le pere
de la nouvelle philosophie ait tant pu dans Tesprit de quelques doc-
teurs Chretiens que, par attachcment a leurs prejuges et a leurs er-
reurs philosoptiiques qu'il a combattues avec tant de force et dont il a
enfin triomphe si glorieusement, ils n'aient pas craint de raccuser
d'impiete pour avoir fourni a la religion une nouvelle arme invincible
contre les athees, en ajoutant aux preuves qu'on avait deja de I'exis-
tence de Dieu une demonstration si belie et si lumineuse que jusqu'ici
on n'a rien su y opposer que d'absurde et de pueril. Quelle gloire pour
ce grand philosophe que les premiers principes, sur lesquels il ^tablit
sa metaphysique dans ses Miiditations , serveni aussi de fondement
inebranlable aux deux verites capitales de la religion, I'existence de
Dieu et Timmat^rialite de I'ame ! » Gerdil prend encore plus ouverte-
ment et plus en detail la defense de Descartes dans la dissertation in-
titulee : Incompatibilite des principes de Descartes et de Spinoza. Dans
un autre ouvrage, liistoire des sectes des phihsophes, I'illustre cardinal
s'exprime ainsi sur Descartes : « Quelque grand qu'il soit par tint de
sublimes decouvertes, il Test encore plus par sa Methodc et ses Medi-
tations. Ce sont des cbefs-d'ceuvre de raison et des ouvrages dignes de
I'antiquite, »
-24 DES PENSEES DE PASCAL.
mirateur eclaire. Son dernier ouvrage est un choix de mor-
ceaux classiques de Descartes en Thonneur commun de la
religion et de la philosophie ' . Ce digne pretre ne s'etait pas
fait scrupule de donner aussi des Pensees de Leibniz-; et
Leibniz, c'est Descartes avec un demi-siecle de progres en
tout genre, Descartes eleve a la plus haute puissance dans
un esprit d'une trempe differente mais non pas inferieure,
tout aussi inventif, tout aussi original, mais plus etendu et
plus vaste. Si Bossuet est eclectique a son insu, Leibniz
Test, le sachant et le voulant : nous voiia, ce semble, en
assez bonne compagnie, sans parler de Platen, le veritable
pere de Teelectisme. L ouvrage qui portera le nom de
Leibniz ii la derniere posterite^ la Theodicee n'est autre
chose qu'une collection de divers ecrits dont I'objet com-
mun est la conformite de la raison et de la foi ^
Dans Saint-Sulpice, et a cote meme de M, Tabbe limery,
nous pouvons invoquer aussi Thomme de notre temps qui
a jete Teclat de son nom sur cette congregation modeste,
M. Tabba Frayssinous^ eveque d'Hermopolis, qu'on n'ac-
cusera pas d'avoir ete mediocrement attache a Teglise^ et
1. Pensees de Descartes sur la religion et la morale, ISli . Le disconrs
preliminaire est une apologie cnmplete et reguliere de Dcscaitcs. Le
savant editeuv est meme centre Pascal dans la question obscure si
Descartes avait reellemeut conseille a Pascal I'experience de la pesan-
teur de I'air. II dol'ead aussi Descartes d'avoir prepare la voie a Spi-
noza.
2. Esprit de Leibnitz^ on recueil de pensees choisies sur la religiony
la morale^ I'/iistoire, la philosophie, etc., extraites de toutes ses ojuvres
latines et fran^aises ; Lyon, 1772; 2 volumes; seconde Edition en 1783;
en 1S19, Exposition de la doctrine de Leibnitz sur la religion^ suivie de
pensees extraites des ouvrages du mchne auleur.
3. G'est meme le titre parLiculier d'uii de ces ecrits : Discours de la
conformite de la foi avcc la raison. Essais de theod/ecc, l^e edition, Am-
sturdam, 1710, et uouvelle edition^ par le chevalier de Jaucourt, Am-
sterdam, 1747.
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. 25
quij dans ses solides conferences, n'a cesse de poursuivre le
grand objet que se sont constamment propose les theolo-
giens les plus autorises, Talliance d'une saine philosophic
et d'une religion eclairee *.
Ainsi, nous pouvons le dire sans crainte d'etre dementis,
Tentreprise de Pascal est condamnee par la pratique dc
toute Teglise de France^ par les plus grands theologiens et
les plus saints pretres^ par les ordres les plus differents;
et, pour qu'il n'y manque rien, elle est condamnee par les
jesuites eux-memes. Les jesuites^ en efFet, apres avoir tant
combattu et tant poursuivi le cartesianisme, ont fini par
Tabsoudre^ par le vantcr meme^ et le plus bel elogc de
■ Descartes au xvui'' siecle est de la main d'un jesuite^ le pere
Guenard-.
Gependant; tandis qu'au debut du xix^ siecle, M. de Cha-
teaubriand seduisait au christianisme Fimagination et le bon
gout par le charme des beautes nouvelles qu'il y decouvrait^
tandis que Tabbe Frayssinous^ aSaint-Sulpice, developpait
1. Bpfense du Christianisme ou Conferences sur la Religion. Paris,
182o, 3 volumes. Le 1" volume est coraine uii traite de philosopliie, ou
sont otablis par la pure raison et sur la foi du genre hnmain I'existence
de Dieu, la spiritualite de I'amc, la loi iiaturelle,le libre arbitre et I'ira-
mortalite de 1 ame. A ce livrejudicieux nous nous plaisons a joindre un
autre ecrit de la meme ccole et marque du meme caractere, la disserta-
tion dont M. I'abbe Gosselin a orne son edition aujourd'hui classiquc
des CEuvres de Feneion, dissertation oil il examine et apprecic Fenelon
comme metaphysicien, comme theologien, comme litterateur. La pre-
miere partie, Fenelon considere comme metaphysicicn , semble ecrite
avec la plume meme de M. I'abbe Emery. II est impossible de defendie
avec plus de sens et de mesurc la methodc et la philosophiede Descartes.
Voyez encore differents ecrits du cardinal de La Luzerne, entre autres :
Dissertation sur I'cj-istence et les attributs de Dieu. — Dissertations sur
la spiritualiie de I'dme et sur la liberie de I'homme, Langres, 1808.
2. Discours sur I'esprit philosophique couronne par TAcademie fran-
caise eu 1755.
26 DES PENS^ES DE PASCAL.
devant un nombreux auditoire le theme favori de i'eglise gal-
licane, obsequium raiionabile, une obeissance conforme a
la raison; tandis qu'iine philosophie genereuse, sortie du
sein de TUniversite, disputait Topinion au inaterialisme et a
Tatheisme et s'efforQait de rehabiliter parmi nous la tradi-
tion cartesienne, epuree et vivifiee a la lumiere de notre
siecle^ survint un homme qui, au lieu de poursuivre en
commun Toeuvre reparatricej la changea tout a coup en
une reaction violente , esprit vigoureux mais extreme^ se
precipitant avec Taveuglement de la logique dans toutes ies
consequences d'un principe^, ne s'arretant qu'au fond de
Tabime^ en sortant pour s'elancer encore dans une route
opposee avec la meme ardeur et le meine aveuglement , k
la fois obstine et mobile, et toujours excessif, dedaignant
ce que la plupart des hommes adorent_, le plaisir et la for-
tune, n'ayant d'aulre passion que la renommee de son nom
et le bruit de ses systemes. non pas le saint Bernard, mais
le J. -J. Rousseau de notre siecle. Tel est Thomme qui
reprit un jour I'entreprise abandonnee de Pascal et de
Huet, en croyant Tinventer, et qui s'imagina rendre un
service decisif a Veglise et terminer d'un coup toutes Ies
querelles en supprimant Tun des deux principes qu'il s'agis-
sait de mettre d'accord. M. Tabbe de Lamennais attaqua
tout dogmatisme; il ne distingua plus, comme on Tavait
fait jusqu'ici, entre la bonne et la mauvaise, entre la vraie
et la fausse philosophic; toute philosophie lui devintfausse
et mauvaise par cela seul qu'ellc s'appuyait sur la raison
et pretendait a une certitude qui lui fut propre : toute cer-
titude releva de Tautorite, laquelle n'eut plus d'autre fon-
demcnt qu'elle-meme, etant parcc qu'elle est et tant qu'elle
est. M. de Lamennais, c'est Pascal reduit en systemc; c'est
Tauteur de la Censure de la philosophie cartesienne et du
PREFACE DE LA PREMIERE ilDITION. 27
Traiie philosophigue de la faiblesse de Vesprit humain,
moins savant et moins methodique^ mais passionne^ mais
vehement, arnie a la fois de la logique de fer du Contrat
social et de la rhetorique enflammee de VHeloise, La doc-
trine nouvelle^ n'admettant qu'un seul principe^ Tautorite,
avait tout Teclat des systemes exclusifs; elle seduisit et
entraina les faibles. Elle se liait d'ailleurs h. toute I'entre^
prise du parti retrograde et violent qui a perdu la restaura-
tion, Depuis 1830, Tardent soldat de Tautorite est devenu
uu des apolres de la democratie. La jnonarcliie represen-
tative, qui lui paraissait autrefois la licence constituee, kii
est aujourd'hui une tyrannie insupportable. M. de Lainen-
nais est republicain en politique, et son point de depart en
philosophie n'est plus la revelation, mais la raison '. L'an-
cien abbe de Lamennais n'est plus, mais sa premiere doc-
trine demeure; cette doctrine a penetre dans le clerge :
Teglise de France, dans sa jeune milice, en a recu une
impression funeste. L^eglise a rejete M. de Lamennais,
mais elle a retenu, sinon tout son systeme^ du moins Tes-
prit qui Tanimait. C'est M. de Lamennais qui le premier a
attaque la philosophie moderne dans Descartes son pore; le
branle une fois donne, tout le monde a suivi, et il n\ a pas
aujourd'hui de feuille pretendue religieuse qui ne declame
a perte de vue contre Descartes et contre la philosophie.
Qu'est-ce en effet que toutes ces attaques qui tombent
chaque jour sur ce qu'on appelie la philosophie de I'Uni-
1 . Esquisse cV une philosophie, 3 vol. Paris, 1840. Tome I"^ Preface :
« La philosophie a sa racine dans notre nature, et c'est pourquoi on ne
pent en assigner le commencement. Gontemporaine de Thomme, elle
n'est que Vexercice mdriie de sa raison.,. » Gela n'empeche pas qu'on
ne rencontre dans VEsqidsse beaucoup de propositions qui r;ippeUent
le livre de I' Indifference. Deux esprits contraires y sent sans cesse aui
prises, etpour les accorder il faudrait un troisienie ouvrage.
28 DES PENSEES DE PASCAL.
versite, sinon le con Ire-coup et Techo monotone de la vicille
polemique du livre de Vindifjerence ? On n\i invente qii'un
seul mot nouveau, celui de pantheisme ; et voici toute la
variante qui a et6 faite k Targumentation de M. deLamen-
nais. M. de Lamennais disait : Toute philosophic qui veut
etre consequente aboutit au scepticisme; on nous dit aujour-
d'hui : toute philosophie qui partde la raison (et on appelle
cela le rationalisme) conduit necessairement au pantheisme,
c'est-a-dire a ^identification de Dieu et du monde, c'est-a-
dire encore au materialisme et k Tatheisme ; temoin mcs
amis et moi, auxquels, j'en demande pardon a ces mes-
sieurs, il faut qu'ils joignent^ s'ils veulent etre consequents
eux-memes, tous les grands personnages cites tout a I'heure^
et qui tous dans Tordrc philosophique ne s'appuient que
sur la raison. Mais a qui, de grace, fera-t-on accroire que
mcs amis et moinous confondions le monde et Dieu, comme
Volney et Dupuis, et que nous soyons devenus les tardifs
adorateurs de cette religion de Funivers-Dieu que nous
avons combattue a outrance pendant toute notre jeunessc?
Parlons sans detour : Qu'est-ce que le pantheisme? Ce
n'est pas un atheisme deguise, comme on le dit; non, c'est
un atheisme declare. Dire, en presence de cet univers si
vastCj si beau, si magnifique qu'il puisse etre : Dieu est 1^
tout entier, voila Dieu, il n'y en a pas d'autre; c'est dire
aussi clairement qu'il est possible qu'il n'y a point de Dieii,
car c'est dire que Tunivers n\a point une cause essentielle-
ment differente et distincte de ses etfets. Et c'est a nous
qu'on ose imputer une pareille doctrine!
Les rapports qui unissent la creation et le createur com-
posent un problfeme obscur et dclicat dont les deux solu-
tions extremes sont egalement fausses et perilleuses : ici
un Dieu tellement passe dans le monde qu'il a I'air d'y etre
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. 29
absorbe; la un Dieu tellement separe du nionde que le
monde a Tair de marcher sans lui : des deux cotes egal
exces^ egale erreur. Dieu est dans le monde toujours et par-
tout; de \k, avec Tetre et la duree, Tordre et les beautes de
ce monde qui viennent de Dieu^ melees des imperfections
inherentes a la creature; car, tout immense qu'il est, ce
monde est fmi en soi^ compare a Dieu qui est infmi; ii ea
manifeste, mais il en voile aussi la grandeur, Tintelligence,
la sagesse. L'univers est I'image de Dieu, il n'est pas Dieu;
quelque chose de la cause passe dans Teifet, elle ne s'y
epuise point. Uunivers meme est si loin d'exprimer Dieu
tout entier, que plusieurs des attributs de Dieu y sont con-
verts d'mie obscurite presque impenetrable et ne se decou-
vrent que dans Tame de Thomme. l/univers, c'est la neces-
site, c'est Tetendue, c'est la division, c'est une puissance
qui agit sans se connaitrc et qui ne veut rien de ce qu'elle
fait; mais Tame humaine est libre; elle est une, simple,
identique a elle-meme sous la diversite harmonieuse de ses
facultes; elle se connait et connait tout le reste; elle con-
g.oit la vertu et quelquefois elle Taccomplit; elle est capable
d'amour et de sacrifice. Or, il repugne que Tetre qui est la
cause premiere de cette ame, possede moins qu'il n'a
donne, et n'ait lui-meme ni personnalite, ni liberie, ni
intelligence, ni justice, ni amour. On Dieu est inferieur a
rhomme, ou il possede tout ce qu'il y a de permanent et
de substantiel dans Fhomme, avec Tinfmite de plus.
Cette declaration est sufFisante k Tequite et h. la bonne
fui ; mais elle ne Test pas au besoin d'accuser et a la pas-
sion de nuire.
On persistera a repeter, d'apr^s une ou deux phrases
ecritea il y a une vingtaine d'annees, et detournees de leur
sens naturelj que nous n^admetlons qu'une seule substance.
so DES PENSEES DE PASCAL.
que Tame est necessairenient un mode de cette substance,
et qu'ainsi nous sommes bien reellenient pantheiste et fata-
liste. Mais comment pouvons-nous faire de Fame humaine
un mode de Dieu, nous dont la premiere maxime de psy-
chologic et d'ontologie tout ensemble est que 1 ame de
riiomme a pour caracterc fondamental d'etre une force
libre, c'est-a-dire une substance, la notion de substance
elant enveloppec dans celle de force, comme nous Tavons
si souvent demontre avec M. de Biran et d'apres Leibniz?
On contestez cette demonstration, qui est le principe de
toute notre philosophic, ou cherchez un autre fondement
a votre accusation. Nous avons pousse si loin la liberte de
I'honmie, que nous en avons tire une politique profonde-
ment liberale, que nous recommandons a votre attention.
A nos yeux, comme a ceux de Leibniz, le monde exterieur
lui-meine est compose de forces, par consequent de sub-
stances. Si done nous avons parle quelque part de Dieu
comme de la seule substance, du seul etrc qui soit, n^est-il
pas evident que nous avons voulu marquer fortemeut par
la, a la maniere des platoniciens et de plusieurs peres de
Teglisc, la substance et ^essence eternelle et absolue de
Dieu en opposition a notre existence relative et bornee * ?
Plus d'une fois nous nous sommes plaint que le xvu* siecle
et le cartesianisme lui-meme avaient excede, en attribuant
trop a Taction de Dieu et en ne respectant pas assez la puis-
sance personnelle de I'homme, la force volontaire et libre
qui le constitue. Et voila q\i on nous attribue cette mysticite
sublime de Malebranche qui subslitue Taction divine a
1. ^■oyez, pour de plus grands details, Fragments philosophiques,
PHiLOsoPHiE coNTEMPORAiN'E, Avorfissement de la 3^ edition; toute la
Ire serie de nos cours de 1815 a 18^20; enfin, dans la Il« serie, le
tome I^"", appendice a la 5" Iccon, note 3.
PREFACE DE LA PREMIERE EDITION. SI
Taction de rhomme ! fitrange atheisme d'ailleuvs que celui
de Malebranche^ qui consisterait a sacrifier Thomme aDieu !
C'esl bien plutot la un Iheisme exagere; et pourtant nous
n'avons point hesite a le combattre \ et a faire voir dans
tons nos ecrits que rhomme et la nature sont des forces
douees d'une activite qui leur est propre, que Tame hu-
maine est une force libre autant qu'intelligente, qu'a ce
double titre elle a conscience d'elle-meme, se reconnait des
droits et des devoirs et la responsabilite de tons ses actes.
On ne manquera pas de repliquer que, si nous ne de-
truisons pas Dieu^ nous le meconnaissons en lui refusant
la liberte ^ puisque nous tenons la creation comme neces-
saire. Entendons-noiis. II y a, comme parle Fecole^ deux
sortes de necessites, la necessite physique et la necessite
morale. 11 ne pent etre question ici de la necessite physique
de la creation, car, dans cettc hypothese, Dieu, disons-le
pour la centieme fois, serait sans liberte, c'est-a-dire au-
dessous de I'homme. Reste done la necessite morale de la
creation. Eh bieni nous avons retire jusqu'a cette expres-
sion, par cela seul qu'elle pent paraitre equivoque et com-
promettre la liberte de Dieu. Et quant a cellede convenance
souveraine que nous y avons substituee, nous repeterons ici
I'explication que nous en avons donnee ", et qu'une triste
habilete vous a toujours fait supprimer. Je suis libre , c'est
la pour moi une demonstration invincible que Dieu 1 est et
1. Voyez EsQUissE d'une histoire de la PHiLosoPHiE, xi^ lecon sur
Spinoza et Malebranche ^ et dans les Fragments rdELosoPHiQiiEs^ pht-
LosopiiiE MODFRNR, I'artjcle sur la Conespondance de Mairan et de
Malebranche et le Menaoire siir les rapports du cartesianisme et du spi-
nozisme.
'2. Avertissement de la 3« edition des Fragments, ct 11^ serie de nos
courSj t. ler^ appendice a la 5* leron, note 2 : Du vrai sens dans lequel
il faut entendre la necessite de la creation.
n DES PENSEES DE PASCAL.
possedc (onto ma liberie en ce qu'elle a d'esscntiel, cl dans
un degre snprenie, sansleslimiles qu'imposent a ma nature
la passion et unc intelligence bornee. La liberte divine ne
connait pas les miseres de la mienne, ses troubles , ses in-
certitudes; elle s'unit naturellement a Tintelligence et a la
bonte divine. Dieu etaitparfaitement librede creeroudene
pas creer le monde et rhomme_, tout autant que je le suis
de prendre tel on tel parti. Cela est-il clair, dites-moi, et me
trouvez-vous assez explicite sur la liberte de Dieu ? Mais void
le nceud de ia difliculte : Dieu etait parfaitement libre de creer
ou de ne creer pas^ mais pourquoi a-t-il cree? Dieu a cree
parce qu'il a trouve la creation plus conforme a sa sagesse
el a sa bonte. La creation n'est point un decret arbitraire de
Dieu, comme le voulait Okkani; c'est un acte parfaitement
libre en lui-memc sans doute, mais fonde en raison: ilfaut
bien accorder cela. Puisqiie Dieu s'est decide a la creation,
il I'a preferee, et il Ta preteree parce qu'elle lui a p^ru
meilleure que le contraire. Et si elle a paru meilleure a sa
sagesse, il convenait done a cctfe sagesse, armee de la
toute-puissance, de produire ce qui lui paraissait le nieil-
leur. Voila noire optimisme : accusez-le tant que vous le
voudrez d'atheisme et de fatalismc , vous ne pouvez porter
cette accusation contrenous sans la faire egalement tomber
sur Leibniz, sans parler de saint Thomas et de bien d'autres,
et nous consentons a etre fataliste et atbee comme Leib-
niz. Le Dieu qui m'a fait pouvait assurement ne pas me
faire, et mon existence ne manquait point a sa perfection,
Mais, d'une part, si, creant le monde, il n'eiit pas cree
mon time, cette ame qui peut le comprendre et I'aimer, la
creation eut ele imparfaitc, car en reflechissant Dieu dans
quelques-uns de ses altributs, elle n'eiit pas manifeste les
plus grands et les plus saints, par exemple, la libert(5, la
PREFACt: DE LA PREMIERE EDITION. 83
justice et ramour; et, d'une autre part, il etaitbon qu'il y
e6t un monde, un theatre ou put se deployer cet etre
capable de s'elever jusqu'a Dieu h travers les passions et
les miseres qui Tabaissent vers la terre. Toutes les cboses
sont done bien- comme Dieu les a faites et conime elles sont.
D'oii il suit, ne vous en deplaise, que Dieu, sans etre
necessite ni physiquement, ce qui est absurde, ni morale-
ment, ce qui parait equivoque, demeurant libre et parfai-
tement libre , mais trouvant meilleur de creer que de ne
creer pas , crea non-seulement avec sagesse, niais en vertu
de sa sagpsse meme, et qu'ainsi dans ce grand acte Tiutel-
ligence et raniour dirig^rent la liberte.
Cette explication n'est point une concession; c'est le de-
veloppement regulier de la pensee fondamentale sur la-
quelle nous nous appiiyons, mes amis et moi , h. savoir^ que
la lumiere de la haute metaphysique est dans la psychologic.
C'est a Taide de la conscience et des elements permanents
qui la constituent que^ par une induction legitime, nous ele-
vons rhomme a la connaissance des attributs les plus caches
de Dieu. L'homme ne peut rien comprendre de Dieu dont
il n'ail au moins une ombre en lui-m^me: ce qu'il sent d'es-
sentiel en lui, il le transporle ou plutot il le rend k celui
qui le lui a donne ; et il ne peut sentir ni sa liberte, ni son
intelligence, ni son amour, avec toutes leurs imperfections
et leurs limites, sans avoir une certitude invincible de la
liberte, de Uintelligence, et de la bonte de Dieu , sous la
raisonde Tinfinite. Une psychologic profonde comme point
de depart, et pour dernier but une grande philosophic
morale et religieuse et en meme temps hberale, telle est
mon oeuvre, s'il m'est permis de parler ainsi, en opposi-
tion a I'atheisme que produit la psychologic superficielle de
Vempirisme, et en opposition aussi a la metaphysique hypo-
3
34 DES PENSEES DE PASCAL.
thetique de Tecole allemande, nee du dedain de la psycho-
logie. Si j'ai un nom en France, a quoi le dois-je, si ce
n'est a la tache perseverante que je poursuis depuis trente
annees, celle de combaltre le materialisme et I'atheisme,
consequences extremes de la philosophic du dernier siecle,
non pas, il est vrai, en faisant la guerre a la raison, mais en
essayant de la mieux dinger, non pas en abjurant la phi-
losophic, mais en proclamant au contraire sa haute etbien-
faisante mission? Je m'incline devant la revelation, source
unique des veritcs surnaturcUes; je m'incline aussi devant
Tautorite de Teghsc, nourrice et bienfaitrice du genre humain ,
a laquelle seule il a cte donne de parlor aux nations, de re-
gler les moeurs publiques, de fortifier et de contenir les
ames. Combien de fois n'ai-je pas defendu, comme homme
politique et comme philosophe , Taulorite ecclesiastique
dans ses justes limites' ? J'y ai perdu une ancienne popu-
larite, je ne la regrette point; je faisais men devoir, je suis
pret a le faire encore et k tout sacrifier a cette sainte cause,
lout exceple cette autre partie de la verite, de la justice et
de ma conviction reflechic, j'entends le sentiment de I'ex-
cellence de la raison humaine et du pouvoir qu'elle a regu
de Dieu de faire connaitre a Thomme et lui-meme et son
divin auteur. ficlairez ce pouvoir, n'essayez pas en vain de
Tetouffer. Respectez dans le cartesianisme la direction ge-
nereuse qu'il imprime a la pensee. Loin de repeter, contre
la verite des choses et contre I'evidence de I'histoire, que
toute philosophic conduit a I'atheisme, oh! je vous en con-
jure, proclamez bien haut que la mauvaise phiiosophie
1. Voyez parti culierement nos Bopports i la Ghambre iles pairs sur
la loi de rinstmction primaire , enlSSIt, rapports ou nous avons
defendu avec fermete la part legitime du clerge dans la surveillance
des ecoles du peuple, V« serie de nos ouvragrs , Instbiction pl'bliql-e,
t. te^ p. 46, otc.
PREFACE DE LA PREMIEUE EDITION. 35
conduit seule a cctte erreur funeste , et que la raison sage-
ment cultivee porte en elle ces croyances sans lesqiielles
celles de I'eglise manquent de fondement, et ne reposent
plus que sui'T imagination, ousurle desespoir impiede toute
verite, s'efforcant de se tromper lui-meme et tmublant
I'eglise au lieu d'y trouver lapaix. Quel avantage, dites-moi,
a procure k Teglise de France I'altier systeme que nous
combattons? 11 lui a donne un triomphe d'un jour^ puis dcs
dechirements malheureux, et maintenant encore une direc-
tion fatale, contraire a ses traditions nationales^ h ses inte-
rets de tons les temps, aux declarations des saints conciles,
au genie permanent du catholicisme. Au lieu de conibattre
rUniversite , que Teglise de Fra ^ se joigne a elle pour
accomplir de concert lenr diff'' . mission. Les profes-
seurs de philosophie de I'Univ . n'ont point a enseigner
la religion ;ilsn'en outpoint ' oit; car ilsneparlent point
au nom de Dieu; ils parler ,iu nom de la raisonj ils doi-
vent done enseigner une r losophie qui, pour ne pas tra-
hii' la raison elle-meme a societe et Tetat, ne doit rieu
contenir qui soit contra' a la religion. Les r61es sonttrop
differents pour etre ecb jes : leur tin derni^re est la meme,
la rehabilitation de \c ignite de l^ame, la foi en la divine
providence et le servi de la patrie.
Nous demandons p. 'on au lecteur de ces explications en
apparence assez deplacees dans un avant-propos a des va-
riantes de Pascal. Mais c'est Pascal, dans le livre memo
sur lequel roule ce travail, qui le premier a declare la
guerre au cartesianisme et a toute philosophie. Cette guerre
a ete renouvelee de nos jours; elle est parvenue en ce mo-
ment a la derni^re violence. II n'etait done pas malseant
d'adresser ici cette reponse aux ennemis de la philosophie,
et voici notre dernier mot : Que le gouvernement demeure
36 DES PENSEES DE PASCAL,
indecls et silencieux; que Tespril public epuis(^. devienne
de plus en plus etranger a ces nobles interets qui faisaient
battre le coeur a nos aieux et a nos peres et firent si long-
temps de la France Tame et I'intelligence du monde; que
des attaques sans frein epouvantent les faibles convictions
et ceux qui n'ont pas rexperience des difficultes de la vie :
il est un homme que sa bonne conscience maintiendra tran-
quille et ferme ; qui ne pliera pas sous cette coalition de tous
les mauvais partis; qui^ Dieu aidant, ne se laissera ni ega-
rer par les uns ni intimider par les autres ; qui ne manquera
jamais au profond respect dont il fait profession pour le
christianisme, et ne trahira pas davantage les droits, sacres
aussi, de la liberte de la pensee , ni sa foi a la dignite et k
Tavenir de la philosophic; inebranlablement attache au
drapeau de toute sa vie, dut ce drapeau etre insulte chaque
jOur, dechire et noirci par la calomnie.
15 d^cembre ilV.
PREFACE DE LA SECONDE EDITION.
Cette nouvelle edition n'est guere que la premiere fidele-
ment repvoduite, a Texception des changements suivants:
1« quelques corrections de detail; 2° un vocabulaire plus
ample des locutions remarquables de la langue de Pascal,
quelquefois avec I'indication de la source ou Pascal puise
ordinairement , a savoir, Montaigne; > le retranchement
d'un certain nombre de pieces qui depuis 1842 ont ete
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 37
transportees ailleurs',et I'addition de pieces nouvelles^ par
exemple^ de ce beau fragment sur TAmour dont la decou-
verte inattendue denieurera^ s'il nous est permis dele dire^
la recompense de nos travaux sur Pascal,
Nous n'avons emprunte a personne les principes de cri-
tique qui sent dans le Rapport a VAcademie francaise.
Nous avons le premier distingue les parties diiFerentes et
souvent etrangeres dont se compose le livre des Pensees;
nous avons separe tout ce qui appartient veritablement au
grand ouvrage que meditait Pascal, VApologie de la Reli-
gion chretienne, et nous avons eu Tidee, tres simple , il
est vrai, mais dont on ne s^elait pas avise, de restituer
dans leur sincerite la pensee et le style de ce grand maitre,
d'apr^s lemanuscrit autographe conserve a la Bibliotheque
du roi : entin^ ce projet de restitution, nous ne I'avons pas
seulement expose; nous Tavons execute sur les morceaux
les plus etendus, les plus celebres, les plus importants.
Voila le service que nous avons rendu aux lettres ; d'ob-
scures menees ne TefFaceront point. On a beau derober les
principes que nous avons etablis, en ayant I'air de les coni-
battre; tousles faux-semblants ne servent de rien; suivre
des regies posees par un autre, jusqu'a les compromettre
par une application outree, ce n'est point les inventer, tout
comme reimprimer a grand bruit des pieces qui ont deja
paru , sans citer le premier editeur^ n'est pas les publier
pour la premiere fois.
Nous avions un nnoment songe a mettre au jour un plus
grand nombre de pensees nouvelles. La reflexion nous
a retenu. Dans Tinteret meme de la renommee de Pas-
cal, surtout dans Tinteret des lettres, nous avons du nous
borner a nos premiers extraits, une lecture attentive ne
1. Dans Jacqueline Pascal.
38 DES PENSEES DE PASCAL.
nous ayant fait decouvrir aucun fragment nouveau qui
fut superieur a ceux que nous avions donnes. II ne faut
faut pas adorer superstitieusement tons les restes d'un
grand homme. La raison et le gout ont un choix a fairo
eiitre des notes quelquefois adniirables^ quelquefois aussi
depourvues de tout interet dans leur etat actuel. Un
fac-simile n'cst point Tedition, a la fois intelligente et
fidele^ que nous avions demandee et que nous deniandons
encore'.
Mais considerons par un endroit plus serieux I'ecrit que
nous allons remettre sous les ycux du public. Nous n'avions
entrepris qu'un travail litteraire; notre unique dessein avait
ete de reconnaitre et de montrer Pascal tel qu'il est reelle-
ment dans ce qui subsiste de son dernier ouvrage^ et il est
arrive qu'en I'examinant ainsi, nous avons vu a decouvert,
plus frappant et mieux marque , le trait distinctif et domi-
nant de Tauteur des Pensees. Deja, en 1820 -, nous avions
trouve Pascal sceptique, jusque dans Port-Royal et dans
Bossut ; en 1842, nous Tavons trouve plus sceptique encore
dans le manuscrit autographe, et malgre la vive polemique
qui s'est elevee a ce sujet, notre conviction n'a pas ete un
seul moment ebranlee : elle s'est meme fortifiee par des
etudes nouvelles.
Quoi ! Pascal sceptique! s'est-on eerie presque de toiites
parts. Quel Pascal venez-vous mettre a la place de ceiui
qui passait jusqu'ici pour un des plus grands defenseurs de
i. Un digne eK've de rEcole normiLle, doveiiii un maltre plein d'aii-
t(>Lit(% ^\. Havet, a outin dnnac t'f'dition savauto et ciitiqne qup nnus
avions demandoi'. Vcnsrrs ffe Pnsra/ p„f,/irr.s dans hnr tr.rh- aiiihniti-
(jne, (tree ui cnmineiitairr' m'ci et loie vlale lif/-r, par E. llavet,
2. ESQDISSE DUNK inSTOlRE DE LA PHlLUSOl'HIEj leC. XII, p. 338.
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 33
la religion chretienne? Eh ! de gi'Ace, messieurs, entendons-
nous, je voQs prie. Nous n'avons pu dire que Pascalfut scep-
tique en religion : c'eut ele vralment une absurdite un peu
trop forte : bien loin de la, Pascal croyait an cliristianisme de
toules les puissances de son ame. Nous ne voulons point
revenir et insister stir la nature de sa foi: nous n'avons pas
craint del'appelerunefoi malheureuse, et que nous nesou-
haitons a aucun de nos semblables; mais qui jamais a pu nier
que cette foi n'ait ete sincere et profonde? II faut poser nette-
nient et ne pas laisser chanceler le point precis de la ques-
tion : c'est en philosophie que Pascal est sceptique et non
pas en religion, et c'est parce qu'il est sceptique en philo-
sophie qu'il s'attache d'autant plus etroitement a la reli-
gion , comnie a la derniere ressource de Thumanite dans
rimpuissance de la raison, dans la mine de toute verite
naturelle parmi les liommes. Voila ce que nous avons dit,
ce que nous maintenonS; et ce qu'il importe d'etablir une
derniere fois sans replique.
Qu'est-ce que le scepticisme? Une opinion philosophique
qui consiste precisement a rejeter toute philosophie conime
impossible, sur ce fondement que Thomme est incapable
d'arriver par lui-meme a aucune verite, encore bien moins
acesverites qui composentce qu on appelle en philosophie
la morale et la religion naturelle, c'est-a-dire la liberte de
ThommCj la loi du devoir, la distinction du juste et de
rinjuste, du bien et du nial, la sainlete de la vertu, Tiinma-
terialite de Tame et la divine providence. Toutes les phi-
losophies dignes de ce nom aspirent a ces verites. Pour y
parvenir, celle-ci prend un chemin, et celle-la en prend un
autre: les precedes different; de la des methodes et des
ecoles diverses, moins contraircs entre elles qu'on ne le
croit au premier coup d'oeil, et dont rhisloire cxprime le
40 DES PENSEES DE PASCAL,
mouvement et le progres de rintelligence et de la civilisa-
tion humaine. Mais les ecoles les plus differentes poursui-
vent une fin commune, I'etablissement de la verite, et
elles partent d'un principe commun, la ferme confiance
que I'homme a re<;u de Dieu le pouvoir d'atteindre aux
verites de Tordre moral , aussi bien qu'a celles de I'ordre
physique. Ce pouvoir naturel, qu'eiies le placent dans la
sensation ou dans la reflexion , dans le sentiment ou dans
rintelligence, c'est la entre elles une querelle de famille j
mais elles s'accordent toutes sur ce point essentiel que
I'homme possede le pouvoir d'arriver au vrai, car a ce
litre, et k ce titre seul^ la philosophic nest pas une chimere.
Le scepticisme est Fadversaire, non pas seulement de
telle ou telle ecole philosophique, mais de toutes. II ne faut
pas confondre le scepticisme et le doute. Le doute a. son
emploi legitime, sa sagesse, son utilite. 11 sert a sa mani^re
la philosophic^ car il Tavertit de ses ecarts, et rappelle a la
raison ses imperfections et ses limites. II pent tomber sur
tel resultat, sur tel procede, sur tel principe, meme sur tel
ordre de connaissances; mais aussitot qu'il s'en prend a la
faculte de connaitre, s'il conteste a la raison son pouvoir
et ses droits, des la le doute n'est plus le doute, c'est le
scepticisme. Lc doute ne fuit pas laverite, il la cherche,
et c'est pour mieux Tatteindre qu'il surveille et ralentit les
demarches sonvent temeraires de la raison. Le scepticisme
ne cherche point la verite, car il sait ou croit savoir qu'il
n'y en a point et qu'il ne peut y en avoir pour Thomme. Le
doute est a la philosophic un ami nial commode, souvent
importun, toujours utile : le scepticisme lui est un ennemi
mortel. Le doute joue en quelque sorte dans Tempire de
la philosophic le role deTopposition constitutionnelle dans
le systeme representatif; il reconnait le principe du gou-
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 41
vernement, il n'en critique que les actes , et encore dans
rinteret meme du gouvernement. Le scepticisme ressemble
a une opposition qui travaillerait a la mine de Tordre eta-
bli, et s'efforcerait de detruire le principe meme en vertu
duquel elle parle. Dans les jours de perils Topposition
constitutionnelle s'empresse de preter son appui au gou-
vernement, tandis que Tautre opposition invoque les dan-
gers et y place Vesperance de son triomphe, Ainsi quand
les droits de la philosophic sont menaces, le doute, qui se
sent menace en elle, se rallie a elle comme a son principe;
le scepticisme, au contraire, \h\G alors le masque et trahit
ouvertement.
Le scepticisme est de deux sortes : ou bien il est sa tin
a lui-meme , et se repose tranquillement dans le neant de
toute certitude; ou bien il a un but secret tout different
de son objet apparent^ il cache son jeu, et ses plus grandes
audaces ont pour ainsi dire leur dessous de cartes. Dans le
sein de la philosophic il a Tair de combattre pour la liberie
illimitee de I'esprit humain contre la tyrannic de ce qu'il
appelle le dogmatisme philosophique^ et en realite il cons-
pire pour une tyrannic elrangere.
Qui ne se souvient, par exemple, d'avoir vu de nos jours
un ecrivain fameux precher, dans un volume de V Essai
sur IHndifference, le plus absolu scepticisme^ pour nous
conduire, dans les autres volumes^ au dogmatisme le plus
absolu qui fut jamais?
Reste a savoir si le scepticisme, tel que nous venous de
le definir en general, est ou n'est pas dans le livre des
Pensees,
11 y est, selon nous^ il y eclate h toutes les pages, a
toutes les ligues. Pascal respire le scepticisme; il en est
plein; il en p?oclamc le pniicipe, il en accepte toutes les
42 DES PENSfiES DE PASCAL.
consequences, et il le pousse d'ahord a son dernier terme,
qui est le mepris avoue et presque la haine de toute philo-
sophie.
Oui, Pascal est un ennenii declare de la philosophic: il
n'y cioit ni beaucoup ni peu ; il la rejette absolument.
ficoutons-le, non dans Vecho affaiblide Tedition de Port-
Royal et de Bossut, mais dans son propre manuscrit, temoin
incorrnptible de sa veritable pensee.
A la suite de la fameuse et si injuste tirade contre Des-
cartes, Pascal a ecrit ces mots : « Nous n'eslimons pas que
toute la philosophie vaille une heure de peine. » Et ail-
leurs: » Se moquer de la philosophie, c'est vraiment phi-
losopher. »
Ge langage est-il assez clair? Ce n'est pas ici telle ou telle
ecole philosophique qui est condamnee , c'est toute etude
philosophique , c'est la philosophie elle-meme. Idealisles
ou empiristeSj disciples de Platon ou d'Aristole, de Locke
ou de Descartes, de Reid ou de Kant, qui que voiis soyez,
si vons etes philosophcs, c'est a vous lous que Pascal de-
clare la guerre.
Aussi , dans Thistoire entiere de la philosophie, Pascal
nlabsout que le scepticisme. « Pyrrhonisme, Le pyrrho-
nismc est le vrai. » Coraprenez bien cette sentence deci-
sive. Pascal ne dit pas: II y a du vrai dans le pyrrhonisme,
mais: Le pyrrhonisme est le vrai. Et Ic pyrrhonisme, ce
n'est pas le doute sur tel ou tel point de la connaissance
humaiuo, c'est ledoutc universel, c'est la negation radicale
de tout pouvoir naturel de conuailre. Pascal explique par-
faitemcnt sa pensee: « Le pyrrhonisme est le vrai; car,
apres tout, les hommes avant Jesus-Christ, ne savaient oil
ils en etiiient, ni s'ils etaieut grands ou petits; et ceux qui
ont dit I'un ou Fautre n'en savaient rien , ct dcvinaient sans
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 43
raison et par hasard^ et meine ils erraient toujours en
excluant Tun on Tautre. »
Ainsi^ avant Jesus-Christy le seul sage dans le monde,
ce n'est ni Pythagore ni Anaxagore, ni Platon^ ni Aristote,
ni Zenon ni Epicure, ni meme vous, 6 Socrate, qui etes
mort pour la cause de la verite el de Dieu; non, le seul
sage est Pyrrhon; comme, depuis Jesus- Christ, de tous les
philosophes le nioins meprisable n'est ni Locke ni Descar-
tes, c'est Montaigne.
Desirez-vous qu'on vous montre dans Pascal le principe
de tout scepticisnie, rimpuissance de la raison humaine? on
n'est embarrasse que du choix des passages.
« Qu'est-cc que la pensee? Qu'elle est sotte !
M Humiliez-vous^ raison inipuissante- taisez-vous, nature
imbecile. »
Que signifient ces hautaines invectives, si elles ne partent
pas d'un scepticisme bien arrete?
On le conteste pourtant, et voici la specieuse objection
qui nous est faite. Vous vous meprenez, nous dit-on, sur la
vraie pensee de Pascal. Nous Tavouons, il est sce[ttique a
Tendroit de la raison; niais qu'importe, s'il reconnait ua
autre principe naturel de certitude? Or ce principe, supe-
rieur a la raison, c'est le sentiment, riustinct^ le ca'ur.
Echiircissons ce point interessant.
Pascal a ecrit uuc page remarquable sur les verites pre-
mieres que le raisonnement ne pent demontrer, et qui ser-
vent de fondement a toute demonstrati(jn.
« Nous connoissons la verite non - soulemcnt par la
raison, mais encore par le cueur: c'est de cette derniere
sorte que nous connoissons les premiers principcs, et c'est
en vain que le raisonnement qui n'y a point de part essaie
de les combattre.Les pyrrhoniens, qui n'ont que cela pour
44 DES PENSfiES DE PASCAL.
objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne
revons point, quelque impuissance oil nous soyons de le
prouver par raison : cette impuissance ne conclut autre
chose que la foiblesse de notre raison , mais non pas Tin-
certitude de toutes nos connoissances, comme ils le preten-
dent; car la connoissance des premiers principes, comme
qu'il y a espace, temps, meuvement, nombre, est aussi
ferme qu'aucnne de celles que nos raisonnements nous
donnent, et c'est sur ces connoissances du coeur etdel'lns-
tinct qu'il faut que la raison s'appuie et qu elle y fonde
tout son discours. Le cceur sent qu'il y a trois dimensions
dans I'espace et que les nombres sont infmis, et la raison
demontre ensuite qn'il n'y a point deux nombres carres
dont Tun soit le double de Tautre. Les principes se sentent,
les propositions se concluent, et le tout avec certitude,
quoique par dili'erentes voies; et il est aussi inutile et aussi
ridicule que la raison demande au cceur des preuves de ses
premiers principes pour vouloir y consentir, qu'il seroit
ridicule que le coeur demandat a la raison un sentiment de
toutes les propositions qu'elle demontre pour vouloir les
recevoir. Cette iuipuissance ne doit done servir qu'a humi-
lier la raison qui voudroit juger de tout, mais non pas a
combattre notre certitude, comme s'il n'y avoit que la rai-
son capable de nous instruire. Plut a Dieu que nous n'en
eussions au contraire jamais besoin, et que nous connus-
sions toutes choses par instinct et par sentiment ' ! »
1, n y a dans Pascal plusieurs passages semblables : « L'esprit et le
coeur sont comme les porles par ou les verites sontrecues dans I'amo. »
... <( Le coeur a son ordre; I'esprit a le sieti, qui est par principes et
demonstrations. Le cceur en a un autie : on ne prouve pas qu'on doit
etre aime en exposant d'ordre les causes de Tamour. Cela serait ridi-
cule. »... (f Le coeur a ses raisons que la raison ne connait pas; on
le f cut en mille cho -cs. » « Instinct et raison , marque de deux natures. »
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. ^.H
Nous adherens volontiers a cette theorie ; mais Pascal ne
I'a point inventee : elle est vulgaire en philosophie, et par-
ticulierement dans Tecole platonicienne et cartesienne.
Voila done ce superbe conteinpteur de toiite philosophie
devenu k son tour un philosophe et le disciple de Platon et
de Descartes. C'est la d'abord une bien etrange naetamor-
phose. Et puiSj quand on emprunte a la philosophie une
de ses maximes les plus cel^bres, il faudrait la bien coni-
prendre et Texprimer fid^lenient.
II est assurenient des verites qui reinvent d'une toute
autre faculte que le raisonnement. Quelle est cette faculte?
Toute Tecole cartesienne et platonicienne Tappelle la raison,
bien differente du raisonnement , comme le dit fort bien
Moli^re :
Et le raisonnement en bannit la Taison.
La raison, c'est le fond meme de Tesprit humain- c*est la
puissance naturelle de connaitre, qui s'exerce tres diverse-
ment, tantot par une sorte d'intuilion ^ par une conception
directe^ et c'est ainsi qu'elle nous revele .es verites pre-
mieres et ces principes universels et necesaires qui com-
posent le patrimoine du sens commun, tantot par voie de
deduction ou d'induction^ et c'est ainsi qi'elle forme ces
longues chaines de verites liees entre ell© qu'on nomme
les sciences humaines. Toutes les verites ne se demontrent
pas; il en est qui brillent de leur propre evidence, et que
la raison attaint par sa vertu propre et parTenergie qui lui
appartient ; mais dans ce cas , comme dans tons les autres,
elle est toujours la raison humaine : on peut meme dire
que sa puissance naturelle y parait davaitage. En repro-
duisant cette theorie aussi vieille que la philosophic*, et
1. Voyez nos ecrits, pasaim, entre autres, Du Arai^ du Beau et di,t
46 DES PENSEES DE PASCAL.
qull a I'air de croire nouvellc, Pascal la fausse un pen par
les formes qu'il lui prete. N^en deplaise au grand geometre
et a ce maitre consomme en Tart de parler et d'ecrire,
peut-on appfouverce singulier langage : Le cceur sent qu'il
y a trois dimensions dans respace? Pourquoi ces facons
de parler si extraordinaires pour dire avec deux ou trois
cents pliilosoplies la chose du nioiide la plus (commune, a
savoir que la notion de Tetendue et de Tespace n'est pas
une acquisition du raisonnement, mais une conception di-
recte de la raisoii_, de I'entendement , de rintelligence,
comme il plaira de I'appeler, entrant en exercice a la suite
de la sensation?
Pascal fait pis: il tourne contre elle-meme la theoriedes
verites premit.M'es ct indemontrables, a I'aide d'une sorte
de jeu de mots peu digne de son genie. Ce que tout le
monde appelle le raisonnement, il sied a Pascal de Tap-
peler la i-aison; a la bonne iieure, si, conformenient aux
regies do la definition (jull a lui-meme etablies, il prend
soin d'en avertif; mais il n'en avertit nullement, et voici
comment il argymente a son aise. II s'adresse an raisonne-
ment qu'il nomrnc la raison, et Tinterpellc de justifier les
principes des comaissances lumialnes. Le raisonnement ne
le pent, car sa fonclion n'est pas de demontrer les prin-
cipes dont il paii. Et sur cela Pascal le foudroie: « Humi-
liez-vous, raison .mpuissante, taisez-vous, nature imbecile.))
Mais si a la place du raisonnement, qui seul ici est vrai-
ment en cause, la raison prenait la p;irole, elle rappellerait
a Pascal sa theoiie oubliee, et, nu nom de cette theories
elle hii repondrait qu'elle est si peu impuissante qn'elle a
le pouvoir mervqlleux de uoas reveler la verite sans le
CiEN, ler Y, du Mysi^isme, p. lOG; Icc. xvn, p. 44G; PdiLOsopniE ECOS-
sAisEj lee, u et ui, Ihtdteson, etc.
PRfiFAGE DE LA SEGONDE EDITION. 47
secours d'aucun raisounement; elle repondrait qu'elle est
de sa nature si peu imbecile qu'elle s'eleve, par la force qui
est en elle^ jusqu'a ces verites premieres et eternelles que
le scepticisme peut reuier du bout des l^vres, mais qu'en
realite il ne peut pas ne pas admettre, el que ses arguments
memes contiennent ou supposent. Elle pourrait dire a Pas-
cal : Ou vous abandonnez la theorie que vous exposiez tout
k I'heure^ ou vous la niaintenez; si vous rabanclonnez,
quel paradoxe, a voire tour, etes-vous a vous-meme! Si
vous la maintenez^ abjui'ez done, pour etre fidele a vos
propres maximes, vos dedains irreflecbis^ et honorez cette
lumiere a la fois humaine et divine^ qui eclaire tout bomme
a sa venue en ce moncle, et decouvre a un patre aussi bien
qu'a vous-meme toutes les verites necessaires^ sans Fappa-
reil souvent trompeur des demonstrations de Tecole.
Ceite reponse suffit^ ce nous semble_, et pourtant il la
faut pousser plus loin; il faut montrer que le scepticisme
de Pascal ne fait pas la moindre reserve en favour des
verites du sentiment et du ca?ur, et qu'il est trop ctnse-
queni pour ne pas etre sans limites. En effet, comnie Ta dit
M.Royer-Gollard: x O71 ne fait point au .scept'(ismesapart;y)
il est absolu ou il n'est pas; il triomphe entierement on il
peril tout entier. Si sous le nom de sentiment la raison nous
fournit legitiuiement des premiers principes certains, le rai-
sounement, se fondant sur ces principes, en tirera tres legiti-
meinent aussi des conclusions ccrtaines^, et la scienct; se
releve tout entiere sur la plus petite pierre qui lui est lais-
see. C'en est fait alors du dessein de Pascal. Pour que la
foi, j'entends ici avec lui la foi surnaturelle en Jesus-Christ,
donne tout, il faut que la raison naturelle ne doune rien,
qu'elle ne puisse rien ni sous un nom ni sous un autre.
Aussi Pascal a-t-il a peine acheve cette exposition si
AX DES PENSl^.F.S DE PASCAL,
vantee des verites de sentiment, et dejk il s'applique a les
rabaisser, k en diminuer le nombre, a en contester Taulo-
rite. Lui qui a dit, dans un moment de distraction, que la
nature confond le pyrrhonisme comnie le pyrrhonisme con-
fond la raison (entendez loujours le raisonnement), lui qui
vient d'ecrire ces mols : « Nous savons bien que nous ne
revons point, quelque impuissance oil nous soyons de le
prouver par raison », le voila maintenant qui reprend les
arguments du pyrrhonisme , qu'il semblait avoir brises a
jamais, et les tourne centre le sentiment lui-meme, pour
miner lout dogmatisme qui s'accommoderait aussi bien du
sentiment que de la raison, pour decrier toute philosophie
et accabler la nature humaine. Pascal precede avec ordre
dans cette entreprise ; il y marche pas a pas, et n'arrive que
par degres a son dernier but.
D'abord il s'etudie a faire voir que le pyrrhonisme est loin
d'etre sans force centre les verites naturelles, et qu'il sert
au meins a embrouiller la maiiere, ce qui est deja quelque
chose. Le passage est curieux :
« Nous supposons que tous les hommes congoivent de
meme sorte, mais nous le supposons bien gratuitement,
car neus n'en avons aucune preuve, Je sais bien qu'on ap-
plique ces mots dans les memes occasions, et que toutes
les fois que deux hommes voient un corps changer de place
ils expriment tous deux la vue de ce meme objet par les
memes mots, en disant I'un et Tautre qu'il s'est mu ; et
de cette conformite d'application on tire une puissante con-
jecture d'une conformite d'idee; mais cela n'est pas abso-
lument convaincant de la derniere conviction, quoiqu'il y
ait bien a parier pour Taffirmative, puisqu'on sait qu'on
tire souvent les memes consequences des suppositions dif-
ferentes.
PRKFACE DE LA SECONDE EDITION. /,9
« Cela suffit pour embrouiller au moins la matiere^ non
que cela eteigne absolument la clarle naturelle qui nous
assure de ces choses; les academiciens auraient gage; mais
cela la ternit et trouble les dogmatistes, a la gloirc de la
cabale pyrrhonienne, qui consiste a cette ambigmte ambi-
gue et dans uiie certaine obscurite douteusc dont nos
dontos nc peiivent oter toute la clarte ni nos lumieres na-
turelles en chasser toutes les tenebres. »
Voila dejii la lumiih'e naturelle obscurcie^ et^ grace a
Dieu^ la woi'ere embrouillee; mais le principe d'une clarle
naturelle, si faible qu'elle soit, subsiste encore: il la faut
eteindre et achever le chaos, Pascal ira done jusqu'a sou-
tenir que, hors la foi et la revelation, le sentiment lui-meme
est impuissant. Quoil le sentiment sera-t-il a ce point im-
puissant que sans la revelation Thomme ne sache pas legi-
timement s'il dort ou s'il veille?Tout aTheure Pascal s'etait
moque du pyrrhonisme qui pretendait aller j usque -la.
MaiSj encore une fois, si le pyrrhonisme ne va pas jusque-
la, il est perdu; pen a pen le sentimentj Tinstinct;, le coeur,
regagneront sur lui une a une toutes les verites essentielles
enlevees a la raison. II faut done suivre resolument le
pyrrhonisme dans toutes ses consequences pour que son
principe demeure, el Pascal n'ose plus trop affirmer que
riiomme sail naturellement s'il dort ou s'il veille,
« Les principales forces des pyrrhoniens (je laisse les
moindres) sont que nous n'avons aucune certitude de la
verite des principesj hors la foi et la revelation, sinon en
ce que nous les sentons naturellement en nous. Or, ce sen-
timent naturel n'esl pas une preuve convaincante de leur
verile, puisque, n'y ayant point de certitude, hors la foi, si
I'homme est cree par un Dieu bon, par un demon mechant
et 'h I'aventuro, il est en doute si ces principes nous sont
50 DES PENSEES DE PASCAL.
donnes ou veritables ou faux ou incertains, selon notre
origine; de plus, que personne n'a d'assurance, hors de la
foi, s'il veille ou s'il dort, vu que durant le sommeil on croit
veiller aussi fermement que nous le faisons, on croit voir
ies espaces, les figures, les mouvements, on sent couler le
temps, on le mesure, et enfin on agit de meme qu'eveille;
de sorte que, la moitie de la vie se passant en sommeil, par
notre propre aveu ou quoi qu'il nous en paraisse, nous
n'avons aucune idee du vrai; tous nos sentiments etant alors
des illusions, qui salt si cette autre moitie de la vie oil nous
pensons veiller n'est pas un autre sommeil, un peu diffe-
rent du premier, dont nous nous eveillons quand nous pen-
sons dormir, comme on revc souvent qu'on reve, en faisant
un songe sur Tautre?
« Je m'arrete a I'unique fort des dogmatistes, qui est,
qu'en parlant de bonne foi et sincerement, on ne peut dou-
ter des principes naturels; contre quoi les pyrrhoniens
<>pposent en un mot I'lncertitude de notre origine, qui en-
ferme celle de notre nature; a quoi ces dogmatistes ont
encore h repondre depuis que le mondedure. *>
Comment! on n'a pu repondre a ces objections, depuis
•jue le monde dure ! Mais nous venons d'entendre Pascal
y repondre lui-memc par sa theorie des verites premieres
placees au-dessus de tout raisonnement, et par la inacces-
sibles a toutes les atteintes du pyrrhonisme. Quoi I pour
savoir si je dors ou si je veille, si je vous vois ou si je ne
vous vois pas, si deux et deux font bien quatre, si je dois
garder la foi donnee, etre sincere, probe, temperant, cha-
ritable, etc., il faut d'abord que j'aie fait un choix ab-
solument inattaquable parmi tant de sytenies sur notre
origine et sur Tessence de la nature humaine! Mais ces
systemes sont precisement le sujet de disputes perpe-
PREFACE DE LA SECONDE EDITIUN. 51
tuelles^ tandis que la puissance du sentiment, de Tinstinct,
du coeur, c'est-a-dire de la raison naturelle, gouverne I'hu-
manite depuis que le monde dure !
Vous croyez Pascal redevenu. tout a fait pynhonien?
Point du tout; ii va de nouveau abandonner son pyrrho-
nisme, comme devant le pyrrhonisme il vient d'abandon-
ner la theorie du sentiment. Apres le morceau que nous
venons de citer, il ajoute :
« Voila la guerre ouverte entre les hommes, oil il faut
que chacun prenne parti et se range necessairement ou au
dogmatisme ou au pyrrhonisme : car qui pensera demeu-
rer neutre sera pyrrhonien par excellence : cette neutralite
est I'essence de la cabale. Qui n'est pas contre eux est excel-
lemment pour eux ; ils ne sont pas pour eux-menies, ils
sont neutres, inditferents, suspendus a tout, sans s'ex-
cepter.
« Que fera done Thomme en cet etat? Doutera-t-il de
tout, doutera-t-il s'il veille, si on le pince, si on le brule ,
doutera-t-il s'il doute, doutera-t-il s'il est? On n'en pent
point venir la. Je mets en fait qu'il n'y a jamais eu de pyr-
rhonien etfectif et parfait. La nature soutient la raison im-
puissante et I'empeche d'extravaguer jusqu'a ce point. »
Ainsi la nature soutient la raison; Pascal le declare lui-
meme; cette nature, de son propre aveu, n'est done pas
impuissante : le sentiment naturel a done nne force a la-
quelle on pent se fier ; il autorise done les verites qu'il nous
decouvre; ces verites, degagees par la reflexion, peuvent
done former une doctrine solide et tres legitime. Ou ces
mots : « la nature soutient la raison » ne signifient rien, on
leur portee vaj usque-la.
Mais cette conclusion ne pouvait convenir a Pascal. 11
revient bien vite sur ses pas, et apres avoir reconnu que la»
b2 DES PENSEES DE PASCAL.
nature soutiont la raison impuissantc, c cst-a-dirc qu'il y a
line certitude natiirelle anterieure el superieure au raison-
nenient, il s'ecric : « L^hoiume dira-t-il au contraire qu'il
possede certainement la verite? » — Oui, il le dira, d'apres
vous et avec vous; il dira qu'il possede certainement, non
pas toute espece de veriteSj niais un assez bon nombre, et
d'abord les verites du sentiment, de Tinstinct, du coeur; ou
Lien il succonibera a cet absolu pyrrhonisme que vous de-
clarez vous-nieme impossible.— « Dira-t-il qu'il possede
certainement la verite, lui qui, si peu qu'on le pousse, ne
pent en niontreraucun titrc, et est force de lacher prise? »
— Mais il n'a pas besoin de montrer le titre des premiers
principes et des verites de sentiment; car ces principes et
ces verites out leur titre en eu\-memes^ et leur propre
verlu les justifie. L'honmie n'est done pas force de lacher
pri:e; loin de lii, il adlieie inebranlablement a ces verites
supremes^ que la nature lui decouvre et lui persuade^ en
depit de tous les arguments du pyrrhonisme. Aussi_, nous
u'hL'sitons point a le dire, tout ce qui suit dans Pascal, si
admirable qu'il puisse etre par I'energie et la magnificence
du langage, n'est apres tout qu'une piece d'eloquence qui
n'a pas memc le merite d'une consequence parfaite.
Le pyrrhonisme a si bien pris possession de Tesprit de
Pascal, que hors de la Pascal n'aper^oit qu'extravagance.
« llien ne fortitie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en
a qui ne sont point pyrrhoniens. Si tous I'etaient^ ils au-
roient tort... Cetle secte se fortifie par ses ennemis plus que
par ses amis. Gar la foiblessc de I'homme paroit bien da-
vantage en ceux qui ne la connoissent pas, qu'en ceux qui
la connoissent... 11 est bon qu'il y ait des gens dans le
monde qui ne soient pas pyrrhoniens, afm dc montrer que
riiomme est bien capable des plus oxtravagantes opinions,
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. 53
puisqii'il est capable de croirc qu'il n'est pas dons cettc foi-
blesse naUirelle et inevitable. »
En resume, scion Pascal, il n'y a point de certitude natu-
relle pour rboiTime, et pas plus dans le sentiment que dans
la raison. Son origine et sa nature le condamnent a I'in-
certitude. La revelation et la grace peuvent seules Taffran-
chir de cette loi.
La preuve peremptoire que le scepticisme est le principe
du livre des Pensees, c'est qu'il y porte loutes ses conse-
quences^ et singulierement en morale et en politique.
En morale, Pascal n'admct point de justice naturelle. Ce
que nous appelons ainsi n'est qu'un effet de la coutume et
de la mode. Est-ce Pascal, est-ce Montaigne qui a ecrit les
pages suivantes:
« Qu'est-ce que nos principes natureis, sinon nos prin-
cipes accoutumes? dans les enfants, ceux qu'ils ont recus
de la coutume de leurs peres^ comme la chasse dans les
animaux.
« Les peres craignent que Tamour naturel des enfants
ne s'efface. Quelle est done cette nature sujette a etrc effa-
cee?... J'ai bien peur que la nature ne soit elle-meme une
premiere coutume, comme la coutume est une seconde
nature.
« Comme la mode fait Tagrement, aussi fait-elle la jus-
tice. Si riionmie connoissait reellement la justice, il n'au-
roit pas etabli cette maxime, la plus generate de celles qui
sont parmi les hommes : que chacun suive les moeurs de
son pays. L'eclat de la veritable equite auroit assujetti
lous les peuples; et les legislateurs n'auroient pas pris pour
modele, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et
les caprices des Perses et des AUemands : on la verroit
plantee par tons lesKtats du monde etdans tous les temps.
54 DES PENSEES DE PASCAL.
c( lis confessent que la justice n'est pas dans ces coutu-
mes, inais qu'elle reside dans les lois naturelles communes
a tout pays. Certainement ils le soutiendroient opiniatre-
ment, si la temerite du hasard, qui a seme les lois humaines,
en avoit rencontre an moins une qui fut universelle. La
plaisanterie est telle que le caprice des hommes s'est si bien
diversifie qu'il n'y en a point.
« On ne voit presque rien de juste ou d'injuste qui ne
change de qualite en changeant de climat. Tr^is degres
d'elevation du pole reuversent tonte la jurisprudence. Un
meridien decide de la verite. En peu d'annees de possession,
les lois fondamentales changent. Le droit a ses epoques.
L^entree de Saturne au Lion nous marque Torigine d'un tel
crime. Plaisantejusticequ'une riviere borne! Verite au de(?a
des Pyrenees, erreur au dela.
« Ce chien est a moi, disoient ces pauvres enfants; c'est
la ma place au soleil : voila le commencement et Timage de
Tusurpation de toute la terre. »
« Rien^ suivant la seule raison, n'est juste de soi. La cou-
tume fait toute I'equite^ par cela seul qu'elle est re^ue :
c'est le fondement mystique de son autorite. Qui la ramene
a son principe I'aneantit. Rien n'est si fautif que les lois qui
redressent les fautes; qui leur obeit parce qu'elles sont
justes, obeit h. la justice qu'il imagine, mais non pas a I'es-
sence de la loi; elle est toute ramassee en soi : elle est la
loi etrien davantage.
a La justice est sujette a dispute, la force est tres recon-
noissable et sans disi)ule Ne pouvant faire que ce qui
est juste fut fort, on a fait que ce qui est fort fut juste
On appelle juste ce qu'il est force d'observer Voila ce
que c'est propremeut que la definition de la justice.
c( Montaigne a tort : la coutume ne doit etre suivie quo
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 55
parce qu'elle est coulume, et non parce qu'elle soit raison-
nable et juste. »
Mais a quoi sert de multiplier les citations? II faudrait
transcrire mille passages de Montaigne, que Pascal rappelle,
resume ou developpe, non pas^ comme Tont dit d'honnetes
editeurs, pour les refuter a loisir, mais au contraire pour
s'y appuyer et les faire servir a son dessein.
Vouiez-vous connaitre la politique de Pascal? Elie est la
digne fille de sa morale. C'est la politique de Tesclavage.
Pascal, comme Hobbes *, place le dernier but des societes
humaines dans la paix, et non dans la justice : pour Van
comme pour rautre, le droit c'est la force. Mais Hobbes a
sur Pascal Tavantage d'une rigueur parfaite. Par exemple^
il se serait bien garde d'admettre que Tegalite des biens soit
juste en elle-meme^ pour aboutir a cette belle conclusion
pratique qu'il faut maintenir tant d'inegalites destituees de
tout fondement. Rien d'ailleurs est-il plus faux, jene dis pas
seulementplusinipraticable, mais plus injuste ensoi que le
principe de Tegalite des biens? Ce n'est pas 1^ qu'est I'ega-
iite veritable. Tons les hommes ont un droit egal au libre
developpenient de leurs facultes ; ils ont tous un droit egal
a I'impartiale protection de cette justice souveraine, qui
s'appelle TEtat; mais il n'est point vrai, il est contre toutes
les lois de la raison et de Tequite^ il est contre la nature
eternelle des choses que Thomme indolent et Thomme la-
borieux, le dissipateur et I'econome, I'imprudent et le sage^
obtiennent et conservent des biens egaux^ Ce qifil y a de
curieux, c'est que Pascal accepte la chimere de T^galite
1. Sur Hobbes, voyez Philosophie sensualistej lee. vi, vii etviii.
2. Sur la vraie egalite, voyez du VraIj du Beau et du Bien,
lee. XII, p. 296, etc.
56 DES PENSEES DE PASCAL.
dcs biensj et que la-dessus il batit I'odieuse theorie du droit
de la force dans Tinteret de la paix.
« Sans doute^ dit Pascal, regalite des biens est juste;
mais ne pouvant faire qu'il soit force d'obeir a la justice, on
a fait qu'il soit juste d'obeir a la force ; ne pouvant fortifier
la justice, on a justifie la force, afin que le juste et le fort
fussent ensemble, et que la paix fut, qui est le souverain
bien.
« De Ik vient le droit de Tepee; car I'epee donne im ve-
ritable droit; autrement I'on verroit la violence d'un cote et
la justice de I'autre.,. »
Et pourquoi, je vous prie, fermer volontairement les
yeux a ce spectacle qui trop souvent nous est donne? Pour-
quoi ne pas regarder en face la violence et I'appeler par son
noni? Comment reformer jamais ce qu'on n'a jamais ose
denoncer comme un abus ou un crime? est-cc bi la philo-
sopliie que Ton propose a Thumanite? Quel fondement a sa
dignite, quel instrument a ses progres, quelle consolation a
ses miseres, quel terme a ses csperances! G'est bien le
moins, en verite, qu'on lui promelte au dela de ce monde
une vie qui soit le renversement de celle-ci, et Ton a bien
raison de lui ensoigner la haine dc la vie et la passion de la
mort *; car la vie, telle qu'on la fait, iVest qu'un theatre
a Tiniquite et a Textravagance. Reste a savoir si les plus
religieux sontceux qui, en fait de justice, renvoientThomme
a un autre monde, ou ceux qui s'eftbrcent de rapprocher
la justice toujours imparfaite des hommes de Texemplaire
de la justice divine, et les societes humaines de la cite de
Dieu. Si Tobjet de la religion est de rattaclier Thomme a
Dieu et la terre au ciel, se doit-elle resigner a laisser Thomme
\. Ici, et surtout dans Jacqueline Pascal, passim.
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION- 57
sur cette lerre en proie a Toppression, esclave de la force,
abattu sous des iniquites immobiles? Non; pour elever son
coeur^ il faut qu'elle releve aussi sa condition. Car il n'y a
qu'un etrc libre possedant, pratiquant, et voyant reluire et
se realiser autour de lui en une certaine mesure la sainte
idee de la justice et de Tamour, qui puisse invoquer avec
un pen d'intelligence la liberie, la justice et la charite in-
fmie qui a fait Thomme, qui le conduit et qui le recueil-
lera.
Toutes les grandes philosophies contiennent dans leur sein
une theologie naturelle, et, comine on dit, une theodicee
qui enseigne ce que nous venons de rappeler. Avant et
depuis Descartes et Leibniz, avec des precedes et quelque-
fois menie sur des principes differents^ toute ecole qui n'a
pas fait divorce avec le sens commun proclame Texistence
d'un Dieuj cause premiere et type invisible des perfections
de Funivers et de celles de Fhunianite. II n'y a pas un phi-
losophe un peu autorise qui ne tire la preuve d'ungeoni^tre
eternel de Tordre admirable du monde, et Tesperance au
moins d'un ordre moral, meilleur que le notre,, de I'idee de
Tordre gravee en nous et que nous transportons plus ou
moins heureusement dans tout ce qui est de nous, dans nos
mceurs, dans nos lois, dans nos institutions civiles et poli-
tiques. Mais Pascal, qui ne reconnait aucune morale natu-
relle, rejette egalement toute religion naturelle et n'admet
aucune preuve de Texistence de Dieu.
Et qu'on ne dise pas que Pascal repousse seulement ce
qu'on nomme les preuves metaphysiques. II est bien vrai
qu'il trouve cette espece de preuves subtiles et raffinees;
mais il n'est pas vrai qu'il en approuve aucune autre, et qu'il
fasse grace aux preuves physiques si simples et si evidentes :
celles-la menie , il les renvoie dedaigneusement comme
58 DES PENSEES DE PASCAL.
tournant centre leur but par Texces de leur faiblesse.
Mais peut-^tre Pascal nVt-il voulu dire autre chose, sinon
que rhomme est incapable de penetrer les profondeurs de
Tessence divine, et qu'a ces hauteurs il se rencontre plus
d'un nuage que la foi chretienne peut seule dissiper. Vaine
explication ! Pascal declare hautement que Thomme ne peut
savoir ni quel est Dieu-, ni meme s'il est. Ce sont la les termes
memes de Pascal que nous avonsretrouves.
Et quoi! Pascal a-t-il done fait la decouverte de quelque
argument ignore jusqu'ici, et dont la toute-puissance inat-
tendue impose silence a la voix unanime du genre humain,
an cri du coeur, a Tautorite des plus sublimes et des plus
solides genies? Non : il s'appuie negligemment sur ce lieu
commun du scepticisme^ que I'homme, n'etant qu'une
partie, ne peut connaitre le tout, comme si, sans connaitre
le tout, une partie douee d'intelligence ne pouvait com-
prendre et sentir qu'elle ne s'est pas faite elle-meme, et
qu'elie relive d'autre chose que d'elle-meme ; et encore sur
cet autre lieu commun que, Dieu etant infmi et I'homme
etant fmi, il ne peut y avoir de rapport entre eux ; comme
si I'homme, tout tini qu'il est, ne possedait pas incontesta-
blement Tidee de Tinfini, comme si Pascal n'avait pas etabli
par la lumifere naturelle qu'il y a deux sortes d'inhni, Tun
de grandeur et Pautre de petitesse; comme si en face de
Pespace infmi il n^avait pas place lui-meme, comme etant
meilleur et d'une nature plus relevee, ce roseau pensant,
cet etre fragile et sublime qui n'apparait qu'un jour et
qu'une heure, mais dans ce jour, dans cette heure, atteint
par la pensee et embrasse I'intini, mesurc les mondes qui
roulent sur sa tete et les rapporte a un auteur tout puissant,
tout intelligent et tout bon ! Et puis^ lorsque du haut de ce
superbe scepticisme vous aurez decide que toute relation
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 59
est radicalement impossible entre Dieu comma infini et
rbomme comnie fini^ par quel prestige, je vons prie, le
christianisme pourra-t-il plus tard conduire Thomme a
Dieu? II n'y aura plus ici de mediateur possible : car ce
mediateur, pour rester Dieu^ devra garder un cote infini ;
par ce c6te, 11 echappera necessairement a Thomniej el
Tabime infranchissable subsistera entre Thonime et Dieu.
Pascal ne s'aperQoit pas qu'en renversant la religion natu-
relle, il 6te le fondement de toute religion revelee^ ou bien
qu'il se condamne a des contradictions que nuUe logique
ne peut supporter. Mais etablissons que Pascal rejette toutes
les preuves naturelles de I'existence de Dieu.
« Si I'homme s'etudioit le premier, il verroit combien il
est incapable de passer outre. Comment se pourroit-il
qu'une partie connut le tout?
« Philosopbes. La belle chose de crier a un homme qui
ne se connoitpas qu'il aille de lui-meme a Dieu! Et la belle
chose de le dire a un homme qui se connoit!
« Parlons suivantleslumieres naturelles. S'il y a un Dieu^
il est infmiment incomprehensible, puisque n'ayant ni par-
ties ni bornes il n'a nul rapport a nous. Nous sommes done
incapables de connoitre ni ce qu'il est, ni s'il est.
« Je n'entreprendrai pas de prouver par des raisons na-
turelles ou Texistence de Dieu ou la trinite ou Timmortalite
de Vkme; non-seulement parce que je ne me sentirois pas
assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre
desathees endurcis; mais...
« Les preuves de Dieu metaphysiques sonl si eloignees
du raisonnement des hommes et si impliquees qu'elles ne
frappent pas; etquand cela serviroit a quelques-uns^ ce ne
seroil que pendant I'instant qu'ils voient cette demonstra-
tion; mais^ uneheure apres, ils craignentde s'etre trompes.
03 DES PENSfiES DE PASCAL.
« Eh quoi! ne dites-vous pas que le. ciel et les oiseaux
prouvent Dieu? — Non.— Et votre religion ne le dit-elle
pas? — Non ; car encore que cela est vrai en un sens pour
quelques ames a qui Dieu donne celte lumi^re, neanmoins
cela est faux a Tegard de la plupart.
« J'admire avec quelle hardiesse ces personnes entre-
prennent de parler de Dieu en adressant leurs discours aux
impies. Leur premier chapitre est de prouver la Divinite
par les ouvrages de la nature. Je ne m'etonnerois pas de
leur entreprise s'ils adressoient leurs discours aux fideles;
car il est certain que ceux qui ont la foi vive dedans le coeur,
voient incontinent que tout ce qui est n'est autre chose que
Touvrage du Dieu qu'ils adorent; niais pour ceux en qui
cette lumierc est eteinte , et dans lesquels on a Tintention
de la fiiire revivre^ ces personnes, destituees de foi et de
grace, qui, recherchant de toutes leurs lumieres tout ce
qu'ils voient dans la nature qui peut les mener a cette
connoissance , ne trouvent qu'obscurite et tenebres, dire a
ceux-la qu'ils n'ont qu'a voir la nioindrc des choses qui
nous environnent et qu'ils y verront Dieu a decouvert, et
leur donner pour toute preuve a ce grand et important sujet
le cours de la lune et des planetes, et pretendre I'avoir
achevee sans peine avec un tel discours, c'est leur donner
sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien
foibles, et je vois, par raison et par experience^ que rien
n'est plus propre a en faire naitre le mepris. »
On voit comme en ce dernier passage Pascal traite les
preuves physiques elles-memes, ces preuves aussi vieilles
que le monde et la raison humaine. Je conviens que son
dessein et Tabsolu pyrrhonisme exigeaient de lui cela;
niais n'cst-cc pas un gratuit et incomprehensible renversc-
ment des notions les plus revues de soutenir, et d'un ton
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. Gl
serieux, que cet ordre de preuves n'etant propre qu'a en
faire naitre le mepris, jamais auteur canonique n'en a fait
usage !
« G'est une chose admirable que jamais auteur canonique
ne s'est servi de la nature pour prouver Dieu : tons tendent
a le faire croire^ et jamais ils n'ont dit ; il n'y a point de
vide : done il y a un Dieu : il falloit qu'ils fussent plus ha-
biles que les plus habiles gens qui sent venus depuis, qui
s'en sont tous servis. Cela est tres-considerable*. »
Non^ vraiment, cela n'est pas tres-considerable : car rien
n'est plus manifestement faux. Les saintes Ecritures ne
sont point un cours de physique; elles ne prennent point
le langage de la science^ encore bien moins celui d'aucun
systeme particulier; elles ne disent point: il n'y a pas de
vide^ done il y a un Dieu, bizarre argument qui n'est nulle
part, si ce n'est peut-etre dans quelque obscur cartesien;
mais elles enseignenl, et cela a loutes les pages et de toutes
les manieres, que les cieux racontent la gloire de lenr
auteur -. Et saint Paul, que Pascal ne recusera pas, jc
Tespere, ne dit-il point : a Ils ont connu ce qui se pent de-
couvrir de Dieu, Dieu meme le leur ayant fait connoitre;
car la grandeur invisible de Dieu, sa puissance eternelle et
sa divinite deviennent visibles en se faisant connoitre par
scs ouvrages depuis la creation du monde^. »
1. Bossut, deuxieme parlie. III, 3. Ce passage manque dans le ma-
nuscrit, mais il est dans une des copies.
2. Le Psalmiste : « Cceli enarrant gloriam Dei... Laudent ilium
coeli et terra... et annuntiabunt cceli justitiam ejus... coulitebimtur
cogli mirabilia tua... Laudate eum, coeli coBlorum... cont'essio ejus su-
per ccelum et terram... iuKnoga et Tolatilia cceli, indicabuul tibi...,
etc. »
3. iliJiirc aux ['oma/-^^ I^ 10, 20,21. Trad, de Sary, edit, de
Mons.
02 DES PENSEES DE PASCAL.
Ainsi, pour Pascal, il n'y a aucune preuve tie rexistence
de Dieu. Dans cette impuissance absolue de la raison, Pascal
invente un argument desespere. Nous pouvons niettre de
cote la verite, inais nous ne pouvons mettre de cote notre
interet, I'interet de notre bonheur eternel. G'est a ce point
de vue, et non dans la balance de la raison, qu'il faut esti-
mer et peser le probleme d'une divine providence. Si Dieu
n'est paSj il ne pent nous arriver aucun malheur d'y avoir
cru; mais si par hasard il est, I'avoir meconnu serait pour
nous de la plus terrible consequence.
a Examinons ce point, et disons : Dieu est, ou il n'est
pas. Mais de quel cote pencherons-nous? La raison n'y peut
rien determiner. II y a un chaos infmi qui nous separe; il se
joue un jeu a Textremite de cette distance inlinie oil il arri-
vera croix ou pile. Que gagnerez-vous ? Par raison, vous me
pouvez faii'e ni Tun ni Fautre; par raison, vous ne pouvez
defend're nul des deux... Le juste est de ne point parier.
Oui, mais il faut parier... Vous avez deux choses a perdre :
le vrai et le bien; et deux choses a degager, votre raison et
votre volonte, votre connoissance et votre beatitude; et
voire nature a deux choses a fuir, Terreur et la misere.
Votre raison n'est pas plus blessee, puisqu'il faut necessai-
rement choisir, en choisissant Tun que Fautre. Voila un
point vide ; mais votre beatitude ! »
C^est sur ce fondement, non de la verite, mais de I'inte-
ret, que Pascal institue le calcul celebre auquel il apphque
la regie des pans. En voici la conclusion : aux yeux de la
raison, croire ou ne pas croire a Dieu, le pour et le contre,
et, comme parle Pascal, a cc jeu croix ou pile , est egalement
indifferent; mais aux yeux de I'interet, la difference est
infinie de Tun a Tauire, puisque dans I'hypothese il y a
rintini a gagner. « Cela est demonstratif, dit Pascal; et, si
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. 63
leshommes sont capables de quelque verite^ celle-la Test. »
Mais cette belle demonstration est au fond si loin de le
satisfaii'e, qu'apr^s avoir ainsi reduit au silence I'interlo-
cuteur qu'il s'est donne^ il ne pent s'empecher de lui laisser
dire :
« Oui^ je le confesse, je I'avoue; niais encore n'y a-t-il
pas moyen de voir le dessous du jeu ? »
Et pour apaiser cette curiosite rebelle, a quoi Pascal la
renvoie-t-il? A TJicriture sainte^ a la religion chretienne.
a Fort bien, lui repond en gemissant Tinterlocuteur abattu
et non convaincu; niais je suis fait d'une telle sorte que je
ne puis croire. Que voulez-vous done que je fasse?*>
Ge qu'il faut faire? Suivve mon exeniple; ((prendre de
Teau benite^ faire dire des njesseSj etc. Naturellement, cela
vous feva croire et vous abetira? u
(( Mais c'est ce que je crains. — Et pourquoi? Qu'avez-
vous a perdre ? o •
Nous avons le prcniier decouvert et publie ce niorceau
accablant, resume iidele du livre entier des I'ensees. Des
qu'il parut^ il troubla un moment les plus hardis partisans
de Pascal j puis on s'est mis a le tordre et a le subtiliser de
tant de manieres qu'on a tlni par y decouyrir le plus beau
sens du monde. 11 n'en a, il ne peut en avoir qu'un seui :
il faut renoncer a la raisonj il faut, suivant un precepte de
Pascal, qui est tres-clair niaintenant, se faire machine,
recourir en nous, non pas a I'esprit, mais a la machine,
pour arriver a croire en Dieu petit a petit et par la pente
insensible de I'habitude. Cela est vrai, disons mieux : cela
seul est vrai, des qu'on cherche Dieu en partant du pyrrho-
nisme. Voila toute la foi, j'entends toute la foi naturelle,
que permet a Pascal sa triste philosophic! Le maitre de
Pascal, le pyrrhonicn Montaigne, Tavait dit avaut lui :
64 D;i:S PENSEES DE PASCAL.
« Pour nous assagir, il nous faut abetir'. » Pascal lui a
emprunto et le mot et Tidec. Pour assagir Thomme, pour
le niener a la verlu et a Dieu, Socrate et Marc-Aurele
avaientconnu d'autres voies.
Prevcnons une derniere objection. On ne manquera pas
de dire : le passage qui vient d'etre citen'estqu'uncapricej
un acces d'humeur, en quelque sorte une boutade de geo-
metre; niais il y a bien d'autres passages contraires a celui-
la^ et qui atlestent que Pascal croyait a la dignite de la
raison luiniaine. Nous repondons loyalement qu'en effet il y
a nn pou de tout dans ces notes si di verses qu'on appelle les
Pensees : ce qu'il y faut considerer^, ce n'est pas tcl endroit
pris a part et sepsire de tout le reste, mais Tensenible et
I'esprit general et dominant. Or, cct esprit-la, nous Tavons
fidelement exprime. Et nVst-ce pas anssi la condamnation
du pyrrhonisnie qii'il a beau surveiller loutes ses demar-
cheS; tontes ses paroles, il hii echappe malgre lui de per-
petuels dementis a ce donte absolu, insupportable a la
nature et incompatible avec tons ses instincts? Plus d'une
foisdans Pascal eclatc entrails energiquesle sentiment vic-
torieux de la grandeur de la pensee humaine; maisbientut
le philosophe impose silence a Tliomme, et le systeme
reprend le dessns. Ainsi Pascal repete plusieurs fois que
toute notre dignite est dans la pensee : voila la pensee rede-
venue quelque chose de grand; mais un moment apres,
Pascal s'ecrie : « Que la pensee est sotte! » Ce qui fait de
la dignite humaine une sottisc, et de toute certitude fondee
sur la pensee une chimere. Enfin n'oublions pas que der-
riere le pyrrhonien est le chretien dans Pascal. Sa foi, quel
que soit son fondemcnt et s^,n caractere, est, apres tout, hi
1. Cw.jliv. M, clnp. 12.
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. C5
foi chretienne : de la des clartes etrangeres et quelques
vayons echappes de la grace qui percent de loin en loin les
tenebres du pyrrhonisme. Mais des que la grace se retire,
le pyrrhonisme seal demeure.
An risque de fatiguer le lecteur^ nous lui voulons pre-
senter un dernier fragment^ qui acheve la demonstration,
met a nula vraie pensoe de Pascal, et fait voir de quelle
etoffe, pour auisi dire, etait faite sa religion.
« S'il ne falioit rien faire que pour le certain, on ne
devroit rien faire pour la religion, car elle n'est pas cer-
taine. Mais combien de choses fait-on pour Tincertain, les
voyages sur mer, les batailles , etc.? Je dis done qu'il ne
faudroit rien faire du tout, car rien n'est certain^ et qu'il
y a plus de certitude a la religion que non pas que nous
voyions le jour de demain; car ii n'est pas certain que nous
voyions demain, mais il est certainement possible que nous
ne le voyions pas. On n'en pent pas dire autant de la reli-
gion. II n'est pas certain qu'elle soit, mais qui osera dire
qu'il est certainement possible qu'elle ne soit pas? Or,
quand on travaille pour demain et pour I'incertain, on agit
avec raison. Gar on doit travailler pour I'incertain par la
regie des partis, qui est demontree *. »
Nous le demandons, est-ce la la foi de saint Augustin, de
saint Anselme, de saint Thomas^ de Fenelon, de Bourda-
loue, de Bossuet?
Le 23 novembre 1654, dans une nuit pleine d'angoisses
apaisees et charmees par de mystiques visions, Pascal,
apres avoir lutte une derniere fois avec les images du
monde, avec les troubles de son coeur et de sa pensee, ap-
pelle a son aide le vrai, I'unique consolateur. II invoque
1. Bossut, deuxi^me pavlie, XVH, 197.
66 DES PENSEES DE PASCAL.
DieUi iriais quelDieu^ jc vous prie? Liii-iiieme nous le dit
dans Tecrit singnlier' qu'il traga de sa main cette nuit
ttieme, qu'il portait toujours sur lui, et qui ne fut decou-
vert qu apres sa mort : « Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac,
Dieu de Jacob, non des savants et des philosophes. » II en-
trevoit, 11 croit avoir trouve la certitude et lapaix; mais
ou? « Dans la soumission totale a Jesus-Christ et a mon
directeur. » Pascal est la tout entier. Le doute a cedeenfin
a la toute-puissance de la grSce, mais le doute vaincu a
emporte avec lui la raison et la philosophic.
Ou bien il faut renoncer a toute critique historique, ou
de tanide citations accumulees il faut conclure que, pour
Pascal, le scepticisme est le vrai dans Tordre philosophi-
que, que la lumiere naturelle est incapable de fournir au-
cune certitude, que le seul emploi legitime de la raison est
de renoncer a la raison^ et que la seule philosophic est le
mepris de toute philosophic.
Voila ce que nous venons d'etablir regulierement et me-
thodiquement, avec une etendue et une rigueur quij ce
nous semble, ne laissent rien a contester. Qu'il nous soit
done permis de considerer le scepticisme de Pascal en phi-
losophic comme un point demontre. Mais nous pouvons
alter plus loin. Un commerce plus intime avec Port-Royal,
en nous faisant penetrer davantage dans Tesprit de cette
societe illustre, nous permet de soutenir avec la convic-
tion la plus assuree que non-seulement Pascal estsceptique
en philosophic, mais qu'il ne pouvait pas ne pas I'etre, par
ce motif decisifqu'il etait janseniste, et janseniste conse-
quent.
Quest-ce que le jansenisme? Nous n'avons point ^ en
1. Bossut, p. 549 .
PRIilFACE DE LA SECONDE EDITION. (J7
retracer rhisloire ; il nous suffira d'en rappeler les principcs
et d'en iDarquer le caractere general.
On peut dire aujourd^hui toute la verite sur le janse-
nisme. Le pere Annat et le pere Letellier ne sont pas la
pour nous entendre et porter nos paroles a Toreille dc
Louis XIV. Port-Royal n'est plus. La charrue a passe sUr
le saint monastere j ses mines memes auront bientot peri.
Nous les visilions, il y a pen de jours, une carte fidele -a la
main^ et c'est a grand'peine si nous pouvions reconnaitre
quelques-uns de ceslieux venerables. Le temps n'a pas res-
pecte davantage Fesprit qui les anima. Une tradition lan-
guissante en subsiste a peine dans deux humbles congrega-
tions vouees an service descnfants et des pauvres.Quelques
freres de Saint-Antoine^ quelques soeurs de Sainte-Marthe,
voila ce qui reste de ce grand peuple de Port-Royal, qui
jadis remplissait les ordres religieux, les parlements, les
universites. A Paris, dans nn coin du faubourg Saint-Jac-
ques et du faubourg Saint-Marceau, trois ou quatre families
nourrissent un culte obscur pour ces illustres memoires :
on y parle entre soi, avec respect et recueillement,des ver-
tus et des infortunes de la mere Angolique, de sa soeur et
de sa niece : ony prononce presque a voix basse les grands
noms de M. Arnauld et de M. Pascal ; on fait en secret des
voeiix pour la bonne cause; on deteste les jesuites, et sur-
tont on en a peur. Chaque jour emporte quelques-unes de
ces arnes qui ne se renouvellent plus. Port-Royal est tombe
dans le domaiiie de I'histoire. Nous poiivons done le juger
avec respect, mais avec liberte. Et d'aillcurs, nous aussi
nous avons appris a son ecole a preferer la verite a toutes
choses; et puisque aujourd'hui on s'arme de ce grand nom
pour attaquer ce qui nous est la verite, et la premiere de
toutes les verites, a savoir le pouvoir legitime de la raison
68 DKS PENSEES DE PASCAL.
et les droits de la philosophie, c'est Port-Royal lui-m^me
qui au besoin nous animerait a le combattre : a defaut de
sa doctrine, son exeniple est avec nous dans la lutte que
nous soutenons.
Disons-le done sans hesiter : le jans^nisme est un chris-
tianisme immodere et intemperant. Par toutes ses racines,
il tient sans doute a I'eglise catholique ; mais par plus d'un
endroit, sans le vouloir ni le savoir menie. il incline au cal-
vinisme. II se fonde particuliferementsurdeux dogmes,deja
bifm graves en eux-memes, qu'il exagere et qu^il fausse :
je veux parler des dogmes du peche originel et dela grace.
En touchant acette matiere epineuse, nous nous efiforcerons
d'etre aussi court que le soin de la clarte le permettra.
Le dogme de la grace se rapporte a celui du peche ori-
ginel. C'est parce que la nature humaine a subi dans son
premier representant une corruption plus ou moins pro-
fonde, qu'elle a besoin d'une reparation, et d'une repara-
tion proportionnee a sa corruption : a cc vice de la nature
le reniede necessaire est la grace surnaturelle de Jesus-
Christ. Ct'S deux dogmes etant etroitement lies, Tun des deux
ne pent etre altere sans que Tautre ne le soit egalement
et dans laniemc mesure. Supposez que dans le berceaudu
monde la corruption de la nature ait ete peu de chose,
rintorvention de hi grace sera presque superflue. Suppo-
sez, au contraire, que la corruption ait ete entiere, que les
deux parties essentielies de la nature humaine, la raison et
lavolonte, soient radicalement viciees et absolument inca-
pables, celle-ci d'apercevoir le bien et celle-la dc I'accom-
plir, il faut de toute necessite que la grace infervienne
d'autant plus energiquement, puisqu'il s'agit, non plus de
secourir et de fortifier Thomme, mais ea realite de creer
un homnio nouveau,en substituant a la raison nnelumiorc
PRtFAGE DE LA SECONDE EDITION. 69
surnaturelle et a la volonte une force elrang^re. L'eglise
catholique, gardienne et interprete de la foi chretienne,
s'est constamment placee entre ces deux extremites. L'e-
glise a decide que par le peche originel la nature huniaine
est reellement decline, qu'aiasi la raison et la volonte ont
perdu le pouvoir qu'elles avaient originairement recu, ce
pouvoir incomparable qui faisait d'Adam une creature
presque angelique, apercevant toutes les verites a leur
source meme et accomplissant le bien librement mais sans
effort. L'eglise a decide en meme temps que par le peche
originel la nature n'etait pas a ce point dechue que la rai-
son fut devenue absolument incapable du vrai et la volonte
du bien^ au moins dans Tordre des verites et des vertus na-
turelles. L'eglise prevenait ainsi les deux erreurs contraires
dans la matiere de la grace. Et la encore elle a porte ces
deux decisions, conformes aux deux premieres : l** que la
grace est necessaire pour reveler h I'homme les verites et
les vertus de Fordre surnaturel^ sans lesquelles il n'y a
point de salut; S'' que la grace vientau secours dela nature
sans la detruire^ qu'elie n'eteint pas la lumiere natureile,
niais I'eclaire et Tagrandit^ et que la liberte humaine sub-
siste entiere^ avec les ceuvres qui lui sont propres^ sous les
impressions de la grace *.
Sur tous ces points, Port-Royal a excede la doctrine
catholique. En outrant la puissance du peche originel, il
s'est condamne lui-meme a outrer celle de la grace repara-
trice.
Le genie du jansenisme est le sentiment dominant, non
1. Pour toute citation, nous nous bornons a renvoyer au concile de
Trcnte et aux constitutions etbulles papales qui ont condamne le livre
de Jansenius.
70 DES PENSEES DE PASCAL.
pas seulement de la faiblesse, mais du neant de la nature
humaine. A ses yeux, depuis la chute d'Adani, la raison
et la volonte sont par elles-memes radicalement iuipuis-
santes pour le vrai et pour le bien. I/homme ne possede
d'autre grandeur et il nc garde d'autre ressource que le
sentiment meme de son impuissance, et celui de la neces-
site d'un secours surnaturel. Ce secours surnaturel, c'est
la grace, non pascette grace universelle qui a ete donnee a
fous les homines^ et qui si souventest convaincue d'insuffi-
snnce, mais cette grace particuliere et choisie qui, pour
etre vraiment suflisantej doit etre efficace par elle-menie,
r/est-a-dire irresistible*. Elle opere en nous en etouffantla
linniere naturelle sous lalumiere increee, et en mettantses
impressions victorieuses a la place des langueurs de notre
volonte. C'est elle qui nous fait penser et agir, on plutot
c'est elle qui pense et agit en nous : elle suscite la pensee
de Taction, elle communique la force qui I'execute, et nos
oeuvres sont ses oeuvres.
Tel est le systeme janseniste, mele de verite et d'erreur.
Par son cote vrai, c'est la doctrine cathoiique, qui n*est
point ici en cause ; par son cote faux, ce n'est qu'une theo-
rie particuliere qui tombe sous notre examen. Port-Royal
est un grand parti dans Teglise ; mais, apres tout, ce n'est
qn'un parti; ce n'est point Peglise elle-meme, car Teglise
i'a condamne.
Ce qu'il y a d'essentiellement faux dans la grace janse-
niste, c est qu'elie ole loute puissance a la lumiere natu-
relle, toute efficacite a la volonte. La grace chretienne
ajoute sesclarteset ses impressions vivitiantes a la raison et
k la libcrte humaine : elle les epure et les fortitie, elle ne
1. Voyez IrsprpmifTPS ProrinriaJes.
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 71
les efface point; loin de les nier, elle les suppose; elle ne
cree paSj elle feconde; elle ne s'applique pas au neant,
niais a un germe divjn qu'elle degage et qu'elle developpe.
Sa vertu singuliere est de produire une foj que la lumiere
naturelle ne produit pointy la foi aux verites surnaturelles.
Mais ce n'est point elle seule qui enseigne h I'homme la
liberie^ le devoir, la distinction du bien et du mal, du juste
et de rinjuste> la spiiitualite de I'ame, la divine provi-
dence : sans la grace, la lumiere naturelle pent enseigner
tout cela, et elle Fa enseigne dans tons les siecles. Selon
reglise, la raison naturelle est une premiere revelation qui
a deja sa puissance. Pour le jansenisme, cette premiere re-
velation demeure absolument sterile sans le secours d'une
revelation nouvelle et particuliere.
Gomme dans la doctrine catholique toutes les Veritas se
tiennent, de meme toutes les erreurs ont leur enchainement
dans la theorie janseniste. La grace y doit etre victorieuse
et invincible, parce que la corruption de la nature humaine
y est enti^re, parce qu'un tel mal exige un remede heroi-
que, et que du neant de la nature Dieu seul pent tirer la
vraie justice et la vraie vertu. Le principe du neant de la
nature humaine a encore une autre consequence egalement
necessaire, le neant du merite de nos oeuvres. EUes appar-
tiennent a la grace quand elles sont bonnes; le peche seul
est a nous, parce que le peche vient de la nature corrom-
pue. De la ce tremblement perpetuel de la creature humaine,
incertainesi c'estbien en elle la grace qui opere ou I'esprit
propre et la lumiere naturelle; de la des austerites exces-
sives, un ardent et sombre ascetisme, le monde converti
en une thebaide et en un calvaire, la fuite des plaisirs les
plus innocents, Timpatience de la vie et I'invocation de la
mort, et, en attendant, le continuel effort de mourir a la
72 DES PENSEES DE PASCAL,
vie de la nature et de ne laisser subsister en soi que celle
de la grace; de la une immense humilite et un immense
orgueil, Tune qui se lire du sentiment de notre neant,
I'autre du sentiment de Faction de Dieu en nous, avec un
courage merveilleux, capable de resister, au nom de Dieu,
a toutes les puissances de la terre, meme a la premiere de
toutes, celle du saint-siege ; de la, en un mot, une gran-
deur admirable et des exces de toute sorte dans la doctrine
et dans la conduite : exces et grandeur meles ensemble, se
soutenant et tombant ensemble, parce qu'ils tiennent au
meme principe, le neantde la nature et la force invincible
de la grace. Separer^ dans Port-Royal, la grandeur de Tex-
ces, le bien du mal, le vrai du faux, retrancher Tun, retenir
Tautre : vaine entreprisel Tout ici vient du meme fonds.
Temperer Port-Royal, c'est Faneantir. Laissons-lui done sa
grandeur et sesdefauts. Reconnaissons dans Port-Royal les
hautes qualites qui le recommandent a la veneration des
siecles, ladroiture, la consequence, rintrepidite,le devoue-
ment ] niais reconnaissons aussi que deux qualites plus
eminentes encore lui ont manque : le sens commun et la
moderation, c'est-a-dire la vraie sagesse\
Le jansenisme ainsi detini, que lui pouvait etre la philo-
sophic? En verite, d'apres ce qui precede, il est a peine
besoinde le dire. Le jansenisme et la philosophic s'excluent.
Selon le jansenisme, la grace pent tout, la nature ne pent
rien, et la raison naturelle, privee de la lumiere de la grace,
erre au milieu d'insurmontables tenebres. La philosophic,
au contraire, comme nous Tavons dit, est etablie sur ce fon-
dement que Fhomme, meme en son etat actuel, possede
une faculte de connaitre, liniitee mais reelle, et capable,
1. Sur Port-Royal voyez encore Jacqueline Pascal, V Epilogue, et
V Avertissemeiit de la derniere edition.
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. 73
bien dirigee, de parvenir aux verites naturelles de Tordre
moral aussi bien qu'aux verites de I'ordre physique. Comme
il y a une geometrie, une physique^ une astronomie, etc.,
de meme et au meme litre il y a ou il peut y avoir une
psychologie, une logique^ une morale, une Iheodicee, c'est-
a-dire d'un seul mot une philosophie. Les sciences physi-
ques s'appuient sur Texperience sensible ; la philosophie
s'appuie sur les sens a la fois et sur la conscience : les don-
nees et par consequent les procedes different; mais les
donnees sont egalement solides, les procedes egalement ri-
goureux^ etle principe commun que les sciences physiques
et la philosophie reconnaissent est la raison naturelle libre-
ment et regulierement cultivee. Selon Port-Royal, toutes
les sciences humaines, et particuliereincnt les sciences mo-
rales, la philosophie a leur tete, ne sont que des chimeres,
filles de Timpuissance et de Torgueil; la seule science veri- .
table estcelledu salut, dontrimperieuse condition est Tin-
tervention surnaturelle de la grace, de la grace a la fois
gratuite et irresistible. Le jansenisme va jusque-la, ou il n'a
pas toute sa portee ; il ne peut done accepter la philosophie
que par une inconsequence manifeste,
Et d'ou peut venir Tinconsequence? De la faiblesse soit
du caractere soit de la logique. Mais la logique de Pascal
etait a la hauteur de son caractere passionne et obstine. II
faut choisir entre le jansenisme et la philosophie. Pascal
avaitchoisi, et d'un choix trop ferme pour s'ecarter jamais
du but et chanceler sur la route.
Pascal, nous I'avons vu, est sceptique declare en philo-
sophie; maintenant il est evident qu'il ne pouvait pas ne pas
Tetre. Exaniinez de nouveau, a la lumiere de la theorie jan-
seniste qui vient d'etre exposee, les endroits du livre des
Pensrrs oil le scepticisme se montre sous sa forme, ce sem-
74 DES PENSKES DE PASCAL.
ble, la plus hardie, etloin d'y trouver des paradoxes, vous
y reconnaitrez les principes avoues et I'esprit de Port-Royal.
Pascal dit et repete qu'il n'y a nulle certitude naturelle. Qu'y
a-t-il la d'etonuant? C'est le contraire qui serait a Pascal la
nouveaute la plus insoutenable. Gar qui lui pourrait donner
la certitude? Une raison toute corrompue, et qui, sans la
grace, est radicalement inipuissante. II n'y a nulle preuve
naturelle de Texistence de Dieu : Dieu ne se revele a nous
ni par les merveilles de la nature ni par les merveilles de
la conscience. Rien de plus simple, si depuisla chute d'Adani
les sens et la conscience sont des miroirs infideles. Avant
Jesus-Christ, rhomme nepouvaitsavoirou il en etait. Assu-
rement, car avant Jesus-Christ il etait condamne a Terreur
et au vice. Depuis Jesus-Christ, riionime, il est vrai, pent
connaitre et lui-meme et son auleur: mais comment? Par
la grace, et par la grace seule. Si rhomme, en effet, par ses
moyeus naturels, pouvait arriver a connaitre Thomme et
Dieu, la grace, entendez toujours la grace janseniste, se-
rait superflue. II ne faut pas cela, a tout prix; il faut done
soutenir que sans la grace I'liomme ne peut savoir de Dieu
nou-seulenieut quel il est, mais qu'il est. Ce n'est ni la lu-
miere de la raisoii ni celle du sentiment, c'est \efeu^ de la
grace qui fait penetrer dans le coeur de I'homme I'idee de
la grandeur de Tame et Tidee de Dieu. Le Dieu qui nous
apparait alors n'est pasleD/e?/ des sava7its ei dca philoaophes;
c'estle Dieu d' Abraham , d^ J saac et de Jacob, Vhomim^ n est
pas capable de la vraie vertu par I'emploi legitime de sa
liberte naturelle; mais il le peut devenir par la transfigura-
tion de cette liberte en une puissance divine qui agit en nous,
souvent malgre nous, et dont les oeuvres ne nous appar-
I. Voyez le papiev trouve sur Pascal, et que nous avons rappele ci-
ilessus, p. G6.
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. 7b
tiennent pas. Detruire Thomme naturel, Tabetir, c'est-a-
dire lui oter cette raison et cette liberie dont il se vante
comme d'un privilege, le remettre aveugle et soumis entro
les mains de la grace de Jesiis-Chrisl et du directeur qui le
represented, tel est le seul nioyen de le conduire a la verite,
a la verlu^ a la paix, au bonheur. Gela etant, evidemment
la philosophie ne vaut pas line heure de peine, et la mepri-
ser e'est vraiment philosopher.
Pascal a ele et il devait aller j usque-la ; il devait pousser
jusqu'a cette extreniite les principes qu'il avail embrasseSj
oil il aurait cru les abandonner, et il eut ete a ses propres
yeux un disciple pusillanime de la grace.
Quand on a ainsi penelre dans le coeur du jansenisme,
on ne peut s'empecher de sourire en voyant les efforts des
modernes partisans de Pascal pour le defendre de I'accusa-
tion de scepticisme. Mais cette accusation, e'est son hon-
neur: e'est votre defense qui lui serait une accusation d'in-
fidelite aux deux grands principes du neant de la nature
humaineet de la toute-puissance de la grace. Pour ces deux
principes, Pascal et sa saair auraient donne volonliers un
peu plus que tons les systemes de philosophie: ils auraient
ete heureux de donner leur sang: Faibles esprits, qui ne
connaissez ni Port-Royal ni le xvii*" siecle ! vous ne vous
doutez pas que vos injurieuses apologies enlevent a Port-
Royal son vrai caractere, et au penitent de M. Singlin, au
frere de Jacqueline, ce trait singuiier desuperbe etd'ironie
a Tendroit de la raison et de la philosophie^ et en meme
temps d'absolue soumission entre les mains de la grace, qui
fait de Pascal un homme a part dans Port-Royal meme, et
le met, quant au jansenisme, bien au-dessus de Nicole, et
meme d'Arnauld.
1. IhUi.
76 DES PENSEES DE PASCAL.
Chose admirable! dans Port-Royal, Saint-Cyran excepte,
les plus rigides n'ont pas ete leshommes, mais les femmes,
tion pas les ecclesiastiques, mais les laiques, non pas Nicole
et Arnauld, mais Domat et Pascal. Dans Taffaire capitale du
formalaire% les femmes, Jacqueline a leur tete, etaient
d'avis de tout braver plutut que de signer le contraire de ce
qui leur paraissait la verite. Elles ne signerent que par de-
ference pour ceux qui gouvernaient Port-Royal^ et Jacque-
line succomba, trois mois apres la fatale signature, sous les
scnipules et les angoisses de sa conscience. Dans une as-
semblee qui se tint chez Pascal, celui-ci proposade resis-
ter-. La grace janseniste lui etait devenuc la verite tout
entiere, le premier et le dernier mot du christianisme. Pour
elle, il fut d'avis de tout hasarder, meme Port-Royal. Mais
il n'y allait pas seulement de Port-Royal , il y allait de la
discipline ecclesiastique et de Funite de I'eglise. Pascal et
sa sceur ne reculerent pas devant cette extremite. Gette
1 . Le recit de cette affaire est partout. Nous en avons rappele les traits
principaux dans Jacqueline Pascal, et dans YApixnidice n" 3, Docu-
ments inedits sur Do?)iat.
2. Remettons sous les yeux du lecteur cette scene on se peint Time
(le Pascal. Jacqueline Pascal, cti. IV, p. 314 : « La majorite des
assistunts, entraineo par Nicole et Arnauld, se pronoiica pour la sii,'na-
ture. Ge qae voyantj M. Pascal , qui aimait la verite par-dessus loutes
choses, et qui, malgre sa I'aiblesse, avait parte tres vivement pour niieux
faire seutir ce qu'il sentait tui-mcme_, en fut si penetre de douleur, qu'il
se trouva mal et perdit la parole et la conaaissance. Tout le raoade
en fut snrpris et s'empressa pour le faire revenir. Ensuite, ces messieurs
se retirerent; il ne resta que M. do Roanuez_, M. Domat et M. Piirier
le tils. Quand M. Pascal fut tout a fait reinis, iL Perier lui ayaut
demande ce qui avail cause son accident : Quand j'ai "st^i toutos ccs
personnes-la, lui dit-il, que je regarde comnie ceux a qui Dieu a fait
connaltre la verite ^ et qui doivent en ctre les defenseurs, sebranlei'j
je vous avoue que j'ai ete si saisi de douleur que je n'ai pu la soulenir,
et il a fallu succomber. »
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 77
jeune femme, qui n'avait pas trente-six ans, osa dire k un
pr^tre, a un docteur, a M. Arnauld, avec une hauteur et
une vehemence dignes de son frere ou de Demosthenes:
« Je ne puis plus dissimuler la douleur qui me perce jus-
qu'au fond du coeur de voir que les seules personnes a qui
il semblait que Dieu eut confie sa verite , lui soient si in-
fideles que de n'avoir pas le courage de s'exposer a souf-
frir, quand ce devrait etre la niort, pour la confesser hau-
tement... Je sais bien qu'on dit que ce n'est pas a des filles
de defendre la verite^ quoiqu'on put dire, par une telle
rencontre du temps et du renversement ou nous sommes,
que puisque les ev^ques ont des courages de filles, les
filles doivent avoir des courages d'eveques. Mais si ce n'est
pas a nous de defendre la verite^ c'est a nous a mourir pour
la verite Que craignons- nous! Le baniiissement pour
les secuUers, la dispersion pour les religieuses, la saisie du
temporel, la prisou, et la mort, si vous voulcz? Mais n'est-
ce pas noire gloire, el ne doit-ce pas etre notre joie?
Renon^ons a l'£vangile, ou suivons les maximes de TEvan-
gile, et eslimons-nous heureux de souffrir quelque chose
pour la justice. Mais peut-etre on nous retranchera de
I'eglise? Mais qui ne sait que personne n'en pent etre
relranche malgre soi, et que, I'esprit de Jesus-Christ etant
le seul qui unit les membres a lui et entre eux, nous pou-
vons bien etre prives des marques, mais non jamais de
Veffet de cette union, tant que nous conserverons la cha-
rite ' . » Et sur ce fondement, Pascal et sa soeur proposaient
de tenir ferme, et s'il le fallait de desobeir a Tautorite cano-
nique des eveques et du saint- siege j parti violent qui eut
separe ouverlement Port-Royal de Teglise catholiquC; et
1. JAf.QTir.i.iNF. Pascat,. cU. IV, p. 31!i-li27.
78 * DES PENSEES DE PASCAL.
qui pourtant n'etait qu'uiie exacte fideliie a la doctrine
janseniste de la grace. Nicole et Arnauld lie se piquerent
pas de tant de rigueur : ils ne voulurent pas pousser la
consequence jusqu'au s<;hisme; mais, pour cela, ils furent
contraints de biaiser un peu entre la sincerite et la pru-
dence. La grande iM""^ Angelique se rejouit de mourir
dans cette terrible rencontre, pour ne pas signer et ne pas
refuser de signer. L'autorite d'Arnauld entraina Port-Royal;
mais, si Saint-Gyran edt ete Iti. la logique Teut sans aucun
doute emporte sur la politique ^ et Dieu sail ce qui serait
arrive.
On peut dire qu'il en fut a peu pres de la philosophies a
Port-Royal, comme du formulaire. L'esprit de Port-Royal
etait contraire a la philosophic; mais eile avail pour elle les
habitudes et I'ascendant de deux homnies eniinents.
Parcourez les ouvrages de ces Messieurs, les memoires,
les relations, les lettres et lout ce qui reste de Port-Royal,
vous y trouverez partout la condamnation de toute curiosite
qui s'ecarte du seul objet legitime, le salut, avec le mepris
declare de toutes les sciences purement humaines, et par-
ticulierenicnt de la philosophic. Sacy n'est pas le plus haul
represcntant de Port-Royal; mais il en est, a mon gre,
I'expvession la plus calme, la plus pure, la plus vraie. 11
n'exagere aucun des principes du jansenisme, mais il les
possede et les professe tous avec une moderation assuree
et en quelquc sorte avec une douceur inflexible. Or,
demandez a Fontaine Topinion de Sacy sur le cartesia-
nisme el la philosophie : Fontaine vous dira qu il blauiait
fort ses deux ilhistres amis de leur attachement a la philo-
sophie nouvelle*. « Sourianl doucement quand on lui par-
1. Memoires de Foiitaiue, t. II, p. 53.
PREFACI- 1)K LA SECONDK EDITION. VJ
loit de ces clioscs, i! temoignoit plus plaindre ceux qui s'y
arretoient qii'avoir envie de s'y arreter lui-meme... II
disoit que M. Descartes etoit a Fegard d'Aristote comme uri
VOleur qui Venoit tuer un autre voleur et lui enlevor ses
depouilles. Dieu^ disoit,-il, a fait le monde pour deux clioses.
Tune pour donner une grande idee de lui, I'autre pour
peindre les choses invisibles dans les visibles. M. Descartes
detruit I'un et Vautre... Au lieu de reconnoitre les choses
invisibles dans les visibles, comme dans le soleil, qui est le
dieu de la nature, et de voir en tout ce qu'il produit dans
les plantes I'image de la grace , il pretend au conlraire
rendre raison de tout par de certains crochets qu'ils se sont
imagines. Je les compare a des ignorants qui verroient un
admirable tableau, et qui au lieu d'admirer un tel ouvrage,
s'arreteroient a chaque couleur en particulier, et diroient :
Qu'est-ce que ce rouge-la 1 de quoi est-il compose? G'est de
telle chose ou c'est d'une autre... Ges gens-la cherchent la
verite a talons ; c'est un gratid hasard s'ils la trouvent. »
Telles etaient les dispositions veritables de Port-Uoyal en-
vers le cartesianisme et la philosophic* Aussi , quand
M. Singlin envoya son tiouveau penitent a Port-Royal-des-
Ghamps, ce fut, dit Fontaine*, « afin que iM. Arnauld lui
prelat le collet pour les sciencesj et que M. de Sacy lui
apprit a les mepriser. » Pascal se forma promptement a
cette ecole, et parvint bient6t oil en etait Sacy; mais de
Thumeur dont il etait, il ne se contenta pas de njcttre de
c6te la philosophic, il la foula aux pieds. Et, ici encore,
I'exact logicien, les principes de Port-Royal admis, g/a ete
Pascal; Nicole et Arnauld furent encore une fois pour le
sens commun et rinconsequence. Pourquoi? Par bien des
1. Ibid.,]). 55.
80 Di:S PENSEES DE PASCAL.
raisons qu'il serait irop long de faire connaitre. Marquons-
en brieveinent quelques-unes.
D'abord Pascal avail toute I'ardeur d'un neophyte. Gon-
veili a la fin de 1654, mort au milieu de IGG^/dans ce court
iiilervalle rempli par les grandes luttes des Provinciates,
par des niaux cruels et une agonie de pres de deux annees,
Pascal, ne avec une humeur bouillante^ ^ une force et une
rigueur d'esprit encore accrues par les habitudes de la me-
thode geometrique, s'elanca vite a toutes les extremites de
la doctrine janseniste; des qu'il eut embrasse la grace de
Jesus-Christy il ne connut^ il ne suivit qu'elle. Pour elle, il
out donne son sang dans la question du formulaire : il fit
plus, il fit de sa vie entiere une mort continue; il mourut a
tout sentiment de plaisir^ meme le plus innocent^; et
quand il sentit s'approcher la derniere heure, pour mieux
rcssembler a Jesus -Christy il demanda avec la plus vive
instance d'aller rendre Tame dans un hopital et sur le gra-
bat des pauvres malades. Dans la pratique comme dans la
theorie^ le caractere propre de Pascal est celui d'une con-
sequence inflexible pour les autres et pour lui-meme ; et en
meme temps il joignait a cette energie naturelle une ame
candide et I'esprit le plus fin. II y avait en lui de Tenfant,
du bel-esprit, du heros et du fanatique. II ne prenait et ne
faisait rien a demi. Or, quand on pousse Tattachement a un
principe jusqii'a lui sacrifier toutes les douceurs de la vie^
il n'en coute guere d y ajouter la philosophic. Et en verite,
de la part de Pascal, ce dernier sacrifice n'avait pas un
tres-grand merite.
La philosophic s'appelait alors le cartesianisme. Pascal
4. JAC:>L-FLiNr. Pascal, cli. iv, p. 233, kntve Ju 8 decern' ro 1G54,
2. Vie de Pascai^ jjar M""^ l^orier.
PREFACE DE LA SECONDE EDtTION. 81
possedait parfaitement de cette grande philosophie la partie
mathematique et physique, niais il s'etait a peu pres arrete
la. Moitie severite d'espnt, moitie defaut d'etendue^ Pascal
n'aspirait pas a des vucs univcrselles sur la nature. C'etait
sausdoute un raoyen assure d'eviter bien des erreurs, niais
par la aussi il a manque la plus grande gloire: il n'a point
place son nom parmi ceux des Galilee, des Descartes^ des
Newton, des Leibniz. II faisait partie d'une petite societe
de gens d'esprit et de nierite ou il etait de mode de denigrer
Descartes et de Fattaquer par ses mauvais cotes, par
exemple, la matiere subtile et quelques autres hypotheses,
ce qui etait assez facile, sans rien mcttre a la place, ce qui
etait fort commode. De temps en temps . Descartes appli-
quait de rudes lecons au plus temeraire de cette petite
societe, Temporte et jaloux RobervaP. Dans I'affaire de la
pesanteur de Fair, il y eut entre Pascal et Descartes un
demele encore mal eclairci, ou Pascal, qui adorait la gloire,
eut au moins le tort d'oublier un peu trop le nom de Des-
cartes parmi ceux qui Tavaient mis sur la voie de ses cele-
bres experiences ^. C etaient deux genies entierement
opposes et tres-peu fails pour se comprendre. L'un essen-
tiellement createur, invente sans cessc et partout des prin-
cipes uouveaux; il embrasse et domine toutes les parties
des counaissances humaines; il aspire au systeme du
1. yioniwcX^y Histoi re des mat lifj ma tiqu.cs, \, IT, p. 55 cti44.
2. Baillet, dans la Vie de Deseortes, dtinioiitre^ par Ics Ictlres meme
de Descartes, combien Pascal a ete pen juste envers sou illustve de-
vancier. Bossat, daus son Diseours sur la vie et les ouvroges de Pascal,
traiie sur ce point JBaillet avec beancoup de hauteur. Alontucla, dont
I'impartialit^ et les lumieres ne peuyent etve contestees, porte a
peu pres le meme jugemeut que Baillet, Histoirc des mathematiques,
t.II, p. 205.
6
82 Di-'S PENSKF.S DK PASI.AI.
nionde, il I'attt'int prcsqiie', Laiilrc excelle dans les pro-
cedes scientifiques et dans la solution accomplie de pro-
blemcs particuliers. ]*ascal a perfeclionne et fixe a jamais
la langLie de la raison, niais c'est Descartes qui I'a trouvee.
La tete de Pascal n'est pas moins forte que celle de Des-
cartes, mais elle est moins ample. Livre de bonne heure
a Tetude des matheniatiques et de la physique, on ne voit
pas que Pascal ait jamais donne une grande attention a la
philosophic proprement dite. II ne parait ni dans sa vie ni
dans ses ouvrages aucune trace d'etudes mctapliysiques.
II avait In sans aucun doute la Meihode et les MediiationSy
et il en avait retenu le grand principe de la pcnseCj comme
signe ct prenvc de I'existcnce. Mais Roberval lui-meme
n'avait pas ose repousser ce principe-; il etait dans saint
Augustin, ct^ en Padmettant, Pascal n'avait fait que suivre
Popinion gencrale. La logiquo seule Poccupa serieusement.
et encore^ dans la logique^ la definition^ qui appartienl
anx mathematiques autant qu'ii la philosophic. Les deux
seuls philosophes qu'il connaisse bit-n et dont il est e\i-
demmentimbu, cVst jMontaigne. avec son disciple Char-
ron, cVst-a-dire deux sceptiques. Lc scepticisme preparait
merveilleuscment les voies an dognic du neanl de la nature
humaine ; et d'un autre cote ce dogme appelait et contir-
mait le scepticisme. Quund done la grace penetra dans
Pesprit de Pascal, le 1r-> Sijstnnr da Monde, ]iv. v, clia|i. v.
2. Voycz diins dos l''RA(i.MF.NTs DE pi-iii.oso!>inE MODV.RNE raiticlc in-
titule Hohi'rrn/ pliiln.snphc.
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. 83
le snrprendre, et au lieu de Ten tirer, elle I'y enchaina.
II n en fut pas^ il n'en pouvait pas etre ainsi de Nicole et
d'ArnauId.L'unetl'autrepossedaientun fond d'etudesetde
connaissanccs philosophiques, qui resisterent au jansenisme.
Nicole avait etudie avec distinction la pliilosophie a FUni-
versite de Paris. II fut rcQu maitre es-arts en 1644. Arr^te
dans sa carriere theologique et ecclesiastique par les trou-
bles qu'exciterent en Sorbonne les cinq propositions cele-
bres de M. Cornet, lie de bonne beure avec Port-Royal, ou
il avait deux tantes religieuses, dont I'une^ la mere Marie
des Anges Suireau, avait ete abbesse et reformatrice de
Maubuisson et mourut abbesse de Port-Royal en J 608, il
enseigna plusieurs annees aux Granges les belles-lettres et
la philosopbie. Son cours de logique est le fond du livre
qui fut compose plus tard dans une circonstance particu-
liere et public sous le titrc de La Logique ou Vart depenser\
Ce livre est a la fois d'Arnauld et de Nicole-. 11 est tout
penetre de cartesianisme. On y combat a tout propos le
pyrrhonisme, ainsi que la pbilosopbie fondee sur la maxime
que toute idee tire son origine des sens. On y professe le
principe cartesien, que nous avons une idee natin'clle ,
claire et certaine, de Tame et de Dieu. Les deux excellents
discours preliminaires sont de la main de Nicole. Le pre-
mier^ le plus important^ est presque entierement consacre
a la refutation du scepticisme et a Fapologie de la philoso-
phic. Nous en sommes bien fache pour Pascal^ mais voici
comment Nicole traite ses chers pyrrhoniens « Le pyrrho-
nismCj dit-il, n'est pas une secte de gens qui soient persuades
1. F((? de isicole, t. XIV des E.'^mi.'; (h 'MovoIp, p. 28 : « II liii enseigna
(;i Tilleniont) la pbilosopliiej et lai expliqua sur la logique tout ce qui
a ete donne depuis au public. »
2. ibid., p. 36.
84 DES PENSKES BE PASCAL.
de ce quils dispnt, niais c'est une secte de menteurs'. n
Montaigne estpris a partie et tres-malmene. Si nousavions
a indiqner la meillcure reponse an livrc des Pp.nsees, nous
designerions la logique de Port- Royal. Nous y ajouterions
le beau Discours contenant en abrcgc les prfMves natu-
relles de Uexistence dc Dieu et de Vimmortalite de rdine-.
11 parut en 1670, un pen apres les Pensees; et on dirait
que Nicole avail en vue les arguments sceptiques de
Pascal J loi'squ^il ecvivait ies lignes suivantes : « Je suis
persuade que ces prcuves naturelles ne laissent pas d'etre
solides... 11 y en a d'abstraites et de metaphysiqueS; et nous
ne voyons pas qu'il soit raisonnable de prendre plaisir a
les decrier; niais il y ea a aussi qui sont plus sensibles^
plus conibrmes a notre raison , plus proportionnees a la
plupart des esprits^, et qui sont telles qu'il fant que nous
nous fassions violence pour y resister... Ouelque effort
que fassent les athees pour etfacer I'impression que la
vue de ce grand nionde forme naturellement dans tons
les homnies, qu'il y a un Dieu qui en est Tauteur, ils ne
sauraient I'etoutler entierement; tant elle a des racines
fortes et profondes dans notre esprit. II ne fant pas se for-
cer pour s\^ rendre, mals il fant se faire violence pour la
contredirc... La raison n"a qua suivre son instinct naturel
pour se persuader qu'il y a un Dieu, )> Un pen plus tard, ea
j(i71, dans le premier volume des Essais^ au traite de la
faiblesse de Tbomme, Nicole parle de Descartes en des
termes qui contrastcnt fort avec ceux de Pascal et de Sacy :
G On avait pbilosophe trois mille ans durant sur divers
principes. II s\4eve dans un coin de la terre un lionmie qui
1 . La lorjiquc, cm I'nrl drpor^Tr, edition de 16t>2. Disroi/rs ,^i(r le des-
fin dp t'ciir. logiq)i.p, p, 13.
2. U a ete place plus tavd dans les Essois, t. TI,
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. 85
change toiite la face de la philosophie, et qui pretend faire
voir que tous ceux qui sont venus avant lui n'ont rien eii-
tendu dans les principes de la nature. Et ce no soiit pas
seulement de vaines promesses; car il faut avoucr que le
nouveau venu donne plus de luniieres sur la connaissance
des choses naturelles, que tous les autres ensemble n'en
avaient donne. » Sans doute, quand des theologiens etour-
dis appliquerent a tort et a travers le cartesianisme a I'ex-
plication des saints mysteres, entre autres de I'Eucharistie^
Nicole, conn;ne Arnauld, conniie Hossuet lui-meme, poussa
un cri d'alarme ' dans le sein de ses amis; mais il n'en
demeura pas moins publiquement fidele au\ principes de
toute sa vie. On conceit done que, dans la revision du ma-
nuscrit de Pascal, il ait tbrtenient appuye I'avis d'Arnauld
de retrancher les superbes insultes partout adressees a Des-
cartes et a la raison naturelles, et d'effacer le plus possible
le scepticisme qui domine dans les Pensees, Et encore ^
malgre tant de suppressions^ malgre tous les adoucisse-
ments et nieme les changements pratiques, jamais les Pen-
sees ne plurent a Nicole. Autant il admire et travaille a
repandi'e les Provinciales, autant il reste froid a Tegarddes
Pensees, interprete en cela du sentiment unanime de ses
plus illustres contemporains. Nous avons deja fait cette obser-
vation -qu'au xvu*^ siecle nul philosoplie, nul theologien ce-
lebre n'a loue ni meme cile les Pensees. On cherche en vain
un seul mot sur ce livre dans Fenelon , dans Malebranche,
dans Bossuet, ni meme dans I'immense correspondance
1. Nicole, Essais,t.\U\, lettres 82, 83,84; Arnauld, lettres du 18
octobre 1669, OEvvres cot/ip/ete.^^ i. I", p. 670; Bossuet, Lettre a itn disci-
ple du pere Malehnmche. Bossuet est encore celui des trois qui se laissa
le moins entrainer a rhumeur bicu naturelle que donnent aux amis
eclaires d'uno boime cause les exces qui se commettent en son nom.
-2. Pliishaut, Pjr'/flW^^ /fl 1" edition, p. 13.
86 fDES PENSEES DE PASCAL.
d'Arnauld. Pour Nicole, il dissimiilait assez mal le pen de
cas qu'il en faisait. Cn jour M. de Sevigne lui ayant com-
munique une iettre de M'"^ de Lafayette, qui contenait ce
singulier eloge des Pensees : « Cest rnechant signe pour
ceux cjui ne gotUeront pas ce livre », Nicole, tout timide
qu'il etait, eut le courage de braver cet anatheme et de
confesser son opinion. Mais d'abord remarquez cet enthou-
siasme pour les Pensees, sortant de la societe de M. de
La Rochefoucauld, dont M'"*= de Lafayette n'est ici que le
secretaire. L'auteur des Maximes approuve fort I'auteur
des Pensees, Je le crois bien, en verite. Ouand on a soi-
meme avance, au scandale des honnetes gens, que tout
dans rhomme se reduit a Tamour-propre et a Tegoisnie et
que le reste n'est qu'hypocrisie , on doit certes se feliciter
de voir paraitre un ouvrage qui vient au secours de ce beau
principe, en etablissant qu'il n'y a ni morale ni religion
naturelle, et (|ue les lols et toutes les vertus ne reposent
que surla fantaisie et sur la mode. Cet accord entre La Ro-
chefoucauld et Pascal n'est ni surprenant ni fort edifiant;
et a mon sens il est accablant pour Pascal. Apres le silence
desapprobateur de ses egaux, il ne lui manquait plus que
le suffrage interesse de ce triste personnage, bel- esprit
chagrin, courtisan desappointe et malade, qui n'a pas craint
de donner son propre caractere et sa vie d'intrigue comme
Texemplaire de Thumanite -. La reponse de Nicole a M. de
Sevigne est si pen connue, et elle fait si bien pour notre
cause, que nous la donnons en abrege ' :
c< Apres ce jugement si precis que madame de la F. porle
1. Essais, t. VIII, premiere partie, p. 245.
2. Sur La Rochefoucauld et le livie des Miu-imcs, voyez La jeu-
NESSE DE M™e DE LoNGUEViLLE, Introduclion et Cll. IV, el M"^" DE
Sable, ch. lu.
PREFACE DE LA SEGONDK EDtXIOX. 87
que c^est mechanl slgne pour ceux qui ne gouieront pas ce
livre, nous voila reduits a n'en oser dii'c notre sentiment,
et k faire semblant de trouver admirable cc que nous n'en-
tendons pas. Elle devait au moins nous instruire plus en
particulier de ce que nous y devons admirer, et ne se pas
contenter de certaines louanges generates, qui ne font que
nous convaincre que nous n'avons pas Tesprit d'y decouvrir
ce qu'elle y decouvre , mais qui ne nous servent de rien
pour le trouver... Pour vous dire la veritOj j'ai eu jusqu'ici
quelque cliose de ce mechant signe. J\ ai bicn trouve un
grand nombre de pierres assez bien taillees et capables
d'orner un grand batiment, mais le reste ne m'a paru que
des materiaux confus^ sans que jc visse assez Tusage qu'il
en voulait faire. II y a meme quelques sentiments qui ne
me paraissent pas tout a fait exacts, et qui ressemblent k
des pensoes hasardees que Ton ecrit seulement pour les
examiner avec plus de soin. Ce qu'il dit, par exeraple,
tit. XXV, 15, que le tilre par leqnel les homines possedent
leiir (Hen n^est, dans son originey que fantaisie, ne conclut
rien de ce qu'il en veut conclure, qui est la faiblesse de
rhomnie, et que nous ne possedons notre bien que sur un
titre de fantaisie... Ce qu'il dit au meme endroit, n" 17,
touchant les principes naturels, me semble trop general...
11 suppose, dans tout le discours du divertissement ou de
la misere de Thomme, que Tennui vient de ce que Ton se
voit, de ce que Ton pense a soi, et que le bien du divertisse-
ment consiste en ce qu'il nous ote cette pensee. Cela est
peut-etre plus subtil que solide... Le plaisir de Tame con-
siste a penser, et a penser vivemcnt et agreablement. Elle
s'ennuie situt qu'elle n'a plus que des pensees languissan-
tes... C'est pourquoi ceux qui sont bien occupes d'eu\-
memes peuvent s'attrister, mais nc s'ennuient pas. La tris-
88 DES PENSEES DE PASCAL.
tesse et Tennui sent des mouvemcnts differ ents... M. Pascal
confond tout cela. Je pourrais vous faire plusieurs autres
objections sur ses Pensees, qui me serablent quelquefois
un peu trop dogmatiques, et qui incommodent ainsi moii
amour-propre, qui n'aime pas a etre regente si tierement. »
Et savez-vous le secret de ce gout tres-mediocre dc Ni-
cole pour ies PPMSces ? C'est que ce livre est Texpression la
plus forte du jansenisme, et qu'a dire vrai Nicole n'etait
guere janseniste. II s'etait laisse engager dans ces querelles,
un peu par conviction, beaucoup par ses amities, surtout
par une antipathic sincere et constante pour Ies jesuites. 11
etait bien plutot un adversaire des jesuites qu'un vrai dis-
ciple de Port-Royal. II n'avait pas connu Saint-Cyran; il
n'avait jamais senti la main de cet homme extraordinaire
qui osa regarder en face Richelieu; qui, du fond de son
cachotde Yincennes, avec quelques billets, gouvernait sou-
verainement Port-Royal; qui decida de la destinee d'Ar-
nauld, et exer^ait sur tout ce qui I'approchait un ascen-
dant irresistible ; doux et humble dans la forme, comme
son ami saint Franc.ois de Sales, mais au fond ardent, in-
flexible, extreme. La seulc grande influence que Nicole ait
subie est celle d'Arnauld. 11 Tadmirait et I'aimait, et niit
volontiers au service de ses desseins son elegante latinite,
sa plume moderee et facile; mais il se permeltait de choi-
sir parmi Ies doctrines de son iUustre ami. Comme lui, il
repoussait la morale relachee des jesuites, plus fausse en
effet et tout autrement dangereuse que Tausterile excessive
de Port-Royal; il avail horreur du probabilisnie, qui mine
toute certitude et toute obligation morale; il detestait par-
dessus tout Tesprit d'intrigue et de persecution de la So-
ciete, mais il etait un partisan assez tiede de la grace jan-
seniste. Son historien garde un silence officicux sur sa
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 89
conduite dans TafFaire du formulaire. La verite est qu'il y
joua un grand role, qu'il tint tete a Pascal ct a Domat'^ et.
encouragea fortement Arnauld dans sa resistance aux folies
heroiques ou Pascal vonlait entraincr Port-Royal. Aussi ,
desce moment, Nicole devint suspect au parti. Apres avoir
suivi Arnauld dans I'exil , il se lassa vite de la vie d'eniigrcj
et fmit meme par se prononcer contre la griiee particu-
liere en faveur de la grace universelle. C'etait a peu pres
desavouer le jansenisme.
Arnauld etait a la fois et plus janseniste et plus philoso-
phe que Nicole ^ et il demeura Tun et Tautre, avec une
Constance egale^ jusqu'a la tin de salongue carriere.
En mesurant cette carriere deja si grandc^ onpeutjuger
par ce qu'a fait Arnauld ce qu'il aurait pu faire en de meil-
leures circonstances , et sans la fatale rencontre qui egara
d'abord sa destiuee. G'est Saint- Cyran qui perdit Port-
Royal, en y mettant une doctrine particuliere; c'est Saint-
Cyran qui perdit Arnauld, en le detournant des grandes
voies de Teglise gallicane pour le jeter dans un sentier en-
viroune de precipices. La nature Tavait fait pour etre Tegal
de Rossuet , I'eloquence a part bien entendu^ et il n'a ete
qu'un chef de parti. II avait rec-u tons les attributs du
genie , la simplicite, la force^ la grandeur, Petendue^ avec
une facilite et une fecondite inepuisables. L'invention lui
manquait un peu^ comme a Rossuet; mais, comme Rossuet
aussi, il larempla^ait par une rectitude presque infaillible.
Dans sa jeuncsse, il avait fait des etudes profondes d'oii
pouvait sortir un grand geometre ', un grand theologian et
1. Un manuscrit de la bibliotlit'qiie royale et \\\\ autre de la hiblio-
theque Mazarine, que nous avons soiivent cites, contiennent diverses
reponses inediles de Nicole a Domat et a Pascal lui-nieme. Voyez
VAppendice a la fin de ce voluuie.
2. Les Element.^ (Je Geometric de Port-Royal sont de la main d'Ar-
90 DES PENSEES DE PASCAL.
un grand philosophe. 11 possodait nieme plusienrs parties
du grand ecrivain, un ordrc severe, line clarte eminente;
point d'imagination, il est vrai, mais de I'esprit et de Fame,
souvent nieme do beaux mouveinents. Tant et de si rares
qualites ont avorte, ou du moins n'ont pas porte tous leurs
fruits, faute d'une culture reglee et paisible. Sans cesse
occupe a diriger un parti, s'oubiiant lui-meme, dedaignant
la gloire, ue peusant qu'a la verite et a la justice, toujours
errant d'asile en asile ct ne sachant pas ou le Jendemain il
reposerait sa tete, Arnauld a passe toute sa vie les armes a
la main : il a disperse ses forces en mille ecrits de circon-
stanci*, an lieu de les rassenibler sur quelque ouvrage im-
mortel. II a seme ga ct la des traits et nieme des pages ad-
mirables, mais il n'a pas counu cet art patient de la com-
position et du style, ce soiu assidu de labeaute de la forme
qui seul conduit un livrc a la perfection et a la posterite.
Arnauld a manque le premier rang en tout genre, la con-
troverse exceptee. La Bossuet lui-meme ne lui est point
superieur. II serait injuste aussi de ne lui pas accorder une
place tres-elevee en philosophic.
Arnauld, comme Nicole, avait etudie la philosophic dans
un des colleges de rUnivcrsite de Paris. Entre en Sorbonne,
il y prit successivement tous ses degrcs avcc un grand eclat.
Son etude favorite fut celle de saint Augustin, ou il puisa
comme un avant-gout des principesde Descartes etdeceux
de Port-RoyaL Aussi, des que parut, en 1637, le Discours
de la Meihode avec les trois grands ouvrages de physique
et de mathematiques qui s'y rapportent, Arnauld reconnut
naiild, et ont servi de foudenient a tous les ouvrages de ce genre. Voyez
dans la Fi> d"Arnanld, p. 93, de \nvoieax details sur ces Elcmmts.
Leibniz parle iiuelqne part du rai'c talent d'Araaiild pour les mathe-
matiques.
PREFACE DE LA SECON DE EDITION. i*l
en qiielque sorte la philosophie qu'il cherchait-, qui nienie
etait deja dans sa pensee. De 1G39 a 16-41, pendant den\
annees consecutives, il fit lui-meme en Sorbonne un cours
regulier et complet de philosophie. On assure que de ce
conrs sorlirent plusieui's eleves distingues qui intvodui-
sirent Tenseignement d'Arnauld dans TUniversite de Paris*.
Mais la trace la plus sure qui nous en reste est la these
trop pen connue qu'il fit soutenir en 164-1 : elle contient
plus d'une proposition bien digne d'etre rernarquee et
Tesprit qui y regne se retrouve presque tout entier dans
les ecrits posterieursj d'Arnauld^. Dans le meme temps il
1. Preface Jiistorique du tome XXXMIT^ page 2. — Parmi cos eleves,
on cite Pierre Barbay, depuis professeur de philosophie, dont le peri-
patetismo tres-mitige sert, en quelque sorte, d'hiturmediaire entre le
vieil eiiseignement peripateticien et renseignement nouvean, oelui de
Pourchot, par exemple, oil paraitdej a etprevaut presque lecartesianisme.
2. OEf^^re^ d'Arnauld, tome XXXVUI, p. 1. Cowl ij.sloiw.i phUomphirji',
En logique, on y rencontre un certain conreptu;ilisme, assez voisin du
Dominalisme, qu'on enseignait depuis assez longtemps dans I'Univer-
sit(> de Paris, et qui explique a merveille Tantipathie d'Arnauld pour la
theoiie des idees de Malebranche. Lc^s luiiversaux ne lui sont que iles
notions communes et des noms communs : toute reality'' est dans les
individus. En mathematiques, Arnauld critique les elements d'Euclide,
dont les demonstrations ne lui paraissont pas toujours assez lumineuses,
pr^ludant ainsi a ses reflexions de la quatrienie partie de la Loyiqiie
et a ses Elements de. Gcometrie. Des cette epoque, c'est-a-dire des
Tannee 1G41, il attaque, en astronomie, le systeme de Ptolemee; il ose
dire que rimmobilite de la terre ne repose sur aucune preuve^ ni astro-
nomique, ni physique, et que c'est I'autorite etnon la raison qui nous
la persuade. Plus tard, Pascal n'osera pas alier jusqne-U. En morale,
le systeme d'Epicure , le systeme stoicien et le peiipatetisme sont
mis fort au-dessous de la morale platonicienne> couronniin par le chris-
tianisme. La liherte humaine est admise; mais deja se montrent quel-
ques propositions dont le jansenisnie peut s'accommoder. « Celui qui
ne peut pecher est sans aucun doute plus lihve que celui qui peut pe-
cher. » En metaphyslque, toule essence eternelle autre que Dieu est une
chimere : toutes les entiles ne sont que I'etre lui-meme. Les formes
substanlielles sont inutiles. Pour un esprit libre de prejuges, il n'est
92 ' DES PENSKES DE PASCAL.
ecrivait cette celebre consultation sur les MedifMions, oil
le disciple de saint Augustin accepte sans reserve la me-
thode et tons les grands principes de Descartes, la preuve
de I'existence personnclie tiree de la pensee, la demons-
tration de la distinction de Tame et du corps, et celle
de Texistence de Dieu par Tidee de Tinfini. Depuis,
Arnauld n'a pas cesse d'etre un cartesien declare^ comme
Bossuet. 11 y a vraiment une analogic frappante entre les
opinions philosophiques de ccsdeux grands liommes. Tons
deux sent cartesiens, sans prejuges comme sans i'aiblesse:
au plus fort de la persecution, disons tout, au milieu des
fautes du cartesianisme, ils eureut le courage de Tavouer
encore en separant ses principes des applications temeraires
qu'on en faisait. Tons deux partaient de la ferme distinc-
tion des verites naturelles et des verites surnaturelles, et la
philosopbie lour paraissait aussi legitime et aussi assuree
dans Tordre naturel que la foi chretienne dans Tordre des
verites revelees. lis se montrerent les constants adversaires
de I'epicureisme de Gassendi et du scepticisme de Montaigne
et de Huct. Ge fut Arnauld qui iutroduisit et s'efforca d'ac-
crediter le cartesianisme a Port-Royal. II est Tauteur dela
quatriemc partie de la Logique, oil domine la methode de
Descartes. Lorsqu'en 1603 la censure romaine mit a Tindex
les Meditations^ cette incroyable injustice ne Tarreta point.
En 1669, 11 fit retrancher des Pensees ce qui etait trop ou-
vertement favorable au scepticisme et a iMontaigne, etcon-
traire a Descartes et a la philosophic ^ . En 1675-, il composr.
un admirable menioire pour eclairer le parlement de Paris,
pas mollis evident i|uc Dieu existe qu'il est evident que deux est uii
QOmbre pair.
1. Voyez plus bas la lottro citee, H'lpport, ue partie, etc.
2. Fragments de pniLOsorniE MODEurvE, de la pcrscrii.fion du carW-
PUKKAGE DE LA hiEGONDE EDITION. 03
qui allait rendre un arret contre la doctrine dc Descartes.
En 1683, dans sa grande controverse avec Malebranche, il
rappela souventson brillant et obstineadversaire a la solide
methode et aux principes de leur commun maitre ^ Enfin
en 1689, quand parut le livre de Huet contre Descartes,
Arnauld traitace livre avec le dernier mepris'^. Jamais dans
I'esprit d'Arnauld ni le jansenisme ne fit plier la philosophies
ni la philosophic n'altera le jansenisme. La grace et la rai-
son y avaient jete de bonne henre de si profondes racines
qnV'Ues s'y soutenaient pour ainsi dire a cote Tune de lau-
tre, chacnne par sa force propre, se rencontrant sans pon-
voir s'accorder, comme anssi sans parvenir a se detruire.
Arnauld occupe une telle place dans Port-Royal qu'on a
etendu naturellement a tons les doctes solitaires ce qui
appartient a iui seul. Parce qu'Arnauld etait cartesien^ on
en a conclu que tons ces mes'sieurs Tetaient aussi. La con-
clusion n'est nuUement fondee. Si Port-Royal ne put venir
a bout dii cartesianisme d'Arnauld, il n'est pas moins vrai
qu'Arnauld ne put seduire Port-Royal au cartesianisme. II
avail beau presenter Descartes sous !e manteau de saint
Augustin: le philosophe paraissait toujours et epouvantait.
Arnauld entraina Nicole et le due de Luynes'^j mais toutle
reste demeura froid ou ennemi. II faut voir dans Fontaine
quel scandale excitait dans la sainte maison ce gout nou-
veau pour la phiiosophie''. Sacy en gemissait, et tout le
monde pensait comme Sacy. Pendant quelque temps on
irosa pas se plaindre ouvortement. Arnauld possedait une
autorite immense; il etait pretre et docteur; il avait ete
confesseurde Port-Royal; il etait I'oncle etle frere destrois
1. Voj'ez rexcellent livre D^.v vrairs ct des faim-es idee.?.
2. Voyez pins liaut la Prcmih'c jireface, p. 15,
3. Le traducteur des Meditationry.
^. T. II, p. 52 SLiq.; et plus has, Hupporf, V^ partie.
94 DKS PEN SEES DE PASCAL,
personnes les plus venerees , la mere Aiigelique, la mere
Agnes, la mere Angeliquc de Saint-Jean; toute sa famille
peuplait en qnelqne sorte Port-Royal; il etait le chefavouej
la lumiere et Tame da parti. Et ponrtant des signes de re-
volte eclataient do loin en loin. Le due de Lianeourt, per-
sonnage a Ions egards si considerable, rompait quelquefois
visiere a TiUustre docteur. Les choses en vinrent au point
que vers I'annf'e lijSO on prit la resolution de faire un der-
nier effort pour enlever Arnauld a la philosophic. Un de ses
amis les plus intimes, le Iheologal d'Aletli, M. du Vaucel,
composa un veritable manifestc intitule : Observations sur
la pJtilosoplue de Descartes^. Li\, du Vaucel se plaignait
qu^Arnauld compromit Port-Royal en donnant apenserque
Port-Royal tHait cartesicn, tandis qu'il n'y avait de carte-
siens parmi eux qu'Arnauld et Nicole. II declarait qn'au
lien de defendre Descartes contre les jesnites, il fallait
s'unir aux jesuites contre Descartes. II se pronongait nvec
force ct nfttete en faveur du livrc que le pere Yalois, sous
le pscudonymc de Delaville, venait de publier contre le
cartesianisme au nom de la Societe. Sainte-Marthe, un des
plus purs jansenistes, approuva du Vaucel. On ecrivit a
Paris pour obtenir Padhesion de Sacy. On I'obtint, mais
dans les termes que comportaient la douceur et I'humilite
de cet honmie excellent. II avoua quil n etait pas amsi
philosophe que son oncle.^ et il le suppliait de songer nioins
a la philosophic et de consacrer su plume a la seule piete.
En depit dc ces ctlorls concertes, Arnauld comme Bossuet,
demeura jusqu'a la tin fidele a Descartes et a la philosophie.
On le voit : Arnauld philosophe ne rcpresente point
Port-Royal; il le contredit; il suit son propre genie et les
1. Preface historique du tome XXXVIII de? ("puvres d'Arnaiild, p. 16.
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 95
habitudes de toute sa vie. C'est Sacy vers 1650, c'est Pascal
vers IGGO^ c'est du Vaucel en 1680, qui sont les veritablcs
interpretes de Port-Royal. Pascal avail compris d'abord et
hautement exprime Tabsolue inconipatibilile de la grace
janseniste et de la philosophic. Le pieux theologal d'Aleth,
en repetant ce qu'avait dit Tauteur des Penseesy obeissail a
un instinct tout aussi siir que le genie lui-menae, a cet
instinct des partis qu'il ne faut pas mepriser parce qu'il est
souvent le sentiment intime de leur principe. Tout le parti
se reconnut dans du Vaucel et se joignit a lui. Arnauld
denieura seul, inebranlable dans son attachenient a la phi-
losophic; et Tadniiration que sa fernnete nous inspire est
en raison m6me de laserieuse opposition qu'il rencontra de
bonne heure, qii'il ne put vaincre, et a laquelle il resista
pendant quarante annees.
En resume, il est, je pense, bien demontre que Port-
Royal, fonde sur le double principe da neant de la nature
humaine et de la puissance invincible de la grace, ne pou-
vait admettrc ni le cartesianisme ni aucune philosophic, et
qu'ainsi, comme nous Favions annonce, Pascal janseniste,
et janseniste consequent, devait etrc tel que le peignent les
Pensees, un Chretien melancolique, un sceptique de genie,
qui rejetant toute raison naturelle, toute morale naturelle,
toute religion naturelle, ne trouve un peu de certitude et de
paix que dans la foi d'une secte particuliere, qu'il ne faut
pas confondre avec Peglise, de cette secte pleine de gran-
deur et de miseres, qui commence, il est vrai, par Port-
Royal et les Provinciales, mais qui se terinine aux folies
de Saint-Medard.
Pascal etait obscur a bien des yeux dans I'edition de
Port-Royal et dans celle de Bossut. Nous Pavons eclairci
a la luniiere du manuscrit autographe, et cette lumiere a
on DEb PENSKES DE PASCAL.
fait paraitre le plus puissant ennemi qu'ait jamais eu la
philosophie.
Qui , Pascal est un ennemi de la philosophie : elle est
trop loyale pour le dissimuler, et trop sure d'elle-meme
pour redouter ni Pascal ni personne. La philosophie est
assise sur des fondements d'oii elle pent braver egalenient
et Port-Royal et la societe de Jesus. Elle exprime en effet
un besoin necessaire et un droit sacre de la pensee. Sa
cause est la grandc cause de la liberte du monde^ rappelee
a son principe meme , la liberte de Tesprit. Sa force est
celle de la raison appuyee sur deux mille ans de progreset
de conquetes.
II est du bel air^ anjourd'hui, do traiter avec un superbe
dedain la raison naturelle. Assurement elle n'est point
infailllble, mais elle n'est point non plus condamnee a
Terrenr on a I'impuissance. Mille fois on a fait justice du
frivole paralogisnie sur lequel reposent toutes ces declama-
tions inconsequpnteSj dirigees contre la raison par la raison,
depuis Pyrrhon et Sextus^ jusqu'a Pascal et ses imitateurs.
Mais laissons la la logique et les theories : attachons-nous
aux faits. Quel dementi ne donnent-ils pas aux contemp-
trnrs de la philosophie !
Depuis les premiers jours des societes humaines jusqu'a
la venue de Jesus-Christy tandis que dans un coin du monde
une race priviU'giee gardait le depot de la doctrine revelee,
qui, je vous prie, a enseigne aux homines ^ sous Tempire
de religions extravagantes et de cultes souvent monstrueux,
qui leiir a enseigne qu'ils possedent une ame, et une ame
libre, capable de faire le mal, mais capable anssi de faire
le bicn? Qui leur a appris, en face des triomphes de la
force et dans Topprcssion presqne universelle de la faiblesse,
que la force n'est pas tout, et qu'il y a des droits invisibles
PREFACE DE LA SECONDE EDITION. 97
mais sacres que le fort lui-meme doit respecter dans le
faible ? De qui les hommes ont-ils re^u ces nobles principes :
qu'il est plus beau de garder la foi donnee que de la trahir;
qu^il y a de la dignite a maitriser ses passions, a demeurer
temperant au sein meme des plaisirs permis? Qui leur a
dicte ces grandes paroles: un ami est un autre moi-meme;
il faut aimer ses amis plus que soi-meme^ sa patrie plus
que ses amis, et I'humanite plus que sa patrie? Qui leur a
montre, par dela les limites et sous le voile de Tunivers^
un Dieu cache, mais partout present, un Dieu qui a fait ce
nionde avec poids et mesure et qui ne cesse de veiller sur
son ouvrage, un Dieu qui a fait I'homme parce qu'iln^apas
voulu retenir dans la solitude inaccessible de son 6tre ses
perfections les plus augustes, parce qu'il a voulu commu-
niquer et repandre son intelligence, et, ce qui vaut mieux,
sa justice, et, ce qui vaut mieux encore, sa bonte? Qui enfm
leur a inspire cette touchante et solide esperance que, cette
vie terminee , Tame immaterielle, intelligente et libre sera
recueillie par son auteur? Qui leur a dit qu^au-dessus de
toutes les incertitudes il est une certitude supreme, une
verite egale a toutes les verites de la geometric, c'est a
savoir que dans la mort comme dans la vie un Dieu tout-
puissant, tout juste et tout bon preside a la destinee de sa
creature , et que derriere les ombres du trepas, quoi qu'il
arrive, tout sera bien, parce que tout sera I'ouvrage d'une
justice et d'une bonte infmies * ?
Je le demande : quelle puissance a enseigne tout cela a
taut de milliers d'hommes dans I'ancien monde, avant la
venue de Jesus- Christ, sinon cette lumiere naturelle qu'on
1. Les textes qui justifient toutes ces assertions sont nombreux et
hicontestables. Tout homme un peu verse dans JapLilosophieancienrie
les seiitira en quelque sorte a travers cette libre traduction.
7
yS ]) F S P E N S !■: ]■ S D R PA S C A L .
traite aujourd'hui avec une si titrange ingratitude? Qu'on le
nie devant les monuments irrefragables de Thistoire, ou
que Von confcsse que la lumiere naturelle n'est pas si faible
pour nous avoir revele tout ce qui donne du prix a la vie,
les verites certaines et necessaires sur lesquelles reposent la
famille et la societe, toutes les vertus privees et publiques^
et cela par le pur ministere de ces sages eficore ignores de
Taiitique Orient, et de ces sages mieux connus de notre
vieille Europe, hommes admirables, simples et grands^ qui,
n'etant revetus d'aucun sacerdocej n'ont eu d'autre mis-
sion qiie le zele de la verite et Tamour de leurs semblables,
et pour s'etre appeles seulement philosophes, c'est-a-dire
amis de la sagesse, out souffert la persecution, I'exil, la
mort, quelquefois sur un trone et le plus souvent dans les
fers; un Anaxagore, un Socrale, un Platon, un AristotCj
un Epictete, un Marc-Aurele !
Et cette legislation romaine qui, pendant de si longs
siecles, a donne au mondc le gouvernemeut le plus equi-
table qui fut jamais, qui Ta inspiree et qui I'a soutenue?
Apparemment encore la raison naturelle, cette raison que
Fon voudrait releguer dans un coin obscur de nos ecoles,
et que meme on en voudrait bannir, tant on la trouve inu-
tile ou malfaisante!
Et si nous passons au monde moderne depuis la venue
de Jesus-Christ, que de bientaits encore n'aurions-nous pas
a rapporter a la raison naturelle et a ses progres, au milieu
meme des bienfaits evideiits de la loi chretienne? maisfran-
chissons le moyen age, arrivons a notre temps, et posons
cette seide question aux detractcurs de la raison et do la
philosoiihie :
Sur quelle base est assis tout reditiee de la societe fran-
gaise? De quels eleuients est-il ibrme, et quelles mains Tont
PRKFACK DE LA SECONUE EDITION. 99
eleve? Les codes qui depuis cinqiiaute annees president a
notre vie publique et privee^ ont-ils ete con^us et deliberes
dans des synodes, conime les capitidaires de Charlemagne?
Non : ils sont I'ouvrage de I'Assemblee constituante et du
conseil d'Etat de I'Empire. Les elements des lois qui nous
goiivernent, ce sont les idees de toutes parts repandues par
la philosophie, idees solides antant que genereuses, que la
revolution frailyaise n'a point faites, mais qu'elle a procla-
mees^ qu'elle a defendues d'abord avec I'epee , et gravees
ensuite sur Tairain de nos codes pour Texemple et pour
rinstruction du monde. Dans Tordre politique, quel est le
principe avoue de notre gouvernement? Le droit divin est
aujourd'hui une extravagance qui ne serail pas meme rap-
pelee sans peril. La force de la royaute constitulionnelle
est tout entiere dans la raison publique reconnaissant la
necessite d'un pouvoir permanent et inviolable pour le
maintien le plus certain de Tordre et de la liberie. Les droits
et les devoirs reciproques qui torment en quelque sorte la
trame de la vie sociale, particulierement ces grands devoirs
des enfants, des peres, des epoux, la loi civile les a tires de
la seule idee de I'honnete et du juste : ils reposent a ses
yeux sur leur propre evidence, sur la certitude et sur la
saintete de la justice naturelle. Ainsi que le code civil, le
code penal n'a point d'autre fondement. La vertu par elle-
meme merile une recompense, et le crime merite un cha-
timent; il le rcQoit dans les tourments de la conscience , et
il le regoit aussi a la face de tons, comme un public ensei-
gnement, au nom de cette justice supreme, de cette justice
armee qu'on appelle I'Etat.
Que Ton parcoure ainsi lous nos codes : on y rcnc.ontrera
le meme esprit; on u'y trouvera pas un seul principe qui
excede la raison. la morale et la rrlig'on naturelle.
Et ce caractere incontestable de ia legislation et de la
societe frangaise n'est pas nne nouveaute, un prodige dans
notre histoire; car cette histoire n'est guere autre chose,
depuis trois siecles, que le progres continu du genie secu-
lier. Or, faites-y bien attention : tout progres de la secula-
risation est un hommage rendu a la puissance de la raison
naturelle, et par consequent a la puissance de la philoso-
phie. La seule existence de notre societe, telle que le temps
et la revolution Tout faite, est done le triomphe de la phi-
losophic , et taut que notre societe durera, la philosophic
n'a rien a craindre ; car pour rallier a elle tons les esprits,
tons ceux du moins qui ne revent pas le retour de la societe
du moyen age, elle n'a qu'a leur niontrer la racine sacree
de I'ordre constitutionnel et de la loi franQaise.
Allons plus loin : ncst-il pas evident a tout observateur
impartial que les principes de la revolution fran^aise pene-
trent peu a peu dans toutes les societes europeennes, et
menie au dela de TOcean? Et depuis un demi-siecle ne
voyons-nous pas s'accomplir chaque jour la prophetic de
Mirabeau, que ces principes sont destines a faire le tourdu
inonde? S'il en est ainsi, il faut avouer que I'avenir de la
pbilosophie n'est pas tout a fait en peril.
Telle est la reponse simple, mais peremptoire, que nous
nous bornerons a faire a tons ceux qui se mettent aujour-
d'hui sous I'abri du nom revere de Pascal pour renouveler
le scepticisme, decrier la raison humaine, nous endormir
dans un mysticisme sans solidite et sans grandeur, ou
nous ramener a une domination que nos peres ont brisee,
et qui n'a rien a voir avec Tempire legitime du christianisme.
[1 n'y a aujourd'hui dans le nionde que deux grandes
forces morales, rcglise et la pbilosophie. L'eglise parle a
Thomme un langage humain et divin tout ensemble. Ses
PREFACE DE LA SEGONDE EDITION. 101
mysteres^ ses symboles, ses ceremonies^ tout, chez elle,
respire une charite tendre, douloureuse, infinie. Si la reli-
gion, dans son sens le plus etroit, comma aussi le plus
etendU, est le lien qui unit Thomme a Dieu en lui proposant
dans le Dieu qu'il adore le modele qu'il doit imiter, est-il
possible de ne pas reconnaitre dans le christianisme la reli-
gion la plus appropriee a la nature humaine, puisqu'ii otfre
a Fhumanite, comme objet de son culte et de son imitation,
non pas Tetre des etres, I'Eternel, le Tout-Puissant incom-
prehensible et inimitable , niais la supreme intelligence et
la parfaite bonte, le Verba da Dieu, le Fils egal au Pere,
qui s'est fait homme pour rapprocher de nous le divin
exemplaira , et nous donner, dans toutes les vicissitudes de
sa carriere humaine, un modele a notre portee, commun a
toutes les conditions, a tons les pays, a tous les siMes.
Ou il ne faut plus de religions sur la terra, oucelle-la les
accomplit at les acheva toutes. Quelle philosophia ne s'incli-
nerait devant elle avec un respect profond at una tendre
sympathie? II faudrait qu'elle fut bien etroite et bien aveu-
gle , qu'elle ignorat an quoi consistent et la philosophic et
la rehgion , leur essantialle distinction et leur assentielle
harmonic; il faudrait surtout qu'elle ignorat profondement
I'humanite. Pour apprendra a respecter, disons mieux, a
aimer le christianisme, il nVst pas besoin de faire la guerra
a la philosophic, da calomnier la raison, d'avilir Tintelli-
gence et d'abatir Thommo : loin de la, la vraie apologie du
christianisme, telle que notre siecle la comporte^ est de
prouver a la philosophic qu'elle est inconsequente a elle-
meme, si honorant at cherissant Thumanite, ella ne couvre
pas da ses benedictions una religion qui s'adresse ace qu'il
y a de plus grand et da plus saint dans Thomme pour
Tagrandir et le sanctifier encore. Pour nous, quand des
102 DES PENSEES DE PASCAL.
ecclesiastiqiies, des eveques nieme, egares par la passion
de la domination, continueraient a nous prodigiier toutes
les calomnies, nous n'en repeterions pas nioins : la religion
de Jesus-Christ est par elle-meme une religion adorable, et
la vie de Jesus-Christ est notre meilleur module a tous, grands
et petits, riches et pauvres, ignorants ei savants, ouvriers,
paysans, commercants, iegislateurs, ministres et rois. Telle
est notre profession de foi : nous la faisons hautenient
devant tons les philosophes; mais nous sommes aussi tres
resolu a defendre inebranlablement la philosophie. Car la
philosophie ne nous est pas moins chore que la religion.
Elles different, ellesne sont point opposees. La philosophie,
avec ses precedes et son langage scientifiquej est presque
condanniee a se renfermer dans I'ecole. La religion, grace
a ses augustes symboles, repand les plus sublimes verites
a travers les peuples. Et qui de nous n'est pas toujours dii
peuple par mille cotes? Qui tie nous, la main sur la con-
science, est bien sur de se pouvoir passer de la sainte
discipline du christianisme? Un jour, dans un instant de
delire, de pretendus philosophes abolirent parmi nous le
culte Chretien ; le lendemain , comme Tame huniaine a
soif de religion, ces memes philosophes furent reduits a
inventer le culte de la deesse Raison et la religion des
theophilanthropes. Plus tard, d'autres inscnses entrepri-
rent de cacher leur honteux atheisme sous cette imita-
tion sacrilege des formes chretiennes qu'on appelle le saint-
sinionisme. Inipuissantes extravagances qui out disparu
bien vite, et qui out laisse dehout le christianisme et la phi-
losophic. La philosophie conmience avec la raison humaine
et ne fhiira qu'avec elle : elle en est Texpression fidele, la
compagne inseparable et immortelle. Lc christianisme du-
rera tant qu'il restera une ame a laquelle la philosophie ne
PREFACE DE LA SECONOE EDITION. 103
suflira point. Le christiiinisnie est a sa maniere une philo-
sophic populaire et pratique, et la philosophie est le fon-
denient eternel de la vraie religion, celle de resprit. G'est
done line folie, c'est nn crime de les mettre aux prises et
detourner Tune contre Tautre ces deux puissances diverse-
ment necessaires, qui ne peuvent se detruire, et qui pour-
raient etre si heureusement unies pour la paix du monde
et le service du genre humain ' .
Selon nous, le vrai courage, la vraie sagesse est d'etre
tour k tour pour celle desdeux qui est attaquee par I'autre.
Nous nous adressons a tout homme de bonne foi : qui attaque
aujourd'hui et qui est attaque? Evidemment la philosophie
n'attaque point; elle se defend. Voila pourquoi plus quo
jamais nous sommes avec elle ; et, qu'll nous soit permis de
le dire, en evoquant un adversaire tel que Pascal, nous
avons assez fait voir que nous sommes pen dispose a reculer
devant les autres.
Decembre 1844.
1. Tel est le langage que nous avons toujoxirs tenu, et une convic-
tion toujouTS croissante nous y attache de jour en jour davantage.
Voyez lAverti^-sement de la 3"^ 6ditioii des Premiers essais de philo-
sophie, la flu de la xvie kcou du Vrai, du Beau et du BieNj et [at-
ticulierement nos Discoujis a la Chabibre des pairs pul'h la DEF^.^^^
de l'Universite et de la Philosophie.
DE LA NECESSITE
d'une nouvelle edition
DES PENSEES DE PASCAL
RAPPORT A L'AGADEMIE FRANgAISE^
Lu dans les seances du ler avril, t^r mai, ler juin, ler juillet, ler aoiit 1842.
Plus (rune fois rAcademie m'a entendii exprimer le
voeu que^ pour preparer et soutenir son beau travail du
dictionnaire historique de la langue fran^,aise^ elle-meme
se chargeat de donner au public des editions correctes de
nos grands classiques , comme on le fait en Europe depuis
deux siecles pour ceux de Tantiquite. Le temps est mal-
heureusement venu de Iraiter cette seconde antiquite, qu'on
appelle le siecle de Louis XIV, avec la meme religion que
la premiere, de Tetudier en quelque sorte philologique-
ment, de rechercher avec une curiosite eclairee les vraies
lecons, les legons autheniiques que le temps et la main
d'editeurs inhahiles ont pen a peu effacees. Quand on
compare la premiere edition de tel grand ecrivain du
1. A roccasion du concours ouvert pour Teloge de Pascal.
106 DES PENSEES DE PASCAL.
xvii« si^cle avec celles qui en circiilent aiijourd'hui, on
demeure confondu de la diffei'oncc qui les separe. Oii la
pensee dans son jot puissant, une Iftgique severe, une lan-
guejeune et ilexible encore, avaient produit une phrase
riche, nonihreuso, profondement syntiietique , Tanalyse,
qui decompose sans cesse et reduit tout en poussiere, a
substitue plusieurs phrases assez mal liees. D'abord on
avait cru changer seulement la ponctuation, et au bout
d'un siecle 11 s'est tronve que les vices de la ponctuation
avaient insensiblement passe dans le texte et corrompu le
style Ini-nieme. Un mot, quelqucfois meme uu tour, c'est-
a dire ce qui caracterise le plus vivement le genie d'lin
temps et d'un ecrivain , ayant paru moins faciles a saisir
au premier coup dVeil, pour epargner un peu d'attentioD
et d'etude, on a ote les tours les phis vrais, les locutions
les plus naturclles, pour mcttre en leur place des fa^ons de
parler qu'on a crucs plus simples, et qui presque toujours
s'ecartent de la raison ou de la passion. Defendus par le
rhythme, les poctes ont ete un peu plus respectes; et pour-
tant, je n'hesite pas a le dire, il y a bien peu de fables de
La Fontaine qui soient demeurees intactes dans les mo-
dernes editions'. Mais pour la prose, ne pouvant faire la
mcnie resistance, elle a etc traitee sans pitie. Oil sont aii-
jourd'hui ces tongues et puissantes periodes du Discours de
la Methode, semblables a cello de Cinna et de Polyeucte;
qui se deroulaiont comme de larges flouves ou comme des
torrents impetuoux? On a rompu lour cours, on les a ap-
pauvries en los divisant outre mesure. II appartient al'Aca-
demie fran^aise de s'opposer a cette degradation toujours
croissanle de nos grands ecrivains, et il lui serait glorieux,
1. 11 faut en exce\iter cello dc M. A'alkr^nacr.
RAPPORT. 107
ce me sepible^ en leur rendant leur purete preiniere, d'ar-
reter la langue nationale sur son declin, coninie autrefois
elle a tant concouru a la former.
Si un joi]r rAcadeniie accueillait ce voeu, que je renou-
velle, chacun de nous pourrait choisiv parmi nos bons
auteurs ceux qui se rapportent dayantage a ses etudes par-
ticulieres. Peut-etre m'aurait-on abandonne les philogo-
pbes. Parmi cux^ je mc serais attache a Descartes et a Pas-
calj et parce qu'ils me sont plus familiers et parce que je
les considere Tun etFautre commeles fondateurs de la prose
fran^aise. Descartes I'a trouvee et Pascal I'a fixee. Or, Des-
cartes et Pascal ce sont deux geometres et deux philoso-
phes; et c'est d'eux que nqtre prose a re^u d'abqrd les
qualites qui desormais la constituent et qu'elle doit girder,
sous peine de perir.
De tons les grands esprits que |a France a produits^ ce-
lui qui me parait avoir ete done fiu plus h^ut fjegre de la
puissance creatrice est incomparableniept Descartes. Get
homme n'a fait que creer : il a cree les hautes mathema-
tiques par I'application de I'algebre a la geometric; il a
montre a Newton le systeme du monde en rediiisant le pre-
mier toute la science du del a un problenie de mecanique;
il a cree la philosophic moderne, condaninee a s'abdiquer
elle-nieme on a suivre eternellement son esprit et sa me-
thode; enfin, pour expriniertoutes ces creations, il a cree
un langage digne d'elles, entierenipnt different de celui du
xvi"* siecle^naif et male, severe et hardij cherchant avant
tout la clarte et trouvant par surcrpit la grandeur. G'est
Descartes qui a porte le coup mortel, non pas seulement
a la scholastique qui partout succomt)aitj mais a I4 philp-
sophie et a la litterature manieree de la Renaissance. II est
le Corneille de la prose. Des que leDiscours de la Methode
108 DES PENSfeES DE PASCAL,
parut, a pen pres en meme temps que le Cid , tout ce qu'il
y avait en France d'esprits solides, fatigues d'imitations
inipuissantes, amateurs du vrai, du beau et du grand, recon-
nurent a l^instant meme ie langage qu'ils cherchaient.
Depuis, onne parla plus que celui-la, les faibles mediocre-
ment, les forts en y ajoutant leurs qualites diverses, mais,
sur un fond invariable, devenu le patrimoine et la regie de
tons.
Pascal est le premier bomme de genie qui ait manie Tin-
strument cree par Descartes, et Pascal c'est encore un phi-
losophe et un geometre. Loin done de s'alterer entre ses
mains, le caractere imprime a la langue s'y fortifia. Cette
severite geometrique du Discours de la Methode, qui forme
un si frappant contraste avec Tallure capricieuse de la
phrase de Montaigne et avec la pompe de celle de Balzac ,
deviant en quelque sorte plus rigide sous le compas de
Pascal. Descartes, qui invente et produit sans cesse, tout en
ecrivant avec soin, laisse encoi'e echapper bien des negli-
gences. Pascal n'a pas cette fecondite inepuisable; mais
tout ce qui sort dc sa main est exqnis et acheve. Osons le
dire : riiomme dans Pascal est profondement original ,
mais I'esprit createur ne lui avait point ete donne. En ma-
thematique il n'a point fait de ces decouvertes qui renou-
vellent la face de la science, telle que I'application de
1 algebre a la geometrie: le seul grand calcul auquel son
nom denieure attache est celui des probabilites, et Fermat
partage au moins avec Pascal I'honneur d'avoir commence
ce calculi En physique, il a verifie la pesanteur de Tairdejii
confirmee par Toricelli et depuis douze ans reconnue par
Descartes*-^. En philosophic, il n'a fait autre chose que rallii-
1. UoQi\\c\:\, Hhsfoi re rJcs Mathp'mati,fi/r\, t. Ill, p. 3R3-3S0.
-2. [bid.,\. 11, 11. 203.
nAI>POiiT. 10!)
mer la vleille guerre de la foi et de la raison, guerre fatale
a rune et a rautre. Pascal n'est pas de la famille de ces
grandes intelligences doiit les pensees cotnposent I'histoire
intellectuelle du genre humain : il n'a mis dans le monde
aucnn principe noiiveau; mais tout ce qu'il a touche, il
I'a porte d'abord a la supreme perfection. II a plus de pro-
fondeur, dans le sentiment que dans la pensee, plus de
force que d'etendue\Ce qui le caracterise^c'est la rigueur,
cette rigueur inflexible qui aspire en toute chose a la der-
niere precision^ a la derniere evidence. De la ce style net
et lumineux , ce trait ferme et arrete sur lequel se repand
ensuile ou la grace de I'esprit le plus ainiable, ou la melan-
colie sublime de cette ameque le monde lassa bien vite, et
que le doute poursuivit jusque dans les bras de la foi.
Tels sont les deux fondateurs de la prose frangaise. En
soi'tant de leurs mains, elie elait assez forte pour resisterau
commerce des genies les plus differents^ et porter tour a
tour, sur le fondement inebranlable de la simplicite, de la
clarte et d'une methode severe, la majeste et I'impetuosite
de Bossuet^ la grace mystique de Ftineloa et de Malebran-
clie, la plaisanterie aristophanesque de Voltaire, la profon-
deur raffinee de Montesquieu, la pompe de Buffon, et jus-
qu'a I'eloquence fardee de J. -J. Rousseau avec laquelle
finit I'epoque classique et commence I'ere nouvelle et dou-
teuse que nous parcourons.
Je regarde done Descartes et Pascal comme les deux
premiers maitres de I'art d'ecrire, et j'aurais aime a en
procurer des editions fideles. J'aurais voulu donner de
Descartes un petit volume qui comprit ce qu'il a ecrit de
mieux en frangais : le Discours de la Methode, la preface
•1 , Suv Descartes et Pascal, voyez plus ham la preface de la nouvelle
eiUtiou, p. 81, etc.
110 I)I-S PKNSEES DE PASCAL
des Principes, le traite des Passions, et un cboix dp sos
lettres les plus rcmarqnables, collationneos avec soin sur les
originaux qui subsistcnt ct dont plusieiirs sont entre mes
mains. En pffet, tontes Ips editions modernes de la corrps-
pondanc-e de Dcscartps, et la niienne conmip les aiitres,
ont ete ftiites sur cellc de Clerselier, qui ne possedait que
les minutes a nioitip effacees, et non pas les lettres telles
qu'elies avaient ete envoyees et recues. On sail que Rober-
val, qui herita des papiers de Mersenne et y tronvn tant de
lettres de Descartes, refusa de les comnamiquer'. A la
niort de Roberval , elles passerent entre les mains de La-
hire, qui les donna a TAcademie des sciences-, oil on les
chercberait en vain aujourd'hui. Sorties de la, on ne sait
cominent, elles se sont repandues partout. En-comparant
qiielques-unes de ces lettres originales avec les lettres im-
primees, on reconnait avec douleur que la correspondance
de Descartes, du moins avec Mersenne , pent etre regardee
comnie encore inedite, non pas sans doute pour le fond des
idees, mais pour Texactitude et la verite de Texpression.
Quant a Pascal, c'est encore bien pis. Si nous possedons
les Provinciales dans toute leur beaute et leur perfection,
sauf les alterations trop nombreuses que leur a fait subir
une ponciuation vicieuse souvent transportee dans letexte,
les Pcnsees, publiees par lambeaux ct d'iutervalle en in-
tervalle, sans ccsse augaientees et remaniees, attendent
une edition vraiment critique qui recherche et restitue la
veritable forme de ces adniirables fragments.
Que dirait-on si le mannscrit original de Plalon etait,
a la counaissance de tont le monde, dans une bibliotbeque
pnbliqne, et que, an lieu d'y reconrir et de reformer le
1. Preface du t. Ill des lettiosde Descartes. I'd. iii-4".
2. Voyez notre editioji de Descartes, \>\vU\ca- du t. \\.
RAPPORT. Ill
texte convenu sur le texte vtai , les editeurs continuassent
de se copier les uns les autres, sans se demander jamais
si telle phrase sui' laquelle on dispute^ que ceux-ci admi-
rent et que ceux-la censurent, appartient reellenient a
Plalon? Voila pourtant ce qui arrive aux Pensees de Pas-
cal. Le manuscril autographe subsiste; il est a la Biblio-
theque royale de Paris; cliaque editeur en parle^ nul ne le
consulte, et les editions se sticc^dent. Mais prenez la peine
d'aller rue de Uichelieu, le voyage n'est pas bien long :
vous serez effrayes de la difference enornie que le premier
regard jete sur le manuscrit original vous deeouvrira entre
les pensees de Pascal telles qu'elles sont ecrites de sa pro-
pre main el toutes les editions^ sans en excepter une seule,
ni celle de 1670^ donnee par sa famille et ses aniis^ ni celie
de 1779, devenue le modele de toutes les editions que cha-
que annee voit paraitre. Si j'avais regu de PAcademie la
commission de preparer en son nom une edition des Pen-
sees de Pascal, je me serais fait un devoir de consulter le
manuscrit autographe, d'y rechercher et d'en faire sortir
Pascal lui-meme.
On ne pent se defendre d'une emotion douloureuse en
portant ses regards sur ce grand in-folio, oil la main defail-
lanle de Pascal a trace, pendant Tagonie de ses qiiatre der-
nieres annees, les pensees qui se presentaient a son esprit,
el qu il croyait lui pouvoir servir un jour dans la compo-
sition du grand ouvrage qu'il medilait. 11 les jetait a la hate
sur le premier morceau de papier^ en pea de mots et fort
souvent vieme a demi-mot\ Quelquefois il les dictait a des
personnes qui se trouvaient aupres de lui. L'ecriture de
Pascal est pleine d'abreviations, mal formee, presque inde-
1. Preface de Tedition de 1670.
\\i UES PENstES DE PASCAL.
chiffrable. Ce sont tons ces petits papiers sans ordre et sans
suite qui, recueillis et colles sur de grandes feuilles, com-
posent le manuscrit autographe des Pensees.
L'abbe Perier qui en herita, le deposa en 1711, a Tab-
baye de Saint-Germain-des-Pres conime il Tatteste lui-
meme dans trois lettres qu'on trouve en tete du manuscrit.
EUes meritent d'(^tre remarquees^ D'abord on ne con^*oit
guere trois lettres pour constater le depot d'un seul manus-
crit. Et puis la premiere lettre parte seule d'un volume
f( compose de petits papiers qui so?it les originaux du
lirre des Pensees de M. Pascal, iwprime chez Despres,))
1. (( Je soussigmi, prestre, chanoine de I'eglise de Clermoiit, certifie
a qui' le presorit vuliime, contenant pages^ dont la premiere com-
(( nieiice par ces mots
« et la deniiere par ceux-ci
(( est compose de pi'tits papiers ecrits d'un c6te, ou de feuilles volantes
(( qui ont etc tronvees apres la mort de M. Pascal, mon oncle, parmy
(( ses papiers, et sont les originaux du livre des Pensees de M.Pascal,
(( iniprime cliez Desprez a Paris, pour la premiere fois en Taun^e
(( et sont ecrits de sa main, hors quelques-uns qull a dictez aux per-
« sonnes qui se sont trouvees auprez de lui; lequel volume j'ai depose
(( dans la LiLdiotlieque de Saint-Germain-des-Prez pour y etre conserve
« avec les autres manuscrils que Tony garde.
« Fait a Paris^ ce viugt-cinq septembre mil sept cent onze.
« Sigite : Perier. »
(( Je soitssign^j prestre, clianoine de I'eglise de Clermont^ certifie
<( que le present yolume contenant pages^ dont il y en a plusieurs
(( en blanc, a (tXit trouve apres la mort de M. Pascal, mon oncle^ et est
« en partie ecrit de sa main, et partie qu'il a fait copier au net sur sa
« minute, lequel volume contient plusieurs pieces impart'aites sur la
<( grace et le coucile deTrente; et je lay depose dans la hibiiotheque
« de I'abbaye de Sainl-Germain-des-Prez a Paris, pour y etre couserve
« parmi les autres manuscrits.
(( Fait a Paris, ce vingt-ciuq septembre mil sept cent onze.
« Sig/ie : Perier. »
« Je soussigne, prestre, chanoine de I'eglise de Clermont, certifie que
« les cahiers compris dans ce volume, (|ui sout des abregez de la vie
RAPPOHT. 113
ce qui se fapporte parfaitement au inaniiscrit que nous
avons sous les yeux; mais la seconde iettre fait mention
d'un volume contenant n plusieurs plecps iinparfaiies sur
la grace et le concile de Trentp. »; et la troisieme de « ca-
Iners qui sont des abreges de la vie de Je.nis-Christ ». Ov,
notre manuscrit, ni nul autre a nous connu^ ne renferme
les papiers autographes designes dans la seconde et la troi-
sieme Iettre; d'ou il suit evidemment que ces deux lettres
se rapportent a deux manuscrits que nous n'avons plus, et
dont la trace nous echappe.
La Bibliotheque royale de Paris possede aussi deux
copies du manuscrit des Pensees, I'nne du xvu*^ slecle,
Tautre du commencement du \\nn% en general conformes
entre elles. line de ces copies contient la note suivante :
« S'il arrivait que je vienne k mourir, il faut faire tenir a
Saint-Germain-des-Pres ce present cahier pour faciliter la
lecture de I'original c^ui y a ete depose. Fait en I'abbaye de
Saint-Jean-d'Angely, ce l^^'avril 1723. F.-Jean Guerrirr. w
Les voeux de don Jean Guerrier, de I'ordre de Saint-Benoit,
ne furent point accomplis. A sa mort, ce manuscrit passa
entre les mains de son neveu Pierre Guerrier, de I'Oratoire,
intime ami de la faniille Perier, qui re^ut aussi de Margue-
rite Perier, avec une foule de papiers, Tautre copie plus
ancienne et bien plus precieuse, dont il sera question tout
a rheure. Plus tard les deux copies tomberent en la pos-
session de M. Guerrier de Bezance,,maitre desrequetes, qui
« de J.-C, sont ecrits de la main de M. Pascal, mon oncle, et ont ete
« trouves aprps sa mort parmy ses papiers; lequel volume j'ay depose
« dans la Inbliothpque de Vahtiaye de Saint-Germaiu-des-Prez, pour y
« etie conserve avec les autres manuscrits que Ton y garde,
« Fait, ce vingt-cinq septcmbre mil sept cent onze.
« Signe : Perier. n
iU DES PENSEES DE PASCAL.
les confia a Bossut, pour servir a Tedition que celui-ci pre-
parait; elles furent ensuite deposees a la Bibliotheque du
roi '. La premiere y porte le n« 30O2 bis , Supplement mix
onanuscrits francais; la seconde le n^ 176, nieme fonds.
Cette derniere conlient, a la suite des Pensees, un bon
nombre de pieces relatives a Pascal et de Pascal lui-nieme,
entre autres la lettre au pere Noel, tout entiere de sa main
et avec sa signature^ I'affaire du pere Saint -Ange oil sa
signature se trouve encore, les divers morceaux sur la
grace et sur le concile de Troite, dont parle la seconde
lettre de Tabbe Perier^ une cowparaison des anciens Chre-
tiens avec cpux Waujourdliui , et une dissertation sur ce
sujet: quUl ny a pas une relation necessaire entre la pos-
stbiiite ct le pouvoir.
Nous devons encore indiquer deux autres manuscrits tres
precieux de la Bibliotheque du Roi. L'un est un in-folioqui
;i pour titre : Mannscrit concernant M. Pascal, M. Ar-
nauldyeic, Oratoirej n^ 160; il comprend une grande quan-
tite de pieces importantes el pen connues^ des lettres de ces
Messieurs, ent:e autres de Pascal. L'autre manuscrit^ Sap-
/)/m./mwo.,n"ii85, estun Recueil des Memoires de Mar-
guerite Perier_, niece de Pascal, sur toute sa faniille, avec les
1. Lettre raanuscrite de M. le gavde-des-sceaux a M. Bignon, con-
seiller d'Etat, Libliothecaire du roi.
" -Monsieur,
" M. Guerier dr- Bezanoe, maitrc d^s rpqnrtt^s est posspsseur de fleux volniufs
« inaniistrits des ouvfa^^r.,s de M. Pascal, qui out sev^i d'originaiu a la noiivelle edi-
" tioii qui -vieat de paroiti-e, et il m'a ecrit pour me prier d'en faire hommage an
II roy, et de les doimer a la liibliotlieqne d.^' Sa Majeste. Je viens de lui repondre
«' que je m'eu charserois bien volmitiers et que je vous en dounerois avis, parce
- Pensees de
iV/. P^Mvv//, Paris, 172S. M. Teveqiie de Montpellier avait fait imprinier
bien des pensees ianilites suv Irs miracles a la lin dv sa leUre 3e ;i
M. dn Snissons, dii 5 Janvier 1727. L'edition des Peusres, de Condorcetj
tdadves, 1770^ dounait aussi (ilusieurspenstys nouvelles.
RAPPORT. 117
son moindre defaut^ car ces copies sont en general fideles.
Mais, chose etrange, Bossut^ qui^ en compaiant Tedition
de 1670 avec les deux copies manuscrites, pouvait en re-
connaitre du premier coup d'oeil les differences et retablir
les leC'Ons veritables, a maintenu toutes les alterations. II y
a plus : les pensees de la premiere edition qui ne sont ni
dans le manuscrit autographe ni dans les deux copies,
Bossut les conserve sans se douter ou du moins sans avertir
qu'elles n'y sont pas^ et sans dire par quel motif il les con-
serve. Le seul merite de Tedition de 1779 est d'avoir reuni
tons les fragments qui avaient paru depuis 1670, et d'avoir
lire de divers endroits, que Bossut n'indique jamais ^ plu-
sieurs pensees nouvelles, quelques morceaux etendus et
acheves dont la source demeure inconnue, et les petits
ecrits qui sont a la fin de Tune des copies que la Biblio-
theque royale doit a M. Guerrier de Besance. Depuis, toutes
les editions n'ont fait que reproduire celle de Bossut , et la
critique du texte de Pascal, de ce texle tout aussi digne
d' etude que celui de Platon ou de Tacite , est encore a
entreprendre. C'est ce travail ingrat mais utile que nous
avons essayCj et dont nous allons offrir un echantillon a
I'Academie.
Nous diviserons ce rapport en trois parties :
1« Nous examinerons les pensees contenues dans les deux
editions de Port-Royal et de Bossut et qui ne sont pas dans
le manuscrit autographe; nous en rechercherons les sources
et la forme primitive.
2° Une fois renfermes dans les Pensees proprement dites,
celles qui se trouvent a la fois et dans les editions el dans
le manuscrit^ nous comparerons les legons des editions avec
celles du manuscrit, et nous ferons reparaitre cette vivacite
et cette originalite de langage que la prudence et le gout
118 DES PENSEES DE PASCAL.
severe, mais un peu timide^ de Port-Royal ont presque
toujours effacees.
3« Apr^s avoir 6te aux Pensees un tres grand nonibre de
morceaux etrangers, en retour nous leur rendrons et nous
publierons pour la premiere fois plusieurs fragments re-
marquables qui leur appartiennent et que nous fournira le
manuscrit.
PREMIERE PARTIE
Des morceaux inseres dans les editions des Pensees qui soqI eliarigers
a cet ouvrage et ne se trouvent point dans le nianuscrit original.
— Des sources et de la forme primitive de ces divers morceaux.
Le point fixe dont nous partons^ le principe sur lequel
reposent toutes nos recherches^ c'est que par Pensees de
Pascal il ne faut pas entendre les pensees de touts espece
qu'il est possible de tirer de ses differents ouvrages, impri-
mes ou manuscrits^ composes a des epoqaes differentes de
sa vie^ sur des sujets differents et sous des formes diffe-
rentes. Encore bien moins faut-il entendre par la les
maximes que sa famille ou ses amis se sont plu a recueillir
soit de ses lettres confidentielles^ soil de ses conversations.
Sous le nom de Pensees de Pascal on a toujours compris et
on comprend encore les notes que, dans ses dernieres
annees, Pascal deposait d'intervalle en intervalle sur le
papier, pour lui etre des souvenirs et des materiaux utiles
dans la composition de sa nouvelle Apologie de la religion
chretienne '. Tel est le sens vrai et unique des Pensees :
1. Madame Perier, dans la Vie de Pascal : « La derniere annee de
son travail a ete tout employee a recueillir diverses pensees sur ce
sujet. )>
120 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT-I.
c'est celui que sa famille et ses amis leur ont donne d'abord^ ,
et qu'elles doivent retenir pour garder leur caractere et Tin-
teret douloureux qui s'attache aux dernieres idees d'un
homme de genie. Pascal a demi mourant developpa m
jour a ses amis le but et meme le plan de Touvrage qu'il
meditait - : ce sont les fragments inacheves de cet ouvrage,
on plutot les materiaux amasses pour servir un jour a sa
composition, qui ont ete appeles les Pensees. Sans doute, a
la reflexion, Pascal aurait supprime bcaucoup de ces notes
ecrites a la hate; il les assemblait pour les employer ensuite
librement, et on pent j uger de quel oeil severe il les aurait re-
vues et a quel travail il les aurait soumises^ lui qui avait refait
jusqu'a treize fois une des Provinciales, et qui demandait
dix ans de bonne sante pour achever ce dernier monuments
D'ailleiirs, son dessein etait assez vaste pour embrasser les
pensees les plus diverses^ et toutes se liaient plus ou moins
dans son esprit, puisque lui -meme les avait reunies ainsi
qu'on les a trouvees apres sa mort ^. 11 y aurait de I'utilite
sans doute a extraire de ses ecrits de toute nature et a former
des Pensees de Pascal, comme on a des Pensees de Platen,
Ae Descartes, de Leibniz. Enfin il serait bon de recueillir
dans ses biographes et chez ses amis ses discours accoutu-
mes et jusqu'a ses propos familiers, et de faire ainsi une
sorte de PascaHana. Mais tout cela n'a rien a voir avec
1. Preface des Pensees, ^mw/m.
2 Les premiers editeurs, qui assisterent a ce discours, le retraceot
dans la preface. Voyez aussi le « Discours sur les Peusees de M. Pas-
cal, oil Ton essaie de faive \oir quel etoit son dessein )> {par M. Du-
bois, qui etait present a cette assemblee et prit part a la premiere edi-
tion }.
3. Preface.
4. Preface ; a On eut un tres-grand soin, apres sa mort, de recueil-
lir les divers ecrits qu'il avoit faits sur cette mati^re. On les trouva tons
ensemble enfiles en diverses liasses... n
PENSE:ES qui NE SONT pas dans LE MANUSCIUT, 121
les fragments de son Apologie de la religion chretienne^
fragments imparfaits et tres divers^ inais qui ont au moins
cette harmonie d'avoir ete composes a pen pres a la meme
epoque^ dans le meme esprit et pour le meme objet. On
fait disparaitre cette harmonie des qu'on mele a ces frag-
ments des choses etrangeres, si excellentes qu'elles puissent
etre.
Nous le repetons done : nous entendons par les Pensees
de Pascal les debris de Touvrage auquel il consacra les
dernieres annees de sa vie. Si ce principe est incontestable,
il nous fournit deux regies certaines : 1" comme les Pensees
de Pascal, mises toutes ensemble par lui-meme, ont ete
fidelement recueillies par sa famille dans le manuscrit
in-folio depose par M. Tabbe Perier a Saint-Germain-des-
Pres, et qui est conserve aujourd'hui a la Bibliotheque
royale de Paris, il s'ensuit que toutes les pensees qui se
trouvent dans ce manuscrit autographe sont des pensees
authentiques de Pascal; 2° reciproquement^ toute pensee
qui ne se trouve pas dans ce manuscrit est par cela meme
suspecte, et ne doit etre consideree comme authentique
qu'apres un serieux examen. II est possible qu'elle soit de
Pascal, mais il est possible aussi qu'elle n'ait pas ete desti-
nee par lui a faire partie de son grand ouvrage. Dans ce
cas elle doit etre encore religieusement conservee, mais
mise a part pour avoir sa valeur propre, au lieu de se
perdre au milieu des fragments deja tres mal lies d'un
ouvrage tout different.
En appliquant ces deux regies aux editions successives
des Pensees, on arrive a se convaincre que ces editions se
sont grossies, avec le temps, de morceaux entierement
etrangers aux Pensees, et dont plusieurs ne sont pas meme
de la main de Pascal.
122 DES PENSEES DE PASCAL- RAPPORT — I.
Pour nous renfermer comme nous I'avons fait jusqu'ici,
dans les deux editions extremes, la premiere et la derniere,
la moins etendue et la plus comprehensive, celle de Port-
Royal et celle de Bossut, nous dirons : 1" que celle de Bos-
sut comprend a peu pres un tiers de pensees qui certaine-
ment n'appartiennent pas aux Pensees proprement dites,
ne se trouvent pas dans noire nianuscrit, et quelquefois
nieme sont d'un style qui contraste etrangement avec celui
de Pascal; "2« que Tedition princeps elle-meme^ celle de
Port-Royal, contient aussi, tantot le disant, tantdt ne le
disant pas , pres de cinq chapitres qui ne tiennent pas le
moins du monde aux Pensees.
Ge sont ces deux assertions que nous aliens etablir^ aussi
rapidement que nous pourrons le faire sans metire en peril
la rigueur de la demonstration.
Nous commencerons par I'edition de Bossut.
On sail qu'elle presente les Pensees dans unnouvel ordre
entierenient arbitraire, que, depuis, les uns ont suivi, les
autres ont change^ selon le point de vue egalement arbi-
traire oii ils se placaient. L' ordre de Bossut ne soutient pas
le moindre examen : il detruit le dessein meme de Pascal,
tel qu'il Tavait expose a ses amis. Bossut divise les Pensees
en deux parties: Tune conlenant les pensees qui se rappor-
tent a la philosophie ^ a la morale et aux belles-lettres;
Tautre les pensees inunediatenient relatives a la religion.
Mais cette distinction ne pent convenir a des pensees qui
toutes avaient un but commun, Tapologie de la religion
cbretienne; elle donne a Toeuvre de Pascal une sorte de
physionomie litteraire, indigne du serieux objet que se pro-
posait ce grand esprit. Nous ne voulons pas dire qu'on ne
puisse mettre les Pensees de Pascal dans cet ordre pour la
commodite de quelques personnes, qui pourraient ainsi lire
PENSEES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSCKIT. 123
de preference^ celles-ci les pensecs qui sc rapportent a la
religion, celles-la les pensees qui se rapportent a la philo-
sophic et aux belles-lettres, comnie parle Bossut. G'est ainsi
qu'au milieu du xvnf siecle un contemporain de Bossut,
Joly, dans son estimable traduction de Marc-Aurele, a dis-
iribue Ics pensees du vertueux empereur suivant un ordre qui
lui a paru edifiant : d'abord cclles qui se rapportent a telle
vertu; puis celles qui se rapportent a telle autre, et ainsi de
suite, en sortc que le lecteur fait pour ainsi dire un cours
entier de morale : c'est un avantage assurement; mais la
verite est que Marc-Aurele a laisse, non pas un hvre didac-
tique, mais un journal, oil, de loin en loin et sans aucun
ordre systematique, pour soulager ou soutenir son ame, il
deposait les pensees que lui inspiraient la meditation ou
les circonstances ou les souvenirs de ses anciennes etudes
stoiciennes. Unc nouvelle traduction serieuse devra resti-
tuer ce caractere aux Pensees de Marc-Aurele, en les remet-
tant dans I'ordre meme oil elles se trouvent dans les ma-
nuscrits qui en subsistent : ce simple changement donnera
une face nouvelle k ce singulier et sublime monument*.
De meme ici, il fallait se borner a publier les Pensees de
Pascal dans I'ordre, ou si Ton veut dans le desordre oil sa
famille les avait distribuees selon une certaine analogic; ou
bien encore considerer ces petits papiers, qui souvent for-
nient chacun un tout indivisible, comme autant de carles,
pour ainsi dire, qu'il ne s^agit plus que de classer sous les
etiquettes qu'elles ont souvent dans le manuscrit meme, en y
ajoutant celles qui paraissent leur convenir : tout cela avec
le soin convenable, mais sans pretendre a unc rigueur trop
1. G'est dans cet esprit qu'un laborieux et savant eleve de TEcole
normale, JVI. Pierron, a entrepris sa nouvelle traduction de Marc-Au-
lole, Pensees de V empereur M . Aure/e'Anfonin,l*a.ns. 18^i3.
124 DE8 PENSEES DE PASCAL. RAPPORT- I.
grande. Le point essentiel est que Tordre suivi, quel qu'il
soit, ne detruise pas le dessein de Pascal; et il n'y a
presque plus de traces de ce dessein dans I'ordre imagine
par Bossut, et grace h cette distinction de deux parties
consacrees Fune a la philosophic et aux belles-lettres,
r autre a la religion. Tout, dans Pascal, tend a la religion ;
il n'a pas ecrit de pensees morales et litteraires, comme
La Bruyere ou Vauvenargues, et toute sa philosophic n'etait
qu'une demonstration de la vanite de la philosophic et
de la necessite de la religion. Mais nous negligeons ce
defaut de Tedition de Bossut; celui que nous voulons sur-
tout relever est Finsertion, au milieu des veritables Pensees.
de morceaux qui leur sont etrangers.
Tout le monde sait que les deux articles IJ et 12 de la
Ire partie. Stir Epictete et Montaigne , et Sur la condition
des grandsy ont ete rediges par Nicole et par Fontaine, sur
le souvenir, quelquefois bien eloigne, de conversations de
Pascal auxquelles ils avaient assiste.
Le chapitre Sur la condition des grands se compose de
trois discours que Pascal avait adresses au jeune due de
Boannez en presence de Nicole, qui les a rapportes neuf ou
dix ans apres, sans pouvoir afhrmer « que ce soient les
propres paroles dont M. Pascal se servit alors )n Nicole,
qui travailla avec le due de Roannez et Arnauld a la pre-
miere edition des Pensees, se garda bien d'y meler ces dis-
cours, et il les publia dans son traite de Y Education d'un
prince J en les eclairant de details interessants sur la juste
importance que Pascal attachait a I'education d'un prince
et sur les sacrifices qu'il aurait faits volontiers pour contri-
buer a une oeuvre aussi grande ' . Bossut retranche ces de-
1. Nicole : « On lui a soiiveut oui dire qu'il n'y avait rieu a quoi il
PRNStlEH OL'l NE ^ONT PAS DANei LE MANUSCRIT. m
tails qui donnaient im caractere particulier a ces trois dis-
cours. et il intercale ceux-ci fort mal a propos an milieu
des PenseeS;, avec lesquelles ils n'ont aucune analogie. Et
encore il se permet d'y introdnire beaucoup de petits chan-
gements de style au moins inutiles.
II a pris bien d'autres liberies avec Fontaine dans le fa-
meux chapitre sur Epictete et sur Montaigne. Ge chapitre
est un debris d'une conversation qui eut lieu a Port-Royal
entre Sacy et Pascal, plusieurs annees avant les Provin-
ciales. Le secretaire de Sacy, Fontaine, qui assistait a cette
conversation, la rapporte dans le tome II de ses curieux
memoires, impriines aUtrecht en 1736. Avant que ces me-
moires parussent, le pere Desniolets, bibliothecaire de I'Ora-
toire, en avait eu connaissance, et il en tira cet entretien qu'il
publia dans ses iMemoires de litteratiire et criiistoire^ t. V,
en 1728. « II faut, ecrivait en 1751, I'abbe d'foemare a
Marguerite Perier', que cet entretien de M. Pascal avec
M. de Sacy ait ete mis par ecrit sur-le-cbamp par M. Fon-
taine. II est indubitablement de M. Fontaine pour le style;
mais il porte, pour le fond, le caractere de M. Pascal a un
point que M. Fontaine ne pouvoit rien faire de pared. »
Bossut a eu la malbeureuse idee de mettre cette conversa-
tion, comme le Discours sur la Condition des Grands, parmi
les Pensees, qu'elle precede de plusieurs annees, puisqu'elle
est anterieure aux Provinciales menies; et, pour Ty intro-
dnire, il la mutilee et defiguree; il a supprime la forme
du dialogue, ote tout ce que dit Sacy, et garde seulement
ce que dit Pascal; puis, pour lier ensemble ces fragments
desirat plus de contribaer, pourvu qu'il y fut bien engage, et qu'il sa-
crifieroit volontiers sa vie pou]' une chose si importante. »
\ . Recuei/ de plusieurs pieces pour servira I'histoire de Port-Royal,
Utrecht, 1740, p. 274.
120 DES PFNSKES DE PASCAL. RAPPORT — I.
disjoints et en composer un tout, il lui a fallu pratiquer en
quelque sorle cJes raccords do sa fa(,*on. II y a plus : Bossut
trouve que Pascal parle quelquefois un pen longuement par
la bouche du bon Fontaine, et alors il retranche ce qui lui
parait languissant ; quelquefois, au contraire, il ajoute a
Fontaine et le developpe; le plus souvent il met en pieces
ses longues phrases, et efface les formes raisonneuses de la
langue du xvii'- siecle. II faut en verite que la parole de
Pascal ait eu d'abord une originalite bien puissante pour
avoir resiste et a la traduction du secretaire de Sacy, et
surtoul a la seconde traduction de Bossut. La prose solide
et naturelle de Fontuine, vivifiee par ses ressouvenirs, garde
une impression manifeste du style energique de Pascal; et
cette impression perce encore a travers tons les arrange-
ments et sous le langage moderne et vulgaire de Bossut.
Celui-ci a traite Fontaine comme Fontaine avait traite Pas-
cal. Donnoiis quelques exemples de ces alterations in-
croyables.
Fontaine, t. II, p. 58 : « Yoild, Monsieur, dit M. Pascal
a M. de Sacy, les lumieres de ce grand esprit (Epictete) qui
a si bien connu le devoir de Thomme. Tose dire qu'il
m.eriieroit d'etre adore ^ s'il avoit aussi bien connu so7i im-
puismiice, puisqu'il falloit eire Dieii pour apprendre Vun
et Vautre aux hommrs. Avs.si, comme il eioit terre et
cendre, apres avoir si bien compris ce qu'on doit faire , il
se perd dans la presomption de ce qu "on peut. »
En verite on croit presquo iei entendre Pascal. Ecoutons
maintenant Bossut : « Tclles etoient les lumieres de ce
grand esprit qui a si bien connu lea devoirs de rhomnie :
heureux uHl avoit mtssi connu sa foiblesse! mais, aprfes
avoir si bien compris ce qu on doit faire, il se perd dans la
presomption de re que I on peut. »
PENSEES QU[ NE SONT PAS DANS LE MANUSCRIT. 127
Fontaine, ibid: « Ges principes d'nne superbe diabo-
liq'ue,,,i'i Bossut : a Ces orgumlleux pvincipes,,, )y
Void line transition de la faQon de Bossut ;
Fontaine : « 11 (Montaigne) agit, au contraire, en pai'en.
De ce principe, dit-il, que hors de la foi tout est dans Tin-
certitude... )) Bossut: « II agit, au contraire, en pai'en.
Voyons aa moralp. De ce principe... »
Exemple d'addition et de substitution :
Dans Fontaine, Pascal termine un de ses discours par ces
mots : " Cooime j^ai tache de faire dans cette etude. »
Bossut : rt Cest la j^i'hicipale viilite qii^on, doit iirer de
ces lectures. »
Decomposition de la phrase de Fontaine et de Pascal.
Fontaine, p. 70. A la suite d'une longne periodc sur
Epictete et Montaigne et sur Timpossibilite de les reunir,
Pascal conclut ainsi : a De sorte quits ne peuvent ni sub-
sister seuls a cause de leurs defauts, ni s'unir a cause de
leurs opposifions, et quainsi il faut qu'ils se brisent et
s'aneantissent pour faire place a la verite de tEvangile,
Cost elle qui accorde les contrarietes par un art tout divin.»
Bossut 6te la forme de la conclusion, coupe la phrase,
rejette le dernier terme non-seulenient dans une autre
phrase, mais dans un autre paragraphe, et il ajoute une
epithete pour fortifier et eclaircir Pascal : « Us ne peuvent
ni subsister seuls a cause de leurs defauts, ni s'unir a cause
de la contrarietp de leurs opiTiion'i, » Puis, § 4 : « Mais il
faut qu'ils se brisent et s'aneantissent pour faire place a la
verite de la revelation. Cest elle qui accorde les contrarie-
tes les plus form.elles par un art tout divin. ^
Fontaine, p. 7! : «./« voits demande pardon^ Monsieur,
dit M. Pascal a M. de Sactj^ de nCemporier ainsi dans la
theologie au lieu de demeurer dans la philosophic; fnais
I-:!S t)tlS PENSKES M PASCAL RAPPoRT-t.
7non sujet m'y a conduit insensiblement. » Bossut : nC^est
ainsi que la philosophie conduit insensiblement a la theo-
logie. »
Nous pourrions faire les memes remarques a peu preg
sur toutes les phrases : partoiit le caractere du style est
change : partout les traces des habitudes dialectiques du
siecle de Pascal^ les car, ainsi, de sorte que, (Toil il
semble, etc., ont disparu. L'insignifiante particide on reni-
place \e je, qui n'est pas seulenient ici une forme neces-
saire du dialogue, mais qui souvcnt echappe a Pascal et
trahit a son insu sa personnalite.
N'est-il pas evident que, dans une edition critique, il
faudrait revenir au moins a Fontaine, puisqu'on ne peut
remonter a Pascal , retablir le chapitre sur Epictete et Mon-
taigne dans sa forme premiere, celle d'un entretien con-
serve par un contemporain veridique, et retrancher cet
entretien, ainsi que les discours au due de Roannez, des
Pensees proprement dites, comme n'appartenant ni au
meme ouvrage, ni au meme temps, et n'etant pas de la
meme main?
Voici maintenant trois morceaux tout aussi etrangers
aux Pensees que les precedents, mais qui sont du raoins
de la main de Pascal. Ce sont les trois premiers articles de
la premiere partie de Bossut : De Vauiorite en matiere
de philosophie ; De la geometrie en general; De Vart de
persuader. Ce sont autant de pelits traites distincts et com-
plets , qui n'ont aucun rapport avec le dessein du dernier
ouvrage, et qui paraissent avoir ete ecrits longtemps avant
les Provinciales, avant ce qu'on pent appeler la derniere
conversion de Pascal.
Le premier article, De Vautoriic en matiere de philoso-
phie, semble un fragment du Discours de la MethodC; tant
PENS^ES QUI NE SONf Pk^ DANS LE MANuSCRlT. m
il est penetre de Tesprit de Descartes. II roule sur la dis-
tinction essentiellement cartesienne de la philosophie et de
h. theologie, Tune ou doit regner I'autorite, puisqii'eile
n'adniet point dMnnovations; Tautre oil rautorite est un
contre-sens, puisqu'elie vit de decouvertes perpetuelles.
Plus tard, et dans les Pensees, Pascal ne traite ni la philo-
sophie ni Descartes avec ce respect. Nous soup(;onnons que
ce morceau est de Tepoque oii Pascal etait tout occupe de
sciences, a peu pr^s du temps de la lettre hU. Le Pailleur,
sur le vide, ou de celle a M. Ribeyre, lettres qui sont de
I'annee 1647 et de Tannee 1651. Ce sont les memes prin-
cipes et le menrie ton a la fois grave et anime. Aussi ce
petit traite n'est-il pas dans notre nianuscrit. G'est Bossut
qui Ta publie pour la premiere fois et sans dire d'oii il
le tirait.
II en est de meme des Reflexions sur la geometric en
general : c'est un traite du m^me genre que le precedent ,
qui n'est point dans notre manuscrit , et que Bossut a publie
aussi pour la premiere fois. Pascal lui-meme dit qu'il a
voulu faire ce traite sur un sujet particulier, qui est la geo-
metrie^ avec le dessein plus general de faire voir en quoi
consiste I'esprit de nettete^
A considerer ce morceau en lui-meme, on ne pent douter
de son authenticite; il porte a chaque page la signature de
Pascal. Gependant on voudrait savoir oii Bossut Fa trouve;
mais, comme a son ordinaire, il garde le silence k cet
egard. Le seul document qui nous fournisse quelque lu-
miere est une lettre inedite que nous rencontrons dans le
Recueil de Marguerite Perier, adressee par doni Touttee,
« 1. On ne pent trop entrer dans cet esprit de iiettete pour lequ >! je
fais tout ce traite plus que pour le sujet que j'}- traite. »
9
130 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORt-l.
le savant editeur de saint GyriUe de Jerusalem , k Tabbe
Perier, ou il lui rend compte du travail autjuel 11 s'est livr6
sur plusienrs petits ecrits de Pascal que Tabbe Perier lui
avait communiques ' ; et parmi ces Merits eiaient les Re-
flexions sur lageometrie. Cette lettre est de 17H, c'est-&-
dire un peu plus de quarante ans apr5s la premiere edition
1. Bibliotheque royale, SuppL fr. , n" 1485, p. 445, le R. P. dom
Antoine Toutt6e, religieux b6a6dictin, a M. Talibe Peiier :
« Monsieur,
« J'ai I'honneur de vous renvoyer les trois ecrits qu6 vous avez Hen
ff vonlu me communiquer. Au bas des deux petits ecrits j'ai mis le
« litre qa'on pouvoit a peu pres leur donner: j'ai mis aussi a la marge
(( du grand quelques observatious. 11 y en a une generale a faire, qui
« est que cet ecrit, promettant de parler de la methode des geom&tres,
« en parte, a la veritGj au commencement, et n'en dit rien, a men avis,
« de particuliei; mais il sengage ensuite dans une grande digression
« sur les deux infinites de grandeur et de petitesse que Ton reniarque
« dans les tmis ou quatre choses qui composent toute la nature, et I'on
« ne com[)rend pas assez la liaison qu'elle a avec ce qui fait le sujet
« de Teciit. G'est pourquoi je ne sais point s'il ne seroit point a propos
(c de couper I'ecrit en deux et de faite deux morceaux s6pares: car il
« ne me semhle pas bien qu'ils soient faits I'uli pour I'autre. Au reste,
« cette secoiide parlie ni'a paru contenir beaucoup de belles choses,
(( parmi quelques-unes qui sont assez communes; je voudrois commu-
« niquer cet ecritaM. Varignon pour en dire son sentiment.
« Je travaille k rediger en ordre Its Peusees contenues dans les trdis
« cabiers que voas m'avez laisses. Je crois qull ne t'audra comprendre
« dans ce recueil que les peusees qui ont quelque chose de nouveau,
« et qui scut iissez parfaites pour faire concevoir au lecteur du moins
« une partie de ce qu'elles renferment. G'est pourquoi je laisserai celles
« qui n'ont rien de nouveau, soit pour le sujet, soit dans le tour et dans
« la maniere, et celles qui sont trop inror.ijes, en sorte qu'elles ne
« peuvent presenter assez parfaitemeut leur sens, Je nie recommande a
« vus saints sacrifices et a votre souvenir, n
(( A Snint'Denis ce ^'i juin 17U. »
PENSEES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSCHIT. 131
des Pensees. II parait que Tabbe Perier songeail a on don-
ner une edition noiivelle, ou il se proposait d'introduire des
pensees negligees par Port-Royal, et menie des morceaux
etrangers aux Pensees et trouves parmi les papiers de Pas-
cal. Dom Touttee dit posilivenient qu^il redige en ordre les
pensees contenues dans trois cabiers qui iui avaient ete
reniis. 11 declare qu'il a mis des titles a deux petits ecrits
de Pascal , qu'il ne nomme point. Le troisieme plus
etendu dont il parle est indubitabiement Particle aujour-
d'hui intitule : Reflexions sur la yeowMrie en general. II
en admire quelques parties, niais il y trouve du desordre,
et propose presque d'en faire deux morceaux separes;
Pun sur la inetbode de la geometric, Pautre sur les deiLx
intinis de grandeur et de petitesse. II est bienbeureux que
Pabbe Perier n'ait pas suivi cet avis, et que Bossut, en 1779,
ait pu encore retrouver les Reflexions sur la geometrie dans
Petat oil leur autenr les avait laissees. Mais on ne pent
s'empecber d'etre emu en songeant a tous les dangers
qu'ont courus, en passant ainsi de main en main, les
ouvrages posthumes de Pascal.
G'est le p6re Desmolets qui le premier publia PArt de
persuader {Memmres de litlerature et d'histoire, tome V,
P^ partie) , avec de nouvelles pensees, sous ce titre :
(JEuvres posthumeSy ou suite des Pensees de M. Pascal^
exiraites du manuscrit de M. Vuhbe Perier, son nereu. VX
il est bien certain que les pensees diverses que le savant
oratorien a mises au jour, se trouvent dans notre manus-
crit; mais PArt de persuader n'y est pas. Parmi toiites les
Pensees de Pascal, il n'y en a pas une seule qui ait une pareille
etendue. Ce n'est pas une note, c'est une disseitation sur
les regies de la definiti(tn, qui ressemble fort au cbapitre III
de la iV partie de la Logique de Port- Royal ; De la me-
m DKS PENSiES DE PASCAL. RAPPORT- 1.
thode (le composition et parti cut i ere ment de cellequ^obser*
twenties geometres. Les regies sont les memes, et les termes
qui les exprimcnt conviennent merveillensement'.
Ainsi^ sur les douze articles dont se compose la premiere
parlie des Pensees dans Tedition de Bossut, en voila dejk
cinq et des plus importants, qui incontestablement n'ap-
partiennent point aux Pensees : deux ne sont pas meme de
la main de Pascal^ et les trois autres sont des ecrits parti-
culiers composes sur des matieres differentes et a des epo-
qnes differentes.
Si nous penetrons dans Tarticle X , intitule : Pensees
diverses, nous en trouverons plus d'une^ et des plus cel6-
bres, qui non-seulement ne se rapportent point au der-
nier ouvrage de Pascal, mais qui n'ont jamais ete ecrites
par lui et ne sont autre chose que des propos recueillis
meme assez tard dans le souvenir de ses conversations.
Ainsi on a cent fois cite ce § 41 de Particle X, ou Pascal
accuse Descartes d'avoir voulu se passer de Dieu dans
tonte sa philosophic. Par ces mots c< dans toute sa philoso-
phie » il ne pent avoir en vue que Pouvrage intitule : Prin-
cipes de philosophie\ autrement I'accusation serait meme
impossible, puisque la Methode contient la preuve cel^bre
de Pexistence Dieu, et que les Meditations developpent
cetfe preuve. Mais il ne faut pas oubher que les Principes
de philosophic sont un traite de physique generate, et dans
cet ordre de recherches la suppression des causes finales
doit etre considerec comme une conquete du genie de Des-
■1. Arnanld el Nicole comiaissaient ce traite et le precedent qui ne
IVinita ent qu'uu soul li'aite et portaient le meme titre. Logique, ler Dis-
rnms: u On eii a aussi tire, qnelques autres (reflexions) d'uu petit ecrit
iioa inipfimr^ qui avail ^He fail par leu M. Paschal et qu'il avait inti-
tale ; !>>• rrsprif f/(^()fue'tn'gue. n
PENSKES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSGRIT. J 33
ca^tes^ Mais^ s'il les suppriine en physique, il les retablit
en metaphysique, et e'est la qu'est leur vraie place. Quand
Pascal ecrivait sur le vide, il expliquait tout par des causes
secondes et des lois physiques : aurait-on ete re^u a ['ac-
cuser de vouloir se passer de Dieu? II aurait renvoye a son
grand ouvrage ; de meme Tauteur des Principes de philo-
sophic aurait pu le renvoyer aux Meditations. Nous pou-
vons assurer que cette triste accusation n'est point dans le
manuscrit de Pascal. C'est Marguerite Perier qui, nous
racontant diverses particularites de la vie de son oncle et des
mots remarquables qu'on kii avait entendu dire, fait men-
tion de celui-la. Le Recueil de pieces pour servir a This-
toire de Port-Royal le cite , d'apres les memoires de made-
moiselle Perier. Bossut le reproduit sans dire on il le prend,
retranche tout ce qui Tentoure et Texplique dans le Recueil
et dans les Memoires, et le jette au miheu de Fouvrage,
convertissant un propos que se permettait Pascal dans des
conversations intimes en une pensee destinee a voir le jour.
Voici le passage entier des Memoires de mademoiselle
Perier :
a M. Pascal parloit pen de sciences; cependant, quand
roccasion s'en presentoit, il disoit son sentiment sur les
choses dont on lui parloit. Par exemple, sur la philosophic
de M. Descartes, il disoit assez ce qu'il pensoit; il etoit de
son sentiment sur Tautomate-, et n'en etoit point sur la
1. Sur ce point interessant, voyez Philosophie EcossaisEj lee. vi,
Reid, sa vie, p. 260, et Fr-aginents de philosophie cart e'sienne.^. 369.
2. C'est Topinion de Descartes qui parait avoir ete recue avec le plus
de faveur a Port-Royal. Fontaine, t. II, p. 52 : « Combien aussi s'eleva-
t-il de peMtes agitations daas ce desert toucliant les sciences Tiamaines
de la philosophic et les nouvelies opinions de M. Descartes! Comme
M. Arnauld, dans ses heures de relache, s'en entretenoit avec ses amis
les plus particuliers, iusensilDloment cela se repandit partoutj et cette
134 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT-I.
matiere subtile , dont il se moquoit fort. Mais il ne pouvoit
souffrir sa nianiere (Fexpliquer la formation de toules
choses, et il disoit tres-souvent : Je ne puis pardonner a
Descartes; il voudroit bien, dans toute sa philosophie, se
pouvoir passer de Dieu; mais il n'a pu s'empecher de lui
accordcr' une chiquenaude pour mettre le monde en mou-
vement; apres cela, il n'a plus que faire de Dieu. »
Rapprocbons de ce propos si defavorable a Descartes
cette autre pensee que Bossut a le premier publiee : « Sur
la philosophie de Descartes. II faut dire en gros : cela se
fait par figure et mouvement, car cela est vrai; mais de
dire quelle figure et quel mouvement, et composer la ma-
cbinC;, cela est ridicule-; car cela est inutile et incertain et
solitade, dans les heures dentretien, ae retentissoit plus que de ces
discours. II n'y avoit guere de solitaire qui ne parlat d'autonjate. On ne
faisoit plii^ nne affaire de battre un chien. On lui donnoit fort indiffe-
remment des coups de baton, et on se moquoit de ceux qui plaignoient
ces betes couime si elles easseut senti de la douleur. On disoit que
c'etoient ileshorloges, que ces ciis qu'elles faisoieutquaud on les frappoit
n etoient que lebmit d'un petit ressort qui avoit ete remue, mais que
tout cela etoit sans sentiment. On elevoit de pauvres animaux sur des
ais par les quatre pattes pour les ouvrir tout en vie et voir la circula-
tion du sang, qui etoit une graude matieie d'entretien. Le cMteau de
M. le" due de Luynes etoit la source de toutes ces curiosites, et cette
source etoit inepuisable. On y iiarloit sans cesse du nouveau systenje
du monde selon M. Descartes, et on Tadmitoit. »
\. Le Recueil, qui n'eLitend pas la grace et la finesse de cette expres-
sion, lui accdrfh'r une di'qwnniiih; y y substitue ; la i faire dotinet^une
chiquenaude; et Bossut n'a pas manque de suivre le Recueil.
2. Cette opinion de Pascal abeaucoup d'analogie avec celle de Sacy,
dans \es Me}7ioifi's de Fontaine, ibid, « Je les compare (Descartes et les
philosuphes. a des iguorants qui verroient uu admirable tableau, et qui,
au lieu d'adniirer un tel ouvrage, s'arreteioient a chaque ccmleur eu
particidier et diroieut : Qest-ce que ce rouge-la? de quoi est-il com-
pose? ("est dn telle chose on c'est d'une autre.... Ces gens-la clierchent
la verite a tatons; c'est uu giaud hasard qu'ils la trouvent. »
PENSBiES Qyi NE SONT PAS DANS LE MANUSCRIT. 135
p^nible. Et quand tout cela seroit vrai , nous a'estimons pas
que toute la philosophie vaille une heure de peine. » Cette
pensee est aussi fausse que le propos rapporte par Mar-
guerite Perier est injusle. Car, si on peut dire en gros avec
verite : cela se fait par figure et mouvement, il est clair que
cela doit se faire par telle figure et par tel mouvement, et
qu'on peut, qu'on doit meme rechercher quelle figure et
quel mouvement concourent aux effets particuliers qu'il
s'agit d'expliquer; sans quoi on ne possederait qu^me
explication generale et vague. 11 y a done plus d'humeur
que de raison dans cette pensee. Nous devons avouer
qu^elle se trouvej avec plus d'une variante, dans le ma-
uuscrit original et dans les deux copies : « Descartes* 11 faut
dire en gros, etc. » Mais il parait que Pascal avait lui-meme
eondamne cette boutade; car dans le manuscrit el dans les
copies, elle est barree , c'est-a-dire effacee, tandis que
jamais il n'a pense a effacer Tadmirable pensee qu'il a
jntitulee Roseau pensani; et celle-la' liii vient de Des-
cartes, du fameux : Je pense, done je suis; la forme seule
est de Pascal; mais la forme, il est vrai, etst d*une beaute
incomparable.
De toutes les pensees, publiees pour la premiere fois
par Bossut, nulie n'est plus frappante et plus precieuseque
celle du paragraphe 78 de Tarticle XVII de la seconde
partie ou Pascal declare que, loin de se repentir d'avojr
fait les Provinciales, s'il etait a les faire, il les ferait plus
fprtes encore. On est tente de croire, au premier coup
d'ceil, que c'est une de ces pensees qu'on n'aura pas ose
publier en 1670, el que plus lard Bossut aura tiree de scs
1. Gomme ceUe-ci : « C'est done la pensee qui fait Tetie de
rhomme, et suns quoi on ne le peut concevoir. » Edition do Poi't-Royal
ch. xxiii.
136 DES PENSEES DE PASCAL. RAI PORT — I.
manuscrits. II est certain qu'elle n'est pas dans le maniiscrit
autographe. Ou Bossut Ta-l-il done prise? il n'en dit rien.
Nous la trouvons a la fois et dans les memoires de mademoi-
selle Perier et dans le manuscrit de TOratoire n« 160. Mais
ce n'est point une pensee de Pascal ; c'est un recit fait par
mademoiselle Perier. En voici le titre dans le manuscrit de
rOratoire : Recti de ce que fai out dire a M, Pascal, mon
oncle, 7ionpas a moi, mats a des personnes de ses amis en
mapresence. J'avais alors 16 et demi. [Copie sur roriginal,
ecrit de la wain de mademoiselle Perier.) Or, Marguerite
Perier a ecrit fort tard ses memoires, sur la fin de sa vie,
qu'elle a prolongee jusqu'en 1733. On est bien sur qu'elle
n'a pas altere le sens des paroles de son oncle, et pour le
fond on pent ajouter toute foi a ce recit; mais il ne fallait
pas le placer parmi des pensees ecrites de la main meme de
Pascal. Quand tout a ete confondu de cette fa^on, qui peut
ensuite reconnaitre ce qui est de Pascal et ce qui n'en est
pas? Sans la rencontre du manuscrit de TOratoire et des
memoires de Marguerite Perier, nous aurions cru, comnie
tout le monde, que le paragraphe sur les Provinciales est
tout aussi bien de la main de Pascal que le morceau sur
les deux infinis ou sur la misere de Thomme.
A la fin des Pensees, Bossut donne un Supplement aux
Pensees de Pascal. Pour le coup, qui ne croirait que ce
sont la entin des pensees nouvelles, tirees par Bossut des
deux copies qui ont ete sous sos yeux? Point du tout :
d'abord on y rencontre quelques-unes des pensees deja
publiees par Desmolets, rejetees, onne salt pourquoi, dans
ce Supplement, quand ies autres ont ete iiiserees par Bos-
sut dans le corps meme de Touvrage. Mais la plus grande
partie des pensees de ce Supplement ne sont pas dans le
savant oratorien; elle ne sont pas davantage dans notre
PENSEES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSCRIT. 137
•
manuscrit^ etBossut ne disanl jamais a quelle source il les
a puisees^on est dans le dernier embarras pour savoird'oii
elles viennent et sur quoi repose leur authenticite.Gesont
le plus souvent des mots altribues a Pascal^ que Bossut
arrange en maniere de pensees et qu'il emprunte, toujours
sans le dire, tantdt aux Memoires de Marguerite Perier,
tant6t a la Vie de Pascal par sa soeur, ou meme a la Lo-
gique de Port- Royal.
La Logique de Port-Royal (III^ partie, chap, xix) contient
ce passage : « Feu M. Pascal, qui savoit autant de veritable
rhetorique que personne en ait jamais su, portoit cette
regie jusques a pretendre qu'un honnete homme devoit
eviter de se nommer et meme de se servir des mots de
je et de moi; il avoit accoutume de dire snr ce sujet
que lapiete chrelienne aneantit le moi humain, et que la
civilite humaine le cache et le supphme, » Bossut a
donne cette pensee separement et hors du cadre qui la
mettait dans son vrai jour. Elle est devenue le § 3 du Sup-
plement.
Madame Perier, dans la Vie de son frere, abonde en de-
tails touchants sur Famour de Pascal pour la pauvrete, et
elle nous a conserve plus d'une grande parole echappee a
Tame de Pascal. Bossut en a fait les §§ 5 et 6.
Pour s'exhorter a Tesprit de pauvrete et aux autres ver-
tus chretiennes, Pascal avait ecrit de sa main, sur un petit
papier, le morceau celebre qui commence ainsi : « J'aime
la pauvrete, parce que Jesus-Christ Ta aimee; j'aime les
biens parce qu'ils donnent moyen d'assister les misera-
bles... » Bossut a mis ce fragment precieux dans son
Supplement, § 6, et de la les autres editeurs I'ont insere
parmi toutes les autres pensees, comme si Pascal avait
jamais songe a entretenir la posterite de lui-meme, et a
138 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — I.
inkier des details biographiqiies a un livre consacre h la
religion.
II supporlait les douleurs les plus cnielles avec une pa-
tience admirable. Quand on s'aftligeait de tant de souf-
franceSjil disait, a ce que raconte sa soeur : « Ne me plai-
gnez point ; la maladie est Tetat naturel des Chretiens... »
Bossut a 6te ie debut, et il a fait du reste ie § 7 sur la
maladie.
Le § 26j contre la guerre civile et Tesprit de revolte, est
aussi un extrait bien affaibli du passage ou niadame Perier
nous peint son aversion pour la Fronde et sa fidelite eprou-
vee a Tautorite royale.
Nous nous arretons ici^ pour ne pas trop multiplier les
exemples, et nous repetons que nous sommes bien loin de
pretendre qu'il faille retrancher d'une edition de Pascal ces
precieux souvenirs; niais une saine critique devait faireici
trois choses : I" indiquer les ouvrages imprimes ou manus-
crits auxquels on emprunlait ces passages; 2° les citer
integralement; 3" meltre toutes ces citations en dehors du
grand ouvrage, et en composer un veritable supplement qui
auraitun tres-grand prix.
Passons k la premiere edition, celle de Port-Royal que
Bossut a reproduite avec les accroissements que nous ve-
nous d'indiquer. Cette edition^ quelque defectueuse qu'elle
soil, comme nous le demontrerons lout a Pheure, a du
moins le merite de ne rien contenir qui ne soit de la main
de Pascal. Lorsqu'elle m^le aux Pensees des morceaux qui
ne s'y rapportent pas, elle en avertit quelquefois : pai
exemple elle avertit que la Priere pour dpinander a Dieu
le bon usage des maladies et les Pensees sur la rnorl soni
etrangeres au dessein de Pascal, et ne sont la que poui
Tedification; elle avertit rneme que, dans le chapitre de;
PENSEES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSCRIT. 139
Pensees diverses, « il s*y en pourra trouver quelques-unes
qui ti^ont nul rapport a son dernier ouvrage et n\j etoient
pas desfinres. » Ces indications sont precieuses, mais elles
sent encore tres insnffisantes : il fallait dire toule la verite,
a savoir^ que non-seulement le chapitre des Pensees diver-
ses^ mais celui des Pensees chretiennes et celui des Miracles,
comprennent une foule de pensees qui ne devaient pas avoii'
leur place dans le grand monument auquel travaillait Pas-
cal, et il fallait designer expressement les ecrits oil on
avait puise toutes ces pensees. Cest ce que Tedition de
Port-Royal aurait du faire et ce qu'elle ne fait pas. En
cherchant attentivement les Pensees diverses, les Pensees
chretiennes et les Pensees sur les miracles dans le manus-
crit autographe, nous nous sommes assure qu'un tr^s-grand
"nombre de ces pensees, et les plus importantes, n'y sont
point; elles ne sont pas non plus dans la Vie de Pascal
par madame Pearler, ni parmi les propos que Marguerite
Perier attribue a son oncle. D'ou viennent - elles done, et
a quelle source sont -elles empruntees? Voila un probleme
que Bossut ni personne jusqu'ici n'a souleve ni meme
entrevu, et qui longtemps nous a laisse dans la plus pro-
fonde et la plus penible incertitude. Voici comment peu a
peu nous sommes arrive a la solution de cet interessant
probleme.
Port-Royal nous apprend liii-meme que les Pensees sur la
mort sont extraites d'une lettre de Pascal a M . et a M'"' Perier
sur la mort de leur pere, Etienne Pascal, et nous avons
retrouve cette letlre tout entiere dans les Memoires de Mar-
guerite Perier et dans le manuscrit de I'Oratoire. La nous
avons pu eludier et rcconnaitre le procede que ces Messieurs
out employe pour extraire de la lettre de Pascal les pensees
generales sur la mort. Cette lettre est erritr pfir Pnscal, en
140 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT— I.
son nom et au noiii de sa soeur Jacqueline, a M. at k
jyjme Perier, qui etaient alors a Clermont, et elle est datee
du 17 octobre 1651 : elle a done precede les Provinciales
de cinq annees. II est dit dans les Memoires de madenioi-
selle Perier et dans le nianuscrit de I'Oratoire que la copie
qui s'y trouve est transcrite sur I'original; on peut done se
fier entierement a cette copie. Or, coniparee avec les pen-
sees imprimees sur la mort, elle fournit des passages entie-
rement nouveaux et des variantes qui inarquent de la ma-
niere la plus vive combien le style d'un honime mediocre,
tel que le due de Roannez, ou meme le style d^m excellent
ecrivain_, tel que Nicole et meme Arnauld, differe de celui
d'un ecrivain de genie, tel que Pascal.
Apres quelques mots sur le malheur qui vient de frapper
sa faniille, Pascal continue ainsi ;
« Je ne sais plus par ou finissoit la derniere lettre; ma
sueur Ta envoyee sans prendre garde qu'elle n'etoit pas finie;
il me semble seulement qu'elle contenoit en substance
quelques particularites de la conduite de Dieu sur la vie et
la maladie, que je voudrois vous repeter ici^ tant je les ai
gravees dans le coeur et tant elles portent de consolation
solide, si vous ne les pouviez voir dans la precedente lettre,
et si ma soeur ne devoit vous en faire un recit plus exact a
sa premiere commodite. Je ne vous parlerai done ici que
de la consequence que j'en tire, qui est que sa fin est si
chretienne, si heureuse, si sainteet si souhaitable^,qu'6tees
les personnes interessees- par les. sentiments de la nature,
il n'y a pas de chretien qui ne s'en doive rejouir. Sur ce
grand foudement, je commencerai ce que j'ai a dire par
1 . Ces nlotSj que sa fin est si chretienne, si heureuse^ si sainte et si
souhaitahle, ne sont pas dans la copie do mademoiselle Perier.
2. Mademoiselle Perier ; Otez eeux qui sont inte'rosse's par...
^PS'sr^riS QUI NE 80NT PA8 DANS LE MANIJSCRIT, 1^1
iin discouts bien cotisolatif ' ^ceux qui ont assez de liberie
d'rsprit pour le concevoir au fort de la douieur. C'est que
nous devons chercher la consolation a nos maux, non pas
dans nous-memrs, non pas dans les hommeSj non pas dans
tout ce qui est cree, mais dans Dieu. »
Au lieu de ce simple, toiichant et imposant debut, ces
Messieurs ont mis la phrase suivante, dont la vulgarite et
la pesanteur ont jusqu'ici ete iiDputees a I'auteur des Pro-
vinciales: « Qhiand nous somvies dans V affliction a cause de
la mart de quelqve personne pour qui nous ai^ons de Vaf-
fection, ou povr quelque autre malheur qui nous arrive,
nous }ie devons pas chercher de la consolation dans nous-
memes, ni dans les honmies, 7ii dans tout ce qui est cree,
mais nous devons la chercher dans Dieu seuL »
Pascal : « Ne nous aftligeons done pas comme les paiens,
qui n'ont pas d'esperance : nous n'avons pas perdu mon
pere au moment de sa mort; nous Tavions perdu pour ainsi
dire des qu'il eiitra dans TEglise par le bapteme » Port-
Royal a transporte a tons les fideles ce que Pascal dit ici
de son pere; mais alors que pent signifier dans la bouche de
Pascal cette expression : « Nous n'avons pas perdu les fi-
ddles au moment de leur mort? » 11 fallait mettre au moins:
Nous ne perdons pas les fideles.
Pascal : « Ne considerons plus un homme comme ayant
cesse de vivre, quoi que la nature suggere, mais comme
commeuQant a vivre, comme la verite Passure ...... Quoi que
la nature suggere veut dire ici : quelque opinion contraire
que la nature suggere. Ce n'est pas laconjonction quoique^
quamvisj mais, comme diraient les grammairiens, I'adverbe
conjonctif ^-zio/ que, quidvis. Port-Royal, qui n'a pas en-
1. Manuscrit de TOratoire : bien consoiant.
142 DKS PENSKES DE PASCAL. RAPPORT — t.
tendu cette phrase,, laremplace par celle-ci: Quoigue la
nature fe sugg^re. »
Pascal : « Pour dompter plus facilement cette horreur
(I'horreur de la nature pour la nnort), il faut en bien coia-
prendre Torigine, et, pour vous le toucher en pen de mots,
je suis oblige de vous dire en general quelle est la source
de tous les vices et de tons les peches. G'est ce que j'ai ap-
pris de deux tres-grands et tres- saints personnageSi La
verite qui ouvre ce mystfere est que Dieu a cree I'homnie
avec deux amours » Port-Royal supprime tout cela,
et dit seulement : c( Dieu a cree I'homme avec deux
amours »
Pascal : o L'horreur de la mort est naturelle, mais c'est
en I'etat d'innocence; la mort, a la verite, est horrible,
mais c'estquandelle finitune vie toute pure. » Port-Royal:
(* L'horreur de la mort est naturelle, mais c'est dans I'etat
d'innocence, parce qu'elle neut pa entrer dans le paradis
qu'enfinissont une vie toute pure. »
Pascal: a L'ame quitte la terre et monte au ciel a Pheure
de la mort, et sied a la droite au temps oil Dieu Pot*-
donne. » Port -Royal; Et enfin T^me quitte la terre et
monte au ciel en menant vne vie celpsfe. Ce qui fait dire
a saint Paul: Conversio viostra in ccelis est (Philip. Ill,
20). »
Pascal : « Voila certainement quelle est notre croyance
et la foi que nous professons, et je crois qu'en voila plus
qu'il n'en faut pour aider vos consolations par mes petits
efforts. Je n'entreprenrh'ois pas de vous porter ce secours
de mon propre; mais, comme ce ne sont que des repeti-
tions de ce que j'ai appris, je le fais avec assurance, en
priant Dieu de benir ces semences et de leur donner Tac-
croissement; car sans lui nous ne pouvons rien faire^ etles
PTNSEI-S QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSCHIT. 148
plus saintes paroles ne prennent point en nons, comme ii
J'a dit lui-mtoe. Ce n'est pas que je souhaite que vous
soyez sans ressentiment ; le coup est trop sensible; il seroit
meme insupportable sans un secours surnaturel. II n'est
done pas juste que nous soyons sans douleur comme des
anges^ etc... » Port -Royal reduit ainsi ce passage: « II
n'est pas juste que nous soyons sans ressentiment et sans
douleur dans les afilictions et dans les accidents fdcheux
qui nous arrivent , comme des anges^ etc... »
Pascal : « La pri^re et les sacrifices sont un souverain
remade a ses peines (les peines de leur pere); mais j'ai ap-
pris d'un saint homme^ dans notre aflliction^ qu'une des
plussolides et des plus utiles charites envers les morls est
de faire etc... » Ce saint homme est probablement M. Sin-
glin. Port-Royal efface cette allusion : « Une des plus solides
et plus utiles charites envers les morts est, etc.... »
Voici un long el touchant passage entierement supprime
par Port-Royal :
« Faisons-le (leur pere) done revivre devant Dieu en
nous de tout notre pouvoir^ et consolons-nous en Tunion
de nos coeuis, dans laquelle il me semble qu'il vit encore,
et que notre reunion nous rende en quelque sorte sa pre-
sence, comme Jesus-Christ se rend present en Tassemblee
de ses fideles.
« Je prie Dieu de former et de maintenir en nous ces
sentiments, et de continuer ceux qu il me semble qu'il me
donne d'avoir pour vous et pour ma sueur plus de tendresse
que jamais; car il me semble que Tamourque nousavions
pour nion pere ne doit pas etre perdu, et que nous en devons
faire une refusion sur nous-memes, et que nous devons
principalement heriter de Taffection qu'il nous portoit pour
nous aimer encore plus cordialement ^ s'il est possible.
« Je prie Dieu de nous fortifier dans res resolutions, i
snr ceite esperance je vous conjure d'Mgreer que je voi
donne un avis que vous prendriez bien sans moi, mais j
ne laisserai pas de le faire ; c'est qu'apres avoir Irouve d(
sujets de consolation poui- sa personne, nous n'en venioi
pas a manquer pour la noire par les prevoyances des b(
soins et des utilites que nous aurions de sa presence.
« C'est nioi qui y suis le plus interrsse: si je Tensseperd
il y a six ans , je me serois perdu; et quoique je cro^
en avoir a present une necessite moins absolue, je ser
(ju'il ui'auroit ete encore necessaire dix ans et utile toul
ma vie.
(( Mais nous devons esperer que Dieu , Tayant ordonn
en tel temps^ en tel lieu, en telle maniere, sansdoute c'e;
le plus expedient pour sa gloire et pour notre salut. Que
que etrange que cela paroisse, je crois qu'on en doit est
mer de la sorte en tous les evenements , et que, quelqi
sinistres qu'ils nous paroissent, nous devons esperer qu
Dieu en tirera la source de notre joie^ si nous lui en remel
tons la conduite.
u Nous connoissons des personnes de condition qui oi
apprehende des morts domestiques que Dieu a peut-eti
detournees a leur priere, qui ont ete cause ou occasion c
tant de misere , qu'il seroit a souhaiter qu'ils n'eussent pi
ete exauces. »
On voit qu'au moment oil Pascal ecrivait cette lettre^
la fin de 1651, il n'etait point encore arrive a cet absol
retranchement des affections naturelles les plus legitinK
qu'il s'est injpose dans les dernieres annees de sa vie, pi
iin execs contraire a la sagesse humaine, et menie a
sagesse divine , qui a ainie aussi pendant son passage si
la terre. lei Pascal est encore un liomme, un fils^ un freri
PENStiES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSGRIt. Ub
Cettelettre^ qui peint son hme k cette epoque tie sa vie, doit
6tre integralement restituee\
En voyant a quel point Port-Royal I'a defiguree pour en
tirer des Pensees generates suvlamort, le soupcon nous est
venu que plusieurs des Pensees de la premiere edition, qui
ne sont pas dans le manuscrit autographe et dont Torigine
nous echappait, pourraient bien avoir ete ibrmees de la nienie
mani^re, sur des lettres semblables a celles que nous venons
de faire connailre d'apres le manuscrit de TOratoire et made-
moiselle Perier. Or le memoire sur Pascal, insere dans le
Recueil de pieces pouj* servir a Thistoire de Port-Royal,
nous apprend a qu^on a encore plusieurs lettres de M. Pas-
cal a mademoiselle de Roannez, morte duchesse de la
Feuillade, » et ce memoire donne un fragment d'une de
ces lettres qui commence et se terminc ainsi : « Mademoi-
selle, il y a si peu de personnes a qui Dieu se fasse con-
nottre par des coups extraordinaires, qu'bn doit bien pro-
iiter de ces occasions, puisqu'il ne sort du secret de la na-
ture qui le couvre que pour exciter notre foi a le servir avec
d'autant plus d'ardeur que nous le connoissons avec plus
de certitude Rendons-lui des graces infmies de ce que,
s'etant cache en toutes choses pour les autres, il s'est de-
couvert en toutes choses et en tant de manieres pour nous. »
En ouvrant le chapitre XXVII de Port-Royal intitule : Pen-
sees sur les miracleSj on y trouve precisement cet admirable
morceau : « 11 y a si peu de personnes a qui Dieu se fasse
paroitre par des coups extraordinaires » et tout le reste,
comme dans la lettre a mademoiselle de Roannez pubhee
par le Recueil. Ceci nous a ete un trait de lumiere. Nous avons
recherche les autres lettres de Pascal a mademoiselle de
1.' Voyez plus bas ; Lettres de Pascal.
10
140 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT - I.
Roannez, et nousles avons rencontrees dans le manuscritd
rOratoire et dans les Memoires de Marguerite Perier. C
n'est point ici le lieu de faire connaltre la sainte et crueli
entreprise de Port-Royal surcette aimable personne, qu'ui
zele farouche disputa longtemps aux liens les plus legiti
mes de la nature et du monde, et qui, divisee avec elle
meme dans ce terrible combat, finit par mourir misera
blement, chargee des anathemes de Port-Royal, repentant
et desesperee d'avoir ete une fille soumise et une epous
irreprochable ' . Detournons les yeux de cet episode de \
vie de Pascal, au temps de sa grande conversion, plu
triste encore que celui qui marqua sa conversion pre
miere, c'est-a-dire cette denonciation portee par Pasca
et quelques-uns de ses amis contre un pauvre religieux
nomme Saint -Ange, coupable de s'etre permis, et encor
1. La mere de mademoiselle de Roannez voulait la marierrell
resista par les coiiseils de Port-Royal. Elle s*ecbappa de la maiso
maternelle et se refiigia a Port-Royal , qui la recut et ne la rendit qu'
la force et pur une lettre de cachet^ que la pauvre mere soUicita et ot
tint de la reine. Alademoiselle de Roannez avait inspire uu sentimer
extraordinaire a une personne dont le nomne se trouve pas dans nc
manuscrits. Plus lard elle revit cettc personne, et elle commencait i eti
touchee d'une passion si fidele, lorsqu'une entrevue avec Vaustere abl:
Singlin la remplit de scrupules et lui rendlt sa premiere ferveur. Tai
que Pascal vecut, 11 la retiut. Apres sa mort, elle rentra encore dai
le monde, et epousa M. de la Feuillade. Le mariage ne fut pas plut^
fait qu'elle se repentit de sa faute, dit le Recueil. Le premier enfai
qu'elle eut ne recut point le hapteme ; le second vint au monde toi
contrefaitj le troisieme fut une lille naine qui mourul subitement
V'dge de dix-neuf ans; le quatrieme a ete M. de la Feuillade, mo
en 17!25j sans posterite. La duchesse de la Feuillade eut^ apres ses coi
cheSj des maladies extraordinaires qui donn^rent lieu k des op6ratioi
tres-cruellesj au milieu desquelles elle mourut en 1683. EUe laisi
3jOOO livres a Port-Royal pour une religieuse converse qui remplira
la place qu'elle y devait tenir elle-meuie. Voyez plus has; Mademc
selle de Hoamiez,
PENSEES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSCRIT. 147
dans des entretiens confidentiels, quelques explications
hasardees des saints mysteres*. II ne faudrait meme tirer de
ces deux affaires qu'une le^on, celle de la profonde imper-
fection de la nature liumaine, presque incapable du vrai
milieu en toutes choses, et selaissant sans cesse emporter
de Tausterite des moeurs a un fanatisme insense ou d'nne
sage indulgence k un rel^chement sansdignite. Ici nous ne
devons considerer les lettres de Pascal a mademoiselle de
Roannez que comme la source entierement inconnue de
la plus grande partie des Pensees qui se trouvent dans
le chapitre XXVII de Port-Royal sur les Miracles et dans
les Pensees chretiennes.
Les lettres de Pascal a mademoiselle de Roannez sont
au nombre de neuf ; elles sont assez etendues , et elles ont
fourni plus d'une trentaine de pages de Pedition de Port-
Royal. Elles nous poignent Pascal ^ non plus, comme en
1651, retenant les affections naturelles au milieu des pro-
gres d'une piete raisonnable encore; mais Pascal^ sous la
discipline de I'abbe Singling, engage dans les sublimes peti-
tesses de Port-Royal, charme et s'enorgueillissant presque
des miracles de la Sainte-Epine, s'enfon^ant chaque jour
davantage et precipitant les autres dans les extremites d^'une
devotion exageree^.
Nous allons successivement parcourir ces lettres , en
1. Gette histoire est fort adoucie et meme presentee en beau par
madame P^rier dans la Vie de Pascal. On la pent voir avec tous ses
details authentiques, dans les Documents utedits sur Pascal et sur sa
famille.
2. Madame P^rier avait t.rouv6 pour sa fille ain(5e, Jacqueline, tlgee
de quinze ans, un mariage tres-avantageux^ et elle songeait a cet
etablissement. Port-Royal et Pascal s'y opposerent en des tennes vrai-
ment incroyables, et que nous trouvons dans un fragment iu^dit d'une
lettre de Pascal a sa soeur. Voyez plus bas: Lettres de Pascal.
148 DES PENS]5:ES BE PASCAL. RAPPORT-I.
marquant les passages que Port -Royal a empruntes.
Le celebre paragraphe des Pensees chretiennes sur le
pape, conimen^ant ainsi : « Le corps n'est non plus vivant
saus le chef que le chef sans le corps, etc. », est un frag-
ment tr^s-court et bien decolore de la premiere lettre.
Retablissons le fragment original: a Je loue de tout mon
ccBur le petit zele que j'ai reconnu dans votre lettre pour
I'union avec le pape. Le corps n'est non plus vivant sans
le chef que le chef sans le corps; quiconque se separe de
Tun ou de I'aufre n'appartient plus a Jesus-Christ. Je ne
sals s'il y a des personnes dans I'figbse plus attachees a
cette unite du corps que ne le sont ceux que vous appe-
lez notes. Nous savons que toutes les vertus^ le martyre,
les austeriteSj toutes les bonnes oeuvres , sont inutiles
hors de Tfiglise et de la communion du chef de Fliglise,
qui est le pape. Je ne me separerai jamais de sa commu-
nion; au moins je prie Dieu de m'en faire la grace, sans
quoi je serois perdu pour jamais. Je vous fais une pro-
fession de foi; je ne sais pourquoi, mais je ne Tetfacerai
pas... »
On a tire de cette meme lettre cet autre paragraphe du
meme chapitre : c< G'est Tfigbse qui merite avec Jesus-
Christy, qui en est inseparable^ la conversion de tons ceux
qui ne sont pas dans la veritable reUgion ( Toriginal : dans
la verite); et ce sont ensuite ces personnes converlies qui
secourent la mere qui les a delivrees. » Mais ce para-
graphe est amene et siiivi^ dans Pascal, par des reflexions
sur les circonstances du temps ^ ou percent les desseins
de Port- Royal sur mademoiselle de Roannez : « Je suis
ravi de ce que vous goutez le livre de M. de Laval (le due
de Luynes) et les meditalions sur la grace; j'en tire de
grand^s consequences pour ce que je souhaite».... Je
PENSEES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSCRIT. l/i9
mande le detail de cette condamnation qui vous avoit
effrayee. Gela if est rien du tout, Dieu merci^ et c'est un
miracle de ce qu'on n'y fait pas pis , puisque les ennemis
de la verite ont le pouvoir et la volonte de Topprimer.
Peut-etre ^tes-vous de celles qui meritent que Dieu ne Ta-
bandonne pas et ne la retire pas de la terre qui s'en est
rendue si indigne, et il est assure que vous servez TEglisc
par vos prieres, si TEglise vous a servie par les siennes;
car c'est I'Eglise qui merite avee Jesus-Christy etc Je
vois bien que vous vous interessez pour TEglise ; vous lui
etes bien obligee : il y a seize cents ans qu'elle gemit pour
vous; il est temps de gemir pour elle et pour nous tons
ensemble, et lui donner tout ce qui nous reste de vie,
puisque Jesus-Christ n'a pris la sienne que pour la perdre
pour elle et pour nous. »
Bossut a reproduit les deux paragraphes de Tedition de
Port-Royal, sans avertir de leur origine, et il les a jetes au
milieu d^autres Pensees tirees de sources ditferentes , et du
tout il a fait le paragraphe 13 de Tarticle xvii.
La seconde lettre contient le morceau deja cite sur les
miracles a I'occasion du miracle de la Sainte-Epine et de
la verification qui venait d'en etre achevee. Bossut a mis
en tete de ce morceau et reuni dans un meme paragraphe
une autre pensee de Pascal sur les miracles.
Port-Royal a tire de la lettre troisieme ces deux para-
graphes : « II faut juger de ce qui est bon ou mauvais par
la volonte de Dieu Jesus-Christ a donne dans TEvan-
gile, pour reconnoitre ceux qui ont la foi... », negligeant
dans cette meme lettre un autre fragment plus remar-
quable encore que tout le reste. C'est ici qu'on surprend,
comme sur le fait, la methode vicieuse et arbitraire de
Bossut : il a reuni la pensee : a 11 faut juger de ce qui est
150 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT -I.
bon on mauvais par la volonte de Dieu » a une autre
pensee sur les saints; et de ces deux pensees mises ensemble
il a compose le § 14 de I'article xvn. Puis de Tautre pen-
see : c( Jesus-Christ a donne dans TEvangile » il a fait
an paragraphe particulier. Mais ce qu il y a de plus admi-
rable , c'est qu'ayant eu sous les yeux notre lettre , il a ete
frappe comme nous de la beaute du fragment neglige par
Port-Royal, et il a publie le premier ce fragment; mais ou
Ta-t-il place? non pas avec les deux autres pensees qu'il
continue^ mais a part, en dehors des pensees, parrai des
fragments de lettres de Pascal. De deux choses Tune :
Bossut niaintenait ou rejetait la forme epistolaire; s'il la
rejetait, il fallait mettre ce fragment avec les deux autres
parmi les Pensees; s'il la maintenait, il fallait retirer du
milieu des Pensees les deux paragraphes donnes par Port-
Royal, et avec le fragment en question restituer la lettre
et la pubUer integralement. Ce fragment commence ainsi :
a Les graces que Dieu fait en celte vie sont la mesure de
la gloire qn'il prepare en Tautre, etc. »
Le beau paragraphe des Pensees cbretiennes : « On ne
se detache jamais sans douleur, etc., » est la lettre iv pres-
que tout entiere.
Les deux paragraphes de Port-Royal, meme chapitre :
« II faut tacber de ne s'affliger de rien... » — « Lorsque la
verite est abandonnee et persecutee... », sont extraits de la
lettre v% mais avec bien des alterations; nous n'en releve-
rons qu'une seule, qui fera juger de toutes les autres. Au
lieu de cette phrase assez bonne pour le due de Roannez et
meme pour Arnauld : « Lorsque la verite est abandonnee
et persecutee, il semble que ce soit uu temps oil le service
qu'on rend a Dieu en le defendant lui soit bien agreable »,
Pascal avait dit : « Sans mentir, Dieu est bien abandonne;
PENSEES QUI NE SONT PAS BANS LE MANUSCKIT. i51
il me semble que c'est un temps ou le service qu'on lui
rend lui est bien agreable. » Bossut a eu le courage de
maintenir la premiere le^on.
Le paragraphe de Port-Royal sur la vanite des austerites
et de la douleur m^me sans la bonne disposition du cceur,
n'est autre que la vi« lettre abregee et alteree. Pascal
commengait ainsi : « Quoi qu'il puisse arriver de Taf-
faire''**^ il y en a assez, Dieu merely de ce qui est deja
fait pour en tirer un admirable avanlage centre les mau-
dites maximes. II faut que ceux qui ont quelque part en
cela en rendent de grandes graces a Dieu > et que leurs
parents et amis en prient Dieu pour eux, afm quails ne
tombent d'un si grand bonheur et d'un si grand honneur
que Dieu leur a fait. Tons les honneurs du monde n'en sont
que Hmage; celui-la seul est solide et reelj et neanmoins
il est inutile sans la bonne disposition du coeur. Gar ce ne
sont ni les austerites du corps ^ etc. »
La lettre vn« a fourni les deux paragraphes : « Le passe
ne nous doit point embarrasser... » — « On se corrige
quelquefois mieux par la vue du mal que par Texemple du
bien ». Mais cette derpiere pensee est admirablement
preparee dans Pascal : a Je prevois^ dit-il, bien des peines
et pour cette personne et pour d'autres et pour moi; mais
je prie Dieu , lorsque je sens que je m'engage dans ces pre-
voyances, deme renfermer dans meslimites; je meramasse
dans moi-meme^ et je trouve que je manque h faire plu-
sieurs choses a quoi je suis oblige presentement^ pour me
dissiper en des pensees inutiles de Tavenir... Ce que je dis
l^j je le dis pour moi^ et non pas pour cette personne qui
a assurement plus de vertu et de meditation que moi ; mais
je lui represente mon defaut pour Tempecher d'y tomber.
Onse corrige quelquefois mieux par la vue du mal, etc. »
1512 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT-I.
On n'a rien tire de la lettre vnis mais la ix« et derniere
est la source de deux grands naorceaux, Tun sur les pre-
dictions que fournit I'Ecriture pour le temps present, et
Tautre sur le merite des reliques des saints: aLe Saint-
Esprit repose invisiblement dans les reliques de ceux qui
sont morts, etc. »
Sans nous arr^ter a signaler d'innombrables variantes
que nous fournissent nos manuscrits, et qui changeraient
la face du texte imprinie^ il nous suftit d'avoir montre que
voila bicn des pages etrangeres aux Pensees^ et que la cri-
tique la plus superficielle doit se faire un devoir de retablir
dans leur forme primitive^ c'est-a-dire separement et sous
la forme de lettres intinies et confidentielles^ ecrites par
Pascal a sa soeur et a la duchesse de Roannez, lettres qui,
rapprochees de plusieurs autres encore inedites *, feraierit
paraitre dans toute sa grandeur et aussi dans toute sa
misere ce personnage extraordinaire, sublime mais sans
mesure, ardent et extreme en tout, comme le dit la
seule personne qui Tait bien connu et qui ait ose le juger,
une femme de son sang et de son ordre, Jacqueline Pascal,
inferieure a sa soeur Gilberte comme femme, mais presque
I'egale de son frere par la puissance de Tesprit et de la
passion ^.
1. Voyez plus has Lettres: de PascaL
2. Voyez, dans Jacqueline Pascal, ch. iv, p. -235^ une lettre de
Jacqueline a sa sceur Gilberte, oil elie parle de I'humeur bouillante
de leur frere. Partout elle le juge avec une independance qui n'6te
rien a la tendresse. Daus une autre lettre, en faisant remarquer
les progres que Pascal faisait particufierement en humilite, en sou-
mission, en defiance^ en me'pris de soi-mdme, en desir d^tre
aneanti dans I'estime et dans la memoire des hommes, elle ajoute
ces mots significatifs : de telle sorte que je 7ie le connoissois plus.
Gilberte, madame Perier quoiquelle eut beaucoup d'instruction et
d'esprit, et iju'elle fiit belle, comme I'avait 6te Jacqueline, elait uatu-
PENSEES QUI NE SONT PAS DANS LE MANUSGRIT. 153
Concluons : il est demontre qu'il f'aut 6ter des Pensees
proprement dites et publier a part :
1° De Tedition de Bossut^ les trois premiers articles : De
Vautorite en matiere de philosophie, Reflexions sur la
geometrie en gmeral; De Vart de persuader, traites dis-
tinctSj complets et acheves, et probablement ecrits avaiit
les Provinciales ; I'article xii, sur la condition des grands,
discours tenus au due de Roannez et rediges longtemps
apr^s par Nicole; I'article xi^ sur Epictete et Montaigne,
qui est une conversation entre Pascal et Sacy, redigee par
Fontaine; enfm un bon nombre de paragraphes d'autres
articles, qui ne sont point de la main de Pascal , et qui
sont des propos tenus par lui et recueiilis ou par sa soeur
GilbertCj ou par sa ni^ce Marguerite, ou par Port-Royal^
ou par d^autres auteurs.
2'* De Tedition meme de Port -Royal, la Priere pour
demander a Dieu le bon usage des maladies; les Pensees
sur la mort, extraites d'une lettre a madame Perier sur la
mort de leur pere, ainsi que la plus grande partie des deux
chapitres Sur les miracles et Pensees chretiennes , debris
de la correspondance de Pascal avec mademoiselle de
Roannez.
Nous croyons done avoir etabli de la maniere la plus
irrefragable cette proposition^ qu'un quart ou peut-etre un
tiers des Pensees ^ considerees aujourd^hui comme des
fragments du grand ouvrage de Pascal, sont entierement
etrangeres a cet ouvrage^ a son plan et a son objet, ne se
trouvent point dans le manuscrit autographe, et appar-
tiennent a des epoques differentes de sa vie; que plusieurs
rellement douce et humble; elle ne jugeait pas son frere, elle s'etait
d^vouee a son service.
154 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — II.
meme n'ont jamais ete ecrites par lui, et ne sont que des
echos souvent eloignes et toujours atfaiblis de oui-dire re-
cueillis souvent a un assez long intervalle par des per-
sonnes trfes di verses.
Nous allons maintenant nous renfermer dans les pensees,
qui sont communes a nos deux editions et au manuscrit
autographe, et nous demontrerons avec une egale evidence
qu'ici, oil tout est de la main de Pascal, le grand style de
rincomparable ecrivain a ete perpetuellement altere et
aff'aibli, sans que pourtant on soit parvenu a le faire dispa-
raitre; tant I'empreinte primitive etait vive et ineffa(;able !
DEUXIEME PARTIE.
Des alterations de toute espece (lu'ont suhies \m ires grand nomhre de
Pensees. — Restitution de ces Pcusees dans leur forme vraie.
L'edition de Port-Royal contient la plus grande partie
des veritables Pensees de Pascal. Plus tard, le pere Desmo-
lels en publia im assez bon nombre qu'avait negligees
Port-Royal. L'eveque de Montpellier mit au jour la plupart
de celies qui se rapportent aux miracles. Gondorcet en donna
aussi quelques-unes d'un caractere different. Bossut n'a
guere fait autre chose que reunir et fondre ensemble tout
ce que lui fournissaient Port-Royal, Desmolets, Teveque de
Montpellier et Condoroet. La part de ces deux derniers
dans la publication successive des Pensees de Pascal est si
PENSEES ALTEREES. 155
peu de chose^ qu'il est inutile de s'y arreter. Les extrails
■ du p6re Desmolets sont en general d'une fidelite irrepro-
chable. Le vrai coupable est done ici Port-Royal; en effet
c'est Port-Royal qui le premier a mis la main sur les Pen-
- sees de Pascal, et y a introduit une multitude d'alterations,
grandes et petites, que Bossut a scrupuleusement repro-
duites, qui de Bossut ont passe dans toutes les editions, et
composent aujourd'hui le texte convenu de Pascal. II n'y
a pas un seul editeur, pas un seul critique qui ait ose soup-
gonner une main etrangere dans des pages consacrees par
une admiration seculaire, et qui pourtant ne ressemblaient
pas toujours aux Provinciales. NousTavons deja dit, et nous
lerepetons : le manuscrit autographe est expose a tous les
regards, a la Bibliotheque royale de Paris, et nul regard n'a
daignes'y arreter ^personnene Pa consulte, et le texte donne
par Port-Royal a traverse toutes les editions sans exciter
aucun autre sentiment que celui d'une veneration supersti-
tieuse. C'est ici la premiere reclamation pour Pascal contre
Port-Royal, pour Poriginal contre une copie infidele.
II faut d'abord faire bien connaitre Tesprit qui a dirige
Port-Royal dans la premiere edition des Pensees.
La Preface de cette edition expose ainsi les difFerentes
mani^res de publier les fragments laisses par Pascal, et
celle qui fut preferee : « La premiere (maniere) qui vint
dans Tesprit, et celle qui etoit sans doute la plus facile ,
etoit de les faire imprimer tout de suite dans le meme elat
oil on les avoit trouvees... Une autre maniere... etoit d'y
travailler auparavant, d'eclaircir les pensees obscures,
d'achever celles qui etoient imparfaites, et, en prenant
dans tous ces fragments le dessein de M. Pascal, de sup-
pleer en quelque sorte Touvrage qu'il en vouloit faire...
L'on s'y est arrete assez longtemps , et Ton avoit en etlet
156 DES PENSfiES DE PASCAL. RAPPORT — II.
commence a y travaiiler. Mais enfin Ton s'est resolu de la
rejefer aussi bien que la premiere... L'on en a choisi une
entre deux qui est celle que Ton. a suivie dans ce Recueil.
L'on a pris seulementj parmi ce grand nombre de pensees,
celles qui ont paru les plus claires et les plus achevees,, ef
on les donne telles qu'on les a trouvees sans y rien ajouter
ni changer, si ce n'est qu'au lieu qu^elles etoient sans
suite, sans liaison et dispersees confusement de c6te et
d'autre, on les a mises dans quelque sorte d'ordre et reduit
sous les memes titres celles qui etoient sur les memes
sujets... »
Nous ne pouvons guere qu'approuver cette troisieme
maniere de publier les Pensees de Pascal , que Port-Royal
declare avoir preferee et suivie. II ne reste plus qu'a savoir
si elle a ete fidelement pratiquee, et si on n'est pas souvent
revenu a la seconde maniere a laquelle on s'etait arrete
d'abord, d'apr^'S laquelle on avait commence a travaiiler,
et qui consistait a eclaircir et achever les pensees obscures
et imparfaites et a suppleer Pascal. C'avait ete Tavis du
due de Roannez, qui eut la principale part a cette edition.
II avait commence a Texecuter dans cet esprit et sur ce
plan, et il ne s'etait arrete qu'a grand'peine sur le refus de
M. et de M'"« Perier. La troisieme maniere, dont parte la
preface, n'est qu'une concession faite a M. et a M'"^ Perier,
concession qui couta beaucoup a celui qui la faisait, sans
contenter entierement ceux a qui elle etait faite, et sur
laquelle on disputa assez vivement de part et d'autre pen-
dant I'annee 1668. Yoila ce qu'etablissent des documents
authentiques, les uns deja publics, les autres encore
inedits.
La preface promettait de donner les Pensees telles qu'on
les a trouvees « sans y rien ajouter ni changer. » Le Recueil
PtlNSEES ALTlIRfeES. HI
de plusieurs pieces pour servir a Thistoire de Port-Royal con-
firme a la fois cette promesse et commence k la dementir un
peu: il nousapprend, p. 354, que«M. et M"*" Perier eurent
assez de peine a consentii' aux retranchements et aux pe-
tites corrections qu'on se crut necessairement oblige de
faire k qnelques Pensees (sans changer ni le sens ni les
expressions de Tauteur) pour les mettre en etat de pa-
roitre. » Mais^ en verite^ si les corrections qu'on se croyait
oblige de faire ne changeaient ni le sens ni les expressions
de Tauteur, on ne comprend pas la resistance de M. et de
jyime Perier. Pour Fexpliquer, il faut supposer qu'on leur
avait propose de veritables changements. En effet^ une
lettre d'Arnauld a M. Perier, du 20 novembre 1668 (CEu-
vres completes, t. l, p. 642), decouvre un peu plus les
pretentions de Port-Royal; deja le mot de cliangement est
prononce, il est vrai, avec de grands adoucissements.
«Souffrez, Monsieur, que je vous dise qu'il ne faut pas etre
si difficile ni si religieux a laisser un ouvrage comme il est
sorti des mains de I'auteur, quand on le veut exposer a la
censure publique. On ne sauroit etre trop exact quand on
a affaire a des ennemis d'aussi mechante humeur que les
n6tres. II est bien plus a propos de prevenir les chicaneries
par quelque petit changemeni qui ne fait qu'adoucir une
expression, que de se reduire k la necessite de faire des
apologies. G'est la conduite que nous avons tenue touchant
les Considerations sur les dimanches et les fetes de feu
M. de Saint-Gyran... Les amis sont moins propres k faire
ces sorfes d'examens que les personnes indifterentes, parce
que Taffection qu'ils out pour un ouvrage les rend plus
indulgents, sans qu'iis le pensent, et moins clairvoyants.
Ainsi, Monsieur, il ne faut pas vous etonner si, ayant laisse
passer de certaines choses sans 6tre choques, noustrouvons
158 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — II.
maintenant qu'on les doit changer, en y faisant plus d'at-
tention apres que d'autres les ont remarquees... i> Arnauld
prend pour exemple un fragment sur la justice, qu'il cri-
tique avec raison, et il conclut ainsi : « Pour vous parler
franchement, je crois que cet endroit est insoutenable^ et
on vous supplie de voir parmi les papiers de M. Pascal si
on ne trouvera pas quelque chose qu'on puisse mettre k la
place. »
Un autre document, qui jusqu'ici n'a pas vu le jour,
nous fait mieux connaitre ce qu'il faut entendre par les
changements que demande Arnauld : en realite ces chan-
gements n'etaient pas moins que des eclair cissements et
des embeliissements; ces mots se trouvent, et meme repe-
tes, dans deux lettres inedites que nous a laissees Marguerite
Perier de ce comte de Brienne si celebre par ses bizarreries,
et qui, alors retire a TOratoire, entretenait des relations
intimes avec la famille et les amis de Pascal. Ces deux
lettres sont adressees a M""^ Perier, et elles sont de la meme
epoque que celle d'Arnauld : Tune est du d6 novembre
1668; Tautre du 7 decembre de la meme annee. La pre-
miere nous montre M. de Roannez retranchant des mor-
ceaux dont Brienne et Etienne Perier cherchent a sauver
quelque chose. « M. de Roannez est tr^s content; et assu-
r^ment on peut dire que lui et ses amis ont extr^mement
travaille... Nous allons encore faire une revue, monsieur
votre tils et moi, apres laquelle il n'y aura plus rien a
refaire, et je crois que notre dessein ne vous deplaira pas,
ni a M. Perier, puisque nous ne faisons rien autre chose
que de voir si Ton ne peut rien restiluer des fragments que
M. de Roannez a otes... n La seconde lettre de Brienne va
beaucoup plus loin. Tout en repetant sans cesse, comma
I'auteur de la preface, que rien n'a ete change ni au sens
PENSEES ALTEREES. 159
ni aux expressions de Pascal , Brienne avoue que ce qui a
dirige le travail de M. de Roannez et de ses amis n'est pas
moins que la pretention d'amener a la perfection des Pro-
vinciales les materiaux souvent informes que la mort avail
arraches, dix ans avant le temps, a la main de Pascal.
« Comme ce qu'on y a fait ne change en aucune faQon le
sens et les expressions de Tauteur, mais ne fait que les
eclaircir et left embellir, et qu'il est certain que , s'il vivoit
encore, il souscriroit sans difficulte a tous ces petits embel-
lissements et eclaircissemenis qu'on a donnes a ses pensees,
et qu'il les auroit mises lui-m^me en cat etat s'ilavoit vecu
davantage, et s'il avoiteu le loisir de les repasser, puisqu'on
n'y a rien mis que de necessaire et qui ne vint natureliement
a Tesprit a la premiere lecture qu on fait de ces fragments,
je ne vois pas que vous puissiez raisonnablement, et par un
scrupule que vous me permettrez de dire qu'il seroit tr6s
mal fonde, vous opposer a la gloire de celui que vous aimez.
Les autres ouvrages que nous avons de lui nous disent assez
qu'il n'auroit point laisse ses premitos pejisees en Tetat oil
illes avoit ecrites d'abord; et quand nous n'aurions que
Texemple de la xvni^ lettre^ qu'il a refaite jusqu'a treize
fois, nous serions trop forts, et nous aurions droit de vous
dire que I'auteur seroit parfaitement d'accord avec ceux
qui ont ose faire dans ses ecrils ces petites corrections, s'ii
etoit encore en etat de pouvoir nous dire lui-meme son avis.
G'est, Madame, ce qui a fait que je me suis rendu au sen-
timent de M. de Roannez, de M. Arnanld, de M. Nicole, de
M.Dubois, et de M. de la Chaise, qui tousconviennentd'une
voix que les pensees de M. Pascal sont mieux qu elles
n'etoient... On ne blessera point la sincerite chretienne,.
1. La xviiie Provinciale. Renseignement pr^cieux.
m MS PENStlES DE PASCAL. RAPPORT -IL
meme la plus exacte, en disant qu'on donne ces fragments
tels qu'on les a trouves et qu'ils sont sorlis des mains de
Tauteur, et le reste que vous dites si bien et d'une maniere
si agreable que vous m'entraincriez a votre sentiment^ pour
peu que je visse que le ruonde fut capable d'entrer dans les
soupcons que vous apprehendez... Quand vous verrezapr^s
cela la preface qu'on a faite.,.^ vous ne vous contenterez
pas de donner les mains a ce qu'on a fait, mais vous en
aurez de la joie... J^ai examine, ajoute Brienne, qui, a ce
qu'il parait, s'etait d'abord declare avec M""^ Perier contra
loute alteration du texte de Pascal, j'ai examine les correc-
tions avec un front aussi rechigne que vous auriez pu faire ;
j'etois aussi prevenu et aussi chagrin que vous contre ceux
qui ont ose se rendre, de leur autorite privee et sans votre
aveu, les correcteurs de M. Pascal; niais j'ai trouve leurs
changements et leurs enibellissemenis si raisonnables que
mon chagrin a bientol ete dissipe, et que j'ai ete force,
malgre que j'en cusse, a changer ma mahgnite en recon-
noissance et en estime pour ces memos personnes, que j'ai
reconnu n'avoir eu que la gloire de monsieur votre frereen
vue en tout ce qu'ils ont fait. J'esp^re que M. Perier et vous
en jugerez tout comnie moi, et ne voudrez phis apr^s qu'on
rctarde I'impression du plus bel ouvrage qui fut jamais...
Si j'avois cru M. de Roannez et tons vos amis, c'est-a-dire
M. Arnauld et M. Nicole, qui n'ont qu'un meme sentiment
sur cette affaire, quoique ces derniers craignent plus que
M. de Roannez derien fairc qui vous puisse deplaire, parce
que peut-etre ils ne sont pas aussi assures que M. de Roan-
nez dit qu'il Test que vous trouverez bon tout ce qu'il fera;
si, dis-je, je les avois crus, les Pensees de M. Pascal seroient
bien avancees dlmprinier... w
Un passage de cette lettre nous apprend que M""' Poriev
PENSEES ALTEREES. 161
regardait le travail de M. de Roannez comme un grand
commentaire ; et certainement Topiniatrete avcc laquelle
Etienne Perier, suivant cette meme letlre^ resiste, au noin
de la famille^ aux amis de Pascal, prouve qu'il ne s'agissait
pas seulement de retrancher les peusees trop imparfaites et
de mettre les autres en quelque sorte d'ordre^ comme dit
la preface : « Je dois vous dire, ecrit Brienne en post-scrip-
ium, que monsieur votre fils est bien aise de se voir au
bout de ses soUicitations aupres de moi et de vos autres
amis, et de n'etre plus oblige a nous tenir tete avec Topi-
niatrete qu'il faisoit , et dont nous ne penetrions pas bien
lesraisons; car la force de la verite robligeoit h se rendre,
et cependant il ne se rendoit pas et revenoit toujours a la
charge; et la chose alloit quelquefois si loin que nous ne le
regardions plus comme un Normand, mais encore comme
le plus opiniatre Auvergnat qui fut jamais. »
M. et M'"^ Perier cederent a I'avis de leurs amis par de-
ference plus que par conviction; et on voit, par la lettre que
nous avons citee du benedictin Touttee a I'abbe Perier, que
celui-ci etait si peu satisfait qu'en \li I, apres la mort de
ces Messieurs, il songeait a publier les fragments qu'ils
avaient supprimes ainsi que d'autres morceaux trouves
parmi les papiers de Pascal * ,
La lettre d'Arnauld annonce, et justifie peut-etre, des
adoucissements, des suppressions meme; mais elle n'ex-
plique point le retranchement de tant de beaux passages
que le p^re Desmolets a depuis imprimes; elle n'explique
point surtout les malheureuses corrections de style que
1. Etienne Perier est le fils aine de M. et M^^ Perier, neveu et
eleve de Pascal j 11 raourut ea 1680; I'abbe Perier est le frere du prece-
dent, mort bien plus tard, chanoine de la cathedrale de Clermont,
en 1713. Voyez plus bas: Documents inc'dits sur Pascal et sa famille.
i\
162 DES PENSfeES DE PASCAL. RAPPORT-II.
nous aurons a signaler tout a Tbeure. II est impossible de
les iniputer a des homines tels qu'Arnauld et Nicole. C'esl
qu'ils n'eurent pas una part aussi grande qu'on le croit an
travail de la premiere edition, et que le veritable auteur de
cette edition fut le due de Roannez. Dans les deux lettres
de Brienne, le due de Roannez est toujours sur le premier
plan; il vent suppleer Pascal ; dans son zele aveugle et im-
patient il est d'avis de passer oud'e a toutes les observations
de M. et M""^ Perier. Lui seul avait pu communiquer les
lettres ecrites par Pascal a sa soeur, M''*" de Roannez; et
c'est lui vraisemblablement qui en a tire tant d'admirables
pensees qu'il a gatees en y touchant, comme nousTavons
vu dans la premiere partie de ce rapport. La tradition con-
stante de Port-Royal lui attribue le principal role danstoute
cette affaire. Le Recueil d'Utrecht dit positivement, p, 354:
« M. de Roannez eut le plus de part a ce travail, mais il fut
seconde par MM. Arnauld, Nicole, de Treville, Dubois, de
la Chaise et Perier Taine. » Ces differents noms se retrou-
vent avec plusieurs autres dans une lettre inedite ecritepar
MM. Louis et Blaise Perier a leur mere M"'* Perier, pour la
consulter sur la liste des personnes auxquelles il convien-
drait de faire present d'un ou de plusieurs exemplaires des
Pensees, selon la part plus ou moins grande qu'elles avaient
prise a leur publication'. Cette meme lettre nous apprend
qu'Arnauld etait toujours fort occupe, et qu'il n'a pas le
1. Fonds de TOratoire, 160, no 17, 6^ cahier; et Memoires de Margue-
rite Perier, p. 192: « Nous avons parle a M. Guelphe sur les presents
que nous devons faire des Pensees : il nous a dit qu'on n'en donne
guere qu'aux amis particuliers. Nous lui avons demande s'il en falloit
donner plusieurs : il nous a dit que, pom^ M. Arnauld, nous lui en
pouvions donner deux ou trois. A oici la liste que nous avions faite de
ceux qui nous sont venus dans I'esprit, dont yous retrancherez ou
ajouterez ceux que vous jugerez a propos : MM. Arnauld, Guelphe,
de Roannes, de la Chaise, de Treville (qui assista a Texamen qui se
PENSEES ALTEREES. 168
loisir d'examiner une nouvelle difficulte qui s'elevait. II
est trfes-probable qu' Arnauld et Nicole donnerent seulement
leur avis siir des points qui importaient a la foi ou a Tin-
teret du parti, et qu'iis remirent tout le reste au due de
Roannez, qui n'avaitrien a faire et dont le zele pour la me-
moire de Pascal leur etait connu. Nous avons vu que Brienne
lui-meme avait eu ici quelque influence. Brienne etait un
homme d'esprit, a moitie fou; le due de Roannez, ardent
et borne; tons les autres, des liommes judicieux, iiiais me-
diocres, a I'exception de Nicole ct d'Arnauld , dont le pre-
mier joignait a un sens exquis un gout et une delicatesse
peu commune, et le second avait de la grandeur dans
Tesprit comn.e dans le caractere; tous deux distraits par
une foule d'autres travaiix et par les querelies oii s'est con-
sumee leur vie. Voila done les hommes auxquels a ete livre
le manuscrit de Pascal, et qui souvent ont ose substituer
leur main a la sienne!
fit des Penser-s avec MM.-de la Chaise et Dnhois, et qui y donna de
tons avis); MM. Dubois, Nicole^ des Billettes, et M. le cure (de
Saiiit-Jacques-du-Hautpas), le P. Malebranche, le P. d'Urtej le P. Biol,
le P. Dugue, freri? de celui que nous avons vu a Clermont, avec qui
nous avons fait grande liaison; le P. Dubois, le P. Martin, le P. Ques-
nelj qui est aussi fort de nos amis; MM- Toisnard et Mesnard^ le P. de
TAge, MM. Touret et de Caumartin, madame de Saint-Loup. Nous ue
Savons s'il en faut donner a P.-R. des Ciiamps : si cela etoit, ce seroil
a MM. de Sacy, de Salute- Maithe ft deTilleniont.
« Nous avons parle a M. Arnauld de la Pensee de Montaigne, en lui
montrant les eudroits de Montaigne qui ont rapport a cela. \ oici comme
il Fa corrigee: Montaigne u'a pas tort quaud il liit que la coutuuje
doit etre suivie des la qu'elle est coutunie, etc.j pourvu qu'ori n'etende
pas cela a des choses qui seroient contraires au droit naturel ou di-
vin. 11 est vrai, etc.
« Comme M. Arnauld est toujours fort occupy et^qu'il u'a pas eu le
loisir de Leaucoup examiner cela. si mon frere pouvoit se donner la
peine d'y penser an peu, il y auroil encore assez de temps pour lece-
voir la repouse avant qu'on impiime. »
164 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT-II.
II faut tenir comptc aussi des circonstances au milieu
desqueiles parut la premiere edition. Louis XIY et le pape
avaient voulu terminer tons les ditferends des jesuites et
des jansenistes et les troubles de Teglise par la paix ce-
lebre appelee la paix de Clement IX. Povt-Royal avait le plus
grand interet a ne point reveiller des querelies mal assou-
pies. Or; Pascal avait ecrit au plus fort de ces querelies,
et on sait que son ardeur et sa consequence inflexible
avaient laisse bien loin derriere lui le zele plus tiniide ou
plus eclaire de ses amis. Ge qui n'avait ete qu'une defense
intrepide en 1660 ou 1665 pouvait paraitre une attaque
inutile et dangereuse en 1670. Port-Royal avait a garder
des menagements infniis. On le voit au soin avec lequel on
recueillit , en faveur des Pensees , des approbations de
plusieurs eveques et de docteurs en theologie' ; et encore,
apres tant de precautions , de retranchements , de correc-
tions, le livrCj au moment de paraitre, est en grand peril
d'echouer^ et I'archeveque de Paris tente d'en prevenir la
publication-.
II est pourtant difficile d'absoudre entierement les amis
de Pascal du reproche d'une excessive prudence. Car meme
en 1677 ^, ils empecherent M"'^ Perier d'imprimer la vie de
1. Voyez les approbations en tete de redition de Port-Royal et les
lettres citees par Ic Uecueil d'Utrechl, p. 351.
2. Recueil,etc. p. 356. « M. Perefixe fit qnelque avaDce pour en
arreter le d^lut..... » Ce passage est trop long pour etre cite; maisnous
sommes aussi charines de rencontrer il™e de Lougueville parmi les
personnes empressees asoutenirla puMication des Pensees que peu sur-
pris de voir Fenelon^ alors hien Jeuneabbe, les accuser de janseaisme.
3. Voici ce que nous trouvons dans une lettre inedite de MIL Louis et
Blaise Perier a leur mere, du 8 mars 1G77 : a 11 y avoit deja quelque
temps que nous avions parle de la vie (la vie de Pascal par sa sceur)
a ces Messieurs (Roaimes, Arnauld, Nicole et Dubois), mais a chacua
d'eux separemeut ; ils ue uous avoient douue aucune reponse positive la-
son frere^ cette vie ecrite d'une maniere si naive et si tou-
chante, et qui nous a conserve tant do precieux details et
aussi tant de belles paroles de Pascal. lis craignaientqu'elle
ne reveillat les ombrages de Tautorite a Tendroit du jan-
senisme^ et il ne semble pas qu'ils aient senti le merite et
rinteret de ce recit.
Toutes les infidelites que promettent nne prudence pous-
see aussi loin^ des circonstances aussi difficiies, une si
etrange maniere de comprendre les devoirs d'editeur^ et
des mains aussi inhabiles, une comparaison attentive de
Tedition de Port-Royal et du manuscrit autographe de
Pascal va les faire paraitre.
Mais soyons juste avant tout_, et hatons-nous de recon-
naitre que, parmi tant de corrections^ il en est plusieurs en
fort petit nombre, que le bon sens siiggerait et qu'il y
aurait eu de la superstition a s'interdire^ meme envers un
ouvrage auquel Pascal aurait mis la derniere main, a plus
forte raison envers des notes souvent tres imparfaites. Nous
sommes loin de blamer Port-Royal d'avoir ote one erreur
de fait insignifiante on eclairci ime expression obscure. II
fallait bien aussi terminer une phrase interrompue. Nous
dessns, mais nous avoient temoigne que c'etoit une cliose de grande
consequence et a laquolle il falloit Leaucoup penser. Depuis ce temps-la^
s'6tant trouves tons ensemble chez M. Dubois^ ils examinerent fort cette
affairej, et conclurcnt a ne point imprimei', pour plusieurs laisons que
MM. de Boannez et Nicrde nous ont rappoitees... lis oonsiderent comine
une chose facheuse d'imprimer une Vie en ce temps-ci^ qu'elles sont
devenues si communes que Ton les regarde avec assez d'inditference,
parce que Ton s'imagiiie dans le monde que les parents ne les publient
que par une espece d'ambition outlevanite; enfin ils disent que cette
Vie en I'etat qu'on la donneroit, ne repondroit pas a I'idee qu'on s'en
formeroit d'abord, etc... Toutes ces raisons les ont determines a croire
qii'il n'est pas a propos de Timprimer preseutement... )>. Memoircs de
mademoiselle Perier, p. 10 et 11.
160 DES PKNSEES DE PASCAL. RAPPOKT — H.
admettons meme qu'on a pu donnrr quelquefoisa unenote
informe le tour et le caracl^re d'une penseo achevee. Ge
que nous blamons, ce sont les chaugements inutiles dont
Tunique motif est un caprice de gout que rien ne saurait
justifier; ce sont lea corrections qui alterent le style du
grand ecrivain, et sous pretexte de reclaircir, Tenervent,
Tallongent, Tallanguissent pour ainsi dire; ce sont surlout
les corrections qui bouleversent Tordre de ses idees, sepa-
rent ce qui etait uni^ unissent ce qui etait separe^ develop-
pent ce qui etait abrege , abregent ce qui etait developpe;
encore bien plus ces corrections meurtrieres qui detigurent
sa pensee, masquent son ame, et mettent le due de Roannez
ou Arnauld bii-meme a la place de Pascal.
Nous allons parcourir successivement ces diverses cate-
gories d'alterations, ces divers chefs d'accusation conlre
Port-Royal, et les etablir par un certain nornbre d'exemples
choisis entre mille que nous aurions pu citer, si nous n'eus-
sions craint de lasser la patience de TAcademie.
Commencons par relever les corrections necessaires.
Pascal laisse tomber de sa plume (Msc. p. 485) crs lignes
qu'il ne termine pas : « Jesus -Christ que les deux testa-
ments regardent, Tancien comme son attente, le nouveau
comme son modele, tous deux comme leur centre. » Port-
Royal etait condamne ou a elfacer ces lignes qui sont belles
quoique suspendues, ou a en faire la phrase suivante :
« Les deux testaments regardent Jesus -Christ, Pancien
comme son attenle, etc »(P.-R. ch, xiv. Bossut.
2^ part. X, 5.). 11 y a cent exemples de pareilles corrections,
si on pent donner ce nom a ces legers changements, qui
etaient indispensables.
Autre exemple a \wu pres dn meme genre :
Tl y a dans le manuscrit de Pascal (Msc. p. 265): « Non
PENSEKS ALTI'REES. 1G7
pas un abaissement qui nous rende incapable de bien^ ni
une saintele exempte de mal. » Port-Royal : « On ne irouve
pas dans la religion chrefienne un abaissement^ etc... »
(P.-R. III. B. S-^part. v, 3.)
Pascal, qui bait les mots d'enflure et les vaines peri-
phrases, a ecrit cette note concise, mais tres claire en
elle-meme (Msc. p. 213) : « Masquer toute la nature et la
deguiser; plus de roi, de pape, d'ev^que, mais auguste
monarque , etc.; point de Paris, capitale du royaume. »
Port-Royal a mis : a II y en a qui masquent toute la nature.
Iln^yapoinl de roi parnii eu.r^ mais w;* auguste monarque;
point de Paris^ mais iine capitale du royaume. » (P.-R.
ch. XXXI. B. P'*' part, x, 20.)
Port-Royal a bien fait aussi de nous epargner de legeres
erreurs de Pascal. Pascal avait dit: « Dieu fit ses promesses k
Abraham; et lorsque Sem vivait encore, Dieu envoyaMoise.o
Port-Royal corrigeTanachronisme dg cette derniere phrase
en la supprimant (P.-R. n. B., 2« part, iv, 5).
Pascal (Msc. p. 283): c< II n'yen apoint(d'etats) qui aient
dure mille ans. » Port-Royal: « U n'y en a point qui aient
dure quinze cents ans. » (P.-R. ch, n. B., 2« part, iv, 6.)
Pascal (Msc. p. 21): « Cesar etoit trop vieux, ce me
semble, pour aller s'amuser a conquerir le monde. Get
amusement etoit bon a Auguste on a Alexandre. G'etoient
des jeunes gens qu'il est difficile d'arreter. Mais Cesar
devoit etre plus mur. » Port-Royal rayo Auguste et ne iaisse
qu^Alexandre : « Get amusement etoit bon a Alexandre;
c'eloit un jeune komme qu'il etoit difficile d'arreter...))
( P.-R. ch. XXXI. B., 1'^ partie, ix, 47.)
Ailleurs Port -Royal tvouvant dans une phrase un trait
personnel, une allusion a peine intelligible, Tefiace avec
raison. Pascal: « Le moi est haissable. » Puis s^adressant a
168 DES Pi^NSfeES DE PASCAL. RAPPORT -II.
une personne, dont le nom est difficile a lire dans Tauto-
graphe et qui dans les copies est Marton ou MitonS Pascal
ajoute (I\lsc. p. 75) : « Vous le couvrez , vous ne Totez pas
pourcela: vous etes done toujourshaissable. » Port-Royal:
« Le moi est haissable : ainsi ceux qui ne Totentpas etqui
se contentent sculement de le couvrir, sont toujours hais-
sables. » (P.-R. xxi\. B., l^-^ part, it, 23.)
Voila des corrections qui, a la rigueur, peuvent etre
admises: mais combien d'autres sont inutiles ou vicieuses!
Quant aux corrections inutiles, etqui, parcela seal, sont
de^ja blamables, on pourrait en muitiplier les citations jiis-
qu'a rinfmi.
Pourquoi, lorsque Pascal prend un exeniple et que cet
exeniple est clair et sensible, le changer arbitrairement?
Pascal (Msc. p. 197) : a Toutes les fois que deux hommes
voient un corps changer de place, ils expriment tous deux
la vue de ce meme objet par les niemes mots, en disant
I'un et Tautre qu'il s'est mu... » Port-Royal: « Toutes les
fois que deux hommes voient ^^ar exewple de la neige, ils
expriment tous deux la vue de ce meme objet, en disant
Tun et autre qii'elle est blanche » (P.-R. xxxi. B.,
\'^ part. XI, 21.)
Tout le monde salt par coeur cette belle pensee sur
Cromwell qui s'en allait ravager toute la chretiente, sans
un petit grain de sable qui se mit dans son uretre. a Ce
petit gravier, dit le manuscrit de Pascal (Msc. p. 229), ce
petit gravier s'etant mis la, il est mort, sa famille abaissee
1. Dans un nutre endroit du manuscvit, nous trouvons encore, mais
(ruiio autre main que relle de Pascal (p. 4^(0) : « Marton voit bien
qne la nature est corvoinpue et que los hommes sont contraires a I'lion-
netetr; mais il ne salt pas poiiriiuoi ils ne peuvent voter phis liaat. »
SurMiton, voyez pins has : Dlsconrs de Pascal sur Vamow,
PENSEES ALTliREES. lC9
et le roi retabli. » On n^avait gu^re besoin de la correction
de Port-Royal : « Ce petit gravier, qui n^eioit iHen ailleurs^
mis en cet endroit, le voild mort » (P.-R. xxiv. B.
r^part. VI, 2.)
Pascal : « Toutes les autres religions ne Tont pu :
voyons ce que fera la sagesse de Dieu. » (Msc, p. 317.)
Qu'y a-t-il de preferable dans cette lecon de Port- Royal
(P.-R. ch. 11. B. 2® part, v, i.): « Voyons ce que nous dit
sur tout cela la sagesse de Dieu, qiii nous parle dans la
religion chretie^iue, »
Pascal (Msc. p. 199) : « Depuis deux niille ans, aucun
paienn'avoit adore leDieu desJuifs. n Port-Royal: « Depuis
deux mille ans le Dieu des Juifs ctoit denieurS inconnu
2)armi la Joule des nations paienes. » (P.-R. xv. B. 2^ part.
XI, 2.)
Pascal ' : aC'est une chose monstruense de voir dans un
meme coeur et en meme temps cette sensibilite pour les
moindres choses et cette etrange insensibilite pour les
plus grandes. » Port-Royal : « Cette etrange insensibilite
pour les choses les plus terribles dans un coeur si sensible
aux -plus legeres est une chose monstrueuse.j) (P.-R. ch. i.
B. 2" part, xii.)
Pascal (Msc. p. 57) : aJ.-G. est venu aveuglerceux qui
voient clair et donner la vue aux aveugles. » Pourquoi
Port-Royal a-t-il corrige ainsi? «J.-C. est venu afm que
ceux qui ne voyoient pas \issent, et que ceux qui voyoient
devinssent aveugles. » (P.-R.xviii. B. 2'part. xiii, 7.)
Pascal (Msc. p. 235) : « II y en a de faux et de vrais
(des miracles); il faut une marque, etc... » Port-Royal :
1. D'apr^s les deux copies; car nous n'avons pas trouve ce passage
dans le manuscrit.
170 OKSPFN'SEES DE PASCAL. RAPPORT — 11.
u II y a des miracles qui sont des preuves cerlaines de la
verit-c, II faut une marque, etc... » (P.-R. ch. xxvii. B.
2« part. XVI, 2.)
Pascal (Msc. p. 61) : « Ainsi non-seulement le z61e de
ceux qui le cherchent prouve Dieu, mais l'aveup:lement de
ceux qui ne le cherchent pas. » Port-Royal : « Ainsi non-
seulement le zele de ceux qui cherchent Dieu prouve la
veritable religion; mais aussi I'aveuglement de ceux qui
ne le cherchent pas, el qui virenl dans cetle horrible ne-
(jligence. » (P.-R. i. B. 2^ part. xn. )
Pascal (Msc. p. 139) : « Quand je me suis quelquefois
mis a considerer les diverses agitations des hommes, les
perils et les peines oii ils s'exposent a la cour, a la guerre,
d'oii naissent tant de querelles, etc.... » Port- Royal:
« ... a la cour, a la guerre et dans la poursuite de leurs
pretentio7is ambitieuses , d'ou naissent, etc... n (P.-R.
ch. XXVI. l3. r^ part, vii.)
Pascal (Msc. p. J69) : « Deux exces : exclure la raison ,
n'admettre que la raison. » Port-Royal: « Ce sont deux
exces eyaleinent dangercux d'exclure la raison, de n'ad-
mettre que la raison. » (P.-R. v. B. 2^ part, vi, 3.)
Voici maintenant de pretendues corrections incontesla-
hlement defectueuses. L'oi'dre que nous suivrons est celui
des alterations plus ou nioins graves que ces corrections
malheureuses out fait suhir au style de Pascal. Nouscom-
mencerons par celles qui tombent sur des expressions, sur
des tours, sur des phrases isolees.
Pascal (Msc. p. 199) : « Les enfants quittent la maison
delicate de leurs peres pour alter dans Fausterite d'un de-
sert. » Port- Royal ute ce qu'il y a de distingue dans ce
langage pour dire avec une simplicite vulgaire : « Les
enfants abandonnenl la maison de leur pere pour aller
PLNSKES ALTERfeES. 171
vivre dans les deserts. » (P.-R. xv, B. 2^ part, n, 2.)
Oil Pascal met le mot propre, Port-Royal substitue sou-
vent une periphrase. Pascal (Msc. p. 359) : « De la vient
que presqiie tous les philosophes confondent les idees des
choses et parlent des choses corporelles spirituellement et
des spirituelles corporellement. » Port- Royal : « Cest
CpfJe composition (Vesprii ct de corps qui fait que presque
tons les philosophes ont confondu les idees des choses et
attribue aux corps ce qui n'tippartient qu'aux esprits ,
et aux esprits ce qui ri'ap part tent qu^aux corps. » (P.-R.
XXXI. B. 1'^^ part, vi, 26.)
Pascal emploie toujours Texpression la pins juste qui
se trouve ordirialrement la plus frappanle. Le plus petit
changement apporte a une expression vraie la gate. Pascal
(Msc. p. 261) : a Le noeud de notre condition prend ses
replis etses tours dans cetabime...)) Port-Royal: «... prend
ses retours et ses piis dans cet abime. )> (P.-R. ni. B. 2"
part. Vj 4.) Mais si on dit fort bien les replis et les tours
d'un noeud, qu'est-ce que les p lis d\m nceud et surtout ses
retours? 11 n'y a la que quelques lettres de changees; mais
la verite de I'expression a disparu et avec elle toutc la viva-
cite de rimage.
II ne faut pas fuir les termes familiers; presque toujours
ils expriment plus nettement ce qu'on veut dire, et quel-
quefois dans un morceau serieux un terme familier, vul-
gaire meme, bien place, ajoute a Teffet.
Pascal (Msc. p. 217) : « II est si vain et si leger (I'homme)
qu'etant plein de mille causes essentielles d'enuui , hi
moindre chose ^ comme un billard on une balle qn'il
pousse, suflisent pour le divertir '. » Port-Royal : « ... La
1. Cette Pens^e est une de celles qui, dans le manuscrit, ne sont pas
ecritespar Pascal lui-meme; mais elle est corrigee de sa main. 11 y
\n DltS PENSEES DE PASCAL. KAPPPOBT— II.
rnoindre bagaielle siiffit ponr le diverfir. (P.-R. xxvi. B. 1"^^
part. VII J I. )
Pascal : « Si on y songo trop, on s'entete et on s'en
coiffe. » { Msc. p. 35r). ) Port-Royal : « Si on y songe trop,
on s'entete et on iie pent trovver la verite. » (P.-R. ch.xxv.
B. V^ part. VI, 2.)
Pascal (Msc. p. 133) : c Un bomme flans un cachot, ne
sachant si son arret est donne, n'ayant plus qu'iine heure
pour Tapprendre, cette heure suffisant, s^il sait qu'il est
donne , ponr le faire revoquer, il est eontre nature qu'il
emploie cette heure- la ^ non a s'inforiner si Tarret est
donne, mais a jouer au piquet. » Port-Royal : « Mais a
jover et a se (Uvertir. » (P.-R. i. B. 2^ part, ii.)
Pascal (Msc. p. 133) : « Ce n'est pas Pamusement seul
qu'il cherche; un amusement languissant Pennuiera; il
faut qu'il s'y echauffe, qu'il se pique lui-m^me, qu'il se
forme un sujel de passion et qu'il excite sur cela son desir,
sa colere , sa crainte pour I'objet qu'il s'est forme , comma
les enfants qui s'effraient du visage qu'ils ont barbouille. »
Port-Royal : a Qu'il se forme un objet de passion qui
excite son desir, sa crainte, son esperance,» (P.-R. ch. xwii.
B. I^e part, vu, 3.)
Port-Royal (chap, xxxi) : « On ne s'imagine (Vorclinaire
Platon et Aristote qu'avcc de grandes robes et cowme des
personnages toiijours graves et serieux. » Pascal (Msc.
p. 137) : a On ne s'imagine Platon et Aristote qu'avec de
grandes robes de pedants. »
Pascal nous peint le petit nombre des inventeurs n'ob-
tenant point du grand nombre qui n'invento pas la gloire
avail il'ahniil : eorame un cluen, urir haUp, un iiirro, siiffiseiit... Lni-
ineme a substitue : commc un billard et iine balk quil povssCj suf-
fiseut....
PENSEES ALTEREES. 178
qu'ils meriteni et qu'ils cherchent par leurs inventions.
S'obslinent-ils, traitent-ils avec mepris ceux qui n'inventent
pas? aLesautres, dit Pascal (Msc. p. M\) , leur donne-
roient des noms ridicules , leur donneroient des coups de
b^ton. Qu'on ne se pique done pas...)) Port-Royal (ch. xxxi.
B. !»■« part, vni^ 20) : « Tout ce quits y gagnent, cest qii'on
leur donne des noms ridicules et qu'on les traite de vision-
naires. W faut done bien se garder de se piquer de cet avan-
tage, etc... ))
Pascal (Msc. p. 231) : « Les devots qui ont plus de zele
que de science. » P.-R. (ch. xxix^ § 2^ B. l""^ part, viiij 3) :
c< Certains zeles qui n'ont pas grande connoissance-. »
Gomme Port-Royal a peur du mot de devots, a plus forte
raison craint-il de toucher aux predicateurs, et de les mon-
trer menie une seule fois et par hasard la voix enrouee,
mal rases et barbouilles : a ce predicateur Port-Royal sub-
stitue un avocat, '
Port-Royal (ch. xxv. B. l""^ part, vi^ 11) : a Ne diriez-vous
pas que ce magistrate dont la vieillesse venerable impose
le respect a tout un peupie^ se gouverne par une raison
pure et sublime, et qu'il juge des choses par lui-meme,
sans s'arreter aux vaines circonstances qui ne blessent que
I'imagination des faibles? Voyez-le entrer dans Laplace ou it
doit rendre la justice. Le voila pret a ouir avec une gravite
exemplaire. Si Vavocat vient a paroitre et que la nature
lui ait donne une voix enrouee et un tour de visage bizarre^
et que son barbier l^ait mal rase, et si le hasard I'a encore
barbouille^ je parie la perte de la gravite du inagistrat. ))
Pascal (Msc. p. 362) : a Voyez-le entrer dans un ser-
mon oil il apporte un zele tout devot, renforgant la soli-
dite de la raison par I'ardeur de la charite : le voila pret a
Pouir avec un respect exemplaire. Que si le predicateur
174 DES PENSfeES DE PASCAL. RAPPORT -II.
vient a paroitre, et que la nature lui ait donne une voix
enrouee et un lour de visage bizarre, que son barbier I'ait
mal rase, et si le hasard I'a barbouille de mrcroit.^ quelque
grande verite quit annoiicr, je parie la perte de la gravite
de notresrnateur. n
II semble que Port-Royal prenne a tache d'amortir la
vivacite naturelle du style de Pascal. Pascal ne peut ecrire
quelqnes lignes sans s'animer et eclater bientOt en tours
energiques; il se met lui -nienie en scene. Port-Royal re-
tourne coiitre hii sa inaxime qu'il ne faut pas parler de soi-
meme; il etface la personnabte de Pascal, et ramene son
langage incisif et anime a la mani^re de parler de tout le
monde. Voici quelqups exeniples de cette metamorphose
que Port-Royal fait subir a Pascal :
Pascal (Msc. p. 133) : « Tel homme passe sa vie sans
ennui en jonant tons Ics jours pen de chose. Donnez lui
tons les matins Targent qu'il peut gagner cbaque jour a la
charge qn'il ne joue point, vous le rendrez nialheureux. »
Port-Royal : « Tel homme passe sa vie sans ennui en jouant
tons les jours peu de chose, qii'on rendrait malheureux
en lui doniiant tons les matins I'argent qu'il peut gagner
chaque jour, a la condition de ne pas jouer. » (P.-R. xxv.
B. i" partie. vn, 3.)
Pascal ( Msc. p. 322 ) : « Si vous Tavez bien sincere ( la vue
de notre bassesse), suivez-la aussi loin que moi, et recon-
noissez,etc.» Port-Royal: «S its (leshommes) Tout bien sin-
cere, qu'ils la suivent, etc. » (P.-R. iv, p. 45. B. 2*^ part, v, 12.)
Pascal (Msc. p. 45) : « Qn'ont-ils done a dire contre la
resurrection et contre I'enfantement de la Vierge? » Port-
Royal : « Je ne vois pas qu'il y ait plus de difficuhe de croire
la resurrection des corps el renfantement de la Vierge. »
(P.-R. XXVII. B. 2*= part, xxiii, 22.)
PENSEES ALTERtES. 175
Pascal (Msc. p. 33) : « Qu'ils se consolent (cenx qui
cherchent Dieu de tout leur cceur), je leur annonce une
heureuse nouvelle : il y a un liberatear pour eux... je leur
montrerai qu'il y a un Dieu pour eux... Je leur ferai voir
qu'un Messie a ete promis. » Port-Royal : « Qu'ils se con-
solent; il y a un liberateur pour eux; il y a un Dieu pour
eux; un Messie aetepromis.»(P.-R.xm. B. 2«part. ix, 17.)
Pascal (Msc. p. 2M) : « II est injuste quon s'altache a
moi, quoiqu'on le fasse avec plaisir et volontairenient; je
troiitperois ceux en qui je ferois naitre ce desir, car je ne
suis la fin de personne, et n'ai de quoi le satisfaire. Ne
siiis-je pas pr6t a mourir, et ainsi I'objet de leur attache-
ment mourra done ! » Pascal avait pris cctte pensee pour
la regie de sa vie interieure ; et pour Tavoir toujours pre-
senter il Tavait ecrite de sa main sur un petit papier separe,
comme nous I'apprend M""^ Perier, qui, dans la vie de son
frere, cite c6 morceau sans y rien changer. Port-Royal
n*a pas fait comme M"^ Perier; il a 6te le ton personnel
qui est sublime ici; il a eteinl dans les froideurs de Tab-
straction I'ardente melancolie de ce passage , qui senible
avoir ete ecrit au desert par la plume bridante de saint
Jer6me, ou par I'auteur de Tlmitation dans sa cellule.
Port-Royal : « II est injuste qu'on s'attache a 7iotfS, quoi-
qu'on le fasse avec plaisir et volontairement; nous tnnnpe-
rons ceux a qui nous enferons naitre le desir; car nous ne
sommes la fin de personne, et nous n'arons pas de quoi ies
satisfaire. Ne sowmes-nous pas prets a mourir, et ainsi
Tobjet de leur attachement mourroit. » (P.-R. xviii. B.
2* part. 3cvn, 4-9.)
Passons a des alterations plus graves encore , celles qui
degradent bien davantage le style de Pascal, soit par substi-
tution, soit par addition, soit par abreviation.
176 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT- II.
Pascal (Msc. p. 79) : « La seule chose qui nous consol
de nos miseres est ie divertissement, et c'est la plus grand
de nos miseres. » — Port-Royal : c< Les divertissements m
nous consolent de nos miseres qu'en nous causant une mi
sere plus reelle et plus effective. » (P.-R. xxvi. B. 1" part
vn, 3.)
Pascal * : « La plus grande bassesse de Thomme est h
recherche de la gloire, et e'est cela qui est la plus grand(
marque de son excellence.)) — Port-Royal : « Si, d' an cdte.
cette fausse gloire que les hommes recherchent est unt
grande marque de leur misere, e'en est une aussi de leui
excellence. » (P.-R. xxii. B. l'^^ part, iv, 5.)
Pascal (Msc. p. 83) : « Si on considere son ouvrage
incontinent apres Tavoir fait, on en est encore tout pre-
venu; s\ irop longtemps apres, on n'y enlre plus. Ainsi les
tableaux vus de trop loin ou de trop pres; et il n'y a qu'un
point indivisil)le qui soit Ie veritable lieu; les autres sent
trop pres, etc. » — P.-R. : «... II n'y a qu'un point indivi-
sible qui soit Ie veritable lieu de voir les tableaux; les
autres... » (P.-R. xxv. B. 1^* p. vi, 2.). Qu'est-ce que Ie lieu
de voir les tableaux ?
Pascal (Msc. p. 210) : « De la vient que Ie plaisir de la
solitude est une chose incomprehensible. » Port-Royal. « De
la vient qu^il y a si pen de personnes qui soient capables de
souffrir la solitude. » (P.-R xxvi. B. i*"^ part, vn, i.)
Pascal (Msc. 210) : « Voila tout ce que les hommes ont
pu inventer pour se rendre heureux. Et ceux qui font sui*
cela les philosophes et qui croient que Ie monde est bien
peu raisonnable de passer tout Ie jour a courir apres un
lievre qu'ils ne voudroient pas avoir achete, ne connoissent
1. D'aprcs les deux copies.
PENSEES ALTEUEES. 177
guere notre nature. Ce li^vre ne nous garantiroit pas de la
vue de la mort et des mis^res, mais la chasse nous en ga-
rantit; et ainsi, etc... ». Port-Royal change^ transpose, bou-
leverse toute cette phrase : « Voil^ tout ce que les hommes
ont pu inventer pour se rendre heureux. Et ceux qui
s^amusent simplement a montrer la vaniie et la bassesse
des divertissements des fiommes connoissent hien,, a la
verite, une partie de nos mi seres ; car c''en est une bien
grande que de pouvoir prendre plaisir a des choses si
basses et si meprisables ; mais Us n^en connoissent pas le
fond^ qui leur rend ces miseres memes necessaires^ tant
qu'ils ne sontpas gneris de cetle misere interieure et natu-
telle qui consiste a ne pouvoir souffrir la vue de soi-meme,
Ce li^vre qu'ils auroient achete ne les garantiroit pas de
cette vue; mais la chasse les en garantit. Ainsi^ etc... »
(P.-R.l. LB. 1. 1.)
Voici une pensee ou, dans Port- Royal meme^ I'energie
du langage serable avoir atteint sa derniere limite , et que
pourtant Pascal avait ecrite plus vive et plus energique
encore :
Port-Royal (ch. xxxi. Boss. 1'" part, vi^ 26): a Au lieu
de recevoir les idees des choses en nous, nous teignons
des qualites de notre etre compose toutes les choses simples
que nous contemplons. » Pascal (Msc. p. 360) : « ... nous
les teignons de nos quahtes , et empreignons de notre etre
compose toutes les choses simples que nous contemplons. »
Exemples d' additions oiseuses ou tout a fait vicieuses :
Pascal ( Msc. p. 451 ) : « II faut que les habiles soumettenf
leur esprit a la lettre. o Pourquoi ajouter a Pascal et lui
faire dire avec Port-Royal? « 11 faut... que les habiles sou-
mettent leur esprit a la lettre, en pratiquant ce qail y a
d!exterieur (P.-R. u. B. 2*^ part, iv, 3.) ».
12
178 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT -II.
Pascal (Msc. p. 1 ) : a En voyant raveuglement et la mi
s^re de Fhomme, et regardant tout Tunivers muet, etc... >:
Port-Royal introduit entre ces deux membres de phras(
cette addition : « En voyant Taveuglement et la misere dt
rhomme, et ces contrarietes etonnantes qui se decouvrem
dans sa nature , et regardant tout Tunivers muet... » (P.-R,
VIII. B. 2« part, vii^ 1.)
Pascal ( Msc. p. 21 ) : « Nous ne vivons jamais, nous
esperons de vivre, et nous disposant toujours a ^tre lieu-
reux, il est inevitable que nous ne le serons jamais. » Port-
Royal : « ... il est indubitable que nous ne le serons jamais,
si nans naspirons a une autre beatitude qnecelle donton
pevtjouir en cette vie. » (P.-R. xxiv. B. 1^^ part, vi, 5.)
Pascal ( Msc. p. 10 ) : t( Le conseil qu'on donnoit a Pyrrhus
de prendre le repos qu'il alloit chercher par taut de fati-
gues ;, recevoit bien des difficultes. » Port-Royal : « C'esf
pourquoi, lorsqiie Cyneas disoit a Pyrrhus, qui seproposoii
de jonir du repos avec ses amis apres avoir conquis une
grande partie du monde, qu'il feroit niieux d'avancer lui-
meme son bonheur en jouissant des lors de ce repos sans
Taller chercher par tant de fatigues, il lui donnoit un con-
seil qui recevoit de grandes difticultes et qui n'etoit guere
plus raisoniiable que le dessein de ce jeune ambitieux. L'ur
et I'autre supposoil que Thomme se put contenter de soi-
m^me et de ses biens presents sans remplir le vuide de son
Cceur d'esperances imaginaires, ce qui est faux. Pyrrhus ne
pouvoit etre heureux ni devanl ni apres avoir conquis le
monde. Et peut-etre quo la vie moUe que lui couseilloit soi]
ministre etoit encore moins capable de le satisfaire qm
Tagitaiion de tant de guerres et de tant de voyages qu'il me-
ditoit (P.-R. XXVI. B. 1'^ part, vii, 1.). » ~ Lorsqu'on voil
une si petite phrase devenir ainsi une pageentiere entre les
PENSEES ALTEREES. 179
mains des amis de Pascal ^ on comprend que ftl"'^ Perier
ait appele leur travail, non pas une edition, mais un com-
mentaire.
Nous n'avons voulu citer qu un tr^s-petitnombre d'addi-
tions, par menagement pour le lecteur mediocrement jaloux
de faire connaissance avec le style du due de Roannez et de
relire ici ce qu'il a dejk lu dans Tedition de Port-Royal. Nous
serons moins sobre d'exemples de suppressions et d'abrevia-
tions, puisque ces examples auront I'avantage de mettre au
jour de nouvelles lignes , quelquefois meiiie de nouvelles
phrases de Pascal, rejetees par Port-Royal, et dignes pour-
tant de Hgurer a c6te de celles qui sont en possession de
Tadmiration universelle.
Parmi les passages les plus adniiresj, nul ne I'a plus ete
et ne merite plus de Tetre que celui ou Pascal compare
Thomme a un roseau , mais a un roseau pensant. C'est un
des morceaux les plus accomplis qui soient sortis de sa
plume. Pascal est revenu a deux fois sur cette pensee; il
ne V'A quittee qu'apres Tavoir poitee a sa derniere perfec-
tion et Tavoir gravee a jamais. II est curieux d'en relrouver
dans un coin du manuscrit la premiere et imparfaite ebau-
che. La voici avec ce litre qui renferme d'abord la pensee
tout entiere (Msc. p. 165): Roseau pensant, « Ce n'est point
de Tespace que je dois chercher ma dignile^ mais c'est du
reglement de ma pensee. Je n'aurai pas davantage en pos-
sedant des terres par I'espace: i'univers me comprend et
m'edgloutit comme un point; par la pensee je le com-
prends. » C'est de cette ebauche deja si grande que Pascal
a tire le morceau sublime que Port-Royal a publie , en se
permettant d'en retrancher un trait qui achevait la pensee
etn'estpasindignedece qui Pentoure. Port-Koyal: « Toute
notre dignite consiste done dans la pensee. C'est de la qu'il
180 DES PENS^ES DE PASCAL. RAPPORT-It.
faut nous relever^ non de Tespace et de la duree (P. -I
xxxm. B. 1'^part. iv, 6.) ». Pascal avait ecrit (Msc. p. 63)
non de Tespace et de la duree^, que nous ne saurior
remplir, »
Pascal dit de rimagination (Msc. p. 361): « Elle a se
heureux et ses malheureux , ses sains^ ses malades^ S6
riches, ses pauvres; elle fait o^oire, douier^ nier la raison
elle suspend les sens, elle les fail sentir; elle a ses fous f
ses sages, » Port-Royal abrege ainsi : « Elle a ses heureu
et ses malheureux, ses sfuns, sos malades, ses riches, se
pauvres, ses fous et ses sages (P.-R. xxv. B. l'"^ pari
VI, 2.) ».
Pascal (Msc. p. 258) : a Cette neutrahte est Tessence d
la cabale (la secte des pynhoniens). Qui n'est pas contr
eux est excellemment pour eux. J/s ne sont pas pour eux
wpwes; Us sont neutres^ wdifferents, suspendus a tout
suns s'excepier. Que fera done rhomme... » Port-Royal
« Cette neutrahte est Fessence du pyrrhonismc. Qui n'es
pas contre eux est excellemment pour eux. Que far;
rhomme, etc (P,-R. eh. xxi. B. 2' part, i, 1.) ».
Pascal, sur Tennui attache a toute habitude (Msc. p. 252)
« Veloquence continue enmiie. Les princes et les roi
jouent quelquefois: ils ne sont pas toujours sur le trone; il
s^'y ennuieroient... » Port-Royal a supprime la premier
phrase: « L'eloquence continue ennuie (P.-R. xxxi. B
l""' part. IX, 49.) n.
Pascal, sur la condition d'un roi condamne a se diverti
(Msc. p. 139) : t< II tombera dans les vues qui le menacen
des revoltes qui peuveiii arriver, et enjin de la mort et de
maladies qui sont inevitables; de sorte que s'il est sans ci
qu'on appelle divertissement, le voila malheureux, et plu
malheureux que le moindre de ses sujets quijoue et qui s
PENSEES ALTEREES. l8l
divertit. » Port-Royal a tire de tout cela la petite phrase
suivanle : « II tombera par vecessiie dans les viies aftli-
geantes de ravenir, et^ si on ne I'occupe hors de lui, le
voila necessairement malheureux (P.-R. xxvi. B. l*"* part.
Pascal avait dit (Msc. p. 377) ; « Lui seul (Dieu) est son
veritable bien^ et depuis qu'il Ta quitte , c'est une chose
etrange qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait ete capable
de lui en tenir la place, astres^ del, terre, elements,
plantes, choux, poireaux, animaux, insecles, veaux, ser-
pents, fievre, peste, gnevrey famine, vices, adultere, inceslej
et depuis qu'il a perdu le vrai bien^ etc... » Gette iongue
nomenclature de toutes les choses dont I'homme a fait des
dieux, est fort mal a propos abregee dans Port-Royal, qui,
en suppriuiant les choses les plus ignobles que Pascal
n'avait pas craint de nonimer, supprime precisement les
cultes les plus extravagants oii Thomme s'egare lorsqu'il
quitte le vrai Dieu. En compensation de ces retranchements,
Port-Royal ajoute une phrase qui n*est guere du style de
Pascal : « C'est une chose etrange qu'il n'y a rien dans la
nature qui n'ait ete capable de tenir la place de la fin et
du bonheur de I'homme^ astres, elements, plantes, ani-
maux, insectes, maladies, guerre, vices, crimes, etc.
Uhomme eiant dechu de son etat nntarel, it ny a rien a
quoi il n^ait ete capable de se porter. Depuis qu^il a perdu
le vrai bien... (P,-R. xxi. B. 2<= part, i, l.))5.
Pascal (Msc. p. 221) : « Le peuple a des opinions tres
saines : r d'avoir choisi le divertissement de la chasse
plut6t que la poesie , etc.; 2" d'avoir distingue les hommes
par le dehors, coinme par la noblesse ou le bien; 3" de
s'offenser pour avoir recu un soufflet, ou de tant desirer la
gloire. Mais cela est tres souhaitable a cause des autres
lS-2 DKS PENSEES I)E PASCAL. RAPPOUT — I(.
biens esscntiels qui y sont joints ; et un homnie qui a regi
un soufflet sans s'en ressentir est accable d'injures et de ne
cessites. » Port-Royal a craiut, sans doute, que le troisiemi
point mal compiis n'induisit en lentation^ et il I'a supprimi
(P.-R. ch. xxtx, § 6. \'^ part, vni, 15.).
A propos de cette prnst'c, si habitnelle dans Pascal, qui
les opinions du peuple sont tres saines, Condorcet a le pre
mier publie le inorceau suivant qu'avait retranche Port
Royal (C. vii, I. B. 1'' part, vui, 1): « Nous aliens voi
que toutes les opinions du peuple sont tres saines; que 1(
peuple n'est pas si vain qu'on le dit; et ainsi Topinion qu
detruisoit celle du peuple sera elle-meme detruite. » d
n'est la, pour ainsi dire, qu'un extrait de la pensee de Pas
cal, qui^ fidelement reproduite, a un tout autre caraclere
une tout autre portee. Msc. p. 231. En titre a Renversf
ment continuel (hi pour au co7itre. — Nous avons doni
montre que Thomme est vain par I'estime qu'il fait de
choses qui ne sont point essentielles, et toutes ces opinion
sont detruites. Nous avons montre ensuite que toutes ce
opinions sont tres saines, et qu'ainsi toutes ces vanite
etant tres bien fondees, le peuple n'est pas si vain qu'o
dit; et ainsi nous avons detruit Topinion qui detruiso
celle du peuple. Mais il faut detruire maintenant cett
derniere proposition , et niontrer qu'il est toujours vrj
que le peuple est vain quoique ses opinions soient sa
nes, etc »
Port-Royal (xxvn. B. \'^ part, vn, i): « Un gentilhomn:
croit sincerenient qu'il y a quelque chose de grand etc
noble a la cliasse; il dira que c'est un plaisir royal. » Pa
cal (Msc. p- 209]: « [.e genlilhomnie croit sincereine;
que la chasse est un plaisir grand, un plaisir royal; ma
son picgueur n'est pas de ce senlimenl-la* «
PENSEES ALTEKEES. 183
Port-Royal (xxv. B. 1" part, vi^ 1-2) : a L'esprit du plus
grand homme du monde n'est pas si independant qu'il ne
soit siijet a etre trouble par le moindre tintamarre qui se
fait autour de lui.,. Si vous voulez qu'il puisse trouver la
verite, chassez cet animal qui tient sa raison en echec et
trouble cetle puissante intelligence qui gouverne les villes
et les royaumes. » Pascal (Msc. p. 79): « L'esprit de ce
souverain juge du /now^e n'est pas si independant et
trouble cette puissante intelligence qui gouverne les villes et
les royaumes. Le piaisant Dieu que voila! i idicolosis-
simo eroe ! o
Port-Royal ( xxxi. B. i" part, ix^ 55), en parlant de
Platon et d'Aristote ; « Quand ils ont fait leurs lois et leurs
traites de politique^ ^a ete en jouant et pour se divertir.
C'etait la partie la moins philosophe et la moins serieuse
de leur vie; le plus philosophe etait de vivre simplement et
tranquillement. » Pascal (Msc. p. 137) : « Quand iis se sont
divertis a faire leurs lois et leurs politigues, ils I'ont fait en
se jouant. G'etoit la partie la moins philosophe simple-
ment et tranquillement. S'ils ont ecr it de politique, c'etoit
comme pour regler un hdpital de foux; et sils ont fait
semblant d'en parler comme d'une grande chose, c^est
quHls savoienl que les foux a qui ils par lo lent , pou-
voient etre rois et empereurs; ils entrent dans leurs prin-
cipes pour moderer leur folic au nwins mal quHlse pent. »
Port-Royal (xxviii. B. S*^ part, xvii, 35) termine ainsi un
paragraphe sur saint Athanase, sainie Therese , etc. :
M G'etoient des saints, disons-nous; ce n'est pas comme
nous, ft Pascal (Msc. p. 12) developpe Tallusion au temps
present: « G'etoient des saints, disons-nous; ce n'est pas
comme nous. Que se passoit-il done alors? Saint Ath'tnasc
eloit un homrae appele Athunase j accuse de plusieurs
J84 DES PENSEES t)E PASCAL RAPPORT-lt.
crimes, condamne en tel et tel concile pour tel et tel crim^
tous les eveques ij consentirent, et ie pape enfin. Que dit-o
a ceux qui resislent? Qu'ils tronblent la paix; quHhfo'i
schisme. »
Nous avons donne^ ce me semble, assez d'exemples d
changements inutiles ou defectueux qui alterent le texl
de Pascal par des substitutions, des additions et des su{
pressions malheureuses. Nous allons niaintenant rendi
compte de changements qui ne portent plus sur des phras(
isolees et des morceaux de peu d'etendue^, mais sur dt
fragments considerables et presque sur des chapitres ei
tiers. Nous allons montrer Port -Royal, tantot brisant i
decomposant de longs morceaux fortement travailles <
complets en eux-niemes, comme avec le regret derencoi
trer des debris trop bien conserves de la deruiere oeuvi
de Pascal; tantot, et comme par un sentiment contrair
dans I'anibitieux dessein de construire rm edifice la c
Pascal n'avait laisse que des materJaux, prenant avec pli
ou moins de discernement des fragments distincts et sai
beancoup d'analogie entre eux, pour en composer un to
qui n'apparticnt point a Pascal et laisse voir a un oeilatten
la discordance interieure d'elements etrangera arbitrair
meut reunis. Donnons quelques exemples de ces comp(
sitions mensongeres.
Onvrez Port-Royal : lisez le chapitre vni (P.-R. eh. vi
B. ^^ part, vn, i), oil Pascal nous peint un homme qu'i
aurait porte endornii dans une ile deserte et qui s'eve
lerait sans savoir ou il est, au milieu de creatures semblabl
a lui et qui n'en savent pas plus que lui, s'adressant vain
ment a elks pour ea obtenir quelques lumieres. Les bea
tes de detail de ce cbajjitre, et surtout du 1" paragrapli
tant de fois cite, tiompent sur I'uuite de Pensemble. Or
PENSlilES ALTKR^ES. 1«S
premier paragraphe, dans son etat acluel, n'est point de
Pascal. II est compose de deux fragments entierement dis-
tincls. Tun sur un honime qui s'eveillerait tout a coup dans
une ile effroyable^ et demanderait en vain a tout ce qui
I'entoure les moyens d'en sortir; I'autre sur I'impuissance
de nos semblables a nous donner le bonheur. Gitons le der-
nier fragment tel qu'il est dans le manuscrit autographe
(Msc. p. 63) : « Nous sommes plaisants de nous reposer
dans la soeiete de nos semblables, miserables comme nous,
impuissants comme nous, lis ne nous aideront pas a mou-
rir; on mourra seul; il faut done faire comme si Ton etoit
seul; et alors batiroit-on des maisons superbes? on cher-
cHeroit la verite; etc... ». li fallait publier separement ces
sombres reflexions, ou les mettre a cote du morceau pre-
cedemment cite sur ia vanite et rinjustice de rattacheinent
d'un homme pour un homme. Au lieu de cela, Port-Royal
les transporte au milieu du l^"" paragmphe du chap, vni, et,
pour les y rattacher, leur donne le ton et le mouvement de
tout le reste. L'homme qui s'eveille dans Tile deserte
s'exprime ainsi dans le manuscrit: « Je vois d'autres per-
sonnes aupres de moi, de semblable nature; je leur de-
mande s'ils sont mieux instruits que moi ; ils me disent que
non; et sur cela ces miserables egares, ayant regarde
autour d'eux et ayant vu quelques objets plaisants, s'y sont
donnes et s'y sont attaches. Pour moi je n'ai pu y prendre
d'attache, et, considerant combien il y a plus d'apparence
qu'il y a autre chose que ce que je vois, j'ai recherche si ce
Dieu n'auroit point laisse quelque trace de soi... » Port-
Royal brise cette derniere phrase, n'en conserve que les
premiers mots : a Pour moi je n'ai pu. . . » et a ce commen-
cement il reunit Tautre fragment, qu'il arrange ainsi:
c( Pour moi je n'ai pu m'y arreter, ni me reposer dans la
186 PES PF.NSKES DE PASCAL. RAPPORT — II.
societe de ces pei'sonnes semblables a moi, miseral"
comnie moi, inipiiissaiites comme moi; je vols qu'iis
m'aideroient pas a mourir. Je mourrai seul: il faut d(
faire comme si j'etois seul ; or, si j'etois sen!, je iie batir
pasde maisons, je ne m'enibarrasserois pas dans des oc
pations turn iiltiiaires;jenechercberoisrestimede person;
n)ais je t^cherois seidement a decouvrir la verite... » II
assez etrange de faire dire a un homme qui est dansune
deserte qu'il ne batii';^it point de maisons, qu'il ne s^emli
rasserait pas dans ries occupations tumultuaires, etc. J
marquons aussi que Port-Royal, qui ote si souvent iej
Pascal, le lui impose ici.
Voila un tout bien artiticiel dontle manuscrit autograp
n^a fourni que les elements. En voici un autre plus ai
ficiel encore.
On trouve a part dans le manuscrit un fragment sui
pyrrhonisme (p. 257), ainsi qu'un autre sous ce titr
« Que rhomme sans la foi ne peut connoitre le vrai bier
la justice (Msc. p. 377.) n. Que fait Port- Royal ? Au li
de publier separement ces deux fragments, qui n^ont auc
lien entre eux, il les reunit forcement (P.-R. ch. xxi;
2*^ part, i ), a I'aide de cette transition grossi^re : « Vc
ce qu^est Thomme a Tegard de la verite ; considerons
maintenant a I'egard de la felicite, qu'il recherche avec ti
d'ardeur dans toutes ses actions. »
II y a plus : non-seulement de ces deux fragments c
tincts, Port-Royal compose un ensemble faux, mais il
donne pas meme cbacun d'eux tel qu'il est. Au milieu
fragnjent sur le pyrrhonisme, avant le paragraphe qui co
mence ainsi : « Voila done la guerre ouverte entre
hommes », Port-Royal, rencontrant le mot de dogmatist
a Toccasion de ce mot, va prendre dans le manuscrit un m
PENSEES ALTEREES. 187
ceau tout different sur les dogniatistes, et Tintercale au
milieu du fragment sur le pyrrhonisme. Dans le morceau
sur les dogmatistes, Pascal parlait en son iioni et exprimait
des principes qui luisoiit propres; Port-Royal met ces prin-
cipes dans la bouche des dogmatistes, et par la ii se con-
damne a diverses alterations qui defigurent la pensee de
Pascal, et qui pourtant ne la ram^nent pas entierement a la
pensee ordinaire du dogmatisme; de telle sorte qu'au fond
ni Pascal, ni les dogmatistes, ni surtout la critique philo-
sophique et iitteraire ne peuvent trouver leur compte dans
ces incroyables arrangements.
II en est de meme de Tautre fragment sur le vrai bien
de rhomme. Port -Royal en rompt Tunite pour introduire
entre deux phrases, qui sont inseparables, un petit mor-
ceau sur les trois concupiscences (Msc. p. '275) que sui\ ent
tons les philosophcs, en otant a ce petit morceau sa forme
propre pour lui donnercelle du fragment plus considerable
auquel il le reunit.
Nous ne savons qu'un procede plus contraire au devoir
d'editeur que ces compositions factices; c'estcelui des de-
compositions que nous allons faire connaitre. Plus d'une
fois Port-Royal a rencontre dans le manuscrit d'assez longs
fragments, dont toutes les parties etaient bien encliainees
el presentaient une pensee unique et frappante. II aurait du
s estimer trop heureux de pouvoir recueillir dans leur in-
tegrite ces grands debris oil la main de Pascal etait plus
particulierement visible. Port- Royal , par je ne sais quelle
fatalite, apres avoir fait violence a Pascal pour former de
ses notes eparses des ensembles discordants, lui fait ici
de nouveau violence pour briser les grands touts qu il
trouvait presque.acheves, et en disperser les elements dans
des chapitres enti^rement ditferents entre eux. Voila ce
d8S 13ES PKNSKES DE PASCAL. UAPPORT-It.
qu'on n'aurait jamais pu croire^ ce que nous ne po
rions croire noiis-meme^ si le fait evident n'etait sous i
yeux.
Dans le manuscrit (p. 34-7-360) et dans les deux cop
est un morceau profondenicnt travaille, et d'une as
grande etendue , sur la situation de I'homnie au milieu
la nature et sur son impuissance a Tembrasser tout entie
La reviennent les deux intinis que nous avons deja ^
dans les Rellexions sur la geometrie , avec cette ditferei
que^ dans les Rellexions^ la double infinite de la nati
etait forteniciit niais brievement marquee^ tandis qu
elle est exposee avec de riches developpements qui re
plissent une doiizaine de pages de nos copies in-folio. C
encore la que se rencontrent et doi\ent en effct troui
leur place les admirables pensees sur les extremes (
nous fuient de loutes parts et dans les choses et dans
sciences^ et sur ia duplicite de notre etre compose q
nous projetons hoi's de nous et dont nous teignons ton
choses. Nulle part Pascal n'est plus grand et plus fin , p
ingenietix et phis magnifique. Nulle page des Provincia
n'est plus soignee que celles-la. D'ailleurs, pas un n
qui, de pves ou de loin^ regarde les querelles du teni]
Quelle bonne fortune pour Port-Royal, pour les amisde
gloire de Pascal, que hi rencontre d'un pareil chapih
Apparemment M. le due de Roannez s'est cru trop gra
seigneur pour se contentcr du role de simple editeur
Pascal. Possede de ta funeste manie de le suppleer et
le refaire , il a eu la barbarie d'oser mettre la main !
cechapitre, devant lequel se seraient inclines Platon
Rossuet. Le due de Roannez en a pris ce qui lui convene
a savoir tout le commencement a Hue rh6mme contem
done la nature entiere dans sa haute et pleine mujestt
PENSfiES ALTEREES. 189
(B. 1" part. iv)»^ dont il a fait les premieres pages du cha-
pitre XXII ^ intitule : Connoissance g&nerale de Vhomme.
II a bien voulu publier aussi ce passage : « Car eufm
qu'est-ce que rhomme dans la nature? Un neant a Tegard
de rinfini; un tout \ Tegard du neant; un milieu entre
rien et tout, etc. » Apres ce paragraphe, que le due de
Roannez a donne en Talterant comme tout le reste, on
trouve 5 dans Pascal , un morceau intimement lie au prece-
dent ^ et qui commence ainsi : « Manque d'avoir contemple
ces infinis, les hommes se sont portes temerairement a la
recherche de la nature^ comme s^ils avoient quelque pro-
portion avec elle » Suivent plusieurs paragraphes sur
les vains efforts de la science humaine^ ou le langage de
Pascal, qui sait descendre comme il sail monter, prendun
caractere tout different. II parait que cette simplicite n^a
pas charme le due de Roannez : il a supprime tout ce mor-
ceau que, depuis, le pere Desmolets a donne ^ mais separe-
ment et sans dire a quel ensemble il se rattachait, et en
supprimant meme, ce qui ne lui est pas ordinaire, un des
paragraphes (Desm. p. 303; B. suppl. 8, et l'«part. vi, 24-.).
Ici vient ie beau passage qui commence et fmit de cette
maniere : « On se croit naturellement bien plus capable
d'arriver au centre des choses que d'embrasser leur cir-
conference Les extremites se touchent et se reunissent
a force de s'etre eloignees, et se retrouvent en Dieu, et en
Dieu seulement. » Le due de Roannez veut bien faire grace
a ce morceau et il le public; mais oil le met-il? Croyez-
vous que ce soit en son rang^ au chapitre xxn? point du
tout; mais au chapitre xxxi, intitule : Pensees diverses,
Puisqu'ii etait dans un moment d^indulgence, pourquoi le
due de Roannez n'a-t-il pas sauve aussi, en le deportant oil
il lui aurait plu, le paragraphe qui suit celui-la dans le
190 DES PENSfeES DE PASCAL. RAPPORT — II.
manuscrit? « Connoissons done notreportee: noiissommes
qiielque chose et ne sommes pas lout; ce que nous avons
d'etre nous derobe la connoissance des premiers principes
qui naissent du neant , et le peu que nous avons d'etre nous
cache la vue de Tinfini. » Ni Desmolets, ni Condorcet, ni
Bossut^ n'ont donne ce paragraphe^ qui parait ici pour la
premiere fois.
Apres ces suppressions et cette dislocation, Pui't-Royal
revient au manuscrit, et en public de suite plusieurs pages,
qu'ii altere comme a Tord naire, et il en compose totite la
tin du chapitre xxii^ depuis ces mots : « Get etat, qui tient
le milieu entre deux extremes, se trouve en toutes nos
puissances... » jusqu'a ceux-ci : « Mais tout notre editice
craque et la terre s'ouvre jusqu'aux abimes. » Ainsi se ter-
mine le chapitre xxii, tandis que le grand fragment de
notre manuscrit ne se termine point la. En le suivant pied
a pied , nous rencontrons d'abord quatre paragraphes dont
voici le premier et le quatrieme : « Ne cherchons done
point d'assuraiice et de fermetc; notre raison est toujours
decue par I'inconstance des apparences. Kien ne peut fixer
ie fini entre les deux infinis, qui Tenferment et le fuient
Dans la vue de ces infinis, tons Ics fmis sont egaux, et je ne
vois pas pourquoi asseoir son imagination sur Tun plut6t
que sur I'autre. La seule comparaison que nous faisons de
nous au fini nous fait peine. » Ce n'est point Desmolets,
c'est Gondorcet qui a public le premier ces quatre para-
graphes.
Viennent ensuite dans le manuscrit trois pages in-folio,
tres bien liees et fort travaillees , a en juger par les baires
et les ratures. En voici le commencement et la fin : a Si
Fhomme s'etudioit le premier, il verroit combien il est in-
capable de passer outre. Gomnient se pourroit-il fairs
PENSEES ALTEREES. I9i
qu'une partie connul le tout? Mais il aspirera pent-^tre ^
connoitre au moins les parties avec iesquelles il a de la
proportion. Mais les parties du monde ont toutes un tel
rapport et un tel enchainement I'une avec I'autre, que je
crois impossible de connoitre Tune sans I'autre^ et sans le
tout... Qui ne croiroit^ a nous voir composer toutes choses
d'esprit et de corps , que ce melange-la nous seroit Lien
comprehensible? G'est neanmoins la chose que Ton coni-
prend le moins. L'homme est a lui-meme le plus prodi-
gieux objet de la nature. Car il ne pent concevoir ce que
c'est que corps et encore moins ce que c'est qu'esprit^ et
moins qu'aucune chose comme un corps pent etre uni avec
un esprit; c'est \k le comble de ses difficultes, et cepen-
dant c'est son propre etre : Modus quo corporibus adhceret
spiritus comprehendi ah hominibus non potest ; et hoc ta-
men homo est. »
Le due de Roannez a bien voulu se laisser toucher par
ces pages admirables et les mettre au jour; mais^ au lieu
de les placer dans le chapitre xxu^ a la suite du morceau
dont eiles font partie integrante, il les rejette dans le cha-
pitre XXXI, a la suite du petit paragraphe qu'il y avait deja
rejete, comme nous Tavons vu.
Enfin, dans le manuscrit, ce fragment a une conclusion
que Pascal a barree el qui est meme suivie d'un peiit para-
graphe destine aservirde transition a quelque autre cha-
pitre : « Voila une partie des causes qui rendent Thomme
si imbecile a connoitre la nature : elle est infinie en deux
mani^res, il est hni et limite; elle dure et se maintient per-
petuellement en son etre, il passe et est mortel ; les choses
en particulier se corrompent et se changent a chaque in-
stant, il ne les voit qu'en passant ; elles ont leur principe
et lour fin, il ne connoit ni I'un ni raulrc; dies sont
192 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT-II.
simples, et il est compose de deux natures differentes.
Enfm, pour consommer la preuve de notre foiblesse, je
finirai par ces deux considerations... ».
La comparaison detailiee du manuscnt et de I'editionde
-1670 demoutre done ici, de la maniere la plus manifeste,
la profonde infidelite de Port-Royal, et avec quelle legerete
le due de Roannez et ses amis ont fraite Pascal. Us avaient
le bonheur de rencontrer un chapitre d'une certaine eten-
due et a peu pres acheve, et, au lieu de le reproduire
religieusement, ils Tont decompose, supprimant telle page,
releguant telle autre dans un autre endroit, puis renouant
a toule force le fd d'abord brise, puis le brisant encore,
pour le renouer sans plus de raison, aussi mensongers el
aussi artiticiels dans la decomposition que dans la compo-
sition, faisant arbitrairement des pensees detachees comma
tout a I'heure des touts incoberents. Desmolets et Condorcet
ont sauve du naufrage plusieurs paragrapbesqui avaient ete
rejetes par Port-Royal; mais, comme nous Tavonsdeja dit,
ni Fun ni Fautre n'ont averti du rapport que soutiennentles
fragments qu'ils publient avec ceuxde Port-Royal. EtBossut
qui, dans ses deux copies, a eu sous les yeux le chapitre en-
tier, au lieu de le restituer dans son integrite, s'est contente
de publier de nouveau tons les morceaux donnes par Port-
Royal, Desmolets et Condorcet, separes les uns des autres,
de telle sorte qu'aujourd'hui ce beau chapitre est eparpillti
de divers cotes dans les editions. Voila quel a ete le sort d'uii
des plus admi rabies fragments de Pascal, et encore n'avons-
nous pas parle des alterations de detail, qui sont intinies.
Nous nous bornerons a mentionner les plus frappantes.
Pascal : « Que Thomme contemple done la nature entim
dans sa haute et ploino majeste; qu'il eloigne sa vue des
objets bas qui I'environnent j qu'il regarde cette eclatantt
PENSfiES ALTERilES. 191*
lumi^re, etc. » Port-Royal : « Qu'il ne s'arrSte done pas a
regarder simplement les objets qui renvironnent ; qu'il
contemple la nature entiere dans sa haute et pleine majeste^
qu il considere cette eclatante lumiere^ etc. »
Pascal : « Tout le monde visible n'est qu'un trait imper-
ceptible dans Tample sein de la nature. Nulle idee n'en
approche. Nous avons beau enfler nos conceptions an de-
Id des espaces imaginables; nous n'enfantons que des
atomes, etc. » Port -Royal : a Tout ce que nous voyons du
monde n'est qu'un trait imperceptible dans I'ample sein de
la nature; nulle idee n'approche deCetendue de ses espaces.
Nous avons beau enfler nos conceptions, nous n'enfantons
que des atomes , etc. »
Pascal : a Qu'il se regarde comme egare dans ce canton
detourne de la nature^ et que, de ce petit cachot ou il se
trouve loge (j'entends I'univers), il apprenne a estimer la
terre^ les royaumes, les villes et soi-meme, son juste prix. »
Port-Royal : « Qu il se regarde comme egare dans ce can-
ton detourne de la nature, et que de ce que lui paraitra ce
petit cachot ou il se trouve loge, c'esi-d-dire ce monde
visible, il apprenne^ etc. »
Port-Royal : « Je veux lui faire voir la dedans un abime
nouveau. Je lui veux peindre non-seulement I'univers vi-
sible, mais encore tout ce qu'il est capable de concevoir de
I'imniensite de'la nature, dans I'enceinte de cet atome im-
perceptible. » Gombien de fois n'a-t-on pas cite avec admi-
ration cette expression deja si belle : « dans I'enceinte de
cet atome imperceptible? » Que dire de celle-ci, qui est la
veritable legon de Pascal : « dans I'enceinte de ce raccourci
d'atome?' »
1- Les deux copies : dfabime.
13
194 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — II.
Pascal: G Car en fin ^ qu'est-ce que Vhonime dans h
nature? Un neant a I'egard de Tinfini, un tout a Tegard di
neant^ un milieu entre rien et tout. Infiniment eloigne dc
comprendre les extremes, la fin des choses etleur principe
sont pour lui invinciblemenfc caches dans un secret impene-
trahle. II est egalement incapable de concevoir le neant d'op
il est tire et Tinfini oil il est englouti. » Port-Royal : « Gar
enfin, qu'est-ce que Thomme... un milieu entre rien et tout,
11 est infiniment eloigne des deux extremes; et son etre
n'est pas moins distant du neant d'oii il est tire que de
I'infini oil il est englouti. »
Pascal: « Nos sensn'aperc.oivent rien d'extreme. Tropde
bruit nous assourdit; trop de lumiere eblouit; trop de
distance et trop de proximite empeche la vue, trop de lon-
gueur et trop de brievete de discours I'obscurcit; trop de
verite nous etonne. J'en sais qui ne peuvenl comprendre
que, qui de zero ote quatre, reste zero. Les premiers prin-
cipes ont trop d'evidence pour nous. Trop de plaisir incom-
mode. Trop de consonnances deplaisent dans la musique,
et trop de bienfaits irritent; nous voulons avoir de quoi
surpasser ladette : beiieficia eo usque grata sunt dmn videnr
tur exsolvi posse; ubi multuw. anteverterint, pro gratia
odium rcddUur. Nous ne sentons ni I'extreme cliaud, ni
I'extreme froid, etc. »
Port-Royal a ainsi reduit tout ce morceau : « Nos sens
n'apercoivent rien d'extreme ; trop de bruit nous assourdit;
trop de lumiere nous eblouit; trop de distance et trop de
proximite empechent la vue; trop de longueur et tropde
brievete obscurcissent un discours; trop de plaisir incom-
mode, trop de cousonnances deplaisent. Nous ne sentong
ni Textreme chand, ni I'extreme froid, etc. »
Pascal : « Voila notre etat veritable. G'est ce qui nous
PENSEES ALTEKEES. 195
rend incapables de savoir certainement et d'ignorer abso-
lument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incer-
tains et tlottants^ pousses d\ia bout vers Tautre. Quelque
terme oil nous pensions nous attacher et nous affermir, il
branle et nous quitte; et, si nous le suivons, il echuppe a
nos prises; il glisse et fuit d'une fuite eternelle. Rien ne
s'arrete pour nous; c'est Tetal qui nous est naturel, et toii-
tefois le plus contraire a notre inclination. Nous brulons
de desir de irouver une assiette ferme et une derniere base
constante, pour y editier une tour qui s^'eleve a Tinfini;
mais tout notre fondement craque, el la terre s'ouvre jiis-
qu'aux abimes. »
Port-Royal a gate ce beau passage, en Farrangeant de la
mani^re suivante qui jusqu'ici a ete fort admiree, et qui ne
pent plus ^tre supportee des qu'on connait la vraie: « Voila
nptre etat veritable. C'est ce qui res^ierre //os connoissanves
en (le certaines bornrs que nous ne passons pas, incapables
de savoir tovt et d'ignnrer tout absolunient (il ne s'agitpas
de savoir ou d'ignorer tout, niais d'ignorer absolument ou
de savoir avec certitude ), Nous som.mes sur un milieu vaste,
toujours incertains et floltants entre ('ignorance el la con-
noissance (ceci detruit Timage commencee: Tignorance et
la connoissance etoient devennes les deux bouts du milieu);
et, si nous pensons alter plus loin (il nest pas question
d'aller plus loin ; plus loin que quoi? mais de s'attacber a
un point fixe), notre objet branle et echappe a nos prises;
il se derobe et fuit d'une fuite eternelle: rien ne le pout
arreter (Pascal dit bien plus : Rien ne s'arrete pour nous).
G*est notre condition naturelle, et toutefoisla plus contraire
a notre inclination. Nous brulons du desir d'approfondir
tout (il ne s'agit ni d'approfondir tout, ni d'aller p!r.s
loin, etc., mais de trouver une assiette ferme), et d'edifler
196 DES PENSEES DE PASCAL RAPPORT-II.
une tour qui s'eleve jusqu'a rinfini (pour cela ii fau
d'abord trouver une assiette ferine et une derniere bas
constante). Mais tout notre edifice craque (non pas tou
notre edifice, car nous n'avons pas pu en elever un
faute d'une base constante ; c'est Ic fondenient meme qui
nous avons jete qui craque ) , et la terre s'ouvre jusqu'au]
abinies'. »
Mais cette alteration continue du style de Pascal noui
detourne beaucoup trop de notre objet present, a savoir 1;
decomposition que Port-Royal fait subir a des morceau?
complets et acheves. Donnons encore un exemple d'unt
pareille decomposition sur un passage moins etendu, mai;
peut-etre niieux lie et tout aussi beau que le precedent; nou;
voulons parler de ce fragment sur le vrai bien que nousavoni
deja indique, et qui a ete reuni par Port-Royal au fragmen
sur le pyrrhonisme, pour composer le chapitre xxi (B,
4^ part. 1); Stir les contrarietes ctonnantes qui se tronve-ih
dans la nature humaine a regard de la verite et du bon-
heiir, II est impossible d'avoir eu plus de malheur que c(
fragnjent entre les mains de Port-Royal.' D^abord on Vk
fait entrer dans un travail de composition tres vicieuse:
maintenant nous allons le voir subir en lui-meme un tra
vail de decomposition plus vicieuse encore. II est intitult
dans le manuscrit: Que Hiomme ne peat connoitre le vra\
bien ni la justice. En voici le commencement: « Tousle!
hommes recherchent d'etre heureux; cela est sans excep
tion, quelques ditferents moyens qu'ils y emploient. » Oi
trouve tout ce morceau dans le chapitre xxi de Port-Royal
1. A la fin du Rapport^ nous avons place le texte vrai de cet admi
rable fragment, en regard du texle donne par les editions et le seu
connu jusqn'ici.
PENSEES ALTERfeES. 197
on Ty troiive meme grossi, comme nous I'avons vu^ (!e
qiielques phrases sur les trois concupiscences, tirees d'ua
autre endroit du manuscrit. Apres avoir expose nos vains
efforts pour arriver au bonheur^ et la plainte eternellc de
lous les hommes « princes^ sujcts^ nobles, roturiers, vieuXj
jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de
tous pays, de tons temps, de tous ages et de toutes con-
ditions », Pascal s'ecrie: « Qu'est-ce done que nous crie
cette avidite et cette impuissance?... Ce gouffre inlini ne
pent etre rempli que par un objet infini et immuable, c^est-
a-dire par Dieu meme. » Ce passage eloquent avait ete ad-
mirablement prepare, et lui-uieme il prepare admirablement
ce qui suit: « Lui seul (Dieu) est son veritable bien; et depuis
qu'il I'a quitte, c'est une chose etrange qu'il n'y a rien dans
la nature qui n'ait ete capable de lui en tenir la place: astres,
ciel, terre,etc.)) Ainsi le mouvement de tout ce morceau est
gradue sur l^ordre meme et renchainement des idees. Port-
Royal a rompu, avec l^enchainement des idees, le mouve-
ment du style. Tl aisole cette tirade pathetique : « Qu'est-ce
done que nous crie cette avidite et cette impuissance? », et par
la iiabrisetoutelasuite de ce beau fragment -il en a gate les
proportions et Tharmonie, et il a donne a cette longue no-
menclature des choses que Thomme a mises a la place de
Dieu je ne sais quel air brusque et etrange. Et quant a la
brillante et vehemente tirade, il I'a gardee comme un mor-
ceau de rhetorique qu'il n'a pas voulu perdre, et dont il a
fait un paragraphe distinct d'un autre chapitre (P.-R. ch ni,
B. 2^ part, v, 3). Maisalorsce grand mouvement, n'etantni
prepare ni soutenu, perd sa force ; ce cii de douleur echappe
de Tame de Pascal ne semble plus qu'une declamation.
Tel a ete le sort d'un fragment d'une assez mediocre
etendue; il est curieux de niontrer quel a ete celui d'une
KiS OES PKNSfeES DF P\SC,\L. RAPPOKT — II.
seule phrase, qui n'L'tait pas, ce semble, assez longiie pou
pouvoir etre demembree.
« II a ete pieilit, dit Pascal (Msc. p. 535), que Jesiis
Christ seroit roi des Juifs et des Gpntlls; et voila ce roi de
Jnifs et dps Gentils opprime par les uns et les autres qu
conspirent a sa moit^ dohiinant sur les uns et les autres, e
detruisant et le cnlte de Moise dans Jerusalem, qui en etoi
le centre et dont il fait sa premiere Egiise, et le culte de
idoles dans Rome, qui en etoit le centre et dont il fait s
principale Eglise. » 11 est impossible de trouver unephras
qui soit plus une, plus ramassee en elle-meme^ et qui s
prete moins a toute decomiiosition ; cependant Port-Royji
a trouve le secret de la briser et d'en disperser les mem
bres dans des phrases differentesetassez eloignees les une
des autres. Port-Royal met d'abord en avant la predictio
(P.-R. ch. XV, p. 119. B. 2^ part, xi, 5) : « Que Jesus-Chrit
seroit roi des Juifs et des Gentils »; puis il intercale quatr
paragraphes; alors il revient a la phrase de Pascal, qu'
arrange ainsi : « A cela s'opposent tous les hommes pa
Topposition naturelle de lenr concupiscence. Ce roi de
Juifs et des Geniils est opprime par les unset les autres qi
conspirent sa mort, e(c. » lei Port-Royal s'arrete encoff
intercale de nouveau diverses pensees, et enfui il repreti
le deuxieme niembre de la phrase de Pascal, auquel
rend le tour qu'il avait Ote au premier : « Malgre toutes ct
oppositions, voila Jesus-Christ, en peu de lemps, regnai
sur les uns et les autres et detruisant le culte juda'iquedai
Jerusalem, qui en etoit le centre, etc. »
En est-cc assez, et trouve-t-on que le due de Roannez (
ait use assez librement avec les phrases, les paragraphe
les chapitres enliers de Pascal? II est temps de le vc
aux priseSj non plus avec le style, mais avec la pens*
PENSKES ALTKUEES. 199
m^me de Pascal^ lameconnaissant et la defigurant de toutes
les manieres.
Port-Royal altere la pensee de Pascal^ quelquefois faute
de la bien comprendre et a son insu^ quelquefois aussi par
politiquej pour ne pas reveiller des querelles ilial assoupies,
le plus souvenl par scrupule de consciencej pour epargner
aux fail)les la contagion d'un scepticisme dont tout le nnonde
ne penetre pas le secret et ne possede pas le remede.
Les alterations involontaires ou soiit leg^res^ sans jamais
toe indifferenles, et enervent plus ou moins la pensee de
Pascal sans la denaturer entierement; ou bien elies sont
assez graves et assez profondes pour constituer de veritables
contre-sens.
NoUs allons donner des exeniples de chacun de ces genres
d'alteration.
Le chapitre xxv coniprend un certain nombre de para-
graphes dont le premier traite de la puissance de I'opinion;
les autres ont Fair de rouler sur des sujets ditierents^ qui
n'ont d' autre lien que leur rapport commun au titre general
du chapilre : La faiblesse de I'homme. Rien de plus inexact
que tout cela. D'abord, dans le manuscrit, tons ces para-
grapbes se lient les uns aux autres et ne forment qu'un
seul et nieme tout, et leur sujet comnmn n'est pas la fai-
blesse de rhommej ce qui est bien vague; Ce n'est pas nou
plus Topinion; car quel rapport peuvent avoir a Topinion
plusieurs de ces paragtaphes, entre autres le paragrapbe
sur les charmes de la nouveautCj surtout celui sur le plus
grand booime du monde dont une rnouche, ou le moindre
tintamarre qui se fait autour de lui, troublent la raison, ou
celui qui nous peint un philosophe qui, en surete sur une
plancbe plus large qu'il ne faut, tremble en songeant au
precipice qtii est dessous? L'opinion n'a rien a voir a tout
200 DKS PENSEES DE PASCAL RAPPORT-lt.
cela. 11 s'ensuit que le premier paragraphe, qui^ dans 1
manuscrit, n'est pas autre chose que ie commencement di
morceau entier, ne peut pas rouler sur Topinion, piiisqu
tous les autres paragraphes qui dependent du premier n*on
aucun rapport a Topinion. Et pourtant lisez ce paragraph,
dans Port-Royal : a Gette maitresse d'erreur qu'on appell
fantaisie... et opinion ». Voila le debut, et^ pour ainsi dire
I'enseigne de tout Tarticle. Et puis : « Qui dispense la repu
tation^ qui donne la veneration aux personnes, aux ouvra
ges, aux grands, si non lopinion...? » « L'opinion disposi
de tout... » Une reflexion tres attentive pourrait bien soup
Qonner ici quelque meprise. Gar entiUj comment peut-oi
dire que c'est Topinion qui dispense la reputation? L'effe
ressenible un pen trop a la cause : la reputation, c'est Topi
nion mrme : et la phrase a bien I'air d'une tautologie. Mai
nous en parlous fort a notre aise, car nous voyons le dessou
des cartes. Nous avonsle manuscrit^nouspossedonsrorigi
nal, et nous reconnaissons facilement rinfidelile de la copie
Mais, quand on n'estpasaverti, il faudraitune sagacitemer
veilleuse pour deviner la moindre alteration dans tout ce pas
sage. Aussi tout le monde s'y est trompe. Et, comme Pasca
fait mention du hvreitalien, DelV opinioti e reginadel mondo
on a cite cent fois ce paragraphe et ceux qui le suivent comm
traitantde Topinion. Cependant iln'en est rien : le vraisuje
est semblable a celui-la^ mais il n'est pas celui-la. Quel est-il
CVst I'imagination. Pascal le dit lui-meme; il a mis lui
meme un titre a ce morceau ; ce titre est : Imagination
et voici la vraie premiere phrase ( Msc. p. 361-362) : « C'es
cette partie dominante de Ihomme , cette maitresse d'ei
rcur et de faussete, et d'autant plus fourbe qu'elle ne Pes
pas toujours, etc. » Pour accommoder cette phrase a P-opi
nion il a fallu la (^hanger et supprimer ce premier membre
PENSEES ALTEREEl^. ^201
{{ G*est cette partie doiiiinante de I'homine... » Plus has :
« Qui dispense la reputation^ qui donne le respect et la
veneration aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux
grandSj sinon cette faculte imaginante? » Enfin : nL'ima-
gination dispose de tout. » Des qu'il s'agit de rimagination
et non pas de Vopinion, tons les autres paragraphes s'eclair-
cissent; on comprend le charme des nouveautes, car la
nouveaute s'adresse a Timagination; il est bien certain que
le plus grand honame du monde; si la naoindre distraction
trouble son imagination^ ne peut plus suivre son raisonne-
ment^ et le plus grand philosophe^ sur une planche plus
large qu'il ne faut pour y marcher en surete. tremble en se
representant par rimagination Fabime qui est au-dessous.
11 y avait, dans Toriginal, bien des expressions qui ne se
peuvent rapporter qu'a rimagination : partie dominavte
de rhomme, faculte, etc. Port-Royal les a adoucies ou
supprimees. II a retranche aussi^ ce qui est plus grave^
trois ou qualre paragraphes oil Pascal represente les ma-
gistrats etles medecins s'appliquant a faire impression sur
rimagination des hommes avec leurs bonnets et avec leurs
robes, faute de posseder la vraie justice et la vraie science.
G^est Desmolets qui depuis a public ces paragraphes. A la
fin Pascal a mis cette note : « II faut commencer par la le
chapitre des puissances trompeuses. » Sans doute, au milieu
de tout cela, Topinion est souvent prise a partie ; Port-
Royal a cru qu'elle etait sur ie prem.ier plan. II n'a pas
compris la veritable pensee de Pascal. L'opinion n'est
qu'une puissance exterieure, a laquelle on peut resister avec
du courage et une certaine force de caractere : mais rima-
gination est une puissance bien autrement trompeuse et
bien autrement redoutable^ puisqu'ellea son siege en nous-
memes. G'est I'ennemi domestique du philosophe. Pascal
202 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPOKT— II.
ni Malebraiiche iie pouvaienl s'y tromper: mais Port-Royal,
qui n'etait pas asscz tourrneiite par Timagination pout se
revolter contre elle, a pris uii enneini pour un liutre; il a
mis le sien a la place de celui de Pascal.
Ce n'est pas la, selon nous, une alteration legere; car
elle doniie le change siu' le vrai caractere d'un morceau
tres important. En voici une autre qui , a proprement par-
ler, n'est pas moins qu'un contre-sens, ou piutot meme un
non-sens, qn'il est absolument impossible de mettre sur le
compte de Nicole et d'ArnauId.
Le dessein de Pascal, dans sa nonvelle Apologie, etait
de montrer que le christianisme est ainiabie, et, une fois
ce grand point gagne , d'etablir qu'il est aussi vrai qu'au-
cune chose an monde : il voulait I'insinuer en quelquesorte
dans la raison par le coeur. Cette pensee est partout dans
Pascal. Pour preparer les voies a cette nouvelle Apologie,
il met en avant une theorie qu'il croit inventer, mais qui
est trop vraie pour etre nouvelle, a savoir la distinction
de deux ordres de verites, les unes qui se prouvent, les
aulres qui ne se prouvent pas parce qu'elles sont des veri-
tes premieres ; celles-ci qui relevent de la raison , du rai-
sonnement, de Tintelligence, de Tesprit^ celles-la qui re-
levent dn sentiment, de Tinstinct, du coeur'. Port-Royal
lui-meme, au chapitre xxxi des Pensees diverses, donne le
morceau suivant que nous retablissons ici tel qu'il est dans le
manuscrit (p. o9) : « Le ca'ur a son ordre; Tesprit a le sien,
qui est par prlncipes et demonstrations. Le coeur en a un
autre : on ne pronve pas qu'on doit ctre aime en exposant
d'ordre les causes de I'amour, Cela soroit ridicule. Jesus-
Christ et saint Paul ont bien plus suivi cet ordre du coeur
1. Voyez la Preface de la seconds edition, p. 43, etc.
pKnski:s altekeks. -203
que celui del'esprit, etc... » Et ailleurs (Msc. p. 8) : « Le
ca?ui' a ses raisons que la raison \w connoit pas : on ie sent
en inille choses. » Cette distinction se rencontre aussi dans le
Traite de Tart de persuader; ce qui, a la rigueur, pourrait
rattachcr ce traite au grand ouvrage de Pascal. « L'esprit
et le coeur sont cotiame les portes par oil les verites sont
revues dans Tame. » Nous trouvons encore dans une des
copies du manuscrit cette ligne isolee, mais profonde, que
ni Port-Royal ni Bossut n'ont juge a propos de recueillir :
« instinct et raison, marque de deux nntures. »
Quand on est faniilier avec cette theorie de Pascal, qui
est cede de tons les grands philosophes, rien n'est plus
clair que le fragment suivant , que Pascal lui-meme aurait
bien du ne perdre jamais de vne, quand le scepticisme de
Montaigne IVmporte trop loin (iMsc. p. 191. ): « Nous con-
noissons la verite, non-seulement par la raisun, mais encore
par le coeur; c'est de cette derniere maniere que nons <;on-
noissons les premiers principes, et c'est en vain que le rai-
sonnemeut, qui n'y a point de part, essaye de les com-
battre. Les pyrrhoniens, qui n'ont que cela pour objet,
y travailtent inutilement. Nous savons que nous ne revons
point, quelque impuissance oil nous soyons de ie prouver
par raison. Cette impuissance ne conclut autre chose que
la foiblesse de notre raison, mais non pas Tincertitude de
toutes nos connoissances, comme ils ie pretendent. Gar la
connoissance des premiers principes, couime qu'il y a es-
pace, temps, mouvement, nombre, est aussi ferme qu'au-
cune de celles que nos raisonnements nous donnent ; et
c'est sur ces connoissances du cojur et de I'instinct qu'd
taut que la raison s'appuie^ et qu'elle y fonde tout son
discours. Le coeur sent qn'il y a trois tiimensions dans Tes-
paco et que les nombres sont infmis, etla raison demontre
•i04 DES PENSEKS DF. PASCAL. tUl^PORT-tl.
ensuite qu'il n'y a point deux nominees carres dont Tun
soil double de rautre. Les principes se sentent; les propo-
sitions se concluent, et le tout avec certitude, quoique par
differentes voies. bit il est aussi inutile et aussi ridicule que
la raison deinande au ca3ur des preuves de ses premiers
principes pour vouloir y consentir, qn'il seroit ridicule que
le coeur demandat a la raison un sentiment de toutes les
propositions qu'eile demontre |)Otir vouloir les recevoir. »
Voici maintenant comment Por(- Royal, c'est-a-dire le
due de Roannez , a defigure et travesti la pensee de Pascal
(P.-R. ch. XX! ; 2^ part. I, 1.). Au lieu de ces mots : a Nous
C(tnnoissons la veiite non-seulement par la raison, mais
encore par le eoeur, » le due de Roannez a mis : « non-
seulement par raJsoifiiement , mais russi par sent iweiU et
par nne intelli{}e7ice vive et luminense, » Mais ce que
Pascal veut etabjir est precisement l'o[)position de Tintelli-
gence et du sentiment.
Pascal : a (^est sur ces connoissances du coeur et de
rinstinct qu'il faut que la raison s'appuie, etc... » Le due
de Roannez efface le coeur et I'instinct, et y substitue Vin~
telligence et le sentiment ; comme si ces deux mots etaient
synonymes.
Pascal : (( II est aussi inutile et aussi ridicule que la rai-
son demande au coeur des preuves de ses premiers prin-
cipes pour vouloir y consentir, qu'il seroit ridicule que le
coeur demandat a la raison un sentiment de toutes les pro-
positions qu'eile demontre pour vouloir les recevoir. » Le
due de Roanni^z supprime ces mots importants : « // est
aussi invtile. », et laisse seulement : il est aussi ridicule;
et change ainsi le reste : « 11 est aussi ridicule que la raison
demande au sentiment et a I' intelligence des preuves de
ces premiers principes pour y consentir, qu'il seroit ridicule
PENSEES ALTEREES. 205
que ^intelligence demandat a la raison un sentiment de
toutes les propositions qu'elle demontre. w II ne fallait
retrancher ni pour vouloir les recevoir, ni pour vouloir y
consentir; ce qui marque que la volonte n'est point ici de
mise. II n'est pas non plus question des premiers prin-
cipes en general, mais des premiers principes du coeur,
car le coeur a aussi ses principes. Mais je demande s'il est
possible d'attacher quelque sens a cette antiihese de Fin-
telligence et de la raison : « II est ridicule que la raison
demande a V intelligence des preuves » Et encore :
« II seroit ridicule que rintelligence demandat a la raison
un sentiment... »Nous repetons que nous n'imputons point
de pareilles absurdites a Arnauld et a Nicole.
Mais ce qu'il est permis de leur imputer, sans leur en
faire un reproche, c'est Tadoucissement et souvent meme
la suppression absolue d'une foule de passages qui se rap-
portent aux querelles du temps et aux jesuiles. Pascal^
comme Tatteste Marguerite Perier, loin de se repentir
d'avoir fait les Provinciales, est mort en declarant que,
s'il avait a les refaire, il les ferait plus fortes. Dans une
lettre que nous avons retrouvee, a M"** de Roannez^ il ap-
pelle les maximes des jesuites « les waudlles maximes. * »
Entin c'es bien dans le manuscrit (p. 99-100)^ au milieu
d'autres pensees du meme genre^ que Condorcet a recueilli
ces paroles qui attestent la conviction obstinee de Pascal,
et le sentiment triomphant de la justice de sa cause, sous
le feu d'une persecution implacable :
a J'ai craint que je n'eusse mal ecrit, me voyant con-
damne; mais Pexemple de tant de pieux ecrits me fait
croire au contraire. 11 n'est plus permis de bien ecrire.
■1. Plushaut, p. 151.
aOG DES PENSfiES DE PASCAL. KAPPORT — U.
« Toutc rinquisition est corronipue ou ignorante. 11 est
meilleur d'obeir a Dieii qn'aux honimes
« Si nies lettres sont condamnees a Rome, ce que j'y
condamne est oondamne dans le ciel.
« LUnquisilion et la Societe sont les deux fleaux de la
verite. »
Bossut a conserve cette grande protestation; mais, par
line inconsequence inexplicable, il n'a pas ose niettre au
jour bien des passages semblables^ et il a altere tons ceux
qu'il a publics. Notre devoir est de retablir Tintcgrite des
fragments mutiles et defigures par la prudence forcee de
Port-Royal el par la pusillanimite gratuite de Bossut.
On trouve dans Port-Royal bien des pensees generales
qui, dans Pascal, sont parliculierenient dirigees contre les
jesuitcs. Chapitres xwin, P^ usees chirtiennfs: aTouiesle^
religions et toutes les sectes du nionde ont eu la raison
naturelle pour guide. Les seuls Chretiens ont ete astrrints
a prendre leurs regies hors d'eux-rnemes et a s'inforuier
de celles que J.-C. a luissees aux anciens pour nous etre
transmises. 11 y a des gens que cette contrainte lasse. lis
veulent avoir comme les autres peuples la liberie de suivre
leurs imaginations. )> Au lieu des mots : a 11 y a des gens...»
Pascal avait mis (Msc. p. 4-ol) : « Cette contrainte lasse ces
bons peres. lis veulent avoir, etc. »
Port Royal, chapitre xn, ftguvps : « La synagogue ne
perissoit point parce qu'elle etoitla figure de I'Eglise; mais
parce qu'elle n'etoit que la figure, elle est tombee dans la
servitude. La figure a subsiste jusqu'a la verite, afin que
I'Eglise fut toujours visible ou dans la peinture qui la pro-
niettoit ou dans I'effet. » Au lieu de ce style mediocre et
emousse, voicile textc authenliquede Pascal ;Msc. p, -461):
« Ezechias : La synagogue ctoit la figure et ainsi ne peris-
PENSEES ALTEREES. 207
soit point, et n'etoit que la figure et ainsi est perie; c'etoit
line figure qui contenoit la verite ; et ainsi elle a subsiste
jiisqu'a ce qu'elle n'a plus eu la verite.))
c( Mes reverends peres, tout cela se passoit en figures :
les autres religions perissent, celle-la ne perit point, »
On voit ici coniment ont ete composees plusieurs des
Pensees. Pascal lisant I'Ecriture sainte, en tirait une re-
flexion qui pouvait servir a son Apologia du christianisme,
et il la mettait par ecrit; en meme temps, comme il etait
penetre d'une profonde indignation contre la corruption
des saintes ficritures par les jesuiteSj il laissait eclater celte
indignation au milieu mepe d'une note de quelques lignes.
Ouvrez le manuscrit, vous y rencontrerez une foule de
pensees sous ces litres : Casuistes, Probable, Probabilite,
Pape, etc. Port-Royal supprime et ces titres et ces pensees j
ou, s'il en garde quelques-unes, \\ leur enleve leur carac-
lere partjculier, et les presente sous une forme generale et
abstraite, qui masque la vraie pensee de Pascal et ne laisse
pas meme toujours paraitre une pensee bien determinee.
Port-Royal, cbapitre x, Juifs : « La religion juive doit
done etre regardee differemment dans la tradition de leurs
saints el dans la tradition du peuple, etc. » II nous est im-
possible de comprendre ce que c'esl que les saints du peuple
j uif, expression qui pourtant re\ ient encore une fois dans ce
meme passage. Nous avons done, recours au maimscrit, et
nousytrouvonscette phrase inintelligiMe (Msc. p. 55) Mais
elle n'est pas de la main de Pascal: elle aura ete ecrite sous sa
dictee, ou recopiee sur un premier brouillon qui n'est plus.
A cote et en marge est une note de la main meme de
Pascal. Dans le morceau d'une ecriture etrangere, il y avail,
en eff'et, de leurs saints, ce qui n'a pas de sens ; mais une
autre main a corrige : des Hrrrs .paints, corrertion qui
208 DES PENSEES DE iPASGAL. RAPPORT — II.
eclaircit tout, car rien n'est plus simple que la difference
d'une religion dans les livres sacres qui la conservent pure
et dans la tradition du peuple oil elle s'alterc sans cesse.
Voici de plus la note marginale de Pascal : « Et toute reli-
gion est de meme; car la cliretienne est bien differente
dans les livres saints et dans les casuistes. » Port-Royal a
supprime ce dernier trait; il aurait pu, du nioins , en lisant
pai'faitenient ecrits de la main de Pascal ces mots dans les
livres saints j eviter Tetrange meprise dans laquelle il est
tombe.
G'est surtout a I'occasion du miracle de la sainte epine
que Pascal, qui se trouvait honore personnellement dans
un miracle accompli sur sa niece', s'eleve contre les je-
suites, que ce miracle devait confondre et qui le niaient et
s'en moquaient. A tout moment Pascal quitte sa these ge-
nerale de Timportance des miracles, pour se retourner
contre les jesuites. Port-Royal, de peur de s\ blesser, ose
a peine toucher aux pensees les plus generates, que nous
devons en grandc partie a Pevcque de Montpellier et a
Desmolets. Le chapitre xxvu^ de Port-Royal sur les mira-
cles, s'il eut contenu toutes les Pensees de Pascal sur ce
snjet, aurait ete bien autrement etendu et bien autrenient
remarquable. Port- Royal, pour observer la paix de Cle-
ment IX, supprime les pensees les plus hardies, et il atfaiblit
toutes celles qu'il donne.
Port- Royal, ch. xxvu : « Les miracles out servi a la
fondation et serviront a la continuation de TEglise, jiisqu'a
PAnte-Christ, jusqu'a la fm, etc... » Dans Pascal, cette
phrase etait une reponse aux jesuites qui, pour diminiier
I'effet du miracle de la sainte epine, avaient senible medio-
1. Marguerite Perier, rauteur des Memoires.
PENSEES ALTEREES. 209
crement touches de rimportance des miracles au xvii^ si^-
cle. Pascal s'adresse a eux at leur dit (Ms. p. 451) : « Les
miracles sont plus importants que vous ne pensez : ils ont
servi a la fondation^ etc...»
En 1779 Bossut crut enfin pouvoir publier impunement
bien des morceaux ou, a propos des miracles ou meme en
toute autre occasion , Pascal attaque la morale et les opi-
nions rel^chees des jesuites. Mais partout Bossut opere sur
les fragments nouveaux qu'il public comme Port-Royal sur
ceux qu'il amis au jour. Quelquefois il retranche des parties
plus ou moins considerables' de ces fragments; il change
I'ordre de ceux qu'il conserve , et il en emousse les traits
les plus incisifs.
Pascal^ s'adressant aux jesuites qui^ pour decrier le mi-
racle de la sainte epine, detruisaient toutes les regies eta-
blies pour le discernement des vrais et des faux miracles
(Msc. p. 402) : « Juges injustes, ne faites pas de lois sur
rheure. Jugez par celles qui sont etabUes^ et etablies par
vous-niemes. Vce qui conditis leges iniquas f Fonv affoiblir
vos adversaireSj vous desarmez toute TEglise. » Bossut fait
ici deux fautes : d'abord il fait preceder cette apostrophe :
« Juges injusteSj etc. » par deux lignes qui ne sont pas de
Pascal^ et qui sont destinees a rattacher ce morceau a un
morceau tout different (B. 2® part, xvi, 10). Puis il trans-
porte cette derni^re phrase « Pour affoiblir vos adver-
saires, etc. » dans un autre endroit , qui precede de piu-
sieurs pages (Ibid, xvi, 9) : « Ainsi pour affoiblir leurs
adversaires^ ils desarment riSghsCj etc. »
Pascal (Msc. p. 451) : ainjustes persecuteurs de ceux que
Dieu protege visiblement ! S'ils nous reprochent nos exces,
ils parlent comme les heretiques. S'ils disent que la grace
de J.-G. nous discernCj ils sont heretiques. S'il se fait des
14
310 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT-II.
miracles, c'est la marque de Theresie. » Et ailleurs (Msc.
p. 402) : « S'ils disent que iiotre salut depend de Dieu^ ce
sont des heretiques. S'ils disent qu'ils sont soumis au pape,
c'est une hypocrisie. S'ils sont prets a souscrire toutes ses
constitutions, cela ne suffit pas. S'ils disent qu'il ne faut
pas tuer pour une pomme, ils combattent la morale des
catholiques. S'il se fait des miracles parmi cux, ce n'est
pas une marque de saintete, et c'est au contraire un soup"
(ion d'heresie. » Ue ces deux morceaux diflerents, Bossut
en compose un seul, supprimant ce debut wlnjustes perse^
cuteiirs, etc. », resserranta son gre ou developpant Targu-
menlation; et, au lieu de deux fragments pleins de vie, il
a fait ce paragraphe languissant : « Les jesuites... n'o7it
pas (aisse neanmoins (Ten iirer cetie conclusion, car ils
concluent de lout que leurs advermires sont heretiques, S'ils
/^wrreprochent leurs exces, ils disent qu'ilsparlentcomme
des heretiques. S'ils disent que la grace de Jesus nous dis-
cerne, et que notre salut depend de Dieu, c'est le lanyarje
des heretiques. S'ils disent qu'ils sont soumis au pape :
c'est ainsi, disent-ils, que les heretiques se cachent et se
deguisent. S'ils disent quil ne faut pas tuer pour une
pomme, ils combattent, disent les jesuites, la morale des
catholiques. EnfiUy s'il se fait des miracles parmi eux, ce
n'est pas une marque de saintete, c'est au contraire un
soupQon d'heresie. »
Quelquefois Bossut, en supprimant un seul trait, enerve
toute I'argumentation. Dans Ic § 9 de Tarticle xvi, on lit
cette defense de Port-Royal : « Ce lieu qu'on dit etre le
temple du diable, Dieu en fait son temple; on dit qu'il
faut en oter les enfanls ; on dit que c'est I'arsenal de Ten-
fer : Dieu en a fait le sanctuaire de ses graces... » 11 est
evident que la phrase est defectueuse, et qu'a cette objec-
PENSEES ALTKUEEtt. 211
lion « On dit qu'il faut en oter les enfants » une reponse
est necessaire, comme il y a des reponses a Tobjection qui
precede et a celle qui suit. Cette reponse necessaire est
dans Pascal (Msc. p. 463) ; a On dit qu'il en faut oter les
enfantSj Dieu les y guerit. a Nouvelle allusion au miracle
de la sainte epine et a la guerison de Marguerite Perier.
Si nous n'avions pas montre cent fois que Bossut affai-
blit le style de Pascal, nous citerions cet exemple. Pascal
(Msc. p. 471) : a Ce n'est point ici le pays de la verite; elle
e/reinconnue parmi les liommes... » Bossut (1. 1.) : « Elle
est inconnue parmi les hommes. » Mais il ne s'agit plus
d'alterations de mots; il s'agit d'alterations tout autrement
graveSj et qui tombent sur la pensee meme.
Bossut est le premier qui ait donne ce paragraphe sur
Futilite, la necessite meme des miracles dans un temps oil
la verite est persecutee et n'a plus d'asile (1. 1. § 10). c(Mais,
disent-ilSj les miracles ne sont plus necessaires, a cause
qu'on en a deja; et ainsi ils ne sont plus des preuves de
la verite de la doctrine. Oui; mais quand on n'ecouteplus
la tradition^ qu'on a surpris le peuple^ et qu'ayant ainsi
exclu la vraie source de la verite, etc... » Que fait ici le
peuple? Pascal dit (Msc. p. 449) : le pape : « Quand on
n'ecoute plus la tradition, quand on ne propose plus que
le pape, quand on Fa surpris, et qu'ainsi, etc... »
Bossut, d'apr^s Desinolets (2« part, xvn, 76) : « Les
opinions relachees plaisent tant aux hommes naturelle-
ment, qu'il est etrange qu'elles leur deplaisent. G'est qu'ils
out exc^de toutes les bornes, etc... » Ceci est inintelligible :
si les opinions relachees plaisent tant aux hommes, il est
plus qu'etrange, il repugne qu'elles leur deplaisent. Et
puis, qui a excede toutes les bornes? A qui se rapporte cet
i75 /* Dans Pascal tout se rapporte directementaux jesuites-
212 DES PENSfiES DE PASCAL. RAPPORT-II.
Ce passage est intitule Montalte, pour marquer que c'est
ici comiDe line suite des Provinciales (Msc, p. 429): « Les
opinions relachees plaisent tant aux hommes naturelle-
ment^ qu'il est etrange que les leurs deplaisent. C'est qu'ils
ont excede toute borne... »
Bossut^ dans le meme paragraphe, toujours d'apresDes-
inolets : « li est ridicule de dire qu'une recompense eter-
nelle est ofFerte a des moeurs licencieuses. » Pascal : « a
des moeurs escobartines . » Et cet adjectif^ de Tinventionde
Pascal, meritait d'etre conserve et d'avoir droit de bourgeoi-
sie dans la langue, tout aussi bien que le verbe escobarder.
Nous ne trouvons guere dans tout Bossut sur le probabi-
lisme qu'une ou deux pensees du Supplement; par exemple^
les §§ XI et xu pi y en a beaucoup plus dans Pascal. II en est
de meme des casuistes. lis sont sans cesse attaques dans le
manuscrit, et presque jamais dans Bossut. Mais ce n'est
pas ici le lieu de restituer les passages omis par Bossut * ;
nous n'en sommes encore qu'a signaler les alterations qu'il
a fait subir aux pensees qu'il a publiees. Cependant, quand
on a conserve le paragraphe 77 de Particle xvii, donne par
Gondorcelj toute suppression ressemble fort a une precau-
tion inutile. En effet ce paragraphe est bien energique j mais
il Test encore plus dans le manuscrit. II y est aussi beau-
coup plus etendu. Bossut n'a pas ajoute a Gondorcet;
quelquefois meme il Pa abrege et adouci. Malheureusement
ce passage est presque illisible dans Paiitographe. Nous en
donnons ce que nous avons pu dechiffrer.
Msc. p. 99-100 : « S'ils ne renoncent a la probabilite,
leurs bonnes maximes sont aussi peu saintes que les nie-
chantes. Gar elles sont fondees sur Pautorite humaine; et
1 . Voyez la 3^ partie de ce Rapport.
PENSliES ALTERfiES. 213
ainsi, si elles sont plus justes^ ils seront plus raisonnables,
mais non pas plus saints. Elles tiennent de la tige sauvage
sur quoi elles sont entees.
c( Si ce que je dis ne sert a vous eclairer^ il servira au
peuple.
« Si ceux-la se taisent, les pierres parleront '.
«Le silence est la plus grande persecution. Jamais les
saints ne se sonts tus. II est vrai qu'il faut vocation : mais ce
n'est pas des arrets du conseil qu'il faut apprendre si Ton
est appele^ c'est de la necessite de parler^.
« Or, apres que Rome a parte ^ et qu'on pense qu'elle a
condamne la verite... et que les livres qui ont dit le con-
traire sont censures, il faut crier d'autant plus haut qu'on
est censur^ plus injustement , et qu'on veut etouffer la
parole plus violemment; jusqu'a ce que vienne un pape
qui ecoute les deux parties, et qui consulte Tantiquite pour
faire justice^.
« L'inquisition et la SocietCj les deux fleaux de la
verite ^.
« Que ne les accusez-vous d'arianisme? Car s'ils ont dit
que Jesus-Christ est Dieu, peut-etre ils Tentendent non par
nature, mais comme il est dit : Dii estis ^.
«Simes lettres sont condamnees a Rome, ce qu 'elles
condamnent est condamne dans le cieP.
c( Ad tuumj Domine Jesu, tribunal appello^.
1.- Ces trois paragraphes ne sont ni dans Gondorcct ni dans Bossut.
2. Ce paragraphe est dans Condorcet et dans Bossut.
3. Ce paragraphe manque dans Condorcet et dans Bossut.
4. Dans Condorcet et dans Bossut.
5. Ni dans Condorcet ni dans Bossut.
G. Dans Condorcet et dans Bossut.
7. Ni dans Condorcet ni dans Bossut.
214 DES PENSKES DE PASCAL. RAPPORT — H.
a J'ai craint que je n'eusse nial ecrit, me voyanl con-
damne: mais Texemplc de tant de pieux ecrits me fait
croire au contraire: il n'est plus permis de bien ecrire.
« Toute rinquisition est corrompue ou ignorante.
« II est meilleur d'obeir a Dicu qu'aux hommes^
c< Je ne crains rien, je n'espere rien. Les eveques ne font pas
ainsi. Le Port-Royal craint, et c'est une mauvaise poiiilque
de les separer; car ils ne craindront plus et se ferontplus
craindre-.
« Je ne crains pas... vos censures particulieres, si elles
ne sent fondees sur la tradition.
« Car qui ^tes-vous tous'^?
Ainsi Port -Royal retranche entierement, et Bossut ne
publie qu'imparfaitement les pensees qui font connaitre un
des c6tes les plus grands de I'ame de Pascal, cette altiere
obstination qui resista aux persecutions du pouvoir civil et
aux foudres du saint-siege. Nous allons voir maintenant
Port-Royal et Bossut affaiblir et voiler, autant qu'll sera
en eux , non plus un des cotes, mais le fond meme de
Fame de Pascal , je veux dire ce scepticisme universe!
centre lequel il ne trouva d'asile que dans les bras de la
grace.
En eflfet, Pascal est sceptique en philosophie. Otez la
revelation, et Pascal serait un disciple de Montaigne. Geo-
metre, physicien, homme du mondc^j il n'avait d^etudes
1. Ces trois paragraphes sont dans Coudorcet et dans Bossut.
2. Ce paragraphe est dans Condorcet. Bossut en a retrancli6 : Us
i^iH^qnes lie font pas ainsi.
3. Ces deux derniers paragraphes sont a peu pres illisibles dans le
manuscrit.
4. II I'avait ete beancoup plus qu'on ne le sait ordinairement. Voyez
le Disco/'TS sur les passions de i'amour.
PENSI&ES ALTEUEES. 215
regulieres et approfondies ni en philosophie ni en theologie.
11. ny songea serieuseinent qu'assez lard; et egare par sa
rigueur meme, par les habitudes de Tesprit geometrique ,
comma aussi par cette humeiir bouillante qu'ii portait
en toutes choses, il s'elanca d'abord a Textremite dii
doute et h. Texir^mit^ de la foi. Confondant le raisonne-
ment et la raison, ne se souvenant plus qu'il a lui-m^me
judicieusement distingue des verites premieres, indemon-
trables, que nous decouvre cette intuition sponlanee de
la raison qu'on pent aussi appeier avec lui Tinstinet, le
sentiment, le coeur, et des verites qui se deduisent de
celles-la par vole de raisonnement ou qui se tirent de
Texperience par induction, oubliant qu'ainsi il a lui-meme
r^pondu d'avance a toutes les attaques du scepticisme *,
Pascal interroge avec Texperience et le raisonnement tons
les principes, et par \k il les ebranle tous, sans beau-
coup d'effort : comme il veut tout prouver, il ne trouve
a rien des preuves suffisantes, et arrive k rincertitude de
toutes choses J qu'il n'y a en soi ni vrai ni faux, ni bien ni
mal, ni juste ni injuste; que les degres de latitude font
toute la jurisprudence; que la propriete n'est qu'une con-
vention; qu'il n'y a d'autre nature des choses que la cou-
tume, et qu'enfin la raison, reduite a ses seules forces, est
incapable de s'elever a I'idee de Texistence de Dieu et de
Timmortalite deTame. Encore une fois^otez la revelation
et Pascal c'est Montaigne, et Montaigne reduit en systeme.
Sa metaphysique, si tant est qu'il en ait une, sa morale et
sa politique sont celles de la fin du xvi« si^cle et du com-
mencement du xvii«, en Italic, en France et dans toute
I'Europe, avant que Descartes fut venu tout renouveler et
1. Voyez la Prf^face de la seconde edition.
UG DKS PENS1;:ES DE pascal. RAPPORT-lT-
tout rafferniir. On ne salt, on ne pent savoir quels services
a rendus Descartes, qu'apres avoir sonde longtemps le vide
qu'avait laisse dans les esprits et dans les ames la chute de
la scholastique, c'est-a-dire de la philosophic chretienne,
et reconnu la vanite dcs efforts qu'avait faits d'abord Tesprit
humain pour combler ce vide par des systemes plus ou
moins empruntes a Tantiquite^ conceptions artificielleSj
pleines d'esprit et d'imaginationj niais sans vrai genie, qui
se dissipaient d'elles-memes a mesure qu'elles paraissaient,
et conduisirent promptement la raison eniancipee du pre-
mier enlhousiasme et d'esperances chimeriques a I'exces
contrairc, au sentiment exagere de sa faiblesse*. Le scep-
ticisme dominait en France quand Descartes parut et entre-
prit de triompher du doute en Tacceptant d'abord, pour le
forcer a rendre la certitude qu'il contient a son insu : car
douter, c'est penser encore^ c'est done savoir et c'est croire
qu'on pense, et qu'on est par consequent^. C'est Descartes
qui a restitue a la pensee la conscience de son droit et de sa
force, et lui a enseigne qu'elle porte avec elle sa propre
lumi6re et celle qui eclaire Texistence entiere, notre ame
spirituelle, Dieu et Tunivers. Descartes, en arrachant Tes-
prit humain au scepticisme, premier fruit de la liberte nais-
sante, ferma sans retour I'ere de la scholastique. et ouvril
celie de la philosophic moderne. Les libres penseurs du
xvi'' siecle n'avaient ete que des revolutionnaires : Descarles
a ete, de plus, un legislateur. La legislation qu'il a don-
nee a la philosophic n'est point un syst^me; c'est miem
1. Voyez, sur la philosophie de la Renaissance^ ladixieme lecon d(
I'KSOlilSSE D'rNE mSTOIRE GENERALE DE LA PniLOSOPHlE^ et dailS leS FRA
GMENTS DE FHILOSOPHIE CARTESIENNE I'ai'ticle Vanini.
2. Ibid. J lee. xi^; et aiis?i l;i Defense de l'Universite et de la phi
LOSOPUIE, p. 113.
PENSKES ALTEREES. M
que cela, c'est une methode et une direction immortelle.
Peu a peu cette methode et celte direction, penetrant dans
les esprits, les relev6rent de leur abattement, ranim^rent
la confiance de la raison en elle-meme sans la jeter de
nouveau dans une presomption toujours punie, et produi-
sirent bienl6t, secondees par la persecution m^me, cette
sobre et forte philosophic du xvu* siecle, libre et reservee,
fiddle a la raison et respectueuse envers la foi, qui compte
pour disciples et pour inlerpretes les genies les plus diffe-
rents, Arnauld et Malebranche, Fenelon et Bossuet ; notre
vraie philosophic nationale, si on pent parler de nationalite
en philosophic, celle du moins que nul souffle etranger ne
nous a apportee et que TEurope enti^re nous a empruntee,
dont un cote exagere a produit Spinoza, un autre Locke,
un autre encore Berkeley j et qui, developpee scion son vrai
genie, a servi de fondement a la Theodicee de Leibniz.
Pascal avait un peu goftte de cette grande philosophic ;
il n'en avait pas ete penetre. II etait presque forme avant
qu^elle fut devenue la philosophic du sifecle, et il avait ete
forme a une toute autre ecole , celle precisement qu'etait
venu renverser Descartes. Montaigne etait son veritable
maitre avant cclui qui lui parla du haut de la croix.
Le philosophe, dans Pascal, interrogeant mal la raison,
n'en obtient que des reponses incertaines; et, incapable de
s'y arreter, il se precipite dans tons les abimes du scepti-
cisme. Mais, rhomme, dans Pascal, ne se resigne point au
scepticisme du philosophe. Sa raison ne pent pas croire;
mais son coeur a besoin de croire. II a hesoin de croire a un
Dieu, non pas a un Dieu abstrait , principe hypothetique
des nombres et du mouvement, mais a un Dieu vivant qui
a fait rhomme a son image, et qui puisse le recueillir apr^s
celte courte vie. Pascal a horreur de la mort comme de
218 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — H.
Tentreedu neant; il chercho un asile contre la mort de
toute la puissance de son ame, de toute la faiblesse de sa
raison desarmee. Pascal veut croire a Dieu, a une autre vie,
et ne le pouvant pas avec sa mauvaise philosophie, faute d'en
posseder une nieilleure et d'avoir suffisamment etudie et
compris Descartes, il rejette toute philosophie, renonce k
la raison et s'adresse a la religion. Mais sa religion n'estpas
le christianisme des Arnauld et des Malebranche, des Fene-
lon et des Bossuet, fruit solide et doux de Talliance de la
raison et du coeur dans une ame bien faite et sagement cul-
tivee: c'est nn fruit amer, eclos dans la region desolee du
doute, sous le souffle aride du desespoir. Pascal a voulu
croire, et il a fait tout ce qu'il etait necessaire de faire pour
finir par croire. Les difficultes qu'il rencontrait, sa raison ne
ies a pas surmontees, mais sa volonte les a ecartees. Ne les
lui rappelez pas, il les connait mieux que vous : sa derniere,
sa vraie reponse est qu'il ne veut pas du neant, et que la
folic de la croix est encore son meilleur asile. Pascal a done
fini par croire ; mais, conuiie il n'y est parvenu qu'en depit
de la raison, il ne s'y soutient qu'en redoublant de soins
contre la raison, par de penibles et continuels sacrifices, par
la mortification de la cbair_, surtout par celle deTesprit;
c'est la la foi inquit^le et malheureuse que Pascal entreprend
de conununiquer a ses semblables. II ne se proposait point
de s'adresser a la raison, sinon pour rhumilier et pour
Fabattre, mais au canir pour I'epouvanter et le charmer tout
ensemble, a la volonte pour agir sur elle par tous les motifs
connns qui la determinent, la verite en soi exceptee. Une
telle apologie du christianisme eut ete un monument tout
particuher, qui aurait eu pour vestibule le scepticisme, et
pour sanctuaire une foi sombre et mal sure d'elle-meme. Un
pareil monument eut peut-etre convenu a un siecle malade
RKNSEES ALTT'REES, 919
tel que le niMre ; il edt pu Mlvev et recevoir Renc^ et Byron
convertis^ des homines longtemps en proie aux horreurs dii
doute et voulant s'en delivrer a tout prix. Mais les esprits
sains et regies du xvu^ si^cle n'auraient su que faire d'un
semblable ouvrage. Pour eux, la religion etait le couronne-
ment de la philosophie , la foi^ le developpement le plus
legitime de la raison vivifiee et eclairee par le sentiment.
Le scepticisme de Pascal leur efit ete un scandale plut6t
qu'une levon. Aujourd'hui meme, les Pensees sont peut-
etre plus dangereuses qu'utiles; elles repandent raversion
de la philosophie bien plus que le goutde la religion; elles
ravagent Tame phis qu'elles ne Teclairent et ne la paci-
fient; et la foi qu'elles inspirent, fdle de la peur plutotque
de Tamour, est inquiete et agitee comme celle de ce sublime
et infortune genie.
II n'est done pas surprenant que des hommes tel qu'Ar-
nauld et Nicole, qui voulaient faire des Pensees un livre
edifiantj n'aient pas consenti a les publier telles qu'ils les
trouvaient J mais c'est ici notre devoir d'editeur tidele de re-
tablir le caractere original de I'ouvrage sur lequel noustra-
vaillons^ d'oter au scepticisme et a la religion de Pascal
leurs derniers voiles, et cela avec d'autant moins de scru-
pules que le scepticisme de Pascal est, a nos yeux, une
erreur qui veut 6tre demasquee et combattue, et la foi par
laquelle il entreprend de le corriger, un autre exces, un
remede extreme, presque aussi funeste que le mal qu'il
pretend guerir, qu'il ne guerit point, qu'il envenime au
contraire, etrend plus tard incurable a tons les efforts d'une
philosophie genereuse et du vrai christianisme\
1. 11 y adoiue ans nous exprimions deja la meme opinion sur le
caractere de la philosophie et de la religion de Pascal, dans la xn^ lee.
de TEsonssE de l'histoirf, de la philosophie : « Pascal est incontes-
1^0 DES PENSfeES PE PASCAL. lUPPORT-H.
Tout le monde a bien vu que plusieurs pensees de Pas
cal etaient des pensees de Montaigne, tantot fidelemen
tablement sceptique dans plusieurs de ses Pensees; et le but avom
de son fivre est Tapologie de la religion chretienne. Ni son scepti
cisme ni sa th^ologie n'ont rien de fort remarquable en eux-memes
Son scepticisme est celui de Montaigne et de Charron, qu'il repro
duit souvent dans les memes termes : n'y cherchez ni une vue nou
velle m un argument nouveau. II en est a pen pros de m6me de s;
tli6ologie. Qui done place si haut Pascal et fait son originality? G'es
que tandis que le scepticisme n'est 6videmment pour les autres seep
tiques dont je viens de vous entretenir quun jeu de Tesprit, un
combinaison invent^e de sang - froid pour faire peur a Tespri
liumain de lui-m6me et le ramener a la foi^ il est profondt^ment sin
cere et serieux dans Pascal. L'incertitude de toutes les opinions n'es
pas eutre ses mains un epouvantail de luxe; c'est un fant6me, im
prudemment evoque^ qui le trouble et le poursuit lui-meme. Dans se
Pensees il en est line rarement exprimee, mais qui domine et se sent pai
tout, I'idee fixe de la mort. Pascal^ uu jour^ a vu de pres la mort sans ;
etre pr^pariij et il en a eu peur. II a peur de mourir, il ne veut pa
moarir; et ce parti pris en quelque sorte, il s'adresse a tout ce quipourr
lui garautir Is plus surement rimmortalite de son ame. C'est pour Vim
mortalite de I'aine et pour elle seule, qu'il cherclie Dieu ; et du premie
coup d'ceil que ce jeune g^ometre, jusque-la presque Stranger a la phi
losophie, jette sur les ouvrages des philosophes, il n'y trouve pas u
dogmatiste qui satisfasse i ses habitudes geometriques et au besoin qu':
a de croirej et il se jette entre les bras de la foi la plus austere; ca
celle-la enseigne et promet avec autorit^ ce que Pascal veut esp6rer san
crainte. Que cette foi ait aussl ses difficultes, il ne Tignore pas; c'ei
pour cela peut-etre qu'il s'y attache davautage comme au seul tresor qi
lui reste, et qu'il s'applique a grossir de toute espece d'arguments, boi
et mauvais; ici de raisons solides, la de vraisemblances, la meme d
chimeres. Livree a elle-meme, la raison de Pascal inclineraitau scept
cisme ; mais le scepticisme c'est le n^ant ; et cette horrible id6e le rejeli
dans le dogmatisme, et le dogmatismc le plus imperieux. Ainsi d*i]
cCite une raison sceptique; de I'autre un invincible besoin de croire : c
la un scepticisme inquiet, et un dogmatisme qui a aussi ses inqui
tudes; de la encore, jusque dans I'expression de la pensee, ce caractei
m^laucolique et pathetique qui, joint aux habitudes severes de Tespi
geometriquo, fait du style de Pascal un style unique et d'une beaute si
perieuve. » = Sur le scepticisme de Pascal, voyez noire dernier mot dai
la Preface de la seconds edition.
PKNSEES ALTKRilES. 221
reproduitesj tant6t citees de memoire, abregees ou deve-
loppees; mais on a quelquefois pretendu que c'etaient des
objections que Pascal marquait pour y repondre; e'est
n^avoir pas compris son dessein et Tesprit de la nouvelle
apologie. Non^ ce n'etaient pas la des objections que Pascal
voulait refuter^ mais des arguments conlre la raison^ qu'il
mettait en reserve au profit de sa cause, et qu'au lieu de
refuter il se proposait de developper et de fortifier. Ainsi
Pascal, comme tons les sceptiques, comme Montaigne,
Charron, La Mothe le Vayer, et avec eux toute Tecole sen-
sualiste de tons les pays et de tous les temps, comme ses
contemporains Hobbes et Gassendi, n'admet pas Tautorite
propre de la raison, ni par consequent celle de la conscience,
ni justice naturelle, ni droit naturel, nul autre droit que
celui de la force et de la coutume. Montaigne, qui est Tin-
consequence meme, chancelle perpetuellement dans son
scepticisme, et il dit quelquefois que la coutume a du bon,
et que c'est pour cela qu'on la suit. Pascal redresse ici
Montaigne, il lui reproche cette concession, et maintient
que la force de la coutume se tire d'elle-meme, c'est-a-dire
de la seule faiblesse de Vhomme. Nous avons vu qu'Arnauld
cite cette pensee ou telle autre du meme genre, comme un
exemple des pensees qu'il est necessaire de modifier, et qui
sont insoutenables * ; nous avons vu aussi MM, Perier sou-
mettant a leur mere les difficultes que provoquait ce pas-
sage, ainsi que la nouvelle redaction proposee par Ar-
nauld : « Montaigne n'a pas tort quand il dit que la coutume
doit etre suivie des la qu'elle est coutume, etc., powvu
qu^on n'etende pas cela a des choses qui seroient contr aires
au droit naturel et divin ^, etc... » . Bossut moditie encore
1. Voyez plus haul, p. 158^ etc.
2. Page 163, a la note.
222 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPOKT — II.
la redaction de Port-Royal (l"^ part, ix, 43) : « Montaignt
a raison; la coutiime doit etre suivie des la qu'elle esl
coutume et qu'on la trouve etablie, sans examiner si elk
est raisonnable ou non; cela s'entciid iovjours de ce qm
nest point contraire au droit naturei ou divin, 11 est vrai
que^ etc... » Pascal s'etait hien garde de faire aucune
reserve en faveur du droit naturei et divin qu'il n'admet-
tait pas; allant au dela de Montaigne^ il avait dit (Msc.
p. 134.: « Montaigne a tort; la coutume ne doit etre suivie
que parce qu'elle est coutume, et non parce qu'elle soil
raisonnable ou juste. Mais le peuple, etc. ))
Cette phrase n'est dans le manuscrit que le commence-
ment d'un morceau ou la pensee de Pascal est exposee
sans aucune ambiguite : « 11 seroit done bon, ajoute-t-il
apres ce qu'on vient de lire, qu'on obeit aux lois et ecu-
tumes parce qu'elles sont lois, qu'on sut qu'il n'y en a
aucune juste et vraie a introduire, que nous n'y connois-
sonsrien^etqu' ainsi il faut sculement suivre les revues. Pai
ce moyen on ne les quitteroit jamais. Maisle peuple n'est
pas susceptible de cette doctrine, et ainsi, comme ilcroil
que la verite se pent trouver et qu'elle est dans les lois et
couiumeSj il les croit et prend leur antiquite comme une
preuve de lenr verite ^ et non de leur seule autorite sans
verite; ainsi il obeit; mais il est sujet a se revolter d^s
qu'on lui montre qu'elles ne valent rien : ce qui se pent
faire voir de toutes en les regardant d'un certain c6te. »
Port-Royal a snpprime tout ce morceau. Bossut Ta
donne d'apres Condorcet^ ainsi mutile et reduit (B. 1"
part. IX, 11. — Gond. v. § 2, 19) : « II seroit bon qu'on
obeit aux lois et coutumes, parce qu'elles sont lois, et que
le peuple comprit que c'est la ce qui les rendjustes. Parce
moyen, on ne les quitteroit jamais : au lieu que, quand on
PENSEES ALTKHEES. 223
fait dependre leur justice d'autre chose ^ il est aise de la
rendre douteuse; at voila ce qui fait que les peuples sont
sujets a se vevolter. »
Dansle grand fragment sur le pyrrhonisme, Pascal, au
lieu d'epuiserrenumerationdos arguments despyrrhoniens,
s'arrete et dit^ selon Port-Royal (ch. xxi) : « Je laisse les dis-
cours que font les pyrrhoniens contre les impressions de la
coutume, de Teducation^ des moeurs, des pays, et les autres
choses semblables qui entrainent la plus grande partie des
hommesqui ne dogmatisent que sur ces vains fondements. »
Voila comme Port-Royal fait parler Pascal. Mais Pascal lui-
meme parle bien autrement '. Dans Port-Royal, il ne prend
pas parti pour les pyrrhoniens* dans le manuscrit (p. 257),
il se declare ouvertement pour eux contre « les impressions
de la coutuine, de ^education, des moeurs, des pays, et
autres choses semblables, qui, quoiqu'elies entrainent la
plus grande partie des bommes communs, qui ne dogma-
tisent que sur ces vains fondements, so7it renversees par le
moindre souffle des pyrrhoniens. On via qu'a voir Leurs
livres si fon n'en est pas asses* persuade; on le deviendra
bien vile etpeut-etre Irop. »
Void des pensees analogues a celles-la, quei^ort-Royal
a retranchees et que Bossut n'a pas cru devoir tirev des
deux copies :
(Msc. p. 229) :c(Toute la dignite de Phomme est en la
pens6e. Mais qu'est-ce que cette pensee? Qu'elle est
sotte ! »
( Msc. p. 447) : « Mon Dieu 1 que ce sont de sots discours ;
Dieu auroit-il fait le monde pour le damner, etc.? Pyr-
1. Voyez tout ceci eclairci et developpe dans la Pri^face de la seconde
edilioa.
224 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORt-U.
rhonisme est le remMe a ce mal et rabat cette vanite. »
(Msc. p. 81) : c( Riea ne fortifie plus le pyrrhonisme qne
ce qu'il y en a qui ne sont pas pyrrhoniens; si tous Tetoient,
ils auroient tort. »
(Msc. p. 83) : « Cette secte se fortifie par ses ennemis
plus que par ses amis; car la foiblesse de Thomme paroit
bien da vantage en ceux qui ne la connoissent pas qu*en
ceux qui la connoissent. »
Et encore (Msc. p. 8) : « Tous les principes sont vrais,
des pyrrhoniens^ des stoiques, des athees, etc. Mais leurs
conclusions sont fausses^ parce que les principes opposes
sont vrais aussi. »
Le pere DesmoletS;, moins scrupuleux que Port-Royal, a
publie cette pensee, que Bossut a reproduite (Desm. p. 329;
B. 2^ part, xvn^ i) : a Le pyrrhonisme sert a la religion. Le
pyrrhonisme est le vrai '; car, apres tout, les hommes avant
Jesus-Christ ne savoient oii ils en etoient(Msc. p. 83). »
Bossut a attenue Desmoids; il dit seulement : «Le pyrrho-
nisme a servi h. la religion. Car, apres tout, les hommes
avant Jesus-Christ ne savoient ou ils en etoient, »
Partout Pascal rejette et combat les preuves metaphysi-
ques de Te^tistence de Dieu, et meme celles qui se tirentdu
spectacle de la nature. Qu'auraient dit d'une pareille pole-
mique, je ne dis pas Descartes et Leibniz, mais Tauteur du
Traite de Texistence de Dieu et celui de la Connoissance de
Dieu et de soi-meme? Nicole, au commencement de son
Discours de Texistence de Dieu et de llmniortalite de
Tame, s'exprime ainsi : « II y en a ( des preuves ) d'abstraites
et de metaphysiques... et je ne vois pas qu'il soit raison-
nable de prendre plaisir a les decrier. Mais il y en a aussi
1. Preface de la seconde edition.
PENSEES ALTEREES. 255
qui sont plus sensibles (les preuves physiques), pins con-
formes a notre raison, plus proportionnees k la plupart des
esprits, et qui sont telles qu'il faut que nous nous fassions
violence pour y resister. » On con^oit done que Port-Royal
ait craint de repandre des pensees telles que celle-ci : « Je
n'entreprendrai pas de prouver par des raisons naturelles
ou 1 existence de Dieu ou la Trinite on rimmortalite de
Vkme, ni aucune des choses de cette nature; non-seulement
parce que je ne me sentirois pas assez fort pour trouver
dans la nature de quoi convaincre des athees endurcis, mais
encore, etc (B. 2« part, ni, 2). » — « C'est une chose
admirable que jamais auteur canonique ne s'est servi de la
nature pour prouver Dieu; tons tendent a le faire croire et
jamais il n'ont dit : II n^y a point de vide 5 done il y a un
Dieu. II falloit qu'ils fussent plus habiles que les plus ha-
biles gens qui sont venus depuis, qui s'en sont tons servi.
Cela est tr6s considerable (B. 2« part, iii, 3). » C'est
Desmolets qui le premier a public ces fragments tr6s equi-
voques.
« J'admire, dit Pascal (Msc. p. 206), avec quelle har-
diesse ces personnes entreprennent de parler de Dieu en
adressant leurs discours aux impies. Leur premier chapitre
est de prouver la divinite par les ouvrages de la nature. Je
ne m'etonnerois pas de leur entreprise s'ils adressoient
leurs discours aux fideles ; car il est certain que ceux qui
ont la foi vive dedans le coeur voient incontinent que tout
ce qui est n'est autre chose que I'ouvrage du Dieu qu'ils
adorent. Mais, pour ceux en qui cette lumi^re est eteinte,
et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces per-
sonneSj destituees de foi et de grace , qui , recherchant de
toute leur lumi^.re tout ce qu'ils voient dans la nature qui
les peut mener a cette connoissance, ne trouvent qu'obs-
15
256 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — U.
curite et tenebres, dire a ceux-la qu'ils n'ont qu'a voir la
moindre des choses qui les environnent, et qu'ils y verront
Dieii a decoiivert, et leur donner pour toute preuve k ee
grand et important sujet le cours de la lune et des plan^tes^
et pretendre ravoir achevee sans peine avec pn tel discours,
c'est leur donner sujet de croire que les preuves de notre
religion sont bien foibles, et je vois par raison et par expe-
rience que rien n'est plus propre a leur en faire naitre le
mepris. Ce n'est pas de cette sorte que I'Ecriture, qui coRt
noit mieux les choses qui sont de Dieu^ en parle : elle dit,
au contraire, que Dieu est un Dieu cache, et que^ depuis la
corruption de la nature, il les a laisses dans un aveugle-
ment dont ils ne peuvent sortir que par Jesus r Christ, hors
duquel toute communication avec Dieu est otee. Pvemo no^
vit patrem ninfiiiua, et cuifilins voluerii revelare,
« Cast ce que I'Ecriture nqus marque quand elle dit en
tant d'endroits que ceux qui cherchent Dieu le trouvent :
ce n'est point de cette lumiere qu'on parle, comme le Jour
en plein midi. On ne dit point que ceux qui cherchent le
jour en plein midi. ou de I'eau dans la mer, en trouveront;
et ainsi il faut bien que I'evidence de Dieu ne soit pas telle
dans la nature. Aussi elle nous dit ailleurs '.Vere tu es Dens
absconditus. »
Condorcet a seul donne ce morceau (art. v. § i, n** 3) en
ralterantperpetuellement^ et Bossut n'a pas juge a propos
de le reproduire.
Quelquefois Desmoids, faute de comprendre Pascal ou
nosant pas lui imputer des enormites, lui attribue des
pensees bien vagues. Desmolets (p. 309) : « Atheisme.
manque de force d'esprit, mais jusqu'a un certain poM
seulement. » On ne voit pas bien ce que cela signifie. Pas-
cal a ecrit de sa propre main, et en caracl^res trcs-lisibles
PENSKES ALTERKES. 227
(Msc. p. 61 ) : « Alheisme, marque de force d'esprit, mais
jusqu a un certain degre seulement. » C'est-cVdire que c'est
force d'esprit de rejeter I'existence de Dieii au nom de la
raison, pourvu qu'ensuite on Taccepte des mains de I4 re^
velation. Pascal est Ik tout entier. Desmolets n'a pas ose
le montrer tel qu'il est^ et Bossut^ reculant egfilement
devantle vrai et devfint le faux, ne redresse ni ne main-
tient la citation de Desmolets : il la supprime.
Quand on pousse le scepticisme jusque-la, on court bien
risque de le retrouver jusque dans le sein de la foi, et il
echappe a Pascal , au milieu des acc^s de sa devotion con-
vulsive^ des cris de misere et de desespoir que Port-Royal ni
Desmolets ni Bossut n'ont voulu repeter. a Le silence eter-
nel de ces espaces infinis m'effraie. » Cette ligne sinistra
qu'on rencontre separee de tout le reste, n'est-elle pas
comme un cri lugubre sorti tout k coup des abimes de Tame,
dans le desert d'un monde sans Dieu! Ailleurs est cette
autre ligne isolee comme la premiere (Msc. p. 23) : « Com-
bien de royaumes nous ignorent! » A la marge d'un nior-
ceau sur le divertissement, Pascal a ecrit (Msc. p. 217):
(( Que le cceur de Thomme est creux et plein d' ordure ! »
On a cent fois cite cette pathetique tirade (P.-R. ch. xxr.
B. 2« part, i, 5) : « Quelle chim^re est-ce done qqe
rhomme? quelle nouveaute, quel cbaos^ quel sujet de
contradiction ! Juge de toutes choses, imbecile ver de terre,
depositaire du vrai^ amas d'incertitude^ gloire et rebut de
Tunivers! » Voici un trait qui n'a pas trouve grace devant
le due de Roannez^ et qui pourtant ajoute encore a la gran-
deur el au sombre coloris de ce fragment : « Quelle chim^ye
est-ce done que Vhomme? quelle nouveaute, quel monstre,
quel chaos, quel sujet de contradictions, quelprodigef Juge
de toutes choses, imbecile ver de terre^ depositaire du vrai.
ns, DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — II.
cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de I'l
vers! Qui demelera cet embrouillement, etc » (Mse. p. 25!
Combien cette expression , amas d' incertitude ^ seni
faible et pale devaiit celle-ci : cloaque d'incertitude et d
retir, qui en meme temps a i'avantage de former un c
traste naturel avec cette autre expression : depositaire
vrai, comme aussi de rappeler et de preparer celles de \
de terre et rebut de l^univers/
Nous avons vu comment toutes les editions ont affaibli
scepticisme de Pascal: elles n'ont pas moins altere le car
tere de sa foi .
EUe est bien loin d'etre sans nuage. Pascal ne dissimi
point les difficultes que le chrJstianisme presente a la ci
tique^ si on s'engage dans Tetude des textes sacres^ e
requite, si on le compare avec les autres religions.
Pascal a tourne les figures de I'Ancien Testament conl
les Juifs, qui les ont prises a la lettre ; mais il avoue qu'ii
a des figures qui ont pu tromper les Juifs, et qui semble
unpen tirees par les cheveux (Msc. p. 459). Port-Royal 1
fait dire (ch. xn ; B. 2^ part, ix, i) : « II y en a d'autres q
somblent moins naturelles. »
Port-Royal (ch. xvu j B. 2'' part, xu, 9) : « Je veux qu
y ait dans TEcriture des obscurites. » Pascal (Msc. p. 4^56
« Je veux qu'il y ait des obscurites qui soient aussi bizarr
que celles de Mahomet. »
Pascal (Msc. p. 27) : « Comme Jesus-Christ est venu :
sanctifi€aiioy)em. et in scandalum... nous ne pouvons coi
vaincre les infideles, et ils ne peuvent nous convaincr
Mais J par la meme, nous les convainquons, puisque noi
disons qu'il n'y a point de conviction dans toute sa condiii
(de Dieu) de partni d'autre. » Port-Royal (ch. xviii; B. '
part, xui, 7): «... Nous ne pouvons convaincre Vobstim
PEN9EES ALTfiREES. 22»
Hon des infideles. Mais cela ne fait Hen conire not4s, puis-
que nous disons qull n'y a point de conviction dans toute
la conduite de Dieu pour les espriis opinidtres, et qui ne
reeherchent pas sincerement la verite. »
Pascal (Msc. p. 265) : « La seule religion, contra la
nature, contre le sens communj contre nos plaisirs, est la
seule qui ait toujours ete. » Port-Royal eclaircit fort inuti-
lement une partie de cette phrase et enerve Tautre (ch. ii;
B. :2* part, iv, 9 ) : « La seule religion contraire a la nature
en Vetat qit'elle est, qui combat ious nos plaisirs et qui
parait cTabord contraire au sens commun, est la seule qui
ait toujours ete. »
Port-Royal a supprime cette pensee bizarre (Msc. p. 485) :
« Les miracles ne servent pas a convertir, mais a con-
damner. »
Que dire encore de cette autre pensee (Msc. p. 153) : « Les
propheties citees dans I'fivangile, vous croyez qu'elles sont
rapportees pour vous faire croire? Non, c'est pour vous eloi-
gner de croire. »
Quelle religion, bon Dieu, que celle dont les monuments
sacres induiraient en tentation d'incredulite , au lieu d'ins-
pirer la foi! Grace a Dieu, ce n'est pas ainsi que saint
Augustin et Bossuet commentent les saintes Ecritures.
Mais arrivons au passage le plus frappant et le plus deci-
sif, celui ou Tun des premiers auteurs du calcul des proba-
bilites essaie de prouver que, d'apres les regies des jeux de
hasard, il vaut beaucoup niieux parier que Dieu existe que
de parier le contraire. Port-Royal, en publiant une partie
de ces pages singulieres, a bien soin de les faire preceder
d'un avis ou il essaie de donner un tour favorable a cette
etrange maniere de prouver Dieu. Selon Port-Royal, Pascal
ne s'adresserait qu'a certaines personnes, et ne leur parle-
230 DES PENSKES DE PASCAL. HAPPOUT -II.
rait ainsi qu'en s'accommodant h leiirs proprGs principes^
nn attendant qu'elles aient trouve la lumiere necessaire
pour se convaincre de In verity Non content de cet avis
preliminaire , Port-Royal retranche ce qii'il y a de plus
fort a la fois et de plus bizarre dans les calculs de Pascal;
et le pere Desiiiolots n'a pas ose retablir ces calculs dans
touts leur rigueur. Quoi qu'en dise Port-Royal, ce n'estpas
la pour Pascal uu argument provisoire; c'est celui que^ dans
rimpuissance de rien demontrer par la raison et dans Tab-
sence detoute certitude, il presente avec confiancejComnie
devant ie plus surenaent entrainer la volonte et la forcer de
prendre un parti dans ce jeu redoutable oii 11 y a tout a
perdfe comme tout a gagner^ ou en tnerne temps il n'est pas
possible de rester indifferent, et oil il faut necessairement
parier pour ou contre, choisir pile ou croix. Pascal s' attache
a cet argument comme a son dernier refuge. L'enjeu ici
n'est pas la verite, mais le bonbeur present et a venir, et
c'est au nom de I'interet scul que Pascal raisonne et con-
clut. Le titre que Port-Royal et Desmolets ont omis dil tout
(Msc. p. 3) : Infini, Rien, Le morceau est complet dans
le manuscrit autographe'. Toutes les parties en sont bien
encbainees et bees entre elles par des renvois claireinent et
soigneusement indiques. Port-Royal n'a pris que les para-
graphes qui lui convenaient; par la il a ote a I'ensemble
toute sa force. Partout aussi il a attenue les vives expres-
sions de Foriginal;, et supprime, le plus qu'il a pu, les ter-
mes de jeu , de gageure, de gain, de perte, de croix et de
pile, que Pascal prodigue jusqu'a la satiete, et qui pourtaiit,
le probleme admis ainsi qu'il est pose, sont absolunient in-
dispensables.
1. Nous le donnons tout cntier a la suite de ce Rapport, avec le mor-
ceau sur les deux inflnis.
PENSEES ALTEREES. 231
Port-Royal fortifie son avis preliminaire de ce debut qu'il
impute a Pascal (ch. vii): « Je ne me servirai pas^ pour
vous convaincre de son existence, de la foi par laquelle nous
la connaissons certainement , ni de toutes les autres preuves
que nous en avons, puisque vous ne les voulez pas recevoir.
Je ne veux agir avec vous que par vos principes mtoes ; et
je pretends vous faire voir^ par la mani^re dont vous raison-
nez tons les jours sur les choses de la moindre conse-
quencCj de quelle sorte vous devez raisonner en celle-cij et
quel parti vous devez prendre dans la decision de cette
importante question de Texistence de Dieu. Vous dites
done que nous sommes incapables de connaltre s'ii y a un
Dieu J etc. »
Tout cela^ idee et style^ est de Port-Royal et non de Pas-
cal. Port-Royal cherche a mettre sur le compte de Tinter-
locuteur Thypoth^se que nous sommes incapables de con-
naltre s'il y a un Dieu. Mais cette hypothese est de Pascal
lui-memc; C'est Desmolets qui a donne le vrai debut, tel
qu'il est dans le manuscrit (p. -4) : « Parlons maintenant
selon les lumieres naturelles. S'il y a un Dieu, il est infini-
ment incomprehensible, puisque^ n'ayant ni parties ni
bornes, il n'a nul rapport a nous. Nous sommes done in-
capables de connoitre ni ce qu'il est, ni s'il est. Gela etant,
qui osera entreprendre de resoudre cette question? ce n'est
pas nous, qui n'avons aucun rapport a lui. »
Voila le fond de la conviction de Pascal : voiL^ le prin-
cipe qui lui est commun avec toute Tecole sceptique et sen-
sualiste. Port-Royal, qui aurait eu horreur de ce principe,
P6te a Pascal et Timpute a un interlocuteur fictif.
Bossut (2' part, ni) donne bien le vrai debut public par
Desmolets, mais il y joint, dans le meme chapitre, le debut
suppose par Port-Royal; et, pour masquer, comme il pent.
m DJES PENStES DE PASCAL lUPPORT-H.
la contradiction, il retranche ce qu^il y a de plus fort da
celui de Desinolets qui est le vrai. Pascal, dans Desmoli
comine dansle manuscrit^ dit: « Nous sommes done inc
pables de connoitre ni ce qu'il est ( Dieu ) , ni s'il est
Bossut supprime c( ni s'il esl. a
Pascal pose netlement le probleme : « Examinons done
point, et disons : Dieu est ou il n'est pas, Mais de qi
cote pencherons-nous? la raison n'y peut rien deten
ner. » Port-Royal : « La raison, dites-vous, n'y peut ri
determiner. » Encore une fois, ce n'est pas Tinterlocute
de Pascal, c'est Pascal lui-meme qui decide et qui met
principe que la raison n'y peut rien determiner.
Relevons ici, en passant, une petite variante. Port-Roy
« II se joue un jeu a cette distance infmie ou il arriv*
croix ou pile. » Pascal encore mieux : a II se joue un jei
Fextremite de cette distance infinie, etc. »
Partout Pascal rappelle qu'il ne s'agit pas ici de la veri
de la raison, de la connaissance j que la connaissance
impossible, la raison impuissante, le vrai inaccessib
qu'il s'agit du bonheur, et du bonheur seulement. Pasc
« Vous avez deux clioses a perdre, le vrai et le bien,
deux choses a degager, votre raison et votre volonte, vc
connoissance et votre beatitude; et votre nature a d(
choses a fuir, Terreur et la misere. Votre raison n'est
phis blessee, puisqu'il faut necessairement choisir, en cl
sissant Tun ou Pautre. Voila un point vide; mais votre t
titudel Pesons le gain et la perte, etc... » Port-Royi
supprime tout cela, c'est-a-dire le vrai etat de la questi
et Bossut s'est hien garde de le retablir.
Arrive a la balance des chances de gain et de pe
Port-Royal abrege le calcul que Pascal developpe poui
donncr une apparence de rigueur.
f ort-ftoyal, et d'apres lui Bossut : « Pesons le gain et la
perte, en prenant le parti de croire que Dieu est. Si vous
gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez
rien. Pariez done qu'il est, sans hesiter. Oui, il faut gager;
mais je gage peut-^tre trop. Voyons. Puisqu'il y a pareil
hasard de gain et d6 perte^ quand vous n'auriez que deux
vies a gagner pour une , vous pourriez encore gager. Et,
sll en avoit dix a gagner^ vous seriez imprudent de ne pas
hasarder voire vie pour en gagner dix a un jeu oil il y a
pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a ici une infinite
de vies infiniment heureuses a gagner avec pareil hasard de
perte et de gain : et ce que vousjouez est si pen de chose et
de sipeu de duree, quit y a de lafolie a le menager en cette
occasion. Car il ne sert de rien, etc »
Pascal : « Pesons le gain et la perte , en prenant croix
que Dieu est. Estimons ces deux cas : Si vous gagnez, vous
gagnez tout; si vous perdez _, vous ne perdez rien. Gagez
done qu'il est, sans hesiter. Cela est admirable. Oui, il faut
gager; mais je gage peut-etre trop. Voyons. Puisqu'il y a
pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'a ga-
gner deux vies pour une, vous pourriez encore gager. Mais,
s'il y en avoit tiois a gagner, il faudroit jouer (puisque vous
etes dans la necessite de jouer), et vous seriez imprudent,
lorsque vous 6tes force a jouer, de ne pas hasarder votre
vie pour en gagner trois a un jeu oil il y a pareil hasard de
perte et de gain. Mais il y a une eternite de vie et de bon-
heur ; et, cela etant, quand il y auroit une infinite de hasards
dont un seul seroit pour vous^ vous auriez encore raison de
gager un pour avoir deux ; et vous agiriez de mauvais sens,
etant oblige a jouer, de refuser de jouer une vie contre trois
a un jeu oil d'une infinite de hasards il y en a un pour vous,
s'il y avoit ici une infinite de vie infiniment heureuse a
234 DESPENSEES DE PASCAL. RAPPORT -II.
gagner. Mais il y a ici une infinite de vie infiniment he
reuse a gagner, un hasard de gain contre iin nombre fin
de hasards de parte, et ce que vous jouez est fini. Cela e
lout parti 2 : partout ou est rinfini, et oil il n'y a pas ui
infinite de hasards de perte contre celui de gain, il n'y
point a balancer, il faut tout donner ; et ainsi, quand c
est force a jouer, il faut renoncer a la raison pour gard
la vie plutot que de la basarder pour le gain infini, au£
pret a arriver que la perte du neant. Car il ne sert (
rien, etc... »
Au milieu de tous ces caculs, Pascal se demande s
serait impossible de voir quelque chose au dela de ci
chances incertaines et tenebreuses, et il renvoie brieveme
a TEcriturc : c( N'y a-t-il pas moyen^ dit-il, de voir le dessoi
du jeu? Oui I'Ecriture et le reste^ etc... » Port-Royal etei:
un peu et detigure cette reponse : « Mais encore n'y auroii
point de moyen de voir unpeu clair ? Oui, par le moyen i
rEcriturCj et par toutes les autres preuves de la religioi
qui sont injlnies. »
Ici, par une transposition bizarre, Port-Royal interca
plusieurs paragraphes qui se trouvent dans Pascal a d'at
tres endroits du manuscrit^ et dont le seul qui appartienr
a ce fragment vient evidemment beaucoup trop t6t, pui
qu'il a pour litre : « Fin de ce discours »; puis, reprenai
le fil de la discussion , Port-Royal fait dire a Pascal : « Voi
dites que vous etes fait dc telle sortc que vous ne saurii
croire. Apprenez au moins voire impuissance^ etc... » Ma
ce passage^ dans le manuscrit, a tout autrementde mouv
ment et d'energie : a Oui, avail dit Pascal, I'ficriture et
1. Les deux copies : nombre infini.
2. G'est-a-dire conforme a la regie de lout parti, de tout jeu.
PKNSKKS ALTKHEEH* 235
reste. Oui se replique-t-^il k lui-meme; mais j'ai les mains
liees et la bouche muette. On me force a parier et je ne
suis pas en liberie j on ne me relache pas; et je suis fait
d'une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous
done que je fasse? II est vrai; mais apprenez au moins
voire impuissance^ etc... n
Et voulez-vous savoir ce que Pascal conseille a Tincre-
dule qui voudrait croire et qui ne le pent? Ecoutons d'abord
Port-Royal et Bossut : u Vous voulez aller a la foi, et vous
n'en savez pas le chemin : vous voulez vous guerir de I'in-
fidelite^ et vous en demandez les rem^des. Apprenez-les de
Ceux qui out ete tels que vous, et qui n'ont presenfement
ducttn doute. lis savent ce chemin que vous voudriez suivre^
et ils sont gueris d'un mal dont vous voulez guerir. Suivez
la manifere par oil ils ont commence. » Pascal ne dit pas
tout h fait cela. II ne dit pas que les gens qu il propose
comme guides n'ont presentement aucun doute, mais que^
forces de parier, ils ont parie resolument. « Vous voulez
allef a lafoi, etc... Apprenez-les de ceux qui ont etes lies
comme vous, et qui parient tout leur bleu. Ce sont gens qui
savent ce chemin que vous voudriez suivre, et gueris d'un
mal dont vous voulez guerir. Suivez la maniere par ou ils
Ont commence. »
Maintenant quelle est cette maniere^ quel est ce remede
qui doit guerir Tinipuissance de la raison? Port-Royal:
« Imitez leurs actions exterieures^ si vous ne pouvez encode
entrer dans leurs dispositions interieures ; quittez ces vains
amusements qui vous occupent tout entier. » Ce precepte
est excellent, si ce style est fort mediocre. Mais ni ce pre-
cepte ni ce style ne sont de Pascal. II ne conseille pas seu-
lement de se bien conduire pour meriier peu a peu de
croire et dialler a la religion par la morale, comme Tont
^^i; t)Et^ t>£NS^E^ t)fi PASGAL. RAPPOttT-lI.
recommande tous les grands moralistes et les grands theo-
logiens ; voici ce que nous tronvons dans le manuscrit :
«... Snivez la maniere par ou ils ont commence : c'est en
faisant tout comnie s'ils croyoient, en prenant de I'eau be-
nite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement memo
cela vous fera croire et vous abetira. — Mais c'est ce que
je Grains. — Et pourquoi? qu'avez-vous a perdre?))
Quel langage ! Est-ce done la le dernier mot de la sagesse
humaine? La raison nVt-elle ete donnee a Tbomme que
pour en faire le sacrifice^ et le seul moyen de croire a la
supreme intelligence est-il, comme le veut et le dit Pascal,
de nous abetir? Gette terrible sentence j portee par un tel
genie et par un genie naturellement si superbe, accablerait
riiumanite s'il n'y avail quelque chose au-dessns du genie
lui-meme, a savoir le sens conmiun, cette meme raison que
Pascal veut en vain etouffer, qui a ete donnee a chaque
homme et ne manque a aucun d'eux dans aucun pays et
dans aucun temps, et qui leur persuade a tous, sans I'ap-
pareil de demonstrations laborieuses, Texistence d'uneame
spirituelle, la distinction du bien et du mal, la saintetedu
devoir, la liberte et la responsabilite des actions, une Pro-
vidence divine qui a tout fait avec poids et mesure, qui
possede, dans un degre infmi, tous les attributs qui relui-
sent dans ses oeuvres et particulierement dans Tame hu-
maine, non-seulement la puissance et la grandeur, niais la
liberte, rintelligence, la justice et la bonte. Toutes ces
grandes croyances dont Pascal a soif comnie riiumanite
tout entiere, le sens commun les a revelees plus ou moins
imparfaitementdes le premier jour a tous les hommes; et,
pour qiielques genies egares qui ont eu le malheur de les
meconnaitre, les genies les plus excellents ont mis leur
gloire a les elablir et a les repandre. EUes sont le patrimoine
PENSEES ALTEREES. 237
de la race humaine^ son tresor au milieu de touies ses
miseres. Cest bien mal la servir que d^entreprendre de les
lui ravir d'une main, quand on n'est pas bien sftr de les lui
rendre de Taulre. Gomme si, d'ailleurs^ lorsqu'on a hebete
rhomme, ilen etait plus pres de Dieu !
Est-il besoin de dire que nous n'accusons point les inten-
tions de Pascal? Le seul sentiment que nous eprouvons est
celui d'une commiseration profonde pour ce grand esprit,
trahi par une methode infidele et Thabitude de demonstra-
tions geometriques, ici impossibles et superflues, enferme
par la dans le scepticisme, et pour en sortir se condamnant
lui-meme et les autres a une foi bien cher achetee et elle-
m^me pleine de doute. Ainsi le doute avanl et le doute
apres, tel a ete le sort de Pascal 1 En verite, il n'y a rien la
qui puisse faire beaucoup d'envie,
Terminons par une citation glorieuse a Pascal. Apr^s
avoir prononce les tristes paroles qui paraissent ici pour la
premiere fois, Pascal s'efforce de tirer son interlocuteur de
Tabattement oil Vavaient jete et ces calculs bizarres et ces
conseils douloureux; il introduit sur la scene cet interlocu-
teur rejoui et ranime, a Oh! ce discours me transporte, me
ravit, etc. » Puis il lui dit : « Si ce discours vous plait et
vous semble fort, sachez qu'il est fait par un homme qui
s'est mis a genoux auparavant et apres, pour prior cet etre
infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se
soumettre aussi le votre, pour votre propre bien et pour
sa gloire, et qu'ainsi la force s'accorde avec cetle bas-
sesse ' . »
1. Ce passage, qui n'est ni de Port-Royal, ni de Bossiit, se troave,
ainsi que la phrase : « Mais j'ai les mains liees et laboactie mnette ■
on me force, etc. » et la bonne lecon : « voir le dessous du jeu » dans
238 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — II.
Dans la troisieme et demiere parlie de ce rapport, n
recherchons les pensees inedites qu'ii est possible de gla
encore dans notre manuscrit, apres Port-Royal^ Teveque
Montpellier^ Desmolets, Condorcet et Bossut^ et apres
nombreux emprunfs que nons lui avons dejk fails no
m^me pour reparer tant d'alterations et retablir le tc
vrai; le style, la pensee^ i'ame de Pascal.
TROISIEME PARTIE.
Pensees tireeS; pour la premiere fois, dn manuscrit autographe
Le manuscrit des Pensees est un grand in-folio de ^
pages. La plupart des verso et meme plusieurs feuil]
entiers etant en blanc, le nombre des pages ecrites se red
a pen pres a la nioitie.
Ces pages se coniposent, la pliipart du temps, de pe
papiers coUes les uns au bout des autres. Nous avons d
dit que I'ecritnre de Pascal, toujours difficile a lire, est qi
quefoisindechiffrable par son extreme tenuite et la mu
unc edition rtePnscal dc 1819 (chez le libraire Lefevre), d'apres
edition de 1787, qui a echappe a toutes nos reclierclies, et qui i
pas meme a la Bibliotheque du roi. D'un autre c6te, cette meme ■
tion de 1819 maintient toutes \vs alterations introdaites par Port-R
et conserv6es par Bossut. Ce melange de vrai et de faax est ine?
PENSKES NOUVELLES. 239
tude des abreviations les plus capricieuses. Une demi-page
du manuscrit equivaut ordinairement h deux pages de nos
deux copies.
Les neuf dixi^mes au moins du manuscrit, surtout les
morceaux les plus etendus el les plus importants, sont de
la main de Pascal. 11 y a a peine sept ou huit pages qui
soient entierement d'une autre main. Yoyez les pages 429,
206 et 440-444.
Quelquefois une ecriture etrangere se rencontre au mi^
lieu de passages ecrits par Pascal lui-m6me. Voyez pages
55, 209, 344, etc. Quelquefois Pascal a corrige de sa main
ce qu'il avait dicte ou ce qui avail ete copie sur sa minute.
Voyez pages .55, 81 ^ 441, etc. L'abbe P^rier nous apprend
en eifet, dans les lettres placees en tete du manuscrit, que
Pascal avait fait copier ati net sur sa minute plusieurs de
ses pensees, et qu'il dictait quelquefois aux personnes qui
se trouvaient aupr^s de lui ^ Voila ce qui explique com-
ment, dans le manuscrit, il y a plus d'une main etrangere.
On y distingue plusieurs ecritures difterentes, quoique assez
semblables entre elles, et aussi lisibles que celle de Pascal
Test pen. Un petit nombre de morceaux sont d'une main
tout a fait inexperimentee. Voici, par exemple, Tortho-
graphe de quelques lignes, en assez gros caracteres, apr^s
cable. Enfin une uote de I'editeur exprime la pretention d'avoir consulte
le manuscrit, et montre en ineme ten^ps comtien cette pretention est
inal fpntlee. Sur ce passage : « Vous dites done que nous sonipies in-
capables de connoitre s'il y a un Dieu, » Tediteur fait cette remarque :
« Cette phrase, qui est bien certainement dans le manuscrit , manque
dans quelques Editions modernes. » C'est bien jouer de malbeur en
verite; car la phrase en question ne manque ni dans I't^dition de Port-
Royal ni dans celle de Cossut^ devenue le modele de toutes les autres
et elle n'est certainement pas dans le manuscrit.
1. Voyez plus haut, p. 112.
240 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPOnT-III.
lesquelles Pascal a pris lui-meme la plume. Msc. p. 159
G Sommom jus soinnia injuria. La pluraliU est la meilieui
vois, parce que\ est visible, et quel a la forse pour sefain
obeive. Cep^ndant c'est Vavis des moins abille. » Msc. p. M
« 5*^7 se veanteje Cabaisse; sHl s'abesse,je le veanie; et h
contrendii toujouv jusqtt'd se qu'il conprmne qu'il est w
7nonstre incowpremsible. n Cette ecriture est probablemen
eelle du domestique de Pascal ; car on ne peut attribuer d(
pareilles fautes a aucune personne de sa famille, pas menu
a sa niece Marguerite Perier^ qui avait environ seize ans i
cette epoque.
Parmi les fragments etendus, ecrits de la main de Pascal
il y en a qui sont presque complets, mais dent on ne decouvn
la suite qu'avec assez de peine, a cause de la multitude de;
renvois pratiques, non pas seulement aux marges, mais i
tous les coins de cbaque page, et quelquefois meme d'uni
page a une autre. On revient ainsi deux on trois fois a 1;
meme page, et on en sort autant de fois. Un exemple frap
pant de cet embrouiliement materiel, ou pourtant le fil di
la pensee n'est jamais rompu, est le morceau celebre oi
Pascal s'efForce de prouver qu'il est plus avantageux di
parier que Dieu existe que de parier le contraire, dans 1
necessite ou Ton est de parier (Msc. p. 4-7). Nous donnon
a la suite de ce Rapport un facsimile lithographic de 1
premiere page de ce morceau.
Les fragments tres-courts ne paraissent pas fort travaiiles
ou du moins on n'y trouve pas de corrections et de ratures
Il n'en est point ainsi des fragments etendus : ils sont rem
plis de corrections. Voyez particulierement les belles page
sur les deux infmis, p. 347-360.
On trouve assez souvent dans le manuscrit plusieui
lignes, et meme des pages eutieres barrees. Ce sont tant^
PENSKES NOUVELLES. 241
des developpements inutiles^ dont la suppression est une
amelioration evidente^ tant6t des premieres ebauches de
pensees auxquelles Pascal a donne ailleurs une forme plus
parfaite; tant6t enfin des morceaux acheves pour le style^
mais que Pascal, a la reflexion^ par des motifs que nous
ne decouvrons pas toujours, a cru devoir retrancher.
Ni Port-Royal ni Bossut n'ont publie ces passages, et ils
n'y etaient point tenus. Nous avons eu Toccasion d'en citer
quelques-uns : il en est encore qui peuvent nous interesser^
dans cette etude approfondie du style des Pensees^ ceux^
par exemple, qui ont re^u une forme nouvelle^ et nous
moiitrent Pascal s'efFor^ant de donner a ses idees une
expression de plus en plus exacte ou frappante , et ceux
aussi qui, supprimes pour des motifs qui ne nous touchent
plus aujourd'hui, portaient tout d'abord Fempreinte de sa
mani^re saine et vigoureuse.
Nous avons deja publie les deux formes du morceau ce-
lebre sur le Roseau pensant, Le passage sur Paul Emile et
surPersee (P.-R. xxiii; B. I" part, iv^ 4;) a commence par
etre cette note informe (Msc. p. 83): a Persee, roi de
Macedoine. Paul Emile. On reprochoit a Persee de ce qu'il
ne se tuoit pas. »
La pensee des effets de Famour et du nez de Cleopatre a
ete refaite trois fois. Premiere ebauche (Msc. p. 79) :
« Vanite. Les causes et les effets de Tamour. Cleopatre. »
Deuxi^me fa^on : « Rien ne niontre mieux la vanite des
hommes que de considerer quelle cause et quels eft'ets
de Tamour; car tout Tunivers en est change : le nez de
Cleopatre. » Cette deuxieme fagon a ete barree de la main
de Pascal. Voici la troisieme et derniere^ que la gravite de
Port-Royal n'a pas voulu recueillir, et qui a ete mise au
jour par le pere Desmolets (p. 4-06; B. l*^" part, ix, 46) :
16
242 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT- III.
« Qui voudra connoitre a plein la vanite de Thomme n^a
qu'a considererles causes et les effels de ramour. La cause
en est un je ne sais quoi (Corneille), et les effets en sont
effi'oyables. Ce je ne sais quoi, si peu de chose qu'on ne
sauroit le reconnoitre, remue toute la lerre, les princes, les
armees, le monde entier. Le nez de Cleopatre, s^il eutete
plus courts toute la face de la terre auroit change (les
editeurs : Si le nez de Cleopatre eut ete plus court, la face
de la terre auroit change). »
Pascal, apres avoir montre que I'homme n'est qu'un
sujet de contradiciion, un chaos^ s'ecrie (Msc. p. 258) :
« Qui demelera cet embrouillement? Certainement cela
passe le dogmatisme et le pyrrhonisme, et toute la philo-
sophic humaine. L'homme passe Thornme. Que Ton ac-
corde done aux pyrrhoniens que la verite n'est pas de notre
portee ni de notre gibier, qu'clle ne demeure pas en terre,
qu'elle est doniestique du ciel, qu'elle loge dans le sein de
Dieu, et qu'on ne la pent connoitre qu'a mesure qu'il lui
plait de la reveler. Apprenons done de la verite increee et
incarnec notre veritable nature. »
Ce morceau^ deja excelleut en lui-meme, developpe par
Pascal, est devenu sous sa main cet admirable passage (Msc.
Ibid.) : « Qui demelera cet embrouillement? La nature con-
fond les pyrrhoniens, et la raison confond les dogmatistes.
Que deviendrez-vous done, 6 honime, qui cherchez votre
veritable condition par votre raison naturelle? Vous ne
pouvez fuir une de ces sectes ni subsister dans aucune,
« Connoissez done, superbe, quel paradoxe vous etes a
vous-meme : humiiiez-vous, raison impuissante; taisez-
vous, nature imbecile. Apprenez que Fhomme passe infini-
ment Thomme, ct entendez de votre maitre votre condition
veritable, que vous ignorez : ecoutez Dieu. »
PENSKES NOUVELLES. 243
11 est vraiment deplorable que Port-Royal ait g^e ce pas*
sage en le demembrantj en transportant la premiere partie
dans le chapitre xxi, Des contrarietes etonnanteSy etc. (B,
2^ part. I, 1)^ et Taulre partie dans le chapitre III, Veri-
table religion prouvee par les contrarietes qui sont dans
Vhomme et par le pecke originel (B. 2^ part, v, 3); et que,
non content de cette dislocation sans motifs, Port-Royal ait
raye le dernier trait^ la conclusion : Ecoutez Dieu,
Voici maintenant deux formes d'une meme pensee, dont
la premiere a ete jugee par Pascal inferieure a la seconde,
puisqu'il Ta barree, et qui nous parait soutenir au moins
la comparaison avec celie qu'il a pr^fer^e (Msc. p. 110) :
« Get homme si aftlige de la mort de sa femme et de son
fils unique, qui a cette grande querelle qui le tourmente,
d'oii vient qu'a ce moment il n'est pas triste, et qu'on le
voit si exempt de toutes ces pensees penibles et inquie-
tantes? 11 ne faut pas s'en etonner : on vient de lui servir
un balle, et il faut qu il la rejette a son compagnon; il est
occupe k la prendre k la chute du toit, pour gagner une
chasse. Comment voulez-vous qu'il pense a ses affaires
ayant cette autre affaire k manier? Yoila un soin digne
d'occuper cette grande toe, et de lui 6ter toute autre pen-
see de Tesprit ! Get homme, ne pour connoitre Tunivers,
pour juger de toutes choses, pour regler tons les etats, le
voilk occupe et tout rempli du soin de prendre un lievre !
Et s'il ne s'abaisse a cela, et qu'il veuille toujours etre
tendu, il n'en sera que plus sot, parce qu'il voudra s'elever
au-dessus de Thumanite; et il n'est qu'un homme, au
bout du comptCj c'est-a-dire capable de peu et de beaucoup,
de tout et de rien : il n'est ni ange ni bete, mais homme. »
La seconde maniere, que Pascal a preferee et que Port-
Royal a du suivre et publier, est beaucoup plus courte; le
244 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT— III.
lecteur jiigera si elle est meilleure (P.-R. ch. xxvi; B
i"*^ part, v^ i; Msc. p. 133.) : « D'ou vient que cet homnie
qui a perdu depuis peu de mois son fils unique^ et qui, ac-
cable de proems et de querelles, etoit ce matin si trouble,
n'y pense plus maintenant? Ne vous en etonnez pas : ii
est tout occupe a voir par oil passera ce sanglier que les
chiens pousuivent avec tant d'ardeur depuis six heures. II
n'en faut pas davantage pour Fhomme. Quelque plein de
tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire en-
trer en quelque divertissement^ le voila heureux pendant
ce temps-la. »
Passons maintenant aux morceaux que Pascal n'a pas
barres pour les perfectionner, mais pour les supprimer en-
tierement.
Pascal a plusieurs fois fait Teloge des hommes univer-
sels 5 des honnetes gens , qui ne sont exclusivement ni
poetes ni mathematiciens , ne veulent point d'enseigne,
prennent part a toutes les conversations, et jugent de toutes
choses ( P.-R. chap, xxix; B. 1^^ part, ix, 48.). II avait en-
core ecrit sur ce sujet la pensee suivante : « Puisqu'on ne
peut etre universel, et savoir lout ce qui se peut savoir sur
tout, il faut savoir [un] peu de tout; car il est bien plus
beau de savoir quelque chose de tout, que de savoir tout
d'une chose. Cette universalite est la plus belle. Si on pou-
voit avoir les deux, encore mieux. Mais s'il faut choisir^ il
faut choisir celle-la. Et le monde le sent et le faitj car le
monde est un bon juge souvent ^ . »
Autre pensee supprimee : « Nature. La nature nous a
si bien mis au milieu que si nous changeons undesc6tes
de la balance, nous changeons aussi Tautre. Cela me fait
1. D'apres les deux copies.
PENSEES NOUVELLES. 24S
croire qu'il y a des ressorts dans notre tete^, qui sont tel-
lement disposes que qui touche Tun touche aussi le con-
traire (Msc. p. 110). »
Dans le fragment sur Timagination : Le plus grand philo-
sophe du monde^ etc.^le Msc. p. 362,donne : «I1 faut, puis-
qii'il lui a plu (a I'imagination), travailler tout le jour pour
des biens reconnus pour imaginaires; et quand le sommeil
nous a delasses des fatigues de notre raison, il faut incon-
tinent se lever en sursaut pour aller courir apr^s les fumees
et essuyer ( Pascal avait mis d'abord suivre) les impressions
de cette maitresse du monde. »
Pascal avait terniine tout le chapitre sur Pimagination
par les lignes suivantes^ qui auraient servi de transition a
un autre chapitre^ Msc. p. 370 : « L'homme est done si heu-
reusement fabrique, qu'il n'a aucun principe juste du vrai^
mais plusieurs excellents du faux. Voyons maintenant
combien. »
On ne voit pas pourquoi Pascal, qui a maintenu tant de
phrases energiques contre les jesuites, a raye celle-ci :
« Gens sans paroles , sans foi , sans honneur, sans verite ,
doubles de coeur, doubles de langue , et semblables, comme
il vous fut reproche autrefois, a cet animal amphibie de la
fable, se tenant dans un etat ambigu enlre les poissons et
lesoiseaux(Msc. p. 344.). »
Pascal a barre, il est vrai, les morceaux que nous allons
transcrire sur Pabsence de toute justice naturelle et sur le
pyrrhonisme; maisilsn'enmarquent pas moins sa veritable
pensee qui parait dans tant d'autres endroits.
« J'ai passe de longtemps ma vie en croyant qu'il y
avoit une justice; et en cela je ne me trompois pas : car il
y en a selon que Dieu nous I'a voulu reveler. Mais je ne le
prenois pas ainsi, et c'est en quoi je me trompois, car je
24r. DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — III.
croyois que notre justice etoit essenliellement juste et que
j'avois de quoi la connoitre et en juger. Mais je me suis
trouve tant de fois en faute de jugement droit, qu'enfin je
suis entre en defiance de moi et puis des autres. J'ai vu
tous les pays et hommes changeants; et ainsi apr^s des
changementsde jugement touchant la veritable justicej'ai
connu que notre nature n'etoit qu'un continuel changement,
et je n'ai plus cliange depuis; et si je changeois je confir-
merois mon opinion. Le pyrrhonien Arcesilas qui redevint
dogniatique (Msc. p. HO.). »
Pascal a barre egalement cette addition qu'il avait faite
au movceau precedent : « II se peut faire qu'ii y ait de
vraies demonstrations, mais cela n'est pas certain. Et ainsi
cela ne montre autre chose^ sinon qu'il n'est pas certain
que tout soit incertain; a la gloire du pyrrhonisme (Msc.
Ibid.). »
Citons encore un fragment qui I'orme dans le manuscrit
deux morceaux fort eloignes I'un de Tautre^ et relies entre
eux par des numeros de la main meme de Pascal. Les der-
nieres phrases sont, dans la meme page, separees par des
intervalles en blanc qui semblaient destines a recevoir de
nouveaux developpements (Msc. p. 366 etp. 70) ;
« Est-ce done que Tame est un sujet trop noble pour ses
faibles luniieres! Abaissons-la done a la matiere : voyonssi
elle salt de quoi est fait le propre corps qu'elle anime, et
les autres qu elle contemple et qu^elle remue a son gre.
Qu'en ont-ils connu ces grands dogmatistes qui n'ignorent
rien ?
« Cela suffiroit sans doute si la raison etoit raisonnable.
Elle I'estbien assez pour avouer qu'elle n'a pu trouver en-
core rien de forme, mais elie ne desespere pas encore d'y
arriver; au contraire; elle est aussiardente que jamais dans
PENSEES NOUVELLES. 247
cette recherche ; et s*assiire d^avoir en soi les force neces-
saires pour cette conquete. II faut done I'achever, et apres
avoir examine toutes ces puissances dans leurs efll'ets , ro-
connoissons-les en elles-memes; voyons si elle a quelques
forces et quelques prises capables de saisir la verite.
« Mais peut-etre que ce sujet passe la port^e de la raison ?
Examinons done ses inventions surles choses de sa force.
S^il y a quelque chose oil son interet propre ait du la faire
appliquer de son plus serieux, c^est h la recherche de son
souverain bien; voyons done oii ces ames fortes et clair-
voyantes Font place et si elles en sont d'accord.
c( L^un dit que le souverain bien est en la vertu; Tautre
le met en la volupte^ Tautre a suivre la nature, Tautre en
la verile : felix qui poluit rerum cognosccre causas; Tautre
a rignorance trauquille; Tautre a Tindolence; d'autres a
resister aux apparences; I'autre an'admh^er rien : nil ad-
mirari prope res est una qum possit Jacere ei servare
beatum; et les braves pyrrhoniens en leur ataraxie, doute
et suspension perpetuelle : et d'aulrcs plus sages^ qu'ou ne
le peut trouver, non pas nieme par souhait. Nous voila
bien payes.
« Si faut-il voir si cette belle philosophic n'a rien acquis
de certain par un travail si long et si tendu : peut-etre
qu'au moins I ame se connoitra soi-meme. ficoutons les
regents du monde sur ce sujet : Qu'ont-ils pense de la
substance? Ont-ils ete plus heureux a la loger?
Qu'ont-ils trouve de son origine , de sa duree et de son de-
part ? »
Nous ne faisons un reproche ni a Port-Royal ni a Bossut
d'avoir neglige les divers niorceaux que nous venous de
citer, puisque Pascal les avait condamnes a Toubli; tout
au plus eut-il ete possible de les mettre dans un appendice.
24ft DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT-HT.
Si nous les avons fait connaitre, c'a ete seulement pour
montrer que Pascal, severe envers lui-meme, comme tous
les grands ecrivains, et cherchant toujours la perfection,
avait souvent donne k sa pensee plusieurs formes differentes
avant d'en trouver une qui le satisfit; que deja m^me il
avait fait un choix parmi ses notes^ qu'il avait retranche les
unes et conserve les autres.
Les editeurs etaient seulement obliges a publier les Pen-
sees que Pascal avait epargnees. Mais celles-la, il fallaitles
donner toutes ou presque toutes. Or, le manuserit auto-
graphe en renferme encore un assez grand nombre qui n'ont
jamais vu le jour. Sans doute nos devanciers ne nous ont
pas laisse a decouvrir des morceaux etendus et acheves.
Nous nous empressons de le dire : ils nous ont derobe ce
qu'il y a de mieux. Et pourtant, apr^s Port-Royal, Desmo-
lets, Condorcet et Bossut, nous avons pu recueillir encore
une moisson assez belle et assez riche pour etre force de
choisir nous-meme entre tant de Pensees nouvelles , d'un
assez haut prix. Nous en publierons assez pour exciter la
curiosite, sinon pour la satisfaire entierement; et nous les
diviserons en deux classes : d'un cote, celles qui sont rela-
tives a Port-Royal, aux jesuites, aux querelles da temps;
de I'autre, celles qui ont un caractere general, et dont
Port-Royal et Bossut auraient pu grossir aisement les cha-
pitres qu'ilsont intitules : Pensees diver ses , Pensees morales
et Pensees chretiennes. G'est par les Pensees de cette der-
niereclasse que nous allons commencer,
1. Pensees divoises. — Pensees morales. — Pens6es chretiennes.
Le premier chRpitre de Port-Royal contre ^indifference
des nlhees : Que coux qui combattent la religion appren-
nent an moins quelle elle est, etc. (B. 2^ part. n). a ete
PENSEES NOUVELLES. 249
en vain cherche dans !e manuscrit autographe; mais il est
dans les deux copies avec une note marginale indiquant
que ce fragment est tire d'un cahier particulier. Sans par-
ler d'une foule de petites alterations^ Port-Royal, en pu-
bliant ce fragment, a interverti I'ordre de plusieurs para-
graphes; il a intercale des morceaux etrangers qui se
trouvent ailleurs dans le manuscrit menie^ par exemple
celui-ci : Un homme dans un cachot ne sachant si son
arret est donne et n'ayant plus qu'une heure pour Vap-
prendre^ etc.; entin il a supprime a peu pres le dernier
quart de ce beau fragment ; mais il faut avouer que les
parties supprimees sont moins un developpement qu'une
repetition, une forme differente de ce qui precede. Gepen-
dant eiles ne sont pas rayees dans les deux copies, ce qui
marque presque certainenient qu'elles ne Tetaient pas dans
Tautographe. Elles sont d'ailleurs d'un style admirable qui
merite d'etre conserve, et nous allons les transcrire comme
une sorte de transition des passages barres et des premieres
ebauches dont nous avons donne plusieurs exemples, aux
pensees tout a fait nouvelles que nous publierons tout a
Theure.
Voici la fin du chapitre de Port-Royal rectifiee sur nos
deux copies : « Qu'ils donnent a cette lecture quelques-unes
de ces heures qu'iJs emploient si inutilement ailleurs.
Quelgue aversion qu'ils y apportent ( manque dans Port-
Royal), peut-etre rencontreront-ils quelque chose, et pour
le moins ils n'y perdront pas beaucoup. Mais pour ceux
qui y apportent (Port-Royal appor^erow^) une sincerite
parfaite et un veritable desir de rencontrer (Port-Royal
connoUre)\dL verite, j'esp^re qu'ils auront satisfaction, et
qu'ils seront convaincus des preuves d'une religion si di-
vine ^ que/ai ramassees et dans lesquelles fai suivi a peu
250 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — III.
pres cet ordre. » Port-Royal, qui voulait s'arreter la, a mis
Que Fon y a rainassees.
Les deux copies poursuivent ainsi :
« Avaiit que d'eiitrer dans les preuves de la religio
chretiennej je trouve necessaire de representer Tinjustic
des hommes qui vivent dans rindifterence de chercher I
verite d'une chose qui leur est si importante et qui le
louche de si pres.
« De tous leurs egarements, c'est sans doute celui qui le
convainc le plus de folie et d'aveuglenfient, et dans lequf
il est plus facile de les confondre par les premieres vues di
sens commun et par les sentiments de la nature; car il es
indubitable f|ue le temps de cette vie n'est qu'un instant
que Tetat de la mort est eternel, de quelque nature qu'i
puisse etre , et qu'ainsi toutes nos actions et nos pensee
doivent prendre des routes si differentes, selon Tetat d-
cette eternitCj qu'il est impossible de faire une demarchi
avec sens et jugement qu^'en la reglant par la vue de ci
point qui doit etre notre dernier objet. (La fin de ce para
graphe, depuis : toutes nos actions et nos pensees doiven
prendre des routes difterentes..., a ete placee par Port
Royal dans la partie anterieure de ce fragment.)
« 11 n'y a rien de plus visible que cela, et qu' ainsi seloi
les principes de la raison, la conduite des hommes est tou
a fait dtiraisonnable s'ils ne prennent une autre voie; qui
Ton juge done la-dessus de ceu\ qui vivent sans songer ;
cette fin de la vie; qui se laissant conduire k leurs inclina
tions et a leurs plaisirs sans rellexion et sans inquietude, e
comme s'ils pouvoient aneantir Teternite en en detournan
leur pensee, ne pensent a se rendre heureux que dans ce
instant seulement. Cependant cette eternite subsiste, et 1
mort, qui la doit ouvrir et qui les menace a toute heure, le
PENSEES NOUVELLES. 251
doit mettre infailliblement dans peu de temps dans Thor-
rible necessite d'etre eternellement on aneanlis ou malheu-
reuXj sans qu'ils sachent laquelle de ces eternites leur est
a jamais preparee. » Tout ce paragraphe a ete tire de sa
place, abrege et intercale aii milieu de ce qui precede. Port-
Royal, p. 6: « C'est en vain qu'ils detournent leur pensee
de cette eternite qui les attend, comme s'ils la pouvoient
aneantir en n'y pensant point. EUe subsiste malgre eux,
elle s'avance, et la mort qui la doit ouvrir les mettra infail-
liblement dans peu de temps dans Thorrible necessite d'etre
eternellement ou aneantis ou malheureux. »
« Voila un doute d'une terrible consequence (Port-
Royal a transporte cette ligne en tele du paragraphe :
G'est done assurement un grand mal que d'etre dans ce
doute, etc... ). lis sont dans le peril de Veternite de miss-
ies; et sur cela, comme si la chose n'en valoit pas la peine,
ils negligent d'examiner si c'est de ces opinions que le
peiiple regoit avec une facihte trop credule, ou de celles
qui, etant obscures d'elles-memes, ont un fondenient tres-
solidcj quoique cache ; ainsi ils ne savent s'il y a verile ou
faussete dans la chose , ni si il y a force ou foiblesse dans
lespreuves; ils les ont devant lesyeux, ils refusent d'y
regarder; et dans cette ignorance ils prennent le parti de
faire tout ce qu'il faut pour tomber dans ce malheur, au
cas qu'il soit, d'attendre a en faire Tepreuve a la mort,
d'etre cependant fort satisfaits en cet etat, d'en faire pro-
fession et enfin d'en faire vanite : peut-on penser serieuse-
ment a Pimportance de cette affaire, sans avoir horreur
d'une conduite si extravagante? (Ce paragraphe est encore
abrege dans Port-Royal. )
a Ce repos dans cette ignorance est une chose mons-
trueuse et dont il faut faire sentir Pextravagance et la stu-
252 DES PENSfeES DE PASCAL. RAPPORT- Ilf.
pidite k ceux qui y passent leurvie, en la leiir representai
a eux-memes pour les confondre par la vue de leur foli*
Car voici comment raisonnent les hommes quand ils choi
sissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont (
sans chercher d'eclaircissement : Je ne sais, disent-ils...
(Port -Royal a transporte avec raison ce paragraphe avar
celui qui commence ainsi : Je ne sais qui m'a mis a
monde^ etc..)
« Voilk ce que je vois et ce qui me trouble. Je regard
de toutes parts et je ne vois partout qu'obscurite; lanatur
ne m'offre rien qui ne soit mati^re de doute et d'inquietud^
Si je n'y voyois rien qui marquat une divinite, je me de
terminerois a la negative; si je voyois partout les marque
d'un createur^ je reposerois en paix dans la foi. Mai
voyant trop pour nier et trop pen pour m'assurer, je sui
en un ^tat a piaindre et oii j'ai souhaite cent fois que, i
un Dieu la soutient (la nature), elle le marquat sans equ
voque , et que si les marques qu'elle en donne sont tron:
peuses, elle les supprimat tout a fait , qu'elle dit tout o
rien, afin que je visse quel parti je dois suivre; au lie
qu'en I'etat oil je suis, ignorant ce que je suis et ce que j
dois faire, je ne connois ni ma conduite ni mon devoir
mon coeur tend tout entier a connoitre oii est le vrai bie
pour le siiivre; rien ne me seroit trop cher pour Teternitt
( Port-Royal a tire de la ce beau paragrapbe, et Ta mis no
plus dans tel ou tel endroit du cbapitre i, sur I'indifferem
des athees, dont il est une partie integrante et essentielh
mais dans le cbapitre vui, Image d'un homme qui seat lasi
de chercher Dieu par leseul raisonnement, 11 y a plus d*ur
variante importante; nous n'en signalerons qu'une seuli
Port-Royal: Mon coeur tend tout entier a connoitre oil e
le vrai bien pour les suivre j rien ne me seroit trop chev pot
PENSEES NOUVELLES. 253
cela, Pascal : Pour VeternitL) Je porteenvie a ceux que je
vois dans la foi vivre avec tant de negligence, et qui usent
si mal d^un don duqael il me seinble que je ferois un usage
si different. »
Arrivons a des pensees plus nouvelles.
. On connait cette pensee de Pascal, que les honn^tes
gens ne veulent point d'enseignes, ni celle de mathenia-
ticiens; ni celle de poetes (P.-R. ch. xxix; B. r* part.
IX, \%). Nous avons deja public la-dessus une pensee
barree qui n'etait pas depourvue d'interet. En voici une
autre encore qui montre a quel point ce sujet etait cber
a Pascal (Msc. p. 440) : « Honnete homme. II faut
qu'on n'en puisse dire ni il est mathematicien , ni predi-
cateur, ni eloquent, mais il est honnete homme. Cette
qualite universelle me plait seule. Quand en voyant un
homme on se souvient de son livre , c'est mauvais signe;
je voudrois qu'on ne s'aperQut d'aucune qualite que par la
rencontre et Toccasion d'en user: ne quid nimis; de peur
qu'une qualite ne I'emporte et ne fasse baptiser; qu'on ne
songepas qu'il parte bien, sinon quand il s'agit de bien
parler; mais qu'on y songe alors. »
Les pensees suivantes peuvent etre ajoutees heureuse-
ment a toutes ceiles que Ton connait sur les extremes
(B. 1^ part. IV, I, VI, 2.) : a Quand on ht trop ou trop dou-
cement, on n'entend rien. Trop et trop pen de vin. Ne
lui en donnez pas, il ne pent trouver la verite -, donnez-
lui en trop, de meme (Msc. p. 23.).»
« Je n'ai jamais juge d'une meme chose exacte-
ment de m^me. Je ne puis juger d'un ouvrage en le fai-
sant ; il faut que je fasse comme les peintres, et que je m'en
eloigne, mais non pas trop. De combien done? Devinez
(Msc. p. HO.).))
254 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT - III.
Nous allons donner, sans y nieler aucune reflexion
una suite de pensees qu'on sera bien aise de lire encor-
apres toutes les pensees analogues deja connues et pu
bliees.
« Non-seulement nous regardons les choses par d'autre
cdtes, mais avec d'autres yeux : nous n'avons garde de le
trouver pareilles (Msc. p. 420.).
« II n'aime plus cette personne qu'i! aimoit il y a di;
ans. Je crois bien^ elle n'est plus la meme, ni lui noi
plus; il etoit jeune^ et elle aussi; elle est tout autre; i
Taimeroil peut-etre encore telle qu'elle etoit alors (Msc
p. A^ll.).
« Nous ne nous soulenons pas dans la vertu par notri
propre force ^ mais par 1^ contre-poids de deux vices op
poses ^ comme nous demeurons debout entre deux vent
contraires. Otez un de ces vices, vous tombez dans I'autr
(Msc. ibicL).
« Notre nature est dans le mouvement : le repos entie
est la mort (Msc. p. 4-40.).
« lis disent que les eclipses presagent malheur, pare
que les malhcurs sont ordinaires; de sorte qu'il arrive e
souvent du nial quMls deviuent souvent; au lieu que s*il
disoient qu'elles presagent bonheur^ ils nientiroient sou
vent. Us ne donnent le bonhcur qu'a des rencontres di
ciel rares; ainsi ils manquent peu souvent a deviner(Msc
p. m.).
« La diversite est si ample que tons les tons de voi^
tons les marchers, toussers^ moucbers, eternuers, sor
dilferents '. On distingue des fruits les raisins^ et entre eu
1. Sont diffdrents. Ces deux mots manquent dans le manuscn
mais sont dans les deux copies.
PENSEES NOllVELLES. 255
le muscat, et puis Goindrieu^ et puis des Argues, et puis...
Est-ce tout? En a-t-elle (la nature) jamais produit deux
grappes pareilles, et une grappo a-t-elle deux grains pa-
reils(Msc. p. 110.)?
« La theologie est une science, mais en m^me temps
combien est-ce de sciences? Un homnie est un suppot;
mais si on Tanatomise, sera-ce la t^te, le coeur, Testomac,
les veines, chaque veine, chaque portion de veine, le sang^
chaque humeur de sang ?
« Une ville, une campagne de loin est une ville et une
campagne; mais, a mesure qu^on s'approche, ce sont des
maisons, des arhres, des tuiles, des feuilles, des herbes,
des fourmis, des jambes de fourmi a Tinfmi^ Tout ceia
s'enveloppe sous le nom de campagne (Msc. p. 73.).
« Tout est un, tout est divers. Que de natures en celle
de I'homme ! que de vocations ! Et par quel hasard chacim
prend d'ordinaire ce qu'il a le moins etudie ! Talon bien
tourne (Msc. p. 394.).
« En litre: Talon de Soulier. — Que cela est bien tourne !
que voila un habile ouvrier ! que ce soldat est hardi! Voilk
la source de nos inclinations et du choix des conditions.
Que celui-la boit bien! Que celui-la boit peu! Voilk ce qui
fait les gens sobres et ivrognes, soldats, poltrons, etc
(Msc. p. 812.).
« En litre : La gloire. — L'admiration gate tout des I'en-
fance. Oh ! que cela est bien dit ! Oh ! qu'il a bien fait, qu'il
est sage! etc...
1. Cette pensee et la precedente rappeUeiit les considerations sur I'in-
finie petitesse de la nature, P.-R., cli. xxii; B., !'« part, iv, 1.
2. Ges deux dernieres pensees ont une grande analogie avec ce pa-
ragraphe de Port-Royal, ch. xxiv (B. 1^^ part, vi, 4) : « La chose la
plus importante a la vie, c'est le choix d'un metier. Le hasard en dis-
pose^ etc. ))
256 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — III.
« Les enfants de Port-Royal, auxquels on ne donne point
cet aiguillon d'envie et de gloire^ tombent dans la noncha-
lance (Msc. p. 69.).
« G'est une chose deplorable de voir tous les hommes ne
deliberer que des moyens^ et point de la fin, Chacun songs
comment il s'acquittera de sa condition; mais pour le choix
de la condition et de la patrie, le sort nous la donne.
c( G'est une chose pitoyable de voir tant de Tares, d'he-
retiques et d'infideles suivre le train de leurs peres par
cette seule raison qu'ils ont ete prevenus chacun que c'est
le meilleur, et c'est ce qui determine chacun a chaque
condition de serrurier^ soldat^ etc (Msc. p. 61.).
« Nous nous connoissons si pen que plusieurs pensent
aller mourir quand ils se portent bien , et plusieurs sem-
blent se porter bien quand ils sont proche de mourir, ne
sentant pas la fievre prochaine ou I'abc^s pret a se former
(Msc. p. 431.).
« Geux qui n'aiment pas la verite prennent le pretexte
de la contestation et de la multitude de ceux qui la nient;
et ainsi leur erreur ne vient que de ce qu'ils n'airaent pas
la verite ou la charite, et ainsi ils ne sont pas excuses
(Msc. p. 270.).
a Si Tantiquite etoit la regie de la creance, les anciens
etoient done sans regie * ( Msc. 273.).
« II faut se connoitre soi-meme : quand cela ne serviroit
pas a trouver le vrai , mais cela au moins sert a regler sa
vie, et il n'y a rien de plus juste (Msc. p. 75.).
« La vraie nature etant perdue, tout devient sa naturej
1. Gf. Bossut, 1" part., art. 1", « De Tautorite en matiere de pliilo-
sophie » et le paragraphe : « N'est-ce pas la traiter indigiieiiieat la
raison de Thomme, etc. »
PENS^ES NOUVELJ.es. 257
conime le veritable bien etant perdu ^ tout devient son
veritable bien.
« II n'y a rien qu'on ne rende naturel : il n'y a naturel
qu'on ne fasse perdre (Msc. p. Al.),
« II n'est pas bon d'etre trop libre. II n'est pas bon d'avoir
toutes ses necessites (Msc. Ibid,),
« On croit toucher des orgues ordinaires en touchant
Thomme : ce sont des orgues' a la verile, mais bizarres,
changeantes^ variables^ dont les tuyaux ne se suivent pas
par degres conjoints. Geux qui ne savent toucher que les
ordinaires ne feroient pas d'accord sur celles-lk (Msc.
p. 65.).
« Si un animal faisoit par esprit ce qu'il fait par instinct^
et s'il parloit par esprit ce qu'il parle par instinct, pour la
chasse et pour avertir ses camarades que la proie est
trouvee ou perdue , il parleroit bien aussi pour des choses
oil il a plus d'atfection, comme pour dire : Rongez cette
corde qui me blesse, et oil je ne puis atteindre (Msc.
p. 229.).
« La nature recommence toujours les memes choses, les
ans, les jours, les heures; les espaces de meme, et les
nombres sont bout a bout a la suite Tun de Taulre : ainsi se
fait une espece d'infini et d'eternel; mais ces etres lermines
se multiplient infiniment. Ainsi il n'y a, ce me semble , que
lenombre qui les multiplie qui soit infmi (Msc. p. 423.).
« La nature sMmite : une graine jetee en bonne terre
produit; un principe jete dans un bon esprit produit.
« Les nombres imitent Tespace, qui sont de nature si
difT^rente.
« Tout est fait et conduit par un meme maitre : la ra-
cine, les branches, les fruits^ les principes^ les conse-
quences (Msc. p. 433).
17
258 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT— III.
« Tout ce qui se perfectionnc par progrfes p6rit aussi pg
progres. Tout ce qui a ete foible ne peut jamais etre absc
lument fort. On a beau dire : il est cru; il est cliange^
est aussi le meme,
« II y a des herbes sur la terre; nous les voyons; de 1
lune on ne les verroit pas; et sur ces herbes des pailles^ e
dans ces pailles de petits animaux, mais apres cela plus rien
presomptueux ! les mixtes sent composes d'elements, e
les elements non! presomptueux! Voici un trait delicat
jlne faut pas dire qu'il y a ce qu'on ne voit pas; il faut din
comme les autres, mais non paspenser comme eux (Msc
p. 2^25.).
« Quand je considere la petite duree de ma vie absorbe*
dans Teternite precedente et suivante, le petit espace qu(
je remplis^ et meme que je vois abime dans Tinfinie im-
mensite des espaces que j'ignore^ et que tu ignores, j<
m'effraie et m'etonne de me voir ici plutot que la; car il n'^
avoit pas de raison [>ourquoi ici plutot que la, pourquoi i
present plutot qu'alors ! Qui m'y a mis? par Tordre et k
conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il ete destine a mo:
(Msc. p. 67.)?
a Pourquoi ma connoissance est-elle bornee , ma taille,
ma duree a cent ans plut6t qu'a mille? quelle raison a en
la nature de me la donner telle, et de choisir ce nombrc
plutot qu'un autre^ dans I'infinite desquels il n'y a pas pluf
de raison de choisir Tun que I'autre, rien ne tentant I'ur
plus que Tautre (Msc. p. 49.)?
« En tltre: Ennui, — Rien n'est si insupportable I
I'homme que d'etre dans un plein repos, sans passion, san;
affaires^ sans divertissement, sans application; il sent alors
son neant, son abandon^ son insuffisance, sa dependance
son impuissance, son vide : incontinent il sort du fond d(
PENSEES NOUVELLES. 259
son kme Tennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin^ le
depit, le desespoir ( Msc. p. 47 ',).
a Quand un soldat se plaint de la peine qu'il a, ou un
laboureur^ etc., qu on les mette sans rien faire.
c( Si Thomme etoit heureux, il le seroit d'autant plus
qu'il seroit moins diverti, commeles saints et Dieu^.
« Quand on veut poursuivre les vertus jusqu'aux extre-
mes, de part et d'autre il se presente des vices qui s'y insi-
nuent dans leurs routes insensibles du c6te du petit infini ;
et il se presente des vices en foule du c6te du grand infini,
de sorte qu'on se perd dans les vices et on ne voit plus les
vertus (Msc. p. 225.).
« On n'est pas miserable sans sentiment; una maison
ruinee ne I'est pas; il n'y a que Thomme de miserable. »
Gette pensee n'est peut-etre qu'une premiere ebauche de
cette autre si connue : « L'liomme est si grand que sa
grandeur paroit meme en ce qu'il se connoit miserable.
Un arbre ne se connoit pas miserable, etc ( P.-R. ch. xni ;
B. 1" part. IV, 3.).
« La nature de Thomme n'est pas d'aller toujours : elle
a ses allees et ses venues (Msc. p. 83.). »
Voici maintenant des pensees qu'on pourrait reellement
appeier avec Bossut des pensees litteraires. Pascal avait
deja dit : « Je hais les mots d'enflure^ » . 11 s'exprime encore
mieux, Msc. p. 12 : « Je hais egalement le boufFon et I'en-
fle. » Mais cette iigne est barree.
« J'ai Tesprit plein d'inquietude; je suis plein d'inquie-
tude vaut mieux (Msc. p. 130.). »
1. Cf. P.-B. ch. xxvi: B. 1" part, vii, 1.
2. Gf. P.-R. ch. xxix; B. 1'^ part, ix, 25.
3. B. ire part. Ill : De Vart de persuader.
260 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT— III.
oL'inquietudede son genie. Trop de deux mots hare
(Msc. p. Ml.).
« Eteindre le flambeau de la sedition; trop luxuria
(Msc. p. AM,).
«l5loquence, qui persuade par douceur non par empir
en tyran^ non en roi (Msc. p. 130.).
(( Le docteur qui parle un quart d'heure apr^s avoir toi
dit : tant il est plein de desir de dire (Msc. p. 123.).
« Changer de figures, a cause de notre foiblesse (Ms(
ibid,).
(( Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau : 1
disposition des matieres est nouvelle. Quand on joue a 1
paume, c'est une meme balle dont joue Tun etl'autre, mai
Tun la place mieux .
« J'aimerois autant qu^on me dit que je me suis servi d
mots anciens, et comme si les memes pensees ne formoier
pas un autre corps de discours par une disposition diffe
rente^ aussi bien que les memes mots forment d'autre
pensees paries difterentes dispositions (Msc. p. 431*.).
Nous n'en fmirions pas si nous citions tons les nouveau
passages ou Pascal se complait a ramener son opinion favc
rite^ que la force fait la justice et domine sur la raison.
c( Veri juris; nous n^en avons plus; si nous en avions
nous ne prendrions pas pour regie de justice de suivre le
mceurs de son pays (Msc. p. 406.).
« Le chancelier est grave et revetu d'ornements, car soi
poste est faux^ et non le roi : il a la force, il n a que fair
de rimagination. Les juges, medecins, etc.^ n'ont que Vi
magination (Msc. p. 283-.).
« Quand la force attaque la grimace^ quand un simple sol
1. Cl'. Desm., p. 33] ; B. l^e p^rt. x, 32.
2. Gf. Bossut, 1" part. 8 et 9.
PENSEES NOUVELLES: H\
dat prend le bonnet carre d'un premier president et le fait
voler par la fenetre, etc (Msc. p. 163.).
-« lis confessent que la justice n'est pas dans ces cou-
tumes, mais qu'elle reside dans les lois naturelles, com-
munes en tout pays. Certainement ils le soutiendroient
opiniatrement, si la temerite du hasard, qui a seme les lois
humainesj en avoit rencontre au moins une qui fut univer-
selle. Mais la plaisanterie est telle que le caprice des hommes
s'est si bien diversifie qu'il n'y en a point (Msc. p. 69 et 365.) .
a De la vient le droit de Tepee ; car Tepee donne un ve-
ritable droit. Autrement on verroit la violence d'un c6te et
la justice de Tautre.
« De la vient Tinjustice de la Fronde qui eleve sa preten-
due justice contre la force (Msc. p. 159.).
« En montrant la verity, on la fait croire ; mais en mon-
trant Tinjustice des ministres, on ne la corrige pas; on as-
sure la conscience en montrant la faussete, on n'assure pas
la bourse en montrant Tinjustice (Msc. p. -455.). »
On rencontre epars a travers tout le manuscrit un bon
nombre de traits contre la raison et la pbilosophie^ qui
rendent de plus en plus manifeste la pensee de Pascal.
Dans le dessein de decrier la raison, il lui fait quelquefois
une guerre de mots. II faut avoir eu bien de Thumeur
contre la raison et bien de la passion pour la force pour
avoir ecrit ce passage :
t( lis sont contraints de dire : Vous n'agissez pas de bonne
foi; nous ne devrions pas^ etc. Que j'aime k voir cette su-
perbe raison humiliee et suppliante ! car ce n'est pas la le
langage d'un homme a qui on dispute son droit et qui le
defend les arnies et la force a la main; il nes'amuse pas a
dire qu'on n'agit pas de bonne foi^ mais il punit cette raau-
vaise foi par la force (Msc. p. 23.). »
262 DES PENSfiES DE PASCAL. RAPPORT -III.
Pascal vouclrait-il done qu'au lieu d' arguments presenti
avec politesse la raison employat'des baionnettes?
Les philosophes, tel est le titre que portent dans le mi
nuscritbien des pensees, la plupart publiees^ quelques-un<
encore inedites.
« Philosophes. La belle chose de crier k un bomme qi
ne se connoit pas, qu'il aille de lui-meme a Dieu! Et 1
belle chose de le dire a un homme qui se connoit (Msi
p. 416.)!
« Recherche du vrai bien. Le commun des hommes m*
le bien dans la fortune et dans les biens du dehors, ou a
moins dans le divertissement. Les philosophes ont moii
Ire la vanite de tout cela, et Tout mis oil ils ont pu (Ms(
p. 47.^).
« Pour les philosophes, 280 souverains biens.
« Le souverain bien. Dispute du souverain bien. Ut s\
contP7itus temetipso et ex te nascentibns bonis. II y a coi
tradiction ; car ils (les philosophes, les stoiciens) conseillei
enfin de se tuer. quelle vie heureuse dont on se deba
rasse comme de la peste ! »
Quelle reponse n^aurions-nons pas a faire a de pareill*
accusations, si I'humeurde Pascal se communiquait anoui
et si sa profonde injustice pouvait nous induire en tenti
tion d'etre injuste! Nous nous bornerons a rappeler ceti
pensee dc Pascal lui-menie que nous avons citee plushau
qu'il ne faut pas s'armer contre la verite du pretexte d(
contestations quelle excite, etde la multitude des opinioi
contraires. Ge n'etait pas la peine en verite d'avoir varie (
tant de famous ce theme sublime, que la pensee fait
grandeur de I'homme, pour renier ensuite et couvrir (
sarcasmes le culte de la pensee, c'est-k-dire la philosophi
1. Cf. P.-R. cli. sxi; B. 2*- part. 1.
PENSEES NOUVELLES. 263
parce que la pensee qui nous enseigne, quoi qu'en dise
Pascal, et Texistence de rame et celle de Dieu, ei celie
aussi du bien et du mal, de la vertu et du crime, de la li-
berie et de la responsabilite de nos actes, m^ie a ces grands
enseignements plus d'une erreur, et parce que la philoso-
phie, comme toute religion, compte des ecoles et des sectes
diiferentes !
Mais au lieu de defendre la philosophie, nous preferons
citer encore deux passages inedits oil par tnegarde Pascal
Iraiteassez bien les philosophes. Dans Tunil reconnaitque
tout n'etait pas si corrompu et si extravagant dans la phi-
losophie ancienne, puisqu'il s'y est rencontre un homme
qu'on fait bien de lire pour se preparer a recevoir I'impres-
sion de la religion chretienne. « Platen, pour disposer au
christianisme (Msc. p. 73.). » Dans I'autre passage, pour
prouver I'lmmaterialite de I'ame, il en appelle aux philo-
sophes qui ont dompte leurs passions. « ImniateriaUte de
r^me. Les philosophes qui ont dompte leurs passions :
quelle mati^re I'a pu faire (Msc. p. 393.)? »
On a souvent dit, et avec raison, que Pascal a beaucoup
emprunte a Montaigne : c'est que , dans Montaigne il se
retrouvait lui-meme, et qu'en lui-meme il retrouvait Mon-
taigne. C'etaient la ses deux livres habituels, qui s'eclair-
cissaient Tun par Tautre. Voila ce qu'il nous declare lui-
meme dans ces hgnes interessantes :
« Ge n'est pas dans Montaigne, mais dans moi que je
trouve tout ce que j'y vois (Msc. -43!.). »
Nous nous arretons ici, et ne citerons pas un plus grand
nombre de pensees inedites qui peuvent accroitre les cha-
pitres de Port-Royal intitules ; Pensees diverses et Pensees
morales. Nous passons a celles qu'avec Port-Royal encore
on pourrait appeler Pensees chretiennes.
264 DES PENSiiES DE PASCAL. RAPPORT-III.
Ouvrons ce nouveau chapitre par la pensee qui domini
toutes les autres :
« II est bon d'etre lasse et fatigue par Tinutile recherch<
du vrai bien, afin de tendre les bras au liberateur (Msc
p. G3'.).»
Pascal, apres avoir dit que Dieu nous a donne une puis
sance de bonheur et de nialheur, ajoute : c( Vous pouve;
Tappliquer a Dieu ou a vous. Si k Dieu, TEvangile est If
regie; si a vous, vous tiendrez la place de Dieu (Msc
p. 161.).
« Les vrais Chretiens obeissent aux folies; neannioiu!
non pas qu'ils respectent les folies, mais Tordre de Diei
qui, pour la punition des hommes, les a asservis k ces fa
lies (Msc. p. 81.).
« II y a peu de vrais Chretiens, je dis meme pour la foi
II y en a bien qui croient, mais par superstition; il y en j
bien qui ne croient pas, mais par libertinage. Peu son
entre deux.
« Je ne comprends pas en cela (dans la superstition) ceui
qui sontdans la veritable piete de moeurs, ettousceux qu
croient par un sentiment du cceur (Msc. p. 24-4.).
« Ge n'est pas une chose rare qu'il faille reprendre li
monde de trop de docilite : c est un vice naturel, comnn
rincredulite, et aussi pernicieux (Msc. p. 163^.).
« Le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer a ci
qu'il ne veut pas songer. Ne pensez pas aux passages di
Messie,disait lejuif a son fds. Ainsi font les notres souvent
ainsi se consta'vent les fausses religions et la vraie meme ;
regard de beaucoup de gens.
■1. Cf. B. 2^ part, vm, 19.
2. Cf. P.-R. ch. v;B.2« part.vi,3.
PENSEES NOUVELLES. 265
« Mais il y en a qui n*ont pas le pouvoir de s^enipecher
de songer^ et qui songent d'autant plus qu'on leur defend.
Ceux-la se defont des fausses religions, et de la vraie meme,
s'ils ne trouvent des discours solides (Msc. p. ^l.). »
Ces reserves contre la superstition et une docilite excessive
en faveur du besoin et du droit de songer, ainsi que s'exprime
Pascalj lui etaient evidemment suggerees par la necessite
dese defendre contre les jesuites qui parlaient au nom de
Vautorite de TEglise, comme les attaques d^une incredulite
superficiellej irritant son humeur bouillante, Ventrainent
souvent a avilir la raison devant Tautorite et la foi. La ve-
vite est au milieu, ou plutot elle embrasse ce qu'il y a de
legitime dans Tune et Fautre de ces deux conduites, le
ferme maintien des droits de la raison, alors meme qu'on
entreprend de la contenir dans de justes bornes, et le res-
pect de la foi, alors meme qu on veut eclairer une docilite
excessive et qu'on attaque la superstition. Pascal, qui a si
souvent parle contre les extremes, n'a jamais su s'en bien
defendre. Pour atteindre a cette mesure qui est le comble
de la difficulte comme aussi de la gloire, il eut fallu que
son ardeur naturelle eut ete temperee par Tage, par Pex-
perience de la vie, et par des connaissances plus etendues
en philosophie et en histoire. .Deux hommes seuls, au
xvii'^ siecle, a la fin et non pas au commencement de ce
siecle, a la suite de tant de querelles metaphysiques et
theologiques, arriverent a cette sagesse eminente, Bossuet
dans TEglise, Leibniz parmi les philosophes. Mais pour-
suivons, sans reflexions superflues, le cours de nos ex-
traits.
« Qu'il y a loin de la connoissance de Dieu a Taimer
(Msc. p. 489.) !
« L'Ecriture a pourvu de passages pour consoler toutes
266 DESPENSEES DE PASCAL. RAPPORT — III.
les conditions, et pour intiniider toutes les conditions,
nature seule avoit fait la meme chose par ces deux in
naturals et moraux; car nous aurons toujours du dessu
du dessous-, de plus habiles et de moins habiles, de ]
eleves et de plus miserables, pour abaisser noire orgue
relever notre abjection (Msc. p. 4-1.).
« Grandeur et niis^re. — A mesure qu'on a plus de
miere, on decouvre plus de grandeur et de bassesse c
rhoname.
« Le commun des hommes. Ceux qui sont plus eleve
« Les philosophes : ils etonnent le commun des homn
« Les Chretiens : ils etonnent les philosophes.
« Qui s'etonnera done de voir que la religion nefasse
connoitre a fond ce qu'on reconnoit d'autant plus qu o
plus de lumiere (Msc. p. 75.)?
« La foi est un don de Dieu. Ne croyez pas que nous
sions que c'est un don du raisonnement. Les autres :
gions ne disent pas cela de leur foi ; elles ne donnoient
le raisonner pour y arriver^ qui n'y vient point neanmi
(Msc. p.U'.).
« Dieu s'est servi de la concupiscence des Juifs pom
faire servir a Jesus-Christ.
« La concupiscence nous est devenue naturelle el a
notre seconde nature ; ainsi il y a deux natures en n<
Tune bonne, Tautre mauvaise. Oil est Dieu?ou vous n'
pas; etle royaume de Dieu est dans vous (Msc. p. 1 ^).
« Abraham ne prit rien pour lui, mais senlement f
ses serviteurs; ainsi le juste ne prend rien pour soi
monde et des applaudissenienls du monde, mais seulen
1. Gf. P.-R.cli.vi; B. 2e part. yi.
2. Cf. B. 2e part, xvii, 49 : a 11 faut aimer un 6tre qui so
nous et qui ne soil pas nous »
PENSEES NOUVELLES. 267
pour ses passions^ desquelles il se sert en maitre, en disant:
Va et viens. Sub te erit appetitus tuus. Les passions ainsi
dominees sont vertus : Favarice, la jalousie, la colere, Dieu
meme se les attribue ; et ce sont aussi bien des vertus que
la nlemence, la patience el la Constance, qui sont aussi des
passions. 11 faut s'en servir comme d'esclaves, et, leur lais-
sant leur aliment, empecher que Tame n'y en prenne ; car,
quand les passions sont les maitresses, elles sont vices, et
alors elles donnent a I'ame de leur aliment, et T^me s'en
nourrit et s'en empoisonne (Msc. p. 249.).
a Notre religion est sage et folle : sage, parce qu'elle est
laplussavante etlaplusfondeeen miracles, propheles, etc.;
folle, parce que ce n'est point tout cela qui fait qu'on en
est; cela fait blen condamner ceux qui n^en sont pas, mais
non pas croire ceux qui en sont. Ce qui les fait croire, c'est
la croix : ne eracunta sit crux. Et ainsi saint Paul, qui est
venu en sagesse et signes, dit qu'il n'est venu ni en sagesse
ni en signes parce qu'il venoit pour convertir. Mais ceux
qui ne viennent que pour convaincre peuvent dire qu'ils
viennent en sagesse et en signes (Msc. p. 4-61 '.).
a Fascinatio nugacitatis. Afin que la passion ne nuise
point, faisons comme s'il n'y avoit que huit jours de vie.
« De tout ce qui est sur la terre, il (le vrai Chretien) ne
prend part qu'aux deplaisirs, non aux plaisirs ; il aime ses
proches, mais sa charite ne se renferme pas dans ces bornes,
et se repand sur sesennemis et puis sur ceux de Dieu (Msc.
p. 419.). »
Sur Mahomet : « Qui rend temoignage de Mahomet^?
Lui-meme. Jesus-Christ vent que son temoignage ne soit
rien.
1. Cf. P..R. ch. xviu; B. 2e part. xiii.
2. Cf. P.-R. ch. xvii; B. a^part. xii, 7 et 10.
268 DKS PENSEES DE PASCAL. RAPPORT-III,
c( La qualite de temoins fait qu'il faut qu'ils soient tou-
jours et partoutj et, miserable, il est seul (Msc. p. 27.)!
« Nous ne connoissons Dieu que par J.-C. Sans ce media-
teur est otee toute communication avec Dieu. Par. J.-G.
nous connoissons Dieu. Tons ceux qui ont pretendu con-
noitre Dieu et le prouver sans J.-C, n'avoient que des
preuves impuissantes. Mais pour prouver J.-C. nous avons
les propheties, qui sont des preuves solides et palpables; et
ces propheties, etant accomplies et prouvees veritables par
Tevenenientj marquent la certitude de ces verites^ et par-
tant la preuve de la divinite de J.-C. En lui et par lui nous
connoissons done Dieu. Hors de la et sans I'ficriture, sans
le peche originel, sans mediateur promis et arrive, on ne
pent prouver absolument rien, ni enseigner ni bonne doc-
trine ni bonne morale; mais par J.-G. et en J.-C. on prouve
Dieu et on enseigne la morale et la doctrine. J.-C. est done
le vrai Dieu des hommes.
c( Mais nous connoissons en meme temps notre misere,
car ce Dieu-la n'est autre chose que le reparateur de notre
misere. Ainsi^ nous ne pouvons bien connoitre Dieu qu'en
connoissant nos iniquites. Aussi ceux qui ont connu Dieu
sans connoitre leur misere ne Tout pas glorifie, mais s'en
sont glorifies : quia non cognovermit-per sapienliam Deum,
placuit Deo per stultitiam prcedicationis salvos facere (Msc.
p. 151'.). »
Ces nouvelles pensees diverses, morales et chretiennes
ont, comme celles que Port-Royal avait rassemblees sous
ces titres, Tinconvenient d'avoir assez peu de liaison enlre
elles. Celles qui vont suivre sur les querelles du temps, les
jansenistes et les jesuites, auront I'avantage d'une plus
1. Gf. P.-R. ch, x\; B. 2^ part. xv.
PENSEES NOUVELLES. 269
grande unitCj par leur rapport a un seul et m^me objet.
Elles auront aussi pour nous cet autre interet de nous faire
penetrer plus avant dans I'^me de Pascal^ et de nous faire
mieux connaitre les idees et les passions qui agiterent les
dernieres annees de savie.
II. Pensees sur les miracles ^ les jansenistes et les jesuites.
Le miracle de la sainte Epine, arrive en 1657^ et qui fut
suivi de tant d'autres miracles du meme genre^ fit sur Pas-
cal une impression profonde. II y vit une grace toute parti-
culiere de Dieu sur sa famille et sur lui^, et il en ressentit
une reconnaissance orgueilleuse jusque sous les pointes de
la ceinture de fer par lesquelles il combattait en vain sa su-
perbe naturelle-. Ge lui fut une recompense qui I'affermit
et I'anima d'autant plus dans sa fidelite a la cause de la
morale et de la liberte chretienne. On sail avec quelle
vehemence il eclate contre les jesuites a la tin des Provin-
ciales : Techo de ces terribles accents retentit dans ies
lignes que nous avons deja tirees de notre manuscrit, et
nous le retrouverons prolonge mais aft'aibli dans celles que
nous allons en extraire encore.
A I'occasion du miracle de la sainte Epine^ Pascal ecrit
1. Vie de Pascal ^ par M^^ Perier : « Mon frere Tut sensiblement
touche de cette gricej qu'il regardoit conime faite a lui-ineme. » Quel-
ques jours auparavant Pascal avait declare, si on en croit le Recueil
d'Utrechtj que des miracles etaient necessaireSj aussi fut-il penetre de
voir, ditleRecueil, « que Dieu s'interessoit, si on peut parler ainsi, a
la parole qu'il avoit donnee. »>
2. Ibid. « II prenoit, dans les occasions, une ceinture de fer pleine
de pointes ; il la mettoit a nu sur sa chair, et, lorsqu'il lui venoit quel-
ques pensees de vanite, etc.... il se donnoit des coups de coude pour
redoubleria violence des pitiures. »
270 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT— III.
une foule de Pensees sur les miracles, qui ont fourni s
cessivement le chapitre de Port-Royal sur ce sujet, les fi
ments donnes par Teveque de Montpellier et ceux q
publies Bossut. Nous pouvons y ajouterj d'apres notre r
nuscrit, plusieurs traits nouveaux.
t( Que je hais ceux qui font les douteux des miracl
Montaigne en parte comme il faiit dans les deux endroi
on voil en Tim conibien il est prudent, et neaninoinsilci
en I'aiitre et se moque des incredules (Msc. p. 453.).
(f Je ne serois pas chretien sans les mTracIes^ dit si
Augustin (Msc. p. 270.).
« On n'auroit point peche en ne croyant point J.-C. s
les miracles. Vide an wentiar (Msc. p 169.).
« Si le refroidissement de la charite laisse TEglise presi
sans vrais adorateurs^ les miracles en exciteront. Ge s
les derniers efforts do la grace (Msc. p. 343.).
« S'il se faisoit un miracle aux Jesuites! {Ibid.). »
Cette derniere pensee nous conduit a celles qui se r
portent directement aux querelles du temps.
« La verite est si obscurcie en ce temps et le nienso
si etabli^ qu'a moins que d'aimer la verite on ne sauroi
connoitre (Msc. p. 201.),
t( Les iiialingrcs sontgens qui connoissent la verite, n
qui ne la soutiennent qu'autant que leur interet s'y r
contre; mais hors de la its I'ahandonnent. » [Ibid,)
a G'est une chose horrible qu'on nous propose la di
pluie de TEghsed'aujourd'hui lellement pour bonne, qi
fait un crime do la vouloir changer. Autrefois, elle e
bonne infaillihlement , et on trouve qu'on a pu la char
sans peche, et maintenant telle qu'elle est, on ne la poi
souhaiter changes !
« II a bien ete change la coutume de ne faire des pre
PENSEES NOUVELLES. 271
qu'avec tant de circonspection qu'il n'^y en avoit presque
point qui en fussent dignes; et il ne sera pas permis de se
plaindre de la coutume qui en fait tant d'indignes (Msc.
p. 249.)!
« Si saint Augustin venoit aujourd'hui et qu'il fut aussi
pen autorise que ses defenseurs, il ne feroit rien. Dieu
conduit bien son Eglise de I'avoir envoyee devant avec au-
torite(Msc. p. 109.).
« Bel etat de TEglise^ quand elle n'est plus soutenue
que de Dieu! (Msc. p. 461.)
« Est-ce donner courage a vos enfants de les condamner
quand ils servent I'Eglise?
« G'est un artifice du diable de divertir ailleurs les
armes dont ces gens-la combattroient les heresies (Msc.
p. 343.). »
Voici maintenant sur le pape des Pensees aussi hardies
qu'orthodoxes, qui rattachent Pascal et Port-Royal d'une
part a Gerson et aux grands docteurs des conciles de Con-
stance et de Bale, et de I'aulre a Bossuet et a la declara-
tion des droits de TEglise gallicane.
« Dieu ne fait point de miracles dans la conduite ordi-
naire de son figlise; e'en seroit un etrange, si rinfaillibilite
etoit dans un (Msc. p. 437 ^).
« Les rois disposent de leur empire; mais les papes ne
peuvent disposer du leur (Msc. p. 429.).
«Lepape hait et craint les souverains qui ne lui sontpas
soumis par voeu (Msc. p. 427.).
« Dieu n'a pas voulu absoudre sans TEglise; comme elle
apart a Toffense, il vent qu'elle ait part an pardon. II Tas-
socie k ce pouvoir comme les rois et les parlements. Mais si
1. Cf.B. suppl. 14-16.
272 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — III.
elle absout ou si elle lie sans Dieu, ce n'est plus Ttglise,
comme au parlement ; car encore que le roi ait donne gr^ce
a un homme^ si faut-il qu'elle soit enterinee; mais si le
parlement enterine sans le roi , ou s'il refuse d'enteriner
sur Tordre du roi, ce n'est plus le parlement du roi, mais
un corps revolte (Msc. p. M2.)-
« II n'y a presque plus que la France oil il soit permis de
dire que le concile estau-dessus du pape (Msc. p. 151.),
c( Le pape seroit-il deshonore pour tenir de Dieu et de
la tradition ses lumieres, et n'est-ce pas le deshonorer que
de le separer de cette sainte union (JVlsc. p. 453.)? »
A tout propos Pascal exhale son indignation contre les
jesuites^ sur les marges et dans les coins de pages remplies
de tout autres pensees.
« Vous corrompez la religion^ ou en faveur de vos amis
ou contre vos ennemis : vous en disposez a votre gre
(Msc. p. 113'.).
c( 11 faut que le monde soit bien aveugle_, s'il vous croit
(Msc. p. 433.).
tt Sera bien condamne qui le sera par Escobar (Msc.
p. kO±] ! »
c( Votre caractere est-il fonde sur Escobar?
« Peut-etre avez-vous des raisons pour ne le pas con-
damner; il suftit que vous en approuviez ce que je vous en
adresse (Msc. p. 453.).
« Vous ne m'accusez jamais de faussete sur Escobar
parce qu'il est commun (Msc. p. 423.).
« lis ne peuvent avoir la perpetuite^ et ils cherchent
Tuniversalite ! et pour cela, ils font toute TEglise corrom-
pue, afin qu'ils soient saints (Msc. p. 442.).
1. Gf. B. 2« part, xvi^ 9 et 10.
PENSEES NOUVELLES. 273
c( Le grand nombre loin de marquer leiir perfection
marque le contraire.
« L'humilite d'un seul fait Torgueil de pliisieurs (Msc.
p. 439.).
^Geuxqui aiment riilglise se plaignent de voir corrom-
pre les moeurs; mais au moins les lois subsistent; mais
ceux-ci corronipent les lois : le module est g^te (Msc.
p. -427.).
« lis font de Texception la regie. Les anciens ont donne
I'absolution avant la penitence. Faites-le en esprit d'ex-
ception; mais de ^exception vous faites une r^gle sans
exception; en sorte que vous ne voulez plus meme que la
r^gie soit en exception (Msc. p. 437.). »
Restituons encore h Tauteur des Provinciates les pensees
suivantes sur le probabilisme et sur les casuistes.
« Peut-ce ^tre autre chose que la complaisance du
monde qui vous fasse trouver les choses probables? Nous
ferez-vous accroire que ce soit la verite^ et que si la mode
du duel n'etoit point , vous trouveriez probable qu'on se
put battre en regardant la chose en elle-m^me (Msc.
p. MO.)?
« Oseriez-vous ainsi vous jouer des edits du roi, en disant
que ce n'est pas se battre en duel que d'aller dans un
champ en attendant un homme (Msc. p. 435 ^)?
« Faut-il tuer pour empecher qu'il n'y ait des mechants?
G'est en faire deux au lieu d'un : vi7ice in bono malu7n,
saint Augustin (Msc. p. 419.).
« Generaux. — U ne leur suftit pas d'introduire dans nos
temples de telles niceurs^ templls indiicere mores; non-seu-
lement ils veulent etre soufferts dans TEghse, mais^ comme
1. Lettres Provinciales , lellre vii. Extrait de Hurtado de Meadoza,
rapports par Diana.
18
274 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — III.
s'ils etoient devenus les plus forts, ils en veulent chassi
eux qui n'en sont pas.
(f Mohatra^ . Ce ii' est pas etre theologien que de s'en etc
ner. Qui eut dit a vos generaux qu'un temps etoit
proche qu'ils dornineroient en moeurs a rjfiglise universe'
et appelleroient guerre le refus de ces desordres? Tot
tanta mala pacem (Msc. p. -431.).
« Casuistes. — Una aumone considerable, une peniteni
raisonnable : encore qu'on ne puisse assigner le juste^ (
voit bien ce qui ne I'est pas. Les casuistes sont plaisants (
croire pouvoir interpreter cela comnie ils font.
« Gens qui s'accoutument a mal parler et a mal pensi
(Msc. p. 437.).
« Probabilite. — lis ont quelques principes vrais^ ma
ils en abusent. Or Tabus des verites doit ^tre autant pui
que rintroduction du mcnsonge (Msc. p. 344.).
« Probable. — Quand il seroit vrai que les auteurs gravt
et les raisons suffiroient, je dis qu'ils ne sont ni graves i
raisonnables. Quoi ! un mari pent profiter de sa femnn
selon Molina ! La raison qu'il en donne est-elle raisonnabk
et la contraire de Lessius Test-elle encore (Msc. p. 435.)?
« Les casuistes soumettent la decision a la raison corroii
pue-, et le choix des decisions a la volonte corrompue^ afi
que tout ce qu'il y a de corronipu dans la nature de I'homm
ait part a sa conduite.
c< La folle idee que vous avez de Fimportance de voli
compagnie vous a fait etablir ces horribles voies; il ei
bien visible que c'est ce qui vous a fait suivre celle de 1
caloninie^ puisque vous blamez en moi^ comme horrible;
les nienies impostures que vous evcusez en vous (Ms(
p. 343). »
1. Lett res Provindalcs, lettre vm, sur le coiitrat Mohatra.
DU PLAN DE PASCAL. 27S
Terminons ici nos extraits. lis ne renferment rien, nous
le repetons, qui puisse ^tre compare aux grands morceaux
deja publies; mais ils contribuent a mettre de plus en plus
en lumi^re^ sur chaque point fondamental^ la pensee de
Pascal.
Pour remplir notre tache^ il ne nous reste plus qu*a
rechercher et a signaler a TAcadeniie les traces qui peu-
vent subsister dans notre manuscrit du plan ou plut6t du
mouvement et des formes que Pascal s'etait propose de
donner a la nouvelle apologie du christianisme. II avait
lui-meme expose a ses amis le plan de son ouvrage dans
un discours dont la preface de Port-Royal nous a conserve
les principaux traits : d'abord , une sorte de logique nou-
velle sur a les preuves qui font le plus d'impression sur
Pesprit des hommes, et qui sont les plus propres a les per-
suader; » puis Tetat actuel de I'homme^ sa grandeur et
sa bassesse; puis encore Pinutile recherche de Texplication
de cet etat prodigieux aupres des philosophies et aupres de
toutes les religions de la terre; enfm la rencontre du peuple
juif et de livres sacres|, le peche originel^ la promesse du
Messie, les propheties , Jesus-Christy sa personne^ sa vie,
sa doctrine et Thistoire merveilleuse de I'etablissement du
christianisme. Port-Royal fait connaitre ce plan avec net-
tete el brievete. M. Dubois, qui avait assiste au discours
adresse par Pascal a ses amis, en publia un recit etendu
quelques annees apres Tedition de Port-Royal, sous ce
litre : Discours sur les pensees de M, Pascal, avec un autre
276 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT - III.
Discours sur les preuves des livres de Moise, et une peti
dissertation : Qu'il y a des demonstrations d'une aut
espece et aussi certaines que celles de la geometrie. Not:
nianuscrit ne nous fournit aucune lumiere nouvelle k c
egard; on n'y trouve clairement marquees que des C
visions inferieures qui se rapportent a ce plan general. I
pere Desmolets a deja fait connaitre ces divisions : « Pr
miere partie : Misere de rhomme sans Dieu. — Secom
partie : Felicite de rhomme avec Dieu. » Le manusci
ajoute^ page 25 : « Autrement : premiere partie : Que
nature est corrompue par la nature rn^me. — Seconde pa
tie : Qu il y a un reparatt'ur par I'ftcriture. »
Desmolets a tire du manuscrit (p. 206) la « Preface de
premiere partie : Parler de ceux qui onttraite de la connoii
sance de soi-meme; des divisions de Charron, qui attri
tent et ennuient; de la confusion de Montaigne; qu'il avc
bien senti le defaut du droit de methode; qu'il P^vitoit i
sautant de sujei en sujet; qu'il cherchoit le bon air. » Su;
vent ces lignes si celebres sur Montaigne^ que Port-Royal
donnees en les otant de leur place et en les d^tournantp;
\k de leur objet : « Le sot projet qu'il a (Port-Royal :a€u)i
sepeindre; et cela nonpas en passant et contre sa maxim
comme il arrive a tout le monde de faillir; mais par si
propres maximes et par un dessein premier et principa
car de dire des sottises par hasard et par foiblesse, c'e
un mal ordinaire; mais d'en dire par dessein (Port -Royal
a dessein, locution qui ne s'accorde plus avec les prec
dentes : par ses propre^s maximesy par un dessein; p\
hasard^ par foiblesse), c'est ce qui n'est pas supportabl
et d'en dire de telles que celles-ci (Port-Royal : celk
la.) »
Le manuscrit contient^ meme page^ la « Preface de
DU PLAN DE PASCAL. 277
seconde partie : Parler de ceux qui ont traits de ceile
mati^re. » Cette preface n'est autre que le passage donne
par Condorcet, et que nous avons cite ailleurs. wJ'admire
« avec quelle hardiesse ces personnes entreprennent de par-
« ler de Dieu en adressant leur discours aux impies : leur
« premier chapitre est de prouver la divinite par les ou-
« vrages de la nature, etc. » Nous avons restitue le vrai
texte de ce passage, mais il fallait aussi en retablir la
place, parce que cette place nous eclaire sur Tobjet et
sur la portee de ce fragment.
Pascal ne s'etait pas propose seulement de faire un ou-
vrage convaincant : il voulait surtout que ce livre fut per-
suasif : c'etait au coeur qu'il avait resolu de s'adresser ; et
pour toucher le coeur et charmer I'imagination, ce grand
maitre dans Tart de composer et d'ecrire , cet homme qui
savait autant de vraie rMtorique que personne en a jamais
su, avait dessein de rompre la monotonie et I'austerite du
genre didactique en y melant des formes vives et animees,
selon la pratique des grands prosateurs de tous les temps.
Puisque la conviction se forme dans Tame tout entiere,
pour la produire il faut s'adresser h toutes les parties de
Tame. Dejk, dans Platon, la forme seule du dialogue est
una source de variete et d'agrement; et pourtant elle ne lui
a pas suffi ; et, sans parler de la maniere dont il met en
sc^ne ses personnages, et du cadre charmant, touchant on
majestueux quMl donne toujours a la discussion la plus
aride, au milieu ou a la suite d'une polemique qui epuise
toutes les ressources du raisonnement, le grand artiste se
complait k intioduire quelque recit empruntea une histoire
qu'il arrange a son gre, ou quelque mythe a moitie reli-
gieux, a moitie philosophique, destine a achever ou a sup-
pleer la demonstration. V Histoire des variations n'est au
278 DKS PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — III.
fond qifun traite de theologie : voyez pourtant quell
graces severes Bossuet y a partoutsemeesIL'art de peind
les hommes, leurs desseins, leurs passions avouees ou s
cretes, y est peut-etre porte plus loin encore que la vigue
de Targumentationj et le rival d'Arnauld^ le plus grai
controversiste du xvii^ siecle^ y est le maitre de Labruyer
ses portraits des principaux personnages de la reforme o
une touche aussi fine et un bien ^autre relief que les Q
racteres. Montesquieu^ Rousseau et Buffon se sont comn
accordes a jeter de loin en loin dans leurs ecrits les pli
didactiques des episodes qui participent du drame et i
Tepopee. A propos des lois penales en fait de religio
au lieu d'ecrire sur les vices de Tinquisition d'Espagne
de Portugal un cbapitre uniquement destine a rhomn
d'etat et au pbilosophe, Montesquieu suppose un i
connu venant prendre la defense d'une juive de di
huit ans brulee a Lisbonne dans le dernier auto-da-f
il lui attribue une tres humble remontrance ' oil le p
thetique et le sarcasme servent d'armes a la raison ind
gnee; on croit lire encore une lettre persane ou une pr
vinciale. Rousseau pouvait expliquer a Emile , d'apr
Fenelon et Clarke, les preuves physiques et metaphysiqu
de I'existence de Dieu; mais non^ ce n'est pas sur ]
bancs et dans la poussiere d'une ecole qu'il conduit s
eleve; c'est sur une haute colline d'oii se decouvre la chai
des Alpes et le cours harmonieux d'un grand fleuve,
lever du soleil et au milieu d'une admirable nature c
semble etaler toute sa magnificence pour servir de textt
un pareil entretien -; la il inlroduit un vieux pretrCj
1. Esprit (h's lois. liv. xxv, ell. 23.
2. Voyez dans les ibagmi.nts litteraibes notre etude sur la premi
partie de la Prv/rssion de foi du n'coire mvoyanh
DU PLAN DE PASCAL. 279
humble cure de canipagne qui, saus se donner pour un
grand philosophe, expose a un jeune homme tourmente
par le doute les motifs simples et puissants de la raison et
du coeur pour croire a une divine Providence; et ce peu de
pages protegeront a jamais dans la memoire des hommes la
plus chimerique de toutes les utopies, Buffon lui-meme,
quand il arrive a Thomme , a Texplication de ses facultes
diverses, a la formation successive de ses sentiments et de
ses idees, ne pent se contenir dans son beau style didacti-
que, limpide et majestueux : il prend tout a coup la ma-
ni^re et le langage de Platon, de Milton meme, et ii met
en scene le premier homme parfaitement forme, mais
lout neuf pour lui-meme et pour ce qui Tenvironne , nous
racontanty au moment oil il s'eveille, ses premiers mouve-
ments, ses premieres sensations, ses premiers jugements '.
Enfin I'auteur du Genie du christianisme a mele a sa
belle apologie de Tart chretien deux episodes empruntes
an nouveau et a Tancien monde, comme une demonstra-
tion vivante de sa theorie -. L'ouvrage de Pascal aurait eu
aussi ses episodes, ses formes variees et dramatiques.
Cast de la forme epistolaire que Pascal voulait se servir;
il y avail deja trouve sa gloire, et il y excellait singuli^re-
ment. II ne faut pas croire que les Lettres provinciates
aient ete son coup d'essai en ce genre; il faut lire sa lettre ^
au P. Noel, de 1647, sur le vide, surtout celle k M. Lepail-
leur, de la meme annee et sur le meme sujet ^, et celle
encore a M. de Ribeyre, de 1651 ^. On y rencontre deja,
1. HisTOiRE NATURELLE DE l'homme,!. I", I)es sens eu geu&al . (Edi-
tion de Verdieie, t. XIII, p. 335.)
2. Atala et Rene.
3. CEuvres de Pascal ^ Edition de Bossut, t. IV,
4. Ibid.
5. Ibid,
280 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT — HI.
avec une dialectique vive et lumineuse, une malice temf
ree par la grace, et en germe toutes les qualites parv.
nues k leur perfection dans les Provinciales. Pascal ;
voulait pas renoncer a son arme accoutumee dans
defense du christianisme , et notre manuscrit contie
plusieurs projets de Icttres, et menie de correspondan
snivie.
Le P. Desmoids a publie un de ces passages precieu3
« Une lettre d'exhortation a un ami pour le porter a che
cher. Et il repondra : mais a quoi me servira de cherche
rien ne me paroit. Et lui repondre : Ne desrsperez pas.
il me repondra qu'il seroit heureux de trouver quelqi
iumiere; mais que, selon cette religion meme, quand
croiroit, cela ne lui serviroit k rien, et qu'ainsi il aime a
tant ne point chercher. Et a cela lui repondre : La m
chine. »
On ne volt pas d'abord ce que signifie cetle expressio
Les lignes suivantes Teclaircissent :
Page 25. o Lettre qui marque Tufilite des preuves par
machine. »
Ibid, aOrdre. Apres la lettre qu'on doit chercher Die
faire la lettre d'oter les obstacles, qui est le discours de
machine, de preparer la machine, de chercher par
raison. »
Ici la machine est opposee a la reflexion, a la raison,
designe certaines habitudes, certaines pratiques qui o
leur force persuasive et disposent a croire. Au xvu« siecl
par machine se disoit pour wachinalement. M""^ de L
fayette a M™« de Sevigne : Je ne mange que par machin
Pour bien entendre ces passages, il les faut rapprocher (
celui que nous avons donne plus haut * : u Que voulez-voi
i. Preface de la secoude edition, p. 63; et Rapp., p. 235 et 236.
DU PLAN DE PASCAL. 281
done que je fasse ? — Prendre de Teau benite, faire dire
des messes, etc. Naturellement cela vous ab^tira. »
Ibid. «La foi est difFerente de la preuve; Tune est hu-
maine, Tautre est un don de Dieu. Justus exfldevivit.
C'est de cette foi, que Dieu lui-m^me met dans le coeur,
dont la preuve est souvent Tinstrument, fides ex auditu,
mais cette foi est dans le coeur et fait dire : Non scioy mais
credo. »
Page 29. « Lettre pour porter a chei'cher Dieu. »
« Et puis le faire chercher chez les philosophes , pyr-
rhoniens et dogmatiques, qui travaiilent celui qui les re-
cherche.))
Page 25. a Dans la lettre de Tinjustice peut veniv ia plai-
sanlerie des aines qui ont tout : mon ami, vous etes ne de
cecote de la montagne; il est done juste que votre aine
ait tout. »
tf Pourquoi me tuez-vous?... »
Page -487. «Une lettre de la folie et de la science hu-
maine et de la pbilosophie. »
« Cette lettre avant le divertissement. »
Voila les traces les plus manifestes d'un dessein bien ar-
rete par Pascal d'introduire plus d'une fois la forme epis-
tolaire dans la grande composition qu'il meditait. Nous in-
clinons aussi a penser qu'il voulait y placer des dialogues:
voici du moinsce que nous trouvons ecrit de sa main, p. 29.
« Ordre par dialogues. »
«Que dois-je faire? Je ne vois partout qu'obscurites.
Groirai-je que je ne suis rien? croirai-je que je suis
Dieu ? »
"Viennent ensuile, separees les unes des autres par d'as-
sez grands intefvalles, des lignes quelquefois inachevees,
« Toutes choses changent et se succedentw
28^2 DES PENSEES DE PASCAL. RAPPORT -III.
c( Vous vous trornpez; il y a... »
« Eh quoi! ne dites-vous pas vous-meme que le ci
les oiseaux prouvent Dieu? Non. Et notre religion ne i
le dit-elle pas? Non; car encore que cela est vrai er
sens pour quelques ames a qui Dieu donne celte lum
neanmoins cela est faux a Tegard de la plupart.w II
aussi se rappeler Tespece de dialogue qui est au niiliei
morceau sur la regie des paris appliquee a la questioi
Texistence de Dieu, — Vous avez deux choses k perd
— Oui^ il faut gager; mais je gage peut-etre trop.
Voyons... Vous dites... — Oui, mais j^ai les mains lie
— Naturellement cela vous fera croire et vous abetira
Mais c'est ce que je crains. — Et pourquoi?... 0! ce
cours me transporte... — Si ce discours vous plait... »
Ces indices nombreux et que nous aurions pu niultip
prouvent incontestablement que Touvrage auquel Pa
avail consacre les dernieres annees de sa vie, s'il eu
toe acheve, n'eut pas ete seulement un admirable <
th6ologique et philosophique^ mais un chef-d'oeuvre d
oia rhonane qui avait le plus reflechi a la maniere de
suader aurait deploye toutes les ressources de I'experii
et du talent^ la dialectique et le pathetique^ Tironie
vehemence et la grace, parle to us les langages, esi
toutes les formes pour attirer T^me humaine par tous
cdtes vers I'asile assure que lui ouvre le christianis
D'un pareil monument il ne nous reste que des debris
plutot des materiaux souvent informes, mais oil brille
core de loin en loin I'eclair du genie. Recueillir et 1
connaitre ces materiaux dans Tetat oil ils nous sont
venus est une ttiche pieuse que nous avons commen
et a laquelle nous convions quelque jeune ami des letl
Exoriare aliquis! II nous sufth'a de lui avoir montr
DU PLAN DE PASCAL 283
fraye la route. Nous nous flattens aussi que l^Academie,
qui a ecoute ce long rapport avec tant de bienveillance,
ne refuserait pas ses encouragements^ et peut-etre meme
ses recompenseSj a celui qui, repondant a notre appel, en-
treprendrait enfin une edition critique et authentique des
Pensees.
REPRODUCTION DU FAG-SIMILE
GI-CONTRE.
Parlons maiiitenant selon les lumieres naturelles. i
a un Dieu , il est infiniment incomprehensible , puis
n'ayant ni parties ni bornes, ii n'a mil rapport a n
Nous sommes done incapables de connoitre ni ce qui
ni s'il est. Cela etant, qui osera entreprendre de reso
cette question? Ge n'est pas nous, qui n'avonsaucun
port a lui.
Qui blamera done les Chretiens de ne pouvoir rei
raison de leur creance^ enx qui professent une reli
dont ils ne peuvent rendre raison? lis declarent, en I'e
sant au monde, que c'est une sottise, stullitiam, et
vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas!
la prouvoient, ils ne tiendroient pas parole : c'est en r
quant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens,
mais encore que cela excuse ceux qui Tolfrent telle, et
cela les ote du blame de la produire sans raison, cela n
cuse pas ceux qui la re^oivent; examinons done ce p
et disons ; Dieu est ou il n'est pas Mais de quel c6te \
cherons-nous ? La raison n^y pent rien determiner; il
un chaos infini qui nous separe; il se joue un jeu a I'e?
mite de ceite distance infinie, oil il arrivera croix ou i
Que gagnerez-vous? Par raison vous ne pouvez faireni
nil'autre; parraison vousne pouvez defendre nul des df
Ne blamez done pas de fanssete ceux qui ont prij
choix, car vous n'en savez rien. Non, mais je les blani
d'avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car encore
cehii quipreiid croix et I'autre (pile) soient en pareille fa
ils sont tons deux en faute : le juste est de ne point pai
REPRODUCTION DU FAC-SIMILE. 2*
Oui. mais il faut parier, cela n'est pas volontaire^ vot
^tesembarque; lequel prendrez-vous done? Voyons. Puii
qu'il faut choisir, voyons ce qui vous interesse le moin:
Vous avez deux choses h perdre : le vrai et le bien, et deu
choses a degager : votre raison et votre volonte, voti
connoissance et votre beatitude; et votre nature a deu
choses a fuir, I'erreur et la misere. Votre raison n'est p£
plus blessee, puisqu'il faut necessairement choisir, en cho
sissant Tun que I'autre. Voila un point vide j mais voti
beatitude? Ppsons le gain et la perte : en prenant croix qii
Dieu est, estimons ces deux cas. Si vous gagnez, vous g;
gnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez dor
qu'il est sans hesiter.
Cela est admirable. Oui, il faut gager; mais je ga^
peut-etre trop. Voyons, puisqu'il y a pareil hasard de gai
et de parte. Si vous n'aviez qu'a gagner deux vies poi
line, vous pourriez encore gager; iuais, s'il y en avoit tro
a gagner, il... (A)
Je le confesse, je I'avoue, mais encore n'y-a-t-il p{
moyen de voir le dessous du jeu? Oui, TEcriture et
reste, etc. Oui, mais j'ai les mains liees et la bouct
muette; on me force a parier, et je ne suis pas en liberty
on ne me relache pas... (B).
( a) Ap resles mots: mais s' il y en avoit trois h gagner, il... le sigi
QXTD renvoie i la page 7, commencant ainsi : // faudroit jow.
{puisque vous ^tes dans la necessite de jouer).... et teriniu6e par ci
mots : celle-la Vest. La le signe ^ ^:^^^^ renvoie a la marge de la page
litliograpliiee : Je le confesse, je Vavoue
(b) Apres ces mots : on ne me reldche pas, le signe renvo
a la page 8 : P^-^; ^^ i^ ^^-^s fait de telle sorte que je ne ph
croire jusqu'a ces mots : et voits demandez les remedes. Apprenez .
cewa; puis de la on revient a la page 4 lithographiee : Apprenez .
ceux qui ont e'te lie's comme vous
286 REPRODUCTION DU FAC-SIMILE.
Apprenez (les) de ceux qui ont ete lies comme vous e
qui parient maintenant tout leur bien. Ce sont gens qu
savent un chemin que vous voudriez suivre^ et gueris d*ui
mal dont vous voulez guerir. Suivez la manifere par ou ili
ont commence ; e'est en faisant tout comme s'ils croyoient
en prenant de I'eau benite, en faisant dire des messes, etc
Naturellement meme cela vous fera croire et vous abestira
Mais c'est ce que je crains. Et pourquoi? Qu'avez-vous I
perdre?
Mais^ pour vous montrer que cela y mene, c'est qu(
cela diminue les passions qui sont vos grands obstacles^ etc
! ce discours me transporter me ravit^ etc. Si ce dis-
cours vous plait et vous senible fort^ sachez qu'il est fail
par un homme qui s'est mis a genoux auparavant et apres
pour prier cet etre infini et sans parties auquel il soumel
tout le sien^ de se soumettre aussi le votre^ pour votre
propre bien et pour sa gloire, et qu'ainsi la force s'accordf
avec cette bassesse (C),
(c) Au milieu de la page 4 est un paragraphede quatre lignes : On
doit des obligations a ceux qui^ etc., paragraphe etraager a reasembU
du morceau.
INFINI. RIEN.
MAMUSCBIT AUTOGBAPHEj p. 3.
Notre Ame est jetee dans le corps,
ou elle trouve nombre, temps, di-
mension; elle raisonne la-dessus et
appelle cela nature, necessite, et ne
peut croire autre chose.
L'unite jointe a Tinfini ne I'aug-
menle de rien, non plus qu'un pied
a une mesure infiuie. Le fini s'a-
neantit en presence de l^infini, et
devient un piir neant : ainsi notre
esprit devant Dieu; ainsi notre jus-
tice devant la justice divine.
II n*y a pas si grande dispro-
portion entre notre justice et celle
de Dieu, qu'entre l'unite et Tinfini^
II faut que la justice de Dieu soit
enorme comme sa misericorde : or,
la justice envers les reprouves est
moins enorme et doit moins cho-
EDITIONS.
(P.-R., ch. vn. Boss. 2ep,iii,4.)
L'unite jointe a Tinfini ne Taug-
mente de rien, non plus qu'un pied
a une mesure infinie. Le fini s'a-
n^antit en presence de I'infini, et
devient un pur neant : ainsi notre
esprit devant Dieu ; ainsi notre
justice devant la justice divine.
(P.-R. ch. vu.)
II n'y a pas si grande dispro-
portion entre l'unite et Tinfini qu'en-
tre notre justice et celle de Dieu.
(P.-R. ch.xxviii.B. 2«p.xvii, 63.)
// est de I'essence de Dieu que sa
justice soit infinie aussi bien que
sa misericorde. Cependant sa jus-
tice et sa se'verite envers les re-
1. Voycz reiamen delaillede cc inorceau. Rapport, p. sig-aSS.
3. Les deujc copies corrigeiit arec raisou
cette plirase comme PovlEoyal.
INFINI. RIEN.
MANUSCRIT AUTOGRAPBEj p. 3.
quer que la miseiicorde envers los
6I11S.
Nous conuoissons qu'il y a uu
infiiii et ignorous sa nature^ comme
nous savoDS qu'il est laux que les
nombres soient finis: done il est
vrai qu'il y a un iufiui en nombre;
mais nous ne savons ce qu'il est.
U est faux qu'il soit pair; il est
laux qu'il soit impair: car, en ajou-
tant i'unite, il ne change point de
nature. Cependaiit c'est un nonjbre,
et tout nombre est pair ou impair.
It est vrai que cela s'entend de
tous nombres finis.
Ainsi, on pent bien connoitre
qu'il y a un Dieu sans savoir ce
qu'il est.
Nous conuoissons done I'exis-
tence et la nature du fini parce que
Dous sommes finis et etendus
comme lui.
Nous conuoissons re:^istence de
Tinfini et ipnorons sa nature^ parce
qu'il a etendub comme nous, mais
non x)as des bornes comme nous;
mais nous ne connoissoiisni I'exis-
tence ni la nature de Dieu, parce
qu'il n'a ui elendue ni bornes.
Mtiispar la foi nous connoissons
on e^istence, par la gloire nous
connoitrons sa nature. Or j'ai deja
montr6 qu'ou pent bien connoitre
EDITIONS.
prouA^es est encore moins e'tonnm
que va misericorde euvers les eli
(P.-R. ch. Yii. B. 2ep. 111^5.)
Nous connoissons qu'il y a un
fini et ignorons sa nature^ commi
jxjr exemple, nous savons qu'il <
faux que les nombres soient fiu.
done il est vrai qu'il y a un int
en nombre; mais nous ne savons
qu'il est; il est faux qu'il soit pa
il est faux qu'il soit impair: oar,
ajoutant runite^ il ne change po:
de nature.
Aiusi, on peut bien connoi
qu'il y a un Dieu , sans savoir
qu'il est; ef voiis ne devez i
conclure qu'il n*y a puint de D\
de ce que nous ne connoisso7is /
parfaitement sa nature.
1. ^osi. Aiiiii par ex.
INFINI. RIEN.
289
MANUSCRIT AUTOGRAPHE, p. 3.
Editions.
Texistence d'une chose sans con-
noitre sa nature,
(P. 4.) (Desm. p. 310. B. 2ep.in, 1.)
Pajlons maintenant selon les lu- Parlons raaintenant selon les lu-
mieres naturelles. S'U y a un DieUj mieres naturelles. S'il y a nn Dieu,
il est infiniment incomprehensible, ji est inliniment inconiiprehensible,
puisque, n'ayant ni parties ni bor- puisque, n'ayant ni parties ni bor-
neSj il n'a mil rapport a nous : nes, il n'a nul rapport a nous,
nous sommes done incapables de nous sommes done inca^ables de
connoitre ni ce qu'il est, ni s'il est. connoitre ni ce qu'il est, ni s*il est.
Cela etant , qui osera entreprendre cela etant ainsi, qui osera entre-
de r^soudre cette question? Ce n'est prendre de r^soudre cette question?
pas nous , qui n'avons aucun rap- ce n'est pas nous, qui n'avons au-
poit a lui. cun rapport a lui.
(Desm. n. B. 2*^ p. xvii, 2, Pen-
sees di verses.)
Qui bUmera done les Chretiens Qui blamera done les Chretiens
de ne pouvoir rendre raison de leur ^q ne pouvoir rendre raison de
creancBj eux qui professent une re- leur creance, eux qui professent
ligion dont ils ne peuvent rendre une religion dont ils ne peavent
raison? lis declarent, en Vexposant rendre raison? lis declarent, au
an monde, que c'est une sottise, contraire, en Texposant am: Cen-
stultitiam; et puis vous vous plai- tils, que c'est une folie, stultitiam.
gnezdecequ'ilsnelaprouventpas! £t puis vous vous plaigncz de ce
S'ils la prouvoient, ils ne tien- q^^ils ne la prouvent pas! S'ils la
droient pas parole : c'est en man- prouvoient, ils ne tiendroient pas
quant de preuves qn'ils ne man- parole; c'est en manqu^nt de preu-
quentpas de sens. Oui; mais encore yes qu'ils ne manquent pas de sens,
que cela excuse ceux qui Voffrent q^j. ^^^^g encore que ceia excuse
telle, et que cela les 6te du blame ^^^^ ^^^ Voffrent telle qu'elle •est,
de la produire sans raison, cela g^ ^^^ ^ela les 6te du blame de la
excuse pas ceux qui la recoivent. produire sans raison, cela n'excuse
pas ceux qui,5wr V exposition qu'ils
en font, refusent de la croire^. Be-
connoissez done la ve'rite' de la reli-
gion dans Vobscurite' de la religion,
I. Besmolctsn lui-memcsoiiligii*'; eetteplirasi-
oonimc pour indiqiier cjii'il avait corrige en cet
endroillapensee do Piiscal.
19
290
INFINI. RIEN.
MANUSCRIT AUTOGRAPHE, p. 4.
ExaniinoDS done ce point et di-
sons : Dieu est^ ou il n'est pas.
Mais de quel cMo pencherons-nous^
La raison n'y pent lien determiner.
II y a un chaos infini qui nous s^-
pare. II se joue un jeu a I'extremite
de cette distance infinie ou il ani-
vera croix ou pile. Que gagerez-
vous? par raison, vous ne pouvez
faire ni I'un iii Taatre; par raison,
vous ne pouvez defendre nul des
deux.
Ne blcLmez done pas de fausset^
ceux qui out pris un ehoix : car
vous n'en savez rien. — Non; mais
Editions.
dans le peu de lumieres que nous e
avons,dmis V indifference qmmt
avons de la connoitre.
( P.-R. VII. Ross, ae part, ii
5.)
Je ne me servirai pas^ pour vov
eonvaincre de son existence^ de I
foi par laquelle nous le {Dieu) cot
noissons certainem^t, ni de touU
les autres preuves que nous e
avons^ puisque vous ne les voule
pas recevoir. Je ne veux agir avi
vous que par vos principes m^met
ef Je pretends vous faire voir po
la moniere dont vous raisonm
tons les jours sur les chases de I
moindre conseque/tce , de queli
sorte votts devez raisonner en celh
ciy et quel parti vous devez prendi
dans la discussion de cette impo\
tante question de V existence c
Dieu,
Vous dites done que nous somm\
incapables de connoiire s'il yah
Dieu. Cependant il est certain qi
Dieu est ou qu'il n'est pas ; il n'y
point de milieu, Mais de quel c6
pencherons-nous? La raison, d^Yc
vous J n'y pent rien determiner,
y a un chaos infini qui nous S'
pare. II se joue un jeu a cette di
tance infinie ou il arrivera eroix c
pile. Que gagerez-vous ? Parrais(
vous ne pouvez assurer ni I'un '
I'autre; par raison vous ne pouv
nier aucun des deux,
Ne blamez done pas de fausse
ceux qui ont fait un choix ; c
vous ne savez pass'ils ont tort,
INFINI. RIEN.
291
MANUSCRIT AUTOGRAPSE, p. 4.
je les bUmerai d'avoir fait^ non ce
choix, mais un choixj car encore
que celui qui prend croix et Tautre
(pile I soient en pareille faute, ils
sont tous deux en faute : le juste est
de ne point parier.
Oui, mais il faut parier, cela
n*est pas volontaire ; vous etes em-
barque * ; lequel prendrez - vous
done? Voyons. Puisqu'il fautchoi-
sir, voyons ce qui vous int^resse le
moins. Vous avez deux choses a
perdre : le vrai et le bien, et deux
choses a d^gager^ : votre raison et
votre volont^j votre connoissance et
votre beatitude; et votre nature a
deux choses a fuir, Terreur^ et la
misere. Votre raison n'est pas plus
bless6e, puisqu'il faut n^cessaire-
ment choisir, en choisissant I'un
que Tautre. Voiia un point vid6;
mais votre beatitude?
Pesons le gain et la perte, en
prenant croix que Dieu est. Esti-
mons ces deux cas; si vous ga-
gnezj vous gagnez tout; si vous
perdezj vous ne perdez rien. Gagez
done qu'il est, sans hesiter. Cela
est admirable. Oui, il faut gager,
mais je ■ gage pent - etre trop *.
Voyons, puisqu'il y a pareil hasard
degain et de perte, si vous n'aviez
Editions.
s'ils ont mat chom. Non, direz-vous^
mais je les bUmerai d'avoir fait,
non ce choix , mais un choix : et
celui qui prend croix et celui qui
prend pile, ont tons deux tort: le
juste est de ne point parier.
Oui J mais il faut parier; cela
n'est point volontaire: vous etes
embarque , et ne parier point que
Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas.
Lequel prendrez-vous done?
Pesons le gain et la perte en
prenant le parti de croire que Dieu
est. Si vous gagnez, vous gagnez
tout; si vous perdez, vous ne per-
dez rien. Pariez done qu'il est sans
bfeiter. Oui, il faut gager, mais je
gage peut-etre trop. Voyons: puis-
qu'il y a pareil hasard de gain et
de perte, quand vous n'aurie^ que
deux vies a gagner pour une, vous
1. Une des copies: au carcan.
a. Le8 deus copies : engager.
3. Les deux copies : I'horreur.
4. lei se trouve, dans le nianuscrit, cette
note niarginalc . n La eeule science qui est
coritre le sens commun et la nature des honi-
mes a toujours ele Li sculr qui ait subsiste
parmi les hommes. »
292
INFINI. RIEN.
MANUSCRIT AUTOGRAPHE, p. 7.
qu'i gagner deux vies pour une^
vous pourriez encore gager; mais
s'il y en avoit trois a gagner (P. 1),
il faudroit jouer (puisque vons etes
dans la necB'^site de jouer) ; etvous
seriez imprudent, lorsque vous etes
force a .iouer, de ne pas liasarder
votre vie pour en gagner trois a nn
jeu oil il y a pareil hasard de perte
et de gain. Mais il y a une eter-
nite de vie et de honheur; et cela
etant, quand il y auroit une infinite
■de hasards dont uu seul seroit
pour vous, vous auriez encore rai-
son de gager un pour avoir deux;
et vous agiriez de mauvais sens,
etant oblige a jouer, de refuser de
jouer une vie contre trois a un jeu
ou d'une infinite de hasards il y en
a uu pour vous, s'il y avoit une
infinite de vie infiniment heureuse
a gagner. Mais il y a ici uue infi-
nite de vie infiniment heureuse a
gagner; un hasard de gain contre un
nombre finii de hasards de perte^
et ce que vous jouez est fini. Cela
est tout parti; partout ou est I'in-
fini et ou il n'y a pas infinite de
hasards de peitc contre celui de
gain , il n'y a point a balancer, il
faut tout donner. Et ainsi quand
on est force a jouer, il faut renon-
cer a la raison pour garder la vie
plut6t que de la hasarder pour le
gain infini aussi pret a arriver qne
la perte du neant.
Editions.
pourriez encore gager. Et s'il y en
avoit dix a gagner, vous seriez
imprudent de ne pas hasarder votre
vie pour en gagner dix a un jeu
ou il y a pareil hasard de perte et
de gain. Mais il y a ici une infi-
nite de vies infiniment heureuses a
gagner, avec pareil hasard de perte
et de gain; et ce que vous jouez est
si peu de chose ft de sipeu de duree,
qi/il y a de la folie h le manager en
cette occasion^.
1. Lefi dcuT copii'.i , t)Oinhre (ii/mi'.
2. Pascnl avnlt mis d'abord : Et autanl de ha- i. CcHe dcrniere phrase nVat que le resiimi
tard de gain que de parte, des longs developpemcnls qui soDt en regard<
INPINt. RTEN.
293
MANUSCRIT AUTOGRAPHE^ p. 7.
Car il ne sert de rien de dire qu'il
est incertain si on gagnera et qu'il
est certain qu'on hasarde , et que
riafinie distance qui est entre la
certitude qu'on s'expose et Tincer-
titude de ce qu'on gagnera egale
le bien fini qu'on expose certaine-
ment a I'infini qui est incertain.
Gela n'est pas ainsi; tout joueur
hasarde avec certitude pour gagner
avec incertitude. Et ueanmoins il
hasarde certainement le fini pour
gagner incertainement le fini, sans
p6cher contre la raison. II n'y a pas
infinite de distance entre cette cer-
titude 4e ce qu'on ^'expose et Tin-
certitude du gain; cela est faux. II
y a a la v6rite infinite entre la cer-
titude de gagner et la certitude de
perdre; mais Tincertitude de gagner
est proportionn6e a la certitude de
ce qu'on hasarde^ selon la propor-
tion des hasards de gain et de per-
te; et de la vient que s'il y a au-
tant de hasards d'un c6te que de
I'autrBj le parti est a jouer egal
contre egal; et alors la certitude de
ce qu'on ^'expose est egale a I'in-
certitude du gain; tant s'en faut
qu'elle en soit infimment dislante!
Et ainsi notre proposition est dans
une force infinie _, quand il y a le
fini a hasarder a un jeu ou il y a
pareils hasards de gain que de
perte, et I'infini a gagner. Cela est
demonstratif ; et si las hommes
sont capable s de quelque verite,
celle-la Test.
(P. 4, a la marge.)
Je le confesse, je Tavoue, mais
EDITIONS.
Car il ne sert de rien de dire
qu'il est incertain si on gagnera et
qu'i] est certain qu'on hasarde, et
que rinfinie distance, qui est entre
la certitude de ce qu'on expose et
Tincertitude de ce que Ton gagne-
ra, egale le bien fini qu'on expose
certainement a I'infini qui est in-
certain. Gela n'est pas ainsi : tout
joueur hasarde avec certitude pour
gagner avec incertitude. Et nean-
moins il hasarde certainement le
fini, pour gagner incertainement le
fini , sans pecher contre la raison.
II n'y a pas infinite de distance en-
tre cette certitude de ce qu'on expose
et Tincertitude du gain; cela est
faux. II y a a la verity infinite
entre la certitude de gagner et la
certitude de perdre; mais Tincer-
titude de gagner est proportionnee
a la certitude de ce qu'on hasarde,
selon la proportion des hasards de
gain et de perte : et de la vient que
s'il y a autant de hasards d'un c6te
que de Tautre, le parti est a jouer
egal contre egal; et alors la certi-
tude de ce qu'on expose est 6gale a
Tincertitude du gain : taut s'en faut
qu'elle en soit infiniment distante!
Et ainsi notre proposition est dans
une force infinie, quand il n'y a
que le fini a hasarder a un jeu ou il
y a de pareils hasards de gain que
de perte , et I'infini a gagner. Cela
est demonstratif; et si les hommes
sont capables de quelques verit&s-,
lis le doivent dfre de celle-la.
Je le conlessej je Tavuue. Mais
encore n'y auroit-il point de moycu
i94
INFINI. RIEN.
MANUSCRIT AUTOGRAPHEj p. 4.
encore n'y a-t-il pas moyen de voir
le dessous du jeu ? — Oui , I'^cri-
ture, et le reste, etc.
Oui, mais j'ai les mains liees et
la boucbe muette ; on me force k
parier, et je ne suis pas en liberty;
on ne me relAche pas , et je suis fait
d'une telle sorte que je ne puis
croire. Que voulez-vous done que
je fasse?
II est vrai; mais apprenez au
moinsvotre impuissance a croire',
puisque la raison vous y porte , et
que neanmoins vous ne le pouvez.
Travailloz done non pas a vous
convaincre par raugmentation des
preuvres de Dieu, mais par la di-
minution de vos passions. Vous
voulez aller a la foi, et vous n'en
savez pas le chemin; vous voulez
vous gu^rir de Tinfidelit^, et vous
en demandez les remedes. Appre-
nez (les) de ceux qui ont M& lies
comma vous, et qui parient mainte-
nant tout leur bien. Ge sont gens
qui savent un chemin que vous
voudriez suivre, etgu6i)sd'un mal
dont vous voulez gu6rir. Suivez la
maniere par ou ils ont commence:
c'est en faisant tout comme s'ils
croyoient, en prenant de I'eau b6-
nite, en faisant dire des messes, etc.
Naturellement meme cela vous fera
Editions.
de voir un peu clair? Oui, par le
moyen de I'Ecriture, et par toufes
les autres preuves de la religion^
qui sont infinies.
{Suivent dans P.-R. 3 paragra-
phes, tires de differents endroits du
Msc, et un 4e: « Quel mal vous
arrivera-t-11 en prenant ce parti....))
qui doit venir plus tard, et que
Pascal a lui-m6me intittile : Fin de
ce discours. )
{V,'V..,ibid.)
Vous dites que vous Hes fait de
telle sorte que vow* )te sauriez croire.
Apprenez au moins votre impuis-
sance a croire, puisque la. raison
vous y porte, et que neanmoins
vous nele pouvez. Travaillez done
a vous convaincre, non pas par
I'augmentation des prouves de Dieu,
mais par la diminution de vos pas-
sions. Vous voulez aller a la foi, el
vous n'en savez pas le chemin;
vous voulez vous guerir de I'infid^-
lit(^, et vous en demandez les reme-
des: apprenez-lts de ceux qui ont
ete t^ls que vous et qui n'ont pre-
sentement aurun doute. Us savent
ce chemin que vous voudriez sui-
vre, et ils sont gueris d'un mal
dont vous voulez guerir. Suivez la
mauiere par ou ils ont commence;
imitez Icurs actions exterievres, si
t^ou-s ne "pouvez enrore entrer dans
leurs dispositions inte'rieures; quit'
1. La premiere niniik-re dc Pascal se yo\\
encore dans le mnniiGcril ; u Mais aprenez'aii
tnoiiis que YOiri' ii)>puiBsiUico a ciciiii; ne vieiil
f u< du difaut de voi paeihni. Trav... »
INFtNI. RIEN.
295
MANPSCRIT AUTOGRAPHEj p. 4, EDITIONS.
croire et vous abfitira. — Mais c'est tez ces vains amusements qui vou.^
ce que je crains. — Et pourquoi? occupent toutentier.
qu\'ivez-vous a peidre ?
Mais pour vous montrer quecela (P.-R. donne ici deux paragra-
y mene, c'est que cela diminue les phes etrangers a ce morceau :
passions qui sont vos grands obsta- « faurois bientot quitte ces p/m-
cles, etc. sirs. »)
(p; 7.)
Or, quel mal vous arrivera-t-il Quel mal vous arrivera-l-il en
en, prenant ce parti? Vous seiez prenant ce parti? Vous serez fidele,
Jidele, honnete^ humble, reconnois- honnete, humble, reconnoissant^
sant, bienfaisant, ami^ sincere, ve- bienfaisant, sincere, veritable. Ala
ritable. A la v6rite vous ne serez verite vous ne serez point dans les
. point dans les plaisirs empestes, plaisirs erapestesj dans la gloire,
dans la gloire, dans les dJlices; dans les delices. Mais n'en aurez-
mais n'en aurez-vous point d'au- vous poiut d'autres ? Je vous dis
ires? Je vous dis que vous y ga- que vous gagnerez en cette vie; et
gnerez en cette vie; et qu'a chaque qu'a chaque pas que vous fere?
pasque vous ferez dans ce chemin, dans ce chemiUj vous verrez taut
vous verrez taut de certitude de ^"^ certitude de gain, et tant de
gain, et tant de neant de ce que "^^^^ *^"^' ^^^ ^^^ ^^^^ hasardez,
vous hasardez, que vous connoitrez ^^^ ^'^^^ connoitrez a la fin que
a la fin que vous avez parie pour vous avez parie pour une chose
une chose certaine, infinie, pour certaine et infinie , ef que vou§
laquelle vous n'avez rien donn^. n'avez rien donii6 pour Vobtenir,
|P. 4, a la marge.)
ce discours me trausporte, me ravit, etc.
Si ce discours vous plait et vous semble fort, safhez qu'il est fait par un
homme qui s'est mis a genoux auparavant et apres, pour prier cet Etre
infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre auss
le v6tre pour votre proi.re bien et pour sa gloire, et qu'ainsi la force
s'accorde avec cette bassesse.
1. Bansle tnanuscrit el dans I'une des copiea, il y a une yirgulc apres ami.
DISPROPORTION DE L'HOMME^
MANDSCRIT JIUTOGRAPHE,
P. 347-361.
Pages bien suivies el Ires travaillecs.
{P. 347.)
VoiliL on nous menent les con-
iioissances natiirelles. Si celles-la
lie sont veritables, il n'y a point
de vinjte dans I'horarae; si elles le
sont, il y trouve un grand sujet
d'humiliation , force a s'abaisser
d'nne on d'autre maniere; et,pms-
qu'il ne pent sulpsister sans les
croire^ je souliaite, avaut que d'en-
trer daus de plus "grandes recher-
clies de la nature, qu'il la considere
une fois seriensement et a loisir,
qu'il se regarde aussi soi-meme et
juge s'il a quelque proportion avec
elle par la comparaisoa qu'il fera
de ces deux objets. (Get aliuea est
banv dans le Msc.)
Que riioname coritemple done la
nature entifere d;ins sa haute et
pleiue mfijeste; qu''il Aloigne sa
vue des objets has qui I'environ-
nent; qd'il ve^iarde cettu (kdatante
lunilere niise cnnime uue lampe
eleinelle pour eclairer Tumveis;
que la tcvre liii }iaroisse coninic un
EDITIONS,
(Port- Royal J ch. xxii. Connois-
sance generate de rhomnie.)
La premiere chose qui s'offre a
r/io///me quoad il se regarde, c'est
son corps, c'est-a-dire une certaine
portion de matiere qui lui est pro-
pre. Mais pour comprendre ce
quelle est, il faut qu'il la cotn-
pareavec tout ce qui est au-dessus
de lui et tout ce qui est au-dessou-s,
afin de reconnoitre sesjustes homes.
Qu'il ne s'arr^te done pas a re-
goidrr stimpleraerit les objets qui
renvironnent; qu'il contemple la
nature entiere dans sa haute et
pleiue nrajeste; ({Vi'W rf,)i>;idere cette
eclatante luniicro , mise comme
uue lampe eternelle pour eclairer
riinivers; que la terre lui paroisse
J. Vo;iz I'lJiinncii lU'-liiilltf (Jc ce nioicunu , Wappori, p. iSS-igO.
DISPROPORTION DE L'HOMME,
297
MANUSCRIT AUTOGRAPBE,
P. 347-361.
point au prix du vaste tour que cet
astre decrit, et qu'il s'etonne de ce
que ce vaste tour lui-meme n'est
qu'un point tres-delicat a I'egard
de celui que les aatres qui roulent
dans le firmament emhrassent. Mais
si notre vue s'arrete la^ que Tima-
gination passe outre : elle se las-
sera phit6t de concevoir que la
nature de fournir. Tout le monde
"Visible n'est qu'un trait impercep-
tible dans I'ample sein^ de la na-
ture. Nulle idee n'en approclie;
nous avons beau enfler nos con-
ceptions au del a des es paces ima-
giyiableSj nous n'enfantons (lue des
atomes au prix de la realite des
cboses : c'est une sphere infinie
dont le centre est partoutj la cir-
conf^rence nulle part. Enfin c'est
le plus grand caractere sensible
de la toute-puissance de Dieu que
notre imagination se perde dans
cette pensee.
(P. 348.)
Que I'homme etant revenu a soi,
considere ce (ju'il est au prix de ce
qui est; qu'il se regarde comme
^gare dans ce canton detourne de
la nature 2j et que, de ce petit ca-
cliotou il se trouve log^, j'entends
i'univers, il apprenne a estimer la
Editions.
comme un point au prix du vaste
tour que cet astre decrit, et qu'il
s'etonne de ce que ce vaste tour
lui-meme n'est qu'un point tres-
d61icat h Vegard de celui que les
astres qui roulent dans le firma-
ment embrassent. Mais si notre
vue s'arrete la^ que I'imagination
passe outre : elle se lassera plut6t
de concevoif que la nature de four-
nir. Tout ce que nous voyons du
monde n'est qu'un trait impercep-
tible dans I'ample sein de la na-
ture ; nulle idee n'approche de
Vetendue de ses espaces; nous avons
beau enfler nos conceptions, nous
n'enfantons que des atomes au
prix de la realite des cjioses : c'est
une sphere infinie dont le centre
est partoutj la circonference nulle
part. Enfin c'est un des plus grands
caracteres sensibles de la toute-
puissance de Dieu que notre ima-
gination se perde dans cette pensee.
Que I'homme, etant revenu a soi,
considere ce qu'il est au prix de ce
qui est; qu'il se regarde comme
egare dans ce canton detourne de
la nature J et que, de ce que iui pa-
roitra ce petit cachot oii il se trouve
loge^ c'est-^'dire ce monde visible ^
1- Pascal avail mis d'itbord, Daml'amplUude
el immensity da la nature.
a- Pasfjil avail mis, d'abord , « Dans I'im-
me),se eleiidue des rtioses. « Cc pelit morceauest
plein de ratures, et porlo la traci; d'uii grand
lr»Tail.
Disproportion de l^homme.
MANUSCRIT AUTOGRAPBE,
P. 347-361.
terrCj les royaumes, les villes et
soi-m^me son juste prix.
Qu'est-ce qu'un homme dans I'in-
flni?
Mais pour lui presenter un autre
prodige aussi etonnant^ qu'il rlier-
che dans ce qu'il conuDit les clioses
les plus delicates. Qa'nn ciron lui
offfe dans la petitesse de son coi'ps
des parties incomparal dement plus
petites; des jambes avrc des join-
tures, des veiues dans ces jauihes,
du sang dans ces veines, des hu-
Tueurs dans c<- ^^ang, des gouttes
dans ces hutneurs, des vapeurs
dans ces gouttes; que, divisantea-
core ces dernieres choses^ il epuise
S(!S forces en ces conceptions, et que
le dernier objet ou il peut arriver
soit niaintenant ceiui de notre dis-
cnurs : il pensera peut-etre que
c'est la I'extreme petitesse de la
nature. Je veux lui faire voir la-
dedans un abioie nouveau^; je lui
veux peiudre uon-seulemeut Tuni-
vers visible, mais Timmensit^ quVm
peut concr-voir de la nature daus
Tenceinte de ce raccourci d'atome^.
Qu'il yvoye uneintiuite d'univers\
dont chacun a son firmament, ses
planeteSj sa teiTe, en la meme pro-
portion que le monde visil}le; dans
cette terre, des animaux; enfin
EDITIONS.
il apprenue a estimer la terre, les
royaumes, les villes et so:-meme ^
son juste prix.
Qu'est-ce qu'un homme dans I'in-
fini? Qui le pent cojnprendre? }iia.is
p lui lui presenter un autre prodige
aussi etonnant, qu'il recherche
dansce qu'il conn"Ules choses les
plus delicates. Qu'un ciron, par
exemple, lui offre dans la petitesse
de son corps des parties incompara-
blenieut plus petites, des j;imbes
avec des jointures, des veines dans
ces jambes, du sang dans ces vei-
nes, des humeurs daus ce sang,
des gouttes dan"! ces humeurs^ des
vapeurs dans ces gouttes ; que, di-
visant encore ces dernieres clioses,
il eimise ses forces et ses concep-
tions; et que le dernier objet ou il
peut arriver soit mainteuant celui
de notre discours : il pensera peut-
etre que c'est la I'exireme peti-
tesse dela nature. Jevpux Ini faire
voir la dedans uu abime oouveau;
je veux lui peindre non-seulement
TuniviTs visible, mais encore tout
ce qriil est capable de concevoir de
Timmensite de la nature dansTen-
ceinte de cet atome imperceptible.
Qu'il y voye une infinite de mon-
di's, dont cb:iciin a son firmament,
ses planetes, sa terre, en la meme
proportion que le monde visible;
1. II y avail d'abord , rea goiitln.
3. D'abord , un abime de grandeur.
?. Ll'S deui copies . rai-coiirci d'ab^me
it. D'abord, de monde*.
DISPROPORTION DE L'HOJVIME-
299
MANUSCHIT AUTOGBAPHEj
P. 347-361.
des cironSj dans lesquels il retrou-
vera ce que les prenjiers ont donuej
et troiivant encore dans les autres
la meme chose, sans fin et sans
xepos*.
{Les pages 349 et 350 en blanc.
P. 351, — )
Qu'il se perde dans ces nierveilles
aussi etonnantes dans leur petitessc
que les autres par leur etendue :
car, qui n'adnjirera que notre corps,
qi;i tantftt n'etoit pas perceptible
dans Tunivers, imperd-ptilde lui-
m6me dans le sein du tout, soit a
present un colosse, un mondej ou
plat6t un tout a I'egard du neant
oil Vm ne pent arriver?
Qui se cousiderera de la sorte
s'efFrayera de soi-menjOj et se con-
siderant soutenu, dans la masse
que la nature lui a donnee, entre
ces deux abirnes de Tinfini et du
n6ant, il treniblera dans la vue de
ces merveilles; et je ciois que sa
curiosite se changeant en admira-
tion, il sera plus dispose a les con-
tenipler en silence qua lesrecher-
cher ayec presomption.
Car enfiUj qu'est-ce que Vhomme
dans la nature ? Un neant a I'egard
de rinfini, un tout a I'egard du
neant, un milieu entre rienet tout.
Infiniment eloign^ de comprendre
1. n y avait d'abord , enfin des cirons, el dans
res -ciroiti une infintti d'univen lemblalilet d
ceux qu'ilvient d^alleindre, el toujoum dei pro-
fondeurn pareilles jam fin el Battimpoe,
EDITIONS.
dans cette terre des animaux, et
enfin des cirons, dans lesquels il
retrouvera ce que les premiers ont
donne, trouvant encore dans les
autres la meme chose, sans fin et
sans repos.
Qii'il se perde dans ces merveil-
les aussi etonnantes jmr leur peti-
tesse que les autres par leur eten-
due : car, qui n'admirera que notre
corps, qui tant6t n'etoit pas percep-
tible d;ins rnniv rs, imperceptible
lui-m6me dans le sein du tout, soit
maintenant un colosse, un monde,
ou plut5t un tout a I'egard de In
derniere petitesse ou Ton ne pent
arriver ?
Qui se cousiderera de la sorte,
s't'ffrayera sans doute de se voir
comme su-fpendu, dans la masse
que la nature lui a donnee, entre
ces deux abirnes de Tinfini et da
neant, doni il est e'galement eloi-
gner il tremblera dans la vue de
ces merveilles, et je^ crois que sa
curiosite se changeant en admira-
tion, il sera plus dispose a les con-
templei en silence qu'a les recher-
cher avec presomption.
Car enfin, qu'est-ce que Thonime
dans la nature? Un neant a I'e-
gard de rinfini, un tout a Tegard
du neant, un milieu entre rien et
tout; il est infiniment eloigne des
m
DISPKOPORTION DE L'ttOMME.
MANtlSCRtT AUTOGRAPHEj
P. 347-361.
les extremes, la fiu des choses et
leiir piincipe sont pour lui invin-
ciblement caches dans ua secret
impenetrable; egalement incapable
de voir le neant d'ou il est tire et
I'infini oil il est engloutiV
Qne fera-t-il done, sinon d'aper-
cevoir quelque apparence du milieu
des choses, dans un desespoir eter-
nel^ de connoitre ni leur principe
ni leur fin? Toutes choses sont sor-
ties du neant et portees jusqu'a
riiilini. Qui suivra ces etonnantes
demarches? L'auteur de ces mer-
veilles les comprend : tout autre
ne le pent faire.
{P. 352.)
Manque d'avoir contemple ces
infinis, les hommes se sont portes
temerairement a la recherche de la
nature, comme s'ils avoieut quel-
que proportion avec elle.
C'est une chose Strange qu'ils
out voulu comprendie les prin-
cipes des choses, et de la arriver
jnsqu'a connoitre tout, par une
1. D'abord , u hi: iieaiil d'oi^ tout csl lirt^ et
I'infiiii OLi tiiut fst pounsi'. «
i. D'abord , siiiis L'S|jeratice.
Editions.
deux extremes, et son ^tre n*
pas moins distant du n6ant d'oi
est tire que de Tinfini ou il est (
glouti.
Son intelligence tient, dans l\
dre des choses intelligibles ,
m^me rang que son corps da
I'e'tendue de la nature (cette phre
ne vient dans le Msc que 3 pa^
plus has); et tout ce qu'elle pt
faire est d'apercevoir quelque 2
parence du milieu des choses, da
un desespoir eteruel d'en connoil
ni le principe ni la fin. Toul
choses sont sorties du neant
portees jusqu'a I'infini. Qui pe
sujvre ces etonnantes demarche
L'auteur de ces merveilles ]
comprend : 7iul autre ne le pe
faire.
(Ici, grande lacune dans I'^i
tion de Port -Royal. C'est Desm
lets qui a publie le passage si
vant : )
Manque d'avoir contemple c
infinis, les hommes se sont porl
temerairement a la recherche de
nature, comme s'ils avoient qm
que proportion avec elle^.
'- C'est une cLose etrange qu'
aienf voulu comprendre les pri
cipes des choses et arriver jusqi
connoitre tout, par une presompti
1. (;t;t aliiiea ii'a pas cle repruduit par B
sill.
3. fio&sul, siijipUnicnl, 11*8.
DISPROPORTION DE L^HOMME.
301
MANUSCRIT ATJTOGRAPHE,
P. 347-361.
pr^somption aussi infiaie que leur
objet; car il est sans doute qu'oa
ne peut former ce desseiu sans une
pvesomption ou sans une capacite
infinie comme la nature.
Quand on est instrult, on com-
prend que la nature ayant grav6
son image et celle de son auteur
dans toutes choses, elles tiennent
presque toutes de sa double infinite.
G'est ainsi que nous voyons que
toutes les sciences sont infinies en
Tetendue de leurs reclierclies; car,
qui doute que la geometrie, par
exemple, a une infinite d'infinites
de propositions a exposer? Elles
sont aussi infinies dans la multi-
tude et la delicatesse de leurs prin-
cipes; car, qui ne voit que ceux
qu'on propose pour les derniers ne
se soutiennent pas d'eux-memes,
et qu'ils sont appuyes sur d'au-
tres qui, en ayant d'autres pour
appui, ne souffrent jamais de der-
niers?
Mais nous faisons des derniers
qui paroisseat a la raison comme
onfaitdans les choses mat^rielles,
ou nous appelons uu point indivi-
sible celui an dela duquel nos
sens n*apercoivent plus rien, quoi-
que divisible infiniment et par sa
nature.
Editions.
aussi infinie que leur objet K Or 11
est sans doute qu'on ne peut former
ce dessein sans une presomption
ou sans une capacite infinie comme
la nature.
2 Quand on est instruitj on com-
prend que la nature ayant gi'ave
son image et celle de son auteur
dans toutes choses, elles tiennent
presque toutes de cette double in-
finite. C'est ainsi que nous croyons
que toutes les sciences sont infinies
en Tetendue de leurs recberches.
(Lacune dans Desmolets, jusqu'a :
«0n voit d'une premiere vue que...»
La fin du present alinea a ete don-
nee par Gondorcet, iv, 6.) Car qui
doute que la geometrie, par exem-
ple, a une infinite d'infinites de pro-
positions a exposer? EUe sera aussi
infinie dans la multitude et la deli-
catesse de leurs principes ; car, qui
ne voit que ceux qu'on propose
pour les derniers ne se soutiennent
pas d'eux-memeSj et qu'ils sont ap-
puyes sur d'autres qui, en ayant
d'autres pour appui, ne souffrent
jamais de derniers?
1. Bossut et d'apres lui la plupart des edi-
teurs supprimeut cutto ligne : « jiar mie prti-
somption aussi infuiie que leur objel. n
J. Bossut, ire part. »i, >4-
302
DISPROPORTION DE L'HOMME.
MANUSCBIT AUTOGRAPHE ,
P. 347-361.
De ces deux infinis de sciences,
celui de grandeur est bien plus
sensible; et c'est pourqnoi il est
arrive a peu de personnes de pre-
tendre connoitre toutes choses; je
vais parler dc tout, disoit Demo-
crite ' .
(Les pages 3o3 et 354 en blanc.
P. 355. Title repete : Disproportion
de rhomme.)
Editions.
On voit d'une premiere vue que
raritbmetique seule fournit des
principes sans nombre, et chaqiie
science de meme. (Barre dans le
Msc.)
Mais I'infinite en petitesse est
bien moins visible; les [bilosophes
ont bien plut6t pretendu d'y arri-
verj et c'est la ou tons ont achop-
pe 2; c'est ce qui a donue lieu k cos
titres si ordinaires des principes
des choses, des pi-incipes de la phi-
losophie J et autres semblableSj
aussi fastueux en etfet quoique
moins en apparence que cet autre
[Desmol. I. I.)
On voit d'une premih'e vue qi
raiitlimetique fournit des princip
sans nombre; chaqiie science i
meme.
* L'infinite en petitesse est bit
moins visible : les pbilosophes oi
pretendu d'y arriver, et c'est la c
tous out &-houe^. C'est ce qui
donne lieu a ces titres si ordinairei
Des principes des choses^ Des pH>
cipes de la philosophic, et autn
semblables aussi fastueux en effe
quoique moins * en apparence, qi
cet autre qui creve les yeux : L
1. P;iscal avail d"aborcl nils icl Vrilinca sui-
yaiil qu'll a barre , n Main uutre que c'est peu
d'cn parliT simplemeut iu)\s prouver et runnol'
ire, il est Deanmuins impussiblc de le faire, la
multitude i/ifnie des rlioses nous clant si cachce
que tout cc ijue nous pouvons exprinier par pa-
roles ou par peiisees n'eii vst iiu'un trait indivi-
sible. D'ui'i il paroil cjmbicn est sol, vain et igno-
rant ce litre de ijuelques livres : De omni sci-
Lili. I) -1 Le jielil aliiii-it qui suit, quoirjue rt-
produil par lis edilJons, est egaltnient bane
d:u)s Ic irianiiscril.
3. D'abord : se sont appliquds aver le tucci-s
iju'onpeut voir. Corrige : « iju'oii sait. »
1, Boss.. A/a/j II riiif...
3. Boss. , rhoppe.
0. Buss., noit.
DISPROPORTION DE L'HOMME.
303
MANUSCRIT AtJTOGRAPHEj
P. 347-361.
Editions.
qui creve les yeux *
scibili.
de omni omni scibili.
On se croit naturellement bien
plus capable d'aniver au centre
des choses que d'embrasser leur
cifconference. L'6tendue visible du
moude nous surpasse visiblement.
Mais comme c'est nous qui surpas-
soDs les petites choses, nous nous
croyons plus capables de les poss6-
der. Et cepeudant il tie faut pas
inoins de capacite pour aller jus-
qu'au n6ant que jusqu'au toi.t; il
la faut infinie pour 2 1'un et Tautre^
et il me semble que qui auroit
compris les derniers principes des
choses pourroit aussi arriver jus-
qu'a connoitrerinfini. L'un depend
de I'autie et Tun conduit a I'aulre.
Ces extremites se toucbeut et se
reunissent a force de s'etre eloi-
gnees, et se retrouvent en Dien et
en Dieu seulement.
Connoissons done notre poitee;
nous sommes quelque cbose et ne
sommes pas du tout; ce que nous
avons d'etre nous d^robe la con-
noissance des premiers principes
qui naissents du neant, et ie pen
que nous avons d'etre nous cacbe
la vue de I'infini.
Notre intelligence tientdans I'or-
dre des choses intelligibles le meme
1. D'abord , i/ui 6/esse/a itue.
a- D'aliord , en.
3. D'abord , sorUnt, puis vlennent, eiiliri
naisieiif.
(P.-R., ch. XXXI, Pensees diver-
ses. B. irep.vi, 26.)
On se croit naturellement bien
plus capable d'arriver au centre
des choses que d*enfjbrasser leur
circonference. L'etendue visible du
monde nous surpasse visiblement.
Mais couime c'est nous qui surpas-
sons les petites choses, nous notis
croyons plus capables de les posse-
der. Et cepeudant il ne faut pas
moins de capacite pour aller jiiS-
qu'au neant que jusqu'au tout. Il
la faut infinie dans l'un et dans
Tautre : et il me semble que qui
auroit compris les derniers prin-
cipes des choses, pourroit aussi ar-
river jusqu'a conuoitre riuflni. L'un
depend de 1 "autre, et l'un conduit
a I'autte. Les extremitf^s se tou-
Chent et se reunissent a force de
s'etre eloign^es, et se retrouvent en
Dieu et en Dieu seulement.
(Cette phrase a et6 reunie dans
P.-R. a un alinea ci-dessUg.)
304
DISBROPORTION
MANUSCRIT AUTOGRAPHE,
P. 347-361.
rang que notre corps dans r^ten-
due de la nature, borne i en tous
genres.
Get etat, qui tient le milieu entre
deux extremes, se trouve ententes
nos puissaDces.
Nos sens n'apercoivent rien d'ex-
treme. Trop de bruit nous assour-
dit; trop de lumiore eblouit = ; trop
de distance et trop de proximite
empecbe la vue ; tiop de longueur
et trop de brievet6 du discours I'ob-
scurcit; trop de verite nous etonne.
J'ensais qui ne peuvent comprendre
que, qui de zero 6te quatie, reste
zero. Les premiers principes ont
trop d'6vidence pour nous. Trop de
plaisir incommode; trop de con-
sonnances deplaisent dans la mu-
sique,et trop de bienfaits irritent^;
nous voulons avoir de quoi sur-
payer la dette *. Beneficia eousque
Itpta sunt dum videntur exsolvi
posse; uhi rtiultum anteverferint,
pro gratia odium redditur.
Nous ne sentons ni Textreme
chaud, ni Textreme f roid ; les qua-
lites excessives nous sont ennemies
etnonpassensibles; nousneles sen-
tons plus, nous les souffrons^ . Trop
de jeunesse et trop de vieiUesse
empeche^ I'esprit, trop et trop pen
1. £icle msr. ct les deux copies,
a. D'abord , obscurril.
3. D abord , nous rendeni ingrats.
4. Efface , It ellevous passe, elle biessc.
6. D'abord , notiit les souffrons, naus ne let
tenlotii pax.
6. D'abord , gSte.
BE L'HOMME.
Editions.
(P.-R., suite du cbap. xxn).
Get 6tat, qui tient le milieu entre
les extremes, se trouve en toutes
nos puissances.
Nos sens n'apercoivent rien d'ex-
tr6me. Trop de bruit nous assour-
dit; trop de lumiere nous eblouit;
trop de distance et trop de proxi-
mite empeche la vue ; trop de lon-
gueur et trop de briovete obscur-
cissent im discours, trop de plaisir
incommode, trop de consonnauces
deplaisent.
Nous ne sentons ni Textreme
cbaud ni I'extreme froid. Les qua-
lites excessives nous sont ennemies
et non pas sensibles. Nous ne les
sentons plus, nous les souffrons.
Trop de jeunesse et trop de vieil-
lesse empecbent Tesprit; trap et
DISPROPORTION DE VHOMME.
308
MANUSCRIT AUTOGRAPHEj
P. 347-361.
d'instruction. Enfia les choses ex-
tremes sont pour nous comme si
alias u'etoient points, et nous ne
sommes point a leur 6gard : elles
nous echappent ou nous a elles.
Voila notre etat veritable ; c'est
ce qui nous rend incapables de sa-
Yoir certainement et d'ignorer ab-
solinnent. Nous voguons^ sur un
milieu vaste^ toujours iucertains et
flottantSj pouss6s d'un bout vers
I'autre (P. 356). Quelque terme ou
nous pensions nous attacher et nous
affermir, il branle et nous quitte,
et si nous le suivons il ecbappe a
nos principeSjil glisse, etfuitd'une
fuite 6ternelle3. Rien ne s'arrete
pour nous. C'est T^tat qui nous est
naturel et toutefois le plus contraire
a notre inclination. Nous brulous
de d6sir de trouver une assiette
ferme et une derniere base con-
stante pour y^ 6difier une tour qui
s'eleve a Tinfini ; mais tout notre
fondement craque, et la terre s'ou-
vre jusqu'aux abimes.
Ne cberchons done point d'assu-
rance et de fermete; notre raiaon
EDITIONS.
trop peu de noiirriture tvouhlent
ses actions ; trop et trop peu d'in-
struction rabetissent. Les choses
extremes sont pour nous comme si
elles n'6toient pas, et nous ne som-
mes point h. leur ^gard. Elles nous
^chappent ou nous a elles.
Voila Dotre etat veritable. C'est
ce qui resserre nos connoissances en
de certaines homes que nous ne
passons pas^ incapables de savoir
tout et d'ignorer tout absolument.
Nous sommes sur un milieu vaste,
tonjours inceitains et ilottants entre
Vignorance et la connoissance ; et
si nous pensons aller plus avant,
notre objet branle et ecbappeci nos
prises : il se derohe et fuit d'une
fuite eternelle : rien ne le pent ar-
reter. C'est notre condition nalu-
relle, et toutefois la plus contraire
a notre inclination. Nous briilons
du d^sir d' approfondir tout, et d'e-
difier une tour qui s'^lewajusqu'u
I'infini. Mais tout notre edifice cxa.-
que, et la terre s'ouvre jusqu'aux
abimes.
(Les A paragrapbes suivants out
ete publies pour la premiere fois
par Gondorcet : iv, 6. B. 1« p. vi,
24.)
Ne cbei chons done point d'assu-
rance et de fermete : notre raison
est toujours decue par rinconstance est toujours decue par Tinconstance
1. D'ubord , ^. nous inseiisiblei.
3. D'abord , nDu5 tfuniines.
3. rhrusc raturee ellravailleo.
4. D'ujjord , sur quoi nous puUsionsidifier.
20
806
DISPROPORTION DE UHOMME.
MANUSCHIT AUTOGRAPHE,
P, 347-371.
des appareiices ; rien ne peul fixer
le fiiii entre les deux inflnis qui
I'enferment et le fuient.
Cela elant tien compris, je crois
qu'on se tiendra en repos, chacun
dans r^tat ou la nature Ta place.
Ce milieu qui nous est echu en
partage etant toujouis distant des
extremes, qu'importe qn'un rieu ^
ait un peu plus d'intelligence des
closes? s'il en a, il les prend mi
peu de plus haut. N'est-il pas tou-
jours iuflniment eioi;,^ne du bout?
et la duree de notre vie n'est-elle
pas egalement et iufiuiment eloi-
gn^e de I'eternite, pour durer dix
ans davantaee?
Dans la vue de ces infiuis tous
les fluis sont egaux, et je ne vois
pas pourquoi asseoir sun imagina-
tion plut6t sur Tun qnesur I'autre.
La seule comparaison que nous
faisons de nous an fini nous fait
peine.
Si I'homme s'etudioit le premier,
il verroit combien il est incapable
de passer outre. Comment se pour-
roit il qu'une partie con niitle tout?
Mais il aspirera peut-etre k cou-
noltre au moins les parties avec les-
quelles il a de la proportion. Mais
les parties du momie ont toutes un
tel rapport et un tel enchainement
Tune avec I'autre que je crois im-
possible de connoitre Tune sans I'au-
feblTIONS.
des apparences. Rien ne peut fiX)
le flni entre les deux infinis qi
I'enferment et le fuient.
Cela 6tant bien compris je cro
qn'on s'en tiendra au repos,chacu
dans I'etat ou la nature Ta plac6.
Ce milieu qui nous est echu etai
toujours distant des extremes
qu'importe que thomme ait unpe
plus d'intelligence des choses? S':
en a, il les prend dun peu plu
haut. N'est-il pas toujours infin:
ment 61oign6 rfe-s extremes? Et I
duree de notre plus longuevie n'esi
elle pas infiniment eloignee de 1\
ternite?
Dans la vue de ces infinis, ton
les infinis sont egaux; etje ne vol
pas pourquoi asseoir son imaging
tion plutOt sur I'un que sur I'autre
La seule comparaison que nous tai
sons de nous au fini nous fail peine
(P.-R.j ch. XXXI, Pense'es diver
ses. B. 1" p. VI, 26.)
Si I'homme commengoit par s'e
tudier /ui-m&me, il verroit combie
il est incapable de passer outre
Comment se pourroit-il/a»'equun
paitie connut le tout? Mais il aspi
lera peut-etre a connoitre an moin
les parties avec lesquelles il a de 1
proportion. Mais les parties d
monde ont toutes un tel rapport e
un tel enchainement I'une ave
I'autre, que je crois impossible d
Sic le insc. ut les deux copies.
DISPROPORTION DE L'HOMME.
307
MANUSCBIT AUTOGRAPHE,
P. 347-371.
tre et sans le tout.
L'hCunmp, par exemple, a rapport
a tout ce qu'il connoit ; il a besoin
de lieu pour le contenir^ de temps
pour durer, de BiouYemeut pour
vivre, d'6l6ments pour le composer,
de chaleur et d'aliments pour le
nourrir, d'air pour respirer; ilvoit
k lumierCj il sent les corps ; enfin
tout tonibe sous son alliance ' .
Il faut done, pour counoitre
riiomme, savoir d'ou vient qu'il a
besoin d'air pour subsister; et pour
conunitre Tair. savoir par ou il a
rapport ci la vie de Thomme, etc.
(Les pages 357 et 358 en blanc.
Page 359:).
La flamme ne subsiste point sans
Tair ; done pour connoitre I'un il
faut counoitre Tautre.
Done toutes cboses etant caus^es
et causantes, aidees et aidantes,
mediatement et immediatement, et
toutes s'entretenant par un lien na-
turel et insensible qui lie les plus
eloign^es et les plus differentes, je
tiens impossible de counoitre les
parties sans counoitre le tout, noa
pins que de connoitre le tout sans
connoitre particulierement les par-
ties 2.
L'eternite des choses en elles-
1- D'abord , sa pereepiion ; puis sa d^pen-
(iance; puis son all.
a. D'abord , « Je (iens impossible rl'en con-
noitre aucune sans ronno'ttre toutes tei autrei,
c'eit-a-dire imposiible puremtul el absulumeni. •
Editions.
connoitre l*une sans Tautre et sans
le tout.
L'homme, par example, a rap-
port £1 tout ce qu'il connoit. II a
besoin de lieu pour le contenir, de
temps pour durer, de mouvenient
pour vivrejd'61ements pour le com-
poser, de chaleur etd'aliineotspour
le nourrir, d'air pour respirer. il
voit la lumi&re, il sent les corps,
enfln tout tombe sous son alliance.
II faut done , pour connoitre
rhomme, savoir d'oia vient qu*il t
besoin d'air pour subsister.
Et pour connoitre I'air il faut sa-
voir par ou il a rapport k la vie de
rhomme.
Lallamme ne subsiste point sans
I'air. Done pour connoitre I'un il
faut connoitre Vautre.
Done toutes choses 6tant causees
et causantes, aidees et aidantes,
mediatement et immediatement, et
toutes s'entretenant par un lien na-
turel et insensible qui lie les plus
eioignees et les plus diff^rentes, je
tiens impossible de connoitre les
parties sans connoitre le tout, non
plus que de connoitre le tout sans
connoitre particulierement* lefl par-
ties.
1. BosE. , en detail.
308
DISPROPORTION DE L'HOMME.
MANUSCRIT AUTOGRAPBE_,
P. 347-361.
memes ou en Dieu doit encore eton-
ner notre petite duree. Llmniobi-
lite fixe et constante de la nature,
[par] comparaison au changement
continuel qui se passe en nous^doit
faire le meme effet. (Barre dans le
msc.)
Et ce qui acheve notre impuis-
sance a connoitre les choses, est
qu'elles sont simples en elles-memes
et que nous somuies comijoses' de
deux natures opposees et de divers
genre J dameet de corps; car il est
impossible que la partie qui rai-
S'lnne en nous soit autre que spiri-
tuelle ; et quand on pretendroit que
nous serious simplement corporels,
cela nous excluroit bien davautage
de la connoissance des choses, n'y
ayant rien de si inconcevable que
do dire que la matiere se connoit
soi-meine. 11 ne nous est pas pos-
sible do connoitre comment elle se
conuoitroit.
Et ainsi si nous sommes simple-
ment mat^riels, nous ne pouvons
rien du tout connoitrOj et si nous
EDITIONS.
Et ce qui acheve notre impu
sauce a connoitre les choseSj c'
qu'elles sont simples eu elles-n
mesj et que nous sommes compoi
de deux natures opposees et de i
vers genreSj d'ame et de corps. C
il est impossible que la partie c
raisonne eu nous soit autre ques]
rituelle; et quand on pretendr
que nous fussiojis simplement C(
porels, cela nons excluroit bi
davantage de la connoissance d
choseSj n'y ayant rien de si inco
cevable que de dire que la malif
se puisse connoitre soi-meme.
1. D'aboi'd : a Et ce qui acheve notre impuis-
sance est la stmpUcUd des ctioses comparees aoec
notre dtat double et composi. Il y a des alisurdt-
tes invincibles ii combaitre ce point, II est aussi
absurde iju'iinpie de titer que I'homme est com-
pote de deux parties de differente nature, d'uvie
et de corps; cela nous rend irnpuissants il con-
noitre iotiles r.huses. On si on nie cette composi-
tion et (ju'oii prelende que nous sommes lout cor-
porcis, jc laiase it juger combien la matHre etl
incapable de connoitre la inaticrei rien n'est
plus impossible que ceta Concecons done que ce
melange d'esprit et de boue nous digproporlionne. b
DISPROPORTION DE L'HOMME.
309
MANUSCRIT AUTOGBAPHE ,
P. 347-361.
somraes composes d'esprit et de ma-
tiere, nous ne pouvons connoitre
parfaiteraent les choses simples i,
spirituelles et corporelles.
(P. 360.)
De la vient que presque tous les
philosophes confondent les ideas
des choses etpaiient des choses cor-
porelles spirituellemeiit et des spi-
rituelles corporellement ; car ils
disent hardiment que les corps
tendent en bas, qu'ils aspirent k
leur centre, qu'ils fuient leur des-
truction, qu'ils craignent le vide,
qu'ils out des inclinationSjdes sym-
pathies, des antipathies, qui sont
toutes choses qui n'appartienuent
qu'aux esprits ; et en parlant des es-
prlts ils les considerent comma an
un lieu et leur attribuent le mouve-
ment d'une place a une autre, qui
sont choses qui n'appartiennent
qu'aux corps.
Au lieu de recevoir les id^es de
ces choses puramant, nous las tei-
gnons de nos qualites, et amprei-
gnons (de) notre etre compose toutes
les choses simples que nous con-
templons.
Qui ne croiroit a nous voir com-
1. Pascal avail mis d'aLord : « les chases
simplas, car comment connoitrions-noua uistincte-
ment la maliire, pui^que notre auppol quiagit en
ceite cotynoiisance est en parlie spiriluet? Et
comment connoitrions-ntiiis nellemeni (es sub»tan-
ce» ipmiuelles, ajanl un corpi qui nous aggrave
el nou$ abaisie vers la lerrn ? w
Cest cette composition rT esprit et
de corps qui a fait que presque tous
les philosophes onf contoudu les
id6es des choses et attrihue aux
corps ce qui n'appartient qu'aux es-
prits et aux esprits ce qui n'appar-
tient qu'aux corps. Car ils disent
hardiment que les corps tendent en
has, qu'ils aspirent a leur centre,
qu'ils fuient leur destruction, qu'ils
craignent le vide, qu'ils ont des in-
clinationSj des sympathies, des an-
tipathies, qui sont toutes choses qui
n'appartiennent qu'aux esprits. Et
en parlant des esprits, ils les consi-
derent comme en un lieu et leur
attribuent le mouvement d'une
place a une autre, qui sont des
choses qui n'appartiennent qu'aux
corps.
Au lieu de recevoir las id^es des
choses en nous, nous teignons des
qualites de notre etre compose toutes
les choses simples que nous con-
templons.
Qui ne croiroit, a nous voir com-
310
DISPROPORTION DE L'HOMME.
poser toiites chose? d'esprit et de
corps, que ce melange-la nous se-
roit bien comprelieasible ? Cest
ne;mraoins la chose que Ton coni-
prend le moins. L'homme est ci
MANUSCRIT AUTOGRAPHE ,
P. 347-361.
poser toutes choses d'esprit et de
corpSj que ce melange-la nous se-
roit blen comprehensible? C'est
neanmoins la chose que Ton com-
prend le moins. L'homme est a lui-
merae le plus prodlgieux objet de lui-menie le plus prodigieux objet
la nature; car il ne pent coocevoir de la nature. Car il ne pent conce-
ce que c'est que corps, et encore voir ce ((ue c'est que corps, et en-
moins ce que c'est qu'esprit, et core moins ce que c'est qu'esprit,
moins qu'aucune chose comme un et moins qu'aucune chose commewi
corps peut 6tre uni avec nn esprit; un corps pent etre uni avec un es-
c'est U le comhle de ses difficultes, prit; c'est la le comble de ses diffi-
et cependant c'est son propre etro : culteSj et cepeudant c'est son propre
'modus quo corporibus adh
DOCUMENTS INEDITS'
SUR PASCAL ET SUR SA FAMILLE
LA FAMILLE PASCAL.
L'inter^t qui s'attache h Pascal se repand sur tous les
sienSj et nous enhardit a publier ici un memoire in6dit que
Marguerite Perier a laisse sur les divers memhres de cette
illustre famille. Nous nous servirons de Irois manuscrits :
le premier, de la Biblioiheque royale, Supplement fran-
gais, 14-85; le second, de la meme Bibliotheque, ineme
fonds, U" 397; le troisieme, qui est une copie du second,
Biblioiheque Mazarine, n^ 2199^.
COPIE d'uN MEMOHiE ECRIT OE LA MAIN DE m"** MARGUERITE
PERIER SUR SA FAMILLE.
« M. Pascal, mon grand-pere, s'appeloit fitienne Pascal.
II etoit fils de Martin Pascal, tresorier de France, et de
Marguerite Pascal de Mons qui etoit fdle de M. Pascal de
1. Toutes les pieces qui suivent 6taient en efl'et inedites avant nos
travaux snr Pascal.
2. Nous avertissons que nous ne donnerons pas les variaiites innom-
brables el insignifiantes de nos trois manuscrits, car nous n entendons
pas trailer le style de Marguerite P6rier conime celui de son oncle.
312 DOCUMENTS IN^DITS.
Mons^ senechal de Clermont, dont la famille avoit e
annoblie par Je Roi Louis XI, en consideration des se
vices rendus parfitienne Pascal, maitre des requetes^.
« l5tienne Pascal fiit envoye a Paris faire ses etudes (
droit et fut recommande par Martin Pascal, son p6re,
M. Arnauld, avocat, pere de M. d'Andiliy et de M. A
nauld. Lorsqu'il eutacheve ses etudes, il revint aClermo
et acheta une charge d'Elu, et ensuite il fut president <
la cour des aides.
c( II epousa, en 1618, Antoinette Begon.
(( II en eut, en 1619, un fds qui mourut aussit6t apr
son bapteme. En 1620, il eut une fille nonimee Gilber
Pascal, qui fut mariee, en 164-1, avec Florin Perier, co
seiller a la cour royale des aides, qui etoit son cousin isi
de germain, sa mere etant cousine-germaine d'Etieni
Pascal, nion grand-pere.
c(En 1623, Etienne Pascal eut un fits nomme Blaise Pa
cal, mon oncle.
((En 1625, il eut une fiUe nommee Jacqueline Pascf
qui est morte religieuse de Port-Royal.
c(En 1628, Antoinette Begon, femme d'Etienne Pascj
mourut agee de vingt-huit ans.
«En 1630, Etienne Pascal vendit sa charge de secoi
president a la cour des aides a son frere Blaise Pascal^,
1. Voila pourquoi Pascal se faisoit appeler quelquefois M. de Moi
par exemplCj quaiid il se retira dans une auberge de la rue des P
riers, a Tenseigne du Roi David, pour eciire, sans etve distrait,
Prov/ncirde.^. Voyezle Recueil d'Utrecht, p. 278, et Jacqueline Pasc,
lettre du 26 octohre 1655.
2. Le ms. de la Bihl. R., n" 397, et celui de la Mazar., no 2199, (
cette note ; « J'ai vu les Ifttres de noblesse qui fureut accordees
Etienne Pascal, pere du maitre des requetes. Ge^t le chef de la fauiil
Jl etoit d'Ambert en Auvergne. »
3* II est question de cet oncle de Pascal, Me'moiresde Fiechier, p.
LA FAMILLE PASCAL. 813
la plus grande partie de ses biens qu^ii mit en rentes sur
rH6tel-de-Ville de Paris^ oil il se retira pour vaquer a
Teducation de ses enfants et surtout a celle de Blaise
Pascal.
« All mois de mars 1638', il y eut beaucoup de bruit a
Paris a I'occasion des retranchements que I'on faisoit des
rentes sur l'H6tel-de-Ville. Les rentiers alloient souvent
chez M. le chancelier Seguier pour lui faire leurs remon-
trances; il arriva un jour qu'il y eut beaucoup de bruit et
de ciameurs la-dessus; en sorte que le soir il y eut deux
de ces messieurs qui furent conduits a la Bastille. Mon
grand-pere, qui s'y etoit trouve ce jour-la, eut peur qu'il
ne lui arrivat de meme ; cela fut cause qu'il vint en Au-
vergne en attendant que ces troubles fussent passes. II y
demeura quelque temps^ durant lequel, par une occasion
extraordinaire, il fut rappele par M. le cardinal de Riche-
lieu et par M. le chancelier, qui reconnurent en lui du me-
rite et de la capacite. Sur la fin de 1639^, il fut envoye
intendant en Normandie, oil il y avoit des troubles tr^s-
grands. Les bureaux de recette avoient ete pilles et des re-
ceveurs tues. Le Parleraent, qui n'avoit pas fait son devoir,
fut interdit et on envoya des officiersdu parlement de Paris,
pour exercer la justice. On y envoya aussi des troupes sous
le commandement de M. le marechal de Gassion, qui partit
avec mon grand-pere. Le Roi mit alors deux intendants en
Normandie : Tun pour les gens de guerre, qui etoit M. de
1. Lems. de la Bibl. R., no 397 et celui de la Mazarine: « en 1636
ou 1637j » avec cette note: « Le maraiscni de modame Pe'rier la mere
parte : au mois de mars 1638. » Yoyez dans Jacqueline Pascal, ch. i^r^
p- 30j etc., la vie de Jacqueline par M'ne Perier.
2. Les deux mss. : « en 1638, » avec cette note : « Le manuscrit de
madame Perier la mere porte: sur la fin de 1639.
314 DOCUMENTS INEDITS.
Paris, maitre des requetes, et I'autre pour les tallies, qui
fut mon grand -pere. li trouva les choses dans un si grand
desordre, qu'il fut oblige de reformer les r61es de toutes
les paroisses de la generalite. 11 demeura en Normandie
neuf oil dix ans, il n'en sortit qu'en 1048, lorsqiie le parle-
ment de Paris, durant la guerre des Princes, demanda la
revocation de tous les intendants.
« M. Pascal faisoit son devoir avec toute la droiture et
toute requite possible: il ne vouloit pas souffrir que ses
domestiques regussent des presents, jusque-la que le secre-
taire qu'il avoit pris d'abord et qu'il avoit fait venir de
Clermont, parce qu'il etoit son parent, ayant re^u une fois
un louis d'or de qnelqu'iin, il le renvoya et ne voulut plus
en entendre [)arler.
« II avoit de la piete; niais elle n'etoit pas assez eclai-
ree; il ne connoissoit pas encore tons les devoirs de la vie
ehretienne. Seniblable a ces honnetes gens, seloii lemonde,
il pensoit pouvoir allier des vues de fortune avec la pratique
de I'Evangile ; mais Dieu, qui avoit sur lui et sa famille des
desseins de niisericorde, permit qu'il lui arrivat un acci-
dent qui fut Toccasion de sa conversion.
« Etant parti de chez lui pour une atfaire de charite, il
tomba et se demit une cuisse : il voulut se mettre entre les
mains de deux aentilsliommes nommes MiM. Des Landes et
^^
de la Bouteillerie, fort babiles pour ces choses-la, qui
etoient des personnes d'une piete extraordinaire. Us se ser-
virent de cette occasion pour appeler a Dieu, preniiere-
ment IVl. Pascal le fils, ensuite Mademoiselle Pascal la tille,
qui etoit alors reclierchee en mariage par un couseiller du
Parlemeni de Rouen. Tous deux ensuite, quand mon grand-
pere fut gueri, le porterent aussi a se donner pleinement a
Dieu, ce qu'il fit avec joie aussi bien que ses deux enfants.
LA FAMILLE PASCAL. 315
G'etoit en 1646; et a la fm de cette m^rne annee, M. et
M™* Perier etant alles a Rouen pour le voir, et les trouvant
tous a Dieu, s'y donnerent aussi pleinement, et se niirent
tons sous la conduite d'un pretre nomme M. Guillebert.
« D6s ce temps-la , M. Pascal resolut d'abandonner le
monde pour ne songer plus qu'a Dieu , et Mademoiselle
Pascal voulut se faire religieuse; mais elle ne put ex^cuter
cette resolution que six ans apr^s, aussitot que son pfere
fut niortj parce qu'il ne vouloit point qu'elle le quittM.
« M. Pascal le pero ayant quitte lu Normandie en 1648^
le Roi , [lOur recompense de ses services^ lui donna des
lettres de conseiller d'Etat; elles sont datees dn 27 de-
cembre 1645. II se relira a Paris, on il niena une vie si
exemplaire, que M. Loisel^ cure de Saint- Jean -en-Gr^ve,
dans la paroisse duquel il etoit, fit son eloge en chaire
apr^s sa mort^ ce qu'il n'avoit jamais fait d'aucun de ses
paroissiens. 11 mourut le 27 septembre 1651, trois ans
apres qu'il eut quiite la Normandie.
a M. et M'"*' Perier ne snngerent plus qu'a elever leur
famille dans la piete. La premiere cbose que M™^ Perier
fit, fut d oter a ses fiUes les petites parures qu'on leur
avoit donnees durant son absence , et les babilla tres mo-
destement; et pour eviter de leur en conserver le gout,
elledefendit a leur gouvernante de les laisser frequenter
des enfanls de leur age et de leur condition j ensuite, M. et
M"^ Perier, apres la mort de mon grand -p^re qui avoit
garde avec lui fitienne Perier, mon frere aine, le mirent a
Port-Royal des-Champs pour y etre eleve.
« lis eurent cinq enfants : Etienne Perier, ne en 1642; le
deuxieme, Jacqueline Perier, nee en 1644 ;le troisi^me,
Marguerite Perier, nee en 1648; le quatrieme, Louis Pe-
rier, ne en 1651 ; et Blaise Perier, ne en 1653. M. et M"^« Pe-
m DOGUMt'NTS INEIMTS.
rier s'attachant done k Teclucation de leurs enfants^ et ayant
mis [fitienne Perier^ leur aine, environ en -1653, a Port-
Royal-des-Ghamps, lis mirent en Janvier 1053 les deux
iilles a Port-Royal de Paris; ils attendoient que les deux
cadets fussent en age de ponvoir aussi aller a Port-Royal
des Champs. Mais Dieu permit qu'avant ce temps-la, il y
eilt defense par le Roi d'y en recevoir davantage^ et ordre
de faire sortir ceux qui y etoient en l(56i, Cela obligea
M. et M'"'' Perier de garder chez eux leurs deux cadets
qu'ils avoient deja menes a Paris avant cet ordre; ils y
demeurerent jusqu'en 166-i, avecun ecclesiastique de Port-
Royal' qui eloit nn de ceux qui y elevoient les enfants. II
ne voulut pas venir en province ou M. et M"** Perier
vouloient s'en retourner; mals il leur prociira un excellent
precepteur ^ a qui ils donn^rent 400 fr. de gages. Tl y de-
meura sept ans, et enseigna a ces deux enfants les huma-
nites et la philosophie. Apres qu'il les eut quittes, ils ne
penserent plus qu'a contiuuer leurs etudes. L'annee d'a-
preSj mon pere mourut; ma mere les garda ensuite deux
ou trois anSj apres quoi elle les mena a Paris pour prendre
quelque resolution sur les etudes qu'ils devoient entre-
prendre^ on de droit ou de theologie. Pour cela, ma mere
leur loua un appartement au faubourg Saint- Jacques, et
elle obtint une permission du R. P. de Sainte-Marthe, ge-
neral de rOratoire, qu'ils pussent aller aux lemons de theo-
logie qui se faisoient a Sainte-Magloire. Le P. Morel ensei-
gnoit le matin la scolastique, et le P. Duguet, qu'onappelle
aujourd'hui M. I'abbe Duguet, enseignoit I'apres-dinee la
positive, lis y alloient toujours exactement, et durant trois
ans ils ne perdoient pas une legon, et comme c'etoit alors
1. ^]. Vallon (ip Reaupuis^ Kocueil d'Utreclit^ p. 341.
2. M. Lie Reliergue, iOicL
LA FAMILLE PASCAL. 317
le temps de la paix de I'figlise (de Clement IX ), M. Ar-
nauid at M. Nicole etoient vus de tout le monde et demeii-
roient vis-a-vis Sainte-Magloire. Mes deux freres alloient
lous les jours apres souper passer la soiree avec eux^ et leur
rendoient compte de ce qui leur avoit ete enseigne ce jour-
Ik, Sur quoi ces deux messieurs leur donnoient de grands
eclaircissemenls; en sorte que ces jeunes gens profiterent
beaucoup, rien n'etant plus capable de les avancer. Cela
fut fort heureux pour eux, car ils commencerent k etudier
en octobre 1675, et acheverent leurs trois ans en oc-
tobre 1678j et MM. Arnauld et Nicole furent obliges de
quitter Paris en 1679, aussitot apres la mort de madame
de LonguevillCj qui fut le temps oil la persecution de Port-
Royal recommenga.
c( Pour venir maintenant au detail des personnes dont
j'ai parle, il est inutile de rien dire de M. Pascal^ niou
onclCj puisque sa vie a ete ecrite par madame Perier^ sa
soeur et ma m^re.
« Mademoiselle Pascal, nommee Jacqueline ', donna des
marques d'un esprit extraordinaire des son enfance, faisant
des vers des Tage de huit ans, qui etoient admires de tout
le monde et meme a la cour ; car elle en faisoit pour la
Reine qui prenoit plaisir a la voir et a lui parler. Iitant k
Rouen, on lui proposa un prix pour des pieces de poesies,
elle le remporta a I'age de treize ans. A Tage de vingt ans,
elle fut touchee de Dieu, et prit resolution de se faire reli-
gieuse a Port-Royal; mais mon grand -pere n'ayant pas
voulu qu'elle le quittat, elle demeura chez lui vivant en
religieuse, se conduisant par les avis de la mere Angelique
et de la mere Agnes, avec qui elle entretenoit un commerce
1. Voyez Jacqueline Pascal, chap. i«', p. 54.
318 DOCUMENTS INEDITS.
exact. Elle entra k Port-Royal en qualite de postulantej
4; Janvier 1652^ le lendemain qu'elle eut signe le parU
de la succession de inon grand -pere, avec mon onCle
ma m^re; et quoique T usage de Port-Royal fut de denn
rerun an postulante avant de prendre Thabit, on lui dor
quatre mois apres Thabit de novice; quatre ou cinq j
apr^s sa professioUj on la lit premiere maitresse des i
vices et sous-prieure k Port- Royal des Champs. 11 y avoi
Port-Royal des Champs trois mattresses des novices com
a Paris, parce qu'on envoyoit toutes les postnlantes ef
novices pour passer quatre ou cinq mois a Port-Royal i
Champs, durant leur annee de postidantes et de novic
afm que les religieuses les pussent connoitre, parce qi
falloit avoir leurs voix pour la reception des hlles, soil p(
leur faire prendre I'habit, soit pour la profession. Ma ta
s'y trouva done, lor^qu'au mois d'avril 1661, on leur
donna de renvoyer les novices et les postulantes, qui ful
temps ou I'on commen^a a persecuter les religieuses p(
la signature du formulaire, ce qui la toucha et raffligej
sensiblement qu^elle dit et ecrivit meme a quelques p
sonnes qu'elle sentoit bien qu'elle en mourroit; et c
arriva en effet le i octobre 1661 , figee de 36 ans. M. Pas
mourut apres elle le 19 aofit ]66^,
« Le premier qui mourut ensuite fut M. Perier n
pere, II etoit ne en 1605; il aiuioit fort I'etude, princip^
ment celle des mathematiques. II fut conseiller de la c<
des aides a vingt et un ou vingt-deux ans. Ce fut lui qui
depute k Paris pour travailler a la translation de la a
des aides de Montferrant h Clermont; il y reussit, et
envoye depuis pour d'autres affaires de sa compagnie. II
employe pour une commission en Normandie en 1640,
mon grand -pere etoit intendant; il s'en acquitta parfai
tA FAMILLE PASCAL. 319
menl; etce fut ce qui porta mon grand-pere a lui donner
sa fiile, qu'il epousa en 1641. U fut encore employe pour
une seiublable affaire en 1646 dans la province de Bourbon-
noiSj par Tintendant qui le demanda. Depuis ce temps-L^,
il demeura en Auvergne ou il pratiqua toutes sortes de
bonnes oeuvres : il eloit surtout fori zele pour le soulage-
nient des pauvres. Trois ans avant sa mort, il eut une
grande maladie durant laquelle il fit son testament, et il
pria ma m^re qu'elle comptat les pauvres parmi ses enfanLs^
et qu'elle leur donn&l autant qu'k un d'eux; ma mere y
consentit, et cela fut execute. Le lendemain, il m'appela
en particulier^ et il me commanda d'aller cliercher dans sa
poche, disant que j'y trouverois qiielque chose an fond, que
je le prisse pour le fermer a clef , et que s'il venoit a mou-
rir je le jeiasse dans la fosse^ et que si Dieu lui rendoit la
sante, je le lui rendrois; et il me defendit d^en parler a ma
mere, ni a personne an monde. J'y allai, et je trouvai une
ceinture de fer pleine de poinlts. Quaud il fut gueri, je la
lui rendis et n'en parlai point; mais comme trois ans apr^s"
il mourut subitement, on la trouva sur lui, et je la garde
pr^cieusement.
« Voila la vie qu'il a mene jusqu'a sa mort, qui arriva
le 3 fevrier 1672^ ayant soixante-sept ans. Nous apprimes
apres sa mort qu'il meltoit toujours un ais dans son lit, et
c'6toit sans dome la raison pour laquelle il ne vouloit pas
qu'on fit son lit, et le faisoit toujours lui-m6me. Deux
jours avant sa mort, il fit une action qui merite d'etre
ecrite.
« 11 y avoil a Clermont un tresorier de France dont la
famille devoit considerablement a M. Perier, qui, voyant
que cette deite etoit sur le point de prescrire, voulut faire
quelque procedure pour en»p6cher la prescription. Mon
320 DOCUMENTS INEDITS.
pere alia voir ce tresorier pour le prier de ne point tro
mauvais qu'il fit quelques significations : cet homme s'
porta d'une maniere indigne^ et fit dans le monde
plaintes aigres et tres injurieuses coutre lui; onle rapj
a mon pere qui dit : il faut excuser un homme qui est
dans ses affaires. Environ huit joui's apres^ il vint
nouvelles de Paris qui portoient que les Iresoriers sen
obliges de payer une taxe de 10,000 fr., faute de quoi]
charges seroient perdues. Mon pere le dit a ma mer*
ajouta : Voila un homme ruine, j'ai envie de lui offr
Targent. Ma mere hii dit : Faites ce que vous voudrez,
vous voyez combien il vous est du dans cette maison.
dit plus rien ; mais d6s le lendemain ,, il fut trouver C£
sorier et lui demanda s'il avoit squ cette nouvelle et a
il etoit determine. II faut bien, dit le tresorier, que j'a
donne ma charge, car vous voyez bien que je netrou
pas 10,000 fr. Mon pere lui dit : Non, Monsieur, voi
Tabandonnerez pas; j'ai 10,000 fi*., je vous les prel
Cet homme fut si surpris, qu'il lui dit en pleurant : 11
Monsieur, que vous soyez bien chretien, car j'ai bien
parle de vous, et je sais que vous ne Tignorez pas.
pere ne nous dit rien de tout ce qui se passa le '.
21 fevrier, et il mourut subitement le mercredi 2
7 heures. Le tresorier ayant apris sa mort^ courut aul
criant, pleurant et disant : J'ai perdu mon pere, et
conta ce qui s'etoit passe le lundi ; voila la derniere a
de mon pere.
tf Le premier qui mourut apres mon pere fut mon
aine, fitienne Perier^ qui mourut le 11 mai 1680. II
ne a Rouen durant que M. Pascal y eloit intendant
s'appliqua d'une maniere toute particuli^re a Teduc
de cet enfant qui etoit son filleul. A lage de trois ai
LA FAMILLE PASCAL. 321
voulut raccoutumer a compter, et lui apprendre en meme
temps toutes les petites civilites dont un enfant est capable.
Pour cela, il fit une convention avec lui, promettant de
lui donner un liard, deux liards, trois liards pour toute
esp^ce de civilites, pour dire: Oui, monsieur; pourremer-
cier quand on lui donnoit quelque chose ou pour faire la
reverence; et il convint aussi que, quand il manqueroit, il
perdroit autant sur ce qu'il avoit gagne. Quand mon fr^re
eneut gagne jusqu'a sept ou huit cents, mon grand-pere
envoyoit chercher un louis d'or en liards, et lui disoit :
Gomptezce qui vous estdu. Get enfant, en comptant, met-
toit un Hard a part pour chaque cent. Pendant qu'il etoit
fort occupe dans son calcul, mon grand-pere se plaisoit a
lui parler pour Pinterrompre; mais avant que de repondre,
cet enfant repetoit trois ou quatre fois le nombre oil il en
etoit, et le reprenoit ensuite sans jamais s'y meprendre.
Quand son compte etoit fait, il mettoit tons les liards dans
la poche de sa gouvernanle , et elle alloit a la porte de
Peglise de Notre-Dame, et n'en revenoit qu'elle n'eut tout
distribue aux pauvres. 11 dit, h Page de quatre ou cinq ans,
une parole qui est assez remarquable pour meriter d'etre
ecrite. Ma mere lui apprenoit son catechisme, et conime elle
lui disoit que Dieu est un pur esprit qui n'a ni commence-
ment ni fin, il dit : Je comprends bien que Dieu n'aura pas
defin; mais je ne comprends pas comment il n'a pas eu de
commencement. Ma m^re lui repondit que c'est une verite
qu'on est oblige de croire, quoiqu on ne la comprenne pas.
Mais les saints, dans le ciel, la comprendront-ils? Ma mere
lui dit que les saints, dans le ciel, verront Dieu tel qu'il est
etleconnoitrontparfaitement. Cetenfant lui repondit : Voila
une grande recompense. Ma mere fut etonnee au dela de
tout ce que Pon peut dire de voir un enfant, dans un age
21
322 DOCUMENTS TNEDITS.
si peu avance, regarder la connoissance de Dieu com
line grande recompense. Aussit6t apr^s la mort de n:
grand-pere, on le mit en pension a Port-Royal des Chamj
il y fit toutes ses humanites^ et n'en sortit que lorsque
Hoi fit defense d'y elever des enfants. Mors M. Paso
mon oncle, le prit chez lui, et lui fit faire sa philosophie
college d'Harcourt^ oil M. Fortin, ami de mon oncle, el
principal. Apres la mort de mon oncle^ il vint demeurer
logis avec mon pere et ma mere; il fit sa principale etude (
mathemathiques. En 1666, mon pere ayani pris la reso
tion de lui doimer sa charge, I'envoya a Orleans, oil il
ses etudes de droit. En 1669, il revint a Clermont et
rcQU a la charge de mon pere, etant age de viiigl-sept a
II n'avoit aucun dessein de se marier; cependant ses ai
Ty portoient, non pas dans la famille^ car ma mere ne
souhaitoit pas, ni nous non plus. Un de nos plus prod
parents qui avoit une fille unique, riche de 40 ou 50,(
ecus, fit tout ce qu il put pour ie porter a epouser sa fi
II resista toujours a cause de la parente. Etant alle a Pai
il consulta M. de Sainte-Beuve qui ne le lui conseilla pj
ainsi il revint et refusa absolument le parti. Enfin,en 16
on lui proposa une demoiselle de condition qui avoit be
coup d'esprit; il Tepousa en 1678; il mourul agedetrer
huit ans, le 11 mars 1680, apres quatorze jours de malat
regrette de tons ceux qui le connoissoient.
« Celui qui mourut ensuite fut mon troisieme frt
Blaise Perier ; il etoit diacre; sa mort arriva le 15 m
1684; il etoit age de trente ans et sept mois; il demai
a etre enterre a Saint-Etienne du Mont avec mon oni
Sa vie et sa mort ont ete des plus edifiantes. 11 avoit
grand empressement de finir cette miserable vie; car
ayant dit pendant sa maladie que les medecins en deses
LA FAMILLE PASCAL. 3^8
roient et cjuMl devoit se prepare? h la mort^ il hie r^potl-
dit : Ah! ma soeur^ qu^elle bonne nouvelle m'apportez-
vous!
« Ma tn^re, Gilberte Pascal, rtiotit^ut trois atis apr^s ce
troisiemfe de mes frferes. Elle etoitnee le 7 janVier 1620, k
Clermont. Mon grand-pere se retira a Paris, conltne je Tai
marque, en 1630, pour y elever ses etifaiits. Ma rnfere qui
etoit Taiiiee avoit dix ans; elle se tiiaria a vingt et un ailS,
et elle resta a Rouen deux ans avec son pfei-e. Quand elle
fiit ici ', elle se mit dans le grand nionde, comme toutes les
personnes de son age et de sa condition. Elle avoit tout ce
qu'il falloit poiir y 6tre agreablement, etant belle et bien
faite 2. Elle avoit beaucoup d'esprit, elle avoit ete elev^e
par nion grand-pfere, qui, des sa plus tendre jeunesse,
avoit pris plaisir a lui apprendre les matheraatiques, la
philosophie et Thistoire.
« En 1646; ma mere etant allee a Rouen chez mon
grand-pere, elle trouva toute sa famille a Dieu , qui lui fit
lagr^ce, et a mon p^re, d'entrer dans les monies senti-
ments; elle quitta done le monde et tons les agrements
qu'elle y pouvoit avoir a I'^ge de vingt-six ans, et a tou-
jours vecu dans cette separation jusqu'a sa mort.
a Mon pere ^ et elle s^etant mis sous la conduite de
M. Guillebert, qui etoit docteur de Sorbonne, trfes saint et
tres habile, il porta ma mere a quitter toutes ses parures
etarenoncer a toutes sortes d'ajustements, ce qu'elle fit de
1. A. Clermontj oil Marguerite Perier termina sa vie et 6crivit ces
rri^moires.
2. Voyez sur madame Perier les Memoires de Flechier^ p. 44.
3. Dans deux manuscritSj ce paragraplie est k la fla du memoirej
ainsi qu'une Addition sur Jacqueline Pascal que nous avons publi^e
dans Jacqueline Pascal, ch, i^r^ p. 55, etc.
324 DOCUMENTS IN^DITS,
bon coeur; et apres avoir demeure deux ans a Rouen,
billee tres modestement, M. Guillebert voyant qu'eile
obligee de retourner a Clermont, lui dit qu'il avoit un
tres important a lui donner : c^etoit que souvent les de
qui quittent les parures par piete, les mettent sur leurs
fans, et qu'elle prit garde de ne le point faire, parce
cela est plus dangereux pour leurs enfants que pour
qui en connoissent le mal et ne s'y attachent pas^ au
que les enfants y mettent leur coeur. Ma mere profita si
de cet avis, qu'etant revenue a Clermont a la fin de li
elle nous trouva, ma soeur qui n'avoit que quatre ar
quelques mois, et moi qui n'avois que deux ans et hui
dix mois. Ma grand'mere nous avoit parees toutes d
avec des robes pleines de galons d'argent, bien des rul
et des dentelles, selon la mode de ce temps-la. Ma n
nous Ota d'abord tout cela, et nous habilla de camelot
sans dentelles ni rubaus. Elle defendit a notre gouvern;
de frequenter et de nous laisser frequenter deux pe
demoiselles de notre voisinage et de notre age, avec
nous etions tous les jours, parce que ces deux enf
etoient toutes parees. Son exactitude la-dessus fu
grande, qu'a la fin de 1651 que mon grand-pere moii
comme elle fut obligee d'aller a Paris pour y faire son
tage avec mon oncle et ma tante, elle craignit que, c
sou absence, ma grand'mere nous remit des parures
elle aima mieux faire la depense de nous mener a P
avec elle que de nous laisser ici. et elle nous ramena
suite au commencement de I6oiJ. Deux ans apr^s,
nous ramena a Paris, a la fin de Pannee 1653, et elle n
niit a Port-Royal, d'oii nous sortiines en 1661, et elle <
tinua toujours de nous exhorter a la modestie; en sorte
je puis dire que, des Ta^^e de deux ans ou trois ans, je
LA PAMILLE PASCAL. 828
jamais pott^ nl or, ni argent, ni rubans de couleur, ni fri-
sure^ nidentelles.
« Elle mourut k Paris, le 25 avril 1687, ^geede soixante-
sept ans et quatre mois, et fut eiiterree a Saint-Etienne du
Montj avec mon oncle et mon frere.
« Ma soeur Jacqueline Perier mourut neuf ans apr^s ma
m^re. C'etoit une fille d'un grand esprit. Nous avions ete
elevees k Port-Royal^ elle et moi. Elle y prit la resolution
d'etre religieuse; mais elle ne put pas I'executer, parce que
nous fumes obligees d'en sorlir par les ordresdu Roi. Elle
avoit alors plus de dix-sept ans, et plus de deux ans au-
dessus de moi. Nous avions une tante qui etoit veuve de
M. Ghabre, de Riom, qui n'avoit point d'enfants et qui, en
mourant, donna lout son bien a sa femme ; elle prit la-
dessus une resolution de marier ma soeur, sa niece, agee
alors de quinze ans, avec le neveu de M. Ghabre *; et de
lui donner tout son bien et celui que son mari lui avoit
donne, Elle en ecrivit a Paris , k mon oncle et k ma tante
qui etoit religieuse a Port-Royal. lis en parlerent ^ a ma
soeur, qui demanda du temps pour y penser, et peu apres
se determina a Tetat religieux , ce qu'elle ne put executer
alors, parce qu'a Port-Royal on ne recevait les filles pour
postulantes qu'a dix-huit ans; mais elle ecrivit la-dessus
une lettre a ma mere, qui etoit tres belle et tres judicieuse.
Elle attendoit I'age pourentrer au noviciat; elle a toujours
vecu dans un tres-grand eloignement du monde, et conti-
nuellement accablee de maladies. Elle etoit d'une humeur
fort serieuse et meme assez particuli^re; elle ne voyoit
personne ; toute son occupation etoit de lire et prier; elle
1. Voyez sur cette famille lesMd'moires de Flechier, passim.
2. Voyez la lettre de Pascal sur cette aflairej plus haut, p. U7, et
plus J)as, lettres de Pascal.
32^ DOGUaiENTS INEDITS.
naoiip^Rt a Cleraiontj le 9 avril 1695, et fut cnterree a Noti
Dame du Pont, dans U^ toinbeau de notre famillp.
a Mon frere Louis Perier est mort le dernier de not
fnriiille. 11 etoit ne le 'il seplenibre i651. II parut dans
plus tendre enfance, un esprit enjoue pt boutfon, tourna
tout ce qu'on vouloit lui apprendre eii plaisanterie; en sor
qu'a Tage de sept ans il savoit a peine son Pater, Ma me
le mena a Paris en 1658, a moo oncle, a qui elle dit qu'(
ne pouvoit lui rjen apprendre. Mon oncle se chargea de s(
education, et cet enfapt devint en peu de temps fort sf
rieux ; ipais les frequentes maladies de son enfance I'er
p^cherent d-^vancer dans ses etudes jusqu'a T^ge i
dix a onze ans, car alors, sa sante s'etant retablie, il etud
et profita de la bonne education qu^il reQut d'un excelle
precepteur dont j'ai parte ci-dessus'. II fut successiveme
doyen de la collegiale de Saint-Pierre et chanoine de la c
thedrale de Clermont. Ayant toujours mene une vie tre
canoriique, fort applique a tons ses devoirs, il a ete, da
Tun et Tautre chapitre, la bonne odeur de Jesus-Christ,
quitta sa belle maison de Bien-Assis, siluea hors la vill
pour venir habiter deux petites maisons proche les eglis
dont il a ete beneficier, et enfm il la vendit a un de s
parents. II mourut le 13 octobre 1713^ et fut enterre a
cathedrale,
a Voila quelle a ete la vie de toutes les personnes de n
famille. Je suis restee seule ; ils sont tons niorls dans i
amour inebranlable de la verite. Je doisdirecomme Simi
Macchabee, le dernier de tons ses freres : Tous mes pare
et lous mes freres sont nes dans le service de Dieu et da
I'amour de la verite; je suis restee seule; a Dieu ne plaj
1. M. Rebergue.
LA FAMILLE PASCAL. 32'
que je pejise jamais k y manquer : c'est la gr^ce que jt
lui deniande de tout mon coeur. »
Ici s'arrete le memoire de Marguerite Perier dans no;
trois manuscrits. Mais dans le ms 397^ qui est de la niaii
du pere Guerrier^ celui-ci a ajoute ces deux notes :
« Mademoiselle Perier mourut hier, 14 avril 1733^ a di)
lieuresdu soir, &gee de 87 ans et 9 joqrs. »
« J'ai copie tout ceci sur le ms. de mademoiselle Perier
mais j'en ai bien passe la moitie au moins tant6t sur lu
article, tant6t sur un autre. Au reste, j'ai transcrit fiddle
ment tout ce que j'ai ecrit, portant le scrupule jusqu'a rn
vouloir pas corriger quelques fautes de style qui pourroien
facilement ^tre reformees,
« Mademoiselle Perier m'a dit qu'elle avoit 41 ans, lors
que 8a mere mourut, et sa soeur en avoit plus de 43. Geper
dant, a eet ^ge, ni Tune ni Tautre n'osoit sortir sans etr
accompagnee de leur mere, pas meme pour aller a l
messe. La severite de madame Perier etoit telle que si quel
qu'une de ses filles etant avec olle disoitun mot h quelque
amies qu'ellerencontroit dans les rues^ il falloit aussit6t e
rendre compte a leur mere qui demandoit avec un ton se
cequ'elle avoit dit. »
Enfin le ms. de la Bibl. royale, n« 1485, contient cett
conclusion :
« Mademoiselle Perier a donne des preuvesdesonamou
perseverant pour la verite jnsqu^au dernier soupir de s
vie, comme on le pent voir dans les ISouvelles ecclesia&
tiques.du ^20 mars 1733.
« Mademoiselle Perier a fait, en differents temps, d
longs sejours a Paris, oil eile etoit Tadmiration des gen
d'esprit et la consolation des gens de bien. Elle y avoit bear
coup de connoissances et quantite d'amis et d'amies, c
m DOeUMENTS tNfet)tT§.
qui Ini en rendoit le sejour tfeS agr^able. EUe le qui
tout-a-fait en 1695, apresla mort de mademoiselle sasoe
pour se rendre aupres de M. son frere^ alors doyen
Saint-PierrCj qui se trouvoit seul, pour lui tenir conipag
et avoir soin des affaires domestiques. EUe restoit au co
mencement a Bien-Assis, qui est la plus belle et la p
agreable maison de plaisance qu'il y ait aux environs
Clermont; mais elle ne souffrit pas qu'il s'y fit la moin
partie de plaisir. Elle avoit un carrosse pour aller et ve
en vilie; mais elle se defit de sa maison etde son equipaj
et le grand H6tel-Dieu de Clermont manquant de gou\
nante, elle s'offrit a MM. les administrateurs pour rem
cet empioi. Ses offres furent acceptees; elleseseparad'a
M. son frere pour aller raster dans cet hopital; mais
sante qui s'affoiblissoit beaucoup ne lui permit pas d'yf;
un long sejour. EUe retourna avec M. son fr^re qui a'
ete nomme chanoine a la cathedrale; ils acheterent
maison proche cette egUse, oil ils vivoient I'un et I'ai
dans une grande simplicite. Mademoiselle Perier etoit 1
jours vetue en noir d'etoffes les plus communes; ses m
bles etoient tres simples ; ils n'avoient entre eux qu'un v
qui avoit soin de leur bien de campagne^ et deux ou t
servantes qui vivoient, comme leur maitre et maitre
dans la piete ; elles ne portoientpas de coetfes noires,r
des cornettes blanches. Elle en avoit garde une pre?
cinquante ans, qu'elle avoit menee avec elle de Paris
qui lui a survecii.
« Mademoiselle Perier^ quelques annees avant sa rr
devint percluse de ses jambes, ce qui Tobligeoit de gai
la maison, ne sortant que les fetes et dimanches, po
dans une chaise pour aller a la cathedrale, enteiidr
sainte messe et y faire ses devotions. Elle restoit le
VIE BE PASCAL m
m S6n Sedttt, Sui? uti canape oil elle s*occupoit de la pi-i^re
et de la lecture; elle ne voyoit gu^re que des gens de bien
qui etoient toiijours charmes de sa conversation j elle a
conserve son esprit et sa memoire qu'elle avoit excellente
jusqu'a la fin de ses jours; elle a fait, par testament, les
pauvres de Thdpital general de Clermont, ses heritiers. On
peutdire d'elle qu'elle est morte in senectnte bona, plena
dierum. »
11.
NOUVELLE VIE DE PASCAL.
Lemanuscritde laBibliothequeduRoi, supplement /ran-
cais, n" i485j contient, p. 1 a 7, une piece intitulee : Me-
moire de la vie de M. Pascal, ecrit par mademoiselle Perier,
sa niece. Nous donnons ce memoire presque en entier,
sans meme supprimer ce qui s'en trouve deja dans la vie de
Pascal par madame Perier et dans le memoire sur Pascal,
insere dans le Recueil d'Utrecht.
« Lorsque mon oncle eut un an, il lui arriva une chose
fort extraordinaire. Ma grand'm^re etoit, quoique tres
jeune, ires pieuse et ires charitable; elle avoit un grand
nombre de pauvres families a qui elle donnoit la charite.
11 y en avoit une qui avoit la reputation d'etre sorciere ;
tout le monde le lui disoit : mais ma grand'mere qui n'etoit
pas de ces femmes credules et qui avoit beaucoup d'es-
prit, se mocqua de cet avis, et continuoit toujours a lui
faire Faum6ne. Dans ce temps-la il ariiva que le petit Pas-
cal tomba dans une langueur semblable k ce qu'on appelle
330 DOCUMENTS INEDTTS.
a Paris tomber en chcutre ; mais cette langiieur etojt ac-
compagnee de deux circonstances qui ne sont pas ordiriajreSj
Tune qu'ilne pouvoit souffiir de voir de I'eau sans tomber
dans des transports d'eniportement tres grands; et Tautre
bien plus etonnante, c'est qu'il ne pouvoit souffrir de voir
son pere et sa mere s'approcher Tun de Tautre : il soiiifroit
les caresses de I'un et de Tautre en particulier avec plaisir;
mais aussitot qu'ils s'approchoient ensemble, il crioit, se
debattoit avec une violence excessive; tout cela dura plus
d'un an durant lequel le mal s'augmentoit ; il tomba dans
une telle extremite qu'on le croyoit pr6l a mourir.
« Tout le monde disoit a mon grand-pereetamagrand'-
raere, que c'etoit assurement un sort que cette sorci^re
avoit jete sur cet enfant; ils s'en moqnoient I'un et Taittrp,
regardant ces discours comme des imaginations qu'on a
quand on voit des choses extraordinaires, et n'y faisaotau-
cune attention, laissant toujours a cette femme une entree
libre dans leur maison, ou elle recevoit la charite. Enfin
mon grand-pere^ importune de tout ce qu'on lui disoit la-
dessuSj fit un jour entrer cette femme dans son cabinet^
croyant que la maniere dont il lui parleroit lui donneroit
lieu de fnire cesser tons les bruits; mais il fut tres etonne
lorsque apres les premieres paroles qu'il lui dit, auxquelles
elle repondit seulement et assez doucement que cela n'etoit
point et qu'on ne disoit cela d'elle que par envie a cause
des charites qu'elle recevoit, il voulut lui faire peur, et fei-
gnant d'etre assure qu'elle avoit ensorcele son enfant, il la
mena^a de la faire pendre si elle ne lui avouoit la verite;
alors elle fut etfrayt^e, et se mettant a genoux elle lui pro-
mit de lui dire tout, s'il lui promottoit de lui sauver la vie.
Sur cela mon grand-p^re, fort surpris, lui demanda ce
qu'elle avoit fait, et ce qui I'avoit obligee a le faire; elle lui
VIE PP PASCAJ.. 331
dit que, I'ayant prie de solliciter un proces pour elle, il
Tavoit refusee, pai'ce qu'il croyoit qu'il n'etoit pas bon, et
que pour s'en venger elle avoit jete un sort sur son enfant
qu'elle voyoit qu'il aimojt teiiclrement, et qu'elleetoit bien
fkhee de le hu dire, niais que le sort etoit a la mort. Men
grand-pere afflige hii dit : Quoi 1 il faut done que mon en-
fant meure! Elle lui dit qu'il y avoit du remede, mais qu'il
falloit que quelqu'un inourCit pour lui, et transporter le
sort. Mop grand-pere Uii dit : Eh! j'aime mieux que mon
fils meure que si quelqu'un mouroit pour lui. Elle lui djt :
On peut mettre le sort sur une bete. Mon grand-pere lui
offritun cheval : elle lui dit que sans faire de si grands frais
un chat lui suffiroit : il lui en fit donner un, elle Temporta,
et en descendant elle trouva deux capiicins qui montoient
pour consoler mon grand-pere de Fextremite de lamaladie
de son fils. Ges peres dirent a cette femme qu'elle vouloit
encore faire quelque sortilege de ce chat : elle le prit et le
jeta par une fenelre, d'oii il ne tomba que de la hauteur de
six pieds et tomba mort; elle en demanda un autre que
mon grand-pere lui tit donner. La grande tendresse qu'il
avoit pour cet enfant fut cause quil ne fit pas d'attention
que tout cela ne valoit rien^ puisqu'il falloit, pour transpor-
ter ce sort, faire une nouvelle invocation au diable; jamais
cette pensee ne lui vint dans I'esprit, elle ne lui vint que
longtenips apres, et il se repentit d'avoir donne lieu a cela.
« Le soir la femme vint et dit a mon grand-pere qu'elle
avoit besoin d'avoir un enfant qui n'eiit pas sept ans, et
qui, avant le lever du soleil^ cueillil neuf feuilles de trois
sortes d'herbes ; c'est-a-dire trois de chaque sorte. Mon
grand-pere le dit a son apothicaire, qui dit qu'il y meneroit
lui-meme sa fille, ce qu'il fit le lendemain matin. Les trois
sortes d'herbes etant cueillies, la femme fit un cataplasme
'M DOCUMENTS tN^DITS.
qu'elle porta k sept heures du matin k rnon grand-pere^ et
lui dit qu'il falloit le mettre sur le ventre de Tenfant. Mon
grand-pere le fit mettre, et a midi, revenant du palais, il
trouva toute la maison en larmes, et on lui dit que I'enfant
etoit mort; il monta, vit sa femme dans leslarmes, etTen-
fant dans le berceau, mort, a ce qu'il paroissoit. II s'enalla,
et en sortant de la chambre il rencontra sur le degre la
femme qui avoit apporte le cataplasme, et attribuant la mort
de cet enfant a ce remede, il lui donna un soufflet si fort
qu'il lui fit sauter le degre. Gelte femme se releva et dit
qu'elle voyoit bien qu'il etoit en colere, parce qu'il croyoit
que son enfant etoit mort; mais qu'elle avoit oublie de lui
dire le matin qu'il devoit paroitre mort jusqu'a minuit, et
qu'onlelaiss^tdans son berceau jusqu'a cette heure-lk et
qu'alors il reviendroit. Mon grand-pere rentra et dit qu'il
vouloit absolument qu'on le gardat sans I'ensevelir. Cepen-
dant I'enfant paroissoit mort; il n'avoit ni pouls, ni voix,
ni sentiment; il devenoit froid, et avoit toutes les marques
de la mort; on se moquoit de la credulite de mon grand-
pere, qui n'avoit pas accoutume a croire a ces gens-la.
G On le garda done ainsi, mon grand-pere et ma grand'-
m^re toujours presents ne voulant s'en fier a personne; ils
entendirent sonner toutes les heures et minuit aussi sans
que Tenfant revint. Enfin entre minuit et une heure, plus
pres d'une beure que de minuit, I'enfant commenga a bail-
ler; cela surprit extraordinairement : on le prit, on le re-
chauflfa, on lui donna du vin avec du sucre; il Tavala;
ensuite la nourrice lui presenta le teton, qu'il prit sans don-
ner neanmoins des marques de connoissance et sansouvrir
les yeux; cela dura jusqu'a six heures du matin qu'il com-
men^a a ouvrir les yeux et a connoitre quelqu'un. Mors,
Yoyanl son pere et sa mere I'un pres de Tautre^ il se mil a
VIE DE PASCAL. 333
crier comme il avoit accoutume ; cela fit voir qu'il n'etoit
pas encore gueri, rnais on fut au moins console de ce qu'il
n'etoit pas mort, et environ six h sept jours apr^s il cooi-
menga a souft'rir la vue de I'eau. Mon grand-p^re arrivant
de la messe, le trouva qui se diverlissoit a verser de I'eau
d'un verre dans un autre dans les bras de sa mere ; il vou-
lutalors s'approcher; mais Tenfant ne le put soutfrir^ et
peu de jours apres il le souifrit^ et en trois semaines de
temps cet enfant fut enti^rement gueri et remis dans son
embonpoint.
«... Pendant que mon grand-pere etoit a Rouen, M. Pas-
cal, mon oncle, qui vivoit dans cette grande piete qu'il
avoit lui-meme imprimee a ia famille, tomba dans un etat
fort extraordinaire, qui etoit cause par la grande applica-
tion qu il avoit donnee aux sciences ; car les esprits etant
montes trop fortement au cerveau, il se trouva dans une
esp^ce de paralysie depuis la ceinture en bas, en sorte quil
futreduit h ne marcher qu'avec des potences; ses jambes
et ses pieds devinrent froids comme du marbre, et on etoit
oblige de Ini mettre tons les jours des chaussons trempes
dans de Teau-de-vie pour tacher de faire revenir la chaleur
aux pieds. Cet etat ou les medecins le virent, les obligea
de lui defendre toute sorte d'application ; mais cet esprit
si vif et si agissant ne pouvoit pas demeurer oisif. Quand
il ne fut plus occupe ni de sciences ni de choses de piete
qui portent avec elle leur application, il lui fallut quelque
plaisir; il fut contraint de revoir le monde, de jouer et de
se divertir. Dans le commencement cela etoit modere;
mais insensiblement le gout en vint, il se mit dans le
monde, sans vice neanmoins ni deregiement, mais dans
I'inutilite, le plaisir et ramusement. Mon grand-pere mou-
I'ut; il continua a se mettre dans le monde avec meme plus
334 DOCUMENTS IN£dITS.
de facilite, etantmaitre de son bien ; et alors^ apres s'y etre
un peu enfoncej il prit la resolution de suivre le train com-
mun du monde^ c'est-a dire de prendre une charge et se
niarier; et prenant ses mesures pour Tun et pour Taulre'
il en confera avec ma tante, qui etoit alors religieuse^ qui
geniissoit de voir celui qui lui avoit fait connoitre le neant
du monde, s'y plonger iui-meme par de tels engagemeiits.
Elle Texliortoit souvent a y renoncer; il retontoit, etna
laissoit pas de pousser toujours ses desseins. Enfm Dieu
permit qu'un jour de la Conception de la Sainte-Vierge^ il
allut voir ma tante, et demeurtlt au parloir avec elle du-
rant qu'on disoit nones avant le sermon. Lorsqu'il fitt
acheve de sonner, elle le quitta, el lui de son cote antra
dans Teglise pour entendre le sermon, sans savoir que
c'eloit la oil Dieu Tattendoit. II trouva ie predicateur en
chaire^ ainsi il vit bien que ma tante ne pouvoit pas lui
avoir parle; le sermon fat, au sujet de la Conception de la
Sainte-Vierge, sur Ic commencement de la \ie des Chre-
tiens et sur rimpoitance de les rendre saints, en ne s'en-
gageant pas, comme font presque tons les gens du monde,
par rhabitude, par la coutume, et par des raisons de bien-
1. II seni.t curieux de cnnnaitre la carriere que Pascal aurait em-
br.i-^see. On ne voit guere qii'il eut pii^ dans I'etat de la soci^te an
xvii« sircle, en tiouver tme autre que la magistraturej par exemple,
la chamlire des monnaies on la cour des aides, ou deja quelquts
meinhres de sa f;iniiUe occupaient una place, et ou sa qualite de cal-
cuiatf'ur et de savant ei\t ete de mlse. Il eut pu aussi aciieter une
charge au parlement^ et etre cmseiller au parleaient de Paris comme
Carcavi et Formal a celui de T.-ulouse. Quant au mariage, il est
absolumeut in)poPsiMe et paifaitemeut inutile de conjecturer quelle
persoune. Pascal avait en vue. II pouvait aspirer aux partis les plus
honoiabks. Mais c'est aussi par trop ij,^aorer le siecle de Louis Xl\
que d'imagiuer qu"il eut jamais ose elever ses pretentions jusqu'aM"*^de
hoannez, la scenr d'un due et pair, la. future duchesse de La Feuillade.
VIE DE PASCAL. 335
;eance toutes humaines^ dans des charges et dans des ma-
nages; il montra comment il falloit consulter Dieil avant
]Lle de s'y engager^ et bieri examiner si on pourroit faire
;on salut, si on n'y trouveroit point d'obslacles. Comme
j'etoit Ik pr^cisement son etat et sa disposition, et que le
jredicateur pr^cha avec beaucoup de vehemence et de so-
iditCj il fut vivement touche, et croyant qiie tout cela avoit
He dit pour hii, il le prit de m^me. Ma tante allUma autant
]U'eIle put ce nouveau feu, et men oncle se delermina peu
ie jours apres a rompre etiti^rement avec le monde; et
[lour cela il alia passer quelque temps a la campagne pour
36 depayser, et rompre le cours general du grand nombre
de visiles qu'il faisoit et qu'il recevoit; cela lui reussil, car
Jepuis cela il n'a vu aucun de ces amis qu'il ne visitoil que
par rapport au monde ' .
« Dans sa retraite, il gagna a Dieu M. le due de Roannez
avec qui il etoit lie d'une amitie tres-etroite, fondee sur ce
que M. de Roannez ayant un esprit tres eclaire et capable
des phis grandes sciences, avoit beaucoup goute I'esprit de
M. Pascal, et s'etoit attache a lui. M. Pascal ayant done
quitte le monde, et ayant resolu de ue plus s'occuper que
des choses de Dieu^ il fit comprendre a M. de Roannez
['importance d'en faire de meme, et lui parla la-dessus avec
tant de force quMl le persuada. lUant done ainsi touche de
Dieu par le ministere de M. Pascal-, il commenga a faire des
reflexions sur le neant du monde, il prit un peu de temps
pour penser a ce que Dieu demandoit de lui; enfm il prit
la resolution de ne plus jamais songer au monde.
« Pendant que M. Pascal travailloit contre les athees, il
1. Sur celte derniere et definitive conversion de Pascal, voyez la
lettrede Jacqueline, du 25 Janvier 1655, JACQUELiNEPAscAr,,ch.iv,p. 235,
336 DOCUMENTS INEDITS.
arriva qu^il lui vint un tres grand mal de dents. Un soir,
M. le due de Roannez le quitta dans des douleurs tres vio-
lentes ; il se mit au lit, et son mal ne faisant qu'augmenter,
il s^avisa, pour se soulager, de s'appliquer a quelque chose
qui fut capable de lui faire oublier son mal; pour cela, il
pensa a la proposition de la roulette faite autrefois par le
pere Mersenne, que personne n'avoit jamais pu trouver^
et a laquelle il ne s'etoit jamais amuse. II y pensa si bien
qu'il en trouva la solution et toutes les demonstrations;
cette application detourna son mal de dents, et quand il
cessa d'y penser, il se senti gueri de son mal. M. de Roan-
nez etant venu le voir le matin, et le trouvant sans mal,
1. Rappelons ici que dans les dernieres annees de sa vie Pascal,
dont I'esprit travaiUait sans cesse, inventa on du moins concourut a
a etablir des cairosses a 5 sous, nos omnibus d'aujourd'liui, destines
h. parcourir Paris sur plusieurs grandes lignes. Sauval [AntiquiUs de
Paris t. I, p. 191 ) : « A ce qn'on dit, il en etait I'inventeur aussi biea
que le conducteur. » Madame Perier^ Vie de Pascal: « Des quel'af-
faire des carrosses fut etablie , il me dit qu'il vouloit demander mille
francs par avance pour sa part a des fermiers avec qui Ton traitoit
ponr i'employer auxpauvres de Blois. » Des pieces nouvelles, publiees
par M. de Monmerqne [Les carrosses n 5 sols, ou les omnibus du
xvn« siecle. Paris^ 1828), eclaircissent pleinement toute cette petite
affaire. On y rencontre le privilege accorde pour cette entreprise au
marquis de Sourches, a M. de Grenan, au due de RoanneSj I'inlime
ami de Pascal, ainsi qu'une lettre iuteressante, on madame Perier
raconte a M. Arnauld de Pomponne le grand succes du premier eta-
blissement de ces carrosses. A la suite de la lettre de madame Perier
est le billet suivant, de la main meme de Pascal, que M. de Monmer-
qne veut bien nous autoiiser a publier ici pour la seconde fois.
« J'ajouterai a ce que dessus, qu'avant-hier au petit coucher du Roi
une batterie dangereuse fut entreprise contre nous par deux personnes
de la cour les plus elevees en qualite et esprit, et qui alloit a la miner
en la tournant en ridicule, et qui eut donne lieu d'entreprendre tout.
Mais le Roi y r^pondit si obligeammeut et sisechement pour la beautji
de I'affaire et pour nous, qu'oii rengaina, et promptement. Je n'ai plus
de papier. Adieu. Je suis lout a vous. P. »
VIE DE PASCAL. B'il
lui demanda ce qui Tavoit gueri ; il lui dit que c'etoit la
roulette, qu'il avoit cherchee et trouvee. M. de Roannez,
surpris de cet etfet et de la chose mtoe;, car il en savoit la
difficulte, lui demanda ce qu'il avoit dessein de faire de
cela. Mon oncle lui dit que la solution de ce probleme lui
avoit servi de remMe, et qu'il n'en attendoit pas autre
chose. M. de Roannez lui dit qu il y avoit bien un meilleur
usage k en faire; que dans le dessein oil il etoit de com-
battre les athees, il falloit leur montrer qu'il en savoit plus
qu'eux tons, en ce qui regarde la geometric et ce qui est
sujet k demonstration, et qu'ainsi s'il se soumettoit a ce
qui regarde la foi, c'est qu'il savoit jusques oil devoit
porter les demonstrations ; et sur cela ii lui conseilla de
consigner 60 pistoles, et de faire une espece de defi a tons
les mathematiciens habiles qu'il connoissoit et de proposer
le prix pour celui qui trouveroit la solution du probleme.
M. Pascal le crut et consigna les 60 pistoles entre les mains
de M..., nomma des examinateurs pour juger des ou-
vrages qui viendroient de toute TEurope, et fixa le terme
a 18 mois, au bout desquels personne n'ayant trouve la
solution suivant le jugement des examinateurs, M. Pascal
retira ses 60 pistoles et les employa a faire imprimer son
ouvrage, dont il ne fit tirer que 120 exemplaires.
a M. Pascal parloit peu de science; cependant, quand
I'occasion s'en presentoit, il disoit son sentiment sur les
choses dont on lui parloit; par exemple sur la philosophic
de M. Descartes, il disoit assez ce qu'il pensoit. II etoit de
son sentiment sur I'automate, et n'en etoit point sur la ma-
ti6re subtile dont il se moquoit fort, mais il ne pouvoit
souffrir la mani^re d'expliquer la formation de toutes
choses, et il disoit tres souvent ; m Je ne puis pardonner k
a Descartes; il voudroit bien dans toute la philosophic se
22
340 DOCUMENTS INEDITS.
reconnoissoit ce portrait. G'est, dit rouvrier^ le portrait
d'un monsieur qui venoit ici fort souvent faire raccommo-
der sa montre^ mais je ne sais pas son nom. »
On trouve dans notre manuscrit des additions pour ie
ISecrologe de Pori-Royaly qui renferinent des details cu-
rieux sur Pascal que le Recueil d'Utrecht a fait connaitre
incompletement. Voici ce fragment interessant que donne
aussi le Msc. de la Bibliotheque royale, n" 397, et celui de
la Mazarine.
Note a la page 59™% ligne 18, de la preface. »
a Ce fut M. Pascal qui attaqua la morale des jesuites en
1656, et voici comment il s'y engagea. II etoit alle a Port-
Royal- des-Champs pour y passer quelque temps en retraite,
comme il faisoit de temps en temps. C'etoit alors qu'on
travailloit en Sorbonne a la condamnation de M. Arnauld,
qui etoit aussi a Port-Royal. Lorsque ces messieurs le pres-
soient d'ecrire pour sa defense et lui disoient : Est-ce que
vous vous laisserez condamner comme un enfant sans rien
dire? il donna un ecrit qu'il lut en presence de tous ces
Messieurs qui n'y donnerent aucun applaudissement. M. Ar-
nauld, qui n'etoit pas jaloux de louanges, leur dit ; Je vois
bien que vous trouvez cet ecrit mauvais, et je crois que
vous avez raison; puis il dit a M. Pascal : Mais vous qui
etes jeune', vous devriez faire quelque chose. M. Pascal
fit la premiere lettre, la ieur lut; M. Arnauld s'ecria : Cela
est excellent; cela sera goute; il faut le faire imprimer.On
le fit; cela eut un succes que Ton a vu : on continua.
M. Pascalj qui avoit une niaison de louage dans Paris, alia
se mettre dans une auberge a Tenseigne du Roi David, rue
des Poiriers, pour continuer cet ouvrage, II etoit connu
1. Recueil de Marg. Perier: vous qui eles curieux.
VIE DE PASCAL. . 341
dans cette auberge sous un autre nom^ j c'elait tout vis-^-
vis le college de Clermont^ qu'on nomme ^ present Louis-
le-Grand. M. Perier, son beau-frere^ etant alle a Paris dans
ce temps-la, alia se loger dans cette nieme auberge, comme
un homnie de province, sans faire connoitre qu'il etoit son
beau-fr^re. Le P. de Fretat, jesuite, son parent et parent
ausside M. Pascal, allatrouverM. Perier, etlui ditqu'ayant
I'honneur de hii appartenir, il etoit bien aise de Tavertir
qu'on etoit persuade dans la Societe que c' etoit M. Pascal,
son beau-Mre, qui etoit Pauteur des petites lettres contre
eux qui couroient Paris, qu'il devoit Ten avertir et lui con-
seiller de ne pas continuer parce qu'il pourroit lui en arri-
ver du chagrin. M. Perier le remercia, et lui dit que cela
etoit inutile, et que M. Pascal lui repondroit qu'il ne pou-
voit pas les empecher de Ten soupconner; parce que,
quand il leur diroit que ce n'etoit pas lui, ils ne le croi-
roient pas, etqu'ainsi s'ils vouloient Ten soupgonner il n'y
avoit pas de remede. II se retira la-dessus, lui disant tou-
jours qu'il falloit Ten avertir, et qu'il y prit garde. M. Perier
fut fort soulage quand il s'en alia; car il y avoit une ving-
taine d'exemplaires de la septieme ou huiti^me lettre sur
son lit qu^il y avoit mis 'pour secher; niais les rideaux
etoient tires, et heureusement un frere que le P^re de Fre-
tat avoit mene avec lui et qui s'etoit assis pres du lit ne s^en
apergut pas. M. Perier alia aussitot en divertir M. Pascal
qui etoit dans la chambre au-dessus de lui.etquelesj6suites
ne croyoient pas etre si proche d'eux.
«En 1732, le 27 fevrier, mademoiselle Perier raconta h
un de ses amis que^ M. Pascal, son oncle, avoit un laquais,
1. Sous celui de M. de Mons; voyez plus haul la note 1 de la
p. ai2.
2. Le Ms. de la Bihliothpque royale a^ 397, qiii, comme nous Tavons
342 DOGUiMENTS INEDITS.
nomme Picard, tr^s fidele, qui savoit que son maitre eom-
posoil les Lettres provinciales; c'etoit lui qui pour Tordl-
n ii. e en portoit les manusmls a M. Fortin, principal du
college d'Harcourt, qui avoit soin de les faire imprinner.
On assure qu'elles onteteimprimeesdans le college meme.
« Elle a assure au nieme^ que messieurs les cures de
Paris avoient accoutuine dans ce temps-la de s' assembler
tous les mois, et qii'a Toccasion des Lettres provinciales et
de rApologie des casuistes^ ils proposerent de demander la
condamnation de la morale relachee, et de nommer quel-
qu'un de leur corps pour ecrire contre. Personne ne pa-
roissoit fort dispose a se charger de cette commission; mais
M, Fortin^ homme fort zele, qui connoissoit particuliere-
ment M. Mazure^ cure de Saint-Paul, lui persuada d'accep-
ter cet emploi, lui promettant de faire composer ces ecrits
par des personnes tres habiles. En effet^ jM. Fortin s'adressa
a MM. Arnauld, Nicole et Pascal, qui sont auteursdes ecrits
qui ont paru sous le nom de messieurs les cures de Paris.
Depuis ce temps-la, ii fut defendu aux cures de Paris de
s'assembler tous les mois, comme ils avoient accoutume
auparavant. »
Ainsi, d'apres le temoignage de Marguerite Perier, c'est
nn principal d'un college de TUniversite qui, malgre les
defenses les plus rigoureuses de Tautorite, osa faire impri-
mer /e.? Provinciales , et les imprimer dans son propre
college, le college d'Harcourt. L'Universite ne devait pas
moins a celui qui ne craignait pas d'attaquer ses anciens et
eternels ennemis. Un Arnauld avait, au commencement du
deja dit, est de la main du P. Guerrier, et le Ms. dela Mazarine en
^rande partie copie sur le precedent : tfiodemoi.^e/le Porter ma dit
nujourd'hui ^"i fe'rrier M^^, que
1. Les memes MAIss.: Item, elle m'a dit que, etc.
UN Episode de la vie de pascal. 343
xvn'*si6cle, defendu TUniversite contre les pretentions des
jesuites devant le parlement de Paris : il etait juste que TU-
niversite rendit en secret au fils le service qu'elle avait regu
publiquetnent du pere,
III.
UN fiPISODE DE LA VIE DE PASCAL.
Madame Perier, dans la vie de son frere, nous apprend
comment^ a Tage de vingt-quatre ans, Pascal, qui , jus-
qu'alors, avait ete exclusivement occupede mathematiques
et de physique, tourna ses pensees 'S DANS LES PROPRES MOTS DE MOX LIVRE, PAGES 2
ET 3 DE LA PREFACE.
pBOPOsiTiO'S. Reponses coiitradictoireSj etc.
Ire Qu'nn esprit vigoureux et Mais je fus encore plus heureux,
pnissant pent saus la foi parvenir quand apres ra'avoir inspire le d6-
par son rai?onnement a la connois- sir de raisonner sur les mysteres
sance de tons les mysteies de la divins, il (Dieu) me fit entendre
relinon. excepte soulement pour par un autre prophete que ma re-
comprendie que Dieu est notie fin cherche seroit vaine, si je ne lui
lusipurs personnes jeloient les yeiix
sur elle; mais conune eile ne pouvoit pas erre un grand
parti, monsieur son frere , dont on ne savoit pas a resolu-
MADEMOISKLLE DE ROANNT-;^. 393
tion, etant encore dans le monde, ceux qui pensoient k elle
n'etoient pas de trt;s grands seigneurs. II y eut un homme
de qualite qui s'en approchoit, lorsqu'il arriva que made-
moiselle de Rouanes, qui avoit mal anx yeux, alia fairc une
neuvaine a la Sainte-Epine, a Port-Royal. Je n'assurerai
pas si c est en 1656 on 57 ; mais le dernier jour de sa neu-
vaine, elle fut touchee de Dieu si vivement que durant
toute la messe elle fondit en larmes. Madame sa mere, qui
y alloit tons les jours avec elle, fut surprise de la voir en
cetetat. Mademoiselle de Rouanes la pria de ne pas sortir
sit6t de TEglise. Enfm, en etant sortie, et en retournant
chez elle, elle temoigna a madame sa m^re qu'elle vouloit
se donner a Dieu. Elle resta quelques jours cbez elle, et
ensuite elle s'ecbappa un matin, et alia a Port-Royal doman-
der a y etre regue. M. Singlin et la mere abbesse juge-
rent a propos de lai faire ouvrir la porte; elle y entra, et se
mil au noviciat avec une ferveur extraordinaire sous le
nom de soeur Charlotte de la Passion, et y prit le petit
habit. J'y etois alors, etj'en fus temoin. Madame sa mere
Tayant appris, alia a Port-Royal faire desplaintes; et enfin,
ne pouvant obtenir qu'elle sortit . au bout de trois mois elle
s'adressa a laReine-mere, qui lui donna une lettre de cachet
qui lui ordonnoit de sortir. Alors, avant que de sortir, elle
prononga des vceux de chastete, je ne sais si ce fut a I'eglise
ou en presence des religeuses, et se coupa les cheveux;
depuis cela , elle resta chez elle dans une retraite et une
separation entiere du monde; cela dura jusqu'a la fm de
■1663. Durant tout ce temps-la, elle renouveloit ses voeux
toutes les fois qu'elle communioit: elle les ecrivoit et les
signoit, dans un petit livre qu'elle avoit expres pour cela;
elle y ajouta meme le voeu d'etre religieuse. II arriva done
que madame sa soeur, la religieuse, (qui etoit aux Filles-
394 iVlADF':MOISELLK I)E ROANNEZ.
DieUj voyant que monsieur son fr^re persistoit dans sa
resolution de ne se point marier^ fuchee de voir finir sa
famille, forma ie dessein au moins de faire marier sa soeur ;
eile s'avisa, pour cela, de lui procurer une occasion de voir
cet homme de qualite qui la voyoit lorsqu'elle fiit touch(k'
de Dieu a Port-Royal. Eile Ic fit done monter a son parloir^
comme par hasard, lorsque mademoiselle de Rouanes y
etoit. Cet homme lui marqua les memes empressements
qu'il avoit eus il y avoit cinq ou sept ans. Mademoiselle de
Rouanes fut touchee de voir qu'un si long intervalle n'avoit
point refroidi cet homme; ce qui Tut cause qu'elle lui per-
mit de la venir voir^ mais de sa part sans aucun dessein de
le voir que comme ami. M. de Rouanes ayant decouveit
ccia, en fut fache; il alia en faire ses plaintes a niadanie
Perier. i\I. Pascal etoit mort il y avoit quinze ou seize niois.
Madame Perier vit mademoiselle de Houanes, qui lui dit
que monsieur son frere s'alarmoit mal a propos^ qu'elle
n'avoit nul dessein de se marier, que meme eile ne le pou-
voit pas, et die lui montra ses voeux, et la pria de lui pro-
curer chez eile un entretien avec M. Singling qui avoit ete
son direcleur, et qui alors etoit cache ; eile le vit done, et,
suivant ses avis, eile ne voulut plus voir cet houime qui la
visitoit auparavant, et rentra dans son ancienne ferveur.
« M. Singlin mourut au mois d'avril 1G44; eile en fut
tres affligee; cependant eile continuoit dans sa ferveur, et
voyoit souvent madame Perier; mais madanie Perier fut
obligee de quitter Paris an mois de decemhre 1664; M. de
Rouanes en fut fort afflige, et lui dit quMl craignoit beau-
coup que cela ne fit encore changer sa soeur. En effet, cela
ne manqua pas. N'ayant plus de soutien, ayant perdu
M. Pascal, M. Singlin et madame Perier, eile recommenea
en 1665, de revoir le monde. Madame sa sceur, d'ailleurs,
MADEMOISELLE DE ROANNEZ. 395
lasollicita de nouveau d'ecouter des propositions de ma-
riage. M. de Rouanfes, voyant qu'il ne pouvoit plus esperer
quelle demeural ferme dans sa resolution, lui declara que,
pourlui, il etoitresolu de ne point changer, etqu'aiiisi
tout son bien devoit lui revenir: il falloit done qu'elle
n'ecoutat que des propositions conformes a sa condition et
a son bien : alors elle ecouta toutes celles qu'on lui fit. II
y en eut phisieurs qui n'eurent pas de lieu; enfm on pro-
posa M. le marquis de Coeuvres^ fils de M. le nmrechal
d'Estrees. M. de Rouanes le nianda a M. Perier, en Au-
vergrie, et le pria de lui douner cette marque d'amitie de
venir a Paris pour regler toutes ses alfaires, n'ayant de
confiance qu'en lui. M. Perier y alia. Gela se rompit avec
M. de Coeuvres; et, comme I'on voyoit qu'elle etoit absolu-
ment resolue de se marier, et que nieme apparemment elle
avoit une dispense de ses voeux, M. de la Vieuwille s'avisa
tout d'un coup de dire : « II lui faut ua due et pair; il n'y
en a pas a marier; il faut penser a M. de la Feuillade; le
Roi I'ainie, et il fera revivre le duclie sur sa t^te. » Cette
proposition fut du gout de mademoiselle de Rouanes; on
en parla au Roi^ qui y donna son agretnent, et promit de le
faire due. Mais comme M. de la Feuillade etoit le cadet de
M.rarcheveque d'EmbrunJl n'avoit point de bien; le Roi
en ecrivit a rarcheveque^ qui etoit alors en Espagne. La
reponse fut une demission entiere de tout son bien; le ma-
nage se fit. 11 fut mis dans le conlral que M. de la Feuillade
prendroit le nom de due de Rouanes, M. de Rouanes
donna tout son bien a sa soeur, et la chargea de payer ses
dettes, et se reserva seuleiuent quelques terres de 15
20,000 de rente. Je ne sais s'il s'en reserva la propriete ou
seulenjeiit la jouissance,
a Le mariage ne fut pas plut6t fait que madame de la
896 MADEMOISELLE DE ROANNEZ.
Feuillade reconnut sa faute, en demanda pardon a Dieii,
et en fit penitence, car elle eut beauconp a soutfrir, et re-
connoissoit toiijours que c'etoit Dieu qui le permettoit pour
la punir. Elle eut un premier enfant qui nere^iit point le
bapteme; le second fnt un filstontcontrefaitpar iesjambes;
le troisieme fut nne fillc qui demeura naine depuis deux
ans jusqu'a buit ou douze ans, sans croitre du tout; en-
suite elle crut un pen; mais elle mourut a dix-neufans
subitement; le quatrieme est M. le due de la Feuillade
d'aujourd'hui. Apres avoir eu ces enfants, elle eut des
maladies extraordinaires; il lui fallut subir des operations
cruelles qu'elie souifrit toujours en esprit de penitence, et
elle disoit « Je suis bien heureuse de ce que Dieu m'envoie
des occasions de soulTrir; cela me fait esperer qifil veut
recevoir ma penitence. » Les cbirurgiens etoient surprisde
voir qu'elie marquat nn air de jubilation quand ils venoient
pour la panser de maux tres douloureux. Elle est morte
dausces sentiments apres une terrible operation.
« M. de la Feuillade prit d'abord le nom de due de Roua-
nes; mais un ou deux ans apres 11 fut envoye pour com-
mander en Candie, et demanda permission au Roi de pren-
dre le nom de due de la Feuillade, parce qu'il avoit fait
peur aux Tnrcs sous ce nom-la en Hongrie; le Roi le lui
permit, et depuis il Ta garde.
t( M. de Houan^s, de son cote, a en beaucoup de peine
de ce mariage , parce que J\i. de la Feuillade, qui s'etoit
charge de payer les dettes, ne les payant pas, les creanciers
revenoient sur les terres qu'il s'etoit reservees; en sorte
qu'il a passe le resle de ses jours fatigue d'affaires et de
dettes; mais il fut toujours rempli de religion et de pietc,
meme d'une piete tendre, que Ton remarquoit dans toutes
ses paroles et ses actions. »
LETTRES DE PASCAL
LETTRE DE PASCAL A SA SQEUR MADAME PERIER.
(Communiquee par M. Renouard, le savant libraire. L'adresse est :
A Mademoiselle Perier, la Conseilleve. On ne dounoit le noQi de Ma-
danie aax femmes mariees qiie loisqu'elles etoient d'ane condition
6Ievee. )
c( Ma chere soeur,
Je ne doute pas que vous n'ayez ete bien en peine dii
long temps qu'il y a que vous n'avez re^u de nouvelles de
ces quartiers ici. Mais je crois que vous vous serez bien
doutes que le voyage des filus en a ete la cause^ comme en
effet. Sans ceia, je n'aurois pas manque de vous ecrire plus
souvent. J'ai a te dire que MM. les commissaires etant a
Gisors, mon pere me fit aller faire un tour a Paris^ ou je
trouvai une lettre que tu m'ecrivois ou tu me mandes que
tu t'etonnes de ce que je te reproche que tu n'ecris pas as-
sez souvent, et ou tu me dis que tu ecris a Rouen toutes
les semaines une fois. II est bien assure, si cela est, que les
lettres se perdent, car je n'en reQois pas toutes lestrois se-
maines une. Etant retourne a Rouen, j'y ai trouve une
lettre de M. Perier, qui mande que tu es malade. li ne
398 LETTRES DE PASCAL.
mande point si ton mal est dangereux ni si tu te portes
mieux; et il s'est passe un ordinaire depuis sans avoir regu
de lettre^ tellement que nous en somnies en une peine dont
je te prie de nous tirer au plutot; mais jecrois quelapriere
que je te fais sera inutile, car avant que tu aies regii cette
lettre ici, j'espere que nous aurons recu lettres ou de toi
oudeM. Perier. Le departeraent s'ach^ve^ Dieu merci. Si
je savois queique chose de nouveau^ je te le ferois savoir.
Je suis, ma chere sceur,
Post-scriptum de la main d'Etienne Pascal-, lepere : «Ma
bonne fille m'excusera si je ne lui ecris comme je le desire-
rois^ n'y ayant aucun loisir; car je n'ai jamais ete dans
Fembarras a la dixieme partie de ce que j'y suis a present.
Je ne saurois Tetre davantage a moins d'en avoir trop; il y
a quatre mois que je (ne) me suis couche six fois devant
deux heures apres minuit.
Je vous avois commence dernierement une lettre de rail-
lerie sur le sujet de la voire derniere touchant le mariage
de monsieur Desjeux^ mais je n'ai jamais eu le loisir de
Tachever. Pour nouvelles^ la title de monsieur de Paris,
niaitre des comptes^ mariee a M. deNeufviile,aussi maitre
des comptes^ est decedee, comme aussi la fiUe de Belair,
mariee au petit Lambert. Votre petit a couche ceans cette
nuit. II se porte Dieu graces tres bien. Je suis toujours
Votre bon et excellent ami^
Pascal. »
Votre tres humble et tres affectionne serviteur et frere,
Pascal. »
LETRRES DE PASCAL. 399
LETTRE DE PASCAL A SA SOEGR JAGQUELIXE.
Recueilde Marguerite Perier, p. 307, avec cette note;
Elle parait ^crite h sa sceur Jacqueline .)
Ge 16 Janvier 1648.
« Ma chere soeur^
Nous avons recu tes lettres. J'avois dessein de te faire
reponse sur la premiere que tu m'ecrivis il y a plus de
quatre mois; niais nion indisposition et quelques autres
affaires m'empecherent de Tachever. Depuis ce temps-la je
n'ai pas ete en etat de t'ecrire, soit a cause de mon mal^
soit manque de loisir, ou pour quelque autre raison. J'ai
peu d'heures de loisir etde sante tout ensemble ;j'essayerai
neanmoins d'achever celle-la sans me forcer; je ne s^ais si
elle sera longue ou courte. Man principal dessein est de t'y
faire entendre le fait des visites que tu s^ais, ou j^espererois
d'avoir de quoi te satisfaire et repondre a tes dernieres
lettres. Je ne puis commencer par autre chose que par le
temoignage du plaisir qu'elles m'ontdonne; j'en ai regu
des satisfactions si sensibles que je ne te les pourrois pas
dire de bouche. Je te prie de croire qu' encore que je ne
t'aie point ecrit, il n'y a point d'heure que tu ne m'aies ete
presente, ou je n'aye fait des souhaits pour la continuation
des grands desseins que Dieu t'a inspires*. J'ai ressenti de
iiouveaux acces de joye a toutesles lettres qui en portoient
quelque temoignage, et j'ai ete ravi d'en voir la continuation
1. Allusion au dessein de Jacqueline de se faire reiigieuse.
400 LETTKES DE PASCAL.
sans que tu eusses aucune nouvelle tie notre part. Cela m'a
fait juger qu'il y avoit un appui plus qu'hiimainj puisqu'il
n'avoitpas besoin des moyens huniains pour se niaintenir.
Je souhaiterois neanmoins d'y contribuer quelque chose j
niais je n'ai aucune des parties qui sont necessaires pour
cet effet. Ma foiblesse estsigrandeque^ sije rentreprenoisj
je ferois plutot une action de ternerite que de charite, et
j'aurois droit de craindre pour nous deux le nialbeur qui
menace un aveugle conduit par un aveugle. J'en ai ressenti
nion incapacite sans comparaison davantage, depuis les
visites dont il est question; et bien loin d'en avoir rapporte
assez de iumieres pour d'autres, je n'en ai rapporte que de
la confusion et du trouble pour nioi, que Dieu seul peut
calmer, et ou je travaillerai avec soin mais sans empresse-
ment et inquietude, sachant bien que Tun et I'autre m'en
eloigneroient. Je te dis que Dieu seul le peut calmer, et
que j'y travaillerai, parce que je ne trouve que des occa-
sions de le faire naltre et de Taugmenter dans ceux dont
j'en avois attendu la dissipation; de sorte que, me voyant
reduit a moi seul, il ne me reste qu'a prier Dieu qu'il en
benisse le succes. J'aurois pour cela besoin de la commu-
nication de personnes savantes et de personnes desinteres-
sees; les premiers sont ceux qui ne le feront pas : je ne
cherche plus que les autres; et pour cela je souhaite infi-
niment de te voir, car les lettres sont longues, incommodes
et presque inutiles en ces occasions : cependantje fenecri-
rai peu de chose.
La premiere fois que je vis M. Rebours', je me fis con-
noitre a lui etj'en fus recu avec autant de civilites que
j'eusse pu soubaiter. EUes appartenoient toutes a Monsieur
1. Un des coufesseiirs de Poit-Royal. A'oyez le Ne'cro/oge de Port-
Roi/al, page 333.
LETTRES DE PASCAL. 401
monp^re^ puisque je les recus a sa consideration. Ensuite
des premiers compliments, je lui demandai permission de
lercvoirde temps en temps; il me Taccorda : ainsi je fus
en liberie de le voir, de sorte que je ne compte pas cette
premiere vue pour visite, puisqu'elle n'en fut que la per-
mission. J'y fus a quelque temps de la, et enlre autres dis-
courSj je lui dis, avec ma franchise et ma naivete ordi-
naires, que nous avions vu leurs livres et ceux de leurs
adversaires, que c'etoit assez pour lui faire entendre que
nousetions de leurs sentiments. II m'en temoigna quelque
joye. Je lui dis ensuite que jepensois que Ton pouvoit,sui-
vant les principes memes du sens commun, demontrer
beaucoup de choses que les adversaires disent lui etre con-
traires, et que le raisonnement bien conduit portoit a les
croire, quoiqu^il les faille croire sans I'aide du raisonne-
ment. Ce furent mes propres termes ou je ne crois pas qu'il
y aitde quoi blesser la plus severe modestie. Mais comme
tu s^ais que toutes les actions peuvent avoir deux sources,
etquo ce discours pouvoit proceder d'un principe de vanite
et de confiance dans le raisonnement, ce soupQon, qui fut
augmente par la connoissance qu'il avoit de nion etude de
la geometric, suftit pour lui faire trouver ce discours
etrarige, et il me le temoigna par unerepartie si pleined'hu-
milite et de modestie qu'elle eut sans doute confondu Tor-
gueil qu'il vouloit refuter. J'essayai neanmoins de lui faire
connoitre mon motif; mais ma justification accrut son
doute, et ilprit mes excuses pour une obstination. J'avoue
que son discours etoit si beau que si j'eusse cru etre en I'e-
tat qu'il se le figuroit, il m'en eut retire; mais comme jene
pensois pas etre dans cette maladie, je m'opposois au re-
mhde qu^il me presentoit; mais il le fortifioit d'autant plus
que je semblois le fuir, parce qu'il prenoit mon refus pour
26
402 LETTRES DE PASCAL.
endurcissement; et plus il s'efforgoit de continuerj plus
mes remerciments lui temoignoient que je ne le tenois pas
necessaire; de sorteque loute cette entrcvue se passa dans
cette equivoque et dans un embarras qui a continue dans
toutes les autres et qui ne s'est pu debrouiller. Je ne te
rapporterai pas les autres mot a mot parce qu'il ne seroit
pas necessaire ni a propos i je te dirai seulement en sub-
stance le principal de ce qui s'y est dit, ou^ pour mieux
dire, le principe de leur retenue.
Mais je te prie avant toutes choses de ne tirer aucune
consequence de tout ce que je te mande, parce qu'il pour-
roit m'echapper de ne pas dire les choses avec assez de jus-
tesse; etcela te pourroit faire naitre quelque soupQonpeut-
^tre anssi desavantageux qu'injuste. Gar enfin apr^s y
avoir bien songe^ jen'y trouvequ'une' obscurite oil il seroit
difficile etdangereux de decider^ etpour moi j'en suspends
entie^rement mon jugement autant a cause de ma foiblesse
que pour mon manque de connoissance.
LETTRE DE PASCAL KT DE SA SCEUR JACQUELINE
A MADAME PERIER.
(Recueil de Marguerite Perier, p, 359, II y est dit giie cette lettre a
ete copiee sur I'original de la main ile M^^^ Jacqueline Pascal. EUe
est ecrite par celle-ci en son nom et au nom de son frere. II est aise,
en effet , d'y reconnaitre plus dune id6e de Pascal sous la plume
de Jacqueline".)
1" avril 1648.
Nous ne savons si celle-ci sera sans fin aussi bien que les
autres^; mais nous savons bien que nous voudrions bien
1. Le manuscrit a tort : aucune.
2. Voyez Jacqueline Pascal, ch. \n, p. 100, etc.
3. Ceci prouverait que nous ne possedons pas toute la coiTespon-
dance da frere et des deux soeurs.
LETTRES DE PASCAL. 403
ecrire sans fin. Nous avons ici la lelti'e de M. de Saint-Cy-
ran, de la Vocation, imprimee depuis peusans approbation
ni privilege, ce qui a choque beaucoup de monde. Nous la
lirons; nous te refivoyerons apres; nous serons bien aise
d'en savoir ton sentiment et celui de M. inon pere : elle est
fort relevee.
Nous avons plusieursfois commence a t'ecrire, mais j'en
ai ete retenu par I'exemple et par les discours ou, si tu
veux^ par les rebufades que tu scais '; mais apres nous etre
eclaircis taut que nous avons pu^ je crois <{u'il faut y ap-
porter quelquecirconspection; et s'il y a des occasions oii
Ton ne doit pas parler de ces choses, nous en sommes dis-
penses. Car comme nous ne doutons point Tun de I'autre,
et que nous sommes comme assures mutuellement que
nous n'avons dans tous ces discours que la gloire de Dieu
pour objet, et presque point de coamiunication hors de
nous-memesje ne vois point que nous puissions avoir de
scrupule tant qu'il nous donnera ces sentiments. Si nous
ajoutons a ces considerations celle de Talliance que la na-
ture a faite entre nous, et a cette derniere celle que la grace
y a faite, je crois que bien loin d'y trouver une defense,
nous y trouverons une obligation; car je trouve que notre
bonheur a ete si grand d'etre unis de la derniere sorte,que
nous nous devons unir pour le reconnoitre et pour nous en
rejouir. Gar il faut avouer que c'est proprement depuis ce
temps (que M. de Saint-Cyran veut qu'on appelle le com-
mencement de la vie) que nous devons nous considerer
comme veritablen:ient parents, et qu'il a plu a Dieu de nous
joindre aussi bien dans son nouveau monde par I'esprit,
comme il avoit fait dans ie terrestre par la chair.
1. Siu' ces rebufadoSj vuyc;* .Iacquiiline Pascal, cli. i. p. 43.
404 LETTRES DE PASCAL.
Nous te prions qu'il n'y ait point de jour oil tu ne le re-
passes enta memoirejet de reconnoitre souvent laconduite
dont Dieu s'est servi en cette rencontre^ ou il ne nous a pas
seulement fait freres les uns des autres, mais encore en-
fants d'un meme pere, car tu sais que mon pere nous a
tous prevenus et comme congus dans le dessein '. G'est en
quoi nous devons admirer que Dieu nous ait donne et la
figure et la realite de cette alliance. Car, comme nous
avons souvent dit entre nous, leschosescorporellesnesont
qu'une image des spirituelles, et Dieu a represente les
choses invisibles dans les visibles. Cette pensee est si gene-
rale et si utile, qu'on ne doit point laisser passer un espace
notable de temps sans y songer avec attention. Nous avons
discouru assez particiilierement du rapport de ces deux
sortes de choses ; c'est pourquoi nous n'en parlerons pas
ici. Car cela est trop long pour I'ecrirCj et trop beau pour
ne t'etre pas reste dans la memoire, et, qui plus est, neces-
saire absolument, suivantmon avis; car comme nos peches
nous tiennent enveloppes parmi les choses corporelles et
terrt'stres, et qu'elles ne sont pas seulement la peine denos
peches, mais encore Toccasiou d'en faire de nouveaux et la
cause des premiers, il faut que nous nous servions du lieu
nieme oil nous sommes tombes pour nous relever de notre
chute. C'est pourquoi nous devons bien menager Favan-
tage que la bonte de Dieu nous donne de nous laisser tou-
jours devant les yeux une image des biens que nous avons
perdus, et de nous environner dans la captivite meme, ou
sa justice nous a reduits, de taut d'objets qui nous servent
d'une leC'On continuellement presente; de sorte que nous
devons nous considerer comme des criminels dans une pri-
1. Cette plu'ase est iiiachevee ou il fnut lire ce de.'^seiu.
LETTRES DE PASCAL. 40^
son toute reniplie d'images de leur liberateur et des in-
structions necessaires pour sortirde la servitude; maisil faut
avouer qu^on ne pent appercevoir ces saints caracteres
sans une lumiere surnaturelie. Gar comnie toutes choses
parlent de Dieu a ceux qui le connoissent, et qu'elles le
decouvrent a ceux qui Taimentj ces memes choses le cachent
a tons ceux qui ne le connoissent pas. Aiissi Ton voit que
dans les tenebres du monde, on les suit par un aveuglement
brutal^ que Ton s'y attache, et qu'on en fait la derni^re fin
de ses desirs; ce qu'on ne pent faire sans sacrilege; car il
n'y a que Dieu qui doive 6tre la derni^re fin corame lui
seul est le principe. Quelque ressemblance que la nature
creee ait avec son createur, et encore que les moindres
choses et les plus petites et les plus viles parties du monde
representent au moins par leur unite la parfaite unite qui
ne se trouve qu'en Dieu, on ne peut pas legitimement leur
porter le souverain respect, parce qu'il n^y a rien de si abo-
minable aux yeux de Dieu et des hommes que Tidolatrie,
a cause qu'on y reud a la creature Thonneur qui n'est du
qu'au createur. L'Ecriture est pleine des vengeances que
Dieu a exercees sur ceux qui en out ete coupables, et le
premier commandement du Decalogue, qui enferme tons
les autres, defend sur loutes choses d'adorer les images;
car commc il est beaucoup plus jaloux de nos affections
que de nos respects, il est visible qu'il n'y a point de crime
qui lui soit plus injurieux ni plus detestable que d'ai-
mer souverainement les creatures, quoiqu'elles le repre-
sentent.
C'est pourquoi ceux a qui Dieu fait connoitre cesgrandes
verites, doivent user de ces images pour jouir de celui
qu'elles representent, et ne demeurer pas eternellement
dans cet aveuglement charnel etjudaique qui fait prendre
4&« l.ETTRKS 1)E PASCAL.
la figure pour la realitu; et ceux que Dieu par la regenera-
tion a releves gratuitement du peche, qui est le veritable
neant parce qu'il est contraire a Dieu qui est le veritable
etre, pour leur donncr une place dans son Eglise qui est
son veritable temple, apres les avoir retires gratuitement
du neant au jour dc leur creation pour leur donner une
place dans Tunivers, out une double obligation de le servir
et de I'honorer, puisqu'en tant que creatures ils doivent se
tenir dans I'ordre des creatures et ne pas profaner le lieu
qu'ils remplissent, ct qu'en tant que Chretiens ils doivent
sans cesse aspirer a se rendre dignes defaire partiedu corps
de Jesus-Christ, mais qu'au lieu que les creatures qui com-
posent le nionde s'acquittent dc leurs obligations en se
tenant dans une perfection bornee, parce que la perfection
du monde est aussi bornee, les enfants de Dieu ne doivent
point mettre de limites a leur purete et a leur perfection,
parce qu'ils font partie d'un corps tout divin et inhniinent
parfait, conime on voil que Jesus-Christ ne liinite pointles
conimandements de la perfection et qn'il nous en propose
un modele on olle se trouve infinie, quand il dit : « Soyez
done parfaits conime voire pere celeste ost parfait. » Aussi
c'est une errenr bien prejudiciable parmi les Chretiens, et
parmi ceux-la meine qui font profession de piete, de se per-
suader qu'il y ait un certain degrede perfection dans leqael
on soit en assurance^ et qu'il ne soit pas necessaire de pas-
ser, puisqu'il n'y en a point qui ne soit mauvais si on s'y ar-
rete, etdont on puisse eviterde tomber qu'enmontantplus
haut.
LETTRES DE PA.SC\L. i07
LETTRE DE PASCAL ET DE SA SCEUR JACQUELINE
A MADAME PERIER.
(Elle est intitulee dans le Recueil de Marguerite Perier, p. 355: Letfre
de M. et de JW^'e Pascal a M^*^ P&iei\ leur s(£ur. A la fin son t
6crits ces mots : Copie stir roriginal, ecrit de la main de Jtf'ie Jac-
queline Pascal^.)
A Paris, ce 5 novembre 1648.
Ma chere soeur,
Ta lettre nous a fait ressouvenir d'une brouillerie dont
on avoit perdu la memoire, tant elle est absolument passee.
Les eclaircissements un peu trop grands que nous avons
procures ont fait paroitre le sujet general et ancien de nos
plaintes, et les satisfactions que nous en avons faites ont
adouci Taigreur que Monsieur mon pere en avoit congue.
Nous avons dit ce que tu avois deja dit, sans savoir que
tu Teusses dit_, et ensuite nous avons excuse de bouche ce
que tu avois excuse par ecrit^ sans savoir que tu Teusses
excuse^ et nous n' avons squ ce que tu avois fait qu'apr^s
que nous Tavons eu fait nous-memes : car comme nous
n^avions rien cache a mon p^re^ il nous a aussi tout decou-
vert et gueri ensuite tous nos soup^ons. Tu sais combien
tous ces embarras troublent la paix de la maison interieure
et exterieurC; et combien dans ces rencontres on a besoin
des avertissements que tu nous as donnes trop tard : nous
avons a t'en donner nous-memes sur le sujet des tiens.
Le premier est surce que tu nous mandes que nous t'a-
vons appris ce que tu nous ecris. Je ne me souviens pas
de t'en avoir parle^ et si peu que cela m'aete tresnouveau.
Et deplus, quand cela seroit vrai, je craindrois que tu ne
1. Jacqueline Pascal, ch. lu, p. 114.
408 LETTRES DE PASCAL
I'eusses retenu humainement situ n'avois oublielap6rsonn6
dont tu I'avois appris, pour ne te ressouvenir que de Dieu,
qui peut seal te Tavoir veritablement enseigne. Si tu t'en
souviens comme d'une bonne chose, tu ne sgaurois penser
le tenir d'aucun autre, puisque ni toi ni les autres ne le
peuvent apprendre que de Dieu seul. Gar_, encore que dans
cette sorte de reconnoissance, on ne s'arrete pas aux
honames a qui on s'adresse, comme s'ils etoient auteurs du
bien qu'on a re^u par leur entremise; neanmoins cela ne
laisse point de former une petite opposition a la vue de
Dieu, et principalementdans les personnes qui ne sent pas
entierement epurees des impressions charnelles qui font
considerer comme sources de bien les objets qui le com-
muniquent. Ge n'est pas que nous ne devious reconnoitreet
nous ressouvenir des personnes dont nous tenons quelques
instructions, quand ces personnes ont droit de les fairs,
comme les Peres, les eveqnes et lesdirecteurs,parcequ'ils
sont les maitres dont les autres sont les disciples. Mais
quant a nous, il n'en est pas de meme; car comme I'ange
refusa les adorations d'un saint, serviteur comme lui, nous
te dirons, en te priant de n'user plus de ces termes d'une
reconnoissance humaine, que tu te gardes de nous faire de
pareils compliments, parce que nous sommes disciples
comme toi.
Le second est surce que tu dis qu'il n'est pas necessaire
de nous repeter ces choses, parce que nous les savons deja
bien; ce qui nous fait craindre que tu ne mettes pas ici
assezde difference entre les choses dont tu paries et celles
dont le siecle parle, parce qu'il est sans doute qu'il suffit
d'avoir appris une fois celles-ci, et de les avoir bien rete-
nuos, pour n'avoir plus bcsoin d'en etre instruit; au lieu
qu'il no suffit pas d'avoir une fois compris celles de Tautre
LETTRK8 nr. PASCAL 409
sorte, et de les avoir connues de la bonne mani^re^ c'est-
h-dire par le mouvement interieiir dc Dieii, pour en con-
server la connoissance de la meme sorte, quoiqu'on en
conserve bien le souvenir. Ce n'est pas qu'on ne s'en puisse
bien souvenir^ et qu'on ne retienne aussi facilement une
epitre de saint Paul qu'un livre de Virgile; mais les con-
noissances que nous acquerons de cette facon^ aiissi bien
que leur continuation, ne sont qu'un effet de cette ine-
moire; au lieu que pour y entendre le langage secret et
etranger a ceux qui le sont du ciel'^ il faut que la meme
grace qui pent seule en donner la premiere intelligence, la
continue et la rende toujours presente en la retracant sans
cesse dans le coeur des fideles, pour les faire toujours vivre.
Comme dans les bienheureux, Dieu renouvelle continuelle-
ment leur beatitude, qui est un effet et une suite de sa
grace; et comme aussi Tfiglise tient que le pere produit
continuellement le fils^ et maintient Teternite de son es-
sence par une etfusion de sa substance, qui est sans inter-
ruption aussi bien que sans fm; ainsi, la continuation de la
justice des fideles nest autre chose que la continuation de
rinfusion de la grace, et non pas une seule grace qui sub-
siste toujours; et c'est ce qui nous apprend parfaitement la
dependance perpetiielle oil nous sommes de la misericorde
de Dieu, pui^que, s'il en iiiterrompt tant soit peu le cours,
la secheresse survient necessairement. Dans cette necessite,
il est aise de voir qu'il faut continuellement faire de nou-
veaux efforts pour acquerir cette nouveaute continuelle
d'esprit, puisque on ne pent conserver la grace ancienne
que par Tacquisition d'une nouvelle grace, etqu'autrement
on perdra celle qu'on pretend retenir, comme ceux qui,
1. Sic. pour: qui sont etrangers au ciel.
MO KKTTRES DE PASCAL.
voulant renfennev la luniiere, n'enferment que des ten^-
bres. Ainsi nous devons veiller a purifier sans cesse I'inte-
rieur qui se salit tonjours de nouvelles taches en retenant
aussi les anciennes, puisque sans le renouvellement assidu
on n'est pas capable de recevoir ce vin nouveau qui ne sera
point mis en vieux vaisseaux.
C'est pourquoi tu ne clois pas craindre de nous remettre
devant les yeux des choses que nous avons dans la me-
moire et qu'il faut faire rentrer dans le coeur, puisqu'il est
sans doute que ton discours en pent mieux servir d'instru-
ment a la grace que non pas I'idee qui nous en rcste en la
niemoire, puisque la grace est particulierement accorSt^e
par la priere, et que cette charite que tu as eue pour nous
est une priere du nombrede celles qu"on ne doit jamais in-
tcrrompre. C'est ainsi qn'on ne doit jamais refuser de lire
ni d'ouir les choses saintes , si communes et si connues
qu'elles soient; car notre memoire, aussi bien que les in-
structions qu'elle retient, n^est qu'un corps inaninie et
judaique sans I'esprit qui doit les vivifier ; et il arrive tres-
souvent que Dieu se sert de ces moyens exterieurs plutot
que des interieurs pour les faire comprendre, et pour laisser
d'autant moinsde matiere a la vanite deshommeslorsqu'ils
recoivent ainsi la grace en eux-memes. C'est ainsi qu'un
livre et qu'un sermon, si communs qu"ils soient, apportent
bien plus de fruit a celui qui s'y applique avec plus de dis-
positions que non pas rexcellcnce des discours plus eleves
qui apportent d'ordinaire plus de plaisir que d'instruction;
et Ton voit quelquefois que ceux qui les ecoutent connne
il faut, quoique ignorants et presque stupides, sont tou-
ches au seul nom de Dieu et par les seules paroles qui les
menacent de renfer, quoique ce soit tout ce qu'ils y coni-
prennent et qu'ils les s^ussent aussi bien auparavant.
LKTTHES DF: pascal. A){
Le troisieme est sur ce que tu dis que tu n'ecris ces
choses que pour nous faire entendre que tu es dans ce sen-
timent; nous avons a te louer et a te remercier egalement
surcesujet; nous te louons de ta perseverance et te re-
inercions du temoignage que tu nous en donnes. Nous
avions deja tire cet aveu de M. Perier. et les choses que
nous lui en avions fait dire nous en avoient assurees. Nous
ne pouvons te dire combien elles nous ont satisfaits qu'en
te representant la joye que tu recevrois si tu entendois dire
de nous la meine cliose.
Nous n'avons rien de particulier a te dire sinon touchant
le dessein de votre niaison. Nous savons que M. Perier
prend trop k ccBur ce qu'il entreprend pour songer pleine-
ment a deux choses a la fois^ et que ce dessein entier est si
long que pour Pachever il faudroit qu'il fut longtemps sans
penser a autre chose. Nous savons bien aussi que son pro-
jet n'est que pour une partie du batiment : mais outre
qu'elle ii'est que trop longue elle seule% elle I'engage a
Pachevement du reste, aussilot qu'il n'y aura plus d'obsta-
cle, de quelque resolution qu'on se fortifie pour s^'en em-
pecher, principalement s'il emploie a batir le temps qu'il
faudroit pour se detromper des charnies secrets qui s'y
trouvent. Ainsi^ nous Pavons conseille de batir bien moins
qu'il ne pretendoit^ et rien que le simple necessaire^ quoique
sur le meme dessein^ atin qu'il n'ait pas de quoi s'y enga-
ger^ et qu'il ne s'ote pas aussi le moyen de le faire. Nous te
prions d'y penser serieusement^ de Pen resoudre et de Pen
conseiller, de peur qu'il n' arrive qu'il ait bien plus de pru-
dence et qu'il donne bien plus de soin et de peine au bati-
ment d'une maison qu'il n'est pas oblige de faire, qu'a celui
de cettetour mystique dont tu sais que saint Augustin parle
dans une de ses lettres, qu'il s'est engage d'achever dans
m LETTHES OE PASCAL-
ses entretiens. Adieu. B. P. J. P. (Blaise P. jACQtiRLmE P.)
De la main de M. Pascal ;
« Si tu sais quelque bonne ame, fais-la prier Dieu pour
moi aussi. »
LETTRE DE PASCAL
EN SON NOM ET AU NOM DE SA SOEUR JACQUELINE
A M. ET Mme PER[ER, A CLERMONT, SUR LA MORT DE LEUR PERE
ETIENiNE PASCAL'.
( Manusciit de TOratoire avec cette remarque : « Copi^ sur V original ,
dote (hi 17 ortohre 1651, de la main de M. Pascal, n Rocueil de
Marguerite Perier, p. 308, meme date; et aussi avec cette remarque:
transcrit sur Voriginal. )
Puisque vous etes maintenant informes Tun et Tautre de
notre malheur coinmun^ et que la lettre que nous avons
commencee vous a donne quelque consolation par le recit
des circonstances heureuses qui ont accompagne le sujet
de notre afdiction , je ne puis vous refuser celles qui me
restent dans Tesprit, et que je prie Dieu de me donner^ et
de me renouveler de plusieurs que nous avons autrefois re-
(?ues de sa grace, et qui nous ont ete nouvellement donnees
par nos amis en cette occasion.
Je ne sgais par oil finissoit la derniere lettre ^. Ma sceur
Ta envoyee sans prendre garde qu'elle n'etoit pas finie. II
me senible cependant qu'elle contenoit en substance quel-
ques particularites de la conduite de Dieu sur la vie et la
maladie que je voudrois vous repeter ici, tant je les ai gra-
1. Voyez Happort, p. UO, etc.
2. Nous n'avons poiat cette lettre.
LETTRES DE PASCAL. 413
vees dans le coeur et tant elles portent de consolation , si
vous ne les pouviez voir vous-menie dans la precedente
lettre, et si ma soeur ne devoit pas vous en faire un recit
plus exact a sa premiere commodite.
Je ne vous parlerai done ici que de la consequence que
j'en tirCj qui est que sa fm est si chretienne, si heureuse et
si sainte et si souhaitable , qu'otees les personnes interes-
sees par les sentiments de la nature, il n'y a point de Chre-
tien qui ne s'en doive rejouir.
Sur ce grand fondement je commencerai ce que j'ai a
vous dire par un discours consolalif * a ceux qui ont assez
de liberte d'esprit pour le concevoir an fort de la dou-
leur^.
G'est que nous devons ctiercher la consolation k nos
maux, non pas dans nous-memes, non pas dans les hom-
raes, non pas dans tout ce qui est cree, mais dans Dieu.
Et la raison en est que toutes les creatures ne sent pas la
premiere cause des accidents que nous appelons maux,
mais que la providence de Dieu en etant I'unique et veri-
table cause, Tarbitre et la souveraine ^, il est indubitable
qu'il faut recourir directement a la source et remonter
jusqu'a I'origine pour trouver un solide allegement. Que si
nous suivons ce precepte et que nous envisagions cet eve-
1. Oratoixe : hien consolant.
2. Ces quatre premiers paragraphes out ete omis par Port- Royal,
( ch. XXX, pensees sur la mort), et la premiere phrase du cinquieme est
ainsi modifiee et arrangee pour former le commencement de tout le
chapitre : Qitand nous somrnes dans I'affliction a cause de la mart de
quelque personne pour qui nous avons de Vaffcction, ou pour quelque
autre malheur qui nous arrive , nous ne devons pas chercher de la
consolation dans nous-m4mes ni dans les hommes id dans tout ce qui
estcree'j mais, etc.
3. Le Recueil de M"^ Perier: le souverain.
iU LETTRES DE PASCAL.
nement ' non pas comme un eflfet du hasard, nonpas^
comme une necessite fatale dc la nature^ non pas ^ comme
le jouet des elements et des parlies qui Gomposent I'homme
(car Dieii n'a pas abandonne ses elus an caprice et an
hasard ^), mais comme une suite indispensable, inevitable,
juste, sainte, utile au bien de I'Eglise et a I'exaltation du
nom et de la grandeur de Dieu'', d'un arret de sa provi-
dence con(^,u de toute eternite ^ pour etre execute dans la
plenitude de son temps, en telle annee, un tel jour, en
telle heure, ei\ tel lieu, en telle maniere'; et enfin tout
ce qui est arrive a ete de tout temps presgu ** et preordonne
en Dieu; si, dis-je, par un transport de grace nous consi-
derons cet accident non pas dans lui-nieme et hors de
Dieu, mais hors de lui-meme et dans j'intime de la volonte
de Dieu^j dans lu justice de son arret, dans Tordre de sa
providence qui en est la veritable cause, sans quoi il ne fut
pas arrive, par qui seuP^ il est arrive, etde la mani^re dont
il est arrive, nous adorerons dans un humble silence la
hauteur impenetrable de ses secrets j nous revererons " la
1. Port-Royal: ef que nous conside'rio/ii>- cette inort qui nom (tfflige.
2. P.-R. : ni.
3. P.-R.: ni.
4. P.-R.: au caijri<:e du hasanl.
5. P.-R. omet ces mots: utile au Inen de rEglise et a rexaltution
dit nom et de la yramleur de Dieu,
6. P.-R. omet: coneu. de toute eternite, et ^dX^Q pour 4tre execute
dam la plenitude de ^on temps, membre de phrase qui ainsi isole n'a
plus de force.
7. P.-R, omet fort mal a propos: en telle annee, en tel jour, en telle
heure, en tel lieu, en telle maniere.
8. Le Recueil de M. Perier -.present.
9. P.-U. : et dans la volonte menie de Dieu.
10. P-R. : seule, rapportaut ce mot a lapryvidenct',tandis qu'il taut
le rapporter a Vordre de so proviilener.
11. P.-R. : nous venerei-ons.., oxprey.siou moius juste paiccqu'elle ne
LETTRES DE PASCAL. UH
saintett^ de ses arrets; nous benirons la conduite de la Pro-
videncBj et unissant notre volonte a celle de Dieu meme ,
nous voudrons avec iui, en lui et pour lui, la chose qu'il a
voulu en nous et pour nous de toute eternite.
Considerons-la * done de la sorte et pratiquons cet ensei-
gnement que j'ai appris d'un grand homme dans le temps
de notre plus grande affliction, qu'il n'y a de consolation
qu'en la verite seule. II est sans doute que Sen^ue et
Socrate n'ont rien de persuasif ^ en cette occasion. Us ont
ete sous Terreur qui a aveugle Ions les homnnes dans le
premier : ils ont tous pris la mort conime naturelle a
riiomme, et tous les discours qu'ils ont fondes sur ce faux
principe sont si futiles ^ qu'ils ne servent qu'a montrer par
leur inutilite combien Tbomme en general est foible, puis-
que les plus hautes productions des plus grands d'entre
les homines sont si basses et si pueriles.
II n'en est pas de nneme de J.-C; il n'en est pas de
meme des livres canoniques. La verite y est decouvertCj et
la consolation y est jointe aussi infailliblement qu'elle est
infailliblement separee de I'erreur. Gonsiderons done la mort
dans la verite que le Saint-Esprit nous a apprise. Nous avons
cet admirable avantage de connoitre que veritablement et
effectivement la mort est une peine du peche imposee k
Thomme pour expier son crime, ntkiessaire a I'homme pour
le purger du peche, qu'elle est la seule qui pent delivrer
Tame de la concupiscence des membres sans laquelle les
renferme pas au meme degre I'idee de craiate jointe a celle de
respect.
1. P.-R. omet considerons-la, jusqu'a il n'y a de consolation.
2. P.-R. : n'ont rien qui nous jMisse persuader et consoler dans ces
occasions.
3. P.-R, : si vains et peu solides.
416 LETTRES DE PASCAL.
saints ne vivent point en ce monde. Nous sgavons que la
vie des Chretiens est un sacrifice continuel^ qui ne peutetre
acheve que par la mort. Nous sgavons que J.-G. etant au
monde s'est considere et s'est offert a Dieu comme un holo-
causte et une veritable victime^ que sa naissance, sa vie, sa
mortj sa resurrection, son ascension^ et sa presence dans
Teucharistie^ et sa seance eternelle a la dextre ' n'est qu'un
seul et unique sacrifice ". Nous scavons que ce qui est arrive
a J.-G. doit arriver en tous ses membres.
Considerons done la vie comme un sacrifice, et que les
accidents de la vie ne fassent d'impression dans Tesprit des
Chretiens qu'a proportion qu'ils interrompent ou qu'ils
accomplissent ce sacritice. N'appelons mal que ce qui rend
la victime de Dieu la victime du diable; mais appelons
bien ce qui rend la victime du diable en Adam victime
de Dieu, et sur cette regie examinons la nature de la
mort.
Pour cette consideration^ il faut recourir a la personne
de J.-G.; car tout ce qui est dans les hommes est abomi-
nable ^; et comme Dieu ne considere les hommes que par
le mediateur J.-G., les hommes aussi nedevroientregarder
ni les autres ni eux-memes que medialement par J.-C.
Gar "* si nous ne passons par ce milieu, nous ne trouvons
en nous que de verilables malhenrs ou des plaisirs abomi-
nables; mais si nous considerons toutes choses en J.-.G.,
nous trouverons toute consolation^ toute satisfaction, toute
edification.
1. P.-R. ; a la droite de son pere.
2. P.-R. : ne sont qu'uu seul.
3. P.-R. omet : tout ce qui est dans les hof/imes est abominable. Gar
comme Dieu...
4. P,-R. omctc«7'j et fait de ce qui suit un paragraphe a part.
LETTRES DE PASCAL. 417
Considerons done la mort en J.-C. et non pas sans J.-C.
Sans J.-C. elle est horrible, elle est detestable, et I'horreur
de la nature; en J.-C. elle est tout autre : elle est aimable,
sainte, et la joie du fidele. Tout est doux en J.-G. jusqu'a
la mort; et c'est pourquoi il a souffert et est mort pour
sanctifier la mort et les souffrances^ et que % comme Dieu
et comme homme, il a ete tout ce qu'il y a de grand et
tout ce qu'il y a d'abject, afm de sanctitier en soi toutes
choses, ote^ le peche, et pour etre le modele de toutes les
conditions.
Pour considered ce que c'est que la mort et la mort de
J.-C, il faut voir quel rang elle tient dans son sacritice
continuel et sans interruption, et pour cela remarquer que
dans les sacrifices la principale partie est la mort de I'hostie.
L' oblation et la sanctification qui precedent sont des dispo-
sitions; mais Vaccomplissement est la mort, dans laqueile,
par Taneantissement de la vie, la creature rend a Dieu tout
Thommage dont elle est capable, en s'aneantissant devant
les yeuxde sa majeste eten adorant sa souveraine existence,
qui seule existe reellement ^. II est vrai qu^il y a une autre
partie, apres la mort de Thostie , sans laquelie sa mort est
inutile; c'est I'acceptation que Dieu fait du sacrifice; c'est
ce qui est dit dans TEcriture : Et odoratus est Dominus
svavitatem ^, et Dieu a odore et recu Vodeur du sacrifice;
c'est veritablement celle-la qui couronne Toblation; mais
1. P.-R. omet^^^e.
2. P. R. : exc(?p^e le pf3ch6.
3. P.-R : assent ie II ement.
4. Pascal, qui citait probal^lement de memoire, comme on fait en
ecrivant une lettre^ ne cite pas toujours avec une parfaite rigueur
et jamais il ne marque Tendroil de TEcriture qu'il cite. P.-R. reta-
hlit le texte vrai et en indique la place : odorem suavitatis. Gen.
VIII, 21.
27
418 LFTTRES DE PASCAL.
elle est p]ut6t une action de Dieu vers la creature que de
la creature vers Dieu^ et n'empeche pas que la derniere
action de la creature ne soit la niort.
Toutes ceschoses ontete accomplies en J.- C. En entrant
au monde il s'est otfert : Obtulit semedpsum per Spiritum
Sanctum. Ingrediens mundum dixit : hos Ham noluisti;
tunc dixi : ecce venio, in capite, etc. // s'est offert par ie
Saint-Esprit. En entrant au monde il a dit : Seigneur, les
sacrifices ne te sont point agreables^ mats tu mhts donneun
corps. Lors fat dit, void q%ie ie viens pour faire, 6 Dieu!
ta volonte; et ta hi est dans Ie milieu de mon ccBur\ Voila
son oblation : la sanctification a ete immediate de son obta-
tion -. Ce sacrifice a dure toute sa vie^ et ete accompli par
sa mort. // a fallu qu'il ait passe par les souffrances pour
entrf r en sa gloire, ft, quokpi'il Jut fits dp Dieu, il a fallu
qu^ii ait appris roljeissance. Mais au jour dp. sa ckdir
ayant crie aoec grands crts a cclni qui lepoiivoit sativerde
la ynfhfty il a ete exan- e pour sa reverence ^. Et Dieu Fa res-
su^citCj et envoye sa gloire, figuree autrefois par Ie fen du
ciel qui tomboit sur les viciinies, ftour brulcr et consumer
son corps et Ie faire vivre s[.irituel ■* de la vie de la gloire.
C'est ce que J.-G. a ubtenu^ et qui a ete accompli par sa
resurrection.
1. P.-R. ach^ve les citations et change la traduction naive et vigou-
reuse de Pascal : vous, au lieu de iu : Me void: je viens pour faire, mon
Dieu^ voire volonte.,. etc.
9, P.-R. : -ndvi 1 imniidintpment ston ohIatiOK
3. P.-R. marque les eudroits de I'Ecriture et change la traduction:
ayant offert avec un grand cri et ovec tan/ics ses prieres et ses supplica-
tions Ihceliii ipii Ie pouvoit fiver de (a mort, il a ete exauce selon son
humhle respect pour son jirre. Remarquons que c'est la ti'aduction de
Saeche.
Voila la source de cet amour et la cause de sa defectuo-
site et deson ext:es. II en est de meme du desir de donii-
ner. de la paresse et des autres * : I'application en est aisee.
Yenons a notre seul sujet ^ L'horreur de la mort etoit na-
1. P.-R. omet tout le commeiicemeut de ce paragraplie^ depuis Pour
dompfer, jusipi'a D/eu a cree rhomme.
2. Bossut aveitit qifil faut ici eoas-enteiKlrc sc. Entcn&ez : nyont
rnpport ii Dira. Il y a ]jien des exemples de cette locution.
B. Bossut : n loiss-r'.
4. Bossut : et des autros r/>e.s\
5. P.-R.: Vappliriifioii I'D est oisee il fniremi avji'f de Thorreur que
nous (ii'di/s de hi rnort. Ceite horreur etoit.
I.ETTHES UE PASslAL. 423
turelle ' a Adam innocenl, parce que sa vie etant tres
agrt'uible k Dieu^ elle devnit etre agreable a riiomnie; et la
mort etoit horrible lorsqii'elle finissoit une vie conformc a
la volonte de Dieu. Depuis, rhonirae ayant peche, sa vie
est deveniie corrompue, son corps et son Ame ennemis I'un
de Tautrej et tons deux de Dieu. Get horrible changement^
ayant infecte une si sainte vie, Tamour de la vie estnean-
moins demeure, et Thorreur de la mort etant restee pa-
reille% ce qui etoit juste en Adam est injuste et criminel ^
en nous.
Voila I'origine de Thorreur de la mort et la cause de- sa
defectuosite : eclairons done Terreur de la nature par la
lumiere dc la foi.
L'horreur de la mort est naturelle, mais c'est en I'elat
d'innocence; la mort a la verile est horrible, mais c^est
quand ejle finit une vie toute pure ■'. II etoit juste de la hair
quand elle separoit une toe sninte d'un corps saint; mais
il est juste de Taimer quand elle separe une kme sainte
d'un corps impur. II etoit juste de Ja fuir quand elle rom-
poit la paix entre Tame et le corps, mais non pas quand
elle en calnie la dissension irreconciliable. Enthi^ quand
1. P.-R. : {(etoit naturelle et juste (hms: Adam innocent. » 11 n'est
pas encore ici question, de ce qu'il y a de juste ou d'injuste, mais de
ce qull y a de naturel, d'agreahle ou d'liorril.ile^ dans la mort.
2. P.-R. omet horrible.
3. Les manuscrits et P.-R. donnent/jc/m//^. Bossut a mis : la m^me
que les editions subsequentes ont reproduit.
4. P.-R. om^i criminel.
5. P.-R. a trifs-mal a propos change celte phrase : o L'horreur de la
mort est naturelle, mais c'est dans I'etat d'innorencej pnrce qu'elle
neUt pueidrer dans le parodis qu'en finissanf arie vie ton fp pure. n Kst-
ce la mort qui n'eut pu eutrer dans le paradis? ccla u'r pas do sens. On
ne comprend pas ce qu'a voulu dire ici 1 edition de 1 670, et que toutes
les editions subsequentes aient reproduit cette phrase.
V24 LKTTUKS DE PASCAL
elle affligeoit un corps innocent^ quand elle 6toit au corps
la libeite d'honorer Dieu, quand elle separoit de T^me un
corps souniis et cooperateur a ses volontes, quand elle
finissoit* tons les biens dont rhomme est capable, il etoit
juste deTabhorrer; mais quand elle (init une vie impure,
quand elle ote au corps la liberte de pecher^ quand elle
delivre I'anae d'un rebelle tres puissant et contredisant tous
les motifs de son salut, il est tres injusle d'en conserver les
memes sentiments.
Ne quittons done pas cet amour que la nature nous a
donne pour la vie, puisque nous i'avons recu de Dieu,mais
qff ce soit pour la nieme vie pour laquelle Dieu nous Ta
donne et non pas pour un objet contraire.
Et en consentant a Tamour qu'Adani avoit pour sa vie
innocente et que J.-G. meme a eue pour la sienne, por-
tons-nous a hair une vie contraire a ceUe que J.-G. a aimee
et a n'apprehender que la mort que J.-G. a apprehendeCj
qui arrive a un corps agreable a Dieu, mais non pas a
craindre une mort contraire^ qui, punissant un corps cou-
pable et purgeant un corps vicieux, nous doit donner des
sentiments tout contraires, si nous avons un peu de foi,
d'esperance et de ctiarite.
G'est un grand principe^ du cbristianisme que tout ce
qui est arrive a J.-C. doit sc passer et dans T^me et dans
le corps de chaque chretieuj que comme J.-G. a souifert
duraiU sa vie niortelle, est mort a cctte vie mortelle*, est
1. P.-R. : quand elle iteot pu arriver (\\iQ\\ separaut... quand elle
eut s6paie... eut liiii...
"1. P.-R. omet roitfra/re, qui est indi?peiisaMe.
3. P.-R : c'est u/t des gronfh princiijes du cliristianisme.
4. P.-U. ouiet ces mots : e,si mo)-t a cetie rie mortelle. Bossut les a
I'titaJjUri,
LETTHES DK PASCAL. m
l^essuscite d\ine nouveile vie, est monte aa ciel et sied a la
droite du p^re; aiiisi Je corps et rame doivent souffrir,
mourir, ressusciter, monter an ciel et seoir a la dextre '.
Toutes ces choses s'accomplissent en I'aine durant cette
vie, niais non pas dans le corps.
L'ame souffre et ineurt au peche dans la penitence et
dans le baptemo; Tame ressuscite a une nouveile vie dans
le meme bapteme ^; I'anie quitte la terre et monte au ciel
h I'heure de la mort et sied a la droite au temps oil Dieu
I'ordonne^.
Aucune de ces clioses n'arrive dans le corps durant cette
vie, mais les memes choses s'y passent ensuite. Gar a la
mort le corps meurta sa vie mortelle ; au jugement il res-
suscitera** a une nouveile vie; apresle jugement il montera
an ciel et seoira a la droite ^
Ainsi les memes choses arrivent au corps et a Tame, mais
en differents temps; et les changements du corps n'ar-
rivent que quand ceux de I'ame sont accomplis, c'est-a-dire
a rheure*^ de la mort; de sorte que la mort est le couron-
nement de la beatitude de Tame et le commencement dela
beatitude du corps.
Voila les admirables conduites de la sagesse de Dieu sur
le salut des saints; et saint Augustin nous apprend sur ce
1. v. -'R. Toaiesles editions ometienie t seoir u la dextre.
2. P.-R. : dam ces aacrements. Et enfin I'cLme.
3. P,-R. et toutes les editions d'apiea celle de 1670 : a monte au ciel
en mcnant une vie celeste, et qui fait dire a saint Paul : Conversatio
nostra in calis est. Phil. Ill, 20. » Pascal n'a pas cite saint Paul^ et
on ne pent pas dire que lame monte au ciel en nienant une vie
celeste; il aurait fallu dire qu'elle moiite au. ciel et y mene une vie
celeste.
4. P.-U. : ressuscite.
5. P.-K. ; il montera au ciel et y demeurera eternellement.
6. P,-R. : apres la mort.
42(; I.ETTRKS OK PASCAI..
sujet quo [Upu en a dispose de la sorte, de penr que si le
corps de I'homaie fut mort et ressnseite pour jamais dans
le bapteine^ on ne fut enlre dans Tobeissance de rEvangile
que par anioiir de la vie^ au lieu que la grandeur de la foi
eclatebien davantage lorsque Ton tend a rimmortalite par
les ond>res de la mort.
Voila certaineiuent quelle est notre creance et la foi que
nous professons, et je crois qu'en voila pins qu'il n'en faut
pour aider vos consolations par nics petits efforts. Je n'en-
treprendrois pas de voiis porter ce secours de mon propre;
mais comme ce ne sont que des repetitions de ce que j'ai
appriS; je le fais avec assurance^ en priant Dieu de benir
ces semences et de leur donner I'accroissement; car, sans
lui, nous ne pouvons rien faire, et ses pins salutes paroles
ne prennent point en nous, comme il Ta dit lui-menie'.
Ce n'est pas que je souliaite que vous soyez sans ressen-
timent : le coup est trop sensible ; il seroit meme insuppor-
table sans un secours surnaturel -. II n'est done pas juste
que nous soyons sans douleur% conmie les anges, qui n'ont
aucun sentiment de la nature ; mais il n'est pas juste aussi
que nous soyons sans consolation, comme des payens, qui
n'ont aiicun sentiment de la grace; mais il est juste que
nous soyons aflliges et consoles, comme Chretiens, et que
la consolation de la grace Temporte par-dessus les senti-
ments de la nature; que nous disions, comme les aputres :
1. Tout ce paragraphe est omis dans P,-R. et dans toutes les edi-
tions.
2. Cette phrasp est oniise dans les editions.
3. P.-R. : il n'est pas juste que nous soyous snn.t rc^^pntiment et
sans douleur dnns les offllctioirs et les accidents fdcheii.r qui noiis arri-
re«/ comma.. Gette phrase lauguissanle avcc ses repetitious symetri-
ques n'est assurcment pas de Pascal.
LFTTRFS DE PASCAL. 427
Nous somnies persecutes el nous benissons^ ; afin que la
gi'iicfi soil non-seulement en nous, mais victorieuse en
nous; qu'ainsi, en sanctifianl le noni de noire p6re, sa vo-
lonte soit faite la notre^ que sa grace regne el domiue sur
la naturej el que nos afflictions soient comme la niatiere
d'un sacrifice que sa grace consomnie et aneaiitisse pour la
gloire de Dieu, el que ces sacrifices particuliers honorent
et pre\iennent le sncrifice universel oil la nature enti^re
doitelre consoinmc^e par la puissance de Jt'sus-Christ,
Ainsi^ nous tirerons avaniage de nos propres imperfec-
tions, puisqu'elles serviront de matiere a cet holocanste;
car c est le but des vrais Chretiens de profiler de leurs
propres imperfections^ parce que tout coopere en bien pour
les el us.
Et si nous y prenons garde de pr^s^ nous trouverons de
grands avantages pour notre edification^ en considerant la
chose dans la verite, comme nous Tavons dtt tantot'. Gar,
puisqu'il est veritable que la niort du corps n'est que I'i-
mage de celle de i'ame, et que nous hatissons sur ce prin-
cipe qu^en cette rencontre nous avons tons les sujets pos-
sibles de bien esperer de son salul '^, il est certain que, si
nous ne pouvons arreter le cours du deplaisir % nous en
devons tirer ce profit que, puisque la mort du corps est si
terrible qu elle nous cause de tels mouvements, celle de
Tame nous en devroit bien causer de plus inconsolables.
Dieu nous a envoye la premiere; Dieu a detourne la se-
1. P.-R. omet ces muts : que nous disioris, comme les apotres, nous
sommes persecutes et nous honissons.
2. P.-R omet uecess.tiveraent : comme nous I'avons dit t;int6t.
3. P.-R. : sur ce principe que nous nvons sujet d'espe'rer du salut de
ceux dont nous pleurons la mort...
4. P.-R. : Le cours de rivtre tristesse et de notre de'plaisir.
',28 LfiTTRKS Dt^ PASCAL.
conde '. Considerons done la grandeur de nos biens dans la
grandeur d^ nos maux, et que Texces de notre douleursoit
lamesure de celui de noire joye.
11 n'y a rien qui la puisse moderer^ sinon la crainle qu'iP
ne languisse pour quelque temps dans les peines qui sont
destinees a purger le reste des peches de cette vie; et c'est
pour flechir la colere de Dieu sur lui ^ que nous devons
soigneusement nous employer.
La priere et les sacrifices sont un souverain remede a ses
peines; mais j'ai appris d'un saint homme^ dans notre
affliction % qu'une des plus solides et plus utiles charites
envers les morts, est de faire les choses qu'ils nous ordon-
neroient s'ils eloient encore au nionde, et de pratiquer les
saints avis qu'ils nous out donnes, et de nous mettre pour
eux en Fetat auquel ils nous souhaitent a present.
Par cette pratique, nous les faisons revivre en nous en
quelque sorte, puisque ce sont leurs conseiis qui sont
encore vivants et agissants en nous ; et comme les here-
siarques sont punis en I'autre vie des peches auxquels ils
out engage leurs sectateurs, dans lesquels leur venin vit
encore, ainsi les morts sont recompenses, outre leurs pro-
pres merites, pour ceux auxquels ils ont donne suite par
leurs conseiis et par leur exeniple.
Faisons-le done revivre devant Dieu en nous de tout notre
pouvoir, et consolons-nous en Tunion de nos coeurs dans
lesquels it me semble qu'il vit encore, et que notre reunion
1 . P.-R. : Dieu a envoyo la premiere a ceux que nous regrettons; nous
csjif'roiis qu'il a detouriie la seconde. Bossut et toutes les editions sub-
sequentes : 'mais nous esperons.
2. P.-R. : que U'urs vmi's ue lauguissent.
3. P.-R. : sur eu:r.
4. Ce saint homme est probaMement M. Singliu. Le conjmencement
de cette phrase est supprime dans P.-R.]
LETTRES DE PASCAL. 429
nous rende en quelque sorte sa presence, comme J.-G. se
rend presend en Tassemblee de ses fideles '.
Je prie Dieu de former et niaintenir en nous ces sen-
timents, et de continuer ceux qu'il me semble qu'il me
donne d'avoir pour vous etpour ma soeur plus de tendresse
que jamais; car il me semble que I'amour que nous avions
pour mon pere ne doit pas etre perdu pour nous, et que
nous en devons faire une refusion sur nous-memes, et que
nousdevons principalement heritor de Taffection qu'ilnous
portoit, pour nous aimer encore plus cordialemeut, s'il est
possible ^.
Je prie Dieu de nous fortifier dans ces resolutions; et sur
cette esperanccj je vous conjure d'agreer que je vous donne
un avis que vous prendriez bien sans moi, mais je ne lais-
serai pas de le faire : c'est qu'apres avoir trouve des sujets
de consolation pour sa personne, nous n'en venions pas a
manquer pour la notre par les prevoyances des besoins et
des utililes que nous aurions de sa presence-*.
G'est moi qui y suis le plus iuteresse : si je I'eusse perdu
il y a six ans, je me serois perdu; et quoique je croye en
avoir a present une necessite moins absolue , jo scais qu'il
m'auroit ete encore necessaire dix ans et utile toute ma
vie\
Mais nous devons esperer que Dieu Tayant ordonne en
tel temps, en tel lieu, en telle maniere, sans doute c'est le
plus expedient pour sa gloire et pour notre salut. Quelque
etrange que cela paroisse, je crois qu'on en doit estimer de
la sorte en tons les evenements, et que, quelque sinistres
1. Paragraphe entierement siipprime.
2. Tout ce beau paragraphe est egalement suppri:
3. Paragraphe egalement supprime.
4. Paragraphe egalement supprime.
430 LETTRES DE PASCAL.
quMls nous paroissent^ nous devons esperer que Dieu en
tirera la source de notre joye si nous lui en remettons la
conduite *.
Nous connoissons des personnes de condition qui ont
apprehende des niorts domestiques que Dieu a peut-etre
detournees a ieur priere, qui- ont ete cause ou occasion de
tant de misere qu'il seroit a souhaiter qu'ils n'eussent pas,
ete exauces^.
'* L'honime est assurement trop infirme pour pouvoir
juger sainement de la suite des choses futures. Esperons
done en DieUj et ne nous fatiguons par pour des prevoyan-
ces iadiscretes et temeraires. Hemettons-nous a Dieu pour
la conduite de nos vies, et que !e deplaisir ne soit pas do-
minant en nous.
Saint Augustin nous apprend qu'il y a dans chaque
homnie un serpent, une Eve et un Adam : le serpent sont
les sens et notre naturr^ TEve est la partie concupiscible,
et TAdani est la raison. La nature nous tente continuelle-
ment; Tappetit concupiscible desire souvent; maislepeche
n^est pas acheve si la raison ne consent.
Laissons done agir ce serpent et cette Eve, si nous ne
pouvons Tempecher; mais prions Dieu que la gr^ce fortitie
tellement notre Adam qu'il demeure victorieux, et que
J.-G. en soit vainqueur, et qu'il regne eternellement en
nous. Amen ^.
1. Paragraphs egaleiuent snpprinie.
i. Ellipse tres-fijite , mais tres-clairej pour dire: niorts detournees
qui out ete cause. .
3. Paragraplie egiUeuient supprim^.
i\. P. R. reprend ici.
5. A propos de la mort d'Etieuue Pascal, dounons ici son epitaphe
r[ue nous fournit le mauuscrit de la lUhliotliet]ue da Roi, fond^
LETTRES DE PASCAL. 431
A MADEMOISELLE DE ROANNEZ.
{Oratoire, n© 160 (3^ et 4e cahiers), avec ce titre : Extraits dequelques
lettres cle M. Pascal ou plutdt de M. de Saint-Ct/ran. — Recueil de
Marguerite Perier, p. 26, avec ce titre : Extrmts de quelques lettres
de M. Pascal a Mademoiselle de Roun/iez. Ces lettres ne soiit pas da-
tees dans nos manusciits, mais elies sont incontestaljlement de 1656
a 1657.)
r'« LETTREi.
Pour repondre a tous vos articles^ et bien ecrire malgre
mon peu de temps.
Je suis ravi de ce que vous goutez le livre deM.de La-
de rOratoire no 160, et on la main de Blaise Pascal est manifest©.
« Ci-git, etc., illnstre par son grand savoir qui a ete reconau des sa-
vants de toute I'Euiope; plus illustre encore par sa grande probite
qn'il a exeicee dans les cliaiges et les emplois dont il a ete honore;
mais Leauconp plus illustre par sa piete exemplaire. II a goute de la
bonne et de la maavaise fortune, afin qu'ii lut leconnu en tout pour ce
qu'il etoit. Ou la vu modere dans la prospurite et patient dans I'adver-
site. II a eu recoitrs a Dieu dans le malheurj et lui a rendu graces dans
le bonhfjur ?on cceur a ete tout entier a son Dieu, a sou Roi, a sa fa-
mine et a ses amis. 11 a eu du respect pour les grands et de I'amonr
pour les petits; et il a plu a Dieu de couionnei toutes les graces de la
nature, qu'il lui avoit departies, d'line grice divine qui a fait qne son
grand amour pour Dieu a ete le fondement, le soutieii et le comble de
toutes ses antres vertus.
Toi qui vols dans cet abrege la senile chose qui nous reste d'une si
belle vie, admire la fragilite de toutes les cboses presentes; pleure la
perte que nous avons faitej rends gloire a Dieu d'avoir laisse quelque
temps a la terre la jouissance de ce tresor ; et prie sa bonte de cotnbler
de sa gloire eternelle celni qu'il avoit comble ici bas de plus de graces
et de vertus que Teteudae dune ^pitaphe ne permet dV'n ecrire.
Ses enfants accables de donleur out fait poser cette epitaphe en ce
lieu, qu'ils ont composoe de rabondaiice du cffiur pour reudre bommage
a la verite et ne paroitre pas ingrats envers Dieu. «
1 . Voyez sur ces lettres Rapport, p. 145-15^,
432 LETTRES DE PASCAL.
val * et les Meditations sur la grace. Ten tire de grandes
consequences pour ce que je souhaite ^.
Je mande le detail de cette condamnation ^ qui vous
avoit effrayee; cela n'est rien du tout, Dieu merci; et c'est
un miracle de ce qu'on ne fait pas pis, puisque les enno-
n)is de la verite ont le pouvoir et la volonte de ropprimer.
Peut-etre etes-vous de celles qui meritent que Dieu ne
Tabandonne pas et ne la retire pas de la terre qui s'en est
rendue si indigne; et il est assure que vous servez TEglise
par vos prieres, si I'Eglise vous a servi par les siennes. Car
c'estTEglise qui merite avec J.-C, qui en est inseparable,
la conversion de tons ceux qui ne sont pas dans la verite;
et ce sont ensuite ces personnes converties qui secourent
la mere qui les a delivrees ''. Je loiie de toul men coeur le
petit zele que j'ai reconnu dans votre lettre pour Tunion
avec le pape ^. Le corps n'est non plus vivant sans le chef,
que le cbef sans le corps; quiconque se separe de Tun ou
de Tautre n'est plus du corps et n'appartient plus a J.-C.
Je ne syais s'il y a des personnes dans TEglise plus atta-
chees a cette unite du corps que le sont ceux que vous
appellez n6tres ". Nous sgavons que toutes les vertus, le
martyre, les austerites et toutes les bonnes oeuvres sont inu-
tiles hors de I'Eglise et de la communion du cbef de Tfiglise
1. Pseudoiiyme sous lequel ie due de Luynes a publie divers ouvra-
ges de devotion.
2. II souliaitait qu'elle entrat en religion, au lieu de se marier.
3. La condarauation de M. Arnauld.
4. Port-Royal et les editions subsequentes donnent cette pensee, de-
puiSj cest rEfjIise qui me'ritr nrpc J.-C., jusqu'a la mere qui les a
delivrees. Au lieu de : dans In verite^ Port -Royal : dans la veritable
religion.
5. P.-R. : omet cette pliiase.
6. Recueilde M. Pericr: note.^, P.-R. omet cette phrase.
LETTRES DE PASCAL. 433
qui est le pape. Je ne me separerai jamais de sa commu-
nion; au moins je prie Dieu de m'en faire la grace; sans
quoi je serois perdu pour jamais. Je vous fais une espece
de profession de foi, et je ne sgais pourquoi, mais je ne
Teffacerai pas ni ne recommencerai pas *.
M. Du Gas ^ m'a parle ce matin de votre lettre avec autant
d'etonnement et de joye qu'on en peut avoir. II ne SQait oil
vous avez pris ce qu'il m'a rapporte de vos paroles ; il m'en
a dit des choses surprenantes et qui ne me surprennent
plus tant. Je commence a m'accoutumer a vous et a la
grace que Dieu vous fait^ et neantmoins je vous avoue
qu'elle m'est toujours nouvelle en effet. Car c'est un tlux
continuel de graces que TEcriture compare a un tleuve, et
a la lumi^re que le soleil envoye incessamment liors de
soiet qui est toujours nouvelle, en sorte que s^il cessoit un
instant d'en envoyer, toutes celles qu^on auroit revues dis-
paroitroient, et on resteroit dans I'obscurite. II m'a dit
qu'il avoit commence a vous repondre et qu'il le transcriroit
pour le rendre plus lisible, et qu'en meaic temps il I'eten-
droit ; mais il vient de me Tenvoyer avec un petit billet oil
il me niandB qu'il n'a pu ni le transcrire ni Tetendre. Cela
me fait croire que cela sera mal ecrit. Je suis temoin de
son peu de loisir et du desir qu'il avoit d'en avoir pour
vous ^
Je prends part a la joye que vous donnera I'affaire des
religieuses ; car je vois bien que vous vous interessez
pour TEglise : vous lui etes bien obligee. II y a seize cents
ans qu'elle geaiit pour vous; il est temps de gemir pour
1. P.-R. omettoute cette fin : je ne me separerai jamais, etc.
2. Rec. de M. P. : Du Pas.
3. P.-R. a oniis tout ce paragraphe.
^28
434 LETTRES DE PASCAL.
elle et pour nous tous ensemble, et de lui donner tout ce
qui nous restc de vie, puisque J.- C. n'a pris la sienne que
pour la perdre poui* elle et pour nous '.
11*= LETTRE.
II me semble que vous prenez assez de part au miracle
pour vous mander que la verification en est achevee par
rfiglise ^^ comme vous le verrez par cette sentence de M.le
grand vicaire. II y a ^ si peu de personnes a qui Dieu se
fasse paroitre '' par cos coups extraordinaires, qu'on doit
bien profiler de ces occasions^ puisqu'il ne sort du secret
de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi a le
servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connoissons
avec plus de certitude. Si Dieu se decouvroit continuelle-
ment aux homnies, il n^y auroit point de nierite a le croire,
et s'il ne se decouvroit jamais, il y auroit peu de foi : luais
il se cache ordinairement, et se decouvre rarement a ceux
qu'il veut engager dans son service. Get etrange secret dans
leqnel Dieu s'est retire impenetrable a la vue des honimes,
est une grande lecon pour nons porter a la solitude, loin
de la viie des homines \ II est demcure cache sous le voile
de la nature qui nous le couvre^ jusqu'a fincarnalion; et
1. Paragraphe omis. — Aiiisi I'u tmU P.-R. a tire de cette premiere
lettie les deux § 6 et 7 du cliapitre xxviu {F''/ise'r.s i^Jtretiemws), et
Bossut a fondu ces deux paragrai lies dans le § 13 de I'article xvii.
2. Ceci doune a peu pres la date de cette lettie et la met a la fin
d'octotire ou an comme nc erne nt de iiovembre 1656.
3. Le Recueil d'Utreclit aimprimo cette lettre en commencant aces
mots : // // a si peu de /ierso/uies, jusqua la fin. P.-R. a fait de cette
lettre le § 18 du chapitte xvn.
4. Le Recneil, qui attcnue aussi le style de Pascal : se fosse con-
noitre.
5. Le Recueil omet ces mots : /oin de hi vue des hommes.
LETTRES DE PASCAL. 435
quand il a fallu qu'il ait paru, il s^est encore plus cache en
secouvrantde Thumanite. II etoit bicn plus reconnoissable
quand il etoit invisible que non pas quand il s'est rendu
visible. Rt enfin quand il a voulu acconiplir la promesse
qu'il tit a ses apotres de demeurer avec les hommes jnsques
a son dernier avenement, il a cboisi d'y deineurer dans le
plus etrange et le plus obscur secret de tons, qui sont * les
especes de FEncharislie. G'estce sacrement que saint Jean
appelle dans TApocalypse une manne cachre; et je crois
qu'Isaie le voyoit en cet etat, lorsqu'il dit en esprit de pro-
phetie : veritablewent tu '^ es tin Dieu cache. C'est la le
dernier secret oil il pent etre. Le voile de la nature qui
couvre Dieu a ete penetre par plusieurs infidelles qui,
comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la
nature visible. Les Chretiens heretiques ^ Tont connu a tra-
vers son humaniteet adorent '^ J.-C. Dieu et homme; mais
de le reconnoitre sous des especes de pain , c'est le propre
des senls catholiques : il n'y a que nous que Dieu eclaire
jusqiie-la "'.
On pent ajouter a ces considerations le secret de Tesprit
de Dieu cache encore dans TEcriture. Car il y a deux sens
parfaits, le litteral et le mystique; et les Juifs s'arretant a
I'un ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre et ne
songent pas a le chercher; de meme que les impies, voyant
les eft'ets naturels, les attribuent a la nature, sans penser
1. P.-R. ; mvoir, sous les esp.
2. Bossut : vous etes.
3. P -H. : Beaucoup de cliretieDS h.
4. Hec. de M. P. : en adorard.
5. P.-R. : Mais pour nous, nous devons nam estinwr heureux de ce
que Dien nous eclaire jusqua le reconnoitre sous les especes du pain
et du via.
436 LETTRES DE PASCAL.
qii'il y en ait un autre auteur; et^ comme les JuifSjVoyant
un homnie parfait en Jesus-Christ, n'ont pas pense a y cher-
cher une autre nature : Nous 71'avons pas pense que ce fut
lui, dit encore Isaie; et de meme enfin que les heretiques^
voyant les apparences parfaites de pain , ne pensent pas a
y chercher une autre substance.
Toutes choses couvrent quelque mystere : toutes choses
sont des voiles qui couvrent Dieu. Les Chretiens doivent les
reconnoitre en tout. Les afflictions teniporelles couvrent les
biens spirituels oil elles conduisent. Les joies teniporelles
couvrent les maux eternels qu'elies causent. Prions Dieu de
nous le faire connoifre et servir en tout, et rendons-liii des
graces infinies de ce que s'etant ' cache en toutes choses
pour les autres, il s'est decouvert en toutes choses et en
tant de manieres pour nous.
IIP LETTRE 2.
Je ne s(^ais comment vous aurez rcQu la perte de vos
lettres. Je voudrois bien que vous Teussiez prise comme il
faut. 11 est temps de commencer a juger de ce qui est bon
ou mauvais ^ par la volonte de Dieu, qui ne peut elre ni
injuste ni aveugle, et non pas par la notre propre, qui est
1. Bossut : etant cache, an lieu de s'etant cachCj qui est evidemment
la bonne lecon, puisqu'elle aiiif'ne s^est decouvert.
2. P.-R. a tire de cette lettre deux pensees : Tune qui est le § 10,
Tantre te § 11 du cbapitre xxvin. Bossut a r6uni la premiere a une
autre pensee sur les saints^ et de ces deux il a fait le § 14 de I'ar-
"ticle XVII. Le second est le § 15. Bossut a du avoir sous les yenx cette
lettre, puisqu'il en a extrait xine peasee qu'il a inser6e dans son sup-
plement, page 542.
3. P.-R. : // fautjugcr de ce qui est bon ou mauvais, jusqu'a : pleine
de malice et d'erreur.
J J
LETTRES DE PASCAL. 437
toujours pleine de malice et ^ d'erreur. Si voiis avez eu ces
sentiments, j^en serai bien content, afin que vous vous en
soyez consolee sur une raison plus solide que celle que j'ai
a vous dire, qui est que j'espere qu'elles se retrouveront :
on in'a deja apporle celle du 5; et quoique ce ne soit pas
la plus innportante, car celle de M. Du Gas Test davantage,
neantmoins cela nie fait esperer de r'avoir Tautre.
Je ne sgais pourquoi vous vous plaignez de ce que je
n'avois rien ecrit pour vous; je ne vous separe point vous
deux ^j et je songe sans cesse a Tun et a Tautre. Vous
voyez bien que nies autres lettres et encore celle-ci vous
regardent assez. En verite, je ne puis m'empecher de vous
dire que je voudrois etre infaillible dans mes jugenients;
vous ne seriez pas mal si cela etoit, car je suis bien content
de vous; inais mon jugement n'est rien; je dis cela sur la
maiiiere dont je vois que vous parlez de ce bon cordelier
persecute et de ce que fait le *. Je ne suis pas surpris de
voir M. N. s'y interesser, je suis accoulume a son zele,
mais le votre m'est tout-a-fait nouveau. G^est ce langage
nouveau que produit ordinaireraent le coeur nouveau. Je-
sus-Christ ^ a donne dans I'Evangile cette marque pour
connoitre ^ ceux qui out la foi qui est quails parleront un
langage nouveau. Eteneft'etle renouvellement des pensees
et des desirs cause celui des discours. Ce que vous dites
des jours oil vous vous etes trouvee seide et la consolation
que vous donne la lecture, sont des choses que M. N. sera
1. Rec. de M. P. : ou d'err.
2. Probab lenient son frere, le due de R., etelle.
3. P.-R. : J e'.^) I ^-Christ a donne dans rEvongUe cette marque^ jus-
qu'a la fiii de Taliuea : I'esprit nouveau de la rharite\ en retranchant
Ce que vous dites des jours.,., etc.
4. P.-R,: reconnoitre.
43S LETTRES DE PASCAL.
bien aise de s^avoir, qnand je les lui ferai voir, et ma
soeur aussi. Ce sont assurement des choses iiouvelles, niais
qu'il faut sans cesse renouvi'ler ; car cette nouveaute i qui
ne pent deplaire a Dieu, comme le vieil homme ne lui pent
plaire, est differente des nouveautes de la terra, en ce que
les choses du inondCj quelque nouvelles qu'elles soient,
vieillissent en durant, au lieu que cet esprit nouveau se re-
nouvelle d'aiilant plus qu'il dure davantage. Notre vieil
homme perit^ dit saint Paul, et se renouvelle de jour en
jour, et il ne sera parfaitement nouveau que dans Teternite
ou Ton chantera sans cesse ce cantique nouveau dont parle
David dans les psaumes de Laudes -, c'est-a-dire ce chant
qui part de I'esprit nouveau de lacharite.
Je vous dirai pour nouvelle de ce qui touche ces deux
personneSj que je vols bien que leur zele ne se refroidit
point; cela m'etonne, car il est bien plus rare de voir con-
tinuer dans la piete que d'y voir entrer. Je les ai toujours
dans I'esprit, et principalemenl celle du miracle "*, parce
qu'il y a quelque chose de plus extraordinaire, quoique
I'autre le soit aussi beaucoup et quasi sans exemple. II est
certain que les graces que Dieu fait en celte vie'' sont la
mesure de la gloire qu'il prepare en Tautre. Aussi quand
je prevois la fm et le couronnement de sonouvrage par les
commencements qui en paroissent dans les personnes de
piete, j'entre en^ une veneration qui me transit de respect
envers ceux qu'il semble avoir choisis pour ses elus. Je
1. P.-R. : CCS ni)UO(>autes.
2. P.-R. ; dans sea Psaumt.'S.
3. Sa niece Marguerite .
4. BosSLit, p. 545 : Frngment (Time lettre de Po^icaL Lev gr ikes que
Dien fait en cette vie, jusqii'a la fiu de la lettre.
5. Le Rec. dc M. P. et Bossut : dans.
3
LETT RES DE PA SCAT.. 439
vous avone qu'il me semble' quejc les vols dejk dans iin
de ces Irenes oil ceux qui aiiront tout quitte jugeront le
monde aveo J.-C, selon la promesse qu'il en a faite. Mais
qiiand je viens a penser que ces memes- personnes peuvent
toinber et ^tre au contraire au noiubre malheureux des jn-
ges, etqu'il y en aura autant qui tomberont de leur gloire
et qui laisseront prendre a d'autres par leur negligence la
couronne que Dieu leur avoit offerte^ je ne puis soufFrir
cette pensee; et PefFroi que j'aurois deles voir en cet etat
eternel de niisere^ apres les avoir imaginees avec tant de
raison dans Tautre etat, me fait detourner Fesprit de cette
idee et revenir a Dieu pour le prier de ne pas abandonner
les foibles creatures quil s'est acquises, et lui dire, pour
les deux personnes que vous s(;avez'^,ce queTEglise dit au-
jourd'hui avec saint Paul : Seigneur, achevez vous-m^me
I'ouvi'age que vous-meme avez commence. Saint Paul se
consideroit souvent en ces deux etats, et c'est ce qui lui
fait dire ailleurs : a Je chatie mon corps de peur que moi-
meme, qui convertis tant de peuples, je ne devienne re-
prouve*. » Je finis done par ces paroles de Job : fai tou-
jours craint le Seigneur comme les flots d'wne merfurieuse
et enflee pour m^englouiir, Et ailleurs : Bienheureux est
rhomme qui est toujoiirs en craintef
1. Le Rec. de M. P. et Bossut : il me paroit que...
2. Le Rec. de M. P. et Bossut omettent mdmes.
3. Bossut : et lui dire avec saint Paul : Seigneur.
4. Bossut a fait la citation entiere et substitue la traduction ordi-
naire : (( Je chatie mon corps etle r6duis en servitude, de peur qu'apres
avoir preche aux autres je ne sois repousse moi-in6me.)> II omet le
teste de la lettre.
440 LETTRES DE PASCAL.
IV^ LETTRE*.
II est bien assure qu'on ne se detache jamais sans dou-
leur. On ne sent pas son lien qiiand on suit volontairement
celui qui entraine, coninie dit saint Augnstin; mais quand
on commence a resister et a marcher en s'eloignant; on
sonffre bien ; le lien s'etend et endure toute la violence, et
ce lien estnotre propre corps qui ne se rompt qu'a la mort.
Notre Seigneur a dit que depuis la venue de Jean-Baptiste,
c'est-a-dire depuis son avenement^ dans chaque fidele, le
royauwe de Dlen soiiffre violence et que les violents (e ravis-
sent. Avant que Ton soit touche, on n'a que le poids de sa^
concupiscence qui poite a la terre. Quand Dien atlire en
haut, ces deux efforts contraires font cette violence que
Dieu seul pent faire surmonter. Mais nous pouvons tout,
dit saint Leon, avec cehii sans IcqueX nous ne pouvons rien.
II faut done se resoudre a soufTrir cette guerre toute sa vie,
car ii n'y a point ici de paix. 7.-C est vevu apporter le
couteau el non pas la paix. Mais neantmoins il faut avouer
que^ comme I'Ecriture dit que la sngesse des hommes n^est
que folie dfvant Dieu , aussi on pent dire que cette guerre
qui paroit dure aux hommes, est uue paix devant Dieu ; car
c'est cette paix que J.-G. a aussi apportee. Elle ne sera
neantmoins parfaite que quand le corps sera delruitj et
c'est ce qui fait souhaiter la mort, en souffrant neantmoins
1. P,-R. a fait de cette lettre le § 32 de Tarticle xxvm : On ne se
detache...
2. Le R. de M. P. : depuis smi avenement (h^ns le monde et par
cons(fqnent dans chaque lid.
3. Le R.deM. P.: le p. de /a c.
LETTRES DE PASCAL. 44l
de bon coeur la vie pour ramour de celui qui a souffert
pour nous et la vie et la niort, et qui peut nous donner plus
de bien que nous n'en pouvons ni deniander ni iniaginer,
comme dit saint Paul en Tfipiire de la messe d'aujour-
d^hui'.
Je ne crains plus rien pour vous, Dieu merci, et j'ai une
esperance admirable. C'est une parole bien consolante que
cellc de J,-C. : II sera donne a ceu.r qui out deja. Par cette
promesse, ceux qui ont beaucoup regu ont droit d'esperer
davantage, et ainsi ceux qui ont re^u exlraordinairement
doivent esperer extraordinairenieut. JVssaye aulant que je
puisde ne m'affliger de rien^ et de prendre toutce qui ar-
rive pour le meilleur; et je crois que cVst un devoir et
qii'on peche en ne le faisant pas. Car enfin la raison pour
laquelle les peches sont peches est seulement parce qu'ils
sent contraires a la volonte de Dieu; et ainsi Tessence du
peche consistant a avoir une volonte opposee a celle que
nous connoissons en Dieu, il est visible, ce me semble, que
quaud il nous decouvre sa volonte par les evenements, ce
seroit un peche de ne s'y pas accommoder\ J'ai appris
que tout ce qui est arrive a quelque chose d*admirable,
^ . P.- R. omet : en VEpitre de la. messe ctaujourd'hui.
2. P.-R. en a tire deux pensees, § 33 : II faut tdcher de ne s'affliger
de rien, etc., et le § 3i : Lorsque la ve'rite est abandonne'e et perse-
rute'e.
3. Ici commence I'extrait de P.-R. : // [out tdcher de ne s'affliger
de rien.
4. Ici finit le § 33 de P.-R.
442 LF.TTRES DE PASCAL.
puisquc la volonle de Dieu y est inarqneo. Je le louo de
tout mon coenr de la continuation parfaite de ses graces,
car je vols bien qu'elles ne diminnent point.
L'atfaire du ' + ne va guere bien. G'est une chose qui fait
trembler ceu\ qui ont ' de vrais mouvements de Dieii,
de voir la persecution qui se prepare, non-seulementcontre
les personnes (ce seroii pen) inais contre la verite'*. Sans
mentir, Dieu est l)ien abandonue. II me spmble quec'estuii
temps ou le service qu'on lui rend lui est bien agreable. II
vent que nous jugions de la grace par la nature; et ainsi il
permet de considerer que^ comme un prince chasse de son
pays par ses sujets a des tendressos extremes pour ceu\
qui lui demeurent fideles dans la revolte publique, de
meme il semble que Dieu cousidere avec une bonte parti-
culiere ceux qui defendent aujourd'hui ^ la purete de la re-
ligion etde la morale, qui est si fort conibattue. Mais il y a
cette difference entre les Rois de la terre et le Roi des Rois
que les princes ne rendent pas leurs sujets fideles, mais
qu'ils les trouvent tels; an lieu que Dieu ne trouve jamais
les hommes qu'infideles* et qu'il les rend fideles quand ils
le sont : de sorte qu'au lieu que les Rois ont une obligation
insigne'^ a ceux qui demeurent dans leur obeissance**, il
arrive, au contraire, que ceux qui subsistenl dans le service
1. Le R. de M. P. : L'affaire de.
2. Ici coniineiico Taiitre pensec tiree de cette lettre. P.-R. : tor.^~
que la verifc est abnndonnf^e el jiersecvfee, il si-')i}lile que ce snif im
temps oil le sem'ce quon rend n Dion, en la defendant, lui est bwu
agreable.
3. P.-R. : Ceux qni defenoupconner au nioins des habitudes tout a fait mondaines,
bien que sans dereglement.
Puisque Pascal churchait a se marier, il est assez natu-
^-el, ce senible^ qu^il ait fait attention aux femnies et recher-
che leur compagnie. II etait d'line famille depuis longtenips
inobliCj fort a son aise sans etre riche^ celebre depuis son
3nfance^ et de toutes parts lie avec ce qu'il y avait de
naieux. Son portrait est la pour nous dire quel etait son
loble visage; ses grands yeux lancaient des tlamines^;
3tdans ce temps de haute galanterie, Pascal ^ jeune, beau,
souffrant, plein de langueur et d'ardeur^ inipetueux et re-
lechi, superbe et melancolique, devait etre un personnage
nteressant au dernier point. Les plaisirs de la paix succe-
iaient aux troubles de la Fronde. Le bel esprit, la politique
3t Pamour rapprochaient tout ce qui etait distingue. Des
1 Jacqueline Pascal, p. 237, etc.
2. Ibid,^. 244.
a. Voycz radmirable portiait dc Pascal, grave par Edelinok, dans
les llommrs UJasb-ea de Perraull, t. I'^^.
DISCOUUS SUR L'AMOIJR. 483
debris de Th^tel de Rambouillet se formaient Thotel d'Al-
bret^ rhotel de Richelieu et beaucoup d'autres cercles et
reduits celebres, parmi lesquels il fatit mettre le saion de
madame de Sable a Port-Royal ^ La, de 1652 a 1654, ma-
dams de Lafayette et madame de Sevigne, madame de
Longueville;, madame de Guymene , madame de Schom-
berg, madnme de LesdiguiereSj etc. etaient ou dans Teclat
de la jeunesse ou tres belles encore et passionnees pour
la gloire en tout genre. II est tres possible que dans ce
monde d'elite, oil Pascal dcvait etre admis et recherche,
il ait rencontre une personne d'un rang plus eleve que le
sien pour laquelle il ait ressenti un vif atlrait qu'il aurait
renferme dans son coeur, Lexprimant a peine pour lui-
nienie dans le langage ardent et voile de ce discours enig-
matique. L'amour alors ne passail point pour uno faiblesse:
c'etait la marque des grands esprits et des grands coeurs.
Rien done de plus naturel que Pascal n'ait pas su ou n'ait
pas voulu se defendre d'une impression noble et tendre, et
que lui aussi^ comme Descartes, il ait aime.
Mais en verite j'ai honte de tant retenir le lecteur sur
mes propres pensees^ et je me hate de lui livrer le fragment
de Pascal', fidelement transcrit sur la copie de la Biblioth^-
que royale, .
1. Ua billet jusqu'ici iuedit de Pascal a madame de Sable (plus haut,
p. A57), prouve que Pascal fiequentait encore en 1662 la maison de
la marquise. Voyez aussi noire ouvrage intitule : Madame de Sable,
ch. lu.
484 DISCOURS SUR L'AMOUR.
«DISGOURS SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR.»
«0n I'attribue k M. Pascal. »
a L'homme est ne pour 'penser *; aussi n'est-il pas un
moment sans le faire : mais les pensees pures qui le ren-
droient heureux s'il pouvoit toujours les soutenir, le fati-
guent et Tabattent: c'est una vie unie k laquelle il ne pent
s'accommoder; il lui faut du remuement et de raction,
c'est-a-dire qu'il est necessaire qu'il soil quelquefois agite
des passions dont il sent dans son coeur des sources si vives
et si profondes.
Les passions qui sent les plus convenables a rbomme et
qui en renferment beaucoup d'autreSj sont Pamour et
Tambition , elles n'ont gueres de liaison ensemble; cepen-
dant on les allie assez sou vent; mais elles s'aftbiblissent
i'une I'autre reciproquement, pour ne pas dire qu'elles se
ruinent,
Quelque etendue d'esprit que I'on ait^ Pon n'est capable
que d'une grande passion; c'est^pourquoi, quand Pamour
et Pambition se rencontrent ensemble, elles ne sont grandes
que de la moitie de ce qu'elles seroient s'll n'y avoit que
Pune ou Pautre^. L'age ne determine point ni le commen-
cement ni la fm de ces deux passions : elles naissent des
les premieres annees, et elles subsistent bien souvent jus-
ques au tombeau. Neanmoins^ comme elles demandant
beaucoup de feu, les jeunes gens y sont plus propres, et
1. Voyez le passage analogue, Pensees^ edit, de Bossut, premiere
partie, art. 11, § 2.
2. Oil reconnait ici les habitudes de Tesprit geometrique.
DISGOUHS SUR L'AMOUU. 48S
il semble qu^elles se ralentissent avec les annees : cela est
pourtant fort rare.
La vie de rhomme est iniserablement courte : on la
compte depuis la premiere entree dans le nionde : pour
moi, je ne voudrois la compter que depuis la naissance de
la raison, et depuis qu'on commence a etre ebranle par la
raison, ce qui n'arrive pas ordinairement avant vingt ans.
Devant ce temps I'on est enfant^ et un enfant n'est pas un
homme.
Qu'une vie est heureuse quand elle commence par
Tamour et qu'elle fmit par I'ambition ! Si j'avois a en choi-
sir une, je prendroiscelle-la. Tant que Ton a du feu^, Ton
est aimable; mais ce feu s'eteint^ il se perd; alors que la
place est belle et grande pour rambition! La vie tumul-
tueuse est agreable aux grands esprits; mais ceux qui sont
niediocres n^y ont aucun plaisir : ils sont machines* par-
tout. G^est pourquoi Tamour et Tambition commengant et
finissant la vie^ on est dans Tetat le plus heureux dont la
nature humaine est capable.
A mesure que Ton a plus d'esprit, les passions sont plus
grandeSj parce que, les passions n'etant que des sentiments
et despensees qui appartiennent purement a Tesprit, quoi-
qu'elles soient occasionnees par le corps, il est visible
qu'elles ne sont plus que Tesprit m^me, et qu^ainsi elles
remplissent toute sa capacite, Je ne parle que des passions
de feu, car pour les aulres elles se melent souvent ensemble
et causent une confusion tres incommode, mais ce n'est
jamais dans ceux qui ont de Tesprit.
Dans une grande ame tout est grand.
1. Uu des mots favoris de Pascal. Voyez plus haut, page 280, ct
plusbas, page 495.
48G DISCOURS SUR L'AMOUR.
L'on demande s'il faut aimer : cela ne se doit pas de-
mander^ on le doit sentir^; l'on ne delibere pas la-dessus,
Ton y est porte, et Ton a le plaisir de se tromper quand on
consulte.
La nettele d'esprit cause aussi la nettete de la passion :
c'est pourquoi un esprit grand et net aime avec ardeur et
il voit distinctement ce qu'il aime.
II y a de deux sortes d'esprits, Tun geometrique, et
Tautre que Ton pent appeler de finesse''.
Le premier a des vues lentes, dures et inflexibles; mais
le dernier a une souplesse de pensees qu'il applique en
meme temps aux diverses parties aimables de ce qu'il
aime : des yeux ii va jusques au coeur, et par le niouvement
du dehors il connoit ce qui se passe au dedans.
Quand on a I'un et Tautre esprit tout ensemble, que
Tamour donne de plaisir! car on poss6de a la fois la force
et la flexibilite de Tespritj qui est tres necessaiie pour Telo-
quence ^ de deux personnes.
Nous naissons avec un caract^re d'amour dans nos
coeurs qui se developpe a mesure que I'esprit se perfec-
tionne, et qui nous porte a aimer ce qui nous parait beau,
sans que Ton nous ait jamais dit ce que c'est. Qui doute
apr^s cela si nous somines au monde pour autre chose que
pour aimer? En efFet, on a beau se cacher. Ton aime tou-
jours; dans les choses meine ou il semble que Ton ait
separe I'amour, il s'y trouve secretement et en cachelte, et
il n'est pas possible que Thomme puisse vivre un moment
sans cela. L'homme n'aime pas a demeurer avec soi j ce-
1. Bossut, seconae partie, ait. 17, § 5. ((Le ccBur a ses raisoiis que la
raison ne connoit pas. n
2. Boss., premiere partie, art. 10, § 2.
3. Mot evideinmeut det'ectueux dans la copie.
DTSCOURS SUR L'AMOUH. 487
pendant il aimo : il fautdoiic qu'ii rheiche aiileursdequoi
aimer. (1 ne le peut trouver que dans la braute ; mais
comme il est lui-meme la plus belle creature que Dieu ait
jamais formee^ il faut qu'il trouve dans soi-meme lo mo-
dele de cette beaute qu'il cherche au dehors. Chacun peut
en remarqner en soi-meme les premiers rayons, et selon
que Ton s'apergoit que ce qui est au dehors y convient ou
s'en eloigne, on se forme les idees du beau ou du laid sur
toutes choses. Cependant, quoique Thornme cherche de
quoi remplir le grand vuide qu'il a fait en sortant de soi-
meme, neanmoins il ne peut pas se satisfaire par toutes
sorles (robjets. II a le coeur trop vaste ; il faut au moins
que ce soit quelque chose qui lui ressemjile et qui en ap-
proche le plus pres. C'est pourquoi la beaute qui peut con-
tenter Thomme consiste non-seulementdans laconvenance,
niais aussi dans la ressemblance ' ; elle la rcsfreint et elle
Fenferme dans la difference du sexe.
La nature a si bien imprime cette verite dans nos ames
que nous trouvons cela tout dispose; il ne faut point d'art
nid'etude; il semble meme que nous ayons nne place a
remplir dans nos coeurs, et qui se remplit effectivement.
Mais on le sent mieux qu'on ne le peut dire. 11 n'y a que
ceux qui savent brouiller ^ leurs idees qui ne le voient
pas.
Quoique cette idee generale de la beaute soit gravee dans
le fond de nos ames avec des caracteres ineffacables, elle
ne laisse pas que de recevoir de ires grandes differences
dans I'application particuliere, mais c'est sculement pour
1. C'est la theorie de I'amour, telle qu'elle est exposee dans le Phedre
et dans le Banqupt de Platon.
2. Le Mss. : « brouiller et m^priser.n Et ?nppr/se>- est evidemment
line erreur du copiste.
488 DtSCOURS sun L'AMOtlK.
la maniere d'envisager ce qui plait. Car Ton ne souhaite
pas nuemeiit une beaute, mais Ton y desire mille circon-
stances qui dependent de la disposition oil I'on se trouve,
et c'est en ce sens que Ton pent dire que chacun a Torigi-
nal de sa beaute dont il cherche la copie dans le grand
monde. Neanmoins les femmes determinent souvent cet
original. Comnrie elles ont un empire absolu sur Fesprit des
hommes^ elles y depeignent ou les parties des beautes
qu'elles ont ou celles qu'elles estiment, et elles ajoutent
par ce nioyen ce qui leur plait a cette beaute radicale.
C'est pourquoi il y a un si^cle pour les blondes^ un autre
pour les brunes, et le partage qu'il y a entre les femmes
sur Vestime des unes ou des autres fait aussi le partage
entre les hommes dans un meme temps sur les unes et les
autres.
La mode meme et les pays reglent souvent ce que Ton
appelle la beaute. C'est une chose etrange que la coutume*
se niele si fort de nos passions. Cela n'empeche pas que
chacun n'ait son idee de beaute sur laquelle il juge des
autres et a laquelle il les rapporte; c'est sur ce principe
qu'un amant trouve sa maitresse plus belle et qu'il la pro-
pose comme exemple.
La beaute est partagee en mille differentes manieres. Le
sujet le plus propre pour la soutenir, c'est une femme;
quand elle a de I'esprit^ elle Tanime et la releve merveil-
leusement. Si une femme veut plaire,, et qu'elle possede
les avantages de la beaute ou du moins une partie^ elle y
1. Voyez dans les Peusees tons les passages analogues sur la force de
la mode et de la coutume. Premiere partie, art. 9, § 5. ((Comme la
mode fait Tagrement, ainsi fait-elle la justice. »> Aussi je lis coutume
tiu lieu de Constance que donne la copie,
brSCOURS gUR L'AMOUR. m
feussira; efc meme si !es hommes y prenoient tant soil peu
garde, quoiqirelle n'y t^chat pointy elle s'en feroit aimer.
II y a une place d'attente dans leur coeur : elle s'y loge-
roit.
L'homtne est ne pour le plaisir : 11 le sent, il n'en faut
point d'autre preuve. II suit done sa raison en se donnant
au plaisir. Mais bien souvent il sent la passion dans son
coeur sans savoir par oil elle a commence.
Un plaisir vrai ou faux peut remplir egalement Tesprit.
Car, qu'importe que ce plaisir soil faux, pourvu que Ton
soit persuade qu'il est vrai?
A force de parler d^'amour, on devient amoureux : il n'y
a rien si aise : c'est la passion la plus naturelle a Thomme.
L'amour n'a point d'age : il est toujours naissant. Les
poetes nousl'ont dit; c'est pour cela qu'ils nous le repre-
sentent comme un enfant. Mais sans lui rien demander',
nous le sentons.
L'amour donne de I'esprit, et il se soutient par Tesprit.
II faut de Tadresse pour aimer. L^on epuise tous les jours
les manieres de plaire : cependant il faut plaire et Ton
plait.
Nous avons une source d'araour-propre qui nous repre-
sente a nous-memes comme pouvant remplir plusieurs
places au dehors : c'est ce qui est cause que nous sommes
bien aises d'etre aimes. Comme on le souhaite avec ardeur^
on le remarque bien vite^, et on le reconnoit dans les yeux
de la personne qui aime. Car les yeux sont les interpretes
du coeur : mais il n'y a que celui qui y a interet qui entend
leur langage.
Uhomme seul est quelque chose d'imparfait; il faut
J. Sic.
490 DISCOURS SUU L'AMOUR.
qu'il troiive un second pour etre lieureux. Tl le cherche
bien souvenl dans Tegalite de la condition, a cause que la
liberte et que Toccasion de se manifester s'y rencontrent
pins aisenient. Neanmoins Ton va quelquefois bien au-des-
sus', et Ton sent le feu s'agrandir, quoiqu'on n'ose pas le
dire a celle qui I'a cause.
Quand on aime une dame sans egalite de condition, I'am-
bition pent accompagner le commencement de Vamour;
mais en pen de temps il devient le maitre. C'est un tyran
qui ne souifre point de compagnon : il veut etre seul ; il
faut que toiitesles passions ploient etlui obeissent.
Une haute amitie reniplit bien mienx qu^me commune
et egale le coeur de Thomme, et les petites choses flottent
dans sa capacite; il n'y a que les grandes qui s'y arretent et
qui y demeurent.
L'on ecrit souvent des choses que Ton ne prouve qu'en
obligeant tout le monde a faire reflexion sur soi-nieme et
a trouver la verite dont on parle. C'est en cela que con-
siste '^ la force des preuves de ce que je dis.
Quand un homme est delicat en quelque endroit de son
esprit, il Test en amour. Car, comme il doit etre ebranle
par quelque objet qui esthors de lui, sil y a quelque chose
qui repugne a ses idees, il s'en apergoit et il le fuit. La
regie de cette delicatesse depend d'une raison pure, noble
et sublime. Ainsi, l'on se peut croire dt-licat sans qu'on le
soit effectivcment, et les autres ont droit de nous condam-
ner; au lieu que pour la bcante, chacun a sa regie souve-
raine etindependante de celle des autres. Neanmoins, entre
1. Faire attention a ce paragraplie et aux d-Hix qui ?iiivent, consacres
au charme et a la puissatice des liantes amitiL^s.
2. C'est en cela aussi que consistaient la logique et la rlietorique
de Pascal.
DTSCOUUS SLIK I.'AMOUH. 491
elre delicat et ne Fetre point du font, il faut denieurer
d'accord que, quand on souhaite d'etre delicat, Ton n'est
pas loin de I'etre absolument.
Les femnies ainient aaperci'voir line delicatesse dans les
liommes, et c'est, ce me semble, I'cndroit le plus tendre
pour lesgagner. L'on est aise de voir que mille autres sont
meppisables et qu'il n'y a que nous d'estimables.
Les quaiites d'esprit ne s'acquierent point par I'habi-
tude ; on les perfectionne seulement. De la, il est aise de
voir que la delicatesse est un don de nature et non pas une
acquisition de Tart.
A inesure que Ton a plus d'esprit ', Tun trouve plus de
beautes originales; mais il ne faut pas etre amoureux, car
quand Ton aime Ton n*en trouve qu'une.
Ne semble-t-il pas qu'autant de fois qu'une femme sort
d'elle-menie pour se caracteriser dans le c(rur des autres,
elle fait une place vuide pour les autres dans le sien? Ge-
pendant j'en counois qui disent que cela n'est pas vrai.
Oseroit-on appeler cela injusiice? 11 est iiaturel de rendre
autant qu'on a pris.
L'attachement a une nieme pensee fatigue et mine Tes-
prit de Thomme. C'est pourquoi pour la solidite et la -
du plaisir de raniour, il faut quelquefois
ne pas savoir que Ton ainie ; et ce n'est pas comniettre une
infideiite, car Ton n'en aime pas d'autre; c'est reprendre
des forces pour mieux aimer.' Cela se fait sans que Ton y
pense ; Tesprit s'y porte de soi-meme; la nature le veut,
elle le commande. II faut pourtant avouer que c'est une
miserable suite de la nature humaine, et que Ton seroit
1- Boss., premii're partie, art. 10, § 1 . « A inesure qu'on a plus d'es-
prit, on trouve plus d'hommes originaux. »
2. Sic. II y a un^iot omis dans la copie, difre'e, dowenr.
!M DtSCOUftS SOU L^AMOllU.
plus heureux, si I'oii n*etoit point oblige cle changer de
pensee j mais il n'y a point de remede.
Le plaisir d'aimer, sans Toser dire,, a ses peines, mais
aussi il a ses douceurs. Dans quel transport n'est-on point
de former toutes ses actions dans la vue de plaire a une
personne que Ton estime infiniment! L'on s'etudie tons les
jours pour trouver le moyen de se decouvrir^et Von y em-
ploie autant de temps que si I'on devoit entretenir celle
que Ton aime. Les yeux s'allument et s'eteignent dans un
meme moment; et quoique Ton ne voie pas manifestement
que celle qui cause tout ce desordre y prenne garde, Ton
a neanmoins la satisfaction de sentir tons ces remuements
pour une personne qui le merite si bien. L'on voudroit
avoir cent langues pour le faire connoitre : car coinme Ton
ne peut pas se servir de la parole^ Ton est oblige de se re-
duire a Teloquence d'action.
Jusques la on a toujours de la joiCj et I'on est dans une
assez grande occupation ; ainsi Ton est heureux. Gar le
secret d'entretenir toujours une passion^ c'est de ne pas
laisser naitre auciin vuide dans Tespritj en Tobligeant de
s'appliquer sans cesse a ce qui le touche si agreablement.
Mais quand il est dans Telat que je viens de dire '^ il n'y
peut pas durer longtemps, a cause qu'etant seul acteur dans
une passion oii il en faut necessairement deux, ilest diffi-
cile qu'ii n'epuise bientot tous les mouvements dont il est
agite.
Quoique ce soit une mi^me passion^ il faut de la nou-
veaute; Tesprit s'y plait, et qui sait '^ la procurer sait se
faire aimer.
1. Le Mss. : dire, et aa-dessus rh'crire.
2. Le Mss. se la p.
DISCOURS SOR L'AMOUR. 493
Apr^s avoir fait ce chemin^ cette plenitude quelquefois
diminue ; et ne recevant point de secours du cote de la
source, Von decline miserablement^ et les passions enne-
mies se saisissent d'un coeur qu'elles dechirent en mille
morceaux. Neanmoins un rayon d'esperance, si has que
Ton soit,'releve aussi haut qu'on etoit auparavant. G'est quel-
quefois un jeu auquel les dames se plaisent; mais quelque-
fois en faisant semblant d'avoir compassion, elles I'ont tout
de bon : que Ton est heureux quand cela arrive M
Un amour ferme et solide conmience loujoiirs par Telo-
quence d'action : les yeux y ont la meilleure part. Nean-
moins il faut deviner^ mais bien deviner.
Quand deux personnes sont de meme sentiment, elles ne
devinent point, ou du moins il y en a une qui devine ce
ce que veut dire TautrC; sans que cette autre I'entende ou
qu'il ose Ventendre.
Quand nous aimons^ nous paraissons a nous-memes tout
autres que nous n'etions auparavant. Ainsi nous ' imagi-
nons que tout le monde s'en aperc-oit; cependant il n'y a
rien de si faux, Mais parce que la raison a sa vue bornee
par la passion. Ton ne pent s'assurer, et Ton est toujours
dans la defiance.
Quand Ton aime, on se persuade que Ton decouvriroit la
passion d'un autre : ainsi Ton a peur.
Tant plus le chemin est long dans I'amour, tant plus un
esprit delicat sent de plaisir.
II y a de certains esprits a qui il faut donner longtemps
des esperances, et ce sont les delicats. II y en a d'autres
qui ne peuvent pas resister longtcmps aux difficultes, et ce
1. Cette exclamation ne part-elle pas du ccEur, et n'exprime-t-elle
rien de personnel?
494 DISCOURS SIR L'AMOCR.
sont les plus grossiers. Les premiers aiment plus longtemps
et avec plus d'agrement; les autres aiment plus vile^ avec
plus de liberte, etfinissent bient6t,
Le premier eiFet de Tamour c'est d'inspirer un grand
respect : Ton a de la veneration pour ce que Ton aime. 11
est bien juste j on ne reconnoit rien au monde de grand
comme cela.
Les auteurs ne nous peuvent pas bien dire les mouve-
ments de Taniour de leurs heros; il faudroit quails fussent
heros eux-memes.
L'egarement a aimer en divers endroits est aussi mons-
trueux que I'injustice dansTesprit.
En amour, un silence vaut mieux qu^un langage. 11 est
bon d'etre interdit ; il y a une eloquence de silence qui
penetre plus que la langue ne saurait faire. Qu'un amant
persuade bien sa maitresse quand il est interdit, et que
d'aiileurs il a de Tesprit ! Quelque vivacite que Ton ait, il
estboUj dans certaines rencontres, qu'elle s'eteigne. Tout
cela se passe sans regie et sans reflexioUj et quand I'esprit
le faitj il n'y pensoit pas auparavant ; c'est par necessite
que cela arrive.
L'on adore souvent ce qui ne croit pas etre adore, et Ton
ne laisse pas de lui garder une fidelite inviolable, quoiqu'il
u'en sache rien : mais il taut que Taniour soil bien fin et
bien pur.
Nous connoissons Tesprit deshommes, et par consequent
leurs passions, par la comparaison que nous faisons de
nous-memes avec les autres. Je suis de Tavis de celui qui
disoit que dans Tamour on oublioit sa fortune, ses parents
et ses amis : les grandes amities vont jusques la.
Ce qui fait que Ton va si loin dans Tamour, c'est que
Ton ne songe pas que Ton a besoin d'autre chose que de
DISCOURS SUR L'AiMOUR. 49S
ce que Ton aime. L'esprit est plein : il n'y a plus de place
pour le soil! ni pour rinquietude. La passion ne peul pas
6tre sans exces : de la vient que Ton ne se soucie plus de
ce que dit le nionde, que Ton salt deja ne devoir pas con-
damner notre conduite^ puisqu'elle vient de la raison. II y
a una plenitude de passion , il ne peut pas y avoir un com-
mencement de reflexion.
Ce n'est point un effet de la coutume i, c'est une oblij^a-
tion de la nature que les hommes fassent les avances pour
gagner Tamitie des dames.
Get oubli que cause Tamour et cet attacbeinent a ce que
Ton aime fait naitre des qualites que I'on n'avoit pas
auparavant; Ton devient magnitique sans Tavoir jamais
ete. Un avaricieux meme qui aime devient liberal, et il ne
se souvient pas d'avoir jamais eii une habitude opposee.
L'on en voit la raison en considirant qu'il y a des pas-
sions qui resserrent Tame et qui la rendent inmiobile, et
qu'il y en a qui Tagrandissent et la font repandre an
dehors.
L'on a ote mal a propos le nom de raison a Tamour^ et on
les a opposes sans un bon fondcment; car I'amoup et la
raison n'est qu'une meme chose : c'est une precipitation
de pensees qui se porte d'un cote sans bien examiner tout,
mais c'est toujours une raison, et Ton ne doit el on ne peut
pas souhaiter que ce soit autrement, car nous serious des
machines tres desagreables. N'excluons done point la rai-
son de l^amour, puisqu^elle en est inseparable. Les poetes
n'ont done pas de raison de nous peindre Tamour comme
un aveugle. II faut lui 6ter son bandeau et lui rendre de-
sormais la jouissanqe de ses yeux.
1. La copie a, toujours -constance comme plus haul.
*9S DISCOURS SUR L'AMOUR.
Les 4mes propres a I'amour demandent une vie d'action
qui eclate en ^venements nouveaux. Gomme le dedans est
en ' mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, etcette
maniere de vivre est un merveilleux acheminement a la
passion. C'est de la que ceux de la cour sent mieux recus
dans Tamour que ceux de la ville, parce que les uns sont
tout de feu et que les autres menent une vie dont I'unifor-
mite n'a rien qui frappe. La vie de tempete surprend,
frappe et penetre.
II semble que I'on ait toute une autre ame quand on
aime que quand on n'aime pas; on s'eleve par cette pas-
sion et on devient toute grandeur ; il faut done que le reste
ait proportion, autrement cela ne convient pas^ et partant
cela est desagreable.
L'agreable et le beau n'est que la meme chose; tout le
monde en a Tidee; c'est d'une beaute morale que j'entends
parler, qui consiste dans les paroles et dans les actions
de dehors. L'on a bien une regie pour devenir agreable;
cependant la disposition du corps y est necessaire^ mais
elle ne se peut acquerir. Les hommes out pris plaisir k &e
former une idee de I'agreable si elevee que personne n'y
peut atteindre. Jugeons-en mieux ^ et disons que ce n'est
que le naturel avec une facilite et une vivacite d'esprit qui
surprennent. Dans Tamour ces deux qualites sont neces-
saires : il ne faut rien de force, et cependant il ne faut rien
de lenteur. L'habitude donne le reste.
Le respect et Tamour doiveut etre si bien proportionnes
qu'ils se soutiennent sans que le respect etouffe raniour.
Les grandes ^nies ne sont pas celles qui ainient le plus
souvent; c'est d'un amour violent que je parte. II faut une
1. La copie : est mouvement.
DISCOURS SUR L'AMOUR. 497
inondation de passion pour les ebranler et pour les remplir.
Mais quand elles commencent a aimer, elles ainient beau-
coup mieux,
L'on dit qu'il y a des nations plus amoureuses les unes
que les autres. Ge n'est pas bien parler, ou du moins cela
n'estpas vrai en tous sens. L'an)our ne consistant que dans
un attachement de pensee, il est certain quMl doit ^tre le
meme par toute la terre. II est vrai que se determinant
autre part que dans la pensee, le climat peut ajouter quel-
que chose, mais ce n est que dans le corps.
II est de Tamour comme du bon sens. Comme Ton croit
avoir autant d'esprit qu'un autre, on croit aussi aimer de
meme. Neanmoins quand on a plus de vue, Ton aime
jusques aux moindres choses, ce qui n^est pas possible aux
autres. II faut etre bien fin pour remarquer cette diffe-
rence.
L'on ne peut presque faire semblant d'aimer que Ton ne
soit bien pres d'etre amant, ou du moins que Ton n'aime
en quelque endroit; car il faut avoir I'esprit et la pensee de
Tamour pour ce semblant. Etle moyen de bien parler sans
cela? La verite des passions ne se deguise pas si aisement
que les verites serieuses.
II faut du feu, de Tactivite, et un feu d'esprit nature! et
prompt pour la premiere; les autres se cachent avec la
lenteur et la souplesse, ce qui est plus aise de faire.
Quand on est loin de ce que Ton aime, Ton prend la reso-
lutioii de faire et de dire beaucoup de choses; mais quand
on est presj on est irresolu. D'oii vient cela? cVst que quand
on est loin , la raison n'est pas si ebranlee : mais elle Test
etrangement en la presence de I'objet. Or, pour la resolu-
tion, il faut de la fermete qui est ruinee par I'ebranlement.
Dans Tamour, on n'ose hasarder parce que Ton craint de
32
A98 DISCOURS SUR L'AMOUR.
tout perdre : il faut pourtant avancer. Mais qui peut dire
jusques ou? L'on tremble toujours jusques a ce que Ton
ait trouve ce point. La prudence ne fait rien pour s'y
maintenir quand on Va trouve.
II n'y a rien de si embarrassant que d'etre amant et de
voir quelque chose en sa faveur sans Toser croire. L'on est
egalement combattu de Tesperance et de la crainte : niais
enfin la derniere deviant victorieuse de Tautre.
Quand on ainie fortement, c'est toujours une nouveaute
de voir la personne ainiee. Apres un moment d'absence,
on la trouve de manque dans son coeur. Quelle joie de la
retrouver! On sent aussitot une cessation d'inquietude.
II faut pourtant que cet amour soit deja bien avance; car
quand il est naissant et que Ton n'a fait aucun progres^ Ton
sent bien une cessation d'inquietude, mais il en survient
d'autres.
Quoique les maux se succedent ainsi les uns aux autres,
on ne laisse pas de souhaiter la presence de sa maitresse
par i'esperance de moins soutfrir. Cependant, quand on la
voit on croit souffrir plus qu'auparavant. Les maux passes
ne frappent plus : les presents touchent, et c'est ^ sur ce
qui louche que Ton juge.
Un amant dans cet etat n'est-il pas digne de compassion ? »
POST-SGRIPTUM AU FRAGMENT DE PASCAL SUR L'AMOUR.
Au milieu de I'admiration generale qu'excita ce fragment
d^s son apparition^ et parmi les remerciments qui nous
furent adresses des cotes les plus differents par les amis de
notre grande litterature, il s'est rencontre de saints person-
1. La oopie a passe cest.
DISCOUKS SUR L'AMOUR. /.99
nages qui, prenant Tepouvante au seul nom d'aniour, sans
craindre de rappeler un des heros de Moliere, mais bieii
sCirs de complaire a des inimilies trop connues^ nous ont
charitablennent accuse de faire de Pascal un mauvais sujet,
parce que nous prouvions sans replique qu'il avait du con-
naitre Tamour pour Texprimer de la sorte. Gette pieuse
calomnie paraissait a peine qu'en oieme temps et comme a
poiiit nomme M. Gonod mettait au jour les agreables et cu-
rieux memoires de Flechier sur son sejour a Clermont
pendant les annees 1665 et 1666. Or, dans ces memoires, a
roccasioii d'une demoiselle^ qui elait la Sapho du pays, se
trouvent les lignes suivantes^ : « Gette demoiselle etoitaimee
par tout ce qu'il y avoit de beaux esprits. Les esprits ont
leurs liaisons qui font bien souvent celles du corps. M. Pas-
cal, qui s'est depuis acquis tant de reputation^ et un autre
savantj etoient continuellement aupres de cette belle sa-
vtinte. Gelui-ci (il s'agit d'un troisieme amoureux) crut qu'il
devoit 6tre de la partie, et qu'on ne pouvoit passer pour bel-
esprit qu'en airaant una dame qui en avoit^ et qui eloit
aimee par des gens qui passoient pour en avoir. 11 prenoit
done le temps que ses deux rivaux n'etoient plus aupres
d'elle, et venoit faire sa cour apres qu'ils avoient fait la
leur, croy ant qu'il ne falloit jamais laisser une belle sans
galant, et lui donner le temps de respirer en repos.» Ainsi
parte Flechier, sur un ton qui ferait fremir aujourd'hui nos
devots a la mode. M. Gonod pretend qu'il ne pent etre ici
question de Tauteur des Provinciafes et des Pensees ; et ii
en donne cette seule raison que Pascal ne a Glermont, et
qui Pavait quitte de bonne heure, n'y est vraisemblable-
ment revenu qu'en 1660^ lorsqu'il etait presque mourant
1. Page 87.
500 DISCOURS SUR L'AMOUR.
et ne pensait plus qu'a Dieu. II est vrai que Pascal est alle
a Clermont en 1660; inais oil done est I'invraisemblance
qu'auparavant aussi, comme son pere fitienne et comme sa
soeui' Jacqueline, il soit alle faire visite a Clermont a sa soeur
madanae Perier? Ensuite quel serait cet autre Pascal qui
depiiis s'est acquis tnnt de reputation? De toute la fa-
milies apr^s le fils devenu depuis si illustre, le pere seul est
un peu connu comme savant. Mais, dans ce cas, les bruits
recueillis par Flechier remonteraient a un demi-siecle,
avant le manage d'Etienne Pascal, qui est de 1618' : c'est
bien assez d'accorder a ces bruits dix ou donze ans, et
meme le grand nom de Pascal etait seul capable de lessou-
tenir jusqu'au voyage de Flechier. Celui-ci d'aiileurs a du
se faire repeter plus d'une fois une chose aussi surprenante,
et il n'a pu vouioir interesser a faux la posterite en detour-
nant sur le Pascal celebre ce qu'on lui aurait dit de quelque
Pascal obscur. Evidemment ces lignes ne peuvent s'appli-
quer qu'a celui qui, plus tard, ecrivit les Provinciale-ietles
Pensees, Si donc^ a Clermont, Pascal a pu etre sensible a
I'esprit et a la beaute, quelle merveille qu'il Tait ete, et
plus serieusement, a Paris, dans les cercles brillants qu'il
frequentait ?
Maintenant s'est-il arrete a la fleur de ce perilleux sen-
timent, et sur le bord de la galanterie, comme dirait Fle-
chier, ou. avec son humeur bouilla^ile, a-t-il ete plus loin^
sansdereglement? Enfin, parmi tant de femmes du grand
monde, qu'il rencontrait chez madame de Sable etailleurSj
laquelle toucha ce coeur si ardent et si tier? Qui le salt au-
jourd'hui et qui pent ledire? Disons seulement, mais disons
bien haut, a I'honneur de Pascal, que nulle part on ne
3. Voyez plushautjp. 312.
DI9C0URS SUK L'AMOUH. jol
trouve le moindre indice sur lequel il soit permis de suppo-
ser que jamais il ait leve les yeux sur la soeur de son ami,
la sa3ur d'un due et pair, mademoiselle de Roannez, alors
toute jeune, et reservee a Dieu ou aux partis les plus con-
siderables ' . Pascal en prit soin comme d'une ame precieuse
et fragile qu'il disputait au monde etgardait a Port-Royal.
Toute autre hypothese est une injure ridicule a sa loyaute
eta son bon sens.
1. Voyez plus haut, p. 1189: Mademoiselle de Roannez, ainsi que
les neuf lettres de Pascal^ p. 431, etc.
APPENDICE
Nous avons souvent cite divers manuscrits de la Biblio-
Iheque royale de Paris et d'autres bibliothequeSj comma
renfermant une foule de pieces inedites et precieuses de
Pascal ou relatives a Pascal et a sa famille. II nous a sem-
ble qii'il etait bon de donner ici une notice exacte de ces
manuscrits^ afin que les personnes qui s'interessent, pour
quelque motif que ce soit, aThistoire de Pascal et de Port-
Royal, puissent rcconnaitre et trouver aisement dans ces
recueils ce qui pent convenir a leurs etudes.
I.
Bibliotlieque royale j fonds de I'Oratoire
DESCRIPTION DU MANUSGRIT N- 160.
G'est un portefeuille in-folio divise en un certain nombre
de paquets.
Le l"paquet contient des lettres imprimees d'Arnauld et
de Nicole.
Paq. 2 et 3. Pieces imprimees.
P. 4. Extrait d'une correspondance entre I'abbe de La
Trappe, I'abbe Nicaise et Tillemont sur la mort d'Arnauld
et sur diverses autres choses.
804 APPENmCK. - MANUlsCttlTS.
P. S. Note biographique sur Arnauld.
P. 6. Leftres de Nicole et d' Arnauld h M, Perier.
P. 7. Pieces sur les miracles de la sainte Epine.
P. 8. Lettre d'une religieuse sur Thistoire d'une autre
religieuse.
P. 9. Extraits concernant Port-Royal ^ avec plnsieurs
leltres de divers personnages, des pensees et des regies sur
la vie religieuse.
P. 10. Extraits des lettres de la m^re Agnes a la soeur
sainte Euphemie. — Elles sont dans Jacqueline Pascal^ Ap-
pendice, n^ 1.
P. 11. Fourberies de Louvain.
P. 12. Alfaire du pere Saint-Ange, capucin. Nous Ta-
vons donne^ d'apres ce manuscrit, et surtout d'apres celui
de la Bibliotheque royale^ n^ 176^ sous ce titre : Un episode
DE LA VIE DE Pascal. Voyez plus haut, page 343.
P. 13. Memoires ecclesiastiques de M. I'abbe Ferrier.
P. 14. Eclaircissement sur la doctrine des deux premiers
siecles.
P. 15. Affaire de la pretendue retractation de Pascal,
avec toutes les lettres qui s'y rapportent.
P. 16. Un certain nombre de morceaux de Pascal et re-
latifs a Pascal. D'abord la lettre ecrite par Pascal a sa soeur
madanie Perier, sur la mort de leur pere, d'oii on a tire le
morceau imprime sur la mort. Le mauuscrit ajoute ces
mots : sur rorifjinal date du 17 octobre 1651, de la main
de Pascal. Voycz plus haut, p. 412. Yient ensuite la lettre
a la reine de Suede en lui olfrant la machine arithmetique ,
plus haut, p. 460; puis la relation de Marguerite Perier de
ce qu'elle a entendu dire a son oncle sur les Provinciates ;
publiee plus haut, p. 135-136.
P. 17, Diverses pieces concernaiit M. Pascal, 1*^ Extrait
MsciuimoN M UAHumm m L'oftAToiRE N« 160. ya
de VHistoiie de la Roulette. 2° Abrege de THistoire de la
pretendue retractation. S" Quelqiies details sur le diftorend
de MM. de Port-Royal et de Pascal, relativement a la signa-
ture du formulaire. 4** Divers eloges et epitaphes de Pascal.
Tout cela est connu; mais au milieu est la tin dela preface
desPenseeSy laquelle n'a point ete imprimee, ditnotrenia-
miscrit. Cette fin se terminait par la citation du portrait que
Pascal avait trace de lui-meme sur un petit papier ecrit de
sa main et trouve apr^s sa niort : faime la pauvreie, etc.
Ce portrait, qui nous a ete conserve par madame Perier
dans la vie de son fr^re, a ete depuis insere par Bossut
dansle supplement aux Pensees de Pascal, p. 535. 5** Neuf
lettres inedites attribuees a Pascal dans un premier titre,
puis a M. de Saint-Gyran dans un second : ce sont les
lettres de Pascal a mademoiselle de Roannez. Voyez plus
hauf, p. 431.
Apres toutes ces lettres, il en vient une de mademoiselle
Pascal a madame Perier^ sa soeur^ en date du 15 septembre
1647, sur une visite que Descartes avait faite a Pascal,
visite dont parte Baillet dans la vie de Descartes, seconde
partie, p. 330, d'aprfes une lettre manuscrite de Descartes
kMersenne, du 4 avril 1648. Cette lettre est dans Jacque-
line Pascal, chap, ui, p. 93.
Ce nieme paquet 17 renferme aussi des copies de plu-
sieurs lettres a Pascal ou sur Pascal, l** Une lettre de Fer-
mat a Pascal, dalee de Tolose le 29 aont 1634 : Monsieur,
nos coups four res... elle estimprimee dans Pediiion de Bos-
sut, t. IV, p. 435. 2° Une lettre de Sluze, le savant chanoine
de la cathedrale de Liege : favoue que fai grande obliga-
Hon a la gentilezza... Bossiit, ibid., p. 454. 3" Lettre de
Leibniz sur quelques manuscrits de Pascal toucbant les
sections coniques; Bossut^ t, V, p. 459; Monsieur^ vans
SOC APPENDICE. — MANUSCRITS.
m'avez oblige sensiblement... 4« Lettre de M. le premier
president Ribeyre a Pascal, de Clermont, 26 juillet 1651 :
Monsieur, je vous avoue.,. Bossut, t. IV, p. 214-. ^^ Lettre
de Sluze a Pascal, du 29 avril 1659 : Monsieur, bien que
je de^vrois passer pour imporliin... Bossut, t. V, p. 450:
6" Une lettre sans date, sans nom d'auteur, commenQant
ainsi :
« J'ai recu un tres grand contentemeut de vos lettres du 19 du mois
passe, lesquelles u/ont ete reudues il y a deux jours, et je me tiens
fort oblige a la civilite de M. Pascal, duquel si I'estime que j'en ai
pouvoit etve plus grande, elle seroit augmentee par tant de demonstra-
tions que j'en ai recues. Je vous prie done, vous qui m'avez fait la
faveur de me faire connoitre une personne si savante, de lui temoigner
le respect et I'estime que j'ai pour lui, et que, si je ne puis pas corres-
pondre avec les cffets a tant de gnices qu'il lui a plu de me faiie, je
ne manquerai pas au moins d'y satisfaire avec une bonne volonte que
j'ai vonlu vous faire connoitre presentement par la reponse que je vous
envoye a ce qu'on m'a propose. Le temps est court, mais n'esperant
pas de pouvoir,la semaine prochaine, avoif la commodite de m'appli-
quer k de semblables speculationsj je suis contraint de vous en dire
mon sentiment sur-le-champ. Il est bien vrai qu'il me deplait que
d'abord je ne sois pas du sentiment de M. Pascal touchant Tanalyse
speciose de laquelle je fais plus grand cas que lui, et j'ose dire que les
preuves que j'en ai sont si grandes que non seulement elles me per-
suadent, mais elles m'obligent d'en faire une estime bieu grande. J'a-
voue que le retour en est bien souvent difficile; mais parce que, quand
j'ai fait exactement Tanalyse, je suis aussi siir de la solution du pro-
bleme comme si je I'eusse demontre par syutbesCj je ne me soucie pas
quelquefois d'en cberclier la construction la plus aisee, me persuadant
ce qu'en une autre occasion M. Pascal dit : non est par labori prtPinJum :
mais en cela comme en tonte autre chose je laisse volontiers que cba-
cun suive son propre sentiment. Je viens au probleme des tangeants
dont on desire une plus grande explication. AussitOt qne vous me
I'envoyates... »
Cette longue lettre, qui a plus de six pages in-foL, se
termine ainsi :
« Le poiisme des anciens, a la description des sections coutques, me
semble tres joli; mais je n'ai pas le loisir de les examiner pour cette
DESCRIPTION DU MANLTSCRIT DE L'ORATOIRK X" ir.O. 507
heurf. Je conservcvai le tout pour un moilleur temps, oonmic anssi dp
voiis parler des carries, que ces Messieurs appellant maf-^nifiqiirs, des-
quels M. Pascal fait qiielqne mention dans sa lettre. J'y ajouto seule-
ment qne vous dites le vrai quand vous dites qu'il vons souvient que
je Yoiis ai pavlii autrefois des deux moyennes^ parce qa1l y a long-
temps que j'ai trouve la methods de les trouver en une infinite de
facons (j'entends par le lieu solide). Mais entre tons, ceux-la me plai-
sent davautage qui resoudent le probleme per circulum et eilips/m.
G'est ce que Je vous prie de proposer i M. Pascal, pour savoir s'il lui
est peut-etre arrive tout de menie. Je vous prie de mo donner quel-
ques nouvelles des jansenistes et molinisteSj comme aussi quelque ob-
jection qu'on fait a M. Descartes; et je voudrois savoir en quelle
eslime M. Hugenius, gentilhomme hoUandois, est aupres de ces Mes-
sieurs. II a imprime plusieurs petits livres de gnometrie, et il a de-
meur^ quelque temps a Paris. »
On ne trouve point cette lettre parmi celles de Slnze
coiTtprises dans I'edition de Bossut. U est possible qu'elle
soit de luij venant apres une lettre qui lui appartient cer-
tainement. Peut-etre aussi est-elle de Fermat^ etadresseea
Garcavi, qui avail ete collegue de Fermat au parlement de
Toulouse. On le pourrait conjecturer d'apres ces mots : il
vous souvient queje vous ai parte autrefois^ etc.; et puis^
celui qui ecrit est evidemment en province. Cependant elle
n'est pas dans les lettres frangaises de Fermat a Roberval^
Garcavi^ Mersenne^ etc., Opera mathematica D. Petri Fer-
mat, etc., in-fol. Tolosse, 1679. En tout cas il serait bon de
publier integralement cette lettre.
T Un morceau intitule : Pour M. Pascal. Le manuscrit
de la Mazarine, dont il sera parle tout a I'heure, le donne,
p. 72j sous ce titre : Poiir monfrere.
« II y a quelque temps que nous fimes voir a M. Arnauld la solution
que M. de Comiers avait denude a tons vos problemes. 11 la comprit
fort bien et la reduisit en chiffres pour les premiers problemes qui se
trouverent conformes a vos soli^tions. II n'eut pas le loisir d'en cher-
cher la demonstration; raais il en parla a un jeune bomme qui de-
meure dans la nienie uiaison que M. de ftoannez, qui a beaucoup
d'ouveiture pour la geom^tiie. Je ue sais si vous I'avez connu : il s'ap-
pelle M. le marquis de Sainte-Mesme. M. Arnauld lui proposa done
en I'air cette solution gf^nerale de M. de Comiers sans faire de figuie;
et il lui envoya le lendemain cette demonstration qui est generale, et qui
estlameme quecelle que vous nousavezenvoyee.M. Arnauld latrouva
tves belle. (Le Mss. de la Maz. s'arrete ici.) Nous lui dimes un jour
ce que nous savions de la Y6tre; mais nous ne I'avions pas sur nous,
et nous n'eumes pas le temps de Taller querir... (Suit cette demon-
stration.) M. de Gomievs ne nous a point encore rendu reponse sur ce
que nous Tavions prie par M. Toinard de reduiie en nombre les solu-
tions des propositions au particulier. »
Mentionnons encore dans le paquet 17 une lettre du
P. Pouget, pretre de rOratoire, du 25 mars 1704^ oil il
declare qu'il vient d'etre charge par I'eveque de Montpel-
lier, Colbert^ de composer pour son diocese un calechisme.
Voila done le veritable auteur du fameux catechisme de
Montpellier.
Le paquet 18 contient deux cahiers. Le premier est la
lettre de M. de Saint-Amour, de Rome^ 26 mai 1653, sur
sa mission : cette lettre doit avoir ete imprimee. Le second
cahier se compose de deux lettres inedites tres interessantes
ecrites au beau-frere de Pascal, M. Perier, conseiller a la
Cour des aides de Clermont, toutes deux datees de Paris et
del'annee 1657. Elles renferment de curieux details sur les
persecutions que subissaient les Provinciales. Malbeureu-
sement ces deux lettres ne sont pas signees. Elles ne peu-
vent etre de madame Perier, qui etait alors a Clermont
avec son mari, et dont il est question dans une de ces deux
letlres. Seraient-elies d'Etienne Perier ou de Domat? Nous
ne les avons vues nuUe part imprimees. Voici une bonne
partie de la premiere, du 2 Janvier 1057 :
«Vous perdez quelque chose de ce'que je suis accable d'occupa-
tions; car je ne puis vous ecrire si ^ouveut ni si au long que nous Ic
DESCRIPTION DU MANUSCRIT DE L'ORATOIRE No 160. 509
souhaiterions tous deux, etc Je satisfais ici en courant k trois tie
vos lettres. Je crois vous avuir mande qu'il n'y a point d'ordre du
conseil portant defense d'imprimer, mais bien ordonnance du lieute
nant civil tronipettee et africh^e. Nous nous en mocquons assez^ aussi
Men qu'on pent faire chez vous; mais cependant nous ri^^queiions ou-
veTtement impiimeurs et libraires qui ont peur et nous pour eux. Jo
crois avoir mande aussi que vous donniez les suites d'extraits; il le
faut faire au plus t6t; et pourtant il est bou de les accompagner du
second avis on quatre pieces des cures. Je vous enverrai detoutabon-
damment parte messager de lundi; je pensois Tavoir deja fait; mais
je vous proteste que j'ai taut de choses a la tete que ma memoire
oublie d'en faire passer quelques-unes jusqu'aux mains... U y a une
sanglante relation dans le proccs- verbal du cleige centre la doctrine
de Jansenius auquel ces Messieurs attribuent les propositions condam-
neeSj qu'il n'a pas entendu saint Augustin, etc., avec lettre au Roi, a
la Reine, a Son Eminence et a tous les eveques pour faire signer cet
arret si etrange. Gela sera indubitablement suivi de persecution
grande. »
Deuxienie lettre^ au meme^ de Paris^ 24 avril 1657.
« ... On a envoye ici de Louvain un extrait de la reception et publi-
cation de la buUe qu'on appelle Alexandrine dans cette Universite^
dont tous les membres etant assembles^ la Faculte de Tlieologie par la
bouche de son doyen a declare ce qui suit Les memcs lettres des
Pays-Bas portent en propres termes que cette meme declaration de la
bulle Alexandrine fait fort pen d'effet par deca_, et vraiment ne cause
qu'un mepris des constitutions apostoliques. L'efTet piincipal de deca a
Paris est tout de meme. Il y a eu des emportes qui ont fait rage en cette
publication. L'Oratoire de Saiat-Honore est la seule communaute qui a
publie cette bulle par leur predicateur de leur robe^ ce qui ne s'est pas
fait sans ordre des superieurs politiques, comma dit d'eux la nouvelle
chanson qui court la-dessus, quetant si proche du Louvre il faut en
suivre le train. Un certain abbe Lenormaud s'est aussi signale par cette
publication qull avoit remi.;e a, ditnanche dernier, avant-hier. U est
tresorier et cure de S;iint-Jac(|ues-de-rH6pital en cette ville. Il fit des
reflexions sur les principaux endndts de la bulle; et etant aux der-
niers mots qui parlent d'implorer le secours du bras seculier^ « Mes-
sieurs, je n' entends pas seiiletnent les puissances; Je nentends pas tnon
bras, mais celui de M. Jean Gtullaume (c'est le bourreau) a qui il faut
les livrer. Et on m'a assure qu'il avoit dit : Ces diahles dejansenistes;
mais j'en doute. Pour ce qui est de la declaration sanglante preparee
bio APPENDICE. — MANUSCRITS.
par M. le chancelier contre les jansenistes, qui devoit etre envoyee au
Parlement avec la buUe, elle est echoueej et a ete jetee au feu par un
de ceux qui en avoient le pouvoir. Li's jesuites se sont reduils ensuite
a faire envoyer la bulle au Parlement avec une simple letti'e de cachet
a rordiuaire. Mais cela est encore cass6, et on nous assure qu'ils en sont
reduits a uu arret da conseil, qui est la marque d'une pauvre cause
en ce temps. La justice et la fermete qui paroit encore dans le Parle-
menr leur est fort opposee et fort redoutable. U n'y anuUe apparence
que la buUe ni aucune declaration y passe^ et on doit seulement sou-
haiter que les autres Parlements se reglcnt sur celui-ci. Un conseiller
des plus considen^s a dit depuis pen a un ami que pour eux ils
n'etoient pas juges des points de foi et de doctrine, ]nais que pour des
points de fait, surtout s'agissaut de faire perdre I'lionneur ou le bien
des particLiliers, ils en pouvoient fort bien connoitre, et que pour voir si
les propositions etoient dans Jansenius ils feroient fort bien apporter la
bulle ct le livre de Jansenius sur le bureau... »
P. 19. Deux cahiers. La piece quails contiennent est
imprimee : c'est Timage de la vertu de la mere Agnes.
Enfin le p. 20 est une lettre de 1720, ecrite a monsei-
gneur rarcheveque d'Arles sur son niandement au sujet des
calamites publiques.
II.
Biijliotlieque royale, Supple'/nent francais.
DESCRIPTION DU MANUSCRIT N" 1485.
Ce manuscrit est un petit in-folio, d'une ecriture du
milieu du xviii^ siecle, portant au dos : Recueil de made-
moiselle Perrier, tome I. Sur la premiere feuiile du texte
on retrouve ce titre : Premiere partie des Memoires de ma-
demoiselle Marguerite Perier. Ceci semhle indiquer que ces
Memoires se composent de deux parlies formant deux
DESCRIPTION DU MANUSCRIT No 1485. 511
volumes, dont le second manquerait. Toutefois, il est per-
mis d'en douter, car ce recueil est complet en lui-m^me.
On pent meme dire qti'il renferme les deux parties desi-
gnees, mais elles seraient tres-inegales; car il y a d'abord
quarante-cinq pages qui se suivent; puis une nouveile pagi-
nation recommence pendant 700 pages jusqu'a la fin. Quel
~qu'il en soit de cetle conjecture, voici tout le contenu de
ce volume.
TABLE DES 45 PREiMIERES PAGES.
Pages.
Addition de M"^ Perier au necrologe de Port-Royal 1
A I'article de M. de Sacy, dans ce iiecrologe Ihid.
A Tarticle de M. Lancelot 2
A la page 61 de la preface llAd.
Declaration de M'l^ Perier au sujet de P.-R 4
M. et M*'e de Roannez. Nous I'avons imprime plus haut, p. 431 . 6
Copie d'un memoire ecrit de la main de il^'^ Marguerite Perier
sur sa famille. Nous I'avons publie plus haut^ p. 311. . . 9
Presentation du corps de M^'e Perier, par M. le cure de Saint-Jac-
ques-du-Haut-Pas^ Marcel, a M. le cur(^ de Saint-Etienne-du-
Mont, Iedimanclie27avriri687 18
Addition de M'^e Perier a ce qu'elle a deja dit de sa taute reli-
gieuse de P.-R. Jacqueline Pascal, ch. [, p. 55 21
La vie de W^ Pascal, depuis sa naissance jusqu'a Tage de
26 ans et trois mois qu'elle quitta le monde pour se faire
religieuse a P.-R., le 4 Janvier 1652. Ecrite par M"ie pe^er, sa
sceur, mere de M""^ Marguerite Perier. Elle vient de P.-R. —
Jacqueline Pascal. Ibid 25
Vers composes par ma soeur Euptiemie Pascal, religieuse de Port-
Royalj sur le miracle op6re en la personne de M"c Marguerite
P6rier, sa niece, le 24 mars 1656, le vendredi apres le troisienie
dimanche de careme, par la sainte Epine. — Jacqueline Pascal,
ch. lY, p. 278 37-45
TABLE DU RESTE DU MANUSGRIT.
Memoire sur la vie de M. Pascal, ecrit par M^'^ Marguerite Pe-
ner, sa niece. Plus haut, p. 329 1
S12 APPENDIGE. - MANUSCRITS.
Autre fait de la vie de M. Pascal. If 3
Extrait d'une lettre de la sceur Euphemie a M. Pascal, son frere.
Jacqueline Pascal, etc. 7
Lettre de M"e Pascal a M^e Perier, sa sceur, ou il est parl^ d'une
entrevuedeM. Pascal avecM. Descartes /6;V/ Ibid.
Extrait d'une letlre de MM. Louis ct Blaise Perier, a Madame
leur mere,au sujet de I'impression de la vie de M. Pascal qu'elle
avoit composee. Gitee et puliliee eii partie, plus haut, page 164. 10
Lettre de iM. d'Eteraare a M'le Perier, plus haut, p. 125, . Ibid.
Recit de ce que M^e Perier a oui dire a son oucle, parlant a quel-
ques-uns de ses amis, an sujet des Provinciales; elle avoit alors
16 aus et demi, plus liaut, p. 136 12
Extrait (copie sur I'originalj d'une lettre a M. Perier, conseiller
a la cour des aides . . /bid.
Cette lettre datee de Paris le 27 octobre 1656, est relative
aux Provinciales et aux remontrances des cures sur la
morale des jesuites. Elle est du rnenie genre que les deux
autres que nous avons citees plus haut. p. 509, etc.
« La quatorzipme est sous la presse; elle consolera les bons peres
qui jettent feu et flamme, et qui jouent de leur reste pour perdre les
amis. L'affaire des cures les incommode fort, et ils s'en prenneut
comme de tout ce qui se fait de bou contre eiix a Poit-Royal. Les cures
de Paris pensent a faire uu deuxirme avis, et de nouveaux extraits
pires que les premiers. lis s'assemhlerent hior pour cela. Geux qui sout
purs molinistes, ou inspires et gouverues par les Ijons p^res, firent rage
pour empecher ce deuxicme avis; mais pourtantil passa, et il fut re-
solu qu'on y travaillcroit. Je vous ai envoye viiigt ou \'ingt-cinq des
avis imprimes, dont il y en a, ce me semhle, dix de sign^s de la main
des deux sindics; c'a ete pour envoyer dans toutes vos villes et
doyennes ou lieux plus considerables de vos quartieis, et afiu que par
ce moyen et de vos amis I'adresse en fut faite sur les lieux aux per-
sonues les plus capables d'y bien servir; .i'attends reponse la-dessus...
Vous presserez au plutut que les cures de dela envoyent leur procu-
ration. J'ai oublie de vous mander que, ou dans les billets qui doivent
accompagner chaque paquet a vos cures, ou dans les lettres que vous
6crirez pour cela a vos counoissances, il faut leur donner avis que les
cures doivent agir en ceci avec I'ordre et la participation de jSlessieurs
les eveques des lieux on de leurs grands vicaires... Les bons peres,
par une reponse a la treizicme, que je differe a vous envoyer pour vous
DESCRIPTION DU MANUSCRTT N" 1485 513
en envoyer en meme temps la refutatiouj nieut le soiifflet de Guillc qui
cependant est indubitaLle : la seule diflicuUe est de savoiv si c'a ete
d'avant ou d'arvierc-maia. II y a uue nouvelle theologie morale d'Esco-
barjCtde nouveanx casuistes comme JlascarenhaSj Biisembaum_, etc.,
ou il y a les meilieures choses du monde pour nous... Je perds beau-
coup et nos amis de ce que les jours n'oiit que vingt-quatre heures. —
Copi6 sur ToTiginal sans uom d'aateur. »
Le manuscrit de la Bibliotheque royale, n^ 397^ qui est
de la main du Pere Guerrier^ de FOratoirej et celui de la
Mazarine qui en est une copie^renfermentaassi cette lettre
ety joignent cette note, p. 297 et 370 : « Je ne sais de
qui est cette lettre, parce qu'elle n'est pas signee et que je
ne connoispas I'ecriture. M*'^ Perier ne la connoit pas non
plus. » Cette note ne permet pas de s'arreter a la con-
jecture que ces diverses lettres soient d'Etienne Perier ou
de Domat dont la main etait bien connue du Pere Guerrier
et de M''^ Perier.
Autre lettre au meme^ de la meme epoque et sur le
meme sujet. Recueil de M"« Perier, p. l01-19iJ; manuscrit
de la Mazarine, p. 3iJ; manuscrit de la Bibliotheque inyalc,
n°397, p. 21 :
efevrier 1657.
« Voici, Monsieur, un grand regal pour vous, puisque c'est d'nne dix-
septieme qui n'est encore connue de personne du monde. On attendoit
rassemtlee du clerge a finir, mais je pense qu'on attendroit trop long-
temps. Ne la faites voir qu'a peu de gens bien assures, et ne vous en
desaisissez point; rar il n'y en a encore que dix mille de tirees, six
mille de la petite et quatre mille de I'autre, et il nous en faut encore
beaucoup, parce qu'oa rompra les formes ; aucun de nos amis ne s'y
attend, etil pouixoit y avoir quelque cliangement. »
Mais reprenons le cours de notre table des matieres.
Lettre ecrite de Suede^ 14 may iGb-l, a M. Pascal par M.Bour-
delot 13-
33
SU APPENDICE. — MANUSGRITS.
Lettre de la soeur EupL^mie Pascal a M^ne Perieij sa soeur, sur
la conversion de M. Pascal son frere. Jacqueline Pascal,
chap. iVj p. 235 J 4
De la meme k la meme sur le meme sujet, 2S juin 1655, Ibid. . 15
De ma soeur Enphemie a M. son frere. Ibid 19
Lettre de M. d'Andiliy a M. Perier, beau-frere de M. Pascal. . 20
Lettre de M. I'abbe de la Lane, abbe de Valcroissant, a M'^^ Pe-
rier, soeur de M. Pascal, sur sa raort 21
Lettre de M. d'Andiliy a M"e Perier, sur le meme sujet. . . 22
Lettre de M. Bordieu a M, Peiifr 22
Remarques du premior copiste des mauuscrits de Mii^ Perier, sur
un ecrit trouve sur M. Pascal apres sa niort 23
Petit ecrit trouve sur M. Pascal bTSqu'il mourut 24
Fraf:,'ment d'une lettre de M''^ Jacqueline Pasc.il a M™" Perier, sa
sceur, ou il est parle de sou entree en leligion, et de Topposi-
tiou iju'y avoit M. Pascal son frere. Jacqueline Pascal, ch. iv,
p. 160 25
Extraits de quelques lettres de JVl Pascal a M''^ de Roannez, plus
haut, p. 431 26
Fragment d'une lettre de M. Pascal au P. Annat. Imprime, plus
haut, p. 458 36
Extrait d'une lettre de M. Pascal a M"^^ Perier. Imprim^, plus
haut, p. 452 40
{.ettre de II. Pascal a M. le Pailleur au sujet de P. Noel, jesuite,
sur le vuide 40
Lettre de JM Pas(5al a la reine Christine de Suede, plus haut,
p. 460 56
Pens^es de M. Pascal. — Ce sont quelques pensees tirees du ma-
nuscrit autographe et que nous avous puhliees 58
Les Jesuites. Pensees tirees du manuscrit autographe, et puhliees. 72
Premiere lettre de ]\L de Biienue a M""* Perier, sur les Pe?isees
dc M. Pascal. Publie pins haut, p. 158 73
Lettre du meme a la meme sur le meme sujet. It 75
Lettre de ]\L Arnauld a M. Perier, conseiller a la cour des aides
a Clermont sur les Pensees, It 80
Lettre de M. Tillemont a M. Perier le fils, conseiller k la cour
des aides a Clermont, sur les Pensees de M. Pascal. ... 82
Lettre de M. I'eveqae de Commiuges a M. Perier, sur le meme
sujet 84
Extrait d'un manuscrit de M"« Perier, concernant la pretendue
retractation de M. Pascal el la desunion d'avec MM. de P.-R. 84
Declaration du P. Beurvier, oh. regul. de Sainte-Genevieve, cure
DESCRIPTION DU iMANUSCUlT Nt> 1485 51E>
de Saiiit-Etienne-du-Mont g9
Lettre du P. Beurrier, cure de Saint-Etienne a M^e Perier. . 90
Lettre du P. Beurrier a M. Perier le fils 91
Attestation de M. Nicole 91
Deposition de M. Nicole siir le meme sujet 92
Deposition de M. Araauld sur le meme sujet 93
Deposition de M. le duo de Rouamiez sur le meme sujet. . . 93
Deposition de M. Domat, sur le meme sujet 94
Lettre de M de Sainte-Marthe a M. Perier, Teccl^siastique, sur
le meme sujet, dticembre 1088 95
Lettre de M. Perefixe, archeveque de Paris, a M. Perier, conseiller
a la cour des aides de Clermont 96
Reponsea la pr^cedente 97
Lettre de M. Arnauld a M. Perier, a Toccasion de la precedente. 98
Lettre de M. Perier a M. Tarclieveque de Paris, au sujet de la
declaration de M. Beurrier 99
Lettre de la sce.ur sainte Euphemie Pascal a M-^^ Perier, Jac-
queline Pascal * .... 101
Lettre de la meme a M. Pascal son frere, oil elle le presse fort de
conseutir a son entree en religion, mars 1G52. li 104
Lettre de la meme au meme, lGa3. If 109
Lettre de la meme au meme, 1660. It 110
Extrait d'uue lettre de la meme au meme. It Ill
Extrait de la meme aM""*^ Purier, sa sceur. It Ill
De la meme a la meme. It 113
De la meme a la meme. It. . . 115
De la meme a la meme. It H7
De la meme a la meme. It 118
De la meme a la meme. It 120
Ecrit de Mi'*' Jacqueline Pascal sur le mystere de la mort de Jesus-
Christ. It 121
Extraits de quelques lettres de la mere Agnes Arnauld a M^^^ Pas-
cal, ecrits de la main de la dite demoiselle. It. ... , 131
Lettre de la meme a M I'ascal sur la mort de sa soeur. It. . . 137
Cinq lettres de la sceur i\ngelique de Saint-Jean Arnauld d'An-
dilly a M"»« Perier 138
De la meme a M'le Perier I'ain^e 143
De la meme a M^n^ perier sur la mort de son mart 145
De la meme, etant abbesse, sur la mort du fils de M""* Perier,
conseUler en la cour des aides 146
Lettre de M. d'Andilly a M. Perier le pere 147
Lettre de M™^ Perier a M. de Bienassis, son fils aine, sur son
lilG APPENDIGE. — MANUSGRITS.
manage .... 147
La meme a un de ses fils, Louis Perier 148
La meme a M. Perier le plus jeune (Blaise) 149
Lettre de M. Perier le fils, conseiller en la cour des aides a son
frere Louis Perier sur la signature du formulaire 150
Bu meme sur le mandement de M. PavilloUj eveque d'AletL. . 151
Lettre de la sceur Marie-Angelique-Therese Arnauld d'Andilly a
M'le P6rier 155
Deux lettres de la sceur Marie-Charlotte de Sainte-Claire Arnauld
d'Andilly a M"<= Perier la jeune 156
Dix lettres de la sceur Madeleine-Christine Briquet a M'*e perier
la jeune, depnis Janvier 1679 jiisqu'en 1682 160
Lettre de M. de la Potherie a la meme 182
Lettre de'M. de Sacy a M. Perier, beau-frere de M. Pascal. . 182
Quatre lettres du meme a M'"« Perier. ........ 184
Du meme a la meme. (Cette lettre parait etre du style de M. de
Sainte-Marthe. ) 188
De M. de Sacy a la meme 189
Anecilotes de M. de Sacy 191
Extrait d'une lettie a M. Perier le pere 19 L
Extrait d'une lettre de M. Arnauld (sur la machine de M. Pas-
cal) a M. Perier le fils, ecrite apres la mort de M. Pascal. . 192
Nous donnons ici cette lettre, parce qu'elle se rapporte
h Pascal et qu'elle n'est pas dans les lettres iniprimees
d'Arnauld :
EXTRAIT d'une LETTHE OE M. ARNAULD, LE DOCTEUR , AM. PE-
RIER LE FILS, ECRITE APRES LA MORT DE M. PASCAL.
5 Septemhre-
« ... Au reste, il y a ici un petit horloger qui, ayant vu une machine
de M. Pascal, I'a perfectionnee de telle sorte qu'elle estincomparable-
ment plus facile que celle (Je M. votre oncle, car les roues tourneut
d'un c6te et d'autre, de sorte que, sans changer les chiirres, par une
regie comme la pascaline on fait I'additiou et la mulliplication sur
les memes chift'res, II y a de plus un endroit en particulier ou on fait
tout d'un coup les multiplications et les divisions, un autre ou Ton
trouve les racines cuhiques, d'autres ou on fait les fractions : et quoi-
(|iw cette machine ait les deiiiers et les sols, et qu'elle aille jusqu'a
DESCRIPTION DO MANI'SOUIT X" l',85. bl7
Cent mille, elle est beaucoup plus pelife qu'aucune ile M. Pascal, et il
en fait meme presentenieiit une autre qui ne. sera pas plus graacle
qu'un livre in-12, oii tout cela sera. Je iie vons parle poiut par oui
dire, nous avons vu cette machine apres diner. Apres tout, noanmoins,
M. Pascal ayant ete le premier qui ait trouve de ces sortes de ma-
chines ^ quoiqu'on y puisse ajouter, it en aura toujours la principale
gloire.
Mes recommandations, s'il vous plait, a M^'^ voire mere et k toute
la famille. Je suis tout a vous^
Signe Antoine Arnauld.»
{Copie sur I'ori'ginal),
Extrait d'une lettre de MM. Louis et Blaise Perier a M"« leur
mere et a leur frere aiue. 192
Extrait d'une lettre ecrite a M. P6ricr le fils 193
Lettre de M. I'abbe Le Roy, abbe de Haute-FontainCj a M^^ Pe-
rier 194
Du meme a M. Perier le fils, conseiller 195
Du meme a Minp Perier 197
Lettre de M. de Sainte-Martbe a JSL Perier Tecclesiastique, . 198
Du meme a M'^^ Perier 201
Du meme a M. Louis Perier, pretre, qui a survecu a sa mere,
morte en 1684 202
Du meme a M. de la Chaise sur la vie de saint Louis. . . 204
Autre lettre sur le meme sujet 206
Lettre de M. Tabbe BarilloQ 207
Lettre Ecrite d'Aleth, ou Ton pcut voir quelles sout les disposi-
tions que M. Pavilion jugeoit necessaires a ceu\' qui aspirent
k Tetat ecclesiastique 208
Lettre de M. d'Aleth a im ecclesiastique de son diocese, qu'il avoit
ordonne pretre et etabli vicaire dans uue fure. 11 se plaint de
lui de ce qu'il avoit qailte son enqiloi sans le consnlter, et
s'en etoit alle dans une autre diocese sous pretexte de s'appli-
quer aux etudes 213
Copie d une lettre de Rome au sujet de la n'pcnst^ que fit M. Ar-
nauld au sieur Mallet, g. V. de Rouen 214
Lettres de M. Arnauld, le docteur, a M. P.-rirrle Ills alnc. Lonis,
k M™e sa mere, a M. Perier, conseiller I'u la conr des aides, a
I'abbe Perier; au meme sur la mort de M"ie sa nirro, a
Mi'e Jacqueline Perier, a Mi'« Perier «lb
Lettre de M. Lancelot a M. Perier le pere 238
518 APPENDIGE. — MAM'SCRITS.
Leltre de M. de Tillemont a M. Perier^ doyeOj sur la mort de
sa sceur Jacquoline Perier 240
Lettre de M. de Sanleuilj chanoiue de Saint- \"ictor a M. Ariiauld,
le docteur 240
Onze lettres de M. Nicole a M. Perier le fils^ le coiiseiller, et a
M. Perier reccl^siastique, etc 243
Memoire pour servir a Thistoire de la vie de M. Domatj avocat
du roi au pr^sidial de Clermont en Axivevgne. Jacquf.linr Pas-
cal, appendice, n" 3 268
Peiis^es de M, Domat. It 273
Lettre de M. revcqued'Altjth a M. Domat. /^ 277
Piece coulre le P. Duhamel, jesuite, par M. Domat. Jt. . . . 280
Letii-e de M. Domat a M. le prociircur general pour accompagner
le procos- verbal. It 284
Pieces concernant I'introduction des RR. PP. j^suitcs dans la
ville de Cleimont. It 289
Lettre du chapitre de la cathedrale a M. Domat. It. , . . 289
Rfqiiete presentee par les habitants de la ville de Clermont en
Auver^'ue contre les RR. PP. jesuitis. It 290
Lettres de MM. les cbanoines de la cathedrale de Clermont en
Anvergne a ceux de Lucon et de Nantes 294
Extraits de la reponse du chapitre de Nantes I't du chapitre de
Lu^/'u 295
Lettre de M. de Candale, gouverneur d'Auvergne. a MM. les con-
suls de Montferrand 29*1 .
Relation de I'^tat present du janseuisme dans la ville de Cler-
mont (fait api'aremment par un jT'Suite) en 16G1. //. . . 297
Caractrre de M^n^ de Lon^ueville. M^^^ di-: Loniueville. Intro-
duction, etc 301
Kpitaphe de M"^ de Pomponej Agre de trois mo is. . . ... 302
Eloge de M. Pascoil par AL Nicole. . • 302
Ecrit sur la conversion du pecheur. — Cost miouvrage de Pas-
cal publie par Rossut, plus haut, p, ifi? 304
Lettre de M. Pascal a M. Perier, son beau-fteie, au sujet de la
mort de AL Pascal son ppre^pahliee et coUatiomu'e. plus baut,
p. 412 308
Lettre de M. Coquebert, prieur de Sainte-Foy de Chartres a
M"« Perier sur la declaration de P. Beuvrier 321
Lettre de M. de la Poite a M. Perier. conseiller en la cour des
aydes 322
Lettre de M. Hermaiid a M"'^ de Crrvecceur 323
Disposilioas et pensoes pnir tons les jo:iis de la semaiue au le-
DFSCRIPTION DLI MANUSCHIT N" 1485. 519
gavi] dii saint Sacremeat 325
Plaintes des PP. de TOratoire do Clermont centre les j6suites de
la meoie viUe. Jacqueline Pascal. Appeudicej no 3. . . . 332
Lettre de M. de Reberguea M. Perier, le conseiller, concernant
M. Beurrier, cure de Saiat-Etifnne-du-Mont 334
Lettre deM^ie P(5rier a M. Audigiei' 330
De la meme a M. Tartiere, seigneur de la Serre 337
Lettre de M. Domat a M. Audigier 338
Relation d'un entretien de M. rarcheveqne de Paris avec M. Des-
pvez, libraire, envoyee par celui-ci li M^^e Perier . . . . 3^i0
Privilege pour la machine arithmetique de M. Pascal. . . . 346
Autre privilege pour le calendrier perpetuel de M. Perier^ con-
seilliT en la cour des aides de Clermont 349
Lettre de AL Barcos a M.*" 350
Pensees de M. deBarcos 350
Reflexions sur le Calundrier perpetnel de M. Perier, dont il est
parle ci-devant; cVst le premier copiste qui les fait. . . . 355
Copie d'une lettre de M. Lnncelot a M. Perier, doyen de Saint
Pierre, I'auteur du calendrier 355
Lettre de M. et M^i« Pascal a 11""^ Perier, leur sonir, publiee
plus haut, p412 S55
Lettre des m^mes i la meme. If 359
Lettre de M"^ Jacqueline Pascal aM. son pere. Jacqueline Pas-
cal, etc ■ 362
Lettre de M. Pascal a sa sceur Jacqueline, plus haut, p. 399. . 367
Lettre de M"e Pascal a M'"'^ Perier sa sceur. Jacqueline Pascal. . 370
Lettre de M"'^ Perier a M. Beurrier, cure de Saint-Etienne-du-
Mont. . . • 371
Lettre de M. Fermat a M. Pascal, puhliee par Bossut. ... 374
Lettre du meme au meme 37G
A M. Pascal, du meme. . . . • 376
Lettre du meme a M.*** 380
Du meme a M. Carcavi 380
Lettie de M. Huggens de Zulicliem a M. de Monville (Pascal). . 381
Lettre de M. Miton a M. Pascal, citee plus haut, p. 481. ... 383
Lettre deM. Sluze, chanoine de la cathediale de Liege, traduite
de ritalien en francois 38g
Lettre du meme au memo 38 v
Pieces concernant le proces f.iit cnntre le P. Duhamel, jesuite,
pour avoir i)rech6 pendant le caveme dans la cathedrale de Cler-
mont, touchant riurailliljilite du pape, qu'il taut ajouttr aux
pieces qui se trouvent a la page 289 de ce recueil. — Jacqueline
Pascal. App. Docvmenis inefViU sur Do, not 38?
Extmits des nomSj atjps et qualites des t6moins ou'is pour I'infor-
mationpar devant M. ]e lieutenant crimiiiel de Clermont. It. 387-
Lalettre suivaiite, qui est sans spjnp, ponrroit hien etre d'uu se-
cretaire d'litat et etre adrcs.^ce a M. Veveque de Clermont.
Extrait des rei;istres du conseil d'Etat 389
l.ettre de M. le procurour general a M. Domat If. . . . 393
Li'ttro de M. Perier ie fils a son pere, sur le sujet des sermons du
P. Maimhourg a Paris, et Lebrun, Eco?sais. a Orleans, ji'suites,
en lt;07 393
Lettre de M. Ribcyre, premier president en la conr des aides de
Clermont-Ferrand ;i M. Pascal le fils, toucbant la tbf-se qui fut
soiileiiue au college de Monlferrand le 2o juillet 1G31. Publiee
par BossLit 398
Kctpoiise de M. Pascal le fils a M. de Ribeyre. //. . . . 400
Eettie de M. Touvel a M"ie Perier 401
Eettre du meme a M™^ Peiier la mf-re 406
Letlie dc M. de Genlis, arcbeveque d'Embrun, a M. du Harlay,
arcbi'veque de Paris 409
Du meme au meme 417
Article 2:^ des Oidoniiances synodaies publioes dans le synode
teiiuaEmbrun le 1" mai 1686 . 419
Declaration des PP. jesuitps d'Einbrun 420
Extrait d'une lettre a M. Perier 420
Du meme au meme 421
Ces deux lettres ressemblpnt fort a cellos siir lesquelles
nous nous somnies un moment archie,, et nous en don-
nerons quelques passages oil il est fait allusion a Pascal et
au\ Provinciales.
A Paris, 9 mars 1637.
aC'i'Stla nqinn^e a votre ilerniere qui est du 27 fevrier. La lettre
latine, dont vnns domanflez 6 exemplaires, lait ici un bnvrible bruit, et
rcnversc presqne touies nos imprimeries. On n'entrouve iM-iint pour de
r;ii':'erit ; et Ci'lui que you? connoi:=scz diUa rue Sainl-Jneques. qai I'a
faJtc iirmriiBf'T et qui f^' le p^miI, 1;i vend 50 ^■uis piiTo. .T'oubliai a vous
on rin'n.t'r hmdi par le iv;r'i- i-cm: ie ne lonlillerai pas, Dieu merci,
lni:di... ^"oici un nnnvel ecrit qn'ou ne donnp point encore. Usi'z-iMi
avec rpsei've, je vou^ en eavoyerai un iiombre. Je suis lout a vous.
L^anteur de la premiere lettre au Pore Annat est le iiieme que celui do
la lettre latino, un rnoine que ni moi ni nos amis ne voyons jamais.
Adieu. ))
A Paris, ce 12 Janvier 1G57.
« En verity je vons plains heaucoup de dependre dans vis nouvelles
d'une personne si eiiibanassee et siaccablee que jelesuistoiijours. J'eu
ai de la doulenr Messieurs du clerge font mine, avantde linir, tie
vouloir cen^urer fortement la Morale des Cosuisles. 11 y a dix ou douze
commissaires nonimes pour cela. .. Despres m'a dit vous avoir envoye un
paquet de ce que vons Ini .lvpz demand^, par le messager de mercredi,
il y eut iivant hier Iniit jouvs. Je crois vous avoir envoye des premiers
deux avis, suite de Textrait, que vous m'aviez demande, a la reserve de
la bonne foi dcs Jansciilstcs que j'es[iore vous envoyer lundi par le
messnger, avec un livre des Pioidoijrrs de M. Le Maiire, non pas de sa
pait, car il n'en a pas donne ni u>n douneta uti seul, mais de la
niienue; je vous pvie de I'agreer... J'ai donne vos lettres a M. Paycal, et
euvoyi' le billet dernier a M. Taigni.-r. M. Pascal est en peine de ne pas
recevuir quelqucfois ses letties aussitot que si lUes ne passoicnt pas par
nies mains. Vous verrez si vous pouvez le soulager en cela; pinu- mui je
m'offre de grand cceur a les recevoir toujours, si vous et lui le trouvez
ljOii,eteuce cas je les lui envoierai toujours promptement, comme il
me semble avoir lait.
Voici une belle lettre de feu Monsieur rarclieveque de Malines; elle
vient fort a propos pour fronder la moiale des bons Peres. Elle n'a
encore point paru; Messieurs les cures la douneront demain etapres.
Je vous envoye le portrait d'Escobar; vous pourfez gagner de I'argent
a le faire voir comme une maligne bete... La dix-septieme lettre se
prepare fort; mais grand secret, s'il vons plait. ,Te suis a vous detout
men coeur. Aditu. »
Deux lettres de M. Arnauld a M. Perier . 424
Lettre de M. Dt^m.ibis a M"'« de Gaumartiu 424
Deux lettres du mcme a M'le Perier 425
Lettre du P. Sainf-Po a M°^e Pevier 427
TroJs lettres a M Perier, pretio., que Ton croit de M. Du Gue. . 428
Les deux dernipres lettres a M"^' Pevier ■ . . 434
Lettre du P. Pou^et do TOratoire a M. Perier, doypu. . . . 437
Lettre du meme P. Pouget a M"*^ Perier -^44
Leitre du R. P. dom Toutti'e, ruligieux benedictin, a M. Tabbe
Perier. Publico plus haut, p. 130 445
522 APPENDIGE. — MANUSCRITS.
Petit memoiro de I'auteur de la vie de saint Louis 44*;
Lettre 5 M. Perier 446
Du m6me an meme 447
Du meme au meme 448
Du meme au meme 449
Du meme au meme 451
Ces lettres sont du meme genre et de la meme main que
celles dont nous avons donne precedemment des extrails.
Nouvelles de Paris, 14 avril 1G57 i52
Lettre de la soeur Jacqueline de Sainte-Enphemie Pascal a
Miles Perier, ses nipces. Jacoi'elinr Pascaf., etc 454
Relation de la mort chretienne de IVP"*= la durhesse d'Orleans, par
M. Feuillet, du 27 juin lii70 457
Relation dr la mort de M. (^hardon, pretre, chanoine d'Angers, de
saiiite memoire, exile a Riom 459
Lettre de M. revecjue d'Aiigers au chapitre de S;jin*e-AmaMe, de
Riom , 466
Lettre du P. Qui^snel a M., sur la m^rt du rni Louis XIV. 466
Extrait d'une lettre do M. de Beaupuis a M. Perier le pere. . 467
Lettre du P. Quesnel a I'auteur dv la Vie de saint Louis. . . 467
Lettre de M. Aruauld au meme 469
Extrait du P. Pouget a M't« Perif^r 471
Faits liailles a M. Feveque de Toul. official et grand vicaire de
M. le cardinal de Retz, archev6que de Paris, pour Tauditiou des
ti^moins pnur la vehttcatiou du miracle de M"^ Perier. . . . 471
Attestations des niedecins et chirurgieus 472
Interrogation de Claudp Rauilran 473
Relation d'un miracln fait a Pnrt-Royal, qui ne pent etre prouve
et qui ne sert que d^ consolation particulirre pour la maison.
Aofitl661 ^'^^
Relation d'un miradn arrive a P.-R. en juillet 1661, servant sea-
lement de cousola'ion particulirre pour la maison, pendant la
persecution '*^^
Relation du miracle ariive en la personne d'une petite fiUe de
ISmois de M. d'Epiu:iy,commis au cnntvMe geueral des fermes,
13 aoiit 1651 ^8^
Relation d'un miracle ^^^
Recit naif et vt^ritable de la inaladi<^ ct guerison miraculeuse
d'Angelique Poitelot^ fille de M. Gaspavd Poilclot, av-x-at au
DESCRIPTION DU MANUSGRIT N" 1485. &23
parlement, et de Maiguerite Secousse^ sa femuie. 485
Lettre 6crite en 1062 4S8
Relation dim autre miracle .... 490
Deux iettres de M. Gourdan a M. Peiier 493
Extrait dune lettre de M"« Mari;uevite Ptirior a M. son frrie,
doyen a Clermont, coutenant Vhistoire de la soeur Marguerite
de Sai.it-Augustiu Stuart, religieuse carmelite i Paris. . . 494
Lettre de la M. Madeleine de Ligny, abbesse de P.-R. a M. Purler. 498
Lettre de la mere Agnes Arnaald a M^e Piirier, touchantla mort
de JVL Pascal pere 499
CiQq Iettres du pere de Goridy^ de TOratoire, a M. P6iier. . . 500
Lettre de la soeur Agnes, de la mere de Dieu, a M^'^ Perier. . . 501
Lettre de M. de la Rocheposay, yvL'([ue de Poitiers^ a M. Perier. . 502
Extraitd'unelettie a AL Peiier le fils 5u2
Fourberie de Louvain 504
Ce qui se passait au seminaire de Tournay. 504
Eloge de M^e de Longuevdle, en remrttant s n corps a M. I'e-
veque d'Autun. Imprime a la snitn des LHtres iiiefhtes de
3/me (le Longitei:///e. Bibliotlicquf' (h- /'rcofp des Chnrfps. . . 505
Autre eloge en remettant son cceiir a M. son aumonier, pour le
portei' a Pi^rt.-Roy:il-des-chanjps. It 50*;
Relation de ce qui s'r^t passe en rassembloe de la faculty de theo-
logiede Paris, tenae le K'" mars 1628, en Sorbonne. ... 507
Examen des moyens qui sont allegues par ceiix qui veulent faire
cet*e addition ' 509
Copie d'une lettre de piete, sans date 53^
Lettre de ]VL Nicole 537
Lettre a M. Perier, chez M. Rcnet, a Paris. . . ■ ... 541
Cinq Iettres de JM'"^ de Lnnccueville a la mere Agnrs Arnaiild
P.-R des Champs. Bi/diofhrqiip de V&oh. dps fliaiirsi. . 542
Lettre de M''^ de Vertu a la merr Atrnes Arnaald. It. . . . 545
Lettrt's de M'"^ de Lonftueville a la meme //. 540
De la nieme a la meme. // 549
De la meme princesse a la mere Angeiiqup de Saint-Jean Ar-
naald d'Audilly. It 532
Lettre de la meme piincesse a la mere Agnrs Arnauld. //. . 552
Lettre de la meme princesse a 923. It 559
Lettre de M'"^ laducbesse de Liancour a la mere A^ni's Ar-
nauld, sur la paix de TEglise, 10 octobre 1668 560
I ettres de M«'e de Longueville, sur un miracle opere par I'iiiter-
cession de M. d'Aleth (Nicolas Pavilion). It 561
Vingt-six Iettres de !a menie princesse a M. Marcel, cur6 ile Saint-
'■dk APPKMDtcr,. - MANt'SCUITS.
J,icquPs-dn-Haut-Pns. If S6l
De lameme a M™*^ d'Epern^^i^ religieiise carmelite. It. . . . 574
De la meme a la reverende more Agnes, la carmelite. It. . . 575
De la meme a M. Marcel, carM de Saint-Jacqaes-du-Haut-Pas. It. 576
Deux lettres dela meme a la reverende m^re des carmelites, du
grand convent de Paris. It 578
A la scenr MartUe de Jesus, carmelite^ de la meme princesse. It. 578
De la meme a la sous-prieure des carmelites. /f 579
De la meme a la mere Aguf's. // 579
De lameme a la mere Marie de JesuSj carmelite. /^ 580
De la meme a l;i mere Agnes. It 581
Huit lettres de la meme a la sous-prieure des carmelites. It. . . 582
Deux lettres de la meme a M"'^ la marquise de Gamaches. It. . 585
Lettrede iMM. Louis et Blaise Perier, sur la visite de M, Tarche-
veque a Pot-t-Royal^ en 1079, et sur le testament de M^e de
Longueville. 586
Extraitd'une lettrede Rome du 22 aout 1667 588
Lettre de M. (.l.iutot, ('neque de Pamiers, a M. Peiicr le fils, con-
seillei' a laconr iJes aydes • . . . 590
Lettre de M. Perier le fils, conseiller a la cour des aides, a M. I'e-
veqne d'Aleth. • 590
Trois lettres de M. Feret a M. Perier le pere, ecrites d'Aleth en
10G8 et 16(39. 591
QuMtre lettres de M. Du Vaiicid a M. Perier Taine 594
Extraitil'nue lettre ecrite d'Aleth, sur le sujet de la maladie de
M. d'Aleth 598
Lettre de M. de BaiiUon a M. Perier, de ce qu'il a remaique
d'admirable dans M. d'Aleth 599
Lettre de M. d'Aleth a M. Perier le pere, ecrite en 1668. . . 600
Trois lettres du P. dom Jean-Baptiste Boue, chartreux, a M. Perier
le pere 601
Lettre de M. Valiant a M™<^ Perier. - 6U4
Extrait d'une lottie de iM. ., religieuse de P.-R.. ecrite a M. H.,
le 31 octohie 1664 607
Proces-veibal d'uu miiacle arrive en 1690, par I'intercession de
M- de Pontcliutuau, pfu aptes sa mort 610
Relation d'un mirach' arrivf^ a Port-Royal, 6crit par la religieuse
meme qui a e:te gui^iie (SMinte-Siizane, Champagne). . . . 613
Relation dun miiacle opere sur nne reliiriense uvsuline de Pon-
toise *'''''
Relation du miracle arrive en la personnc de ma sceur Claude de
Saiiit-Jnseph. religieuse ursulinc de Nnyi-is, etc., par M. le
• DESCRIPTION DU JMANUSCIUT N'> 148ti. 525
Maitre, pretre et docteur de la facnltu de Paris 619
Extrait dune lettre a M. le Maitre, docteur en thi'^ologie, du dio-
cese de LangreSj par la soeur Marie -Charlotte de Saint- Vuj^.,
religieuse ursuline et assistante de ce monasfi-re, du -i^ juil-
let 165G r.22
Extrait d'lme autre lettre 6crite an inerne^ du meme lieu^ joar et
anu^e, par la sceur Catherine de Jesus. 624
Certiticat de M. Pontatj maitre chirurgien a Noyers 625
Relation d'un miracle arrive a Vernon en IGoG 626
Lettre de M. Tabb^ de Saint Cyran a la mere abbesse de Port-
Royal 628
Gopie d'une lettre de la mrre \i;nes, abbesse de P.-R.^ a M. Gi-
rard, docteur de Sorbonne, le 15 jiiin iGijL 629
Lettre de MM. Pevier a madame leur mere, 5 may 1679. . . 630
Lettre de M. de la Trappe a M. d'Alcth, sur la mort de dom Paul
Hardy, IBavril 1675 631
Relation de ce qui se passa dans la visite que rendit M. Arnauld
an roi Louis XIV, en 1668, apres la paix de rKglise. . . . 635
Lettre a M. Perier sur les oliservatious que I'auteur fait sur le
rit de la messe qui se cliante tous les ans a la cath6drale de
Clermont, en memoire du miracle opere sur M"« Marguerite
Perier par la sainte Epine 633
Prose qu'on chante a la messe dont il est parte dans la lettre
precedente 636
Cbapelet de la sainte Epine 637
Relation de la maladie et de la niort de M. de la Riviere. . . 642
Extrait d'mie lettre d'Aleth, du 31 mars 1677 645
Paroles de M. de Saint-Cyran 646
Lettre de la sceur Jacqueline Pascal a M^^ Perier sa sceur. Jag-
OUELiNE Pascal, etc 647
Vers composes par la sceur Jacqueline Pascal, R. de P.-R. sur le
miracle opere en la personne de M""^ Perier sa niece, le
16 mars 1656. It 649
Lettre de M'l^ Gilberte Pascal a M. Pascal son pere, a Paris, le
3 decenibre 1638. It 655
Lettre de M^e Jacqueline Pa.scal a M. Pascal son pere,
4 avrillG39. It 655
Vers dont il est parle ci-dessus. It 656
Epitre a la Reine Anne d'Antriche, mise a la tete d'un imprime
dontle titre est: Vers de la petite Pascal, 1638. It. , , . 657
Sonnet. It 6^*7
Stances a la Reine. It 608
52t) APPENDICE. — MANUSGKITS.
Epigramtne a M'''' de Montpensier, faite sur-le-champ par sou
commandementj en mai 1638. It 658
Autre ^pigramme a M"« d'Hautefort, faite le meme Jour sur-le-
chaiup par le commandement aussi de Mademoiselle. It. . 658
A Mine de Morangis, souuet, julllet 1038. /f 659
Dixaiii, le meme mois. It . 659
Stances faites sur-le-chiiriip, le meme mois. It
Epigramme pour remercier Dieu du don de la poesie. It. . .
Stances surle meme sujet, aoiit 1638. If 660
Pour remercier Dieu, au sortir de la petite veiole, uovem-
brelC38.//
Stances. It 662
A Mgr reminentissime cardinal de Richelieu. Epigramme,
mars 1639. It 662
A Mnie la duchesse d'Eguillon, sonnet, jauvier 1640. It. . . . 662
Sonnet de devotioUj feviier 16.'iO. It 662
Epigramme a sainte C(icilej novembre 5 640. /^ 663
Sur la conception de la Viergc, pour les palinods de Tannee 1640,
qui emporterent.le prix, decembre 1640. It 663
Remerciraents fails sui-le-champ par M. de Gorneilie, lorsque
le prix fut adjnge aux stances precedentes. If. . ... 663
Remerciments pour le prix des stances, I'ann^e suivante, de-
cembre1641. It 664
Gontre ramour, stances, fevrier 1642. /^ Ibid.
Suite des stances contre I'amour, a M"c de Beuvron, en lui;en-
voyant les precedentes, 1648. i^ 664
Sur la ^nerison apparente du Roi Louis XIII. It
Sonnet, avril 1643. /^ 665
A la Reine, sur laregence, sonnet, mai 1643. /^ 666
Pour une dame amoureuse dun homme qni n'en savoit rieu,
septembre 1643. It 666
Sonnet fait sur des rimes, octobre ] 643. // 667
Gousolation sur la mort d'une liugnenole. /^ 668
Stances, mai 1643. // 668
Chanson. It G69
M. de Scudery a la petite Pascal. It 670
Traduction de rhymue Jesu nnsfra Rcde/nptio, par M"^ Jacque-
line Perier. It 670
A la fin du vulume , se Irouvent diverses additions de
M"' Perier au necrologe de Port-Royal. Elles ne sent pas
terminees.
DESCRIPTION m MANUSCRIT N" 2881. 527
111.
Bibliotheque royale, Supplement fran^uis.
DESCRIPTION DU MANUSCRIT N« 2881.
C'est un in-40 d'une ecriture du xviu* siecle. II ren-
ferme une copie ou plutot un choix des pieces du ma-
nuscrit 14-85.
En voici une table abregee.
Memoire sur la vie de M. Pascal, par Marguerite Perier.
Extrait d'une lettre de la scenr Eupheinie a son frere.
Exlraii d'une lettre de M'^^ Pascal a sa eceiir , sur I'entrevue de
M. Pascal et M. Descartes.
Diverses anecdotes sur Pascal.
Extrait d'une lettre de M. d'Etemare.
Plusieuvs lettres de Jacqueline.
Lettres de Pascal a W^^ Roannez.
Lettre de Pascal an P. Annat.
Fragments et lettres de Pascal, a sa soeur, a M. le Pailleur^ala Reine
de Suede, Pensees de M. Pascal.
Lettres de Hrienne a JVl. Perier sur les Pensees.
Lettie d'Arnauld.
Diverses lettres.
Lettre de Jacqueline, du 31 juillet 1653.
De la meme a son frere, mars 1652.
De la meme au meme, 1655.
De la m^me au meme, 1655.
De la meme a M'-'e perier, 23 juin 1655.
De la meme a la meme, 29 mars, 1655.
31 mars, apres midi.
8 novembre 1656.
S28 APPENDICE. — MANUSCRITS.
De la m^ine a la meme, 30 novembre 1656.
24 mars 1661.
Indication de diverses autres lettres de la meine, qui Si-nt dans ce
maiiuscrit.
Ecrit de Jacqueline sur le mystere de l;i mort de iiotre S.
Lettres de la mere Agms a Jacqueline, 22 janvir-r IGoO, 1651.
Lettre de la mere Agnes de S.-P. a M. Pascal, sur la mort de Jac-
queline.
Lettre de la mere Agnes de Saint-Jean, Sur le meme sujet.
Lettre de M^e Perier a ses enfants.
Lettres diverses.
Lettres de M. de Sacy a M. et M""^ Perier.
Lettres des Perier.
Lettres diverses, plusieurs d'Arnauld a Mn^^ Perier et a ses enfauls.
Lettre de Nicole aux Perier.
Memoire pour servir a I'histoire de la vie de M. Domat, a vocal du Koi
an presidial de (-Vermont en Auvergne.
Pensees de JVL Domat.
Pieees centre le P. Duhamel, jesuite^ jtar M. Domat.
Diverses pieces sur cette aif;iire.
46 lettres de iM'"*^ de Longueville.
Diverses lettres des Perier et aux Perier.
Diverses lettres et pieces.
Ghapelet de la Sainte-Epine, attribue a Jacqueline Pascal.
IV
Bibliotlieque du Roi, Su/ipl^ment fmncais.
DESCRrPTION DU MANUSCRIT N« 397.
In-12_, ecrilure da pere Guorrier de VOratoire^ conime
Tatleste cette note : « Ge nianuscrit est de la main du
R. P. Pierre Guerrier^ de I'Oratoire^ arriere petit-neveu de
M. Pascal du cote uiaternel. 11 a ete donne en 1779 a la
bibliotlieque du Roi par M. Guerrier de Bezance^ niaitre
DESCRIPTION DU MANUSGRIT N" 397. Sj9
des requetes. » Voyez plus haut, p. 114;. Les pieces les
plus nouvelles, que contient le manuscrit n° 397, sont
divers memoires pour et centre la signature du formu-
laire. Nous rencontrons d'abord un £crit de M. Nicole
conire M. Pascal, lequel reproduit pour les refuter cha-
cune des propositions de Pascal , et par la nous les a con-
servees. Vient ensuite un memoire d'Arnauld k Tappui de
Nicole et centre Pascal. Ce memoire d'Arnauld est dans
ses CEuvREs, t. XXII, parmi les ouvrages rassembles sous
ce titre : Disputes intimes entre MM, de Port-Royal, U est
suivi dans notre manuscrit d'une assez longue reponse de
Domat a laquelle Arnauld repliqua, et cette replique est
aussi imprimee au mertie endroit de ses ffiuvREs, tandis
que la reponse de Domat n^y est pas plus que le premier
ecrit de Pascal refute par Nicole ; seulement une note de
la p. 759 dit que cette reponse avait ete a revue par Pas-
cal ». Nous avons public la fm de ce morceau jusqu'ici
inedit de Domat, Jacqueline Pascal, Appendice, n" 3, Do-
cuments inedits sur Domat, p. 441. Bossut, qui a eu ce
manuscrit entre les mains, a tire de Y Ecrit de M. Nicole
contre M. Pascal les propositions que cite Nicole avant de
les combattre. De la, OEovres de Pascal, t. II, p. 52-2, le
morceau intitule : « Ecrit sur la signature de ceux qui sous-
crivent aux Constitutions en celte maniere : ']e. ne souscris
qu'en ce qui regarde la foi, ou simplement : je souscris aux
Constitutions touchant la foi. » Les petites alterations que
Bossut s'est permises ne sont pas assez graves * pour que
nous reproduisions ici cet ecrit; nous preferons donner la
fm de la replique de Nicole qui n'a jamais vu le jour et
■1. Partout il met, on ne salt pourquoi, les formulaires au lieu du
formulaire, comme s'il y avait eu plusieurs formulaires a signer.
34
580 APPENDICE. — MANUSCRITS.
qui montre a quel point Nicole entrait peu dans les passions
du parti janseniste.
L'ecrit de Pascal se termine ainsi :
« Je conclus en troisieme lieu que ceux qui signent en ne parlant
« que de la foi, et en n'exclnant pas formelleraent la doctrine de Jan-
V senius, prennent une voie moyenne qui est abominable devant Dieu,
« meprisable devant les hommes, et entierement inutile a ceux qu'on
« vent perdre per&onnellement. »
« Cette conclusion, dit Nicole^ est aussi fausse que tous les piincipes
surlesqaels elle est etablie.
« Quant a ces bommes a Tegard desquels cette signature est mepri-
sable, peut-etre seront-ils en plus petit nombre qu'on ne pense, et
qu'il y en aura bien plus qui seront edifies, ou qui la blamerout moins
que si on avoit voulu expliquer en detail des choscs que les reli-
gieuses doivent ignorer. Mais a ces fausses conclusions on en pent op-
poser de veritables, car on conclut des principes etablis en cette
reponse :
« 10 Que cette restriction qui temoigne qu'on ne recoit les constitu-
tions que quant k la foi est bonne et legitime, parce quelle exclut
r6ellement tout ce qui n'est pas de foi, comme le sont les faits, que
ces propositions soient contenues dans Jans^uius, et que le sens con-
damne de ces propositions soit dans son livre.
« 20 Parce qu'elle est tres ais^e a soutenir, ne pouvant etre combattue
que par cet argument: le sens de Jansenius pris pour un dogme de-
terminant est la gi'ace efficace, car cette signature engage a condamner
le sens de Jansenius pris pour nn dogme d6tern]inan1, piiisque le pape
le condamne ainsi, et que Ton condamne par la signature lous les
dogmes condamnes par le pape; done elle engage a condamner la grdce
efficaoe. Or, en cet argument, la majeure est certainement fausse et
la mineure incertaine.
« 30 Parce qu'elle exprime parfaitementla disposition des religieuses.
en ce qu'elles savent et doivent savoir de cette contestatioUj car que
savent-elles autre cbose, sinou qu'on demeure d'accord de part et
d'autre que le pape n'a point blesse la foi de TEglise par sa constitution,
et que Ton dispute s'il n'y a point mele des faits qui soient faux ? Et
que peuvent-elles faire de mieux, suivant cette connoissance, que de
declarer en general qu'elles recoivent la constitution du pape touchant
la foi, puisque toute I'Eglise en convient, et qu'elles ne prennent part
qu'a la foij pour s'exempter de prendre part en ces autres disputes qui
ne les regardent pas?
DESCRIPTION DU MANUSCRtT No 397. S5f
« 4° Parceque tous les catholiques etprincipalement les religieuses
devant un graud respect i rautorit^ de I'EglisSj il est de leur devoir
d'exprimer cette resistance qu'elles font cl un ordre qui les engage k
prendre part a des choses qui ne les regardent point, dans les termes
les pins respectueux qu'll est possible; ce qa'on ne pourroit guere
mieux I'aire que par les termes de cette signature.
« On conclut en second lieu que cette sorte de signature est meilleure
que celle ou Ton diroit salvd questione facti, parce que cette excep-
tion, salvd questione facti, a tous les memes inconv^nients que ceux
qu'on a propose contre celle-ci^ et qu'elle n'apas I'avantage de n'engager
pas meme an silence cl r(5gard du fait, ce qui est assez considerable.
« Oncooclut entroisieme lieu qu'elle est meilleure que celle ou Ton
dirait salvd doctrind Jansenii, parce que cette exception rend suspects
ceux qui la font de tenir ce que le pape entend par la doctrine de
Jansenius; et comme c'est une erreur, elle les rend suspects d'erveur
et donne lieu de les pousser avec plus d'apparence de raison.
« On conclut en quatrieme lieu qu'elle est meilleure que si Ton met-
tait salvd doctrind gratite efficacis; parce que cette exception; en mar-
quant que Ton ne condamne pas la grAce efficace, marque en meme
temps indirectement que ceux qui ne I'exceptent pas la condamnent;
ainsi en donnant uq temoin a cette grace on lui en 6te cent mille.
« Que si Ton objecte qu'on pourroit dire la meme chose a I'egard de
Jansenius, on repond que non, parce que Ton n'a pas les memes rai-
sons de pretendrc que la signature que Ton fait n'enferme pas la
condamnation de Jans6iuus, qu'on a du croire qu'elle n'enferme pas la
grace efficace, et ainsi I'exception de Jansenius est necessaire et non
libre, parce qu'il n'est pas permis de temoigner par des paroles le
contraire de ce que Ton a dans le coeur, quand nous en pourrions es-
perer de I'avantage.
((Toutes les restrictions devant etre npparemment cond:imnees,ceUes
qui engagent la verite davantage sont les plus mauvaises, et celles
qui Tengagent moins sont les meilleures. Quand on verra condamner
une signature ou I'on aura excepte la grdce efficace, n'aura-t-on pas
quelque sujet d'en conclure, que Ton veut done que I'on condamne
cette grice efficace? mais quand on condamnera ceux qui ont mis
pour restriction qu'ils recoivent les constitutions quant a la foi, on ne
pourra conclure raisonnablement autre cbose, sinon qu'on les a voulu
obliger de les recevoir aussi en ce qui n'est pas de foi, ce qui n'engage
pas la verite dans leur condamnation. C'est ce qui donne lieu de remar-
quer icila difference extreme qu'il y a entre souffrir pour la verite de
la part des ministres de TEglise, et souffnr pour la verite de la part
, des ennemis declares de TEglise.
53J APPENDIGE. — MANUSCRITS.
« Car lessouffrances pour la v6rite qui arriventde la part des enne-
misde TEglise sont glorieuses et utiles il'Eglise, parce qu'elles rendent
la verite pour laqaelle on souffre plus 6clatante et en quelque maniere
plus certaine, puisqu'on conclut qu'il faut bien que cetie verite soit
bien constante, puisque ces personnes se sont expos6es a la persecution
ponr la soutenir; mais quand on souffre de la part de TEglise meme,
le temoignage qu'on rend par la souffrance est souvent plus contraire
a la verite qu'il ne lui est avantageux, parce qu'on donne lieu d'en
conclure qu'il faut bien qu'elle soit fausse puisque I'Eglise a tant fait
souffrir ceux qui la soutiennent. Ainsi ceux qui n'out pour but, ou dans
leurs souffrances ou dans la recherche de leur suretCj que Tavantage
de la verity, ne doivent pas garder la meme conduite en des ren-
contres si diff^rentes.
« Quand il s'agit de defendre la v6rite centre les ennemis de rEglise,
ils out toute liberte de le faire avec force sans apprebeoder les perse-
cutions, parce que ces persecutions ne sauroient qu'etre utiles a la
verite : mais quand il s'agit de la defendre centre les ministres de
I'Eglise, Tinteret meme de la verite les oblige de prendi'e une conduite
plus lemp6reej de peur que, se faisant condamner, leur coudamnation
neretombe sur la verite qu'ils soutiennent; et ils ne doivent pas eviter
de couvrir leur g6nerosite d'une apparence de timidite, si cette timi-
dite est en effet utile a la verite, en prenant pour devise cette parole
de saint Paul; cum infi)vnor, tunc potens sum; an lieu qu'en suivant
impetueusement les mouvements de son esprit, on s'engage quelque-
fois en des maux infructueux pour ceux qui les souffrent et prejudi-
ciables a la verity, pour laquelle on s'imagine de les souffrir^. »
TABLE DES MATIERES.
Ecrit de M. Nicole contre M. Pascal sur le formulaire. ... l
Extrait d'uae lettre a M. P6rier 21
M. de Sacy 21
Lettre de M. Bourdelot a M. Pascal 22
]Ecrit de M. Arnauld contre M. Pascal sur le formulaire. . . 23
Ecrit de M. Domat pour M. Pascal sur le formulaire. ... 53
Ecrit de M. Arnauld contre M. Domat sur le formulaire. . . 77
Ecrit de M. Nicole pour aj outer an precedent 127
Autre ecrit de M. Arnauld sur la meme matiere 131
i . Le pere Guerrier a mis ici cette note : a J'ai copie cet ecrit sur un nianuscrit qni
se trouvc parmi ceux que M^lc perier a donnes a labibliotheque des PP. de TOratoire
de Clermont. Get ecrit est de M. ^icole et celui qui est refute de M. Pascal. •
Description du manusgrit n<> 397. 533
Petit ^crit anonyme sur la mfeme matifere 131
Autre ecrit anonyme sur la mfime mati^re 157
Demonstration g^ometrique sur la mfime mati^re les
Preface historique sur plusieurs ouvrages pour et centre la signa-
ture du formulaire * . 168
Attestation de M. Nicole au sujet de la pretendue retractation
de M. Pascal 177
Lettre de M. P6rier h M- de P6r6fixe, archev^que de Paris, sur le
meme sujet 178
Lettre de M. de P6r6fixe a M. P^rier, sur le merae sujet, . .181
tettre de M. Arnauld k M. Perier^ sur le m^me sujet. ... 182
Declaration de M. Beurrier^ cure de Saint-Etienne, sur le m^me
sujet 183
Lettre de M. Beurrier k M"« P6rier, sur le meme sujet. , . 184
Lettre deM. de Saint- Amour^ 6crite de Rome 185
Lettre de M. P^rier k M. de Perefixe au sujet de M. Pascal. . 190
Ecrit de M. Perier sur le mandement de M. d'Aleth 192
Lettre de M. Du Tremblay, sur la paix de Clement IX. . . .197
Relation de I'etat present du jans6nisme, en la ville de Cler-
mont, 1661 198
Preface historique sur plusieurs ouvrages de MM. de Port-Royal,
touchantla mani^re d'expliquer et de justifier Jans^nius. . 204
Petit 6crit trouve sur M. Pascal lorsqu'il mourut 213
Pens6e de M. Pascal, qui n'a pas et6 imprimee 215
Requete pr6sent6e au Roi par les habitants de Clermont contra
les jesuites 216
Lettre du chapitre de Clermont a ceux de Lucon et de Nantes,
au sujet des jesuites 220
Addition de M"e P6rier au Necrologe de Port-Royal 221
Ecrit de M^'^ Perier, sur la pretendue retractation de M. Pascal. 248
Lettre de M. P6rier a son frere, touchant le formulaire. . . . 254
Lettre de M. rabh6 Leroy k M. Vabb6 de Barillonj touchant la
signature du formulaire 255
R6cit de ce que M. Purler a oui dire a M. Pascal, au sujet d6s
Lettres Provinciales 260
Lettresde M. Arnauld, le docteur, k M. Perier, doyen de Saint-
Pierre, sur divers sujets de morale 261
Memoire de M'^« Perier sur sa famille 271
D6mel6 de M. Pascal avec le P. Noel, jesuite 285
Lettre de M. Aruaald a W. Perier, touchant les Pens6es de
M. Pascal 285
Lettre de M. de Brienne sur le m6me sujet. ,.•,.. 288
534 APPENDICE. — MANUSCRITS.
Extrait d'une lettre de M. Arnauld, toucliant les abbayes de filles. 289
Extrait d'une lettre de M. Nicole sur les doutes des th^ologiens. 290
Exti'ait d'un memoire sur la vie de M. Pascal £91
Extrait d'une lettre de la soeur Euphemie a M. Pascal. . . . 292
Extrait de la vie de M. Pascal 292
Lettre de M. de Tillemont a M. P6rier au sujet des Pensees de
M. Pascal 294
Lettre de M. Veveque de Gomminges sur lememe sujet. . , 296
Extrait d'une lettre au sujet des Provinciales et des ecrits de
MM. les cures de Paris 297
Lettre de M. le due de Gandale au sujet des jesuites. . . . 298
Leltre de M. Bourdelot a M. Pascal ' . . 298
Ecrit anonyme sur la conversion du pecheur 300
Recueil fait par M. Nicole sur I'usure 305
Autre ecrit sur I'usure 306
Lettre de M. Queras sur I'usure ' 310
Lettre de M. Pascal a M. le Pailleur sur le P. Noel 315
Depositions de MM. Nicole^ Arnauld, de Roannez, Domat^ au su-
jet de la pr6tendue retractation de M. Pascal 328
Lettre de M. Beurrier, cure de Saiut-Etienne, a M. Perier. . . 331
Extrait d'une lettre a M™^ Perier au sujet de la vie de M. Pascal. 332
Memoire sur M. etM^'^ de Roannez par M"e Perier 334
Extrait d'une lettre a M"« Perier sur les Pensees de M. Pascal . . 339
Profession de foi de M"'^ Perier. 340
Lettre de M. Pascal a la reiae de Suede 341
MANUSGRIT DE LA BIBLIOTHEQUE MAZARINE
N" 2199.
Petit in-4% portant au dos ce litre : Domat. Disputes
theologiques, Sur la premiere page on lit : a Memoires et
pieces recueillies par M. Domat ^ auteur du traite des Lois
civiles, qui m'ont ete communiques par M. Domat, presi-
dent en la cour des aides de Clermont^ son arriere-petit-
fils. 1776. D
MANUSCRIT DE LA BIBUOTHEQUE MAZARINE N° 2199. 535
C'est a pen pres un double du manuscrit de la Biblio-
th^que Royale, Supplement fr an cats, m 397, comme on
s'en pent assurer par la table qui suit :
Ecritde M. Nicole contre M. Pascal sur le formiilaire. ... 1
Extrait d'une lettre a M. Perier 32
Article touchant M. de Sacy 32
Lettre de M. Bourdelot a M. Pascal. . . .' 33
Ecrit de M. Arnauld contre M. Pascal sur le formulaire. . . 34
Extrait d'une lettre de ilM. Perier a M"® leur mere et k
Etienne Perier, leur frere aine * . 71
Ecrit de M. Domat pour M. Pascal sur le formulaire. ... 73
Ecrit de M. Arnauld contre M. Domat sur le formulaire. , . 103
Petit ecrit de M. Nicole pour ajouter au precedent 165
Autre ecrit de M. Arnauld sur la merae matiere 170
Petit ecrit anonyme sur la meme matiere 201
Autre ecrit anonyme sur la meme matiere 205
Demoustration geom^trique sur la meme matiere 212
Preface historique sur plusieurs ouvrages pour et contre la signa-
ture du formulaire 218
Attestation de M. Nicole au sujet de la pretendue lelractation
de M. Pascal 229
Lettre de M. Perier a M. do Pereflxe, archeveque de Paris. . 231
Lettre de M. de Perefise, archeveque de Paris, a M. Perier. . 234
Lettre de iL Arnauld a M. Perier 235
Declaration de M. Beurrier, cure de Saint-Etienne . ■ . . . . 237
Lettre de M. Beurrier a M"^ Perier 238
Lettre de M. de Saini-Amour ecrite de Rome 239
Lettre de M. Perier a U. de Perefixe, archeveque de Paris. . . 246
Ecrit de M. Perier (le iieveu de Pascal etnon son beau-frere) sur
le mandemenl de AI. d'Aleth 248
Lettre de M. du Tremhlay sur la signature du formulaire. , . 2S4
Declaration de Tetat present du jans^nisme a Clermont en Au-
vergne 256
Preface historique sur plusiuurs ouvrages de MM. de Port-Royal
au sujet des ecrits suivants 262
Petit ecrit trouve sur M. Pascal lorsqu'il moarut 27 1
Pensee de M. Pascal qui n'a pas ete imprimee (c'estla Pensec
contre la philosophic) 273
Requete des habitants de Clermont contre les jesuites. ... 274
Lettre du chapitre de Clermont a celui de Lucon et a celui de
536 APPENDICE. - MANtlSCRltS.
Nantes 278
R^pODse des chapitres de Nanles et de Lucon 280
Additions de M"« Perier au N6crologe de Port-Royal 282
Ecrit de M^'^ Perier sur la pr^tendue retractation de M. Pascal. . 320
Lettre de M. Peiier i son frere touchant le formulaire. . . . 328
Lettre de M. Tabb^ Leroy a M. I'abbe de Barillon 329
R^cit de ce que M'le perier a oui dire a M. Pascal au sujet des
Lettres Provinciales 332
Lettres de M. Arnauld a M. Perier 333
M^moire de M"*! Perier sur sa famille 344
Deinelii de M. Pascal avec le P. Noel , . 348
Lettres de M. Arnauld a M. Perier 360
Extrait d'une lettre de M. Nicole 364
Extrait d'un memoire sur la vie de M. Pascal 365
Extrait d'une lettre de la soeur Euphemie a M. Pascal. ... 366
Lettre de M. Tillemont a M. Perier fils sur las Pens^es. . . 367
Lettre de M. Teveque de Comminges a M. Perier fils. . . . 370
Extrait d'une lettre a M. Perier au sujet des Provinciales. . 370
Lettre de M. le due de Gandale au sujet des J6suites 371
Lettre de M. Bourdelot a M. Pascal 372
Ecrit anonyme sur la conversion du pecbeur 373
Recueil fait par M- Nicole sur I'usure 378
Autre ecrit sur Tusure 379
Lettre de M. de Qu6ras sur Tusure 384
Lettre de M. Pascal a M. le Pailleur au sujet de P. No61j jesuite. 388
Depositions de MM. Nicole^ Arnauld^ Roannez et Domat, au sujet
de M. Pascal 403
Lettre de M. Beurrier, a M. le cure de Saint-Etienne, a M. Perier. 406
Extrait d'une lettre de MM. P6rier a M™« leur mere. ... 407
Memoire sur M. et M"e de Roannez 409
Extrait d'une lettre k M"« Perier 414
Profession de foi de M"« Perier • 415
Lettre de M. Pascal a la Reine de Suede 416
VOCABULAIRE
LOCUTIONS LES PLUS REMARQUABLES
QUI SE RENCONTRENT
DANS LES FRAGMENTS DE PASCAL
CITES DANS LE PRESENT VOLUME.
A, au lieu de po?ir. — « L'liomme
est a lui-mgmeleplusprodigieuxob-
jet de la nature. » Page 191. — « Con-
noissez done, superbe, quel paradoxe
vouftfitesdvous-meme.w P. 9i2. — «ll
(ee joug) n'esl l^ger qu'a lui et a sa
force divine. » P. 448.
— A, pour par. — Se laissant con-
diiire a leurs inclinations et a leurs
pluisirs. » P. 2l>0. — « Ne nous
laissons pas abaltre a la Iristesse. »
P. 445.
— A, pour relativement a. — II
Cramour-propre)^toitnaturela Adam
et juste a son innocenee. » P. 422.
Abaisser, au propre. — « Ayantun
corps qui nous aggrave et nous fti^flii^e
vers la terre. « P. 309.
— An figure : « Pour abaisser noire
orgueil et relever notre abjection. »
P. 266.
— Abaissbr a, — " Abaissoth$-ta
(ratne) done a la matifere. » P. 246.
— S'abaisser. — " S'il se vante ; je
Vabaisse; s'il s'abaisse, je le vanle. »
P. 240. — « Force i s'abaisser tl'vLne
ou d'autre manifere. » P. 296.
— S'adaisser a. — « Et s'il ne s'a-
baisse k cela. » — P. 243.
— Rabaisser. — « Sa condition est
rabaissde par la d^pendance. » P.
463.
— Se rabaisser. — « Elle faitde
nouveaux efforts pour se rabaisser
jusqu'auxderniersabymes dun^ant. »
P. 472.
Ahandonner, a bandonn^. — «San3
mentir, Dieu est bien abandonni. »
P. 150 etp. 442.
Abandonne, e. — « Son ^rae doit
se Irouver scule et abandonn^e au
sortir decetle vie... » P. 469.
S'abandonneb. S'abandonner a
— « Les cboses oii elle (I'ame) s'ahan-
donnoit avee une pleine effusion du
cteur. " P. 467.
538
VOCABULATRE DES LOCUTIONS
Abandon, non-seulement Taction
d'abandoniier, mais r^tat d'une per-
sonneabandonn(5e. - « U (Fhonime)
sent alors son neant, son abandon. »
P. 258.
Abatlre, au moral. — « Les pen-
s6espures, qui lerendroient lieureux,
s'il pouvoil toujours les soLilenir, le
faliguent etVahattent. » P. 284.
— Rabattre. — « PyiTlionistne est
le remade a ce nial, eiral/ai cette va-
nity'. » P. 223 et 224.
AbClir. — '< Cela vons fera croire
et vous ahdlira. >- P. 23G et995-.
Abject, (ibjeclion, dernier degre de
la bassesse. — <- Tout ce qu'il y a de
grand et lout ce qu'il y a d'abjecl. »
P. /ti7.— "Pourabaisser notre orgueit
et relever notre ahjeciion. » P. 266.
Abominable. — II n'y a rien de si
abominable. >. P. 405. - « Tout ce
qui est dans les hommes est abomi-
nable. » P. k\y\. — » Des plaisirs abo-
rninables. » Ibid.
Absolu. Un empire absolu. Voijez
Empire.
Absolument, le contraire de rela-
tivement, en soi, intrins6quement.—
« Enlre fitre d^licat et ne I'etre pas
du tout, il laut demeurer d'accord
que, quand on souhaite d'etre d6li-
cat, on n'est pas loin de I'etre abso-
lument. » P. 491.
Absorber, dire absorb^, dans, par,
en. — « Quand je consid^re la petite
dur^e de ma vie absorbde dans I'^ler-
nit6. » P. 258. — « L'image de la chair
dup6ch6 aeteab«or/?^eparla^doire. "
p. 4i9. — « Sa volont^ est absorb^e
en Dieu. » P. 420.
Abyiii^. — u Le petit espace que je
remplis et ra6me queje vols abipnd
dans rinflnie immensity des espaces
quej'ignore. » P. 258.
Accommocler (s'J. — « C'est une
vie unie h laquelJe il ne peutA'accom-
moder. » P. -184.
Accordcr, mettre d'accord : —
« C'est elle qui accorde les contrari6-
t(55 par un art tout divin. » P. 127.
— AccoRDER AVEC. — '( 11 occorde
en pen de mots I'immat^rialil^ de
Tame avec le pouvoirqu'a la matiere
d'alt^rer ses fonctions. » P. 458.
— Faire la concession de. — <» ac-
corder a Dieu une ciiiquenaudepour
mettre le monde en mouvement. » P.
434, et 337.
— S'accorder avec. — « La force
s'accorde avec celte basscsse. » P.
295.
Accroire. Voyez Croire.
Accroioscmeni. — En prianlDieu
de benir ces semences et de leur
donner Vaccroissemenl. » P. 142, et
426.
Acheminement. — « Cetle ma-
niere de vivre est un merveilleux
acheminemenl k la passion. » P. 496.
Achever, porter le dernier coup.—
« U fautdonc racfteyer (la raison). >•
P. 247.
— Rendre une chose telle qu'il n'y
manque rien. — « Et ce qui acMve
notre irapuissance k connoitre les
choses. » P. 308. — « Le pech6 n'est
pas acheud si la raison ne consent. »
P. 430.
Acbopper, se heurter k, faire un
faux pas, ^chouer. — « Et c'est Ik ou
tous ont achopp&. » P. 302.
Admirer que, pour s'etonner que.
— yadmire avec quelle hardiesseces
pcrsonnes cnlreprennent de parler
de Dieu. » — P. 225, et 277. — « Qui
n'adm'xrera que notre corps u P.
299.
Aflliger, pour : frapper, aballre,
1. Moiitiiiguc, Bss., li?. II, ch. is. a Le a. Montaiene, Ih'U.
■tul mo)eii cjiiu )u prendi pour rabaltn: cctte pour nouB uiiajflr. ■
II iioiia f»ul abttxir
LES PLUS REMAUQUABLES DE PASCAL.
sad
du latin affligere. — « Quand la
inorl affligeoU un corps innocent. ><
V. 424.
Agir, Agissant. — « Lnissons done
agir ce serpent et ceLle Eve. » P. 430.
— Ce sont Icurs conseils qui sont en-
core vivants ct agissanls en nous. »
P. 4^8.
Aggraver, rendre lourd. — « Un
corps qui nous aggraue et uous
abaisse vers la terre. » P. ;i09 '.
Agrandir. — « II y a des passions
qui resserreiitl'anie etqui la rendeiit
immobile, et il y en a qui I'agran-
idssen I et la fo nt r^pandre au dehors."
P. 495.
— S'agrandir. — « On sent le feu
s'agrand'ir. » P. 490.
Aider, aid6, aidant, aidante, sans
relatif et sans r(5gime. — « Toutes
choses etant aid4es et aidanles. —P.
307.
Aiguillon, aiguillon de. — » Les
cnfants de Port-Royal auxquels on
ne donne point cct aUjidllon d'envie
et de gloire, tombent dans la noncha-
lance. >. P. 256.
Air, le bon air, pour : les belles
mani^res. — « Qu'il cherchoit le bon
air. » P. 276.
Aliegement. — « Un solide alUge-
ment.^^V. 413.
Aller, alter d. — « QuMl aille de
lui-m6me h Dieu. " P. 262.
— Avec un lerme abslrait person-
niQ6 : « Vous voulez oiler a la foi,
el vous n'en savez pas lechemin. »
P. 294.
ALT.EES ET VENUES. — « La uaturc
de rhomme n'est pas d'aller tuu-
jours;elIea5e5 allies el ses venues. »
P. 259.
Alliance. — « Tout tombe sous son
alliance, » pour dire : tout a unlien,
J. Uorace, Sat., 11, a, 77 ; « Corpus. .. aoi-
nium... pragravat alque nffligit. — Mon-
liiigDC, ibid, cite ce passage du livre de la
line alliance avcc Iiii. " P. 307. Pascal
a essayi^ plusieurs mots avantd'arri-
ver a celui-li.
Allumer (s'). — « Les yeux s'aliu-
ment et s't5teignent. » P. 492.
Amblgu. — « Dans un 6tat ambigu
en Ire les poissons et les oiseaux. »
P. 245.
— AinbiguUC. — « Ambiguity arn-
bigue. » P. 41/, en parlant du pyrrho-
nisuie qui doute de ses doutes.
Aukiti^, pour aflection profonde,
y compris I'amour. — « Une haute
amitie. » P. 490. — .< C'est une obli-
gation de la nalun; que les homnies
fassenl les avances pour gagner Va-
rnitid des dames. » P. 495. — Au plu-
I'iel, m6me sens. — •< Les grandes
(VHiifi^* votitjusques-la. « Ibid.
Aiiiourcux, -enclin a Famuur. —
•( On dit qu'il y a des nations plus
ajiiouremes les unes que les aulres."
P. 497.
— Amoureusement, avec amour.
— '< II nc doit pas accuser de la vio-
lence qu'il souffre la mfere qui le re-
tient amour easement. » P. 449.
Ample, amplitude. — « Tout le
monde visible n'est qu'un trait im-
perceptible dans I'ample sein de la
nature. » P. 193, et p. 297. — •( La
diversity est &i ample. »> P. 254. —
(c Dans I'amplitude et immensit)5 de
la nalure. » P. 297.
AnatomUer, diviser. — « Mais si
on I'nuatondse. » P. 255.
Apr^s, courir aprcs. — « Courir
apr^A* les fum6es. » P. 245.
Aspirer A, avec un substantif, et
aussi avec un inflnilif; aspirer de.
— u Comme c'est a Dieu qu'elle as-
pire, eWe n'aspire encore d'lj arrivcr
que par des moyens qui viennent de
Dieu. » P. 473.
Sagesse^ch. IX : Corru/itibile corpui aggraoat
animam.
!&;o
VOCABULAIRE DES LOCUTEONS
Asspoli', au figur(5. — « Et je ne ^Attacher, s"altacher.—»Q\ie\que
voispas pourquoi fl.¥«eoJ7-son imagi- lerme ou nous pensions nous atta-
nation sur I'un plutol que sur I'au- c/ier el nous affermir. » P. 195, et305.
Ire. »P.190, eL306.
— AssiETTE. — « Nous brfilons de
d6sir de trouver une assiette ferme. »
P. 195 et 305.
Assiijctir. — < II y a tine
place (Vattenie dansleurs'cceurs, »P.
table 6quit6 auroit assujiti tons les 489.
peuples. » P. 53. Attrister. — a Des divisions de
Assurer, rendre sftr, mettre ensG- Ciiarron qui attristent. d P. 276.
rete. — On assure la conscience en Autorls^, non pas qui a re<;u une
montrantla faussel6; on n'a*5ure pas autorisalion, mais qui poss6de de
labourseen montranll'injustice.» P. l'autorit6. - « Si saint Augustinve-
261 . noil aujourd'hui et qu'il fGt aussi peu
— S'ASstTRER, se metlre en sOrete, antoris^ que ses d^fenseurs, il ne fe-
et so croire ensCirel6. — « On nepcut roilrien. »»P. 271.
s*assurer, et Ton est toujonrs dans la Avanlage, tirer avantage, tirer un
defiance. >> P. /i93. — « Voyant trop avantage, grand, considerable, admi-
pour nier, etlrop peu pour m'assu- rable, etc., d'une chose, conire, etc.
rer'. » P. 252.
— S'assurer que, pour gtre certain
que. — « Et s'as.fure qu'elle a en soi
les forces n6cessaires pour cette con-
quete.» P. 247.
— AssouANCE, 6tat ou on est eusft-
ret(5. — <( ISe cherchons done point
d'asswance et de fermele. » 1 90 el 305.
— fl Un certain degr6 de perfection
oil I'on soit en assurance. » P. 406.
— Etat ou on est sur d'une chose.
— Personne n'a d'assurance s'il veille
ou s'il dort. » P. 50.
— Assun^, il est assure qup, il est
certain que. — " Il est bien assure
qu'on ne se dfilache jamais sans
douleur. n P. 440. — « II est assure deravoir I'autre.
que vous servez t'Eglise par vos pri6-
res. » P. 149, et43-2.
Attacbe ,prendre atlache,s'allacher
i quelque chose. — " Pour moi je
n'ai pu y prendre d'allache. » P. 185.
—ATTACBEMEjiT-, Aitachernent a. —
" Ceux qui out des attacheuients an
monde qui les y retiennent. » P. 450.
— « Ainsi nous lirerons avantage de
nos propres imperfections. » P. 427.
— « II y enaassez.Dieu merci.dece
qui est a^jk fait, pour en tiier un ad-
mirable avantage conire les maudites
maximes. " P. 151, et 443-
Avaricleux. — >< Vn avaricieux qui
aime devient liberal. » P. 49o.
Avo. r, avoir de quoi,avecunverbe.
— « Et que faoois de quoi la connoi-
tre. » P. 246.
— Avoir, avec y, comme il y a des
bomraes. — « N'j/ ayant rien de siin-
concevable, » pour : rien n'6tant si.
P. 308.
— Ravoir. — w Cela me fait esp6rer
B p. 337.
B
BapUser, familiSremenl, pour :
donner un surnom, un sobriquet. —
■« Depeur qu'une qualitene I'emporle
et ne fasse haptiser. » P. 253.
Barbouiller. — « Les enfants qu
J. Moutaigne, I'.'id. • Et s'asiurfdf par ceUa cfticliision cl di»cours,clc. i
LES PLUS REMARQUABLES DE PASCAL.
b41
B*effrayent du visage qu'ils ont bar-
bOHilUK » p. 47-2.
Base. — « Nous brCilons de clSsir de
trouver une assiette ferme et uiieder-
ni^re base consta,nte. » P. 195, et 305.
Bassesse, marque quelquefois une
situation humble, sans iiucune id6e
de bassosse morale. — " Si ce discours
vous plait et voussemblefort,sachez
qu'il est fait par un liomme qui s'est
mis £i genoux auparavant et aprfes,
pour prier cet 6lre iniini et sans par-
ties, auquel il soumet tout le sien, de
se soumetlreaussilevOlre,poui*votre
propre bien et pour sa gloire, et
qu'ainsl la force s'accorde avec celte
bassesse. " P. 295.
BaUerle, pour intrigue. — " Une
ballerie dangereuse fut entreprise
contre nous. » P. 336.
Beau, belle, ironiquement. — « Si
faut-il voir si cette belle philoso-
phie... » P. 247. — «( ha belle chose
de crier i un homrae elc., et la belle
chose de le dire etc. » P. 262.
Bienfaisant.— « Vous serez Piddle,
honngte , bumble , reconnoissant ,
bienfaisant... » F. 296. Ici bienfaisant
parait bien vouloir dire faisanl du
bien, et non pas seulement faisant
bien.
Blesser, fc/e5*d. — « Laraisonn'est
pas plus bless6e... " P. 62, 23i, et 291.
Bon. Tout de bon. — « Je ne crois
pas que cesoit toutde bon que tusois
fach^e. D p. 456. - « Quelquefois en
faisant semblant d'avoir compas.^ion,
elles (les dames) Font tout de bon. »
P. W3.
Bout, about, we/rre about, mettre
au haul bout^ pour : mettre toulafait
a bout.- « Cela avec Escobar les met
au ham bout. » P. 459.
Branler, chanceler. — « Quelque
terme oti nous pensions nous attacber
et nous affermir, il branle et nous
quitte. D p. ]9.>, et 305.
Brave, fami!i6rement pour bon,
excellent. — « Et les braves Pyrrho-
niens. )>P. 247.
Brouillpr, D6brouil!er, embrouil-
ler, embrouillement. « Ceux qui sa-
vent broniller leurs id/'es. » P. 487.
— D^bioiiiller. — « Un embarra
qui a continue... et qui ne s'est pu
d^brouiller. » P. 402.
— Eiiibroidller. — ^< EmbrouUler la
malVere. » P. 48 et 49.
— Embrouillement- — « Qui dem6-
lera cet embrouillement? » P. 242.
GaehctCe, en cacbelte. — « II (I'a-
mour) s'y trouve secretemenl et en
cachetle. » P. 486.
Cachot.— a Ce petit cachot ou il se
trouve loge, j'entends I'univers. »
P. 297.
Canton, au figure pour une rj^gion
particuli^re. — « Qu'il se regarde
comme 6gar6 dans ce cantnn d6tourn(5
de la nature. » P. 193, et 297.
Capable, capacile, incapacity.
— Capable de. — " Quelque 6teu-
due d'esprit que Ton ait, Ton u'est
capable que d'une grande passion. •>
P. 484.— « Capable de pen et de beau-
coup, de tout et de rien. f P. 243 ^
—Capacity, lacapacitt^ d'une chose,
pour son ^tendue. — « II est visible
qu'elles ne sonl plus que I'esprit
mfime et qu'ainsi elles remplissent
loute sa capacity. » P. 48H. — « Les
petites choses flotteat dans sa capa-
city (ducceur)... » P. 490.
— Capacity ponr.— << U ne fautpas
moinsde capaci/^ pourallerjusqu'au
n^ant que jusqu'au tout : il la faut
1. Montaigne, Id. a Les enfant* qui a'ef- 3. Monlaigne, lliid. « L'homnie eat cajjablo
frayent de cc m^mt' risage qu'ilsoul barbouillc. de toules choses comme d'aucunos. ■
S42
VOGABULAIRE DES LOCUTIONS
infinie pour Tun etl'autre. » P. 303.
— incapaciu^ pris absolument. -
« J'en ai ressenti mon incapacity. » P.
400.
Caracifere, pour type, module inrn5.
— « Nous naissons avcc un caractere
d'amour dans nos cceurs qui se d^ve-
loppe k mesure que I'esprit se perfec-
tionne. >» P. 486.
— Caractgriskr (se)..., se caraclS-
riser dans..., pours'imprinier,se gra-
ver dans. — •< Aulant dc fois qu'une
lemme sort dc soi-meme pour se ca-
ract^riser dans le cceur des autres. »
P. 491.
Causer, Caus^, CflMsan/, pris abso-
lument. — « Toutes choses 6tant cau-
s^es el cnvsanles. » P. 307.
C4>6sation de. — « (Jne cessation
d'inquiefude, » P. 498.
Cbaos. — An propre : «( II y a nn
chaos iufini qui nous s6pare. "P. 290.
— An figure : '< Quel chaosi " P.
227.
Cliarmc— n Ce cftorme viclorieux
qui les enlraine. >- P. 444.
€liliii£re. — " Quelle f/i/mt-re est-
ce done que Thomme ? " P. 227.
CliolMrdc, pour : enlre plusieurs
parlis prendre celui de. — « II a
choi.ti d'y demeurer. » P. 435.
Cloaqiie, au figure. — « Clo'jque
d'incerlilude et d'erreur. » P. 227,
Cceur. — Le C(Kuroppos6 a la rai-
son. P. 43 et 44. — " Cowioissances du
cseur et de I'iusthtci. P. 44, 202 et
203.''—" Le cceur sent qu'il ij a Irn'is
dimensions dans I'espnce. » P. Ai, et
203. — "Le coenr a son ordre. » P. 44,
el 202. — « Le cceur a ses raisons. »
Utid.
CoiWer, se coiffer de. — « Si on y
sonye trop, on &'enlSle el on s'en
coiffe. » P. 172.
Golosse. Un colosse^ pour : une
chose trfes grande.— «Qui n'admireru
que noire corps, qui tautdt n'lStoit
pas perceptible soit ci present vn
colosse. » P. 299.
Comporlemetttd.— « Nos compov'
temenis au dehors. » P. 4.55.
Composer, former i I'aide d'un
melange.- « Qui ne croiroit , k nous
voir composer toutes choses d'esprit
et de corps ? •> P. 191, 309 et 310.
~ Compose. Compost de. — Nous
sommes composes d'esprit et de ma-
nure.
— CoMPOSB, absolument, pour m6-
lang6. — " Notre &lre compo\^. » P.
177, et 309. — « Noire 6tal double et
compost. P. 308.
Compter, etre compu, pour: avoir
de I'importance. — « C'est li ou nos
pensi^es doivent ^fre.principalement
comptCes. IJ P. 447.
Compte. Au bout du compte. —
" Etil n'est qu'un bomme auboutdu
compte. » P. 243.
Conclare, avec un regime direct,
pour; prouver, demontrer. — « Cette
impuissance ne conclnt autre chose
que la foiblcsse de noire raison. »
P. 44, et 203. Pour dire : De cette im-
puissance on ne pent conclure autre
chose que...
— Se conclure : « Les principes se
sentent; les propositions se con-
cluenl. » P. 4'i, et 204.
Condiiire, conduit. Conduire un
raisonnement. — « Le raisonnement
bien conduit portoit a le croire. »
P. 401.
— La conduile de quelqn'un vent
dire quolquefois, non pas la conduile
que lient quelqu'un, mais la manifiie
dont quelqu'un conluit les autres ou
conduit une afl"aire. — « Nous h6ni-
rons la conduile de la Providence. »
P. 415. _ » Sur I'ordre et la conduite
de qui ce lieu el ce temps a-l-il 6tt5
deslint^ A moi? » P. 'ihS. Cujus im-
perio el ductu...
— La conduile d'lme c/io.se.— «Dieu
LES PLUS BEMAROUABLES DE PASCAL.
543
ne fait point de miracles dans la
conduite ordinaire de son Eglise. »
P. 271. — « Remellons-nous h Dieu
pour la conduite de nos vies. » P. 430.
— « Si nous lui en (des (5v6noments )
remell^ns la conduite. » Ibid.
— Conduite de quelqn'un sur. « La
conduite de Dieu sur la vie et la ma-
ladie. » P. 110, el 412 el4l3.
— Au plutiel: Voila les admirables
conduites de la sagesse de Dieu sur
le salat des saints. » P. 425.
Gonfondre , r^fuler haulemenl et
viclorieusemenf, jusqu'^ faire honte
a celui qui est r6fut6. ~ « 11 est plus
facile de les confondre. » P. 250. —
- P. 2i2. —
« Elle eiit sans doute confondn I'or-
gneil. » P. 401.
Gonnottrc. Connoiire que. — « J'ai
conuu que notre nature... » P. 246.
Consequence. Une chose d'une
grande consequence, pour : qui a de
grandes consequences. — « Voilii un
doute d'nne terrible consequence I .>^
P. 251.
Gonsolatir. Consolalif a. — « Dis-
cours bien consolalif a ceux qui ont
assez de liberie d'esprit pour le con-
cevoir au fort de la douleur. i> P. 141,
el 413.
— Consolalif pour. — « Un beau
mot de saint Augustin et bien vonso-
latif pour de certaines personnes. »
P. 431.
Gonsommer, pour acbever.— "En-
fin pour consomrner la preuve de
notre foiblesse. " P. 192.
Gonslant. Ferme el solide, presque
physiquement,— <> Une assielte ferme
et une derni6re base constanle. »
P. 195et30.^j.
Contre-polds. — Nous ne nous sou-
tenons pas dans la vertu par noire
propre force, mais par \^€ovire-poids
de deux vices opposes, comme nous
demeurons debout entre deux vents
conlraires. » P. 254.
Gontribiicr, avec un double regime
direct el indirect. — n Je souhai-
terois d'y contribuer quetque chose. ■>>
P. 400.
Goopfrer, Cooperateitr, Coopira-
leur a — Tout coopere en bien pour
les dlus. » P. 427. — " TJn corps sou-
mis et coopdrotenr a ses volont^s. >f
P. kU.
Gourag;e, donner courage, donner
courage a. ~ « Donner courage aux
foibles. » I*. 449.
Couvrlr.— " Sous le voile delanalure
qui nous le couvre ( Dieu)... » P. 434.
— « Le voile de la nature qui couvre
Dieu. i> 435. — .1 Toutes choses cou-
vren( quelque mysl^re: loutes choses
sont des voiles qui couvrent Dieu. »
P. 436. — « U ne sort tlu secret de la
nature qui le couvre. » P. 434. — Les
alllictions temporeiles couvreni les
biens spirituels ou elles conduisent;
les joies temporeiles couvrent Jes
maux ^lernels qu'elles causent. *
P. 430. — « Vous le couvrez (lemoi),
vousne I'olez pas pourcela'. "P. 168.
— Se couviir de, pour: s'envelop-
per, se cacher sous : « 11 s'est encore
plu.s cache en se couvrnnt de I'huma-
nitu. » P. 435.;— u Le desir de vaincre
est si nature!. que, quand Wse couvre
da desir de faire triompher la v6ril«,
on prend souvenl I'un pour I'autre. »
P. 455.
— Decouvrir, pour: devoiler, met-
tre an grand jour : « 11 nous ddcouvre
sa volonte. » P. 441.
— Eire ddcoiivert : « La veril6 y
est decouverle. » P. 415.
1. Montaigne, Ibid. • Noire rtligic
noiirrit, U'S inrile, »
csl faile pour cxljrper Its viceB : file les couvre, let
S44
VOGABULAIRE DES LOCUTIONS
— .Se d^couvrir: a Si Dieu se d^cou-
vroii continuellement aux hommes. »
P. 434. — P. 451, et 447.
La dissipation de. — « Je ne trouve
que des occasions de le faire naitre et
de I'augmenter (le trouble) dans ceux
dont yen avois attendu la dissipa- ■
tion. » P. 400.
Diversiner (se). — « Le caprice
des hommes s'est si bien diversifie
que... D P. 261.
Divertlr.— Divertir, pour d^tour-
ner, divertere. — « C'est un artifice
du diable de divenir aiUeurs les ar-
mes dont ces gens-li combattoient
les h(5r6sies. » P. 271.
— tire diverti,'^Q\iv'. gtre cl(5tournfi
hors de soi, jet6 dans des occupations
^trangferes. — « Si Thomme etoit heu-
reux, il le seroit d'autant plus qu'il
seroil moin-?diyer/i,comme les saints
et Dieu. » P. 259.
— Le diver lissement, absolument,
pour : occupation (3trang6re. qui.jette
Tame hors d'elle-mSme. — a La seule
chose qui nous console denos misfires
est le divertissement, et c'est la plus
grande de nos miseres. » P. 176. —
a S'il est sans ce qu'on appelle diver-
tissement. t> P. 180. — a Eire.... sans
divertissement, n P. 258.
Dogmatiser. — « Qui ne dogma-
tisent que sur ces vains fondemenls. »
P. 222.
Dog;mati6te8. — « L'unique tortdcs
dogmatistes. n p. 50. — « A quoi ces
dogmatistes ont encore k r<5pondre. »
If)id. — (I La nature coufond les pyr-
rhoniens, et la raison confond les
dogmatistes. » P. 242. — « Qu'en onl-
ils connu ces grands do;;malistes qui
n'ignorent rien? » P. 246.
Domesilque de, pour : apparle-
33
%i^
VOCABtLAiRE DES LOCUTIONS
nant h, demeiirant avec, logeant
chet, dii Ifilin dotriesikuS. — aQu'elle
(IaV(5rit6) ne demeure pas en terre,
qu'elle est domeatique dti delt qti'etle
loge dans le seiti de Difeu. n P. 242.
tlohilncr.— Domlnfer S, dorhinari
alicui. — » Qui efit dii k vds geit^raux
qU'un l^•thps eloil ptochte qu'ils domi-
n^roietit leri mccUri dl'JEt^Mse uniyur-
Belle? B P. 274.
— Tiomxner $ur. — « Dominant sur
les uns et les autres. >- P. 198. — « Do-
miner .sur ici nature. » P. 427.
btiniter, se donner^ se dunner a.—
«Geiix qui sednnnent aDieU." P. Ur,Q.
iiouceut-, rloticeurs. — o Le plaisir
d'aimer saiis I'oser dire a ses peines,
niais aussi il a ses douceurs. • P, 492.
bouteux, qui doute, un dduteux,
faire le douteux de. — « Que je hals
ceiix.qui font les douteux t^es mira-
cles! i P. 270.
E
l^branler, 6brnnU. — " II I'aut une
inondaiionde passion pour \e9.60rnn-
ler (les grandes ^mes) et pour le^
remplir. » P. 4W.— «< Depuis qu'on
commence i 6Li'e ^hrnnle par \n ydi-
8on. I) P. 485. — 1 Eire ^branU par
quelque objet. » P. 490 — « Qu^md
on est loin, la raisonu'estpiissi^troH-
Ue; nials elle i'esl 6trany;emenien la
presence de I'objel. " P. 497.
Ecliec, en icfiec, ten'ir en ichec—
Chassez cet animal qui lieni sa raison
en ichec. » P. »83.
i^claler, pour: paraitreavec 6ctat.
— a La grandeur de lafoi delate bien
davanlage, lorsqu'on tind k t'immor-
talit6 par les ombres de lamort. » P.
426.
— Eclater en. — < tne vie d'action
qui^c/«/e en 6v6nemeuls nouveaux."
P. 496.
rffectlf. — ■ I! ii'y a jamais eu do
pyrrhonien e/?ec/i^et parfait *V. 51.
EfTutilon. — <• Une effusion de &a
substance. » P. 409. — « Les choses oil
elle (I'^me) s'abandonnoit avec une
pleine effusion de coeur. » P. 467.
Egar6, Eynris, pris substantive-
ment — a Ces misfirables ^gards. •
P. 183.
— ^garemenl, Vigarement a... —
o L'^garetneni a aimer en divers en-
droits.^. " P. 4^4.
Embarqu^, pour engage. — *Vou8
^le& embaiqit^. o I*. 291.
JSmluent, Erninenc€f Preeminence*
— a Cette Elevation fsl si 4m'mente
et si Iranscendante. n P.47I. — n Vi-
rrimence de la science. ^ P. 464.- a La
preeminence de I'esp'it. d P. 463.
J^molfnii, emotion de. — « Vne
emotion universelle de lapersonne. »
P. 4-^4.
EmpCcber. — « Trop de distance
et trop de proximity empeche\-A\\xe,.i>
P. 194 et Sbi. — « Trop de jeunesse
et trop de vieillcsse empeche I'espril »
P. 304.
— Empechements. — lEnmurmu-
rant contre tes empichements. " P.
4n4.— Pans ces empechemenfs, etc ►
Ibid. — ASGAL.
^k1
sentiments d'erreur qui aoiit si em-
preintt en nous-mgmes. » P. 421 —
u Noua empreignons de noire 6tre
compost toutes Jes ctiost's simples
que nouscoiitemplons.x P. 177*01309.
Euceinte. — a Dans Venceinie de
ce racfoiirci (i'atomes d P. 193, et 298.
EDdurci . — « Des alhi^es endnrcis. »
P. 59, el 225.
— Endnrcissement. — « II prenoit
mon refill poar endurcissement » P.
401, ('1402.
Enfler, Enpg, Enfliire, — « Nous
avons beau eufler nos conceplions o
P. 193, el 297. — u Je hais iSgulenient
ie bouffon eiVenfl^. » P. 259. — « Je
hais les mots d'- nft re. « Ibid.
Engaj^er. — « Engager a, poui* :
donner en ga^^e k altacher i\ soil
h uiie chose, sriit ^ une pei Sonne. —
« En engageaut un enfant de son ftj^e
et de son innocmee et raSme de sa
pi6l6 a ia plus pSl^illeuse et la plus
basse de.s conditions du clirislia-
nisme. » P. 452. — « Engager an en-
fant a un liomme du commun. » P.
433.
— Engager a, avec urt verbe. —
o Engager d perdre ce bien. " P. 452.
— S'engager, s'engager dans. —
■ S'engager dans des pr6voyaiices. u
P. 431, etM7.
F.ngloiilir. — a L'univers me com-
prund et m'engloulii. « P. 179. - " Et
i'ilitihi ofi ii est engloiUi. » P. 194, et
3no.
Enneml, itre ennemi a quelqu'un,
irtimicus alicui, gens iniinica mihi...
Vifgile. — » Les qualitfis excessives
■nous sont ennemies el non pas sensi-
bles. >' P. 30i.
Ennill. Ennittjer.— oVn amusement
langui^sant Venniiiera. >• P. 172. —
« L'61oquence continue, ennuye. » P.
180.— « Les rois ne sont pas toujburs
sui* le lr6ne, its s'y ^'nriiileroieuL »
ibid
ifeoorme.*— « It faut que la justico
de Dieu soil /,norme comme sa mis6-
ricorde. Or, la justice envers les rt^-
prouvesi^at nioins rf/ionHfi... n P. 287.
En^eUnemeiil. — -i Et pratiquons
eel enseigiiemenl, » P. 415.
EDsemble, loui ensemble— "Quand
I'amonr et I'amliition se renconlrent
ensemble, n P. 484. — « Quand on a
Tun etrautre esprit tout ensemble. .f*
P. 486. — u J'ai peu d'heures deloi-
sir el de sant6 tout ensemble... » P,
399.
EDl<*nclu, faire I'eniendu. — « On
fail I'eniendu pour ^tudier I'avenir. »
P. 447.
Entrer dans , au figure. — « Elle
(Pame) entre dans une saiiite confu-
sion et dans un 6tonnemfnt qui lui
porle un trouble bien salulaire. »
P. 469 — (I Elle entie dans la vue des
grandeurs de son ureateur, et dans
des huinilialious et adorations pro-
fondes. • P. 47j.
— Entrer dans un ouvrage, dans
une pensee, pour: s'y accommodrr,
se mettre au point de vue convenable
pour en bien juger. — n Si on consi-
d^re son ouvrage incontinimt apr6s
I'avoir fail, on en est encore lout
pr^venu ; si trop iongtemps apr^s,
on n'lj entre plus. " P. 176. — " lis
enirenl dans leitrs principes pour
moderer Irur folie, au mollis mal...
qu'ilse peul. » P. 183.
— Ehlrer en. — ..Elte (I'^me) entre
en confusion d'avoir pi-efi5r(i tant de
vaiiit^s h ce divin mailre. » P. 472.
— Entrer en defiance, pour : com-
mencer ;\ se defier. — a je suis entrS
en defiance de moi et puis des au-
tres. I. P. 246.
Entreienir (s*), pour : se tenir en-
sembte, se tenir en rapport.— «f outes
choses s'entretenantpixTmxWhti na-
ture! et insensible. » P. 307,
Eriv(ptdi>pf'P, Envelop}}^. — « Nos
Ki8
VOCiVBULAIRE DES LOCUTIONS
pfich(5s ti0U9 liennent envelopp^s
p;irmi lea choses corporelles. n P.
404.
— Envelopper (s'). — ■ Tout cela
s'enveloppe sous le nom de campa-
gnc. » P. 255.
j^poruvantablc. — <> Elle (I'&me) a
recours a sa piU6 (de Dieu) pour ar-
reter sa colere dont reffel lui paroit
^pouvanlable. » P. 472.
lEpulser. — U epuise ses forces en
crs conceptions. » P. 298. — Dans
celteconcpplion qui t^pnise ses forces.
P. 472. — « On epuise lous les jours
les maniferes de plaire. » P. 489. —
« II est dilficile qu'il n'^puise bien-
lot tons les moiivemenis dont il est
ayit6. .. P. 492,
Equivoque, une Equivoque. —
a Toule celte enirevue se passa dans
cette Equivoque, i* P. 402.
Escobartine, pour : Equivoque,
d'une morality douteuse, comine de-
puis les Provinciales on a dit esco-
harder pour 6quivoquei\ — « Des
m(£urBescobar tines, n P. 212.
Estlnier, pour juger, existimare.
— " Nous n'estimons pas que i> P,
135. — On en doit esiimer de la
sorte 1. P. 144, et429.
— Esiimer, pour : appr^cier, (iprou-
ver, peser, estimare. — " Estitnons
ces deux cas. » P. 233, et 2'H.
Elablir, S'^iablir, S'6tablir dans.
— " L'ilme cherche k s'^lablir dans
une f61icit6 aussi durable qu'elle-
mgmc » P. 469,
Elabli, pour : solidement 6tabli, et
au moral jouissant d'une grande au-
toritiS. — " La v^nl& est si obscurcie
en ce temps et le mensonge si itabli
que... B P. 270.
Elal, en 6tai, en 6tal de... — " On
est toujours en 4tai de vivre h. I'ave-
nir, et jamais de vivre maintenant. •
P. 447.
£iendue. Avoir iiendue, pour : Stre
(Stendu : — « il a itendue commt
nous. P. 288.
£ternlt£, au pluriel. — a Laquelle
de ces ^lemilSs. » P. 251.
£;tcrnuer, inflnitif subslantif, et au
pluriel. - Q Tousles ^ternuers...»
P. 255.
^Conner, pour : faire une impres-
sion trfe& forte.— "Tropdeveri 16 noHS
eioune. D P. 194, et 304.— »
P. 492.
Evidence. L'ividence de. — t II
faut bien que I'ividence de Dieu ne
soit pas telle dans la nature, o P. 226.
— Avoir de I'^vidence, pour fitre
Evident. — « Les premiers principes
ont trop d'dvidence pour nous. » P.
30 .
Exaliation. Vexalta lion d'une
chose, pour sa glorification, expres-
sion employee surtout dans la langue
LES PLUS REMARQUABLES DE PASCAL.
M
de la th^ologie, — « Utile au bien de
rifeglise et A I'exaltation du nom et de
la grandeur de Dieu. » P. 414.
Excellcmmeni, pour parfaitement.
— « Qui n'est pas centre eux (les Pyr-
rhoniens ) est ecccellemment pour
eux.«P.5i,eH80.
£xc6s, ExcMeVy excessif.— « C'est
qu'ils ont cjt c^t/^ I cute borne. » P.
2H. — « Les qualitSs excessives nous
sont ennemies et uon pas sensibles. »
P. 304.
Expedient. Expedient poui; utile
a, — fl C'est le plus expedient pour
sa gloh'e et pour notre salut. »P.<44,
et 429.
Extraordinairement.— « Ceux qui
ont refu exiraordinairement doivent
esp6rer exiraordinairement » P. 441.
Exiravaguer. — « La nature sou-
tient la raison impuissanle et I'em-
pfiche d'extravaguer jusqu'i ce
point. » P. 51.
Fabrtquer, Fahriqu^, au figur^.—
« L'homme est done si heureusement
fabriqu^. » P. 245.
Faiilir, faire une faute.— ((Comme
il arrive a tout le monde de faiUi'r. d
P. 276.
Faire, Avoir a faire, N'avoir que
faire. — P. 260.
— Faire corrompue, pour corrom-
pre. — « Us font I'Eglise corrompue,
afin qu'ils soienl saints: i» 272.
— Faire Vorgueil de... — « L'tiumi-
litfi d'un seul fait I'orgue'd^Q plu-
sieurs. » P. 273.
— Faire I'itre de...pourconstituer.
— u La pens^e qui fait I'itre de
l'homme. ■> P. 135.
Fasluenx. — « litres.,, aussi fas-
lueujc. >• P. 302.
Pautlf.— oRienn'estni/'rtfffi/'queles
lois qui redressenl les faules. » P. 54.
Feu, pour : vivacity. — « Elles (les
passions) demandent beaucoup de
feu. » P. 484. — « Taut que Ton a du
feu, Ton est aimable; mais ce feu s'6-
teint. » P. 485. — il Je ne parte que des
passions de feu. » Ihid. — « On sent
le feu s'agrandir. i» P. 490. — u Les
uns sonMout rfe few. n P,496. — « 11
faut du feu, de I'aclivitS, et un feu
d'esprit naturel el prompt. » P, 497.
FIgnrer, — " La nature Irompeuse
le ^j7H7-edelasorte.i» P. 42i.— «Cetle
pr6diction de la ruine du temple ri5-
prouv6 figure la ruine de Tliomme
r6prouv6 qui est en nous. » P. 449.
Fin, flnesse, de linesse, un esprit
de finesse : — P. S-S. — «. Ne
pouv;in1 fnire qu'il ?.oU force ^'ohft'iv
a la justice, on a fait qu'il soil juste
d'ob6ir k la force... « P. 56.
J.e fort, pour : la force. — « Ne poii-
vantforllfntr la justice on a fortilU la
force, afin que le juste et le fort fus-
sent ensemble. » ibid.
— Le /"or/d'unecbose, fl'un homme,
pour direcequl en lailla force; adjec-
tif-snhstantif qui lui mdine admd un
adjectif... — " Je m'arr&le h Vuniqne
fori des dogmaiisles, qui est que... »
P. 50.
— All fort de... a Av fort de la dou-
leur. D p. ui et413.
Foiirnlr, sans regime et absolu-
ment. — » Elle (I'imayination) se las-
sera pIulAt de coMcevoir que la nature
de fonrmr. * P. 297.
Fulr, FuHe, Fiiir d'une fuite. —
• Entre les deux infinis \\u\ renfnr-
ment et le fuieiit. » P. 306.— « II jilisse
^ifiiit d'une fuite ^lernelle. •> F. 305,
Fum^es, au flgur^.— « Courir aprfes
les fum^es. d p. 2, el 242. une esp6ce d'in^nf et d'aern^I. »
— imftrfci/e a, avec un verbe, pour: P. 257.
incapable de.— « Voili une parlie dos — Au pluriel. — « La n.-iture avpit
causesquiPendeutl'liomme5ii7n&^ci/e faitlani6mc:choseparcf*rfe«x/n/?ni*
a connoiire la nature." P. 191, et 31 1). nalurels et raoraux.)>P. 266.— ..Man-
lrapCnCirabie a.— Wmp^n^rraftie que d'avoir contempl^ <:e* infims. ^
rtlavuedes homines. » P. 434. P.ls9, eL3uO.— "i)e tes Ueux infinis. »
Inipllque, pour embarrasst5, du P. 302.
laltn impticatiis. — » Les preuves de — infinite, infiniti's. — « Sa doub'e
Dieu m^taphysiques sont si 6loigii6?s infinite. » P. 301. — « Une irifinitfi
de notre raisonnemenl et si Unpli- d'tnfiniies de pioposilions. » lbi4.
qu^es. » P. .59.
Impossible , plus impossible. —
«Rion n'es\ plus impossible quecela-n
P. 308.
Inipre^tfilons, Essvifer une irfpre^-
5fon,recevoirune impression ou mal-
gr6 soi ou avee doinmage.— « Courir
apr^s les fumi^es et e^siiyer les im-
pressions de cette mailresse du mon-
de. 1. P. 245.
Imprimer. — « La nalure a si bien
imprJm^cetlev^rit6dansnosames...r>
P. 487.
Inipiiissants a. — «Cela nous rend
impuissanis a connoUre. « P. 308.
Iiicerialnenicnt. — all hasarde
cerlaiiiement le fiui pour gagner in'
ceriuinemeni le fuii '. » P. 293.
InconiDioder, pris absolument.
1 Trop de plaisir incommode. « P. 304.
Iiicomparablemeut, sans compa-
raison. « Des parlies incomparable-
metit plus petites. » P. 298.
Incompr^lienslble. — « Jusqu'ili
ce qu'il comprenne qu'il est un
monstre incomprehensible. » P. 240.
Inconsolable , rapport(5 U des cho-
seset uon h des personnes. — « Puis-
Inflnltlfs subslanllfs au pluriel. —
« Tons les marchers, lotissers, inoii-
chers, €terniiers , sont diff^rents. ■
P. 254.
Inflrme, pour : faible.— <• L'homrpe
est assur^nieul tiop ihfirme pour... i
P. 430.
Iiiondailon. Inondation die... r-
'< H I'aut une inondntion di; passipii
pour les (5bi'aiiler(lesgrande9ames)
et pour les romplir. » P. 497.
intelligible. Les chases inielliyi-
bles oppo.'^^esaux chores mat^rielles.
— "Notre intelligence lienj dans I'or-
dre des choses intelligibles le mfime
rang que notre corps dans r^tendue
de la nalure. » P. 303.
UiWres'er (s') pour.— »\ou& vous
interessez pour I'^gliie. » P. 433.
luUme. V'mtimc d'une chose, pour:
la parlie inlime, le fond de cetle
chose.— <'Z>«n« Vihlime de la volonU
de Dieu. » P. 414.
Intinilder- — « L'Ecrilure a pourvu
de passages pour consoler toutea Ips
conrlilions et pour mtimider toutea
les coudilions. » P. 266.
Irr^conciliable.— « Qnand elle ^i
que la mort du corps est si terrible calme la dissension irrdtonciiial/le. »
qu'elle nous cause delelsjrtO»yemenf*, p. 423.
celle de Tame nous en devroit bien j
causer dep/it* inconsolables. "P. 427.
InOnt, substanlif. — « Ainsise fait 3e ne saisquol.Sorterte siibstanlif
1. Montaigne. Ibid. ■ ImpreFsiom iuperfi- ment el incerlaintwent en U fanlaisi. . ■ C*
ciallt)!, leaqueUvf... TODt nagcant lAmiraire- mot «t tombi fori a ton ea UMuitud*.
bS2
VOGAfiULAlUE DES LOCUTIONS
qui ades relatifs comme un subslan-
tifordinaire.Surl'amour: — fl La cause
en est unje ne sais quoi (Conieille) et
les effels en sont effroyables. Ce je ne
sais quoi, si peu de chose qu'on ne
saurait le reconnoitre, remue toule
la terra. » P. 242.
Sea. Jouer, joiter un jeu. — « ll se
joue un jeu. n P. 232 et 290.
— Le dessous du jeu. — « N'y a-t-il
pas moyen de voir le dessous dn jeu? n
P. 63, 234, et 294.
Jus(e. Le juste, pour la justice,
comme I'honn&te pour I'honnetet6,
le fort pour la force. — a Afin que le
juste et le fort fussent ensemble. » P.
56. — Se dit aussi pour le point juste.
— fl Encore qu'on ne puisse assigner
le juste, on voit bien ce qui ne Test
pas. » P. 274. — En g6n6ral ce qui est
juste et raisonnable. — « Le juste est
de ne point parier. « P. 291.
Langulssant. — a Un amusement
langnissant I'ennuiera. " P. 172.
Ltgrer d, au lieu de : pour. — » U
(le joug) n'est l(5ger qu'd lui et d sa
force divine. » P. 448.
Lever. Meter. S'elever. Relever.Se
relever. — Lever. — uj'ose lever mes
yeux jusqu'i ma Heine. » P. 464.
— Elever, clever contre. — « De li
vient rinjuslicc de la Fronde, qui
6leve sa pretendue justice contre la
force. » P. 261.
— Relever. « Pour abalsser notre
orgueil et relever notre abjection. »
P. 266. — Apr^s avoir fait ce che-
min... on decline miserablement...
neanmoins un rayon d'esp^rancc, si
bas que Ton soil, rcUve aussi haut
qu'on etoit aupuravant. » P. 493.
— llelever sc dit aussi pour donner
du relief.— u Quand une fcmme a dc
Tespril, elle Tanimc (sa beaultS) et la
relive merveiileusement. » P. 488.
— S'^lever.— « On s^6Uve par celte
passion et on devient toule grandeur. »
P. 496.— A lafois s'^levernu-dessus el
relever au-dessiis. — « Par une sainte
humilite que Dieu reUve au-dessus
de la superbe, elle irame) commence
k s"6lever au-dessus du commun des
hommes. " P. 470.
— Se relever d'une chose, pour : se
relever par le moyen de cette chose.
— B Toute notre dignile consistedans
la pens6e. C'est de Id qu'il faut nous
relever, non de I'espace et de la du-
r(5e. " P. 180.
Re/ei'^, eparlicipe-wLanaissancerc-
Zef^epar racial de rauloril6. »P. 464.
- nelev6, e. adjectif. Une id6e re-
levde. — « Ne pouvant former d'eile-
meme(rame) une id^e assez belle
ni en concevoir une assez relev^e de
ce bien souverain. » P. 472.
Liberie. Eire en liberty, en liberty
de. - « Je fus en liberty de le voir '. »
P. 401.
Lfberlfnage, ind^pendance d'es-
prit pouss(5e jusqu'a Iat6merit6, et op-
pos(5e k la superstition. — •! II y en a
bien quicroient, mais par supersti-
tion ; il y en a bien qui ne croicnt pas,
mais par libertinage. » P. 264.
Limitcs, au figure, appliqu6 a une
personne. — « Je prie Dicu... dc me
renfermer dans mes limites. » P. 447.
Logcr. Se ioger dans, dans une
place, au figure. — « II y a une place
d'attente dans leurs ctEursj elle s'y
logeroit. » P. 489.
Lumi^re. — " C'est une luniUre si
edatantequ'elle )'e;at//if sur...DP.445.
— Le singulier pour le pluriel :
■iQiii, rechereliant de toule leiir lu-
midre lout cc qu'ils voient dans la
nalvu'C qui Ics peul mener k cede
connoissance, lie Irouvent qu'obscu-
ritoettenfebres.-.i. P. 225.
1. Honlalgiic, lliid. t Les nietlre in tihtrt^ d« conibattre iioiro rcligi
LES t>LUS REMAHOtJABLES i)E PASCAL.
5SS
L'uH el Tantrc, au neuire, pris
absolument. — « II no faut pas moins
de capacity pour allerjusqu'au n6ant
que jusqu'au lout : il la faut infinie
pour/'HH el Vautre. " P. 303.
Luxurfanl. — « Trop luxuriant. »
P. 260.
M
Machine.— ha machine, oppos6 i
lar^flexion.— aUtilitedespvcuvos par
la machine. » P. 280. —i^tre machine,
c'est-i-dire Stre osclave de rhaliitude,
de la routine, d'une vie unie et tran-
quille.— " Les e^prits mediocres sent
machines Jiartout. » P. 485. — Dans
un sens bien plus general : « Nous
serious des machines tr6s d^sagrea-
bles. B P. 495.
Magnlflqiie. — " L'on devient ma~
3H?^(//'esansravoirjamais^te."P.495.
Mattresse de. — Celte mailresse
d'erreur. » P. 200.
lUaladlc, au figur^. « Comme je ne
pensois pas etre dans cette maladies
je m'opposois au reraMe qu'il mepr6-
Bentoit. i> P. 401.
Malingre, Malingres. — « Les maiin-
gres soul gens qui connoissent la
v6rlt6, mais qui ne la souliennent
qu'autant que ieur int6r6t s'y ren-
contre ; mais hors de la ils I'abandon-
nenl. » P. 270.
Manqucr, manqiiev d, avec un
iiifinitif. » Je manque\a [aire plusieurs
choses. » P. 447.
— De manque, pour manquant. —
« Aprfes un moment d'absence, on la
trouve de manque dans son cceur. »
P. 498.
— Manque, subslantif. « Mon man-
que de connoissance. " P. 402.
— Manque de , pour : faute de.
t Manque de loisir. u P. 399.
— Avec un verbe: ^^ Manque d'avolr
conlempl(5 ces intinis. « P. 189 et 300.
Marcher.infinitifsubstantif.auplu-
riel. — "Tousles marchers... » P. 255.
lUarqiicr, elrc marqu(5. — « Si je ne
voj'ois rien qui marqudt une divi-
nile...r, p. 252. — » Ces proph(5ties...
marquent la certitude de ses v6riti5s. »
P. 268. — » Puisque la volonl6 de Dieu
y est marquee, n p. 442.
— Marqner que. — » Celte predic-
tion... marquequ'W ne doit ^.tre laiss^
aucune passion. " P. 449, et 450.
Marque, marque de. — « Et c'estcela
qui est la plus grande marque de son
excellence." P. 176.— «Allii5isme, ?»flr-
que de force d'esprit. » P. 226, et 227.
— P. 252.
— Marques que. — « Se rejouir de
rencontrer des marques qu'Ws sont
dansle bon cbemin. " P. 444. — C'est
une des meilleures marques qu'on agit
par I'esprit de Dieu. « P. 454.
Masquer. — « Masquer toule la
nature et la d(5gulser. » P. iG7.
MAti^ve, Ma tier e de.— « La nature
ne m'orfre rien qui ne soil mati^re
de doule et d'inqui(5tude. » P. 252.
Mandjt, pour d^tesiable. - « Les
mandiles maximes. i' P. 151, 443.
Kl^ditailon. Quelquefois la puis-
sance, et non pas seulement I'acle de
la meditation. Avoir de la in^dilation.
— P. 259.— i- L'hunimi: esl si
grand que sa {ir.indeur parotl. rn^me
en ce qu'il se connuit ml^drable. Un
arbre ne se connoit pas miserable. i>
Ibid. — u C'est une titis^rable suite de
|a nature humaine. » P. 49t.
— Avec uuH nuance de nn6pris :
n Et uiish-able, it est seul. " P. 2o8.
— Mis^rablement. — •< La vie de
rhomnie est rnis^iablemmt courte."
P.48o.— (1 On decline mis^rublemeul.o
P. 493.
Mission, avoif mission, mission
pour. — « On apii eomme si on avail
mission pour i'aiie triompher la ve-
ritij^au lieu que nous lyavonx mission
que pour eombaltre pour etie. " P.-i55.
Module. — " Coux-ci uorronipent
les lots : le modele est gat^. » P. 273.
Mol. Le vioi, le moi liuinaiit. —
fl Le moi est liaissable. » P. 167 eL 168.
— "La pi6te chr^tienne aneanlit le
moi hiiinain; ia civitit^ humaine le
caehe et le suppriine. » P. 137.
Monde, le tnotide de. — a L'E-
Rllse, qui est le monde dts fideles. d
P. 419.
Monsire, ussembtuge de parlies
contraires. — « S'il se vanle, je I'a-
bai&se; s'il s'abaisse,.ie le vante. et le
contredis toujours> jusqu'a ee qu'il
comprenne qu'il est un monsire in-
comprehensible. » P. 240. — •> Quelle
chiin^re esl-ce done que Thomme !
quelle nouveaul6, quel mrmslre... ■■
P. 227.
— Mojisirueua;. — « C'est une chose
mo}istrueuse de voir.., n P. 169. —
> P. 494.
lUuteur. — « Le meme tuoteiir qui
noLis porte a a^ir. « P. 454. — ally
a uniforniiti5 d'espril enire le moUur
qui inspire nos passions et ceJui qui
presci'iLla resistance i nos passions.*
p. 455.
Moucher, inrinitlf sutjstantif, au
pluricl. — « Tons les mouchers... . •
P. 255.
Mourir A. — « L'anie soutTie et
meurt au pi5chi5, » P. 425. — « Le
corps meat I a sa vie mortelle. » Ibid.
Muei, au ligure. — "En voyantl'a-
veu^lement el la misere dei'hoiiime,
et regardant lout i'univers mueh »
P. 177.
lUysUque, poui- mysltirieux. «C'est
le iondeineni nnjstiqne despnautorilt^
(eu pal lant de r6quiL6). » P. 54.
N
Ni^ant, le.n^aut. — » Un touti re-
gard dunCaut. » P. 29y.— n II ne taut
pas moina de capacile pour alter jus-
qu'au nt?ant que jusqu'uu tout. » P.
303 — -ijiyaienient incapable de voir
le 7i^anl d'oii il esl tir^ que I'infini oii
II esl englouti.B P. 300. — «Toules
chnsts soul snrlies du ninnt et pur-
leesjU:*qu'a I'iiifnii." Ibid.
— Vn uduiit. — « Qu'est-ce que
I'homme dans la nature? un m'anl h
I'tiyard de rinlini.» P. 2^9. — "Le lini
s'aiibanlil en presence dc I'iidini ei
de\ii nt un purn6ant. " P. 287.— aElle
{I'jlmejcommenceaconsidt^rercomme
un ndaut lout ce qui doU relourner
dans le nCnnt. " P. 460.
— Lenfinnt de. d'une chose, d'un
61re ; h Vqus verrc? lant de u^ant
LES PLUS KEMA^QUABLES DE PASCAL.
555
de ce que voushasardez. " P. 295. —
« II senl son m^ant. » P. 258.
Net, JSetlet^. — « La netlete d'es-
prit cause aussi la vetietd de la pos-
*to";c'est pourquoi nn esprit grand
et net aime avec ardeiir, A il voit
dislinclempiit. cc qu'il aime. i* P. 486.
Neeii
556
vocabulaire des locutions
Partlculier, le particul'ier, — ale
particulier de ce qui compose cette
machine, n P. 461.
Passer, pour surpasser, 6tre au-
dessus. — « CertainemenL cela passe
le dogmatisme el le pyrrhonisme,
et loute la philosophic humaine.
L'honinie posse rhomme. » P.242.—
t Apprenez que Thomme passe infi-
niment I'liomnie. i> P. 242. — « Mais
peut-6lre que ce s\i]ei passe la pori^e
de la raison. » P. 247. - n Si elle (Ja
delle) HOi'5 passe, elle blesse. » 304.
— Surpasser. — a L'^lendue visible
du monde «oi/*5Hrprt55einriniment.i>
P. 303. — « Mais comme c'esl nous
qui surpassons les petites choses... »
Ibid.
— En passoiil.— « Won pas en pas-
sant et centre sa maxime. » P. 276.
Pay*, 6tre bien ou mal pay6 d'une
chose. — Nous voilti bien payis! "
P. 247. — Surpayer, payer plus qu'on
ne doit, n Nous voulons avoir de quoi
surpayer in deiie. * P. 304.
Pedant, substanlif, pour pedago-
gue. — « On ne s'imagine Platon et
Aristote qu'avec de grandes robes de
pedants. i> P. 172.
Peindre, peint. — u II n'y a rien
de m'leux peiul. » P. 450.
— Se peindre. — a Le sot projcl
qu'il a de se peindre lui-meme. >■ 276.
— D P. /(95.
Peine. Faire peine, pour6trep6-
nible. — La seule comparaison que
nous faisons dc nous au fmi nous
fait peine. » P. 190 et 306.
1. La tnemc dilVircnce s^|)are a cesse e\ ttt
iu Uieu d'isniiil )us fOlt;* iont Cfssiita. a
Perseculenrs. Pers^culeurs de..*
— (njustes per*^cMfeHr*rfe eeux que
Dieu protege visiblement! n P. 209.
Percepiible eMmpercepdble. oQui
n'admirera que notre corps, qui tan-
tot n'iStoil pas percepiible dans I'uni-
vers, imperceptible lui-mSme dansle
sein du tout, soil k present un co-
losse. n P. 299.
Perl, p^rie. — u La synagogue 6toit
la figure et ainsi ne p6rissoit point;
ce n'6toilque la figure elainsi estp€-
rie », pour marquer qu'elle est et de-
meure d^truite, tandis que a p€ri
n'aurait indiqu^ quune perte acci-
dentelle'. P. 206. — a Neconsid^rons
plus son &me comme pirie et r^duite
au n(5ant, mais comme vivifi^e et
unie au souverain vivanl. » P. 421.—
u Elle (Fame) consid6reIes choseap(5-
rissables comme p6rissantes el m§me
d6ja paries. » P. 468.
Persnade, axsez persuade, trap
persuade, — « On n'a qu';\ voir leurs
]ivres,si Ton n'estpasa**e2 persuadi^;
on le deviendra bien vile et peut-fetre
irop. »P. 223.
Pliilosopbe, substanlif, faire ie
philosophe, sur une chose. — « Et
ceux qui font sur cela les philoso'
phes. » P. 176.
— Philosophey adjectif. — « C'filoit
la partie la moins philosophe et la
moins si5rieuse de leur vie. » P. 183.
— Au neutre : — « Le plus philo-
sophe 6toit de vivre simplement et
tranquillement. » lOid.
Philosopher. — Se moquer de la
philosophic, c'cst vraiment philoso-
pher. P. 42.
Place. Tcnir a quelqu'un la place
de... — (1 II n'y a rien dans la nature
qui n'ait 616 capable de liii en teuir la
place. » P. 181.
Plaisant, pour ridicule. — < Plai-
9tsii. Rnciiie, AtUalU, act* Ter, icfua Ic*. t £l
LES PLUS REMARQUABLES DE PASCAL.
S57
jflH/fl justice qu'une rivifere borne. » — Denotre port^e. — a La v6ril^
P. 34. — n Le plaisant Dieu que irest pas de noire port^e. » P. 242.
voila! » P. 1fi3. — « Nous sommes — La port^e de... — P. 185. la raison. » P. 247.
— « Les casuisles sont ptnisnnts de
croire... » P. 274.
— Plaisanierie. — <> La plaisante-
n'eesl telle que, etc. o P. 261.
Planter, pour 6tablir solideraent.
— « On la verroil (la justice) planitfe
par tous les Etats d» monde. " P. 53.
Plein. — fl L'esprit est plein; il n'y
a plus de place pour le soin ni pour
rinqui6lude. 1 P. 493.
— plein, pour : entier, complet,
parfait. — « Que rhomme contemple
donclanalure entiferedans sahauteet
pleine majeste. »P. 192 et 296. — « La
promesse que J.-C. nous a fiiile de
rendresajoye pleine en nous.n P.4S5.
— A plein, pour pleinement, dans
toute son 6tendue. — « Qui vou-
dra connoitre a plein la vanit6 de
rhomme, etc. » P. 242'.
Pour, avec un infinitif et dans le
sens de parce que. — » Et la dur^e de
notre vie n'est-elle pas egalement et
infiniment^loignee de I'^ternite, pour
durer dix ans davantage ? » P. 306.
PrCcipHation.'— C'ett une preci-
pitation de pevs^et qui se porte d'un
cot^^. .. P..495.
Prendre. Ne pas prendre, en par-
lant de germes, de semences, pour •
ne p9S r6ussir, ne pas bien venir. —
" En priant Dieu de b6nir ces semen-
ceset deleur donner raccroissemenl;
car sans lui les plus saintes paroles
ne prennenl point en nous. » P. U2
et 426.
— Le prendre de lelle on telle ma-
nifere. — ■ Mais je ne le prenois pas
ainsi. » P. 245.
— S'en prendre a. — « Ne nous en
— Plenitude. — « Con^u de loute prenons done pas A la devotion, mais
6ternit6 pour §tre exf5cut6 dans la a nous-memes. » P. 445.
pl^nitude6e son temps. » —P. 4U.— Pr^ordonn£. — « Tout ce qui est
■ Cettep/^"i^'deCdelapassion) quel- arriv6 a 6i6 de tout temps presju et
quefois diminue. " P. 493. — « II y a pr^ort/onn^ en Dieu." P. 4t4.
une pUnilude de passion. » P. 495. Pr€venir, pour anticiper. — u Pre-
Ployer, pour fli^ehir, au neutre. — venir V a venir. » P. 446 et 447,
■ C'est un tyran... II veut Sire seul : — Pr^venu, pour pr6occup^.— « Si
il faut que toutes les passioiisp/o^eȣ on consid^reson ouvrage incontinent
etlui ob^issent. » P. 490. apr6s Tavoir fait, on en est encore
Plus. Tant plus, tant plus, pour tout prtlvenu. it P. 176.
plus, plus, latinisme. — « Tant plus - Prt^venu que, pour : imbu de ce
lechemin est long dans I'amour, tant prejug^ que. — « Suivre le train de
plus un esprit di^licat sent deplaisir.i* leurs p6rcs par cede seule raison
qu'ils ont <3t(i pr^oenus chacun que
c'est le meilleur. d P. 256.
PrCvoyance. — » Le Seigneur n'a
pas voulu que notre pr^voiiance s'6-
.1 Connoissons done tendit plus loin que le jour ou nous
P. 190 et 303. sommes. » P. 447;
P. 493.
Politique. Vne politique. — « C'est
H?ie mauvaisepof i/ique de less6parer»
P. 214.
Port£e. —
notre po\Ue.
1. Moliere Mitanthvope,
trallre. ■
aclc ler, icene lor, a Au traven d« ion masque on voit a plein le
SbS
VOGABllLAIHE DES LOCUTIONS
— Pr^i'oyauces. — « Lorsque je
sens que je m'engage dans ces pr^-
roydnces. •* Ibid. — « Ne nous fati-
guons pas pour des pJ-^yoi/r/nccj in-
discr6li's'el tem6ruires. » P. 430.
— Pr^t oyances de... — « Les ;>r^-
voyauces des besoins et des ulilit6s
que nous aurions de sa pr6sence. »
P. 429.
Price, l&.cher prise, pour : aban-
donner sa pr^tenlion. — « Lui qui, si
peu qu'on le pousse, est furc6 de Id-
cher prise. << P. 52.
— i'rises. — » II ^cliaijpe k nos pri-
ses, n P. 195el3ii5.
— Avoir des prises^ 'des prises ca-
pnbles de...— v. Voyons si elle a quel-
ques forces el quelques prises capa-
bles de saiiijr la v^riti^ '. » P. 247.
Prix. An prix do, pour : eh compa-
raison de. — « Que la lerie lui pd-
roisse un point an prix^M vdste tour
que eel aslre(le sOlciDdec it. »> P. 297.
— "^ous n'enfantonsquedes atomes.
ou pr\x de la r6alil6 des choses. »
Ibid. — u Considere ce qu'il est au
prix de ce qui est'. " Ibid.
i*rt>reNSl(ih. foire profession de. —
41 D'eii fdire profession. » P, 2.)l.
Progrts, le progr'es. — L'eiitree et
leprofifreiellecouronnenient.KP.iW.
— Les proQr'es. — « Des obsl;icles
s'opposent h. tears progrH. » t*. 454.
— Par pioip-^s. — « Tout ce qui se
Jierfectiohne pa'- p>o£/i^j p6rit aussi
par progres. >■ P. 258.
Propos, apropos, Aire apropos.—
" La parole d'unesainle est dpi-opo*
sur ce sujet. •> P. 4">0.
Proposer, pour: mrltre eh avunt,
selon le sens propre de ce mot. —
• Quandon n'^coule pliis latradition,
quand on ne propose plus que le
pape. 1) P 21 1 .
1. MoiUaigiie, Ibid. « bi \es prises humaiitei
4toieiit asNei i'apdbUi kt fiTiiies pobr *al't(>
la 9drii4. * — • Qu« no* prifi UiiguiuaiUi;.-
Propre, substantivement. Le pro-
pre de... — u C'est le propre des seuis
cathoiiques. " P. 435.
— L'esprii propre, par opposition k
IVspril de Dieu. — » C'esl ce que fait
Tesprit propre. o P. 454. — « Nous y
trouvons des choses que Vesprit
propre qui nous fait agir n'y a pas
formets. » Ibid.
— De rnon propre, pour: de moi-
meme. — " Je n'entreprendrois pas
de vous porter ce secours de mon
propre; mais conime ce ne sontque
des r^pelitionsdecequej'ai appris...»
P. U2 et 426.
— Appropricr, s'approprier.— tl y a
apparence que Dieu s'est appropri^
cette affaire. » P. 446.
Palssauces, pour facult^s. — » U
faut cotnmencer par 14 le chapiiredes
p*(!*«f7ticej trompeuses. » P. 2Ui. —
" Aprfes avoir examine toutes ses
puissances (de la raison) dans leurs
effets, reconnoissons-lts en elles-mg-
mes » P. 247. — a Cei^lat, qui lient
le milieu entre deux extremes, se
trouveert toutes nos puissances. » P.
304.
Pur, Purement.— « Pens6es pures.m
P. 4S4. — " Des pensees qui appar-
tietment purement k I'esprit... » P.
485. — « Au lieu de recevoirles id^es
des choses puremtHf. » t*. 309.
Q
QuoL — Sur quoi, d qnoi, sans
quoi, non pas seulement au neutre,
mais se rapporlant IndiffereiTiment
au masculin ou au feminin, et m€me
au pluriel. — >< C'esl done la pens6e
qui fait I'etre de Thomme, el sans
quoi on ne le peul concevoir n P.
135. — " Elles tiennenl de la lige sau-
TuiffMit capable^ pour, etc. ■
9, MoDiaiSiiA, Ibid. ■ Aa /trijr d' ItoOtme. •
LES PLUS REMAROtlABLKS DE PASCAL.
SK9
vagesur^Koi elles sont erit^es. » P.
213. — « line base conslante sur quoi
nous puU&ions ^dilier... » P. 305. —
« Je manque h I'aire pUisieurs chostis
a (ivdi Je sui^ bblit;^. » P. U7. — Au
neulie. •< Je eioyois que... j'avois de
qtidi la COiinoilie. » P. 246. — « Nous
v6uions avoir de qUoi surpayer la serait fini et ntpporiant d Dieu '.
hii. » P. 231 et 289. — « L'hcinlme a
riipport a lout ee qu'ii connoil. ■
P. 307. — « Et. pour contioihe I'air,
savoir par ou // a rapport a la vie de
rhomme. » ibid.
— liapfiorier A, pour: a\oir rap-
port i. — .. L'amour pour soi-m6me
detie. » P.304.
Quol qae, pour quelque chose que.
— ■ Quoi que la ntlture sugyfere. » P.
141 et 421.
P. 422.
Ra\lr, ^Ire ravi. — « J'ai ^16 ravi
de voir. -> P. 399.
Rebiii, rebut de... pour exprimer
Inaction de rebuter ou le rfisullat de
celle action. — « Si on iie Irouvoit
plus de douceur dans le m^pris.dana
la pauvret^, dans le dutiuement, el
courci de. — « Je lui vcux peitidre dans Le rebut des hommes. » P. UM.
Baccourcl, un rnrcourri, un rac-
non-seulemenl TUnivers visible, inais
eheore tout ce qu'il est capable de
cbiicevoirderimmensUe de lanalure
dans I'enci^inte de ce roccourci d'a-
tonie. u P. 193 et298.
Radical, poiir nature!, fondarticn-
t^l, nppbse k ce qilt est ai-cessoire et
decircbnstance.— « Beaute radicate »
P. 488.
Rdittas^er, se ravia.sser. — «( Je me
ramasse dans moi rnime. » P. 151 el
447. — Pour dire que la loi n'a pas
d'auire fondenlent qu'rlle - mgme :
«( telle esttoute ramnsA^e en soi, elle j^t. » p. ^^i.
— " (iloire el rebut de Tunivers. ■
P. 228.
ReconiioisKable. — « La force est
Ir^s reconnoissiible. » P. 5*. — "II 6Lait
bien plus reronuaissnble." P. 435.
Refusion, loie refusion. — •< II me
semble que l'amour que nous avons
pour mon p6re ne doit pasfetre perdu
pour nous, tt que nous en devons
fiiire line refusion sur nous-memes. "
P. U3 et 429.
R^SCnlts, les regents,.. — u Ecou-
lons les regents du rnonde sur ce su-
es! la loi, etrien davantage. » P. 54.
Ratsoniier, le raisonnevj intlnitil-
substiinlif. — « Les autres religions
ne disoient pas cela de leur foi : elles
ne donnoieut que le ruisonner pour
y arriver, qui n'y vienl point nean-
moins. » P. 266.
itapport, avoir rnppnrt A. — « S'il
y a un Dieii, il est Infiniment incom-
prehensible, puisque, n'ayant ni par^
R^g:ieilieiit, le r^glement d'une
chose, etc. — tiCe n'esl point de I'es-
pace queje doischercher madiynil^,
mais c'est du reglement de ma pen-
see. » P. 179.
Keldcbe, sans reldche. — « Ces
autres plaisirs qui nods lenient suns
reldrhe. » P. 445.
Remplir. ReinpUr une place, une
place se reiuptit. — ■ II semble que
lies ni bornfes, il n'a nul rapport a. ^ous ayons une place d remplir dans
hoiis.. »P. 59,231 et 28&.— « Ce n'est nosctjeurset qui se remplii effective-
pas k nous, qui n'avons nul rapport a ment. » P. 487. — « Pouvant remplir
I.Montaigne, Ibid, i Aussi n'eSt-il ^m choseh du mondi rapporiant ducuUemenl kl'ou.
eroyable qu'il n'j »il qbelfiue Imagp Jui. vrier qui La a Lalle» d formats. .
560
VOGABULAIRE DES LOCUTIONS
plusieurs places. i> P. 489. — « Et
qu'ainsi ellns (les pensr^es) remplis-
senl loute sa capiicile (de i'esprit). "
P. 485. — « L'homme cherche arem-
plir le grand viiide qu'il a fait en
sortant de soi-nienie. » P. 487.— " Un
plaisir vrni ou faux peut remplir 6ga-
lement I'esprit. « P, 489. — « Une
haute amili6 remplit bien mieux
qu'une conuiuine et egale le caeur de
l'homme... » P. 490. — « 11 faul une
inondatiou de passion pour les 6bran--
ler [les grandes ames) et pour les
remplir. « P. /i97.
Bcniuenienl, remiiemenls. — « U
lui faul du remuemenl elderaclion. »
P. 484. — " On a la satisfaction de
sentir tous ees reN((je<«eH(* pour une
personnc... i' P. 492.
Ren^atner, pour cesser d'atlaquer,
ahandonner une mana'uvre, une in-
trigue commenceecontrecjuelqu'un."
— "On rengainuy et promptement. »
P. 336.
Benverseiiieut. — Renversemenl
continue! du pour au centre. "P. 182.
R^parateur, riparaleur de...~ "II
y a vn reparaieur. » P. 276. — " Le
r^parateur cle noire misere. "P- 268.
Reposer, reposer clans, exprime
une situation paisible , (juelquefois
avec i'id^e de m;ijes1e, — " Si je voyois
partout des marques d'un crf5ateur,
je reposerois en paix duns la foi. "
P. 252. — ■ Le Saint- Esprit repose
invisihlement dans les reliques de
ceux qui sent morts. » P. 151, et 432.
Repreeenier, pour : reridre pre-
sent, exposer, exprlmer, mettre en
lumiere. — « Je trouve necessaire de
repr^senler Tinjuslice des hommes. »
P. 250. — P. 484.
Sans nientir, familiferement pour:
en v^rite. — « Sans menlir, Dieu est
bien abandonn6. « P. (50, el 442.
Saii.»< fact ion, saiisfaciions. — « La
veritable piiM6 est si pleine de satis-
factions " P. 445.— "J'en ai re^u de*
salisfaclions si sensibles. » P. 399.
— Avoir satisfaction. — *> J'esp6re
qu'ila auronl satitfaction. • P. 349.
LES PLUS REMARQUABLES DE PASCAL
« En sautant de sujet en
561
Sauter.
sujel. » P. 276.
Scrupulc. — a Un saupule conli-
nuel iLi combat (I'ame) dans celte
jouissance. » P. A67.
Second, un second. — « L'homme
seul est quelque chose d'imparfait :
Jl faut qu'il Irouvc un second pour
etre heureux... » P, 490.
Secret, pris subslanlivemenl. Le
secret d'une cliose^ pour dire I'obscu-
ril^ dont une chose est envelopp(5e;
par exemple, le secret de la nature,
pourexprimer non pas Ics secrels de
la nalure, mais sa p.irlie int^rieure
et cach6e. — u ll (DIeu) ne sort du
secret de la nalure qui le couvre. n
P. -134. — " Le secret de i'esprit de
Dieu cach^ encore dans I'Ecriture. »>
P. 435.
— Avec un adjectif : « Get Strange
secret dans lequel Dieu s'est retire. ->
P. hZU. — « II a choisi d'y demeurer
dans le plus Strange et le plus ohscur
secret de lous. » P. 435. — « C'est l.'^ le
dernier secret oil 11 peut elro. »> ibid.
— « Deschoses... qui se passent dans
unentier secret. P. 457. — a Dans un
secret impenetrable. -> P. 194 et 300.
— Le secret de, pour: I'art de. —
« Le secret d'entretenir toujours une
passion, c'est... I) P. 492.
Selon, selon que. — •< Selon que
Dieu nous I'a voulu r(5v6Ier. » P. 245.
—^i Selon qn'on se sent trop emporter
vers Tune , se pencher vers I'autre
pour demeurer debout... » P. 445.
Seniblant, un semblant, fairesem-
btant. — "L'on ne peul presque faire
semblant d'aimer que Ton ne soil
bien prfes d'Stre amant. » P. 497. — « II
faut avoir I'esprit et la pens6e de
I'amour pour ce semblant. ^ ibid.
Senlir, se sentir. — « Les principes
se sentent; les propositions se con-
cluent. D p. 44.
Stfrleux, de son plus sdrieux. —
" S'il y a quelquo chose ou son inl(S-
rfit propre ail. dCi la faiie appliquer
deson plus s^rieux. » P. 247.
Si, pour cepeudani, neanmoins. —
« S/, faul-il voir si celle belle philo-
sophic... " P. 247. — « Car encore que
le Roi aitdonnt5 graced un homme,
si faut-il qu'elle soit enl^rinee. "
P. 272.
SileDce. — « Le silence est la plus
grande persecution. » P. 213. — « Le
5i/e)?ce elernel de ces espaces inQnis
m'elTraye. » P. 227. — « Vn silence,
une eloquence de silence. » — ■< En
amour, un silence vaut mieux qu'un
langage. II est bon d'etre interdit.
11 y a une eloquence de silence qui
p^nfetre plus que la langue ne sauroit
fairc. " P. 494.
Song:e, faire un songe sur un autre-
— « On reve souvent qu'on reve en
faisant un songe sur I'autre. » P. 50.
Eonger, pour : penser. — » II y en
a qui n'ont pas le pouvoir de s'em-
pecher de songer, el qui songeni
d'aulant plus qu'on leur defend. ><
P. 215.
Sol, d'une chose et d'une personne.
sotlise, sottises. — " Le sot projet
qu'il a de se peindre lui-ni^me! »•
P. 276. — " Et s'il ne s'ubaisse i cela
et qu'il veuille toujours 6lre tendu,
il n'en sera que plus sot. » P. 243.
— « Qu'est-ce que cette peris6e ? Qu'elle
est sotte! » P. 223. — •< Que ce sont de
sots discours ! » Ibid. — « C'est une
sottise. »' P. 289. ~ « Dire des sot-
tises. » P. 276.
Soup^on, soupQon de... ~ « Ce n'est
pas une marque de saintet(5, et c'est
au contraire un soupQon d'h^r^sie. »
P. 210, pour : c'est au contraire de
quoi fonder un soup^on d'h6r6sie, de
quoi rendre suspect d'heresie.
Soiiplc, sonplesse. — « Une sou-
plesse de penseep. " P. *86.
Soutenlr. — « Si un Dieu sontient
36
56^
VOCABULAIRE DES LOCUTIONS
la nature. » P. 232. — « Les pens6es
pures, qui le rendrolent heureux s'il
pouvoit toujours les soutemr,\efRli-
guent etl'abatterit. - P. 484.
— Soutenir, Clre le sontien de, le
sujet de... — « Le sujet leplus propre
pour la soutenir (la beaut6) est une
femme. » P. 488.
—Se soutenir.— 1< L'amour donne de
resprit el il se soutient par I'esprit. <>
P. US9. — " Le respect et l'amour doi-
venletresi bien proportjonn^squ'lls
se souiiennent sans que le respect
^louffe l'amour. >■ P. 496.
— Se soutenir dans... par. « Nous
ne nous soulenons pas dans la verlu
par noire force. » P. 254.
— Snulenn de, pour : soutenu pn?'.
— " Bel ^lat de I'Eglise quand elle
n'est souientie que de Dieu! » P.
27).
Special, special a. — " C'estle pri-
vilege special des Chretiens, n p. 420
ft 421. — " Par un privilege special
on Fils unique de Dieu. " P. 419.
Subslster , subsisler dans uno
chose, pour: y persev6rer, s'y soutenir
malgr6degrandesdilTicull(5s.— "Ceux
qui subsislenl dans le service de
Dieu. " P. 442.
Siiile, en suite de... — « En suite
des premiers compliments... .- P.
401. — i(En suite de tant de veilles. »
P. 461. — " En suite de ces pri^res. »
P. 473.
Superbe, adjectif, passim.
Superbe, substantif, pourorgueil.
— «( Une sainle humility que Dieu
relive au-dessus de la superbe. » P.
470.
Supportable , insupportable. —
" C'est ce qui n'est pas supportable."
P. 276. — "Kien n'est si insupportable
k rhomme que. » P. 258. — « Le coup
e»t irop sensible, il seroit m6me in-
supportable sans un secours surna-
lurel. » P. 426.
Sar, sur cela, pour: cela 6lanl. —
<' El sur cela, comme si la chose n'en
valoit pas la peine, lis negligent... »
P. 251.
Surcroll, de surcroit. — « Que son
barbier I'ait mat rase, et si le hasard
I'a barbouilI6 de surcroit. » P. 474.
Susceptible de... — « Le peuple
n'est pas susceptible de celte doc-
trine. »P. 222.
Suspendre.— « Elle( Timagination)
suspend les sens. » P. 180.
— Suspension, pour irresolution:
« Et les braves pyrrhoniens en leur
ataraxie sont en suspension perpd-
iuelle. '. P. 247.
— Suspendus pour irr6solus; stis-
pendus a tout , pour en suspens sur
touf. — "Neutres,indifferents, 5U5pen-
dus a tout, sans s'excepter. " P. 180.
Teindre. — •< Au lieu de recevoir
les idt5es des choses purement, nous
les teignons de nos qualites. « P. 177,
et 309.
Tempeie. Une vie de lempgte. —
" la vie de fempite surprend, frappe
et p6n6tre. - P. 496.
Tendresse, tendresses. — « Avoir
des tendresses extremes pour... »
P. 442.
Tendu. — « Et s'il ne s'abaisse a
cela, et qu'il veuille toujours etre
tendu. ■» P. 243.—
LES PLUS REMARQUABLES DE PASCAL. 563
Tirer avaiitage , un admirable dogmalistes, qui frayai/fe/u celui qui
avantage.,. Yoyez Avamtage.
— Tirer dii profit- — « Nous en de-
vons tirer ce profit que... ^ P. 427.
— Tir^ par les cheuenx, pour peu
naturel. Figures de I'Ancien Testa-
ment '< Vn peu lirdes par les che-
veiix.>f P. 228.
Tomber, tomber d'lai bonheur,
d'un honneur. — « Afm qu'ils ne lom-
bent d'un a-I grand bonhetir el d'un si
grand honneur. » 'P, 151 et -5i43.
Toucher. — « On crolt toucher dcs
orgues ordinairea en touchani riioin-
me. » P. 257.
— Toucher, au figurt^, pout* indi-
quer brifevement. — « Et pour vous le
toucher en peu de mots, u P. 142.
— Toucher, pour 6mouvoir.— «L'a-
venir nous doit encore moins tou-
cher. » P. 447.
— tire louche, pour : etre touch^
par la grace. —uAvanlqu'on soit tou-
ch^, on n'a que le poids de la concu-
piscence qui porle k la lerre. » P. 440.
— " La premiere chose que Dieu in-
spire a Vkme qu'il daigne toucher... d
P. 467.
Tonsser, k I'infinitif et au pluriel.
— a Tous les toussers. » P. 254.
Traia, le train de. — « Suivre] le
(rain de leursp6res.D P. 256.
Tranquilliser, tranquitlis^. — uSi
son ternperamment ne sera pas si
tranquillis^ q\ie. » P. 452.
Trauscendant. — " Cette 616vation
est si 6minente el si transcendanle.o
P. 471.
TraDSir. — « J'entre en une v^n6-
ration qui me transit de respect ' en-
vers ceux qu'il semble avoir choisis
pour ses 6ius. » P. 438.
Travailler, pour tourmenter. —
■ Les philosophes , pyrrhoniens et
les recherche. » P- 28).
Travers, a trav^rs. — P. 244.
VtiUt^, utilit^s. — Les pr6voyances
des besoins et desutilit^s que nous
aurions de sa presence. " P. 144 et
429.
Vain, se dit aussi des personnes,
comme en latin. — « Le peuple n'esl
Moiilaignc. Hid. o Transi d'liffroi.
564
VOGABULAIKE DES LOCUTIONS.
pas si vain. » P. 182. — « L'homme
est vain. * Ibid.
Vanity, faire vanii^ de... — a D'en
faire profession, et enfin d'en faire
vanity. I) P. 251.
— Prendre vnniU d'une chose. —
u II y a sujet d^eii prendre qiielqite
vaniU. I) P. km.
Vasle.— " 11 a lecoeiirlropuoife. »
P. i87.
Vcr, ver de terre, pour bus et fai-
ble. — u Imbecile ver de lerrel » P.
227.
Vertu, pour force. — u Par lai'crfii
de cet esprit. i> P. 421.
Vrg;ueur, donner vigveur a. —
"Comnie s'il eloltune autre puissance
qui excifat leur piel6, et une aiilre
qui dounai vigneur h ccux qui s'y
opposent. » P. 45i.
Visible, pour trfes evident. — « II
est visible que... >• P. Uhi.
Vocation, vocation pour. — « II ne
faut pas examiner si on a vocation
pour sortir du moruic, mais seule-
menl si on a vocation pour y demeu-
rer. » P. <'j50. — « I) est vrai qu'il faut
vocation, mais cc n'esl pas des arrels
du consL'il qu'il faut upprendre si I'on
est appel(5. » P. 213.
Voguer. — u Nous vogiions sur un
milieu vasle. « P. 195 et 305.
Voile, au fi;^are.— « II est demeur6
cOiQhQ sous !e voile de la nature (\\\\
nous le couvrc. ■> P. Wi.
— V^n^lrer un voile.— » Le voile dc
la nninre qui couvre Dieu a 6(6 p6-
n^tr^ par plusieurs infid^Ies." P. 435.
— Voiles. — « Toutcs choses sont
des voiles qui couvrenl Dieu. » P.
436.
Voler, voler plus haul, au figur6.
— M. voit bien que la nalure est
corrompue et que les hommes sont
conlraires k I'hunnglet^; maisilne
sail paspourquoi ilsnepeuvent voler
plwi haul. » P. 168.
Voiier, vouer une chose, pour faire
vocu d'uiie cliosc. — «IladoncIait
ce qu'il avoit vovd. » P. 430,
Vrai, le vrai, pour la v6rilf5- — a Le
pyrrbonisme est le vrai. u P. 42 et22i.
— « Nous n'avons aucune irt^e du
vrai. » P. 50. — « Deposifaire du
vrai. n P. 227. — a Vous avez deux
cboses k perdre, le vrai et le bien. »
P. 62 et232.
Vuidc, sulistanlif et adjeclif. — nil
sent son iieant, son abandon... son
vivde. » P. 'ioS.— 't Cet amour-propre
s'e.st elendu el dehorde dans le vidde
que I'amour de Dieu a quill^. •> P.
'422. — fl L'homme clierche de quoi
remplir le grand vuide qu'il n fait en
sorlant de soi-mC-me. « P. -487. — aNo
semble-t-i! pas qu'aulant de fois
qu'une femme sort d'elle-meme pour
se carac-t(5riser dans le ca'ur des au-
tres, elle foil une place vuide pour
k'S aulres dims le sieri ? n P. i9i. —
»
— LE MEME OUVRAGE, 1 Vol lU-l 2. 3 50
COfj'RS DE tiTTERATURE fraivCatse, comprenant : le Tableau de la
Litterature au X VI 11^ siecle et le Tableau de la Liiteralure du moyen-dgey
par M. Villemain, nouvelle edition. 6 vol. in-8, 1855. 36 »
— LE MEME OUVRAGE, 6 VOl. iu-l'S. 21 »
CHAQUE PARTlfi 6E v£ND' S^PAREMENT I
TArBEiEAi; DE I.A EITTERATURE au XVHIe siCCle, 4 Vol. Ja-8, 24 »
— LE MEME OUVRAGE, 4vol.in-12. ^^ ^
TABEEAir DE EA tiTTERATURE DU ifiOYEiv-AGE, en P'rance, en italic,
en Espagne et en An^leterre, 2 vol. in-8. Ig ,
— LE M^ME OUVRAGE, 2 VOl. in-12', 'f i
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li'AiVGEETERRE AU xviij"- »»flECEE« fitudes ct Portrails pour servir k
riiistoire politique de TAngleterpe, 2 vol, in-8. 1856. 14 »
— LE m£me OUVRAGE, 2 vol. in-1'2. 7 »
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de la lutte des deux pouvoirs au xie siecle. 1 fort vol. in-8. 7 »
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(Cours d?. 1828 a 1830); nouvelle edition. 3 vol. in-12. 10 60
FRAOIUE1VT9 PHiLosopiiiQUES, par M. V. CocsiN, 5 vol. in-12. 17 50
— FBAC-itiEiVTS DE PHiEOSOPHiE AWCiEiviVE : Xenopham. — Zenon
d'Ele'e. — Socrate. — Platon. — Eunape. — Produs. — Olympiodore. — 1 v. 3 50
— FRAGItlEIVTS DE PHIEOSOPHIE DU lUOYEIV AGE : Abelavd. —GuU~
laumedeChampeaux. — Bernard de Chartres.^Saint Anselme, etc. i v. 3 50
— FRAGiviE]VTS DE PHILOSOPHIE CARTESiEiViVE : Vatiini. — Le Car-
dinal de Retz. — Malebranche et Mairan. — Leibnitz^ elc. 1 vol. 3 50
— FRAGMEIVTS DE PHII.DSOPHIE itiODERiVE : Leltres inSd. de Des-
cartes. — Malebranche. — Spinoza. — Leibnitz el V abbS Nicaise. — Le P.Andre.
1 vol. 3 50
— FRAGIfVEIlfTS DE PHILOSOPHIE COIVTElffPORATJVE : Dugald-
Stewarl, — Buhle. — Tennemann. — Laromiguiere. — Deg^rando.^-Maine de
Biran, elc. 1 vol. 3 50
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nement repr^sentatify suivi des Discours politiques; 1 vol. iii-12. 3 50
SALVANDY.
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el augmentee. 2vol. in-S. 1855. 12 »
— Le m^me ouvrage. 2 vol. in-12. 7 »
DOW Aroivso, ou TEspagne, etc. Nouvelle edition. 2 vol. in-8. (Sous pr esse.)
— Le MfeME OUVRAGE. 2 vol. in-12. {Souspresse).
tA REVOtUTioiv DE 1S30 ct le parli revolutionnaire, ou Vingt mois el
leurs resultats. Nouvelle Edition. 1 vol. in-8. 1855. 5 »
BARANTE.
HISTOIRE DU DIRECTOIRE de la RepubUque frangaise , complSment de
I'Histoire de la Convention, 3 forts vol. grand in-8 cavalier. 1855. 21 »
ETUDES HISTORIQUES ET BIOGRAPHIQUES. par M. DB BarANTE ,
2 vol. in-8. U »
ETUDES UTTERAiREs. 2 vol. in-8. [Sous presse,)
HisTOiRE DE tA cowvEWTioiv nationale. 6 vol. gr. in-8. (Sows presse.)
DE LA UBRAIRIB DIDIER.
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UiS»TOiRE D'ATTitA et de ses successeurs en Europe, suivie des Le'gfe^irfes
et Traditions, 2 forts vol. in-8. 1866. 14 «
mSTOiRE DES GAurois, depuis les temps les plus recul^s jusqu'^ la con-
quete de la Gaule par les Romains. i^ Edition. 2 vol. in-8". 1 4 »
ALBERT DE BROGLIE.
L^EGLIBE ET I. ^EMPIRE ROMAXIV All ITC SIIECJLE.— R£g»E DE CoNS-
TANTiN. 2 beaux vol. in-8 . 1 4
CARNE (L. DE).
L*HISTOIRE DIJ GODTERlVEltlEIVT REPRESEIVTATIF en France,
(etudes si3r) de 1789 ^ 1848. Ouvrage couronne par I'Academie fran^aise.
2 vol. in-8o. 1855. 14 .
LEfi» FOIVDATEURS DE l/uiuiTE FRAI\CAISE. — Suger.— Saint Louis.
— Duguesclin. — Jeanne d'Arc. — Louis XI. — Henri IV. ^ Richelieu. —
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de Barante, Thiers, Fauriel, Vinet, Nisard, Jasmin, J. J. Ampere, Brizeux, etc.
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premier rang parmi les oeuvres les plus utiles et les
operations les plus important^s de noi jours dan-^ la
litterature et la librairie ; c'est un de ces livres qui
font epoque , et dont la concurrence , loujours mal-
TeiUante et souvent injurleuse dans son depit , a pu
geule, mais en vain, contester le inerile ; un de ces
ouvrages qui doivent leur vitalite aux conditions de
developpement et d'amclioration dans leiquelles ils
ont ete con^us et execut-is.
Hautement proctamees des la premiere publication
de ce Dictionnaire, si juslement nomme Diction-
naire des Dictionnaires , ces conditions ont ete
scruptileusement remplies pendantlnut le cours de sa
oriljante carriere. Ainsi, pourrepondre aux exigences
de notre epoque emlnemuient progressive , et rester
lidele a ses promesses, le nouvel editeur a fuit revoir
consciencieusement chaque edition par de savants
collaborateurs.
Ces difTerents travaux, neanmoins, devenaientinsuf-
(isants ; car la science marclie avec rapidite, la langue
est loin de rester stationnaire , ct le goi^t du public
pour la forme encyclopedique augmenle tous les jours.
Depuis U publicalion du Gkand DiCTiopfNAiRE ,
itiS !cie3C«5 pliysiquei, chtmiquei, naturellet et me-
dicates, ont subi d'immensestransfovmations indiqtiiies
par de nouveaux termes ; I'industrie a vu se produire
d'importanles, de merveilleujes inventions, ctaTourni
aussi son contingent a ta nomcnclalurt; ; IMii^toire vuil
plus loin etplusjuste dans le pa^se, etses decouvertes
doivent s'enrecislrer soil dans les articles nouveaitx,
soitcommemodilicalions des notions ancienncs; la neo-
logie est de venue plus librea la fuis et molns arbitral re,
Ainsi tout s'est modilie, tout s'est agraiidi ; la
science des mots commc celle des choses.
Ne pas donuer a ces fails toute I'allention qu'iU
merilent , c'etait manquer a un engagement formel :
aussi n'a-t-oii recule devant aucun sacrifice, aGn d'e-
largir le cadre deja si vaste du Dictionnaibe de
Napoleon Landais, en lui donnani un Complement
dlgne de I'ouvraae principal, Complement indispen-
sable a tous ceux qui ne veulent pas resler etrangers
au mouvenienl des esprits etaux pro^^res dela science.
Les editeurs peuvenl revendiquer, en rappelanl les
termes de leurs anciens prospectus, I'lmnneur d'avoir
proclauie leg premiers la necessite d'un Diction-
naire complei ei progressif. Surlout ils peuvenl
dire hautement qu'ils ont ete lidMes a leurs priocipes
eta leurs prouiesses. Ils en donnenl aujourd'koi la
preiive la plus manifesto.
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cet oiivrage). Gontenant ; 1o les mots nouveaux que I'usage a adoples, et
les mots de notre vieille langiie liu^raire; — 2<* ceiix qui se troiivent deja
dans le DicHonnaire, mais qui ont regu de nouvelles acceptions; — 3o lous
les terines qui resulient des progres des sciences physiques et morales, des
arts et de Vindustrie; — 4o des rectifications nombreuses et importantes;
— 5o la nomenclature compl^tee des mo/.s, des noms et des fails qui appar-
tiennent h Vlmtoire^ ^ la g^ogrriphie el h la mythologie.—'EvSm. en outre et
^ part : un Dictionnaire biographique renfermant les noms des homnies
cel^bres de lous les pays et de tous les temps, des Dictionnaires des RimeSt
desHomonymeSt Paronymes, Antonymes^ etc. ; revu par une sociele de pro-
fesseurs, de grammairiens, etc., sous la direction de MM. D. Chesdrolles et
L. Rarre.I vol. in-4o depres de4200 pag. imp. atroiscolonnes. 1857^15 »
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termes n^cessites par les decouveries ei les inventions rccentes, lous les mols, toutes les expres-
sions que de nouveaux usages, de nouvelles revolutions politlques ont rccemment inlroduits
dans notre lanyue. Le travail enlrepris d'apres celte idee pour completer le Vocaluilaire du
xixe sierle ne reHouie aucun exatnen, aucune comparaison avec les public;iiions qui se raltachent
a la meme specialite.
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les plus grands details, I'analyse de la phrase; un Iraile special et complet
des PARTiciPEs, dans lequel lous les problemes possibles sont resolus par
des exemples; la conjugaison de lous les verbes reguliers, irrcguliers et
d^feciifs, etc.; un tableau des homonymes ; la nomenclauire complete des
mots dont le genre est douteux; des regies precises sur la prononcialion ,
Torlhographe et la ponctuation ; des lecons de lecture et de declamation ; un
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legale],
Magbiidie [Gravollo].
Marc [Asphyxioii].
MiiTiSKT [Epilopsic],
Mabtins [Botanitfue meJicale],
MiQuEL [AuscultaiioD, Goullu].
Olivibb {d' Angars) [Ovologie].
Orvila [E)iliiimaiion»] .
ll*lHLtABp OK Vll,[,EKSpVE[UappQrt]'
pABisET [Pliysiolojjie, Philosophio m^-
dicuU, PcHtu].
pBTd ((Vf? Maurien-ne) [Habitations].
Pmhsoh [Uedf cine. Mai ieros iiiedicalea].
PoriiEUiLLK [Circulation].
Sai''*om(A.) [Aiialomle, Chirurgie].
RorEK-GoLLAiiD [Hygiene].
Tbebuchht [Hygiene publiquo, Polica ■
jniA icale],
ToiBic (C{)irur(;io denLaire).
VsLPEAu (Chirurgie, AceouchomouU).
Vi« (PliarmaCie).
g'O gg^
De toutes les sciences humaines, il n'en est
pas qui interesse plus universellement que la
mddecine, parce que rien ne nous est plus cher
que la sant^, ce bien a la fois pr(?cieux ei
fra(^;ile, sans lequel I'uxistence est un v^rihible
fardeau; c'est ce qui explique le succes des ou-
vrai'es destines a servir de coiiseillers et de
guides auK personnes ^trangeres a I'art de
gu^rir. Malheureusement, ces sorles d'ouvra-
ges, presque touj'ours dic((5s par un esprit mer-
caniile, sont empreints d'un charlatanisme de-
plorable.
Les auteurs du DiCTioNNAiitE de medecine
USUELLE, hommes de science et de conviction,
ne se sont propose qu'un sen! but, celui d'elre
utiles, lis se sont appliquds a faire connaitre
d'une maniere exacie, quoique elementiiire,
I'admirable mecanisme de i'organrsaiion hu-
maine.Sous le rapport de I'liygiene, ils oni pris
riiomme a sa naissance pour ne le quitter
qu'aux (lernieres limites de la vie : ainsi, tous
les ages , tous les temperaments, toutes les
professions, trouveront dans Jeur ouvrage de
silutaires enseignements et de sages conseils.
Pour completer ce qui a rapport k I'euit de
maladie, le Dictionmaire de medecine usuelle
s'est occup^ des medicaments, des moyens de
les pri^parer, de les adfninisirer, etc. II donae,
en un mot, touies les instructions necessaires
aux personnes que leur ?.ele ou lour devoir
appelle aupres du lit des ni.dades , et qui peu-
vent devenir de puissanls auxiliaires pour
riiomme de r:irl. Les magistrats y trouveront
tout ce qui inl^res^e la .salubrity des viMes et des
liabilations; ds y puiseront aussi des notions
de medecine legale suffisanles pour les cas les
plus ordinaires, et qui les dii^penseront de re-
courir a des ouvrages volumineux et peu
r^pandus. Quant aux mi^decins, on ne pent
leur offrir un aide-memoire plus siir, puisqu'il
est a la hauteur de la science actuelle, et en
mcrne temps plus commode, puisqu'il rdsume
a lui seul une bibliotheque m^dicale tout
entidre.
1 2 PUBLICATIONS
LEMONS ET M00£LES DE LITTERATURE FRAN^AISE
A1VCIEI¥WE ET MODERIVE [du 9^ au 19e siecle), par M. Tissot, de I'Aca-
demie fran^aise et professeur au college de France. Nouvelle Edition, 2 magni-
fiques \oI. grand in-S'^ jesus, illustres. 1 855. 20 b
^ota. Cet excellent ouvra^e e(ait epuiEe depuls plusieurs annees ; it vieDt d'etre reimprimc avec soio. Le
prix de la Ire edition elait de 32 fr.
£»> prepat*aiion :
LE^onis »'EtOQUEl\XE, par M. Berryer, 1 beauvol.gr. m-H^ illustre.
LE^oivs »E I.ITTERATURE saCree, par M. DE Genoude, 1 vol. grand
in-8o, illustre,
Nota. Ces deux bons ouvrages sent 6puises, nous en preparons uue nouvelle
edition.
LA SUISSE ILLUSTREE.
DESCRIPTION ET HISTOIRE de ses vingt-deux- cantons, par MM. de Cha-
TEAuviEux, DuBOCDET, Frakcim, le presidcnl Monnard, Meter de Knosau,
N. DE RuTTiMANN, Henri Zschokke, Ph. Bosom, etc. 1 \ol, grand in-S jesus,
illustre de 32 jolies vues et cartes gravees sur acier. 1853. 12 »
— LEM^ME ouvbage, cu 2 vol. grand in-8 , illustre de 90 jolies vues gravees sur
acier, costumes colories et cartes. 25 »
ATIiAfii OEOCRAPHIQCE DE £.A SUISSE divisee en vingi-deux cantons,
et de la vallee de Chamouny, avec une carle generale des Alpes; dresse par
Ch. Duvotenay, geographe au Depot de la guerre; 25 cartes gravees sur
acier par Ch. Dyonnet. ln-4'^. 5 »
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Suisse, d'apres les renseignemenls les plusrecents el les plus aulhentiques.
1 24 pages imp. h 2 colonnes et 25 carles. In-4o. 8 »
— LE M^ME, avec les 124 pages de lexte et les 25 carles coloriees. 10 »
LE SIECLE DE NAPOLEON ILLUSTRE,
GALERIE des illustrations dePempire; collection de25 beaux portraits en pied,
dessines par Phllippoteanx et colories avec soin, acconipagnee d'uu texle
par MM. Em. Marco de Saint-Hilaire, F. Soulie, Leon Gozlan, Blanqui, eic.
1 vol, in-4, car(onri(?avec une joiie couverture iilhograpliiee. 12 »
l'herbier des demoiselles,
Ou Traite de la Botanigue, presentee sous one iorme nouvelle el speciale;
ouvrage contenant : la description, les usages nalurels el les harmonies des
diverses parlies des planles; la maniere de grefler les arbres; les classifica-
tions botaniques; la disposition d'un heibier, Texpose des planles les plus
utiles; leurs usages dans les arts et Peconomie domestique et les souvenirs
hisloriques et fabuleux qui y sont attaches; une petite ilore simple et facilo
pour arriver a decouvrir le nom des planles, par Edm. Audouit. Deuxieme
edition , revue el corrigee. 1 beau vol. in-8, illustre de 320 vignettes colo-
riees avec le plus grand soin. 1 »
le m^me ouvrage. Un jolivol. grandiu-16, 320 fig. noires, pap. colle. 4 »
Avec les 320 vignettes coloriees,] 6 "
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OUVRAGES DE M- GUIZOT.
L^AiwiE DES EIVFAWTS, petit Cours de Morale en Action, comprenant^tous
les Contes moraux k Tusage de Tenfance el de la jeunesse , par Mi^e Guizot ;
nouvelle Edition enrichiede Moralitesen vers , parM^i^ELisE Moreau; 1 beau
vol.grand in-8 de plus de 550 pages, illustre de belles lithographies. i »
— tES Ei\FAi¥TS, conies pour la jeunesse. \ vol. grand in-8, erne de belles
lilhograpliies. 6 »
^ivoUTEArx COIVTES pour la jeunesse. 1 vol. grand in-8, orn6.de belles
lithographies. 6 »
i/ecoliek, ou Raoul et Victor, par M™" Goizoi; edilion illustr^e , ouvrage
couronne par TAcad^niiefrangaise; 11^ edit., 1 vol. grand in-8, erne de belles
lithographies. 8 »
— LE MfeME OUVRAGE, 2 vol. in-12, avcc 8 jolies vignettes. 6 »
liWE FAmiEiiLE , OU les avantages d'une bonne Education, par Mi°® Guizot ;
ouvrage continue par M">« A. Tastu. 7^ edit., 2 vol. in-I2, 8 vign. 6 »
liES EiVFAiVTS, Contes pour la Jeunesse, par M"i« Guizot. 8e Edition. 2 vol.
in-IS, 8 vignettes. 6 »
ivotiTEAUX coiVTES pour la Jeunesse, par M^e Goizot. 8e Edition. 2 vol.
in-12, 8 vign. 6 »
RECREATioivs MORALES, Contes pouT la Jeunesse, par M^^ Guizot.
8e (Edition. 1 vol. iD-12, 4 vign. 3 »
TETTRES »E FAMil^i^E sur I'fiducation , par M«i® Guizor, ouvrage cou-
ronne par TAcad^mie fran^aise. 4e edit. 2 vol. in-12. 6 »
LA BOTAiviQUE DE LA JTEUIVESSE, ou Le^ons sur le FCgne vegetal presen-
tees h I'esprit et au coeur, par M°ie Bonifas-Guizot, ouvrage adopts par le
CoDseil del'lnstruction publique. 1 vol. in-12, orne de 80 figures color. 3 »
A. TASTU (M"^'').
L*EDVCATioiv INTATCRIVELLE , OU Simples le^ons d*une mere a ses en-
/"ants, etc.; par M™^ A. Tastu , nouvelle el tres-belle edition, illustree de
500 vignettes. 1 vol. grand in-8 j6sus. 15 *
LETTRES CHOisiES DE M"* »E SEVIGIVE , preccdecs de son filoge,
par M«»e A. Tastu, couronne par TAcademie frangaise , nouvelle Edition.
1 fort vol. in-'12, portrait. 1855. 3 »
ROBiivsoiv CRUSOE, traduit par M^e A. Tastu, enrichi de Notices, par
Philarete Chasles, Ferdinand Denis, etc. ; 2 vol. in-12, illuslre de 50 jolies
vignettes. 6 »
— LE M^ME ouvrage, 1 foTt vol. in-12, orn6 de 16 vignettes. 3 >
POESIES COMPLETES, par M"*" A. Tastu. 1 beau vol. in-12 {sous pr esse),
LECTURES POUR LES JTEUIVES FiLLES, modeles de Htterature en prose
et en vers, extraits des ecrivainsmodernes, par M^e A. Tastu. 2 vol. in-12
avec portraits, 6 »
ALBuiti POETIQUE DES JTEUHTES PERSOiviVES, ou choix de poesies
des auteurs modernes. 1 vol. in-12, portrait. 3 »
LES EiVFAiVTS DE LA TALLEE d'aivdlau, OU notions sur la Religion, la
Morale, etc., parM^e A.Tastu. 2 vol. in-12, 8 vignettes (sous presse], 6 »
LES RECiTS DUlflAiTRE d'ecole, lectures pour Tenfance etl'adoles-
cence, imites de C. Caniu, parM^e A. Tastu, 1 vol. in-12 [sous presse), 3 »
l'hoivivete uoimme, lectures pour la jeunesse, imite de C. Cantu, par
Mnie A. Tastu. 1 vol. in-12 {sous presse). 3 »
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ouvrage autorise par le Conseil d'instruction publique. 1 vol. in-18 car-
tonne , accompagne de 72 cartes. 1850. 5 ,
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a son Educaiion maternelle.
14 PUBLICATIONS
ULLIAC-TREMADEURE (M"').
ASTnonroiMiE et iff eteorolocix: des jeunes persontieg, d'apf^s AhAgo,
Laplace el W. Herschell, par Mi^** S. Ulliac-Tremadeure. 1 vol. gr. in-8,
orne de liuit jolies gravures sur acier et coloriees. 1 854. 6 »
piiEi%oitiEiv£ii» et METAMORriiOiSEjS, Causeries sur les papUlotts , les
iiisectes et \es>poiypes, par M*^^ S. Ulliac-Tremadeurk. 1 vol. grand in-8, orn6
de jolies ligures gravies sur acier el colorizes avec soin. 4 854. 6 »
EUCEiviE, ou le Monde en miniature^ suivie de Recits historiques et de Conseils
d'une mere ^ sa iille, parM"^ S. Ulliac-Tremadedre. 1 vol. grand in-8, orne
de 12 jolies lithographies coloriees. 4 854. 6 »
]ffffAlti£, ou la Jeune Institutrice, suivie de Simples histoires, par M'l^S. ULliac-
TiiiiMADEURE. '1 vol. gT. in-8, orne de 12 jolies lithographies col. 1854. 6 »
NATiiiK^DE ET PAUMi^E, OU Laideur et Beauie , suivi des Lettres de
Mme Chapone, ou Cours de morale pratique^ par M'le S. ULUAc-TnifeMADEtRE.
1 vol. gr. in-8, orne de 12 jolies lithographies colorizes. 1854. 6 »
I.ES jTEUrtiES i^ATURAEiSTES, entreliens familiers sUr les animaux, les
vegetaiix el les mineraux, par M'^e Ulliac , 5*= Edition; 2 vol. in-12, orn^s
de 32 vignettes. 1852. 6 »
EMiEiE OU la Jeune Fille auleur, ouvrage pour les Jeunes PePsonneS, par
M^^' Ulliac. 3^ edit. 1 vol. in-12. 4 vignettes. 1853. 3 »
EES jfEDiiiES AiiTiSTES , nouvelles sur les beaux-arts, par M"« UlliAc,
5e edit. 1 vol. in-12. 4 vignettes. 1853. 3 »
coivtes aux jeume* ivATUi&ALisTEis SUP ks animaux domestiques,
5e edit. 1 vol. in-12, 4 vignettes. 1853. 3 »
lES jfEUiVES SAVAIVTS , entretiens familiers sur YAstronomie, la G^ologie^
la Physique y la Ckimie, etc. 2 forts vol. in-12 ornes de 100 vignettes {sous
presse).
CEAUDE BERiVABD, OU le Gagne-Petit^ par M"^ Ulliac, ouvrage covronne
par I'Academie frangaise. * vol. in-12, 4 vignettes (sous presse) .
ETiEi\i\E ET TAEEiVTiiv, ou Mensonge et Probity, ouvrage couronni. 3^ 6d.
1 vol in-12. 4 vignettes (sous presse).
COIVTES AUX JEUWES AOROivoMEs, par M"« Ulliac, 6e ^dlt. 1 vol. in-1 2,
4 vignettes {sous presse).
DE GENLIS (M»»).
tEiS TEiEEEES DU CHATEAU, OU Le^ons de morale k I'usage des enfanls;
nouv.edit. iilustree d'e tres-jolies lithographies ; 1 beau vol. grand in-8. 10 »
— Le MfeME OUVRAGE, 2 vol in-'l2, avec vignettes. 6 »
THEATRE d'eduCatiow pour la jeunesse, par M™® de Genlis. jolie ^dit.
2 vol. in-12, orn^s de jolies vignettes. [Sous presse.)
tES PETiTS EMIGRES , par Mi»e de Genlis, joUc edit. 1 vol. 111-12, ornfe
de jolies vignettes. 3 »
tE SIEGE DE tA ROCHEEEE, 1 vol. in-12. 2 r
M^^^ DELEtKE et M^^ FANNY RICHOMME.
COiVtCs daws vj% WotTEAU GEivRE, Sc^De* <^e famille. 2jolisvoLin-l'2,
illustr^s de vignettes et de litbographies. 6" »
DELAFAYE-BREHIER (M^«).
Le» PETITS BEARiVAiiS ; LcQcns de morale, 8« [6dil. 2 fof. m^\% k vi-
gnettes. 6 B
tES EWFAivTS DE i^A PRoviDEWCE, ott Aveotupes de' ifp'ofs jeuri6S otphe-
lins. 6e edit., revue par M"ie p. Richomme. % vot. in-tM,' ^ vigft^tte^. 6^ »
I,E COEI-EGE iniCEiVDiE, ou les ficoliers en voyage, o® 6dit., revue par
M™« F. RicHOMttE. 1 vol. in-12, 4 vignettes. 3 »
DB LA LIBBAIRIE DIDIER. 15
BERQUIN.
(EirTRE:^ Coitfpi:.i:TE» de bcrquiiv, comprenant : VAmi des Enfants
et des Adolescents, le Livre de Famiile, un Choix de Lectures, la Bibliothhque
des Villages, Sandford et Merlon, le Petit Grandisson, VIntroduction fa7ni'
lUre,eic.,eic., ediiion ornee de 200 vignetles; 4 vol.pelitin-8. '12 »
Ckaque ouvrage se vend separement ;
— Ii'ami »es eivfawts et ues ADOLEscEiiri'S, par Berquin; 2 vol.
petit in-8, ornes de '1 00 vignettes. , 6 »
— liE I.ITRE DE FAMlCiLE, sutvi du Choix de lectures, de la Bibliotheque
des villages, par Berquin; \ vol. petit iii-8, orne deSO vign. 3 »
— ^SAIVDFORD ET 19IERT01V, suivi du Petit GrandissoTi, de Lydie de Gersin,
et precede de V hilrodaction familiere d la connaissance de la nature, par
Berquin; ^ vol. petit in-8, erne de 50 vignettes. 3 »
l*Aiui RESEiVFArifTS, par Berquin, ec^/ho/ii^^wsire^e, precede d'une notice par
BouiLLv; belle edition ornSe de '100 vignettes; '\ beau vol. graDd-in-8. 10 »
-*-Le m^me ouvrage, 2 vol. 10-12, avec vignettes {sous presse). 6 »
OUVRAGES DIVERS POUR LA JEUNESSE.
tir PETIT nrFForv.— aisTOiRE naturklle des Quadrupedes, des Oiseaux,
des Insectes et des Potssons, extralte des ouvrages de Buffon , Lacepede ,
Cuvier; etc., par le bibliophile Jacob. 4 jolis vol. grand in-32, jesus,
ornes de 323 figures gravees sur acier. 4 853. 6 »
— LE MEME OUVRAGE, avec Ics 325 ligures colorizes avec soin. i »
l?AIT)» IMEIMORABLES DE L'hISTOIRE DE FRAIVCE IK.IiVSTRE9,
recueillis d'apres nos ineilleurs hisioriens, par M. Michelant; avec uue
Introduction, par M. deSegur; 1 splendide vol. grand in-8, orne de 120 tres-
belles vignetles de V. Adam. 12 »
tES EiVFAiVTS CELEBRES^ ou histoirc des Enfants de tous les sieclesetde
tous les pays qui se sont immortalises par le malheur, la piet6, le courage,
le g^nie, les talents, par M. Miguel Masson, nouvelle edition; 1 beau vol.
in-8, format anglais, illustre dejolies vignetles. 1855, 4 »
LE ivsAOASiiv DES FEES OU coiVTES de Perrault, de M"^® Le Prince de
Beaumont, de Fenelon et de M™e d'AuLNOv; 1 beau vol. ia~8 format anglais,
illustre de 90jolies vignettes. 1832. 4 »
LE itiAOASiiv DES ^COK.tER»y Encyclopedte illustrSe des recrSations Utiles
et amusantes:^eux, — Excrcices, — Arts utiles et d'agr6ment, — Amusements
chimiqiies et physiques, — Magie blanche, — Jeux de combinaisons, etc., par
M. deSAviGNY; 4 beau vol. in-8 format anglais, illaslr^ de jolies litho-
graphies et d* environ 400 vignettes sur bois dans le texte. 1832. 4 »
lES itlTTiiorociES DE TOUS LES PEUPEES racont^es £l la Jeunesse
par Mi"« L. Bernard. 1 vol. in-12, orne de 60 vign. gravees sur acier. 3 »
IJIVE voCATiOiV OU LE Jeune Missionnaire, par M'"^ E. Moreau Gagne. 1 beau
vol. in-8 orne de 8 jolies lithographies, 1856. 6 »
— LEM^ME OUVRAGE, 1 joU vol. in-12 avcc 4 lithogr. 3 »
LE ROBiivsoiir SUISSE, trad, de Wyss, par U'^^ dk Montolieu. 2 forts vol.
in-12, ornes de 9 vignettes. {Sous presse.)
COWTES DE MISS EOGEWORTii, comprenant les Contes moraux, les
Contes des families, eiles Contes populaires, k Pusage de la Jeunesse. 2 forts
vol. orn6s de 1 6 ligures. [Sous presse.)
tiA JERUSALEM DELiTREE, par le Tasse, traduction de Lebrun, 1 joli
vol. in-i2 avec vign. 3 »
16
PUBLICATIONS Bfi LA LISRAlRIt) DlDlER*
Collection des Memoires relatifs a I'HisloiFe de France
Traduits et accompagnes de notes et de supplements,
PAR M. GdlZOT
29 volumes in-8 3i6 fr., ou 174 fr. Texemplaire complel (1).
HISTOIRE DE FRANCE SOUS LES MEROVINGIENS.
Anonyme— Fie de Dagohert Jer [602~651J,
Anontme.— Fie d saint Leger [660-680],
Anontme. — Vie de Fepin-le-Yieux, dit de
Landen [622-752].
HISTOIRE DE FRANCE SOUS LES CARLOVINGIENS.
le-Pieux (le Debonnaire), poeme [814-829].
HiNCMAR et autres. — Annates de saint Ber-
iin [741-882] .—^nna^es de Metz [882-903].
TOME V.^
Frodoard. — Histoire de I'eglise de Reimt,
[depuis safondation jusqu'en 9491.
TOME Vl.
Adbon, — Le siege de Paris par les Nor--
mands, -po'euie [885-887].
Frodoard.— Cftrom^t/e [877-978].
Raodl Glaber. — Ckromque [843-1046J.
Helgaud.— Fie du roi Robert [996-1031].
Aoalberon, ev^que de Laon. — Poeme »a.