k LE JUBILÉ D’UN FAUX MIRACLE. Mentir par piété. (L’abbé de Lobbes Hériger). I Chaque année, au troisième dimanche de juillet, le clergé catholique fête en Belgique deux grands anniversaires : à Roosebeeke, en Flandre, il célèbre la victoire remportée, en 1382, par Louis de Male et le roi de France sur les héroïques milices de Philippe d’Artevelde (1); à Bruxelles, en Brabant, il célèbre le supplice de quelques Juifs, en 1570, Le massacre de 21,000 Flamands, la chute de la Flandre! Ce succès de la force féodale fut assez terrible pour qu’après cinq siècles le clergé flamand ne puisse cesser d’en rendre des actions de grâces à la sainte Vierge. Le meurtre judiciaire de quelques Juifs, couronnant le mas- sacre de plusieurs milliers des leurs, en Brabant! Le clergé brabançon peut-il négliger de glorifier cette victoire du miracle à travers les siècles? La liberté communale a péri dans les plaines de Roosebeeke; sur le bûcher de Bruxelles, la liberté de conscience a été mar- tyrisée. Ici, l’autocratie religieuse triomphait; là, le despotisme politique. Un hasard providentiel a réuni ces deux anniver- saires pour qu’en un même jour, le clergé d’un pays libre pût fêter son double principe et affirmer sa puissance, spirituelle et temporelle, in sœcula sœculorum! Le jubilé de la victoire de Roosebeeke a été célébré en 1856; la procession flamande du 17 juillet prochain ne sera qu une fête annuelle : ne nous y arrêtons pas davantage. (1) Calendrier belge, par le baron de Reinsberg, t. II, p. 42 ; voir Revue de Belgique, 1869, t. II, p. 331. 1 Chaque année, la procession du Saint Sacrement de Miracle rappelle à la capitale le supplice des Juifs du Brabant. Mais l’an de grâce 1870 ramène le jubilé de cette grande date du catholicisme belge, et le clergé se prépare à la célébrer avec pompe. Yoici comment les écrivains catholiques racontent l’événe- ment glorieux : En 1370, un Juif d’Enghien, riche et puissant, est assassiné. On accuse, non les assassins de meurtre, mais la victime de sacrilège. Un Juif converti, nommé Jean de Louvain, séduit par l’offre de 60 pièces d’or, s’était chargé, dit-on, de lui pro- curer des hosties, et il en avait volé un ciboire dans la chapelle de Sainte-Catherine. A peine Jonathas les a-t-il reçues qu’il est assassiné. Sa veuve, attribuant son malheur à ce sacrilège, craignant le châtiment, veut se défaire des hosties, dit Caf- meyer; pour cela, elle aurait pu fondre le ciboire et détruire les pains d’autel; elle préfère les porter à Bruxelles aux Juifs de la Synagogue. Or, le Vendredi-Saint approchait; les Juifs pro- fitent du dépôt pour répéter la Passion du Christ sur les hos- ties. Mais, sous leurs coups de poignard, des gouttes de sang jaillissent; ils sont confondus et terrifiés; à leur tour, ils veu- lent se défaire du corps du délit, et ils ne trouvent rien de mieux que de s’adresser à une Juive convertie, nommée Catherine, qu’ils chargent de porter le ciboire à Cologne, où les Juifs avaient plus de liberté. Catherine vivait chrétiennement ; néan- moins, moyennant vingt pièces d’or, elle se laisse persuader, accepte une complicité dans le sacrilège et emporte chez elle le ciboire avec les hosties teintes de sang. Mais, la nuit, la crainte la saisit, sa conscience se trouble, une voix intérieure lui dit qu’elle ne peut recéler sans crime ces objets sacrés. Dès le matin, donc, elle va consulter son confesseur: l’alarme est jetée, les autorités ecclésiastiques interviennent, Catherine avoue et est incarcérée; tous les Juifs habitant Bruxelles sont arrêtés, mis à la question; malgré les tourments, ils nient. Mais, pendant qu’on les torture, le chapelain du prince, nommé Jean Morelli, entend un autre Juif converti, nommé Jean, qui s’en raille et dit : « Pourquoi ces chiens n’avouent-ils pas? Ils savent bien qu’ils sont coupables. » Le dire est rap- porté, Jean est arrêté, avoue sa participation au crime; ce témoignage décide du procès ; tous les accusés, y compris Jean l’accusateur, sont condamnés. L’exécution ne tarde point : les Juifs sont placés sur des — 3 tombereaux, promenés dans les rues de Bruxelles, tenaillés avec des pincettes ardentes à tous les carrefours, voiturés jusqu’à la Grosse Tour, bâtie sur les remparts entre la porte de Namur et la porte de Hal, attachés à des poteaux et brûlés vifs. Le sup- plice eut lieu la veille de l’Ascension de l’an 1370. Tels sont les faits que l’on veut glorifier après cinq siècles* et le clergé compte bien que les habitants de Bruxelles pren- dront part au jubile pour « donner à la religion une preuve de leur filial attachement » [Journal de Bruxelles). Ce serait réellement de l’ingratitude pour des citoyens d’un pays de paix et de liberté, de ne pas répondre à l’appel d’une aussi bonne mère qui ne veut pas qu’ils oublient qu’elle a opprimé, massacré, brûlé pendant plus de mille années, pour l’édification de ses enfants. Nous ne sommes encore qu’au xixe siècle! a dit dans une occasion pareille M. de Reiffenberg. Mais au xixe siècle, l’histoire s’impose des conditions de cer- titude, la législation, des principes d’humanité qu’on ne peut plus outrager, et — comme deux choses sont à distinguer dans le glorieux événement de 1370 : un fait judiciaire et politique, et un fait qu’on dit miraculeux, — la conscience publique a du se demander bien des fois, et nous allons nous demander : Première question : Quelle était donc cette législation qui brûlait les Juifs, cette politique qui les laissait massacrer, sur des accusations ridicules et pour des crimes imaginaires? Seconde question : Si cependant c était un faux miracle qu'on expose ainsi à l’adoration des fidèles? C est à 1 histoire, à l’histoire seule, qu’il appartient de ré- pondre. II La législation des chrétiens a toujours été terrible contre le peuple dont est sorti le Christ, et les mœurs que cette législa- tion avait formées de longue main étaient plus cruelles encore. Les Juifs étaient voués à une servitude éternelle (1), dont un pape veut qu’on leur fasse sentir incessamment le joug (2). (1) Expression de Saint-Thomas : Consultation à la duchesse de Brabant, du gouvernement des Juifs. (2) Lettre d’innocent III h l’archevêque de Sens, an 1208. [Epis. Inn, III, L. XI.) 4 — Rien ne leur appartenait,— ni leur personne : ils devaient por- ter un signe distinctif comme les infâmes et les prostituées; s’ils émigraient, leurs propriétaires s’étaient entendus pour les ap- préhender au corps dans les pays voisins; au besoin, on rassem- blait le troupeau et chacun venait reconnaître ses têtes de bétail; — ni leurs enfants: on les leur volait pour les baptiser;— ni leur femme: dès qu’elle voulait abjurer, le divorce était de droit;— ni leurs biens : ils étaient taxés à l’entrée, à la sortie (1) et pour le séjour; au moindre prétexte, on annulait leurs créances et la banqueroute des Juifs contre les chrétiens était entrée dans les coutumes, presque dans le droit; — ni leur honneur: on les humiliait par piété ; quand venait la semaine sainte, il entrait dans les cérémonies du culte de les lapider; à Toulouse, on avait transigé : ils pouvaient se faire représenter par un de leurs notables qui, le Yendredi-Saint, sur le perron de la cathé- drale, était souffleté publiquement, à la gloire du Christ; il n’est pas de crime enfin dont on ne les accusât; — ni leur vie : toute violence contre eux semblait légitime; à tout propos, la justice les brûlait, le peuple les massacrait, les rois faisaient abattre ce bétail pour en prendre la chair et la peau. Les Croisades surtout servirent de prétexte et d’aiguillon à ces violences. Aller combattre les détenteurs du tombeau du Christ en Asie et laisser vivre en Europe ses meurtriers, cette inconséquence parut impie, et l’on ne crut pouvoir vaincre les Sarrasins sans avoir massacré les Juifs. Saint Louis se contenta de les dépouiller ; mais la règle générale à chaque Croisade était le massacre. La rage fut telle que les rois et les papes réagirent contre ces hordes de l’insurrection populaire, qui usurpaient leur droit de vie et de mort sur les Juifs. Ce fut en vain. Lorsque des siècles d’exemples ont semé la haine, aucune charte, aucune bulle ne peut empêcher la récolte de sang. Il fallut cependant réprimer cette pieuse jacquerie des Pas- toureaux. Mais elle ne céda point, car il lui restait un moyen extrême : le recours à Dieu. Alors, devant les papes et les con- ciles qui défendent de tuer les Juifs, devant les rois qui pren- nent les armes pour les protéger, se lève le fanatisme des thaumaturges, vengeant la plèbe cléricale et sanctionnant ses (1) M. Gachard a publié dans ses Analectes , une ordonnance fixant une taxe pareille pour le Luxembourg. « Ce qui ajoute à la bizarrerie de cette taxe, dit-il , c’est qu’on la percevait au même titre que celles établies pour les denrées et mar- chandises. » (1, 104.) — 5 — pieuses furies. Les pouvoirs durent courber la tête : le miracle couvrait tout; ce fut une sorte de manteau impérial que jetait le ciel sur les crimes de la chrétienté. Temps terrible î régime odieux, s’il en fut! mais régime con- séquent avec son principe! car l’autocratie religieuse ne peut engendrer que l’intolérance, la haine et les persécutions, et du mépris du droit humain, on ne doit attendre que des profana-» tions de l’humanité. m Le XIIIe siècle est rempli de ces violences. Les rois et les con- ciles qui les avaient déchaînées ne purent les modérer. En 1236, malgré le concile de Tours de 1233, qui vient de défendre de tuer les Juifs, ils sont massacrés en masse en Bre- tagne, dans l’Anjou et dansle Poitou. En 1290,malgré la Ligue du Rhin et de nombreuses chartes qui les protègent en Allemagne et en Autriche, ils sont abattus cotnme des bêtes fauves en Alsace, en Bohême, dans la Moravie. Déjà le miracle est à son poste. En 1253, le roi d’Angleterre doit céder au peuple et les expulser; il n’ose poursuivre les meurtriers : une hostie jetée à l’eau, disait-on, par un Juif, s’était changée en un enfant Jésus pour donner le signal des persécutions : Le Saint-Sacrement de Miracle protégeait déjà les assassins (1). En 1287, en Allemagne, des Juifs sont massacrés. Un enfant qu’ils avaient crucifié, disait-on, était ressuscité pour désarmer la justice humaine (2). En 1290, année du massacre général, le Saint-Sacrement de Miracle fait une première apparition en France, venant d’Angle- terre. C'était en plein Paris : Un Juif, nommé aussi Jonathas, jette une hostie à la rivière, l’hostie surnage ; il la perce de coups d’épée, elle saigne (3). Le miracle fut découvert, le Juif brûlé. « Le peuple demandait une proscription universelle, » dit Sismondi. Qui donc eût osé blâmer encore dans sa conscience d’homme ou punir dans sa justice de roi, des massacres universels, con- sacrés par le Saint-Sacrement de Miracle. (1) Alph. a Spina, Fortalicium ftdei contra Judeos, Saracenos, etc., Nurem- berg, 1498. (2) Maquer, Histor. Eccîes. (3) Tractatus miraculi Billetani super corpore Christi, etc., anno 1290; Paris, 1604. P. 6. (Bibliothèque impér. de Paris. Les autres ouvrages cités sont à la bibl. roy. de Bruxelles.) — 6 Le xive siècle s’ouvrit sur cette situation, et trois circon- stances : une croisade désespérée, une peste terrible et une tolérance impie des souverains, vinrent précipiter les excès et les miracles. Les juifs, chassés de France en 1306, avaient été accueillis en Hainaut, en Brabant, en Hollande, dans le Luxembourg et en Allemagne ; puis, rappelés en France en 1315. Le peuple, armé du glaive des croisés et des prodiges du ciel, va tra- quer de pays en pays ces velléités de tolérance. En 1308, les Pastoureaux reparaissent. Ce ne sont pas des croisés, ce sont des loups, dit le Pape. La chevalerie avait échoué en Palestine et le Souverain-Pontife recommandait aux rois de ne plus tenter l’impossible (1). Mais rien ne semble im- possible à ces forcénés de la Foi ; car leur moyen de gagner Jérusalem est de massacrer Israël. En 1309, les juifs du Brabant s’effrayent à l’approche de ces croisés, qui les jugulaient comme des bestiaux, dit Divœus, pecudum more jugulabant. Le Duc Jean II leur accorde la place forte de Genappe ; la croisade les y assiège; la place eût été prise et les juifs égorgés si le Duc n’avait pris les armes. Ce Duc se croyait souverain du pays et comme tel chargé d'en défendre les places fortes et la vie des habitants; il eut l’impiété de disperser cette bande de loups, portant la croix rouge sur la poitrine (2). D’autres bandes se recrutent; en 1320, elles infestent le midi de la France, forcent la main aux petits souverains, bravent le roi, bravent le pape, et le massacre s’étend dans la Guienne, le Languedoc, le Dauphiné, l’Aragon et la Navarre. En 1337, un aubergiste allemand se fait roi pour soulever la populace : la horde se jette sur l’Alsace, la croix en tête ; le massacre continue malgré l’Empereur. Pour cette longue expédition du meurtre dévot, c’est à Tou- louse et en Bavière qu’apparaît le doigt de Dieu, A Toulouse, en 1320,1e comte fait jeter en prison les assassins : un miracle les délivre (3). En Bavière, en 1337, on trouve à Deckendorf des hosties que les juifs avaient martyrisées. C’est pourquoi ils furent brûlés (4). Nouvelle édition du Saint-Sacrement de Mi- racle ! (1) Nec ad impossibilia, etc.. Lettre de Jean XXII au roi de France, 5 déc. 4319. (2) Divœus Rerum Brabanticarum , etc., p. 440. (3) Depping, Les Juifs dans le moyen âge, p. 464. (4) Farrago, Hislor. rerum boicarum, t. II, p. 507, — 7 La peste de 1348 devait pousser la plèbe à de plus terribles excès : Les juifs empoisonnent les eaux! disait-on. Le Pape proteste en vain, les rois en vain ordonnent de maintenir l’ordre; la trombe parcourt l’Autricbe, la Suisse, l’Allemagne, la Belgique et la France; on compte les victimes par milliers. Alors, se lève la secte des Flagellants, pour donner au car- nage le sceau delà religion. Ces illuminés conjurent la peste en se fouettant nuds dans les rues et en tuant les juifs. L’ob- scène se mêle à l’horrible, et le tout est couvert encore par le miracle, Un historien belge, abbé de Saint-Martin à Tournai, Giles- li-Muisis, a consacré tout un chapitre à l’histoire de la Des- truction des Juifs. « Tous ceux qu’on trouvait étaient brûlés, » dit-il. Puis, il raconte ce qui se passa à Bruxelles en 1349 : Un juif converti vivait dans la familiarité du prince; il prend l’alarme à l’approche de ces bandes faisant pénitence et por- tant la croix rouge; il va trouver le duc, qui le rassure. Mais les gens des métiers et les habitants de Bruxelles s’adressent au fils du duc et lui demandent de pouvoir commencer le massa- cre ; « car ils n’osaient l’entreprendre par crainte du duc, son père. » « Le jeune prince, plein de foi, les persuade, leur ordonne même de les tuer, malgré la volonté de son père, disant qu’il saura bien en- suite les mettre d’accord avec lui. Alors, les métiers et les habitants cherchent partout les juifs, et massacrent tous ceux qu’ils trouvent. On assure qu’il en périt plus de six cents. » L’ami du duc fut pris vivant, avoua dans les tortures, et fut brûlé. Le chroniqueur ajoute : « A la fête de la Toussaint de l’an 1349, on avait cessé de parler des juifs. » Les annales de Louvain disent cependant qu’en 1350, on en brûlait dans cette ville, et une chronique de Liège: qu’on en brû- lait encore dans le Brabant en 1351 (1), et Trithemius : que le massacre dura deux années (2). On n’en parlait plus, on les détruisait toujours \ Le miracle ne manque pas à cette boucherie ; Giles-li-Muisis dit du juif ami du prince : (1) Chroniques citées par Molanus, édition Deram, II, 825. (2) Chronic. Hirsaug, II, 214. 8 — « Il reconnut aussi avoir fait trois fois semblant de communier pour emporter les hosties et les avoir envoyées aux juifs de Cologne, et que ces juifs les avaient poignardées, et que le sang avait jailli ! » Nous voici à la quatrième édition du Saint-Sacrement de Miracle. IV Cependant, malgré le siège deGenappe, malgré les miracles d’Allemagne et d’Angleterre, de Toulouse et de Deckendorf, le comte de Hainaut continuait à donner l’hospitalité aux boucs d’Israël; malgré les Flagellants, malgré le meurtre de six cents juifs à Bruxelles, et de milliers en Brabant, malgré le miracle avoué par l’ami du duc Jean, il restait des juifs à Bruxelles. Le miracle dut encore intervenir. Il intervint près de Mons et à Bruxelles. Guillaume le Bon avait accordé l’hospitalité aux juifs chassés de France. En 1326, de bons chrétiens accusent un juif con- verti, favori du comte, d’avoir frappé une madone jusqu’au sang. Ils demandent sa mort. Le juif torturé nie et reste sauf. Mais la vierge veillait : un paysan des Estinnes, Jean le fla- mand, vient provoquer le juif; la vierge l’a guéri, dit-il, pour qu’il la venge. Le duc ne peut refuser le duel judiciaire; mais il engage le paysan à se désister. Prends son or, lui dit-il. Mais le champion de la vierge: Fi d’or et d’argent! Je veux bataille! Le combat eut lieu, le juif fut vaincu et brûlé. Le comte tolé- rant avait dû céder. Ce miracle a une variante, peu grave cependant. Ce n’est plus l’image du Christ dans l’hostie, c’est l'image de sa mère dans sa niche, qui est frappée et qui saigne; mais le dénoue- ment est le même et le bûcher termine la pièce avec une som- bre monotonie. Le Brabant devait avoir son tour. Car vingt ans environ s’étaient écoulés depuis le massacre des six cents juifs et le miracle de l’hostie, et des juifs habitaient Bruxelles ! A vingt années de distance, le miracle se répète exactement. Le Jonathas de Paris reparaît à Bruxelles pour voler des hosties, il est assassiné, et des juifs sont torturés, tenaillés, brûlés, la veille de l’Ascension de l’an du Christ 1370. Toujours le meurtre, toujours l’accusation de sacrilège, tou- jours le bûcher ! Toujours aussi la confiscation et le miracle! C’était dans l’ordre : De même que la confiscation apaisait les scrupules du souverain, de même le miracle endormait la con- - 9 — science des honnêtes gens, édifiait les fidèles et enrichissait l’Église. Tout compte fait, voilà déjà six fois que, pour les mêmes causes et dans les mêmes desseins, impies par piété, selon l’ex- pression d’un Pape, le même conte se répète. Sans craindre une accusation de plagiat qui eût mené son auteur au bûcher, le miracle traquait les juifs avec une persévérance monotone, qui prouvait, disait-on, la puissance de Dieu, mais qui, à coup sûr, ne prouve guère la puissance d’imagination de ses ministres. V Tous ces miracles sont tombés dans l’oubli. L’Allemagne et l’Angleterre ont renoncé au culte des thaumaturges ; la révo- lution française a englouti la plus grande partie de ces souve- nirs et de ces reliques. Seule, la capitale de la Belgique garde l’honneur de rappeler à la mémoire des siècles ces sortes de pro- diges qui suivaient les bandes de Pastoureaux et deFlagellants, comme les vautours suivaient les hordes d’Attila et de Genseric ! Il serait bien inutile d’étudier une à une toutes ces légendes. Mais il importe d’examiner celle qui subsiste, celle qui sert encore aujourd’hui à fêter l’anniversaire d’un auto-da-fé. Ici vient notre seconde question : Si cependant c’était un faux miracle? La réponse sera péremptoire. Tous les esprits libres s’étonneront qu’après la révolution du xvi e siècle, après la révolution française, il faille encore discu- ter des histoires qu’il suffit de signaler au sens commun pour en faire justice. Cependant, puisqu’un clergé, puissant encore, ose encore sortir de l’armoire ces antiquailles et cherche à affir- mer un prestige qui lui échappe, par des démonstrations con- traires à l’esprit moderne, il ne peut être inutile de se placer au point de vue même de ceux qui croient aux miracles. Le miracle pour lequel on demande une glorification nou- velle à la Belgique de 1830, ne peut résister à la critique his- torique la plus orthodoxe. Nous n’invoquerons que des écrivains catholiques. L’un des créateurs des Acta Sanctorum , — celui dont on a pu dire que, si Rosweyd avait préparé ce grand travail et si Bol- landus l’avait commencé, lui, l’avait fait (1),— le père Hensche- (1) Quod Rosweydus prepararat, quod Bollandus inchoarat, quod Henschenius formai*at, etc. Epitaphe de Papebroch. (Acta Sanctorum , janv.t. VJ). — 10 — nius a établi l’un des priricipes de la critique des miracles, en ces termes : « Une fois la coutume établie dans les Gaules et dans d’autres pays de représenter, dans les statues et sur les tableaux, tous les saints qui avaient été décapités, avec leur tête qu’ils portent dans leurs mains de- vant leur poitrine, une erreur populaire prévalut qui fit croire que ces saints avaient ramassé après leur martyre leur tête coupée et l’avaient portée au lieu où ils sont honorés. Ce miracle peut sans doute avoir eu lieu une fois ou deux ; mais dès qu’on a reconnu le principe trompeur qui a induit tant de monde en erreur , on ne peut prudemment plus l’ad- mettre d’aucun saint dont les actes ne seraient pas de la plus grande sin- cérité et à l’abri de tout soupçon d’interpolation. [Acta Sanct. Mai, VI, 38.) Cette pierre de touche nous suffira. Pour que le miracle de 1370 tombe sous l’application du principe trompeur dénoncé par le savant bollandiste, il faut établir : premièrement que la coutume existait en Europe et en Belgique d’accuser les juifs de toute sorte de crimes imagi- naires et en particulier de poignarder des hosties, et qu’une erreur populaire avait prévalu qui faisait croire que chaque fois ces hosties avaient saigné sous leurs coups ; — secondement, que les actes sur lesquels s’appuie le miracle ne sont pas à l’abri du soupçon. Cela sera facile à prouver. Trois grandes accusations servaient contre les juifs ; toutes trois sont dénoncées par les autorités du temps comme imagi- naires. On les accusait de tuer des enfants : une charte du duc de Po- logne, de 1264, renouvelée en 1343, flétrit et réprime cet usage, en exigeant que l’accusateur produise le témoignage de trois juifs. On les accusait d’empoisonner les eaux : le pape Innocent IY a fait justice, dans une bulle, de ces délations impies par piété, dit- il (1), et en 1349, leroi des Romains ordonne de protéger les juifs à Luxembourg, parce que, dit-il, le Pape et lui les regardent comme innocents des crimes nombreux dont on les accuse (2). On les accusait enfin de sacrilège : l’abbé Fleury, dans son Histoire ecclésiastique , met à nu ces manœuvres : « En une ville nommée Pulca, au diocèse de Passau, un homme laïque trouva devant la maison d’un juif une hostie ensanglantée, dans la rue, sous la paille. Le peuple crut que cette hostie était consacrée et (1) Sub pietatis colore impietatis opéra luxantes, crudeliter manus suas judœo- rum... offeudi (Trithemius) Chrome hirsaug, t. II, p. 210. (2) Bulletin de la commission d’histoire de Belgique, l re série, t. IV, p. 253. la fit laver par le curé du lieu et porter dans l’Église, où il se fit un grand concours de dévotion, supposant que le sang en avait coulé par miracle, des coups que les juifs lui avaient donnés. Sur ce soupçon et sans autre examen, ni aucune procédure juridique, les chrétiens commen- cèrent à se jeter sur les juifs et en tuèrent plusieurs; mais les personnes les plus sages jugeaient que c’était plutôt pour piller leurs biens que pour venger le prétendu sacrilège. » Cette conjecture était fortifiée par un pareil accident, arrivé quelque temps auparavant à Neubourg, au même diocèse de Passau, où un cer- tain clerc mit dans l’église une hostie trempée de sang, mais non consa- crée, et confessa depuis, en présence de l’évêque Yernhard et d’autres personnes dignes de foi, qu'il avait ensanglanté ces hosties pour en induire une présomption contre les juifs. » (T. YI, p. 110.) Que le miracle, tant répété, soit devenu un lieu commun de la crédulité populaire, nous en avons déjà cité d’assez nombreuses éditions, de 1255 à 1370, pour que la preuve ne soit pas établie. Mais l’origine de ce récit remonte bien plus haut. Dès l’an 788, l’Église grecque célébrait, le 5 novembre, un fait pareil, arrivé à Jéricho (l).Dès le IXe siècle, l’Église de Syrie en fêtait un autre, arrivé àBaruth (2). Grégoire de Tours en rapporte un troisième. Le sang avait coulé si abondamment en Syrie, qu’on put en distribuer à profusion, ubertim, dans les Églises d’Orient et d’Occident (3). Au xme siècle , on en envoyait encore au roi Henri III d’Angleterre. Mais bientôt l’Europe n’eut plus besoin de chercher loin du sang du Christ : on a vu comment il coula pour consacrer le massacre des juifs. En 1317, on raconte un miracle semblable à Lumay (4) ; un à Cologne en 1331 (5); un à Amsterdam en 1345 (6); un à Middebbourg en 1374 (7); les variantes sont légères. L’abbé Fleury signale deux miracles en Pologne. En 1383, nouvelle répétition à Mayence : Gaspard Schelkrop y est brûlé, igné crematus obit , dit un poète (8). En 1461, autre représentation, en Aragon à Aracléa; le juif s’ap- pelle encore Jonathas (9). Trithemius en rapporte un à Stern- (1) St-Athanase, De Passione. — Martène et Durand, III, 488. (2) Guill. Durand, Racionale , L. I, ch. VI. (3) Fr. Gosterus, Apologia catholica. Cologne, 1619. (4) Le Saint-Sacrement d'Herkenrode, par le P. D’Awaingne. Liège, 1701. (3) Ydens, Hist. du Saint Sacrement de miracle. Brux., 1605. (6) Amstelreodamus Eer erde op comen door de dendwaerdighe miraelen. An- vers, 1639. (7) Historia et miracula hostiæ, anno MCGCLXXIV, Middelburgi, etc., in carnem conversæ. Louvain, 1674. (8) Gosterus, Ibid. (9) Messager des sciences historiques , an. 1846, p. 32. berg, en 1482; trente juifs sont brûlés (1), et Surius un en 1510 : les hosties saignèrent trois heures de suite (2). Les mêmes termes servent à toutes ces histoires : c’est la passion du Christ que répètent les juifs sur son image; l’hostie est percée par le fer, et il en sort du sang qui fait des miracles. La première preuve exigée par Henschenius peut-elle être plus complète? Il n’est pas de faux miracle, pas même celui des saints ramassant leur tête, contre lequel on puisse fournir une série plus considérable de faits qui le controuvent. VI Le secondpoint à vérifier est une épreuve plus terrible encore pour le prétendu miracle. Les archives officielles nous ont conservé deux documents de l’an 1370 même; tous les deux portent témoignage contre la légende. Le premier de ces documents est le registre des comptes du receveur général du Duc de Brabant, Godefroid de la Tour, pour l’année 1370. On y trouve, à la recette et à la dépense, mention des juifs brûlés à Bruxelles, et depuis trois siècles, on a invoqué le texte de la recette en faveur du miracle. C’est une erreur. Depuis trois siècles, le texte a été mal lu, mal publié. Depuis trois siècles, on fait dire à Godefroid de la Tour que les juifs ont été brûlés pour avoir poignardé et s'être procuré fur- tivement le sacrement : de sacramento puncto et furtive accepto. Et quel incrédule, quel impie eût osé s’aviser qu’on ne pou- vait poignarder une hostie avant de l’avoir enlevée? On a été brûlé pour moins que cela. Une habile traduction sauvait d’ailleurs les apparences, et rétablissait l’ordre logique : « Pour avoir percé les saintes hosties que l’on avait enlevées furtivement, disait l’un (3). — Convaincus et complices du poi- gnardement du Saint-Sacrement de l’autel, furtivement volé, disait l’autre (4). — Pour avoir poignardé le Saint-Sacrement furtivement pris, » disait un troisième (5); et M. Carmoly, un (1) Chrome, hirsaug, II, 214. (2) Cafmeyer. Vénérable histoire du T.-S. Sacrement, p. 36. (3) Histoire des hosties miraculeuses. Bruxelles, Vandenberghen, 1770. (4) Cafmeyer. Vénérable histoire du T.-S. Sacrement. Bruxelles, 1720. (5) Ydens. Déjà cité. — 13 — rabbin, surpris dans sa bonne foi, répétait : « Complice du poignardement du sacrement, furtivement volé (1). » Cependant, lorsqu’en 1 581, le 1 er mai, les magistrats de Bruxelles, sur les réclamations des neuf Nations (2), interdirent l’exercice du culte catholique, non pour ses pratiques supersti- tieuses, mais pour les conspirations incessantes auxquelles il servait, ils dénoncèrent les supercheries du Saint-Sacrement de Miracle : « Quoiqu’il ne semble pas, dirent-ils, qu’on puisse reprocher à la plupart des catholiques romains de cette ville d’avoir supporté tant d’années, tant d’abus et de tromperies, comme on en fait accroire au simple peuple, sous prétexte de sainteté , et encore bien moins ces choses vilaines et fausses que messieurs les magistrats de cette ville ont descouvertes depuis, publiquement et manifestement, avec bonne connaissance de cause : à savoir que ce qu’on a jusques maintenant appelé le Sacrement de Miracle a été trouvé, par les propres lettres et preuves qu’on en a, n'avoir jamais saigné ni été blessé... (3). Cette proclamation , publiée dans les deux langues, porte en tête, dans une copie du temps, les noms des magistrats de la capitale : Henri de Bloyere, Barthélemy Yanderhaghen, Jerosme Van den Eynde, Arnould d’Eynatten, sire de Schoonhoven, Antoine Yander Heere, Charles Fourneau, sire de Cruyckenbourgh, Henri de Liedekercke, Antoine Van Gindertaelen, Jehan Spyckens, Charles Fourneau, Laurent Van Eynatten, Simon de Sailly, Jacques T’Seeraerts, • Adrien Van Coninxloo, Josse Beydaels, Pierre Rentiers, Charles Verhasselt, Henri Vander Borgt, François Ghiteest, François Van Gindertaelen, Adrien Vander Elst. (1) Revue orientale, 1841, t. I, p. 172. (2) Adresse du 27 avril 1581, archives de Bruxelles, n° 285. (3) Cette proclamation, publiée par Bor et parVan Melteren, existe en flamand a bibliothèque royale, dans un imprimé de l’époque. Ces magistrats, ayant vérifié les preuves, nient, non-seule- ment que les hosties aient saigné , mais même qu’elles aient été blessées. Mais c’étaient des Érasmiens et des Calvinistes; quelle foi peut-on donner au dire de ces aveugles volontaires qui ont des yeux pour ne point voir les miracles? En 4605, le 26 mai, une enquête orthodoxe est faite; un notaire est chargé de collationner le texte ; il lit imperturba- blement : Pour avoir poignardé et s’étre procuré furtivement le sacrement. De sacramento puncto, etc. Le père Ydens publie le procès-verbal : « Auquel compté, soub le chapitre de ce qui est reçu des juifs en Brabant, immédiatement après la dicte recepte, sont contenues les choses précédentes, feuillet quatorzième verso, lesquelles ( collation faite) ont esté trouvées concordantes avec le dict compte, par moi Philippe Van Asbroek, notaire public résident à Bruxelles et admis par le conseil de Brabant; Témoing mon signe, cy mis, ce 26 de may 4605. (Signé) P. Van Asbroek (1). Ce registre est celui qui est conservé aux archives du royaume; le chiffre de la page est exact; mais le mot est lu avec les lunettes de la Foi. Un notaire public pouvait-il dis- cuter un texte devenu sacré et démentir tous les auteurs ecclé- siastiques? Le père Ydens put donc reproduire en toute assu- rance le texte falsifié. En 4720, même enquête, même résultat. On allait célébrer un jubilé du miracle; le père Cafmeyer, chanoine deSainte-Gu- dule, allait en publier l’histoire en une magnifique édition in- folio, illustrée de nombreuses gravures. Donc, le 40 juin 4720, le registre est encore inspecté. « Et pour plus grande sûreté et confirmation, dit le chanoine, nous avons feuilleté et examiné plusieurs fois lesdits deux registres à ladite chambre des comptes du Brabant, et nommément le lundi 40 juin 4720, en présence de messieurs les maîtres des comptes et leurs officiaux, et du sieur Guillaume-Dominique Vinckels, prêtre et Protonotaire Aposto- lique, ainsi que de l’imprimeur de cette histoire, et ayant confronté et examiné le tout, quoique l’écriture soit fort ancienne, difficile à lire et fort obscure, nous l’avons trouvé très-juste et conforme. » Où les magistrats de Bruxelles avaient-ils donc vu que l’hos- tie n’avait pas même été blessée? En 4820, nulle vérification ne fut faite, que nous sachions. (1) Étienne Ydens, Hist. du Saint Sacrement, etc., pp. 84 et 85. — 45 — Tous les historiens, même libéraux, même juifs, avaient admis le texte ; M. De Reiff'enberg le cite; M. Carmoly en donne la traduction et s’en réfère au registre des archives, sans l’avoir vérifié. Les historiens de Bruxelles, MM. Henne et Wauters, avaient fait de même. Comment, en effet, se défier de la bonne foi de tant d’auteurs, imprimeurs, maîtres des comptes, offi- ciaux, notaires et protonotaires, ayant fait enquête et signant des procès-verbaux de collationnement ? Cafmeyer décrit mieux que personne le registre. C’est un in-folio, relié de parchemin ; on lit sur la couverture une note en latin, qui renvoie pour le procès des Juifs aux folios XIII, v°, XIV et XLYI. Ces indications sont exactes. Il n’y a pas de doute possible : le registre consulté est celui qui se trouve aux archives du royaume, chambre des comptes, n° 2356. Les magistrats de Bruxelles avaient vu clair dans ce registre. Il se trouvait sans doute parmi eux quelque disciple d’Erasme : Henri deLiedekerke, le sire de Cruykenbourg ou Adrien YanÜer Elst, qui savait lire les vieux comptes. Le fait est que le texte a été mal lu, mal confronté, mal collationné, à la plus grande gloire du miracle. On y lit tout simplement : Pour s’être procuré avec mauvaise foi (nous dirions aujourd’hui: avec abus de confiance), et furti- vement des hosties : Pro sacramentis punicè et furtive acceptis. Pour lire : Puncto , il avait fallu d’abord mettre l’hostie au singulier : sacramento pour sacramentis ; accepto pour acceptis ; (1) puis, ne pas voir les deuxlettresles plus lisibles dumot: PunlcE, celles sur lesquelles il n’y a pas de doute possible : Yi et Ve final; Vi ! un i tout pareil se voyait cependant dans la ligne précé- dente à la fin du mot combusti, et Ve avait été bien lu à la fin du mot furtivè. Ces deux lettres empêchent et auraient dû empêcher de lire jamais : Puncto (2). Ce peut être une erreur. Mais veut-on juger avec quelle con- fiance les historiens religieux et leurs imprimeurs, les maîtres des comptes et leurs officiaux, les notaires publics et les proto- notaires apostoliques y allaient dans ce collationnement? Qu’on jette un coup d’œil sur le registre (3). Dans les historiens du miracle, la première phrase, l’entête même du compte, est sin- (1) Les deux finales en is sont bien indiquées cependant ; le dernier mot de la phrase : receptoris , ne laisse aucun doute sur ce point, et plus loin, à la seconde ligne qui suit, on retrouve la même finale tout à fait pareille dans le mot : martis. (2) Voir plus loin le fac-similé photographique. (3) Nous publions les deux textes en appendice. — 16 — gulièrement composé. Pour le retrouver dans le manuscrit, il faut prendre d’abord la première phrase du folio XIII v°, sans l’achever, puis s’arrêter court au milieu d’une ligne, passer le reste de la ligne et toute la page, passer encore presque toute la première ligne de la page suivante, fol. XIY r°, et achever la première phrase du premier feuillet avec la fin de la première phrase du feuillet suivant. Alors, le texte imprimé reprend toute la première page, d’abord abandonnée pour chercher mieux. Ici l’erreur n’était pas possible; il a fallu suivre les lignes du doigt et passer, dès la seconde ligne, d’une page à l’autre. Et pourquoi fabriquer ainsi l’entête du compte? Qui peut le dire? Le receveur, dans les deux entêtes que l’on confond ainsi, donne à l’exécution deux dates différentes : Entre la Pentecôte et la Saint-Jean , dit-il à la première page; — Vers VAscension, dit-il à la seconde. Les historiens du miracle n’ont-ils pas voulu apprendre aux fidèles qu’en 1370, même jusqu’au receveur du Duc n’était pas fixé sur cette date ? Ou craignait-on qu’on pût inférer du compte qu’il y aurait eu deux exécutions cette année? Ce dont on n’eût pas voulu se vanter, sans doute; ce qui eût dérangé tous les récits postérieurs du miracle. Quoi qu’il en soit, sans relever de nombreuses fautes de lecture, ce fait prouve quelle valeur il faut accorder à ces enquêtes paléographiques au point de vue orthodoxe. Gomment d’ailleurs ne pas lire : Puncto ? Tous les récits de miracles pareils et de celui-là se servaient, sur tous les modes, du même radical : Hostias pungentes... sanguis de puncturis fluere cepit , avait dit Trithemius; pungebant, avait dit Giles-li- muisis; guttas sanguinis de puncturis, disait Gillemans ; pugioni- bus transfoderunt, disait Raisius; pugionibus confossum , disait l’inscription même de l’autel. (Sanderus.) Les magistrats de Bruxelles avaient donc découvert la vérité, en bonne connaissance de cause , sur ce point : « Ce qu’on a appelé jusques à maintenant le sacrement de •» miracle a été trouvé par les lettres et preuves qu’on en a » n’avoir jamais saigné ni été blessé. » Tel qu’on l’avait lu et publié cependant, ce premier acte authentique ne disait mot du miracle. L’hagiographe anonyme de l’année jubilaire 1770 prévoit l’objection : « Il n’étoit parlé, dit-il, que du vol des hosties et des piqûres que les Juifs y avaient faites, sans aucune mention du sang mira- culeux. i L’écrivain religieux répond que les arrêts ne relatent que les crimes, « sans entrer dans aucun détail sur les cir- — 17 — constances qui ne servent pas à en augmenter l'énormité. » (1) Mais les piqûres au moins s’y trouvaient : puncto. Maintenant que les piqûres ont disparu, que pourrait répon- dre l’historien du miracle? Soustraire des hosties n’est rien auprès de les poignarder! Serait-il possible que le receveur du Duc eût relaté le crime sans entrer dans celle de ses circon- stances qui en augmentait le plus l’énormité? Non! il faut qu’on en fasse son deuil! Il n’est fait mention dans cet acte que d’un vol ordinaire d’hosties, sans piqûres ni miracles. Ainsi, à cinq siècles de distance, le receveur-général du duc de Brabant vient confondre l’erreur, revendiquer le droit d’être lu correctement, et attester, avec les magistrats de Bruxelles de 1581, que les hosties n’ont pas même été blessées. Donc, faux miracle ! YII La seconde pièce authentique répète : faux miracle. Les magistrats de Bruxelles parlent de plusieurs lettres et preuves. La première émanait d’une autorité civile., qu’on peut toujours suspecter. La seconde vient de l’autorité ecclésiastique même. C’est une charte du chef du diocèse, Robert, évêque de Cambrai; elle est adressée au doyen de la chrétienté, à Bruxelles, et signée du sceau de l’évêque. Le prêtre Navez en a publié un fac-similé et en a donné la traduction (2). Il s’en trouve une copie certifiée aux archives du Brabant; le texte publié par l’abbé Navez est exact. Cet acte authentique est d’autant plus précieux qu’il renferme deux choses : l’évêque y rapporte une requête qui lui a été adressée par les doyen et chapitre de l’église de Sainte-Gudule, en 1370, au sujet de ces hosties; puis, il porte son jugement. Nous, avons donc à la fois le témoignage de l’évêque du diocèse, et celui du doyen et du chapitre de Sainte-Gudule. Neuf des hosties sur onze avaient été remises au doyen et deux étaient restées à l’église de la Chapelle ; le curé refusait de le3 rendre, le doyen les réclamait. De là, le jugement de l’évêque. Or, dans cette pièce, ni le doyen et le chapitre, ni l’évêque, ne disent mot du miracle, ni du coup de poignard. (1) Histoire des Hosties , Bruxelles, J. Vartden Berghen, 1770. (Cet anonyme est le père Griffet . (2) Dissertation historique sur les hosties miraculeuses, Bruxellez, chez Lemaire, 1790. La préface est signée : Navez, prêtre. 2 — 18 — « Il nous a été signifié, dit l’évéque, (1) de la part de nos chers doyen et chapitre de l’Eglise de Sainte-Gudule de Bruxelles, qui est de notre diocèse, que quelques fils de perdition et ennemis de la sainte foi Catho- lique avaient depuis peu osé témérairement et à l’instigation du démon enlever le Très-Saint-Sacrement du corps de Notre-ôeigneur qui était gardé dans la susdite Église pour l’administration des malades, jusqu’au nombre de seize espèces ou environ, et qu’à l’exemple de Judas Isca- riothe, ils les avaient méchamment remises entre les mains de quelques Juifs, afin qu’ils les insultassent, les maltraitassent et les couvrissent d’injures. » Du coup de poignard, ni du sang qui jaillit des blessures, pas un mot ! L’évêque a un jugement à porter. Le curé de la Chapelle allègue pour s’excuser, que « les deux hosties sont déposées » dans un lieu dont quelques-uns de ses paroissiens gardent » les clefs et refusent de faire la susdite restitution. » L’évêque décide que c’est un sacrilège ; car, « il n’est pas permis auxlaï- » ques, dit-il, de garder les susdites choses, et surtout la Sainte- » Eucharistie. » Quel argument si l’évêque avait pu ajouter : « Et surtout des hosties miraculeuses! » Si ces hosties avaient été marquées de sang, il n’était permis de publier aucun miracle sans l’âveu de l’évêque. Le Concile de Noyon venait d’en renouveler la défense en 1344. L’évêque cependant ne sait rien du miracle. S’il y avait eu miracle, la réclamation du doyen eût été bien plus légitime, le sacrilège des détenteurs des hosties plus flagrant. Néanmoins, non plus que le receveur du Duc, ni le doyen et le chapitre, ni l’évêque ne signalent cette circon- stance majeure du fait, celle qui en augmente l'énormité. Ils ne savent qu’une chose, c’est que Ton a livré à quelques Juifs des hosties, en secret ; furtive, qu’ils les ont acceptées dans de mauvaises intentions : punicè acceptis, comme dit Godefroid de la Tour. Du miracle, ils ne savent rien. La raison en est claire : il n’y avait pas alors de miracle. Les doyen et chapitre de Sainte-Gudule parlent autrement en 1435. Ils veulent ériger une chapelle pour la conservation de ces hosties, mais l’argent manque. Ils demandent au Pape d’accorder des indulgences à ceux qui y contribueront de leurs deniers, et la bulle répète l’histoire du miracle d’après la (1) Traduction de l’abbé Navez. requête du clergé. En 1435, le miracle avait été inventé. En 1370, il n’existait point. Quoi ! un fait aussi éclatant se serait produit à Bruxelles, un procès criminel l’aurait mis au grand jour, une affreuse exécu- tion aurait été offerte en exemple au peuple,—et cependant, le receveur du Duc de Brabant, dans un compte où il doit relater les arrêts judiciaires en entrant dans les détails qui servent à en augmenter l’énormité , et les doyen et chapitre de l’église, en réclamant les hosties miraculeuses, et l’évêque du diocèse, dans un procès où il a à fixer la valeur des pièces de conviction du miracle, toutes les autorités civiles et religieuses enfin au- raient pu cacher ce qu’elles avaient qualité de produire, se seraient trouvées d’accord pour se taire sur ce qu’elles avaient tout intérêt à proclamer! Non! non! nous avons en main le témoiomaffe officiel de l’année 1370! nous tenons en aveu tous les pouvoirs de l’époque! En 1370, il n’y avait point de miracle! Ainsi, la seconde condition du Père Henschenius est remplie, remplie tout aussi largement que la première. VIII Foppens accuse « l’incurie des historiens du pays dans ce temps-là. » Les historiens de ce temps-là! Foppens en parle à son aise. Ce temps-là est le premier siècle des investigations historiques, c’est le siècle de Froissart, le plus grand chercheur des événe- ments de l’histoire ! Or, Froissart habitait la cour de Wenceslas, en 1370; il y resta longtemps attaché. Cependant, Froissart, qui était prêtre et qui se plaisait à raconter les choses merveilleuses, n’a pas même mentionné un miracle qui eût illustré le christianisme sous le règne de son protecteur ! D’autres chroniqueurs notaient les événements année par année; on en retrouve le texte dans les compilateurs des siè- cles suivants. Une chronique, citée par Molanus, dit tout sim- plement : « Juifs brûlés à Bruxelles, la veille de l’Ascension, année 1370 (1). » Du miracle, pas un mot ! La seconde partie des Brabantshe Yeesten fut terminée en 1432; l’auteur écrivait sous Wenceslas; il raconte en détails sa vie. Du miracle qui illustrerait son règne, pas un mot! (1) Edition Dcram, II, 817. — 20 — Ruysbroek, le grand mystique, mourut en 1381.11 a consacré bien des pages à l’Eucharistie. Du miracle qui eût édifié son époque, pas un mot! Zanfliet mourut en 1461 ; il parle de Wenceslas, il parle des Juifs, il parle de la fête du Saint-Sacrement instituée à Liège, il cite de nombreux miracles. Du miracle de 1370, pas un mot! Dynterus vécut de 1382 à 1490; il fut attaché à la cour de Brabant : il en écrivit l’histoire. Il cite le miracle de Grégoire de Tours et le miracle de Baruth; il rapporte le siège de Ge- nappe et le massacre général des juifs en 1349. Du miracle de 1370, pas un mot ! La première mention historique connue du Saint-Sacrement de Miracle est celle de la troisième partie des Brabantslie Yeesten, achevée en 1440 (1). La première mention antérieure à celle-ci, dans un acte au- thentique, se lit dans la bulle du Pape de 1435. Nous l’avons déjà citée, nous aurons à y revenir. IX Quand donc le miracle a-t-il été découvert? Ces sortes d’in- ventions ne se constatent guère par des brevets, et le problème n’est pas facile à résoudre : on ne peut exiger que nous trou- vions le faussaire en flagrant délit. Voyons cependant quelques faits. Les masses ne sont jamais mieux préparées au merveilleux que lorsqu’elles désespèrent de la vie réelle et se courbent, aveuglées, sous la terreur d’un fléau. Deux calamités frappè- rent Bruxelles à un siècle environ de distance; elles concor- dent avec deux faits relatifs à la découverte du miracle. En 1405, un incendie dévore 1,400 maisons et plus de 4,000 métiers de tisserands, à Bruxelles. On parle d’un miracle produit par les hosties, conservées jusque-là comme volées, non poignardées. Mais pourquoi des hosties qui guérissent les gens n’auraient-elles pas une origine miraculeuse? Déjà elles ont été profanées, n’y a-t-il pas là matière suffisante à un nou- veau Saint-Sacrement de Miracle? L’idée est excellente; on la préparera de longue main. Une procession est instituée; les Brabantshe Yè0steralamentionnentàl’annéel423.Neufansaprès, l’idée a mûri ; un nouveau prodige la renforce en 1431, et l’on (1) Cette mention vient presque à la fin de la chronique rimée, t. III, p. 542. — 21 — songe à élever aux hosties une chapelle, pour laquelle on quêtait encore en 1435, comme l’atteste la huile du Pape. Mais les indulgences font leur effet habituel : l’argent arrive, la cha- pelle est terminée en 1436, comme nous l’apprend l’inscription recueillie par Sanderus. L’œuf du miracle avait été couvé dans les cendres de l’in- cendie de 1405. En 1529, une peste, dite la suette , ravage la ville. Une pro- cession solennelle est organisée contre le fléau : la foi aux hos- ties redouble. Le mal s’apaise : le miracle en profite, et Mar- guerite d’Autriche ordonne que la procession se répète chaque année. La peste avait fait éclore une superstition nouvelle. Le moment était venu d’acter complètement le miracle. Un moine allemand, le Père Blomeven, prieur de la Chartreuse de Cologne, entend parler de la bonne nouvelle, envoie une femme malade faire l’épreuve du miracle; puis, le succès ob- tenu, écrit au. père Jean, prieur des Chartreux de Bruxelles, et demande des renseignements, des preuves, des actes. Le père Jean lui envoie une enquête; on la dit faite en 1402, et un Chartreux, Théodoric Loërius, la publie à Cologne en 1532 (1). Le miracle était joué. Cette enquête eût-elle été réellement faite en 1402, trente- deux ans après le supplice des juifs, elle ne détruirait en rien ni les preuves de l’année 1370, ni le silence des autorités et des historiens. Mais, pour admettre cette enquête, il faudrait une foi plus robuste encore que celle qui a lu pendant trois siècles puncto pour punicè. Où se trouve l’original, l’original de 1402? Yoilà la ques- tion. A défaut de l’original, aura-t-on au moins un écrivain qui le cite avant le milieu du xve siècle ? L’original devait exister du temps de Jean Gillemans. Ce moine vécut de 1427 à 1487.; il habitait Rouge-Cloître, près de Bruxelles; il a écrit l’histoire du miracle, vers le milieu du XV e siècle. Il était bien placé pour connaître les sources. On l’invoque partout : Pourquoi ne nous dit-on pas qu’il ait parlé de cette solennelle enquête? L’original, s’il y eut un original, devait exister en 1431, (1) Prœstantissima quædam , ex innumeris, miracula, quæ Bruxellis, etc. Co- logne, 1532. Le même texte est reproduit aussi à la fin de l ’Enchiridion du Père Blomeven, Cologne 1532, et dans Foppens; Basilica Bruxellensis, Malines, 1743. — 22 — quand on songea à bâtir une chapelle et qu’on demanda au Pane d’aider à la quête par des indulgences. Le prêtre Navez prétend qu’on en avait alors envoyé une copie authentique à Rome (1). 11 trouve, dit-il, ce fait consigné dans un manuscrit des archives de Sainte-Gudule, dont il néglige de citer le titre et le texte. Or, les archives de Sainte-Gudule ne sont pas exposées aux regards profanes, qui peuvent lire Punicè au lieu de Puncto . Quelle confiance peut inspirer l’interprétation d’un manuscrit sans nom dont on ne publie pas le texte et que nul ne peut con- trôler? Le Puncto est là pour nous tenir en garde. Qu’en 1431 op ait envoyé à Rome un récit du miracle, cela est vrai ; mais en inférer que c’était une copie authentique de l’en- quête, il faudrait pour cela une preuve, et nous avons presque la preuve du contraire. Le même prêtre ajoute : « C’est dom- » mage que le bref expédié à ce sujet (de Rome à Rruxelles) ait » eu le malheur de tant d’autres pièces importantes qui ont » échappé aux soins de ceux qui devaient y veiller ou que la » fureur de l’hérésie a sacrifiées à ses emportements destruc- » tifs.» Rassurez-vous, mon père! la fureur de l’hérésie a respecté le bref ; le bref existe, il se trouve mieux placé que dans les archives de Sainte-Gudule. Tout le monde peut le lire aux archives du royaume où M.Ralilenbeck l’a retrouvé, et nous allons le publier (2). Ce serait dommage, en vérité, que la fu- reur de l’hérésie l’eût sacrifié à ses emportements destructifs ; car ce que vous insinuez qu’on y lisait ne s’y trouve point. Le Pape a reçu un récit du miracle, mais de la copie authentique de Vin- formation juridique faite en 1402, il ne dit mot. Le père Antoine de Berg est mort en 1504. Il a raconté le miracle. Mais l’enquête, aucun des écrivains qui ont vu son manuscrit et qui invoquent son autorité en faveur du miracle, n’avance qu’il en ait dit mot. Pierre à Thymo, le chroniqueur du Brabant, est mort en 1473. Il donne quantité de bulles, et des chartes d’évêques, sur toute sorte de sujets, même celles où l’évêque de Cambrai ac- cuse son clergé de tous les vices du luxe, de la violence et de la débauche. De l’enquête, pas un mot. Après la publication faite à Cologne, les historiens du miracle connaissent fi’enquête, mais ils la citent d’abord avec une certaine réserve. Cafmeyer place Jean Gillemans avant Loërius, et lors- (1) Page 42. (2) Voir le texte aux annexes, lit. B. qu’il cite l’enquête, elle devient le narré de Loërius. Loërius cependant n’a rien narré, il n’a fait que publier ce procès-ver- bal. Le père Griffet agit de même; il dit que Jean Gillemans est le premier historien du miracle ; Loërius ne vient qu’en se- cond. Et, quand il cite un des témoignages de l’enquête, à qui l’attribue-t-il ? Au témoin de 1402 ? Non. A l’éditeur de 1532. Ydens traduit l’enquête et ne la discute point. L’abbé Na- vez en fait grand état, au contraire ; il la publie, il la com- mente, il cherche à l’appui toute sorte de raisonnements, il la défend de toutes les objections. Mais il doit avouer que l’o- riginal n’existe point et qu’il faut se contenter de copies. 11 assure avoir vu aux archives de Sainte-Gudule un manuscrit sur vélin « dont les caractères gothiques ont tout l’air d’être du xve siècle. »Du xve siècle, c’est bien large ! Puis, les archives de Sainte-Gudule sont bien closes, et nous avons de bonnes raisons pour douter de la compétence des écrivains orthodoxes à fixer la date d’une écriture. 11 existe bien deux manuscrits pareils à la bibliothèque de Bourgogne (1). Ce sont des copies du livre de Loërius, devenu très-rare; elles ont été faites aux xvne etxvme siècles. Il y en a même un troisième, qu’on intitule bravement : Procédure contre les juifs, par les ducs de Brabant, en 1370. (No 6348.) C’est tout simplement une copie du xvme siècle d’une page de Loërius. Les historiens ne connaissent pas d’autre enquête de 1402. Beaucoup de pièces, soustraites ou dispersées au xvi® siècle, ont été restituées sous Albert et Isabelle, par leurs détenteurs, qui avaient de bonnes raisons pour cela : ils évitaient des persécu- tions; ils rentraient dans la grâce du souverain et dans leurs biens confisqués. C’est ainsi que la charte de l’évêque de Cam- brai de 1370 a été restituée en 1610... « Un heureux hasard ne peut-il également faire retrouver l’information authentique ? » Voilà où en est réduit le père Navez et ce qu’il oppose aux textes si formels de l’année 1370 et au silence des écrivains ! Mais qui pourrait deviner son plus fort argument /Selon lui, l’enquête est d’accord avec le compte de Godefroid de la Tour, avec la charte de l’évêque Robert ! O puissance de la Foi, qui transporte des montagnes ! L’enquête! c’est là le nœud de la question pour vous, Mon- sieur l’abbé. Mais vous publiez le fac-similé de la charte de l’évê- que Robert. Pourquoi ne faites-vous pas de même pour cette copie qui a tout l’air d’être du XVè siècle ? (4) Numéros 6347 et 16674. — 24 — Vous publiez plusieurs textes en appendice, avec traduction en regard, d’autres en notes. Pourquoi ne faites-vous pas con- naître le passage de ce registre dont vous inférez qu’une copie authentique de l’information de 1402 a été envoyée au Saint- Père en 1431 ? Des interprétations ! c’est un texte qu’il faudrait! Une copie ! c’est un original du commencement du xve siècle qu’il faudrait, pour confondre tous les actes authentiques qui ne disent rien ni du miracle, ni (les coups de poignard ; pour confondre ces historiens du miracle qui ont eu des yeux pour en chercher les preuves et qui n’ont point vu celle-là pendant près d’un siècle ! Cette copie enfin,je vous en préviens, doit être en flamand ; car Blomeven (vous ne l’avez pas remarqué), dit qu’il a dû la faire traduire « de l’idiome du Brabant, que les autres nations ne comprennent point. » 11 y a un texte cependant, et vous ne le connaissez pas, ni vous ni les vôtres. Nous pourrions vous le cacher, comme on fait des archives de l’église deSainte-Gudule; mais, si nous avons fouillé les livres, les manuscrits et les archives, c’est en vue de dire toute la vérité. Il y a donc un manuscrit qui mentionne l’infor- mation de 1402 avant la fin du xve siècle. Ce manuscrit vient de Rouge-Cloître, le couvent de Jean Gillemans; il est en fla- mand ; c’est une traduction de la Légende dorée de Jacques de Voragine. L’anonyme flamand de Rouge-Cloître y a intercalé un fragment de Ruysbroeck sur l’Eucharistie, suivi du récit du miracle. Il signale dans son titre « l’information et la recher- che qui furent faites là-dessus par Jean de Saint-Géry, doyen de la chrétienté, l’an mil trois cent deux, le six août , etc. » Nous lisons 1302 et non 1402; car l’auteur avait écrit d’abord mil quatre , mais il a biffé ce mot et a écrit bravement mil trois cent deux. La date de l’enquête n’est pas plus exacte; toutes les éditions la fixent au 12 août et non au 6. (1) Ne parlons pas en ce moment du récit. Constatons seulement le fait même. Ce manuscrit est de la seconde moitié du xve siècle ; (1) Voici le titre de ce chapitre : Dit es die geschiedenesse van den werdeghen heylighen sacramente van miraculen, dat te Bruecel in sinte Goedelen kercke rus- tende es. Ende oec die infirmacie oft ondersuec dat daer af ghedaen werdt bi her Janne van Sinte Goricx deeken der kerstenheit, int jaer ons liefs heren doe men screef dusentich [vier] * drie hondert ende twee, den sesten dach van den oexchst maènt welche geschiedenesse een deerelec aensien voor aile god minnende herten. (Fol. GCLXXVI). * Ce mot est biffé dans le manuscrit. — 25 — Jean Gillemans et l’anonyme flamand vivaient à Rouge-Cloître ; ils parlent les premiers du miracle, et l’anonyme, en glissant ce récit dans sa Légende dorée, parle d’une enquête jusque-là inconnue. Mais son écriture, si ferme, vacille; il fait des fautes de date, ne les corrige pas, ou, ce qui est pis, les corrige de travers... La main de l’imposteur tremblait! C’est à Rouge-Cloître que l’on a dû donner au récit la forme d’une enquête ; puis, vienne une bonne peste :1e jeu d’esprit sera lancé dans le public terrifié et deviendra un acte authentique. Le récit que contient l’enquête, nous l’avons donné en com- mençant; il est bien fait pour inspirer confiance, n’est-ce pas ! C’est cette enquête qui nous apprend que les Juifs de Bruxelles, effrayés à la vue du sang miraculeux et voulant se défaire du ciboire et des hosties, ne trouvèrent rien de mieux que de confier le tout à une juive convertie, nommée Catherine. Ils pouvaient fondre le métal ;les Juifs faisaient le commerce de lingots. Rien n’est plus facile à détruire ou à enfouir que du pain d’autel ; ils pouvaient s'en défaire eux-mêmes. Non pas ! ils veulent un complice de plus. Prendront-ils au moins une per- sonne sûre ? Pas davantage ; ils s’adressent à cette classe de gens qu’on flétrit, qu’on repousse et qu’on suspecte dans tous les partis, comme des apostats et des espions. N’ayant aucune raison de livrer leur secret, ils livrent leur secret et leur vie à la trahison. L’anonyme flamand de Rouge-Cloître ajoute qu’ils promirent à la juive de la faire accompagner par l’un d’eux en qui ils avaient confiance (comme si ce juif n’eût pu y aller seul); ils lui assurèrent en outre que le voyage serait facile, car le chemin serait rempli de monde, à cause de la.foire. Cette information authentique nous raconte aussi l’histoire d’un autre juif converti. On le nomme Jean. Un matin, après le déjeûner, il se trouvait dans la cour du palais, c’était au mo- ment même où les accusés étaient appliqués à la torture; le chapelain du prince passait, Jean se mit à plaisanter : « Pour- quoi ces chiens immondes n’avouent-ils pas? ils savent bien qu’ils sont coupables! » C’était éveiller les soupçons, se livrer à la justice, s’exposer à la torture, à la mort! N’importe! les torturés niaient, l’enquête avait besoin d’un témoin pour les confondre. Jean, le faux converti, se raille de ses frères, se trahit lui-même avec eux, est arrêté, avoue, est condamné avec ses complices et brûlé comme eux. L’anonyme ajoute que les juifs allèrent au bûcher en riant, en — 26 — chantant et en dansant, heureux et fiers sans doute d’être rôtis! Franchement, ou peut calomnier les juifs, les torturer, les tenailler, les briller vifs, quand on est le plus fort. Mais on devrait bien ne pas leur prêter tant de sottises pour faire un miracle ! X Mais pourquoi donc un faux miracle, dira-t-on? Par piété, mon père. Pro pietate mentiri , disait déjà au Xe siècle l’abbé de Lobbes, Hériger. Et saint Augustin avait dit de même : On fait mentir Dieu ! Deus mentiri cogit. Oui, un faux miracle, comme ceux de Simon le mage, d’Ap- pulée, d’Apollonius, de Mahomet et de Joé Smith. Faux comme les fausses décrétales et comme la fausse chronique de Turpin, — faux comme les fausses chartes d’in- dulgences, dont un décret de la Sacrée-Gongrégation du 7 mars 1678 dénonce et désavoue jusqu’à 24 catégories, c’est-à-dire plusieurs milliers, — faux comme les faux miracles , les fausses révélations , les fausses religues , les fausses images et les faux saints , pour employer les propres termes d’un docteur en théologie, curé de Vibraie, M. l’abbé Thiers,— faux comme les faux stigmates de la sœur Patrocinio, dévoilés en police correctionnelle, à Madrid, en 1836, ~ faux « comme la châsse de Wavre, celle de » saint Antoine et une infinité d’autres semblables que le Pape » même a fait condamner au concile de Trente, » disent les magistrats de Bruxelles de 1581, qui n’ont négligé aucun point, on le voit! Mais pourquoi? — Pourquoi! — « On n’est jamais plus cer- tain de faillir, dit saint Augustin, que lorsqu’on veut trop servir la vérité, trop confondre l’erreur. » Pourquoi? Pour confondre l’erreur des juifs!— Il faut lire le réquisitoire en forme d’Alphonse à Spina contre les juifs (1) ; l’auteur ne manque pas d’invoquer des miracles semblables... mais non pas celui de 1370, car Spina écrivait en 1498. Pourquoi? Pour servir la vérité des chrétiens. 11 n’est pas d’auteur ecclésiastique qui ne rapporte ces miracles sans jeter un cri de triomphe en faveur de la présence réelle du Christ dans l’hostie. Le chapitre où Spina en raconte de semblables (1) Alp. a Spina, Fortalicium fidœi contra Judæos, etc. Nuremberg, 1198, et Lyon, 4511. L. III. — 27 — est intitulé : Les juifs devraient prouver que c’est une idolâtrie d’adorer Vhostie (I). « Quoique la vérité des paroles du Sauveur et l’autorité infaillible de l’Église, dit naïvement un autre écrivain, fussent plus que suffisantes pour engager les chrétiens à croire un Mystère aussi auguste et si salutaire pour eux que l’Eucharistie, Dieu a voulu encore les confirmer dans cette croyance par nombre de prodiges qu’il a opérés pour faire cesser de leur part tout sujet d’incrédulité (2). Sur ces paroles, le premier prodige que cite le pieux écrivain est 1 histoire des juifs en Brabant sous Wenceslas. Pourquoi Blomeven prend-il le soin de se procurer à grands frais ces actes du miracle ? Il le dit, dans la préface d’un traité complet sur l’Eucharistie : Pour confondre les hérétiques, pour corriger les esprits tombés dans l’erreur : ad correctionemanima- rum errantium (3). Et il fait suivre son traité du petit recueil de miracles de Loërius. Pourquoi Loërius les publie-t-il ? Il le dit : Parce qu’il y a trop d’impies qui dérogent à ce sacrement! (4). En effet, quel temps eut jamais plus besoin de miracles que celui qui s’étend de 1405 à 1532. L’incrédulité relevait la tête, les hérésies abondaient. Les Vaudois couvraient la chrétienté, on en brûlait partout: les Vaudois niaient la présence réelle. — En 1414, un grand procès est fait par l’évêque de Cambrai aux Frères de l’Intelligence. Gilles de Hildenissen n’est puni que légèrement, car il a reconnu ses erreurs. Voici la première des erreurs qu’il abjure pour éviter le bûcher : les juifs et les païens seront sauvés. Voici la treizième : Dieu est partout, mais pas plus dans l’hostie que dans l’enfer (5). En 1421, des Vaudois sont brûlés encore à Douai, en 1459 à Arras. En 1522, le frère Jacques est forcé d’abjurer l’hérésie, à Bruxelles : la première vérité qu’il reconnaît est que l’Eucharistie est d’insti- tution divine. Herman Gérard fait de même, la même année (6). En 1525, des anabaptistes déclarent aux magistrats de Louvain qu’ils pratiquent en secret leurs croyances depuis un siècle (7). (1) Ibid. Liv. III. Considérâtio, IV. (2) Histoire de l'institution de la Fête-Dieu. Liège, 1781, p. 145. (3) Enchiridion , etc. Epistola nuncupoloria. Cologne, 1532. (4) Prestantissima, etc. (5) Duplessis d’Argenteau. Collection judiciaire , II, p. 204 et 205. (6) Manusc. de la Bibliothèque de Bourgogne, n° 6335. (7) Rahlenbeck. La réforme, etc. — 28 — En 1536, Guil. Tandel est brûlé à Anvers, Josse Huwaerts à Bruxelles, en 1552; il avait nié la présence réelle. Enfin, l’Europe commençait à se lever à la voix de Luther. Loërius avait raison : il y avait trop d’impies, pour qu’on ne leur opposât point de saintes manœuvres! Donc, pour le fanatisme des masses, consécration de leurs massacres insurrectionnels des juifs; pour l’Eglise en danger, confirmation d’un de ses premiers dogmes, voilà le but. Un bûcher de juifs, se perdant assez dans le lointain pour prêter à l’illusion, un incendie et une peste, voilà l’occasion. Le moyen est connu : Pro pietate mcntirv. Le prêtre Navez a fait de l’enquête son grand cheval de ba- taille ; il ne voit pas qu’il enfourche un faux en écriture ecclé- siastique. Les magistrats de Bruxelles de 1 581 étaient fondés sur ce point comme sur les autres, lorsqu’ils disaient : « Ce fait a été seulement mis en cause en 1529 du temps de la maladie suante et lorsque le peuple était en une si extrême nécessité... Quoique cent ans et plus auparavant on n’en sût peu ou point à parler, ainsi que les écrits qu’on en a trouvés le montrent. » Et comment de bons moines comme Jean Gillemans et son frère anonyme, comme Antoine de Berg, le prieur Jean et Loërius, de ces moines qui ont imaginé tant de superstitions que l’abbé Thiers a mis quatre volumes à les consigner, comment se seraient-ils privés de renouveler, sans grand effort d’ima- gination, le miracle des hosties qui saignent ; puis, de glisser une enquête authentique dans les miasmes de la peste? Jean Gillemans est le premier en date ; ce moine s’attribuait à lui-même des miracles : « Il a soutenu plusieurs fois devant le prieur àe Rouge- Cloître, dit son biographe, M. Goethals, qu’après avoir longtemps demandé de con- templer le créateur en figure humaine, il lui était apparu et que l’Être suprême avait inscrit sur le papier qu’il avait devant lui le nom de Dieu. Depuis ce prétendu événement, le chanoine Gillemans adressa tous les jours de ferventes prières à Sainte-Ursule et aux onze mille vierges pour remercier l’une de lui avoir procuré celte vision et pour engager les autres à se trouver auprès de lui à l’heure de sa mort. L'Histoire dit qu’elles se trouvèrent en effet toutes au chevet de son lit. » On peut bien croire sur parole, au moins en fait de miracles, un homme qui a vu écrire l’Être suprême et qui mourut entouré de onze mille vierges! L’anonyme flamand vient vers le même temps ; il traduit la Légende dorée , ce livre d'or des histoires miraculeuses et des contes dévots; on a vu ce qu’il ajoute au récit de l’hisloire de Jonathas le Bon , comme il dit qu’on appelait le banquier juif; sa conclusion résume l’esprit du livre et de hauteur : « Ils furent réduits en cendres, dit-il; qu’il en soit de même de ceux qui insulteront aux saintes reliques ! » Amen , mon révérend Père! On peut bien en croire sur parole un traducteur de la Légende dorée , aussi exact sur les dates et aussi prêt à défendre les reliques par la plume et par le bûcher!* Gillemans, l’anonyme et Loërius semaient en bonne terre ! A partir de là, lemiracle grandit, le fil d’eau devient fleuve ! Sous la plume des écrivains religieux, sa renommée s’accroît : — Les hosties, poignardées par une erreur de copie, répandent d’abord comme des gouttes de sang : « Tanquam guttas sanguinis , » dit Loërius; puis, du sang en abondance (Pauli); puis, une si grande abondance de sang que les Juifs en furent tout mouillés (Ydens); enfin, une grande pluie de sang : tantus cruoris emanavit imber ! (Raissius). Le cardinal Fleury, après avoir dénoncé un faux miracle pareil, a dit : « L’hostie fut adorée quelque temps... mais enfin elle se trouva man- gée devers. Un autre clerc en mit à la place une semblable, c’est-à-dire non consacrée et ensanglantée, qui fut honorée' comme la première. » « Le sang miraculeux envoyé à Henri III d’Angleterre fut bientôt pourri, » dit Dumoulin. Les magistrats de Bruxelles , dans leur proclamation de 1581, disent de même : « Qui pis est, ce que, touchant ce fait, on a montré au simple peuple et qu’on lui a fait adorer, n’était pas même de la pâte de pain. » Et aussi on a trouvé, dans les têtes des images de saints, des trous pour y mettre de l’huile ou quelque autre liqueur pour faire suer par ce moyen ces images. » En- d’autres, on a trouvé des instruments servant à faire mou- voir les membres du saint. » On croit entendre les Pères de l’Église dénonçant les super- cheries des idoles du paganisme. A tout prendre cependant, les magistrats de Bruxelles étaient des incrédules, et des hosties, pour être miraculeuses, ne sont — 30 — pas éternelles. Les bons catholiques le reconnaissent: En 1670, la Faculté de Théologie de Louvain consultée, l’archevêque de Malines ordonne de placer une hostie nouvelle derrière les anciennes: La sûreté du culte des fidèles l’exigeait, car les hosties étaient en poussière et l’on craignait qu’il n’y eût plus rien à adorer dans les reliques. Le 10 juillet 1771, le prêtre Navez visite ces reliques: « Elles sont rangées en triangle, dit-il ; celle de la base, qui était à ma gauche lorsque je regardais le Saint-Sacrement en face, est entière- ment consumée. La poussière qui en reste forme un petit monceau au pied du cercle où elle a été enchâssée. Une partie de cette poussière s’est jetée sur le cercle où est enchâssée la seconde, qui forme l’autre angle de la base. Sa surface est endommagée, quoiqu’elle se soit mieux conservée que les deux autres. Quand on en voit le revers, on y dis- tingue clairement des marques de dépérissement. Celle qui forme le sommet de l’angle est percée en différents endroits et transparente. On ne peut pas distinguer si les trous qui y sont, sont l’effet des coups de poignard ou de couteau, ou des marques de dépérissement. La pous- sière de celle qui est consumée, aussi bien que de celles qui existent encore en partie, est de couleur éteinte et jaunâtre ou blafarde. » Voilà le miracle tombé en poussière ! XI Mais il est temps de sortir de ces petites-maisons de la cré- dulité publique et de rentrer dans l’histoire. L’impartiale histoire nous laisse en présence d’un faux mi- racle, enté sur un fait judiciaire atroce. Ce qui nous reste acquis, ce qu’on voudrait effacer de l’his- toire, c’est que, sur une vulgaire accusation, réprouvée par les rois et les papes, sans autre motif que la haine religieuse surexcitée par des massacres, sans autre preuve que des aveux arrachés à la torture, des juifs ont été tenaillés et brûlés à Bruxelles en 1370. Ce qui reste, c’est le souvenir d’un régime de despotisme et de persécution. C’est cette législation sur le sacrilège qui déshonore le catholicisme et qui n’a rien de comparable dans l’histoire que le crime de lèse -majesté qui déshonore l’Em- pire romain ! Telle était cette législation, telles étaient les mœurs qu’elle avait formées dans ce qu’on appelle la chrétienté : La plèbe catholique y dominait les souverains du monde! Ces rois et ces empereurs, violents fauteurs de despotisme, ces comtes et ces — 34 ducs, qui réprimaient si cruellement l’indépendance des com- munes, fléchissaient, esclaves ou complices, devant des bandes de loups portant la croix rouge et courant au massacre, devant l’official ecclésiastique réclamant l’exemple du bûcher. Les Pastoureaux massacraient, les rois pillaient, dit Depping. Puis, le miracle couvrait le tout de ses nuages tâchés de sang. Pour nous, cette législation n’en est pas une, et cet état social ne mérite que le nom de barbarie. C’était la négation de tout ordre et de tout droit; sous le nom de justice royale et ecclésiastique, ce fut un long attentat de lèse-humanité pe- sant sur les hommes au nom de Dieu. C’est cependant ce faux miracle, c’est cet horrible régime de jacquerie cléricale et d’inquisition religieuse que l’on veut glo- rifier en 1870, dans les rues de la capitale d’un pays où règne une entière liberté de conscience î Nous ne sommes encore qu’au xixe siècle ! Mais au xixe siècle, la législation sur le sacrilège a été abolie, la loi a adopté pour principe la belle parole du marquis de Vauvenargues : « Ce qui n’offense pas la société n’est pas du ressort de la justice. » La liberté de conscience est le premier mot de la charte des États libres, et le premier devoir de tous les cultes est la tolérance. Au xixe siècle, on n’a pas oublié les horreurs d’une législa- tion qui a causé des maux infinis et des crimes sans nombre; on n’a pas oublié le supplice du chevalier de La Barre à la veille de 4789; «La religion avait besoin d’un grand exemple,» dit un des juges. On n’a pas oublié que c’est pour venger une pro- cession pareille que, le 6 octobre 1790, le jeune Van Criekinge fut poursuivi, tué, coupé en morceaux par la plèbe cléricale de Bruxelles: une émeute entière contre un adolescent! On n’a pas oublié qu’un homme a encore été brûlé en Espagne en 1825; qu’il y a quelques années à peine on volait en Italie un enfant à un juif pour le baptiser, on brûlait en Belgique leurs granges aux libéraux pour venger la religion des cimetières, on massacrait toute une loge de francs-maçons dans l’Amé- rique du Sud pour venger Dieu. On se souvient qu’il n’y a pas longtemps, qu’en ce siècle même, les juifs étaient exclus du Parlement d’Angleterre et des loges maçonniques d’Allemagne; qu’en 1829 Pie VIII dé- fendit aux chrétiens, dans une bulle, de manger, jouer et danser avec eux, et qu’en 1870 une société catholique de Vienne vient encore de mettre au concours la question sui- — Sa- vante : Par quels moyens peut-on empêcher l’accroissement des juifs et l’augmentation des richesses en leurs mains? (Indé- pendance du 10 juin) Le démon de l’intolérance n’est pas con- juré partout! Oui, l’on se souvient et l’on ne veut pas revoir ces violences ou ces petitesses sur la terre qu’habitent des hommes libres. Il est temps de balayer cette poussière sanglante du passé! Il est temps de purifier l’atmosphère du monde civilisé, de ces miasmes ! Saufquelques forcénés de plume, bâtards de Yandernoot, qui regrettent qu’on n’ait pasbrûléLuther comme Jean Huss et as- sassiné Voltaire et Calvin, comme Henri 1Y et Guillaumele Taci- turne, gens qui ne croient à rien, mais qui rêvent d’assouvir de basses haines et de ressaisir la puissance, fût-ce dans le sang; il n’est pas un catholique, si croyant qu’il soit, qui ne frémisse à l’idée du retour possible de ces corrections vraiment trop ma- ternelles de l’Eglise envers ses brebis égarées. Pourquoi donc renouveler la mémoire de ces horreurs? pourquoi glorifier à nouveau ce régime condamné? pourquoi redorer ce blason des crimes dévots? Est-ce le miracle qu’on veut glorifier? Il est faux ! Est-ce l’histoire? Elle est atroce ! Et quand même ces juifs eussent été d’horribles assassins, qui donc s’avise aujourd’hui de célébrer la satisfaction de la justice dans la découverte et la répression d’un crime"? 11 est défendu, au contraire, après une exécution capitale, de men- tionner dans les actes de l’état-civil le genre de mort, pour que le supplice ne se prolonge pas au delà de la tombe. Mais c’est là une loi humaine et non cette loi divine qui dispose du bûcher et de l’enfer pour venger les prêtres. Le but est-il religieux"? Mais l’hostie n’est-elle pas assez sainte aux yeux de ceux qui croient à la transsubstan- tiation, pour qu’il faille ajouter un petit miracle, vrai ou faux, à la présence de Dieu dans les deux espèces; pour qu’il faille compléter cet infini d’amour qu’ils voient dans le sacrifice du Golgotha par la commémoration d’un auto-da-fé de la haine? Les bons catholiques peuvent adorer Dieu dans l’hostie, sans avoir besoin que le pain en soit taché de sang et leur rappelle une époque de persécutions terribles! Le but serait-il politique? On serait tenté de le croire en — 33 voyant le soin qu’on a pris de représenter dans la procession nouvelle tous les oppresseurs du pays, depuis le pape Pascal 11 qui jeta au comte de Flandre un cri d'hyène contre l’Eglise de Cambrai et de Liège, en lui ordonnant de traquer partout les chrétiens indociles ; jusqu’au prince Farnèse qui réduisit par la faim, le fer et le feu, nos libres provinces au joug de Philippe II et de l’Inquisition; jusqu’aux archiducs Albert et Isabelle, ces doucereux fossoyeurs d’un peuple martyrisé. 11 n’y manque que le duc d’Albe. Le duc d’Albe cependant a célébré le jubilé de 1570 sur les ruines du pays. 11 a droit à une belle place dans le cortège! En 1585, après que la ville affamée eut dû se rendre, une procession solennelle fêta le retour de nos oppresseurs... et de nos miracles. Le duc de Parme paraîtra dans la procession. Après la restauration de l’Espagne, les vainqueurs dotèrent à l’envi les églises. Des vitraux et des tableaux représentèrent toute l’histoire. On y voyait au douzième tableau les juifs se tordre dans les flammes et on lisait au bas une inscription qui porte que ce supplice eût été trop léger s'il devait finir là et si l’enfer ne devait brûler à jamais leurs âmes : Sed levis ilia foret posiluris morte dolores, At superest, animas qui cremat usque, rogus (4). Les Frères de VIntelligence disaient que les juifs pouvaient être sauvés; il fallait leur faire une réponse catégorique. En 4670, les réjouissances durèrent trois semaines et elles portèrent fruit : « En 4672, dit une chronique de Bruxelles, les Juifs firent au gouver- nement des offres considérables afin d’obtenir une demeure libre à Yil- vorde, mais l’archevêque de Malines et l’évêque d’Anvers firent des remon trances si fortes que leur demande fut rejetée (Bibl.de Bourg., n° 47122). En 4 720, la procession traîne en triomphe les métiers, les serments, les magistrats de la chambre des comptes (ceux qui avaient si bien lu leurs archives), le conseil du Brabant : Tout l’Etat est aux pieds de la religion. En 1770, le Père Cafmeyer était là; l’enquête confirme le faux en paléographie, et Manneken-Pis lui-même partage la joie du bon chanoine. « Le Manneken-Pis , qui était placé au milieu sur un piédestal, dit Cafmeyer, se voyant si richement et proprement habillé et entouré, sem- blait être épris de joie et sourire aux passants et spectateurs, ce qui faisait diminuer son jet d’eau ordinaire ! » (4) On trouve ces tableaux gravés dans Cafmeyer. 3 34 — Le jabilé de 1820 se contenta de promener dans les rues de Bruxelles des emblèmes inoffensifs ou des allégories gracieuses, comme les sept géants, comme une dame en voiture représen- tant la capitale, comme deux cygnes portant l’amour et l’hy- men, comme deux crocodiles portant un Africain et un Égyp- tien, comme le char de la terre, le char de l’eau, le char du feu, comme le char de la musique et des beaux-arts. Puis, il y eut tous les jours un sermon et des jeux publics : le jeu des œufs et le jeu de la toison, le tir à Tare et le tir à l’an- guille. Enfin, une brochure racontait les faits sans éloge et en y mêlant une protestation première (1). En 1870, on est moins profane et plus sérieux : l’esprit de Veuillot règne au concile. On n’avait projeté d’abord rien de moins que de représenter l’histoire des Juifs, depuis le vol des hosties jusqu’à leur châtiment sur le bûcher. La crainte de sou- lever la réprobation générale a fait changer le programme ; mais on y voit encore un char représentant les personnages historiques de l’enquête de 1402, qui, au dire de l’inventeur du miracle, ont assisté à la torture et à l’exécution. On y voit les notaires et protonotaires qui ont lu Puncto avec une foi imperturbable. Les organisateurs de la fête se croient au moyen-âge. Le xixe siècle nous donne d’autres exemples : Tout ce qui peut rappeler les haines du passé s’efface, les barrières des Etats et des cultes disparaissent, les peuples, hier ennemis, fra- ternisent; Gênes vient de restituer à Pise les trophées d’une victoire du xme siècle, et les ouvriers de VInternationale ont décidé en Espagne qu’ils cesseraient de fêter l’anniversaire de la mort des défenseurs du territoire, le 2 mai 1808, contre l’in- vasion française. Ce souvenir est glorieux, cependant; ce sou- venir est digne de citoyens qui veulent être libres; n’importe! il rappelle la guerre, et les rois d’Espagne ont trop abusé de l’épée pour que les ouvriers espagnols célèbrent cette fiancée de fer, comme l’appelle Kœrner. Leur esprit s’élève au-dessus de l’idée de patrie et ils ne veulent rien glorifier de ce qui a pu diviser les hommes du peuple dans les querelles de leurs oppres- seurs. Voilà des exemples que ne suivra pas de si tôt une Église qui compte parmi les rois très-chrétiens Charles IX et Philippe 11, parmi ses fêtes annuelles la célébration de la défaite de Roose- (1) Histoire de l’église des SS. Michel et, Gudule, par Brunelle, typographe. — 35 — beeke et de l’auto-da-fé des Juifs. Mais nous ne ferons pas l’injure à nos concitoyens de penser qu’en connaissance de cause, et sans que leur bonne foi soit surprise, ils puissent fêter ce faux miracle et ce vrai crime judiciaire. Il y a environ trente ans, lorsque Depping écrivit son Essai historique sur les Juifs au moyen-âge , arrivé au supplice de 1370, il dut constater qu’un jubilé fut institué pour en rappeler la mé- moire, et il s’éleva avec indignation contre «l’esprit fanatique » d’un peuple qui avait encore célébré en 1820 cette odieuse page de l’histoire de ses oppresseurs. Mais, — était-ce ironie ? — il espérait qu’un siècle suffirait pour ramener le peuple de Bruxelles à des sentiments plus humains : « Quand un autre siècle sera révolu, dit-il, le peuple » brabançon comprendra, il faut l'espérer, qu’il est honteux de » célébrer par des réjouissances la cruauté de ses ancêtres et » surtout d’y faire intervenir la religion. » 11 appartient au peuple brabançon de prouver aux historiens de l’Europe, que 50 ans de liberté lui ont suffi pour comprendre le devoir des temps modernes. Il n’est en son pouvoir ni dans ses intentions d’empêcher le clergé catholique de braver la conscience publique par d’aussi pieux souvenirs; mais il peut, par son abstention et par des protestations pacifiques, il peut par la parole, par la plume et par l’exemple, montrer qu’il n’est ni esclave ni complice d’un fanatisme dont la commémoration est une honte pour notre époque, comme le fait lui-même est une honte pour l’humanité. Il y a toujours des badauds qui suivent les processions comme des cavalcades publiques ! Mais ces gens ne savent pas ce qu’ils font; ils ne représentent pas la population de Bruxelles. La population de Bruxelles ne manquera pas à son devoir : il y va de l’honneur et de la liberté du pays. La population de Bruxelles n’oubliera pas ce mot de Mon- tesquieu : « Le clergé venge les images (ou célèbre leur ven- geance, c’est tout un) pour conserver son autorité. » La popu- lation de Bruxelles ne permettra plus qu’on la remette à un siècle pour montrer des sentiments humains, ne voudra pas qu’on puisse lui dire encore en face : Nous ne sommes qu’au xixe siècle î Dom Liber. ANNEXES, A. COMPTE DE GODEFROID DE LA TOUR. I. Texte de Cafmeyer et autres historiens ecclésiastiques. Reoeptum à judeis in Brabantia commorantibus hoc anno, de eorum annuali Censa et etiam de Bonis eorumdem, postquam combusti fue- runt circa Ascensionem Domini 4370, et diffamati fuerunt de Sacra- mento puncto et furtivè acepto ex Capella Beatæ Catharinæ apud Brux., in quantum eadum bona pervenerunt ad meum receptum. Primo Wynandus de Pondey, XIIII franq. Item Arnoldo judœo, XIIII franq. Item Medey de Sallyn, XIIII moût, et XI f. Item Medey Willacs, XXIII franq. Item Symone Claero, XIIII franq. ItemMeslman I quia recesserunt de Brux. j Item Joseph Mazoel < et non morabantur Brux. > Tem Leonec ( hoc anno. ) Item , Wynando Medico, hoc anno nihil, quia cajuslibet solulionis de suo Censu non advenit, licet commorabatur Bruxellis... etci II. TEXTE DU REGISTRE. FOLIO XIII, V°. [•*>] Recepta a Judeis Brabantia commorantibus hoc anno, de eorum annali censu et etiam de bonis eorumdem postquam combusti fuerant circa Pentecostem et Johannem LXX. Primo, de Vinando de Pondey, de suo annali censu, commoranti apud Lovanium, quas solvit Thomœclerico receptor circa Jacobi etCbristofori LXIX,tanquamdesuocensudeterminoJohannis LX1X prœterito et contra annum futurum XIIII franken. item, ab Arnoldo judeo commoranti apud Lovanium, de suo annali quas dédit dicto Thomœ XII in octobri LXIX, de suo censu contra annum futurum . . . XIIII franken. Item, ab eodem, de suo censu de anno præterito, unde dicebat quod fuit quitus quia dixit quod ipse et Vinandus de Pondey simul morabantur et quod non deberent solvere nisi unum censum, et quod Thomas clericus tanquam laboravit quod habuit ab eo [cum magno labore] de dicto anno præterito. . . . XIIII moctoenen esterlincx pro XI franken et I quarto vel circiter. tem, de Modey de Sallun[is], commoranti apud Bruxellas,de suo censa circa Johannem LX1X contra annnm futurum XIIII frankeu. Item, de Medey de Villacs commorante ibidem, de dicto termino . . XIIII franken. Item, de Symone le Clers, judeo, de dicto termino XIIII franken. Item, de Meester Manc j nichil quia recesserint de Bruxellis et non morabanlur Item, de Joseph de Visoel > Bruxellis hoc anno. Item, de Leonec ) Item, de Vinando, medico, nil hoc anno, quia terminus solutionis de suo censu non advenerit, licet commorabatur Bruxellis. Summa de censu dictorum Judeorum hoc anno : LXXXI franken 1 quartum, valentes C I V* moctoenen vel circiter, IIII pro V, tune temporis quando solverint. FOLIO XIIII, RO. (1) Item, recepta de bonis dictorum judeorum, postquam combusti fuerant circa Ascensionen Domini [ex capella Beatæ Katharinæ apud Bruxellas’] LXX, quœ defamata fuerant de sacramentis punicè et furtivè accepté in quantum dicta bona pervenerint ad manus receptoris. Primo, ex manu Reyneri Hellancs, collectoris Bruxellensis, qui deputatus fuit ad disponenduni de bonis judeorum apud Bruxellas, quas dédit Thomæ clerico, die martis post Pentecostem [te XI lb.] LXX . . . XV lb. pagamenli quœ valent CXXXVI ifa moctoenen parum minus, vel circiter. — Item, eidem, eodem die, G dobbelen valentes IIC moctoenen. — Item, ab eodem Reynero quas dédit Johanni de Wesenbeke misso Andwerpiensi circa dictum tempus, pro equis emendis, qui tamen ibidem nichil émit, et quod idem Johannes reddidit dictam pecuniam Thomæ clerico apud Lyram ... CL moctoenen. — Item ab eodem Reynero, quas misit Thomæ, per Johannen suum clericum XIX in junio LXX, G dobbelen moctoenen valentes C C moctoenen. — Summa, simul recepta ex manu dicti Reyneri usque Johannem LXX ... VI C LXXXVI i/i moctoenen. Item, exmanuEgidiiRike,villiciLovaniensis,etPetri deNelhenis,collectorisLovaniensis,qui députât i fuerant ad disponenduni de bonis judeorum apud Lovanium, — primo quas Thomas actulit [te XI lb.] apud Lovanium ex manibus eorum, X* in junio LXX lb. pogamenti, quæ valent CXLV 1/2 moctoenen vel circiter. — Item ab eisdem, dicto tempore, CLII dobbelen valentes III C IIII moctoenen. — Item, ab eisdem, dicta die, XXIII florenos esterlingos pro (1) C’est le passage qui commence ici dont nous donnons 1e fac-similé. -a??»5' . ^ cSrU^ ^ "H*"? dry^- ùdP &J& 'ÜM*b / ~ 1SbrGMwùù&' SVHrfjP &cw ~(p&)yA ! —ï\\*\ n'VK^ /iîu^^/me$ip c*y r ".7 " A jlAmmi£Z7ukZ++ plfrj 7V /ïurÿlf 'twKT'tf’ÿffe { ' û“ lcr1*û^ <Ç$$* *&> J^j***) —rzs?*. -£* "Ttyfï ^n Sÿy***^ ^ £7 Q&foyb yjjjd? — 39 — [XI pro XIII] [IIII pro V] \XVII moctoenen, vel circiler. — Item, ab eisdem, dicta die, V franken qui valent VI moctoenen I quartum. — Item, ex manibus eorumdem quas Thomas actulit apud Lovanium, IXa in julio LXX ... LU dobbelen valentes CIIII moctoenen. — Item, eadem die, VII franken valentes IX moctoenen I quartum, videlicet III pro IIII tune temporis. [XI pro XIII] Item, ab eisdem, dicto tempore, XXVI florenos graves esterlingos, pro ;XXX moctoenen III quaitis. [te XI lb.] Item, ab eisdem, dicto tempore, XIC III lb. pagamenti, valentes C moctoenemet 1 1/2 quartum unius muttoni, vel circiter. — Summa pecuniæ simul recepta a dictis villico et reccptore Lovaniensibus , ex eorum manibus usque antedictum Johannem : VIIC XXVII moctoenen 1/2 quartum. Folio XV, v°. Summa simul recepta de bonis dictorum judeorum apud Bruxellas et apud Lovanium, in quantum pervenerit ad manus receptoris usque Johannem LXX, simul computata. Summa istarum duarum summarum, simul computatarum de censu judeorum et de bonis eorum, postquam combusti fuerant, simul computata, XVC XV moctoenen 1/2 quartum. Chambre des Comptes, n° 2356 (1). B. BULLE DU PAPE EUGÈNE. Eugenius episcopus, servus servoru m Dei, Universis Christifîdelibus præsentes lilteras inspecturis, Salutem et apostolicam benedictionem. Sacratissimum corpus domini nostri Jhesu Christi, qui, de hoc mundo transiturus ad patrem, ad passionis et mortis suæ memoriam, carnem suam in cibum et sanguinem suum in poculum exhibuit populo chris- tiano, decet Christifîdeles piæ devotionis reminiscentia venerari et panem angelorum cœlestem quo nos spiritualiter refîcit, veluti nostræ peregrinationis qua redimus ad patriam, viaticum devotis mentibus ex intimis præcordiis adorare. Cum itaque, sicut aecepimus, ad ecclesiam Sanctæ Gudulæ Bruxellensis, Cameracensis diœcesis, ob plurima quæ inibi in vera consecrata altaris hostia quæ ajudeis furtivè subtracta, pedibus calcata et cultellis prout in stigmatibus ex quibus sanguis effluxit adhuc (t) La copie a été faite par M. Ad. Van Rossum, sous-chef de section aux archives du royaume. — Nous repro- duisons le texte, ligne par ligne, en mettant entre les lignes ce qui y est intercalé dans le texte. — 40 — npparet, perforata fuit, in præfata ecclesia inmundoac decenti loco juxta quem in quadam capella singulis quintis feriis missa de Sanctissimo Sa- eramento solenniter decantari solet honorifîcè reservatur, altissimus operari dignatus est miracula, ingens Christifidelium multitude» singu- laris causa devotionis confluere consueverit. Nos, cupientes quod hujus modi devotio ferventius vigeat et augeatur, ampliorque succédât inde salus animarum, et ut fideles ipsi ad ecclesiam præfatam eé libentius confluant, nec non ad illius conservationem et fabricam manus promp- ti us porrigant adjutrices, quo ex hoc dono cœlestis gratiæ uberius conspexerint se refectos, de omnipotentis Dei misericordia ac beatorum Pétri et Pauli Apqstolorum ejus auctoritate con..., omnibus verè pœni- tenlibus et confessis qui in dominicis ejusdem corporis domini et beatæ Margaretæ feslivitatesproximè sequentibus diebus, ecclesiam prædictam nec non capellam quæ pro ipsius hostiæ conservatione de novo notabiliter construi inchoata est, postquam perfecta fuerit, devotè visitaverint an - nuatim, ac ad conservationem nec n§n fabricam prædictas porrexerint manus adjutrices, in qualibet videlicet ipsarum dierum quibus ecclesiam et capellam visitaverint ad conservationem quoque ac fabricam hujusmodi manus ipsas porrexerint ut præfertur quinque annos et totidem. ( . . . ) (1) quadragenas nec non quotiens decantationi missæ hujusmodi interfuerint cenlum dies de injunctis eis pœnitentiis miseri- corditer ( ) præsentibus perpetuis futuris temporibus dura- turis. Volumus autem quod si alias visitantibus ecclesiam aut ad co ( ) seu fabricam hu ( ) ecclesiæ reparationem manus porrigentibus adjutrices, aut alias inibi pias elemosinas erogan- tibus vel ( ) lia indulgentia n. . . . seu ad certum tempus nondum elapsum duratura per nos concessa fuerit præsentes litteræ nullius existant ( ) momenti. Datum Florentiæ, Anno incarna- tionis dominicæ millesimo quadringentesimo tricesimo quinto, quarto decimo Kl. Aprilis, Pontificatus nostri Anno sexto. A. de Florentià. Habui xxiiit. t t Galhardus. F. de Laude. (Archives générales du Royaume. Chartes de Ste Gudule, carton n° IV, charte n° 507. Pièce originale avec sceau). (1) Ces points indiquent des déchirures dans le parchemin. La protestation que voici a été distribuée et affichée à Bruxelles, dans les deux langues : Aux habitants de l'agglomération bruxelloise. CONCITOYENS ! Un comité catholique vous convie à fêter, au mois de juillet prochain, le jubilé du « Très-Saint Sacrement de Miracle. » Ce qu’on vous demande de célébrer : C’est l’anniversaire d’une persécution religieuse ; C’est le massacre de quelques juifs, accusés d’un crime imaginaire; C’est la confiscation de leurs biens ; C’est l’expulsion en masse de leurs coreligionnaires ! Ce qu’on vous demande de célébrer, à vous et à vos enfants, que vous élevez dans la tolérance et l’amour de l’humanité : C’est un i^gime d’oppression et de violences ! Quoique les projets du comité catholique dépassent les bornes d’un acte religieux, une liberté entière doit être laissée à cette manifestation. A l’opinion publique seule de la juger! Mais vous, qui vivez sous le régime de la liberté de conscience, dans un pays ouvert à toutes les croyances et à toutes les opinions, consen- tirez-vous à vous associer à la lourde responsabilité qui pèse sur les organisateurs de l’œuvre ? Les esprits éclairés de toutes les opinions se refuseront à la glorifica- tion qui leur est demandée; les catholiques n’oublieront pas qu’eux aussi ils ont eu leurs martyrs. Tous, vous partagerez l’horreur que doit inspirer la traînée de sang laissée dans l’histoire par les persécuteurs de tous les temps et de tous les partis. CONCITOYENS ! Que l’abstention générale soit la protestation delà conscience publique. MM. Adnet Amédée, Allard Ernest, Altmeyer, Arnould, Baune Eugène, Bérardi, Bergé Henri, Bouvier-Parvillez , Brunard Hubert, Buis Charles, Cluydts Édouard, Colard Prosper, Couvreur Auguste, Dansaert A., Debonne Julien, Debroux J., Defré Louis, Degand Émile, Degreef Guillaume, Degroote Charles, Delaute, De l’Eau d’Andrimont, Demeur Adolphe, Demot Émile, Denis Hector, De Potter Agaton, De Roth- maler Gustave, de Ryckman Charles, Devaddei\^^’ick de ten Ham Joe., Discailles Ernest, Dubosch G.^^|^Biuvers, Emcrique Louis, Eyben P., Féron Émile, F^^^^Hharles, Francqui J. -B., Fritz Anselme, Goffin Ni^J^HJPj^pvictor, Hanssens Émile, Huysmans Louis, HymW^Louis, Janson Paul, Jones Auguste, Jottrand Gust., Labarre Louis, Leclercq Émile, Lemaieur Ch., Liévin E., Mignot Arthur, Mignot Al- phonse, Olin Xavier, Pauwels J., Picard Edmond, Piron-Van- derton, Potvin Ch., Rahlenbeeck Ch., Robert Eug., Splingard Pierre, Thiéry, Thys, Tiberghien G., Van Bemmel Eug., Vandenkerkhoven Léonard, Vander Elst, Vanderkindere Léon, Vanhumbéeck Pierre, Vanhumbéeck Ferdinand, Van Meenen François, Van Meenen Maurice, Van Schoor Joseph, Van Schoor Henri, Veldekens F., Washer Gustave, Watteeu Joseph, WautersAlp, Weyers J., Wilbaux Léopold, Wyvekens Florian. library yy OF THE FRANCISCO COLLEGE FOR IVOMEN f) [y REVUE DE BELGIQUE Nature : roman, poésie, critique; histoire, sciences sociales, philosophie, beaux-arts, bibliographie, etc.) PARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS PAR LIVRAISONS Il%T-8“ DE 80 A OO PAGES DE TEXTE FORMANT 3 VOLUMES IN-8° PAR AN * PRIX D’ABOXXEMEXT : Pour la Belgique * r - l2 PAR AN - » la France et l’Italie ........ 18 » » les Pays-Bas 15 ’ * > l’Allemagne et la Russie . . . . . -th. 4 1/2 » » l’Angleterre sh. 15 » On s’abonne à Bruxelles, au bureau de la Revue, 17, montagne de Sion ET CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES DE LA VILLE, DU PAYS ET DE L’ÉTRANGER. H est rendu compte de tout ouvrage dont un exemplaire aura été envoyé.